Le discours de la méthode (II)

Suite à l’article “Le discours de la méthode (I)”, un intervenant m’a suggéré de mettre par écrit mes réflexions sur l’organisation d’un Parti politique capable de mener un véritable projet de changement social. Bien que le sujet soit très vaste, et que je ne sois pas un véritable expert de la question, je cède donc à cette courtoise demande pour lancer la discussion.

 

Il me semble d’abord important de constituer le Parti comme une véritable institution symbolique. Le Parti n’est pas un club de bons copains qui fait de la politique à la bonne franquette. Car la politique a aussi une dimension tragique. Faire de la politique, c’est jouer avec le destin des hommes. C’est quelque chose qu’on ne peut pas banaliser. Cela implique une institutionnalisation des rapports à l’intérieur du Parti. Prenons un exemple pour clarifier ce point: les Statuts du Parti. Les statuts sont normalement la “constitution” du Parti, le texte qui prescrit les formes et les procédures pour prendre des décisions et les faire appliquer, et par conséquent, le partage du pouvoir à l’intérieur du Parti. Et comme toute constitution, les statuts ne sont pas là pour contraindre les adhérents, mais pour les protéger. Pour être précis, ils sont là pour éviter que les directions et les “notables” puissent abuser des pouvoirs qui leurs sont délégués. C’est pourquoi, lorsque les directions commencent à parler de “se libérer de la gangue statutaire” (MGB, avant le dernier congrès du PCF) ou de congrès préparé selon des “procédures allégées”, cela devrait faire sonner l’alarme. C’est un peu comme si le président de la République nous exhortait à nous “libérer de la gangue constitutionnelle”.

 

En dernière instance, la prise de libertés avec les statuts et les règles ne font l’affaire de personne. Pour les directions, cela peut être à court terme un surcroît de liberté, mais sur le long terme ce petit jeu les prive d’une précieuse légitimité que seule l’institutionnalisation permet de maintenir. L’autorité d’une décision tient pour beaucoup à la confiance qu’on peut avoir dans le respect d’une procédure de décision reconnue par tous. Il faut donc au Parti de véritables institutions: des statuts pragmatiques créant des organes de décision aux pouvoirs et aux compétences bien délimités, et des organes de contrôle ayant un véritable pouvoir de sanction (car sans ce pouvoir, aucune règle n’est crédible). Les règles de désignation de ces organes doivent être aussi claires et fondées sur la compétence et non pas sur l’appartenance à tel ou tel groupe ou minorité.

 

Ensuite, la condition nécessaire à toute institutionnalisation est la revalorisation de l’idée d’une discipline de parti. Un parti politique est pour moi d’abord et avant tout une organisation capable d’élaborer une vision et un projet et de les porter auprès des citoyens. Ce qui suppose que tous les membres du Parti acceptent par avance l’idée de porter la vision et le projet issu des débats internes ou bien, si la vision et le projet en question leur est insupportable, de quitter l’organisation. Je n’ai rien contre les clubs de discussion, les fondations politiques ou les think tanks. Mais il faut distinguer ces organisations, dont le but essentiel est l’organisation du débat, d’un parti politique dont le but essentiel est la conquête et l’exercice du pouvoir. On ne peut pas admettre qu’une fois le débat mené au bout et tranché démocratiquement une minorité défende devant les citoyens sous l’étiquette de ce même parti un projet dissident. Le principe de discipline de parti n’est pas là pour fermer la bouche aux dissidents ou pour “caporaliser” la politique. C’est au contraire un principe élémentaire d’honnêteté envers le citoyen, qui en dernière instance est l’arbitre entre les partis. Le citoyen qui vote pour le parti X doit pouvoir compter sur le fait que tous les élus de ce parti, que tous ses militants, que tous ses permanents feront en sorte de faire appliquer le programme que le parti X a présenté aux français(1).

 

Enfin, il me semble que le Parti doit valoriser la connaissance, à la fois comme moyen de comprendre le monde et comme condition nécessaire à l’invention d’une alternative. Cela a deux conséquences importantes. La première, c’est que le Parti doit attirer et savoir mettre à contribution “ceux qui savent”, et cela implique, à minima, les respecter. La méfiance systématique envers les experts et “ceux qui savent”, la déformation ouvriériste qui suppose que la classe ouvrière possède une “science infuse” lui permettant de se passer du savoir formel et scientifique doivent être combattues.

 

La deuxième conséquence, non moins importante, est que le Parti doit prêter une attention particulière à la question de la formation des militants. Or, un système de formation n’a de sens que si l’on admet qu’il existe des choses qui méritent d’être connues, que l’instructeur les connaît et que l’étudiant ne les connaît pas. Il faut arrêter de céder à la démagogie qui consiste à faire croire aux militants que l’opinion ignorante a la même valeur que l’opinion savante. On ne peut former les militants que si l’on accepte au départ que le manque de formation est un handicap politique.

 

Voilà quelques éléments qui me paraissent essentiels dans la conception du Parti. Je serais comme toujours intéressé de connaître les remarques des lecteurs…

 

Descartes

 

 

(1) Cette orientation est à l’opposé de la vision “mouvementiste”, aujourd’hui dominante dans la gauche, qui tend à préférer aux partis idéologiquement homogènes de vastes rassemblements idéologiquement hétérogènes, constitués sur la base d’un attachement commun à un certain nombre de “valeurs”, forcément vagues et générales pour permettre de ratisser large. A mon sens, l’expérience montre que ce genre de “mouvements” sont efficaces en termes politiques sauf lorsqu’il s’agit de s’opposer à quelque chose (ex. le rassemblement contre le TCE), mais sont incapables de proposer un projet crédible de gouvernement.

 

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8 réponses à Le discours de la méthode (II)

  1. Glarrious dit :

    [ Il faut arrêter de céder à la démagogie qui consiste à faire croire aux militants que l’opinion ignorante a la même valeur que l’opinion savante. ]

    Je voudrai savoir qu’est ce qui différencie selon vous , une opinion ignorante et une opinion savante et qui détermine que un tel ceci ou un tel est cela, le Parti?

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Je voudrai savoir qu’est ce qui différencie selon vous , une opinion ignorante et une opinion savante et qui détermine que un tel ceci ou un tel est cela, le Parti?]

      Qui détermine que monsieur X peut construire des ponts, que monsieur Y peut vous opérer de l’appendicite, que monsieur Z peut faire les cours de mathématiques à vos enfants ? Et bien, ce sont les pairs, réunis au sein des institutions savantes : universités, écoles, académies. Ceux qui veulent être qualifiés de « savants » font des études suivant un programme fixé par ces institutions, se présentent à des examens et concours pour prouver leurs connaissances, et sont ensuite jugés par leurs pairs pendant l’ensemble de leur vie professionnelle.

      Je trouve votre question intéressante parce que vous semblez trouver baroque mon idée, alors qu’en fait vous l’appliquez vous-même tous les jours. Quand vous êtes malade, pourquoi allez-vous chez le médecin plutôt que chez le boulanger ? Qu’est ce qui vous prouve que le médecin est plus « savant » pour vous soigner que votre concierge, si ce n’est un diplôme affiché dans son bureau et portant le sceau d’une université plus ou moins prestigieuse ?

      • Glarrious dit :

        En effet je suis d’accord sur ce point :

        [ Ceux qui veulent être qualifiés de « savants » font des études suivant un programme fixé par ces institutions, se présentent à des examens et concours pour prouver leurs connaissances, et sont ensuite jugés par leurs pairs pendant l’ensemble de leur vie professionnelle. ]

        Mais sur les questions économiques nous pouvons qualifier les opinions dites”savantes” pour les Minc et Attali (études et jugement par les pairs) . Pourtant en lisant vos billets, vous qualifiez ces derniers comme des pseudo-experts pourquoi ?

        • Descartes dit :

          @ Glarrious

          [Mais sur les questions économiques nous pouvons qualifier les opinions dites”savantes” pour les Minc et Attali (études et jugement par les pairs).]

          Je ne connais personne qui qualifie les opinions économiques de Minc ou d’Attali de « savantes ». Pas même les intéressés eux-mêmes. Pour illustrer mon propos : j’avais un ami qui préparait le concours de l’ENA, et les intervenants de sa préparation lui avaient explicitement interdit, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, de jamais citer Minc ou Attali, ces personnages étant considérés dans la haute administration peu sérieux (c’est-à-dire, en langage codé, des charlatans).

          Minc et Attali sont certainement des gens intelligents. Mais ce sont des salonniers, pas des savants. Personne ne leur reconnaît une capacité technique, que ce soit en tant qu’économistes ou dans une autre capacité. D’ailleurs, quand Jacques Attali s’est mis en tête de devenir banquier et usa de ses relations pour se faire nommer à la tête de la BERD, ce fut un désastre. Quand a Minc, il connaît lui-même parfaitement ses limitations, et s’est bien gardé de prendre quelque responsabilité que ce soit.

          [Pourtant en lisant vos billets, vous qualifiez ces derniers comme des pseudo-experts pourquoi ?]

          Parce qu’être savant ou expert, cela ne consiste pas seulement à sortir bien classé de la bonne école. C’est aussi une question de travail et d’attitude. Etre « savant », c’est d’abord respecter le savoir. C’est le respect des faits, c’est la rigueur de la méthode, c’est de soumettre son travail au jugement de ses pairs – et à celui du prince. C’est là toute la différence entre l’homme de science et l’homme de cour. Minc et Attali sont des hommes de cour.

          • CVT dit :

            @Descartes,
            [Quand a Minc, il connaît lui-même parfaitement ses limitations, et s’est bien gardé de prendre quelque responsabilité que ce soit.]

            Pardon, mais il y a un pays qui s’en souvient encore des méfaits d’Alain Minc, la Belgique!
            En 1988, allié avec l’homme d’affaires italien Carlo De Benedetti, alors président d’Olivetti, Minc et sa société Cerus avait tenté de mettre la main sur la Société Générale de Belgique, vénérable institution financière belge, dont l’influence était telle qu’on disait qu’elle avait financé la naissance de la nation belge même! La Société Générale de Belgique, qui était quasiment un état dans l’état, était, selon certains (dont moi…), l’ancêtre des banques universelles.

            L’OPA elle-même tourna au fiasco, mais eut comme conséquence le démantèlement de la holding en entités séparées, dont certains sont demeurées à ce jour des leaders dans leur secteur d’activité; je songe notamment à la banque Fortis (rachetée depuis par BNPParibas), l’opérateur télécom Proximus (ex-BelgaCom) ou encore Electrabel (rachetée par Engie, ex-GDF Suez):

            https://www.lesoir.be/art/alain-minc-en-1988-il-perdait-avec-carlo-de-benedetti-l_t-20010803-Z0KRM3.html

            Inutile de dire qu’après avoir mis à terre l’une des institutions qui ont fait la prospérité et la fierté de la Belgique, Minc n’y est pas en odeur de sainteté…

            • Descartes dit :

              @ CVT

              [Pardon, mais il y a un pays qui s’en souvient encore des méfaits d’Alain Minc, la Belgique! En 1988, allié avec l’homme d’affaires italien Carlo De Benedetti, alors président d’Olivetti, Minc et sa société Cerus avait tenté de mettre la main sur la Société Générale de Belgique, vénérable institution financière belge,]

              Oui, mais c’est surtout De Benedetti qui apportait les munitions. Dans l’affaire Minc n’a fait que vendre son carnet d’adresses. Le fiasco de l’opération a montré d’ailleurs les limites du personnage.

          • Ian Brossage dit :

            @Descartes

            > Quand a Minc, il connaît lui-même parfaitement ses limitations, et s’est bien gardé de prendre quelque responsabilité que ce soit.

            J’ai cru comprendre qu’il a fait quelques dégâts au Monde… Certes, il n’est pas le seul.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [J’ai cru comprendre qu’il a fait quelques dégâts au Monde… Certes, il n’est pas le seul.]

              Je ne vois pas quels dégâts il aurait pu faire, étant donné qu’il n’avait aucune responsabilité exécutive. Minc a été président du Conseil de surveillance du journal, rien de plus. C’est d’ailleurs sa spécialité: il a présidé de nombreux conseils d’administration ou de surveillance, mais sans jamais prendre les responsabilités de direction. Minc a toujours joué le rôle d’homme d’influence, de conseiller du prince. Mais il s’est bien gardé de prendre la moindre responsabilité.

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