La montée des marches du Petit Timonier

Depuis quelques jours, Jean-Luc Mélenchon est à Cannes. Il a bien raison: puisqu'il y a une agitation médiatique, avec des journalistes par centaines avides de copie, on aurait tort de ne pas en profiter. Et il faut dire que le Petit Timonier fait les choses plutôt bien. Au lieu d'aller dans un palace, il loge dans le "palais des mineurs", autrefois centre de vacances du Comité d'entreprise des Houillères du Pas de Calais, aujourd'hui passé dans le giron de la caisse des activités sociales d'EDF. C'est aussi l'opportunité pour le Petit Timonier d'évoquer des temps plus heureux, quand les ouvriers avaient une véritable représentation politique.

Mais comme souvent, le Petit Timonier en fait trop. Voici par exemple ce qu'il écrit sur son blog: "Oui, sachez-le, ce festival est la création des nôtres. Ça s’est passé en 1946. A l’initiative de la CGT, du Parti Communiste et du Parti Socialiste (pas le parti solférinien, celui de la résistance que dirigeait Daniel Mayer). Le premier film primé fut « La bête humaine » pour sa splendeur et du fait de la proximité de la résistance. Quelle époque !"

Quelle époque, en effet. Quel dommage que le Petit Timonier n'ait pas pris la peine de vérifier ses faits avant de se laisser emporter par l'enthousiasme. Il aurait alors constaté que "La bête humaine", film de Jean Renoir sorti en 1938, était un peu trop ancien pour être primé huit ans plus tard, et alors que son auteur avait réalisé entretemps des films autrement plus "splendides". Et qu'accessoirement, "la bête humaine" n'a aucun rapport avec "la résistance". Mais peut-être qu'il confond avec "La bataille du rail", de René Clément, film qui parle, lui, de la Résistance et qui fut parmi les films primés.

Mais cette erreur est bien innocente comparée à une autre, bien plus orientée politiquement. Mélenchon fait du festival une création "des nôtres" en faisant de la CGT, du PCF et du "Parti socialiste" les trois parrains à égalité de la manifestation. Ce qui est manquer singulièrement à la vérité historique. D'abord, parce qu'en parlant du "Parti socialiste" en 1946 il commet un anachronisme: il n'existait pas de "Parti Socialiste" à cette époque-là, mais une "Section Française de l'Internationale Ouvrière", plus connue sous son sigle SFIO. Ensuite et surtout, parce que la SFIO n'a guère participé à l'affaire (1). Le festival en 1946 fut la rencontre entre une organisation, la CGT et notamment le Syndicat des techniciens du cinéma dirigé par le cinéaste communiste Louis Daquin, et d'un homme injustement oublié, Philippe Erlanguer, un de ces "grands serviteurs de l'Etat" – un technocrate, quoi – qui avait proposé la création du festival en 1939 lorsque Jean Zay était ministre. Le festival avait été annulé à la dernière minute en 1939 pour cause d'invasion de la Pologne, mais Erlanguer n'avait pas abandonné la partie et ayant été nommé à la Libération chef du service des Echanges Artistiques du Quai d'Orsay, il fit tout pour relancer le projet. Il fut le premier commissaire général du festival et le resta jusqu'en 1951. Quelle époque, en effet, quand un syndicat communiste et un haut fonctionnaire plutôt conservateur pouvaient créer ensemble un festival…

Comme naguère avec Emilienne Mopty, Mélénchon annexe une histoire qui n'est pas la sienne en introduisant dans l'affaire "le Parti Socialiste", ce qui lui permet par ricochet d'établir une continuité entre les fondateurs du Festival et son histoire personnelle et parler donc sans vergogne des "nôtres". Et il complète la supercherie en ajoutant à propos de ce mythique Parti Socialiste la qualification "pas le solférinien, celui de la résistance que dirigeait Daniel Mayer" (2). La formule est intéressante parce qu'elle reprend un élément que Mélenchon introduit de plus en plus dans ses différentes prestations, à savoir, la différentiation entre les "solfériniens" et les "socialistes". En d'autres termes, une vision dans laquelle il y aurait des "vrais socialistes" opposés aux "faux socialistes". Cette formulation annonce-t-elle une volonté d'accorder l'absolution à certains socialistes pour rendre possibles des alliances avec eux ? Difficile à dire… mais dans tous les cas on peut se demander quel sens peut avoir cette distinction subtile dans le contexte de 1946… Qui étaient les "solfériniens" de l'époque ? Jules Moch, peut-être ? Pourtant, il avait d'impeccables états de service résistants… et cela ne l'empêchera pas, quelques mois après ce premier festival, de faire tirer sur les mineurs grévistes à l'appel de la CGT dans le Nord et le Pas-de-Calais. A l'époque, cela ne semble pas avoir gêné ce "parti socialiste de la résistance que dirigeait Daniel Mayer", puisque ce même Daniel Mayer était membre du gouvernement, tout comme le jeune François Mitterrand, que Mélenchon admire tant…

Descartes

(1) Il n'est pas inutile de rappeler qu'en 1946 la SFIO était dans une logique qu'on pourrait résumer par la formule "plutôt la droite démocrate-chrétienne du MRP que les communistes". Il est drôle que Mélenchon, qui ne perd une opportunité de rappeler la formule "plutôt Hitler que le Front Populaire" ait oublié combien en septembre 1946 communistes et socialistes étaient a couteaux tirés.

(2) Il est intéressant de rappeler que Daniel Mayer, qui dirigea le Parti Socialiste pendant l'occupation, participa à plusieurs gouvernements de "troisième force", c'est à dire, d'alliance avec le MRP (c'est à dire la droite non gaulliste). Un "solférinien" avant l'heure ?

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20 réponses à La montée des marches du Petit Timonier

  1. bernard dit :

    je viens de lire que le parti de gauche sous la plume de Cocquerel prone l arret de l obligation de l ouverture des marchés a la concurrence et un protectionnisme solidaire sur criteres sociaux tout en restant dans l UE , et que seule la France est capable de faire changer les orientations actuelles , c est pas encore Noel pourtant on demande deja les cadeaux ! ça freine des deux pieds pour ne pas admettre quils se sont trompés depuis le debut

  2. J.Payen dit :

    Jean-Luc Mélenchon, au fil des jours, perd une grande partie du capital d’écoute, sinon d’adhésion politique, qu’avait fait naître sa robuste culture et son talent de "metteur en perspective historique longue".
    Comme vous le pointez, trop d’approximations, trop de sollicitations des faits, trop de manipulations sont venues altérer le discours.
    Mais la cause principale de la perte de crédit du discours ne vient-elle pas du passé trop longtemps "solférinien" du personnage ? De son incapacité à s’imputer sa juste part dans le basculement libéral-social-européen du PS ?
    Il me semble que cet homme, par ailleurs attachant, n’est pas net avec son parcours, et cela se perçoit, à son désavantage.

    • Descartes dit :

      Je partage en grande partie votre diagnostic. Le discours de Mélenchon serait plus audible – et plus rationnel – s’il avait fait un véritable retour critique sur son passé politique. Il ne s’agit pas de se frapper la poitrine et demander pardon – je tiens ce genre d’exercice pour inutile et grotesque – mais pour réfléchir sérieusement aux erreurs commises à la lueur de son expérience politique. S’il avait fait ce travail, il pourrait par exemple aborder les questions européennes sans se sentir obligé de payer tribut à l’ombre de Saint Mitterrand…

  3. Axel dit :

    Bonjour,
    je viens de m’apercevoir que je ne reçois plus d’email à l’occasion de vos posts alors que je m’étais abonné dans la précédente version du blog. Peut être est ce un problème technique?

    Bien à vous
    Axel
    Axel

  4. odp dit :

    Bonjour – merci pour ce post intéressant et très détaillé. Il est en effet surprenant de voir Mélenchon confondre La bête humaine et La Bataille du rail. Il fatigue. Par ailleurs, parler de proximité entre Renoir et la Résistance… Il n’a pas dû lire la biographie de Mérigeau…

    En revanche, je ne comprends pas la contradiction que vous pointez entre "parti socialiste de la résistance que dirigeait Daniel Mayer" et l’action de Jules Moch en 1947. En l’occurrence, la SFIO a été assez constante dans le temps et c’est le PCF qui n’a cessé de varier, en général au gré des ordres du Komintern: passant de la stratégie de la lutte contre les sociaux traîtres à celle du Front Populaire; s’abîmant dans l’accord germano-soviétique pour devenir "le parti des fusillés"; dénonçant initialement les grèves de 1947 comme l’oeuvre "d’anarcho-hitléro-trotskistes" pour, après un rappel à l’ordre des délégués de l’URSS à la conférence de Szlarska-Porebaet créant le Kominform, organiser grèves et sabotages (dont certains mortels) sur le territoire français dans la foulée de la victoire des gaullistes aux élections d’Octobre.

    En ce qui me concerne, sur cette période, il me semble que l’action de la SFIO de Jules Moch et Daniel Mayer est bien plus proche de l’esprit de la Résistance que celle du PCF de Thorez. Les gaullistes ne n’y sont pas trompés d’ailleurs. A ce titre, je ne peux résister au plaisir de citer le grand Maurice T. dans un débat à l’Assemblée (1935) sur l’augmentation des budgets militaires: "Pas un sou pour nos forces armées: nous demandons à nos partisans de pénétrer l’armée et d’y accomplir la tâche de la classe ouvrière en disloquant". Bel esprit de Résistance…

    PS: petite considération technique: il semblerait que je ne sois plus sur vos listes de distribution. S’il ne s’agissait que de moi, je pourrai craindre une mesure d’ostracisation mais comme cela touche également l’un de mes (très discrets) amis, peut-être avez-vous des problèmes avec votre liste de distribution.

    Cordialement,

    OdP

    • Descartes dit :

      Relisez votre histoire… le PCF n’a guère "varié". Si vous trouvez ses choix politiques "incohérents", c’est parce que vous lui attribuez des buts qui n’étaient pas nécessairement les siens. Le PCF a au contraire été très cohérent: se considérant membre de l’Internationale Communiste aussi longtemps que celle-ci a existé, dans un contexte où la priorité était la protection de l’Union Soviétique, il a toujours choisi la politique qui servait le mieux cette priorité. Le meilleur exemple est son attitude envers le pacte germano-soviétique. On a oublié aujourd’hui que le pacte germano-soviétique est la conséquence de la politique britannique et française de refus de tout pacte de sécurité collective avec l’URSS. On préfère ne pas se souvenir du sort qui fut réservé au traité franco-soviétique d’assistance mutuelle signé par Barthou et Litvinov le 2 mai 1935. Ce traité prévoyait pour son application un accord militaire qui ne fut jamais conclu devant l’hostilité des militaires français et des gouvernements qui se sont succédés entre 1935 et 1940. Les russes ont compris après Munich que les puissances occidentales essayaient, pour reprendre la formule du ministre des affaires étrangères britannique, "de chevaucher le tigre et l’envoyer vers l’est". On peut difficilement dans ces conditions leur reprocher d’avoir cherché à se protéger en changeant d’alliances. Le PCF ne fit que suivre ce changement de politique.
      De même, il est inexact de dire que le PCF ait "initialement dénoncé les grèves de 1947". Le PCF utilisa son influence pour arrêter les grèves lorsqu’il était dans le gouvernement, et provoqua la guerre insurrectionnelle lorsqu’il fut chassé du gouvernement en 1947 par Paul Ramadier. Là encore, son attitude est parfaitement logique.

      [En ce qui me concerne, sur cette période, il me semble que l’action de la SFIO de Jules Moch et Daniel Mayer est bien plus proche de l’esprit de la Résistance que celle du PCF de Thorez.]

      Vraiment ? Pensez-vous que de faire tirer sur les ouvriers à balles réelles, faire une loi électorale qui marginait communistes et gaullistes, relever un certain nombre de personnages politiques compromis avec Vichy de l’indignité nationale pour leur permettre de reprendre leurs sièges ou expulser l’un des partis fondateurs de la Résistance du gouvernement à la demande des américains fut conforme à "l’esprit de la Résistance" ? Personnellement, j’en doute.

      [Les gaullistes ne n’y sont pas trompés d’ailleurs. A ce titre, je ne peux résister au plaisir de citer le grand Maurice T. dans un débat à l’Assemblée (1935) sur l’augmentation des budgets militaires]

      J’ai du mal à comprendre comment vous pouvez soutenir avec une citation de Thorez datant de 1935 l’affirmation que "les gaullistes ne se sont d’ailleurs pas trompés". En 1935, les gaullistes n’existaient pas. Que le PCF ait commis l’erreur de suivre les pacifistes en 1935 est un fait. Mais cela ne permet pas de tirer des conclusions sur la fidélité des uns et des autres à l’esprit de la Résistance en 1947.

      [PS: petite considération technique: il semblerait que je ne sois plus sur vos listes de distribution. S’il ne s’agissait que de moi, je pourrai craindre une mesure d’ostracisation mais comme cela touche également l’un de mes (très discrets) amis, peut-être avez-vous des problèmes avec votre liste de distribution.]

      Vous m’offensez en pensant que j’aurais pu vous "ostraciser" et en plus sans vous prévenir… non, ce n’est pas de "l’ostracisme", mais la nouvelle formule d’over-blog ne semble plus offrir ce service d’inscription et d’avertissement par mail… ou alors il faut vous ré-inscrire… je ne sais pas encore!

    • odp dit :

      "Relisez votre histoire… le PCF n’a guère "varié". Si vous trouvez ses choix politiques "incohérents", c’est parce que vous lui attribuez des buts qui n’étaient pas nécessairement les siens. Le PCF a au contraire été très cohérent: se considérant membre de l’Internationale Communiste aussi longtemps que celle-ci a existé, dans un contexte où la priorité était la protection de l’Union Soviétique, il a toujours choisi la politique qui servait le mieux cette priorité."

      Je sais tout ceci ; et c’était d’ailleurs tout le sujet de mon commentaire. Il me paraît difficile de faire du PCF – je parle de l’appareil, pas des militants et encore moins des FTP – la quintessence de la Résistance à partir du moment où celui-ci a suivi, au sujet de "l’oppression allemande", une ligne fluctuante et dictée par les intérêts de l’URSS plutôt que par ceux de la France. Sans même parler de l’attitude du Parti (et, dans ce cas, probablement de la grande majorité des militants) si la France avait due être envahie par l’URSS…

      Aussi, un Jules Moch, héros de la guerre de 14, opposant aux accords de Munich, ayant refusé les pleins pouvoirs à Pétain, emprisonné par Vichy, fondateur du réseau de résistance 1793 et effectuant le débarquement en Provence comme Lieutenant de Vaisseau en 1944, me paraît comme figure de la Résistance bien plus incontestable que nombre des cadres du PCF.

      Quant aux événements de 1947, le PCF, sur ordre, une fois encore, de Moscou, ayant décidé, de concert avec la CGT, de déclencher des grèves insurrectionnelles ainsi que des sabotages, dont l’un (le déraillement du train Paris-Tourcoing) fit 16 morts et 50 blessés, il ne me paraît pas surprenant, ni même choquant, que le régime Républicain ait cherché à se défendre, comme il l’avait fait en février 1934.

      C’est d’ailleurs en référence à ces événements de 1947 (et pas de 1935) que j’ai indiqué que les gaullistes ne s’y étaient pas trompés, de Gaulle qualifiant le PCF de "parti séparatiste" et l’Etincelle Ouvrière, hebdomadaire ouvrier du RPF, qualifiant les meneurs du PCF et de la CGT de "valets serviles de l’impérialisme slave-asiatique".

      Enfin, en ce qui concerne plus spécifiquement l’accord germano-soviétique, je sais tout ça également; ainsi que le rôle négatif joué par la Pologne qui refusa que l’Armée Rouge puisse traverser son territoire pour aller au "contact" des armées allemandes.

      De mon point de vue, on ne saurait d’ailleurs reprocher à l’URSS d’avoir mené une politique conforme à ce quelle pensait être ses intérêts; même si, en la matière, cela s’avéra être une très grave erreur de calcul. Le point qui pose problème, en revanche, est la réaction du PCF, qui ne méritât guère, en l’occurrence, le F de son acronyme.

      PS: je me suis réinscrit.

    • Descartes dit :

      [Il me paraît difficile de faire du PCF – je parle de l’appareil, pas des militants et encore moins des FTP – la quintessence de la Résistance à partir du moment où celui-ci a suivi, au sujet de "l’oppression allemande", une ligne fluctuante et dictée par les intérêts de l’URSS plutôt que par ceux de la France.]

      Pas du tout. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Le PCF n’a pas suivi une ligne "dictée par les intérêts de l’URSS", mais dictée par sa vision des intérêts du prolétariat français, qui pour lui se confondait à cette époque avec l’intérêt d’avoir une URSS forte. On peut discuter la pertinence de cette analyse, même si un observateur cynique pourrait souligner combien l’existence de l’URSS a encouragé les bourgeoisies occidentales à accorder au prolétariat un certain nombre de concessions et combien ces concessions ont été reprises depuis la chute de l’URSS. Mais il me semble injuste et peu conforme à l’histoire de croire que le PCF n’agissait qu’en fonction des intérêts de l’URSS. D’ailleurs, si le PCF a réussi pendant si longtemps à représenter le vote ouvrier, c’est en grande partie parce qu’il avait réussi une extraordinaire synthèse entre "le drapeau rouge et le drapeau tricolore", entre son insertion dans le mouvement communiste international et les intérêts du prolétariat français.

      [Sans même parler de l’attitude du Parti (et, dans ce cas, probablement de la grande majorité des militants) si la France avait due être envahie par l’URSS… ]

      Avec des "si", on mettrait Paris en bouteille. Nous ne savons pas quelle aurait été l’attitude du Parti et celle de ses militants dans cette hypothèse. On peut donc se jeter à la figure pendant longtemps des accusations de ce type. Après tout, quelle aurait été l’attitude des partis politiques "bourgeois" si la France avait été envahie par les américains ? Rappelez vous de Gladio…

      [Aussi, un Jules Moch, héros de la guerre de 14, opposant aux accords de Munich, ayant refusé les pleins pouvoirs à Pétain, emprisonné par Vichy, fondateur du réseau de résistance 1793 et effectuant le débarquement en Provence comme Lieutenant de Vaisseau en 1944, me paraît comme figure de la Résistance bien plus incontestable que nombre des cadres du PCF.]

      Et cela ne l’a pas empêché de faire tirer sur les ouvriers grévistes a balles réelles, pas plus que de voter la CED qui mettait l’armée française aux ordres des américains. Comme quoi les "figures de la Résistance" peuvent quelquefois être ambiguës…

      [Quant aux événements de 1947, le PCF, sur ordre, une fois encore, de Moscou, ayant décidé, de concert avec la CGT, de déclencher des grèves insurrectionnelles (…)]

      Pourriez-vous m’indiquer sur quel document vous fondez vous pour affirmer que ce fut "sur les ordres de Moscou" ? C’est en fait tout le contraire: en 1947, Moscou a découragé tous les Partis communistes occidentaux d’entrer dans des politiques de confrontation. Si Thorez avait désarmé les milices communistes – chose que les gauchistes lui ont toujours reproché – c’est en accord avec la politique de Moscou, qui n’entendait pas donner le moindre prétexte aux alliés occidentaux de remettre en cause le partage du monde accordé à Yalta. Quant à l’attitude de Moch, elle dérivait bien plus de son anticommunisme obsessionnel que d’une quelconque nécessité d’ordre public. Là encore, il faut se souvenir de ce qu’était le climat de la guerre froide.

      [De mon point de vue, on ne saurait d’ailleurs reprocher à l’URSS d’avoir mené une politique conforme à ce quelle pensait être ses intérêts; même si, en la matière, cela s’avéra être une très grave erreur de calcul.]

      Je pense au contraire que cela s’avéra être un excellent calcul. Sans cet accord, Hitler aurait probablement attaqué l’URSS d’abord, avec l’appui des puissances occidentales…

    • odp dit :

      Sur l’alignement du PCF sur Moscou et sa justification par la poursuite des intérêt du prolétariat français: il ne vous a pas échappé que "la France", ce n’est pas le prolétariat français. Le prolétariat français fait partie de la France, mais ni plus ni moins que les autres classes sociales.

      Sur le "retournement" du PCF par Jdanov à la conférence de Szklarska-Poreba en Septembre 1947 je me permets de vous renvoyer à l’Histoire de la IVème République de Georgette Elgey. Quelques citations: "Et voici les communistes français et italiens, surtout les français, mis en accusation, accusés de "crétinisme parlementaire", d’avoir agi en "valets maladroits", faisant le jeu de l’impérialisme. Il leur faut, ordonne Jdanov, "prendre la tête de la résistance dans tous les domaines", rompre toute alliance avec les socialistes qui "se comportent comme des agents des cercles impérialistes des Etats-Unis". Les Français, coupables de déviationnisme opportuniste et parlementaire sont "de piètre représentant de de la politique de l’URSS devant le peuple français". Maurice Thorez comprend l’avertissement. L’heure de l’autocritique est venue. Il proclame ses erreurs passées. Le nouvel objectif est clair: mettre fin à l’asservissement de la France" et réduire à néant "ses agents", de Gaulle, le premier, l’un des plus "dangereux suppôts des Américains". Dont acte dirais-je.

      Sur l’attitude du PCF en cas d’invasion soviétique: franchement vous exagérez un peu là. Comme vous l’avez énoncé plus haut, le PCF considérant les seuls intérêts des prolétaires français et ceux-ci étant mieux servis (pensaient-ils) par le Bloc de l’Est, il paraît très difficile d’envisager qu’ils n’eurent pas salué l’intégration de la France au Pacte de Varsovie. Quant à Gladio, c’était un réseau de contre-insurrection, pas d’invasion.

    • Descartes dit :

      [il ne vous a pas échappé que "la France", ce n’est pas le prolétariat français]

      C’est assez discutable. Dans la logique marxiste classique, le prolétariat porte les intérêts de la société toute entière, et c’est son émancipation qui construit une société plus juste et plus libre pour tous. Vous pouvez contester cette analyse, mais je n’ai pas de doute, pour les avoir bien connus, que dans l’esprit des communistes français défendre les intérêts des prolétaires c’était défendre "les intérêts de la France". On peut dire beaucoup de choses des communistes français, mais certainement pas qu’ils se positionnaient comme militants catégoriels. Aragon l’a si bien dit… "mon Parti m’a rendu les couleurs de la France".

      [Sur le "retournement" du PCF par Jdanov à la conférence de Szklarska-Poreba en Septembre 1947 je me permets de vous renvoyer à l’Histoire de la IVème République de Georgette Elgey.]

      Le renvoi est superfétatoire, dans la mesure où ce qui était en discussion, c’était le rôle de Moscou dans le déclenchement des grèves insurrectionnelles de 1947. Dans la mesure où ces grèves ont commencé en avril 1947 – à la Régie Renault, pour être précis – et que les communistes les soutiennent activement après avoir été chassés du gouvernement le 7 mai 1947, on voit mal ce que votre "retournement" de septembre 1947 fait là dedans. Les dates montrent bien que le PCF a décidé de soutenir ces grèves pour répondre à un événement de politique intérieure, et non en réponse à un "ordre" de Moscou.

      [Sur l’attitude du PCF en cas d’invasion soviétique: franchement vous exagérez un peu là. Comme vous l’avez énoncé plus haut, le PCF considérant les seuls intérêts des prolétaires français et ceux-ci étant mieux servis (pensaient-ils) par le Bloc de l’Est,]

      Oui, à un moment et dans un contexte donné. On ne sait pas s’ils auraient continué à penser ainsi si, comme vous en faisiez l’hypothèse, les troupes soviétiques avaient envahi la France. Dans la mesure où aucune situation de ce type ne s’est présentée, votre conclusion appartient au domaine de la politique-fiction.

  5. dsk dit :

    "Oui, sachez-le, ce festival est la création des nôtres. Ça s’est passé en 1946. A l’initiative de la CGT, du Parti Communiste et du Parti Socialiste (pas le parti solférinien, celui de la résistance que dirigeait Daniel Mayer)."

    Hallucinant. De quel droit Mélenchon se réclame-t-il de la résistance ? Quels sont ses titres ? A-t-il déjà, ne serait-ce que pris de simples risques physiques, ou même simplement mis en danger son petit confort matériel ? A-t-il déjà fait preuve d’héroïsme ? Au Sénat peut-être ? En votant oui à Maastricht ?

    • Descartes dit :

      [De quel droit Mélenchon se réclame-t-il de la résistance ?]

      Mélenchon a toujours eu cette tendance à s’approprier l’histoire, au besoin en la réécrivant à sa convenance. Ainsi, il considère "des nôtres" les socialistes résistants comme Daniel Mayer", après avoir craché il y a quelques semaines sur Jules Moch, un autre "socialiste résistant", sous prétexte qu’il avait fait tirer sur les ouvriers… tout en oubliant que Mayer et Moch étaient membres du même gouvernement. La nuance entre "vrais socialistes" et "solfériniens" est un art…

  6. JMP dit :

    Il faut se réabonner ( 2è cadre en haut a droite)

    • Descartes dit :

      Et ça marche ? j’insisterai alors dans mon prochain papier…

    • dsk dit :

      [La nuance entre "vrais socialistes" et "solfériniens" est un art…]

      Au delà du caractère rudimentaire de l’analyse politique de Mélenchon, qui pense la réalité en termes de gentils et de méchants, il y a toute la contradiction de son projet qui consiste, selon moi, ainsi que je vous l’avais expliqué, à rassembler la "gauche des ruptures" en vue, in fine, de s’allier avec le parti socialiste. D’où la fable du méchant Parti socialiste, avec lequel il faut rompre, et du gentil Parti socialiste, avec lequel on doit s’allier.

    • Descartes dit :

      Comme je vous l’avais indiqué, je ne crois pas que Mélenchon ait un tel projet au sens que le mot "projet" implique d’assumer en pensée la chose. Par contre, je pense effectivement qu’étant données les contraintes que Mélenchon s’est fixé (pas d’alliance avec les "jacobins de droite", défense de la construction européenne et de l’Euro, rejet d’une position de témoignage et recherche du pouvoir) il n’y a d’autre solution possible en matière d’alliances que celle avec un secteur plus ou moins important du Parti Socialiste.
      Mais je ne pense pas que la théorie du "méchant PS" opposé au "gentil PS" vienne de cette question. Je pense plutôt que Mélenchon cherche à blanchir son propre pedigrée et répondre à ceux qui l’accusent de n’être en fait qu’un socialiste déguisé.

  7. odp dit :

    En annexe, et pour le plaisir, un extrait du discours du Général de Gaulle à Rennes, le 27 juillet 1947.

    "Car, voici où nous en sommes : sur notre sol, au milieu de nous, des hommes ont fait voeu d’obéissance aux ordres d’une entreprise étrangère de domination, dirigée par les maîtres d’une grande puissance slave. Ils ont pour but de parvenir à la dictature chez nous, comme leurs semblables ont pu réussir a le faire ailleurs avec l’appui de cette puissance. Pour eux, qui invoquent à grands cris la justice sociale et l’affranchissement des masses, il s’agit, en réalité, de plier notre beau pays à un régime de servitude totalitaire, où chaque Français ne disposerait plus ni de son corps, ni de son âme, et par lequel la France elle-même deviendrait l’auxiliaire soumise d’une colossale hégémonie.

    Pour atteindre leurs fins, il n’y a pas de moyens que ces hommes n’emploient. Suivant l’opportunité, on les voit préconiser des thèses aussi catégoriques que successives et contradictoires. Il n’existe pas une idée, un sentiment, un intérêt, qu’ils n’utilisent tour à tour. L’ordre ou la révolution, la production ou l’arrêt du travail, la liberté ou la contrainte, sont affichés dans leur programme et inscrits sur leurs bannières suivant ce qui leur paraît devoir être de meilleur rapport. Point de grande oeuvre, de noble figure, de gloire nationale, qu’ils n’aient parfois maudite et parfois accaparée. Vis-à-vis des idées, des actes, de la personne des autres, rien qui approche de l’équité, ni de la vérité ; seule compte l’utilité que dans l’instant, ils leur attribuent. Suivant qu’ils croient, ou qu’ils ne croient pas, pouvoir en tirer quelque chose, c’est tantôt la bonne grâce, la flatterie, la main tendue, et tantôt l’injure, la calomnie, la menace. Mais, à travers les méandres compliqués de leurs procédés, apparaissent l’habileté à tromper leur clientèle et l’acharnement à se placer dans les postes et dans les conditions où l’on peut le mieux agir et, surtout, il ne semble que trop ! le plan arrêté de développer dans tout le corps de la nation cette confusion qui la rendrait plus accessible à leur entreprise.

    Tout se passe, en effet, comme si, en revendiquant bruyamment l’union des républicains, le progrès social, l’indépendance nationale, ce groupement n’agissait, en fait, que pour aggraver sans relâche les difficultés multiples dans lesquelles la France se débat. Alors qu’il nous est si difficile de créer parmi nous un climat de concorde, le parti dont il s’agit ne cesse de jeter du sel sur chacune de nos plaies et d’ameuter les unes contre les autres les diverses catégories françaises. Alors que nous éprouvons tant de peine à nous doter d’institutions adaptées aux temps modernes, ces bons apôtres, jouant de l’illusion des uns et de l’inconsistance des autres, ont réussi à pousser la République dans un régime d’impuissance. Alors que nous avons tant de mal à trouver un équilibre économique, social, financier sur lequel nous puissions bâtir notre reconstruction, ces hommes interviennent aux moments et sous la forme les mieux appropriés pour jeter à bas l’édifice à mesure qu’il se construit. Alors que nous devons, sous peine d’en être dépouillés, faire l’Union française ces gens travaillent, soit sur place, soit à Paris, pour soulever de frustes passions et saper l’autorité de la France. Alors que notre avenir est engagé dans une partie internationale très dangereuse et que se forme en Europe, par la force, un énorme bloc oriental, ces personnages ne se manifestent que pour soutenir parmi nous, exclusivement et avec fracas, les seules positions, les seules intentions, les seuls intérêts, de la Russie soviétique".

    Le première partie du dernier paragraphe pourrait s’appliquer à la situation actuelle. On croirait y lire la ligne de crête du Président Hollande. Avec les forces de désagrégation à sa droite et à sa gauche.

    • Descartes dit :

      [En annexe, et pour le plaisir, un extrait du discours du Général de Gaulle à Rennes, le 27 juillet 1947.]

      En juillet 1947 de Gaulle était un général sans troupes cherchant désespérément à reprendre la main sur les événements, ce qui supposait de mobiliser des partisans et des militants. Et compte tenu du spectre politique de l’époque, il ne pouvait trouver ces partisans qu’à droite. Pour les séduire, il n’avait d’autre voie que d’enfourcher les pires chevaux de l’anticommunisme style guerre froide, d’autant plus qu’après avoir pris des ministres communistes lors de la composition du gouvernement provisoire et d’avoir mis en œuvre où l’inspiration communiste était indubitable, il était pour lui nécessaire de se refaire une virginité auprès de gens obnubilés par le "péril communiste".

      De Gaulle était un grand homme d’Etat, mais ce n’était certainement pas un saint, et il avait bien lu Machiavel. Il n’a jamais hésité à dire ce que son auditoire voulait entendre – et même plusieurs auditoires, souvenez vous du "je vous ai compris" – lorsque cela lui permettait d’avancer ses objectifs politiques. Ce qui est drôle dans ce discours, c’est que De Gaulle, sous prétexte de dénoncer les communistes, se décrit en grande partie lui même. Il accuse les communistes de "pousser la République dans l’impuissance" alors qu’il n’a cessé pendant les onze années qu’a vécu la IVème République de faire exactement cela. Quant à à sa dénonciation des communistes qui "Suivant l’opportunité, (…) préconisent des thèses aussi catégoriques que successives et contradictoires", on pourrait en sourire en pensant aux thèses "aussi catégoriques que successives" préconisées par De Gaulle après 1958 concernant le conflit algérien…

  8. CVT dit :

    Bonsoir Descartes,
    un petit hors-sujet: vous avez vu le retour de la "bête immonde" frapper au coeur des Grands Magasins parisiens? Et la réaction virulente et indignée du PG et de son petit timonier?
    Un jeune étudiant de Science-Po, militant d’extrême gauche, vient de décider suite à une rixe contre quatre militants d’extrême-droite qui a eu lieu hier soir. Il semblerait qu’il ce soit le résultat d’une série de provocations entre bandes rivales, comme il y a en a tant dans les banlieues.
    Sans vouloir minimiser la mort de cet étudiant, c’est la première fois depuis 1995, lors de la mort par noyade dans la Seine de Brahim Bouarram, qu’un mouvement d’extrême-droite est impliqué dans un homicide! Autant dire que ça fait une éternité! Pourquoi donc cet émoi?
    Simplement, je suis intrigué par cette histoire (on dirait story-telling en novlangue d’aujourd’hui): depuis quelque semaines, les médias s’acharnent à nous faire croire que les fascistes sont de retour: après la manifestation des anti-mariage gay de mai dernier, on s’est acharné à nous faire croire que le 6 février 1934 était à nos portes… Evidemment, en tant que républicain, je désapprouvais cette manifestation, car la loi avait été votée; de plus, les éléments les plus modérés du mouvement en avaient été évincés par les Civitas. Cependant, je n’ai pas cru avoir vu de débordements majeurs, contrairement à ceux qui s’étaient produits lors de la célébration du titre de champion de France de foot au Trocadéro. Bref, pas de quoi fouetter un chat, et pourtant, les médias disent à cor et à cri que la "France a peur".
    Je récuse tout complot, mais j’avoue que cette mort prend des proportions délirantes, et je suis écoeuré par le cynisme des mouvements de gauche et du pouvoir qui exploitent cet évènement pour discréditer leurs opposants. L’exploitation de cette affaire sent la manipulation médiatique à plein nez: pourquoi faire croire au retour des fachos comme s’ils étaient à nos portes, alors que l’insécurité, la vraie, règne de plus en plus dans les banlieues?
    Hasard du calendrier, les socialistes viennent de refuser ce matin de légiférer sur la neutralité religieuse dans les entreprises et lieu de vie collectif, en clair, un cadeau aux extrémistes religieux de tout poil.
    Dites-moi si je délire, mais j’ai la sensation que la mort de ce jeune étudiant est exploitée à des fins purement politicienne: elle cache une fois de plus la démission de l’Etat en terme de paix civile…

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