L’identité nationale mérite un vrai débat

“Un peu d’internationalisme éloigne de la nation, beaucoup y ramène” (Jean Jaurès (0))

La gauche aujourd’hui n’aime pas réfléchir, surtout lorsqu’il s’agit de sujets compliqués. Dernier exemple en date, les réactions qui ont suivi l’annonce par Eric Besson d’un débat sur l’un des problèmes philosophiques et politiques les plus complexes qui soient, à savoir, la question de l’identité nationale.

On se souvient des cris d’orfraie qui avaient suivi la décision de Nicolas Sarkozy de faire lire dans toutes les écoles la dernière lettre de Guy Mocquet à sa famille. La gauche aurait pu intelligemment utiliser la décision présidentielle, qui lui laissait de larges plages de liberté quant à la manière de lire la lettre et la préparation pédagogique qui pouvait l’entourer. On aurait pu parfaitement profiter de l’occasion pour expliquer mieux qui était Guy Mocquet, quel était son combat, comment et pourquoi il est mort, et quelles leçons peuvent être tirées pour l’avenir. Au lieu de quoi, la gauche a préféré utiliser l’occasion pour laisser libre cours à un antisarkozysme imbécile, certains militants enseignants allant jusqu’à refuser de lire le document. Attitude paradoxalement présentée comme un acte de “résistance”…

Avec le débat sur l’identité nationale, la gauche est tombée dans le même piège. Au lieu de prendre à bras le corps une question et montrer qu’elle aussi est capable de réfléchir et de proposer, on assiste à la dérobade habituelle: contester non pas sur le fonds de la question, mais sur la légitimité du gouvernement à la soulever (1) en lui prêtant toute sorte d’arrières pensées électorales. Comme si le sujet de l’identité nationale ne méritait pas en lui même une réflexion en profondeur.

Et pourtant, la gauche a – ou du moins devrait avoir – des choses à dire sur la question. En France, la Nation – et donc ce qui la fonde, son identité – est une question théorisée essentiellement à gauche. C’est la Révolution française qui en fait une catégorie juridique pour donner à ses actes une légitimité une fois la monarchie de droit divin abolie. La Nation, honnie par une droite essentiellement méfiante envers la souveraineté populaire et le suffrage universel, a été l’enjeu du combat progressiste durant tout le XIX siècle. En donnant à la Nation une signification essentiellement volontariste et constructive (“c’est le souvenir des grandes choses faites ensemble, et le désir d’en accomplir de nouvelles”, selon les mots bien connus de Renan), la République marque sa méfiance pour la conception d’une nation essentiellement fermée et passéiste qui trouve son identité dans “le sang et les morts”. La Nation reste une idée de gauche pendant une bonne partie du XXème siècle, de Jaures et son “un peu d’internationalisme éloigne de la Nation, beaucoup y ramène” jusqu’à De Gaulle déclarant dans les années 1960 que “le drame français est que la gauche n’aime pas l’Etat et la droite n’aime pas la Nation (2)”. Ce n’est qu’avec le carnaval de ’68 que la Nation commence à avoir mauvaise presse dans une partie de la gauche française. Et comme toujours, quand la gauche laisse tomber ses drapeaux, c’est la droite et l’extrême droite qui les récupèrent.

La question est donc complexe. Ouvrir une réflexion obligerait la gauche à réintérroger un certain nombre de dogmes cristallisés, et donc a quitter la chaleur rassurante du slogan (3) pour naviguer dans les eaux dangereuses de la controverse. Mieux vaut donc rester couvert et refuser le débat. A gauche, on n’aime pas les aventures intellectuelles.

Pourtant, la queston de l’identité nationale aujourd’hui reste fondamentale. Et rien à voir avec la question de l’immigration: La construction européenne, l’ouverture des frontières et l’homogénéisation des comportements, l’évolution du contenu même de la citoyenneté, hier un équilibre entre droits et devoirs, aujourd’hui une pure collection de droits (4), interrogent bien plus l’idée d’identité nationale que l’immigration. Il ne s’agit pas de délivrer des livrets de bon ou mauvais français. Il s’agit de se demander d’abord si la catégorie de “français” a encore un sens, et si oui lequel. Qu’est-ce qui fait qu’on est (ou pas) “français” aujourd’hui ? S’agit-il d’une distinction purement juridique et administrative ? Politique ? Sociale ? Culturelle ? Est-elle menacée, et dans ce cas, faut il se réjouir de sa disparition ou au contraire faire quelque chose pour la préserver ?

Voilà des question “politiques” au sens le plus noble du terme. Il faut bien comprendre que toute réflexion politique progressiste nécessite une analyse de ce qui fait un “vivre ensemble”. Et donc de la manière dont les gens se reconnaissent (ou pas) dans une “identité” qui leur est commune. La Nation est aujourd’hui la plus grande communauté humaine dont les membres se reconnaissent un devoir de solidarité mutuel. Et ce fait ne peux pas ne pas intéresser une gauche qui veut comprendre le monde qui l’entoure. Si la gauche consacrait à cette question la moitié de l’énergie qu’elle consacre aux bisbilles électorales, il y aurait de quoi soutenir un débat passionnant et battre le gouvernement sur le terrain idéologique, qui est celui qui prépare toutes les reconquêtes électorales.

Au lieu de ça, on préfère sortir des communiqués grandiloquents comme celui signé de Pierre Laurent, accusant Eric Besson de “pétainisme” et de vouloir faire rechanter “Maréchal, nous voilà”. Des communiqués si faciles, si standardisés, qu’ils ne demandent que le minimum syndical de réflexion. Ce qui permet de réserver ses neurones pour les questions fondamentales. Comme celle de savoir qui sera tête de liste où, qui semble être pour certains la seule question qui mérite un effort intellectuel.

Et si débattre des vrais problèmes c’est être “pétainiste”, et bien j’assume: Vive le Maréchal!

Descartes

(0) Cette citation est une forme “modernisée” de la citation originale. Le mot utilisé par Jaurès était “patrie” et non pas “nation”. Mais le paragraphe dont elle est extraite ne laisse pas de doute sur le fait que le terme “patrie” et “nation” sont utilisées par Jaurès comme synonimes:

« Mais ce qui est certain, c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes du militarisme et aux bandes de la finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini dans la démocratie et dans la paix, ce n’est pas seulement servir l’internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. »

Jean Jaurès, L’armée nouvelle, 1911.

 

Ce texte, que la gauche semble avoir oublié, serait un bon point de départ pour une réflexion sur “l’identité nationale”.

(1) On peut trouver la déclaration du PCF ici . Elle est d’une bêtise rare même por le PCF. Le PS n’a pas fait de déclaration, mais plusieurs dirigeants se sont exprimés sur la question, tous pour dénoncer une “grosse ficelle” électorale, quand ce n’est pas comme Vincent Peillon pour dire des bêtises du style “La France n’a jamais parlé d’identité nationale”.  Les Verts et le NPA se sont exprimés pour condamner l’initiative considérée comme purement électoraliste. Comme quoi le fond de la question ne semble intéresser personne.

(2) “quant à mes amis, ils aiment trop l’argent”, ajoutait le Grand Charles, qui savait de quoi il parlait.

(3) “Régularisation de tous les sans papiers”, “droit de vote pour les immigrés” sont deux excellents exemples. La gauche ne se rend pas compte à quel point ces deux slogans sont auto-destructeurs. Régulariser tous les sans-papiers peut paraître une proposition généreuse. Mais que fait-on avec les sans-papiers qui ne manqueront pas d’arriver apres la régularisation générale ? On les régularise aussi ? Cela revient à déclarer que tout être humain a le droit de s’installer en France s’il le souhaite, ce qui est économiquement intenable. Mais si on limite la régularisation aux sans-papiers existants, comment justifier du point de vue du principe d’égalité le fait de régulariser les sans-papiers passés, et ne pas régulariser les futurs ?

Quant au droit de vote des immigrés, cela revient à fragmenter l’électorat en deux parties distinctes, rendant la notion de souveraineté populaire problématique, puisque le principe même de cette souveraineté est que ceux qui l’exercent sont tous dans le même bateau, et ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il est vrai que (regrettablement) la plupart des devoirs attachés à la citoyenneté sont devenus symboliques. Mais est-on prêt à imposer ces mêmes devoirs aux immigrés bénéficiant du droit de vote ? Cela poserait des problèmes juridiques et sociaux fort compliqués… De plus, donner le droit de vote aux immigrés risque de faire entrer la politique interne des pays d’origine dans la politique française. A-t-on envie de jouer le conflit sunnites-chiites par procuration ?

(4) On l’oublie trop souvent, mais l’état de français n’était pas naguère de tout repos. Il comprenait toute une série d’obligations, dont celle – du moins pour les hommes – du service militaire en temps de paix et le mourir au champ d’honneur en temps de guerre. Ces devoirs légitimaient les droits qui étaient attachés. Aujourd’hui, l’état de français ne comporte plus aucun devoir, l’appel aux armes étant devenu théorique. Pas étonnant, dans ces conditions, qu’on juge excessifs les (rares) droits qu’il conserve encore…

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7 réponses à L’identité nationale mérite un vrai débat

  1. Yves 93 dit :

    moins d’espérer que le problème ne se règle de lui-même, par un changement de mentalité (temporaire?) ou par la marginalisation (exclusion et même suicide) des contestataires responsables.
    Quelles actions préconisez-vous pour mettre en accusation ceux qui, par leur (mauvais) exemple, ont amené les citoyen(e)s que nous sommes à douter de leurs “devoirs” envers la république?
    Le français lambda que je suis aimerait beaucoup vous lire à ce propos, ainsi qu’à ma précédente question.

  2. Yves 93 dit :

    Bonjour,
    Je vois que mon commentaire ne vous est pas parvenu dans son intégralité.
    En ce qui concerne les devoirs des citoyen(e)s, j’envisageais ceux des premiers parmis nous : les élus, y compris les présidents de la République depuis 1973, et aussi les dirigeants
    économiques.
    Je parlais des devoirs engendrés par la Constitution française : le DROIT AU TRAVAIL, qui n’est pas un simple gadget, mais le fondement de notre république. Sans travail correctement rémunéré, pas
    d’autonomie financière, pas de liberté réelle, pas de démocratie…Mais aussi, pas de possibilité pour l’individu H/F d’être intégré, reconnu et de re-connaître en retour la société dans laquelle
    il vit.
    L’abandon de la politique du PLEIN EMPLOI par nos dirigeants sous couvert du dogme du MARCHE -qui si je ne m’abuse n’est pas mentionné dans notre constitution- est un grave manquement à leurs
    DEVOIRS.
    Ne devraient-ils pas donner l’exemple?
    Qu’en pensez-vous?
    Quelles actions préconnisez-vous pour les contraindre à respecter ces devoirs envers les citoyen(e)s?
    Bien cdt.

    • Descartes dit :

      Les élus sont des citoyens comme les autres, et n’ont aucun “devoir” particulier envers les citoyens. Ils n’ont pas non plus à donner un quelconque “exemple”. Les élus sont des personnes que le
      peuple choisit pour leur confier le mandat de gèrer les affaires publiques pendant une période limitée. Si les citoyens ne sont pas contents de la manière dont ils le font, nous avons à l’issue de
      cette période la possibilité d’élire quelqu’un d’autre. Il faut pas faire des élus des prêtres d’on ne sait quelle réligion républicaine ou des professeurs de vertu.

      La constitution française n’établit aucun “droit au travail”. Elle établit que “chacun à le droit de travailler et le droit d’obtenir un emploi” (préambule de la Constitution de 1946, repris par le
      préambule de la constitution de 1958). Mais comme tout droit, celui-ci n’est pas absolu mais s’interprète en fonction des contraintes réelles. Et l’interprétation qui en est faite est que l’Etat
      doit prendre des mesures pour permettre à chacun de trouver un emploi (ce qu’il fait effectivement à travers le service public de l’emploi). Ce n’est d’ailleurs pas le “dogme du marché” qui a
      provoqué la fin du plein emploi, mais un phénomène économique bien plus complexe. La meilleure preuve est que le plein emploi était général dans les économies développées pendant les “trente
      glorieuses”, et cela indépendament de leur positionnement par rapport au “dogme du marché”. Lors du retournement du début des années 1970, le chômage de masse a aussi affecté les économies
      développées en même temps et avec une intensité équivalente. Ce qui tendrait à prouver que le rapport entre le “dogme du marché” et l’abandon du “plein emploi” est pour le moins ténu.

  3. Yves 93 dit :

    Désolé,
    Mais
    1°)
    La phrase exacte est:
    Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi…
    Le préambule de la constitution française, s’applique à tous les citoyen(e)s français(es)
    Chacun=chaque citoyen en âge de le faire
    cette phrase comporte 2 propositions qui sont INDISCOCIABLES l’une de l’autre (que l’on se place au niveau de la logique, ou du contexte histortique-la crise de 29 et le chômage des années 30
    étaient encore dans toutes les mémoires)
    Le devoir de(et non le droit de, comme vous l’écrivez)
    travailler associé au droit d’obtenir un emploi ne peut signifier qu’une chose : LE PLEIN EMPLOI
    2°)
    pour le reste, que ce soit l’exemple que doivent donner les les élus en ce qui concerne le respect de la constitution, ou le fait que le “plein emploi” durant les 30 glorieuses était simplement du
    au contexte de reconstruction, je vous invite à retourner à vos études, et de la constitution et de l’histoire françaises .
    Devrais-je ajouter que je suis déçu?
    Bien cdt.

    • Descartes dit :

      Sur votre premier point, vous avez parfaitement raison, et il s’agit d’une faute de frappe de ma part.

      Pour ce qui concerne votre interprétation du principe énoncé par le préambule de 1946, je pense que vous faites une erreur en lui donnant un sens qu’il n’a pas.

      En fait, il faut s’entendre sur ce que veut dire un « droit ». Dans la conception classique, le « droit » est une possibilité protégée par la l’Etat. En d’autres termes, dire
      que le citoyen a le droit de faire telle ou telle chose implique que l’Etat protège le citoyen contre tous ceux qui voudraient lui empêcher de faire la chose en question. Mais pas que l’Etat doit
      lui donner la possibilité effective de le faire. Ainsi, par exemple la « liberté d’aller et venir » nous donne le droit de voyager partout dans le territoire. Mais cela ne veut pas dire
      que l’Etat doive rendre tout point du territoire accessible par rail ou route, et encore moins qu’il doive nous payer le billet. Le droit de vote n’oblige pas l’Etat de transporter l’électeur
      depuis chez lui jusqu’à son bureau de vote. L’Etat a tout au plus une obligation générale de faire en sorte, chaque fois qu’il le peut, de permettre au plus grand nombre d’exercer effectivement
      ses droits. Mais pas plus.

      De la même manière, le « droit d’obtenir un emploi » s’interprète comme le fait pour l’Etat de ne mettre aucune entrave à l’obtention d’un emploi. D’ailleurs, la deuxième partie de
      l’article 5 du préambule de 1946 va dans ce sens: « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». On voit bien
      que l’article, dans ses « deux propositions indissociables », va dans le d’une interprétation classique de ce qu’est un « droit ».

      Que les constituants de 1946 aient considéré le plein emploi comme un état désirable, et que le rôle de l’Etat était de mettre en oeuvre des politiques tendant au plein emploi est indiscutable.
      Mais, comme tu le dis, la mémoire des crises des années 1930 était trop présente pour que les constituants aient songé à faire du plein emploi une « obligation » de l’Etat. Après tout,
      les seuls régimes qui en Europe occidentale ont réussi à atteindre le plein emploi dans les années 30 sont… le fascisme et le nazisme!

      Quant à votre deuxième point, je partage votre déception: je pense que le débat serait bien plus intéressant si au lieu de renvoyer les gens “à leurs études”, vous preniez la peine d’aligner
      quelques arguments. Si vous vous essayiez à cet exercice d’argumentation, vous vous rendriez peut-être compte de la difficulté de soutenir que le plein emploi pendant les trente glorieuses tenait
      simplement à un principe constitutionnel français. Après tout, ni la constitution de la Grande Bretagne (et pour cause, il n’y en a pas), ni la constitution américaine ne garantissent “le droit
      d’obtenir un emploi”. Et pourtant, ces pays ont aussi connu le plein emploi pendant les années de la reconstruction. Et eux aussi sont passés à un régime de chômage de masse une fois qu’on est
      sorti d’une économie de reconstruction. Pourquoi, à votre avis ?

  4. dafdesade dit :

    Que la question de l’immigration n’ait rien à voir avec celle de l’identité nationale est une affirmation qui, entendue sans plus de précisions, semble relever du déni de réalité.

    Cependant, si le terme de français ne se réfère plus à une histoire, une culture (le gout pour les idées pures, l’Humanité, l’universalisme abstrait, un art de la conversation, des manières de
    table, le jeu du désir autorisé dans l’espace public etc), des modes de vie, un héritage mais à l’adhésion à des principes constitutionnels (un peu sur le modèle des Etat-Unis en somme), alors
    oui, l’immigration ne pose pas les memes problèmes.

    Reste à persuader nos hotes de l’excellence de ces principes afin que cette adhésion soit sincère et qu’il puisse etre en mesure d’assurer au moins la pérennité de ces principes, meme si ceux-ci
    n’ont aucun sens au sein de leurs cultures d’origine, ce qui peut sembler un pari assez risqué.

    Magnifique sacrifice de la France à l’humanité, sacrifice d’autant plus magnifique qu’il ne lui vaudra aucune reconnaissance de la part des beneficiaires. Sacrifice d’autant plus beau que ceux-là
    meme qui profiteront de ce sacrifice nous regarderons avec mépris, n’auront pour nous que sarcasmes et regards amusés. C’est sans doute une belle façon de clore une histoire, entre l’horreur et
    le sublime, avec une pointe de farce.

    Ce qu’il y a d’étonnant dans cette conception de la nation française  purement formelle, purement rationnelle (mais enfin ici la raison est un peu étroite et bornée, bref pas encore assez
    raisonnable) , qui n’est évidemment pas celle d’un Renan (le passé avait encore une consistance chez lui), c’est qu’elle ait pu s’imposer, produire le réel qui est devant nous et celui qui
    nous attend dans quelques decennies (bien sur pas à elle seule, l’économisme aveugle des uns et des autres y a beaucoup aidé, la poussée individualiste) alors meme que pour l’essentiel elle est
    étrangère au peuple français (qui dans sa majorité ne semble pas aspirer à la condition de touriste dans son propre pays, quoique ce soit déjà un peu le cas).

    Mystère de la nation politique par excellence qui a perdu tout sens politique, qui a confondu le droit, la morale, avec leurs exigences, avec la politique, laquelle a alors perdu toute
    consistance propre et va pourtant revenir les hanter (de la manière la plus cruelle peut-etre, c’est qu’une guerre civile n’est pas tout à fait un événement improbable) pour se venger de leur
    négligence et faire valoir ses droits (mais bien malin celui qui connait ces exigences, mais nos conceptions à cet égard paraisssent tellement naives. Bayrou déclarant que politique et identité
    n’ont rien à voir m’a fait sourire.) 

    Désolé de ce vagabondage, je n’ai pas le temps de mettre de l’ordre dans mes idées. Je vous lis avec beaucoup d’interet, je n’hesite pas à remonter dans des articles anciens comme vous voyez. Sur
    la question de l’immigration vous etes d’une très grande prudence, en meme temps il faudrait sortir de la rhétorique “l’immigration n’est pas un problème”, bien sur que c’est un problème, on ne
    change pas la substance démographique d’un peuple sans bouleversements profonds (lesquels prendront une dimension politique le moment venu), cela se voit en France, cela s’entend et ce n’est que
    le début. Or ces évolutions n’ont jamais constitué un choix pour le peuple français et elles n’ont meme pas été portées explicitement dans un discours politique. L’immigration est une question
    politique qui n’a jamais été assumée politiquement (sauf par JM Lepen).

    Le désarroi des français les plus lucides sur la situation qui est la notre est terrible, de ce désarroi nulle echo n’est donné.

    • Descartes dit :

      Que la question de l’immigration n’ait rien à voir avec celle de l’identité nationale est une affirmation qui, entendue sans plus de précisions, semble relever du déni de réalité.

      Alors, donnons donc quelques précisions. Prenons quelques exemples de questions: faut-il chercher à imiter l’Allemagne (ou la Suède, ou l’Irlande, ou…) ou bien devons nous rechercher une
      solution qui nous soit propre aux problèmes économiques/sociaux/politiques/éducatifs/etc. ? La France est elle “une et indivisible” ou faut-il au contraire la considérer comme l’agrégation de
      cultures régionales/locales ? Faut-il que la France ait un regard universel sur le monde, où faut-il au contraire se tourner vers nos propres problèmes et laisser le reste du monde s’occuper des
      siens ? Devons nous demander pardon pour notre passé ou au contraire en être fiers ? Ces questions – et je pourrais en poser beaucoup d’autres –  concernent de toute évidence l’identité
      nationale. Et pourtant, elles ne font ni de près ni de loin intervenir la question de l’immigration.

      Que l’immigration puisse interroger sur un certain nombre de points l’identité nationale, c’est une évidence. Mais cette interrogation est marginale. Le véritable problème d’identité nationale
      c’est de savoir si nous avons encore un “destin collectif”, et quelle est sa nature. Si nous avions la réponse à cette question, on aurait beaucoup moins de problèmes à penser l’immigration.

      Reste à persuader nos hotes de l’excellence de ces principes afin que cette adhésion soit sincère et qu’il puisse etre en mesure d’assurer au moins la pérennité de ces principes,

      Une identité ne peut se constituer dans la compétition. J’aime ma mère non pas parce qu’elle est “excellente”, mais parce que c’est la mienne. Nous n’avons pas à “persuader nos hôtes de
      l’excellence de ces principes”. Nous avons à poser comme point de départ que ceux-ci sont nos principes. Et que s’ils veulent vivre parmi nous, alors l’adhésion à ces principes
      n’est pas facultative.

      Ces “principes” auxquels vous faites allusion, c’est en fait ce que nous sommes. Si un étranger veut vivre parmi nous plutôt que chez lui, c’est qu’il admet implicitement que ces “principes”
      aboutissent à créer une société dans laquelle il fait bon vivre. Ce qu’il faut lui expliquer, ce qu’il ne peut vouloir profiter de ce que ces principes ont créé sans contribuer lui même à les
      maintenir. Et lorsque la société française expliquait clairement ce point, les immigrés l’acceptaient sans problème – et je suis bien placé pour le savoir de par mon histoire familiale. C’est
      lorsque les français “de souche” trainent ces principes dans la boue à longueur de journée que cela devient un problème. Comment expliquer à “nos hôtes” qu’il faut se tenir à table quand les
      enfants de la maison se jettent la nourriture à la figure sans que personne n’intervienne ?

      Voilà pourquoi je dis que la question de l’identité nationale et celle de l’immigration sont et doivent être clairement disjointes. Mettons nous d’abord d’accord sur ce qu’est notre projet
      collectif et quelles sont ses règles. Ensuite, il sera beaucoup plus simple de les expliquer à ceux qui viennent d’ailleurs.

      Cependant, si le terme de français ne se réfère plus à une histoire, une culture (le gout pour les idées pures, l’Humanité, l’universalisme abstrait, un art de la conversation, des manières
      de table, le jeu du désir autorisé dans l’espace public etc), des modes de vie, un héritage mais à l’adhésion à des principes constitutionnels (un peu sur le modèle des Etat-Unis en somme), alors
      oui, l’immigration ne pose pas les memes problèmes.

      Je pense avoir été très clair sur le fait que ma conception de la nation ne se réduit pas à l’adhésion à des simples principes constitutionnels. Il n’y a pas de Nation sans Histoire, et cette
      Histoire n’est pas seulement celle des grands hommes, mais aussi celle des idées et celle des habitudes.

      Magnifique sacrifice de la France à l’humanité, sacrifice d’autant plus magnifique qu’il ne lui vaudra aucune reconnaissance de la part des beneficiaires. Sacrifice d’autant plus beau que
      ceux-là meme qui profiteront de ce sacrifice nous regarderons avec mépris, n’auront pour nous que sarcasmes et regards amusés.

      Ce n’est pas fatal. Pendant des siècles la France a su assimiler des vagues successives d’immigration, et ces immigrés assimilés, loin d’avoir “des sarcasmes et des regards amusés” ont été
      reconnaissants envers leur pays d’accueil jusqu’à payer avec enthousiasme l’impôt du sang.

      La France a pu assimiler parce qu’elle était unie sur un projet collectif universaliste et fière de ce projet. Parce que loin de s’excuser en permanence de son histoire, elle la portait bien
      haut. La “haine de soi”, en France, a toujours existé et a accompagné les grandes catastrophes de notre histoire. De ce point de vue, on retrouve aujourd’hui ce qu’on avait pu voir à la fin des
      années 1930: cette France “décadente” comparée à une Allemagne idéalisée, une France “jouisseuse” dont il fallait faire expier les péchés. On sait où cela nous a mené: à Vichy.

      Sur la question de l’immigration vous etes d’une très grande prudence, en meme temps il faudrait sortir de la rhétorique “l’immigration n’est pas un problème”, bien sur que c’est un
      problème,

      Je ne crois pas qu’on puisse m’accuser d’adhérer à la vision irénique de ceux qui clament que “l’immigration n’est pas un problème”. L’immigration est un problème, ou plus précisement,
      l’immigration crée un certain nombre de problèmes. Certains essayent de résoudre ces problèmes, d’autres se contentent de déclarer qu’il faut virer les immigrés. Je me place entre les deux: oui,
      il faut réguler l’immigration. Mais il faut aussi remettre en route la machine à assimiler. Et cela suppose d’avancer sur les questions de l’identité nationale.

      Le désarroi des français les plus lucides sur la situation qui est la notre est terrible, de ce désarroi nulle echo n’est donné.

      D’où mon article. Il faudrait pouvoir engager le débat public sur ces questions sans que les noms d’oiseau commencent à voler dès qu’une question est posée.

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