L’idée de ce papier m’est venue en lisant l’article publié dans la section “Décryptages” du journal Le Monde et intitulée “Billion Dollar Babies”. L’article en question aborde la personnalité de Kevin Systrom et Michael Krieger, 29 et 26 ans respectivement, co-fondateurs d’Instagram. La semaine dernière, ils ont revendu leur entreprise à Facebook pour une somme dépassant le milliard de dollars, un record pour une entreprise de quatre salariés exploitant un seul et unique produit: un logiciel pour téléphone portable permettant la retouche de photos et leur publication sur Internet.
L’article du Monde raconte la success story à l’américaine. Mais il oublie la question essentielle: qu’est ce qui fait que Instagram vaut plus d’un milliard de dollars sur le marché ? Pourquoi Facebook est prêt à dépenser une telle somme pour accéder aux droits d’un logiciel ? La réponse est pourtant connue: si Instagram vaut pour Facebook une telle somme, ce n’est pas parce que le logiciel en question est créateur de valeur, mais parce que son succès constituait pour Facebook une menace. En créant un réséau social alternatif, fondé sur le partage d’images, Instagram aurait peut-être pu un jour disputer à Facebook son monopole sur les réseaux sociaux. Facebook a préféré ne pas courir le risque.
Cette affaire est une parfaite illustration de ce qu’on pourrait appeller “économie de prédation”. Le terme vient de la zoologie: on sépare d’un côté les herbivores, capables de transformer les végétaux et produire des protéines à partir d’eux, et les carnivores, qui sont incapables de faire cette transformation et qui se nourrissent de protéines animales produites par les herbivores. Les carnivores sont donc obligés de “prelèver” sur les troupeaux d’herbivores pour survivre. Par extension, on parle de “prédation” en économie lorsqu’un acteur ne produit aucune valeur et se contente de soustraire la valeur produite par d’autres.
Les exemples de prédation en économie sont nombreux. Dans la société féodale, par exemple, il était habituel que des seigneurs – ou des bandits – construisent des châteaux-forts de sorte de pouvoir contrôler une route commerciale. Cela permettait d’imposer aux voyageurs des droits de péage, droits qui n’étaient la contrepartie d’aucun service, mais une pure rente de position résultant du contrôle d’une voie de communication. Une autre forme courante de prédation est le racket: on donne de l’argent au racketteur non pas parce qu’il nous apporte de la valeur, mais parce qu’il nous menace d’en détruire.
Les “Billion Dollar Babies” dont parle Le Monde font partie d’une version plus subtile de prédateur. Facebook a payé non pas parce qu’Instagram lui apporte de la valeur, mais parce que laisser un concurrent dans la nature aurait pu lui en faire perdre. Il s’agissait pour Facebook de se débarrasser d’un concurrent qui aurait pu devenir dangereux avant qu’il ait pu faire des dégâts. Cette affaire montre par ailleurs que, contrairement aux fantasmes d’un certain nombre d’économistes “alternatifs”, le “marché libre et non faussé” ne fait pas nécessairement les affaires des capitalistes: il est bien plus intéressant pour Facebook d’être seul sur le marché et de pouvoir imposer ses prix que de risquer de se trouver en concurrence avec d’autres acteurs et de voir les prix baisser. Facebook ne fait qu’appliquer une variante de la recette monopolistique qui fit la fortune de Microsoft. Mais là où Microsoft écrasait tous ceux qui pouvaient lui faire concurrence au risque de s’attirer les foudres des autorités de la concurrence, Facebook préfère les racheter et soigner ainsi sa réputation d’entreprise “sympa”.
Le message que l’achat d’Instagram transmet est particulièrement négatif. Dans notre société “libérale avancée”, la meilleure manière de faire de l’argent n’est pas d’inventer quelque chose qui soit utile aux gens, mais quelque chose qui fasse peur à quelqu’un. A quelqu’un de riche, de préférence, qui sera prêt à vous donner beaucoup d’argent pour que vous disparaissiez des écrans radar. Il y a autour de nous des milliers de jeunes médecins, de jeunes scientifiques, de jeunes artistes – mais aussi des ouvriers, des artisans, des professeurs et des infirmières – qui apportent à l’humanité infiniment plus qu’un logiciel pour publier des photos sur Internet. Et leur vie de labeur ne leur rapportera pas le centième d’un milliard de dollars. A l’heure où l’on parle tant de revaloriser l’effort et le travail, il n’est pas inutile de le rappeler. Surtout au correspondant du Monde qui écrit en conclusion, avec un brin de nostalgie, que “Aux Etats-Unis, la culture de “la gagne” passe par le respect des vainqueurs”.
Descartes
Le message que l’achat d’Instagram transmet est particulièrement négatif.
Dans notre société “libérale avancée”, la meilleure manière de faire de l’argent n’est pas d’inventer quelque chose qui soit utile aux gens, mais quelque chose qui fasse peur à quelqu’un.
Instagram a créé de la valeur et celle-ci a été captée par Facebook.
Je ne sais pas quelle définition vous donnez à la valeur. Selon moi le
service proposé par Instagram créait bien de la valeur meme si l’utilité sociale de ce service semble très faible.
Instagram a créé de la valeur et celle-ci a été captée par
Facebook.
Ce n’est pas le diagnostic des économistes, qui trouvent au contraire que
Facebook a payé pour Instagram bien plus que ce que cette entreprise valait (en termes de valeur créé, de chiffre d’affaires, de bénéfices espérés). La question est: qu’est ce que ce supplément
achête ? La réponse des analystes est celle que j’ai donné dans mon article: Facebook a payé le pouvoir de nuisance d’Instagram. De la même manière que je paye un maître chanteur non pas en
fonction du service qu’il me rend, mais du dommage qu’il pourrait me faire…
Les néolibéraux te répliqueront que les génies de Instagram ont quand même créé quelquechose : un logiciel pour des photos. Si le développement humain ne passait que par des choses “utiles”, on
serait encore à l’antiquité.
Je vois bien de quel type d’articles tu parles car ce genre d’écrit sur la gagne de tel ou tel personnage est très courant ; il n’y a qu’à voir la précipitation pour produire le biopic de Steve
Jobs à peine enterré (déjà en négociation avant sa mort). En général, ça donne de mauvais films avec “performance” (cabotinage) d’un acteur célèbre. Il y a quelques exceptions : le film de
Fincher sur Face-de-bouc avait un point de vue, assez ironique d’ailleurs, sur Zuckerberg (tiré d’un livre lui même intitulé “the accidental billionnaires : the founding
of facebook”.
En fait, c’est ce mythe du milliardaire accidentel (tel Zuckerberg) que les articles du type celui du Monde promeut : ça dénigre d’autant plus les structures qui permettent la recherche et le
foisonnement d’idées (Education, Formation, Centres de Recherche, Universités, Bibliothèques).
En période d’asèchement de la créativité, les vélléités d’oligopoles ou monopolistiques se font sans doute de plus en plus fortes.
En fait, c’est ce mythe du milliardaire accidentel (tel Zuckerberg) que les articles du type celui du Monde promeut :
Le mot “accidentel” est celui que je cherchais… mais le cas de Zuckerberg (ou de Jobs) est un peu différent de celui de Systrom et Krieger. Zuckerberg et Jobs ont conçu et vendu un produit. On
peut discuter à l’infini sur la valeur réelle du produit en question, sur le travail engagé dans sa création et sur la juste rémunération de ce travail. Mais le fait est que Zuckerberg ou Jobs
ont fait de l’argent en vendant un produit que les gens voulaient.
Sutrom et Krieger n’ont pas fait de l’argent en vendant leur création à des utilisateurs. Ils ont fait de l’argent en vendant les droits de celui-ci a un concurrent qui l’a acheté non pas en
fonction de sa valeur, mais de son pouvoir de nuisance. Pour utiliser une analogie, il y a une différence fondamentale entre l’inventeur d’un moteur a eau qui gagne beaucoup d’argent en
fabriquant son invention et en la commercialisant, et l’inventeur d’un tel moteur qui vend le brevet à une compagnie pétrolière dont le but est de le mettre au fond d’un coffre fort par crainte
qu’une telle invention réduise ses profits. Dans le premier cas, l’invention génère la richesse que l’inventeur touche. Dans le deuxième cas, c’est de la prédation pure.
En période d’asèchement de la créativité, les vélléités d’oligopoles ou monopolistiques se font sans doute de plus en plus fortes.
C’est l’inverse: les oligopoles assèchent la créativité pour conserver leurs positions acquises. Un peu comme si les fabriquants de dilligences avaient acheté les brêvets des voitures et les
avaient gardé dans un coffre. Le capitalisme, dont le rôle “révolutionnaire” était lié justement à la capacité d’innovation continue, est en train de paralyser les mécanismes mêmes qui ont fait
son succès.
Bonjour,
Je ne connais pas particulièrement le degré d’innovation et l’intéret commercial que représente cette start up Instagrame, mais dans le cas ou il ne s’agit que d’une application à la portée de
quelques centaines de “petits génies” , on peut imaginer qu’une armée d’informaticiens avides de fric, est déja sur le pont pour trouver un “produit” prêt à nuire suffisamment pour qu’une
grande firme la rachette à prix d’or, bien plus en tout cas que sa valeur économique. Facebook a peut être ouvert là, la boite de Pandore et elle risque à courte échéance de s’en mordre les
doigts.
La question de la définition, évoquée par Trubli, ou des définitions que l’on doit donner au mot valeur, est une question centrale, qui , malheureusement n’est pratiquement pas abordée dans
le débat politique.
on peut imaginer qu’une armée d’informaticiens avides de fric, est déja sur le pont pour trouver un “produit” prêt à nuire suffisamment pour qu’une grande firme la rachette à prix d’or,
Ils auraient tort de se gêner…
La question de la définition, évoquée par Trubli, ou des définitions que l’on doit donner au mot valeur, est une question centrale, qui , malheureusement n’est pratiquement pas abordée
dans le débat politique.
La question de la mesure de la valeur est une question très complexe, qui afflige les économistes depuis que la réflexion économique existe…
Article intéressant, comme d’hab’. 🙂
Vous parlez aussi de Microsoft, un cas également extraordinaire… comment justifier que cette entreprise peut entrer en force dans un nouveau marché comme par exemple le jeu vidéo (Xbox) en
tuant des concurrents, qui, si le marché fonctionnait vraiment, auraient tout à fait eu leur chance pour y gagner de grosses parts ?
Finalement, la concurrence libre et non faussée ne fonctionnerait-elle que dans le cadre d’entreprises de tailles limitées, susceptibles de se faire piquer de grosses parts de marchés (voir
couler) par des entrepreneurs qu’elles ne peuvent abattre “à l’avance” ? Mais alors, cela limiterait les entreprises qui nécessiteraient plus de capital pour fonctionner comme l’aéronautique par
exemple…
Quel casse-tête…
Finalement, la concurrence libre et non faussée ne fonctionnerait-elle que dans le cadre d’entreprises de tailles limitées, susceptibles de se faire piquer de grosses parts de marchés
(…)
Le marché n’aboutit à une allocation optimale des moyens que si certaines conditions sont remplies. En particulier, il faut un marché “atomisé” (c’est à dire, où les acteurs soient de taille
suffisamment petite pour que chacun n’ait qu’une influence faible sur les prix), il faut que tous les acteurs aient les mêmes informations et que celles-ci soient de bonne qualité, et finalement
il faut que les barrières d’entrée et de sortie du marché soient faibles. Aucune de ces conditions n’est remplie dans le marché des consoles de jeux ou des logiciels, par exemple: les acteurs
sont des oligopoles, les barrières à lentrée sont énormes en termes d’investissement, et l’information est volontairement biaisée…
Beaucoup d’économistes “alternatifs” critiquent la théorie du marché en tant que mode de régulation, alors que le problème n’est pas là: la théorie du marché efficace est parfaitement
rationnelle. La difficulté est que les conditions qui rendraient les marchés efficaces ne sont jamais remplies dans la pratique…
“A quelqu’un de riche, de préférence, qui sera prêt à vous donner beaucoup d’argent pour que vous disparaissiez des écrans radar.”
Pourquoi cette application devrait disparaître des écrans radar ? Je n’ai pas de compte facebook pour vérifier, mais ça ne métonnerait pas qu’elle se retrouve intégrée à la bibliothèque
d’applications de facebook. Youtube n’a pas disparu après avoir été racheté par google (pour un montant du même ordre*).
Et avec un milliard de dollars, les 4 gredins se retrouvent avec un paquet de fric à investir dans 50 petites startups ayant *d’autres* idées innovantes. Facebook a eu un piètre instinct de
prédation pour le coup
*http://www.brandchannel.com/home/post/Google-Forces-Youtube-Account-Linking.aspx
Pourquoi cette application devrait disparaître des écrans radar ?
Je ne sais pas… qui a dit qu’elle devrait disparaître ? Le but de Facebook ici n’était pas de faire disparaître l’application, mais de faire disparaître ses propriétaires…
le titre de votre billet
Quelques réflexions sur l’économie de prédation
et sa conclusion
Le message que l’achat d’Instagram transmet est particulièrement négatif. Dans notre société “libérale avancée”, la meilleure manière de faire de l’argent n’est pas d’inventer quelque chose
qui soit utile aux gens, mais quelque chose qui fasse peur à quelqu’un.
me paraissent “transmettre un message” erronné.
Particulièrement dans notre société actuelle, “inventer quelque chose qui soit utile aux gens” peut être rentable. Pensez à Microsoft, Apple, Facebook …et à votre exemple (les créateurs
d’instagram ont produit un logiciel qui a rencontré le succès, comme d’autres de vos commentateurs l’ont souligné). Sans compter les dizaines de milliers (de millions?) de personnes qui, dans les
univeristés, les entreprises publiques et privées, ne cessent d’inventer de nouveaux produits ou des manières de produire plus efficaces.
Globalement, avec tous ses défauts, notre société mondialisée n’a jamais produit autant de biens “utiles”: malgré l’accroissement considérable de la population, la famine recule, l’espérance de
vie augmente, et rien n’indique que le processus soit durablement enrayé.
Le seul gros point noir est le réchauffement climatique. Et encore, nous ne savons pas très bien quels en seront les conséquences économiques globales (des orangers en France? la Sibérie, le nord
Canadien: de nouveaux eldorados ?).
Particulièrement dans notre société actuelle, “inventer quelque chose qui soit utile aux gens” peut être rentable. Pensez à Microsoft, Apple, Facebook …
Certainement. Mais la rentabilité n’est pas garantie à proportion de l’utilité, loin de là. Et surtout, il est rare que ce soit “rentable” pour celui qui invente. Les exemples que vous donnez
sont, de ce point de vue, éclairants. Qu’est ce qu’il a inventé, Gates ?
les créateurs d’instagram ont produit un logiciel qui a rencontré le succès
Certainement. Mais ce succès ne valait pas un milliard de dollars. C’est du moins ce que pensent tous les analystes qui se sont penchés sur la question. Ils s’accordent tous à penser que Facebook
a achété non à la valeur réelle de l’entreprise, mais à sa valeur d’opportunité.
Globalement, avec tous ses défauts, notre société mondialisée n’a jamais produit autant de biens “utiles”:
Probablement. Mais j’aimerais savoir ce que vous entendez par “biens utiles”, et comment on les distingue des “biens inutiles”.
malgré l’accroissement considérable de la population, la famine recule, l’espérance de vie augmente, et rien n’indique que le processus soit durablement enrayé.
Tout à fait d’accord. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il me semble que les discours misérabilistes qui pullulent dans la “gauche radicale” n’ont ni queue ni tête. Le capitalisme est
toujours en expansion, et donc parier sur sa crise systémique est une erreur.
permettez moi de préciser ce que j’appelle un bien (un service) utile.
Est particulièrement utile pour moi ce qui me permet (en moyenne mondiale) de diminer la famine (la malnutrition), d’augmenter l’espérance de vie (particulièrement en “bonne” santé),
d’augmenter l’éducation etc …
Ceci dit ce qui permet cela, ce ne sont pas seulement des biens et services mais leur mise en oeuvre dans une société donnée.
Aussi, dans la pratique, il est difficile de dire si un bien “donné” est utile. Car souvent il a à la fois des aspects utiles et nuisibles (ou inutiles) suivant l’usage qui en est fait (comme la
langue d’Esope).
A titre provocateur, je prendrai un exemple “paradoxal”. Le papier a été inventé par les Chinois qui n’en ont rien fait. Et les commentateurs de l’époque auraient pu dire: quelle invention
inutile ! et pourtant quelle utilité jusqu’à aujourd’hui.
Aussi je crois qu’il est impossible “à priori” de juger de l’utilité d’une invention, d’une découverte. Elle se révèle parfois utile plus tard …
Il estdonc vain de vouloir rétribuer les inventions en fonction d’une utilité “à priori”. Peut-être que ce logiciel d’Instagram contribuera à former un artiste de génie, ou à faire
s’interroger un scientifique de manière inattendue et créatrice (la pomme de Newton) ?
Ce qui est important, c’est qu’une société favorise l’innovation dans tous les domaines, et c’est le cas de notre société. Le moteur de ces innovations, c’est l’appât du gain (pas très “glamour”,
mais efficace). Pensez aux sociétés espagnoles du grand siècle, féodales, “premières”. Elles n’avaient pas de moteur très efficace d’innovation, aussi elles évoluaient lentement, et leurs
populations ne profitaient guère des progrès techniques (un peu quand même).
Est particulièrement utile pour moi ce qui me permet (en moyenne mondiale) de diminer la famine (la malnutrition), d’augmenter l’espérance de vie (particulièrement en “bonne” santé),
d’augmenter l’éducation etc …
En d’autres termes une arme est un “bien utile” (il tend à augmenter l’espérance de vie de celui qui la porte…) mais pas un poème…
Ceci dit ce qui permet cela, ce ne sont pas seulement des biens et services mais leur mise en oeuvre dans une société donnée. Aussi, dans la pratique, il est difficile de dire si un bien
“donné” est utile.
Si le caractère utile est inhérent au bien, alors il ne peut dépendre de la “société donnée”. “Dire” si un bien donné est utile est une impossibilité puisque le “bien” en lui même n’est ni utile
ni inutile.
A titre provocateur, je prendrai un exemple “paradoxal”. Le papier a été inventé par les Chinois qui n’en ont rien fait.
Tu exagères un peu: les chinois ont fait plein de choses avec le papier: des lanternes, des peintures, des papiers peints… ils ont même poussé le vice jusqu’à écrire dessus !
Il est donc vain de vouloir rétribuer les inventions en fonction d’une utilité “à priori”. Peut-être que ce logiciel d’Instagram contribuera à former un artiste de génie, ou à faire
s’interroger un scientifique de manière inattendue et créatrice (la pomme de Newton) ?
Ta vision du monde est très étrange. Si je ne rémunère pas les inventions en fonction de leur “utilité”, je le fais en fonction de quoi ? Dois-je donner un milliard à chaque inventeur de logiciel
sous prétexte que l’un d’eux pourrait peut-être un jour inspirer un artiste de génie ? Faut-il rémunèrer grassement les cultivateurs de pommes au prétexte que l’une d’elles pourrait un jour
inspirer un Newton ?
Ce qui est important, c’est qu’une société favorise l’innovation dans tous les domaines, et c’est le cas de notre société. Le moteur de ces innovations, c’est l’appât du gain (pas très
“glamour”, mais efficace).
Pas tant que ça, en fait. L’astrophysique a fait des bonds spectaculaires ces cent dernières années, et ce n’est certainement pas l’appât du gain qui motive les astrophysiciens. A côté,
l’innovation privée est fort ineficace: il faut un milliard pour produire un logiciel de retouche de photos…
“Le capitalisme est toujours en expansion, et donc parier sur sa crise systémique est une erreur.”
Question passionante mais dont la réponse n’est pas évidente. Les crises capitalistes créent un mouvement brownien qui jusqu’à présent a toujours débouché sur un arrangement institutionnel
permettant de poursuivre l’accumulation. En même temps, trois difficultés majeures n’ont jamais été surmontées, mais seulement repoussées : la tendance à la sous-consommation, le ralentissement
tendanciel de l’investissement et l’épuisement des ressources. Je ne prétends pas qu’un de ces trois obstacles, ou l’ensemble, doive necessairement aboutir à une “crise finale”, mais en revanche
ils se combinent dans de “grandes crises” comme celle des années 30, celle des années 70 ou celle que nous vivons aujourd’hui. Ce sont des périodes de grande incertitude dont la sortie n’est pas
donnée d’avance, et qui donnent au mouvement social et à l’action politique des opportunités de peser sur les bifurcations à venir. Pour être précis, l’exploitation des ressources fossiles et
surtout le recours aux bulles financières pour compenser la compression du pouvoir d’achat atteignent leurs limites. L'”économie de prédation” que tu décris est à l’échelle macroéconomique une
économie à croissance bloquée. Le système ne s’autoréformera pas sans secousse et redéfinition majeure des compromis sociaux.
PS : tu critique avec raison un certain misérabilisme… mais les grands mouvements sociaux et politiques n’émanent jamais des plus misérables. Ce sont les “classes moyennes” menacées qui
déstabilisent les compromis de classe établis. Et c’est justement cette paupérisation relative qui se produit en ce moment.
Question passionante mais dont la réponse n’est pas évidente. Les crises capitalistes créent un mouvement brownien qui jusqu’à présent a toujours débouché sur un arrangement institutionnel
permettant de poursuivre l’accumulation.
Ce n’est pas seulement une question institutionnelle. C’est aussi le dynamisme de la “création/destruction” capitaliste (au sens schumpéterien) qui a permis au capitalisme de “poursuivre
l’accumulation” alors même qu’on le donnait pour mort. Le meilleur argument du capitalisme pour gagner l’appui de l’ensemble des couches sociales a toujours été sa capacité à assurer une
croissance continue du gâteau à partager, de manière que même avec une répartition injuste tout le monde bénéficie un petit peu.
C’est pourquoi à mon sens la gauche – et encore plus la “gauche radicale” – fait totalement fausse route lorsqu’elle se concentre sur les problèmes de répartition et laisse de côté la question
cruciale de la production et de la distribution des biens et des services.
En même temps, trois difficultés majeures n’ont jamais été surmontées, mais seulement repoussées : la tendance à la sous-consommation, le ralentissement tendanciel de l’investissement et
l’épuisement des ressources.
Oui et non. Le capitalisme a des cycles: pendant le cycle “keynésien” 1945-1973 les deux premiers problèmes avaient été en grande partie résolus. Quand au troisième, ce n’est pas
véritablement un problème. L’homme a toujours résolu l’épuisement d’une ressource en la remplaçant par une autre. Tu me diras qu’à long terme cette substitution devrait se révéler impossible. Ce
qui est peut-être vrai, mais comme disait Keynes, à long terme nous sommes tous morts.
Ce sont des périodes de grande incertitude dont la sortie n’est pas donnée d’avance, et qui donnent au mouvement social et à l’action politique des opportunités de peser sur les bifurcations
à venir.
Ou du moins donnent l’impression que c’est possible… mais en pratique, les grandes crises du capitalisme ne se sont que très rarement traduites par une avancée du mouvement social: en 1929 ce
sont les fascismes qui ont le plus profité de la crise, et celle des années 1970 a préparé le retour triomphant du libéralisme et l’effondrement des expériences socialistes.
PS : tu critique avec raison un certain misérabilisme… mais les grands mouvements sociaux et politiques n’émanent jamais des plus misérables. Ce sont les “classes moyennes” menacées qui
déstabilisent les compromis de classe établis. Et c’est justement cette paupérisation relative qui se produit en ce moment.
C’est vrai. L’ennui est que les “classes moyennes menacées”, comme je l’ai expliqué avec l’analogie du crocodile, tendent non pas à chercher une issue dans une alliance avec les couches
populaires, mais au contraire tendent à rechercher une alliance avec la bourgeoisie pour pousser les couches sociales les plus modestes vers le bas…
Quelques liens intéressants.
Tout d’abord Les cafés de la statistique :
http://www.sfds.asso.fr/87-Les_cafes_de_la_Statistique
cette ” association” organise des débats entre le grand public et des experts.
Pour ceux qui habitent à Paris et sa banlieue cela peut valoir le coup.
Puis les chères classes moyennes de Descartes :
http://www.laviedesidees.fr/Les-classes-moyennes-sont-elles.html
Finalement, selon l’article, les classes moyennes ne sont pas tant matraquées par la fiscalité qu’elles le prétendent ou que les politiques l’affirment.
Une question philosophique sur le rôle de l’état-providence :
“un vieux débat sur
l’architecture de l’État-providence, entre le modèle de l’assistance où l’État doit avant tout mettre en place un filet de sécurité et lutter contre la pauvreté, et le modèle de l’assurance, où
c’est l’ensemble de la population qui doit être assurée contre les risques sociaux (chômage, retraite, santé, etc.), au risque de ne pas opérer de réelle redistribution entre individus avec
différents niveaux de revenus permanents.”
Dominique Goux et Eric Maurin dans Les
Nouvelles Classes moyennes, “ font de la classe moyenne la grande gagnante de ces 30
dernières années. Ce livre m’intéresse, je vais surement l’acheter. http://www.lesinrocks.com/2012/02/12/actualite/les-nouvelles-classes-moyennes-le-paradoxe-de-linquietude-112751/
Une interview d’Eric Maurin suite à la sortie de son livre “Les nouvelles classes moyennes” :
http://www.youtube.com/watch?v=wQPKrPSx0Q4
Sans doute est-ce la notion même de “classe moyenne” qui pose problème. C’est une définition toute négative – ni prolétaire ni capitaliste – qu’on étend à volonté en spécifiant les critères de
placement dans les classes “polaires”. En d’autres termes, c’est un vaste ensemble indéterminé, sans critère net d’appartenance, qui a pour effet de noyer l’opposition marxienne dans le discours
et parfois dans les consciences. Quand je lis dans l’article de JM Durand : “Artisans, commerçants, techniciens, professeurs des écoles, cadres B de la fonction publique, représentants de
commerce : ce large éventail de catégories intermédiaires représente 30 % de la structure sociale, alors que les catégories supérieures en composent moins de 20 % et les ouvriers et employés à
peine plus de 50 %. Les nouvelles classes moyennes agrègent ainsi des groupes sociaux très divers, dont quelques traits communs (le revenu, le diplôme, le logement) constituent l’unité
fragile.”, il s’agit de la PCS “professions intermédiaires” dont il est fortement hasardeux de postuler une cohérence de classe. Les ménages unissent souvent des membres de PCS différentes,
l’effectif et le revenu moyen des PCS dépend fortement de la définition statistique et changeante de ses frontières… et parmi ces professions une étude fine montrerait je pense aisément des
dynamiques très différentes. Par ailleurs, comme le montre l’article de “la vie des idées” : “il apparaît nettement une forte distinction au sein du groupe des plus hauts revenus. Les
classes moyennes supérieures (décile 90 à 95) et les classes aisées (déciles 95 à 98) ont essentiellement des revenus du travail, fortement imposés. En haut de la distribution, les 1 % les
plus riches ont essentiellement des revenus du capital qui bénéficient d’une imposition plus faible.” La discontinuité majeure se situerait plutôt au niveau des 1 ou 2% “les plus riches”,
donc. Mais au sein de ces couches “moyennes supérieures” là encore l’agrégation statistiques amalgame des professions dont le déclin relatif est patent (enseignants, professions scientifiques…)
et d’autres dont l’évolution est forcément plus favorable. Enfin, la précarisation de certaines professions s’ajoute à la stagnation de leur revenu relatif pour réduire leur niveau de vie
effectif.
Je ne prétends pas avoir réponse à ces incertitudes, mais la réflexion sociologique sur la question me paraît extrêmement floue et impressioniste, entre l’idée (défendable) que nous serions “90%
de prolétaires” et celle selon laquelle la lutte de classe serait définitivement évincée par l'”embourgeoisement” du prolétariat qualifié.
Descartes, quand tu écris : “les “classes moyennes menacées”, comme je l’ai expliqué avec l’analogie du crocodile, tendent non pas à chercher une issue dans une alliance avec les couches
populaires, mais au contraire tendent à rechercher une alliance avec la bourgeoisie pour pousser les couches sociales les plus modestes vers le bas…”, tu décris un véritable enjeu de la
“lutte des classe” : comme se compose le compromis sociale dominant. Dans les années 80-2000 (en gros) on avait une alliance de fait entre la bourgeoisie financière, les cadres sup, les
fonctionnaires et le lumpen prolétariat pour une gestion assistancielle du capitalisme financier, essentiellement dirigé contre le prolétariat stable du secteur privé (hors finance). Depuis 2005,
une partie des salariés “protégés” prennent conscience de leur vulnérabilité – d’où la fragilisation du discours européiste et libre-échangiste. Quant à la petite bourgeoisie traditionnelle, elle
est la première victime de la crise financière.
Cette cassure préfigure vraisemblablement une nouvelle configuration mais rien n’assure que celle-ci doive être progressiste. Le fascisme en son temps était en effet une réponse possible à une
crise comparable. Notre tâche pourrait être d’esquisser les contours d’un nouveau compromis social “productiviste” entre le capitalisme industriel et le salariat.
Sans doute est-ce la notion même de “classe moyenne” qui pose problème. C’est une définition toute négative – ni prolétaire ni capitaliste – qu’on étend à volonté en spécifiant les critères
de placement dans les classes “polaires”. En d’autres termes, c’est un vaste ensemble indéterminé, sans critère net d’appartenance, qui a pour effet de noyer l’opposition marxienne dans le
discours et parfois dans les consciences.
La notion de “classe moyenne” ne pose aucun problème particulier. Elle n’est pas plus problématique que la notion de “bourgeoisie” ou de “classe ouvrière”. A condition bien entendu de manier la
notion avec rigueur, et de ne pas confondre la notion économique (la classe à laquelle on appartient) et la notion sociologique (la classe à laquelle on croit appartenir).
Il faut comprendre que l’exploitation – au sens marxiste du terme: le fait que le travailleur ne reçoit qu’une fraction de la valeur qu’il produit, le reste allant au capitaliste – est une
question de pouvoir de négociation. Lorsque le travailleur se trouve individuellement dans une position de force, par exemple parce qu’il possède une compétence rare, une expérience où une
connaissance qui ne se trouve pas facilement sur le marché et dont le capitaliste a besoin pour faire fonctionner la production (c’est ce que j’appelle un “capital immatériel”), il peut souvent
négocier et obtenir que sa rémunération reflète la valeur qu’il produit, voire plus. Dans ce cas, on ne peut plus parler d’exploitation.
A l’époque de Marx, l’organisation de la production était fondé sur un immense prolétariat peu qualifié et dont les membres étaient facilement substituables. Le pouvoir individuel de négociation
des travailleurs était donc nul, et l’équation travailleur=exploité avait un sens. Du temps de Lénine, dejà, l’apparition d’une “aristocratie ouvrière” rendait cette équivalence hasardeuse. A la
fin du XXème siècle, avec une économie de plus en plus fondée sur du travail très qualifié, apparaît un groupe relativement étendu d’individus qui, tout en étant salariés, ont un pouvoir de
négociation suffisant pour échapper à l’exploitation. C’est ce groupe-là que j’appelle “classe moyenne”.
Ce qui tend à brouiller le tableau, c’est le fait qu’on confond la réalité économique avec la vision sociologique: des gens qui sont exploités veulent croire, pour des raisons évidentes, qu’ils
contrôlent leur vie et donc qu’ils ont un pouvoir de négociation qu’en réalité ils n’ont pas. Et à l’opposé, certains qui disposent de ce pouvoir prefèrent se placer en position de victime et
donc de s’identifier à ceux qui ne l’ont pas.
Quand je lis dans l’article de JM Durand : “Artisans, commerçants, techniciens, professeurs des écoles, cadres B de la fonction publique, représentants de commerce : ce large éventail de
catégories intermédiaires représente 30 % de la structure sociale, alors que les catégories supérieures en composent moins de 20 % et les ouvriers et employés à peine plus de 50 %. Les nouvelles
classes moyennes agrègent ainsi des groupes sociaux très divers, dont quelques traits communs (le revenu, le diplôme, le logement) constituent l’unité fragile.”, il s’agit de la PCS “professions
intermédiaires” dont il est fortement hasardeux de postuler une cohérence de classe.
Bien entendu. Si l’on veut une “cohérence de classe”, on ne peut découper la société en fonction “du diplôme, du revenu, du logement”, mais il faut raisonner en termes de la position de chacun
dans le processus de production. C’est pourquoi, comme vous l’aurez remarqué, la définition que je propose ne fait nullement appel à des critères sociologiques, mais à une pure question
économique: si vous avez le pouvoir de négociation qui vous permet d’empocher la valeur que vous produisez, vous êtes dans les “classes moyennes”.
il apparaît nettement une forte distinction au sein du groupe des plus hauts revenus. Les classes moyennes supérieures (décile 90 à 95) et les classes aisées (déciles 95 à 98) ont
essentiellement des revenus du travail, fortement imposés. En haut de la distribution, les 1 % les plus riches ont essentiellement des revenus du capital qui bénéficient d’une imposition
plus faible.” La discontinuité majeure se situerait plutôt au niveau des 1 ou 2% “les plus riches”, donc.
La “discontinuité” de quoi ? Selon l’indicateur choisi, vous trouverez des discontinuités à des endroits différents. Par exemple, si vous choisissez comme critère les études, vous trouverez
qu’entre ceux qui s’arrêtent au bac et ceux qui continuent à l’université la discontinuité se situe plutôt dans les premiers déciles. Alors, pourquoi choisir la fiscalité plutôt qu’autre chose ?
Mais au sein de ces couches “moyennes supérieures” là encore l’agrégation statistiques amalgame des professions dont le déclin relatif est patent (enseignants, professions scientifiques…)
et d’autres dont l’évolution est forcément plus favorable.
Admettons, même si le “déclin” des professions auxquelles vous faites référence ne me parait nullement évident (on parle d’économie, pas de sociologie…). Et alors ? Cela est vrai dans toutes
les classes sociales: la bourgeoisie comprend des entrepreneurs dynamiques investis dans les nouvelles technologies et des propriétaires d’usines dépassées proches de la faillite.
Enfin, la précarisation de certaines professions s’ajoute à la stagnation de leur revenu relatif pour réduire leur niveau de vie effectif.
Certainement. Mais dans la précarisation générale qui touche la société, les classes moyennes sont les mieux loties: disposant d’un “capital immatériel”, ce sont elles qui sont dans la meilleure
situation pour négocier leur réclassement. Il faut d’ailleurs remarquer que ce sont les classes moyennes qui ont appuyé avec enthousiasme la remise en cause des “statuts” pendant toute la période
1980-90.
Je ne prétends pas avoir réponse à ces incertitudes, mais la réflexion sociologique sur la question me paraît extrêmement floue et impressioniste, entre l’idée (défendable) que nous serions
“90% de prolétaires” et celle selon laquelle la lutte de classe serait définitivement évincée par l'”embourgeoisement” du prolétariat qualifié.
Tout à fait. C’est pourquoi il faut éviter le piège de la “réflexion sociologique” et revenir à une analyse en termes d’économie politique. La question de savoir si nous sommes “90% de
prolétaires” ne relève pas de la sociologie, mais de l’économie.
Dans les années 80-2000 (en gros) on avait une alliance de fait entre la bourgeoisie financière, les cadres sup, les fonctionnaires et le lumpen prolétariat pour une gestion
assistancielle du capitalisme financier, essentiellement dirigé contre le prolétariat stable du secteur privé (hors finance). Depuis 2005, une partie des salariés “protégés” prennent conscience
de leur vulnérabilité – d’où la fragilisation du discours européiste et libre-échangiste. Quant à la petite bourgeoisie traditionnelle, elle est la première victime de la crise financière.
J’apporterais des sérieuses nuances dans ton tableau. D’abord, l’alliance à laquelle tu fais référence ne commence pas dans les années 1980. Elle se construit progressivement à partir de la fin
des années 1960, lorsque le ralentissement de l’impulsion des “trente glorieuses” commence à se manifester. Ensuite, l’alliance est celle de la bourgeoisie et des classes
moyennes, qui vont bien au delà des “cadres sup et fonctionnaires”: à ma connaissance, ni les avocats, ni les commerçants, ni les artisans n’ont rien fait pour défendre la situation du
prolétariat industriel (public ou privé). Quant au “lumpen prolétariat” est un prétexte, une justification, mais ne participe pas véritablement à la prise de pouvoir par cette alliance.
Depuis 2005, ayant jeté aux crocodiles successivement les ouvriers du privé et les travailleurs des services publics, les classes moyennes s’aperçoivent qu’ils sont les prochains dans la liste.
D’où leurs tentatives désespérées de se refaire une virginité après les années libérales en adoptant le discours “anti-riches”, tentative dont le FdG est l’épitomé. Seulement, jeter “les riches”
au crocodile risque d’être bien plus difficile que lui jeter les ouvriers.
Cette cassure préfigure vraisemblablement une nouvelle configuration mais rien n’assure que celle-ci doive être progressiste.
Tout à fait ! Pire: elle risque de cacher son caractère réactionnaire sous un discours “révolutionnaire”…
Notre tâche pourrait être d’esquisser les contours d’un nouveau compromis social “productiviste” entre le capitalisme industriel et le salariat.
Vaste programme… juste une curiosité: qui et ce “nous” ?
“juste une curiosité: qui et ce “nous” ?”
Excellente question ! J’ai tendance à me référer à ceux que Chevènement appelait les “Républicains des deux rives”, mais les contours sont encore flous. J’avais écrit un texte là-dessus il y a
longtemps (http://bloc-notesdejoelhalpern.hautetfort.com/archive/2003/05/index.html)…
Mais je pourrais te retourner la question : la réflexion collective est-elle utile, et dans quel cadre et quelles frontières ?
Excellente question ! J’ai tendance à me référer à ceux que Chevènement appelait les “Républicains des deux rives”, mais les contours sont encore flous.
Tout à fait d’accord. Effectivement, nous “républicains des deux rives” nous devrions assumer cet objectif.
Mais je pourrais te retourner la question : la réflexion collective est-elle utile, et dans quel cadre et quelles frontières ?
Oui, la réflexion collective est toujours utile, en ce qu’elle permet de confronter ses raisonnements à ceux des autres et de voir plus clair. J’irais plus loin: il est impossible de réflechir
tout seul. Toute réflexion implique nécessairement des interlocuteurs. Et des interlocuteurs différents de nous mêmes. L’obstacle éternel à cette réflexion est la tendance à “réflechir
collectivement” avec ceux qui nous ressemblent. C’est ce qui tue la réflexion dans la “gauche radicale”. Si vous allez aux colloques et les forums organisés par les différents courants de cette
gauche, vous trouverez toujours la même chose: un groupe de gens globalement d’accord sur l’essentiel et qui communient dans une surenchère d’adhésion aux mêmes préjugés. On n’invite jamais
d’avocat du diable, et quand quelqu’n s’amuse à jouer ce rôle – ce qui, je l’avoue, est souvent mon cas – il est immédiatement consideré comme un gêneur qu’il faut expulser.
Le courant Républicain a beaucoup bénéficié intellectuellement de la diversité de ses sources. Comptant des partisans “dans les deux rives”, il y a une véritable confrontation. A l’inverse, vous
trouvez l’expérience du Front de Gauche: en constuisant l’union sur un “minimum commun dénominateur” et en mettant sous le tapis tous les conflits et les différences d’analyse, on arrive à
présenter un front uni au niveau électoral – ce que les républicains n’arrivent pas à faire – mais on n’amorce pas un débat créateur de nouvelles idées ou de nouvelles analyses.
“si vous avez le pouvoir de négociation qui vous permet d’empocher la valeur que vous produisez, vous êtes dans les “classes moyennes”.”
Critère interessant mais insuffisant, car la frontière se déplace sans cesse en fonction de la banalisation des qualifications. les ouvriers de métiers du XIXe siècle, les techniciens et les
employés se sont massivement prolétarisés. D’autres catégories profitent encore de qualifications rares. Certains groupes sont temporairement protégés par des compromis sociaux stratégiques,
comme les agriculteurs en France au début du XXe siècle. Tout ceux là sont enquelque sorte des prolétaires en susrsis.
Par ailleurs, une fraction du salariat est “protégée” par sa place stratégique dans la production, necessaires courroies de transmission du capital : postes d’encadrement, intellectuels
organiques… Ils constituent durablement le deuxième cercle de la bourgeoisie (le coeur restant constitué par la propriété du capital que marque la “discontinuité” que j’évoquais à hauteur du
98e centile).
Critère interessant mais insuffisant, car la frontière se déplace sans cesse en fonction de la banalisation des qualifications.
Et quel et le problème ? Il est illusoire de penser qu’on pourrait trouver une caractérisation des différentes couches sociales valable pour l’éternité. Il faut se donner des outils qui
permettent d’analyser la société dans ses mutations. L’essor des “qualifications rares” et surtout des postes de travail où la productivité est très liée à ces qualifications a changé
profondément la stratification de la société. Il faut donc que les catégories d’analyse changent pour en tenir compte.
D’autres catégories profitent encore de qualifications rares. Certains groupes sont temporairement protégés par des compromis sociaux stratégiques, comme les agriculteurs en France au début
du XXe siècle. Tout ceux là sont enquelque sorte des prolétaires en susrsis.
Il ne faut pas exagérer. Je pense que vous connaissez mal l’industrie. A côté d’une masse de travailleurs peu qualifiés qui se contracte, les qualifications rares se multiplient, au contraire.
D’ailleurs, il y a un signe qui ne trompe pas: jamais comme aujourd’hui on a eu un marché du travail aussi segmenté, avec pénurie dans certains secteurs et trop-plein dans d’autres, et des
éventails dans le salaire ouvrier aussi spectaculaires. Un plombier salarié, un soudeur qualifié gagnent aujourd’hui bien mieux que beaucoup de travailleurs intellectuels…
C’est d’ailleurs un sujet peu étudié, et sur lequel il y a peu de chiffres. On glose enormément sur l’expansion des inégalités salariales entre les plus riches et les plus pauvres, mais on ne
s’intéresse pas vraiment à la distribution des salaires au sein d’une même classe sociale. Ce ne sont pas aujourd’hui les salariés “protégés” au sens statutaire du terme qui gagnent les meilleurs
salaires.
Par ailleurs, une fraction du salariat est “protégée” par sa place stratégique dans la production, necessaires courroies de transmission du capital : postes d’encadrement, intellectuels
organiques… Ils constituent durablement le deuxième cercle de la bourgeoisie
Il n’y a pas que ça. Je vous donne un exemple que j’ai rencontré dans ma vie professionnelle maintes fois: un soudeur qualifié nucléaire, par exemple, gagne bien plus qu’un ingénieur avec des
fonctions d’encadrement, ou qu’un “intellectuel organique”. Et il n’a jamais de poblème pour trouver du travail. La même chose est vraie d’un plombier salarié. Alors, diriez vous que soudeur et
plombier “constituent durablement le deuxième cercle de la bourgeoisie” ?
“Il faut se donner des outils qui permettent d’analyser la société dans ses mutations”
C’est précisément le projet qui m’intéresse.
“A côté d’une masse de travailleurs peu qualifiés qui se contracte, les qualifications rares se multiplient”
Je n’ai pas dit le contraire… mais à l’inverse elles se rétrécissent dans le tertiaire, qui regroupe la plus grande part des salariés en France. Comme tu le dis toi-même : “Un plombier
salarié, un soudeur qualifié gagnent aujourd’hui bien mieux que beaucoup de travailleurs intellectuels…”. Les classes moyennes “intellectuelles” sont les premières touchées par la
prolétarisation.
“un soudeur qualifié nucléaire, par exemple, gagne bien plus qu’un ingénieur avec des fonctions d’encadrement, ou qu’un “intellectuel organique”. Et il n’a jamais de poblème pour trouver du
travail. La même chose est vraie d’un plombier salarié. Alors, diriez vous que soudeur et plombier “constituent durablement le deuxième cercle de la bourgeoisie” ?”
Certainement pas. Soudeurs et plombiers bénéficient d’une rente de qualification. le problème n’est pas seulement qui gagne le plus, mais “pourquoi” et “comment”.
“Oui, la réflexion collective est toujours utile, en ce qu’elle permet de confronter ses raisonnements à ceux des autres et de voir plus clair.”
Les enjeux électoraux vont s’estomper et peut-être trouverons-nous plus de partenaires disponibles pour cette entreprise.
Les classes moyennes “intellectuelles” sont les premières touchées par la prolétarisation.
J’aimerais bien quelques exemples. De quelles classes moyennes “intellectuelles” parlez vous ? Je ne vois pas où est la “prolétarisation” dont vous parlez ches les ingénieurs, chez les
professeurs, chez les artistes, chez les scientifiques. Pourriez-vous être plus précis ?
Soudeurs et plombiers bénéficient d’une rente de qualification. le problème n’est pas seulement qui gagne le plus, mais “pourquoi” et “comment”.
Si l’on se place du point de vue de l’exploitation, la “question essentielle” est bien combien on gagne en comparaison à la valeur qu’on produit. Il n’y a pas de “pourquoi” ou de “comment” là
dedans.
Les enjeux électoraux vont s’estomper et peut-être trouverons-nous plus de partenaires disponibles pour cette entreprise.
Je n’y crois pas trop. Il y aura toujours une élection – voire deux – par an, et après les législatives on commencera à penser aux municipales. Si l’on veut lancer une réflexion, il faut le faire
dans le contexte des enjeux électoraux, et non en imaginant qu’on peut réflechir en dehors d’eux.
“De quelles classes moyennes “intellectuelles” parlez vous ? Je ne vois pas où est la “prolétarisation” dont vous parlez ches les ingénieurs, chez les professeurs, chez les artistes, chez les
scientifiques”
Je reprenais ton expression de “travailleurs intellectuels”. L’éducation de masse a banalisé nombre de qualifications basées sur la maîtrise de la langue et de l’écriture, les employés en premier
lieu. Au niveau des professeurs ou des scientifiques, le terme de “prolétarisation” se discute, mais le déclin relatif en matière de rémunération et de considération est indéniable. Quant
aux ingénieurs c’est vraisemblablement variable selon la branche. C’est bien cela que je veux souligner : il n’y a pas d’intérêt de classe commun des classes moyennes ; ce bloc est destiné à se
fendre en fonction d’enjeux différents dans le mouvement de l’histoire.
“la “question essentielle” est bien combien on gagne en comparaison à la valeur qu’on produit. Il n’y a pas de “pourquoi” ou de “comment” là dedans.”
Là je ne suis pas d’accord, il n’est pas équivalent de tirer son statut de la gestion du capital ou d’une rente occupationnelle qui ne suppose aucune solidarité avec le système tel qu’il est.
“Si l’on veut lancer une réflexion, il faut le faire dans le contexte des enjeux électoraux, et non en imaginant qu’on peut réflechir en dehors d’eux.”
Encore faut-il constituer un cadre pour réfléchir sur le fond, en mettant au second plan les enjeux partisans, sinon nous retomberons dans le cas de figure du Front de Gauche, cadre relativement
efficace de mobilisation électorale mais désert doctrinal…
Au niveau des professeurs ou des scientifiques, le terme de “prolétarisation” se discute, mais le déclin relatif en matière de rémunération et de considération est indéniable.
Justement, ma spécialité est de remettre en question l’indéniable: quels sont les indicateurs qui vous permettent de parler de “déclin relatif en matière de rémunération” s’agissant des
professeurs ou des scientifiques ?
Quant aux ingénieurs c’est vraisemblablement variable selon la branche.
Là encore, pourriez-vous donner des exemples de branches où les ingénieurs se “prolétarisent” ?
C’est bien cela que je veux souligner : il n’y a pas d’intérêt de classe commun des classes moyennes ;
Je ne suis pas convaincu. Au contraire, je vois plusieurs “intérêts communs”. Le premier, est de coincer l’ascenseur social pour empêcher que les classes populaires viennent faire concurrence à
leurs propres enfants.
Là je ne suis pas d’accord, il n’est pas équivalent de tirer son statut de la gestion du capital ou d’une rente occupationnelle qui ne suppose aucune solidarité avec le système tel qu’il
est.
Pourriez-vous expliquer la différence ? En quoi la nature de la rente change la solidarité de celui qui la détient avec le “système” ? Les “rentes occupationnelles” sont aussi dépendantes de la
bonne santé du système que les autres…
Encore faut-il constituer un cadre pour réfléchir sur le fond, en mettant au second plan les enjeux partisans, sinon nous retomberons dans le cas de figure du Front de Gauche, cadre
relativement efficace de mobilisation électorale mais désert doctrinal…
Je crains que votre vue soit très idéaliste. On ne peut pas, dans le monde politique actuel, mettre “les enjeux partisans” au second plan. Et d’ailleurs, on peut se demander quelle serait la
valeur d’une réflexion purement abstraite, déconnectée des rapports de force réels. Il faut trouver un moyen de marcher en même temps sur deux jambes, les engagements politiques et la réflexion
de fond en même temps. C’est là toute la difficulté de l’équation.
En son temps, le PCF avair résolu assez convenablement cette équation: sans sacrifier le côte purement “politique”, il y avait des lieux et des organismes d’élaboration (la section économique du
Comité Central, l’Institut Maurice Thorez devenu plus tard l’Institut de Recherche Marxiste, les revues “La Pensée” et “Cahiers du Communisme”).
“quels sont les indicateurs qui vous permettent de parler de
“déclin relatif en matière de rémunération” s’agissant des professeurs ou des scientifiques ?”
Il y a une trentaine d’années, un professeur débutant
touchait deux fois le salaire minimum légal. Aujourd’hui, c’est une fois et demi le salaire minimum légal.
Il y a vingt ou trente ans, je ne sais pas si un président de
la République en exercice se serait permis de dire qu’un professeur du secondaire “ne travaille que 18 heures par semaine”. Aujourd’hui, ça se fait.
“quels sont les indicateurs qui vous permettent de parler de “déclin relatif en matière de rémunération” s’agissant des professeurs ou des scientifiques ?” Il y a une trentaine d’années, un
professeur débutant touchait deux fois le salaire minimum légal. Aujourd’hui, c’est une fois et demi le salaire minimum légal.
Deux remarques. La première: pourrait-on savoir quelle est la source d’où tu tires ces chiffres ? La seconde: a supposer même que ce fut exact, cela ne démontre pas un “déclin relatif en matière
de rémunération”. Pour illustrer, prenons l’exemple suivant: une population de dix individus a la distribution de revenu suivante: 1 gagne le SMIC, 1 (le professeur) gagne deux fois le smic, et
les 8 autres gagnent 10 fois les SMIC. Trente ans plus tard, nous avons la situation suivante: 8 gagnent le smic, 1 (le professeur) gagne une fois et demie le smic, et le dernier individu gagne
100 fois le smic. A ton avis, le professeur a gagné ou a perdu “relativement” en trente ans ?
Il y a vingt ou trente ans, je ne sais pas si un président de la République en exercice se serait permis de dire qu’un professeur du secondaire “ne travaille que 18 heures par semaine”.
Peut-être parce que à l’époque, ce n’était pas vrai… Mais j’avoue que je ne vois pas trop le rapport avec la rémunération des enseignants.
Les SSII sont aujourd’hui des boites d’intérim pour cadres et réalisent un véritable trafic d’humains. Je parle de trafic parce que les pratiques exercées dans ces entreprises sont vraiment
exécrables. Ce n’était pas reluisant lorsqu’il s’agissait de postes ouvriers, ça ne l’est toujours pas lorsqu’il s’agit de postes d’ingénieurs, même si les méthodes ne suivent pas tout à fait le
même format.
Congés forcés en période d’intercontrats, licenciements après propositions de relocalisation fantaistes, ingénieurs obligés de se mettre à genou pour un poste auprès des commerciaux dans
l’entreprise… ces boîtes se comportent comme de vrais marchands de viande qui proposent en plus des salaires extrêmement bas par rapport aux postes en entreprise.
Pourquoi est-ce que certains y vont alors ? Parce que ça devient de plus en plus difficile de trouver un poste (CDD, CDI, peu importe) dans une entreprise, que ce soit une PME ou une boite du
CAC40. Ces dernières ont de plus en plus recours à ces boîtes de services qui servent de variable d’ajustement.
Ca peut paraître délirant, mais c’est le cas: il y a trop d’ingénieurs pour les postes fixes en entreprise. Et lorsque ça touche y compris ceux qui sortent des plus grandes, c’est que ça sent
vraiment mauvais sur le marché de l’emploi. Ou en tout cas il rentre dans une configuration particulière. Alors oui, d’une certaine manière, une partie des ingénieurs qui sortent de leur école
aujourd’hui sont “prolétarisés” même si le terme est un peu fort.
En apparté: l’externalisation de toutes ces activités préalablement réalisées à l’intérieur des entreprises a (un peu) faussé la croissance de ces dernières années vu qu’il n’y a pas eu de poste
ou d’activité nouvelle créé mais bien un chiffre d’affaire enregistré.
Les SSII sont aujourd’hui des boites d’intérim pour cadres et réalisent un véritable trafic d’humains.
Faudrait tout de même pas exagérer. Il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir dans mon service des ingénieurs de SSII. A chaque fois qu’on leur proposait de rester dans la boite – en CDI s’il vous
plait – ils refusaient au prétexte qu’ils perdraient en salaire. Il est vrai que dans les SSII c’est la précarité totale… mais la paye semble compenser largement. Tu auras du mal à me
convaincre que les ingénieurs de SSII n’ont pas un certain pouvoir de négociation…
ces boîtes se comportent comme de vrais marchands de viande qui proposent en plus des salaires extrêmement bas par rapport aux postes en entreprise.
Alors il faudra m’expliquer pourquoi ils n’acceptent pas des propositions de contrat dans les boites. Je crains que tu aies une idée fausse des salaires pour les postes en entreprise. Tiens, par
curiosité, combien gagne un ingénieur d’école en SSII avec dix ans d’expérience ?
Ca peut paraître délirant, mais c’est le cas: il y a trop d’ingénieurs pour les postes fixes en entreprise. Et lorsque ça touche y compris ceux qui sortent des plus grandes, c’est que ça sent
vraiment mauvais sur le marché de l’emploi.
Ah bon ? Parce que quand ceux qui sortent “des plus grandes” ne sont pas touchés, ça ne sent pas mauvais ? La lamentation des classes moyennes a toujours un côté un peu grotesque. Tu crois qu’il
y a beaucoup de polytechniciens au chômage ? Des centraliens ? des Mineurs ? Soyons sérieux: le fait est qu’il manque des ingénieurs. Un bon ingénieur mécanicien, un bon ingénieur structures, un
bon ingénieur turbines, ca se traite à prix d’or. Et si tu en connais au chômage, passe moi leur CV je leur trouve du boulot dans le mois. Le problème, c’est qu’il a eu une “bulle” des ingénieurs
en informatique. Comme l’industrie payait des mille et des cents – et que le boulot est plus facile que sur un site de production ou sur un chantier – tout le monde a voulu étudier ça.
Conséquence: dix ans plus tard, on se trouve avec des ingénieurs informaticiens à ne plus savoir qu’en faire. Et forcément, ça fait baisser les prix.
Ou en tout cas il rentre dans une configuration particulière. Alors oui, d’une certaine manière, une partie des ingénieurs qui sortent de leur école aujourd’hui sont “prolétarisés” même si le
terme est un peu fort.
Il n’est pas seulement “fort”, il est faux.
Je me doutais de votre réponse, j’ai voulu vous taquiner un peu car je sais que vous êtes sensibles sur ce sujets 🙂
Vous avez raison: 10 ans d’expérience en SSII paye pas mal avec les primes, bonus, etc. mais en ce qui concerne les employés avec un peu moins d’expérience, je peux vous assurer que les
différences sont impressionantes. Hélas, je connais des personnes étant sorties de centrale qui ont du aller s’enterrer dans des SSII, comme quoi… je n’ai pas l’impression que vous réalisez à
quel point le marché de l’emploi est bouché pour un jeune diplômé aujourd’hui. Des conseilliers de l’APEC et de pôle emploi m’ont confié qu’ils recommandaient désormais de passer par une SSII
quelques années afin d’avoir l’expérience nécessaire pour postuler pour des postes fixes.
Il n’y a pas que dans l’informatique qu’il y a eu une bulle. Tout ce qui est énergie renouvelables par exemple. Pas mal de personnes y sont allées parce que ça allait être porteur et maintenant
c’est le crash. On partage ce constat: si on va dans une filière bouchée, on ne doit pas se plaindre de ne pas trouver de travail.
Je voulais juste attirer votre attention sur le fait que ces pratiques se généralisent pour des métiers qui n’en avaient pas trop l’habitude. Comme je l’ai dis: ce n’est pas plus ou moins grave,
plus ou moins acceptable que lorsque cette précarité ne les touchait pas. Mais pour moi l’ingénieur qui sort d’école, a 2 ans d’expérience, touche vraiment pas grand chose, vit dans la précarité
etc. peut-être considéré comme un exploité sans problème au sens de votre définition. Et pas qu’un peu.
Hélas, je connais des personnes étant sorties de centrale qui ont du aller s’enterrer dans des SSII, comme quoi…
Si vous faites référence à l’Ecole Centrale, j’ai du mal à vous croire: un élève de Centrale a à sa sortie de l’école plusieurs propositions d’emploi. Que certains soient allés en SSII, c’est
possible. Mais je dout qu’il aient été obligées de le faire. S’il est vrai que les salaires d’embauche dans les SSII sont maigres, la progression y est très rapide (d’où ma question sur la
rémunération après 10 ans d’expérience). C’est pourquoi certains ingéniéurs choisissent ce parcours.
je n’ai pas l’impression que vous réalisez à quel point le marché de l’emploi est bouché pour un jeune diplômé aujourd’hui
Ca dépend quel jeune diplômé. Si vous me dites qu’une maîtrise de sociologie n’ouvre pas beaucoup de portes, je ne vous contredirait pas. Mais pour ce qui concerne les ingénieurs, désolé, mais
j’ai les chiffres chaque jour sur mon bureau.
Il y a d’ailleurs dans ce domaine un “triangle magique” dont les trois pointes sont le libre choix des études, l’exigence sur le salaire et l’emploi. On peut avoir deux de ces choses, mais pas
les trois. Si vous laissez les gens libres d’étudier ce qu’ils veulent, vous ne pouvez pas garantir qu’à la sortie il y aura suffisamment d’emplois pour tous. Mais j’accepte votre critique:
j’avoue que j’ai du mal à réaliser que le marché de l’emploi puisse être bouché pour un diplomé. Mon père n’a jamais de sa vie été chômeur, mais a exercé au moins cinq ou six métiers différents,
et disait toujours qu’il préférait aller laver des carreaux plutôt que d’être chômeur. Ce fut mon cas aussi: si j’avais voulu faire le métier pour lequel j’étais originalement formé, j’aurais été
longtemps au chômage. Et j’avoue que j’ai du mal à comprendre qu’on puisse refuser un poste qu’on vous propose alors que l’alternative c’est le chômage. Mais c’est une question de psychologie
personnelle, et je ne prétends pas que ce soit la chose à faire.
Des conseilliers de l’APEC et de pôle emploi m’ont confié qu’ils recommandaient désormais de passer par une SSII quelques années afin d’avoir l’expérience nécessaire pour postuler pour des
postes fixes.
C’est un excellent conseil. Mais je ne vois pas en quoi cela serait un indice de “prolétarisation”.
Il n’y a pas que dans l’informatique qu’il y a eu une bulle. Tout ce qui est énergie renouvelables par exemple. Pas mal de personnes y sont allées parce que ça allait être porteur et
maintenant c’est le crash.
Bien entendu. Il y a eu des “bulles de compétences” dans beaucoup de métiers. C’est d’ailleurs l’un des domaines où le marché régule très mal les choses: lorsque le “signal prix” montre qu’il
manque des compétences, c’est trop tard, il faut dix ans pour les former. Lorsque le signal indique au contraire un excés, il est trop tard, les gens sont dejà formés. C’est pourquoi je persiste
à croire que le libre choix des études est une erreur, et qu’il faudrait réguler par numérus clausus pour anticiper les besoins du pays.
Mais pour moi l’ingénieur qui sort d’école, a 2 ans d’expérience, touche vraiment pas grand chose, vit dans la précarité etc. peut-être considéré comme un exploité sans problème au sens de
votre définition.
Tout à fait. Mais il ne m’a pas été donné de connaître beaucoup d’ingénieurs dans cette situation. Cela étant dit, votre commntaire est parfaitement compatible avec mon raisonnement. L’ingénieur
débutant n’a qu’un “capital immatériel” faible – ses études – et son pouvoir de négociation est limité. Il est donc exploité. A mesure qu’il acquiert de l’expérience, son “capital immatériel”
s’accroit, ainsi que sa capacité de négociation. A un moment donné, celui-ci est suffisant pour lui permettre de se faire payer toute la valeur qu’il créé, et non pas seulement une fraction. A ce
moment-là, il n’est plus exploité.
Je vois que la confiance règne… Mais je me suis trompé. J’avais lu cela dans une brochure syndicale.
Voici les chiffres que j’ai trouvés : en 1980, le SMIC brut tournait entre 2 317 et 2 563 fr. (apparemment il a varié au cours de cette année).
Voici un lien sur les fluctuations du SMIC :
http://oster.pagesperso-orange.fr/smic.htm
Pour un PEGC (prof de collège moins payé qu’un certifié) débutant en 1980, j’ai trouvé la somme de 8 400 fr. mensuel, soit 3,3 fois le SMIC.
Voici le lien vers l’article :
http://www.lexpress.fr/informations/dix-fonctionnaires-et-leur-salaire-du-debut-a-la-fin_621687.html
Il faut regarder la personne appelée « Dominique Leclerc ». Il est précisé qu’il a commencé à enseigner en 1980, et son salaire de début de carrière est indiqué (mais brut ou net ?
Mystère). L’écart me paraît très important, mais je vais essayer de recouper avec d’autres infos.
En 2008, le traitement brut d’un certifié débutant (échelon 2) était de 1704 €. Le SMIC brut était alors de 1 321 €., soit 1,29 fois le SMIC.
Evolution du SMIC dans les années 2000 :
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=NATnon04145
« Peut-être parce que à l’époque, ce n’était pas vrai… Mais j’avoue que je ne vois pas trop le rapport avec la rémunération des enseignants. »
Ah bon ? Le temps de service (et non de travail) pour un certifié est de 18 heures depuis un décret de 1950. Comme je sais que tu aimes les textes officiels :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000302140
L’intervenant évoquait aussi le « déclin relatif en terme de considération ». C’est ce point-là que je soulignais.
« Pour illustrer, prenons l’exemple suivant: une population de dix individus a la distribution de revenu suivante: 1 gagne le SMIC, 1 (le professeur) gagne deux fois le smic, et les 8 autres
gagnent 10 fois les SMIC. Trente ans plus tard, nous avons la situation suivante: 8 gagnent le smic, 1 (le professeur) gagne une fois et demie le smic, et le dernier individu gagne 100 fois le
smic. »
Je souris parce que je me doutais que tu me proposerais ce type de démonstration. Quand le philosophe est pris en défaut, il s’en tire par une pirouette rhétorique. Quand c’est le matheux, il use
d’une pirouette arithmétique. Or Descartes est philosophe et mathématicien… Tu veux avoir raison à tout prix, c’est ton droit. Méfie-toi tout de même de ne pas trop jouer avec l’honnêteté
intellectuelle.
A mon avis, tu as décrété qu’il n’y avait pas de « déclin de la rémunération » pour les enseignants, et tu es assez habile pour toujours trouver un argument abondant dans ce sens. En
faisant quelques recherches pour te répondre, j’ai trouvé des arguments en faveur de ce déclin relatif de rémunération, d’autres arguments intéressants contre cela. Le problème a l’air assez
complexe. Je n’ai pas de religion sur la question. Le déclin relatif est sans doute lui-même… à relativiser. Mais reconnais-tu qu’il peut exister ?
En plus, ton raisonnement omet un point : depuis le début des années 1980, la catégorie « cadres du privé » (mieux rémunérés que les enseignants) a explosé… Même si plus de gens
sont au SMIC.
Je vois que la confiance règne…
Ce n’est pas une question de confiance. Je ne mets pas en doute ta bonne foi, mais une erreur est toujours possible. Et surtout, il est difficile d’interpréter des statistiques si l’on ne sait
pas comment elles ont été faites.
Mais je me suis trompé. J’avais lu cela dans une brochure syndicale.
Très mauvaise source, en général.
Par ailleurs, ta comparaison contient une erreur de taille. Le salaire du PGEC que tu prends pour 1980 inclut toute une série de primes, qui représentent 40% de son salaire. Si l’on déduit ces
primes, on trouve un salaire de quelque 5000 F, soit un peu moins de deux fois le SMIC. Pour compléter la comparaison, il faudrait comparer non pas au SMIC mais au salaire médian, puisqu’on parle
ici de “rémunération relative”.
L’intervenant évoquait aussi le « déclin relatif en terme de considération ». C’est ce point-là que je soulignais.
D’accord, mais ce point n’était pas contesté. Je ne nie nullement qu’il y ait un “déclin relatif en termes de considération” des enseignants, déclin auquel les enseignants ont d’ailleurs
largement contribué en tirant contre leur propre camp depuis 1968.
Quand le philosophe est pris en défaut, il s’en tire par une pirouette rhétorique.
En effet, en effet. C’est un peu ce que tu fais ici, en te moquant de mon exemple sans répondre sur le fond. Pourtant je maintiens mon commentaire: la baisse “relative” du salaire nécessite qu’on
s’intéresse à la forme de la pyramide salariale. Il ne suffit pas de constater une diminution du salaire en question par rapport au SMIC.
En faisant quelques recherches pour te répondre, j’ai trouvé des arguments en faveur de ce déclin relatif de rémunération, d’autres arguments intéressants contre cela. Le problème a l’air
assez complexe.
Tout à fait. Tu remarqueras que, contrairement à ce dont tu m’accuses, je n’ai jamais pris position sur le “déclin”. J’ai simplement demandé sur quelles informations tu fondais ta croyance que ce
déclin était un fait. Le problème est en effet très complexe, pour la raison que j’ai dit plus haut: on ne peut pas ignorer la question de la forme de la pyramide salariale.
“Le problème, c’est qu’il a eu une “bulle” des ingénieurs en informatique. Comme l’industrie payait des mille et des cents – et que le boulot est plus facile que sur un site de production ou
sur un chantier – tout le monde a voulu étudier ça. Conséquence: dix ans plus tard, on se trouve avec des ingénieurs informaticiens à ne plus savoir qu’en faire. Et forcément, ça fait baisser les
prix. “
Précisément ! Les rentes occupationnelles sont fragiles et ne durent que le temps que laisse le marché du travail. Au contraire, les positions de direction apportent des privilèges beaucoup plus
durables car structurels à l’organisation du capitalisme.
Pour en revenir aux profs, l’exemple de ” nationalistejacobin” est juste ; ton
contre-exemple n’est guère convaincant : la distribution des revenus est biaisée vers le bas et les profs évoluent bien vers la base de la pyramide. Je trouverai à l’occasion une source plus
précise, mais le fait n’est pas contesté.
Quant à la “prolétarisation”, je ne crois pas que le terme soit faux si l’on s’accorde à décrire un processus, et non un aboutissement. Quand une qualification se banalise et ne dispose pas de
moyens institutionnels d’interdire la concurrence, son statut relatif se dégrade et sa rémunération avec.
“je vois plusieurs “intérêts communs”. Le premier, est de coincer l’ascenseur social pour empêcher que les classes populaires viennent faire concurrence à leurs propres enfants.”
Tu as raison, c’est une logique de “guerre de tous contre tous” qui prévaut dans certains contextes. Il s’agit justement de la surmonter par une perspective politique unifiante pour le salariat.
C’est justement la difficulté qui nous occupe.
Précisément ! Les rentes occupationnelles sont fragiles et ne durent que le temps que laisse le marché du travail.
Pas plus “fragiles” que les autres. Les effets de bulle qui affectent les rentes occupationnelles affectent aussi la rente du capital. J’avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi tu trouves si
difficile d’admettre que le “capital immatériel” est sujet aux mêmes aléas et procure les mêmes avantages que le “capital matériel” (y compris, comme l’a si bien montré Bourdieu, l’héritage).
Au contraire, les positions de direction apportent des privilèges beaucoup plus durables car structurels à l’organisation du capitalisme.
Les “positions de direction” sont généralement liées à un “capital immatériel”. Et elles sont aussi fragiles que n’importe quelle autre “rente occupationnelle”.
Pour en revenir aux profs, l’exemple de ” nationalistejacobin” est juste ; ton contre-exemple n’est guère convaincant :
la distribution des revenus est biaisée vers le bas et les profs évoluent bien vers la base de la pyramide.
Peut-être. Mais comme la base de la pyramide s’élargit, ce qui suppose que d’autres évoluent, eux aussi, vers la base, il n’est pas évident qu’en termes relatifs les profs aient perdu plus que
les autres.
Je trouverai à l’occasion une source plus précise, mais le fait n’est pas contesté.
Au contraire. Il est très contesté. Sous son apparente simplicité, c’est en fait un problème très complexe pour une autre raison: le métier de professeur a changé et la société aussi. En
cinquante ans, lez métierz de l’enseignement sont descendus relativement dans l’échelle des qualifications. A l’époque où seul 15% des français arrivaient au niveau du bac, l’instituteur se
trouvait dans le 15% le plus qualifié. Aujourd’hui, avec une licence l’instituteur n’est plus dans les 15% ls mieux formés.
Le débat sur le salaire des enseignants rappelle un peu celui sur la qualité de l’enseignement. Il est incontestable que le niveau moyen des bacheliers lycée a beaucoup baissé.
Mais si l’on prend le meilleur 15% aujourd’hui et on le compare au bachelier du temps ou seuls 15% passaient le bac, on constate que le niveau s’est au contraire amélioré…
Quant à la “prolétarisation”, je ne crois pas que le terme soit faux si l’on s’accorde à décrire un processus, et non un aboutissement. Quand une qualification se banalise et ne dispose pas
de moyens institutionnels d’interdire la concurrence, son statut relatif se dégrade et sa rémunération avec.
Et c’est très heureux. Autrement on serait dans une société figée. Mais je persiste a considérer que l’idée même de “prolétarisation” des enseignants est une fiction. Dans la mesure où les
enseignants continuent – du moins dans le public – a décider souverainement combien de valeur ils produisent, l’idée d’exploitation est assez difficile à concevoir.
Il s’agit justement de la surmonter par une perspective politique unifiante pour le salariat. C’est justement la difficulté qui nous occupe.
C’est souhaitable, mais à mon avis impossible. Les intérêts des différentes couches du salariat sont antagoniques, et on voit mal alors comment elles pourraient être “unifiées”. Se poser comme
objectif d’unifier et de donner une representation politique aux exploités, cela me semble dejà un objectif suffisamment ambitieux.
Voici la référence d’une note de la FSU sur la rémunération des enseignants :http://www.fsu.fr/IMG/pdf/doss_fp_090903_fsu_remuneration_des_enseignants.pdf – la source est éidemment “partiale”.
Une étude du CEPREMAP évalue à 31.5% l’augmentation du salaire nominale des professeurs de 1990 à 2005, contre 45.6% pour les cadres hors Education Nationale.
Voici la référence d’une note de la FSU sur la rémunération des enseignants :http://www.fsu.fr/IMG/pdf/doss_fp_090903_fsu_remuneration_des_enseignants.pdf – la source est éidemment
“partiale”.
Le problème n’est pas tant sa partialité que le fait qu’il ne contient pas les bons chiffres. Ce qui est important, ce n’est pas le “traitement indiciaire” (qui, par rapport au privé, tend à
baisser pour toutes les catégories de fonctionnaires) mais les sommes effectivement payées (c’est à dire, comprennant les indemnités, les primes et autres compléments, qui eux
tendent à représenter une part croissante de la paye des fonctionnaires). Je peux t’assurer que je ne fais pas du mauvais esprit: je suis tout à fait prêt à admettre que les professeurs aient vu
leur revenu baisser en termes relatifs si c’est demontré chiffres en main. Mais curieusement personne ne montre jamais les chiffres.
En ce qui concerne la rémunération des enseignants, j’ai trouvé ce papier :
http://ces.univ-paris1.fr/membre/Gary-Bobo/fonctionnaires06e.pdf
C’est un papier intéressant, mais qui malheureusement est très pauvre en chiffres et qui pose des problèmes méthodologiques. En particulier, en le lisant on ne comprend pas bien si la comparaison
est faite sur les traitements indiciaires ou sur la rémunération réelle (c’est çà dire, primes et indemnités comprises).
Ce papier pose aussi une question intéressante, qui est souvent négligée lorsqu’on parle de “prolétarisation des enseignants” (et, au delà, des fonctionnaires). A combien faut-il évaluer
économiquement la sécurité de l’emploi ? Car celle-ci constitue une assurance, et à ce titre a une valeur qui est proportionnelle au risque chômage dans la société. Pour savoir si les enseignants
sont plus ou moins “exploités” qu’il y a cinquante ans, il faudrait faire rentrer ce paramètre dans l’équation.
Je pense que je vous ai mal compris alors, je m’en excuse.
Je connais des centraliens qui n’ont pas trouvé quoi que ce soit à la sortie (plusieurs mois de chômage) qui correspondaient à ce pour quoi ils étaient formés, comme vous le racontez vous même.
Ils ont donc pris d’autres postes et n’arrivent pas à revenir dans leur branche ‘d’origine’ car on leur reproche cet “écart de parcours”. Mais en dehors des “très” grandes écoles, c’est pas
facile facile non plus pour un ingénieur de trouver du boulot, que ce soit en mécanique, industrie ou autre. Mais ça, c’est pour tout le monde. Le taux de chômage n’est pas une nouveauté mais ces
catégories de personnes “découvrent” ce que c’est et qu’elles peuvent êtes touchées aussi. Cela suffira-t-il a faire évoluer leur point de vue sur le libre-échange et sur l’euro par exemple ?
Je sais bien que des “classes moyennes” qui se plaignent vous fassent un peu grincer des dents tant elles ont été insensibles pendant des années à ces problématiques tant qu’elles ne les
concernaient pas. En tout cas, il existe un sentiment – réel ou fantasmé – que la situation est bien plus difficile aujourd’hui qu’il y a 40 ans où une grande école aurait été un gage d’emploi et
de situation assurée.
Mais en faisant abstraction du passé, quand je vois des collègues ramer après une école d’ingénieur en SSII pour des salaires bas (hors paris et pas les écoles catégories A ou B), de la précarité
et des horaires délirants, j’ai du mal à appeler ça “classes moyennes”. Pas vous ? En tout cas, selon votre définition, je ne trouve pas que ça colle. Pour moi ces personnes se font extraire une
jolie plus-value. J’ai du mal employer le terme “prolétarisation” qui pour moi signifiait “sortir des classes moyennes”. Mais visiblement j’ai eu tort: comment définiriez-vous donc ce terme selon
vos propres définitions ?
Pour ma part, mon usine délocalise en Slovaquie et je pourrai tâter la réalité du marché de l’emploi bientôt. On notera avec une certaine amertume la grande efficacité qu’aurait pu avoir un
protectionnisme européen dans ce cas là (quelle blague…).
En tout cas, il existe un sentiment – réel ou fantasmé – que la situation est bien plus difficile aujourd’hui qu’il y a 40 ans où une grande école aurait été un gage d’emploi et de situation
assurée.
Je ne mets pas en doute votre parole, mais j’avoue être surpris par votre exemple de centraliens qui auraient chômé plusieurs mois après leur sortie sans trouver “quoi que ce soit qui corresponde
à ce pour quoi ils étaient formés”. A moins que cette école – qui pourtant a une réputation généraliste – aie des formations très spécialisées dans des domaines particuliers, je vois mal comment
cela est possible, étant donné l’énorme demande non satisfaite d’ingénieurs généralistes.
Mais en faisant abstraction du passé, quand je vois des collègues ramer après une école d’ingénieur en SSII pour des salaires bas (hors paris et pas les écoles catégories A ou B), de la
précarité et des horaires délirants, j’ai du mal à appeler ça “classes moyennes”. Pas vous ?
Moi aussi, si j’en connaissait. Mais j’avoue que ce n’est pas le cas. Je connais des sortis d’école d’ingénieur qui rament dans des SSII avec de la précarité et les horaires délirants, mais pour
d’excellents salaires. Ou alors qui prennent des postes en entreprise pour des salaires plus faibles mais en CDI et avec des horaires décents. Je ne connais personne qui soit dans la situation
que vous décrivez.
J’ai du mal employer le terme “prolétarisation” qui pour moi signifiait “sortir des classes moyennes”. Mais visiblement j’ai eu tort: comment définiriez-vous donc ce terme selon vos propres
définitions ?
Puisque pour moi la ligne qui sépare les classes moyennes du prolétariat est la production de plus-value, il est clair que se “prolétarise” celui qui pour une raison quelconque a perdu le
“capital immatériel” qui lui permet de négocier son salaire de manière à récupérer la valeur qu’il produit, et qui est obligé à accepter un salaire plus bas.
Pour ma part, mon usine délocalise en Slovaquie et je pourrai tâter la réalité du marché de l’emploi bientôt. On notera avec une certaine amertume la grande efficacité qu’aurait pu avoir un
protectionnisme européen dans ce cas là (quelle blague…).
J’en suis sincèrement désolé pour vous, et j’espère que vous aurez l’opportunité de rebondir. C’est dans ce genre de situation qu’on prend conscience que la politique économique ce n’est
pas seulement une question théorique, mais que des décisions prises dépend la vie quotidienne d’hommes et de femmes en chair et en os.
“Si l’on déduit ces primes, on trouve un salaire de quelque 5000 F, soit un peu moins de deux fois le SMIC.”
Exact. Sachant qu’un certifié débutant gagnait un peu plus qu’un PEGC, on arrive à environ deux fois le SMIC. Je n’étais donc pas si loin de la réalité dans mon premier commentaire. Ajoutons que
certaines primes ont disparu.
“Pour compléter la comparaison, il faudrait comparer non pas au SMIC mais au salaire médian, puisqu’on parle ici de “rémunération relative”.”
Je ne suis pas contre. Mon propos était de montrer que l’écart entre SMIC et salaire de base d’un enseignant débutant s’est considérablement réduit. Mais je n’ai pas prétendu qu’il s’agissait du
seul facteur à prendre en compte pour parler de “déclin relatif”.
“C’est un peu ce que tu fais ici, en te moquant de mon exemple sans répondre sur le fond.”
Pas faux. Mais il n’y avait pas de méchanceté. Je notais juste que si un paramètre de l’équation ne va pas dans ton sens, tu as souvent tendance à en ajouter un. Par exemple, là, tu me parles du
salaire médian. J’ignore ce qu’il en était en 1980. Actuellement, il tourne autour de 1 500 €, non? Mais je vais me renseigner sur l’évolution du salaire d’un enseignant débutant par rapport au
salaire médian.
En revanche, je te rejoins pour nier la “prolétarisation” du métier d’enseignant, idée défendue par J. Halpern. L’expression me paraît très excessive. Je suis d’autre part assez d’accord pour
reconnaître que la sécurité de l’emploi est une assurance qui doit être prise en compte, depuis qu’on a quitté le plein-emploi d’après-guerre.
“déclin auquel les enseignants ont d’ailleurs largement contribué en tirant contre leur propre camp depuis 1968.”
“Beaucoup d’enseignants” seraient plus juste. Nous étions d’accord, il y a quelques temps, pour dire que ce corps est divisé et manque souvent de cohésion (ce qui est dommage dans certains
domaines). Dans ces conditions, toute généralisation est abusive. Mais nous savons que les enseignants font partie des fameuses “classes moyennes” contre lesquelles tu mènes une lutte sans
rémission…
Puisqu’on en vient à ce sujet, il y a des questions que je me pose, que jusqu’à présent je n’osais pas te poser, mais puisque je suis lancé… Qui es-tu? Cette question ne concerne pas ton état
civil, qui n’a aucune espèce d’importance. Mais quelle est ta place dans la société? D’où parles-tu?
Récapitulons (je te lis avec attention, et plaisir d’ailleurs, depuis pas mal de temps déjà): tu as fait des études d’économie (avec M. Généreux comme professeur), tu connais bien la filière
nucléaire, les équations différentielles, tu as travaillé en Allemagne et en Amérique latine, tu as été membre (peut-être dirigeant) du PCF, tu connais sur le bout des doigts les intérêts des
classes moyennes et ceux des classes populaires. En histoire, en philosophie, en science, je ne sais pas si Jean-Luc
Ajoutons que certaines primes ont disparu.
Et d’autres ont été créées. D’une façon générale, la part des primes et indemnités dans la paye des fonctionnaires a augmenté ces dernières années. La baisse relative du traitement indiciaire
n’est donc pas suffisante pour conclure à la baisse du revenu des enseignants.
Pas faux. Mais il n’y avait pas de méchanceté.
Bien entendu, et tu sais que je ne l’ai jamais pris autrement. J’aime bien moi aussi un débat “épicé”…
Par exemple, là, tu me parles du salaire médian. J’ignore ce qu’il en était en 1980. Actuellement, il tourne autour de 1 500 €, non? Mais je vais me renseigner sur l’évolution du salaire d’un
enseignant débutant par rapport au salaire médian.
Tu trouveras ici l’évolution des moyennes et des médianes du
“niveau de vie” (c’est le revenu par individu). Le problème est qu’elles sont exprimées en euros 2009. Si tu veux comparer aux revenus des enseignants, il faut s’assurer qu’ils sont corrigés de
l’inflation. Je te le dis, la comparaison est assez difficile à établir.
“déclin auquel les enseignants ont d’ailleurs largement contribué en tirant contre leur propre camp depuis 1968”. “Beaucoup d’enseignants” seraient plus juste.
Tu as raison. Les généralisations absolues sont en général une erreur.
Puisqu’on en vient à ce sujet, il y a des questions que je me pose, que jusqu’à présent je n’osais pas te poser, mais puisque je suis lancé… Qui es-tu? Cette question ne concerne pas ton
état civil, qui n’a aucune espèce d’importance. Mais quelle est ta place dans la société? D’où parles-tu?
Tu me permettras de garder là dessus une certaine discrétion. Ma situation actuelle m’oblige au devoir de réserve le plus strict, et je n’ai pas envie qu’un lecteur qui me serait proche puisse
faire le rapprochement. La seule chose que je puisse te dire est que je ne suis pas né en France, que j’ai vécu plusieurs années à l’étranger, que j’ai fait beaucoup de métiers, que j’ai eu des
responsabilités politiques et syndicales, que j’ai du commencer à travailler jeune et que je n’ai pu reprendre les études que sur le tard…
Récapitulons (je te lis avec attention, et plaisir d’ailleurs, depuis pas mal de temps déjà): tu as fait des études d’économie (avec M. Généreux comme professeur), tu connais bien la filière
nucléaire, les équations différentielles, tu as travaillé en Allemagne et en Amérique latine, tu as été membre (peut-être dirigeant) du PCF, tu connais sur le bout des doigts les intérêts des
classes moyennes et ceux des classes populaires. En histoire, en philosophie, en science, je ne sais pas si Jean-Luc
Ton message s’arrête malheureusement là… et c’est dommage, parce que tu étais en train de me dire des choses fort gentilles. Renvoie par mail le message complet, pour que je puisse rétablir la
fin…
Pas de panique! Je garde toujours une copie…
Récapitulons (je te lis avec attention, et plaisir d’ailleurs, depuis pas mal de temps déjà): tu as fait des études d’économie (avec M. Généreux comme professeur), tu connais bien la filière
nucléaire, les équations différentielles, tu as travaillé en Allemagne et en Amérique latine, tu as été membre (peut-être dirigeant) du PCF, tu connais sur le bout des doigts les intérêts des
classes moyennes et ceux des classes populaires. En histoire, en philosophie, en science, je ne sais pas si Jean-Luc Mélenchon t’arrive à la cheville. Je dois t’avouer que je ne peux m’empêcher
de penser que ça fait beaucoup pour un seul homme.
Mais surtout: es-tu sûr de ne pas être toi-même membre… des classes moyennes? Tu écris: “l’intérêt des classes moyennes, c’est ça”. Mais comment le sais-tu? Sur quel échantillon représentatif
t’appuies-tu? Les classes moyennes sont composées de professions variées dont les intérêts peuvent être antagonistes, contrairement aux ouvriers qui peuvent constituer dans l’ensemble une
catégorie plus homogène (encore que…). Tu me répondras peut-être que le comportement électoral est un bon indice. D’accord. Mais les policiers, les CRS et les militaires votent-ils comme les
enseignants? Pourtant, ils ne sont ni des exploiteurs capitalistes, ni des prolétaires exploités. Il me paraît assez difficile de s’y retrouver dans la marais des “professions
intermédiaires”.
J’ai lu ailleurs, sur l’article suivant je crois, que Mélenchon n’a pas réussi à séduire les couches populaires. Eh bien tout porte à croire que ce ne soit pas si vrai que cela. D’après une étude
à la sortie des urnes, beaucoup de petits fonctionnaires ont voté Mélenchon. Or ces employés de base de la fonction publique (j’en connais) ne sont guère plus riches que les ouvriers qui sont au
bas de l’échelle dans le secteur privé, qui eux (d’après ce que disait le sondeur) ont plutôt voté pour Mme Le Pen. Donc quand tu parles des “classes populaires”, tu exclues toute une catégorie
de petits employés du public. Alors qu’est-ce qui fait qu’on est ou pas membre des “classes populaires”? Le fait d’être exploité? Le statut
(privé/public)? Le revenu?
Les grutiers ou certains ouvriers spécialisés dans des secteurs de pointe gagnent plus que moi. Certains d’entre eux profitent (et c’est bien normal) de la pénurie dans leur secteur pour négocier
de très belles rémunérations. Question: sont-ils exploités? Sont-ils membres des “classes populaires”? Et pourquoi? Il y a des secteurs où, sans être bardé de diplôme, on peut faire une très
belle carrière professionnelle. Je pense au bâtiment. Tel ancien maçon ou charpentier devient contremaître, et parfois fonde son entreprise, devenant patron. Alors? Est-il dans les “classes
populaires”? En est-il sorti? Et n’est-ce pas au fond le voeu le plus cher des “classes populaires”? Ne plus en faire partie…
Récapitulons (je te lis avec attention, et plaisir d’ailleurs, depuis pas mal de temps déjà): tu as fait des études d’économie (avec M. Généreux comme professeur), tu connais bien la filière
nucléaire, les équations différentielles, tu as travaillé en Allemagne et en Amérique latine, tu as été membre (peut-être dirigeant) du PCF, tu connais sur le bout des doigts les intérêts des
classes moyennes et ceux des classes populaires. En histoire, en philosophie, en science, je ne sais pas si Jean-Luc Mélenchon t’arrive à la cheville. Je dois t’avouer que je ne peux m’empêcher
de penser que ça fait beaucoup pour un seul homme.
Eh bien… peut-être que je suis plusieurs ? En tout cas, merci de ce panégyrique, même si je ne suis pas très sur de le mériter…
Mais surtout: es-tu sûr de ne pas être toi-même membre… des classes moyennes?
Je confesse volontiers ce pêché, pour lequel je fais depuis des longues années pénitence afin de me racheter. Oui, bien sur, je suis membre des classes moyennes depuis de longues années. De temps
en temps, je suis moi aussi la proie des réactions qui vont avec (faut-il envoyer ses enfants à l’école privée ?, est-ce que la victoire de Hollande ne va pas faire baisser mes maigres SICAV ?).
Mais j’essaye à chaque fois de faire la part des choses.
Tu écris: “l’intérêt des classes moyennes, c’est ça”. Mais comment le sais-tu? Sur quel échantillon représentatif t’appuies-tu?
L’intérêt d’une catégorie ne peut être établi que par raisonnement. Interroger un “échantillon”, aussi représentatif soit-il ne te donnera que la perception que la catégorie a de
ses intérêts, mais jamais une information objective sur ceux-ci. Personnellement, j’ai tendance à faire l’hypothèse – fort discutable, je le sais – que les individus sont rationnels dans leurs
comportements bien plus que dans les discours, et qu’ils sont assez conscients de leurs intérêts. On peut alors essayer de déduire les intérêts d’une couche sociale de son comportement ou de son
vote.
Les classes moyennes sont composées de professions variées dont les intérêts peuvent être antagonistes, contrairement aux ouvriers qui peuvent constituer dans l’ensemble une catégorie plus
homogène (encore que…).
Si la classe ouvrière a un intérêt de classe au delà des intérêts liés à tel ou tel métier particulier, c’est parce qu’ils sont tous soumis à un mécanisme commun, qui est celui de l’exploitation.
Si les classes moyennes ont un intérêt commun, au delà de la diversité professionnelle, c’est parce qu’ils échappent au mécanisme de l’exploitation grâce à un “capital immatériel”. C’est le fait
d’occuper une position équivalente dans le mode de production qui fabrique l’intérêt de classe, et cela est aussi vrai pour les couches moyennes que pour la classe ouvrière. Au delà de cet
intérêt de classe, les divers secteurs peuvent avoir des intérêts différents voir opposés, mais cela est vrai autant pour le prolétariat ou les classes moyennes que pour la bourgeoisie.
Tu me répondras peut-être que le comportement électoral est un bon indice. D’accord. Mais les policiers, les CRS et les militaires votent-ils comme les enseignants? Pourtant, ils ne sont ni
des exploiteurs capitalistes, ni des prolétaires exploités.
J’aurais tendance à placer les policiers, les CRS et surtout les militaires dans la catégorie des “prolétaires exploités”, au contraire. Du point de vue du “pouvoir de négociation” individuel,
ils sont tout au bas de l’échelle: non seulement ils n’ont aucun contrôle sur la valeur qu’ils produisent (puisqu’ils sont soumis à une organisation du travail verticale), mais ils n’ont non plus
aucun “capital immatériel” à valoriser sur le marché. Quel moyen ont-ils d’obliger leur employeur a équilibrer leur paye avec la valeur qu’ils produisent ?
C’est tout le contraire du professeur, qui lui a non seulement un “capital immatériel”, mais aussi un contrôle quasi-absolu sur l’organisation de son travail. Pas étonnant dans ces conditions que
CRS, policiers et militaires votent souvent plutôt comme les couches populaires, alors que les professeurs votent généralement comme les autres classes moyennes.
J’ai lu ailleurs, sur l’article suivant je crois, que Mélenchon n’a pas réussi à séduire les couches populaires. Eh bien tout porte à croire que ce ne soit pas si vrai que cela. D’après une
étude à la sortie des urnes, beaucoup de petits fonctionnaires ont voté Mélenchon.
Ce sondage est-il publié ? Quelle est la nature de ces “petits fonctionnaires” ?
Or ces employés de base de la fonction publique (j’en connais) ne sont guère plus riches que les ouvriers qui sont au bas de l’échelle dans le secteur privé, qui eux (d’après ce que disait le
sondeur) ont plutôt voté pour Mme Le Pen.
Encore une fois, la ligne de partage ne passe pas par la “richesse” mais par le “pouvoir de négociation”, qui est la conséquence d’un “capital immatériel”. Même lorsqu’il est peu payé, le “petit
fonctionnaire” détient un capital immatériel qui est la garantie de l’emploi. Ce qui lui permet de négocier avec son employeur autrement mieux que s’il pouvait être licencié le partage de la
valeur qu’il produit. Il y des gens qui ont des revenus faibles non parce qu’ils sont “exploités”, mais tout simplement parce qu’ils travaillent dans des activités à la productivité très faible.
Si je produis en valeur un demi-smic et je suis payé un demi-smic, je ne suis pas “exploité”, même si je meurs de faim. Ce qui est révélateur, et qui tend à appuyer ma théorie, est que ces gens
là – petits commerçants, petits artisans, indépendants divers et variés – ont tendance à voter comme les classes moyennes (ma théorie est qu’ils en sont) et non comme les ouvriers.
Donc quand tu parles des “classes populaires”, tu exclues toute une catégorie de petits employés du public.
Oui, mais c’est une catégorie relativement limitée.
Alors qu’est-ce qui fait qu’on est ou pas membre des “classes populaires”? Le fait d’être exploité? Le statut (privé/public)? Le revenu?
Pour moi, le fait d’être exploité. C’est le fondement de toute ma théorie, qui schématiquement distingue trois groupes: les exploiteurs, les exploités, et ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre.
Les grutiers ou certains ouvriers spécialisés dans des secteurs de pointe gagnent plus que moi.
Certainement. Mais peut-être qu’ils produisent plus de valeur que toi ? La productivité de toutes les activités n’est pas la même, et le fait d’être exploité tient à la différence entre
valeur produite et valeur payée…
Certains d’entre eux profitent (et c’est bien normal) de la pénurie dans leur secteur pour négocier de très belles rémunérations. Question: sont-ils exploités?
Réponse: non si leur rémunération n’est pas égale à la valeur qu’ils produisent, oui dans le cas contraire. Ce n’est pas la “beauté” de la rémunération qui compte, mais le rapport de celle-ci
avec la valeur produite.
Sont-ils membres des “classes populaires”? Et pourquoi?
S’ils sont exploités, oui. Sinon, non. Je précise qu’on parle ici de “classe” ou “couche sociale” au sens économique du terme, et non au ses sociologique.
Il y a des secteurs où, sans être bardé de diplôme, on peut faire une très belle carrière professionnelle. Je pense au bâtiment. Tel ancien maçon ou charpentier devient contremaître, et
parfois fonde son entreprise, devenant patron. Alors? Est-il dans les “classes populaires”?
Quand il devient patron, non. Je pense avoir donné un critère assez clair pour faire la distinction.
En est-il sorti? Et n’est-ce pas au fond le voeu le plus cher des “classes populaires”? Ne plus en faire partie…
Bien entendu. C’est même le moteur de l’expansion économique des trente dernières années. On est exploité par nécessité, pas par vocation.
“En tout cas, merci de ce panégyrique”
Je n’ai fait que résumer ce que tu as écrit ou ce qui transparait de tes interventions ici ou là… Ce n’était pas dans mon esprit un “panégyrique”. Il n’y a rien d’obséquieux, je crois, à
reconnaître les qualités intellectuelles d’un contradicteur…
“Je confesse volontiers ce pêché, pour lequel je fais depuis des longues années pénitence afin de me racheter.”
C’est là que je ne te comprends pas: pourquoi parler de “péché”? Tu reconnais que les exploités n’ont qu’un souhait: ne plus être exploité. Dans ces conditions, je ne vois pas quelle “pénitence”
doivent s’imposer ceux qui sont “montés”. As-tu le sentiment d’avoir pris la place de quelqu’un qui la méritait davantage? Je suis né et j’ai grandi
dans la classe moyenne. Mon père me disait: “Travaille à l’école, c’est ainsi que tu réussiras dans la vie”. C’est ce que j’ai fait. Et j’ai passé le CAPES. Voilà. Je ne vois aucune raison de
faire pénitence.
“Mais j’essaye à chaque fois de faire la part des choses.”
Si Descartes est capable de le faire, pourquoi d’autres ne pourraient-ils pas le faire?
“C’est tout le contraire du professeur, qui lui a non seulement un “capital immatériel”, mais aussi un contrôle quasi-absolu sur l’organisation de son travail.”
Je voudrais que tu m’expliques ce que tu appelles ici “organisation du travail”. Je tiens à rappeler que lorsqu’on devient professeur, on ne signe aucun contrat, on ne négocie aucun salaire. La
rémunération est statutaire. Nos obligations de service sont définies par des décrets, et je n’ai pas le souvenir qu’on nous demande notre avis. La grande majorité des enseignants n’a guère
d’influence sur la rédaction des programmes. Les professeurs ne sont sans doute pas à plaindre, mais je crois que tu t’illusionnes grandement sur leur “pouvoir”. D’autant que la dramatique
absence d’ “esprit de corps” rend difficile une action collective efficace.
“Encore une fois, la ligne de partage ne passe pas par la “richesse” mais par le “pouvoir de négociation”,”
D’accord. Mais dans ce cas, ce que tu nommes “classes populaires” comprend un certain nombre de travailleurs (même s’ils ne sont pas majoritaires) qui gagnent très bien leur vie, et même qui
gagnent plus que certains membres des “classes moyennes”. Je le souligne, parce que, en général, quand on dit “classes populaires” on pense souvent aux gens modestes. Or les gens modestes ne sont
pas tous exploités, et les exploités ne sont pas tous modestes.
“Ce qui est révélateur, et qui tend à appuyer ma théorie, est que ces gens là – petits commerçants, petits artisans, indépendants divers et variés – ont tendance à voter comme les classes
moyennes (ma théorie est qu’ils en sont) et non comme les ouvriers.”
De quel vote parles-tu? Du vote FN? Je tiens à dire que, au-delà des antagonismes de classe, l’hostilité du corps enseignant (public) envers le FN tient aussi au fait que le FN a longtemps
manifesté
C’est là que je ne te comprends pas: pourquoi parler de “péché”?
Par ironie…
Tu reconnais que les exploités n’ont qu’un souhait: ne plus être exploité. Dans ces conditions, je ne vois pas quelle “pénitence” doivent s’imposer ceux qui sont “montés”. As-tu le sentiment
d’avoir pris la place de quelqu’un qui la méritait davantage? Je suis né et j’ai grandi dans la classe moyenne. Mon père me disait: “Travaille à l’école, c’est ainsi que tu réussiras dans
la vie”. C’est ce que j’ai fait. Et j’ai passé le CAPES. Voilà. Je ne vois aucune raison de faire pénitence.
Bien entendu, je partage cette position. Seulement, comme tu m’avais accusé de “persécuter” les classes moyennes, j’ai voulu me moquer (gentiment) de toi…
Si Descartes est capable de le faire, pourquoi d’autres ne pourraient-ils pas le faire?
Parce que Descartes est unique, bien entendu! Plus sérieusement, je suis persuadé qu’il a dans les classes moyennes – comme dans la bourgeoisie – beaucoup de gens qui ont une vision critique de
leurs intérêts de classe. Il y a bien des milliardaires qui donnent toute leur fortune aux bonnes oeuvres. Mais c’est l’exception, et non la règle.
“C’est tout le contraire du professeur, qui lui a non seulement un “capital immatériel”, mais aussi un contrôle quasi-absolu sur l’organisation de son travail.” Je voudrais que tu m’expliques
ce que tu appelles ici “organisation du travail”. Je tiens à rappeler que lorsqu’on devient professeur, on ne signe aucun contrat, on ne négocie aucun salaire. La rémunération est statutaire. Nos
obligations de service sont définies par des décrets, et je n’ai pas le souvenir qu’on nous demande notre avis.
Certes. Mais le professeur a une possibilité que n’ont pas véritablement les autres travailleurs: celle de fixer sa propre norme de rendement. J’ai eu des professeurs qui actualisaient leur cours
tous les ans, et d’autres qui répétaient depuis trente ans le même cours. J’en ai eu qui cherchaient en permanence des moyens de faire progresser leur classe, et d’autres qui débitaient leur
parlement en se foutant royalement de ce qu’on pouvait retenir de leur charabia. Et tous étaient payés la même chose à la fin du mois. Les “obligations de service” définies par les décrets
donnent en fait un plancher (heures de présence… et guère plus). Mais le professeur reste en grande partie maître de la quantité de travail qu’il fournit en échange de sa paye. En d’autres
termes, les autres travailleurs sont obligés de fournir une quantité de travail et négocient la paye. Le professeur reçoit une paye fixe et négocie la quantité de travail.
“Encore une fois, la ligne de partage ne passe pas par la “richesse” mais par le “pouvoir de négociation”,” D’accord. Mais dans ce cas, ce que tu nommes “classes populaires” comprend un
certain nombre de travailleurs (même s’ils ne sont pas majoritaires) qui gagnent très bien leur vie, et même qui gagnent plus que certains membres des “classes moyennes”.
Je n’ai jamais dit le contraire.
Je le souligne, parce que, en général, quand on dit “classes populaires” on pense souvent aux gens modestes. Or les gens modestes ne sont pas tous exploités, et les exploités ne sont pas tous
modestes.
Je crois avoir justement dénoncé sur ce blog la vision “misérabiliste” qui confond “populaire” et “pauvre”.
De quel vote parles-tu? Du vote FN?
Pas nécessairement. le vote de ces catégories a beaucoup varié dans le temps.
Je tiens à dire que, au-delà des antagonismes de classe, l’hostilité du corps enseignant (public) envers le FN tient aussi au fait que le FN a longtemps manifesté
Encore une fois ton message est coupé… j’ai l’impression que cet accident affecte ceux qui rédigent leurs messages sur un autre logiciel et font du copier-coller au lieu d’utiliser l’outil de
traitement de texte d’Over-blog…
Bonjour à tous,
Nationalistejacobin s’est risqué à un élan d’indiscrétion – quoiqu’on dise habituellement que les questions ne sont jamais
indiscrètes, seules les réponses le sont – et je pense que c’était nécessaire. Un livre aussi bien soit-il fait ne porte jamais autant qu’un témoignage incarné. Et les contradictions que chacun
porte et assume sont bien plus convaincantes que tous les évangiles purs et lisses comme une boule de billard. Ainsi, comme nous nous en doutions – je me permets ce « nous » sans que
quoique ce soit m’y autorise – vous êtes, Descartes un échantillon, certes marginal mais pur jus tout de même, de la classe moyenne que vous ne cessez de vilipender. À l’excès à mon avis et à
tort souvent car vos critiques portent généralement plus sur un état artificiel, conventionnel ou dogmatique, et bien moins sur des actions réelles, des comportements habituels ou des pratiques
répétitives. C’est probablement parce que dans ce cas, on constaterait que ces actes, ces comportements se rencontrent systématiquement chez tous ceux à qui ils apportent un avantage, un
agrément, une image flatteuse, et ce dès que la possibilité leur est offerte. Et ce quelque soit leur appartenance à une classe quelconque. Il est fréquent de constater que les nouveaux parvenus,
les nouveaux riches et surtout ceux qui aspirent à cette condition sociale se comportent et plus radicalement encore que les impétrants cible de leur convoitise.
Bon, étant des « nôtres » et le reconnaissant surtout, la critique passera mieux et le sentiment de culpabilité sera
plus léger.
Vous écrivez :
« Réponse: non si leur rémunération n’est pas égale à la valeur qu’ils produisent,
oui dans le cas contraire. Ce n’est pas la “beauté” de la rémunération qui compte, mais le rapport de celle-ci avec la valeur produite »
Je crois qu’il y a là un sujet de réflexion fondamental. Il me semble l’avoir évoqué sans écho dans un commentaire récent. Notre
société « moderne » d’un peu plus d’un siècle s’est fondée sur des échanges – produits et services- dont la valeur reconnue, de plus ou moins bonne grâce par tous, était relativement
stable, avec des fluctuations lentes. Depuis quelques décennies, l’abondance, la diversité, les mœurs font que le terme de valeur que l’on emploie dans tous les discours, programmes ou théories,
ne peut véritablement mettre les gens d’accord sur ce que cela représente. La mobilité des matières, des matériels et des hommes fait que l’un ou
l’autre représentera des valeurs très différents d’une région ou d’un pays à l’autre et d’un moment à l’autre. Si nous n’arrivons pas à préciser les tenants et aboutissants dans l’emploi de ce
terme, je crains que nous ne soyons pour longtemps condamnés à une incompréhension généralisée.
Portez vous bien !
vous êtes, Descartes un échantillon, certes marginal mais pur jus tout de même, de la classe moyenne que vous ne cessez de vilipender.
Je n’en sais rien. Peut-être parce que j’ai commencé tout en bas, je suis toujours surpris, en voyant ma fiche de paye, d’être payé autant. Je ne suis pas persuadé que la valeur que je produis
vaut ce qu’on me paye… et j’ai donc beaucoup de mal de me voir en exploité 😉
Depuis quelques décennies, l’abondance, la diversité, les mœurs font que le terme de valeur que l’on emploie dans tous les discours, programmes ou théories, ne peut véritablement mettre les
gens d’accord sur ce que cela représente.
L’évaluation de la valeur est un problème complexe. Les théories abondent: outre celle qui associe la valeur à l’usage, on peut prendre celle de Ricardo (pour qui la valeur d’un bien était tout
simplement le travail investi dans sa fabrication) ou de Marx (pour qui la valeur du bien est la quantité de travail socialement nécessaire pour le fabriquer). J’adhère plutôt à cette dernière
vision.
Ben oui, mais il est difficile de relire le commentaire précédent quand on tape son propre commentaire… Mais je suis prévoyant.
Je tiens à dire que, au-delà des antagonismes de classe, l’hostilité du corps enseignant (public) envers le FN tient aussi au fait que le FN a longtemps manifesté une nette préférence pour l’
“école libre” comme on dit. D’autre part, Le Pen n’a jamais complètement tourné le dos à la rhétorique poujadiste de ses débuts, une rhétorique qui a toujours séduit les catégories que tu évoques
(et moins les ouvriers…). Le discours du FN reste quand même assez composite, et moins cohérent que celui du PCF d’autrefois.
“Mais peut-être qu’ils produisent plus de valeur que toi ?”
Je ne dis pas le contraire. Mais concernant le grutier, d’où vient la valeur réelle de son travail? De ce qu’il produit au sens strict ou de sa rareté sur le marché du travail? Ou bien la valeur
de ce que produit un grutier est-elle simplement et uniquement fonction du nombre de grutiers disponibles? Auquel cas, toute profession a intérêt à entretenir la pénurie. Mais y a-t-il pénurie de
professeurs? Je n’en suis pas convaincu. Certains rectorats ne sont pas trop exigeants pour embaucher des vacataires en cas de besoin. L’idée est en train de se répandre que “n’importe qui peut
être enseignant”. Et cette idée va faire perdre de la valeur à mon travail… Un vacataire fait le même travail que moi pour un salaire inférieur. Question: est-il exploité, c’est-à-dire payé en
dessous de la valeur qu’il produit? Si ce n’est pas le cas, alors l’autre explication est que moi, titulaire, suis surévalué par rapport à ce que je produis. Quel est ton avis là-dessus?
Un mot encore des classes populaires: pourquoi depuis les années 80 n’ont-elles pas été capables de mieux défendre leurs intérêts?
Je tiens à dire que, au-delà des antagonismes de classe, l’hostilité du corps enseignant (public) envers le FN tient aussi au fait que le FN a longtemps manifesté une nette préférence pour l’
“école libre” comme on dit. D’autre part, Le Pen n’a jamais complètement tourné le dos à la rhétorique poujadiste de ses débuts, une rhétorique qui a toujours séduit les catégories que tu évoques
(et moins les ouvriers…).
C’est certain. La laïcité et la République fait partie de la matrice symbolique des enseignants, et au delà de ses discours le FN a été pendant très longtemps le refuge des derniers catholiques
traditionnalistes et anti-républicains.
Le discours du FN reste quand même assez composite, et moins cohérent que celui du PCF d’autrefois.
Encore une fois, d’accord. Le discours “ouvrier” du PCF venait d’une longue histoire qui lui donnait une certaine cohérence même dans ses incohérences. Le discours “ouvrier” du FN est, pour
l’instant, un discours artificiel qui résulte d’un choix stratégique. Peut-être que si ce discours s’affirme et si le FN conquiert une véritable base militante d’origine ouvrier, son discours
deviendra moins “composite”. Mais pour le moment ce n’est pas le cas. Alors qu’on peut entendre Marchais dire qu’il faut “finir avec l’immigration” sans penser un instant que le vieu Georges
haïssait les noirs ou les arabes, chez Marine Le Pen on ne sait jamais où sa vision de l’immigration s’arrête.
Je ne dis pas le contraire. Mais concernant le grutier, d’où vient la valeur réelle de son travail? De ce qu’il produit au sens strict ou de sa rareté sur le marché du travail?
La valeur vient de son travail. Mais le pouvoir de négociation qui lui permet de se faire verser par son employeur la totalité de cette valeur vient de sa rareté.
Mais y a-t-il pénurie de professeurs? Je n’en suis pas convaincu. Certains rectorats ne sont pas trop exigeants pour embaucher des vacataires en cas de besoin. L’idée est en train de se
répandre que “n’importe qui peut être enseignant”. Et cette idée va faire perdre de la valeur à mon travail…
Certainement pas. Mais elle va diminuer ton pouvoir de négociation a l’heure de récupérer cette valeur. J’ajoute que s’il faut reprocher à quelqu’un d’avoir répandu l’idée que “n’importe qui peut
être enseignant”, ce sont les enseignants – et leurs syndicats – qui sont les plus compromis. Quand on demande “la titularisation des vacataires”, on admet implicitement qu’il n’y a pas de
différence en termes de compétence entre un titulaire et un vacataire. On ne peut pas cracher contre les concours et défendre un haut niveau d’exigence.
Un vacataire fait le même travail que moi pour un salaire inférieur. Question: est-il exploité, c’est-à-dire payé en dessous de la valeur qu’il produit? Si ce n’est pas le cas, alors l’autre
explication est que moi, titulaire, suis surévalué par rapport à ce que je produis. Quel est ton avis là-dessus?
La surévaluation, je n’y crois pas trop. Un employeur n’a jamais intérêt à employer quelqu’un qui produit moins qu’il ne coûte… j’aurais tendance à penser que le vacataire produit moins de
valeur – même s’il fait le même travail, il ne le fait pas au même niveau – que toi, et qu’il est aussi moins payé. Mais savoir si toi ou lui produisez moins de valeur que vous n’en touchez,
c’est un autre problème.
Un mot encore des classes populaires: pourquoi depuis les années 80 n’ont-elles pas été capables de mieux défendre leurs intérêts?
Parce que le rapport de force leur est devenu très défavorable. Jusqu’aux années 1970, la demande de travail dépassait l’offre. Mais la forte augmentation de la productivité liée aux
investissements massifs des “trente glorieuses” conjuguée avec le ralentissement de la croissance a réduit la demande de main d’oeuvre au point que l’offre est devenue excédentaire. Effet encore
accentué dans les années 1980 lorsque la bourgeoisie et les classes moyennes se sont alliées pour imposer la libre circulation des marchandises et des capitaux qui a “mondialisé” les réservoirs
de main d’oeuvre et donc augmenté l’offre d’une main d’oeuvre à faible prix.
“Mais le professeur a une possibilité que n’ont pas véritablement les autres travailleurs: celle de fixer sa propre norme de rendement. J’ai eu des professeurs qui actualisaient leur cours tous
les ans, et d’autres qui répétaient depuis trente ans le même cours. J’en ai eu qui cherchaient en permanence des moyens de faire progresser leur classe, et d’autres qui débitaient leur parlement
en se foutant royalement de ce qu’on pouvait retenir de leur charabia. Et tous étaient payés la même chose à la fin du mois. Les “obligations de service” définies par les décrets donnent en fait
un plancher (heures de présence… et guère plus). Mais le professeur reste en grande partie maître de la quantité de travail qu’il fournit en échange de sa paye.”
Je suis globalement d’accord avec ce que tu écris. Je veux simplement ajouter que, s’il est consciencieux (et je pense qu’assez souvent il l’est, j’ai connu pas mal d’établissements
différents, et je constate quand même que beaucoup de collègues prennent à coeur leur travail), s’il respecte les instructions, l’enseignant a un travail personnel conséquent à fournir. Et cette
charge de travail est souvent négligée par nos détracteurs. Le “cours magistral” qui longtemps fut la règle est plutôt déconseillé. La mise en activité est prônée. Et l’activité, il faut la
concevoir (ce qui est, je le dis, un exercice extrêmement plaisant et stimulant, et une belle école de rigueur, quand on arrive tout content devant les élèves, avec son truc chiadé, et que ça
plante…). Pour en avoir parlé avec des collègues ayant trente ans ou plus de métier, ils sont quasi unanimes à reconnaître que la charge de travail s’est plutôt alourdie.
Je précise aussi que nous avons de plus en plus recours aux TICE (l’informatique, quoi). Et l’usage des nouvelles technologies, loin de faire gagner du temps, demande en fait souvent plus de
travail (“pondre” un cours manuscrit, ça peut se faire assez vite, faire un diaporama soigné, ça prend déjà un peu plus de temps).
Mais c’est vrai, il y a des paresseux. Et c’est l’un des rares métiers où le paresseux gagne autant que le courageux, je te l’accorde.
Je suis globalement d’accord avec ce que tu écris. Je veux simplement ajouter que, s’il est consciencieux (et je pense qu’assez souvent il l’est, j’ai connu pas mal d’établissements
différents, et je constate quand même que beaucoup de collègues prennent à coeur leur travail), s’il respecte les instructions, l’enseignant a un travail personnel conséquent à fournir.
Je n’en doute pas. Mais il n’en demeure pas moins que les enseignants ont une énorme liberté, inconnue de la plupart des autres salariés, de fournir ou non ce travail. Le fait que beaucoup
d’enseignants le fournissent par pure “conscience professionnelle” me fait penser qu’ils estiment que ce que leur métier leur rapporte est en proportion avec la valeur qu’ils créent. Il est rare
que les ouvriers à la chaine fassent plus que leur norme par pure conscience professionnelle.
Et cette charge de travail est souvent négligée par nos détracteurs.
Je ne suis pas un “détracteur” du métier d’enseignant. Au contraire, je trouve que c’est l’un des plus beaux métiers du monde lorsqu’il est bien fait. Mais si je suis d’accord sur le fait que les
enseignants ne sont pas des privilégiés, je rejete également l’idée qu’ils seraient des victimes ou des “prolétaires exploités”. C’est vrai qu’ils gagnent moins que les cadres du privé à niveau
de formation équivalent. Il est aussi vrai qu’ils travaillent moins d’heures qu’eux, qu’ils ont la sécurité de l’emploi, qu’ils ont une bien plus grande liberté dans l’exercice de leur métier et
que celui-ci donne de plus grandes satisfactions. Il faut tout prendre en compte.
“On ne peut pas cracher sur les concours et défendre un haut niveau d’exigence”
Tout à fait. C’est la raison pour laquelle je suis généralement hostile aux syndicats qui ont fait beaucoup de mal à la profession. Et je suis un fervent défenseur des concours.
“Il faut tout prendre en compte”
Je suis bien de cet avis, et c’est d’ailleurs l’idée que je défends. C’est pourquoi je n’approuve pas les collègues qui passent leur temps à pleurnicher. Ma conjointe vient d’un milieu modeste et
exerce aussi le métier d’enseignant. Elle ne se plaint pas de son salaire…
“Je ne suis pas un “détracteur” du métier d’enseignant”
Je n’ai pas voulu dire cela. Désolé si c’est ainsi que tu l’as compris. Mais le fait est que nos détracteurs sont assez nombreux… Et pas toujours de bonne foi dans leurs critiques. Nous ne
sommes pas les plus à plaindre, loin s’en faut, mais, comme tu le rappelles, nous ne sommes pas non plus des “privilégiés”.