Le discours de la méthode (III)

Ce week-end, on a parlé beaucoup programme à la fête de l’Humanité, et notamment “programme partagé” pour le Front de Gauche. On y a même parlé de méthode pour son élaboration. Comme vous pouvez l’imaginer (surtout ceux qui connaissent mes dadas) je me suis précipité pour avoir le plus d’informations possible sur cette fameuse “méthode”. S’est-t-on finalement décidé à prendre le taureau par les cornes ? Est-on prêt à tirer les conclusions de l’échec des différentes tentatives d’élaborer des projets pour construire quelque chose de nouveau ?

 

Hélas!, trois fois Hélas!. La réponse est non. La méthode proposée pour l’élaboration du “programme partagé” suit exactement les lignes de ce qui a été fait au moins depuis que Robert Hue lança le “Pacte unitaire pour le progrès”, mieux connu comme “PUP” (tiens, le PCF lance aujourd’hui son “Pacte d’union populaire”… est-ce une coïncidence si l’acronyme est le même ?). La méthode est décrite dans une “déclaration” signée du Front de Gauche (1) avec un certain détail. Cela vaut la peine de s’arrêter sur les différents éléments de cette méthode:

 

Nous allons, pour cela, mettre en place une méthode et des outils concrets.


¤ Nous appelons à la multiplication d’initiatives locales permettant l’implication populaire et citoyenne la plus large possible : comités locaux du projet partagé, initiatives d’élu-es rassemblant des acteurs locaux divers, ateliers dans les quartiers et sur les lieux de travail…


¤ Au cours de ce processus nous veillerons à croiser sans cesse le travail d’élaboration du Front de Gauche avec les exigences et les revendications des organisations des actrices et des acteurs des mouvements sociaux et citoyens :, syndicalistes, militants associatifs, intellectuels qui sont au cœur des résistances aux politiques libérales.


¤ Nous proposons également la mise en place de « Fronts Thématiques », rassemblant les acteurs de différents secteurs (par exemple acteurs de la santé, de l’éducation, de l’art, économistes…) afin d’élaborer ensemble les propositions susceptibles de permettre une véritable réappropriation démocratique de ces enjeux de société.

 

¤ Plusieurs initiatives de débats publics, de dimension nationale, seront également organisées. Sont d’ores et déjà prévues deux initiatives dans les prochains mois :
- une initiative sur les transformations institutionnelles nécessaires permettant de fonder une 6ème République plus démocratique et sociale
- une initiative sur la question de l’Europe pour proposer une alternative qui rompe avec la logique du traité de Lisbonne et des politiques d’austérité mis en œuvre par les gouvernements de l’Europe Libérale

 

Le comité de liaison permanent du Front de Gauche proposera rapidement les formes dans lesquelles les organisations qui le souhaitent et l’ensemble des citoyennes et des citoyens qui partagent la démarche du Front de Gauche et ses objectifs pourront pleinement y participer.

 

(…)

 

Ouf !. On est donc repartis sur le scénario immuable du “débat participatif”. D’abord, plein “d’initiatives locales”, de “comités”, des “ateliers”, des “initiatives d’élus”. En d’autres termes, mettre ensemble des gens… pour discuter quoi? Prévisiblement, ces réunions deviennent des séances de thérapie collective ou chacun raconte ses malheurs (ou sa vision des malheurs des autres) et le publique entonne en coeur “c’est un scandaaaaaaale, c’est la faute à Sarkozy/le capitalisme/les patrons/la mondialisation/rayer la mention inutile”. Et de temps en temps, une intervention genre “il faut plus de moyens pour l’éducation/la culture/la petite enfance/les handicapés/la recherche”, sans compter l’immanquable appel gauchiste à “interdire les licenciements tout de suite” où à la “grève générale”.Est-ce qu’on imagine que de ce genre de processus puisse surgir un “programme” ayant un minimum de cohérence et de réalisme ?

 

A côté de ces “initiatives locales”, il y aura des “débats publics de dimension nationale”. La, on tombe dans la Grande Messe, qui n’a de débat que le nom. On réunira devant un public nombreux un “panel” de dirigeants des différentes organisations et groupuscules de la “gauche radicale”, qui chacun aura 5 minutes pour ressortir le discours que tout le monde connaît par coeur.

 

Toute cette agitation n’est que la démagogie à l’état pur: on fait croire aux gens qu’ils “élaborent le projet”, quand on sait pertinemment qu’il n’en est rien. Qu’il faudra bien à la fin de tout ce processus que quelqu’un fasse une synthèse et écrive le programme. Croyez vous que ce “quelqu’un” aura le temps (ou l’envie…) de prendre connaissance de ce qui s’est dit dans tous ces “ateliers” locaux ? Bien sur que non: ce “quelqu’un” écrira un programme qui sera négocié entre les directions des différentes organisations. Et si quelqu’un pense le contraire, je prêt à prendre les paris.

 

Ce n’est pas comme cela qu’on fait un programme. Un travail de réflexion sérieuse nécessite de trouver et de mettre ensemble des gens qui savent de quoi ils parlent et qui sont prêts à travailler à fonds les problèmes. Il est difficile de réfléchir a vingt, il est impossible de réfléchir à vingt mille.  Dans ce domaine, la quantité ne suppléé jamais la qualité. Et de la qualité, il en faut. La gauche radicale – à l’exception du PCF – s’est totalement désintéressé depuis de longues années de la question de l’expertise et de son organisation. Le PCF, lui, a commencé à crier “haro sur les experts” dans les années 1990. Depuis, on remplace les experts par “les acteurs de différents secteurs”, formule qui renverse la proposition: ce n’est pas leur compétence qui fait leur légitimité, mais le fait qu’ils y ont un intérêt…

 

L’organisation de l’expertise est à mon sens un élément vital de n’importe quelle “méthode” de travail. Dans une société aussi complexe que la notre, on ne peut pas croire qu’un dirigeant, aussi génial soit il, puisse dominer l’ensemble des questions. Je ne dis pas qu’il faille donner le pouvoir aux experts. Mais il faut donner à l’expert toute sa place de conseiller du Prince. Il faut constituer des organismes d’expertise qui mettent leur savoir à disposition du politique. Après, le dirigeant – et le peuple qu’il représente – peuvent choisir de suivre ou pas l’avis de l’expert. Mais ils choisiront en connaissance de cause. Qu’on fasse des “ateliers” pour débattre d’un programme qui aura préalablement été élaboré par une commission où les experts auront joué leur rôle, c’est tout à fait enrichissant. Mais croire que le programme peut surgir ex-nihilo du débat public, c’est de la pure démagogie.

 

Mais le comble, en termes de méthode, se trouve à la fin de la procédure:

 

Enfin une rencontre nationale conclura en 2011 ce processus en adoptant le programme de gouvernement que nous porterons dans les échéances politiques à venir.

 

Question évidente: qui participera à cette “rencontre nationale” ? Car s’il s’agit “d’adopter” un texte, il faut que ceux qui adoptent aient le mandat pour le faire. Elira-t-on des délégués dans chacune des organisations participantes à proportion de leurs effectifs ? Cela risque d’être amusant… vu que le PCF représente 98% des militants du Front à lui seul. D’ailleurs, comment se concilie cette “adoption” avec les dispositions des statuts des différentes organisations du Front ?

 

Une fois encore, la “méthode” est réduite à une question symbolique. “L’adoption” n’est en fait qu’une formalité, elle ne revêt aucune réalité. En fait, toute cette “méthode” n’est qu’un théâtre d’ombres. Le “programme partagé” sera comme d’habitude écrit par un groupe dans un bureau enfumé et aprêment négocié entre les différentes organisations, qui auront le dernier mot quant à son “adoption”. Pendant ce temps, là dehors, des “ateliers” débattront de tout et de rien, des “élus” organiseront des “initiatives” et on fera quelques grandes messes nationales qui feront sans doute plaisir aux militants et convaincront les convaincus.

 

Ce n’est pas de ce genre de “méthode” qu’on à besoin…

 

Descartes

 

 

(1) Déclaration qui est publiée sans que l’on sache comment elle a été discutée et approuvée par les organes dirigeants de chacune des organisations. Au Front de Gauche, on prend beaucoup de libertés avec la transparence des décisions.

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8 réponses à Le discours de la méthode (III)

  1. dominique dit :

    bonjour
    j’ai toujours plaisir à vous lire sur le blog de melenchon..
    votre argumentaire est serieux et je pense que vous devez avoir une reelle connaissance de la politique que cela soit du cote historique( mouvements partis ) que de ses institutions
    vous mettez ici en cause la methode de preparation d’un programme
    soit
    etant au pg du nord nous allons discuter en petit cercle de certaines fiches deja ébauchées .et allons .faire.. remonter les commentaires
    je reconnais nous ne sommes pas experts en tout(quoique je me mefie des experts cela pullulle maintenant) mais nous essayons d’oeuvrer le mieux possible
    je ne peche pas par naivete mais j’ai cette conscience qu’il nous faut à toutes et tous vaincre en 2012 cette force de frappe qu’est la droite
    alors je sais beaucoup de divisions de querelles existent entre cette gauche dite radicale.. ..mais cela demontre un manque d’humilite et une certaine stupidite
    le combat n’est pointre entre les forces qui composent cette gauche mais face à cette droite….
    deja les difficultes s’annoncent pour les cantonales au front de gauche afin de presenter une candidature d’union (la position commune face au Ps pose problemes..
    voyez vous de temps à autre je desespere de l’etre humain meme si ce samedi à la fete de l’humanite j’ai pu entrevoir une certaine fraternite ..
    cordialement

    • Descartes dit :

      Merci de votre message. Je ne doute pas de la bonne volonté de beaucoup de militants à l’heure de réflechir sur le projet. Mais la bonne volonté ne suffit pas. Contrairement à ce que vous dites,
      les experts, cela ne “pullule” pas. Ce qui pullule, ce sont les pseudo-experts, les “dilettantes” médiatiques genre Attali ou Minc, qui ne sont “experts” en rien, sinon dans le métier du lobbying
      et des relations publiques. Les vrais experts, ceux qui bossent sérieusement sur un sujet, ça ne court pas les rues. Et si la gauche veut être crédible, il lui faut attirer des
      experts et les mettre au boulot.

  2. Annie dit :

    désolée mais finalement ça va mieux en le disant : noir sur blanc j’y arrive pas, en plus minuscule, c’est donc pas mauvaise volonté, j’ai vraiment essayé, mais je n’arrive pas à lire (tous les
    blogs noir/blanc me font le même effet)

    • Descartes dit :

      J’ai modifié la disposition de mon blog pour te faciliter la lecture. On n’ira pas dire que ce blog ne se met pas en quatre pour ses lecteurs!

  3. Annie dit :

    Alors d’abord merci on lit très bien (et le bleu est joli). J’ai bien éclaté de rire à ta première réflexion/paragraphe “ouf…” en effet ce sont des antiennes.

    Bien sûr il faut des synthèses. Cela me rappelle les débats sans fin début 2006 pour choisir un candidat qui fut (et pour lequel j’étais d’accord mais pas voté finalement, Bové), chacun ayant son
    égo à défendre le plus souvent bien avant la “ligne” ou l’intérêt commun.

    Oui nous avons besoin de techniciens, de chercheurs, d’experts, autrement dit d’intellectuels. Nous en avons, les mettons nous suffisamment à profit collectivement ?

    (je dois dire qu’il y a belle lurette que je ne lis plus aucun programme du PCF). Par contre quand on se farcit les courants du PS par ex (des tonnes de trucs à lire et potasser). il faut quand
    même un niveau particulier pour détecter le vocabulaire qui en fait dénote une ligne, le plus souvent ce ne sont que de minimes divergences qui font toute les ENORMES différences au final, je ne
    sais si la grande majorité est capable de voter en toute connaissance, et voterait plutôt en subjectivité du groupe choisi.
    Èt comme tu le dis si bien plus d’universaliste, alors comment faire sinon faire comme on peut ; démocratie ? je ne suis pas sûre qu’elle soit vraiment respectée mais en est-il possible ?

    quand tu dis 98 % du front je suis perplexe, je ne suis pas vraiment volontaire pour que le PCF domine tout. C’est pourquoi il faudrait renforcer le PG.

    J’arrête là pour pas faire diserte.

    • Descartes dit :

      Nous avons besoin de techniciens, de chercheurs, d’experts. Mais je m’insurge quand tu conclus “autrement dit d’intellectuels”. Non, désolé: si beaucoup d’experts sont des intellectuels,
      l’inverse n’est pas vraie. Ce ne sont pas les intellectuels qui manquent à la “gauche radicale”, mais ce type d’intellectuel si particulier qui est l’expert.

      Pour ce qui concerne le rapport de force, je ne peux que constater les faits: le PCF a quelque 120.000 adhérents, le PG revindique 6.000. Il faudrait un très grand “renforcement” pour que le PG
      puisse peser numériquement dans cette alliance du boeuf et de l’alouette. Bien entendu, le PG pourrait péser par une autre voie: celle de l’hégémonie idéologique. Ce qui suppose qu’il devienne
      une véritable usine à projets. Etant donné l’état de déliquescence intellectuelle du PCF, si le PG était capable de faire ce travail d’élaboration et proposer un projet et une vision crédibles,
      il n’aurait pas trop de mal à le faire adopter par son partenaire.

  4. Paul dit :

    Cher Descartes, j’aime bien ton blog tout comme j’ai pu apprécier tes envois sur celui de Melenchon. Je finis d’ailleurs par déserter ce dernier, il devient stérile.

    J’interviens ici pour poser une question: ce que tu dis de la fragilité de la méthode du Front de Gauche laisse peu espérer d’une issue satisfaisante aux prochaines échéances électorales, la
    présidentielle bien sûr. J’ai le sentiment qu’au mieux, nous aurions un DSK président avec des ministres d’une gauche plus ou moins plurielle, et notamment les écologistes.
    Est-ce vraiment un espoir?

    Dans ces conditions, même si elle s’avère improbable comme tu le démontres dans un post précédent, la grève générale n’est elle pas nécessaire pour changer la donne?

    • Descartes dit :

      Je suis ravi que tu trouves mon blog intéressant . Je m’efforcerai de continuer dans la même veine.

      Je réponds à ta dernière question en premier: la “grève générale” n’aura pas lieu. Tout simplement parce que les conditions historiques ne sont pas remplies. Il n’est donc pas utile de
      s’interroger sur le fait de savoir si elle est “nécessaire” au pas. Si elle était possible, elle serait sans doute utile. Mais la question ne se pose pas.

      Pour ce qui concerne le Front de Gauche, ce n’est pas la “méthode” qui est fragile, ce sont les partis qui le composent. Ils sont “fragiles” en termes idéologiques. Le PCF a perdu depuis
      longtemps toute capacité d’élaboration propre, et ne fonctionne qu’en suivant des “modes” (la “diversité”, le “féminisme de genre” et autres bêtises) pour essayer de conserver les places de ses
      élus et de ses permanents. Le PG a raté la marche: au lieu de chercher à conquérir l’hégémonie idéologique, il est retombé dans les petites “combinazione” électorales. JLM, pour qui j’ai
      personnellement la plus grande estime, s’est laissé déborder par toute une faune gauchiste/écolo qui fait de la surenchère et qui finalement réduit à peu de chose l’appel au pragmatisme et le
      républicanisme d’origine.

      Dans ces conditions, pas besoin d’être devin pour savoir que quelque soit la configuration n 2012, la politique pratiquée sera celle des socio-libéraux. L’important, ce n’est pas de savoir si
      c’est DSK, Aubry, Ségolène, Hamon ou même JLM qui sera à l’Elysée. Une fois qu’ils y seront, il faudra gouverner. Et pour gouverner, il ne suffit pas d’avoir des bonnes intentions, il faut aussi
      les traduire dans des mesures concrètes sans provoquer des désastres. Souviens-toi: en 1981, la gauche a “tenu ses promesses” et fait une rélance par la consommation. Le déséquilibre de la
      balance commerciale l’a obligé au “tournant de la rigueur”… je suis prêt à parier que si JLM était élu président, après quelques mois de gauchisme et de mesures “révolutionnaires”, il
      reviendrait à des mesures social-libérales classiques. Pas par mauvaise volonté, ou parce qu’il est un traître… mais parce qu’en dernière instance c’est celui qui gagne la bataille idéologique
      qui attire les politiques vers lui comme un aimant. Et qu’il n’y a pas encore de construction idéologique capable de répondre à celle des libéraux…

      Sans avoir au préalable fait ce travail de construction intellectuelle, cela ne sert à rien de porter à l’Elysée un homme de gauche (“vraie” ou pas). Aussi longtemps que la vision libérale reste
      seule en lice, tous les gouvernants finissent par se plier.

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