Le Front de Gauche est un peu comme dans un certain grand magasin que je ne nommerai pas pour ne pas lui faire de la pub: il s’y passe toujours quelque chose. La principale différence est que dans le grand magasin les choses qui s’y passaient étaient logiques et compréhensibles, alors que chez le Front de Gauche, c’est tout le contraire.
Prenons le dernier exemple en date, c’est à dire, la lettre de Martine Billard à Martine Aubry datée du 1er mai. Un bien étrange document (disponible in extenso ici) à plusieurs égards. Cela commence d’ailleurs dès la première ligne, où Martine Billard donne à l’autre Martine du “cher camarade”. Que Martine Billard – ex-OCI, ex-Verts, aujourd’hui co-présidente du PG et demain qui sait – donne du “camarade” à Aubry est peut-être une coïncidence, et peut-être seulement une petite anticipation… après tout, comme disait le regretté Edgar Faure, ce ne sont pas les girouettes qui tournent, c’est le vent (1).
Mais le plus étonnant se trouve dans le texte du document, où Martine propose à l’autre Martine rien de moins qu’une négociation pour des candidatures communes aux élections législatives. Et pour éviter des accusations de mauvaise foi, voici comment cette proposition est libellée (c’est moi qui souligne):
Après les Présidentielles, cet affrontement avec le Front National et une droite sous influence va s’intensifier à l’occasion des élections législatives. Nous comptons bien assumer cette bataille frontalement comme nous l’avons fait tout au long de la campagne présidentielle. Il nous semble que toutes les forces de gauche doivent s’y engager en organisant entre elle une coopération loyale et respectueuse, face au danger. Notre objectif doit être de battre le plus grand nombre de candidats de droite et d’extrême droite tout en assurant la plus juste représentation possible des différentes composantes de la gauche. Nous proposons un accord national plutôt qu’une discussion au cas par cas localement ou les considérations et contentieux liés aux personnes pourraient être destructeurs. Nous y sommes prêts.
Il ne s’agit donc nullement de l’accord pour éviter à la gauche d’être éliminée au deuxième tour dont Mélenchon avait parlé, là encore sans prendre la peine de consulter qui que ce soit. Mais la question la plus sérieuse, c’est l’identité de ce “nous” si accommodant qui serait “prêt” à conclure un accord de cette nature avec le PS. Sauf à supposer que Martine Billard soit devenue adepte du pluriel de majesté, il faut conclure qu’elle écrit au nom d’un collectif. Mais quel serait ce collectif ? Ce ne peut être le Front de Gauche dans son ensemble, puisque la belle Martine – si l’on me permet cet abus de langage motivé exclusivement par la courtoisie – n’a aucun mandat pour s’engager au nom du Front. C’est donc au nom du PG qu’elle fait cette offre, ce qui est confirmé par le fait qu’elle signe sa missive “Martine Billard, co-présidente du Parti de Gauche”.
L’accord proposé par Martine Billard sous le vocable de “bouclier anti-droites” a deux volets. Le premier concerne les circonscriptions où “la gauche risquerait d’être éliminée du deuxième tour”, et pour lesquelles il est proposé de s’accorder sur une candidature commune au premier tour. Le deuxième est – avec le prétexte de mettre en œuvre par avance la proposition de François Hollande d’introduire une dose de proportionnelle (2) – de réserver des circonscriptions de manière que “toutes les forces de gauche, et donc leurs électeurs, auront la garantie minimale d’être représentées à l’assemblée nationale“. On voit bien que le premier volet n’est là que pour servir d’alibi à la négociation: il est impossible de déterminer à l’avance quelles son les circonscriptions où la gauche risque d’être éliminée dès le premier tour. Quelle référence utiliser ? Les législatives de 2007 ? Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Les présidentielles ? On sait bien que les votes ne se distribuent pas de la même manière… Non, en fait cette histoire d’élimination au premier tour est un alibi pour introduire le deuxième volet, le seul qui intéresse véritablement le PG, qui risque de voir sa représentation parlementaire réduite à néant. Et – mais c’est certainement une coïncidence – la première victime pourrait être Martine Billard elle même. Pas étonnant dans ces conditions qu’elle cherche à se trouver des “camarades” dans les lieux les plus mal famés…
J’avais écrit dans ces mêmes colonnes que le marché conclu au sein du Front de Gauche entre le PCF et ses alliés donnant la candidature présidentielle à Jean-Luc Mélenchon en échange des législatives n’était qu’un marché de dupes. On voit ici mes pires soupçons confirmés. Pendant que le PCF essaye de monter la campagne et assurer la réélection de ses sortants en dehors de tout accord national avec le PS, le PG ouvre publiquement une négociation avec ce dernier. Oh, bien entendu, Martine Billard ne va pas jusqu’à proposer un accord politique ou de gouvernement. Mais il est évident pour quiconque a un minimum de jugeote que le PS ne fera pas cadeau des circonscriptions nécessaires pour assurer la “assurer la juste représentation de chacun” sans contreparties sonnantes et trébuchantes. Martine Billard en est d’ailleurs consciente, puisqu’elle propose parmi les termes de l’accord de “s’engager à ne voter aucune motion de censure proposée par la droite“. Après un tel engagement, il ne sera pas facile de convaincre les électeurs que les députés du Front de Gauche s’opposeront par tous les moyens – et en toute transparence, bien sur – aux mesures libérales que pourrait prendre un gouvernement Hollande…
On aimerait aussi savoir ce que Pierre Laurent en pense de cette affaire, lui qui devant le Comité National du PCF du 25 avril n’en a pas dit mot, soit parce qu’il n’en savait rien – et c’est grave – soit parce qu’il l’a gardé pour lui – et c’est encore pire. Je penche d’ailleurs pour la première hypothèse. Pierre Laurent aurait-il écrit dans son rapport que ” Avec les députés du Front de gauche, pas de loi en catimini, mais une élaboration démocratique partagée. Rien ne se fera dans le dos du peuple. Les députés du Front de gauche seront les garants de la transparence. C’est un engagement auquel nous veillerons comme à la prunelle de nos yeux” s’il savait ce qui se tramait au PG ? J’en doute. Laurent a beau être une nullité, ce n’est pas pour autant un hypocrite.
On aimerait aussi savoir ce qu’en pense Jean-Luc Mélenchon. S’agit-il d’une initiative individuelle ? Est-ce l’expression d’une lutte de factions à l’intérieur du PG ? Ou bien tout simplement une décision prise par la direction du PG mais non assumée publiquement ? Dans le fonctionnement baroque du PG, tout est possible (3).
Descartes
(1) On se souvient que l’adhésion de Martine Billard au Parti de Gauche avait été annoncée bizarrement par la phrase suivante: “Martine Billard a accepté de co-organiser le congrès du Parti de Gauche”. Peut-être s’apprête-t-elle à “accepter de co-organiser” le prochain congrès du PS ? Que voulez-vous, si Paris vaut bien une messe, une circonscription parisienne vaut au moins une carte du Parti Socialiste. Et par les temps qui courent, c’est dur le chômage quand on a plus de cinquante ans…
(2) Si je dis “prétexte”, c’est parce que si le but était véritablement de faire appliquer par avance la proposition d’introduire la proportionnelle, il faudrait aussi accorder des circonscriptions au Front National. Lorsqu’on se bat pour un principe, on se bat pour qu’il soit appliqué à tous. Lorsqu’on restreint son application en fonction de ses propres intérêts, ce n’est plus un principe qu’on défend.
(3) Et ça n’arrive pas qu’au PG: la FASE aussi commence à faire risette aux socialistes. Voir par exemple le rassemblement convoquée par l’équipe municipale de Saint-Denis à la mairie le 3 mai (voir ici). On trouve parmi les invitants des personnalités de la FASE comme Paillard (maire de Saint-Denis) ou Braouezec (le député). Encore des soutiens tout à fait désintéressés… Hollande a de la chance!
Depuis quelques textes, vous nous montrez l’épuisement de la gauche. PS et PC sont des fantômes ou des étoiles et leurs militants refusent la réalité. Apparemment, face à l’explosion de la
pauvreté, nous n’aurons d’autre choix que le retour à la France par Le Pen puis retour aux ploucs traditionnels.
Apparemment, face à l’explosion de la pauvreté, nous n’aurons d’autre choix que le retour à la France par Le Pen puis retour aux ploucs traditionnels.
Certainement pas! D’abord, les “ploucs traditionnels” n’ont pas le monopole de “la France”. La France, ce n’est pas seulement – ni même principalement – labourages et pâturages. La France c’est
aussi les sciences, les arts, les technologies. C’est Airbus, c’est Concorde, c’est le TGV, c’est le programme electronucléaire, c’est Ariane. Ce sont ceux qui, dans le sillage de la
naturphilosophie allemande, rejetent la technologie et le progrès scientifique qui nous préparent un retour aux “ploucs traditionnels”. Mais on peut difficilement me faire ce reproche.
On peut parfaitement “retourner à la France” sans passer par Le Pen. De Chèvenement à Seguin, d’autres chemins ont été proposés. Mais il faut être conscient que si les élites politiques laissent
tomber ce drapeau, c’est le FN qui s’en saisira. Et que laisser à ce courant le monopole sur des idées aussi puissantes que la Nation ou la souveraineté, c’est lui donner les moyens de s’imposer
comme “seul choix”. Si Le Pen peut aujourd’hui occuper ce terrain, ce n’est pas parce qu’elle l’a conquis, mais parce que les autres lui ont abandonné.
PS et PC sont des fantômes ou des étoiles et leurs militants refusent la réalité.
C’est bien là que le bât blesse. Notre société est en crise, et devant cette crise monte dans la société – et particulièrement dans les couches populaires, qui sont les plus exposées – un besoin
collectif d’être rassuré et protégé. La gauche ne répond pas à cette demande: la gauche “sociale-libérale” parce qu’elle met en oeuvre des politiques libérales qui, même lorsqu’elles ont les plus
nobles objectifs – comme les 35 heures – finissent par se retourner contre les couches populaires. Et la gauche “radicale” parce qu’elle propose a des gens qui cherchent à être rassurés une
“révolution” dont on ne sait pas très bien où elle va. Pire: sur des sujets tels que la sécurité ou l’immigration, la gauche nie même qu’il y ait un problème…
Les “ploucs traditionnels” sont les élites politiques classiques, actuellement aux PS, UMP et Modem, les tenants du conformisme le plus plat. Ne sommes-nous pas absolumnt d’accord, si ces ploucs
traditionnels refusent de changer de politique, Le Pen aura sa chance?
Les “ploucs traditionnels” sont les élites politiques classiques, actuellement aux PS, UMP et Modem, les tenants du conformisme le plus plat.
Là, vous m’avez perdu. Quel rapport entre les “ploucs traditionnels” et le “élites politiques classiques” ? Diriez vous que Fabius ou Juppé sont des “ploucs” ? Je trouve ça bizarre…
Ne sommes-nous pas absolumnt d’accord, si ces ploucs traditionnels refusent de changer de politique, Le Pen aura sa chance ?
C’est une affirmation tellement générale qu’elle contient forcément une part de vérité. Mais les choses, lorsqu’on regarde de près, sont plus complexes. Le succès de Le Pen vient de la
conjugaison de deux facteurs: le premier, c’est un contexte économique et social qui pousse l’électorat populaire à exprimer une demande de protection collective alors que le modèle euro-libéral
est incapable de répondre à cette demande. Le second, c’est le pouvoir croissant des classes moyennes qui a provoqué l’abandon par le politique du champ socio-économique et sa concentration sur
les questions sociétales. La question n’est pas le “refus” de changer de politique, mais le rapport de forces: pour se faire élire, mieux vaut draguer les classes moyennes que les
couches populaires, qu’on peut se permettre de laisser à Le Pen.