L’autre terrorisme

Chers lecteurs, en ces jours où la France est en guerre au moyen orient, en guerre budgétaire à Bruxelles – et croyez-moi, c’est celle de Bruxelles qui risque de faire le plus de dégâts, une affaire a été traitée pendant une heure à l’Assemblée Nationale, dont l’importance vous a peut-être échappé. Un député, Julien Aubert, s’est vu infliger une sanction pécuniaire de 1500 € pour avoir manqué à ses obligations de représentant du peuple. Et qu’a-t-il fait, Julien Aubert pour mériter une telle sanction ? A-t-il, à l’image de certains de ses collègues, omis de payer sa contribution fiscale ? Non, pas du tout. A-t-il vendu son vote à l’un de ces charmants lobbies qui pullulent aux portes de l’Assemblée ? Vous n’y êtes pas. Non, le crime abject commis par Julien Aubert est de s’être adressé à Sandrine Mazetier, présidente de séance, en l’appelant « Madame LE président » et non « Madame LA présidentE ». Et d’avoir refusé de abjurer son crime au prétexte que l’Académie Française l’autorise.

Je vous laisse juges, mes chers lecteurs, de l’étendue de ce crime. Mais de toute évidence, il y a des gens pour qui il s’agit d’une affaire gravissime, suffisamment pour interrompre le travail législatif et monopoliser plus d’une heure le travail de l’Assemblée pour s’assurer qu’il soit puni. Il n’est pas inintéressant d’essayer de comprendre pourquoi.

D’abord, leurs arguments : la féminisation des titres et des professions est, paraît-il, l’un des piliers de la lutte contre le patriarcat. L’utilisation de la forme traditionnelle – et invariable – des titres serait une manière de refuser la possibilité que des femmes puissent les occuper. Appeler « Madame LE président » une femme est une sorte de « masculinisation » forcée. Mais un regard un peu plus précis à la constitution de notre langue montre que cet argument ne tient pas. Il y a des titres et des professions qui sont féminins du point de vue grammatical, alors qu’ils ont historiquement été occupés presque uniquement par des hommes. L’exemple le plus connu est celui de « sentinelle ». On dit « LA sentinelle », « UNE sentinelle », et lorsqu’on s’adresse à un homme qui exerce cette fonction la forme correcte est « monsieur LA sentinelle », et pas « monsieur LE sentinelle ». Doit-on conclure que cette forme d’appel contient une volonté d’émasculation forcée des sentinelles de sexe masculin ? En tout cas, je ne connais pas beaucoup de sentinelles qui aient protesté pour exiger la « masculinisation » de leur titre. Il faut noter par ailleurs que beaucoup de femmes ayant occupé de hautes responsabilités refusent de se prêter à ce jeu ridicule. Michèle Alliot-Marie était connue pour avoir passé des savons mémorables aux membres de son cabinet qui s’étaient risqués à lui donner du « madame LA ministre ». Si, comme le prétend la maffia du « genre », l’utilisation des titres « masculins » était offensante pour la dignité des femmes, comment expliquer que tant de femmes rejettent la « féminisation » comme une insulte ?

En fait, la campagne pour la « féminisation des titres » organisée par la maffia du « genre » vise un objectif bien plus ambitieux qu’une simple modification des usages langagiers. Il vise la mise en place d’un ordre totalitaire sur lequel la sanction à Julien Aubert jette une lumière particulièrement crue. En démocratie, la loi n’est censée interdire que ce qui est nuisible à la société. Pour le reste, ceux qui cherchent à changer la manière de penser et d’agir des gens sont censés n’avoir d’autre instrument que la persuasion. Le problème, c’est que cette idée qui nous vient de l’esprit des lumières est aujourd’hui battue en brèche par toutes sortes de groupes de pression qui prétendent imposer par la loi les idées et les comportements qu’ils estiment « corrects », et de réprimer ceux qui ne s’y soumettraient pas. C’est ainsi qu’on fait de plus en plus de règles et de lois répressives qui n’ont aucun rapport avec l’intérêt général mais qui en fait permettent à ces groupes d’imposer leurs « marottes » au reste de la société.

La maffia du « genre » ne cherche pas à persuader, elle cherche à contraindre. Il ne s’agit pas de changer les mentalités, il s’agit d’obliger ceux qui ne partagent pas leur vision à se renier publiquement. Pour cela, on mélange subtilement l’humiliation publique, le terrorisme intellectuel et, si cela ne suffit pas, la sanction civile ou pénale. Cette méthode n’est pas nouvelle : elle fait partie de l’arsenal classique des minorités porteuses d’un système de pensée totalitaire. Un tel système a toujours pour ambition de contrôler la pensée des gens. En pratique – et en attendant de trouver un moyen de lire dans nos pensées – cela se révèle impossible. On se rabat alors sur un substitut : puisqu’on ne peut pas changer ce que les gens pensent dans leur for intérieur, il faut créer l’illusion du consensus en empêchant ces pensées de s’exprimer. On ne peut pas obliger les gens à adhérer vraiment, mais on peut les obliger à faire semblant d’adhérer. Et pour cela, il faut les humilier et les terroriser jusqu’à ce qu’ils simulent, dans leur comportement, dans leurs gestes, dans leur expression, la conformité avec la doxa officielle. C’est cela qui explique pourquoi tous les régimes totalitaires inventent une ribambelle de gestes que chaque individu est censé faire, de paroles que chaque individu est censé prononcer, des objets que chaque individu est censé porter pour manifester en public sa conformité avec les canons du système. Et pour ceux qui n’acceptent pas, il y a l’huile de ricin, la confiscation des biens, le passage à tabac, la prison, le camp de concentration ou la mort.

Nous n’en sommes – heureusement pour Julien Aubert – pas encore là. Mais l’intention y est. Rappelez-vous de la polémique sur la loi créant l’incrimination de « harcèlement sexuel », une loi répressive au caractère idéologique tellement évident que le Conseil Constitutionnel n’a pu que constater qu’elle n’offrait les garanties minimales exigées d’une loi pénale. Rappelez-vous les réactions de la « maffia du genre » après le non-lieu prononcé par la justice américaine à l’encontre de DSK, au motif, jugé tout à fait scandaleux, qu’il n’y avait contre lui aucune preuve justifiant une inculpation. A chaque fois, le raisonnement est le même : l’accusé est, par essence, coupable. Tout homme est par essence un violeur ou un harceleur, de la même manière que dans une affaire célèbre, celle du notaire de Bruay-en-Artois, l’extrême gauche avait soutenu que le notaire était coupable de meurtre non pas parce qu’il avait tué quelqu’un, mais parce que c’était un bourgeois. Les faits n’ont aucune espèce d’importance, est c’est normal puisqu’il ne s’agit pas d’une question de fait, mais d’une nécessité politique : il faut que l’autre ait peur. Une peur qui le rendra docile, tant il est vrai que la première réaction des individus est d’abord d’éviter les ennuis.

Combien de députés, parmi ceux qui partagent l’opinion de Julien Aubert quant à la « féminisation des titres » se risqueront maintenant à mettre leurs actes en accord avec leur pensée profonde ? On peut parier qu’ils seront fort peu nombreux. Et encore moins nombreux ceux qui, tout en étant favorables à la féminisation des titres, défendront le droit des autres à avoir la conviction opposée et à agir en conséquence. Car lorsqu’on parle de l’affaire avec quelques députés, ils vous racontent tous la même histoire : pas question de prendre le risque de se mettre « le gang du genre » à dos. Dans ces conditions on ne saurait pas souligner trop le courage – ou l’inconscience – de Julien Aubert. Après cette affaire, il peut être sûr que son nom sera traîné dans la boue, qu’il aura contre lui un « lobby » très bien organisé et fort puissant chaque fois qu’il sera candidat à un poste, qu’une promotion s’offrira à lui.

Dans un contexte où l’on n’arrête pas de dénoncer sur tous les tons le « terrorisme », il est effrayant de constater combien les stratégies terroristes sont utilisées, en toute impunité, dans nos institutions les plus vénérables. Et comme toujours, devant le terrorisme, la lâcheté n’est pas la meilleure politique.

Descartes

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78 réponses à L’autre terrorisme

  1. Gérard Couvert dit :

    Que dire d’autre ? mais à quoi bon, par l’intelligence de votre propos et le soin de la forme vous ne faite que marquer la victoire des totalitaires puisque vous n’opposez rien qui puisse les faire reculer.
    Ces hystériques sont des mal-baisées, et les "messieurs" qui les aident des pisse-vinaigres ou des benêt-minets, nous sommes à un moment de notre histoire ou il ne faut plus minauder, débattre mais agresser violemment, crument … guerre civile ? peut être.

    • Descartes dit :

      @ Gerard Couvert

      [Que dire d’autre ? mais à quoi bon, par l’intelligence de votre propos et le soin de la forme vous ne faite que marquer la victoire des totalitaires puisque vous n’opposez rien qui puisse les faire reculer.]

      Quel pessimisme… oui, on peut s’opposer à l’avance des « totalitaires ». Pour reprendre un texte d’un auteur latino-américain, « il y eut un général espagnol pour dire « vive la mort, à bas l’intelligence », et ce général est mort et enterré, alors qu’Unamuno ressuscite chaque fois que quelqu’un répète : « vous pouvez vaincre, mais pas convaincre » ». La seule opposition qui soit permise aujourd’hui est celle du témoignage. Et ce n’est pas négligeable.

      [Ces hystériques sont des mal-baisées, et les "messieurs" qui les aident des pisse-vinaigres ou des benêt-minets, nous sommes à un moment de notre histoire ou il ne faut plus minauder, débattre mais agresser violemment, crument … guerre civile ? peut être.]

      Non, je ne le crois pas. Au contraire, la guerre civile est exactement ce que ces gens veulent. L’arme vraiment efficace contre eux, c’est le ridicule. Car ces gens n’ont aucun sens de l’humour.

  2. Ruben dit :

    http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/10/16/31001-20141016ARTFIG00421-madame-le-president-l-appel-de-julien-aubert-aux-citoyens-francais.php
    Tribune de l’intéressé qui par ailleurs s’occupe aussi de la la loi sur la transition énergétique sur laquelle vous devez bien avoir quelque opinion intéressante.
    Ajoutons d’ailleurs à votre texte que la sanction n’a aucun fondement juridique sérieux, et que sucrer un quart de l’indemnité d’un représentant du peuple pose aussi quelques questions quant à l’atteinte portée à la démocratie par une telle décision.

    • Descartes dit :

      @ Ruben

      [http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/10/16/31001-20141016ARTFIG00421-madame-le-president-l-appel-de-julien-aubert-aux-citoyens-francais.php
      Tribune de l’intéressé qui par ailleurs s’occupe aussi de la la loi sur la transition énergétique sur laquelle vous devez bien avoir quelque opinion intéressante.]

      Bravo d’abord à l’intéressé, qui fait preuve d’un courage digne d’éloge. Ensuite, je partage très largement aussi ses observations sur la loi sur la transition énergétique et la manière dont le débat a été conduit. Mais étant tenu pour des raisons professionnelles à un devoir de réserve, je n’en parlerai que lorsque le texte aura été définitivement voté.

  3. René dit :

    Autant je trouve, en effet effrayant, que l’on ait pu sanctionner ce député, autant je trouve peu convaincant l’argument du neutre qui se confondrait avec le masculin dans notre langue. Bien des titres et des métiers ont déjà été féminisés et sont employés dans la vie courante : infirmière, institutrice, comédienne. Il s’agit là de métiers qui sont exercés depuis longtemps par les femmes, et c’est tout naturellement que la langue de l’époque a féminisé ces professions. Aujourd’hui, l’éventail de professions occupées par les femmes s’est beaucoup élargi, je ne vois pas pourquoi on arrêterait ce mouvement, conforme à notre langue et bien plus naturel, que ces "Madame le xx", certes conformes à la grammaire mais qui sonne faux. J’y vois plutôt une crispation contre l’évolution et la vie de la langue qui devrait restés figée en l’état. On observe un phénomène similaire avec les anglicismes qui nous envahissent, faute d’être capable de créer des nouveaux mots français capables d’exprimer les nouveautés technologiques ou sociales.

    • Descartes dit :

      @René

      [Autant je trouve, en effet effrayant, que l’on ait pu sanctionner ce député, autant je trouve peu convaincant l’argument du neutre qui se confondrait avec le masculin dans notre langue. Bien des titres et des métiers ont déjà été féminisés et sont employés dans la vie courante : infirmière, institutrice, comédienne.]

      Vous confondez un « métier » avec une « fonction ». Rien ne s’oppose en français à ce qu’on féminise les professions, et d’ailleurs c’est fait depuis belle lurette : institutrice, doctoresse, infirmière, ouvrière, paysanne… je dirais même que la féminisation du métier ou de la profession est obligatoire. Mais la fonction, c’est autre chose : la fonction est séparée de son titulaire, et lui survit. Il est donc normal d’utiliser une forme qui abstrait la fonction des caractéristiques de son occupant. C’est pourquoi les fonctions sont invariables, qu’elles soient masculines ou féminines, d’ailleurs : on devrait dire « Madame LE président » tout comme on doit dire « Monsieur LA sentinelle ».

      Vous me direz que la grande majorité des noms désignant une fonction sont grammaticalement masculins. C’est vrai, parce qu’en français – comme dans beaucoup de langues indo-européennes – le masculin est le genre neutre. Ou pour le dire autrement, le masculin est la généralité et le féminin est au contraire utilisé pour marquer la distinction. Ainsi, on réserve le féminin à la plupart des concepts abstraits dont on veut souligner l’importance (la liberté, l’égalité, la fraternité, la justice, la paix, la guerre). Dans certaines langues, on féminise les objets censés avoir une âme (ainsi, par exemple, en anglais on dira « she » d’un bâteau). C’est pourquoi le masculin est utilisé pour les ensembles dont le sexe des membres est indeterminé.

      [Il s’agit là de métiers qui sont exercés depuis longtemps par les femmes, et c’est tout naturellement que la langue de l’époque a féminisé ces professions. Aujourd’hui, l’éventail de professions occupées par les femmes s’est beaucoup élargi, je ne vois pas pourquoi on arrêterait ce mouvement, conforme à notre langue et bien plus naturel, que ces "Madame le xx", certes conformes à la grammaire mais qui sonne faux.]

      Encore une fois, c’est la féminisation des FONCTIONS qui est contestée, pas celle des professions. Même si personnellement je trouve idiot de fabriquer des nouveaux noms pour féminiser de force des noms invariables. Ainsi, je trouve qu’on peut parfaitement dire « une procureur », et que vouloir dire « une procureure » est un attentat au bon goût.

    • bovar dit :

      Merci à Descartes pour ces explications linguistiques que je ne connaissais pas.
      Enseignant,je constate mon ignorance sur ces sujets.n Je n’ai reçu aucune formation en linguistique sous le prétexte que je suis en Sciences.
      Dans l’EN, la ‘mafia du genre’ a manœuvré’ les formations de maître pour que que les enseignants,autres que ceus de Français,n’aient pas .accès à ces explications .
      L’idéologie produite par la ‘mafia du genre’ a la prétention d’être hégémonique.
      Le résultat est un degré supplémentaire de l’anomie qui semble s’installer en France.
      Cela au moment où tout notre modèle social est remis en cause.
      Coîncidence?

    • dsk dit :

      @ Descartes

      ["Mais la fonction, c’est autre chose : la fonction est séparée de son titulaire, et lui survit. Il est donc normal d’utiliser une forme qui abstrait la fonction des caractéristiques de son occupant. C’est pourquoi les fonctions sont invariables, qu’elles soient masculines ou féminines, d’ailleurs : on devrait dire « Madame LE président » tout comme on doit dire « Monsieur LA sentinelle »."]

      Franchement, vous avez d’autres exemples, à part "Monsieur LA sentinelle", qui est d’ailleurs une fonction plutôt subalterne ? Il me paraît assez indiscutable que le genre masculin de la quasi-totalité des titres est le reflet d’une époque de domination masculine. C’est pourquoi, en ce qui me concerne, je ne vois qu’une seule solution pour en sortir. Si l’on veut respecter tout à la fois l’égalité des sexes et l’invariabilité du genre des titres, il faut prévoir un système d’alternance. Ainsi déciderait-on que telle année, les titres seraient tous du genre masculin, et l’année suivante, du genre féminin. Selon les années, on donnerait donc, par exemple, à Mme Mazetier du "Mme le Président" ou du "Mme la Présidente", et lorsqu’il s’agirait d’un homme, du "M. le Président" ou du "M. la Présidente".

    • Descartes dit :

      @ Descartes

      [Franchement, vous avez d’autres exemples, à part "Monsieur LA sentinelle", qui est d’ailleurs une fonction plutôt subalterne ?]

      Oui : « la vigie ». Et je ne suis pas d’accord avec votre idée de la sentinelle comme une « fonction subalterne ». C’est après tout la personne à qui on confie la fonction de veiller et de protéger ce qui est particulièrement sensible ou précieux.

      [Il me paraît assez indiscutable que le genre masculin de la quasi-totalité des titres est le reflet d’une époque de domination masculine.]

      Je ne vois pas en quoi ce serait « indiscutable ». Après tout, la plupart des grandes idées et valeurs portent des noms féminins : la justice, la liberté, l’égalité, la fraternité, la paix, l’intelligence, la culture… avec votre critère, on devrait conclure qu’il s’agit du « reflet d’une époque de domination féminine » sur les idées, non ?

      Je pense que vous commettez l’erreur fondamentale de l’idéologie « de genre », à savoir, que la structure du langage et notamment du genre grammatical est le reflet des rapports entre les sexes. Or, cette thèse est purement militante, et n’est supportée par aucune observation scientifique. Si tel était le cas, il faudrait conclure que les anciens anglais avaient des rapports entre les sexes fondamentalement différents des autres peuples, puisque les noms communs, à de très rares exceptions, n’ont pas de genre grammatical en anglais. Pensez-vous que le fait que « president » n’a pas de genre en anglais reflète une moindre « domination masculine » en Angleterre qu’au mexique, ou le mot « presidente » se féminise en « presidenta » ?

      Les langues ont une histoire, qui a donné – ou pas – un genre aux noms. Le genre en question n’a souvent rien à voir avec les rapports sociaux entre les sexes. D’une manière générale, le genre masculin est plus ancien et est souvent, au début de l’histoire des langues, le genre unique (sauf pour les êtres sexués). Au fur et à mesure que la langue se développe, se développe une distinction entre un genre grammatical qui indique le cas général, et un autre qui sert à distinguer le particulier. On distingue ainsi les idées abstraites, quelques objets particulièrement importants pour telle ou telle culture (les bateaux pour les anglais, par exemple), les institutions…

      [C’est pourquoi, en ce qui me concerne, je ne vois qu’une seule solution pour en sortir. Si l’on veut respecter tout à la fois l’égalité des sexes et l’invariabilité du genre des titres, il faut prévoir un système d’alternance. Ainsi déciderait-on que telle année, les titres seraient tous du genre masculin, et l’année suivante, du genre féminin.]

      Franchement, il faudra que vous m’expliquiez le rapport entre « l’égalité des sexes » et le fait de féminiser les titres. Appeler hommes et femmes « Monsieur le président » me paraît respecter parfaitement l’égalité des sexes, puisque les deux sexes sont traités exactement de la même manière.

    • Albert dit :

      Bonjour
      J’arrive un peu tard dans ce débat (longues vacances=triste privilège de l’âge!).
      Je pense que René et Descartes ont partiellement raison tous les deux, mais au-delà je constate surtout que la distinction entre métier et fonction n’est malheureusement plus accessible à la grande majorité des Français(es).
      N’avez-vous pas remarqué la détérioration de la pensée dans ce pays (avec l’usage exponentiel des oxymores notamment, mais pas seulement -voir laïcité, droits de l’homme etc. etc.). Or langue et pensée ont un lien étroit et la dislocation de l’une impacte nécessairement l’autre.

  4. Paul dit :

    Encore un symptôme de ce que produit notre société actuellement: une règle qui l’emporte sur la Loi. En l’occurrence, l’assemblée se permet d’édicter une règle qui n’est pas en accord avec la grammaire
    A mon sens les règles résultent de rapports de forces, alors que la Loi est référence, et implique acceptation de l’ensemble des citoyens.
    C’est ce que je déplore aussi dans tout ce qui est appel à la contractualisation entre partie concernées, débouchant sur des compromis qui ne sont pas soumis à la lettre de la Loi. Les rapports sociaux se retrouvent dès lors encombrés au point de ne plus pouvoir fonctionner.
    Un dernier exemple d’hier: un bus de ville attaqué dans les quartiers sensibles, et les syndicats, au nom de la règle du "droit de retrait", se mettent en grève, pénalisant évidemment la vie de la cité. Pourquoi les traminots se retrouvent-ils ainsi avoir le droit de punir les citoyens ? Je parle bien de punition, qui est en effet en rapport avec le pouvoir, éventuellement de nuisance, d’une partie en cause.
    A mon sens, seule la Justice a le droit d’intervention, qui est alors de l’ordre de la sanction et non plus de la punition, et bien évidemment envers l’auteur de l’acte répréhensible.
    Je pense que ce glissement de la loi vers la règle, de l’autorité symbolique vers le rapport de force, de la sanction vers la punition, représente une atteinte grave à l’institution. Ce glissement renforce d’une part les groupes de pression, d’autre part fragilise l’individu, et le vivre ensemble.
    Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si notre langue est elle-même atteinte. Comment être en relation quand notre langue devient ainsi réduite ou altérée, ou remise en cause au nom de la modernité ? Est-il nécessaire de rappeler Orwell et la novlangue ?
    Dans ma profession, autre exemple: soumettre à l’Autorité Régionale de Santé un projet d’établissement ne peut se faire à présent qu’avec un discours censurant soigneusement toute référence à notre clinique psychiatrique française à l’histoire aussi riche, ayant su intégrer tant un discours médical que la clinique psychanalytique. Parler de "sujet", comme par hasard, devient interdit…

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Encore un symptôme de ce que produit notre société actuellement: une règle qui l’emporte sur la Loi. En l’occurrence, l’assemblée se permet d’édicter une règle qui n’est pas en accord avec la grammaire.]

      Je ne partage pas. Le problème n’est pas qu’une règle l’emporte sur la loi. La loi est muette sur la question, puisque les décisions de l’Académie, qui fait les règles de grammaire, n’ont pas force législative. Le problème ici n’est pas tant que le bureau de l’Assemblée ait fait une directive qu’il prétend imposer au mépris de la loi, mais que le bureau en question sort de ses compétences en prétendant imposer une forme d’adresse au mépris de la logique de la langue au nom d’une idéologie fort discutable.

      [A mon sens les règles résultent de rapports de forces, alors que la Loi est référence, et implique acceptation de l’ensemble des citoyens.]

      C’est un peu plus compliqué que cela. Beaucoup de règles sont issues d’un consensus sur leur utilité et sacralisées par l’usage. La règle qui veut qu’on serre la main d’une personne lorsqu’on se salue est de cette catégorie-là. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’elle résulte « d’un rapport de forces ». La distinction entre la règle et la loi n’est par ailleurs pas aussi évidente que vous le pensez.

      [C’est ce que je déplore aussi dans tout ce qui est appel à la contractualisation entre partie concernées, débouchant sur des compromis qui ne sont pas soumis à la lettre de la Loi. Les rapports sociaux se retrouvent dès lors encombrés au point de ne plus pouvoir fonctionner.
      Un dernier exemple d’hier: un bus de ville attaqué dans les quartiers sensibles, et les syndicats, au nom de la règle du "droit de retrait", se mettent en grève, pénalisant évidemment la vie de la cité. Pourquoi les traminots se retrouvent-ils ainsi avoir le droit de punir les citoyens ? Je parle bien de punition, qui est en effet en rapport avec le pouvoir, éventuellement de nuisance, d’une partie en cause.]

      Vous faites à mon avis plusieurs erreurs d’analyse. D’abord, le « droit de retrait » n’est en rien « contractuel ». C’est un droit garanti par la loi (Article L. 4131-1 du Code du travail pour les salariés de droit privé, article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 pour les fonctionnaires). Ensuite, il ne faut pas confondre le droit de retrait et le droit de grève. Les conducteurs peuvent faire usage de leur droit de retrait (qui consiste à pouvoir arrêter le travail et quitter son lieu de travail si l’on estime sa vie ou sa santé gravement menacée par les conditions qui y règnent), ou de leur droit de grève (celui d’arrêter le travail pour obtenir la satisfaction de revendications catégorielles), mais pas les deux. Et l’un comme l’autre de ces droits sont fondés sur la loi, et non « contractuels ». Et finalement, rien ne donne le droit aux traminots – ou toute autre catégorie de salariés – de « punir » quiconque. Les salariés qui arrêtent le travail – que ce soit dans le cadre du droit de grève ou celui de retrait – ne « punissent » personne. Dans le premier cas, ils font pression sur leur patron, dans l’autre ils assurent leur propre sécurité. La « punition » implique une intention de « punir ».

      [Dans ma profession, autre exemple: soumettre à l’Autorité Régionale de Santé un projet d’établissement ne peut se faire à présent qu’avec un discours censurant soigneusement toute référence à notre clinique psychiatrique française à l’histoire aussi riche, ayant su intégrer tant un discours médical que la clinique psychanalytique. Parler de "sujet", comme par hasard, devient interdit…]

      C’est là bien le problème : la domination d’une idéologie « officielle » qui ne dit pas son nom – et ne peut donc pas être critiquée – mais qui prétend régler nos vies. Cela me rappelle tout le discours des idéologues du « genre » niant la main sur le cœur l’existence de toute « théorie du genre ».

  5. Bannette dit :

    Dans le même genre de réactions outrées sous couvert de féminisme, il y eut “l’affaire” de la robe de Cécile Duflot à l’assemblée. Celle-ci faisait un discours, et un malotru l’a sifflée car elle portait une robe fleurie. Bien évidemment, elle fit sa mijaurée, accuse le siffleur de machisme qui l’aurait rabaissée à un objet sexuel (comme le ferait un violeur patati patata), une minable qui n’avait pas d’argument contre ses grandes (huhuhu) idées politiques, défend son droit à être féminine et porter des robes confortables, etc.
    Et bien moi je trouve que c’est Duflot qui a eu un manquement à son rôle de ministre (peu importe ce que je pense d’elle politiquement, c’est-à-dire beaucoup de mal). Une autre fois, j’avais vu une photo officielle du gouvernement où elle faisait tâche en baskets (ou converses).

    Pour moi, la fonction de ministre (une des plus hautes de l’Etat) N’EST PAS une fonction anodine où on peut se permettre d’être cool ou de porter des tenues confortables d’été. On peut parfaitement allier l’exigence de neutralité et de distance que la fonction publique exige avec le confort vestimentaire. Et il FAUT préserver cette distance avec les électeurs et faire honneur à sa fonction.
    Cette génération de jeunes femmes politiques qui exigent d’avoir le droit d’être féminines ou qu’on ne les juge pas sur leurs looks rabaisse la fonction d’élue. Leur dire de porter des tenues neutres voire austères ce n’est pas enlever leur féminité, c’est leur permettre l’indifférence quant à leur sexe. Je n’ai jamais entendu parler d’hommes politiques qui se permettaient d’être en représentation en arrivant chemise ouverte et poitrine velue au vent, baskets, chaine en or de rappeur ou cravate bariolée. Ce dress code qui s’applique à eux doit aussi s’appliquer à elles.

    • Descartes dit :

      @ Bannette

      [Dans le même genre de réactions outrées sous couvert de féminisme, il y eut “l’affaire” de la robe de Cécile Duflot à l’assemblée. Celle-ci faisait un discours, et un malotru l’a sifflée car elle portait une robe fleurie. Bien évidemment, elle fit sa mijaurée, accuse le siffleur de machisme qui l’aurait rabaissée à un objet sexuel (comme le ferait un violeur patati patata), une minable qui n’avait pas d’argument contre ses grandes (huhuhu) idées politiques, défend son droit à être féminine et porter des robes confortables, etc.]

      Cet incident est en effet très amusant. Imaginons une députée se présentant dans l’Assemblée en pantalon, veste, chemise et cravate. Tout le monde trouvera cela acceptable, et le député qui oserait faire une remarque se fera traiter de « machiste ». Imaginons maintenant qu’un député de sexe masculin se présente dans l’hémicycle maquillé, en robe à fleurs, et talons hauts. A votre avis, quelle serait la réaction des députés (et du public, et des huissiers…) ?

      Pourquoi est-il parfaitement admissible pour une femme de porter des habits considérés il n’y a pas si longtemps comme « masculins », alors que l’inverse n’est pas vraie ? Pourquoi les femmes peuvent elles porter chaussures basses, pantalons, chemises, vestes etc. sans crainte alors qu’un homme qui porterait une perruque, des talons hauts et une robe longue sera considérée comme s’étant travesti ? On trouve ici le même problème que dans la question du langage : le genre masculin est la généralité, et le féminin la distinction. Ce qui est masculin est à tout le monde, ce qui est féminin n’est qu’aux femmes.

      [Et bien moi je trouve que c’est Duflot qui a eu un manquement à son rôle de ministre (peu importe ce que je pense d’elle politiquement, c’est-à-dire beaucoup de mal). Une autre fois, j’avais vu une photo officielle du gouvernement où elle faisait tâche en baskets (ou converses).]

      Tout à fait. Je dirai même plus : un député qui se serait présenté dans l’hémicycle habillé en tenue sport se serait certainement vu refuser l’entrée (rappelez-vous l’effet que fit Jack Lang s’y présentant sans cravate et en col Mao). Pour les hommes, la règle du costume-cravate est inviolable. Les femmes, par contre, bénéficient d’une bien plus grande liberté de choix, entre le tailleur stricte ou la robe à fleurs.

      Duflot est une carriériste immature qui montre par sa manière d’agir qu’elle n’a toujours pas compris ce qu’est la fonction de représentation. C’est d’ailleurs très significatif lorsqu’on écoute ses interventions. La plupart des députés font quelque part allusion dans leurs interventions au fait qu’ils parlent au nom de leurs électeurs. Pas Cécile Duflot : elle est là pour défendre les idées de Duflot, les intérêts de Duflot, les caprices de Duflot. Les électeurs, on s’en fout. La représentation implique un décorum. On s’habille pour aller au Parlement pour montrer qu’on a conscience de l’importance de ce qu’on fait, et parce qu’on se sent observé par les gens qui vont ont envoyé.

      [Pour moi, la fonction de ministre (une des plus hautes de l’Etat) N’EST PAS une fonction anodine où on peut se permettre d’être cool ou de porter des tenues confortables d’été. On peut parfaitement allier l’exigence de neutralité et de distance que la fonction publique exige avec le confort vestimentaire. Et il FAUT préserver cette distance avec les électeurs et faire honneur à sa fonction.]

      Tout à fait d’accord. Le représentant doit montrer au représenté qu’il est conscient de la haute responsabilité qui lui a été conférée, et qu’il est prêt à tous les sacrifices pour l’exercer proprement. Le port de la tenue fait partie de ce « sacrifice » symbolique. La tenue permet effectivement de savoir quand je suis en face de l’élu en tant qu’élu, et quand je suis en face de lui en tant qu’homme privé. Lorsque Duflot prononce un discours en robe à fleurs, est-ce Cécile qui parle, ou est-ce un ministre de la République ?

      [Cette génération de jeunes femmes politiques qui exigent d’avoir le droit d’être féminines ou qu’on ne les juge pas sur leurs looks rabaisse la fonction d’élue. Leur dire de porter des tenues neutres voire austères ce n’est pas enlever leur féminité, c’est leur permettre l’indifférence quant à leur sexe.]

      Tout à fait d’accord. Il faut faire en matière de sexe ce qu’on fait en matière de religion : dans la sphère publique, une totale indifférence. La tenue neutre, comme l’occultation des symboles religieux, permet cette indifférence.

      [Je n’ai jamais entendu parler d’hommes politiques qui se permettaient d’être en représentation en arrivant chemise ouverte et poitrine velue au vent, baskets, chaine en or de rappeur ou cravate bariolée. Ce dress code qui s’applique à eux doit aussi s’appliquer à elles.]

      A l’Assemblée nationale, le dress code est stricte pour les hommes. Pas pour les femmes.

  6. marc.malesherbes dit :

    Voici un fait divers particulièrement éclairant sur le sérieux de la majorité de nos députés..

    ma question:
    avez-vous un lien qui permette de voir ce que dit ce règlement de l’assemblée nationale qui interdirait de parler autre chose que la novlangue à la mode.

    Quelle est la valeur juridique et contraignante d’un tel règlement ?
    A-t-il été voté, ou résulte-t-il seulement d’un accord antre les présidents de groupe ?

    • Descartes dit :

      @marc malesherbes

      [ma question: avez-vous un lien qui permette de voir ce que dit ce règlement de l’assemblée nationale qui interdirait de parler autre chose que la novlangue à la mode.]

      Selon le cabinet de Bartolonne, la sanction a pour fondement l’article 19 de l’Instruction générale du bureau de l’assemblée nationale (consultable sur http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/instruction.asp#igb_19). Le problème est que l’article en question concerne la manière dont les interventions doivent être portées sur le compte-rendu, et nullement la manière dont les députés doivent s’exprimer. Si je comprend bien, J. Aubert a saisi le Conseil constitutionnel – seul juge de l’application du règlement des assemblées – pour qu’il décide de la légalité de la sanction. On verra alors…

      [Quelle est la valeur juridique et contraignante d’un tel règlement ?]

      Normalement, le règlement de l’Assemblée nationale a la même portée que le règlement intérieur de n’importe quel établissement. Il peut contenir des dispositions exorbitantes du droit commun, mais ne peut porter atteinte à des droits et des libertés constitutionnelles.

      [A-t-il été voté, ou résulte-t-il seulement d’un accord antre les présidents de groupe ?]

      Le règlement est voté par les assemblées et n’entre en vigueur qu’après approbation par le Cosneil constitutionnel. L’instruction générale qui sert de base à la sanction contre J. Aubert n’est, elle, qu’une décision du Bureau de l’Assemblée. On peut douter très sérieusement qu’un tel texte puisse servir de fondement à une sanction.

    • bovard dit :

      Dans un premier temps,j’ai regretté de ne pas dominer assez la syntaxe française.Mon premier post évocait cela.
      Il m’a semblé que les lacunes de l’EN en ce domaine étaient écrasantes car l’institution se doit de former convenablement ses enseignants.
      Cependant,une autre idée me questionne.Depuis 35 ans que je suis prof.
      Celle du blocage de la langue française sur des dogmes défendus par l’Académie.
      Là je ne veux pas évoquer ‘ la féminisation des FONCTIONS ‘.Plutôt la difficulté actuelle de la langue pour les populations d’origine étrangère.En premier lieu les musulmanes.Pour celle ci,culturellement,un seul livre compte.Bien sûr au contact de la société ,ce dogme est vite dépassé.
      Mais vers l’âge de l’adolescence,je constate que ces jeunes se heurtent à un mur de verre.
      La difficulté des concepts que j’aborde avec eux n’est pas assumée car leur français semble en soufrance.
      Est ce parce ce que,la difficulté de la syntaxe,de l’orthographe,les ont déjà fatigué de la langue?Oui,j’émets cette hypothèse,d’une usure de l’appétance de la langue à cause de ces difficultés à l’époque des ‘écrans’ tout puissants.
      Pourquoi,dans ces conditions, le français n’est il pas simplifié de ces ‘ph’,’y’ ,’exceptions’,difficultés inutiles,etc ?
      Demandez aux étrangers,même ceux qui parlent couremment:ils trouvent tous le français trop difficile à cause de la multitude de cas particuliers.
      Pourtant vous,comme moi, nous sommes capables de, proposer un français simplifier où mourir comme courrir auront le même nombre de ‘R’,où ç sera remplacé par ‘ss’,où le s de ‘ose’ sera remplacé par ‘z’,ou ‘ph’ sera remplacé par ‘f’,etc..L’académie française ne doit plus avoir la fonction de dogmatiser la langue.
      En effet,aujourd’hui,comme les nations sont en compétitions,notre langue,(notre vraie ‘patrie’,)l’est aussi.Donnons nous les moyens de survivre.Simplifions le français ..mais pas j’en conviens pour des raisons trés fondamentales :pas sur la féminisation des FONCTIONS ,non simplifions les difficultés inutiles,surannées..

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Cependant,une autre idée me questionne. Depuis 35 ans que je suis prof.
      Celle du blocage de la langue française sur des dogmes défendus par l’Académie.]

      Pourquoi dites vous « blocage » ? Une langue est une convention. Quand vous dites « carotte », il faut que je comprenne qu’il s’agit d’un tubercule vaguement orangé qu’on sert en salade. Si tout à coup vous décidez que « carotte » désigne un mammifère courant dans nos égouts de la famille des rongeurs, comment pouvez vous espérer que je vous comprenne ?

      Parce que la langue est une convention, il faut bien une institution qui soit gardienne de la convention. Qui tienne à jour le catalogue des mots avec leur signification et les règles qui permettent de lier les mots les uns aux autres et d’exprimer une pensée. L’Académie a été créée précisément pour cela. Lui reprocher on ne sait quel « dogmatisme » n’a pas de sens. L’Académie n’a aucun pouvoir de coercition. Elle est là pour dire ce qui à son avis constitue un usage. Et si un usage évolue, ce n’est pas l’Académie qui pourra le bloquer.

      [Est ce parce ce que, la difficulté de la syntaxe, de l’orthographe, les ont déjà fatigué de la langue? Oui, j’émets cette hypothèse, d’une usure de l’appétence de la langue à cause de ces difficultés à l’époque des ‘écrans’ tout puissants. Pourquoi, dans ces conditions, le français n’est il pas simplifié de ces ‘ph’,’y’ ,’exceptions’,difficultés inutiles,etc ?]

      Parce qu’une langue c’est une histoire. Ce que vous proposez, c’est un peu de se dire « tiens, l’histoire de France est un peu trop compliquée, avec tous ces Louis, ces Henris, ces Richelieu et ces Mazarin. On n’a qu’à faire disparaître les deux tiers d’entre eux et enseigner ce qui reste. Et puis on pourrait enseigner qu’ils ont tous régné 10 ans et transmis à leur enfant aîné, comme ça on n’aurait pas à apprendre toutes ces successions complexes, tous ces règnes courts et longs…

      Toutes ces irrégularités, toutes ces exceptions font l’histoire de notre langue. Personne ne propose de régulariser les façades du Louvre ou de Versailles pour les rendre plus faciles à entretenir. D’ailleurs, je vous fais remarquer que des cultures dont la langue est infiniment plus complexe et difficile à apprendre que la notre maintiennent précieusement ce patrimoine et que ça leur réussit plutôt bien. Imagine-t-on de faire disparaître le perfectif en russe ? D’écrire le chinois avec des caractères alphabétiques ? De faire disparaître la différence enter les deux formes de l’auxiliaire « être » en espagnol ? Bien sur que non. Ces « difficultés » sont inséparables de la subtilité de chacune de ces langues.

      Aucune difficulté n’est « inutile ». Et je n’ai pas besoin je pense d’insister sur la fonction pédagogique de la difficulté. « C’est bien plus beau lorsque c’est difficile » fait dire Rostand à Cyrano…

      [Demandez aux étrangers, même ceux qui parlent couramment: ils trouvent tous le français trop difficile à cause de la multitude de cas particuliers.]

      Je suis moi-même un « étranger » dont la langue maternelle n’est pas le français. Je ne trouve pas le français « trop » difficile. Je le trouve « difficile », et c’est bien normal : tout instrument d’expression capable de traduire une pensée subtile est, par nature, difficile. Comment pourrait-il en aller autrement ? Pourquoi croyez vous que l’espéranto n’ait remporté qu’un succès d’estime et qu’aucune nation, aucune organisation internationale ne l’ait adopté ?

      [Pourtant vous, comme moi, nous sommes capables de, proposer un français simplifier où mourir comme courrir auront le même nombre de ‘R’, où ç sera remplacé par ‘ss’, où le s de ‘ose’ sera remplacé par ‘z’,ou ‘ph’ sera remplacé par ‘f’,etc..]

      Dieu m’en préserve. Il ne me viendrait pas un instant à l’idée de proposer pareille chose. Rien que d’imaginer « garsson » au lieu de « garçon », je souffre. Mais je ne comprends pas pourquoi vous n’allez pas jusqu’au bout de votre raisonnement. Pourquoi ne pas régulariser la conjugaison des verbes, par exemple ? Qu’est ce que c’est que cet « être » qui devient « je suis » ? Il faudrait dire « j’ets, tu ets, il ets, nous etons, vous etez, ils etent (comme « apparaître »). Non, la langue a une musique, et les difficultés font a sa personnalité.

      [En effet,aujourd’hui,comme les nations sont en compétition, notre langue, (notre vraie ‘patrie’) l’est aussi. Donnons nous les moyens de survivre.]

      Je vois mal comment on pourrait lui « donner les moyens de survivre » en l’achevant. Franchement, je préfère parler un bon anglais qu’un mauvais français. Je vous fais remarquer par ailleurs qu’il ne semble guère que le chinois soit en train de mourir, et pourtant on continue à l’écrire de la manière la plus complexe qu’il soit.

      [Simplifions le français… mais pas j’en conviens pour des raisons très fondamentales : pas sur la féminisation des FONCTIONS, non simplifions les difficultés inutiles, surannées…]

      C’est quoi une « difficulté inutile » ? Comment faites vous la différence entre les « difficultés inutiles » et les « difficultés utiles » ? Par exemple, en quoi l’irrégularité dans la conjugaison du verbe « être » est plus « utile » que le signe « ç » ?

    • Marcailloux dit :

      @ Bovard
      Interloqué par votre commentaire – celui d’un prétendu enseignant depuis 35 ans – la réponse que vous fait Descartes, toute en patience et courtoisie me rassérène.
      Il est notre « sentinel » de l’esprit des lumières.
      En développant point par point vos assertions, vous faites la démonstration de la défaillance de certains membres de votre profession, et qui participe largement au malaise existant entre la population et l’Education Nationale.
      Tout d’abord, votre texte ne comporte pas moins de 8 fautes d’orthographe ou erreurs diverses. La langue française étant – je le présume – votre principal outil de «production » du service pour lequel vous rémunère la nation, il me parait bien altéré pour en attendre un résultat constructif. Comment voulez-vous obtenir le respect de vos élèves en pratiquant une langue avec autant d’approximations ?
      Là où je suis surpris, c’est de constater que l’Education Nationale a pu sélectionner votre candidature et vous confier une mission d’enseignement, malgré une sérieuse insuffisance professionnelle que vous-même regrettez.
      Qui ou quoi vous a empêché, depuis 35 ans, de vous prendre en main pour combler les carences que vous semblez attribuer à l’E.N. ?
      Les « écrans tout puissants », dont vous déplorez les méfaits, sont néanmoins un formidable outil de progression individuelle, surtout lorsque l’on n’a pas la possibilité de recourir à un enseignant de talent qui saura nous donner envie et les moyens de progresser.
      D’autre part, éliminer d’une langue riche et subtile comme la nôtre tout ce qui peut constituer une quelconque difficulté, c’est la meilleure façon d’aboutir à l’ «excellence » dans le marigot de la médiocrité. Dans cette perspective, nous nous dirigeons vers un dictionnaire de la langue française se réduisant au volume d’un livre de poche.
      La même approche appliquée à la musique ne nous laisse plus que le rap et les marches militaires. L’immense richesse de Bach, Mozart, Schubert, Beethoven et consorts passe à la trappe de la simplification.
      Cela n’empêche en rien une évolution raisonnée du français, en toute sérénité et sans dogme.
      Pour conclure sur la féminisation dans notre langue, je trouve que l’on accorde beaucoup trop d’importance à un épiphénomène lié à une société qui s’ennuie.
      Il fût un temps, vers 1800, où les Incroyables et les Merveilleuses effaçaient le « r » dans leur prononciation. Et pour imposer tout cela, c’était argumenté de bastonnades à l’aide de gourdins prénommés «pouvoir exécutif». On n’en est pas là !
      Qu’en reste-t-il aujourd’hui, sinon des sourires ?

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Tout d’abord, votre texte ne comporte pas moins de 8 fautes d’orthographe ou erreurs diverses. La langue française étant – je le présume – votre principal outil de «production » du service pour lequel vous rémunère la nation, il me parait bien altéré pour en attendre un résultat constructif. Comment voulez-vous obtenir le respect de vos élèves en pratiquant une langue avec autant d’approximations ?]

      De grâce, évitons les mises en cause personnelles… Ce n’est pas parce qu’on fait des fautes d’orthographe – dieu sait si j’en fait… et je m’en désole – lorsqu’on écrit vite dans un blog qu’on en fait lorsqu’on est en face d’une classe. Par ailleurs, on peut être un excellent professeur sans jamais écrire une phrase à la volée : professeur de sport ou de technologie, par exemple…

      Je trouve que Bovard, s’il est enseignant – et je n’ai pas de raison de penser qu’il ne le soit pas, puisqu’il le dit – a beaucoup de courage à reconnaître ses limitations. Un peu d’empathie alors, mon cher Marcailloux…

      [Là où je suis surpris, c’est de constater que l’Education Nationale a pu sélectionner votre candidature et vous confier une mission d’enseignement, malgré une sérieuse insuffisance professionnelle que vous-même regrettez. Qui ou quoi vous a empêché, depuis 35 ans, de vous prendre en main pour combler les carences que vous semblez attribuer à l’E.N. ?]

      Je vous trouve très dur là. Et injuste. D’abord, on peut être un très bon enseignant en dépit de grosses difficultés d’orthographe et de syntaxe écrite. J’ai eu un professeur d’atelier de machines-outils – car je suis un ancien de l’enseignement technique, et fier de l’être – qui non seulement avait des mains d’or, mais une grande capacité à transmettre et à passionner ses élèves. Et pourtant, il avait de telles difficultés pour écrire qu’il faisait corriger les appréciations qu’il mettait sur les bulletins par un collègue avant de les recopier. Je trouve que l’EN aurait perdu à se priver des services d’un tel enseignant.

      Il y a des difficultés d’orthographe ou de syntaxe qui se corrigent avec la pratique et l’exercice. Mais il y a aussi des dyslexies qu’on ne peut pas corriger. Pourquoi barrer à priori ceux qui en sont victimes de toute possibilité d’enseigner ? Et pourquoi reprocher à ceux qui sont victimes de ne pas s’être « pris en main » alors qu’ils n’en peuvent rien ? Donnez à bovard le bénéfice du doute…

      [Les « écrans tout puissants », dont vous déplorez les méfaits, sont néanmoins un formidable outil de progression individuelle, surtout lorsque l’on n’a pas la possibilité de recourir à un enseignant de talent qui saura nous donner envie et les moyens de progresser.]

      Je suis d’accord avec Finkielkraut sur ce point : les écrans sont des « formidables outils » qui enrichissent les riches et appauvrissent les pauvres. Ceux qui ont reçu – dans la famille, à l’école – le bagage qui leur permet de sélectionner les contenus ne pourront que profiter de l’accès illimité au fonds numérise de la Bibliothèque Nationale, du CNRS, des universités ou des musées. Mais quid de ceux qui n’ont pas le bagage pour sélectionner et accéder à ces contenus ?

      [D’autre part, éliminer d’une langue riche et subtile comme la nôtre tout ce qui peut constituer une quelconque difficulté, c’est la meilleure façon d’aboutir à l’ «excellence » dans le marigot de la médiocrité. Dans cette perspective, nous nous dirigeons vers un dictionnaire de la langue française se réduisant au volume d’un livre de poche.]

      Au fonds, on retrouve sur la langue le même mouvement de faux modernisme qu’on trouve ailleurs, notamment dans les discours de notre premier ministre. Il s’agit de couper toute référence à l’histoire, vue comme un réservoir de « rigidités » et de « passéisme ». D’où ce culte public rendu aujourd’hui à la « simplification ». Il faut « simplifier » le droit, la langue, les institutions, le « mille-feuille administratif »…

      Ce culte de la simplification est rendu possible par l’oubli de l’histoire. Si notre droit, notre administration, notre langue sont complexes, c’est parce qu’ils sont le fruit de siècles de patients efforts pour prendre en compte toutes les complexités de notre réalité. On ne peut « simplifier » qu’en oubliant l’histoire. D’où la fascination pour les pays « sans histoire » (les USA pour la droite, l’Amérique Latine pour la gauche), où il est si simple de réformer l’Etat ou de créer une entreprise.

      Le paradoxe est que cette volonté de rupture avec l’histoire s’accompagne d’une glorification permanente des « racines » plus ou moins inventées. On nous explique d’une part que le français est « trop compliqué » et stresse nos chères têtes blondes, et d’un autre côté on affiche la volonté de leur enseigner le Basque ou le Breton, langues tout aussi difficiles. A quand une proposition de « simplification » du Breton ?

      [Cela n’empêche en rien une évolution raisonnée du français, en toute sérénité et sans dogme.]

      L’évolution « raisonnée » du français se fait naturellement, par l’usage. Des mots nouveaux apparaissent, des mots anciens changent de sens. Et l’Académie constate ces usages. Rien de plus normal. Ce qui est dangereux, ce sont ceux qui prétendent changer la langue au nom d’un projet politique, que ce soit celui de l’idéologie du « genre », ou de celui d’appauvrir la langue pour réduire le coût de l’éducation nationale.

      [Pour conclure sur la féminisation dans notre langue, je trouve que l’on accorde beaucoup trop d’importance à un épiphénomène lié à une société qui s’ennuie.]

      Je ne le crois pas. Plus qu’un « épiphénomène », la féminisation forcée de la langue – avec sanction à la clé – est un symptôme qui montre un certain nombre de disfonctionnements dans le fonctionnement de nos institutions. Dans certains domaines, les « maffias du genre » sont puissantes et leur terrorisme intellectuel empêche tout débat rationnel. Prenez les universités : on voit fleurir des chaires et des départements consacrés aux « études de genre » (quelque soit le nom utilisé, ça revient à ça) dont les membresses (puisqu’il faut féminiser…) deviennent les censeurs de la vie universitaire et notamment des nominations. La pusillanimité des autorités universitaires permet donc à ces petits groupes de coopter des fidèles aux postes de responsabilité et de prendre le pouvoir dans les structures.

      [Il fût un temps, vers 1800, où les Incroyables et les Merveilleuses effaçaient le « r » dans leur prononciation. Et pour imposer tout cela, c’était argumenté de bastonnades à l’aide de gourdins prénommés «pouvoir exécutif». On n’en est pas là ! Qu’en reste-t-il aujourd’hui, sinon des sourires ?]

      Malheureusement, et contrairement aux Incroyables et aux Merveilleuses, on est ici sur quelque chose de plus profond. L’idéologie du « genre » n’est pas seulement une mode intellectuelle, c’est un instrument de pouvoir. Elle a permis à toute une génération de médiocrités ambitieuses d’arriver aux postes de premier plan par le jeu des programmes d’encouragement à la diversité, des circonscriptions « réservé femme » et des gouvernements « paritaires ». Croyez-vous vraiment que du temps ou l’on nommait au mérite une Delphine Batho se serait vu confier un grand ministère ?

    • Marcailloux dit :

      [D’autre part, éliminer d’une langue riche et subtile comme la nôtre tout ce qui peut constituer une quelconque difficulté, c’est la meilleure façon d’aboutir à l’ «excellence » dans le marigot de la médiocrité. Dans cette perspective, nous nous dirigeons vers un dictionnaire de la langue française se réduisant au volume d’un livre de poche.]

      [Au fonds, on retrouve sur la langue le même mouvement de faux modernisme qu’on trouve ailleurs, notamment dans les discours de notre premier ministre. Il s’agit de couper toute référence à l’histoire, vue comme un réservoir de « rigidités » et de « passéisme ». D’où ce culte public rendu aujourd’hui à la « simplification ». Il faut « simplifier » le droit, la langue, les institutions, le « mille-feuille administratif »…]

      @ Descartes
      Bonsoir,
      Il vous aura probablement échappé que le terme d’excellence que j’emploie est assorti de guillemets pour en souligner l’incongruité. Exceller dans la médiocrité est, à mes yeux, être pire que médiocre. L’humour prend quelquefois des trajectoires où seul son auteur est en mesure de s’y retrouver.
      Je concède avoir eu une réaction excessive d’humeur vis-à-vis du témoignage sincère de Bovard, et le prie de me le pardonner. Je ressens ma langue, la langue française, équivalente, pour véhiculer mes pensées à ce qu’est mon sang pour véhiculer l’oxygène et les nutriments indispensables à ma vie. C’est pourquoi je me montre si sourcilleux sur le soin qu’on doit lui consacrer.
      Concernant Internet, puisque c’est de cela qu’il s’agit lorsque l’on évoque les « écrans », je ne partage pas votre radicalité quant à l’accès à la culture et à ses conditions d’accès. Certes, les prérequis apportés par le milieu d’origine ou le contexte éducatif sont primordiaux. Néanmoins, la masse de savoir disponible facilement et à la portée de tous, ouvre une multitude de fenêtres qu’il appartient à chacun d’explorer, à la simple condition de le vouloir.
      Personne n’est condamné à subir l’enseignement de TF1 et consorts, même s’il habite au fin fond de nos campagnes. Et je préfère un apprentissage fait de bric et de broc, qui par la nature même de son bénéficiaire, caractérisée par la curiosité, se perfectionnera à la suite de ses échecs successifs, à un abrutissement confortable que peuvent tout aussi bien nous infliger les différents écrans dont nous disposons.

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Concernant Internet, puisque c’est de cela qu’il s’agit lorsque l’on évoque les « écrans », je ne partage pas votre radicalité quant à l’accès à la culture et à ses conditions d’accès. Certes, les prérequis apportés par le milieu d’origine ou le contexte éducatif sont primordiaux. Néanmoins, la masse de savoir disponible facilement et à la portée de tous, ouvre une multitude de fenêtres qu’il appartient à chacun d’explorer, à la simple condition de le vouloir.]

      Pas si simple. La « masse de savoir disponible facilement » se trouve noyée au milieu d’une mer de fausses nouvelles, de raisonnement fallacieux, d’images trafiquées, d’affirmations contradictoires. Sans avoir les clés pour séparer le bon grain de l’ivraie, tout cela est au mieux inutile, au pire dangereux. Vous me direz que c’était déjà le cas avec la parole imprimée. Ce n’est pas tout à fait faux. Mais il y a deux différences de taille. La première est que la parole imprimée coûtait cher en temps et en matériel. On ne publiait donc pas tout à fait n’importe quoi, et la masse de choses publiées était accessible à la critique. Et c’est là que réside la seconde différence : la parole écrite était soumise à la critique, celle des critiques, celle des Académies. Des autorités reconnues lorsqu’il s’agissait de savoir ce qui était correct et ce qui était incorrect, ce qui était juste et ce qui ne l’était pas. Et si occasionnellement les académies et les critiques se trompaient, on pouvait se rebeller contre elles.

      L’Internet échappe à cette logique. Parce que la masse d’information est énorme, il est difficile pour une Académie, à supposer que l’idée fut acceptée dans la société individualiste d’aujourd’hui, de lire et critiquer tout ce qui est publié. Le lecteur était guidé face au livre, face à l’Internet il est seul. S’il n’a pas lui même les outils de sélection, il est noyé.

      [Personne n’est condamné à subir l’enseignement de TF1 et consorts, même s’il habite au fin fond de nos campagnes.]

      Vrai : il peut lui substituer des sites complotistes à la pelle, toutes sortes de révisionnismes, des paranoïaques divers, des gens qui attendent l’arrivée des martiens… il y en a pour tous les goûts. La question est : comment choisir ?

    • Marcailloux dit :

      @Descartes,
      Bonsoir,
      [Vrai : il peut lui substituer des sites complotistes à la pelle, toutes sortes de révisionnismes, des paranoïaques divers, des gens qui attendent l’arrivée des martiens… il y en a pour tous les goûts. La question est : comment choisir ?]
      Là je ne vous reconnais plus tout à fait. Votre réponse me semble procéder de cela même que vous dénoncez : le soupçon d’un environnement systématiquement hostile, une majorité de démarches maléfiques, un maelstrom de sites internet cherchant à nous manipuler.
      Personnellement, je comparerais Internet à une immense librairie, dans laquelle le lecteur peut choisir ses rayons, ses sujets, ses auteurs, ses éditeurs…Et dans une librairie, on peut trouver le pire comme le meilleur. Depuis que j’utilise Internet avec régularité, c’est-à-dire depuis 10 ans en retraite, je n’ai vraiment pas l’impression d’être assailli par des informations fallacieuses. Et surtout, selon les sujets, je puise mes sources à différents endroits, ce qui renforce, semble-t-il, ma capacité de discernement. Adepte de Wikipédia, tout en admettant que ce site ne soit pas indemne d’erreurs ou d’insuffisances, il me satisfait très largement. Et il n’est pas le seul et pourquoi voudriez-vous que la toile soit différente de ce que l’on vit quotidiennement, c’est-à-dire le côtoiement d’irresponsables, d’escrocs, de manipulateurs, d’ignorants. Chacun sait que ces gens existent et fait en sorte de s’en préserver. Il nous arrive de tomber dans le panneau, et alors cela nous sert de leçon.
      Par contre, ce qui manque probablement dans les programmes scolaires, encore que je ne sois pas très au courant de ce qui se pratique précisément, c’est l’ « apprentissage méthodique du doute », le développement de la capacité ou du réflexe à ne prendre en compte que les faits avérés.
      Et c’est là que le strict respect de notre langue prend toute son importance, car un mot mal orthographié peut engendrer une confusion dans son interprétation, sans parler du danger que cela puisse faire courir dans certaines circonstances.

    • Descartes dit :

      @Marcailloux

      [Là je ne vous reconnais plus tout à fait. Votre réponse me semble procéder de cela même que vous dénoncez : le soupçon d’un environnement systématiquement hostile, une majorité de démarches maléfiques, un maelstrom de sites internet cherchant à nous manipuler.]

      Pas du tout. Relisez mon commentaire : nulle part je ne fais de procès d’intention, de supputation sur ce que les sites internet « cherchent » à faire. Parler d’hostilité, de « démarche maléfique » implique qu’il existe quelque part une volonté qui organise la chose. Ce n’est pas du tout ma position. Si l’Internet nous offre des tombereaux d’informations fausses, ce n’est pas parce quelque Grande Conspiration l’a décidé, mais parce qu’un mécanisme où l’information peut être déposée par tout un chacun sans le moindre contrôle, sans la moindre qualification, ne peut qu’aboutir à cela.

      [Personnellement, je comparerais Internet à une immense librairie, dans laquelle le lecteur peut choisir ses rayons, ses sujets, ses auteurs, ses éditeurs…Et dans une librairie, on peut trouver le pire comme le meilleur.]

      L’analogie que vous faites ignore un point fondamental. Les librairies, même les plus immenses, ont un libraire. En d’autres termes, il y a quelqu’un qui décide ce qui sera offert au chaland et ce qui ne le sera pas. Et ce libraire ne peut décider qu’à partir d’une liste des livres publiés, c’est-à-dire, ceux qui ont trouvé un éditeur que le texte a intéressé suffisamment pour qu’il décide d’en faire un livre, ou dont l’auteur est si motivé qu’il est prêt à payer l’édition à compte d’auteur. Dans une librairie, vous ne trouvez donc que des textes ayant passé au moins ces deux barrières, celle de la publication, celle de la présentation. L’auteur sur internet ne s’autorise que de lui-même, l’auteur en librairie n’arrive au lecteur que s’il est apprécié par d’autres.

      [Depuis que j’utilise Internet avec régularité, c’est-à-dire depuis 10 ans en retraite, je n’ai vraiment pas l’impression d’être assailli par des informations fallacieuses. Et surtout, selon les sujets, je puise mes sources à différents endroits, ce qui renforce, semble-t-il, ma capacité de discernement. Adepte de Wikipédia, tout en admettant que ce site ne soit pas indemne d’erreurs ou d’insuffisances, il me satisfait très largement.]

      Mais encore une fois, et au risque de me tromper, je dirais que vous appartenez à ceux qui, de par leur patrimoine culturel, sont en mesure de faire une sélection. Dans la formule de Finielkraut que j’ai cité (« l’Internet enrichit les riches et appauvrit les pauvres ») vous appartenez à la première catégorie. Mais ne prenez pas votre cas pour une généralité. Il y a beaucoup, beaucoup de gens – et notamment parmi les jeunes – qui sont prêts à croire à peu près n’importe quoi sans la moindre vérification. Mes lecteurs qui exercent le dur métier d’enseignant pourront apporter je pense des exemples à la pelle.

      [Et il n’est pas le seul et pourquoi voudriez-vous que la toile soit différente de ce que l’on vit quotidiennement, c’est-à-dire le côtoiement d’irresponsables, d’escrocs, de manipulateurs, d’ignorants. Chacun sait que ces gens existent et fait en sorte de s’en préserver. Il nous arrive de tomber dans le panneau, et alors cela nous sert de leçon.]

      Moi je ne veux rien. Je constate simplement qu’alors que les moyens « traditionnels » de l’édition imposaient des filtres qui limitaient les possibilités des irresponsables, des escrocs, des manipulateurs et des ignorants à accéder au forum des idées, l’Internet a pour une large part annulé l’effet de ces filtres. Là ou les critiques et les académies exerçaient une magistrature, chacun de nous est désormais prié d’être son propre critique et sa propre académie. Et cela ne marche que pour les gens qui ont les moyens intellectuels d’exercer ce filtrage eux-mêmes. Les autres sont abandonnés.

      [Par contre, ce qui manque probablement dans les programmes scolaires, encore que je ne sois pas très au courant de ce qui se pratique précisément, c’est l’ « apprentissage méthodique du doute », le développement de la capacité ou du réflexe à ne prendre en compte que les faits avérés.]

      En d’autres termes, du doute cartésien. Mais comment voulez-vous que l’école puisse enseigner cette logique alors qu’elle a fait siennes toutes sortes de calembredaines post-modernes dont le message est que les faits n’existent pas, qu’ils ne sont qu’une « construction sociale », voire même un « récit » ? Il n’est pas de bon ton de citer Feyerabend en France, mais il faut être conscient que les thèses relativistes se répandent dans l’éducation nationale.

      [Et c’est là que le strict respect de notre langue prend toute son importance, car un mot mal orthographié peut engendrer une confusion dans son interprétation, sans parler du danger que cela puisse faire courir dans certaines circonstances.]

      Vrai, mais je ne pense pas qu’il faille se limiter à une question purement utilitariste. Bien orthographier ce n’est pas seulement une question de compréhension, c’est une question d’esthétique.

    • dsk dit :

      @ Descartes

      ["Pas si simple. La « masse de savoir disponible facilement » se trouve noyée au milieu d’une mer de fausses nouvelles, de raisonnement fallacieux, d’images trafiquées, d’affirmations contradictoires. Sans avoir les clés pour séparer le bon grain de l’ivraie, tout cela est au mieux inutile, au pire dangereux. Vous me direz que c’était déjà le cas avec la parole imprimée. Ce n’est pas tout à fait faux."]

      C’est même carrément exact 😉

      ["Mais il y a deux différences de taille. La première est que la parole imprimée coûtait cher en temps et en matériel. On ne publiait donc pas tout à fait n’importe quoi"]

      C’est vrai. On publiait, de préférence, ce qui offrait une perspective de rentrer dans ses fonds, soit ce qui contenait, si possible, au moins une scène de sexe, avec un zeste de violence, et une pincée de conspirationnisme.

      ["Si l’Internet nous offre des tombereaux d’informations fausses, ce n’est pas parce quelque Grande Conspiration l’a décidé, mais parce qu’un mécanisme où l’information peut être déposée par tout un chacun sans le moindre contrôle, sans la moindre qualification, ne peut qu’aboutir à cela."]

      Je ne sais pas ce qu’il vous faut : internet fournit quantité de moyens très simples et rapides de recouper et vérifier les informations, si bien qu’une "intox" a très peu de chances d’y survivre plus de quelques heures. Internet rend beaucoup plus difficile, au contraire, de raconter n’importe quoi.

      ["Et ce libraire ne peut décider qu’à partir d’une liste des livres publiés, c’est-à-dire, ceux qui ont trouvé un éditeur que le texte a intéressé suffisamment pour qu’il décide d’en faire un livre, ou dont l’auteur est si motivé qu’il est prêt à payer l’édition à compte d’auteur."]

      Bien sûr, car l’éditeur, à moins d’être un mécène, n’est "intéressé" par la publication d’un livre que si ses ventes s’annoncent prometteuses.

      ["Moi je ne veux rien. Je constate simplement qu’alors que les moyens « traditionnels » de l’édition imposaient des filtres qui limitaient les possibilités des irresponsables, des escrocs, des manipulateurs et des ignorants à accéder au forum des idées, l’Internet a pour une large part annulé l’effet de ces filtres."]

      Franchement, je crois que vous idéalisez beaucoup le rôle de ces braves éditeurs. Tenez : celui de "Merci pour ce moment", vous pensez qu’il s’est beaucoup soucié de son rôle de "filtre" ?

      ["Là ou les critiques et les académies exerçaient une magistrature, chacun de nous est désormais prié d’être son propre critique et sa propre académie."]

      Pourquoi ? Les critiques, les académies etc., tout ce que vous appelez les "filtres", n’ont aucune raison de disparaître avec internet. Personne, il me semble, n’a envie de perdre son temps à lire des ouvrages ineptes. On aura toujours, pour cela, besoins de prescripteurs. Quoi qu’il en soit, permettez-moi de vous dire que je ne trouve pas votre position très "marxiste". Quelqu’un qui, comme vous, semble regretter l’ambition du PCF d’antan consistant à vouloir diffuser la culture auprès des classes populaires ne saurait, à mon sens, que se réjouir des possibilités qu’offre à cet égard internet.

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [« Mais il y a deux différences de taille. La première est que la parole imprimée coûtait cher en temps et en matériel. On ne publiait donc pas tout à fait n’importe quoi » C’est vrai. On publiait, de préférence, ce qui offrait une perspective de rentrer dans ses fonds, soit ce qui contenait, si possible, au moins une scène de sexe, avec un zeste de violence, et une pincée de conspirationnisme.]

      Pas vraiment. Le livre le plus imprimé et vendu avant l’invention des moyens de diffusion électroniques est la Bible, un livre qui a certes quelques scènes de sexe, pas mal de violence et beaucoup de conspirationnisme, mais dont on ne peut raisonnablement dire que sexe, violence ou conspirationnisme aient été les arguments de vente. Le livre imprimé n’était pas seulement une marchandise, c’était aussi un instrument de prestige. Beaucoup de presses étaient dans les mains des universités ou des sociétés savantes, et beaucoup d’éditeurs indépendants craignaient en publiant de « mauvais livres » d’éloigner les clients les plus lettrés, et qui avaient d’autres exigences.

      [Je ne sais pas ce qu’il vous faut : internet fournit quantité de moyens très simples et rapides de recouper et vérifier les informations, si bien qu’une "intox" a très peu de chances d’y survivre plus de quelques heures.]

      Ah bon ? Expliquez moi quels sont les moyens que l’Internet vous offre pour déterminer si l’affirmation « les attaques du 11 septembre ont été organisés/ont eu lieu avec l’accord du gouvernement américain » ou bien « la fusion thermonucléaire froide a été réalisée dans un laboratoire mais l’establishment scientifique le cache » sont vraies ou fausses. Ces bobards tournent depuis des années sur l’internet, alors votre idée qu’une intox ne saurait survivre que quelques heures me paraît fort pessimiste. Et je ne vous parle même pas des mouvements perpétuels et des moteurs à eau…

      [Internet rend beaucoup plus difficile, au contraire, de raconter n’importe quoi.]

      Je m’en remets à l’expérience…

      [« Et ce libraire ne peut décider qu’à partir d’une liste des livres publiés, c’est-à-dire, ceux qui ont trouvé un éditeur que le texte a intéressé suffisamment pour qu’il décide d’en faire un livre, ou dont l’auteur est si motivé qu’il est prêt à payer l’édition à compte d’auteur. » Bien sûr, car l’éditeur, à moins d’être un mécène, n’est "intéressé" par la publication d’un livre que si ses ventes s’annoncent prometteuses.]

      Suivant votre logique, on devrait trouver dans La Pléiade les mémoires de Valérie Trierweiler ou celles de Loana… et pourtant, je ne les vois pas en catalogue. Dans un système contrôlé par les critiques et les académies, on ne fait pas d’argent en proposant n’importe quoi. Ce n’est pas par hasard si certains éditeurs publient des « bestsellers » qui se vendent très bien pendant un temps très court, alors que d’autres cherchent au contraire à se constituer une réputation qui leur permet de vendre des auteurs pendant très longtemps. La Pleiade peut vendre pour 75€ Homère en papier bible. Il n’arriverait pas à vendre à ce prix s’il publiait les mémoires de la dernière bimbo à la mode.

      Le marché du livre est un peu comme celui du luxe : on ne vent pas forcément plus en baissant le prix si la qualité en souffre. Mais cela reste vrai, comme pour le luxe, parce qu’il y a des prescripteurs, c’est-à-dire, des gens qui disent ce qui est bon et ce qui est médiocre. C’est ce mécanisme qui manque à Internet, et qui lui manquera toujours parce que la masse de texte produite est trop importante pour qu’un véritable appareil critique se mette en place.

      [« Moi je ne veux rien. Je constate simplement qu’alors que les moyens « traditionnels » de l’édition imposaient des filtres qui limitaient les possibilités des irresponsables, des escrocs, des manipulateurs et des ignorants à accéder au forum des idées, l’Internet a pour une large part annulé l’effet de ces filtres. » Franchement, je crois que vous idéalisez beaucoup le rôle de ces braves éditeurs. Tenez : celui de "Merci pour ce moment", vous pensez qu’il s’est beaucoup soucié de son rôle de "filtre" ?]

      Non, mais le filtre a fonctionné : les critique s’en sont donnés à cœur joie, et le livre a été publié dans une éditoriale connue pour publier ce genre de livres. Les bibliothèques publiques ne l’ont pas acheté.

      [« Là ou les critiques et les académies exerçaient une magistrature, chacun de nous est désormais prié d’être son propre critique et sa propre académie. » Pourquoi ? Les critiques, les académies etc., tout ce que vous appelez les "filtres", n’ont aucune raison de disparaître avec internet.]

      Si, justement. Parce que la capacité de traitement de ces « filtres » est relativement faible, tandis que la capacité de production d’Internet est quasi-infinie. Ou trouvera-t-on suffisamment de critiques et d’académiciens pour lire l’ensemble de ce qui se publie sur le net ?

      [Personne, il me semble, n’a envie de perdre son temps à lire des ouvrages ineptes. On aura toujours, pour cela, besoins de prescripteurs.]

      Ou voyez-vous les « prescripteurs » sur Internet ? Tiens, si vous avez envie de lire un bon blog, sur quel site vous rendez vous pour lire les critiques ?

      [Quoi qu’il en soit, permettez-moi de vous dire que je ne trouve pas votre position très "marxiste". Quelqu’un qui, comme vous, semble regretter l’ambition du PCF d’antan consistant à vouloir diffuser la culture auprès des classes populaires ne saurait, à mon sens, que se réjouir des possibilités qu’offre à cet égard internet.]

      Je m’en réjouirais certainement s’il y avait aujourd’hui une organisation pour jouer le rôle de « prescripteur culturel » qui était celui du PCF naguère. Oui, je pense que si le PCF des années 1950 avait eu entre ses mains un instrument de diffusion comme l’Internet, il aurait accompli des merveilles… Seulement voilà : ce prescripteur n’existe pas.

    • Albert dit :

      @ Bovard

      Je crois que vous vous égarez un peu dans votre propos concernant les musulmans (français ou pas) et la langue.
      La langue française n’est pas forcément plus difficile pour un musulman que pour tout autre. L’état de fait que vous constatez a d’autres explications, que l’enseignant que vous êtes devrait connaitre. Et notamment le développement du communautarisme, la diminution de moitié de l’enseignement du français à l’école par rapport à il y a 30 ans, l’impact de l’anglicisation de notre société, l’auto-dévalorisation des Français de façon générale, qui n’incite plus les immigrés(et leurs descendants) à vouloir s’identifier à eux (donc aussi à s’approprier leur langue et culture)…..

  7. Un partageux dit :

    En néerlandais le genre (grammatical) n’a rien à voir avec le sexe. Il y a un genre nommé "masculin / féminin". Annoncer ce premier genre engendre un silence interloqué. Et un genre nommé "neutre".

    Homme et femme sont deux mots masculins / féminins. Histoire de mettre encore un peu plus de perplexité dans quelques esprits manichéens, que l’on ajoute un diminutif à ces mots et ils deviennent… neutres ! Et c’est ainsi que si ton traite affectueusement ton bébé de "petit homme" ou de "petite femme", tu lui donnes un nom neutre.

    Déterminer le genre d’un mot néerlandais est un cauchemar pour le locuteur allophone débutant : il n’y a aucune règle, aucun principe, aucune généralité hormis qu’un mot avec diminutif est forcément neutre. C’est seulement l’usage répété qui permet de se souvenir que tel mot est précédé de l’article "de" (m / f) ou "het" (neutre). Au singulier. Parce qu’au pluriel il n’y a plus de différence grammaticale entre les genres.

    Pour rigoler j’ai causé un jour des bagarres féministes langagières françaises à un groupe de femmes bataves. J’aurais déclenché moins de rigolades si j’avais disserté sur le sexe des anges. Je ne suis même pas certain que j’ai réussi à les convaincre toutes que je ne leur racontais pas des calembredaines avec cette guéguerre picrocholine…

    • Descartes dit :

      @Un partageux

      [En néerlandais le genre (grammatical) n’a rien à voir avec le sexe. Il y a un genre nommé "masculin / féminin". Annoncer ce premier genre engendre un silence interloqué. Et un genre nommé "neutre".]

      Je ne connaissais pas le cas du néerlandais, mais je savais qu’il y a des langues ou le découpage du genre est « sexué/non sexué ». En d’autres termes, il y a un « genre » qui regroupe les objets et les êtres « sexués » (les animaux, les dieux, les êtres humains) et un autre qui regroupe les être neutres par nature. Je me demande si ce que tu décris n’est pas ce type d’origine. Les animaux, en néerlandais, appartiennent au genre « masculin/féminin » ou au neutre ?

      [Pour rigoler j’ai causé un jour des bagarres féministes langagières françaises à un groupe de femmes bataves. J’aurais déclenché moins de rigolades si j’avais disserté sur le sexe des anges.]

      Ca se comprend. Surtout, cela montre l’inanité du raisonnement qui voudrait soutenir que le partage du genre dans le langage est le reflet d’on ne sait quelle « domination masculine ». A l’époque ou la langue néerlandaise s’est constituée, la « domination masculine » n’était pas moins forte aux Pays-Bas qu’en France… et pourtant, comme tu le décris, la structure est totalement différente.

  8. odp dit :

    Bonjour Descartes – vous nous gratifiez d’un article fort intelligent mais sur un sujet, me semble-t-il, assez mineur. Je dois dire que je m’attendais à vous voir traiter une actualité à la fois plus "chaude" et plus "centrale": la controverse sur Vichy déclenchée par E. Zemmour.

    Cela nous aurait en effet permis d’avancer sur le débat à peine que nous avions à peine esquissé en juin où je vous faisait reproche, à vous et à Nationaliste Jacobin, de ne pas traiter Vichy avec la même rigueur réaliste que celle que vous appliquiez, par exemple, à Staline et de céder à une vision fortement moralisante de l’histoire que par ailleurs vous réprouviez dans cet article.

    Aurons-nous le plaisir de vous voir traiter ce sujet?

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Bonjour Descartes – vous nous gratifiez d’un article fort intelligent mais sur un sujet, me semble-t-il, assez mineur. Je dois dire que je m’attendais à vous voir traiter une actualité à la fois plus "chaude" et plus "centrale": la controverse sur Vichy déclenchée par E. Zemmour.]

      J’ai horreur de commenter des livres que je n’ai pas lu. Et il me semble immoral de traité « l’actualité » d’un débat amorcé par un livre sans avoir lu celui-ci… Alors, un peu de patience…

      [Cela nous aurait en effet permis d’avancer sur le débat à peine que nous avions à peine esquissé en juin où je vous faisait reproche, à vous et à Nationaliste Jacobin, de ne pas traiter Vichy avec la même rigueur réaliste que celle que vous appliquiez, par exemple, à Staline et de céder à une vision fortement moralisante de l’histoire que par ailleurs vous réprouviez dans cet article.]

      Je ne me souviens pas du débat… mais je suis surpris que vous puissiez trouver ma position par rapport à Vichy « moralisante ». Au contraire : si l’histoire de la fin des années 1930 et du début des années 1940 me passionne, c’est précisément parce qu’elle est la parfaite illustration de la difficulté de juger moralement l’histoire.

      [Aurons-nous le plaisir de vous voir traiter ce sujet?]

      Si je trouve le temps de lire le bouquin de Zemmour, certainement. Mais pas tout de suite.

    • dsk dit :

      @ odp

      ["Bonjour Descartes – vous nous gratifiez d’un article fort intelligent mais sur un sujet, me semble-t-il, assez mineur. Je dois dire que je m’attendais à vous voir traiter une actualité à la fois plus "chaude" et plus "centrale": la controverse sur Vichy déclenchée par E. Zemmour."]

      Je ne vois pas en quoi cette controverse, qui porte sur des faits vieux de plus de 70 ans, serait moins mineure que le "terrorisme" bien présent et actuel que dénonce Descartes dans son article. Je dirais d’ailleurs qu’il s’agit, au fond, du même sujet : celui de la liberté de contester la pensée dominante.

    • odp dit :

      [Je ne me souviens pas du débat… mais je suis surpris que vous puissiez trouver ma position par rapport à Vichy « moralisante ». Au contraire : si l’histoire de la fin des années 1930 et du début des années 1940 me passionne, c’est précisément parce qu’elle est la parfaite illustration de la difficulté de juger moralement l’histoire.]

      Disons qu’à partir du moment où, pour illustrer ce qui vous paraît indigne, vil ou ignoble, vous filez généralement la métaphore vichyste et que, par ailleurs, vous reprenez très régulièrement le "roman national" gaulliste – qui, en la matière, n’y va pas de main morte, il me semble légitime d’estimer que vous adoptez une approche "moralisante" de la période ; mais peut-être me trompe-je. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai hâte de voir vous exprimer sur le sujet.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Disons qu’à partir du moment où, pour illustrer ce qui vous paraît indigne, vil ou ignoble, vous filez généralement la métaphore vichyste]

      C’est drôle que vous disiez cela, parce que les gens avec qui je discute politique me reprochent souvent l’inverse : de montrer trop de compréhension pour les personnes qui ont fait Vichy. Je ne crois jamais avoir « filé la métaphore vichyste » pour illustrer ce qui me paraît vil ou ignoble. Vichy pour moi est au contraire la tragédie de gens qui sans être au départ forcément ignobles – certains étaient même des gens très bien – sont devenus indignes, vils et ignobles, quelquefois sans même s’en apercevoir. Et qui le sont devenus par manque de vision, de courage, de principes, aveuglés par la haine de soi. Tiens, ça me rappelle quelque chose…

    • odp dit :

      @ dsk

      Si l’on part du principe (qui est le mien) que les événement de la seconde guerre mondiale en général et de Vichy en particulier forment la clé de voûte de la psyché collective française, il semble que toute éventuelle modification des perspectives en la matière est "plus importante" qu’un débat, même fort bien mené et instructif, sur la féminisation des fonctions. Il est d’ailleurs assez généralement reconnu que l’un (la dévalorisation du "patriarcat") procède très largement de l’autre (la 2ème GM et ses 50 millions de morts).

    • odp dit :

      [C’est drôle que vous disiez cela, parce que les gens avec qui je discute politique me reprochent souvent l’inverse : de montrer trop de compréhension pour les personnes qui ont fait Vichy. Je ne crois jamais avoir « filé la métaphore vichyste » pour illustrer ce qui me paraît vil ou ignoble. Vichy pour moi est au contraire la tragédie de gens qui sans être au départ forcément ignobles – certains étaient même des gens très bien – sont devenus indignes, vils et ignobles, quelquefois sans même s’en apercevoir. Et qui le sont devenus par manque de vision, de courage, de principes, aveuglés par la haine de soi. Tiens, ça me rappelle quelque chose…]

      Il est clair qu’au regard qu’au regard du milieu politique dont vous êtes issu, vous faites preuve, en cette matière, d’une indépendance d’esprit qui vous honore.

      Néanmoins, je ne suis pas sûr de voir à quels profils vous faites référence quand vous mentionnez les "types bien" qui seraient devenus "ignobles". Pensez-vous aux "égarés" type Darnand ou Lucien Lacombe? Aux "exécutants" type Papon ou Bousquet? Aux "littéraires" type Drieu ou Brasillach? A Pétain lui-même? A Laval? Il est vrai qu’en définitive les traîtres "absolus" ou les "psychopathes" qui voulaient l’abaissement définitif de leur pays et le meurtre d’un maximum de leur compatriotes ont été rares (je n’en ai pas en tête – mais je ne suis pas non plus un expert).

      Cependant, mon propos n’était pas de savoir qui, parmi les Vichystes, était moralement condamnable et selon quels critères; mais plutôt de souligner qu’à la différence de ce que vous recommandez pour d’autres grandes "questions historiques" (au hasard, les "crimes de l’URSS"…), vous recourrez à des catégories morales assez tranchées, pour ne pas dire manichéennes (cf. type bien vs. ignoble), plutôt qu’à celles de "Real Politik" que vous affectionnez pourtant quand il s’agit de "justifier" le Pacte Germano-Soviétique ou Katyn.

      C’est en revanche, à sa manière assez tapageuse, ce que fait Zemmour quand il explique que l’existence de Vichy a été plutôt bénéfique pour les juifs français et a permis qu’en définitive le plus grand nombre soient sauvés. Une question assez controversée pour dire le moins mais qui aurait pu vous servir de point d’entrée pour donner "votre" bilan de la période, puisque le débat public s’est ensuite étendu à l’ensemble du sujet sur le thème: "faut-il réévaluer, voire réhabiliter Vichy". Il semble néanmoins que je doive m’armer de patience…

    • dsk dit :

      @ odp

      ["Si l’on part du principe (qui est le mien) que les événement de la seconde guerre mondiale en général et de Vichy en particulier forment la clé de voûte de la psyché collective française, il semble que toute éventuelle modification des perspectives en la matière est "plus importante" qu’un débat, même fort bien mené et instructif, sur la féminisation des fonctions."]

      Réellement, vous pensez que tous les français partageraient ainsi une "psyché collective", déterminée par un passé que quasiment aucun d’entre eux n’auraient vécu personnellement ? Ne serait-ce pas là une vision quelque peu "identitaire", voire carrément "nationaliste", en ce qu’elle ferait du peuple français une sorte de tout organique, au point qu’il en viendrait même à posséder une véritable "psyché collective"? Et quid, dans cette vision, des français de fraîche date ? Seraient-ils, eux aussi, concernés par cette "psyché collective"? Pour ma part, je n’irais pas aussi loin. Je pense que les français d’aujourd’hui n’ont d’autre lien avec ceux d’hier que la langue, l’histoire, la culture etc. que ceux-ci leur ont transmis, ce qui est déjà pas mal, et mérite bien qu’on le défende. Enfin, je dirais que si les évènements de l’occupation sont la "clé de voûte" de quelque chose, c’est surtout celle d’un discours essentiellement antinationaliste. Rappelez-vous, par exemple, de Mélenchon, qui assimilait les critiques de l’euro à des pétainistes.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Néanmoins, je ne suis pas sûr de voir à quels profils vous faites référence quand vous mentionnez les "types bien" qui seraient devenus "ignobles". Pensez-vous aux "égarés" type Darnand ou Lucien Lacombe? Aux "exécutants" type Papon ou Bousquet? Aux "littéraires" type Drieu ou Brasillach? A Pétain lui-même? A Laval?]

      Oui, et aussi aux « technocrates » comme Darlan ou Bichelonne, aux intellectuels comme Carcopino, aux juristes comme Barthélémy, aux syndicalistes comme Belin… et surtout à toute une multitude de personnalités de moindre rang, hauts fonctionnaires, hauts magistrats, patrons, syndicalistes, journalistes et dirigeants politiques qui n’étaient pas des salauds, qui sans la défaite de 1940 auraient probablement servi leur pays avec distinction ou avec discrétion, mais sans qu’on puisse rien leur reprocher. Mais qui placés dans une situation limite, sans les freins et les contrôles qui en temps normal nous maintiennent dans le droit chemin, on fait – quelquefois sans même s’en apercevoir – des choses qui ont eu des conséquences monstrueuses.

      Il faut toujours être prudent avant de juger. Je ne sais pas comment j’aurais réagi dans ce contexte. J’aimerais croire que mes convictions sont suffisamment profondes pour me garder sur le droit chemin alors même que les cadres « normaux » se seraient effondrés. Mais comme je n’en suis pas totalement sur… je jette un regard bienveillant sur les errements des autres. Notez d’ailleurs que De Gaulle lui-même, pourtant convaincu de la nécessité d’imposer un « roman national » très orienté pour permettre la réconciliation et la reconstruction après 1945, n’était pas dupe. Dans ses mémoires de guerre, il évite de mettre en doute les intentions ou le patriotisme des personnalités de Vichy. Lorsqu’il les met en cause, c’est plutôt pour leur reprocher leur aveuglement, leur asservissement à des intérêts particuliers, leur manque de courage. Pour De Gaulle, les fonctionnaires de Vichy sont des patriotes égarés, et non des traîtres volontaires.

      [Cependant, mon propos n’était pas de savoir qui, parmi les Vichystes, était moralement condamnable et selon quels critères; mais plutôt de souligner qu’à la différence de ce que vous recommandez pour d’autres grandes "questions historiques" (au hasard, les "crimes de l’URSS"…), vous recourrez à des catégories morales assez tranchées, pour ne pas dire manichéennes (cf. type bien vs. ignoble), plutôt qu’à celles de "Real Politik" que vous affectionnez pourtant quand il s’agit de "justifier" le Pacte Germano-Soviétique ou Katyn.]

      Je note bien les guillemets sur le mot « justifier ». Car je ne « justifie » rien, tout au plus j’essaye d’expliquer. La « justification » au sens moral du terme n’est pas mon propos. Maintenant sur le fond : je ne vois pas où j’aurais eu recours à des catégories « morales » pour parler de Vichy. J’ai au contraire l’impression d’avoir toujours utilisé les catégories de la « Realpolitik » que ce soit pour examiner l’histoire de Vichy ou celle de l’URSS.

      J’ai l’impression que vous confondez deux choses : la « justification » morale et la « justification » politique. Lorsqu’un policier fait usage de son arme pour arrêter un assassin, son acte est objectivement le même que celui d’un criminel faisant usage de son arme pour voler une banque. Tous deux tombent sous le coup de l’injonction biblique « tu ne tueras point ». Mais il y a un élément subjectif qui fait que les deux actes n’ont pas à être jugés politiquement de la même manière. Si moralement nous désapprouvons le geste du policier autant que le geste du criminel, nous considérons que le premier est « justifiable » sous certaines conditions – parce qu’il sert un objectif d’intérêt public – et que l’autre ne l’est pas.

      La Realpolitik n’empêche pas de prendre parti. Mais cette prise de parti n’est pas morale, elle est politique. Je ne pense pas que le Pacte germano-soviétique soit un « bien », mais je pense qu’il était politiquement nécessaire. A l’inverse, je pense que l’armistice de 1940 était nuisible. Je « justifie » donc le premier, et pas le second. Mais cela n’a rien à voir avec une position « morale ».

      [C’est en revanche, à sa manière assez tapageuse, ce que fait Zemmour quand il explique que l’existence de Vichy a été plutôt bénéfique pour les juifs français et a permis qu’en définitive le plus grand nombre soient sauvés.]

      Si c’est ce que dit Zemmour – je n’ai pas encore lu son livre, et je ne peux donc pas me prononcer – alors il ne fait qu’énoncer à mon sens un fait historique. Vichy a empêché la « polonisation » de la France, et on peut constater que dans tous les pays occupés la déportation des juifs locaux a été bien plus radicale là où l’administration était directement exercée par les nazis que là où une administration nationale s’est maintenue. Ce fut le cas au Danemark, ce fut le cas en Hongrie, ce fut le cas en France. Si beaucoup d’historiens – et pas des plus sérieux – refusent cette interprétation, c’est moins parce qu’ils contestent les faits que parce qu’ils ont peur de la conclusion « morale » qui peut en être tirée, à savoir, une « justification » morale de Vichy.

      [Une question assez controversée pour dire le moins mais qui aurait pu vous servir de point d’entrée pour donner "votre" bilan de la période, puisque le débat public s’est ensuite étendu à l’ensemble du sujet sur le thème: "faut-il réévaluer, voire réhabiliter Vichy". Il semble néanmoins que je doive m’armer de patience…]

      Je le pense… mais comme le sujet m’intéresse, je vous promets d’y revenir. Je qu’il faut non pas « réhabiliter Vichy » mais permettre aux historiens de faire un véritable travail sur la période des années 1930 et 1940 – car l’histoire de Vichy ne commence pas le 10 juin 1940 – sans craindre les foudres médiatiques et académiques. Ce travail me paraît quasiment impossible aujourd’hui, tant le « récit » de Vichy est instrumentalisé par les uns et les autres. Entre les partisans du « roman national » construit en 1945 pour permettre la reconstruction du pays et qui enterre la question, le « roman anti-national » des révisionnistes qui utilisent les crimes réels et supposés de Vichy pour alimenter la haine de soi, les revendications mémorielles de telle ou telle catégorie qui écrit le récit de la période dans une optique victimiste, difficile de s’en sortir. Une véritable histoire de Vichy toucherait trop d’intérêts pour pouvoir être écrite aujourd’hui. J’ajoute que ce rapport à l’histoire est lui-même partie de notre histoire. Deux siècles ont passé, et on n’a toujours pas une lecture "consensuelle" de la Révolution française. Alors, Vichy…

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Réellement, vous pensez que tous les français partageraient ainsi une "psyché collective", déterminée par un passé que quasiment aucun d’entre eux n’auraient vécu personnellement ?]

      Ce n’est pas Vichy qui « détermine la psyché collective ». La plupart des français n’ont pas vécu cette période, et ceux qui l’ont vécu gardent un souvenir qui n’a souvent que peu de rapport avec la réalité. Ce qui détermine notre psyché, ce n’est pas le Vichy réel, mais sa représentation. La France moderne est issue du traumatisme de la défaite de 1940. C’est pourquoi le roman de cette défaite et de ce qu’on en a fait a une fonction politique fondamentale.

      [Ne serait-ce pas là une vision quelque peu "identitaire", voire carrément "nationaliste", en ce qu’elle ferait du peuple français une sorte de tout organique, au point qu’il en viendrait même à posséder une véritable "psyché collective"?]

      Ce n’est pas ainsi que j’ai compris le commentaire d’ODP. Je ne crois pas qu’il ait voulu parler d’une « psyché collective », mais du fait que la mémoire – ou ce qui lui tient lieu – de Vichy façonne la psyché de chacun d’entre nous. Qu’on adhère au « roman national » gaullien ou au révisionnisme sauce Patton, en passant par le négationnisme, la théorie de « l’épée et du bouclier » et autres, on se définit toujours politiquement par rapport à ce traumatisme fondamental qu’est la défaite de 1940.

    • odp dit :

      @ dsk

      Je n’aurai que très peu de choses à ajouter à ce qu’a dit Descartes. Le monde et les représentations dans lesquels nous vivons sont pour l’essentiel issus du "traumatisme" de la seconde guerre mondiale, de la Shoah et de Vichy. Ainsi, pour nombre de nos compatriotes, la France est, comme l’a dit Daniel Cordier, "morte" en 1940. A cause de la défaite bien sûr ; mais surtout à cause de la collaboration, notamment dans la déportation des juifs.

      La tentative gaulliste pour transcender cette "blessure" (infamie de Vichy mais grandeur de la "vraie" France, bernée par un vieillard glorieux) a échoué, probablement parce qu’elle était fondée sur trop d’invraisemblances et de contradictions, laissant la place à la vulgate actuelle: infamie de Vichy, domination écrasante des Maréchalistes au sein de la population française donc infamie de la France. C’est "Le chagrin et la pitié" et, il faut le dire, assez imparable.

      Zemmour a donc probablement raison en estimant qu’il n’y aura pas de "renaissance" française sans "réévaluation" de Vichy. Et il s’attaque à ce qui fait le plus mal: la déportation des juifs. A voir si cela est possible; tant sur le plan de la vérité historique que de son acceptation par le public…

    • odp dit :

      @ Descartes

      Nous sommes d’accord en tous points.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Ainsi, pour nombre de nos compatriotes, la France est, comme l’a dit Daniel Cordier, "morte" en 1940. A cause de la défaite bien sûr ; mais surtout à cause de la collaboration, notamment dans la déportation des juifs.]

      Je pense que vous surestimez très fortement l’importance de la déportation des juifs. Même si celle-ci n’a rien d’un « détail » – contrairement à ce qu’a dit en son temps un politicien français bien connu – il faut se garder de faire de la Shoah l’événement historique qui aurait déterminé la politique de la seconde moitié du XXème siècle. En 1940, les français ont pris conscience du fait qu’ils ne pouvaient pas vivre dans leur petite sous-préfecture en faisant comme si le monde extérieur n’existait pas, et que cet environnement familier, ces institutions qui semblaient inamovibles étaient en réalité fragiles. Ce traumatisme-là est bien plus puissant, bien plus déterminant que la déportation des juifs. La Shoah n’est – Hélas ! – ni le premier, ni le dernier génocide de l’histoire.

      [La tentative gaulliste pour transcender cette "blessure" (infamie de Vichy mais grandeur de la "vraie" France, bernée par un vieillard glorieux) a échoué, probablement parce qu’elle était fondée sur trop d’invraisemblances et de contradictions, laissant la place à la vulgate actuelle: infamie de Vichy, domination écrasante des Maréchalistes au sein de la population française donc infamie de la France. C’est "Le chagrin et la pitié" et, il faut le dire, assez imparable.]

      Pourquoi « échoué » ? Je ne partage nullement votre analyse. La « tentative gaulliste » a réussi, en ce sens qu’elle a permis la réconciliation d’un pays après une guerre civile et, avec des hauts et des bas, une prise de conscience qui a conduit à un renforcement de l’Etat et des institutions, à une reconstruction de notre appareil économique et industriel, à une véritable explosion de l’innovation. On ne peut pas considérer ce programme comme un « échec » simplement parce qu’il n’a pas duré éternellement. Rien n’est jamais acquis à l’homme…

      La « tentative gaulliste » n’a pas « échoué ». Ce dont vous parlez relève d’un autre phénomène, qu’Alain-Gérard Slama a très bien expliqué dans « Le siècle de monsieur Pétain ». Depuis des siècles, la France oscille entre un « surmoi » qui la conduit vers la grandeur, et un « moi » qui la conduit au contraire à s’isoler dans son petit bonheur local. Pour des raisons d’exposition évidente, notre histoire a « filtré » ce mouvement de balancier, ne retenant que les moments de « grandeur ». Richelieu, Louis XIV, Napoléon restent dans les mémoires, alors que Louis XVIII ou Louis Philippe sont oubliés. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase « petite France », ou chacun est obsédé par son bonheur, le succès de ses enfants, le paysage qu’il voit de sa maison, la qualité de la bouffe qu’il achète dans son supermarché. Et ou tout le monde s’en fout de la présence de la France dans le monde, des infrastructures, des institutions, de l’aménagement du territoire.

      Mais notre « surmoi » est là, qui veille. Qui nous reproche notre « petitesse ». Pour lui répondre, le plus simple est de proclamer que la « grandeur » d’antan n’était au mieux qu’une illusion, au pire un mensonge. Tous les mouvements « révisionnistes » qui insistent sur « l’infamie de la France » – que ce soit sur Vichy, sur la colonisation, sur l’esclavage, sur les droits des femmes, sur le traitement réservé aux ratons laveurs – a cette fonction simple : nous laver du sentiment de culpabilité de ne pas être à la hauteur de nos prédécesseurs…

      [Zemmour a donc probablement raison en estimant qu’il n’y aura pas de "renaissance" française sans "réévaluation" de Vichy. Et il s’attaque à ce qui fait le plus mal: la déportation des juifs. A voir si cela est possible; tant sur le plan de la vérité historique que de son acceptation par le public…]

      Si c’est ce que dit Zemmour, alors je ne peux être d’accord avec lui. Non que je conteste l’utilité du travail des historiens sur Vichy, travail qui ne peut conduire qu’à nuancer un certain nombre de positions. Mais il ne faut pas confondre le travail de l’historien et celui du politique. Le « roman national » n’est pas un travail d’historien, c’est une fiction nécessaire. Il n’est pas conforme aux faits, mais il sélectionne – et déforme si nécessaire – les faits pour transmettre un message, pour offrir aux jeunes générations des exemples et des valeurs. Et personnellement je préfère que notre société propose comme exemples et comme valeurs ceux du volontarisme et de la « grandeur » gaullienne plutôt que ceux de la « petite France ». Et cela suppose de laisser Vichy là où il est.

      Pour ceux qui n’auraient pas compris ma théorie des « fictions nécessaires », j’insiste sur un point essentiel : une fiction n’est pas un mensonge. Un mensonge est une information que celui qui exprime sait fausse mais qu’il présente à celui qui la reçoit comme vraie. Une fiction est une information que tant celui qui l’exprime comme celui qui la reçoit savent fausse, mais dont le consensus social est de faire « comme si » elle était vraie. Nous avons tous intérêt à fonder notre société sur des valeurs solides, et l’esprit humain est ainsi fait qu’il a besoin d’incarner ces valeurs dans des hommes qui servent d’exemple et de paradigme. Nous avons donc intérêt à ce que De Gaulle incarne les valeurs de volontarisme, d’unité et de grandeur et soit porté au pinacle, pendant que Pétain incarne la démission, la petitesse, le schisme et est voué aux gémonies. Et cela indépendamment de ce que De Gaulle ou Pétain aient été en réalité. Il ne faut pas confondre le champ du politique avec celui de l’historien

    • dsk dit :

      @ odp

      ["Ainsi, pour nombre de nos compatriotes, la France est, comme l’a dit Daniel Cordier, "morte" en 1940. A cause de la défaite bien sûr ; mais surtout à cause de la collaboration, notamment dans la déportation des juifs."]

      Peut-être. Mais je vous prie de croire que personnellement, je suis bien français, et que je me contrefous de l’occupation, j’allais dire, "comme de l’an 40". Je ne me sens aucune espèce de solidarité avec mes compatriotes de l’époque, qu’ils aient été des héros ou des salauds. Je pense, du reste, que la lâcheté ou l’héroïsme sont, par définition, des qualités purement individuelles, qui ne sont pas comprises dans le lien national, qui n’est constitué que de faits sociaux, tels que la langue, la culture ou les institutions en général.

      ["La tentative gaulliste pour transcender cette "blessure" (infamie de Vichy mais grandeur de la "vraie" France, bernée par un vieillard glorieux) a échoué, probablement parce qu’elle était fondée sur trop d’invraisemblances et de contradictions, laissant la place à la vulgate actuelle: infamie de Vichy, domination écrasante des Maréchalistes au sein de la population française donc infamie de la France."]

      Eh bien, admettons que la France de Vichy ait été "infâme". En quoi cela concernerait-il les français d’aujourd’hui ? Il me semble que c’est là une grande contradiction des accusateurs de Vichy : pour que les français de 2014 se sentent responsables de ceux de 1940, il est nécessaire d’aller fort loin dans le concept de nation. Or, n’est-ce pas un tel concept que, généralement, ils diabolisent ?

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Peut-être. Mais je vous prie de croire que personnellement, je suis bien français, et que je me contrefous de l’occupation, j’allais dire, "comme de l’an 40". Je ne me sens aucune espèce de solidarité avec mes compatriotes de l’époque, qu’ils aient été des héros ou des salauds.]

      Je ne le crois pas un instant. Le lien national existe dans l’espace, entre vous et ce marseillais ou ce bordelais que vous ne connaissez pas mais que vous êtes prêt à aider inconditionnellement parce qu’il est un autre vous-même. Ce même lien existe dans le temps. Ces gens qui sont partis sur les routes devant l’avance de l’armée allemande, ces résistants qui se sont opposés à l’occupant dans l’ombre, ces « français libres » qui ont œuvré à Londres, ce sont des « autres vous-même ». Ce sont des gens avec qui vous partagez des références communes, dont les fantasmes, les peurs, les plaisirs ressemblent aux vôtres. Vous pouvez lire les comptes rendus des séances de la Chambre en 1940 et elles sonnent familières parce que c’étaient des gens comme vous.

      [Je pense, du reste, que la lâcheté ou l’héroïsme sont, par définition, des qualités purement individuelles, qui ne sont pas comprises dans le lien national, qui n’est constitué que de faits sociaux, tels que la langue, la culture ou les institutions en général.]

      Bien entendu. Il n’y a pas de « nations courageuses » et des « nations lâches ». Le courage ou la lâcheté sont des qualités essentiellement individuelles. Cependant, si vous considérez dans le lien national les « instituions », vous ne pouvez alors pas prétendre n’avoir aucun lien avec les événements de 1940. Parce que nos instituions portent la marque indélébile de cette époque.

      [Eh bien, admettons que la France de Vichy ait été "infâme". En quoi cela concernerait-il les français d’aujourd’hui ?]

      En ce que Vichy n’est pas tombé du ciel. Vichy, ce n’est pas la faute d’un homme isolé, c’est un fait collectif. Et les mécanismes qui ont fait que le peuple français – en dehors d’une petite minorité – a réagi à la défaite en confiant son destin à un homme providentiel qui lui promettait de préserver sa « petite France » en sacrifiant si besoin la « grande », ces mécanismes sont toujours vivants dans notre corps social. Connaître Vichy est essentiel pour expliquer comment et pourquoi les élites politiques françaises ont cultivé leur propre impuissance en se jetant à corps perdu dans la construction européenne. Mitterrand est incompréhensible sans Vichy.

    • odp dit :

      @ Descartes

      Je vois que nous avons finalement le débat sur Vichy auquel j’aspirais. De manière certes un peu détournée mais qui s’attaque néanmoins aux "points durs".

      Précisons tout d’abord que je n’adhère pas du tout à votre théorie, en effet très gaullienne, de la "grande France" et de la "petite France", l’une tournée vers la conquête et l’autre repliée sur elle-même ; ni même que Vichy incarne l’archétype de la moins avantageuse de ces deux alternatives. Je ne pense pas par exemple que l’on puisse dire que Darnand, Doriot, ou Pucheu soient de "petits" personnages.

      Cette dichotomie, que l’on croirait tout droit sortie d’un essai de BHL, me paraît en effet être une manière un peu facile de s’octroyer le beau rôle (j’imagine que vous vous rangez du côté de ceux qui forment la "grande France") et le plus sûr moyen de se payer de mots (cf. Mélenchon, qui lui est tellement "grand" qu’il ne passe plus les portes mais est inexistant dans le débat public). Mettre la médiocrité hors la loi n’est pas un programme politique ; pas plus que la "moraline" le meilleur outil pour se pencher sur l’histoire. Par ailleurs, si c’est de la modération dont vous voulez faire le procès, il faudrait dans ce cas jeter dans les poubelles de l’histoire Saint-Louis, Louis XI et Henri IV pour mettre au Panthéon le Duc de Guise, Charles X ou le général Salan. Sans compter tous les "grands" (Louis XIV, Napoléon) dont l’héritage n’est peut-être pas lien avec le déclin de la puissance relative de notre pays depuis la fin du XVIIème siècle.

      Pour revenir à Vichy, l’une des conséquences de la doctrine gaulliste (crime impardonnable de Vichy mais innocence de la France, sauvée par une poignée de FFL: "des bretons, quelques juifs et des aristocrates") a été, une fois le brouillard trop évident de la propagande dissipé (qui peut croire à "Paris libéré par lui-même" ou à la "prépondérance" du débarquement de Provence sur celui de Normandie?), la criminalisation de la France elle-même, puisqu’en effet l’essentiel du pays fut, au moins jusqu’en 1942, et peut-être jusqu’en 1944, maréchaliste. D’une certaine façon, l’intransigeance gaulliste à l’égard de Vichy fut (et reste) le meilleur outil des tenants du "roman antinational", français et étrangers, jamais lassés de fustiger la "lâcheté" et "l’abjection" du peuple français.

      Quant à moi, loin de moi l’idée de montrer Vichy en "exemple", mais il est clair que la "légende noire" (que les gaullistes et, sauf votre respect, les communistes, ont, pour des fins partisanes, très largement contribué à constituer) est non seulement contraire à la réalité historique mais qui plus est délétère. Contraire à la réalité historique, car qui peut soutenir que signer l’armistice fut "contraire à l’honneur" comme on l’entend si souvent alors que la France moderne s’est érigée sur les ruines de Waterloo, la IIIème République sur celle de Sedan et l’Allemagne Hitlérienne malgré le traité de Versailles. Comment ne pas voir non plus que la théorie du "double jeu" a comporté plus qu’une part de réalité. Weygand, Juin, Delattre et tant d’autres moins connus pensaient à la revanche et avaient pour modèle von Scharnhorst, qui fut l’artisan de la "renaissance prussienne" après Iéna, et von Seekt, qui fut celui de fit de la Wehrmacht après Versailles. Enfin, pourquoi passer sous silence le fait que Vichy fut à l’origine de la création de nombreux mouvements de résistance au sein et en dehors de l’armée et en "protégea" longtemps d’autres, dont le plus connu fut Combat, d’Henri Frenay?

      Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire succéder une légende rose à une légende noire mais de reconnaître que, pendant de nombreux mois, l’action de Vichy fut très éloignée de la caricature qui en fut faite et qui est aujourd’hui reprise pour argent comptant. Certes, dès la fin de 1941, les tensions entre les mouvements résistants et les autorité Vichystes se radicalisent et, après l’assassinat de Darlan et la condamnation à mort de Pucheu, les ponts sont coupés. Il n’empêche, on peut, au cours des 18 premiers mois du régime de Vichy, parler sans trop exagérer de symbiose entre les autorités et certains mouvements de résistance. On peut également soutenir, en tout cas à mon humble avis, et à l’encontre, là encore, de la vulgate, que, sans de Gaulle, la place de France n’aurait pas été différente dans le règlement du conflit, Darlan jouant tout simplement le rôle de celui-ci comme chef de la France combattante aux côtés des alliés. Après tout, l’essentiel des forces qui combattirent, après le débarquement de Novembre 1942, aux côtés des anglo-américain en Afrique, en Italie, puis sur le sol de France était constitué de l’Armée d’Afrique du Nord patiemment mise sur pied par Weygand.

      En tout état de cause, il y a, me semble-t-il, très largement matière à une forme de "réévaluation" du rôle de Vichy, qui peut commencer par introduire un peu de complexité dans une lecture particulièrement manichéenne de la période et par respecter la vérité historique sur les ambivalences de ses dirigeants. Sans cela, ce passé "ne passera jamais" et aura scellé, comme l’a dit Cordier, la "mort" de la France.

    • odp dit :

      @ dsk

      Il me paraît très singulier et, si j’ose dire bien peu conforme au "génie national", de se sentir à la fois "bien français" et complètement "hors-sol". Ce qui fait que l’on se sent appartenir à une culture donnée, c’est parce que l’on partage une histoire, une vision du monde, des références communes; qu’elles soient "héritées" ou "intériorisées". Sinon, vous êtes plutôt un "citoyen du monde".

      Or, dans toute culture, l’histoire, la mémoire ou le mythe des origines joue bien évidement un rôle clé; car c’est un miroir qui est tendu à chacun d’entre-nous. Ainsi, comment se sentir français sans François 1er, Henri IV et Louis XIV, sans la Révolution, Napoléon, Verdun, Vichy et Mai 68? Tout ceci vit encore, et très largement, dans le débat public et les représentations que les gens se font d’eux-mêmes et de leur compatriotes. Comme l’a dit Descartes, sans "roman national", pas de Nation. Et quiconque regarde le "roman national" français ne peut éviter ou ignorer Vichy.

      PS: Et assimiler lâcheté et collaboration est un non-sens total. Les combattants de la LVF ou les membres de la milice furent tout sauf des lâches.

    • Descartes dit :

      @ odp

      Précisons tout d’abord que je n’adhère pas du tout à votre théorie, en effet très gaullienne, de la "grande France" et de la "petite France", l’une tournée vers la conquête et l’autre repliée sur elle-même ; ni même que Vichy incarne l’archétype de la moins avantageuse de ces deux alternatives. Je ne pense pas par exemple que l’on puisse dire que Darnand, Doriot, ou Pucheu soient de "petits" personnages.]

      J’ai l’impression que vous n’avez pas compris ce que recouvre l’idée de « grande France » et « petite France », et surtout le fait que ces dénominations ne couvrent nullement une hiérarchie. Chacun a le droit de choisir, de penser que la « vérité » de la France se trouve dans son « terroir ». Ou de penser qu’elle se trouve dans notre tradition universaliste. On peut-être fier de n’avoir jamais quitté son village, comme on peut être fier d’avoir porté la parole de la France à l’étranger. En fait, l’appelation de « petite France » est proposée par l’historien Crémieux-Brilhac, qui constate combien d’institutions locales dans la France de la IIIème République portaient l’adjectif « petit ». C’est flagrant pour les journaux : « le Petit Parisien », « le Petit Provençal » étaient des titres bien connus – plus près de nous, notez le « petit journal » de Canal Plus – mais cela existe dans d’autres domaines. Combien d’écrivains de l’époque ont insisté sur la formule « petite patrie » pour l’opposer à la « grande »…

      J’attire votre attention aussi sur la confusion que vous faites entre Vichy et la collaboration. Doriot n’était nullement représentant de la « petite France », au contraire : son parti avait une dimension « européenne » et lui-même est allé combattre sur le Front de l’Est. Est-ce un hasard s’il fut en même temps un ennemi acharné de Vichy ?

      [Cette dichotomie, que l’on croirait tout droit sortie d’un essai de BHL,]

      Vous m’insultez, et à travers moi des historiens sérieux comme Slama ou Crémieux-Brilhac, chez qui j’ai trouvé sous différentes formes cette dichotomie.

      [me paraît en effet être une manière un peu facile de s’octroyer le beau rôle (j’imagine que vous vous rangez du côté de ceux qui forment la "grande France")]

      Je ne comprends pas très bien pourquoi la « grande France » serait « le beau rôle ». Comme je l’ai dit plus haut, on a parfaitement le droit d’être du côté de Giono ou Mistral plutôt que de Victor Hugo ou Aragon. La « petite France » n’a pas produit que du mauvais, et la « grande France » n’a pas fait que du bon. Après, tout est question de goût. Mais dans une situation de crise comme celle de 1940, la « petite France » ne pouvait que fournir une réponse conservatrice, réactionnaire et isolationniste.

      Encore une fois, la « dichotomie » que vous me reprochez ne vise pas à distribuer des bons ou de mauvais points, mais à donner des éléments de compréhension. La « petite France » et la « grande France » sont deux pôles, et la France historique est le produit de l’interaction dialectique des deux. La France universaliste n’existe pas sans la France des sous-préfectures.

      [et le plus sûr moyen de se payer de mots (cf. Mélenchon, qui lui est tellement "grand" qu’il ne passe plus les portes mais est inexistant dans le débat public).]

      Encore une fois, dans ce contexte les termes « grande » et « petite » n’établissent pas une hiérarchie. Je veux bien qu’on ait changé les noms des départements qui contenaient les mots « bas » ou « inférieur » pour faire plaisir aux gens, mais faut pas exagérer. Les habitants de la « Seine-inférieure » n’étaient pas moins intelligents que ne le sont ceux de la « Seine-maritime ».

      [Par ailleurs, si c’est de la modération dont vous voulez faire le procès, il faudrait dans ce cas jeter dans les poubelles de l’histoire Saint-Louis, Louis XI et Henri IV pour mettre au Panthéon le Duc de Guise, Charles X ou le général Salan. Sans compter tous les "grands" (Louis XIV, Napoléon) dont l’héritage n’est peut-être pas lien avec le déclin de la puissance relative de notre pays depuis la fin du XVIIème siècle.]

      Je ne crois pas avoir fait le procès de la « modération ». Cela étant dit, il ne faudrait pas confondre modération et médiocrité. En tout cas, je vois mal ce qui vous permet de dire que Saint Louis (deux croisades à son actif), Louis XI (le premier des rois centralisateurs) aient été des « modérés ».

      Quant à votre dernière remarque, elle est si délicieusement « petite France », que je la savoure comme elle le mérite. Jamais comme sous Napoléon la France n’a été aussi influente. Combien de pays européens gardent encore aujourd’hui un droit fondé sur le Code Civil grâce à lui ? Même chose pour Louis XIV : combien de rois européens ont construit leurs palais au XVIII en copiant Versailles ? Je crois que vous confondez « puissance » et « richesse », alors que pour moi « puissance » est synonyme « d’influence ». Napoléon et Louis XIV ont certainement fait beaucoup de mal au trésor français, mais ils ont étendu l’influence française sur les arts, sur le droit, sur la politique. De Gaulle a puisé lui aussi profondément dans la poche des français pour doter la France d’infrastructures modernes et d’une force de dissuasion. C’est d’ailleurs pour cela que les classes moyennes, qui avaient envie de plus consommer et de moins payer, l’ont viré.

      [Pour revenir à Vichy, l’une des conséquences de la doctrine gaulliste (crime impardonnable de Vichy mais innocence de la France, sauvée par une poignée de FFL: "des bretons, quelques juifs et des aristocrates") a été, une fois le brouillard trop évident de la propagande dissipé (qui peut croire à "Paris libéré par lui-même" ou à la "prépondérance" du débarquement de Provence sur celui de Normandie?), la criminalisation de la France elle-même, puisqu’en effet l’essentiel du pays fut, au moins jusqu’en 1942, et peut-être jusqu’en 1944, maréchaliste.]

      Qui peut croire à « Paris libéré par lui-même » ? Mais tout le monde, mon cher… il suffit que la volonté de croire soit là. Votre commentaire renferme un paradoxe : si je vous comprends bien, les gens qui ont vécu l’événement – ceux qui étaient vivants en 1944 – ont pu croire sans difficulté au récit gaullien, mais les générations suivantes, c’est-à-dire celles qui ne l’ont pas vécu, n’arriveraient pas à le croire. En d’autres termes, la « propagande » arriverait à persuader les voyants que le jour est nuit, mais pas les aveugles…

      Je pense que vous faites erreur. Le « roman national » est une convention. Il est cru non pas parce qu’il est vraisemblable, mais parce qu’il existe un consensus sur l’utilité d’y croire. Des générations de français ont « cru » qu’une bergère analphabète et qui entendait des voix a pu diriger une armée et buter les anglais hors de France. Ce qui est nettement plus incroyable que l’idée de Paris « libéré par elle-même ». Si l’on ne croit plus au « roman » gaullien, ce n’est pas parce qu’il est invraisemblable – il ne l’est pas plus aujourd’hui qu’hier – mais parce qu’il n’existe plus de consensus sur l’utilité d’y croire. Les couches sociales qui font l’opinion n’ont pas intérêt aujourd’hui à porter un « roman » qui prêche les vertus du sacrifice, de la frugalité, de l’investissement plutôt que de la consommation, de l’exigence et du mérite plutôt que de la facilité et du copinage. Un « roman » qui est radicalement incompatible avec la vision « victimiste » qui arrange ces couches sociales-là. C’est pourquoi il faut le détruire.

      [D’une certaine façon, l’intransigeance gaulliste à l’égard de Vichy fut (et reste) le meilleur outil des tenants du "roman antinational", français et étrangers, jamais lassés de fustiger la "lâcheté" et "l’abjection" du peuple français.]

      Comme disait l’un des mes maîtres, en politique on n’est jamais récompensé pour se frapper la poitrine. Croire que les tenants du « roman antinational » seraient plus gentils sans l’intransigeance gaulliste, c’est se bercer de douces illusions. Ce « roman antinational » – je retiens le terme – a un objectif. Il est là pour justifier les comportements et les intérêts d’une classe sociale.

      [Quant à moi, loin de moi l’idée de montrer Vichy en "exemple", mais il est clair que la "légende noire" (que les gaullistes et, sauf votre respect, les communistes, ont, pour des fins partisanes, très largement contribué à constituer) est non seulement contraire à la réalité historique mais qui plus est délétère.]

      Qu’elle soit, du moins en partie, contraire à la réalité historique, je vous l’accorde. D’autant plus volontiers que cette opinion était partagée par la plupart de ses créateurs. C’est une « fiction nécessaire », pas une vérité historique.

      [Contraire à la réalité historique, car qui peut soutenir que signer l’armistice fut "contraire à l’honneur" comme on l’entend si souvent alors que la France moderne s’est érigée sur les ruines de Waterloo, la IIIème République sur celle de Sedan et l’Allemagne Hitlérienne malgré le traité de Versailles.]

      Là, vous avez tort. L’honneur commande de continuer le combat aussi longtemps qu’il est possible d’infliger des dommages à l’ennemi. Le fondement de l’armistice conclu par Vichy était que le combat était devenu « inutile ». Beaucoup d’hommes politiques soutenaient au contraire que la France comptait sur un empire immense, et qu’on aurait pu continuer le combat à partir de cet empire. C’est donc un peu rapide d’affirmer que l’armistice de 1940 était « conforme à l’honneur »…

      [Comment ne pas voir non plus que la théorie du "double jeu" a comporté plus qu’une part de réalité. Weygand, Juin, Delattre et tant d’autres moins connus pensaient à la revanche et avaient pour modèle von Scharnhorst, qui fut l’artisan de la "renaissance prussienne" après Iéna, et von Seekt, qui fut celui de fit de la Wehrmacht après Versailles.]

      Là, vous falsifiez le discours gaullien. A ma connaissance, De Gaulle n’a jamais nié que certaines personnalités de Vichy aient « pensé à la revanche ». Par contre, prétendre qu’il y eut un « double jeu » de Vichy en tant que régime est une falsification de l’histoire. De plus, penser c’est une chose et agir en est une autre. De Gaulle lui-même a dénoncé d’ailleurs l’illusion de ceux qui pensaient qu’on pouvait en 1940 et devant les nazis, penser à une « revanche » dans les mêmes termes qu’après 1914 ou 1870.

      [Enfin, pourquoi passer sous silence le fait que Vichy fut à l’origine de la création de nombreux mouvements de résistance au sein et en dehors de l’armée et en "protégea" longtemps d’autres, dont le plus connu fut Combat, d’Henri Frenay?]

      Parce que c’est faux. Encore une fois, vous confondez les actes de « Vichy » avec les initiatives personnelles de tel ou tel haut fonctionnaire. En tant que régime constitué, Vichy ne protégea aucun mouvement de résistance, et ne fut à l’origine de la moindre création.

      [Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire succéder une légende rose à une légende noire…]

      Bien entendu. Il s’agit plutôt de créer deux légendes noires. Au fond, de dire que Vichy et la France Libre n’étaient pas finalement si différents… et que ce n’étaient que deux variations de cet horrible esprit français qu’il s’agit d’éradiquer pour permettre l’avènement de la société « inclusive » et « ouverte » bref, américaine.

      [mais de reconnaître que, pendant de nombreux mois, l’action de Vichy fut très éloignée de la caricature qui en fut faite et qui est aujourd’hui reprise pour argent comptant. Certes, dès la fin de 1941, les tensions entre les mouvements résistants et les autorité Vichystes se radicalisent et, après l’assassinat de Darlan et la condamnation à mort de Pucheu, les ponts sont coupés. Il n’empêche, on peut, au cours des 18 premiers mois du régime de Vichy, parler sans trop exagérer de symbiose entre les autorités et certains mouvements de résistance.]

      Non, on ne peut pas. Vous avez raison de souligner que la réalité historique ne correspond pas à la « caricature » qui en est faite. En particulier, il faut comprendre que Vichy vit s’affronter plusieurs lignes : celles des militaires qui analysaient la situation de 1940 avec les lunettes de 1914 et 1870 et qui voyaient dans la défaite un chapitre de plus de la longue histoire pendulaire des conflits franco-allemands, celle des réactionnaires qui voyaient l’opportunité de prendre leur revanche sur la République laïque, celle des technocrates qui voyaient une opportunité unique de moderniser la France sans avoir le Parlement sur le dos, celle des bourgeois terrorisés par le souvenir du Front Populaire… et tout ce monde tournant et intrigant autour d’un vieillard cacochyme. Comprendre comment se sont tissés les liens, comment se sont construit les politiques dans ce contexte nécessite, en effet, de sortir de la « caricature ». Mais de là à dire qu’il y eut, même pendant les premiers 18 mois, « symbiose » entre les autorités et les mouvements de résistance… c’est falsifier les faits. Non, il n’y eut aucune « symbiose » et fort peu de « résistance », d’ailleurs, pendant cette période.

      [On peut également soutenir, en tout cas à mon humble avis, et à l’encontre, là encore, de la vulgate, que, sans de Gaulle, la place de France n’aurait pas été différente dans le règlement du conflit, Darlan jouant tout simplement le rôle de celui-ci comme chef de la France combattante aux côtés des alliés.]

      C’est toujours difficile de faire de la politique fiction. Cela étant dit, je ne partage nullement votre interprétation. Avec Darlan ou Giraud, la France aurait été probablement été placée sous administration américaine. Le programme du CNR aurait été mis aux oubliettes et on aurait probablement eu à la Libération un régime respectueux des « hiérarchies naturelles », autoritaire et paternaliste. On voit mal Darlan écrivant le droit de grève dans la constitution, ou prenant des ministres communistes dans son gouvernement.

      [Après tout, l’essentiel des forces qui combattirent, après le débarquement de Novembre 1942, aux côtés des anglo-américain en Afrique, en Italie, puis sur le sol de France était constitué de l’Armée d’Afrique du Nord patiemment mise sur pied par Weygand.]

      Oui, mais la force militaire, ce n’est pas tout. De Gaulle a joué très habilement des désaccords entre les alliés, il a pu aussi arriver à un accord avec les communistes qui lui assurait la paix intérieure. Croyez-vous que Darlan serait arrivé au même résultat ? Il n’est pas évident qu’avec Darlan on ne se serait pas payé une guerre civile comme en Grèce.

      [En tout état de cause, il y a, me semble-t-il, très largement matière à une forme de "réévaluation" du rôle de Vichy, qui peut commencer par introduire un peu de complexité dans une lecture particulièrement manichéenne de la période et par respecter la vérité historique sur les ambivalences de ses dirigeants. Sans cela, ce passé "ne passera jamais" et aura scellé, comme l’a dit Cordier, la "mort" de la France.]

      Encore une fois, parlez-vous d’histoire, ou de « roman national » ? Les historiens se sont lancés depuis bien longtemps dans une « réévaluation du rôle de Vichy », et on ne compte plus les livres sérieux – je ne parle pas des pseudo-historiens à thèse genre Patton – qui abordent le sujet. S’il s’agit de « roman national », alors je suis bien plus réservé.

    • @ odp & Descartes,

      Débat passionnant, merci à vous.

      Juste une remarque: Patton n’est pas un général américain de la Seconde Guerre Mondiale? Ce ne serait pas plutôt Paxton l’historien (américain aussi je crois)?

    • dsk dit :

      @ Decartes

      ["Le lien national existe dans l’espace, entre vous et ce marseillais ou ce bordelais que vous ne connaissez pas mais que vous êtes prêt à aider inconditionnellement parce qu’il est un autre vous-même."]

      Si je suis prêt à aider inconditionnellement ce marseillais ou ce bordelais, je ne crois pas que ce serait parce que je verrais en lui un autre moi-même, car pour peu que j’apprenne à bien le connaître, je verrais sans doute aussi en ce russe, ce chinois ou ce zoulou un autre moi-même. Je pense plutôt qu’un tel lien de solidarité ne procède que d’une pure communauté d’intérêts. C’est d’ailleurs ce qui explique, à mon avis, que dans une situation où les classes populaires sont abandonnées à leur sort par les trop fameuses "classes moyennes", il se produise ce double mouvement paradoxal qui veut que, d’un côté, elles donnent des prénoms d’acteurs anglo-saxons à leurs enfants, s’habillent en "Nike", aillent chez "KFC", écoutent du "rap", se convertissent à l’islam etc., tandis que de l’autre, elles votent de plus en plus FN. C’est que, voyant leurs intérêts mal défendus par la nation, elles ne se sentent nullement "patriotes". En revanche, dès lors que le FN se propose, quant à lui, de les défendre, alors elles ne demandent qu’à le devenir. Accessoirement, c’est la raison pour laquelle, selon moi, les discours "patriotes souverainistes" à la Chevènement ou Dupont-Aignan ne passent pas auprès de cet électorat.

      ["Ce même lien existe dans le temps. Ces gens qui sont partis sur les routes devant l’avance de l’armée allemande, ces résistants qui se sont opposés à l’occupant dans l’ombre, ces « français libres » qui ont œuvré à Londres, ce sont des « autres vous-même ». Ce sont des gens avec qui vous partagez des références communes, dont les fantasmes, les peurs, les plaisirs ressemblent aux vôtres."]

      Sans doute. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un me ressemble que cela justifie que je l’aide inconditionnellement. Ce qui le justifie, c’est ce lien, de même nature que celui de la famille ou du clan, qui unit les membres d’une même nation. A partir de là, que puis-je donc bien faire pour aider mes ancêtres de 1940, dont la plupart ne sont plus de ce monde ? Peut-être prendre leur défense, me faire leur avocat. Mais pas plus qu’un avocat, leur éventuelle condamnation ne me touchera personnellement. Du reste, en tant qu’avocat, je commencerais par plaider la nullité de la procédure, en vertu de la prescription.

      ["Cependant, si vous considérez dans le lien national les « instituions », vous ne pouvez alors pas prétendre n’avoir aucun lien avec les événements de 1940. Parce que nos instituions portent la marque indélébile de cette époque."]

      Pourquoi indélébile ? Si quelque chose ne va pas et serait affreusement "pétainiste", alors parlons-en, et changeons-le, tout simplement.

      ["En ce que Vichy n’est pas tombé du ciel. Vichy, ce n’est pas la faute d’un homme isolé, c’est un fait collectif. Et les mécanismes qui ont fait que le peuple français – en dehors d’une petite minorité – a réagi à la défaite en confiant son destin à un homme providentiel qui lui promettait de préserver sa « petite France » en sacrifiant si besoin la « grande », ces mécanismes sont toujours vivants dans notre corps social. Connaître Vichy est essentiel pour expliquer comment et pourquoi les élites politiques françaises ont cultivé leur propre impuissance en se jetant à corps perdu dans la construction européenne. Mitterrand est incompréhensible sans Vichy."]

      Fort bien. Mais quels sont ces "mécanismes" ? Connaître Vichy explique quoi, exactement ? La constatation de l’existence d’une "petite France" et d’une "grande France" me paraît très juste. Mais pourquoi une telle dialectique ? Personnellement, j’aurais tendance à associer la "petite France" à la bourgeoisie, essentiellement préoccupée de la gestion de ses intérêts patrimoniaux, tandis que la "grande France" serait celle de l’Ancien régime, dont De Gaulle était sans doute un représentant tardif. Autrement dit, je dirais que pour moi, Mitterrand est avant tout incompréhensible sans 1789. Sinon, pour revenir à notre sujet, je suis évidemment d’accord pour dire que la connaissance de 1940 – comme de toute l’histoire de France en général d’ailleurs – est nécessaire à la compréhension de la France d’aujourd’hui. Mais nous sommes loin ici de la question d’une transmission de la culpabilité. Que Vichy ait été infâme ou sublime, les français d’aujourd’hui seraient tout autant concernés.

    • dsk dit :

      @ odp

      ["Il me paraît très singulier et, si j’ose dire bien peu conforme au "génie national", de se sentir à la fois "bien français" et complètement "hors-sol". Ce qui fait que l’on se sent appartenir à une culture donnée, c’est parce que l’on partage une histoire, une vision du monde, des références communes; qu’elles soient "héritées" ou "intériorisées"."]

      Bien entendu. Mais ce n’est pas cela que je conteste. Je réagissais au caractère "chaud" et "central" que revêtait, selon vous, cette polémique au sujet de Vichy. Pour moi, tout cela appartient désormais à l’histoire. Or, l’histoire est une matière que l’on se doit d’aborder, précisément, de manière froide. Et lorsque je dis que je me "contrefous" de l’occupation, il ne s’agit évidemment que d’une hyperbole. Je veux simplement dire par là que je m’y intéresse tout autant qu’au second empire ou à la troisième république.

      ["Comme l’a dit Descartes, sans "roman national", pas de Nation."]

      J’avoue que je n’en suis pas persuadé. Cela voudrait dire qu’une vision lucide et objective de l’histoire de France interdirait de se sentir français ? Je dirais que ce n’est pas parce qu’un beau jour, on ne croit plus au Père Noël, qu’on cesse d’appartenir à sa famille.

      ["Et quiconque regarde le "roman national" français ne peut éviter ou ignorer Vichy."]

      Certes. Mais je ne vois pas en quoi ce serait plus "central" que Napoléon et sa défaite à Waterloo, ou même que Vercingétorix et sa défaite à Alésia… A moins que que ce ne soit justement cela, votre fameuse "psyché collective" des français : une mentalité de perpétuels "losers";-)

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Juste une remarque: Patton n’est pas un général américain de la Seconde Guerre Mondiale? Ce ne serait pas plutôt Paxton l’historien (américain aussi je crois)?]

      Je suis honteux. Tu as tout à fait raison, il s’agit bien de l’historie Robert Paxton, et non du général George Patton. Voilà ce qui arrive quand on écrit un peu trop vite…

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Si je suis prêt à aider inconditionnellement ce marseillais ou ce bordelais, je ne crois pas que ce serait parce que je verrais en lui un autre moi-même, car pour peu que j’apprenne à bien le connaître, je verrais sans doute aussi en ce russe, ce chinois ou ce zoulou un autre moi-même.]

      Possible. Mais justement, vous êtes prêt à aider inconditionnellement le marseillais ou le bordelais SANS LES CONNAITRE. C’est là, pour moi, que réside l’essence du sentiment national. Dans une « communauté de destin » qui nous pousse à une solidarité inconditionnelle avec des gens que nous ne connaissons pas, et que nous ne connaîtrons vraisemblablement jamais. Bien entendu, nous sommes capables de solidarité envers les gens des autres nations. Mais cette solidarité n’est pas inconditionnelle, elle résulte de sympathies personnelles qui nécessitent au contraire une connaissance individuelle de l’autre.

      [Je pense plutôt qu’un tel lien de solidarité ne procède que d’une pure communauté d’intérêts.]

      Bien entendu. Je reste dans une perspective matérialiste. La nation – comme toutes les collectivités politiques – résulte en dernière instance d’un intérêt commun. L’expression « communauté de destin » ne dit pas autre chose. Elle peut être résumée par « on flotte ensemble ou on coule ensemble »… Mais pour transformer un intérêt commun en sentiment national, il faut une alchimie très complexe de symboles et de mémoires qui « naturalise » cet intérêt commun, au point qu’il devient presque invisible.

      [C’est d’ailleurs ce qui explique, à mon avis, que dans une situation où les classes populaires sont abandonnées à leur sort par les trop fameuses "classes moyennes", il se produise ce double mouvement paradoxal qui veut que, d’un côté, elles donnent des prénoms d’acteurs anglo-saxons à leurs enfants, s’habillent en "Nike", aillent chez "KFC", écoutent du "rap", se convertissent à l’islam etc., tandis que de l’autre, elles votent de plus en plus FN.]

      Ce n’est pas si contradictoire que ça. Le modèle américain est profondément « national ». Dans les pubs « nike » le drapeau américain n’est jamais très loin, et les gobelets de KFC portent les « stars and stripes ». La filmographie américaine déverse sur nous des navets ou l’on voit des américains sauver le monde, ou les martiens n’arrivent sur terre que pour détruire le Capitole. L’appropriation de ces symboles nous fait rentrer dans une communauté idéalisée censée offrir cette « solidarité inconditionnelle » que la nation, la notre, n’offre plus. Et il ne manque pas parmi nos élites des gens qui mettent en avance leur « américanité ».

      Bien entendu, tout cela ne marche que sur le plan symbolique. Rares sont les ouvriers français qui partent tenter leur chance aux Etats-Unis, et les noirs français qui adoptent la dégaine « à l’américaine » se gardent bien d’aller vivre les charmes de la société « multiculturelle » mais oh combien raciste outre-Atlantique. Même les plus fervents « rappeurs » émargent à la sécurité sociale.

      [C’est que, voyant leurs intérêts mal défendus par la nation, elles ne se sentent nullement "patriotes". En revanche, dès lors que le FN se propose, quant à lui, de les défendre, alors elles ne demandent qu’à le devenir. Accessoirement, c’est la raison pour laquelle, selon moi, les discours "patriotes souverainistes" à la Chevènement ou Dupont-Aignan ne passent pas auprès de cet électorat.]

      Je ne partage pas totalement cette vision. D’abord, les couches populaires ont toujours été plus « patriotes » que les élites, et cela alors que les institutions défendait plus attentivement les intérêts des dernières que des premières. On l’a vu au cours des deux guerres mondiales, comme dans la formule restée célèbre « pour celui qui n’a rien, la Patrie est son seul bien ». C’est d’ailleurs pourquoi les partis « populaires » sont généralement patriotes : l’exemple le plus notable est celui du PCF, « section française de l’Internationale communiste » dans les années 1920 son influence était confidentielle. C’est avec la transformation progressive de son discours et la reprise de thèmes « nationaux » à la fin des années 1930 et dans la Résistance qu’il devient un parti de masse. C’est là je crois un point fondamental : il y a deux communautés qui nous assurent une solidarité inconditionnelle : la nation et la famille. On peut se permettre de se fâcher avec sa famille, de même qu’on peut se permettre d’être internationaliste et citoyen du monde, lorsqu’on possède un capital matériel et immatériel suffisant pour ne pas avoir besoin de la solidarité inconditionnelle d’un groupe. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si les partis « populaires » défendent ensemble la famille et la nation.

      Le FN ne fait que suivre la voie du PCF naguère : pour conquérir l’électorat populaire, il insiste sur les deux collectivités qui nous assurent, quelque soit notre condition et quelque soit notre comportement, un certain niveau de protection. Il ne faut pas s’étonner que cela marche.

      ["Ce même lien existe dans le temps. Ces gens qui sont partis sur les routes devant l’avance de l’armée allemande, ces résistants qui se sont opposés à l’occupant dans l’ombre, ces « français libres » qui ont œuvré à Londres, ce sont des « autres vous-même ». Ce sont des gens avec qui vous partagez des références communes, dont les fantasmes, les peurs, les plaisirs ressemblent aux vôtres."][Sans doute. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un me ressemble que cela justifie que je l’aide inconditionnellement.]

      Bien sur que non. Ce n’est pas tant la « ressemblance » que j’avais en tête, mais les références partagées. On peut soutenir qu’il est plus facile de partager des références avec quelqu’un qui nous ressemble, mais à l’inverse on peut partager des références avec des gens très différents. Un Alsacien « ressemble » plus à un Allemand ou un Suisse qu’à un marseillais ou à un basque, et pourtant…

      [Ce qui le justifie, c’est ce lien, de même nature que celui de la famille ou du clan, qui unit les membres d’une même nation.]

      Oui, mais avec une différence importante : le lien familial ou clanique implique des ancêtres communs. Le passage du clan à la nation correspond à la transformation de ces liens réels en liens symboliques. La fonction du roman national est de fournir des « ancêtres symboliques » qui permettent de constituer symboliquement ce type de lien. Votre remarque est intéressante parce qu’elle démontre un point que vous refusiez dans vos précédents écrits, à savoir, que le « roman national » est indispensable à la constitution de la nation. Car si le lien national est de « même nature » que le lien familial, comment le concevoir sans ancêtres communs ? Et comment fournir de tels « ancêtres » sans un récit des origines nécessairement fictif ?

      [A partir de là, que puis-je donc bien faire pour aider mes ancêtres de 1940, dont la plupart ne sont plus de ce monde ? Peut-être prendre leur défense, me faire leur avocat. Mais pas plus qu’un avocat, leur éventuelle condamnation ne me touchera personnellement. Du reste, en tant qu’avocat, je commencerais par plaider la nullité de la procédure, en vertu de la prescription.]

      Ce que vous pouvez faire pour « aider vos ancêtres » ? D’abord, maintenir leur souvenir. Ensuite, les honorer. Et enfin, les continuer. Vous me direz que ces actes de solidarité intergénérationnelle avec des générations disparues n’a pas d’effet réel sur le récipiendaire. Mais justement, nous ne sommes pas sur le plan du réel mais sur le plan du symbolique. Nous continuons à placer des bustes de Socrate dans nos bâtiments publics deux millénaires après sa mort. On peut se demander d’ailleurs si cette solidarité n’a pas un caractère sacrificiel, mais c’est une autre question.

      ["Cependant, si vous considérez dans le lien national les « instituions », vous ne pouvez alors pas prétendre n’avoir aucun lien avec les événements de 1940. Parce que nos instituions portent la marque indélébile de cette époque."][Pourquoi indélébile ? Si quelque chose ne va pas et serait affreusement "pétainiste", alors parlons-en, et changeons-le, tout simplement.]

      Mais même si nous la changions, le changement se ferait en référence à l’état antérieur. La constitution de 1946 ne peut être comprise si l’on ne se réfère pas à Vichy, pas plus que la constitution de 1958 n’est compréhensible si on oublie ce qu’était la IVème République. La marque du passé est indélébile : notre code civil porte encore la marque de la loi romaine. Seule la disparition de notre « branche » humaine pourrait faire disparaître cela.

      [Fort bien. Mais quels sont ces "mécanismes" ? Connaître Vichy explique quoi, exactement ?]

      « Expliquer » n’est peut-être pas le mot juste. Je dirais plutôt qu’étudier Vichy – qui n’est qu’un exemple parmi d’autres, même s’il s’agit d’un exemple « limite » et donc particulièrement intéressant – permet de voir à l’œuvre un certain nombre de mécaniques toujours à l’œuvre dans la société française : celle de la « haine de soi » et de ses effets, la tendance au repli d’une partie de la société sur leur « petit » monde, la détestation de la modernité, le rôle de l’Etat comme ciment de la société française.

      [La constatation de l’existence d’une "petite France" et d’une "grande France" me paraît très juste. Mais pourquoi une telle dialectique ? Personnellement, j’aurais tendance à associer la "petite France" à la bourgeoisie, essentiellement préoccupée de la gestion de ses intérêts patrimoniaux, tandis que la "grande France" serait celle de l’Ancien régime, dont De Gaulle était sans doute un représentant tardif.]

      Oui… et non. On parle ici de lignes de fracture qui traversent toutes les classes. Il y a une bourgeoisie « régionale » qui se désintéresse de tout ce qui se passe en dehors de son petit monde, mais il y a aussi une bourgeoisie « cosmopolite », dont les intérêts se confondent avec la « grandeur » de la France et sa place dans le monde. Pensez à la construction du canal de Suez, aux ouvrages d’Eiffel au Portugal ou en Amérique…

      La « petite » France n’est pas une question de classe. Et surtout pas une opposition entre une « bourgeoisie » occupé à défendre ses petits intérêts contre une aristocratie occupée à cultiver la « grandeur ». La « petite » France, c’est une partie de chacun d’entre nous. Même mongénéral, pourtant une icône de la « grande » France, avait en lui une partie qui était résolument « petite » lorsqu’il parlait avec tendresse de nos régions ou de nos fromages. Nous sommes, nous français, des Dr Jekill et des Mr Hyde.

      [Autrement dit, je dirais que pour moi, Mitterrand est avant tout incompréhensible sans 1789.]

      Aussi. Mais Vichy, c’est aussi la continuité de 1789, la lutte entre jacobins et girondins – qui était l’expression de la lutte entre la « petite » et la « grande » France à l’époque – entre conservateurs et républicains, entre l’Eglise et l’Etat.

      [Sinon, pour revenir à notre sujet, je suis évidemment d’accord pour dire que la connaissance de 1940 – comme de toute l’histoire de France en général d’ailleurs – est nécessaire à la compréhension de la France d’aujourd’hui. Mais nous sommes loin ici de la question d’une transmission de la culpabilité. Que Vichy ait été infâme ou sublime, les français d’aujourd’hui seraient tout autant concernés.]

      Bien entendu. Je ne crois jamais avoir défendu une idée de « transfert de culpabilité ». L’idée même de « culpabilité » me paraît totalement hors du champ du travail de l’historien, puisqu’elle implique une vision morale incompatible avec un travail scientifique. Par contre, l’idée d’un Vichy « infâme » à laquelle la France s’est opposé par une résistance « sublime » fait partie de notre « roman national », et il est important qu’elle y reste. Précisément pour empêcher que soit utilisé contre nous l’arme de la culpabilité.

    • Descartes dit :

      @ dsk

      ["Comme l’a dit Descartes, sans "roman national", pas de Nation."][J’avoue que je n’en suis pas persuadé. Cela voudrait dire qu’une vision lucide et objective de l’histoire de France interdirait de se sentir français ? Je dirais que ce n’est pas parce qu’un beau jour, on ne croit plus au Père Noël, qu’on cesse d’appartenir à sa famille.]

      Non, mais lorsqu’on apprend que son père a été directeur d’un camp de concentration, que sa mère n’est en fait qu’une tante et que votre vraie mère était une prostituée cocaïnomane qui vous a abandonné, cela donne tout de même un coup. Difficile ensuite de partager la joie du repas de noël en famille…

      Les experts qui travaillent sur la question de l’adoption montrent combien le "roman familial" est nécessaire, et combien les enfants, lorsque la famille n’en propose pas un, s’inventent un tel roman pour se donner une continuité et une place dans le cercle familial. Le "roman national" relève du même fonctionnement. Nous avons besoin de croire – même si ce n’est pas factuellement vrai – que nos parents sont des gens très bien. Et cela s’applique à notre pays aussi.

    • v2s dit :

      @Descartes @dsk
      Sur le débat sur Vichy :
      Merci aux protagonistes, le débat est très intéressant et il n’est pas clos.
      Par contre, Descartes, votre position sur « le roman national » et la « fiction nécessaire » est peu convaincante.
      Parce que si on vous suit, la fin justifie les moyens. Pourquoi s’embarrasser à rechercher les faits historiques puisque la fiction fait le bonheur de tout le monde ?
      Votre théorie de la « fiction nécessaire » peut ainsi servir à justifier n’importe quelle propagande.
      N’importe quel peuple, n’importe quel groupe peut ainsi réécrire l’histoire. Les communistes peuvent nier les crimes de Staline, les Israéliens peuvent se dire agressés dans leur guerre contre les Palestiniens, les Ukrainiens peuvent se convaincre que le gaz qu’ils ont volé pendant 30 ans dans les pipes russes leur appartenait … j’arrête là, on pourrait continuer comme ça à l’infini.
      A quoi servirait-il de chercher à comprendre la complexité de la réalité historique s’il suffisait de s’en tenir à la version qui nous arrange ?

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Par contre, Descartes, votre position sur « le roman national » et la « fiction nécessaire » est peu convaincante.]

      Disons plutôt qu’elle ne vous convainc pas. Vous n’êtes pas le juge universel de ce qui est « convaincant » et ce qui ne l’est pas. D’autres lecteurs sur ce blog semblent au contraire trouver cette argumentation très convaincante…

      [Parce que si on vous suit, la fin justifie les moyens. Pourquoi s’embarrasser à rechercher les faits historiques puisque la fiction fait le bonheur de tout le monde ?]

      Parce que le but poursuivi n’est pas le même. De tout temps il y a eu à côté des travaux historiques des romans historiques. Et personne ne trouve cela contradictoire. Le travail de l’historien a pour but de comprendre le passé, le travail du « roman national » de fournir un récit dans lequel les citoyens puissent se reconnaître et qui serve de substrat symbolique à l’unité de la collectivité nationale. Même si le roman national « fait le bonheur de tout le monde », il ne peut remplacer le travail de l’historien, et vice-versa.

      [Votre théorie de la « fiction nécessaire » peut ainsi servir à justifier n’importe quelle propagande.]

      Non, justement. L’idée de « propagande » implique nécessairement une assymétrie entre le propagandiste – qui propage un message auquel il ne croit pas – et le public, qui est censé, lui, de croire au message. La « fiction nécessaire » est au contraire un consensus. On croit tous en quelque chose parce que nous sommes tous d’accord que cette croyance est utile. Toute « fiction » n’est pas « nécessaire ». Si elle le devient, c’est qu’il y a quelque chose d’autre que la simple « propagande ».

      [N’importe quel peuple, n’importe quel groupe peut ainsi réécrire l’histoire.]

      Croyez moi, personne n’a attendu votre autorisation ou la mienne pour le faire. Ce qui tendrait à prouver que les « fictions nécessaires » existent bien, que nous le voulions ou pas. Encore une fois, mes idées sur les « fictions nécessaires » ne sont pas prescriptives. Je ne dis pas que les « fictions nécessaires » sont « bien » ou « mal », qu’il faut les stimuler ou encore les combattre. Ce que je dis, c’est qu’elles existent, que nous le voulions ou pas.

      [Les communistes peuvent nier les crimes de Staline, les Israéliens peuvent se dire agressés dans leur guerre contre les Palestiniens, les Ukrainiens peuvent se convaincre que le gaz qu’ils ont volé pendant 30 ans dans les pipes russes leur appartenait … j’arrête là, on pourrait continuer comme ça à l’infini.]

      Oui… par exemple, en disant que les capitalistes peuvent nier les crimes de la « guerre froide » ou de la colonisation… mais je trouve le choix des exemples que vous avez choisi – et ceux que vous avez gardé sous silence – assez révélateur…

      Encore une fois, vos exemples montrent bien qu’il existe des « fictions nécessaires ». Vous apportez de l’eau à mon moulin…

      [A quoi servirait-il de chercher à comprendre la complexité de la réalité historique s’il suffisait de s’en tenir à la version qui nous arrange ?]

      Encore une fois, cela dépend du but poursuivi. Si vous voulez comprendre la réalité historique, il vous faut un historien. Mais si vous voulez un fondement symbolique qui empêche les gens de s’entretuer dans la rue, il vaut mieux « s’en tenir à la version qui nous arrange »…

      Vous semblez croire naïvement que toute vérité est bonne à dire, et qu’une société fondée sur la vérité fonctionne mieux qu’une société fondée sur des « fictions ». Ce n’est pas le cas.

    • @ v2s,

      "N’importe quel peuple, n’importe quel groupe peut ainsi réécrire l’histoire."
      Mais… C’est précisément ce qui se passe, mon cher. Que fait une historienne comme Suzanne Citron, la papesse de la "déconstruction" du "roman national"? Elle ne travaille pas en réalité pour la "vérité historique", elle cherche en fait à diffuser une conception de l’histoire nationale (plutôt antinationale d’ailleurs) qui, ô surprise, épouse parfaitement le discours européiste, régionaliste ou libéral-libertaire, hostile aux nations. Quel hasard…

      Les historiens de la Cité nationale de l’immigration, qui nous expliquent que la France "doit tout aux immigrés" qui auraient construits à eux seuls ce pays (on se demande ce que foutaient les autres, les natifs…), ne procèdent pas autrement: ils réécrivent une histoire qui convient aux canons de l’immigrationnisme et de l’antiracisme ambiants, et qui conforte au passage les assoc’ qui prétendent représenter les "communautés" issues de l’immigration.

    • v2s dit :

      [mais je trouve le choix des exemples que vous avez choisi – et ceux que vous avez gardé sous silence – assez révélateur…]
      C’est pas sympa de sous entendre que mes exemples seraient partiaux. En choisissant (à contre courant de la bien paissance européiste) de rappeler que les Ukrainiens préfèrent faire semblant d’ignorer qu’ils ont volé pendant 30 ans du gaz aux Russes, qu’ils ont exercé sur les Russes un chantage au passage sur leurs terres, jusqu’à ce que Russes et Allemands aient terminé le contournement par le gazoduc de La Baltique, j’avais l’impression au contraire de choisir des exemples équilibrés.
      Mais revenons au romans nationaux.
      Je crois que les « romans nationaux », les « fictions utiles » sont à la fois le fruit et le terreau fertile du nationalisme et des guerres.
      Si on décide collectivement de déformer, d’occulter, d’embellir ou d’édulcorer les faits historiques admis par la communauté des historiens, alors, chaque peuple, chaque nation, chaque groupe peut se choisir une histoire qui lui convient, qu’il estime « utile » pour lui même. Une histoire fictive dans laquelle ce peuple ou ce groupe humain se donnera, ça va de soi, le beau rôle.
      Lorsque vous nous expliquez que cette fiction est [ … une information ( ? ) que tant celui qui l’exprime comme celui qui la reçoit savent fausse, mais dont le consensus social est de faire « comme si » elle était vraie] vous oubliez simplement que la nation ou la collectivité qui se choisit ce roman le fait au détriment d’autre collectivités, d’autres nations, d’autres groupes qui par le principe des vases communicants se retrouvent, eux, avec le mauvais rôle.
      Les guerres interminables, les réconciliations impossibles s’appuient largement sur ces « fictions utiles ».
      Nous en avons un excellent exemple avec « notre » guerre d’Algérie. Pour certains ce n’est qu’une capitulation, un lâche abandon d’une partie du territoire national, mais pour le FLN, c’est une magnifique guerre de libération gagnée, qui justifiait bien tous les moyens mis en œuvre.
      Nous pourrions en dire autant de la guerre Israélo-palestinienne, ou de n’importe quel conflit ou les belligérants prétendent puiser leur légitimité dans l’histoire.
      Le « magnifique » roman national de DAESH ou d’Al-Kaida, qui place le combat de ces Sunnites fanatiques au centre du rétablissement du grand Kalifa perdu, en est une illustration de plus.
      Non, les romans nationaux sont une insulte à la raison, une insulte au travail scientifique des historiens et une entrave à la résolution des conflits par la diplomatie.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [C’est pas sympa de sous entendre que mes exemples seraient partiaux.]

      Oh pardon… le fait qu’aucun d’eux ne concerne un dirigeant d’un régime capitaliste ou d’une puissance occidentale ne serait donc du qu’au hasard ? Pourtant, la réécriture de l’histoire de la guerre de Vietnam ou de la prison de Guantanamo par les américains, par exemple, aurait fourni un exemple très parlant…

      [Je crois que les « romans nationaux », les « fictions utiles » sont à la fois le fruit et le terreau fertile du nationalisme et des guerres.]

      Les « romans nationaux » et les « fictions nécessaires » (je ne sais pas ce que vous appelez « fictions utiles », ce n’est certainement pas une formule que j’aurais utilisée) sont certainement des terreaux fertiles. Et dans les terreaux fertiles peuvent pousser les plus belles fleurs comme les pires mauvaises herbes. Mais faut-il préférer aux terreaux fertiles les terres arides sous prétexte que les mauvaises herbes n’y poussent pas ? Je ne le pense pas.

      [Si on décide collectivement de déformer, d’occulter, d’embellir ou d’édulcorer les faits historiques admis par la communauté des historiens, alors, chaque peuple, chaque nation, chaque groupe peut se choisir une histoire qui lui convient, qu’il estime « utile » pour lui même. Une histoire fictive dans laquelle ce peuple ou ce groupe humain se donnera, ça va de soi, le beau rôle.]

      Mais cela arrive tout le temps, et c’est inévitable Que ce soit dans notre famille, dans notre travail, dans notre pays, nous vivons entourés de fictions, de récits, de « falsifications » consensuelles que nous choisissons de croire. Avez-vous demandé un test ADN pour vérifier que celui que vous tenez pour votre père biologique l’est vraiment ? Bien sur que non : vous préférez croire ce qu’on vous a raconté sans la moindre investigation ni recherche. Et vous n’êtes pas le seul, loin de là. Pourtant, si je suis votre raisonnement, il faudrait faire ce test systématiquement. Comment admettre que chaque famille « réécrive l’histoire » à sa convenance ?

      [Lorsque vous nous expliquez que cette fiction est [ … une information ( ? ) que tant celui qui l’exprime comme celui qui la reçoit savent fausse, mais dont le consensus social est de faire « comme si » elle était vraie] vous oubliez simplement que la nation ou la collectivité qui se choisit ce roman le fait au détriment d’autre collectivités, d’autres nations, d’autres groupes qui par le principe des vases communicants se retrouvent, eux, avec le mauvais rôle.]

      Pas grave : ces collectivités, ces nations, ces groupes inventent elles mêmes des « romans » qui leur donnent le bon rôle, au détriment du premier. Comme ça, chacun est content. Un peu comme ces enfants qui sont persuadés que leur maman est la plus belle du monde. Une telle croyance se fait « au détriment » des mamans des autres, qui sont du coup plus moches… Pensez-vous qu’il faut expliquer aux enfants que leur maman n’est pas « la plus belle, la plus gentille » ou tout autre superlatif, que finalement elle n’est qu’assez moyenne ?

      [Les guerres interminables, les réconciliations impossibles s’appuient largement sur ces « fictions utiles ».]

      Je trouve très révélateur que vous ayez transformé mes « fictions NECESSAIRES » en « fictions UTILES »… Mais une « fiction nécessaire » ne peut jamais être à l’origine d’une « guerre interminable » ou d’une « réconciliation impossible ». Si la fiction est « nécessaire », c’est qu’il existe une logique profonde qui la rend nécessaire. Et c’est cette logique qui peut rendre une guerre interminable, une réconciliation impossible. Pas la « fiction » qui n’est qu’une superstructure.

      [Nous en avons un excellent exemple avec « notre » guerre d’Algérie. Pour certains ce n’est qu’une capitulation, un lâche abandon d’une partie du territoire national, mais pour le FLN, c’est une magnifique guerre de libération gagnée, qui justifiait bien tous les moyens mis en œuvre.]

      Je ne vois pas ce que cet « exemple » est censé exemplifier. Pensez-vous qu’il faille que le FLN renonce au « roman national » qui fait de la guerre d’Algérie une « magnifique guerre de libération » (ce qui suppose d’occulter les divisions et les massacres entre les différentes fractions du nationalisme algérien) ? Je doute franchement qu’une telle renonciation, à supposer qu’elle fut possible, contribuerait à stabiliser la société algérienne…

      [Nous pourrions en dire autant de la guerre Israélo-palestinienne, ou de n’importe quel conflit ou les belligérants prétendent puiser leur légitimité dans l’histoire.]

      Vous voulez dire que les Palestiniens devraient renoncer au « roman » qui légitime leur revendication d’un Etat national ?

      [Non, les romans nationaux sont une insulte à la raison, une insulte au travail scientifique des historiens et une entrave à la résolution des conflits par la diplomatie.]

      Vous avez une vision bien idéaliste des conflits. Les conflits internationaux sont d’abord des conflits d’intérêts. Croyez vous vraiment qu’on peut concilier « par la diplomatie » les intérêts des Israéliens et ceux des Palestiniens, et que le seul obstacle à cette conciliation est la croyance à une histoire falsifiée ?

    • v2s dit :

      [Pourtant, la réécriture de l’histoire de la guerre de Vietnam ou de la prison de Guantanamo par les américains, par exemple, aurait fourni un exemple très parlant…]
      Parfaitement, vos exemples me conviennent très bien.
      Mon intention n’était pas de faire le catalogue exhaustif des « fictions nécessaires » porteuses de dangers, 3 livres n’y suffiraient pas.
      J’avais choisi d’évoquer la Russie et l’Ukraine parce que, dans ce cas précis, il s’agit d’un tout nouveau roman national, le « roman national » écrit par l’UE et Bruxelles.
      Ce roman de l’UE nous fabrique un Poutine diabolisé. L’UE se permet de débattre dans son parlement du non respect des droits des homosexuels dans la Russie de Poutine, mais à ma connaissance, le parlement Européen ne débat ni de Guantanamo ni des lapidations en Arabie Saoudite, ni de …
      Apres La France, c’est UE qui s’autoproclame pourfendeur de toutes les atteintes aux droits de l’Homme sur terre.
      …. « Arrogance et impuissance ».
      Avec l’Ukraine, l’UE ne veut voir que la déclaration d’amour (bien sur jouée), des Ukrainiens de l’Ouest, sans se souvenir que la Russie, depuis des décennies, fournit un gaz à bas prix et à crédit, tant à une industrie ukrainienne obsolète et énergie-vorace, qu’à un système de chauffage collectif au gaz tout autant obsolète et énergie-vorace. L’Europe, par réflexe de soumission à l’Amérique, manque peut-être une belle occasion coopérer avec La Russie, pour le plus grand intérêt des deux parties. A moins que les contribuables Européens ne soient prêts à payer la facture énergétique de l’Ukraine, Qui sait ? (second degré, je précise).
      Mais nous nous égarons, il faudrait revenir plus longuement à l’Ukraine, c’était seulement un exemple des dangers de réécrire l’histoire.

      [Je trouve très révélateur que vous ayez transformé mes « fictions NECESSAIRES » en « fictions UTILES »…]
      Croyez le ou pas, j’ai fait ce changement d’adjectif involontairement et donc sans aucune arrière pensée. Ceci étant, ça change quoi ? Si un groupe ou une nation juge NECESSAIRE de réécrire l’histoire, c’est bien parce qu’il ou elle estime que c’est UTILE, non ?

      [Pensez-vous qu’il faille que le FLN renonce au « roman national » qui fait de la guerre d’Algérie une « magnifique guerre de libération » (ce qui suppose d’occulter les divisions et les massacres entre les différentes fractions du nationalisme algérien) ? Je doute franchement qu’une telle renonciation, à supposer qu’elle fut possible, contribuerait à stabiliser la société algérienne…]
      Vous doutez, dites vous, et bien nous verrons bien. Le régime hyper corrompu de l’Algérie FLN ne sera pas éternel (si le cours mondial du pétrole brut, qui connaît un plus bas historique, continue de baisser, le régime pourrait bien ne pas y survivre).
      Si ce régime s’écroule, le « roman » sur lequel il s’appuie s’écroulera avec lui, parce que, ce qui est nécessaire (ou utile) aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Et c’est seulement si ce roman s’écroule, seulement sur l’acceptation mutuelle des faits établis par les historiens français et algériens qu’une réconciliation sera possible. Bien avant qu’il n’accède au « trône » de président, et ne sombre dans la mégalomanie maladive, Sarko avait voulu lancer une coopération des pays du tour de la méditerranée. Voila un exemple de politique constructive qui, pour aboutir, doit d’abord s’affranchir des romans nationaux belliqueux et revanchards.

      [Que ce soit dans notre famille, dans notre travail, dans notre pays, nous vivons entourés de fictions, de récits, de « falsifications » consensuelles que nous choisissons de croire. Avez-vous demandé un test ADN pour vérifier que celui que vous tenez pour votre père biologique l’est vraiment ?]
      Vous revenez avec votre exemple de la famille. Or, sauf cas extrêmement rare, comme dans le cas de la prétendue fille d’Yves Montant, dans une famille, la belle histoire qui arrange tout le monde en interne ne dérange absolument aucune tierce personne. Dans le cas d’une nation, d’un parti, les autres nations, les autres parties s’estiment salies ou gruger par la présentation déformée des faits.

      Réécrire l’histoire n’est jamais nécessaire, même si c’est utile à cours terme, la vérité finit toujours par reprendre le dessus. Les leçons de l’histoire sont trop belles pour qu’on se les fasse voler par de faux historiens au service des politiciens.

    • Descartes dit :

      @v2s

      [Pourtant, la réécriture de l’histoire de la guerre de Vietnam ou de la prison de Guantanamo par les américains, par exemple, aurait fourni un exemple très parlant…][Parfaitement, vos exemples me conviennent très bien.]

      Mais vous n’avez pas pensé à les fournir spontanément, préférant commencer votre liste par le marronnier habituel, les « crimes de Staline ». Pourquoi ?

      [Mon intention n’était pas de faire le catalogue exhaustif des « fictions nécessaires » porteuses de dangers, 3 livres n’y suffiraient pas. J’avais choisi d’évoquer la Russie et l’Ukraine parce que, dans ce cas précis, il s’agit d’un tout nouveau roman national, le « roman national » écrit par l’UE et Bruxelles.]

      Pardon, pardon : lorsque vous écrives « les communistes peuvent nier les crimes de Staline », quel est le rapport avec les « roman national » écrit par l’UE et par Bruxelles ? Allons, allons… vous avez choisi d’évoquer trois « négations » : celles des crimes de Staline, celles de l’agression israélienne, celle du vol de gaz par les ukrainiens. Dans cet ordre. Je trouve assez révélateur que vous commenciez par un exemple qui n’a aucun rapport avec un « roman national » (les « communistes » n’étant pas une nation, que je sache) et que vous ne remettiez pas en cause aucun « roman national » d’un état capitaliste développé. Avouez que c’est curieux…

      J’ajoute que vous faites une confusion entre le « roman national » et n’importe quel autre « récit de propagande ». Or, ce sont deux choses très différentes. Le « roman national » est une sorte de Genèse laïque. C’est un récit des origines, qui permet à une collectivité nationale de se retrouver comme héritière d’un ensemble de faits – réels ou supposés – et de leur interprétation. Et il retire sa force d’un consensus général pour y adhérer, alors même qu’on n’y croit pas. Pensez-vous vraiment que les enfants d’immigrés juifs d’Europe centrale qui répétaient à Paris « nos ancêtres les gaulois » croyaient VRAIMENT avoir de tels ancêtres ?

      Le « roman national » assume sa qualité de roman. Il ne vise pas à se substituer à la réalité historique, un peu comme la vérité judiciaire ne se substitue pas à la vérité tout court. Ceux qui ont conçu la leçon « nos ancêtres les gaulois » ne prétendaient pas contredire les trouvailles des archéologues et des historiens. Un « récit de propagande », au contraire, vise à passer pour réel, à se substituer à la réalité. Lorsque l’UE s’invente un ogre en Poutine, lorsque les américains affirment que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive, ils cherchent non pas une adhésion à un récit qu’on sait faux, mais à faire passer ce récit pour vrai.

      [Avec l’Ukraine, l’UE ne veut voir que la déclaration d’amour (bien sur jouée), des Ukrainiens de l’Ouest, sans se souvenir que la Russie, depuis des décennies, fournit un gaz à bas prix et à crédit, tant à une industrie ukrainienne obsolète et énergie-vorace, qu’à un système de chauffage collectif au gaz tout autant obsolète et énergie-vorace. L’Europe, par réflexe de soumission à l’Amérique, manque peut-être une belle occasion coopérer avec La Russie, pour le plus grand intérêt des deux parties.]

      Ne soyez pas naïf. L’Europe est une construction issue de la guerre froide. Sa vocation à pacifier les rapports entre les puissances européennes – la France et l’Allemagne au premier chef – doit plus à la crainte qu’une nouvelle guerre livre le continent européen à l’URSS qu’à cette « amitié et réconciliation » dont on nous rabat les oreilles. L’URSS disparue, la construction européenne est rentrée en crise de sens, et les dirigeants européens l’ont en partie résolue par une « fuite en avant » vers l’élargissement qui étend les frontières de l’Union toujours plus à l’Est. Cette « fuite en avant » a été vigoureusement encouragée par les anglo-saxons, toujours soucieux d’affaiblir la Russie, et parfaitement conscients qu’une « dilution » de l’Union Européenne recentrée vers l’Est était dans leur intérêt. Comment voulez-vous qu’une construction faite pour défendre les marches orientales de l’Empire américain puisse même concevoir une coopération équilibrée avec la Russie ?

      [Je trouve très révélateur que vous ayez transformé mes « fictions NECESSAIRES » en « fictions UTILES »…][Croyez le ou pas, j’ai fait ce changement d’adjectif involontairement et donc sans aucune arrière pensée. Ceci étant, ça change quoi ?]

      Je ne doute nullement de votre honnêteté intellectuelle. Mais je trouve toujours intéressant d’interpréter les lapsus. Si vous avez utilisé un mot pour l’autre, et non pas une mais plusieurs fois, c’est que vous comprenez mon expression différemment de moi, que vous ne voyez pas la différence entre les deux.

      [Si un groupe ou une nation juge NECESSAIRE de réécrire l’histoire, c’est bien parce qu’il ou elle estime que c’est UTILE, non ?]

      Oui, mais l’inverse n’est pas vraie : si tout ce qui est nécessaire est à priori utile, tout ce qui est utile n’est pas forcément nécessaire… L’expression « fiction nécessaire » marque bien le fait qu’il existe une « nécessité », en d’autres termes, que la collectivité qui soutient la fiction en question le fait parce que sa survie – au plan symbolique, s’entend – en dépend, et non simplement parce qu’elle la trouve « utile ».

      [Pensez-vous qu’il faille que le FLN renonce au « roman national » qui fait de la guerre d’Algérie une « magnifique guerre de libération » (ce qui suppose d’occulter les divisions et les massacres entre les différentes fractions du nationalisme algérien) ? Je doute franchement qu’une telle renonciation, à supposer qu’elle fut possible, contribuerait à stabiliser la société algérienne…][Vous doutez, dites vous, et bien nous verrons bien. Le régime hyper corrompu de l’Algérie FLN ne sera pas éternel (si le cours mondial du pétrole brut, qui connaît un plus bas historique, continue de baisser, le régime pourrait bien ne pas y survivre).]

      Et alors ? Croyez-vous que le « nouveau régime » pourra, lui, survivre avec pour seul récit la vérité historique ? Avez-vous UN SEUL EXEMPLE, je dis bien UN SEUL de régime qui ait fondé sa légitimité sur un récit qui soit la pure vérité historique ? Je ne crois pas qu’un seul exemple existe, et cela pour une raison simple : la vérité historique, par essence, n’a pas de « sens ». C’est « un récit plein de bruit et de fureur, racontée par un fou et qui ne signifie rien » selon la formule shakespearienne. Elle est non pas « immorale » mas « a-morale ». On ne peut déduire d’elle des valeurs civiques ou moraux pour guider une collectivité. Alors, je suis prêt à prendre le pari : si le régime « hyper corrompu » du FLN venait à tomber, le nouveau régime fabriquera rapidement un « roman national » et les « fictions nécessaires » qui vont avec.

      [Si ce régime s’écroule, le « roman » sur lequel il s’appuie s’écroulera avec lui, parce que, ce qui est nécessaire (ou utile) aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Et c’est seulement si ce roman s’écroule, seulement sur l’acceptation mutuelle des faits établis par les historiens français et algériens qu’une réconciliation sera possible.]

      Bien sur que non. Le nouveau régime fera un autre « roman national », différent de celui du régime tombé, mais qui restera aussi éloigné des « faits établis par les historiens » que l’ancien. Tout comme notre « roman national ». Je vous répète la question : connaissez-vous UN SEUL CAS de « réconciliation » fondée sur une « acceptation mutuelle des faits établis par les historiens » ? Vous aurez du mal à en trouver. Même la « réconciliation » entre la France et l’Allemagne dans les années 1960, citée par tout le monde comme un exemple, s’appuie sur une « fiction nécessaire », celle de la rupture totale entre le régime nazi et celui de la République Fédérale, en oubliant convenablement combien on a fermé les yeux sur la présence d’anciens nazis à tous les étages de l’appareil d’Etat de la RFA, y compris au poste de Chancelier.

      [Bien avant qu’il n’accède au « trône » de président, et ne sombre dans la mégalomanie maladive, Sarko avait voulu lancer une coopération des pays du tour de la méditerranée. Voila un exemple de politique constructive qui, pour aboutir, doit d’abord s’affranchir des romans nationaux belliqueux et revanchards.]

      C’est un peu ce qu’a essayé de faire l’Union européenne. Mais on s’est très vite aperçu qu’il n’est pas si simple de « s’affranchir des romans nationaux ». Ce n’est pas pour rien que j’ai parlé de « fiction nécessaire ». La seule manière que l’UE ait trouvée, c’est d’essayer de créer un « roman européen » qui puisse se substituer aux « romans nationaux ». Un « roman européen » qui n’a rien a envier aux « romans nationaux » en termes d’inventivité par rapport aux faits historiques. Si je comprends bien vos arguments, vous pensez qu’il est possible de « s’affranchir du roman national », en d’autres termes, qu’une société peut vivre et se légitimer avec la vérité, toute la vérité et rien que la vérité historique. En d’autres termes, vous ne croyez pas que la « fiction » soit « nécessaire ». Pour vous, elle n’est que « utile », d’où le lapsus plus haut.

      [Que ce soit dans notre famille, dans notre travail, dans notre pays, nous vivons entourés de fictions, de récits, de « falsifications » consensuelles que nous choisissons de croire. Avez-vous demandé un test ADN pour vérifier que celui que vous tenez pour votre père biologique l’est vraiment ?][Vous revenez avec votre exemple de la famille. Or, sauf cas extrêmement rare, comme dans le cas de la prétendue fille d’Yves Montant, dans une famille, la belle histoire qui arrange tout le monde en interne ne dérange absolument aucune tierce personne.]

      Bien sur que si. Si je ne suis pas fils de mon père, c’est que je suis fils de quelqu’un d’autre, et ce quelqu’un d’autre est privé de ses droits de paternité par la « belle histoire ». Ajoutons que le droit positif, en créant la « présomption irréfragable de paternité » a choisi de soutenir la « belle histoire » plutôt que la réalité.

      Un « roman national » ne « dérange » les tierces personnes que dans la même mesure qu’un enfant qui déclare que sa maman est la plus belle et la plus gentille du monde gêne les autres enfants, dont les mamans se trouvent ainsi dévalorisées. Et pourtant, cette croyance dans l’exceptionnalité de nos parents est une nécessité psychologique que le « roman familial » encourage. Pensez-vous qu’on devrait dire aux enfants « non, ta maman n’est pas la plus belle et la plus gentille, en fait, elle est assez moyenne » au prétexte que c’est la « vérité historique » ?

      [Dans le cas d’une nation, d’un parti, les autres nations, les autres parties s’estiment salies ou gruger par la présentation déformée des faits.]

      C’est très rare que les « autres nations » se sentent « salies ou grugées » par une présentation qui n’est pas conforme à la vérité historique. En général, lorsqu’elles se sentent « salies ou grugées », c’est parce que la présentation n’est pas conforme à leur propre « roman national ». Lorsque la présentation est conforme à celui-ci, elles se déclarent en général très satisfaites, même si cela contredit les travails des historiens. Pensez à la « fiction » de la rupture totale entre l’Allemagne fédérale et le IIIème Reich. A votre avis, quel accueil recevrait un président de la République française qui, dans une réunion internationale, se permettrait de rappeler qu’un ancien nazi fut chancelier d’Allemagne, au vu et au su de tous ? Pensez-vous que ce rappel de la « vérité historique » serait mieux accueilli qu’une adhésion stricte au « roman national » allemand ?

      [Réécrire l’histoire n’est jamais nécessaire, même si c’est utile à cours terme, la vérité finit toujours par reprendre le dessus.]

      Vous semblez encore croire qu’à la fin ce sont les gentils qui gagnent. L’histoire montre au contraire que, comme le disait Mark Twain, « la vérité est facilement contrée, et qu’un mensonge bien raconté est invincible ».

      [Les leçons de l’histoire sont trop belles pour qu’on se les fasse voler par de faux historiens au service des politiciens.]

      Bien entendu. Il ne faut pas faire croire que le « roman national » c’est de l’histoire. Les historiens ont leur fonction, et le « roman national » a la sienne.

    • v2s dit :

      Ce débat sur le roman national est, comme tout débat contradictoire, intéressant.
      Je retiens certains de vos arguments, il existe bien des cotés positifs au roman national.
      Par contre, je ne suis pas en faveur de l’infantilisation des masses. On ne peut pas tout à la fois se méfier des religions, faire confiance à la raison, à la science, à l’éducation et l’émancipation des masses et croire et faire croire aux fables que tout le monde a envie d’entendre. Pour moi les deux sont incompatibles.
      Je retiens certains de vos arguments, il existe bien une différence entre « roman national » et propagande. Mais ça n’empêche pas le roman national de souvent servir la propagande.
      Je me souviens, par exemple, j’avais à peine 19 ans et j’ai été abusé par la propagande Israélienne. Lors de la guerre des 6 jours, en 67, les médias de l’époque nous ont décris une bande bédouins, fuyant pieds nus dans le désert, en abandonnant leurs chaussures « pour courir plus vite ». En résumé, une poignée d’Arabes arriérés fuyaient devant l’élite des peuples civilisés. Et juste après, arrivait le roman national :
      « L’état d’Israël s’est construit sur un désert quasi vide, ou survivaient quelques chameaux, quelques chèvres et leurs bergers. Les nouveaux arrivants retrouvaient, eux, leur terre promise. Ils l’ont irriguée, plantée, y ont bâti des villes prospères. D’un désert vide, ils en ont fait le jardin d’Eden que leur avaient promis leurs prophètes et leur Dieu. »
      Je me souviens très bien m’être attendri sur le sort de ces valeureux Israéliens, qui avaient tellement souffert, et que des voisins arabes, jaloux de leur succès, voulaient déposséder de leur terre, durement gagnée.
      Et puis j’ai grandi, je me suis intéressé à ce qui se passait dans le monde, j’ai essayé de comprendre l’histoire d’Israël et, par réaction sans doute, par frustration de m’être fait abuser, je suis devenu profondément pro-palestinien. Et 45 ans plus tard, je me méfie toujours de tous ceux qui déforment l’histoire, même si c’est pour la bonne cause.
      La vérité n’est peut-être pas bonne à dire aux enfants (ça se discute) mais les adultes éclairées ont droit à la vérité. Mon esprit, pour le coup cartésien, ne parvient pas à faire cohabiter l’histoire et la fable.
      Mais je conçois que ça puisse ne pas poser de problèmes à d’autres.

    • odp dit :

      Il me semble que les réponses que vous apportez à mes arguments illustrent assez bien à quel point que cette théorie de la "grande" et de la "petite" France appliquée à Vichy crée plus de confusion qu’elle n’apporte de lumières.

      En effet, il me faut tout d’abord essuyer vos sarcasmes. Je ne sais pas ce qui vous fait penser que je reproche à Louis XIV et Napoléon d’avoir appauvri le Trésor ou que je suis incapable de voir ce qu’ils ont apporté au rayonnement de notre pays. Mon argumentation, pas particulièrement originale, portait sur le fait que l’hybris se solde fréquemment par des désastres et que l’épopée napoléonienne, pour glorieuse qu’elle fut, eut pour conséquence l’affaiblissement démographique, économique et politique de notre pays tout au long du 19ème siècle. La France était, à la fin du 18ème siècle, "la Chine de l’Europe" ; 100 ans plus tard, elle avait cédé la prépondérance démographique, militaire, économique et scientifique à l’Allemagne sur le continent et à l’Angleterre sur le reste du globe. Comme j’ai tendance a préférer la réalité de la grandeur à l’image de celle-ci, j’abandonnerai volontiers, si j’avais à choisir, le Code Civil et les meubles Empire pour la première place en Europe et dans le monde. Je précise par avance que je ne regrette nullement que Napoléon ait été français. Néanmoins, il n’est pas interdit de s’interroger sur son héritage.

      Ces ruminations historiques effectuées, ratiocinons sur la "grandeur". Vous pouvez vous défendre d’inférer une quelconque hiérarchie des qualificatifs de "grande" et de "petite" France, vous avez beaucoup de mal à me convaincre. Alain Finkielkraut a dit, avec beaucoup de justesse, que "se situer à l’extrême gauche, c’est le bonheur de pouvoir intimider tout le monde", je m’en inspirerai pour dire que se réclamer de la Grande France, c’est le bonheur de pouvoir toiser tout le monde. A peu de frais bien évidemment. C’est d’ailleurs, ne vous en déplaise, l’exacte posture d’un BHL ou d’un Kouchner pour justifier le mépris qu’ils portent à ceux qui ne partagent pas leur point de vue. Bref, entre les "belles âmes" et les "grandes âmes", il est difficile de ne pas voir de fortes convergences ni dans ce genre de procédé le plus sûr moyen de délégitimer ses contradicteurs. Néanmoins, afin de clore ici ce débat, je vais partir du principe qu’en effet vous ne faites pas de hiérarchie entre la grande et la petite France et que vous vous sentez appartenir à l’une comme à l’autre. La France est une et indivisible. Dans l’espace, dans le temps et entre ses classes sociales !

      Ces importantes questions de forme réglées, je ne crois malheureusement pas que cette théorie soit, sur le fond, plus heureuse pour définir ce qui fit Vichy. Pour tout dire elle me paraît bien simplificatrice, si ce n’est simpliste. Tout d’abord, parce que Vichy n’est pas un bloc. Il n’y a pas plus de solidarité entre le Vichy nationaliste et militaire de 1940 et le Vichy fasciste et collaborateur de 1944 qu’entre Montagnards et Thermidoriens au cours de la Révolution Française. D’une certaine façon, le seul élément de continuité tout au long de la période, fut l’ex-maréchal Pétain, mais celui-ci n’eut jamais réellement de politique propre et fut l’objet de constantes manipulations par les deux vrais "hommes forts" du régime : Laval et Darlan.

      Or, si Laval peut sans aucun doute être rattaché au courant "petite France" tel que vous le décrivez, c’est en tant que représentant, honni par les maréchalistes, d’une 3ème République finissante ; pas en tant que membre d’un régime auquel de toutes il n’appartint jamais autrement qu’imposé par les allemands. Quant à Darlan, comment qualifier ce marin, artisan de la construction de la plus grande flotte française depuis Louis XIV et chef d’un gouvernement de technocrates modernisateurs tels que Bichelonne, Pucheu, Lehideux, Barnaud ou Gibrat, de représentant de la France des sous-préfecture et de la bonne chère ? On peut trouver beaucoup de chose chez Darlan, mais certainement pas ce provincialisme étriqué qui est la marque de fabrique de votre "petite France". D’ailleurs, on peut dire que c’est en raison d’une forme de pêché d’orgueil, parce qu’il souhaitait que la France "reste dans l’Histoire", "joue sa carte" que Darlan s’engagea si agressivement dans la collaboration ; certainement pas pour la réduire à une collection de sous-préfectures endormies.

      Bref, pas de "petite France" chez Darlan tandis que celle qui transparaît chez Laval est un héritage de la 3ème République et certainement pas une innovation du régime. A cette aune, on voit mal comment réduire Vichy à cette "appellation" qui, sauf votre respect, me paraît relever d’une "pensée de confort" que l’on trouve rarement chez vous.

    • odp dit :

      Bonjour NJ,

      Désolé de n’avoir pas répondu plus vite mais je n’ai pas, malheureusement, la productivité de Descartes.

      Je suis ravi de vous voir intervenir dans le débat car, à vrai dire, je serai très intéressé d’avoir également votre point de vue sur ce sujet.

      A vous lire,

      OdP

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Par contre, je ne suis pas en faveur de l’infantilisation des masses. On ne peut pas tout à la fois se méfier des religions, faire confiance à la raison, à la science, à l’éducation et l’émancipation des masses et croire et faire croire aux fables que tout le monde a envie d’entendre. Pour moi les deux sont incompatibles.]

      Deux commentaires. D’abord, il faut s’entendre sur ce que veut dire « croire ». Prenons par exemple la formule « nos ancêtres les gaulois ». Est-ce que le petit juif d’origine russe du Sentier croyait vraiment que ses ancêtres étaient « gaulois » ? Bien sur que non. Si par « croire » vous entendez être convaincu que c’est vrai, alors il est évident que personne ne « croit » vraiment à l’ensemble du « roman national », tout simplement parce que certaines parties de ce roman sont logiquement impossibles. On ne « croit » pas au « roman national » comme on « croit » que Marignan eut lieu en 1515.

      Ensuite, il n’a jamais été question de « faire croire » quoi que ce soit à qui que ce soit. Cette formulation implique une asymétrie entre ceux qui « font croire » et ceux qui y croient. Mais les « fictions nécessaires » ne fonctionnent pas comme ça. Elles résultent d’un consensus social sur l’intérêt de croire à un certain nombre de choses, consensus qui est partagé par ceux qui « font croire » comme par ceux qui « y croient ».

      [Je retiens certains de vos arguments, il existe bien une différence entre « roman national » et propagande. Mais ça n’empêche pas le roman national de souvent servir la propagande.
      Je me souviens, par exemple, j’avais à peine 19 ans et j’ai été abusé par la propagande Israélienne. Lors de la guerre des 6 jours, en 67, les médias de l’époque nous ont décris une bande bédouins, fuyant pieds nus dans le désert, en abandonnant leurs chaussures « pour courir plus vite ». En résumé, une poignée d’Arabes arriérés fuyaient devant l’élite des peuples civilisés. Et juste après, arrivait le roman national :
      « L’état d’Israël s’est construit sur un désert quasi vide, ou survivaient quelques chameaux, quelques chèvres et leurs bergers. Les nouveaux arrivants retrouvaient, eux, leur terre promise. Ils l’ont irriguée, plantée, y ont bâti des villes prospères. D’un désert vide, ils en ont fait le jardin d’Eden que leur avaient promis leurs prophètes et leur Dieu. »]

      Et à 19 ans, vous avez cru ? Je veux dire VRAIMENT cru ? Cru que c’était la vérité historique, établie par les travaux sur la documentation et l’archéologie ? Mais à 19 ans, vous saviez pertinemment que ce n’était pas vrai. Un simple exercice de logique pouvait vous montrer qu’une densité de population arabe comme était celle de la Palestine n’avait pas apparue d’un jour à l’autre. Alors, si vous avez accepté ce récit, demandez vous pourquoi. Et vous réaliserez que ce n’est pas parce que quelque propagandiste extérieur vous a martelé cette idée dans la tête, mais parce que vous, en vous-même, aviez BESOIN de cette histoire. Vous aviez BESOIN d’y croire pour pouvoir vous sentir bien. C’est en cela que le « roman national » n’est pas un acte de propagande : la propagande implique un émetteur qui veut convaincre un récepteur. Le « roman national » est d’abord fondé sur la demande du récepteur.

      [La vérité n’est peut-être pas bonne à dire aux enfants (ça se discute) mais les adultes éclairées ont droit à la vérité. Mon esprit, pour le coup cartésien, ne parvient pas à faire cohabiter l’histoire et la fable.]

      Alors, faudra m’expliquer pourquoi les gens continuent à lire de la fiction, alors qu’ils ont à leur disposition des livres d’histoire… Je suis d’accord : les gens ont droit à la vérité, et c’est effectivement le cas, puisqu’ils peuvent toujours aller la chercher dans les livres d’histoire. Mais à côté du « droit à la vérité », il y a un besoin qui ne peut être satisfait que par le récit, des tensions qui ne peuvent être apaisés que par des fictions. Et il est vain de croire qu’on peut se contenter de la vérité : si vous ne fournissez pas des récits aux gens, ils se les inventeront eux-mêmes ou pire encore, iront les chercher chez d’autres, dont les intentions sont loin d’être pures… c’est pourquoi je préfère un « roman national » institutionnalisé, plutôt que la coexistence de « romans » ad hoc.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [En effet, il me faut tout d’abord essuyer vos sarcasmes.]

      Arrêtez… franchement, vous n’êtes pas très bien placé pour donner des leçons de maintien, usant vous-même du sarcasme et des remarques acides quand l’envie vous prend. Ceux qui vous lisent ici et sur d’autres blogs le savent. Alors, de grâce, évitez moi le numéro de la vierge effarouchée.

      [Je ne sais pas ce qui vous fait penser que je reproche à Louis XIV et Napoléon d’avoir appauvri le Trésor ou que je suis incapable de voir ce qu’ils ont apporté au rayonnement de notre pays.]

      Rien, absolument rien. Je ne sais pas ce qui vous fait penser que je puisse penser pareille chose. Vous faites de Louis XIV et de Napoleon les responsables putatifs de l’affaiblissement de la France, je vous réponds que si je peux voir les conséquences de la politique de l’un et de l’autre sur le trésor, je ne vois pas dans les autres domaines trace de cet affaiblissement.

      [Mon argumentation, pas particulièrement originale, portait sur le fait que l’hybris se solde fréquemment par des désastres et que l’épopée napoléonienne, pour glorieuse qu’elle fut, eut pour conséquence l’affaiblissement démographique, économique et politique de notre pays tout au long du 19ème siècle.]

      C’est une opinion, encore faudrait-il la soutenir par une analyse.

      [La France était, à la fin du 18ème siècle, "la Chine de l’Europe" ; 100 ans plus tard, elle avait cédé la prépondérance démographique, militaire, économique et scientifique à l’Allemagne sur le continent et à l’Angleterre sur le reste du globe.]

      Je ne comprends pas. Si Louis XIV a autant affaibli la France, comment est-elle arrivée à être « la chine de l’Europe » à la fin du XVIIIème siècle ?

      Finalement, vous êtes bien plus sensible à la figure du « grand homme » que moi. Au point de penser que si la France a gagné ou perdu des places au classement des nations, c’est seulement la faute ou l’œuvre du gouvernant. Il s’est passé beaucoup de choses en Europe et dans le monde entre la fin du XVIIIème et la fin du XIXème. Et toutes ne sont pas la faute de Napoléon Ier. Si la France a raté la révolution industrielle ou la conquête coloniale, ce n’est pas par la faute aux campagnes de Napoléon.

      [Comme j’ai tendance a préférer la réalité de la grandeur à l’image de celle-ci, j’abandonnerai volontiers, si j’avais à choisir, le Code Civil et les meubles Empire pour la première place en Europe et dans le monde.]

      Mais c’est quoi « la première place » ? Produire plus de smartphones ? Avoir plus de prix Nobel ? Avoir le plus haut taux d’homicides ? Tiens, je suis curieux, quel est à votre avis le pays qui occupe aujourd’hui « la première place en Europe et dans le monde » ?

      Moi, qui préfère la réalité de la grandeur à l’image qui en donnent les spécialistes de la com’, je préfère de loin le fait de vouloir être imité à celui de gagner beaucoup d’argent.

      [Ces ruminations historiques effectuées, ratiocinons sur la "grandeur". Vous pouvez vous défendre d’inférer une quelconque hiérarchie des qualificatifs de "grande" et de "petite" France, vous avez beaucoup de mal à me convaincre. Alain Finkielkraut a dit, avec beaucoup de justesse, que "se situer à l’extrême gauche, c’est le bonheur de pouvoir intimider tout le monde", je m’en inspirerai pour dire que se réclamer de la Grande France, c’est le bonheur de pouvoir toiser tout le monde.]

      Sans vouloir vous offenser, j’aurais tendance à dire que dans notre pays c’est plutôt l’inverse. Parlez des produits du terroir, des circuits courts, et vous aurez la bienveillance du public. Parlez des produits venus d’ailleurs, des circuits longs, et vous serez raillé comme partisan de la « malbouffe ». Parlez des traditions du village, et on vous adorera. Parlez de la ville cosmopolite, et on vous crachera dessus. Dans notre pays, c’est la « petite » France qui « toise » la « grande ».

      [A peu de frais bien évidemment. C’est d’ailleurs, ne vous en déplaise, l’exacte posture d’un BHL ou d’un Kouchner pour justifier le mépris qu’ils portent à ceux qui ne partagent pas leur point de vue.]

      Amalgame, quand tu nous tiens… heureusement que j’ai pris la précaution de bien expliquer qu’on n’est pas du côté de la « grande » ou de la « petite » France, mais que chacun de nous porte, en proportion variable, les deux. Vous m’inventez une expression de « mépris » pour mieux vous poser en victime et accessoirement pour identifier votre contradicteur à BHL ou Khouchner. Je trouve le procédé particulièrement désagréable. Et c’est un euphémisme

      [Néanmoins, afin de clore ici ce débat,]

      Sans vouloir vous offenser, vous n’avez pas ici le pouvoir de « clore » quelque débat que ce soit.

      [Ces importantes questions de forme réglées,]

      Ah bon ? C’est des « questions de forme » ? Eh beh…

      [je ne crois malheureusement pas que cette théorie soit, sur le fond, plus heureuse pour définir ce qui fit Vichy. Pour tout dire elle me paraît bien simplificatrice, si ce n’est simpliste. Tout d’abord, parce que Vichy n’est pas un bloc. Il n’y a pas plus de solidarité entre le Vichy nationaliste et militaire de 1940 et le Vichy fasciste et collaborateur de 1944 qu’entre Montagnards et Thermidoriens au cours de la Révolution Française.]

      Admettons qu’il y eut plusieurs Vichy. Et alors ? Le fait que le Vichy « national » de 1940 ait cédé la place au Vichy « collabo » de 1944 n’empêche pas de qualifier ces deux régimes selon le critère de proximité avec la « grande » ou la « petite » France. Et oh ! miracle, on observe qu’en fait c’est un élément de continuité entre ces deux régimes…

      [Or, si Laval peut sans aucun doute être rattaché au courant "petite France" tel que vous le décrivez, c’est en tant que représentant, honni par les maréchalistes, d’une 3ème République finissante ; pas en tant que membre d’un régime auquel de toutes il n’appartint jamais autrement qu’imposé par les allemands. Quant à Darlan, comment qualifier ce marin, artisan de la construction de la plus grande flotte française depuis Louis XIV et chef d’un gouvernement de technocrates modernisateurs tels que Bichelonne, Pucheu, Lehideux, Barnaud ou Gibrat, de représentant de la France des sous-préfecture et de la bonne chère ?]

      Vous avez tout à fait raison. Darlan et son entourage de technocrates était plus proche de la « grande » France que de la « petite », au point que certains ont pensé à lui comme une alternative possible à De Gaulle, et son assassinat reste l’un des épisodes lourds de sous-entendus de cette époque. Mais voilà : une hirondelle ne fait pas le printemps, et Vichy – sous la contrainte de l’occupant – était trop enraciné dans la « petite France », d’où il tirait sa légitimité, pour pouvoir changer. On l’a vu d’ailleurs lorsque Darlan est surpris par l’occupation américaine de l’Afrique du Nord. A ce moment-là, si le régime avait embrassé la « grande France » en confiant tous les pouvoirs à Darlan, l’histoire aurait pu être différente. Certains y ont pensé… mais le Maréchal n’a pas voulu et Darlan, Bichelonne, Pucheu, Lehideux ont été impuissants à le convaincre.

      Encore une fois, par votre analyse vous montrez que la grille de lecture « petite/grande France » rend finalement assez bien compte des oppositions au sein même de Vichy et les évolutions du régime.

      [On peut trouver beaucoup de chose chez Darlan, mais certainement pas ce provincialisme étriqué qui est la marque de fabrique de votre "petite France". D’ailleurs, on peut dire que c’est en raison d’une forme de pêché d’orgueil, parce qu’il souhaitait que la France "reste dans l’Histoire", "joue sa carte" que Darlan s’engagea si agressivement dans la collaboration ; certainement pas pour la réduire à une collection de sous-préfectures endormies.]

      J’en conviens volontiers. Mais le chef du régime n’était pas Darlan, c’était Pétain. Et puis, il y avait les contraintes de l’occupant, qui ne tenait absolument pas à voir la « grande » France resurgir et se contentaient parfaitement d’une « collection de sous préfectures endormies ».

      [Bref, pas de "petite France" chez Darlan tandis que celle qui transparaît chez Laval est un héritage de la 3ème République et certainement pas une innovation du régime. A cette aune, on voit mal comment réduire Vichy à cette "appellation" qui, sauf votre respect, me paraît relever d’une "pensée de confort" que l’on trouve rarement chez vous.]

      Je vais devoir me répéter. Qu’il y ait eu dans Vichy des personnages plus proches de la « grande » France que de la petite est un fait. Mais ces personnalités n’ont jamais réussi à infléchir le cours des choses, parce qu’en dernière instance les forces de la « petite » France au sein du régime – soutenues par l’occupant – ont été les plus fortes. On ne peut reprocher à Darlan d’avoir voulu « une France de sous-préfecture », mais l’occupant, lui, s’en contentait parfaitement. Et si Darlan était proche de la « grande » France, il a manqué de courage au moment de s’engager : s’il avait envoyé la flotte en Angleterre au lieu de la saborder bêtement, s’il avait assumé l’ensemble des pouvoirs à Alger, l’histoire aurait été très différente. Mais il ne l’a pas fait. Et dans ce sens, on peut caractériser le régime de Vichy, sous Laval comme sous Darlan, comme plutôt proche de la « petite » France.

    • odp dit :

      @ Descartes

      Je persiste à penser est cette grille de lecture est outrageusement simplificatrice et sans réel intérêt que de catéchèse. Je vous propose donc de constater nos désaccord sur ce sujet et de passer aux autres points que vous aviez contestés dans mon argumentation initiale.

      Comme je l’ai déjà dit, mon propos n’est nullement de substituer une légende rose à la légende noire: les crimes de Vichy à l’égard des juifs et des résistants sont tels et la trahison des reclus de Sigmaringen si patente qu’une telle tentative serait non seulement scandaleuse mais vaine. Quant à forger deux légendes noires, je ne sais pas où vous êtes allés chercher ça, mais cela ne m’a jamais effleuré l’esprit. Certes, la remise en cause des "idées reçues" est un puissant stimulant intellectuel – et, en effet, en poussant le bouchon très très loin, on pourrait soutenir que sans la dissidence gaulliste, la politique de Vichy aurait pu suivre le cours "revanchard" que Weygand s’efforçait de lui donner, mais c’est aller tellement loin dans la politique fiction que cela me paraît sans aucun intérêt.

      Je tenais simplement à souligner des faits que le Vichy nationaliste et militaire de 1940 n’a rien à voir avec le Vichy fasciste et collaborateur de 1944 ; que la thèse du double-jeu correspond, jusqu’à l’invasion de la zone libre, à une réalité ; que les premières actions de résistance furent menées par des membres de l’armée d’armistice sous l’impulsion de membres éminents du régime et qu’hors même de l’armée, de nombreux mouvements de résistance se réclamèrent longtemps de Vichy et furent, au moins jusqu’à un certain point, suscités et protégés par le régime. Et la simple prise en compte de ces éléments change profondément l’image de la période.

      La thèse du double-jeu est attestée, dès avant le ralliement de Darlan aux américains, par de nombreuses initiatives diplomatiques de Vichy en direction des anglo-saxons. On peut citer les conversations secrètes Hoare-La Baume, Rougier-Churchill et Chevalier-Halifax de l’automne 1940 ou celles qui se sont tenues entre Murphy et Weygand au printemps 1941 puis entre Murphy et Darlan au printemps 1942. Quant à Pétain, une fois convaincu que l’Angleterre continuerait la guerre, il fut le garant, contre Laval et Darlan, de la non-belligérance française inscrite dans l’armistice et du maintien de liens constants avec les Etats-Unis, dont il était convaincu qu’ils allaient rentrer dans la guerre et la gagner. De la part de l’homme qui, en 1917, souhaitait "attendre les chars et les américains", cela n’a rien de surprenant.

      Pour ce qui est des "Vichysso-résistants", le plus éminent et le premier d’entre eux fut, comme je l’ai indiqué le général Weygand qui, depuis l’Afrique de Nord, organisait camouflage de matériel, recrutement de réservistes clandestins et "encadrement" de la jeunesse en vue de la revanche. En métropole, moins connus mais tout aussi actifs peuvent être cités, au sein de l’armée ou du gouvernement et sans souci d’exhaustivité: René Carmille, contrôleur général de l’armée et créateur du Service National de Statistique qui, sous couvert de recensement, s’attachait à permettre une mobilisation clandestine ; le colonel du Vigier, responsable des Groupements d’Auto Défense qui permettront, notamment, l’évasion de Giraud ; le colonel Paillole dont les services de contre-espionnage prononceront 270 condamnations à mort à l’encontre d’espions allemands ou italiens ; le Colonel Groussard qui constitua les Groupes de Protection afin, sous l’égide du Ministère de l’intérieur, de compenser les cadres dispersés par la diminution des effectifs de l’armée ; ou encore le colonel Heurteaux qui, Secrétaire Général de la Légion des Combattants, fut à l’origine de la création du réseau qui recruta Jacques Chaban-Delmas. Tout ceci constitua les prémices de la future Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) qui se mit en place après l’invasion de la zone libre et joua un rôle particulièrement important au moment du débarquement. Il est assez fascinant de constater que l’instigateur de l’ORA, le général Frère, mort en déportation, fut aussi celui qui présida le conseil de guerre condamnant à mort le général de Gaulle en 1940 !

      Quant aux mouvements de résistance se constituant en dehors de l’armée, ils se réclamèrent presque tous, jusqu’à l’opération Barbarossa, du maréchal Pétain et de la Révolution Nationale, illustrant l’absence totale d’incompatibilité entre pétainisme et esprit de résistance. Combat, d’Henri Frenay est le plus connu, mais Tour d’horizon du Général Cochet ou Les petites ailes de Jacques-Yves Mulliez méritent d’être cités ; tout comme le réseau Alliance du commandant Loustanau-Lacau, ancien chef d’Etat-major de Pétain, et qui fut directement financé par celui-ci jusqu’en 1941. Enfin, pour ce qui est de la "protection", j’ai déjà cité les rencontres Frenay-Rollin, puis Frenay-Pucheu, qui se traduisirent par la libération de membres de Combat alors en prison, mais j’aurai également pu mentionner la mission réalisée par le colonel Fourcaud, représentant du Général de Gaulle en zone libre, qui, retournant à Londres en décembre 1940, le fit grâce à un sauf-conduit délivré par Paul Baudouin alors ministre des Affaires Etrangères de Vichy ou encore les financements accordés par Heurteaux ou Paillole à diverses organisations de résistance.

      Il certes est indéniable qu’en dehors de l’Afrique du Nord, où la "symbiose" entre les autorités de Vichy et les mouvements de résistance perdura jusqu’au débarquement allié, cette résistance d’obédience maréchaliste se heurta rapidement à de sérieuses déconvenues, sous l’impulsion, notamment, de Darlan, soucieux de ne pas compromettre ses "grands plans" géostratégiques par les "initiatives malheureuses d’éléments incontrôlables". Les Groupes de Protection de Groussard furent ainsi dissous en décembre 1940, le Général Cochet fut interné en 1941, tout comme Loustaunau-Lacau. Quant aux civils, s’ils restèrent fidèle à la Révolution Nationale et au Maréchalisme jusqu’à la fin 1941, ils s’en détournèrent progressivement dès la mise au pas effectuée par Darlan et plus encore après le retour de Laval en avril 1942.

      Quoiqu’il en soit, ceci souligne que l’image de démission, de résignation et de trahison qui est généralement accolée à Vichy est bien réductrice et qu’il y eut aussi, parmi de nombreux cadres du régime, une claire volonté de revanche et de résistance à l’occupant. D’ailleurs, Bénédicte Vergez-Chaignon, l’historienne, irréprochable sur le plan académique, qui s’est saisie de ce sujet intitule le premier chapitre de son ouvrage : "Vichy, capitale de la Revanche". Vous m’accorderez qu’on est bien loin de l’image d’Epinal de "L’étrange défaite", si fréquemment et si complaisamment citée.

    • Descartes dit :

      @ odp

      [Comme je l’ai déjà dit, mon propos n’est nullement de substituer une légende rose à la légende noire: les crimes de Vichy à l’égard des juifs et des résistants sont tels et la trahison des reclus de Sigmaringen si patente qu’une telle tentative serait non seulement scandaleuse mais vaine.]

      Je voudrais ici insister sur un point : votre commentaire semble suggérer que si Vichy avait mieux traité les juifs et les résistants, si Pétain n’était pas parti à Sigmaringen, Vichy serait presque acceptable. C’est à mon sens une vision anecdotique du problème. Le grand crime de Vichy n’est pas sa politique à l’égard des juifs ou des résistants, c’est l’abaissement de la France, le refus de continuer le combat, l’acceptation de la défaite et la volonté de se plier au « nouvel ordre européen » dominé par l’Allemagne – tiens, ça me rappelle quelque chose…

      [Je tenais simplement à souligner des faits que le Vichy nationaliste et militaire de 1940 n’a rien à voir avec le Vichy fasciste et collaborateur de 1944 ;]

      A mon sens, vous faites erreur. Le Vichy de la « révolution nationale » de 1940 était certes différent du Vichy « allemand » de 1944. Mais de là à dire qu’ils « n’ont rien à voir », il y a un pas qu’il me semble imprudent de franchir. Il y a au contraire « beaucoup à voir » entre ces deux régimes, et notamment la résignation à une « petite France » qui se concentrerait sur ses petites affaires et qui serait à la remorque de l’Allemagne pour les autres.

      [que la thèse du double-jeu correspond, jusqu’à l’invasion de la zone libre, à une réalité ;]

      Là aussi, vous surinterprétez. Que des personnalités de l’administration de l’Etat français aient joué un « double jeu », c’est un fait historique. Mais elles l’ont fait de leur initiative individuelle. Rien ne permet aujourd’hui de dire que dans les réunions du conseil des ministres dans l’Hotel du Parc on discutait des manières de préparer la « revanche » ou de jouer un « double jeu » avec l’ennemi. Au contraire.

      [que les premières actions de résistance furent menées par des membres de l’armée d’armistice sous l’impulsion de membres éminents du régime et qu’hors même de l’armée, de nombreux mouvements de résistance se réclamèrent longtemps de Vichy et furent, au moins jusqu’à un certain point, suscités et protégés par le régime. Et la simple prise en compte de ces éléments change profondément l’image de la période.]

      Faudrait savoir ou s’arrête « le régime » et commence l’initiative personnelle. S’il est exact que certaines actions de résistance – mais non les « premières », faut pas exagérer – furent protégées par certaines personnalités du régime, fort rares au demeurant, ce fut toujours des initiatives personnelles. Je vous le répète, il n’y a aucun document ou témoignage sérieux qui montre que « le régime » – c’est-à-dire les pouvoirs constitués – aient encouragé la résistance. C’est particulièrement vrai de Pétain et de son entourage. Pour ne donner qu’un exemple, il n’y a aucune raison de penser que le discours du « vent mauvais » ait été imposé à Petain, ou qu’il n’ait pas reflété sa pensée à ce moment précis.

      [La thèse du double-jeu est attestée, dès avant le ralliement de Darlan aux américains, par de nombreuses initiatives diplomatiques de Vichy en direction des anglo-saxons. On peut citer les conversations secrètes Hoare-La Baume, Rougier-Churchill et Chevalier-Halifax de l’automne 1940 ou celles qui se sont tenues entre Murphy et Weygand au printemps 1941 puis entre Murphy et Darlan au printemps 1942.]

      Aucune de ces « attestations » ne soutiennent la thèse du « double-jeu ». A chaque fois, il s’est agi d’initiatives individuelles. Ni Rougier, ni Chevalier, ni Weiygand, ni même Darlan n’avaient un mandat explicite pour s’engager au nom du gouvernement de l’Etat français. Par ailleurs, il ne faudrait pas confondre la politique du « double jeu » et celle des « deux fers au feu ».

      [Quant à Pétain, une fois convaincu que l’Angleterre continuerait la guerre, il fut le garant, contre Laval et Darlan, de la non-belligérance française inscrite dans l’armistice et du maintien de liens constants avec les Etats-Unis, dont il était convaincu qu’ils allaient rentrer dans la guerre et la gagner. De la part de l’homme qui, en 1917, souhaitait "attendre les chars et les américains", cela n’a rien de surprenant.]

      Tout à fait. Pétain s’inscrivait bien dans cette logique de la « petite France », qui se replie sur elle-même et laisse régler les grandes affaires du monde à d’autres. Si la France avait attendu passivement d’être libérée par les chars américains comme le souhaitait Pétain, jamais elle n’aurait retrouvé une place de puissance dans le monde. Mais appeler « double jeu » ce qui ne relève que de l’attentisme me paraît un peu excessif.

      [Pour ce qui est des "Vichysso-résistants", le plus éminent et le premier d’entre eux fut, comme je l’ai indiqué le général Weygand qui, depuis l’Afrique de Nord, organisait camouflage de matériel, recrutement de réservistes clandestins et "encadrement" de la jeunesse en vue de la revanche.]

      Peut-être pour se racheter de son énorme faute en 1940 ? Après tout, Weygand fut l’un de ceux qui assiégea les politiques pour exiger qu’ils demandent l’armistice, et qui refusa tout net la proposition de De Gaulle de continuer le combat à partir de l’Empire. Weygand restera dans l’histoire comme l’exemple le plus parfait de l’aveuglement de l’élite militaire française de l’entre-deux guerres. En tout cas, et là encore, il me semble excessif de parler de « résistant » alors qu’il s’agissait avant tout d’une politique attentiste.

      [En métropole, moins connus mais tout aussi actifs peuvent être cités, au sein de l’armée ou du gouvernement et sans souci d’exhaustivité: René Carmille, contrôleur général de l’armée et créateur du Service National de Statistique qui, sous couvert de recensement, s’attachait à permettre une mobilisation clandestine ; le colonel du Vigier, responsable des Groupements d’Auto Défense qui permettront, notamment, l’évasion de Giraud ; le colonel Paillole dont les services de contre-espionnage prononceront 270 condamnations à mort à l’encontre d’espions allemands ou italiens ; le Colonel Groussard qui constitua les Groupes de Protection afin, sous l’égide du Ministère de l’intérieur, de compenser les cadres dispersés par la diminution des effectifs de l’armée ; ou encore le colonel Heurteaux qui, Secrétaire Général de la Légion des Combattants, fut à l’origine de la création du réseau qui recruta Jacques Chaban-Delmas. Tout ceci constitua les prémices de la future Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) qui se mit en place après l’invasion de la zone libre et joua un rôle particulièrement important au moment du débarquement. Il est assez fascinant de constater que l’instigateur de l’ORA, le général Frère, mort en déportation, fut aussi celui qui présida le conseil de guerre condamnant à mort le général de Gaulle en 1940 !]

      Oui, mais à chaque fois, c’étaient des initiatives personnelles. Rien, absolument rien, ne permet de dire que le « régime » – c’est-à-dire ceux qui détenaient le pouvoir et la légitimité politiques – aient le moins du monde organisé, encouragé ou protégé ces activités. Les défenseurs de la théorie du « double jeu » mordent toujours la poussière sur cette difficulté.

      Non, Vichy n’a pas joué « double jeu ». Dans sa politique, dans son action, il a cherché à « protéger la France » quitte à la replier sur elle-même et à céder aux demandes de l’occupant, en attendant la conclusion d’un véritable traité de paix avec l’Allemagne, sur le modèle de 1870, pour préparer une « revanche » qui, là encore, s’inscrivait dans ce modèle. Vichy n’a jamais compris que le monde avait changé, que la deuxième guerre mondiale sortait du canon des guerres antérieures, et que l’Allemagne de Hitler n’était pas celle du Kaiser. La politique suivie par Vichy fut une politique d’attentisme, pas une politique active.

      [Quant aux mouvements de résistance se constituant en dehors de l’armée, ils se réclamèrent presque tous, jusqu’à l’opération Barbarossa, du maréchal Pétain et de la Révolution Nationale, illustrant l’absence totale d’incompatibilité entre pétainisme et esprit de résistance.]

      Ce n’est pas parce qu’on se « réclame » de quelque chose que cette « réclamation » est justifiée. Beaucoup de ceux qui se « réclamaient de Pétain » lui attribuaient des projets et des politiques qui n’étaient nullement les siennes dans la réalité. Certains allaient jusqu’à imaginer un Pétain rusant avec les allemands et préparant en secret la reprise des combats. Quant à la « révolution nationale », vous avez parfaitement raison : on peut parfaitement être réactionnaire et même fasciste sans être nécessairement pro-allemand.

      [Quoiqu’il en soit, ceci souligne que l’image de démission, de résignation et de trahison qui est généralement accolée à Vichy est bien réductrice et qu’il y eut aussi, parmi de nombreux cadres du régime, une claire volonté de revanche et de résistance à l’occupant.]

      Oui, mais encore une fois, il ne faut pas confondre les initiatives personnelles, fort minoritaires d’ailleurs, et la position du « régime ».

      [D’ailleurs, Bénédicte Vergez-Chaignon, l’historienne, irréprochable sur le plan académique, qui s’est saisie de ce sujet intitule le premier chapitre de son ouvrage : "Vichy, capitale de la Revanche". Vous m’accorderez qu’on est bien loin de l’image d’Epinal de "L’étrange défaite", si fréquemment et si complaisamment citée.]

      Non, je ne vous l’accorde pas. Ce qui fut une politique concertée ne peut être excusée sur le fondement de quelques initiatives personnelles. Il y eut des fonctionnaires nazis qui ont sauvé des juifs. Est-ce qu’on peut parler pour autant d’un « double jeu » du parti nazi ?

      Il ne faudrait pas non plus oublier que si Vichy a favorisé un certain nombre d’initiatives individuelles pour conserver des armes ou organiser des unités, c’était beaucoup moins pour combattre les allemands que par peur d’une "menace bolchévique". Mais cela est une autre histoire…

    • dsk dit :

      @ Descartes

      ["Possible. Mais justement, vous êtes prêt à aider inconditionnellement le marseillais ou le bordelais SANS LES CONNAITRE. C’est là, pour moi, que réside l’essence du sentiment national. Dans une « communauté de destin » qui nous pousse à une solidarité inconditionnelle avec des gens que nous ne connaissons pas, et que nous ne connaîtrons vraisemblablement jamais."]

      Je crois que nous sommes d’accord sur le fond. Néanmoins, votre formulation pourrait laisser penser qu’il s’agirait d’une solidarité inter-individuelle et directe. Or; il me paraît important de préciser qu’elle ne s’exerce que par le truchement de la Nation. Ce n’est pas, à proprement parler, l’individu que je suis qui aide ce marseillais ou ce bordelais, mais la Nation.

      ["Bien entendu, nous sommes capables de solidarité envers les gens des autres nations. Mais cette solidarité n’est pas inconditionnelle, elle résulte de sympathies personnelles qui nécessitent au contraire une connaissance individuelle de l’autre."]

      Je ne pense pas que le terme de "solidarité" soit approprié pour ce cas. Il me semble qu’il faudrait plutôt parler ici de "charité" ou de "générosité". La solidarité implique un caractère réciproque. Elle présuppose, justement, la constitution d’un groupe.

      ["Mais pour transformer un intérêt commun en sentiment national, il faut une alchimie très complexe de symboles et de mémoires qui « naturalise » cet intérêt commun, au point qu’il devient presque invisible."]

      Pourquoi donc faudrait-il rendre cet intérêt commun "presque invisible" ? Il me semble que dans les périodes de guerre, on a très lourdement insisté, au contraire, sur cet intérêt commun. Et même le discours politique actuel ne parle, en général, que de notre "intérêt commun" : à la prospérité de "nos" entreprises, à la construction européenne, à la lutte contre le réchauffement climatique etc. Ce que l’ont veut généralement rendre invisible, c’est plutôt l’antagonisme entre les classes, autrement dit, justement, leur absence d’intérêt commun.

      ["Ce n’est pas si contradictoire que ça. Le modèle américain est profondément « national »."]

      Bien vu.

      ["Sans doute. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un me ressemble que cela justifie que je l’aide inconditionnellement.] [Bien sur que non. Ce n’est pas tant la « ressemblance » que j’avais en tête, mais les références partagées."]

      Je ne pense pas non plus que des "références partagées" justifient une aide inconditionnelle. Ce qui la justifie, c’est une communauté d’intérêts. Si j’aide ce marseillais, c’est parce que je sais qu’il sera susceptible de m’aider un jour. C’est une sorte de contrat.

      ["Ce qui le justifie, c’est ce lien, de même nature que celui de la famille ou du clan, qui unit les membres d’une même nation."] ["Oui, mais avec une différence importante : le lien familial ou clanique implique des ancêtres communs. Le passage du clan à la nation correspond à la transformation de ces liens réels en liens symboliques. La fonction du roman national est de fournir des « ancêtres symboliques » qui permettent de constituer symboliquement ce type de lien. Votre remarque est intéressante parce qu’elle démontre un point que vous refusiez dans vos précédents écrits, à savoir, que le « roman national » est indispensable à la constitution de la nation. Car si le lien national est de « même nature » que le lien familial, comment le concevoir sans ancêtres communs ?"]

      Il suffit, me semble-t-il, de préciser que si ce lien est "de même nature" que le lien familial, ce n’est que dans la mesure où il remplit des fonctions identiques, mais qu’en revanche, il n’est pas de même nature quant à son mode de formation.

      ["Ce que vous pouvez faire pour « aider vos ancêtres » ? D’abord, maintenir leur souvenir. Ensuite, les honorer. Et enfin, les continuer. Vous me direz que ces actes de solidarité intergénérationnelle avec des générations disparues n’a pas d’effet réel sur le récipiendaire. Mais justement, nous ne sommes pas sur le plan du réel mais sur le plan du symbolique."]

      Je dirais que ce que j’honore chez mes "ancêtres", ce n’est que leur apport à la Nation d’aujourd’hui. Autrement dit, à travers eux, c’est celle-ci que j’honore. Par conséquent, je ne suis "solidaire" que de la Nation.

      ["Pourquoi indélébile ? Si quelque chose ne va pas et serait affreusement "pétainiste", alors parlons-en, et changeons-le, tout simplement.] ["Mais même si nous la changions, le changement se ferait en référence à l’état antérieur. La constitution de 1946 ne peut être comprise si l’on ne se réfère pas à Vichy, pas plus que la constitution de 1958 n’est compréhensible si on oublie ce qu’était la IVème République. La marque du passé est indélébile : notre code civil porte encore la marque de la loi romaine. Seule la disparition de notre « branche » humaine pourrait faire disparaître cela."]

      Bien sûr, la marque de tout passé est toujours indélébile. Mais en ce cas, je dirais que si j’ai bien un lien avec des institutions qui elles-mêmes ont un lien avec 1940, personnellement, je n’ai aucun lien avec 1940.

      ["« Expliquer » n’est peut-être pas le mot juste. Je dirais plutôt qu’étudier Vichy – qui n’est qu’un exemple parmi d’autres, même s’il s’agit d’un exemple « limite » et donc particulièrement intéressant – permet de voir à l’œuvre un certain nombre de mécaniques toujours à l’œuvre dans la société française : celle de la « haine de soi » et de ses effets, la tendance au repli d’une partie de la société sur leur « petit » monde, la détestation de la modernité, le rôle de l’État comme ciment de la société française."]

      Dans ce cas, je dirais que "mécaniques" n’est pas le mot juste non plus. Il ne s’agit là, en effet, que d’observations, ordonnées selon un système de classement, dont le principal défaut, à mon avis, est qu’en l’absence d’une définition rigoureuse de ses catégories, il dépend un peu trop de la subjectivité de l’observateur. D’aucuns pourraient soutenir, par exemple, que le "rôle de l’État comme ciment de la société française" serait plutôt "grande France", ou que le "repli d’une partie de la société sur leur petit monde" serait justement antinomique avec la "haine de soi", ou enfin que la "détestation de la modernité" ne serait que la nostalgie d’une certaine "grande France" identifiée à l’Ancien régime.

      ["Oui… et non. On parle ici de lignes de fracture qui traversent toutes les classes. Il y a une bourgeoisie « régionale » qui se désintéresse de tout ce qui se passe en dehors de son petit monde, mais il y a aussi une bourgeoisie « cosmopolite », dont les intérêts se confondent avec la « grandeur » de la France et sa place dans le monde. Pensez à la construction du canal de Suez, aux ouvrages d’Eiffel au Portugal ou en Amérique…"]

      Ce sont là des exemples tirés du XIXe siècle, où l’Ancien régime était encore extrêmement présent. Auriez-vous des exemples plus récents de cette "bourgeoisie cosmopolite" dont les intérêts se confondraient avec ceux de la France ? Il me semble qu’il ne se passe pas un jour, au contraire, où la presse économique ne nous rappelle à quel point nos "champions du CAC 40" se voient avant tout comme des entreprises mondiales, et surtout pas "franco-françaises".

      ["La « petite » France n’est pas une question de classe. Et surtout pas une opposition entre une « bourgeoisie » occupé à défendre ses petits intérêts contre une aristocratie occupée à cultiver la « grandeur »."]

      Je ne dis pas qu’il y a une bourgeoisie qui serait "petite" et une aristocratie qui serait "grande". La différence, selon moi, c’est qu’elles ne situent pas leur grandeur dans le même objet. Pour l’une, c’est son Capital, tandis que pour l’autre, c’est la France.

      ["La « petite » France, c’est une partie de chacun d’entre nous. Même mongénéral, pourtant une icône de la « grande » France, avait en lui une partie qui était résolument « petite » lorsqu’il parlait avec tendresse de nos régions ou de nos fromages."]

      En tout cas, c’est très "grande France" au sens où je l’entends moi. Il est parfaitement logique qu’un aristocrate, dont la richesse est liée à la terre, ait de la tendresse pour elle et ses productions.

      ["Par contre, l’idée d’un Vichy « infâme » à laquelle la France s’est opposé par une résistance « sublime » fait partie de notre « roman national », et il est important qu’elle y reste. Précisément pour empêcher que soit utilisé contre nous l’arme de la culpabilité. "]

      Pour ma part, comme vous pouvez le constater, je conteste l’idée même qu’un français de 2014 puisse être tenu pour coupable des agissements de ses ancêtres de 1940.

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Je crois que nous sommes d’accord sur le fond. Néanmoins, votre formulation pourrait laisser penser qu’il s’agirait d’une solidarité inter-individuelle et directe. Or; il me paraît important de préciser qu’elle ne s’exerce que par le truchement de la Nation. Ce n’est pas, à proprement parler, l’individu que je suis qui aide ce marseillais ou ce bordelais, mais la Nation.]

      Oui et non. Ce n’est pas une solidarité « inter-individuelle et directe » dans le sens où l’argent que je donne n’est pas fléché vers un individu donné. Mais c’est tout de même « l’individu que je suis » qui aide, par le truchement de l’impôt. En d’autres termes, en tant qu’individu je consens à ce qu’une partie de l’impôt que je verse soit utilisé pour aider des gens – non pas un individu, mais un ensemble de gens – que je ne connais pas.

      [Je ne pense pas que le terme de "solidarité" soit approprié pour ce cas. Il me semble qu’il faudrait plutôt parler ici de "charité" ou de "générosité". La solidarité implique un caractère réciproque. Elle présuppose, justement, la constitution d’un groupe.]

      Vous avez raison, le terme « solidarité » était mal choisi.

      ["Mais pour transformer un intérêt commun en sentiment national, il faut une alchimie très complexe de symboles et de mémoires qui « naturalise » cet intérêt commun, au point qu’il devient presque invisible."][Pourquoi donc faudrait-il rendre cet intérêt commun "presque invisible" ? Il me semble que dans les périodes de guerre, on a très lourdement insisté, au contraire, sur cet intérêt commun.]

      Pas vraiment. On a parlé de la grandeur de la France, du retour des « provinces perdues » au sein de la Patrie. On n’a pas dit « il faut battre les allemands parce que ça supprimera des concurrents, et puis on pourra leur piquer leurs colonies en plus ». Une société ou l’on formulerait crûment ses intérêts serait une société très peu civilisée. C’est pourquoi toutes les sociétés préfèrent invoquer des principes moraux ou philosophiques qui « naturalisent » leur intérêt.

      [Et même le discours politique actuel ne parle, en général, que de notre "intérêt commun" : à la prospérité de "nos" entreprises, à la construction européenne, à la lutte contre le réchauffement climatique etc. Ce que l’ont veut généralement rendre invisible, c’est plutôt l’antagonisme entre les classes, autrement dit, justement, leur absence d’intérêt commun.]

      Le discours politique actuel ne parle jamais des intérêts communs. Il parle au contraire d’un intérêt particulier – vous en donnez plusieurs exemples – qui est présenté comme l’intérêt commun. Ce n’est pas du tout la même chose.

      [Bien sur que non. Ce n’est pas tant la « ressemblance » que j’avais en tête, mais les références partagées."][Je ne pense pas non plus que des "références partagées" justifient une aide inconditionnelle. Ce qui la justifie, c’est une communauté d’intérêts. Si j’aide ce marseillais, c’est parce que je sais qu’il sera susceptible de m’aider un jour. C’est une sorte de contrat.]

      L’Ile de France finance la Corse depuis deux siècles, et je ne pense pas que les parisiens aient le moindre espoir de voir les flux financiers s’inverser. C’est dans ce genre d’exeples que l’on voit que la description « contractualiste » n’est pas suffisante. Je ne nie pas qu’à l’origine du sentiment national il y ait une communauté d’intérêts. Mais cette communauté d’intérêts est tellement complexe, a tellement été travaillée au cours de l’histoire qu’elle n’apparaît plus vraiment. Ce qui nous motive en tant que citoyens, ce n’est pas la conscience de cette communauté d’intérêts, mais la construction de l’autre comme un autre soi-même.

      [Car si le lien national est de « même nature » que le lien familial, comment le concevoir sans ancêtres communs ?"][Il suffit, me semble-t-il, de préciser que si ce lien est "de même nature" que le lien familial, ce n’est que dans la mesure où il remplit des fonctions identiques, mais qu’en revanche, il n’est pas de même nature quant à son mode de formation.]

      Vous jouez sur les mots. Et vous avez tort : quand on dit que deux objets sont « de même nature », cela veut dire qu’ils ont la même constitution, et non qu’ils ont la même fonction. Un bâtiment et un parapluie ont tous deux pour fonction de nous protéger des intempéries, et personne n’ira dire qu’ils sont « de même nature ».

      [Bien sûr, la marque de tout passé est toujours indélébile. Mais en ce cas, je dirais que si j’ai bien un lien avec des institutions qui elles-mêmes ont un lien avec 1940, personnellement, je n’ai aucun lien avec 1940.]

      Mais bien sur que si. Même le rejet est un lien. Ne pas avoir de lien impliquerait que Vichy vous soit totalement indifférent. Pensez-vous pouvoir dire que c’est le cas ?

      [Dans ce cas, je dirais que "mécaniques" n’est pas le mot juste non plus. Il ne s’agit là, en effet, que d’observations, ordonnées selon un système de classement, dont le principal défaut, à mon avis, est qu’en l’absence d’une définition rigoureuse de ses catégories, il dépend un peu trop de la subjectivité de l’observateur. D’aucuns pourraient soutenir, par exemple, que le "rôle de l’État comme ciment de la société française" serait plutôt "grande France", ou que le "repli d’une partie de la société sur leur petit monde" serait justement antinomique avec la "haine de soi", ou enfin que la "détestation de la modernité" ne serait que la nostalgie d’une certaine "grande France" identifiée à l’Ancien régime.]

      Mais… c’est exactement mon point. Vous voulez voir les catégories « grande » et « petite » France comme ayant un rapport d’opposition, alors qu’elles entretiennent un rapport dialectique. Ne vous étonnez donc pas de les trouver mélangés, que ce soit dans Vichy ou dans n’importe quel autre de nos régimes politiques.

      Quant à la « haine de soi », elle ne serait en rien antinomique avec le « repli sur son petit monde ». La « haine de soi », c’est la haine de soi comme français, pas comme citoyen de Trifouillis le Canard.

      [Ce sont là des exemples tirés du XIXe siècle, où l’Ancien régime était encore extrêmement présent. Auriez-vous des exemples plus récents de cette "bourgeoisie cosmopolite" dont les intérêts se confondraient avec ceux de la France ?]

      Bien entendu. Prenez par exemple Bouygues.

      ["La « petite » France, c’est une partie de chacun d’entre nous. Même mongénéral, pourtant une icône de la « grande » France, avait en lui une partie qui était résolument « petite » lorsqu’il parlait avec tendresse de nos régions ou de nos fromages."][En tout cas, c’est très "grande France" au sens où je l’entends moi.]

      Si vous changez les définitions, on ne va pas s’entendre. Et ne vous étonnez pas ensuite de trouver les « catégories ne sont pas rigoureusement définies ».

      [Pour ma part, comme vous pouvez le constater, je conteste l’idée même qu’un français de 2014 puisse être tenu pour coupable des agissements de ses ancêtres de 1940.]

      Moi aussi. Malheureusement, notre opinion est très largement minoritaire, comme le montrent les scènes devenues monnaie courante de politiciens se frappant la poitrine et faisant acte de contrition pour les agissements de ses ancêtres.

  9. Morel dit :

    Pour ce coup-ci, vous avez tort. L’élite politique actuelle de notre pays ne saurait créer un « incident » sur de vulgaires préoccupations telles celles du commun des électeurs. C’est ce qui fait la marque des grands esprits.
    Le plus drôle dans l’histoire, c’est que ces moines-soldats de la nouvelle idéologie ne le sont nullement. En France, le rire voltairien n’existerait-il plus ?
    On peut aussi essayer de les comprendre : transposer à longueur d’années les directives européennes en lois, cela finit par être ennuyeux…

  10. v2s dit :

    @Descartes @bovard
    Sur le débat sur la simplification de la langue :
    Vos remarques et commentaires sur les difficultés et richesses de toutes les langues et donc de la langue française sont justifiées. Vous avez raison de dire que retirer l’un des deux verbes « être » à la langue espagnole (ou portugaise) serait une perte pour cette langue.
    Mais, si dans son texte initial, bovard parlait bien de « la langue », il se référait surtout à l’orthographe d’usage, je le cite :

    [Pourquoi, dans ces conditions, le français n’est il pas simplifié de ces ‘ph’,’y’ … inutiles ]
    [proposer un français simplifier où mourir comme courrir auront le même nombre de ‘R’,(bon, l’exemple de bovard était mal choisi, il aurait du écrire « ou courir et pourrir auront le même nombre de R) , où ç sera remplacé par ‘ss’,où le s de ‘ose’ sera remplacé par ‘z’,ou ‘ph’ sera remplacé par ‘f’,etc..]
    Pour ma part je trouve plus facile d’admettre et de défendre les richesses, les particularités la complexité de la grammaire que les aléas de l’orthographe d’usage.
    L’orthographe d’usage est une composante de la langue qui pourrait évoluer vers une simplification sans que la langue dans son ensemble n’y perde en richesse.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Pour ma part je trouve plus facile d’admettre et de défendre les richesses, les particularités la complexité de la grammaire que les aléas de l’orthographe d’usage.]

      Moi aussi. Mais l’importance de défendre les richesses de notre grammaire ne doit pas nous aveugler sur l’importance défendre celles de l’orthographe. Je n’aime pas qu’on parle « d’aléas » en matière d’orthographe. Les difficultés de notre orthographe ne doivent rien au hasard et tout à l’histoire.

      [L’orthographe d’usage est une composante de la langue qui pourrait évoluer vers une simplification sans que la langue dans son ensemble n’y perde en richesse.]

      Pas plus que notre histoire ne pourrait « perdre » Henri III ou Louis X.

    • v2s dit :

      [Pas plus que notre histoire ne pourrait « perdre » Henri III ou Louis X.]
      Votre comparaison langue / histoire ne tient pas.
      Les langues et leur orthographe évoluent et se simplifient, l’histoire, elle, lorsqu’elle évolue, c’est pour s’enrichir suite à des découvertes archéologiques ou a des recherches, ce n’est jamais pour être amputée arbitrairement.
      La langue française n’est faite que de mots dont l’orthographe a évolué et s’est simplifié aux différentes époques de l’histoire de la langue
      L’histoire, par contre, ne s’est jamais vue amputée d’un grand homme ou d’une période, sauf peut-être par les faux historiens qui se chargent d’écrire les romans nationaux.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Les langues et leur orthographe évoluent et se simplifient,]

      Vous voyez bien que cette affirmation est absurde. Les langues primitives sont généralement très simples. Si les langues actuelles sont complexes, alors cela implique nécessairement que l’évolution de la langue ne va pas toujours dans le sens de la simplification. Une langue peut parfaitement évoluer dans le sens de la complexité. Ainsi, par exemple, la féminisation des fonctions entraîne une complexification des règles de grammaire et d’orthographe…

      [l’histoire, elle, lorsqu’elle évolue, c’est pour s’enrichir suite à des découvertes archéologiques ou a des recherches, ce n’est jamais pour être amputée arbitrairement.]

      Pas nécessairement. L’histoire peut aussi se simplifier suite à la disparition de documents et à l’oubli. Nous savons beaucoup moins de choses sur l’histoire grecque que ne savait Périclès. L’histoire, elle aussi, évolue. Et pas toujours dans le sens d’une « complexification »…

      [La langue française n’est faite que de mots dont l’orthographe a évolué et s’est simplifié aux différentes époques de l’histoire de la langue]

      La répétition n’est pas un argument. Non, la langue française est faite de mots dont l’orthographe s’est simplifiée pour certains et compliqué pour d’autres.

      [L’histoire, par contre, ne s’est jamais vue amputée d’un grand homme ou d’une période,]

      Bien sur que si. Croyez-vous vraiment que nous connaissons les rois de Babylone aussi bien que les connaissaient les historiens babyloniens ?

    • v2s dit :

      [« Les langues et leur orthographe évoluent et se simplifient » Vous voyez bien que cette affirmation est absurde]
      [Absurde] ! dites vous. Ah qu’il est agréable de dialoguer avec vous !
      Du latin au gallo-roman, du vieux français à la langue de Molière, vous pensez vraiment qu’il est [absurde] d’écrire que la langue s’est simplifiée ?

    • Descartes dit :

      @v2s

      [« Les langues et leur orthographe évoluent et se simplifient » Vous voyez bien que cette affirmation est absurde][« Absurde » ! dites vous. Ah qu’il est agréable de dialoguer avec vous !]

      Je m’en voudrais de vous rappeler que dans la chaleur du débat vous avez employé des expressions bien plus « fortes » à mon égard. Je ne m’en suis pas formalisé, puisqu’il n’y a pas de véritable débat sans un élément de passion. Mais de grâce, ne faites pas les vierges effarouchées quand le miroir vous renvoie l’image. D’accord ?

      [Du latin au gallo-roman, du vieux français à la langue de Molière, vous pensez vraiment qu’il est [absurde] d’écrire que la langue s’est simplifiée ?]

      Oui. Par un simple raisonnement entropique : si l’évolution des langues ne pouvait se faire que dans le sens de la simplification, comment expliquer leur complexité passée ? Sauf à admettre qu’elles sont nées d’une immaculée conception avec toute leur complexité, il faut admettre qu’il y eut à un moment donné une évolution à partir des langues primitives simples dans le sens de la complexification.

      C’est d’ailleurs le sens général de l’évolution : à partir de formes simples évoluent des êtres chaque fois plus complexes. Notre langue est complexe entre autres choses parce qu’elle mélange des influences de toutes sortes : si l’on écrit certains mots avec « ph » alors que d’autres portent un « f », cela reflète l’origine de ces mots. Et dans la mesure où la mondialisation fait subir à notre langue des influences chaque fois plus importantes, elle devrait inclure d’autres graphies reflétant des sons ou des inflexions qui n’existent pas dans notre langue (la graphie « kh » par exemple pour certains mots d’origine slave).

      La meilleure preuve du fait que la langue tend naturellement à se complexifier et non à se simplifier est d’ailleurs l’attitude des réformateurs. Si la langue allait spontanément, comme vous le dites, dans le sens d’une simplification, il suffirait pour la simplifier de laisser faire le temps et l’usage. Et pourtant, nous avons périodiquement des réformateurs qui apparaissent avec des projets pour « simplifier la langue »…

      Du vieux français à la langue de Molière, la langue ne s’est "simplifiée" que par une action décidée du politique – la fondation de l’Académie Française par Richelieu, par exemple – pour contrer la complexification naturelle de la langue. Mais cette action a été, il faut le dire, éclairée par le goût et par une volonté de respecter le caractère historique de la langue. Je doute que ce soit la motivation des réformateurs d’aujourd’hui.

    • BolchoKek dit :

      >Du vieux français à la langue de Molière, la langue ne s’est "simplifiée" que par une action décidée du politique – la fondation de l’Académie Française par Richelieu, par exemple – pour contrer la complexification naturelle de la langue.<
      La raison est surtout à mon sens le besoin d’uniformiser et de codifier l’orthographe. Quand on lit des textes de la fin du moyen-âge, on est frappé par l’usage anarchique de l’orthographe et l’absence de règles : "son" s’écrira "çon" un peu plus loin dans le même texte. Je pense que l’orthographe des mots était en grande partie laissée à l’appréciation de l’auteur, qui écrivait ce qu’il entendait. L’intérêt de standardiser l’orthographe dans un pays aussi divers que la France est évident. A l’époque où il n’y a ni radio, ni télé, l’on communique par écrit. La standardisation est un moyen d’instaurer des normes communes et de lutter contre l’influence des dialectes et des accents locaux. La logique de lutte contre les dialectes de la troisième république a en fait des origines très anciennes…

  11. Paul dit :

    [Dans ces conditions on ne saurait pas souligner trop le courage – ou l’inconscience – de Julien Aubert. Après cette affaire, il peut être sûr que son nom sera traîné dans la boue, qu’il aura contre lui un « lobby » très bien organisé et fort puissant chaque fois qu’il sera candidat à un poste, qu’une promotion s’offrira à lui.]
    Trois ans plus tard … https://www.francebleu.fr/infos/politique/julien-aubert-n-a-pas-les-parrainages-necessaires-pour-briguer-la-presidence-des-republicains-1507796934

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