Nous sommes tous des BabyLoup

On ne saurait trop louer le courage des juges de la Cour d’appel de Paris qui, bravant la décision de la Cour de Cassation, ont osé soutenir l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles donnant raison à la direction de la crèche « Baby Loup » de licencier une employée, Fatima B. qui persistait à porter le voile islamique malgré les injonctions de sa direction, direction qui ne faisait qu’appliquer le règlement intérieur.

A cette occasion, j’ai eu envie de relire l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 27 octobre 2011. Dans une société médiatique où les journalistes se croient autorisés à dire n’importe quoi – les derniers articles sur les permis de recherche d’hydrocarbures qualifiés à tort de « gaz de schiste » en fournissent un exemple criant – aller aux documents vous permet de rétablir la vérité des faits. Et de ce point de vue, l’arrêt en question fournit pas mal d’informations intéressantes.

D’abord, sur les faits. La Cour reprend la lettre de licenciement produite par l’association « Baby Loup » :

Considérant que la salariée a été licenciée dans les termes suivants :

« Pour rappel, avant votre retour de congé parental prévu le 9 décembre 2008, vous

nous avez écrit le 15 octobre 2008 pour nous faire part de « votre décision de rompre

votre contrat avec BabyLoup » suivant la procédure de la rupture conventionnelle. A l'occasion de l'entretien du 5 novembre organisé pour répondre à votre demande, vous nous avez indiqué que vos convictions religieuses vous amenaient à porter le voile islamique intégral et que, de ce fait, vous n'étiez prête à faire aucune concession sur votre tenue vestimentaire lors de votre retour à la crèche. Après un rappel des principes de laïcité et de neutralité auxquels notre établissement est p articulièrement attaché, ces principes figurant d'ailleurs dans le règlement intérieur, nous vous avons indiqué que votre poste était toujours disponible, votre arrivée étant attendue, et que dans un contexte de pénurie de personnel diplômé nous ne pouvions envisager de nous séparer de vos services.

Face à l'absence d'accord sur une rupture conventionnelle, par lettres des 22 novembre

et 4 décembre, nous vous avons rappelé votre reprise de travail au 9 décembre en vous invitant à prendre connaissance de la planification de service.

Le 9 décembre, vous vous êtes présentée à la crèche, revêtue de votre voile islamique intégral.

Après qu'un vestiaire vous a été affecté et que le temps vous a été donné pour vous changer, MadameBALEAT0, Directrice de la crèche, descendant vérifier l'organisation du repas des enfants, a constaté que vous étiez toujours habillée comme à votre arrivée, et ce malgré les demandes répétées de son adjointe, Madame GROLLEAU, de vous changer. Madame BALEATO vous a alors réitéré l'ordre de vous changer, mais vous avez catégoriquement refusé de suivre ses directives, faisant valoir que vous étiez ainsi en tenue de travail.

Pour éviter tout incident devant les enfants, Madame BALEATO vous a invitée à l'accompagner dans la salle de réunion à l'étage. Mesdames GOMIS, adjointe à la direction, et GROLLEAU, adjointe également et déléguée du personnel, étaient présentes à cet entretien. Devant ces personnes, sur un ton arrogant, après un rappel des règles de neutralité s'appliquant à la crèche, vous avez déclaré àMadame BALEATO « tu ne vas pas me faire la morale!». Cette dernière vous a répondu qu'il s'agissait simplement d'un rappel des termes du règlement intérieur. Elle a alors réitéré l'ordre devous changer sans délai, ordre auquel vous avez opposé un refus catégorique. Une altercation s'en est suivie, vous en prenant à Madame GOMIS qui, pour sa part, tentait aussi de vous raisonner.

Devant la violation manifeste de vos obligations, et face à votre insubordination caractérisée,

Madame BALEATO n'a eu d'autre choix que de référer de la situation à la Présidente. Elle vous a alors demandé de sortir et de patienter dans la salle d'attente, ce à quoi vous avez répondu «J'espère que tu ne vas pas me faire « poireauter» longtemps, je n'étais venu ici que

pour 5 minutes». Environ une heure après, Madame BALEATO est venue vous remettre une lettre vous signifiant votre mise à pied conservatoire à effet immédiat, réitérée verbalement, et vous avisant d'une convocation à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement. Après avoir lu cette lettre, vous avez refusé de la signer. Vous êtes ensuite restée dans la salle d'attente jusqu'à environ 15 h, passant divers appels téléphoniques, puis avez fait irruption en pleine réunion de direction, réclamant que l'on vous remette de nouveau cette lettre qu'une nouvelle fois vous avez refusé de signer. Elle vous a donc été adressée

le jour même par voie recommandée. Une deuxième altercation s'est produite en pleine réunion, alors qu'une adjointe vous demandait de quitter la salle pour cesser de perturber le travail.

Au mépris de la mise à pied qui venait de vous être signifiée, vous vous êtes maintenue dans les locaux de la crèche, vous informant des situations des enfants présents, ayant des échanges avec les parents. Répugnant tout recours à la force physique, nous avons tenté de vous convaincre de partir, mais en vain. Ce n'est qu'à 18 heures 30 que vous avez enfin décidé de quitter la structure, mais en annonçant à tous que l'on vous aurait « sur le dos» tous les jours.

Le lendemain matin, 10 décembre, votre comportement inqualifiable a repris de plus belle. Après être rentrée de force dans la crèche alors que Madame BALEATO tentait de vous en dissuader en vous rappelant de nouveau la mise à pied conservatoire prononcée la veille, vous avez indiqué « cela ne vaut rien» et vous vous êtes rendue directement au milieu des enfants dans la salle des moyens. Madame BALEATO vous a demandé de quitter les lieux. Le ton montant, elle vous a convoqué dans son bureau, ce que vous avez refusé.

Vos provocations incessantes et multiples, parfois sous le regard des enfants, n'ont cessé de

redoubler durant le temps où vous avez imposé votre présence dans les locaux. Alors que MadameBALEATO vous réitérait encore l'ordre de partir, vous lui avez rétorqué « Eh bien vas-y appelle la police pour me faire sortir! », vos agissements n'ayant manifestement d'autres fins que de tenter de multiplier des incidents dont vous espériez qu'ils tournent à votre avantage. Nous avons joint la Mairie pour qu'un médiateur intervienne d'urgence, mais cela n'a pas été possible à ce moment là. Méprisant ouvertement nos injonctions multiples de vous voir quitter sans délai les lieux, vous avez décidé de partir définitivement à 18heures.

Votre insubordination, votre obstruction, vos menaces, constituent autant de violations de vos

obligations contractuelles totalement incompatibles avec votre maintien dans les effectifs durant votre préavis et justifient plus qu'amplement votre licenciement pour faute grave »

On voit donc assez clairement comment ce conflit se construit. La question religieuse n’est ici qu’un prétexte. Madame B. souhaitait quitter la crèche dans le cadre d’une « rupture conventionnelle », c'est-à-dire, en négociant ses indemnités. La crèche refuse : si Madame B. veut partir, il lui faut démissionner et donc partir sans indemnités. Et tout à coup, Madame B. se découvre une subite passion pour la religion et le voile islamique. Etonnant, non ? D’autant plus étonnant que, selon l’arrêt de la Cour : « le 17 avril 2002, lors d'un entretien préalable en vue du licenciement d'une autre salariée, [Madame B.] a rappelé à celle-ci la nécessité de rester neutre vis-à-vis des enfants et à l'égard des parents, et l'obligation de ne pas porter le voile pour toutes les activités auprès des enfants, « ceci étant mentionné dans le

règlement intérieur ». La querelle religieuse du voile est donc prise en otage par une personne qui prétend l’utiliser comme prétexte pour obtenir des indemnités de licenciement.

Et ce n’est pas fini. Après avoir listé les témoignages qui confirment amplement la description des faits contenue dans la lettre de licenciement, constatant même des menaces de mort contre la directrice de la crèche (« Mme Zar épouse Almendra, intervenant au titre de cette animation, lors de son audition devant le conseil de prud'hommes, a maintenu les termes de son attestation rédigée en ce sens, précisant qu'elle avait entendu Mme B… épouse C… crier « tu es morte, tu es finie » à l'attention de la directrice ») Cour d’appel a constaté des choses fort intéressantes :

« Considérant que Mme B… épouse C… se prévaut d'attestations ou de déclarations devant

le conseil de prud'hommes établissant selon elle l'absence de menaces et troubles pendant les journées en cause ;

Que cependant il est versé aux débats, les témoignages de Mme El Khattabi, éducatrice de jeunes enfants et de Mme Soumare, femme de ménage, qui étaient revenues sur leurs premiers témoignages en faveur de l'association, et qui expliquent que Mme B… épouse C… avait fait valoir la solidarité entre musulmanes et leur avait dicté de nouveaux témoignages quant à sa tenue vestimentaire, à l'absence de troubles et à la viande halal qui aurait été servie aux enfants ; que Mme El Khattabi précise que Mme B… épouse C… voulait qu'elle motive d'autres salariées afin qu'elles adhèrent à sa cause et que la direction soit « totalement balayée » et répétait « je veux la tête de Natalia (Baleato) » ;

Que Mme Bendahmane épouse Boutellis, ancienne salariée de l'association, a reconnu dans le cadre d'une convocation par la Gendarmerie nationale, avoir rédigé une attestation en faveur de Mme B… épouse C… sous sa dictée ;

Que des parents d'enfants inscrits à la crèche, qui avaient témoigné en faveur de l'association ou refusé de témoigner pour Mme B… épouse C… , ont déposé des mains courantes concernant les insultes, menaces, pressions de la part de celle-ci ; »

Passionnant, n’est ce pas ? Au-delà de la question complexe de l’exigence de neutralité dans les entreprises privées, cette affaire révèle une deuxième dimension, sur laquelle les tribunaux ne seront pas appelés à se prononcer : celle de l’utilisation qui peut être faite de la religion et de la « solidarité communautaire » aux fins d’une vengeance personnelle. Cette utilisation est rendue possible par la logique « victimiste » qui ouvre la porte à des pressions communautaires au point que deux personnes sans doute honnêtes et honorables, Mmes El Khattabi, Soumaren et Bendhamane, se voient forcées de rédiger des faux témoignages sous la pression de leur collègue qui invoque « la solidarité entre musulmanes ».

Et le pire, c’est que sur le plan « communautaire », Madame B. a déjà gagné. Après la décision de la Cour de Cassation cassant la décision de la Cour d’Appel de Versailles, le climat est devenu irrespirable. Sans légitimité « laïque » – puisque la Cour de Cassation a dit le contraire – les pressions communautaires se multiplient sur le personnel comme sur les parents qui confient leurs enfants à l’association. Et certains parents ayant un poids « communautaire » en profitent : demandes de nourriture halal pour les enfants, du recrutement de personnel musulman, injures (la directrice sera traitée de « sale blanche »). On raye les voitures du personnel, on crève leurs pneus. Le 29 juin 2013, la crèche annonce son déménagement. Elle quittera la cité « sensible » de Noé à Chanteloup-les-Vignes pour s’installer à Conflans-Sainte-Honorine. Dans le centre ville. Les habitants de la cité auront perdu une structure originale, qui prenait en charge en plein centre d’une cité leurs enfants dans le strict respect de chacun et avec une compétence que personne n’a remise en cause. On peut tout de même se demander pourquoi les habitants du quartier eux-mêmes ne sont pas sortis pour défendre l’association. La réponse est très simple : le poison du « victimisme » a fait son effet. Comme dit Terry Pratchett, avec la religion on n’a pas besoin de taper sur la tête des gens. Il suffit de leur donner des marteaux, et ils se taperont sur la tête eux-mêmes… Le bien que la crèche pouvait faire ne pèse pas lourd devant la croyance, complaisamment alimentée par les médias, que toute structure « extérieure » est par définition raciste et « islamophobe ». Loin d’être perçu comme un scandale, l’expulsion de la crèche sera probablement vécue par les habitants comme une victoire…

Sauf erreur de ma part, aucune autorité religieuse – musulmane ou autre, d’ailleurs – ne s’est déplacée pour soutenir BabyLoup. Aucune n’a parlé en sa faveur dans les médias. Aucune n’a cru nécessaire de se scandaliser de la manipulation des conflits religieux et communautaires aux fins d’une vengeance personnelle. Un oubli, sans doute.

Si l’on veut défendre non seulement la laïcité mais surtout le vivre-ensemble, il faut maintenant légiférer. Il faut arrêter l’hypocrisie qui consiste à laisser aux juges le soin de trancher des questions qui relèvent du politique. Les juges ont a interpréter la loi, mais il est clair avec ces aller-retours entre les Cours d’appel et la Cour de cassation que la loi n’est pas assez claire, et que le juge dans ces affaires fait bien plus qu’interpréter, il se substitue au législateur. Ce n’est pas sain. C’est au législateur de dire ce qui est permis et ce qui est interdit. L’obligation de neutralité est inséparable de la notion de service public. Il faut clairement réaffirmer la neutralité du service public même dans le cas où il est assuré par une structure de droit privé.

Descartes

L'arrêt de la Cour d'appel de Versailles est consultable ici.

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

42 réponses à Nous sommes tous des BabyLoup

  1. Suzanne dit :

    Très bon article, que je cite en commentaires.

  2. Ruben dit :

    Je m’étais étonné récemment que vous n’ayez pas publié sur cette affaire ; voilà qui est fait, et je me joins à votre louange.
    Quant à moi ce qui me frappe, c’est l’invocation en droit de la liberté religieuse, alors qu’il ne s’agit que d’une question vestimentaire. Sous quel prétexte devrait-on faire entrer dans la balance la raison religieuse du port de ce voile ? Une autre salariée portant aussi un voile mais pour de simples raisons vestimentaires seraient donc moins protégée ? Il y aurait une belle rupture d’égalité et cela en prenant en compte un élément subjectif qui ne devrait pas l’être : à savoir les motivations de la salariée ? S’il s’agissait d’une simple casquette y aurait-il eu tout ce charivari (au-delà même de l’attitude de la salariée en l’espèce) ? Si j’invoque une religion fantaisiste qui m’oblige à porter cette casquette aurais-je aussi la liberté religieuse en ma faveur ? Cela qui pourrait ce me semble paraître ridicule à beaucoup illustre en fait un point très important à mon sens : la reconnaissance concrète, casuistique de telle ou telle religion (amenant une protection plus grande en fonction de l’appartenance) contre les principes abstraits de l’égalité et de la laïcité. En effet, la liberté religieuse consiste (du moins devrait) à ne pas empêcher la pratique d’un culte, certainement pas de reconnaître des droits spécifiques, de favoriser positivement telle ou telle personne en fonction de sa prétention à faire partie de telle ou telle religion.
    La prise en compte d’un phénomène religieux particulier ne devrait être que politique, sans être transposée dans le juridique (incluant la jurisprudence) et être négative (ce qui ne veut pas dire jeter l’anathème sur ce phénomène, cette religion,…) L’exemple le plus parlant est l’interdiction du port de la burqa. Les motivations politiques sont liées bien évidemment à une religion particulière dont la manifestation dans l’espèce public a été considérée comme posant problème. Juridiquement, il n’a été question que d’interdire de se masquer le visage — ceci peu important les motivations, que l’on aime se travestir ou que l’on veuille respecter un barbu. Et bien sûr, cela vient simplement préciser la séparation public-privé, pas accorder des droits en fonction d’une conviction ni non plus, comme on peut l’entendre, attaquer une religion particulière, mais simplement éviter l’immixtion du privé dans le public (comme la liberté religieuse est là pour éviter l’immixtion du public dans le privé, et non pas, encore une fois, accorder des droits-créances)
    Il semble aussi, d’après des extraits de journaux, que le procureur ait interprété le coran pour justifier ses conclusions : cela vient dans la droite ligne de ce que j’ai dit : comme l’on se demande bien pourquoi l’appartenance à tel ou tel groupe devrait modifier la solution de droit pour le port du voile, on se demande bien pourquoi ce qu’en dit le coran devrait aussi l’influencer (si l’interprétation avait été différente aurait-il fallu conclure différemment ?)
    Enfin, sachez que j’estime vos papiers, le temps et le travail que cela doit vous coûter, et que tout ceci n’est pas en vain ; c’est toujours un plaisir de vous lire.

    • Descartes dit :

      @Ruben

      [Quant à moi ce qui me frappe, c’est l’invocation en droit de la liberté religieuse, alors qu’il ne s’agit que d’une question vestimentaire. Sous quel prétexte devrait-on faire entrer dans la balance la raison religieuse du port de ce voile ? Une autre salariée portant aussi un voile mais pour de simples raisons vestimentaires seraient donc moins protégée ?]

      Oui. La Constitution garantit la liberté religieuse. Ce droit, selon la jurisprudence, comprend la manifestation publique de ses croyances dans le respect de l’ordre public. Dès lors que le port du voile – ou d’un symbole quelconque – est considéré comme étant une manifestation de ses croyances religieuses, il bénéficie d’une protection légale supérieure à celle attaché à n’importe quel autre symbole ou tenue. C’est d’ailleurs pour cela que les défenseurs du voile évoquent la liberté religieuse. Le règlement intérieur d’une école ou d’une entreprise peut parfaitement interdire tel ou tel élément d’habillement et même imposer une tenue (pensez aux hôtesses de l’air, aux agents de quai de la SNCF). Mais le champ de l’interdiction des symboles religieux est bien plus étroit.

      [Il y aurait une belle rupture d’égalité et cela en prenant en compte un élément subjectif qui ne devrait pas l’être : à savoir les motivations de la salariée ?]

      Il n’y a pas de « rupture d’égalité » dès lors que le même raisonnement est applicable à n’importe quel symbole religieux. Le principe d’égalité implique que deux situations juridiques équivalentes doivent recevoir la même solution. Mais il ne s’oppose pas à ce que des situations différentes reçoivent des traitements différents. Il est vrai qu’en poussant le raisonnement jusqu’au bout, je pourrais soutenir que dès lors que je crois au Grand Bacchus, le fait de boire de l’alcool est pour moi un geste religieux, et que mon patron ne peut donc pas m’interdire de boire au volant. Mais je me heurterai là au fait que la liberté de culte n’est pas absolue. Elle s’exerce dans la limite posée par l’ordre public. Et le fait de conduire bourré est certainement un trouble à l’ordre public.

      [Si j’invoque une religion fantaisiste qui m’oblige à porter cette casquette aurais-je aussi la liberté religieuse en ma faveur ?]

      En théorie, oui. J’ignore ce qui serait jugé en pratique, puisque le cas ne s’est pas, à ma connaissance, présenté. Mais lorsque des sectes plus ou moins fantaisistes ont évoqué ce principe – cas des témoins de Jéhovah pour ne pas porter les armes – ils ont pratiquement toujours eu satisfaction.

      [Cela qui pourrait ce me semble paraître ridicule à beaucoup illustre en fait un point très important à mon sens : la reconnaissance concrète, casuistique de telle ou telle religion (amenant une protection plus grande en fonction de l’appartenance) contre les principes abstraits de l’égalité et de la laïcité. En effet, la liberté religieuse consiste (du moins devrait) à ne pas empêcher la pratique d’un culte, certainement pas de reconnaître des droits spécifiques, de favoriser positivement telle ou telle personne en fonction de sa prétention à faire partie de telle ou telle religion.]

      La liberté religieuse ne se limite pas à la liberté de culte. Elle comprend aussi la liberté de vivre en conformité aux règles posées par nos croyances. Cela ne revient nullement à reconnaître des « droits spécifiques ». On reconnaît un droit unique, qui est celui de pratiquer sa religion (et non seulement son culte). Si mes croyances m’interdisent le porc, on ne peut pas m’obliger à manger du porc. Si mes croyances m’obligent à être toujours couvert, on ne peut m’obliger à me découvrir. Là ou se manifeste la laïcité, c’est dans le fait que ce droit n’est pas absolu et est borné par la notion d’ordre public. Ainsi, il a été jugé que le fait d’être juif ne vous permet pas de sécher les cours du samedi ou d’exiger que les examens soient organisés un autre jour – le calendrier scolaire étant considéré faire partie de l’ordre public. De la même manière, la neutralité de l’espace scolaire ou celle des fonctionnaires est d’ordre public. Comme le fait de montrer son visage dans l’espace public.

      [Il semble aussi, d’après des extraits de journaux, que le procureur ait interprété le coran pour justifier ses conclusions : cela vient dans la droite ligne de ce que j’ai dit : comme l’on se demande bien pourquoi l’appartenance à tel ou tel groupe devrait modifier la solution de droit pour le port du voile, on se demande bien pourquoi ce qu’en dit le coran devrait aussi l’influencer (si l’interprétation avait été différente aurait-il fallu conclure différemment ?)]

      Je suis totalement d’accord sur l’absurdité de ce raisonnement. En République, l’appartenance à un groupe n’a aucune incidence sur les questions de droit. Les droits sont toujours attachés aux individus, jamais aux « communautés ». En d’autres termes, à l’heure d’estimer si le droit à la pratique religieuse a été violé, ce sont les croyances de la personne qui importent, et non ce que dit tel ou tel texte « sacré ».

      [Enfin, sachez que j’estime vos papiers, le temps et le travail que cela doit vous coûter, et que tout ceci n’est pas en vain ; c’est toujours un plaisir de vous lire]

      Je vous remercie de vos encouragements.

    • Albert dit :

      "Là ou se manifeste la laïcité, c’est dans le fait que ce droit n’est pas absolu et est borné par la notion d’ordre public. Ainsi, il a été jugé que le fait d’être juif ne vous permet pas de sécher les cours du samedi ou d’exiger que les examens soient organisés un autre jour – le calendrier scolaire étant considéré faire partie de l’ordre public."

      1ère remarque: un raisonnement défensif étroitement juridique- "juridisme étroit"- en la matière est inopérant, car l’offensive contre notre République dépasse le terrain juridique stricto sensu; nous nous ferons détruire par nos propres armes (juridiques).
      2ème remarque (illustrant la première): pourquoi n’avons-nous pas les mêmes problèmes avec les "traditions" juives qu’avec les musulmanes? Parce que les forces en présence ne sont pas comparables, à tous égards.

    • Albert dit :

      ["De la même manière, la neutralité de l’espace scolaire ou celle des fonctionnaires est d’ordre public. Comme le fait de montrer son visage dans l’espace public."]

      Avant de commenter ceci, et pour rester dans le même sujet que lors de ma précédente intervention, je voudrais:
      – d’abord revenir sur celle-là pour éviter tout malentendu: ce que j’ai dit et rapporté au sujet du Conseil d’Etat ( affaire "complexe" doit être ainsi explicité: dont la solution juridique n’est pas évidente pour tous).
      – ensuite vous demander pourquoi, si les choses étaient si claires, il fut si difficile de faire ces deux lois, et d’appliquer la seconde. En réalité, il faut bien voir que si la laïcité de 1905 n’a pas posé trop de problèmes (et encore…les débuts furent difficiles) en tous cas pour la cohésion nationale, c’est parce que les Français étaient tous, peu ou prou, dotés d’un logiciel de pensée à peu près identique. Ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui. Les réalités sont différentes.
      Aussi, je dirais que, sans méconnaitre la lettre du droit, raisonner superficiellement à cet égard, c’est comme raisonner en géométrie plane alors que la réalité est de la géométrie dans l’espace.
      Beaucoup de Français sont ainsi victimes d’un "dévoiement" de rationalité et se font "avoir" par d’habiles bonimenteurs.
      Je persiste à penser que le danger vient autant de l’intérieur que de l’extérieur. Comme disait de Gaulle, "à force de dire oui à tout, on disparait soi-même."

    • Descartes dit :

      @Albert

      [1ère remarque: un raisonnement défensif étroitement juridique- "juridisme étroit"- en la matière est inopérant, car l’offensive contre notre République dépasse le terrain juridique stricto sensu; nous nous ferons détruire par nos propres armes (juridiques).]

      Je partage votre position. Le "juridisme étroit" est un danger, et il faut rappeler toujours que la jurisprudence n’est pas, dans la tradition française, la première source de la loi. C’est le législateur qui établit les principes fondamentaux, et non le juge qui les dégage. Par manque de courage, le politique laisse de plus en plus le juge – ou les "autorités administratives indépendantes", c’est la même chose – décider ce qui appartient à l’ordre public et ce qui n’y appartient pas. Ce processus met en danger notre "vivre ensemble" parce qu’il conduit fatalement au communautarisme.

      [2ème remarque (illustrant la première): pourquoi n’avons-nous pas les mêmes problèmes avec les "traditions" juives qu’avec les musulmanes? Parce que les forces en présence ne sont pas comparables, à tous égards.]

      Oui et non. Nous avons eu quelques problèmes avec les "traditions catholiques", dont la force était largement comparable à celle de l’Islam de France. La différence, c’est que les autres "traditions" ont accepté, de gré ou de force, le compromis républicain, qui supposait leur effacement de la sphère publique. C’était relativement facile pour le judaïsme, religion minoritaire fréquemment persécutée, dont le rôle dans la sphère publique était minime, même si l’Abbé Grégoire avait pris soin de préciser, dans sa proposition sur les juifs, que "aux juifs en tant qu’individus, tout, aux juifs en tant que communauté, rien". Ce fut plus difficile pour le catholicisme, qui persista à vouloir conserver son influence sur les affaires civiles. Il a fallu que l’Etat impose le compromis. L’Islam arrive malheureusement à un moment où la République est affaiblie par les idéologies "libérales-libertaires" qui empêchent d’imposer à l’imam ce qu’on a imposé hier aux curés et aux rabbins.

    • Descartes dit :

      @Albert

      [ensuite vous demander pourquoi, si les choses étaient si claires, il fut si difficile de faire ces deux lois, et d’appliquer la seconde.]

      En fait, il n’y a pas eu de difficulté particulière à faire les deux lois ou à les appliquer, dès lors que la volonté politique était là. Finalement, le contentieux lié aux deux lois sur le voile a été très peu fourni, preuve s’il en fallait une que le principe selon lequel la loi est l’expression de la volonté générale reste accepté par la grande majorité des résidents français, immigrés et descendants d’immigrés compris. Tant que le législateur n’a pas parlé, chacun fait un peu ce qu’il veut, mais une fois qu’il a parlé, les gens se soumettent.

      [En réalité, il faut bien voir que si la laïcité de 1905 n’a pas posé trop de problèmes (et encore…les débuts furent difficiles) en tous cas pour la cohésion nationale, c’est parce que les Français étaient tous, peu ou prou, dotés d’un logiciel de pensée à peu près identique. Ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui. Les réalités sont différentes.]

      Je ne le crois pas. La France était en 1905 un pays bien plus divers qu’aujourd’hui, en fait. La faible mobilité et l’absence de médias nationaux avaient permis la persistance des spécificités locales. En 1905, seule une génération était passée par l’école de la République. Les plus de vingt ans avaient souvent le patois local pour langue maternelle… En fait, si la laïcité avait été bien acceptée en 1905 c’est parce que c’était l’aboutissement d’un très long processus de séparation, qui avait commencé avec le gallicanisme sous l’ancien régime, s’était poursuivi avec la Révolution et surtout avec l’école laïque après 1880. Et malgré cela, en 1905 ce fut un combat au couteau, et non une promenade de santé.

      Encore une fois, c’est notre faiblesse qui rend nos ennemis forts. Les fondamentalistes islamiques se glissent dans les failles de la volonté républicaine. Ils exploitent la mauvaise conscience et le « laisser-faire » lié aux idéologies libérales-libertaires. Mais si les deux lois sur le voile ont montré quelque chose, c’est que ces fondamentalistes sont des tigres en papier, et reculent dès que la République fait preuve de fermeté.

      [Je persiste à penser que le danger vient autant de l’intérieur que de l’extérieur. Comme disait de Gaulle, "à force de dire oui à tout, on disparait soi-même."]

      Tout à fait d’accord. Je n’ai d’ailleurs jamais cru que le danger puisse venir « de l’extérieur ». Je me répète : c’est notre faiblesse qui rend nos ennemis forts.

    • Descartes dit :

      @Mohican

      [Rendons à Clermont-Tonnerre ce qui lui appartient :]

      Vous avez raison, et je suis confus. A ma décharge, je dirais que j’étais convaincu que cette phrase se trouvait dans le magnifique discours que l’Abbé Grégoire fit devant la Constituante le 23 décembre 1789 dans le débat sur la nationalité des juifs, débat au cours duquel Clermont-Tonnerre a prononcé la phrase qui est devenu le crédo de tout bon assimilationniste: « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre. Il faut qu’ils soient individuellement citoyens. »

      Pour me faire pardonner, je me permets de citer quelques paragraphes du discours de l’Abbé Grégoire:

      "Arbitres de leur sort, vous bornerez-vous, Messieurs, à une stérile compassion ? N’auront-ils conçu des espérances que pour voir doubler leurs chaînes et river leurs fers, et par qui ?… Par les représentants généreux d’un peuple dont ils ont cimenté la liberté, en abolissant l’esclavage féodal. Certes, Messieurs, le titre de citoyen français est trop précieux, pour ne pas le désirer ardemment ; des nations voisines ont recueilli avec bonté les débris de ce peuple ; nous avons reçu d’elles l’exemple ; il est digne de nous de le donner au reste des nations. Vous avez proclamé le Roi restaurateur de la liberté ; il serait humilié de régner sur des hommes qui n’en jouiraient pas : 50 000 Français se sont levés esclaves, il dépend de vous qu’ils se couchent libres.

      Un siècle nouveau va s’ouvrir, que les palmes de l’humanité en ornent le frontispice, et que la postérité, bénissant vos travaux, applaudisse d’avance à la réunion de tous les coeurs. Les juifs sont membres de cette famille universelle qui doit établir la fraternité entre les peuples ; et sur eux comme sur vous la révolution étend son voile majestueux. Enfants du même père, dérobez tout prétexte à la haine de vos frères, qui seront un jour réunis dans le même bercail ; ouvrez-leur des asiles où ils puissent tranquillement reposer leurs têtes et sécher leurs larmes ; et qu’enfin le juif, accordant au chrétien un retour de tendresse, embrasse en moi son concitoyen et son ami […]"

  3. Jean Mi dit :

    Encore un texte bien instructif et intéressant mais j’ai pas bien compris les subtilités à la fin, à part (que c’est moche et devrait être puni ?) le fait d’utiliser des conflits religieux et communautaires aux fins d’une vengeance personnelle.
    ["Il faut clairement réaffirmer la neutralité du service public même dans le cas où il est assuré par une structure de droit privé"]. Cette phrase devrait-être la réponse à ma question mais me laisse sur ma faim. Dire "réaffirmer" implique que cela "est" déjà ! (?) Si cela "est" déjà, pourquoi faire redondance et alourdir encore un peu plus une législation labyrinthe ? Par conséquent, plus précisément comment rédigerais-tu l’essentiel du texte de loi ? Et quid de la compatibilité et de la pérennité (que je ne défends pas) des écoles privées à enseignement (mono-)religieux complémentaire à l’enseignement académique ?

    • Descartes dit :

      @Jean-MI

      [Dire "réaffirmer" implique que cela "est" déjà ! (?) Si cela "est" déjà, pourquoi faire redondance et alourdir encore un peu plus une législation labyrinthe ?]

      J’ai utilisé le terme "réaffirmer" dans le sens "affirmer de manière répétée". Cela fait des années que des personnalités "affirment" ce point. Il faut continuer et donc le "réaffirmer". Du point de vue législatif, la question n’est pas complexe. Il suffit de poser comme principe général la neutralité, et prévoir ensuite une exception pour les "entreprises de conviction" (expression dérivée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, reprise par la Cour d’Appel de Paris), ce qui inclurait l’enseignement confessionnel.

  4. Albert dit :

    Merci, Descartes, pour ces précisions fort intéressantes sur les circonstances de l’affaire. Il y a bien le feu à la maison !!!
    Et la complicité des élites de ce pays est flagrante. Là c’est la Cour de Cass., un autre jour c’est le Conseil d’Etat, tous les jours ce sont des politiques -à divers niveaux, et de droite presqu’autant que de gauche.
    La destruction de la France est déjà très très avancée, même si l’on n’en voit qu’une petite partie comme pour les icebergs; et tout ça finira très très mal. Trente ans (quarante?) nous avons été trahis…

    • Descartes dit :

      @Albert

      [Et la complicité des élites de ce pays est flagrante. Là c’est la Cour de Cass., un autre jour c’est le Conseil d’Etat,]

      Je ne crois pas qu’on puisse faire le reproche à la Cour de Cassation ou au Conseil d’Etat. Les juges font ce qu’ils peuvent, mais ce n’est pas à eux de décider des règles du vivre ensemble. C’est parce que du côté politique c’est "courage fuyons" que les juges se trouvent à devoir fixer un équilibre entre des droits contradictoires. C’est le silence des politiques qui installe le gouvernement des juges. Et il faut dire qu’en France les juges ont fait d’énormes efforts pour ne pas sortir de leur rôle. Il faut à ce propos rappeler l’avis du Conseil d’Etat à l’époque de Jospin, qui sur la question du voile à l’école avait renvoyé fermement la balle dans le camp des politiques.

    • Albert dit :

      Un membre du Conseil d’Etat me disait un jour que, en contentieux, lorsqu’une affaire est grave et complexe à la fois, il arrive que le Conseil cherche la meilleure solution au fond et habille ensuite sa décision juridiquement. C’est le bon sens. Ou alors il doit se déclarer incompétent, entièrement incompétent, et pas mi-chèvre, mi-chou.
      Quant à "l’épisode Jospin", il s’agissait, si ma mémoire est bonne, d’un avis du C.E. et non d’un jugement. Par conséquent, la marge d’appréciation du Conseil était d’autant plus légitime.
      Et ce, d’autant plus qu’à l’époque le C.E. était souverain -ce qu’il n’est plus aujourd’hui, puisque le C.E, comme la Cour de Cass., voire le Conseil constitutionnel, admettent aujourd’hui être soumis au droit européen dont ils ne possèdent pas le dernier mot.
      Cela étant, je suis d’accord avec vous pour estimer que le législateur est le premier défaillant dans ces affaires, mais pas que lui – c’est pourquoi je dis que la gangrène est déjà très avancée. Et qu’on échappera donc difficilement à de graves conflits "civils". Qu’on ne me fasse pas dire que je lance un appel à la guerre civile. Je crois seulement qu’elle pourrait advenir si les Français attendaient trop longtemps pour réagir- légalement et pacifiquement, mais avec détermination – aux entreprises de destruction à l’œuvre dans ce pays.

    • Descartes dit :

      @Albert

      [Et ce, d’autant plus qu’à l’époque le C.E. était souverain -ce qu’il n’est plus aujourd’hui, puisque le C.E, comme la Cour de Cass., voire le Conseil constitutionnel, admettent aujourd’hui être soumis au droit européen dont ils ne possèdent pas le dernier mot.]

      Pas tout à fait. La jurisprudence sur le voile à l’école est postérieure à l’arrêt Nicolo, qui marque l’acceptation par le Conseil d’Etat de la supériorité du droit dérivé de l’Union européenne par rapport au droit national. Mais sur le fond, vous avez je pense raison: le droit européen instille un modèle de laïcité qui n’est certainement pas celui qui nous vient de notre histoire. A un moment donné, le conflit entre ces deux modèles risque d’être très violent.

  5. Jean Mi dit :

    Au secours, ils sont tous devenus fous:
    "Bob Dylan a été entendu et mis en examen en novembre à Paris pour avoir comparé les Croates aux nazis, dans une interview publiée dans l’édition française de Rolling Stone, a-t-on appris lundi de source judiciaire.
    Le célébrissime chanteur américain a été mis en examen, ce qui est automatique dans ce type de procédure, pour «injure» et «provocation à la haine», à la suite de la plainte d’une association croate."
    http://www.liberation.fr/societe/2013/12/02/bob-dylan-mis-en-examen-a-paris-pour-injure-apres-la-plainte-d-une-association-croate_963660

    • Descartes dit :

      @morel

      Article intéressant, mais un peu approximatif. Je ne partage pas le jugement sur l’argumentation retenue par la Cour d’appel de Paris.

  6. Denis dit :

    Descartes,
    Une petite précision sur le problème de fond : la Cour de cassation a tout simplement relevé, à bon droit, que Baby loup était une structure privée, ET qui n’avait pas de mission de service public…
    D’où un gros problème de droit que la Halde (pas au début mais lorsque J. Bougrab est arrivée) a tenté de dissimuler, les cours d’appel également. Bref…
    Si vous voulez étendre à toutes les structures de la petite enfance ou à d’autres secteurs d’activité cette notion de "mission de service public", il faudra obligatoirement une loi (qui n’existe pas à l’heure actuelle : les magistrats de la Cour de cassation ne peuvent que dire le droit, et non pas l’inventer). Surtout, il faudra assumer le basculement de structures privées dans un cadre partiellement étatique et administratif (édiction d’actes administratifs pour formaliser cela, procédures à mettre en place pour la surveillance etc, etc.)

    Ensuite sur la forme. Soit je n’ai pas compris ce que vous écriviez, soit il y a une erreur d’appréciation :
    [On voit donc assez clairement comment ce conflit se construit. La question religieuse n’est ici qu’un prétexte. Madame B. souhaitait quitter la crèche dans le cadre d’une « rupture conventionnelle », c’est-à-dire, en négociant ses indemnités. La crèche refuse : si Madame B. veut partir, il lui faut démissionner et donc partir sans indemnités. Et tout à coup, Madame B. se découvre une subite passion pour la religion et le voile islamique. Etonnant, non ?]

    [Madame B. se découvre une subite passion pour la religion] ..?
    Mais c’est faux ? Puisque dès les 1ères lettres et dès le 1er entretien la femme qui sera ensuite licenciée affirme être déjà voilée et vouloir partir en raison de ses convictions auxquelles elle ne veut pas que la direction porte atteinte.

    Le texte de la lettre de la direction :
    "A l’occasion de l’entretien du 5 novembre organisé pour répondre à votre demande, vous nous avez indiqué que vos convictions religieuses vous amenaient à porter le voile islamique intégral et que, de ce fait, vous n’étiez prête à faire aucune concession sur votre tenue vestimentaire lors de votre retour à la crèche. "

    Donc : oui ! la question religieuse n’est qu’un prétexte. Mais c’est un prétexte fallacieux instrumentalisé depuis le début par Baby loup… La vérité est parfois dure à admettre.

    • Descartes dit :

      @Denis

      [Une petite précision sur le problème de fond : la Cour de cassation a tout simplement relevé, à bon droit, que Baby loup était une structure privée, ET qui n’avait pas de mission de service public…]

      Je ne critique pas la décision de la Cour de Cassation. Chaque cour juge selon une logique différente. La Cour d’appel de Paris a eu recours à la notion de « entreprise de conviction », qui n’est pas en fait si originale que cela. Si les écoles privées confessionnelles peuvent imposer à leurs enseignants de porter certains symboles ou vêtements, pourquoi les structures laïques ne pourraient pas de la même manière imposer la neutralité religieuse si celle-ci fait partie des « convictions » de l’institution ?

      [D’où un gros problème de droit que la Halde (pas au début mais lorsque J. Bougrab est arrivée) a tenté de dissimuler, les cours d’appel également. Bref…]

      Si vous voulez dire que c’est au législateur et non aux juges de trancher ces histoires, je ne peux qu’être d’accord avec vous.

      [Surtout, il faudra assumer le basculement de structures privées dans un cadre partiellement étatique et administratif (édiction d’actes administratifs pour formaliser cela, procédures à mettre en place pour la surveillance etc, etc.)]

      Je n’ai pas compris ce paragraphe. Il y a déjà des organismes privés qui assurent des missions de service public, sans pour autant rentrer dans un cadre « étatique et administratif ». Simplement, il faudrait réviser les critères qui permettent de qualifier un « service public ».

      [Mais c’est faux ? Puisque dès les 1ères lettres et dès le 1er entretien la femme qui sera ensuite licenciée affirme être déjà voilée et vouloir partir en raison de ses convictions auxquelles elle ne veut pas que la direction porte atteinte.]

      Non. Si l’on croit le résumé qui figure dans l’arrêt de la cour d’appel, Madame B. a informé la structure de sa demande de « rupture conventionnelle » après son congé maternité par lettre, sans indiquer une quelconque question religieuse. Ce n’est qu’au cours de l’entretien dans laquelle la réponse négative lui a été signifiée qu’elle a parlé d’une question religieuse. Le texte est sans ambiguïté : "A l’occasion de l’entretien du 5 novembre organisé pour répondre à votre demande, vous nous avez indiqué que vos convictions religieuses vous amenaient à porter le voile islamique intégral et que, de ce fait, vous n’étiez prête à faire aucune concession sur votre tenue vestimentaire lors de votre retour à la crèche. ". On voit bien que lorsqu’elle a parlé de ses convictions religieuses, elle savait déjà qu’il lui faudrait revenir dans la crèche. Pourquoi annoncer qu’elle « n’était prête à faire aucune concession lors de son retour à la crèche » si elle avait à ce moment pensé que sa demande allait être acceptée, et qu’elle n’aurait donc pas à retourner à son poste ? On ne peut qu’en déduire qu’elle n’a évoqué la question du voile qu’une fois que le refus de sa demande lui a été signifié, et non avant. Et vous avouerez que la concomitance des deux faits est troublante…

      [Donc : oui ! la question religieuse n’est qu’un prétexte. Mais c’est un prétexte fallacieux instrumentalisé depuis le début par Baby loup…]

      De quel « prétexte fallacieux » parlez vous ? Un prétexte pour quoi faire ?

      [La vérité est parfois dure à admettre.]

      Oui, j’avais compris que cela vous posait un problème…

    • Gugus69 dit :

      À propos d’antiracisme, J’ai appris hier, comme tout le monde le décès du grand Nelson Mandela.
      Et j’assiste ce matin au déferlement sirupeux du chœur des pleureuses. C’est à qui ira de son affliction, de son chagrin sans limite.
      Je me rappelle pourtant d’une époque pas si éloignée, les années soixante-dix – quatre-vingt, où l’ANC de Mandela était quasiment considérée comme une organisation-relais des intérêts soviétiques, voire carrément terroriste.
      À l’époque il n’était de prisonnier politique que dissident de l’Est ; Sakharov, Walesa étaient des stars des médias.
      Je me rappelle avoir entendu Georges Marchais protester à la télé contre le silence qui s’alourdissait sur le sort du dirigeant africain ; au même moment l’Humanité (qui était un journal communiste) publiait un sondage qui attestait que 94% (il me semble…) des Français ignoraient jusqu’au nom même de Mandela !
      Et aujourd’hui ? Il n’y a pas un people, pas un politique de quelque bord que ce soit, qui ne nous inonde de ses larmes. Mais pas un micro ne s’est tourné vers les communistes pour connaître leur sentiment. Bande de faux-culs !
      Nelson Mandela, lui, ne s’y était pas trompé : lors de son premier jour d’homme libre à Paris en 1990, il avait rencontré Georges Marchais place du Colonel-Fabien…
      Tout mon respect, monsieur le président.

    • Descartes dit :

      @Gugus69

      [Nelson Mandela, lui, ne s’y était pas trompé : lors de son premier jour d’homme libre à Paris en 1990, il avait rencontré Georges Marchais place du Colonel-Fabien…]

      Oui, je me souviens bien de cet épisode. Comme je me souviens que bien avant que Mandela soit libéré le même Marchais réservait à chaque fête de l’Humanité un couplet dans l’une de ses interventions pour parler de l’apartheid et exiger la libération de Mandela et des autres prisonniers politiques.

      On assiste d’ailleurs à une canonisation de Mandela en icône consensuelle qui cherche à faire oublier les faits pour leur substituer une lecture partielle. Il faudrait relire les journaux de l’époque et on verrait alors combien de ceux qui aujourd’hui versent des larmes étaient méfiants de ce militant anti-apartheid, allié des communistes sud-africains, soutenu par les partis communistes occidentaux et, par voie de conséquence, catalogué quasiment comme un agent de la "subversion communiste mondiale"… c’est fou ce que certains ont comme mauvaise mémoire…

  7. morel dit :

    Nous n’avons pas le même jugement concernant l’article de Marianne. Soit.
    Légiférer sur la laïcité. Entreprise qui nécessite, au-delà du cas particulier, une réflexion approfondie conciliant libertés individuelles et ordre public.
    Exemple : si l’on se réclame d’une « entreprise de conviction » peut-on bénéficier de subventions publiques ? Si oui, à quelles conditions ? Doit-on interdire l’ « entreprise de conviction » dans certains domaines ? Vaste problème …qui mériterait d’être abordé mais quels personnels politiques sur les rangs ? Interrogations loin d’être exhaustives.
    Le président de l’observatoire de la laïcité, JL Bianco en juin dernier : « La France n’a pas de problème avec sa laïcité »…

    • Descartes dit :

      @morel

      [Légiférer sur la laïcité. Entreprise qui nécessite, au-delà du cas particulier, une réflexion approfondie conciliant libertés individuelles et ordre public.]

      Tout à fait. Ne croyez pas que je sois hostile à la liberté de cultes. Tout au contraire: j’estime que la laïcité est la clé de voute qui garantit cette liberté. Toute loi qui concerne la laïcité doit être soigneusement réfléchie.

  8. Marcailloux dit :

    Bonjour,
    Ce billet, remarquable – mais c’est presque une constante ici – comme le précédent sur le dernier livre de A.Finkelkraut me semblent indissociables. De la réflexion générale du philosophe à la description concrète d’un cas d’école, la question qui se pose est, à mes yeux, celle des fondements et des fins d’une véritable "guerre" qui oppose un monde occidental, d’obédience judéo-chrétienne, démocratique et "tendanciellement" laïc, et un monde moyen oriental ( de Dakar à Islamabad ), de confession islamiste à multiples faces, tendancieusement ou ouvertement théocratiques.
    C’est une guerre de tranchée, avec de nombreuses escarmouches armées, de manœuvres d’intimidation, de démarches subversives. Si les attentats auxquels nous assistons depuis quelques décennies relèvent de la première catégorie , les enlèvements d’occidentaux de la seconde, les démarches subversives, dont celle décrite dans ce billet, sont parfaitement imagées par le cas de Babyloup.
    Tout nous oppose.
    Et l’interpénétration de deux civilisations depuis plus d’un millénaire, l’une dont la philosophie sera fondée sur l’Esprit des Lumières, l’autre sur le dogme du Coran décliné sous des formes diverses, n’est pas parvenue à produire suffisamment d’osmose entre les individus devant vivre néanmoins sur les mêmes territoires.
    De brillantes personnalités, tel Tarik Ramadan ( c’est le premier dont le nom me revient à l’esprit), s’appuient sans vergogne sur la faiblesse des démocraties et de leurs personnels politiques pour, jouant sur la fibre de l’humanisme, chère à l’Occident, infuser subrepticement le doute, le sentiment de culpabilité chez les peuples occidentaux. La réciproque est au demeurant tout autant vérifiable.
    Ceci a pour conséquence la perpétuation d’une sorte de guerre civile dans laquelle les partis extrémistes font leur beurre.
    Et en France, il me semble, nos dirigeants, de quelque bord qu’ils soient, se refusent à poser les véritables termes de ces questions:
    – de quoi s’agit-il ?
    – que voulons nous atteindre comme objectif ?
    – quel prix sommes nous prêts à payer ?
    – quelle identité souhaitons nous affirmer et défendre ?
    Vaste programme, et l’acier, dont seront forgés les leaders politiques qui nous sortiront de ce marigot, n’est pas encore élaboré.
    Les nôtres, actuellement sont trop oxydables, et comme les Français, champions de la récrimination et du défaitisme ne manque par d’oxygène, la caste des oligarques politiciens rouillés jusqu’à l’os, n’est pas prête de se dissoudre.
    In cha’ Allah ?

    • Descartes dit :

      @ marcailloux

      [De la réflexion générale du philosophe à la description concrète d’un cas d’école, la question qui se pose est, à mes yeux, celle des fondements et des fins d’une véritable "guerre" qui oppose un monde occidental, d’obédience judéo-chrétienne, démocratique et "tendanciellement" laïc, et un monde moyen oriental ( de Dakar à Islamabad ), de confession islamiste à multiples faces, tendancieusement ou ouvertement théocratiques.]

      Je crois qu’on fait erreur en posant le problème en ces termes. Il ne s’agit pas d’une guerre entre « l’occident » et « l’Islam ». Les musulmans s’entre-tuent d’ailleurs entre eux avec autant d’enthousiasme que celui qu’ils mettent pour combattre l’occident. Je pense en fait qu’il faut voir la situation actuelle comme une crise au sein de l’Islam lui-même. Une crise semblable à celle que connut le catholicisme lorsqu’il a du affronter la séparation entre la loi civile et la loi religieuse.

      [les démarches subversives, dont celle décrite dans ce billet, sont parfaitement imagées par le cas de Babyloup. Tout nous oppose.]

      Justement, non. Dans son livre Finkielkraut soutient que les conflits du voile ne sont pas des conflits religieux mais des conflits politiques. Ceux qui défendent les porteuses du voile ne le font pas avec les arguments de la religion, mais avec ceux de notre droit « laïque ». Ce qui se joue, ce n’est pas la religion mais le pouvoir politique des religieux, en d’autres termes leur pouvoir à faire la loi.

      [Et l’interpénétration de deux civilisations depuis plus d’un millénaire, l’une dont la philosophie sera fondée sur l’Esprit des Lumières, l’autre sur le dogme du Coran décliné sous des formes diverses, n’est pas parvenue à produire suffisamment d’osmose entre les individus devant vivre néanmoins sur les mêmes territoires.]

      Je vais me répéter, mais la différence enter les deux civilisations n’est pas si grande que vous croyez. En occident, les Lumières ont abouti à l’affaiblissement des hiérarchies religieuses, qui ont perdu progressivement le pouvoir politique. En terre d’Islam, cette transformation n’a pas encore eu lieu. Personnellement, je pense que si l’on veut assimiler les immigrés musulmans en France, c’est sur ce point qu’il faut insister. Ce n’est pas leur religion qui est en cause, c’est la prétention de cette religion à s’immiscer dans la loi civile.

    • Marcailloux dit :

      Bonjour,
      @ Descartes,
      [ Je pense en fait qu’il faut voir la situation actuelle comme une crise au sein de l’Islam lui-même.]
      Mais ce n’est pas contradictoire. Il n’y a pas, dans l’Islam, unanimité pour s’opposer à l’occident, comme il n’y a pas, en France, unanimité pour rejeter les Maghrébins à la mer. La situation des musulmans n’est pas monolithique. L’état conflictuel qui oppose le monde musulman au monde occidental constitue tout de même un ciment pour une part de la population de chaque pays à majorité musulmane. Et globalement, malgré les dissensions, il y a rejet de nos pratiques.
      Le monde occidental lui même n’est il pas en crise ? Et ce dans le cadre de la mondialisation, de l’Europe ( 25% des Anglais sont favorables à l’Europe, par exemple), du libéralisme, de l’étatisme, de la rigueur, des mœurs, du fouteralbole….et j’en passe. La différence c’est que la raison s’oppose aux différents dogmes qui s’affrontent alors que le paradigme sous jacent à l’Islam ne le permet pas.

      [ Justement, non. Dans son livre Finkielkraut soutient que les conflits du voile ne sont pas des conflits religieux mais des conflits politiques.]
      Eh bien justement si peut être. Car A. Finkielkraut me semble ne se placer, dans son raisonnement, que dans le cadre du paradigme occidental, et dans ce cas il a raison. Or en sa qualité de philosophe, il fait abstraction du point de vue des musulmans sincères. Et je trouve cela dommageable vis à vis de la philosophie. ( Je ne parle pas là du cas de Babyloup où il est probable qu’il y a eu "détournement" de la foi islamique dans le but de défendre des intérêts privés.)
      Vous l’écrivez fort justement : [Ce n’est pas leur religion qui est en cause, c’est la prétention de cette religion à s’immiscer dans la loi civile.] , c’est un peu comme si vous demandiez aux croyants catholiques de renoncer à la Sainte Trinité.
      Pour la plupart des musulmans, il y a imbrication étroite entre le politique et le religieux, tout est rapporté à Allah , c’est une des composantes, la principale, de la nature, et comme par exemple pour ce qui concerne l’homosexualité, bon nombre d’individus ne peuvent intérioriser le bien fondé de cette notion, n’admettant pas au fond d’eux même son caractère naturel.
      C’est par essence un non sens. Et pourquoi, d’un strict point de vue philosophique pourrait on affirmer qu’un paradigme – terme que je souhaite , pour la circonstance substituer au terme de civilisation – est supérieur à un autre ?
      La question qui se pose est de décider si deux paradigmes, antagonistes sur de nombreux points, présentent des possibilités de coexistence durables et paisibles sur un même territoire. Et si non, quelles mesures doivent elles être prises.

    • Descartes dit :

      @marcailloux

      [L’état conflictuel qui oppose le monde musulman au monde occidental constitue tout de même un ciment pour une part de la population de chaque pays à majorité musulmane. Et globalement, malgré les dissensions, il y a rejet de nos pratiques.]

      Parce que, encore une fois, le pas à franchir pour séparer la loi civile et la loi religieuse n’est pas, conceptuellement, une affaire simple. Il nous a fallu, nous occidentaux, des siècles pour y parvenir. Et c’est un chemin sans retour : une fois qu’on a fait descendre dieu de son piédestal, une fois qu’on a admis que le mariage, la famille, l’héritage, les droits de la personne sont des questions humaines, et non divines, il n’y a pas de retour en arrière possible.

      [Le monde occidental lui même n’est il pas en crise ? Et ce dans le cadre de la mondialisation, de l’Europe ( 25% des Anglais sont favorables à l’Europe, par exemple), du libéralisme, de l’étatisme, de la rigueur, des mœurs, du fouteralbole….et j’en passe. La différence c’est que la raison s’oppose aux différents dogmes qui s’affrontent alors que le paradigme sous jacent à l’Islam ne le permet pas.]

      On ne peut pas comparer. Le monde occidental est « en crise » grosso modo depuis la chute de l’empire romain – si ce n’est pas avant. C’est justement cette capacité à générer en permanence des « crises » et les résoudre qui explique pourquoi la civilisation occidentale a continué à avancer dans un temps linéaire alors que la plupart des civilisations à un moment donné se sont trouvés prises dans un temps circulaire, à répéter inlassablement les mêmes schémas. L’islam est lui aussi en crise, celle de la confrontation de la modernité technologique à l’archaïsme institutionnel. En pratique, le fondamentalisme n’est pas sans ressemblance avec la contre-réforme catholique.

      [Vous l’écrivez fort justement : « Ce n’est pas leur religion qui est en cause, c’est la prétention de cette religion à s’immiscer dans la loi civile. », c’est un peu comme si vous demandiez aux croyants catholiques de renoncer à la Sainte Trinité.]

      Pas du tout. La preuve en est que les chrétiens ont bien accepté que leur religion quitte la sphère publique, sans pour autant reononcer à la Sainte Trinité… En chassant la religion de l’espace civil, je ne porte pas atteinte au dogme. La loi civile a bien légalisé le divorce, et l’église persiste à considérer que seul le premier mariage est valable. Ce que la séparation met en cause ce n’est pas le dogme, mais le pouvoir du clergé et des autorités « communautaires ». Si la loi civile et la loi religieuse sont séparées, le domaine de la loi civile leur échappe puisque la légitimité politique n’est plus dérivée de la légitimité religieuse. C’est en ce sens que le combat est politique, et non religieux.

      [Pour la plupart des musulmans, il y a imbrication étroite entre le politique et le religieux, tout est rapporté à Allah , c’est une des composantes, la principale, de la nature, et comme par exemple pour ce qui concerne l’homosexualité, bon nombre d’individus ne peuvent intérioriser le bien fondé de cette notion, n’admettant pas au fond d’eux même son caractère naturel.]

      C’était la même chose pour l’église catholique jusqu’à il n’y a pas si longtemps – et dans certains pays, cela reste vrai, pensez à l’Irlande – et pourtant chez nous la séparation a eu lieu, et l’église ne s’en est pas porté, sur le plan moral et religieux, plus mal. Si les fidèles musulmans veulent croire que l’homosexualité est une abomination, ils en ont le droit. Personne n’entend les obliger de coucher avec une personne du même sexe. Mais en perdant le pouvoir civil, ils perdent le pouvoir d’imposer leur croyance aux autres. C’est bien de faire comprendre que la croyance est une question personnelle, et que si le croyant a droit dans notre République a vivre conformément aux règles de sa croyance, il n’a pas le droit d’imposer ces règles aux autres qu’il s’agit.

      [C’est par essence un non sens. Et pourquoi, d’un strict point de vue philosophique pourrait on affirmer qu’un paradigme – terme que je souhaite , pour la circonstance substituer au terme de civilisation – est supérieur à un autre ?]

      Sans dire qu’un paradigme est supérieur à un autre, on peut tout de même dire que si les musulmans veulent vivre conformément à leur « paradigme », ils n’ont qu’à rester vivre dans les pays ou se « paradigme » s’applique. Mais s’ils vivent chez nous, alors c’est notre « paradigme » qui s’applique. Cela étant dit, d’un stricte point de vue philosophique on peut prétendre qu’un « paradigme » qui aboutit à développer des connaissances scientifiques et technologies qui permettent de vivre plus longtemps, plus librement et plus richement qu’à aucune autre époque dans l’histoire peut être considéré « supérieur » à un « paradigme » qui n’aurait pas tous ces avantages… et d’ailleurs, les gens ne s’y trompent pas. Pourquoi à votre avis les pauvres musulmans aspirent à vivre chez nous, alors que les chômeurs chrétiens ne font pas la queue pour s’installer en Arabie Saudite ?

  9. vent2sable dit :

    @Descartes

    [Si l’on veut défendre non seulement la laïcité mais surtout le vivre-ensemble, il faut maintenant légiférer. Il faut arrêter l’hypocrisie qui consiste à laisser aux juges le soin de trancher des questions qui relèvent du politique.]
    OUI, Descartes !!!

    [Il faut clairement réaffirmer la neutralité du service public même dans le cas où il est assuré par une structure de droit privé.]
    OUI, Descartes !!!

    Pourquoi faut-il que ces évidences ne soient aujourd’hui rappelées par la seule extrême droite et ses alliés objectifs du moment (vous) ?
    Les courageux et les défenseurs de l’intérêt général ont-ils déserté la sphère politique, ont-ils été supplantés par une caste de carriéristes, intéressés par leur seule réélection ? Avec pour conséquences, une prudence, une hypocrisie, comme vous dites, qui les empêchent de mettre en avant les propositions et les actions qui risqueraient de leur faire perdre des voix ?
    C’est la république du clientélisme, du populisme, du cumul des mandats et des fonctions grassement rémunérées. La République de la peur de perdre ses privilèges, de perdre sa part du gâteau.
    Faut-il attendre que notre salut vienne des Mélenchon et des Le Pen ? Ou est-ce qu’un sursaut d’intelligence et de courage est encore possible ?

    • Descartes dit :

      @ vent2sable

      [Pourquoi faut-il que ces évidences ne soient aujourd’hui rappelées par la seule extrême droite et ses alliés objectifs du moment (vous) ?]

      Peut-être parce que dans votre esprit ceux qui rappellent ces « évidences » sont presque par définition catalogués comme « alliés objectifs de l’extrême droite », rendant votre question tautologique.

      [Les courageux et les défenseurs de l’intérêt général ont-ils déserté la sphère politique, ont-ils été supplantés par une caste de carriéristes, intéressés par leur seule réélection ?]

      Ne nous voilons pas la face, cela a toujours été le cas. En dehors de quelques personnalités qui étaient de véritables hommes d’Etat, la plupart du personnel politique fonctionne selon cette règle. La différence, c’est qu’il y a quelques années les politiques répondaient à des couches sociales différentes, et cela se traduisait dans leur discours. Aujourd’hui, ils ne représentent plus qu’une classe moyenne boboïsée, les couches populaires étant abandonnées à l’abstention ou à l’extrême droite. C’est peut-être aussi pour cela que, comme vous le constatez plus haut, l’extrême droite est aujourd’hui la seule, avec ses « alliés objectifs », à rappeler certaines « vérités ». Ce faisant, elle ne fait que répondre à son électorat.

      [Faut-il attendre que notre salut vienne des Mélenchon et des Le Pen ? Ou est-ce qu’un sursaut d’intelligence et de courage est encore possible ?]

      Il faut espérer que oui, et agir en conséquence.

  10. CVT dit :

    Bonsoir Descartes,
    Je vous suivrais presque dans votre conclusion sur l’instrumentalisation de l’affaire, mais j’avoue que votre analyse du début de l’affaire me laisse perplexe: je ne suis pas complètement sûr que la volonté de démissionner ait précédé son "épiphanie" religieuse: en clair, l’idée du prétexte me paraît douteuse… Quoi qu’il en soit, en admettant que la plaignante ait été sincère dans sa foi (ce que je pensais au départ, et que je persiste à croire malgré tout), elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, car elle savait ce qu’elle faisait en revenant voilée intégralement, et elle transformée une affaire personnelle en croisade fondamentaliste, remettant en cause le semblant de calme qui régnait dans la cité, et pire, gâchant la vie de milliers de travailleuses pour qui la crèche est indispensable pour pouvoir travailler…
    Le pire dans cette affaire, c’est que ce sont les prolos eux-mêmes qui se mettent dans la mouise: ça me rappelle un débat houleux qui eu lieu il y a quelques mois de cela entre Elisabeth Lévy et l’inérrable et insupportable Clémentine Autain (d’ailleurs, depuis ce jour, je ne la supporte plus!!!): ce jour-là, Lévy avait critiqué la décision de la cours de Cassation, et déploré que la laïcité avait perdu une bataille importante, sans compter que les premières victimes étaient les femmes qui travaillaient de nuit ou qui commençaient le travail très tôt. Ce à quoi cette peste d’Autain répliqua que la faute en incombait à la directrice de Baby Loup, pour avoir stigmatisé la plaignante pour l’expression de ses convictions religieuses… Cette réaction avait scandalisé Lévy, et elle fut une révélation pour moi: il semblerait que pour cette chère Clémentine, le féminisme s’arrête pour les femmes comme elles, à savoir blanches, issues des classes moyennes et non-musulmanes. Pour cette écervelée, le fait que des travailleuses modestes (oui des travailleuses) ne puissent plus bénéficier d’une crèche non confessionnelle soit moins important que la possibilité pour une employée d’exprimer ses convictions religieuses, pour autant qu’elles fussent musulmanes… En clair, le féminisme concret symbolisé par cette crèche ne vaut rien fasse à l’expression de la foi musulmane! En plus d’être gauchiste, j’ai aussi fini pas comprendre qu’il y avait chez Autain une certaine forme de racisme, ou du moins, ce fameux deux poids, deux mesures si détestable chez cette frange de la gauche….
    Enfin, je vois poindre un autre problème à l’horizon: si la plaignante porte plainte au niveau de la Cour Européenne de Justice, il n’est pas exclu qu’elle obtienne gain de cause… Et là, attention les emmerdes!

    • Descartes dit :

      @CVT

      [Je vous suivrais presque dans votre conclusion sur l’instrumentalisation de l’affaire, mais j’avoue que votre analyse du début de l’affaire me laisse perplexe: je ne suis pas complètement sûr que la volonté de démissionner ait précédé son "épiphanie" religieuse: en clair, l’idée du prétexte me paraît douteuse…]

      En tout cas, la séquence telle qu’elle a été reconstruite dans l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles ne laisse là-dessus la moindre ambiguïté. L’employée à manifesté sa volonté de ne pas reprendre son poste, et au cours de l’entretien organisé par la structure pour lui signifier le refus de cette solution, elle précise que pour des raisons religieuses elle n’est pas prête à faire la moindre concession lors de son retour. Elle se place donc bien dans une perspective de retour, ce qui suppose que le refus lui ait été signifié préalablement à son « épiphanie ».

      [il semblerait que pour cette chère Clémentine, le féminisme s’arrête pour les femmes comme elles, à savoir blanches, issues des classes moyennes et non-musulmanes. Pour cette écervelée, le fait que des travailleuses modestes (oui des travailleuses) ne puissent plus bénéficier d’une crèche non confessionnelle soit moins important que la possibilité pour une employée d’exprimer ses convictions religieuses, pour autant qu’elles fussent musulmanes…]

      Vous faites trop d’honneur à Clementine Autain en imaginant qu’elle ait pris cette position à partir d’une analyse de la situation réelle. Comme beaucoup de bobos de son espèce, Autain fonctionne sur le mode « victimaire ». Dès lors que l’employée licenciée entre dans le profil « victimaire » – pensez vous, une femme, immigrée, souffrant pour un principe – elle mérite tous les soins. Les femmes qui perdent l’opportunité de bénéficier d’une crèche ouverte et laïque, elles, n’ont pas de nom, pas de visage, elles ne passent pas à la télé. On ne peut pas en faire des « victimes » présentables.

      [Enfin, je vois poindre un autre problème à l’horizon: si la plaignante porte plainte au niveau de la Cour Européenne de Justice, il n’est pas exclu qu’elle obtienne gain de cause… Et là, attention les emmerdes!]

      Cela me dérange moins que la possibilité qu’elle obtienne gain de cause devant une juridiction française. D’une part, la jurisprudence de la CIDH n’a pas un caractère obligatoire. Et d’autre part, on sait qu’elle ne porte pas la laïcité dans son cœur…

    • Sylvain dit :

      La CEDH n’est pas la CEJ, et ses jugements donnent au moins lieu à des compensations pécuniaires je crois.

    • Descartes dit :

      @Sylvain

      Sous certaines conditions, la CEDH peut accorder des compensations pécuniaires. Mais c’est rare, et la Cour n’a aucun moyen d’obliger l’état concerné à obtempérer.

  11. morel dit :

    « Ne croyez pas que je sois hostile à la liberté de cultes »
    Pareille idée ne m’est jamais venue à l’esprit. Je ne voulais que signaler la difficulté de la tâche en liaison avec la faiblesse politique de notre actuelle représentation. Ce qui, comparativement fait des géants de nos législateurs de 1905. J’ai pu avoir connaissance de parties de débat, le chemin entre libertés individuelles et ordre public y est soigneusement tracé (suis preneur de texte plus exhaustif si pas trop coûteux).
    Concernant la seconde partie de mon post, j’avoue ma défiance envers le terme « entreprise de conviction ». En droit national, il a été reconnu quelque chose d’équivalent concernant les partis politiques, syndicats et associations religieuses ; le juge accepte dans ce cas que l’employeur puisse exiger l’adhésion des salariés aux valeurs. Le juge d’appel, en la circonstance, a innové ce qui n’est pas sans poser le problème de la réduction de la laïcité à une « conviction particulière » faute de référence juridique existante dans le domaine.
    Je ne crois pas, même si l’arrêt est favorable à la laïcité, qu’il soit bon d’étendre cette notion d’ « entreprise de conviction » ; ce n’est pas sans danger.
    Légiférer, oui mais comment ?

    • Descartes dit :

      @morel

      [Concernant la seconde partie de mon post, j’avoue ma défiance envers le terme « entreprise de conviction ». En droit national, il a été reconnu quelque chose d’équivalent concernant les partis politiques, syndicats et associations religieuses ; le juge accepte dans ce cas que l’employeur puisse exiger l’adhésion des salariés aux valeurs. Le juge d’appel, en la circonstance, a innové ce qui n’est pas sans poser le problème de la réduction de la laïcité à une « conviction particulière » faute de référence juridique existante dans le domaine.]

      Tout à fait. Le juge a fait avec ce qu’il a, et c’est déjà un effort considérable de créativité juridique qu’on fait les juges d’appel de Paris pour préserver le principe de laïcité. Je ne pense pas que le risque de faire de la laïcité une "conviction particulière" soit réel. Ce qui est ici une "conviction particulière" serait plutôt la neutralité religieuse d’une structure privée. La neutralité du service public est un principe général. La neutralité d’une structure privée est facultative, et dépend bien des "convictions" de ses dirigeants.

  12. morel dit :

    « Ce qui est ici une "conviction particulière" serait plutôt la neutralité religieuse d’une structure privée. La neutralité du service public est un principe général. La neutralité d’une structure privée est facultative, et dépend bien des "convictions" de ses dirigeants. »

    Bien précisé. Je suis conscient que le juge d’appel, limité par le droit, n’a pu faire qu’un (louable) effort de raisonnement juridique, il reste – qu’à son corps défendant – la neutralité en question ressortirait de la bonne volonté de la direction, voire, dans un contexte nouveau, de la présence d’esprit de celle-ci.
    Au-delà, M. Albert a raison de souligner les limites du « juridisme ». C’est bien à nous, citoyens, de demander un règlement d’ensemble de ces questions qui dépassent « l’affaire » Baby Loup.

    • Descartes dit :

      @morel

      Je pense que nous sommes d’accord sur ce point. Il n’appartient pas aux juges de trancher des questions autrement qu’en interprétant la volonté du législateur. C’est tout le sens de notre Constitution, qui reconnaît à la justice le statut d’une "autorité", mais pas d’un "pouvoir". Lorsqu’il s’agit de fixer les règles qui régissent la sphère publique et de la délimiter, c’est le politique, et non le juridique, qui doit avoir le dernier mot.

  13. adrien dit :

    Bonjour Descartes,

    Petit complément à votre article : j’ai vu passer sur les réseaux sociaux une coupure de journal datée de 1997 où l’on voit la dame en question portant le foulard — apparemment, ça ne dérangeait personne à l’époque. Je suppose qu’elle l’a enlevé quand le règlement intérieur a changé, cependant. (https://twitter.com/vivelefeu/status/405820854082084865/photo/1 )

    • Descartes dit :

      Difficile à dire à partir de ces photos. En effet, la femme voilée est photographiée seule, sans qu’on sache si la photo a été prise chez elle ou au travail. Rien ne nous dit qu’elle conservait son voile lorsqu’elle était en contact avec les enfants, qui est la question qui se pose dans l’affaire Baby Loup.

  14. Vin dit :

    Crèche Baby Loup : Les données (juridiques et politiques) du problème : http://www.blogactualite.org/2013/12/creche-baby-loup-les-donnees-du-probleme.html

    • Descartes dit :

      @Vin

      Je ne partage qu’en partie l’analyse de ce blog. Contrairement à ce qu’il soutient, je pense que la question du service public est ici centrale. On butte à chaque fois sur le fait que la définition du service public est jurisprudentielle et non législative. Et parce que la jurisprudence se construit par petits pas, cela donne une définition baroque qui provoque ce genre de conflit d’interprétation. De ce point de vue, l’arrêt de la Cour de Cassation n’est pas irrationnel: la qualification retenue par la première cour d’appel se discute. C’est là que le législateur devrait intervenir pour dire d’une bonne fois pour toutes ce qui est ou n’est pas un "service public".

      La deuxième cour d’appel, elle, explore une voie juridique différente: celle de "l’entreprise de conviction". Comme le souligne à juste titre le blog que vous signalez, on n’est plus alors dans la question de la "laïcité", mais dans celle du rapport entre l’employeur et l’employé, et notamment sur le droit de l’employeur de limiter l’expression religieuse dans l’entreprise.

Répondre à Descartes Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *