Meufs, je vous aime !

Pendant la dernière campagne présidentielle, on racontait la plaisanterie suivante:

Ségolène Royal se donne une conférence de presse. Un journaliste se lève et lui pose agressivement une question sur l’économie. Réponse de Ségolène: “me poseriez-vous cette question si j’étais un homme ?”

Plus tard, Ségolène se retrouve dans une manifestation d’agriculteurs. Les quolibets fusent. Réponse de Ségolène: “réagiriez vous comme ça si j’étais un homme ?”

Plus tard encore, Ségolène se trouve devant un auditoire d’étudiants. On lui pose des questions sur l’Univesité, ses réponses ne convainquent pas. Ségolène se fâche: “seriez vous plus convaincus si j’étais un homme” ?

Le soir, Ségolène rentre éreintée chez elle. Elle est accueillie par François Hollande, qui la prend tendrement dans ses bras, et elle lui raconte les déboires de sa journée. Hollande la console, “ne t’en fais pas, Ségolène, c’est le métier”. Et Ségolène de lui demander: “m’appellerais tu Ségolène si j’étais un homme ?”.

Cette plaisanterie pourrait n’être qu’un amusement. Malhereusement, elle ne fait qu’illustrer le glissement du social vers le sociétal qui affecte la gauche toute entière. Dans beaucoup de domaines, la gauche est passé d’une pensée républicaine de l’égalité à une vision victimaire et fondamentalement inégalitaire. Et nulle part ceci est aussi pregnant que dans le discours sur le féminisme.

Dans ce domaine, deux discours se sont toujours affronté. D’un côté, un courant égalitariste qui, pour reprendre l’expression d’une féministe américaine, exigeait “fair ground and no favors” (“justice, et pas de faveurs”). Il s’agissait de faire disparaître les barrières légales empêchant l’accès des femmes à certaines professions, responsabilités, fonctions ou possibilités, de manière à ce qu’elles puissent, à égalité avec l’autre sexe, faire valoir les capacités et leurs talents. Ce courant recherchait un espace public asexué, et un espace privé laissé à la libre négociation entre les individus. Il était par essence anti-prescriptif.

A côté de cette position, traditionnellement majoritaire, se développe une vision “différentialiste” qui loin de chercher l’indifférence au sexe (ou plutôt au “genre”, car le mouvement reste tout de même fort puritain) soutient au contraire une sexualisation du champ public. L’objectif n’est plus que les hommes et les femmes puissent exercer leurs talents independament de leur sexe. Au contraire: hommes et femmes sont censés exercer leurs professions, responsabilités et fonction d’une manière différente, et il importe donc de veiller à une égale “représentation” des sexes à tous les niveaux. Hommes et femmes sont perçus, dans cette vision, comme étant deux groupes distincts de la société, ayant chacun sa représentation politique distincte (c’est le fondement théorique de la parité: une femme ne saurait être politiquement représenté que par une femme…). Cette vision différentialiste, partie du monde anglo-saxon (et en particulier du mouvement post-moderne américain) est arrivé chez nous dans les années ’80, et devient dominante dans la pensée politique de la gauche dans les années ’90. A mesure que la gauche a abandonné la lutte des classes, elle l’a remplacé par la lutte des sexes (et par la lutte des races… mais cela est une autre histoire).

Cette dérive prend souvent des couleurs caricaturales. L’utilisation de son sexe (au meilleur sens du terme…) par Ségolène durant la campagne présidentielle l’a conduit souvent à se ridiculiser: souvenez-vous de sa proposition de recruter des fonctionnaires pour accompagner les policiers de sexe féminin de leur travail à leur domicile pour leur éviter de se faire violer. Au PCF, cela prend des allures grotesques. Non seulement on retrouve aujourd’hui dans tous les textes de ce Parti une phrase sur la “domination patriarcale” (1) (sic), mais il existe un groupe au sein du Comité National du PCF qui n’intervient que sur ce genre de sujets (2),  veillant au grain avec la tenacité et la stridence des dames patronnesses. Peu leur importe que le PCF coule, il doit couler paritairement. Ainsi, les dernières réunions du Comité National ont été parsemées de rapports et propositions sur la féministation de l’instance. Ainsi, il a été proposé la parité dans les interventions: il paraît que les femmes sont trop timides pour demander la parole en début de séance, et que sans cet artifice les hommes parleraient plus souvent que les femmes. Au Comité éxecutif du PCF ce n’est pas mieux: le 30 mars dernier, Brigitte Dionnet présente un rapport sur “la parité au PCF”. Outre rappeller la “logique patriarcale”, ce texte surréaliste à la syntaxe chancelante expose un crédo différentialiste dont l’extremisme fait sourir: placer dans chaque fédération une inspectrice chargée du respect de la parité, campagnes d’adhésion “femmes”… (3)

Cette vision différentialiste est en fait un poison pour la gauche. Car en dernière instance, elle conduit tout droit à théoriser la guerre des sexes. En posant une conception du monde dans lequel le rapport des hommes et des femmes est un rapport “dominant-dominé”, en faisant des femmes des victimes et des hommes les bourreaux, les théories différentialistes fabriquent artificiellement des divisions qui font perdre du temps et de l’énergie qui seraient plus utilement employés ailleurs. A qui fera-t-on croire que le problème prioritaire du PCF aujourd’hui est la parité dans ses organes dirigeants ?

La vision différentialiste repose aussi sur un idéalisme qui n’a aucun support réel. L’idée qu’une plus grande participation féminine modifie (en bien) la manière de fonctionner des institutions n’a aucun support dans les faits: Margaret Thatcher, Golda Meir, Indira Ghandi ont conduit le gouvernement de leurs pays comme l’aurait fait un homme. Depuis la dernière élection, les conseils régionaux sont paritaires. Est-ce que quelqu’un a perçu un quelconque changement dans leur fonctionnement ? Bien sur que non. Le fait d’être une femme n’a pas empêché  Linddie England de devenir une tortionnaire. Si les femmes ont commis moins de massacres et de génocides que les hommes, c’est parce qu’elles n’ont pas eu la possibilité, et non pas du fait d’on ne sait quelle supériorité morale “naturelle”.

Au fonds, les différentialistes sont restés très victoriennes: elles sont toujours convaincues que les femmes sont des êtres faibles, qu’il faut protéger. Qu’elles sont plus sentimentales, plus tendres, moins ambitieuses et moins portées sur la violence que les hommes. Qu’un monde gouverné par les femmes serait le paradis. La réalité n’a pas fini de les décevoir…

Descartes

(1) La persistence à utiliser cette formule donne lieu quelquefois à des collisions amusantes. Ainsi, Brigitte Dionnet (“Communistes”, éditorial du N°344) attaque “la logique patriarcale et libérale”, sans apparament se rendre compte que la logique patriarcale et la logique libérale ne peuvent qu’être opposées. La logique patriarcale soustrait en effet le travail des femmes à la logique du marché libre, puisque les femmes ne sont pas libres de vendre leur force de travail au plus offrant et que leurs possibilités de participer à la compétition professionnelle se trouvent faussées. La logique libérale, comme Marx l’avait souligné dans le “Manifeste”, est inconciliable avec le patriarcat…
(2) Le pompon, dans ce domaine, appartient à Mme Colette Mô. Membre du Comité National du PCF depuis une dizaine d’années, elle prend la parole à toutes les réunions de cette instance. Durant toute cette période, elle n’est jamais intervenu sur un autre sujet. Membre de la direction national d’un Parti qui prétend vouloir changer de fond en comble la société, elle n’a jamais rien eu à dire sur l’art, l’économie, le chômage, le tourisme, la politique urbaine, le changement climatique ou l’élevage des pingouins. C’est une femme d’un seul sujet: les femmes.
(3) Le numéro d’Info-Hebdo ou cette information est publié étant daté du 1er avril, le poisson d’avril ne saurait être exclu…

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