Le chômage et ses mystères…

"Contre le chômage, on a tout essayé". Cette déclaration désabusée d'un Mitterrand vieillissant a été considéré depuis des décennies comme l'aveu d'impuissance de notre classe politique concernant le chômage de masse. Depuis, la gestion de l'emploi par les gouvernements successifs ressemble étrangement à la gestion des aléas climatiques: Dans les tribus les plus primitives, on danse autour du feu dans des cérémonies propitiatoires avec force invocations – "Europe sociale, vient nous sauver" ou "Europe libérale, vient ouvrir notre marché du travail" selon les peuplades – et les sacrifices – Sécurité Sociale, privatisations – qui vont avec. Dans les plus progressistes, on arrive à prévoir à peu près, et on construit de temps en temps des abris et des digues qui se révèlent dérisoires dès que la tempête commence à souffler trop fort et que la rivière sort de son lit.

Le commentaire de Mitterrand est évocateur en ce qu'il ferme la porte à toute compréhension rationnelle du phénomène. Il se dégage une perception du chômage comme une sorte de malédiction divine qu'il serait vain de chercher à comprendre rationnellement, et contre qui il ne reste plus qu'à "essayer" des remèdes l'un après l'autre jusqu'à épuisement de la liste. Bien entendu, les explications ne manquent pas chez les économistes, qu'ils soient "mathusiens", "orthodoxes", "keynésiens", "libéraux", "alternatifs" ou tout simplement fous. Mais les hommes politiques se promènent – et promènent le public – dans cette forêt d'explications en prenant un petit bout par-ci, un petit bout par-là… pour en arriver à un discours qui rend le phénomène d'autant plus inquiétant qu'il est incompréhensible.

Alors, essayons de voir plus clair. Il y a trois grandes explications du chômage. La première – macroéconomique – est celle des libéraux: le marché du travail est un marché comme n'importe quel autre, dans lequel le travailleur offre sa force de travail et l'employeur l'achète. Laissé à lui même, ce marché aboutit à un "prix d'équilibre", qui correspond à la plus grande quantité de travail échangé possible (en dessous de ce prix, les travailleurs préfèrent ne pas travailler, en dessus, les employeurs préfèrent ne pas embaucher). Bien entendu, ce prix ne garantit pas que tous les travailleurs trouvent un travail. Tout simplement, il maximise la quantité de travailleurs employés, et ceux qui ne le sont pas ne travaillent pas parce que "volontairement" ils refusent de baisser le prix (c'est pourquoi ce chômage est appelé "chômage volontaire"). Dans cette approche, il est clair que toute régulation par la loi (salaire minimum, charges, allocations chômage) déplace l'équilibre et l'éloigne de son optimum: si l'on laisse le marché s'équilibrer seul, il aboutira toujours à un nombre supérieur de personnes employées. C'est donc sur le marché du travail qu'il faut se concentrer pour réduire le chômage, en supprimant les barrières réglementaires et en améliorant la formation et l'information des travailleurs et leur mobilité. Mais personne, même les libéraux les plus extrêmes, ne prétend qu'un marché fusse-t-il pur et parfait conduirait à la fin du chômage. Simplement, il conduirait à l'optimum d'emploi, mais il resterait toujours des "chômeurs volontaires" qui préfèrent ne pas travailleur plutôt qu'accepter les salaires offerts par le marché.

Pourquoi ? Parce que vient se greffer sur ce raisonnement un deuxième paramètre: celui de la demande. En effet, comme la force de travail ne se stocke pas, un employeur n'embauche pas simplement parce que le travail est bon marché à un moment donné. Il embauche pour répondre à une demande de produits. Ou pour être plus précis, parce que le prix de l'embauche d'un travailleur supplémentaire est inférieur au prix auquel il peut vendre le produit supplémentaire fabriqué par ce travailleur (1). En d'autres termes, même si l'on accepte le raisonnement qui précède, le salaire que l'employeur est prêt à payer dépend étroitement de la demande – en quantité mais aussi en prix – qu'il a à satisfaire. Plus la demande est élevée, plus il a besoin de main d’œuvre et plus il est prêt à payer pour l'obtenir. Il y a donc à côté du "chômage volontaire" des libéraux, un chômage dit "keynésien" qui est lié à la faiblesse de la demande. S'il n'y a personne pour acheter les produits, les employeurs n'auront aucun intérêt à embaucher.

Et c'est là que la chose boucle: la personne qui achète le produit et le travailleur qui le fabrique sont, en termes macroéconomiques, la même personne. C'est là toute la logique perçue déjà par Ford – qui avait compris qu'il fallait payer de bons salaires pour que les ouvriers puissent acheter des voitures – et théorisée par Keynes. Mais ce mécanisme se trouve compliqué par les échanges internationaux. En effet, ceux qui produisent les panneaux solaires made in China et ceux qui les achètent ne sont pas tout à fait les mêmes. La question de la demande n'est pas seulement une question quantitative, c'est aussi une question de répartition géographique.

Il se pose ici une question que la théorie libérale préfère éviter: que se passe-t-il si le prix d'équilibre du marché du travail se trouve en dessous du niveau de subsistance ? En d'autres termes, que se passe-t-il si pour avoir un travail il fallait accepter un salaire qui ne permet pas de renouveler cette force de travail ? La réponse cynique serait que les travailleurs en excès meurent, réduisant du coup l'offre et poussant le prix vers le haut. Le problème, c'est que si nos civilisations admettent qu'on puisse détruit des téléviseurs ou des voitures qui n'ont pas trouvé preneur sur le marché, on admet beaucoup plus difficilement – et c'est fort heureux – qu'on puisse détruire des êtres humains. Par ailleurs, les êtres humains ont d'autres recours pour survivre que le travail: le vol, le brigandage, le trafic… en d'autres termes, un prix du travail trop bas permet peut-être d'optimiser le nombre de gens employés, mais peut générer toute une série de comportements asociaux qui ont, eux aussi, leur coût…

Comme je l'ai expliqué plusieurs fois sur ce blog, je ne suis pas un ennemi par principe du marché. Il y a beaucoup de domaines où la confrontation de l'offre et de la demande est la manière la plus efficiente de produire un prix et d'optimiser l'échange. Mais pour les raisons exposées plus haut, le "marché du travail" n'est pas l'un de ces domaines. La vision purement "libérale" du marché du travail n'est pas socialement supportable. La question est donc comment et sur quel critère réguler, quels instruments utiliser pour aboutir à réduire le fléau du chômage.

Pourquoi ne pas "partager le travail" comme certains le suggèrent ? Après tout, si l'on fait un raisonnement global, le système fonctionne: s'il faut N heures pour produire ce que la société consomme, alors il suffirait de diviser ce "N" par le nombre de travailleurs disponibles. Ainsi, tout le monde travaillerait et on disposerait des biens nécessaires pour distribuer à la société. Le problème de ce schéma, c'est qu'il suppose naïvement que les gens se contenteront de leur part, et qu'ils ne chercheront pas à l'augmenter en particulier en allant chercher des produits moins chers ailleurs. Si avec le produit d'une heure de travail je peux m'acheter une chemisette française ou deux chemisettes chinoises, quel sera mon choix ? Et une fois que j'aurai acheté les chemisettes chinoises, j'aurai écorné ce nombre "N" d'heures à distribuer… et quelqu'un aura perdu son emploi. La logique du "partage du travail" est une logique malthusienne, et il ne faut pas oublier que Malthus était d'abord un moraliste. Un tel mécanisme suppose soit un protectionnisme confinant à l'autarcie, soit une discipline interne qui ferait que chacun détournerait ses yeux avec horreur des produits bon marché importés.

Je vais poser la question d'une manière différente: Chaque travailleur est en fait un Dr Jekyll et un Mr Hide. Côté Jekyll, en tant que travailleur il a intérêt à ce que la productivité soit faible et les salaires élevés. Côte Hyde, en tant que consommateur, il a intérêt à ce que les prix des biens soient bas. Or, pour que les prix des biens soient bas il faut que le producteur paye de faibles salaires et augmente la productivité.

C'est ce dilemme fondamental qui rend si difficile aujourd'hui la lutte contre le chômage. On se trompe de cible à mon avis en tirant sur "les patrons" ou "les capitalistes". Bien sur, le chômage est pour eux une aubaine parce qu'il pousse les salaires vers le bas. Mais passé un certain seuil, cet avantage se trouve plus que compensé par un inconvénient: le chômage assèche le pouvoir d'achat de ceux qui achètent leurs produits. Qui dirait aujourd'hui que le chômage fait les affaires de PSA ou de Virgin par exemple ? Croire que cela amuse les capitalistes de fermer des usines ou de les délocaliser, c'est se tromper de cible. Les industriels délocalisent souvent parce qu'ils n'ont pas le choix, et le font moins sur la pression de leurs actionnaires que celle de leurs clients. On glose souvent sur les fonds d'investissement qui exigent "une rentabilité à deux chiffres". On parle moins des clients qui exigent des voitures pas chères, et qui vont les acheter chez Hyundaï ou chez Toyota si Renault ou PSA ne leurs proposent pas. Et comment Renault ou PSA pourraient proposer ces prix sans délocaliser ?

Ce système revient en fait à vivre à crédit. Car en dernière instance, les lois de la conservation de la matière s'imposent à tous, et aucune société ne peut consommer plus qu'elle ne produit sans s'appauvrir. L'aspect monétaire des échanges peut dissimuler cette triste vérité quelque temps, mais en dernière instance elle finit par réapparaître. Elle réapparait chez nous à travers du déficit de la balance des échanges courants (2). On peut classer les pays en deux groupes: ceux qui payent de bons salaires, et ceux qui payent une misère. Dans le premier groupe, on consomme beaucoup mais on produit peu, puisque les productions sont peu compétitives. Dans le second groupe, à l'inverse, on consomme peu – puisque les salaires sont faibles – mais on produit beaucoup. On voit bien que le flux de produits va du second groupe au premier, et que le flux de monnaie prend le chemin inverse. En d'autres termes, les "consommateurs" creusent leurs dettes alors que les "producteurs" accumulent les créances.

Bien entendu, cette description globale gomme un petit détail: ceux qui "consomment" et ceux qui "produisent" ne sont pas tout à fait les mêmes. Dans les pays à salaires élevés, des classes moyennes nombreuses et puissantes, travaillant dans des domaines difficiles à délocaliser, qui portent l'essentiel de la consommation, alors que les ouvriers et les petits employés voient leur consommation baisser sous la menace du chômage. Dans les pays à salaires faibles, ce sont des travailleurs pauvres qui produisent. En d'autres termes, ce sont les classes moyennes des pays développés qui profitent de la sur-exploitation dans les pays à bas salaires. La question fondamentale derrière le chômage dans les pays développés est une question de répartition interne dans la société. Un "protectionnisme intelligent", dont la logique est de maintenir une balance des échanges équilibrée, se traduirait nécessairement par une augmentation des prix – puisqu'on n'aurait plus les produits importés pour pousser les prix vers le bas – et donc par une baisse de la consommation. Et si cette baisse était répartie avec justice, ce serait une baisse pour ceux qui consomment le plus, c'est à dire, les classes moyennes.

On m'opposera certainement l'exemple allemand. N'est ce pas là un pays avec une classe moyenne puissante, qui arrive à vendre ses produits en Chine et ailleurs et maintenir le plein emploi ? Je ferai à ce propos deux remarques: la première est que l'exemple allemand illustre à la perfection l'une des thèses que j'ai toujours défendu dans ce blog: que l'élément essentiel n'est pas le déficit budgétaire mais bien la balance des échanges extérieurs. Si l'Allemagne peut aujourd'hui juguler le chômage et équilibrer les budgets publics c'est avant tout parce qu'elle a une balance des échanges externes excédentaire. La seconde remarque, c'est que si la classe moyenne allemande est puissante, elle est pour des raisons historiques et sociales bien plus frugale que les classes moyennes française ou britannique, et que la tradition industrielle allemande avec son régime de cogestion donne au monde industriel un poids dans la décision politique que n'a pas son équivalent français. Si la politique industrielle française avait été faite par les grands capitaines d'industrie en accord avec les syndicats plutôt que par des politicards prêts à sacrifier l'industrie française sur l'autel européen pour sauver la consommation des classes moyennes, on n'en serait pas là.

C'est là que se trouve le nœud de l'affaire. Le chômage de masse n'est pas un accident, une catastrophe naturelle et encore moins un processus magique. Il résulte d'un choix économique, celui de privilégier le consommateur par rapport au producteur, ou plus précisément, de transférer de la richesse des couches sociales qui produisent vers les couches sociales qui consomment. C'est à dire, des couches modestes vers les classes moyennes. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si développement du chômage de masse coïncide avec la prise du pouvoir par les classes moyennes à la fin des années 1970. Si l'on veut donc s'attaquer au chômage, ce n'est pas vers des "emplois jeunes" ou d'autres mesures palliatives qu'il faut se tourner, pas plus que vers des "interdictions des licenciements boursiers" et autres bêtises. Il nous faut revenir à une activité économique saine fondée sur la production, et non sur la consommation à crédit. Ce qui implique une répartition plus juste de la richesse produite et donc – c'est une conséquence obligée – une baisse de la consommation des couches moyennes. Le plein emploi est à ce prix. Quant à savoir comment faire payer les couches moyennes sans qu'elles renversent la République… c'est là que les ennuis commencent !

Descartes

(1) C'est ce qu'on appelle le "prix marginal" d'un produit ou d'un travailleur: c'est le prix de la dernière unité de production ou de travail. Une loi de l'économie assez évidente montre qu'un employeur a intérêt à embaucher aussi longtemps que le prix d'un travailleur supplémentaire est inférieur au prix du produit qu'il fabrique par son travail. A l'équilibre, on peut dire que le prix marginal du travailleur et le prix marginal de sa production s'équilibrent.

(2) Déficit qui, comme vous pouvez le constater chaque jour, ne semble inquiéter personne… contrairement au déficit budgétaire que nos vaillants journalistes économiques surveillent comme le lait sur le feu. C'est tout de même étrange que la question de l'équilibre entre le prélèvement et la dépense publique – qui n'est finalement qu'une question de répartition entre les dépenses – soient considérés plus importants que la question de l'équilibre entre ce qui est produit et ce qui est consommé, qui est le cœur de l'économie. Il est vrai que derrière la question du déficit budgétaire se cache la question des impôts, et que les impôts sont le grand fantasme des classes moyennes… Encore une illustration du poids des classes moyennes sur le débat politique.

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58 réponses à Le chômage et ses mystères…

  1. CVT dit :

    [Quant à savoir comment faire payer les couches moyennes sans qu’elles renversent la République… c’est là que les ennuis commencent !]
    En fait, la situation économique actuelle répond déjà à une partie de la question: le chômage des jeunes est élevé, et touche de plus en plus les enfants des classes moyennes. La solution proposée est donc…L’exil! D’où ma paranoïa initiale sur l’anglicisation de l’enseignement supérieur français, facilitant une fuite des cerveaux vers d’autres pays plus offrants (je songe à l’Allemagne de Merkel, qui pratique la fuite des cerveaux de ses pays voisins…).
    D’une façon générale, on pourra croire que c’est aussi une façon de renverser la République, mais il ne faut absolument pas sous-estimer les effets d’une expatriation et du mal du pays… Est-ce un avenir auquel les classes moyennes aspirent?

    • Descartes dit :

      [le chômage des jeunes est élevé, et touche de plus en plus les enfants des classes moyennes.]

      Pas vraiment. Et en tout cas, pas assez pour qu’une prise de conscience s’opère. La réaction des classes moyennes est d’ailleurs, comme je l’avais dit dans un papier ancien, de jeter les autres au crocodile avec l’espoir que la bête sera rassasiée avant que leur tour arrive. Les classes moyennes, confrontées à la menace du chômage, réagissent en cassant l’ascenseur social – ou ce qui en reste – pour empêcher aux enfants des couches populaires de concurrencer leurs propres rejetons.

      [D’où ma paranoïa initiale sur l’anglicisation de l’enseignement supérieur français, facilitant une fuite des cerveaux vers d’autres pays plus offrants]

      Je n’y crois pas vraiment. On peut avoir l’illusion que l’herbe est plus verte de l’autre côté de la barrière, mais ceux qui ont été expatriés – et c’est mon cas – savent que ce n’est pas, loin de là, un lit de roses…

  2. yann dit :

    @Descarte
    Je suis évidemment globalement d’accord avec votre texte. Cependant j’ai quelques remarques à faire.

    Mais d’abord une petite question. Vous qui connaissez assez bien le milieu de la gauche française. Est-ce que Mitterrand pensait vraiment ce qu’il disait, ou jouait-il un rôle? Parce que personnellement je me demande si le fameux tournant de 1983 n’a pas était orchestré d’une main de maître, même si j’ai tendance à me méfier des divagations de complotiste. Le PS était-il à ce point à la ramasse pour ne pas savoir qu’une relance keynésienne sans dévaluation et sans protectionnisme était vouée à l’échec. Était-ce de la bêtise ou un calcul pour justifier tous les abandons qui suivirent?

    Sinon vous dites:
    « La vision purement "libérale" du marché du travail n’est pas socialement supportable. »

    Elle est surtout en grande partie fausse. Ne serait que parce que l’équation qui veut que la hausse des prix suffise à réduire la demande et inversement n’est pas toujours vraie. Il y a tout un tas de facteurs qui interagissent avec cette réalité et qui fausse cette intuition. Il suffit de voir l’évolution du marché immobilier pour voir que la corrélation entre évolution des prix et de la demande n’est pas aussi simple que le stipulent les théories fumeuses du libéralisme. Je ne vous ferai pas non plus l’affront de rappeler à quel point l’hypothèse de l’homoéconomicus, qui n’est mu que pas l’intérêt pécuniaire, est absurde. L’être humain n’agit pas toujours dans son intérêt purement économique, et ses motivations premières ne sont d’ailleurs pas toujours économiques. Sans parler du fait que comme le disait Keynes il est plus moutonnier que rationnel dans son comportement économique.

    «  En d’autres termes, ce sont les classes moyennes des pays développés qui profitent de la sur-exploitation dans les pays à bas salaires. « 

    Il ne faut pas oublier les classes sociales dominantes de ces pays qui tirent aussi largement de ce marché de dupes. À titre personnel j’appelle cela l’international des riches. Les riches d’Asie ont une croissance sans inflation, car ils peuvent produire sans avoir à répartir les richesses par la hausse des salaires en exportant. Si la Chine était restreinte à son propre marché, le système n’aurait d’autre choix que de mieux répartir les richesses pour éviter la surproduction.Comme nous le fîmes nous même après guerre et après la crise de 29. De l’autre côté, les riches et les classes aisées des pays occidentaux peuvent consommer sans avoir à négocier avec les producteurs locaux qui sont éliminés de l’équation par le libre-échange intégral, ce à quoi s’ajoutent les effets de la monnaie surévaluée européenne.

    « dont la logique est de maintenir une balance des échanges équilibrée, se traduirait nécessairement par une augmentation des prix – puisqu’on n’aurait plus les produits importés pour pousser les prix vers le bas – et donc par une baisse de la consommation. « 

    Je pense personnellement que le véritable effet serait avant tout une baisse de la part de la rente dans l’économie locale. On peut d’ailleurs imaginer réindexer les salaires à l’inflation de façon à utiliser l’inflation comme un moyen de rééquilibrage social en faveur des classes sociales productives. Qui plus est, il ne faut pas oublier les effets secondaires du protectionnisme. En relocalisant les activités, nous réenclencherons l’optimisme et l’innovation locale. Et avec les progrès en robotique et en automatisation je pense qu’à long terme les effets inflationnistes seront assez largement atténués. On aura une forte hausse des prix à long terme puis on retrouvera une hausse plus lente et surtout de forts gains de productivité. Gain qui est surtout le fait de l’industrie et du secteur agricole, plus que du secteur tertiaire.

    « Si l’Allemagne peut aujourd’hui juguler le chômage et équilibrer les budgets publics c’est avant tout parce qu’elle a une balance des échanges externes excédentaire. « 
    Il faut se méfier des chiffres allemands. L’excédent de ce pays est aussi le fruit de sa propre contraction et de sa démographie. Il est plus facile de limiter la hausse du chômage dans un pays qui se dépeuple. Ensuite comme vous pourrez le voir sur cette intéressante *analyse du commerce extérieur allemand, ce pays surtout son beurre sur ses voisins. Le modèle allemand est donc ipso facto non exportable. Car il est fondé sur le fait qu’il est le seul à le pratiquer. Si tout le monde fait comme l’Allemagne où donc les Allemands exporteront-ils ?

    *http://criseusa.blog.lemonde.fr/2013/05/23/lallemagne-est-elle-le-modele-dune-sortie-de-crise-par-les-exportations-une-analyse-demythificatrice/

    • Descartes dit :

      [Mais d’abord une petite question. Vous qui connaissez assez bien le milieu de la gauche française. Est-ce que Mitterrand pensait vraiment ce qu’il disait, ou jouait-il un rôle?]

      Je ne crois pas qu’il jouait un rôle. Mitterrand ne croyait certainement pas à la "rupture avec le capitalisme" et autres formules qu’il a reprises pour faire plaisir à son aile gauche, mais je ne crois pas non plus qu’il ait fait partie d’un Grand Complot. C’était avant tout un opportuniste et un pragmatique.

      [Le PS était-il à ce point à la ramasse pour ne pas savoir qu’une relance keynésienne sans dévaluation et sans protectionnisme était vouée à l’échec]

      Il ne faut pas surestimer les politiques. Ce sont des hommes comme vous et moi. La gauche était dans l’incantation depuis 1958. Elle n’avait pas eu à se coltiner les problèmes économiques autrement que sur le mode rhétorique. Et ils croyaient vraiment qu’il suffit de "conquérir le pouvoir" pour que tout devienne possible. L’exaltation des partisans de Mélenchon, qui sont sincèrement convaincus que la "révolution citoyenne" est au coin de la rue – lisez son blog si vous ne me croyez pas – rappelle singulièrement le début des années 1980…

      [Elle est surtout en grande partie fausse. Ne serait que parce que l’équation qui veut que la hausse des prix suffise à réduire la demande et inversement n’est pas toujours vraie.]

      Pratiquement toujours. L’effet est plus ou moins fort – c’est ce qu’on appelle "l’élasticité" de la demande par rapport au prix – mais une augmentation du prix diminue pratiquement toujours la demande. Seuls certains marchés très disfonctionnels (le marché de l’art, par exemple) violent cette règle.

      Je ne crois pas qu’on puisse dire que la théorie libérale est "en grande partie fausse". La théorie des marchés est au contraire en grande partie vraie. Seulement, elle est vraie comme théorie, ce qui suppose qu’elle ne modélise la réalité que pour autant que la situation dans laquelle on l’applique respecte les hypothèses de départ de la théorie. Un marche "pur et parfait" est toujours efficient. Quel dommage que les marchés réels qui s’approchent d’un marché "pur et parfait" soient si rares…

      [Je pense personnellement que le véritable effet serait avant tout une baisse de la part de la rente dans l’économie locale. On peut d’ailleurs imaginer réindexer les salaires à l’inflation de façon à utiliser l’inflation comme un moyen de rééquilibrage social en faveur des classes sociales productives.]

      Tout à fait. Seulement voilà: cela signifie transférer une partie du revenu importante des classes moyennes vers les couches plus modestes. Et dans la mesure où les classes moyennes dominent aujourd’hui le champ politique, ce n’est pas évident d’obtenir d’elles pareille concession.

      [Si tout le monde fait comme l’Allemagne où donc les Allemands exporteront-ils ?]

      Bien entendu. C’est d’ailleurs une grande objection keynésienne: si la condition de la prospérité est une balance extérieure excédentaire, alors la prospérité des uns se fait nécessairement sur le dos des autres, puisque tout le monde ne peut être excédentaire en même temps. D’où la proposition de mécanismes fiscaux qui visent à ce que chacun ait une balance extérieure équilibrée – idée que j’ai reprise dans ma proposition de "protectionnisme intelligent"…

  3. J. Halpern dit :

    J’ai toujours un problème avec ta notion de "classe moyenne". Permets-moi de développer une analyse un peu différente.

    Les indicateurs d’inégalités de niveau de vie n’indiquent pas d’aggravation sensible en France – le ratio interdécile tourne autour de 3.5 depuis une trentaine d’années, et le coefficient de Gini en dessous de 0.3 (moins que les autres pays développés, excepté l’Allemagne). La seule augmentation sensible des inégalités concerne les 5% les plus riches, tout au plus (hausse de 24% du niveau de vie de 1996 à 2010, contre 18% pour le revenu médian). Ce n’est que dans les revenus du capital et le patrimoine que le décrochage est plus net, mais là encore cela se concentre sur 1/20 de la population tout au plus. La fracture dans l’évolution des niveaux de vie oppose la bourgeoisie aux "classes moyennes", plutôt que ces dernières au prolétariat.

    D’autre part, tu écris : "Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si développement du chômage de masse coïncide avec la prise du pouvoir par les classes moyennes à la fin des années 1970". Qui donc occupait "le pouvoir" avant les années 70 ? Le gaullisme n’était pas l’expression politique du prolétariat, mais plutôt de la bourgeoisie industrielle appuyée sur un compromis social ("fordiste") avec la classe ouvrière. La fracture des années 70 est d’abord interne à la bourgeoisie : la bourgeoisie financière en voie de "compradorisation" l’emporte sur la bourgeoisie industrielle, et imprime un nouveau compromis social qui lui assure le soutien du salariat protégé (fonction publique, en particulier, via la clientèle du PS, et secteur financier) et du lumpenprolétariat via l’assistanat et la "protection" des immigrés, ceci contre le secteur productif concurrentiel ("classes moyennes" et petits entrepreneurs compris). Le renversement n’est donc pas "horizontal" (classes moyennes contre prolétariat) mais "vertical" (secteurs protégé et rentier contre économie productive). La contradiction est que la crise économique remet en cause la distribution des miettes aux assistés et au fonctionnaires, qui se retrouvent ramenés au lot commun des salariés. Ainsi, l’hégémonie de la bourgeoisie financière est désormais mise en cause, sans que se structure clairement un "bloc historique" alternatif, mais qui en tout état de cause ne s’opposerait pas aux "classes moyennes" en tant que telles mais à la bourgeoisie financière.

    Tu évoques également " une répartition plus juste de la richesse produite et donc – c’est une conséquence obligée – une baisse de la consommation des couches moyennes." Là encore je crois que cette notion de "couche moyenne" n’est pas opératoire, car le changement, comme tu le montres par ailleurs, opposerait le secteur productif (et ses classes moyennes) au secteur financier-rentier (et ses classes moyennes). Pour les classes moyennes en général la baisse du pouvoir d’achat ne serait que provisoire, puisque le but de l’opération est tout de même d’obtenir une croissance durable de la production et du pouvoir d’achat plus élevée qu’aujourd’hui.

    • Descartes dit :

      [La fracture dans l’évolution des niveaux de vie oppose la bourgeoisie aux "classes moyennes", plutôt que ces dernières au prolétariat.]

      Ce n’est pas tout à fait vrai. Prenons par exemple les patrimoines. Entre 2004 et 2010, par exemple, le patrimoine inférieur au premier décile augmente de 9%, celui entre le premier et le deuxième diminue de 2% et celui entre le deuxième et le troisième décile diminuent de 1,5%… mais à partir de là, c’est l’envolée: +25% pour les patrimoines entre le 3ème et le 4ème, +45% entre le 4ème et le 5ème, +44% pour le 6ème… et ensuite cela descend très doucement jusqu’à 40% entre le 8ème et le 9ème décile. Vous remarquerez donc que les patrimoines qui ont le plus gagné sont ceux situés entre le 4ème et le 5ème décile. Seul les très gros patrimoines (au delà du 9ème décile) augmentent plus fortement, mais pas tant que cela: 47%. Ces chiffres montrent bien qu’alors que les couches modestes se décapitalisent, les couches moyennes se capitalisent. Et qu’il y a une remarquable continuité entre le gain des classes moyennes et celui de la "bourgeoisie", alors que la discontinuité se trouve vers le bas.

      Quelque chose de similaire arrive au niveau des niveaux de vie. Entre 2002 et 2010, le 1er décile a gagné 3%, le deuxième décile 4,2%, le troisième 5,7%, le quatrième 6%, le cinquième 6,2%, le sixième 6,2%, le septième 6%, le huitième 6,2%, le neuvième 5,6%. On constate donc encore une fois une continuité presque parfaite entre les classes moyennes et la bourgeoisie (avec un petit avantage pour les premières) et une discontinuité au contraire avec les couches populaires.

      Bien entendu, ces constatations s’appliquent avec une définition des classes moyennes liée au revenu et au patrimoine. Si l’on utilise ma définition, le calcul est beaucoup plus compliqué.

      [D’autre part, tu écris : "Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si développement du chômage de masse coïncide avec la prise du pouvoir par les classes moyennes à la fin des années 1970". Qui donc occupait "le pouvoir" avant les années 70 ? Le gaullisme n’était pas l’expression politique du prolétariat, mais plutôt de la bourgeoisie industrielle appuyée sur un compromis social ("fordiste") avec la classe ouvrière.]

      Tout à fait. On peut parler d’un pouvoir "gaullo-communiste", même si les communistes n’étaient pas au gouvernement.

      [La fracture des années 70 est d’abord interne à la bourgeoisie : la bourgeoisie financière en voie de "compradorisation" l’emporte sur la bourgeoisie industrielle, et imprime un nouveau compromis social]

      Tout à fait. Et ce "compromis social" est constitué d’une alliance entre cette bourgeoisie financière et les classes moyennes. Pas les salariés protégés: je ne me souviens pas que les travailleurs d’EDF-GDF ou les petits fonctionnaires soient sortis dans la rue pour demander une politique libérale ou le remplacement emblématique de De Gaulle par Giscard. Mais des couches protégées par leur contrôle d’un capital – matériel ou immatériel – suffisant pour leur donner un pouvoir de négociation, et pour que leurs intérêts coïncident avec ceux de la bourgeoisie.

      [Là encore je crois que cette notion de "couche moyenne" n’est pas opératoire, car le changement, comme tu le montres par ailleurs, opposerait le secteur productif (et ses classes moyennes) au secteur financier-rentier (et ses classes moyennes).]

      Je pense que l’immense majorité des classes moyennes – pour ne pas dire la totalité – sont du côté du secteur financier-rentier, qui est celui qui est le plus proche de leurs intérêts.

      [Pour les classes moyennes en général la baisse du pouvoir d’achat ne serait que provisoire, puisque le but de l’opération est tout de même d’obtenir une croissance durable de la production et du pouvoir d’achat plus élevée qu’aujourd’hui.]

      Peut être. Mais je vois mal les couches moyennes accepter une baisse de leur niveau de vie, fut il provisoire, alors que leur alliance avec la bourgeoisie leur permet de s’en passer. Pour que l’alliance entre les classes moyennes et la bourgeoisie soit rompu, il faudrait que les premières prennent conscience qu’avec le système actuel elles risquent tout au tard d’être abandonnées en rase campagne. Cette prise de conscience est loin d’être une réalité aujourd’hui.

      Merci en tout cas de tes commentaires, c’est un plaisir de te revoir sur ce blog.

    • Albert dit :

      Yann et J. Alphern font des observations pertinentes que vos réponses statistiques ne suffisent pas à balayer, à mon sens.Je me méfie énormément des statistiques et des statisticiens, par expérience(politique). Peut-être suis-je insuffisamment cartésien?
      Votre analyse relative à l’alliance entre "la bourgeoisie" et les "classes moyennes" me parait plus intéressante car plus globale, plus complexe. Je ferai toutefois quelques remarques à ce sujet:
      . cette éventuelle "alliance objective", de fait donc,vraie un temps, l’est-elle encore aujourd’hui? Pas si sûr.
      . les appellations "bourgeoisie" et "classes moyennes" justifieraient sans doute, à mon avis, un affinement- surtout pour ces dernières.

      Ainsi, par exemple, s’agissant des montants globaux de l’assurance-vie détenus en France, on évoque toujours le total en milliards d’euros ou le nombre de détenteurs de contrats, mais pas le fait qu’une petite minorité de contrats totalisent la plus grande partie des milliards évoqués. Alors, intérêts communs entre les "gros" et les "moyens"? Pas si sûr. Idem pour les patrimoines: attention à l’usage des statistiques, "un train peut toujours en cacher un autre". Les "classes moyennes" sont aussi en bonne partie de larges franges de "classes populaires" qui ont progressé; y a-t-il lieu de les faire revenir en arrière? etc. etc….

    • Descartes dit :

      [Yann et J. Alphern font des observations pertinentes que vos réponses statistiques ne suffisent pas à balayer, à mon sens. Je me méfie énormément des statistiques et des statisticiens, par expérience(politique). Peut-être suis-je insuffisamment cartésien?]

      Certainement. En économie, si vous refusez les statistiques, vous ne pouvez compter que sur des impressions. Comment voulez vous accéder à la réalité sans instruments de mesure ?
      Je pense au contraire que les statistiques en question montrent un fait essentiel: que la "rupture" se trouve entre les couches moyennes et les couches modestes, et non pas entre la bourgeoisie et les classes moyennes. A partir de là, difficile d’imaginer qu’il puisse avoir une alliance politique entre les couches moyennes et les couches populaires. Et cette conclusion se vérifie d’ailleurs dans les faits: depuis trente ans les classes moyennes ont été complices de la bourgeoisie pour mener les politiques libérales, alors que les couches populaires n’ont pas de représentation politique.

      [. cette éventuelle "alliance objective", de fait donc, vraie un temps, l’est-elle encore aujourd’hui? Pas si sûr.]

      Pensez-vous vraiment qu’aujourd’hui, à l’heure de voter, les classes moyennes et les ouvriers favorisent les mêmes politiques ?

      [. les appellations "bourgeoisie" et "classes moyennes" justifieraient sans doute, à mon avis, un affinement- surtout pour ces dernières.]

      Tout à fait. J’ai essayé de donner une définition marxiste en fonction de leur place dans le système de production: ce sont les couches qui ont suffisamment de capital pour ne pas être exploités, mais pas assez pour être des exploiteurs.

      [Ainsi, par exemple, s’agissant des montants globaux de l’assurance-vie détenus en France, on évoque toujours le total en milliards d’euros ou le nombre de détenteurs de contrats, mais pas le fait qu’une petite minorité de contrats totalisent la plus grande partie des milliards évoqués. Alors, intérêts communs entre les "gros" et les "moyens"?]

      J’aimerais que vous m’indiquiez d’où sortent vos chiffres. Non, ce n’est pas vrai: ce n’est pas "une petite minorité de contrats" qui totalisent "la plus grande partie des milliards évoqués". La distribution du patrimoine est une pyramide: la pointe est très haute, mais très fine. En d’autres termes, il y a des gens très riches, mais ils sont très peu nombreux. Les classes moyennes sont moins riches, mais elles sont très nombreuses. C’est pourquoi la "plus grande partie des milliards" est détenue par les couches moyennes…

      [Pas si sûr. Idem pour les patrimoines: attention à l’usage des statistiques, "un train peut toujours en cacher un autre". Les "classes moyennes" sont aussi en bonne partie de larges franges de "classes populaires" qui ont progressé; y a-t-il lieu de les faire revenir en arrière? etc. etc…]

      C’était vrai il y a quarante ans. Mais ces dernières années, l’ascenseur social ne marche pas très bien. La société française est devenue une société figée, où les couches sociales se reproduisent.

    • Albert dit :

      ["Tout à fait. J’ai essayé de donner une définition marxiste en fonction de leur place dans le système de production: ce sont les couches qui ont suffisamment de capital pour ne pas être exploités, mais pas assez pour être des exploiteurs."]

      Merci pour votre accord de principe. Il reste que la thématique des classes moyennes coupables parait centrale dans vos argumentations.
      La vision marxiste évoquée, à première vue séduisante, est d’abord restreinte à la conception univoque de cette philosophie. Ensuite, même en restant dans le schéma marxiste évoqué,l’appréciation est discutable. A-t-on un véritable "capital" aujourd’hui quand on a quelques économies et un appartement de 3 pièces acheté à crédit?

    • Descartes dit :

      [Il reste que la thématique des classes moyennes coupables parait centrale dans vos argumentations.]

      Pourquoi "coupables" ? Je voudrais être bien compris: je ne parle jamais en matière politique de "culpabilité". Les classes moyennes défendent leurs intérêts, et en cela elles ne sont pas très différentes des autres. Elles peuvent donc être la cause de beaucoup de choses, mais elles ne sont "coupables" de rien.
      Cela étant dit, oui, je pense que les classes moyennes sont un groupe social essentiel pour comprendre l’évolution des sociétés ces dernières quarante années. Leur rôle dans l’effondrement de la société construite dans l’après-guerre et son remplacement par l’ordre libéral-libertaire d’aujourd’hui est absolument essentiel.

      [A-t-on un véritable "capital" aujourd’hui quand on a quelques économies et un appartement de 3 pièces acheté à crédit?]

      Quand en plus de cela on a un bon diplôme ou une compétence rare qui vous permet de négocier avec votre employeur votre salaire au point de récupérer la totalité de la valeur que vous produisez, je dirais que oui… les classes moyennes ont un capital qui est souvent immatériel.

    • Tietie007 dit :

      Il y a chez beaucoup de gauchistes, l’idée que l’idéologie peut transformer le réel, et que la volonté politique peut soulever les montagnes, même économique. Ce fut la cause principal du "grand bon en avant" maoïste, qui se termina en catastrophe humaine. La ferveur révolutionnaire ne remplit pas la gamelle …

  4. marc.malesherbes dit :

    Bonjour,

    je me pose beaucoup de question sur le chômage et les nombreux "petits boulots" très temporaires ou à temps très partiels.

    Je crois comprendre votre analyse, et vos propositions, mais malheureusement, j’ai l’impression que cela ne réglera la question que très partiellement, d’où mes questions.

    sur vos propositions, en résumé, le retour à une monnaie nationale, permet par la dévaluation, d’équilibrer la balance des paiements courants. Ce processus favorise les produits nationaux par rapport au produits importés, au prix d’une croissance plus élevée du prix des produits étrangers, et donc d’une baisse du pouvoir d’achat.

    Il reste que si on ne veut pas être entraîné dans une spirale de dévaluations, et donc dans une spirale de baisse de pouvoir d’achat, il faudra bien que nous accroissions notre productivité globale vis à vis de l’étranger, qui lui aussi progresse en productivité.

    Admettons que tout ceci soit réalisé, et que nous rétablissions notre déficit de la balance des paiements courants. Celle-ci ne représente qu’environ 2 à 3% de notre PIB. Il est donc clair que cela ne permettra pas de rétablir le plein emploi, ou même un niveau de chômage "acceptable".

    Pour ce faire, il faudrait imaginer un processus d’amélioration de notre productivité globale par rapport à l’étranger qui permettent faire croître l’emploi (les revenus afférents, la consommation afférente, l’achat de biens étrangers induits) sans de nouveau détériorer nos échanges courants. Tout ceci est bien difficile à croire quand on voit ou nous en sommes aujourd’hui.

    Alors ?

    • Descartes dit :

      [Admettons que tout ceci soit réalisé, et que nous rétablissions notre déficit de la balance des paiements courants. Celle-ci ne représente qu’environ 2 à 3% de notre PIB. Il est donc clair que cela ne permettra pas de rétablir le plein emploi, ou même un niveau de chômage "acceptable".]

      Ce n’est pas tout à fait le bon raisonnement: bien sur, le déficit actuel de la balance des échanges représente quelque 4% du PIB. Mais si d’aventure on s’amusait à partager le travail, par exemple, il se creuserait très rapidement. En d’autres termes, l’absence d’un mécanisme automatique qui assure l’équilibre des échanges empêche tout "partage du travail", puisqu’on est contraints à se battre pour gagner la bataille de la compétitivité…

  5. tmn dit :

    Très intéressant article.

    > En effet, ceux qui achètent les panneaux solaires made in China et ceux qui les achètent ne sont pas tout à fait les mêmes

    Il y a une coquille là je pense.

  6. tmn dit :

    Je ne serai pas si pessimiste que vous dans votre conclusion. Sans avoir aucune preuve objective, j’ai le sentiment que pas mal de gens parmi les "classes moyennes" sont prêts à passer à autre chose que le "consommer toujours plus". Je ne vais pas vous faire le blabla sur ce que la consommation à outrance permet de tenter de combler comme manques : de relations humaines simples et sincères, d’épanouissement, d’impression d’être utile…Etc. Tout ça demande une lente prise de conscience, qui est à mon avis en cours.

    Mais évidemment l’envie de se foutre sur la gueule, de désigner des boucs émissaires, sera peut être là avant, ce n’est pas exclu.

    • Descartes dit :

      [j’ai le sentiment que pas mal de gens parmi les "classes moyennes" sont prêts à passer à autre chose que le "consommer toujours plus".]

      Vous êtes en effet très optimiste…

  7. Buridan dit :

    On a quelquefois de la peine à croire que vous-même parvenez à croire ce que vous écrivez.
    1° Les classes moyennes consomment, les classes populaires produisent. Autrement dit, l’ingénieur consomme sans produire, et la femme de ménage produit sans consommer…
    2° Les classes moyennes, "travaillant dans des domaines difficiles à localiser", ne souffrent pas de la situation éconbomique actuelle… (Signalons entre autres que, même si les jeunes ayant fait de bonnes études sont moins souvent chômeurs que les autres, c’est largement parce qu’ils évincent ces autres de postes de travail peu qualifiés et peu rémunérés…A part ça, les cadres moyens travaillant dans le textile ou l’automobile sont aussi menacés par la délocalisation que les travailleurs moins qualifiés)

    • Descartes dit :

      [On a quelquefois de la peine à croire que vous-même parvenez à croire ce que vous écrivez.]

      Croyez-moi, c’est réciproque…

      [Les classes moyennes consomment, les classes populaires produisent. Autrement dit, l’ingénieur consomme sans produire, et la femme de ménage produit sans consommer…]

      Vous devriez lire avec attention… j’ai dit "les classes moyennes consomment", je n’ai pas écrit "elles sont les seules à consommer". J’ai dit "les classes populaires produisent", je n’ai pas dit "elles sont les seules à produire". Je pense que le sens de mon commentaire est clair: il y a des couches qui produisent plus qu’elles ne consomment, et des couches qui consomment bien plus qu’elles ne produisent…

      [Les classes moyennes, "travaillant dans des domaines difficiles à localiser", ne souffrent pas de la situation économique actuelle…]

      Beaucoup moins que les autres, vous ne trouvez pas ? Promenez-vous dans les quatrième arrondissement de Paris, et promenez-vous à Aubervilliers. Quelle conclusion tirez vous ?

      [(Signalons entre autres que, même si les jeunes ayant fait de bonnes études sont moins souvent chômeurs que les autres, c’est largement parce qu’ils évincent ces autres de postes de travail peu qualifiés et peu rémunérés…]

      Mais au moins ils sont rémunérés. Diriez-vous que leur situation est plus ou moins enviable que celle des jeunes des couches populaires qu’ils évincent et qui se trouvent au chômage avec un RMI ? Par ailleurs, je ne connais pas beaucoup de jeunes "ayant fait de bonnes études" qui restent longtemps sur des postes "peu qualifiés et peu rémunérés".

      [A part ça, les cadres moyens travaillant dans le textile ou l’automobile sont aussi menacés par la délocalisation que les travailleurs moins qualifiés)]

      Certainement. Mais qu’est ce qui vous fait penser qu’ils appartiennent aux "classes moyennes" ? J’ai plusieurs fois expliqué ce point sur ce blog. Ma définition des "classes moyennes" ne fait pas appel à un critère salarial, mais à une position dans le système de production. Pour faire court, les "classes moyennes" pour moi sont celles qui ont un capital suffisant pour négocier leur rémunération de manière à ne pas être exploitées, mais qui n’en ont pas assez pour pouvoir exploiter d’autres…

  8. BJ dit :

    Quelle calamité, cette nouvelle interface ! Impossible de poster un message avec mon "vieux" PC sous Win XP ! Ça me répond systématiquement : "The CSRF token is invalid. Please try to resubmit the form". Et j’ai beau resubmiter, walou ! Pas possible de revenir à l’ancien mode ?

  9. BolchoKek dit :

    >C’est tout de même étrange que la question de l’équilibre entre le prélèvement et la dépense publique – qui n’est finalement qu’une question de répartition entre les dépenses – soient considérés plus importants que la question de l’équilibre entre ce qui est produit et ce qui est consommé, qui est le cœur de l’économie.<

    Ça me rappelle un peu les américains, qui se définissent parfois comme "fiscally conservative". Je ne sais vraiment pas ce qu’est cette tendance en occident à recentrer toute la question économique sur la politique fiscale… On se retrouve nécessairement avec un clivage entre ceux qui veulent augmenter les recettes et ceux qui veulent limiter les dépenses. Ça tire bien court, et ça n’a rien d’une véritable politique économique.

    >On glose souvent sur les fonds d’investissement qui exigent "une rentabilité à deux chiffres". On parle moins des clients qui exigent des voitures pas chères, et qui vont les acheter chez Hyundaï ou chez Toyota si Renault ou PSA ne leurs proposent pas.<

    Je vais retenir ce exemple, il me sera sûrement utile. Aux débats du Front de Gauche… Il suffira de regarder ce qui est garé devant !

    • Descartes dit :

      [Je ne sais vraiment pas ce qu’est cette tendance en occident à recentrer toute la question économique sur la politique fiscale…]

      Normal. Le système fiscal construit dans l’après guerre prélève chez les classes moyennes pour redistribuer chez les plus modestes. Voilà pourquoi la prise du pouvoir par les classes moyennes s’est traduite par une polarisation du débat sur les questions fiscales.

  10. Ivan Zicavo dit :

    Descartes,

    Avec la nouvelle version d’Overblog a disparu le flux RSS des commentaires. Pouvez-vous remédier à ce problème, ou cela vient-il du fonctionnement de la plateforme Overblog elle-même ?
    Merci par avance.

    • Descartes dit :

      Je crains que ce soit la nouvelle version… je ne peux malheureusement rien faire. OU alors je n’ai pas encore trouvé comment!

  11. Bannette dit :

    Bonjour Decartes :

    1. Quelques remarques informatiques : est-ce normal si je n’arrive pas à visualiser l’ensemble des commentaires ? Par exemple, si pour un billet, il est noté qu’il y a 39 commentaires, je n’arrive à lire que les quelques 10 premiers, mais pas le reste. J’ai essayé de voir si l’anomalie se vérifiait sur un autre écran, mais c’est la même chose. Cela vient-il de moi ou de la nouvelle interface ? C’est frustrant de ne pas pouvoir visualiser l’ensemble des commentaires…

    2. Suite à la mort de ce jeune homme, ma boîte mail avait été envahie de messages, d’appels à manifestations, etc de la part d’amis et anciens camarades ; avec l’expérience, j’ai appris à me méfier des campagnes d’indignations irréfléchies, et en lisant les faits, rien que les faits, j’ai une nouvelle fois été très irritée et agacée par les réactions. Je ne pense pas que les porte-paroles du FDG soient manipulateurs, je pense surtout qu’ils sont auto-intoxiqués (ah nous vivrions sous un régime quasi-pinochétiste depuis Sarko !) et bouffis d’orgueil (ils seraient bien entendu les derniers remparts contre l’hydre fasciste). Ils ont fini par croire à leur propre histoire, sous l’effet du virtualisme. Il suffit de voir comment ils ont interprété les manifestations anti-mariages homosexuels : ah l’hydre fasciste est sortie de sa tanière ! Alors que les opposants médiatiques étaient souvent plus ridicules que fascistes (comme cette femme qui a un nom calqué sur celui d’une ancienne vedette française des années 1960). On n’a pas eu le droit à un débat relevé sur les institutions entre républicains qui se respectent (seul Guaino a un peu élevé le niveau intellectuel à droite), de part et d’autre, il n’y eu que des échanges d’arguments clichés et d’invectives. Il y eu certes une poignée de cas d’homosexuels agressés, mais pas plus que sous les mandats Chirac ou Sarkozy.
    Cet orgueil mal placé et qui manipule les symboles se marie avec le terrorisme intellectuel le plus pernicieux : quand j’oppose mon stoïcisme et mon scepticisme face à la pseudo-vague pinochétiste nacht-und-nebel qui va très bientôt nous submerger, j’ai le droit aux habituelles accusations d’aveuglement et d’égoïsme. Dans les années 1930, on était aussi insouciants ! me dit-on. Je ne sais plus quoi faire pour les ramener à la réalité.

    3. Certes les bobos qui se racontent des histoires m’énervent à un point que j’ai envie de leur donner des claques, mais je les plains également car ce type de réactions puériles est aussi la méthode usée (oserai-je dire de la dernière chance ?) jusqu’à la corde pour tenter une énième fois de salir le FN car ils ne comprennent pas le vote. Quand bien même un authentique militant qui sa carte du FN aurait agressé un innocent, je ne pense pas que ça ferait reculer le FN en intentions de vote pour les prochaines élections. Au lieu de garder la tête froide et d’essayer de comprendre ce qui dans le discours du FN pourrait séduire les masses laborieuses, ils en viennent aux méthodes de Tonton…

    • Descartes dit :

      [1. Quelques remarques informatiques : est-ce normal si je n’arrive pas à visualiser l’ensemble des commentaires ? Par exemple, si pour un billet, il est noté qu’il y a 39 commentaires, je n’arrive à lire que les quelques 10 premiers, mais pas le reste.]

      Non, ce n’est pas normal. Je pense que quelque chose est pourrie dans votre navigateur. J’ai fait l’expérience et je n’ai pas de problème pour visualiser l’ensemble des commentaires. Dites moi si vous n’arrivez toujours pas.

      [Je ne pense pas que les porte-paroles du FDG soient manipulateurs, je pense surtout qu’ils sont auto-intoxiqués (ah nous vivrions sous un régime quasi-pinochétiste depuis Sarko !) et bouffis d’orgueil (ils seraient bien entendu les derniers remparts contre l’hydre fasciste). Ils ont fini par croire à leur propre histoire, sous l’effet du virtualisme.]

      Je partage tout à fait votre analyse. Les gens ont toujours eu envie de croire. Entre autres choses, parce que la magie de la croyance permet de justifier à peu près n’importe quoi. On peut ainsi justifier sa fascination de la violence en se fabriquant un monde fantasmatique où il faut se protéger contre un danger plus ou moins imaginaire. A droite, l’hydre de Lerne s’appelle « islamisation rampante », à gauche « fascisme rampant ». On peut même justifier le fait de ne pas payer des impôts ou de sauter les contrôles du métro par un « je n’ai pas envie de contribuer au fonctionnement de l’Etat capitaliste et fasciste ». Et ce dernier exemple n’est pas virtuel, c’est du vécu !

      La seule manière de combattre cette tendance, oh ! combien humaine, à croire ce qui nous arrange même lorsque cela contredit la réalité observable, c’est la pédagogie des faits. C’est pourquoi je me méfie des dirigeants dont le discours aboutit à l’idée qu’il faut se méfier de toute source d’information autre que celles bénies par lui. Une telle pensée est un instrument puissant de domination, puisqu’elle enferme le croyant en dévalorisant par avance tout ce qui peut contredire sa croyance.

      [Cet orgueil mal placé et qui manipule les symboles se marie avec le terrorisme intellectuel le plus pernicieux : quand j’oppose mon stoïcisme et mon scepticisme face à la pseudo-vague pinochétiste nacht-und-nebel qui va très bientôt nous submerger, j’ai le droit aux habituelles accusations d’aveuglement et d’égoïsme. Dans les années 1930, on était aussi insouciants ! me dit-on. Je ne sais plus quoi faire pour les ramener à la réalité.]

      Il faut de la patience. Beaucoup de patience. Il faut aussi se placer dans la tête de l’autre, ce qui revient non pas à rejeter en bloc son discours, mais à le suivre pour mettre en évidence ses contradictions internes. Et surtout, il faut ramener toujours, partout, aux faits. Pour reprendre votre exemple, il faut montrer que dans les années 1930 on n’a pas du tout été « insouciant », au contraire, et que le fascisme a tout de même marqué des points. Puisque le discours des vos camarades vous ramène aux années 1930, il faut leur parler de ces années-là, rappeler les faits et montrer que les choses sont plus complexes qu’il ne paraît. En fait, le secret est là : si l’on veut sortir les gens à qui on parle de ces schémas manipulatoires, il faut COMPLEXIFIER le discours. En d’autres termes, il faut tenir un discours qui combatte le processus de simplification manichéenne des médias et des politiques. Je ne dis pas que c’est facile – c’est certainement plus difficile que de simplifier à tout crin – mais c’est la seule voie.

  12. Buridan dit :

    "Pour faire court, les "classes moyennes" pour moi sont celles qui ont un capital suffisant pour négocier leur rémunération de manière à ne pas être exploitées, mais qui n’en ont pas assez pour pouvoir exploiter d’autres…"
    Il y a un auteur qui a cette même définition, ou vous avez refondé la science économique tout seul ?

    • Descartes dit :

      Je trouve votre question curieusement formulée. Vous semblez contester ma définition non pas parce qu’elle serait incohérente, contradictoire ou inutile, mais parce qu’elle n’est pas couverte par une "autorité"…

      Je vous rassure: ce n’est pas parce qu’on introduit une catégorie nouvelle en la définissant qu’on "refonde la science économique", et à supposer même que ce soit moi qui ai inventé la définition en question, mon apport à la "science économique" aurait été très modeste. Mais en fait, je n’ai fait que retravailler un concept classique de la théorie marxiste, celui de la "petite bourgeoisie". Le concept doit être retravaillé parce que cette couche sociale ne joue pas du tout le même rôle qu’il jouait dans la société "polarisée" que Marx a décrit.

    • Buridan dit :

      Il n’y a en effet pas de mal à être original ou novateur. Le problème est quand c’est dans une science qu’on prétend l’être, et sur une question sur laquelle il n’y a pas débat : et par exemple les académies croulaient sous les messages d’amateurs éclairés qui prétendaient avoir démontré la conjecture de Fermat.
      Je n’ai pas fait d’études d’économie, cela dit, il me semble qu’on peut dire ce qui suit.
      La théorie du salaire à laquelle vous faites référence est la théorie marginaliste. Comment la combiner avec la théorie selon laquelle certains salariés disposent d’un capital qui fait qu’ils peuvent, comme salariés, être mieux payés que s’ils n’en disposaient pas ? Effectivement,, le postulant à un emploi peut dire à l’employeur : "si vous ne m’embauchez pas à tel prix, avec mon capital je monte une entreprise", et négocier ainsi un plus haut salaire que celui auquel il pourrait prétendre sans cela. Plus généralement, il peut dire : "si vous ne m’embauchez pas à tel prix, je monte une entreprise (par exemple, je travaille comme consultant)". Cette possibilité contribue certainement à augmenter le salaire de certains travailleurs. Mais il n’y a aucune raison pour que ça joue particulièrement pour les salariés très qualifiés, et cela n’est absolument pas ce qui rend compte de la différence de revenus entre un cadre (dirigeant, supérieur ou moyen) et un smicard. Par ailleurs, employer le mot "d’exploitation", dans le cadre de la théorie marginaliste, me semble incorrect. Si c’est un simple mot, je veux bien, mais il est à craindre que le mot soit employé pour pallier la faiblesse de la théorie…
      La vérité est que la différence de salaire net d’impôts entre les salariés bien payés et les salariés mal payés est très inférieure à ce qu’elle devrait être du point de vue de la théorie marginaliste : et en ce sens, au rebours de ce que vous soutenez, vous devriez parler de "l’exploitation" des cadres et des patrons par les smicards. Sans l’intervention de l’Etat social, les écarts de revenus réels seraient ceux déterminés par l’utilité marginale du travail : bien plus grands qu’ils ne sont, et semblables à ceux qui existent dans certains pays du Tiers Monde ou à ceux qui existaient en Europe il y a deux siècles. Notons que la gratuité relative des études supérieures pèse fortement sur la rémunération des travailleurs qualifiés. L’inflation des architectes, par exemple, contribue à abaisser la rémunération des architectes. Je me rappelle Jean Fourastié donnant un exemple très parlant quant à l’éventail des revenus : un balayeur sénégalais n’est pas moins qualifié qu’un balayeur français. Mais il gagne des dizaines de fois moins. Pourquoi ? Parce que les travailleurs qualifiés français sont beaucoup plus qualifiés que les travailleurs qualifiés sénégalais et qu’il y a une forte redistribution en France.

    • Descartes dit :

      [Il n’y a en effet pas de mal à être original ou novateur. Le problème est quand c’est dans une science qu’on prétend l’être, et sur une question sur laquelle il n’y a pas débat :]

      J’avoue que je ne comprends pas votre remarque. La question de la caractérisation économique des couches qui n’appartiennent ni à la bourgeoisie ni au prolétariat – et on peut ajouter de la définition même du prolétariat – est un grand sujet de débat entre les économistes marxistes. Ainsi, par exemple, vous avez des théories comme celle du "peuple-classe" qui prétend étendre le prolétariat pour couvrir l’ensemble du peuple – à l’exclusion de la bourgeoisie.

      [Je n’ai pas fait d’études d’économie, cela dit, il me semble qu’on peut dire ce qui suit.
      La théorie du salaire à laquelle vous faites référence est la théorie marginaliste.]

      Pas tout à fait. Vous verrez plus loin que mon raisonnement n’est nullement marginaliste.

      [Comment la combiner avec la théorie selon laquelle certains salariés disposent d’un capital qui fait qu’ils peuvent, comme salariés, être mieux payés que s’ils n’en disposaient pas ? Effectivement,, le postulant à un emploi peut dire à l’employeur : "si vous ne m’embauchez pas à tel prix, avec mon capital je monte une entreprise",]

      Non, ce n’est pas du tout mon raisonnement. Je comprends maintenant pourquoi vous avez cru que je faisait un raisonnement marginaliste, mais ce n’est pas le cas. Je ne dis pas que le pouvoir de négociation vienne du fait que le capital en question pourrait être employé par le travailleur ailleurs que dans l’entreprise. Ma théorie est que l’employé qui détient un capital apporte d’une certaine manière ce capital à l’entreprise qui l’embauche. En cela, il est en partie salarié – et donc exploité – et en partie associé du patron à qui il apporte son capital – et donc exploiteur. C’est en tant qu’associé qu’il a un pouvoir de négociation, comme n’importe quel associé qui peut menacer de retirer son capital de l’affaire.

      En d’autres termes, l’employé ne dit pas "si vous ne m’embauchez pas à tel prix, je fonde avec mon capital une entreprise", mais "si vous ne m’embauchez pas à tel prix, vous ne pourrez pas bénéficier de mon apport en capital"…

      [Mais il n’y a aucune raison pour que ça joue particulièrement pour les salariés très qualifiés, et cela n’est absolument pas ce qui rend compte de la différence de revenus entre un cadre (dirigeant, supérieur ou moyen) et un smicard.]

      Oui et non. Comme vous le dites, il n’y a pas de raison que cela bénéficie aux métiers très qualifiés: un artisan plombier peut gagner bien plus qu’un cadre, même supérieur. Par contre, dans ma théorie on peut considérer que la rémunération d’un travailleur il y a deux éléments: il y a la rémunération du travail qu’il effectue, mais aussi du capital qu’il apporte. Prenez par exemple deux ingénieurs ayant exactement les mêmes compétences, mais dont l’un est passé par le cabinet d’un grand patron et a un carnet d’adresses long comme le bras, et l’autre pas. Lequel à votre avis réussira a négocier le meilleur salaire ? Et pourtant, ils font le même travail…

      [Par ailleurs, employer le mot "d’exploitation", dans le cadre de la théorie marginaliste, me semble incorrect. Si c’est un simple mot, je veux bien, mais il est à craindre que le mot soit employé pour pallier la faiblesse de la théorie…]

      Comme je vous l’ai dit, je ne me place pas dans le cadre marginaliste, qui me semble peu adapté au marché du travail. Mais même en admettant l’hypothèse marginaliste, cela n’exclue nullement l’idée d’exploitation. Si l’employeur embauche un travailleur, c’est bien que cela lui rapporte quelque chose. Et si cela lui rapporte quelque chose, c’est bien qu’il ne verse pas au travailleur la totalité de la valeur que celui-ci produit. Il y a donc bien extraction de plusvalue et donc exploitation.

      [La vérité est que la différence de salaire net d’impôts entre les salariés bien payés et les salariés mal payés est très inférieure à ce qu’elle devrait être du point de vue de la théorie marginaliste : et en ce sens, au rebours de ce que vous soutenez, vous devriez parler de "l’exploitation" des cadres et des patrons par les smicards.]

      J’ai l’impression que vous ne comprenez pas bien ce qu’est l’exploitation. J’utilise toujours ce terme dans le sens que lui donne Marx. Il y a exploitation dès lors qu’un travailleur ne reçoit pas la totalité de la valeur nette qu’il produit, et qu’une partie de cette valeur est donc extraite par quelqu’un d’autre. La question n’est donc pas le niveau de salaires: un smicard qui produit une valeur inférieure au SMIC n’est pas exploité, un cadre qui en produit plus l’est. Accessoirement, cela n’a aucun rapport avec l’utilité considérée au sens marginaliste.

    • Buridan dit :

      Les explications que vous me donnez le font voir ceci :
      1° Vous employez le mot "capital" au sens que le mot a par exemple dans l’expression "capital culturel": vous pourriez aussi dire "utilité professionnelle". Pourquoi pas ?
      2° Vous employez le mot "exploitation’ au sens marxiste. Ce sens est un tour de passe-passe. Si un employeur paie moins un salarié que ce salarié ne lui rapporte, cela paie le capital investi (Marx fait comme si le capital était illimité et donc comme si son emploi ne devait recevoir aucune rétribution ; or le capitaliste fournit un bien, comme le travailleur, un bien relativement rare, et qui donc se fait payer, comme le travail, bien relativement rare, se fait payer aussi), et cela paie le "talent organisationnel" (ce n’est pas tout le monde qui, réunissant du capital et du travail, arrive à être rentable).
      3° Vous changez de thèse. Là vous dites que, du seul fait que le patron gagne sur un salarié, il l’exploite.
      4° Votre thèse est fausse. Un exemple : Une entreprise qui n’emploie que des cadres supérieurs (une entreprise d’avocats, par exemple). Elle n’exploite personne, pourtant elle paie très bien ses salariés.
      Si tous les travailleurs d’un certain niveau se valaient (par exemple il y a cinq classes de travailleurs, et, dans chaque classe un travailleur est exactement aussi performant que chacun des autres), et s’il n’y avait pas la possibilité pour un travailleur de créer une nouvelle entreprise (par exemple en se mettant à son compte), alors il n’y aurait pas de différence de revenu, même entre un travailleur d’une classe et un travailleur d’une autre classe (à moins qu’on manque de travailleurs d’une certaine classe). Ce qui fait qu’un ingénieur est plus payé qu’un balayeur est que la différence de production entre un ingénieur performant et un qui ne l’est pas est supérieure à la différence de production entre un balayeur performant et un qui ne l’est pas : les entreprises se disputent donc plus les ingénieurs performants qu’elles ne se disputent les balayeurs performants. Quant aux ingénieurs non performants, ils tendent à ne pas être employés comme ingénieurs : la catégorie "ingénieur" toute entière une catégorie relativement "performante".
      5° De plus, comme je le disais, l’écart entre les salaires réels est bien moindre que celui qu’il devrait être si les seules lois de l’utilité jouaient : si l’on vuet à tout prix maintenir la notion d’exploitation, ce sont les travailleurs bien payés qui sont exploités (cela dit, le mieux, évidemment, est de ne pas conserver le mot).

    • Descartes dit :

      [1° Vous employez le mot "capital" au sens que le mot a par exemple dans l’expression "capital culturel": vous pourriez aussi dire "utilité professionnelle". Pourquoi pas ?]

      Parce que ce sont deux choses différentes. Derrière l’idée de « capital » – mot que j’utilise là encore au sens marxiste du terme – se trouve l’idée d’accumulation. Le « capital culturel » est le fruit d’une accumulation et souvent d’une transmission intergénérationnelle qui el rapproche du capital matériel. Toutes les « utilités professionnelles » ne rentrent pas dans cette catégorie.

      [2° Vous employez le mot "exploitation’ au sens marxiste. Ce sens est un tour de passe-passe. Si un employeur paie moins un salarié que ce salarié ne lui rapporte, cela paie le capital investi (Marx fait comme si le capital était illimité et donc comme si son emploi ne devait recevoir aucune rétribution ; or le capitaliste fournit un bien, comme le travailleur, un bien relativement rare, et qui donc se fait payer, comme le travail, bien relativement rare, se fait payer aussi)]

      Non. Marx part du principe posé par Ricardo selon lequel le travail est la seule et exclusive source de valeur. Contrairement à ce que vous pensez, Marx ne fait nullement « comme si le capital était illimité » et comprend parfaitement que le capital soit rémunéré, et qu’il l’est à proportion de la rareté. Car c’est là la différence fondamentale : le travailleur apporte à la société un bien qu’il crée : le travail n’existe pas sans l’effort du travailleur. Le capitaliste apporte un bien qu’il possède : si le capitaliste disparaît, le capital demeure. Le travailleur est nécessaire à la production, car il n’y a pas de travail sans travailleur. Le capitaliste, au contraire, est parfaitement inutile : c’est le capital, et non le capitaliste, qui est nécessaire.

      Le capitaliste se trouve en fait dans la situation du seigneur dont le château se trouve dans une vallée stratégique qui lui permet de contrôler une route de commerce, et de se faire « rémunérer » par des péages soutirés aux marchands. Le seigneur met à disposition des marchands un « bien rare » – le droit de passage qu’il possède – et se fait payer. Mais vous voyez bien que ce prélèvement n’est qu’une rente générée par la possession, et que l’agent qui l’encaisse n’apporte rien en termes de production de valeur.

      La question économico-sociale que pose le marxisme est de savoir s’il est économiquement rationnel de « rémunérer » quelqu’un pour le simple fait de posséder quelque chose.

      [et cela paie le "talent organisationnel" (ce n’est pas tout le monde qui, réunissant du capital et du travail, arrive à être rentable). ]

      Pas du tout. Lorsque j’achète une SICAV, mon investissement est rémunéré et je ne fais preuve d’aucun « talent » particulier. Là, vous faites une confusion : la rémunération du capital ne rémunère aucun « talent », qu’il soit « organisationnel » ou autre. Le propriétaire du capital peut être totalement absent de l’entreprise, il peut être même anonyme, et il sera rémunéré quand même. Quelquefois, le capitaliste est en même temps l’organisateur de l’entreprise. Mais dans ce cas, il faut séparer dans sa rémunération ce qui relève de la rémunération de son TRAVAIL d’organisateur (et non son « talent ») de ce qui relève du capital.

      [3° Vous changez de thèse. Là vous dites que, du seul fait que le patron gagne sur un salarié, il l’exploite.]
      Je ne vois pas où j’aurais « changé de thèse ». J’ai au contraire toujours défendu la même, qui est en fait celle de Ricardo et de Marx : si le travail est la seule source de valeur, le fait qu’un acteur économique empoche de la valeur sans avoir à travailler démontre que quelque part il prélève de la valeur sur le travail. Et c’est cela la définition canonique de l’exploitation…

      [4° Votre thèse est fausse. Un exemple : Une entreprise qui n’emploie que des cadres supérieurs (une entreprise d’avocats, par exemple). Elle n’exploite personne, pourtant elle paie très bien ses salariés.]

      Encore une fois, vous semblez utiliser le terme « exploitation » dans son sens colloquial, alors qu’il a un sens différent en économie. L’exploitation ne consiste pas mal payer ses salariés, et le fait de « payer très bien » n’exclut pas l’exploitation. L’exploitation est le mécanisme par lequel une personne garde une partie de la valeur produite par le travail d’une autre. C’est tout. Dans un cabinet d’avocats, il y a les « associés » et les autres. Les associés font souvent le même travail que les autres… mais gagnent plus. Pourquoi, à votre avis ? Parce qu’une partie de la valeur produite par les avocats de base est extraite par les « associés ». Il y a donc « exploitation » alors même que tout le monde est « très bien payé ».

      [Si tous les travailleurs d’un certain niveau se valaient (par exemple il y a cinq classes de travailleurs, et, dans chaque classe un travailleur est exactement aussi performant que chacun des autres), et s’il n’y avait pas la possibilité pour un travailleur de créer une nouvelle entreprise (par exemple en se mettant à son compte), alors il n’y aurait pas de différence de revenu, même entre un travailleur d’une classe et un travailleur d’une autre classe (à moins qu’on manque de travailleurs d’une certaine classe).]

      Pas du tout. Pour que ce soit le cas, il faudrait d’abord que les classes en question soient étanches (c’est-à-dire, qu’aucun travailleur ne puisse, en suivant une formation par exemple, passer d’une classe à l’autre). Il y a ensuite le problème de savoir si dans chaque classe il y a excès ou manque de main d’œuvre. S’il y a manque, les salaires dans chaque « classe » seront fixés par l’utilité marginale qu’un travailleur fournit à l’entreprise. En effet, dans chaque « classe » les entreprises se battront pour attirer vers elles les travailleurs, denrée rare, en augmentant les salaires jusqu’à ce que ceux-ci soient égaux à l’utilité que l’entreprise obtient en embauchant. S’il y a excès de main d’œuvre, au contraire, les salaires seront fixés par l’utilité que le travailleur retire de son travail, c’est-à-dire, le salaire en deçà duquel suffisamment de travailleurs renoncent à travailler. Vous le voyez, il n’y a aucune raison pour que le salaire soit le même dans toutes les classes. Et encore, je suppose un marché du travail parfaitement libre et atomique, ou les salaires sont négociés individuellement…

      [Ce qui fait qu’un ingénieur est plus payé qu’un balayeur est que la différence de production entre un ingénieur performant et un qui ne l’est pas est supérieure à la différence de production entre un balayeur performant et un qui ne l’est pas : les entreprises se disputent donc plus les ingénieurs performants qu’elles ne se disputent les balayeurs performants.]

      Tout à fait. Mais allez au bout de votre raisonnement : pourquoi y a-t-il y a une si grande différence entre un ingénieur « performant » et un ingénieur moins performant qu’on ne retrouve pas chez le balayeur ? La raison est que l’ingénieur détient un capital considérable de connaissances, de relations, de savoir-faire, et qu’il peut choisir – en fonction de son niveau de contentement ou de mécontentement – de le mettre ou non à la disposition de l’entreprise. Un ingénieur peut faire le minimum syndical, ou bien il peut faire jouer toutes ses compétences, et le résultat sera très différent. A l’inverse, pour le balayeur le minimum syndical et le maximum ne sont pas très différents, puisqu’il n’a aucun capital à faire jouer.

      [Quant aux ingénieurs non performants, ils tendent à ne pas être employés comme ingénieurs : la catégorie "ingénieur" toute entière une catégorie relativement "performante".]

      J’avoue que je n’ai jamais rencontré un ingénieur, même peu performant, qui soit payé comme un balayeur… Non, je pense que vous avez une vision par trop mécaniste du problème. Au-delà de la question de la productivité, il y a la question de la liberté. Une entreprise peut s’accommoder d’OS ronchons, mais elle ne peut se permettre d’avoir des ingénieurs ronchons. Elle est donc obligée de négocier avec ses ingénieurs et de leur accorder des avantages qu’elle n’accorde pas à ses OS. Pourquoi cette différence ? Parce que d’un côté il y a des travailleurs qui n’apportent pas que leur travail, mais aussi un capital, et de l’autre non.

      [5° De plus, comme je le disais, l’écart entre les salaires réels est bien moindre que celui qu’il devrait être si les seules lois de l’utilité jouaient : si l’on veut à tout prix maintenir la notion d’exploitation, ce sont les travailleurs bien payés qui sont exploités (cela dit, le mieux, évidemment, est de ne pas conserver le mot)].

      Vaudrait mieux conserver le mot en l’utilisant correctement, à mon avis. Encore une fois, l’exploitation apparaît lorsque le travailleur ne récupère pas l’ensemble de la valeur nette qu’il produit. La question de savoir s’il est « bien payé » ou « mal payé » est irrecevable.

    • buridan dit :

      1° Dans une entreprise, toute rémunération du capital, vous l’appelez exploitation. Mais alors vous devriez appeler aussi "exploitation" la rémunération du capital dans un prêt…
      Cela dit, en un sens c’est simplement une querelle de mots : vous considérez que les capitalistes devraient prêter gratuitement leur capital, donc vous appelez exploitation la rémunération qu’ils en tirent, quand les autres considèrent que le capitaliste fournit un bien (ou plutôt vous considérez que le bien des capitalistes est une appropriation privée par eux d’un bien collectif – comme le seigneur qui s’approprie un passage (notons que proprement c’est le brigand qui s’approprie un bien qui n’est pas à lui – quand un homme tire revenu de légalement protéger des brigands un passage, c’est un seigneur et non un brigand)).
      2° Mais vous n’avez toujours pas prouvé ce qui est en jeu dans cette discussion : que la différence de salaire réel entre salarié membre de la classe moyenne et salarié populaire (disons entre cadre moyen et ouvrier peu qualifié) est "excessive", qu’elle est partiellement une redistribution du revenu du capital, qu’elle excède la différence justifiée par la différence de leur qualification, de leur utilité. Or elle est actuellement le contraire de cela : elle est beaucoup trop faible, je veux dire qu’il y a une énorme redistribution, que le salaire le plus bas (du travailleur pratiquement sans aucune qualification) est beaucoup trop élevé pour qu’on puisse dire ce que vous dites. [je ne suis pas en train de critiquer cette situation, bien entendu, je suis en train de dire qu’on ne vit pas dans une société capitaliste pure].

    • Descartes dit :

      [1° Dans une entreprise, toute rémunération du capital, vous l’appelez exploitation. Mais alors vous devriez appeler aussi "exploitation" la rémunération du capital dans un prêt…]

      Tout à fait. Le raisonnement est très simple: si comme le postule David Ricardo – un économiste libéral qu’on peut difficilement accuser d’être un affreux marxiste – le travail est la seule source de valeur, il s’ensuit avec une implacable logique que la rémunération du capital, sous quelque forme que ce soit, est nécessairement prélevée sur le travail. Ou pour le dire en d’autres termes, que la rémunération du capital provient de l’exploitation du travailleur.

      Je précise qu’il n’y a dans ce raisonnement ricardien aucune connotation morale. Vous pourriez soutenir qu’il est parfaitement juste et normal qu’une partie de la valeur produite par le travailleur soit prélevée de cette manière. Mais si vous contestez le raisonnement, vous êtes obligé de postuler que le travail n’est pas la seule source de valeur… et c’est là que vous allez avoir des problèmes.

      [Cela dit, en un sens c’est simplement une querelle de mots : vous considérez que les capitalistes devraient prêter gratuitement leur capital]

      Pas du tout. Je ne crois pas avoir dit que les capitalistes "devraient" faire telle ou telle chose. Je ne trouve pas très productif de mélanger morale et économie. Je parts de l’hypothèse que chacun sert ses intérêts. Et qu’il est donc "normal" que les capitalistes cherchent à exploiter autant que faire se peu leur position, tout comme les travailleurs ont intérêt à résister à cette exploitation.

      [quand les autres considèrent que le capitaliste fournit un bien (ou plutôt vous considérez que le bien des capitalistes est une appropriation privée par eux d’un bien collectif – comme le seigneur qui s’approprie un passage]

      Pas du tout. Je n’ai jamais dit que le seigneur de mon exemple se serait "approprié un bien collectif". Mon exemple ne perd rien de sa pertinence si le seigneur en question possède le plus légalement du monde le chemin en question. Vous semblez penser qu’il est logique que le propriétaire d’un bien soit rémunéré par le simple fait de laisser la jouissance du bien en question aux autres. La question est: sur quel fondement s’appuie cette idée ? Et puisque nous y sommes, pourquoi la rémunération serait plus "juste" pour le patron qui met une machine à disposition de l’ouvrier, pour un prêteur qui met son argent à la disposition d’un emprunteur, que pour le seigneur qui met son chemin, dont il est légitime propriétaire, à la disposition des passants ?

      [2° Mais vous n’avez toujours pas prouvé ce qui est en jeu dans cette discussion : que la différence de salaire réel entre salarié membre de la classe moyenne et salarié populaire (disons entre cadre moyen et ouvrier peu qualifié) est "excessive",]

      Je ne vois pas pourquoi je devrais "prouver" quelque chose que je n’ai jamais affirmé. Pour la n-ième fois, je vous répète que la question de savoir si la différence des salaires entre les uns et les autres est "excessive" est pour moi totalement secondaire. Comme Marx l’a montré en son temps, ce qui détermine le comportement politique des groupes sociaux n’est pas le montant de leur salaire, mais leur position dans le mode de production. Un petit patron est, politiquement, plus proche d’un gros patron que d’un ouvrier, même si son revenu est plus proche de ce dernier.

      [qu’elle est partiellement une redistribution du revenu du capital, qu’elle excède la différence justifiée par la différence de leur qualification, de leur utilité]

      Que le salaire n’est nullement relié à la qualification est une évidence: comparez le salaire moyen d’un soudeur qualifié ou d’un plombier avec celui d’un docteur d’Etat en sociologie… Maintenant, prenons l’utilité: pourquoi à votre avis un ingénieur qui a fait toute sa carrière dans la technique serait il moins "utile" en tant qu’ingénieur que celui qui a fréquenté plusieurs cabinets ministériels et descend d’une famille bien introduite dans les milieux financiers ? Ce ne sont pas ses compétences d’ingénieur qui font son utilité, mais c’est un capital immatériel. Et il faut parler ici de "capital" puisqu’il s’agit du résultat d’un processus d’accumulation.

    • Buridan dit :

      1° La personne qui, au lieu de consommer ses biens (en habitant un palais, par exemple ; en ayant quinze chevaux de selle), prête, ou investit, rend un service. Ce service est rétribué (plus ou moins, selon l’abondance du capital) : si bien que prétendre que seul le travail (ou la force de travail, ou le coût de la reproduction de la force de travail) est source de la valeur est erroné. L’emploi du capital l’est aussi. Certes, Ricardo et Marx ont dit ce que vous dites. Mais il me semble que la science économique a progressé depuis, et que vous appuyer sur ces dinosaures vous met dans une situation scientifiquement très inconfortable.
      2° Ici, votre représentant des classes moyennes, il travaille dans les cabinets ministériels et il descend d’une famille bien introduite dans les milieux financiers. Quelques lignes plus tôt, c’est la "position dans le mode de production" qui est définitoire, et l’exemple donné est d’un petit patron. On voit là deux des ambiguités de votre emploi du mot classes moyennes.
      1° Souvent, quand vous dites "classes moyennes", je me rends compte qu’il faut plutôt lire "classes moyennes + classes supérieures + classes dirigeantes". Quelquefois, j’ai l’impression qu’il faut lire "classes supérieures + dirigeants", quelquefois mêmes "dirigeants". Et là, vous dites "petits patrons", si bien que ça exclut tous les salariés non propriétaires de l’entreprise – ceci dans un billet où vous parlez des salariés membres des classes moyennes… Il faudrait choisir…
      Je dois dire que je ne parviens pas à comprendre pourquoi un homme qui me semble en général raisonnable, quand il aborde cette question me donne autant l’impression de déraisonner. Mais vous allez me dire que je ne sais pas vous lire…

    • Buridan dit :

      Un exemple :"Dans les pays à salaires élevés, des classes moyennes nombreuses et puissantes, travaillant dans des domaines difficiles à délocaliser, qui portent l’essentiel de la consommation, alors que les ouvriers et les petits employés voient leur consommation baisser sous la menace du chômage. Dans les pays à salaires faibles, ce sont des travailleurs pauvres qui produisent. En d’autres termes, ce sont les classes moyennes des pays développés qui profitent de la sur-exploitation dans les pays à bas salaires." Ici, classes moyennes signifie "tout ce qui n’est pas les classes populaires".
      Et ça n’a rien de particulier à voir avec la place dans le processus de production.
      Par exemple, les employés de la Sncf ont des emplois impossibles à délocaliser, et, tout compris, sont assez bien payés à cause du pouvoir de nuisance des grèves. Les enseignants ont aussi des emplois impossibles à délocaliser. Mais "leur place dans le processus de production" permet-elle de ranger les uns et les autres dans les classes moyennes ? Les bibliothécaires sont peu qualifiés et mal payés, mais jouissent de la garantie de l’empoi. Classes moyennes ou pas ?
      A juste ou injuste titre, je vous perçois constamment sur cette question en train de jongler, "Je suis oiseau voyez mes ailes ! je suis souris, vive les rats ! "

    • Descartes dit :

      [1° La personne qui, au lieu de consommer ses biens (en habitant un palais, par exemple ; en ayant quinze chevaux de selle), prête, ou investit, rend un service.]

      Oui, de la même manière que le seigneur de mon exemple, en permettant aux marchands de passer sur ses terres "rend un service". La question est de savoir si par le fait de "rendre un service" qui ne lui coute aucun effort il produit de la valeur, ou s’il s’agit simplement de prélever la valeur produite par d’autres.

      [Ce service est rétribué (plus ou moins, selon l’abondance du capital) : si bien que prétendre que seul le travail (ou la force de travail, ou le coût de la reproduction de la force de travail) est source de la valeur est erroné.]

      Vous semblez croire que parce que quelque chose est rémunéré il faut conclure qu’il crée de la valeur. C’est faux. Lorsqu’un maître chanteur me "rend service" en ne montrant pas à ma femme les photos de mes ébats avec ma ma maîtresse contre rémunération, il ne crée aucune valeur. Et pourtant, il est bien "rémunéré", non ?

      [L’emploi du capital l’est aussi. Certes, Ricardo et Marx ont dit ce que vous dites. Mais il me semble que la science économique a progressé depuis,]

      Les mathématiques ont beaucoup progressé depuis deux mille ans, et pourtant le théorème de Pythagore est aujourd’hui aussi vrai que lorsqu’il a été énoncé pour la première fois. L’argument "c’est vieux donc c’est faux" n’est pas recevable.

      [et que vous appuyer sur ces dinosaures vous met dans une situation scientifiquement très inconfortable.]

      Pas vraiment. En fait, il n’y a pas beaucoup d’économistes sérieux qui contestent l’affirmation de Ricardo que Marx n’a fait que reprendre. Probablement parce que Ricardo n’a pas dit ça par caprice, un jour en se levant. Il l’a dit au bout d’une analyse très approfondie des mécanismes économiques, qui fait encore aujourd’hui autorité. Si vous voulez la contester, il faudrait peut être que vous argumentiez les points précis sur lesquels son raisonnement peut être contesté, au lieu de gloser sur "le progrès de la science économique"…

      [2° Ici, votre représentant des classes moyennes, il travaille dans les cabinets ministériels et il descend d’une famille bien introduite dans les milieux financiers.]

      C’est un exemple. Je choisis évidement mes exemples en fonction du point que je veux illustrer.

      [Quelques lignes plus tôt, c’est la "position dans le mode de production" qui est définitoire, et l’exemple donné est d’un petit patron. On voit là deux des ambiguités de votre emploi du mot classes moyennes.]

      Je ne vois pas très bien où est "l’ambiguïté". La position dans le mode de production, dans le cas du capitalisme, est déterminée par la possession des facteurs de production. Le petit patron, comme l’ingénieur au carnet d’adresses débordant, ont un point en commun: ils possèdent un capital.

      [3° Souvent, quand vous dites "classes moyennes", je me rends compte qu’il faut plutôt lire "classes moyennes + classes supérieures + classes dirigeantes".]

      Vous avez mal compris. Il faut lire ce que j’écris: ce sont les groupes sociaux qui possèdent un capital suffisant pour négocier la récupération complète de la valeur qu’ils produisent, tout en ayant un capital insuffisant pour exploiter de la valeur chez les autres. Ce qui exclut une partie des "classes supérieures"…

      [Et là, vous dites "petits patrons", si bien que ça exclut tous les salariés non propriétaires de l’entreprise – ceci dans un billet où vous parlez des salariés membres des classes moyennes… Il faudrait choisir…]

      Vous mettez un "ou" là ou je mets un "et". Que certains petits patrons – mais pas tous, puisque certains ont assez de capital pour exploiter des employés – soient membres des classes moyennes n’exclue pas que certains de leurs employés puissent l’être aussi… il suffit qu’ils possèdent un capital suffisant (compétences rares, par exemple).

      [Je dois dire que je ne parviens pas à comprendre pourquoi un homme qui me semble en général raisonnable, quand il aborde cette question me donne autant l’impression de déraisonner. Mais vous allez me dire que je ne sais pas vous lire…]

      Exactement. Je pense qu’au lieu d’essayer de comprendre le raisonnement que je propose – je ne vous demande pas de le partager – vous vous contentez de répéter un certain nombre de préjugés. Par exemple, vous répétez que le capital "créé de la valeur" sans avoir une seule fois essayé d’argumenter ce point…

      [Ici, classes moyennes signifie "tout ce qui n’est pas les classes populaires".]

      Non. J’ai défini clairement ce que j’entends par "classes moyennes". Et dans mon commentaire la bourgeoisie est exclue au même titre que les couches populaires.

      [Par exemple, les employés de la Sncf ont des emplois impossibles à délocaliser, et, tout compris, sont assez bien payés à cause du pouvoir de nuisance des grèves.]

      Pour la n-ième fois, je vous répète que le fait d’être "bien payé" n’a aucun rapport avec l’affaire. D’ailleurs, "bien payé" par rapport à quoi ?

      [Les enseignants ont aussi des emplois impossibles à délocaliser. Mais "leur place dans le processus de production" permet-elle de ranger les uns et les autres dans les classes moyennes ?]

      Tout à fait. C’est l’exemple typique d’un métier qui nécessite l’accumulation préalable d’un "capital" important.

      [Les bibliothécaires sont peu qualifiés et mal payés, mais jouissent de la garantie de l’empoi. Classes moyennes ou pas ?]

      Encore une fois, "mal payés" par rapport à quoi ? De quels bibliothécaires parlez vous ? Un bibliothécaire de la BNF est une personne hautement qualifiée, avec un "capital" important qu’elle peut négocier, et il est relativement bien payé.

    • Buridan dit :

      1° Vous avez écrit :"En fait, il n’y a pas beaucoup d’économistes sérieux qui contestent l’affirmation de Ricardo que Marx n’a fait que reprendre. […] Ricardo […] l’a dit au bout d’une analyse […] qui fait encore aujourd’hui autorité".
      wikipedia : "La théorie néoclassique va chercher à renforcer les conclusions libérales des penseurs classiques contestées par d’autres penseurs comme Karl Marx, en remettant en cause ou en reformulant les hypothèses de base de l’analyse économique. Cette nouvelle approche passe par la définition d’une nouvelle théorie de la valeur fondée sur l’utilité. " La théorie néoclassique a engendré à peu près tout… Certes, il y a encore des marxistes pour s’accrocher à la théorie ricardienne et marxiste de la valeur, mais cette position, loin de "faire autorité", est tout à fait marginale. Ici "vieux, veut dire "dépassé", comme Pythagore ne l’est pas, mais par exemple comme Ptolémée l’est.
      2° Je vous assure que j’essaie de vous comprendre…
      . Dire qu’un travailleur très qualifié dispose d’un " capital" important, c’est jouer sur les mots, mais enfin… Aucun économiste n’emploie ce vocabulaire.
      . "ce sont les groupes sociaux qui possèdent un capital suffisant pour négocier la récupération complète de la valeur qu’ils produisent, tout en ayant un capital insuffisant pour exploiter de la valeur chez les autres." Comment savez-vous que tel salarié "négocie la récupération complète de la valeur qu’il produit" ? Comment savez-vous ça d’un enseignant, par exemple ? Comment savez-vous que tel ouvrier ne récupère pas la valeur qu’il produit, que tel salarié membre des classes moyennesd la récupère, sans plus, et que tel cadre dirigeant récupère plus que la valeur (et donc "exploite" ses cosalariés, si je vous comprends bien (en récupèrant une partie du produit de l’exploitation des ses collègues par le patron) ) ?
      Pour affirmer cela, il faudrait que vous sachiez mesurer la valeur qu’un travailleur produit. Mais, dans le cadre de la théorie marxiste de la valeur, tout ce que vous pouvez dire c’est que la valeur a pour unique origine le travail, ou plus exactement le coût de reproduction de la force de travail. Comme ce coût est approximativement le même pour tous les travailleurs,, vous êtes obligé de dire que tout travailleur payé au-dessus du Smic est un exploiteur…
      Mais je raisonne pour vous, à tort je suppose, vous allez m’expliquer comment vous calculez la valeur produite par un enseignant, un bibliothécaire peu qualifié, un bibliothécaire qualifié, un médecin, un balayeur, un ingénieur, un cadre dirigeant, ou – pour évoquer Milton Friedman -, celle produite par un économiste mondialement célèbre et celle produite par sa secrétaire.

    • Buridan dit :

      Vous comparez celui qui apporte son capital à un brigand qui demande un droit de passage, ou à un maître chanteur. On vous dit que ceux-ci n’apportent rien. Vous dites que le capitaliste n’apporte rien non plus, puisque on peut lui voler son capital.
      Très juste. Mais on peut aussi voler le travail du travailleur en transformant celui-ci en esclave.
      Quand on reste dans l’économie de marché, le capitaliste fournit un bien, comme le travailleur en fournit un. Ce bien a une utilité et une valeur.
      On peut certes sortir de l’économie de marché en supprimant les capitalistes, mais alors on va être conduit à gaspiller les facteurs de production – c’est ce qui a été démontré par la théorie, laquelle a été superlativement confirmée par septante années de socialisme.

    • Descartes dit :

      [La théorie néoclassique a engendré à peu près tout…]

      La théorie néoclassique n’a pas "engendré à peu près tout". Ce n’est qu’une théorie parmi d’autres. Ce n’est pas parce qu’elle a servi de justification idéologique aux politiques néo-libérales qu’il faut lui attribuer plus d’importance qu’elle n’a. Par ailleurs, je pense que vous faites un contresens: les néoclassiques n’ont pas en fait discuté la théorie de la valeur des classiques (dont Marx est le dernier) ou donné une définition alternative de la valeur, mais ont mis de côté la notion même de "valeur" en lui substituant celle "d’utilité". En effet, la "valeur" est une caractéristique intrinsèque d’un bien, l’utilité est la vision que les agents extérieurs ont de ce bien. Il n’y a pas à proprement parler de "valeur" dans la théorie néoclassique.

      [. Dire qu’un travailleur très qualifié dispose d’un " capital" important, c’est jouer sur les mots, mais enfin… Aucun économiste n’emploie ce vocabulaire.]

      Encore l’argument d’autorité ? Décidément, vous y êtes accro…

      [. "ce sont les groupes sociaux qui possèdent un capital suffisant pour négocier la récupération complète de la valeur qu’ils produisent, tout en ayant un capital insuffisant pour exploiter de la valeur chez les autres." Comment savez-vous que tel salarié "négocie la récupération complète de la valeur qu’il produit" ?]

      Supposons que je sois incapable de le savoir dans le cas de "tel ou tel salarié". Mais je sais que de tels salariés existent (par hypothèse de continuité entre la bourgeoisie et le prolétariat). Je me demande ensuite: "comment doivent réagir les couches qui se trouvent dans une telle position" ? Et je décris ainsi un comportement hypothétique déterminé par leur capacité à récupérer la valeur produite, et qui est différent de celui d’un prolétaire exploité ou d’un bourgeois exploité. Ensuite je reviens vers le réel, et j’observe que, oh miracle, qu’effectivement il y a des couches dans la société qui assument effectivement le comportement social, politique et économique que ma théorie a prédit. J’en déduis que ces couches doivent donc être en mesure de négocier leur rémunération de manière à récupérer la valeur.

      Je ne fais donc qu’appliquer un raisonnement hypothético-déductif. Le Verrier n’a pas eu besoin de "voir" Neptune pour savoir qu’il était là et connaître ses caractéristiques: il lui a suffit d’observer les perturbations dans l’orbite d’Uranus, de faire l’hypothèse de la présence d’un corps gravitationnel, et de vérifier que les conséquences de cette hypothèse rejoignaient l’observation.

      [Pour affirmer cela, il faudrait que vous sachiez mesurer la valeur qu’un travailleur produit. Mais, dans le cadre de la théorie marxiste de la valeur, tout ce que vous pouvez dire c’est que la valeur a pour unique origine le travail, ou plus exactement le coût de reproduction de la force de travail.]

      D’abords, vous confondez la valeur et la mesure de la valeur, un peu comme les néoclassiques confondent souvent valeur et prix (voir l’exemple du verre d’eau et du diamant). C’est le travail – en tant que processus de modification de la nature – qui est source de valeur, et c’est le temps de travail socialement nécessaire à la production d’un bien qui détermine sa valeur. Définir la valeur à partir des biens nécessaires au renouvellement de la force de travail serait une définition circulaire, puisqu’il faudrait déterminer la valeur de ces biens…

      [Comme ce coût est approximativement le même pour tous les travailleurs,, vous êtes obligé de dire que tout travailleur payé au-dessus du Smic est un exploiteur… ]

      Pas vraiment. D’abord, parce que tous les travailleurs ne produisent pas la même valeur. Il faut là introduire le concept de "temps socialement nécessaire" à la production d’un bien. Un ouvrier fabrique une voiture avec des outils modernes en 1 heure. S’il la fabriquait à la main, il mettrait 8 heures à fabriquer la même voiture. Est-ce que la voiture
      du premier "vaut" 8 fois mois que celle du second ? Non, bien entendu: c’est le "temps socialement nécessaire" qui détermine la valeur, et dans une société où les outils modernes dont largement disponibles, le "temps socialement nécessaire" pour produire la voiture est plus proche d’une heure que de 8 heures. Il s’ensuit que le premier travailleur, celui qui utilise les méthodes modernes, produit 8 fois plus de "valeur" dans sa journée de travail que le deuxième. Si chacun récupérait l’intégralité de la valeur produite dans sa paye, le premier récupérerait plus que le second… sans pour autant être un "exploiteur".

      [Mais je raisonne pour vous, à tort je suppose, vous allez m’expliquer comment vous calculez la valeur produite par un enseignant, un bibliothécaire peu qualifié, un bibliothécaire qualifié, un médecin, un balayeur, un ingénieur, un cadre dirigeant, ou – pour évoquer Milton Friedman -, celle produite par un économiste mondialement célèbre et celle produite par sa secrétaire.]

      Oh, vous savez… c’est plus facile que de calculer "l’utilité marginale" de l’économiste en question, du prêtre…

      [Vous comparez celui qui apporte son capital à un brigand qui demande un droit de passage, ou à un maître chanteur. On vous dit que ceux-ci n’apportent rien. Vous dites que le capitaliste n’apporte rien non plus, puisque on peut lui voler son capital. ]

      Là, j’avoue avoir du mal à vous comprendre. D’abord, à côté du "brigand qui demande un droit de passage" je vous avais donné l’exemple du seigneur qui contrôle une route de commerce et qui demande un péage. Du point de vue économique, quelle est la différence fondamentale entre les deux actes ? Dans les deux cas, "l’exploiteur" contrôle une ressource rare, dans les deux cas, il utilise la nécessité de l’autre pour lui soutirer une contribution sans pour autant créer la moindre richesse. Pourquoi faudrait-il les différentier ?

      Ensuite, si vous vous placez de votre point de vue, celui de la théorie de "l’utilité", il n’y a pas de véritable différence entre les trois cas que vous mentionnez. Que ce soit le brigand, le capitaliste ou le maître chanteur, chacun a quelque chose dont l’autre a besoin: la vie sauve, le capital, la discrétion. Et ces choses sont "utiles", puisque quelqu’un est prêt à payer pour elles. Du point de vue de la théorie de l’utilité, il n’y a pas de différence à faire. Vous me direz que certains de ces actes sont légaux, alors que les autres ne le sont pas. Mais le fait que le capital soit acquis au moyen de transactions légales ou qu’il soit acquis par la vente de drogues ou de secrets d’état ne change en rien son rôle économique. En quoi la rémunération des capitaux de la maffia serait-elle moins "légitime" du point de vue économique que celle de n’importe quel autre capital ?

      [Très juste. Mais on peut aussi voler le travail du travailleur en transformant celui-ci en esclave. ]

      Pas vraiment. Transformer le travailleur en esclave revient à le transformer en capital. Le "travail" disparaît. Le propre du capitalisme, c’est justement que le capitaliste n’achète pas l’homme, il n’achète que sa force de travail.

      [Quand on reste dans l’économie de marché, le capitaliste fournit un bien, comme le travailleur en fournit un. Ce bien a une utilité et une valeur.]

      Exactement. Comme le maître chanteur, comme le maffieux, le capitaliste "fournit un bien". Mais ce bien n’est pas de même nature que celui du travailleur. Le "bien" que le travailleur fournit est inséparable de lui même. Tuez le travailleur, et le "bien" en question disparaît. En fournissant ce bien, le travailleur s’épuise lui même. Le capitaliste, au contraire, ne s’épuise pas en fournissant le capital. Tuer le capitaliste ne change en rien le processus de production. En d’autres termes, la contribution du travailleur à la production est personnelle, celle du capitaliste ne l’est pas. C’est cette asymétrie fondamentale qui fonde la théorie de la valeur.

      Je vais reformuler ce paragraphe en termes d’utilité: le travailleur a une utilité. Le capitaliste – qu’il ne faut confondre avec le capital – n’en a aucune. Le capitaliste n’est rémunéré que parce que, comme le brigand ou le maître chanteur, il contrôle le capital. Son rôle est purement parasitaire.

      [On peut certes sortir de l’économie de marché en supprimant les capitalistes, ]

      On peut aussi rester en économie de marché tout en supprimant les capitalistes. Contrairement à ce que vous semblez penser, rien ne s’oppose à une économie de marché avec des capitaux socialisés.

      [mais alors on va être conduit à gaspiller les facteurs de production – c’est ce qui a été démontré par la théorie,]

      Par quelle théorie ? Encore une fois, l’argument d’autorité…
      Aucune "théorie" ne démontre pareille chose. Tout au plus, la théorie démontre qu’un marché "pur et parfait" aboutit à l’allocation optimale des facteurs de production. Seulement, très rares sont les marchés réels qui réunissent les conditions pour être "purs et parfaits". Et il n’y a aucune raison qu’un marché "impur et imparfait" soit plus efficient dans l’allocation des moyens de production que d’autres processus d’allocation de capital.

      [laquelle a été superlativement confirmée par septante années de socialisme.]

      Beh… pas vraiment. L’expérience est bien plus contrastée que vous ne semblez le croire. Prenez les "trente glorieuses" en France par exemple. Diriez-vous qu’on a gaspillé les facteurs de production plus que pendant les "trente piteuses" qui ont suivi ? Et pourtant, les "trente glorieuses" c’était un secteur public qui pesait plus de 50% du PIB industriel, un encadrement du crédit, le contrôle des changes, les prix réglementes. On a beaucoup plus "gaspillé" pendant les trente années qui ont suivi, alors que ce furent les années de privatisation, d’ouverture des marchés, de la fin de l’encadrement du crédit et des prix… tiens, prenons par exemple la crise dans laquelle nous sommes, crise dont tous – y compris les libéraux – s’accordent à attribuer aux folies des marchés. Pensez-vous que ce soit un bon exemple de la manière dont le marché empêche le gâchis des facteurs de production ?

      Vous allez, je le sens, me sortir les exemples des pays du "socialisme réel". Allons-y: ces pays ont vécu vingt ans sous le règne du marché et d’un libéralisme qui ferait pâlir d’envie les théoriciens de la thérapie de choc. Pensez-vous que l’économie russe aujourd’hui soit plus efficiente en termes d’utilisation des facteurs de production que ne l’était celle de Brezhnev ? Je ne le crois pas un instant, et les indices – notamment celui de baisse de l’espérance de vie et la contraction démographique – me donnent raison. Alors, force est de constater que l’inefficacité de l’économie soviétique hier et russe aujourd’hui ne peuvent pas se réduire au débat "marché ou pas marché" mais tiennent à des questions économiques, sociologiques et historiques bien plus profondes. Si l’expérience de l’Europe orientale enseigne quelque chose, c’est que le "marché" n’est pas la baguette magique qui résout tous les problèmes.

    • Buridan dit :

      1° Vous dites que les pauvres arrivent moins à se faire bien payer que les "moyens", et que les "moyens" arrivent moins à se faire bien payer que les "supérieurs". Tout le monde est d’accord là-dessus puisque c’est une tautologie. Je suis donc d’accord moi aussi.
      Et vous appelez les pauvres, quand ils sont salariés, des "exploités", les "supérieurs" (dont certains des salariés) des "exploiteurs", et les "moyens" des "ni-exploités ni exploiteurs" (me semble-t-il). Je découvre que ça se fonde sur une théorie qui vous est propre (refonder l’économie dans son coin… Evidemment, c’est plus glorieux que "faire appel à des arguments d’autorité", mais en science l’autorité a du bon), laquelle vous ne parvenez pas à défendre très loin (vous ne parvenez pas à calculer la valeur produite par un travailleur…), et qui, à vrai dire, ne m’intéresse pas tellement. Vous en concluez que l’intérêt relatif des pauvres, des moyens et des riches n’est pas le même, tout le monde en convient, et moi aussi donc, si bien que je peux maintenant vous lire en vous comprenant.
      2° Notons que le désastre économique soviétique, c’est depuis la chute du Mur que les communistes le reconnaissent, auparavant ils n’était question que des brillantes performances en général des pays communistes et en particulier de l’Union Soviétique. (Je me rappelle avoir lu le livre des Editions sociales "La Rda, un pays hautement développé". J’en ai encore le sale goût en bouche). Mais vous-même, communiste d’avant 90 si je ne me trompe pas, vous ne commettiez pas cette erreur, je suppose.
      3° La différence de performances économiques entre les deux Allemagnes, entre les deux Corées, entre la Bohème et l’Autriche… Y a-t-il preuve plus éclatante ?
      4° Effectivement, on peut se demander pourquoi il y a si peu d’économies socialistes de marché (ESM) : l’Etat possèderait le capital de Renault et de Peugeot, et nommerait un Pdg avec pour mission de produire des dividendes, comme un conseil d’administration le fait.
      Il me semble, cela dit, que la Chine est devenue largement une telle économie et que ça ne marche pas si mal.
      Je suppose que la raison fondamentale est celle-ci :
      Le peuple a besoin d’argent, et donc pousse à la cession par l’Etat de ses biens. Dit autrement : l’Etat a besoin d’argent, donc, quand il peut vendre, vend. Le peuple, l’Etat sont des cigales.
      Dit moins généralement :
      Dans les pays capitalistes, l’Etat ne peut pas s’emparer des entreprises sans les acheter, et les contribuables n’ont pas d’argent pour faire cela. D’ailleurs, quand l’Etat possède quand même des entreprises, il finit par les vendre pour payer ses dettes les plus criantes (en France et en Italie ces derniers temps).
      Dans les pays ex-communistes, l’Etat, aux abois, a revendu les entreprises à chaque fois qu’il a pu (en Russie, à très mauvais escient : les oligarques ont acheté très au-dessous du prix, un peu comme les acheteurs de biens nationaux en France avant la Révolution).
      Une raison secondaire : Peugeot, privé, est relativement indépendant de l’Etat et poursuit assez rationnellement une politique de profit. Peugeot nationalisé, surtout si Renault l’était aussi, serait fortement sensibles à des pressions de l’Etat, pour développer telle filière, pour créer une usine à tel endroit, pour ne pas licencier, etc. Finalement cela tendrait à être moins bien géré que par les propriétaires privés.

      Cela dit, il est concevable d’avoir la position politique suivante : Remboursons nos dettes, puis rachetons les entreprises. (Olof Palme avait proposé un rachat progressif des entreprises par l’Etat).

    • Descartes dit :

      [1° Vous dites que les pauvres arrivent moins à se faire bien payer que les "moyens", et que les "moyens" arrivent moins à se faire bien payer que les "supérieurs". Tout le monde est d’accord là-dessus puisque c’est une tautologie.]

      D’abord, je n’ai jamais dit pareille chose. Je vous ai dit au contraire que le fait d’être « bien payé » ou « mal payé » n’avait aucun rapport avec l’affaire. Et ensuite, c’est très loin d’être « une tautologie ». Pour commencer, il faudrait que vous définissiez ce que vous appelez être « bien payé ».

      [Et vous appelez les pauvres, quand ils sont salariés, des "exploités",]

      Non. Je n’ai jamais utilisé le mot « pauvre » comme nom. Je ne parle jamais « des pauvres », concept qui n’a aucune place dans mon raisonnement. De grâce, ne me prêtez pas des idées qui ne sont pas les miennes…

      [(refonder l’économie dans son coin… Evidemment, c’est plus glorieux que "faire appel à des arguments d’autorité", mais en science l’autorité a du bon)]

      C’est en science, précisément, que l’argument d’autorité n’a aucune place. Le véritable scientifique examine les faits et les raisonnements avec une totale indépendance de « l’autorité » de celui qui les exprime. Franchement, ce genre d’attaques ad hominem commencent à m’ennuyer. Comme je vous ai expliqué, je n’ai aucune prétension de « refonder l’économie dans mon coin ». J’essaye de pousser le raisonnement un petit peu plus loin à partir des travaux de très éminents économistes. Franchement, si le débat devait se réduire à échanger des citations d’autorités sans jamais oser apporter quelque chose de nouveau et de personnel, je ne vois pas trop l’intérêt.

      [2° Notons que le désastre économique soviétique, c’est depuis la chute du Mur que les communistes le reconnaissent, auparavant ils n’était question que des brillantes performances en général des pays communistes et en particulier de l’Union Soviétique.]

      Je trouve votre raisonnement curieux : si vous n’avez pas cru les « communistes » lorsqu’ils vous disait qu’à l’est tout était beau, pourquoi les croyez vous aujourd’hui lorsqu’ils vous disent le contraire ? Une source suspecte lorsqu’elle ne rejoint pas vos préjugés deviendrait-elle fiable le jour où elle les rejoint ?

      Personnellement, je me suis méfié des « communistes » lorsqu’ils chantaient les brillantes performances hier, je ne vois donc pas de raison de ne pas me méfier aujourd’hui lorsqu’ils « reconnaissent » toutes sortes de choses. Voyez-vous, ces « communistes » ne font pas de la science, ils font de la politique. Et leurs discours ne reflètent pas nécessairement les faits tels qu’ils sont, mais les idées que les citoyens sont prêts à accepter à un moment donné.

      [Mais vous-même, communiste d’avant 90 si je ne me trompe pas, vous ne commettiez pas cette erreur, je suppose.]

      Non, j’ai commis beaucoup d’erreurs dans ma vie, mais pas celle-là. J’ai toujours su faire la différence entre le discours politique et la réalité, et j’ai par chance pu toujours garder une vision nuancée des succès – car il y en a – et des échecs des politiques économiques successives de l’URSS.
      [3° La différence de performances économiques entre les deux Allemagnes, entre les deux Corées, entre la Bohème et l’Autriche… Y a-t-il preuve plus éclatante ?]

      Preuve oui… mais de quoi exactement ? Malheureusement, la différence entre la RDA et la RFA ne se limite pas au système politique. Ce qui est devenu le territoire de la RDA était déjà avant la guerre la partie la plus pauvre de l’Allemagne, et aujourd’hui, 25 ans après la chute du Mur, elle reste la partie la plus pauvre, et de loin, de l’Allemagne réunifiée. La RFA a bénéficié pour sa reconstruction du soutien économique des Etats-Unis, la puissance qui sort de la guerre avec des pertes infimes et pas de destruction de son territoire. La RDA doit se contenter du soutien d’une puissance, l’URSS, dont la guerre a rasé le territoire et coûté la vie à 22 millions d’hommes et de femmes. Ces facteurs sont à mon avis plus importants dans l’explication de la « différence de performances économiques entre les deux Allemagnes » bien plus que la différence des systèmes ou des politiques économiques…

      [4° Effectivement, on peut se demander pourquoi il y a si peu d’économies socialistes de marché (ESM) : l’Etat possèderait le capital de Renault et de Peugeot, et nommerait un Pdg avec pour mission de produire des dividendes, comme un conseil d’administration le fait.]

      La réponse est simple : parce que les économies socialistes ont pratiquement toujours été des économies de guerre, soumises à des agressions incessantes (blocus, opérations de déstabilisation, guerres…) organisées de l’extérieur. Et lorsqu’on est en guerre, on a du mal à faire fonctionner correctement les marchés : même les pays les plus « libéraux » en apparence ont instauré une planification économique lorsqu’ils ont été en état de guerre.

      [Il me semble, cela dit, que la Chine est devenue largement une telle économie et que ça ne marche pas si mal.]

      Jusqu’à un certain point. Je ne crois pas que la Chine soit aujourd’hui une économie véritablement « socialiste ». Il ne faut pas confondre socialisme et capitalisme d’Etat.

      [Dans les pays capitalistes, l’Etat ne peut pas s’emparer des entreprises sans les acheter, et les contribuables n’ont pas d’argent pour faire cela.]

      Vous voulez dire que la France de 1946 ou celle de 1981 n’était pas un « pays capitaliste » ? Et cela ne s’arrête pas là : dans la dernière décennie, le gouvernement britannique a nationalisé la production nucléaire et les chemins de fer, la France une entreprise comme Alstom. Votre prémisse contredit une bonne partie de l’histoire contemporaine. Lorsque l’Etat a la volonté, il a toujours les moyens d’acheter…

      [D’ailleurs, quand l’Etat possède quand même des entreprises, il finit par les vendre pour payer ses dettes les plus criantes (en France et en Italie ces derniers temps).]

      Le raisonnement du « finit toujours » permet de dire tout et son contraire. Avec la même logique, je pourrais dire que quand l’Etat ne possède pas les entreprises, il « finit toujours » par les nationaliser (1946, 1981…). Pourquoi arrêter l’histoire en 2013, et pas en 1946 ? En fait, c’est plutôt à un mouvement de balancier qu’on assiste.

      [Finalement cela tendrait à être moins bien géré que par les propriétaires privés.]

      Là encore, on peut dire tout et son contraire. EDF est l’électricien européen le mieux géré, et il est public…

    • dsk dit :

      @ Descartes et Buridan

      Je me permets d’intervenir dans votre discussion. Il me semble que Marx apporte une précision que ne fournit pas Descartes, et qui me paraît de nature à répondre à certaines questions de Buridan. Pour Marx, ce qui fait la valeur de toutes choses, c’est exclusivement le temps de travail socialement nécessaire à leur production, hors de toute autre considération. Dès lors, être "exploité" se ramène à ceci que l’on est payé l’équivalent de moins d’heures de travail que l’on en fournit. Si je travaille quarante heures par semaine, et que j’obtiens en échange de quoi m’offrir des marchandises ayant elles-mêmes nécessité quarante heures de travail, alors je ne suis pas "exploité", étant précisé que pour Marx, l’heure de travail du bibliothécaire possède rigoureusement la même valeur que celle de l’enseignant, de l’ouvrier, ou même de l’ingénieur. Bien sûr, pour connaître la valeur de cette heure de travail en euros aujourd’hui, cela nécessiterait des calculs économiques assez complexes. Il se peut qu’ils aient été entrepris par certains économistes marxistes, mais j’avoue que je n’en ai pas connaissance.

    • Buridan dit :

      Je suppose que continuer cette conversation plus avant vous ennuirait plutôt, comme moi.
      Je trouve des qualités à votre blog, et d’abord la courtoisie et le sérieux de la démarche consistant à répondre à tous ceux que vous publiez.
      Je dirais aussi que, sur le fond (le conflit d’intérêt profond ou même inexpiable entre classes moyennes et classes populaires, le tout appuyé sur une théorie marxiste personnelle), vous ne me convainquez pas du tout.
      Et que, comme la plupart des communistes ou communisants, je vous trouve plus ou moins fou : là par exemple, quand vous soutenez que la Rda a été instaurée dans la partie de l’Allemagne qui était la plus pauvre, quand vous dites que la Rda a bénéficié du "soutien" de l’Union Soviétique, quand vous dites que les économies socialistes ont été "soumises à des agressions incessantes (blocus, opérations de déstabilisation, guerres…) organisées de l’extérieur".
      C’est cette capacité à parler faux sur des points élémentaires qui a fait que les communistes ou communisants désireux de discuter n’ont jamais trouvé beacoup d’interlocuteurs…
      C ordialement.

    • Trubli dit :

      "fou : là par exemple, quand vous soutenez que la Rda a été instaurée dans la partie de l’Allemagne qui était la plus pauvre, quand vous dites que la Rda a bénéficié du "soutien" de l’Union Soviétique, quand vous dites que les économies socialistes ont été "soumises à des agressions incessantes (blocus, opérations de déstabilisation, guerres…) organisées de l’extérieur"."

      Je ne vois pas, Buridan, ce qu’il y a de fous dans les propos de Descartes.
      La RDA correspond grosso modo à l’ancien Brandebourg et Prusse occidentale. Or il est de notoriété publique que si la Prusse était militairement très forte son économie agraire de junckers était loin d’égaler le coeur industriel de la vallée du Rhin et de la Ruhr.

      Par ailleurs les économies socialistes depuis 1917 ont toujours été sur la défensive ne serait-ce qu’en raison des craintes suscitées en Occident.

    • Descartes dit :

      [Je suppose que continuer cette conversation plus avant vous ennuirait plutôt, comme moi.]

      Je ne sais pas vous, mais personnellement cela ne m’ennuie pas le moindre du monde. Je sais qu’aujourd’hui cela paraît un peu "vieux jeu", mais lorsque j’ai ouvert ce blog c’est autant, sinon plus, pour entendre l’opinion des autres que pour exprimer la mienne. Ce que vous dites, même si je ne le partage pas, m’intéresse. J’essaye de comprendre quelle est la logique qui vous amène à défendre le point de vue qui est le votre. Et cela n’est jamais "ennuyeux".

      [Je dirais aussi que, sur le fond (le conflit d’intérêt profond ou même inexpiable entre classes moyennes et classes populaires, le tout appuyé sur une théorie marxiste personnelle), vous ne me convainquez pas du tout.]

      Ce n’est pas pour moi l’essentiel. Déjà, si j’arrivais à ce que vous compreniez pourquoi je pense ce que je pense, je trouverais que j’ai bien fait mon boulot. Je regrette tout de même que vous ayez une pensée que je qualifierais – sans vouloir vous offenser – de dogmatique: vous affirmez un certain nombre de prémisses, mais vous ne les argumentez jamais. Prenons la question de la "valeur": vous affirmez que la théorie de Ricardo-Marx est dépassée, mais vous n’apportez aucun argument pour expliquer comment vous arrivez à cette conclusion. Vous vous contentez d’arguments d’autorité, et c’est dommage. J’aurais mieux aimé vous entendre reformuler les arguments de Walras ou de Samuelson.

      Si ces débats servent à quelque chose, c’est bien à "réviser" nos idées. Personnellement, je vais à la confrontation avec la conviction qu’il y a une possibilité que j’en sorte en ayant changé d’opinion. Pas vous ?

      [Et que, comme la plupart des communistes ou communisants, je vous trouve plus ou moins fou : là par exemple, quand vous soutenez que la Rda a été instaurée dans la partie de l’Allemagne qui était la plus pauvre,]

      Pensez-vous que ce soit "fou" de rappeler une réalité historique ? Quelles sont pour vous les régions traditionnellement les plus riches d’Allemagne ? La Bavière, la Ruhr, la Rhénanie, la Sarre, les grands ports hanséatiques de Bremen ou de Hambourg. Combien de ces régions étaient incluses en Allemagne de l’Est ? Ce qui est "fou", c’est que vous ne preniez pas en compte les faits.

      [quand vous dites que la Rda a bénéficié du "soutien" de l’Union Soviétique,]

      Ça aussi, c’est un fait historique. Là encore, lorsque vous regardez les flux à l’intérieur du Comecon, vous pouvez observer que les pays d’Europe orientale ont bénéficié pendant trente ans de matières premières à bas prix venant de l’URSS qui n’étaient pas compensés par des flux dans l’autre sens. C’est vrai aussi en matière de défense: la RDA comme le reste du bloc oriental ont bénéficié gratuitement du "parapluie nucléaire" soviétique.

      [quand vous dites que les économies socialistes ont été "soumises à des agressions incessantes (blocus, opérations de déstabilisation, guerres…) organisées de l’extérieur".]

      Là encore, je ne fais que citer des faits bien connus. Ainsi, par exemple, la Russie soviétique a été soumise à toutes sortes de restrictions dans ses échanges économiques imposées par les puissances occidentales entre 1917 et la fin des années 1920. Pour ne donner qu’un exemple, le commerce avec les Etats-Unis était impossible avant que ceux ci ne reconnaissent finalement le gouvernement soviétique en 1933, plus de quinze ans après la révolution. On peut aussi donner l’exemple du blocus agricole décrété par un certain nombre d’états occidentaux après l’intervention en Afghanistan. Pour ce qui concerne les agressions militaires, il suffit de mentionner le soutien apporté aux armées "blanches" pendant la guerre civile au début des années 1920 et bien entendu la politique qui a consisté pour les états occidentaux a favoriser la prise de pouvoir par des dictatures d’extrême droite avec l’espoir que ceux-ci finiraient par s’étendre à l’est. Ce fut le cas avec Beck en Pologne, et plus tard avec Hitler en Allemagne, à propos duquel Chamberlain avait été on ne peut plus clair: "il faut chevaucher le tigre et l’envoyer vers l’Est".

      [C’est cette capacité à parler faux]

      "Parler faux" ? Comme vous pouvez le constater ci dessus, si quelqu’un "parle faux" ici, ce n’est pas moi. Au contraire: quand je vous parle des faits, j’ai les exemples pour illustrer ce que je dis. Je ne me contente pas d’arguments d’autorité. Mais puisque vous pensez que je "parle faux", je vous mets au défi. Tiens, vous dites que mon commentaire sur la pauvreté des régions qui ont constitué l’Allemagne de l’Est est "faux". Et bien, pourriez-vous appuyer cette affirmation par une argumentation ? Voilà votre opportunité de montrer mon erreur "sur un point élémentaire". J’attends avec impatience votre réponse… ou vos excuses.

    • Descartes dit :

      @dsk

      Votre commentaire contient une petite erreur. Lorsque vous dites que "si je travaille quarante heures par semaine, et que j’obtiens en échange de quoi m’offrir des marchandises ayant elles-mêmes nécessité quarante heures de travail, alors je ne suis pas "exploité"", il faut remplacer "les marchandises ayant nécessité quarante heures de travail" par "les marchandises qui nécessitent un temps socialement nécessaire de quarante heures pour être produites". En effet, pour Marx ce qui fait la valeur d’un bien, ce n’est pas le temps EFFECTIVEMENT nécessaire pour sa production, mais le temps SOCIALEMENT nécessaire. En d’autres termes, lorsque la technologie progresse, et que le temps socialement nécessaire pour produire un bien diminue, la valeur des biens tend à diminuer, et cela affecte aussi les biens produits avec les méthodes anciennes. Ce ne serait pas le cas si on prenait exclusivement le temps effectif de travail dépensé pour les produire…

    • Buridan dit :

      http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/espat_0339-3267_1993_num_51_1_3851
      qui indique qu’en 1937 l’industrie chimique, les industries de main d’oeuvre et la mécanique de précision compensaient l’agriculture relativement pauvre et le déficit minier, Berlin, la Saxe et la Thuringe compensaient la Poméranie et le Brandebourg non berlinois. Pendant la guerre, parce que relativement protégée de l’aviation, fort développement économique, puis destructions, probablement aussi importantes qu’ailleurs, mais pas plus. Une Allemagne "intermédiaire" à tous les titres, y compris à celui du développement. La pauvreté de la future Rda est de l’ordre de la légende ou du mythe, même si les deux mots ne sont pas employés.

    • dsk dit :

      [Votre commentaire contient une petite erreur.]

      Merci de rectifier ce que je qualifierais d’omission, plutôt que d’erreur. J’en profite pour corriger une autre de mes affirmations, selon laquelle, en vertu de la théorie marxiste, l’heure de travail d’un ingénieur aurait la même valeur que celle d’un ouvrier. En effet, l’autre aspect fondamental de la théorie étant que la force de travail n’est qu’une marchandise comme une autre, ce dont il se déduit qu’elle ne vaut que le temps de travail socialement nécessaire à sa production, je pense qu’il faut dès lors intégrer le coût de la formation de l’ingénieur dans son salaire, qui sera de ce fait supérieur à celui d’un travailleur non qualifié.

    • dsk dit :

      @ Descartes

      [ Une entreprise peut s’accommoder d’OS ronchons, mais elle ne peut se permettre d’avoir des ingénieurs ronchons. Elle est donc obligée de négocier avec ses ingénieurs et de leur accorder des avantages qu’elle n’accorde pas à ses OS. Pourquoi cette différence ? Parce que d’un côté il y a des travailleurs qui n’apportent pas que leur travail, mais aussi un capital, et de l’autre non.]

      Peut-être y a-t-il une autre explication : si un ingénieur "ronchon" ne peut fournir un travail performant, c’est que le travail intellectuel et créatif nécessite de meilleures conditions de travail et de rémunération que le travail "simple". En ce sens, ce type de force de travail reviendrait effectivement plus cher à produire, ce qui serait alors une nouvelle justification de l’écart de rémunération constaté sur le marché, en dehors de toute référence à un "capital" que possèderait l’ingénieur.

    • Descartes dit :

      @buridan

      [qui indique qu’en 1937 l’industrie chimique, les industries de main d’oeuvre et la mécanique de précision compensaient l’agriculture relativement pauvre et le déficit minier, Berlin, la Saxe et la Thuringe compensaient la Poméranie et le Brandebourg non berlinois.]

      "Compensaient" quoi ? Relisez l’article que vous citez avec attention, s’il vous plaît. L’article – qui est l’œuvre d’un géographe, et non d’un économiste, par parenthèse – ne fait qu’affirmer, en donnant fort peu d’éléments statistiques, qu’avant la guerre la partie "centrale" de l’Allemagne weimarienne était bien intégrée à l’ensemble de l’espace économique allemand. Mais il ne dit nulle part que les territoires qui composeront plus tard la RDA étaient en moyenne aussi riches et développés que ceux qui donneront naissance à la RFA. Il dit exactement le contraire, d’ailleurs: "en fractionnant l’Allemagne en quatre secteurs à partir des frontières de 1937, la future zone d’occupation soviétique apparaît dans une position "intermédiaire" entre les terres situés à l’est de la ligne Oder-Neisse [territoires qui seront cédés à la Pologne à Postdam] (…) et la zone occidentale". L’auteur reconnaît donc bien que la zone soviétique était plus pauvre que la zone occidentale. Et il insiste: "les unités de production de Saxe et de Thuringe sont reliées structurellement aux firmes dont les centres sont à l’ouest"…

    • Descartes dit :

      [Peut-être y a-t-il une autre explication : si un ingénieur "ronchon" ne peut fournir un travail performant, c’est que le travail intellectuel et créatif nécessite de meilleures conditions de travail et de rémunération que le travail "simple".]

      Je ne le crois pas. D’abord, contrairement à ce que vous semblez penser, seule une minorité d’ingénieurs font un travail "créatif". La raison est plutôt que contrairement au travail de l’ouvrier, dont la qualité peut être évaluée par n’importe qui, le travail de l’ingénieur ne peut être évalué que par d’autres ingénieurs. Un typique problème de "qui garde les gardes"… dans la mesure où l’on veut que les gardes se gardent eux mêmes, on peut difficilement trop les mécontenter.

    • sisilafami dit :

      Cette discussion est (était ?) tout sauf ennuyante. Moi aussi j’aurais voulu les arguments de Walras ou Samuelson…

    • dsk dit :

      @ Descartes

      Décidément, je ne réfléchis pas assez avant d’écrire. C’est que j’ai la tête fort prise par ailleurs. Ça part un peu tout seul, et je vous prie de m’en excuser. Je souhaiterais, en effet, apporter une petite rectification à ma rectification. Peut-être avez-vous le moyen de l’y accoler, pour plus de lisibilité ?
      Voici : dire que l’ingénieur devrait être mieux rémunéré en considération de son temps de formation ne contredit en rien l’idée que la valeur de son travail serait la même que celle d’un quelconque travailleur. En effet, le supplément de rémunération dû à ce titre n’est qu’un "rattrapage" qui revient simplement, sur la durée, à ce que son temps de formation lui soit rémunéré comme du travail effectif.

  13. pienol dit :

    La premiere explication est microeconomique, pas macro comme vous l’ecrivez. D’autre part en microeconomie il n’y a pas de "prix marginal", mais un cout marginal qui, en situation de concurrence, deternine le prix du bien.

  14. Tietie007 dit :

    Les 30 glorieuses, que certains regrettent, s’appuyaient sur une énergie et des matières premières très bon marché (= un quasi-pillage du sud par le Nord), peu de concurrence internationale et une consommation intérieure dynamique. Aujourd’hui, l’énergie et les matières premières coûtent un bras, les pays émergents nous taillent des croupières et la consommation intérieure est faible. De plus, l’Occident devient une gigantesque maison de retraite avec bientôt plus de retraités que d’actifs …Dans ces conditions, difficile de redresser la barre …Quant à la production …je ne pense pas qu’il serait pertinent de réouvrir les mines françaises ou de refaire des Jeans qui coûteraient 200 euros. Non, le problème c’est que la concurrence mondiale nous a frappé de plein fouet, alors que nous étions bien dans notre petit univers douillet, quand les chinois crevaient la dalle avec leur deux bols de riz par jour. La situation actuelle, c’est la revanche du Tiers-Monde et le lent mais inexorable déclin de l’Occident, qui a mangé son pain blanc.

    • Descartes dit :

      @tietie007

      [Les 30 glorieuses, que certains regrettent, s’appuyaient sur une énergie et des matières premières très bon marché (= un quasi-pillage du sud par le Nord), peu de concurrence internationale et une consommation intérieure dynamique.]

      Ce n’est vrai qu’en partie. La question du « quasi-pillage » supposerait d’établir quel aurait été le « juste prix » de l’énergie et des matières premières. Qu’est ce qui permet de dire que les bas prix des années 1945-70 étaient « un pillage su sud par le nord » et pas que les prix hauts des décennies suivantes n’ont pas été « un pillage du nord par le sud » ?

      En fait, l’histoire de « l’énergie et matières premières très bon marché » tient en partie du mythe. L’électricité, par exemple, était relativement plus chère pendant les « trente glorieuses » qu’elle ne l’est aujourd’hui (merci le nucléaire). Beaucoup de matières premières étaient meilleur marché pendant les années 1980 que pendant les années 1960… et par ailleurs on voit des pays aujourd’hui qui vivent leurs « trente glorieuses » sans que le prix des matières premières les empêchent d’avoir des croissances insolentes.

      En fait, une partie de la croissance des « trente glorieuses » est le produit du phénomène de rattrapage, après le recul des années de dépression puis de la guerre. Une croissance comme celle des années 1960 n’était pas soutenable à long terme, il fallait bien qu’un jour, le rattrapage terminé, on revienne à des niveaux plus modérés.

      [Aujourd’hui, l’énergie et les matières premières coûtent un bras, les pays émergents nous taillent des croupières et la consommation intérieure est faible.]

      Là encore, il faut coller aux faits. Votre dernière affirmation est fausse : la consommation interne n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui. Le problème, c’est qu’on consomme des produits fabriqués ailleurs. Et qu’il nous faut donc financer d’un côté le déficit commercial, de l’autre le chômage. Et cela, nous l’avons décidé en ouvrant nos frontières à la libre circulation des marchandises sans mettre en face un mécanisme qui assure l’équilibre des échanges extérieurs.

      [Quant à la production …je ne pense pas qu’il serait pertinent de réouvrir les mines françaises ou de refaire des Jeans qui coûteraient 200 euros.]

      C’est discutable. Entre payer un jean 200 euros, ou payer mon jean 50 € et le chômeur qui ne le fabrique plus 150€, je préfère de loin la première solution.

      [Non, le problème c’est que la concurrence mondiale nous a frappé de plein fouet, alors que nous étions bien dans notre petit univers douillet, quand les chinois crevaient la dalle avec leur deux bols de riz par jour. La situation actuelle, c’est la revanche du Tiers-Monde et le lent mais inexorable déclin de l’Occident, qui a mangé son pain blanc.]

      Quand on visite les usines textiles du Bangladesh, on se dit que la « revanche » en question n’existe que dans l’imaginaire de certains… je vous rassure tout de suite : la plupart des chinois continue à manger leurs deux bols de riz par jours. Il n’y a en fait qu’une toute petite minorité qui profite de la « revanche » à laquelle vous faites référence… vous savez, celle que vous voyez dévaliser carte bleue en main les joailleries de la Place Vendôme.

      Votre catastrophisme est, comme tous les catastrophismes, excessif. Certains pays – comme la Chine – ont essayé avec succès les recettes qui ont rendu l’occident riche, et cela marche. Mais leur croissance à deux chiffres est elle aussi une croissance « de rattrapage ». Bientôt, ils auront les mêmes problèmes que nous… et la croissance s’arrêtera. Regardez sinon ce qui est arrivé au Japon. Vous vous souvenez de tous ces penseurs illustres qui nous affirmaient que le XXIème siècle serait japonais ? Que sont-ils devenus, je me le demande…

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