Interdire Othello ?

La boboïté politique de gauche est une fois encore en émoi. Le coupable: le rappeur Orelsan, qui dans une chanson particulièrement violente fait parler un homme que sa femme a quité, et qui ne songe qu’à la vengeance. Un sujet qui n’a rien de bien original, puisque la littérature universelle est pleine de personnages (masculins et féminins, d’ailleurs) qui se sentant délaissés par l’autre imaginent de terribles vengeances et quelquefois les exécutent. On pourrait mentionner Othello étranglant Desdémone, mais les féministes auraient aussi intérêt à se souvenir de Medée qui, délaissé par Jason, tuera sa rivale Creüse et son père en leur offrant des robes magiques qui les brûlent, incendie leur château puis assassine les deux enfants qu’elle a eu avec son amant infidèle, qui en meurt de déséspoir. Comme on voit, en matière d’horreurs Orelsan n’est finalement qu’une pâle imitation.

Le problème avec la boboïté de gauche, c’est que plutôt que changer la société, objectif fort louable s’il en est, elle est partie en croisade pour changer l’Homme. Pour ce courant, les maux qui nous affligent ne viennent pas des rapports sociaux et économiques (c’est à dire, pour faire court, l’exploitation qui permet à certains de s’approprier le travail des autres) mais de la méchancété des idées qui se cachent dans nos crânes. Si les hommes n’étaient pas racistes, classistes, sexistes, speciecistes (car les animaux ont aussi des droits), âgistes et tous les -istes que vous pouvez imaginer, nous habiterions l’Eden. Il faut donc changer non plus les rapports économiques, ce qui relève de l’organisation de la société et donc de la politique, mais les idées qui se cachent dans nos cerveaux. Et il ne s’agit pas de les changer par le débat rationnel, sinon plutôt tout le contraire: ouvrir le débat revient à admettre qu’il existe plusieurs réponses possibles à une question, toutes respectables. Ce qu’on recherche, ce n’est pas une conviction rationnelle, mais un conditionnement. Et celui-ci s’obtient au moyen du terrorisme intellectuel et, si celui-ci ne marche pas, de la représsion pure et simple.

Ainsi, pour revenir à l’affaire Orelsan, on retrouve Marie-George Buffet cosignant une lettre avec Laurence Cohen (“responsable de la commission du PCF droit des femmes/féminisme”, et représentante éminente de ce gang qui depuis des années fait du féminisme radical un tremplin de carrière) adressée au directeur du Festival de Bourges. La lettre ne demande pas que la chanson incriminée soit censurée. Non: elle demande au directeur du Festival de demander à l’artiste de s’auto-censurer. Comme du temps de l’Inquisition, il ne suffit pas de silencier l’artiste, il faut qu’il abjure de lui même son oeuvre, qu’il admette son crime. Bien sur, s’il ne le faisait pas, s’il persistait, on utiliserait des méthodes plus radicales: manifestations devant ou dans la salle de spectacle, par exemple. Etant donné l’aversion au risque des organisateurs de spectacles, cela revient à une condamnation au silence. Doc Gyneco en sait quelque chose: ceux-là mêmes qui l’encensaient quand il était marqué “rebelle” l’ont empêché de chanter lorsqu’il eut la mauvaise idée de soutenir Sarkozy.

Le plus drôle, est que la gauche boboïsée avait unanimément défendu un autre groupe de rap, NTM, lorsqu’il avait été condamné suite à une chanson qui était, elle, un appel directe à la violence contre la police. Comme quoi l’éthique dont se réclame cette gauche est assez flexible: décrire les sentiments violents d’un homme que sa femme a quité est un crime, appeller à la violence réelle contre des fonctionnaires faisant leur travail, c’est de la liberté d’expression. Etonnant, non ?

Derrière cette croisade, se cache une vision extraordinairement élitiste de la sociéte: le peuple serait composé d’êtres simples, incapables de se faire leur propre opinion. Des êtres simples qui, parce qu’ils écoutent une chanson qui les encourage a frapper leur femme, rentrent à la maison et se payent bobonne. Hereusement qu’il y a au dessus de ce peuple ignorant des Laurence Cohen qui savent ce que le peuple doit entendre, et ce qu’il faut lui cacher. Le “parti d’avant-garde” se porte toujours aussi bien, il s’est simplement boboïsé: avant, il prétendait guider politiquement le peuple, aujourd’hui il se contente de le guider moralement.

Et comme nous sommes dans une société compétitive, les maîtres du politiquement correct sont tenus à une surenchère permanente. C’est à qui découvrira la discrimination la plus cachée, et a qui se montrera plus vertueux dans la condamnation. Cela entraine rapidement sur la voie du ridicule. Depuis le filtrage du langage (les aveugles transformés en non-voyants) passant par la censure des classiques (Voltaire était raciste, Shakespeare antisémite, Sophocle antiféministe…) jusqu’à l’approbation de la censure des caricatures de Mahomet, au nom d’un “respect des réligions”. Dans cette surenchère des “purificateurs”, ce sont nos libertés et pour le dire plus platement, notre humanité qui disparaît. Des oeuvres de l’esprit qui ont enchanté des générations ne peuvent plus être écrites ni même jouées aujourd’hui parce que tel ou tel petit ayatollah ayant un pré carré à défendre a décidé qu’elles étaient “offensantes”. Croire que ce nouveau victorianisme est une question purement morale serait d’ailleurs une erreur. Autour de cette croisade moralisatrice se cachent des intérêts très concrets. Le combat contre les discriminations réelles ou supposées est un bizness qui fait vivre beacoup de monde. C’est aussi une arme rédoutable dans les mains d’un certain nombre de groupuscules pour obtenir des places et des postes. Les quotas, c’est pas perdu pour tout le monde.

Je ne connais pas Orelsan, et personnellement je déteste le rap. Mais je déteste encore plus ces nouveaux victoriens qui prétendent mettre des feuilles de vigne sur les statues et nous dire ce que nous avons le droit d’écouter, de lire et de contempler. On attribue à Voltaire la phrase “Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire”. Orelsan doit pouvoir chanter.

Descartes

Ps:  Daniel Bolling, directeur du Printemps de Bourges, a déclaré dans un communiqué de presse: “En déprogrammant Orelsan, notre festival ferait un acte de censure et de sanction vis-à-vis d’un artiste. (…) Aussi scandaleux et odieux que soit le texte de cette chanson, le Printemps de Bourges estime qu’il n’a pas à être complice d’un véritable tribunal populaire qui tente de se substituer à la justice dans un Etat de droit”. Position qui non seulement fait honneur à l’institution qu’il dirige, mais qui montre un courage rare dans la profession: le communiqué répondait aux menaces du président (PS) de la région centre de couper les subventions si Orelsan n’était pas déprogrammé. Ou sont passées les voix morales de la gauche boboïsée, si promptes à protester contre l’utilisation de l’argent pour faire pression sur la culture ? Elles devaient être en congé, ce jour-là…
 

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *