Erri de Luca ou la réhabilitation de Brasillach

Erri de Luca est donc libre. Un tribunal italien l’a ainsi décidé, jugeant du même coup qu’il est parfaitement légal d’appeler au « sabotage » d’un chantier de travaux publics disposant en toute légalité des autorisations nécessaires. Peu importe que les « saboteurs » du chantier en question – la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, ou pour être plus précis, le chantier côté italien dans le Val de Suse – aient fait des centaines de blessés parmi les forces de l’ordre en juillet 2011, qu’ils aient depuis incendié des voitures et des engins de chantier, qu’ils aient menacé de mort les leaders syndicaux du chantier, molesté des journalistes, envoyé un colis piégé à la rédaction du journal « La Stampa » qui, sans la vigilance d’un journaliste, aurait pu tuer. Tout cela n’a guère d’importance : Erri de Luca n’a fait qu’appeler au sabotage, il ne l’a pas commis. Il n’a donc fait qu’user de son droit d’expression. Il est donc libre.

Il faut dire qu’il pouvait compter sur des appuis puissants. D’abord, une brochette d’intellectuels français habitués de ce genre d’opération qui ont exigé la libérté pour l’intellectuel injustement poursuivi. Le Monde les liste de la manière suivante : « Ecrivains (Annie Ernaux, Daniel Pennac, Philippe Claudel), artistes (comme le sculpteur Daniel Buren), cinéastes (Pascale Ferran, Arnaud Desplechin, Jacques Audiard, Wim Wenders ou Costa-Gavras), acteurs (Isabelle Huppert, Mathieu Amalric), mais aussi près d’une centaine d’avocats (dont Georges Kiejman et Eric Dupond-Moretti) ont « signé » pour « Erri ». Tout comme Martine Aubry, la maire (PS) de Lille ». Même notre président s’y est mis, qui a appelé le président du conseil italien pour lui dire sa préoccupation. La justice étant, comme on sait, indépendante, on peut imaginer que cette démarche n’est pour rien dans la libération de de Luca.

On peut reprocher beaucoup de choses à nos intellos médiatiques, mais pas de manquer d’esprit de corps. Que l’un d’eux soit menacé, et le reste rapplique. Personne ne semble avoir « signé » pour les six syndicalistes d’Air France arrêtés chez eux au saut du lit pour avoir déchiré la chemise de leur directeur des ressources humaines. Par contre, pour défendre Césare Battiste, Marina Petrella ou Erri de Luca, on sort tout de suite les stylos. Peu importe que les deux premiers aient été condamnés pour des actes de violence ou des hommes ont perdu la vie, et que l’autre ait appelé à des actes qui ont fait des blessés et qui auraient pu faire des morts. Ils écrivent, ils sont donc sanctifiés. Et ça marche : Battisti coule des jours tranquilles au Brésil après avoir longtemps vécu en toute tranquillité en France. Petrella y est encore. Grâce aux pétitionnaires germanopratins, ils n’auront jamais à répondre de leurs actes. Pas plus que Erri de Luca.

Cela étant dit, nos intellos auraient tort de se réjouir. L’absolution donnée par « la justice du système » à Erri de Luca est une métaphore cruelle de l’effacement de l’intellectuel comme référence politique. Pour comprendre pourquoi, il n’est pas inutile de rappeler l’histoire d’un autre intellectuel séduit par la violence verbale : Robert Brasillach.

Brasillach est d’abord un étudiant brillant. Khâgneux à Louis-le-Grand, il est admis à l’Ecole Normale Supérieure en 1928. Homme cultivé, écrivain de talent, il est aussi un remarquable journaliste, tenant des chroniques dans l’Action Française. En 1937 il devient rédacteur en chef du journal d’extrême droite antisémite Je suis partout et le restera jusqu’en 1943. Du haut de cette tribune, il appellera au meurtre d’hommes politiques de gauche – comme Georges Mandel, qui sera effectivement exécuté par la Milice – des juifs, des francs maçons. Il y exprime sa haine de la République et son admiration pour le IIIème Reich.

Brasillach n’aura donc blessé ni tué personne de ses propres mains. Il n’aura fait, comme Erri de Luca, qu’exprimer son opinion. Une opinion violente, certes, mais opinion enfin. Pourtant, arrêté à la Libération, il est jugé et condamné à mort. Et malgré la mobilisation des intellectuels de tout bord – et quels intellectuels ! : Paul Valéry, Paul Claudel, François Mauriac, Daniel-Rops, Albert Camus, Marcel Aymé, Jean Paulhan, Roland Dorgelès, Jean Cocteau, Colette, Arthur Honegger, Maurice de Vlaminck, Jean Anouilh, André Barsacq, Jean-Louis Barrault, Thierry Maulnier et même Louis Aragon – le général De Gaulle, président du gouvernement provisoire, refuse de lui accorder sa grâce. Il aura pour cela une formule lapidaire : « le talent est un titre de responsabilité ». Brasillach, parce qu’il avait du talent, ne pouvait ignorer l’effet de ses écrits. Pour un intellectuel, la parole est une arme au même titre que le couteau pour un milicien, et de son usage il doit rendre compte. L’intellectuel ne peut s’exonérer de sa responsabilité au prétexte qu’il n’a assassiné personne, alors que ses paroles guidaient d’autres pour le faire.

Cette vision de la responsabilité de l’intellectuel, si puissante dans les années de l’après-guerre, n’est plus qu’un souvenir. L’affaire Erri de Luca montre combien l’idée qu’on se fait de l’intellectuel et de sa responsabilité a changé. Le talent n’est plus un titre de responsabilité. Ce serait plutôt le contraire : c’est une autorisation de dire n’importe quoi sans avoir à rendre des comptes à personne. Il n’y a qu’à lire les écrits de Bernard-Henri Lévy pour le comprendre.

Enfin… pas tout a fait n’importe quoi. Ainsi, par exemple, lorsque les amis de Charlie-Hebdo ont publié les caricatures de Mahomet, nos grands défenseurs de la liberté intellectuelle sont devenus tout à coup bien plus critiques. Il semblerait que les règles de déontologie de la profession admettent tout à fait le droit d’appeler au « sabotage » d’un chantier, mais qu’elles interdisent de « manquer le respect » à une religion – à condition qu’elle soit minoritaire. Il y eut même quelques voix médiatiques pour insinuer, après le massacre du 7 janvier, que Charlie-Hebdo l’avait bien cherché.

Erri de Luca comme Battisti avant lui peuvent devenir les coqueluches du tout-Paris parce que leur message est anti-institutionnel. Si De Luca s’était risqué à appeler au sabotage des mosquées, il aurait eu de sérieux ennuis, et on lui aurait collé une accusation de incitation à la haine religieuse. Mais dénoncer un ouvrage public, cela rentre dans le champ de ce que nos « classes moyennes » jugent admissible. C’est son conformisme qui permet à De Luca de bénéficier de la protection de sa caste. D’une caste qui aujourd’hui, contrairement à 1945, a le pouvoir d’imposer sa vision à l’autorité politique et judiciaire.

Mais ce qui apparaît comme une victoire est en fait une défaite. Si l’on peut dire qu’avec le pouvoir vient la responsabilité, on peut renverser la formule et déduire que la dilution de la responsabilité annonce la perte du pouvoir. Brasillach était responsable parce que sa parole était suivie. Erri de Luca ne l’est pas parce que sa parole n’est nullement subversive. S’il avait été condamné, on aurait certainement déduit qu’il représentait un danger pour le « système ». Sa relaxe prouve donc le contraire : le « système » peut se permettre de le laisser impuni parce qu’il ne représente aucun danger pour lui. Sic transit gloria intellectualli.

Descartes

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56 réponses à Erri de Luca ou la réhabilitation de Brasillach

  1. morel dit :

    Excellent billet
    Cette affaire est un concentré du triomphe actuel de la petite bourgeoisie et de son idéologie :
    – MA liberté au-dessus de tout. Aucune considération légale ou humaine ne doit entraver mon petit vouloir, sans doute car comme le dit le slogan : « parce que JE le vaux bien ». Attitude très infantile mais validée par un jugement dont le but est aussi de produire des normes.
    – attitude approuvée, partagée par toute cette couche qui est aussi celle des « élites ».
    – mais aussi, comme sous l’ancien régime, attitude permise à certains milieux et vous avez bien raison de souligner que cela ne vaut pas pour les salariés d’Air France traités comme des criminels. Morale de classe et justice à l’avenant.
    – morale et traitement élastique selon l’objet en question. Est-il encore permis de ricaner publiquement de croyances et comportements d’un autre âge ?

    On peut facilement imaginer ce qu’il adviendrait si tout un chacun était autorisé à appeler au sabotage de tout ce qui ne lui convient pas…mais rassurez-vous ce n’est permis qu’à une « élite »…
    Dernière réflexion : curieux ces « altermondialistes » qui préfèrent favoriser l’automobile face au train…

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Cette affaire est un concentré du triomphe actuel de la petite bourgeoisie et de son idéologie : MA liberté au-dessus de tout. Aucune considération légale ou humaine ne doit entraver mon petit vouloir, sans doute car comme le dit le slogan : « parce que JE le vaux bien ».]

      Oui, mais cette attitude s’accompagne d’une tendance au repli. Derrière une volonté de s’opposer aux « grands projets inutiles » – pour utiliser la terminologie de la « gauche radicale » française – se cache le préjugé qui veut que tout « grand projet » soit « inutile » par définition. Et ce n’est pas un hasard : un « grand projet » dépend d’une volonté collective, sur laquelle l’individu n’a pas vraiment prise. Il n’y a que dans le monde du « petit » que la volonté individuelle peut garder le contrôle des choses. C’est pourquoi on s’extasie sur n’importe quel projet associatif de chaudière bois alors qu’on vomit le Lyon-Turin ou l’EPR.

      Dans ce contexte, la dérive vers la violence est assez naturelle. La politique « de masse » implique, pour peser sur les choses, de construire une idéologie, de la rendre hégémonique, de convaincre et rassembler des gens. C’est une œuvre collective. Par contre, la batte de baseball et le cocktail Molotov – le plastic et la Kalachnikov pour les plus atteints – permettent à trois pelés et deux tondus de se donner l’illusion – médias aidant – de changer le monde. On a dit que la violence est l’arme des faibles. C’est faux : la violence est d’abord le recours des peux nombreux…

      [- morale et traitement élastique selon l’objet en question. Est-il encore permis de ricaner publiquement de croyances et comportements d’un autre âge ?]

      Oui, bien sur… à condition que ce soient les croyances majoritaires. Dès lors qu’elles sont inséparables d’une identité minoritaire, elles deviennent sacrées. Se mettre seins nus dans une église catholique est, pour une partie de nos élites, un geste de résistance. Le faire dans une synagogue ou dans une mosquée serait sans aucun doute qualifié d’antisémite ou d’islamophobe.

      [On peut facilement imaginer ce qu’il adviendrait si tout un chacun était autorisé à appeler au sabotage de tout ce qui ne lui convient pas…mais rassurez-vous ce n’est permis qu’à une « élite »…]

      Exactement. Le problème de l’idéologie bienpensante est qu’elle rejette l’idée kantienne qu’une règle ne vaut que si elle est universalisable. On applaudit chez l’un des « nôtres » ce qu’on dénoncerait avec horreur chez les « autres ».

      [Dernière réflexion : curieux ces « altermondialistes » qui préfèrent favoriser l’automobile face au train…]

      Oui, à condition que les automobiles passent par la vallée d’à côté. Une fois encore, c’est l’idéologie du repli…

    • Anne Iversaire dit :

      @ Descartes

      [Dans ce contexte, la dérive vers la violence est assez naturelle. La politique « de masse » implique, pour peser sur les choses, de construire une idéologie, de la rendre hégémonique, de convaincre et rassembler des gens. C’est une œuvre collective. Par contre, la batte de baseball et le cocktail Molotov – le plastic et la Kalachnikov pour les plus atteints – permettent à trois pelés et deux tondus de se donner l’illusion – médias aidant – de changer le monde. On a dit que la violence est l’arme des faibles. C’est faux : la violence est d’abord le recours des peux nombreux…]

      Ces réflexions mériteraient à elles seules d’être développées : dans un prochain billet ?

    • CVT dit :

      @Descartes,
      [Une fois encore, c’est l’idéologie du repli…]
      votre remarque m’a fait sursauter: ce sont donc les mêmes qui reprochent aux Français et aux “souverainistes” d’être des adeptes du…repli sur notre “petit” pays?
      Ces bobos ne sont pas à une contradiction près: c’est la même qui les amène à refuser toute validation scientifique du réchauffement climatique, ou encore à contraindre les citadins à marcher à pied ou circuler à vélo en plein coeur de Paris, tout en faisant la chasse aux banlieusards conducteurs de voitures payées à crédit…
      Et vous confirmez par là même ce que je dis depuis quelques temps déjà: les vrais réactionnaires ne sont pas ceux qu’on croit! En fait, ce sont bien les “progressistes” et autres “zadistes” qui pavent notre chemin vers l’enfer de la régression généralisée…

    • morel dit :

      « Se mettre seins nus dans une église catholique est, pour une partie de nos élites, un geste de résistance. Le faire dans une synagogue ou dans une mosquée serait sans aucun doute qualifié d’antisémite ou d’islamophobe. »

      Même idéologie. « Résister » de cette façon ? Les uns se donnent le grand frisson en disant ou couvrant n’importe quoi, les autres en agissant selon les mêmes principes. Peut-être faut-il voir là, au-delà de la suffisance des égos, le vide de cette petite bourgeoisie qui n’a plus rien à proposer de positif pour l’humanité ?
      La même qui, des années auparavant s’écriait « Vive la crise ! », nous vantait l’ouverture de la société des loisirs, la mondialisation heureuse, le « rêve » européen etc.
      Ceux pour qui, maintenant, au premier degré : « La Nature est un temple… » et le politiquement correct le credo alors que le travail coule, n’incitent qu’à aller plus loin vers une société encore plus cauchemardesque.
      C’est du moins, par-delà l’expression maladroite, mon opinion.

    • morel dit :

      Désolé d’insister mais dans la même veine me vient à l’esprit les propagandistes anti-vaccinations dans le même temps où ce type de campagne (avec certes des moyens bien plus violents) est menée par…les talibans !

    • Descartes dit :

      @ Anne Iversaire

      [Ces réflexions mériteraient à elles seules d’être développées : dans un prochain billet ?]

      J’y travaille, j’y travaille… mais l’actualité ne me laisse pas le temps!

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Une fois encore, c’est l’idéologie du repli…][votre remarque m’a fait sursauter: ce sont donc les mêmes qui reprochent aux Français et aux “souverainistes” d’être des adeptes du…repli sur notre “petit” pays?]

      Tout à fait. N’avez-vous pas remarqué qu’on a tendance à reprocher aux autres des péchés avec d’autant plus de véhémence qu’on les commet soi même ?

      Le souverainisme jacobin est tout le contraire du « repli ». Il n’a jamais appelé à se barricader derrière ses frontières et faire comme si le monde extérieur n’existait pas. Au contraire : les souverainistes jacobins ont toujours cherché à projeter la France dans le vaste monde. De Napoléon à De Gaulle en passant par les « bâtisseurs d’Empire », nul « repli » en vue. Ce sont au contraire les girondins qui tendent à être adeptes du « ça me suffit » local, et préfèrent voir la France se diluer dans des alliances diverses qui finalement ne sont qu’un prétexte à l’impuissance. Qui a dit « l’Europe est une réunion de gens qui ne veulent rien faire individuellement, et qui se réunissent pour décider que rien ne peut être fait » ?

      Le souverainisme jacobin soutient que la souveraineté nationale est la condition sine qua non de l’action internationale. Il ne s’agit pas de se « replier », mais au contraire d’agir. Un Franc à notre main ne pèse peut-être pas lourd, mais il sera pour nous un outil bien plus efficace qu’un Euro à la main de quelqu’un d’autre.

      [Et vous confirmez par là même ce que je dis depuis quelques temps déjà: les vrais réactionnaires ne sont pas ceux qu’on croit! En fait, ce sont bien les “progressistes” et autres “zadistes” qui pavent notre chemin vers l’enfer de la régression généralisée…]

      Tout à fait. La « réforme » est devenue – malheureusement – le synonyme de politiques qui empirent la situation des couches populaires pour préserver les privilèges des « classes moyennes ». Et du coup, les gens se méfient du « progrès » et ils ont raison. Quand le « progrès » devient synonyme de dégradation, c’est que les mots ont perdu leur sens.

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Même idéologie. « Résister » de cette façon ? Les uns se donnent le grand frisson en disant ou couvrant n’importe quoi, les autres en agissant selon les mêmes principes. Peut-être faut-il voir là, au-delà de la suffisance des égos, le vide de cette petite bourgeoisie qui n’a plus rien à proposer de positif pour l’humanité ?]

      Certainement. Cette « petite bourgeoisie » – moi je préfère la qualifier de « classes moyennes » – est d’une certaine manière arrivée au bout de son histoire. Elle n’a pas d’autre perspective que de défendre chèrement les privilèges acquis dans son alliance avec la bourgeoisie. Elle n’a plus de projet autre que d’envoyer les enfants à une « bonne » école et de déménager dans un « bon » quartier. Je vous conseille la lecture du livre de Valérie Linhart « le jour ou mon père s’est tu » : on y voit une peinture saisissante des enfants des soixante-huitards et de leur égoïsme, d’autant plus saisissante qu’elle est involontaire.

      [La même qui, des années auparavant s’écriait « Vive la crise ! », nous vantait l’ouverture de la société des loisirs, la mondialisation heureuse, le « rêve » européen etc.]

      Oui. Mais tout cela était très joli quand on était dans l’opposition. Une fois au gouvernement, la contradiction entre cette idéologie et la réalité est devenue patente. Oui, les socialistes ont bien « changé la vie » d’une certaine classe. Et pour cela, ils ont sacrifié le reste de la société.

      [Ceux pour qui, maintenant, au premier degré : « La Nature est un temple… » et le politiquement correct le credo alors que le travail coule, n’incitent qu’à aller plus loin vers une société encore plus cauchemardesque.]

      Tout à fait. On est dans la fuite en avant, avec des « classes moyennes » bien décidées à détruire tout ce qui peut se mettre sur le chemin de leurs désirs, et en même temps à défendre chèrement les privilèges acquis.

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Désolé d’insister mais dans la même veine me vient à l’esprit les propagandistes anti-vaccinations dans le même temps où ce type de campagne (avec certes des moyens bien plus violents) est menée par…les talibans !]

      Oui… mais comparaison n’est pas raison. Dans le cas de nos « classes moyennes », le raisonnement anti-vaccinal est particulièrement pervers. Parce que personne dans notre pays ne discute le fait que les vaccins sont, au niveau collectif, très efficaces. Qu’ils ont permis d’éradiquer ou du moins de rendre rares des maladies qui, il n’y a pas si longtemps, étaient des véritables fléaux. Seulement voilà : la couverture vaccinale ne nécessite pas que 100% des gens soient vaccinés : lorsqu’on dépasse un taux de 80-90% selon les maladies, on ne gagne pas grande chose à vacciner le reste. Et on voit là arriver l’idéologie naturelle des « classes moyennes », celle du passager clandestin : si tous mes voisins se vaccinent – et prennent donc le risque – très faible – d’un accident vaccinal, je serai protégé sans me vacciner moi-même et donc sans prendre de risque. Bien entendu, si chacun fait le même raisonnement la couverture vaccinale finira par disparaître, et c’est bien le problème que nous avons maintenant.

      Ne soyez pas dupe des postures plus ou moins « naturistes » ou « écologiques » avec lesquels on déguise ce raisonnement égoïste. Si les anti-vaccination étaient sincères, ils se battraient pour qu’on arrête la vaccination en général. Or, curieusement, ce n’est pas le cas…

  2. luc dit :

    Ouf!
    Malgrè l’ambiguité du titre,l’amalgame est évité dans le contenu du texte par notre cher Descartes.
    Non-spécialiste de Brasillach,il est pour moi non pas,un ‘Brasillach .. responsable parce que sa parole était suivie’,mais un Brasillach,du côté du manche Nazi,plus exactement du côté du robinet à Zircon des chambres à gaz nazies..
    Par ses écrits,Brasillach est rentré dans l’histoire comme un agent,abominable,oppresseur et animateur du nazisme français..
    Hasard,télescopage des restes des totalitarismes, en déambulant,dans mon centre commercial,je suis tombé sur trois énormes livres,à l’écriture serré,contenant chacun plus de mille pages:Le communisme,par Thierry.Wolton.Le tome 1,s’intitule ‘les bourreaux’;le tome 2’les victimes’;le tome 3 ‘les complices’.Nul doute que chez le membre du PCF que je suis cette lecture sera stimulante .Le cas de Brasillach y sera traité mais dans quelle catégorie,Bourreau,Victime,?..certainement pas complice,même si Aragon avait demandé que ce Brasillach soit grâcié,peut être à cause d’une proximité de jeunesse?
    Je suis tombé aussi sur le livre de Noëlle Chatelet,’suite à la dernière leçon’.J’ai été trés déçu de constater qu’elle militait à l’AMDD,droit à Mourir dans la dignité.Un conseil,selon moi,restez en à la lecture de ce chef d’oeuvre qu’est ‘la dernière leçon’ en délaissant la suite,ce doit être un bon conseil d’en rester aux premiers écrits chez les Jospins…
    Le journal ‘l’imMonde’ que je ne lis plus,commentera à sa manière tous ces ouvrages.Moi par choix,je préfère lire le blog Descartes ou le site PCF-bassin!Il me semble que je n’y perds pas mon temps!
    Merci donc,à Descartes de nous avoir fait revivre à la fois je cas De Luca et celui de Brasillach.
    Ce trés bon texte ,nous livre ,beaucoup d’informations,de façon inattendue,surprenante et lumineuse de part la lecture au prisme du concept de ‘notre cher Descartes’,de ‘classes moyennes’..
    Merci aussi cher Descartes d’avoir porté à notre connaissance ce mot de de Gaulle:’le général De Gaulle, président du gouvernement provisoire, refuse de lui accorder sa grâce. Il aura pour cela une formule lapidaire : « le talent est un titre de responsabilité ».

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Non-spécialiste de Brasillach, il est pour moi non pas, un ‘Brasillach .. responsable parce que sa parole était suivie’, mais un Brasillach, du côté du manche Nazi, plus exactement du côté du robinet à Zircon des chambres à gaz nazies… Par ses écrits,Brasillach est rentré dans l’histoire comme un agent, abominable, oppresseur et animateur du nazisme français…]

      Certes… mais est-ce que cela mérite la mort ? C’est là toute la question. Une chose est la condamnation morale d’un Brasillach – condamnation que chacun peut prononcer en fonction de sa propre idée ce qui est « bien » et de ce qui est « mal », et une autre la condamnation pénale qui permet de priver un homme de ses droits, de sa liberté et même de sa vie. La question ici est : peut-on commettre un crime par la plume ? Celui qui appelle au meurtre doit-il assumer le même niveau de culpabilité que celui qui commet le meurtre lui-même ?

      La réponse est loin d’être évidente. Qu’est ce qu’on fait par exemple d’un Alain Badiou, qui en son temps écrivit une défense enflammée du régime du « Kampuchéa démocratique » de Pol Pot ? Que fait-on des intellectuels français « de gauche » qui en leur temps ont justifié la violence d’Action Directe ? Doivent-ils être considérés comme ayant une part de responsabilité dans les crimes commis par leurs « protégés » ? Si Brasillach doit porter une part de responsabilité dans les crimes qu’il a encouragé ou couvert de sa plume, s’il doit être considéré comme un assassin parce que d’autres ont assassiné en son nom, pourquoi ne pas reconnaître en Erri de Luca un « saboteur » en le condamnant à la peine correspondante ?

      [Hasard,télescopage des restes des totalitarismes, en déambulant,dans mon centre commercial,je suis tombé sur trois énormes livres,à l’écriture serré,contenant chacun plus de mille pages:Le communisme, par Thierry.Wolton. Le tome 1, s’intitule ‘les bourreaux’;le tome 2’les victimes’; le tome 3 ‘les complices’.]

      Vous devriez consacrer votre temps à de plus saines lectures. Un auteur qui commence par classer les gens entre « les bons » et « les méchants » ne mérite pas le nom d’historien.

    • xc dit :

      @Luc
      Juste pour rectifier un point: le zircon est un minéral. Le gaz utilisé dans les camps d’extermination était le Zyklon B.

  3. Julian dit :

    La Caste aime à flirter avec la violence. Mais son flirt est, comme vous le dites, éminemment sélectif. Il ferait beau voir qu’on se salisse les mains (et la réputation) avec les dépeceurs de chemises d’Air France, la plupart cégétistes, quelle horreur !

    Finalement, pour le Système, en France ou en Italie, il est moins dangereux de remettre en cause un projet d’intérêt public tel que la LGV Lyon-Turin que le plan social d’une grande société.
    Cela nous le savions. Ce que nous vérifions au fil des années c’est l’ampleur de la soumission, de la lâcheté et de l’irresponsabilité de la Caste.

    • Descartes dit :

      @ Julian

      [La Caste aime à flirter avec la violence. Mais son flirt est, comme vous le dites, éminemment sélectif. Il ferait beau voir qu’on se salisse les mains (et la réputation) avec les dépeceurs de chemises d’Air France, la plupart cégétistes, quelle horreur !]

      Je ne sais pas ce que vous désignez par « la Caste ». J’imagine que vous faites référence à nos élites politico-médiatiques bienpensantes. Et dans ce cas, je suis d’accord avec vous. J’ai en mémoire un article des années 1980 paru dans « Le Nouvel Observateur », et qui était consacré à la guerre que menaient les « freedom fighters » afghans – on ne les appelle plus comme cela aujourd’hui, je me demande bien pourquoi – contre le gouvernement de Kaboul et les troupes soviétiques venues le soutenir. A l’époque, c’était courant pour des journalistes tout à fait bienpensants de faire un séjour parmi les « combattants de la liberté » pour ensuite chanter leurs louanges. Mais l’article en question m’avait marqué parce qu’on y trouvait la description avec un grand luxe de détail des sévices que les « combattants » en question faisaient subir aux prisonniers soviétiques – émasculation, mutilation, décapitation. Et le ton de la description ne cherchait nullement à créer l’horreur chez le lecteur, au contraire : elles étaient présentées comme une preuve de la motivation et de l’engagement des « combattants ». Mais le plus marquant, c’était que dans la page d’à côté, le magasine bienpensant dénonçait comme totalement inacceptable la « violence » des ouvriers de SKF qui avaient occupé leur usine et accueilli les CRS qui venaient les déloger a coups de billes de roulement…

  4. Jean-François dit :

    Bonjour Descartes,

    Il y a une erreur dans votre article ici :

    [Le talent n’est plus un titre de responsabilité. Ce serait plutôt le contraire : c’est une autorisation de dire n’importe quoi sans avoir à rendre des comptes à personne. Il n’y a qu’à lire les écrits de Bernard-Henri Lévy pour le comprendre.]

    En effet, Bernard-Henri Lévy n’a que très peu de talent.

    • Descartes dit :

      @Jean François

      [En effet, Bernard-Henri Lévy n’a que très peu de talent.]

      Ne sous-estimez pas l’adversaire. BHL n’a aucun talent en tant que philosophe, historien ou littérateur, mais il reste un formidable propagandiste et homme d’influence. Il faut lui reconnaître un véritable talent dans ce département. BHL est une sorte de Bernard Tapie qui aurait eu un père riche.

  5. Ruben dit :

    Le cas Brasillach pose une question des plus épineuses : faut-il mettre à mort les hommes de talent et surtout de génie ? Faut-il mettre à mort un Céline ou un Heisenberg ? Eut-il fallut mettre à mort un Newton, un Proust ou un Titien nazis ? Je répondrais par non, mais alors comment juger du génie ? Être jugé par les pairs (qu’il faudrait d’ailleurs aussi définir) reviendrait à une logique de défense corporative comme pour de Luca. Je n’ai aucune réponse à cette question. Dans le cas de la science, les apports sont à la rigueur plus objectifs et quantifiables, même si cela reste difficile à juger, surtout de manière contemporaine, mais alors pour l’artiste…

    • Descartes dit :

      @ Ruben

      [Le cas Brasillach pose une question des plus épineuses : faut-il mettre à mort les hommes de talent et surtout de génie ? Faut-il mettre à mort un Céline ou un Heisenberg ?]

      La question ne me semble pas « épineuse ». La réponse est pour moi « non » : il faut les punir d’une manière qui ne prive pas l’humanité de leur génie. C’est ce que fit par exemple le régime stalinien avec Korolev, le père de l’astronautique russe : arrêté en 1937, il put poursuivre ses recherches en prison pendant toute la guerre. Il sera libéré en 1945.

      [Je répondrais par non, mais alors comment juger du génie ? Être jugé par les pairs (qu’il faudrait d’ailleurs aussi définir) reviendrait à une logique de défense corporative comme pour de Luca. Je n’ai aucune réponse à cette question.]

      Dans la mesure où le « jugement » a pour résultat de changer la nature de la peine et non de l’en dispenser, je ne vois pas de véritable problème. Que grâce à l’intervention de ses pairs De Luca soit enfermé dans une prison mais qu’on lui laisse conserver avec lui une machine à écrire et du papier ne me semble pas trop grave…

      Pour moi, le problème de fond ne se trouve pas là. La question est de savoir si l’intellectuel doit être reconnu comme un « maître à penser », et donc d’être considéré responsable de ce qui est fait par ses disciples. Le film « La Corde » de Hitchcock est une bonne explication de ce problème…

  6. BolchoKek dit :

    > Il n’y a qu’à lire les écrits de Bernard-Henri Lévy pour le comprendre.<
    Ah ? Je croyais que l’on parlait de talent, pas de faisands…

    Je suis d’accord en outre avec les idées que tu développes dans ton article, mais en te lisant, j’ai eu à l’arrière de la tête le souvenir de Dieudonné harcelé personnellement par le ministre de l’intérieur, et “la grande famille des artistes” ne s’est pas trop mobilisée…

    • Descartes dit :

      @bolchokek

      [Je suis d’accord en outre avec les idées que tu développes dans ton article, mais en te lisant, j’ai eu à l’arrière de la tête le souvenir de Dieudonné harcelé personnellement par le ministre de l’intérieur, et “la grande famille des artistes” ne s’est pas trop mobilisée…]

      Encore un bon exemple de la vision à géométrie variable de la “grande famille” bienpensante. On oublie qu’il n’y a pas de mérite à se battre pour la liberté si ce n’est la liberté de l’autre. Se battre pour que ceux qui sont d’accord avec nous puissent s’exprimer est une attitude moralement facile. Le véritable mérite se trouve chez ceux qui se battent pour la liberté de tous, y compris de ceux qui ne sont pas d’accord avec eux.

  7. Jacques Heurtault dit :

    Je ne comprends pas le parallèle que vous faites entre les deux situations … Dans un cas il y avait plusieurs appels au meurtre, ce qui est, clairement et depuis fort longtemps, un CRIME. Dans l’autre cas, il n’y a qu’un simple appel à commettre un délit dont la gravité n’est pas explicitement spécifié.
    On ne peut donc pas conclure à la réhabilitation post-mortem de Brasillach.

    • Descartes dit :

      @Jacques Hertault

      [Je ne comprends pas le parallèle que vous faites entre les deux situations … Dans un cas il y avait plusieurs appels au meurtre, ce qui est, clairement et depuis fort longtemps, un CRIME. Dans l’autre cas, il n’y a qu’un simple appel à commettre un délit dont la gravité n’est pas explicitement spécifié.]

      Pourtant, le parallèle est assez évident : si vous punissez celui qui appelle à commettre un crime comme s’il l’avait commis lui même, il faudrait de la même manière punir celui qui appelle à un délit comme s’il l’avait commis. Brasillach a appelé au meurtre, et a été condamné à la peine qu’on réserve généralement au meurtre. Erri de Luca a appelé au sabotage – et dans le contexte, il s’agit clairement de sabotage par des moyens violents. Il aurait donc dû être condamné à la peine réservée aux saboteurs.

      [On ne peut donc pas conclure à la réhabilitation post-mortem de Brasillach.]

      Si l’on trouve qu’Erri de Luca ne mérite aucune peine, qu’il n’a fait qu’user de sa liberté de parole et qu’il n’a aucune responsabilité pour les sabotages qui ont effectivement été commis, je ne comprends pas très bien pourquoi ce raisonnement ne s’appliquerait aussi à Brasillach.

  8. Mohican dit :

    L’article du Monde (Raphaëlle Rérolle et Ariane Chemin, 19/10) est mignon tout plein : “la montagne est bourrée d’amiante, les sources d’eau risquent de se tarir” […]”En 1968, à l’âge de 18 ans, l’enfant de la bourgeoisie du Sud rejoint le mouvement maoïste Lotta Continua, dont il devient un permanent, et même un responsable du « SO », le service d’ordre, à Rome. Sa formation n’a jamais prôné la violence et il échappe à l’époque à ce destin ; mais il est de cette « génération la plus emprisonnée d’Italie », comme il le dit.”
    Je suis assez surpris de lire que Lotta Continua n’a jamais prôné la violence, j’avais pourtant cru comprendre qu’un ancien leader de LC (Luigi Manconi) avait émis des regrets à ce sujet, particulièrement pour ce qui de l’assassinat du commissaire Calabresi (qui fut accusé d’avoir défenestré Pinelli [peu après l’attentat de la Piazza Fontana lequel était en fait dû à des néo-fascistes]).
    Bref, encore une fois, la presse française se ridiculise en abordant de façon simpliste et superficielle des situations historiques un poil moins manichéennes que le grand récit qu’elle en fait ; ç’avait été flagrant au moment de l’affaire Battisti qui avait été l’occasion d’un festival de guignolades, notamment la visite de Hollande à Battisti à la Santé, avec le comité de soutien qui chante Bella Ciao, ou bien l’auteur (et non pas auteure, plutôt crever !) de [mauvais] polars Fred Vargas qui croit rejouer l’Affaire Dreyfus tout en bidouillant des documents judiciaires, ce qui fait tout de même un peu penser à un “faux patriotique” totalement contradictoire avec la posture dreyfusarde qu’elle visait… Bref, ça m’énerve. Mieux vaut, pour se documenter, lire le livre de Guillaume Perrault (Génération Battisti, Plon, 2005), celui de Karl Laske (La mémoire du plomb, Stock, 2012) et surtout l’excellent numéro de la revue Autrement L’Italie des années de plomb (2010)

    • Descartes dit :

      @ Mohican

      [Bref, encore une fois, la presse française se ridiculise en abordant de façon simpliste et superficielle des situations historiques un poil moins manichéennes que le grand récit qu’elle en fait ; ç’avait été flagrant au moment de l’affaire Battisti qui avait été l’occasion d’un festival de guignolades, notamment la visite de Hollande à Battisti à la Santé, avec le comité de soutien qui chante Bella Ciao, ou bien l’auteur (et non pas auteure, plutôt crever !) de [mauvais] polars Fred Vargas qui croit rejouer l’Affaire Dreyfus tout en bidouillant des documents judiciaires, ce qui fait tout de même un peu penser à un “faux patriotique” totalement contradictoire avec la posture dreyfusarde qu’elle visait…]

      Eh oui… le problème, c’est que pour cette génération la violence a été un jeu de jeunesse. Pendant quelques années, ils ont joué à la révolution. Puis ils se sont fatigués de jouer, ils aimeraient ranger les jouets et passer à autre chose. Seulement voilà, le jeu a fait des morts, des blessés, des mutilés qui, eux, ne jouaient pas. Et qui n’ont pas envie de « passer l’éponge ». Battisti, Petrella et aujourd’hui De Luca réécrivent l’histoire des « années de plomb » pour pouvoir se peindre dans le rôle des victimes. Et la gauche bienpensante de notre pays achète ce récit qui résonne avec le romantisme révolutionnaire de nos propres soixante-huitards.

  9. gugus69 dit :

    Un texte admirable, cher ami et camarade. Encore un…
    Mais au fond, la mansuétude dont bénéficie ce De Luca n’est-elle pas de même nature que celle qui profite à nos zadistes ?
    Voila, l’écrivain italien est un zadiste de l’écrit. C’est aussi bien vu par ceux qui font l’opinion, et en plus on ne se caille pas les meules, l’hiver, grimpé dans un arbre.

    • Descartes dit :

      @ gugus69

      [Mais au fond, la mansuétude dont bénéficie ce De Luca n’est-elle pas de même nature que celle qui profite à nos zadistes ?]

      Exactement. Déchirer la chemise d’un DRH peut vous valoir d’être arrêté au petit matin devant votre famille, mis en garde a vue et voir votre maison perquisitionnée. Je me demande combien de « zadistes » ont eu à subir pareille avanie…

  10. COTTY dit :

    “Que vous soyez puissants ou misérables les jugements de cour vous jugeront blanc ou noir”

    • Descartes dit :

      @ COTTY

      [“Que vous soyez puissants ou misérables les jugements de cour vous jugeront blanc ou noir”]

      Certes. Mais cette affaire montre que des gens comme Erri de Luca sont du côté des « puissants » plutôt que des misérables, et cela malgré leur prétention contraire…

  11. xc dit :

    Pourquoi faudrait-il ne poursuivre que les gens qui ont du talent ? Le risque existe toujours que l’apologiste de crime, même sans talent, soit suivi par un fanatique ou un débile mental. Et puis, qui décide qui a du talent ou pas ?

    [Même notre président s’y est mis,…]
    Il soutient une chose et son contraire. Il a fait approuver ce tunnel par le Parlement, lui-même en a fait l’éloge, mais il défend un opposant…
    François Hollande – Président de la République – Paris, le 24 février 2015 – Sommet franco-italien
    “Le lancement des travaux de la ligne Lyon-Turin sera effectif à partir de 2016 : le Lyon-Turin est non seulement acté mais lancé, il n’y a plus aujourd’hui aucun frein, aucun obstacle pour aller vers la réalisation de cet ouvrage. »

    Pour finir sur Brasillach, je suppose que vous avez lu ceci ?
    http://www.lepoint.fr/societe/quand-brasillach-savait-l-extermination-des-juifs-13-10-2015-1973046_23.php

    • Descartes dit :

      @ xc

      [Pourquoi faudrait-il ne poursuivre que les gens qui ont du talent ? Le risque existe toujours que l’apologiste de crime, même sans talent, soit suivi par un fanatique ou un débile mental. Et puis, qui décide qui a du talent ou pas ?]

      C’est tout le débat. En 1945, on avait tendance à penser que lorsqu’un « maître à penser », un intellectuel de prestige, un maître de l’Université écrit « mort aux juifs », ce n’est pas tout à fait la même chose que lorsque c’est écrit par ma concierge. En d’autres termes, que le fait d’avoir du talent, du prestige, des fonctions proéminentes dans la société implique en contrepartie des responsabilités accrues. Une sorte de « noblesse oblige » intellectuel.

      L’affaire De Luca montre que soixante-dix ans plus tard on a changé de taquet. Aujourd’hui, on est plutôt dans la culture de l’irresponsabilité. Personne n’a à rendre de comptes de rien : l’intellectuel qui appelle au « sabotage » n’est pas responsable des conséquences de ses paroles, pas plus que le « saboteur » n’est responsable puisque c’est la faute à la société.

      [Même notre président s’y est mis,…][Il soutient une chose et son contraire. Il a fait approuver ce tunnel par le Parlement, lui-même en a fait l’éloge, mais il défend un opposant…]

      Là, vous m’obligez à défendre notre Président. On peut parfaitement soutenir un projet tout en défendant le droit des opposants de s’y opposer par la parole. Là encore, ce qui frappe est la manière dont on détache la parole des actes : l’appel au sabotage n’aurait-il aucun rapport avec le sabotage lui-même ?

      [Pour finir sur Brasillach, je suppose que vous avez lu ceci ?]

      Oui, bien sur. Mais cela n’a aucun rapport. Que Brasillach ait ou non su que les nazis exterminaient les juifs ne change en rien la question de sa responsabilité. Même s’il n’en a rien su, son devoir en tant qu’intellectuel était de réfléchir, de lire, de s’informer. S’il n’en savait rien, c’est parce qu’il n’a pas voulu savoir. La simple lecture de « Mein Kampf » suffisait pour comprendre que lorsque les juifs étaient déplacés vers l’Est, ce n’était pas pour leur bien.

      La question posée par l’affaire Brasillach est simple : un intellectuel qui propose et soutient publiquement une action doit-il être considéré comme partageant la responsabilité de ses conséquences ? En d’autres termes, le discours de l’intellectuel, du « maître à penser » a-t-il une influence sur les événements ? Si la réponse est « oui », alors il est juste que Brasillach soit exécuté et injuste qu’Erri de Luca ait été relaxé. Si la réponse est « non », alors la relaxe de De Luca est juste, et la condamnation de Brasillach injuste.

      Les intellectuels comme De Luca veulent en fait le beurre et l’argent du beurre : le pouvoir d’influence sans la responsabilité qui accompagne tout pouvoir.

    • frederic_N dit :

      Votre réponse montre qu’il y a du boulot ! Je passe sur l’autocritique permanente des anciens communistes : mais si cette autocritique était permanente, Monsieur, les bourdivins raseraient les murs dans les facs , le Monde ne pourrait pas fonctionner comme il fonctionne ! Car ce serait un réflexe pavolvien : vous êtes en train de nous refaire Staline, voilà ce qu’on entendrait du soir au matin à propos de la criminalisation des Finkelkraut, de Onfray ou de Gauchet . Il y aurait une ligne infranchissable qui les défendrait !
      . Qu’on soit encore à se battre contre les staliniens de Libé ou du Monde en dit long sur la profondeur de l’autocritique ! Cela montre tout simplement que votre argument sur la bonne volonté a largement servi à se dédouaner. Mais sans plus

      Mais je reviens sur votre absolution du communisme stalinien au nom de “la bonne cause” . Car c’est là l’argument de fond qui protège les intellectuels de la critique : ils luttaient pour de bons sentiments alors c’est pas pareil que Hitler. Et bien , si justement. C’est même pire car que je sache, les intellectuels pronazi en Allemagne se sont faits discrets rapidement. On touche alors au fond du problème : un ouvrier qui se bat pour l’URSS , oui il a le droit de dire cela, car il n’engage justement que ses bons sentiments. Un intellectuel Non : car si il bénéficie du titre d’intellectuel c’est justement qu’il est réputé capable de dépasser les sentiments et de voir la réalité. C’est pour cela qu’il est payé qu’il est respecté et qu’il a autant de passe-droits en France: c’est pour sa lucidité, par pour ses bons sentiments. C’est pour cela que les intellectuels procommunistes ont eu un impact aussi désastreux : ils étaient réputés lucides. Or de ce point de vue, il y a non seulement eu trahison, ou si vous préférez faute professionnelle, mais abus de pouvoir justement aux bons sentiments.
      Et là, – vous en etes la preuve – l’autocritique n’a pas été faire , il n’est encore nullement admis en France – qu’une politique socialiste en matière économique génère mécaniquement un risque pour les libertés , quand une politique libérale génère des antidotes . La preuve par votre discours sur Pinochet : comme si Pinochet, ou même Franco étaient comparables à la Russie ou à la Chine ( et surtout pas de hauts cris ! , vous parlez à un ancien militant antifranquiste, j’ai eu des yeux pour voir )

      Quant à l’équivalence que vous faites entre les libéraux et la gauche sur la question de la dictature remballez , remballez SVP. Et je préfère que vous vous rappeliez que Aron , grâce au libéralisme a un peu sauvé l’honneur des intellectuels français. Mais vous m’avez mal lu, j’ai écrit “quasi-toute l’université”. L’influence qu’a eu Aron ne justifie hélas pas mieux : on l’a totalement marginalisé
      Mais comme j’imagine vous n’en n’êtes pas persuadé, allez dans les cours de philo politique à Sc PO. Et mesurez combien de temps on consacre à Aron ou a Revel ou à Furet . Comparez à Foucault ou Bourdieu.
      Mais peut-être allez vous me dire que ces derniers auteurs étaient de bonne foi !!

    • Descartes dit :

      @ frédéric N

      [Votre réponse montre qu’il y a du boulot !]

      Quelle coïncidence, la votre aussi…

      [Je passe sur l’autocritique permanente des anciens communistes : mais si cette autocritique était permanente, Monsieur, les bourdivins raseraient les murs dans les facs,]

      Pourquoi ? Ils se sont trompés, ils ont changé d’avis. Aucune raison de « raser les murs ». Si tous ceux qui se sont trompés une fois dans leur vie devraient raser les murs, on verrait personne au centre des couloirs. Juste un petit exemple : Raymond Aron fut membre du comité exécutif du « Congrès pour la liberté de la culture entre 1950 et 1967, date à laquelle il est révélé que l’organisation n’est qu’un faux nez des services secrets américains et est financée par eux… il a reconnu d’ailleurs lui-même son « erreur ». Aurait-il du « raser les murs » ?

      [Car ce serait un réflexe pavolvien : vous êtes en train de nous refaire Staline, voilà ce qu’on entendrait du soir au matin à propos de la criminalisation des Finkelkraut, de Onfray ou de Gauchet . Il y aurait une ligne infranchissable qui les défendrait !]

      Je n’ai rien compris. Pourriez-vous être plus clair ?

      [Qu’on soit encore à se battre contre les staliniens de Libé ou du Monde (…)]

      « Staliniens » à Libération ou au Monde ? J’ai l’impression que comme beaucoup d’anticommunistes vous ne voyiez des staliniens partout… Pourriez-vous donner quelques noms de « staliniens » écrivant dans ces journaux ?

      [Mais je reviens sur votre absolution du communisme stalinien au nom de “la bonne cause” (…)]

      Je ne sais pas où vous voyez une « absolution ». Je ne suis pas prêtre, et je n’ai rien à « absoudre ». D’une manière générale, le débat moral sur l’histoire ne m’intéresse pas : savoir si Napoléon, Staline ou Alexandre le Grand étaient des saints ou des salauds m’indiffère profondément. L’histoire est ce qu’elle est, et « absoudre » ou « condamner » n’y changera rien. Comprendre la dynamique d’un phénomène historique est très intéressant, parce que cela permet d’analyser le présent et de mieux comprendre son évolution. Mais le condamner ? Cela ne sert strictement à rien.

      Le fait, c’est que les intellectuels qui ont défendu le « socialisme réel » l’ont fait dans leur immense majorité pour d’excellentes raisons. Leur objectif, c’était une société plus juste, plus libre, plus égalitaire. Qu’ils se soient trompés n’empêche pas qu’il y a une énorme différence avec les intellectuels qui ont soutenu le nazisme, par exemple, puisque le nazisme ne laissait la moindre ambiguïté sur le genre d’avenir qu’il voulait construire.

      [Car c’est là l’argument de fond qui protège les intellectuels de la critique : ils luttaient pour de bons sentiments alors c’est pas pareil que Hitler.]

      C’est un fait. Et on ne gagne jamais rien à nier les faits.

      [Et bien, si justement. C’est même pire car que je sache, les intellectuels pronazis en Allemagne se sont faits discrets rapidement.]

      Pas vraiment. On ne peut pas dire que Heiddegger, par exemple, se soit « fait discret ». Si ma mémoire ne me trompe pas, il a continué à enseigner et à publier jusqu’à sa mort. Et tout l’establishment occidental a choisi de faire comme si Heiddegger n’avait pas été nazi. Et il est loin d’être le seul…

      [On touche alors au fond du problème : un ouvrier qui se bat pour l’URSS , oui il a le droit de dire cela, car il n’engage justement que ses bons sentiments. Un intellectuel Non : car si il bénéficie du titre d’intellectuel c’est justement qu’il est réputé capable de dépasser les sentiments et de voir la réalité.]

      Arrêtez… lorsqu’on a envie de croire, intellectuel ou ouvrier, on croit. Les intellectuels français avaient envie de croire, ils ont cru. Et puis un jour ils ont eu envie de croire à autre chose, et ils ont changé de religion. Et ils ont été souvent aussi fanatiques et aveugles dans leur nouvelle réligion – que ce soit le maoïsme, le retour à la religion ou l’anticommunisme – qu’ils l’avaient été dans l’ancienne.

      Au lieu de condamner, essayez de vous poser des questions. Pourquoi, à votre avis, les intellectuels français ont dans leur grande majorité cru dans des proportions variables au « paradis socialiste » ? Parce qu’ils étaient bêtes ? Parce qu’ils étaient méchants ? Parce qu’ils avaient pris des drogues ? Bien sur que non : un mouvement aussi massif doit avoir des explications qui tiennent à l’évolution de nos sociétés, et en particulier à la manière dont les droites « libérales » européennes ont alimenté les totalitarismes de droite croyant ainsi combattre « le communisme ».

      [Et là, – vous en etes la preuve – l’autocritique n’a pas été faire , il n’est encore nullement admis en France – qu’une politique socialiste en matière économique génère mécaniquement un risque pour les libertés , quand une politique libérale génère des antidotes.]

      Entre autres choses, ce n’est pas admis parce que ce n’est pas vrai. McCarthy, Somoza ou Batista ne sont pas le résultat d’une « politique socialiste ».

      [La preuve par votre discours sur Pinochet : comme si Pinochet, ou même Franco étaient comparables à la Russie ou à la Chine (et surtout pas de hauts cris ! , vous parlez à un ancien militant antifranquiste, j’ai eu des yeux pour voir).]

      Je ne me souviens pas d’avoir fait pareille « comparaison ».

      [Quant à l’équivalence que vous faites entre les libéraux et la gauche sur la question de la dictature remballez, remballez SVP.]

      Non, ça ne me plait pas. Quand vous aurez donné un argument, je « remballerai » peut-être. Mais en attendant, je ne « remballe » rien du tout. Le fait, c’est que les « libéraux » ont soutenu dans les faits les régimes dictatoriaux et les interventions américaines durant la guerre froide. Ils l’ont fait quelquefois avec enthousiasme, quelquefois en se pinçant le nez et en soupirant que c’était le moindre mal, mais ils l’ont fait. Je ne connais pas d’intellectuel « libéral » qui ait refusé une invitation aux Etats-Unis pour protester contre le McCarthysme. Et vous ?

      [Et je préfère que vous vous rappeliez que Aron , grâce au libéralisme a un peu sauvé l’honneur des intellectuels français.]

      En administrant une institution qui était un faux nez de la CIA ? C’est une conception assez particulière de « l’honneur », si vous voulez mon avis.

      [Mais vous m’avez mal lu, j’ai écrit “quasi-toute l’université”. L’influence qu’a eu Aron ne justifie hélas pas mieux : on l’a totalement marginalisé]

      Aron « totalement marginalisé » ? De grâce, relisez le CV d’Aron et les différentes fonctions qu’il a occupé pendant sa carrière. Si c’est cela « être marginalisé », alors je veux bien être « marginalisé ».

      [Mais comme j’imagine vous n’en n’êtes pas persuadé, allez dans les cours de philo politique à Sc PO. Et mesurez combien de temps on consacre à Aron ou a Revel ou à Furet . Comparez à Foucault ou Bourdieu.]

      Vous y êtes allé ? Et sinon, comment le savez vous ? Je trouve d’ailleurs très drôle que vous comptiez Foucault parmi les « staliniens », lui qui a toujours été au contraire antistalinien et proche d’une idéologie anarchiste…

      [Mais peut-être allez vous me dire que ces derniers auteurs étaient de bonne foi !!]

      Moi je reconnais la « bonne foi » à tout le monde sauf preuve contraire. Quand Aron me dit qu’il a administré pendant dix-sept ans une organisation qui était un faux nez de la CIA sans savoir d’où venait l’argent, je veux bien le croire. Pourquoi n’offrirais pas la même reconnaissance à Bourdieu ?

  12. frederic_N dit :

    Bonjour
    Pardonnez moi de réagir sur un sujet connexe, mais vous parlez de la responsabilité des intellectuels. Alors si c’est le cas il faut faire un constat étrange
    – nos intellectuels français ont une histoire. Une sale histoire .
    Cette histoire est celle d’un engagement massif, sans faille pour le communisme et le stalinisme. A ce propos, il faut rappeler aux jeunes de moins de 40 ans que quasi- TOUTE l’université française ( à minima dans les lettres et sciences sociales ) a été engagée jusqu’au cou dans l’aventure stalinienne. Toute cela veut dire que “ne pas être de gauche”, “être suspect d’anticommunisme” signifiait la fin de votre carrière si vous étiez en place et l’élimination si vous étiez jeune. Toute, cela veut dire que l’on a “acheté” et fondé en théorie tous les méandres du stalinisme, depuis l’affaire Kravchenko, jusqu’à l’affaire Lyssenko en passant par la célèbre “rupture épistémologique”
    – logiquement ,si le mot responsabilité a un sens, notre université aurait du faire un vrai travail de compréhension . Il n’est pas neutre que la fine fleur des gens qui forment les jeunes, qui foment les formateurs des formateurs : les Sartre, les Foucault, les Althusser, les Lyotard et leurs alter ego artistes ( les Aragon;, les Ferrat, les Montand etc.. ) pour ne prendre que les plus jeunes aient été engagés dans ce désastre intellectuel Cela veut dire non pas qu’ils ont été faibles individuellement – la belle affaire – mais que la structure même de leur pensée – a été incapable de voir ce qui se passait réellement . Or c’est cette structure qui a toujours été enseignée. C’est elle qui continue à faire des dégâts. Logiquement, si le mot responsabilité avait un sens : tous auraient dû passer par une réévaluation par les pairs sur leur légitimité à enseigner . Et tous auraient dû s’interroger sur les raisons intellectuelles d’un tel fourvoiement En tout cas c’est ce qu’on aurait du exiger : non pas en tant qu’individus , tous ont droit à l’erreur, mais en tant qu’intellectuel
    – je constate que ce travail n’a pas été fait. A preuve la réflexion de la plupart de ce qui me lisent , puisque j’ai sciemment pris comme exemple des gens que l’on dédouane le plus souvent . Lui, il a réagi, il s’est désolidarisé du parti communiste. Lui va même faire des chansons contre te Goulag . Lyortard n’a jamais été stalinen Tout ceci est faux. Dénoncer le Goulag en 60 cela n’a jamais mangé de pain. Par contre : s’interroger sur les racines de la complaisance des intellectuels français pour le régime économique communiste, son antilibéralisme structurel et dont le Goulag n’est un effet : cela c’est le travail qui aurait dû être fait. Et qu’on a toujours refusé de faire .
    Ou plutôt si : certains l’ont fait, mais vous ne les connaissez pas. Intellectuellement ils ont été assassinés ( des Revel, des Furet) . Seuls ces gens là méritent le nom d’intellectuel

    Mais je m’égare. En appeler à la responsablité intellectuelle en France est peine perdue. Il vaut mieux continuer à crier contre le libéralisme. Comme le PCF à la grande époque .. y’a rarement quelque chose de nouveau sous le soleil

    : c’est à dire dans les

    • Descartes dit :

      @ Frédéric N.

      [nos intellectuels français ont une histoire. Une sale histoire. Cette histoire est celle d’un engagement massif, sans faille pour le communisme et le stalinisme.]

      Pourquoi dites vous « une sale histoire » ? La plupart de ceux qui se sont engagés « pour le communisme et le stalinisme » l’ont fait pour de très bonnes raisons. Ils étaient convaincus que cet engagement préparait l’avènement d’un monde meilleur, plus juste, plus égalitaire, plus libre. On peut leur reprocher de s’être trompés. On peut leur reprocher de ne pas avoir voulu savoir. Mais pas d’avoir soutenu en tout état de cause un régime qui se fixait comme objectif explicite l’asservissement de l’homme, l’extermination des opposants et des races inférieures.

      Oui, pas mal d’intellectuels français se sont engagés du côté du communisme et ont soutenu la répression stalinienne. D’autres se sont engagés du côté du « capitalisme libéral » et ont soutenu Pinochet ou Suharto. Mais dans les deux cas, ils l’ont fait en estimant que le dictateur de leur bord était un « mal nécessaire » pour la construction d’un monde plus libre, plus juste, plus généreux. Lorsque Brasillach s’engage du côté du nazisme, ce n’est pas le cas.

      [A ce propos, il faut rappeler aux jeunes de moins de 40 ans que quasi- TOUTE l’université française ( à minima dans les lettres et sciences sociales ) a été engagée jusqu’au cou dans l’aventure stalinienne.]

      Ce n’est pas vrai. Des hommes comme Fernand Braudel, Raymond Aron ou Claude Lévy-Strauss et leurs disciples ont eu une place importante dans l’université sans jamais avoir été staliniens. Il ne faudrait pas trop exagérer l’importance des « staliniens ».

      [- logiquement ,si le mot responsabilité a un sens, notre université aurait du faire un vrai travail de compréhension.]

      Et vous trouvez qu’ils ne l’ont pas fait ? Cela fait plus de trente ans que l’université française en cœur se frappe la poitrine. Chacun des intellectuels dont vous parlez a passé de longues années à abjurer sa foi antérieure et à brûler ce qu’il avait adoré…

      [Cela veut dire non pas qu’ils ont été faibles individuellement – la belle affaire – mais que la structure même de leur pensée – a été incapable de voir ce qui se passait réellement.]

      Ne soyez pas trop sévère. Je ne peux que vous conseiller la lecture d’un vieux livre de François George, « Pour un dernier hommage au camarade Staline ». Dans ce livre, George – qui ne fut pas stalinien, sinon plutôt le contraire – montre combien il faut faire la différence entre le stalinisme en URSS et le stalinisme en France. En URSS, ce fut un régime de terreur. En France, ce fut une cadre riche qui a fécondé la pensée française. L’age d’or du stalinisme français coïncide curieusement avec l’âge d’or de l’Université française. C’est avec la prise de pouvoir des anti-staliniens à la fin des années 1960 que les choses se gâtent…

      [Or c’est cette structure qui a toujours été enseignée.]

      Vous y croyez vraiment ? Pourriez-vous indiquer un exemple ? Franchement, je ne vois pas beaucoup de traces de « structure » stalinienne dans l’enseignement aujourd’hui. Les libertaires comme Foucault ou Lacan ont bien plus de prestige intellectuel que les marxistes de stricte obédience.

      [Ou plutôt si : certains l’ont fait, mais vous ne les connaissez pas. Intellectuellement ils ont été assassinés (des Revel, des Furet) . Seuls ces gens là méritent le nom d’intellectuel]

      Ah bon ? Vous trouvez que les Revel et les Furet ont été « assassinés » ? C’est d’autant plus drôle que Furet fut un stricte stalinien dans sa jeunesse, et ne rompt avec le PCF que bien après la mort de Staline. Il sera après 1968 conseiller du ministre de l’Education, professeur puis président de l’EHESS, élu à l’Académie Française… j’en connais pas mal d’intellectuels qui voudraient être « assassinés » de la sorte.

      [Mais je m’égare. En appeler à la responsablité intellectuelle en France est peine perdue. Il vaut mieux continuer à crier contre le libéralisme.]

      Je ne comprends pas très bien ce commentaire. Si vous voulez reprocher Staline aux communistes, il serait juste que vous reprochiez Pinochet, Suharto, Somoza ou Franco aux libéraux… vous savez, si vous creusez un petit peu, tout le monde a du sang sur les mains.

  13. Antoine dit :

    Bonjour,

    Il me semble qu’il y a un petit problème de grammaire dans cette proposition : “””on peut imaginer que cette démarche n’y est pour rien dans la libération de de Luca”””. Le “y” est en trop puisque “dans la libération de de Luca” est là.

    Sur la particule quand le nom n’est pas introduit par un prénom et un titre, je ne sais pas s’il y a une convention officielle : après tout on dit “Montesquieu”, “Charlus”, mais aussi “de Gaulle”.

    Merci pour cet article.

  14. @Descartes
    « Si vous voulez reprocher Staline aux communistes, il serait juste que vous reprochiez Pinochet, Suharto, Somoza ou Franco aux libéraux… »

    Le Hayek de la dernière période excepté, je doute que vous trouviez beaucoup d’intellectuels libéraux pour avoir soutenu ces dirigeants…

    « Jacques Chancel : Raymond Aron, vous avez toujours dit que vous préfériez les désordres des sociétés libres au calme apparent des pays totalitaires.

    Raymond Aron : Oui, bien sûr. Vous pas ?

    Jacques Chancel : Oui, bien sûr. Mais quels que soient les pays totalitaires ?

    Raymond Aron : Quel que soient les pays totalitaires. Mais…

    Jacques Chancel : Car ils ont toutes les couleurs.

    Raymond Aron : Oui et non. Si l’on veut dire régimes despotiques, ils sont de toutes les couleurs. Si l’on dit régimes totalitaires au sens fort, c’est-à-dire où non seulement il y a despotisme mais où il y a en plus une idéologie impérative pour tous, la seule forme pure que je connaisse aujourd’hui est celle de l’Union soviétique. Je ne dis pas du tout que tel despotisme de …mettons du Chili, ne soit pas à d’autres égards pire, mais ce n’est pas totalitaire en ce sens que Pinochet ne pense rien. Pinochet n’a pas d’idéologie à transmettre au monde, Pinochet ne se présente pas comme représentant le régime qui conduira l’humanité vers son accomplissement. De telle sorte que, on peut parfaitement penser que le régime chilien est pire que le régime soviétique, je n’entrerais pas dans la discussion, je dis simplement que ce n’est pas totalitaire au même sens que l’était le régime stalinien. » (cf : https://www.youtube.com/watch?v=espudHjpIU4 ).

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [« Si vous voulez reprocher Staline aux communistes, il serait juste que vous reprochiez Pinochet, Suharto, Somoza ou Franco aux libéraux… »][Le Hayek de la dernière période excepté, je doute que vous trouviez beaucoup d’intellectuels libéraux pour avoir soutenu ces dirigeants…]

      Ne croyez pas ça. Prenez les économistes de l’Ecole de Chicago, par exemple. Ou bien, plus près de chez nous, Jean-François Revel. Et encore, je suis gentil : si je prenais les intellectuels qui ont soutenu les gouvernements américains qui ont imposé ces dictatures, j’aurais une liste longue comme le bras.

      [Raymond Aron : Oui et non. Si l’on veut dire régimes despotiques, ils sont de toutes les couleurs. Si l’on dit régimes totalitaires au sens fort, c’est-à-dire où non seulement il y a despotisme mais où il y a en plus une idéologie impérative pour tous, la seule forme pure que je connaisse aujourd’hui est celle de l’Union soviétique. Je ne dis pas du tout que tel despotisme de …mettons du Chili, ne soit pas à d’autres égards pire, mais ce n’est pas totalitaire en ce sens que Pinochet ne pense rien. Pinochet n’a pas d’idéologie à transmettre au monde, Pinochet ne se présente pas comme représentant le régime qui conduira l’humanité vers son accomplissement.]

      Aron a parfaitement raison de faire cette distinction. Le régime de Pinochet, celui de Somoza ou de Suharto n’étaient pas véritablement des régimes « totalitaires », au sens qu’ils ne prétendaient pas imposer une idéologie censée faire le bonheur de l’humanité. Mais quid du régime américain qui a mis ces dictatures en place ? Il avait, lui, une « idéologie à transmettre au monde », une idéologie qui valait bien qu’on renverse des régimes démocratiques et qu’on assassine des opposants pour la faire triompher. Au sens d’Aron, le « totalitarisme » se trouvait à Washington, et non à Santiago…

  15. @Descartes
    « Prenez les économistes de l’Ecole de Chicago, par exemple. »

    Les élèves d’Hayek, vous voulez-dire ? Le monde est petit…

    « Ou bien, plus près de chez nous, Jean-François Revel. »

    Et que disait Revel à propos de Pinochet ou des dictatures latino-américaines ?

    « Si je prenais les intellectuels qui ont soutenu les gouvernements américains qui ont imposé ces dictatures, j’aurais une liste longue comme le bras. »

    Possible, mais des intellectuels libéraux, j’en doute. Revel n’est déjà pas un exemple très valable, il était socialiste jusqu’en 1970 si j’en crois sa fiche biographique sur Wikipédia.

    « Mais quid du régime américain qui a mis ces dictatures en place ? Il avait, lui, une « idéologie à transmettre au monde », une idéologie qui valait bien qu’on renverse des régimes démocratiques et qu’on assassine des opposants pour la faire triompher. Au sens d’Aron, le « totalitarisme » se trouvait à Washington, et non à Santiago… »

    La notion de totalitarisme, chez Aron comme chez Arendt ou d’autres, concerne un type de société, et non la politique étrangère d’un Etat. Il donc absurde de parler de totalitarisme vis-à-vis des USA.

    En outre, Aron ne considérait pas les manœuvres américaines comme le facteur déterminant du coup d’Etat contre Allende.

    « Le gouvernement Allende a été renversé davantage par les Chiliens eux-mêmes que par la CIA, bien que les services secrets de Washington aient soutenus tous les opposants au pouvoir gauchisant. La C.I.A avait favorisé des complots ou des attentats, elle ne semble pas avoir assumé une responsabilité directe dans le soulèvement militaire qui mit le général Pinochet au pouvoir. »
    -Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations (1962).

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [« Prenez les économistes de l’Ecole de Chicago, par exemple. » Les élèves d’Hayek, vous voulez-dire ? Le monde est petit…]

      Les penseurs libéraux du dernier quart du XXème siècle sont tous peu ou prou « disciples d’Hayek ». Certains sont des hayékiens flamboyants, d’autres des hayékiens honteux, mais cela revient au même.

      [« Ou bien, plus près de chez nous, Jean-François Revel. » Et que disait Revel à propos de Pinochet ou des dictatures latino-américaines ?]

      Revel a justifié Pinochet de la manière la plus perverse qui soit : il a sali Allende. Dans un article devenu célèbre, il a mis en cause la légitimité d’Allende à diriger son pays, ce qui revenait à justifier dans le contexte de l’époque la prise du pouvoir par l’armée. Dans les années qui ont suivi, Revel a toujours défendu la politique américaine de soutien aux dictatures anticommunistes avec l’argument du « moindre mal », dans des termes qui rappellent singulièrement la défense du régime soviétique de certains intellectuels dans les années 1960…

      [« Si je prenais les intellectuels qui ont soutenu les gouvernements américains qui ont imposé ces dictatures, j’aurais une liste longue comme le bras. » Possible, mais des intellectuels libéraux, j’en doute. Revel n’est déjà pas un exemple très valable, il était socialiste jusqu’en 1970 si j’en crois sa fiche biographique sur Wikipédia.]

      Et alors ? On peut être socialiste et libéral, vous avez des exemples devant vous tous les jours…

      [« Mais quid du régime américain qui a mis ces dictatures en place ? Il avait, lui, une « idéologie à transmettre au monde », une idéologie qui valait bien qu’on renverse des régimes démocratiques et qu’on assassine des opposants pour la faire triompher. Au sens d’Aron, le « totalitarisme » se trouvait à Washington, et non à Santiago… » La notion de totalitarisme, chez Aron comme chez Arendt ou d’autres, concerne un type de société, et non la politique étrangère d’un Etat. Il donc absurde de parler de totalitarisme vis-à-vis des USA.]

      Certes. Mais l’idéologie que les « libéraux » américains ont imposé au monde, ils l’ont imposé d’abord chez eux. Souvenez vous du McCarthysme, qui fut le moment paroxystique de cette imposition, mais qui ne doit pas cacher le contrôle idéologique total sur l’ensemble des moyens de diffusion, sur les syndicats, sur l’appareil d’Etat. De 1945 aux années 1960, il était impossible aux Etats-Unis de contester publiquement l’idéologie dominante, celle du « américan way of life », et ne parlons même pas de la politique extérieure. Si on se fonde sur la règle que « une société libre est une société où il n’est pas dangereux d’être impopulaire », la société américaine était par beaucoup de côtés « totalitaire », du moins au sens ou Aron l’entend dans le texte que vous avez cité.

      Bien entendu, il y a d’autres définitions de « totalitarisme ». Je préfère personnellement l’idée qu’une société totalitaire est une société où la sphère publique annexe la sphère privée. Mais ce n’est pas tout à fait ce qu’écrit Aron.

      [En outre, Aron ne considérait pas les manœuvres américaines comme le facteur déterminant du coup d’Etat contre Allende.]

      Peut-être parce qu’il ne connaissait pas à l’époque les documents déclassifiés depuis, et qui montrent que la décision de renverser Allende est venue de Washington. Mais je pense que c’est pour une autre raison, beaucoup plus perverse. Faire du renversement d’Allende une pure affaire chilienne permettait d’exonérer – consciemment ou inconsciemment – le régime « libéral » américain de toute responsabilité, et de légitimer l’acte de Pinochet en insistant sur l’acte libre et non mercenaire de ce dernier.

      [« Le gouvernement Allende a été renversé davantage par les Chiliens eux-mêmes que par la CIA, bien que les services secrets de Washington aient soutenus tous les opposants au pouvoir gauchisant. La C.I.A avait favorisé des complots ou des attentats, elle ne semble pas avoir assumé une responsabilité directe dans le soulèvement militaire qui mit le général Pinochet au pouvoir. » Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations (1962).]

      Votre citation a un sérieux problème : Aron était peut-être un visionnaire, mais il ne pouvait pas écrire en 1962 sur un événement qui se déroule plus de dix ans plus tard, en 1973…

  16. @Descartes
    « Les penseurs libéraux du dernier quart du XXème siècle sont tous peu ou prou « disciples d’Hayek ». Certains sont des hayékiens flamboyants, d’autres des hayékiens honteux, mais cela revient au même. »

    Pas du tout. Il existe toute sorte de façon de critiquer Hayek sans sortir du cadre libéral, et ce pour des raisons politiques, morales ou épistémologiques. Exemple => http://fr.liberpedia.org/fr/index.php?title=Hayek_d%C3%A9mocrate-social&redirect=no

    « Revel a justifié Pinochet de la manière la plus perverse qui soit : il a sali Allende. Dans un article devenu célèbre, il a mis en cause la légitimité d’Allende à diriger son pays, ce qui revenait à justifier dans le contexte de l’époque la prise du pouvoir par l’armée. »

    Comment le parlement chilien, donc : « c’est un fait que le gouvernement actuel de la République, depuis le début, a cherché à conquérir le pouvoir total, dans le but évident de soumettre tout le monde au plus strict contrôle économique et politique de l’État et de réaliser donc la mise en place d’un système totalitaire absolument opposé au système démocratique représentatif établi par la Constitution. » (cf : https://fr.wikisource.org/wiki/R%C3%A9solution_de_la_Chambre_des_d%C3%A9put%C3%A9s_du_Chili_sur_la_violation_grave_de_l%27ordre_constitutionnel_et_juridique_de_la_R%C3%A9publique_%281973%29 ).

    Rappel du contexte de dérive autocratique que dénonçaient les parlementaires chiliens: http://www.contrepoints.org/2013/09/10/798-la-voie-chilienne-vers-le-socialisme

    « On peut être socialiste et libéral. »

    Non. Pas plus qu’on ne peut être simultanément royaliste et républicain.

    « L’idéologie que les « libéraux » américains ont imposé au monde, ils l’ont imposé d’abord chez eux. Souvenez-vous du McCarthysme. »

    Vous mélangez tout. Le McCarthysme était un mouvement de purge mené par la droite américaine. Il a d’ailleurs été dénoncé en son temps par les quelques libéraux présents aux USA. C’est au sujet du McCarthysme que Ayn Rand a écrit : « Les doctrines ne peuvent être interdites ou prescrites par la loi. […] Nous devons protéger la liberté de parole d’un communiste, même si ses doctrines sont pernicieuses. » -Ayn Rand, The Objectivist Newsletter, septembre 1963.

    « De 1945 aux années 1960, il était impossible aux Etats-Unis de contester publiquement l’idéologie dominante […] la société américaine était par beaucoup de côtés « totalitaire ». »

    C’est faux, et mettre des guillemets ne changera pas la réalité historique. Les USA n’était pas une société à parti unique, la violence légale et extra-légale n’était pas généralisée, il n’y avait pas de système concentrationnaire. Et pour ce qui est de la critique publique du McCarthysme, je vous invite à lire ceci => https://en.wikipedia.org/wiki/McCarthyism#Critical_reactions

    « Votre citation a un sérieux problème. »

    Exact. Ce n’est pas un passage de Paix et guerre entre les nations, mais de la préface de la huitième édition, publiée de manière posthume en 1984 (cf : https://books.google.fr/books?id=0C2W4_x9plMC&printsec=frontcover&dq=Raymond+Aron&hl=fr&sa=X&ei=LqGQVLy-N9fbauehgXA&ved=0CCIQ6AEwAA#v=onepage&q=Raymond%20Aron&f=false ).

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [« Les penseurs libéraux du dernier quart du XXème siècle sont tous peu ou prou « disciples d’Hayek ». Certains sont des hayékiens flamboyants, d’autres des hayékiens honteux, mais cela revient au même. » Pas du tout. Il existe toute sorte de façon de critiquer Hayek sans sortir du cadre libéral,]

      Certes, on peut toujours critiquer sur des points plus ou moins secondaires. Mais quel penseur libéral de premier plan a pris de front la vision hayékienne ces trente dernières années ? Franchement, je n’en connais aucun. De là ma remarque sur le fait que tous les penseurs libéraux de ce dernier quart de siècle sont peu ou pro hayékiens…

      [« Revel a justifié Pinochet de la manière la plus perverse qui soit : il a sali Allende. Dans un article devenu célèbre, il a mis en cause la légitimité d’Allende à diriger son pays, ce qui revenait à justifier dans le contexte de l’époque la prise du pouvoir par l’armée. » Comment le parlement chilien, donc : (…)]

      J’avoue que de la part d’une personne ayant votre culture politique je ne m’attendais pas à une telle confusion. On parlait de la position des intellectuels, pas des politiques. Vous savez je pense que Allende gouvernait avec un parlement qui lui était hostile, et qui d’ailleurs a joué à fond le désordre et le coup d’Etat. Que ce parlement ait voté des motions proclamant l’illégalité ou l’inconstitutionnalité des mesures prises par Allende, cela fait partie du combat politique et n’a rien à voir avec un débat intellectuel. Par ailleurs, je vous rappelle que ce n’est pas au Parlement, mais au juge constitutionnel de décider si une mesure prise par un gouvernement est constitutionnelle ou pas.

      Je vous fait aussi remarquer que le Parlement chilien, si attentif aux violations de la constitution par le gouvernement Allende, n’a eu rien à dire sur le gouvernent Pinochet et n’a rien fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. Etonnant, n’est ce pas ?

      [Rappel du contexte de dérive autocratique que dénonçaient les parlementaires chiliens: http://www.contrepoints.org/2013/09/10/798-la-voie-chilienne-vers-le-socialisme%5D

      Désolé, je ne vais même pas essayer de répondre à ce genre d’argumentaire fabriqué pour justifier le coup d’Etat. Il suffit pour montrer son caractère ad hoc se souvenir que la décision de renverser Allende a été prise par Washington dès son élection, et avant qu’il ait eu le temps de violer quelque loi ou constitution que ce soit. Ou bien Washington avait la boule de cristal, ou bien il s’agit de l’application du vieil adage « quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage ».

      Mais supposons un instant que tout ce qui est écrit dans cet article soit la vérité vraie. Dans ce cas, pourquoi les putschistes de 1973 n’ont pas rétabli immédiatement la légalité constitutionnelle ? Si le but était d’écarter un président qui violait la Constitution et les lois et de revenir à un fonctionnement normal des institutions, pourquoi ne pas appeler rapidement à des élections ? Pourquoi a-t-il fallu dix-sept ans – oui, je répète, dix-sept ans – pour que le régime se décide à céder le pouvoir à un dirigeant élu ? Et pendant ces dix-sept ans, ou étaient ces juges et ces parlementaires si amoureux de l’Etat de droit, au point de défier l’autorité d’un président constitutionnel pour les faire valoir ?

      Allende a certainement fait beaucoup d’erreurs. Mais ce ne sont pas ses erreurs qui lui ont coûté la tête. Sa destitution était décidée dès le jour de sa nomination. La bourgeoisie chilienne et l’administration américaine n’étaient pas prêts à laisser un gouvernement de gauche réussir ni même durer. C’est pourquoi le gouvernement Allende fut saboté, et lorsqu’il a utilisé les instruments à sa disposition pour contrer ce sabotage, fut accusé de vouloir imposer une dictature et finalement renversé. Curieusement, tous ceux qui craignaient si fort qu’Allende devienne un dictateur se sont parfaitement accommodés de la dictature de son successeur. En vrais libéraux…

      [« On peut être socialiste et libéral. » Non. Pas plus qu’on ne peut être simultanément royaliste et républicain.]

      En d’autres termes, pour vous ni Schröder ni Blair ni Macron ne sont « libéraux » ?

      [« L’idéologie que les « libéraux » américains ont imposé au monde, ils l’ont imposé d’abord chez eux. Souvenez-vous du McCarthysme. » Vous mélangez tout. Le McCarthysme était un mouvement de purge mené par la droite américaine. Il a d’ailleurs été dénoncé en son temps par les quelques libéraux présents aux USA.]

      Quelques exemples, s’il vous plait ? J’avoue que je ne connais pas beaucoup de libéraux de premier plan qui aient pris la défense des communistes persécutés à l’époque.

      [C’est au sujet du McCarthysme que Ayn Rand a écrit : « Les doctrines ne peuvent être interdites ou prescrites par la loi. […] Nous devons protéger la liberté de parole d’un communiste, même si ses doctrines sont pernicieuses. » -Ayn Rand, The Objectivist Newsletter, septembre 1963.]

      Sauf que Ayn Rand écrit cela en 1963, en plein « dégel ». Qu’écrivait Rand en 1949, par exemple ?

      [« De 1945 aux années 1960, il était impossible aux Etats-Unis de contester publiquement l’idéologie dominante […] la société américaine était par beaucoup de côtés « totalitaire ». » C’est faux, et mettre des guillemets ne changera pas la réalité historique. Les USA n’était pas une société à parti unique,]

      Je ne vois pas le rapport. Dans le texte que vous citez, Aron semble définir le « totalitarisme » à partir du fait qu’il y ait une « idéologie d’Etat » que personne ne saurait contester. Cela n’implique nullement un régime de « parti unique ». Il peut y avoir pluralité des partis à condition que tous les partis légaux partagent cette « idéologie d’Etat ».

      [la violence légale et extra-légale n’était pas généralisée,]

      Aron ne parle à aucun moment de « violence légale et extra-légale ». La cité du Vatican est un état totalitaire et pourtant non-violent.

      [il n’y avait pas de système concentrationnaire.]

      Encore une fois, le commentaire d’Aron que vous avez cité ne considère pas l’existence d’un « système concentrationnaire » comme indispensable pour qualifier un régime de « totalitaire ». J’ai envie de vous demander ce que vous, vous entendez par « régime totalitaire ». Prenez par exemple l’acte de proclamer une croyance obligatoire dans les billets de banque. S’agit-il pour vous d’un acte de nature « totalitaire » ?

      [Et pour ce qui est de la critique publique du McCarthysme, je vous invite à lire ceci => https://en.wikipedia.org/wiki/McCarthyism#Critical_reactions%5D

      Vous remarquerez que beaucoup de ces « critiques » s’adressent plutôt aux « excès » du McCarthysme et à ses méthodes qu’aux buts eux-mêmes. Très rares ont été les critiques qui ont affirmé le droit des citoyens d’être communistes si cela leur chante sans être discriminés.

    • bip dit :

      [« On peut être socialiste et libéral. » Non.]

      En tout cas, Maurice Allais se définissait ainsi : “Le point de vue que j’exprime est celui d’un théoricien à la fois libéral et socialiste. Les deux notions sont indissociables dans mon esprit, car leur opposition m’apparaît fausse, artificielle. L’idéal socialiste consiste à s’intéresser à l’équité de la redistribution des richesses, tandis que les libéraux véritables se préoccupent de l’efficacité de la production de cette même richesse. Ils constituent à mes yeux deux aspects complémentaires d’une même doctrine. Et c’est précisément à ce titre de libéral que je m’autorise à critiquer les positions répétées des grandes instances internationales en faveur d’un libre-échangisme appliqué aveuglément.” (http://www.les-crises.fr/le-testament-de-maurice-allais/)

      Un exemple peut-être, en ces temps de “ras le bol fiscal”, de “grande réforme fiscal”, etc :

      “{Question : Vous soutenez par exemple, à propos de l’impôt, qu’il faudrait ne pas imposer le revenu du travail mais par contre taxer complètement l’héritage. Pouvez-vous expliquer cette position qui peut paraître très iconoclaste pour bon nombre d’économistes ?}

      J’ai qualifié l’impôt sur le revenu de système anti-économique et anti-social, car il est assis sur le travail physique ou intellectuel, sur l’effort, sur le courage. Il est l’expression d’une forme d’iniquité. Baser la fiscalité sur les activités créatrices de richesse est un non sens, tandis que ce que j’ai nommé les revenus « non gagnés » sont pour leur part trop protégés : à savoir par exemple l’appropriation privée des rentes foncières, lorsque la valeur ou le revenu des terrains augmente sans que cette hausse ne résulte d’un quelconque mérite de son propriétaire, mais de décisions de la collectivité ou d’un accroissement de la population. […]” (Maurice Allais toujours, même source)

      Un commentaire du billet source indique des précisions d’Allais dans le livre “L’impôt sur le capital et la réforme monétaire”. Un livre préfacé par Raymond Aron. 😉

      D’après ce commentateur, “Son livre L’IMPÔT SUR LE CAPITAL explique, tout au contraire qu’il ne s’agit pas de “taxer complètement l’héritage” mais son contraire: de le supprimer et de demander chaque année au propriétaire 2 à 3 % de la valeur déclarative de ses biens inscrits au cadastre. En échange de cette taxation du capital fixe qui peut rester improductif, il faut supprimer toutes les taxes qui accablent le capital circulant, celui qui est investi dans la production” (s’en suit un long exemple).

      Ça semble une bonne idée non ?

      Et donc si ça n’est pas le système actuel (au moins en France mais je pense nulle part), quelles en sont les raisons ?
      Parce que ça me semble impossible à faire passer politiquement alors que pourtant ça devrait ravir nos “classes moyennes”, non ?
      Ça fait partie du deal avec la bourgeoisie ? Pas touche à nos rentes ?

    • Descartes dit :

      @ bip

      [« On peut être socialiste et libéral. » Non.][En tout cas, Maurice Allais se définissait ainsi : “Le point de vue que j’exprime est celui d’un théoricien à la fois libéral et socialiste. Les deux notions sont indissociables dans mon esprit, car leur opposition m’apparaît fausse, artificielle.]

      Exactement. Le principe général du libéralisme est que l’Etat ne doit mettre des limites à la liberté des citoyens que pour empêcher ce qui est nuisible à la société. Mais on peut parfaitement considérer, comme le fait Allais, qu’une trop grande inégalité dans la société est « nuisible ». Et même si on laisse de côté la vision idéaliste d’Allais et qu’on revient à une vue plus matérialiste du socialisme, on peut parfaitement estimer que dans la mesure ou l’exploitation de l’homme par l’homme est « nuisible », l’Etat peut l’empêcher sans cesser d’être « libéral ». Mais dans ma remarque, je faisais de l’ironie : on peut être « socialiste » (au sens de membre du parti socialiste) et libéral. On peut même être « socialiste » dans ce sens et ultralibéral… peut être parce qu’on peut avoir sa carte au parti socialiste sans être nullement « socialiste »…

      [Et donc si ça n’est pas le système actuel (au moins en France mais je pense nulle part), quelles en sont les raisons ? Parce que ça me semble impossible à faire passer politiquement alors que pourtant ça devrait ravir nos “classes moyennes”, non ? Ça fait partie du deal avec la bourgeoisie ? Pas touche à nos rentes ?]

      Oui… mais pas seulement. En fait, l’héritage a une valeur symbolique extrêmement importante. A ma connaissance, aucun parti politique de masse – pas même le PCF dans ses moments les plus ouvriéristes – n’a proposé l’abolition de l’héritage. L’idée que les biens qui ont appartenu à nos parents ne nous reviennent pas est insupportable pour toutes les couches de la société, même les plus pauvres.

  17. @Descartes
    « J’avoue que de la part d’une personne ayant votre culture politique je ne m’attendais pas à une telle confusion. »

    Hélas…Vous êtes la deuxième personne que j’estime à me dire cela aujourd’hui. Comme disait Emil Cioran : « Ne nous suicidons pas trop vite, il y a encore quelqu’un à décevoir. »

    Mais je crois que j’échangerais volontiers la moitié de la valeur que j’attribue à votre compliment contre un peu plus de nuance de votre part.

    « Je vous rappelle que ce n’est pas au Parlement, mais au juge constitutionnel de décider si une mesure prise par un gouvernement est constitutionnelle ou pas. »

    Si vous le dites. Vous affirmez donc que le Parlement chilien est entré dans l’illégalité avant le gouvernement ?

    « Je vous fais aussi remarquer que le Parlement chilien, si attentif aux violations de la constitution par le gouvernement Allende, n’a eu rien à dire sur le gouvernent Pinochet et n’a rien fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. Etonnant, n’est-ce pas ? »

    Je ne sais pas s’il faut trouver cela très étonnant, cela prouve surtout que les parlementaires chiliens étaient plus disposés à endurer une dictature de droite qu’une dictature de gauche. Mais il faut aussi se demander ce qui a affaibli le respect de la démocratie et de l’Etat de droits en premier lieu.

    « Je ne vais même pas essayer de répondre à ce genre d’argumentaire fabriqué pour justifier le coup d’Etat. »

    Ce n’est pas le sens de cet article. Ensuite, si vous soutenez qu’il est factuellement faux, je serais intéressé de connaître vos sources. La littérature sur l’histoire chilienne moderne n’est pas particulièrement abondante, me semble-t-il.

    « La décision de renverser Allende a été prise par Washington dès son élection. »

    Même question.

    « Allende a certainement fait beaucoup d’erreurs. »

    Ce n’est pas la question. Tous les gouvernements du monde font des erreurs, et les gestions économiques désastreuses ne sont pas l’apanage des gouvernements socialistes. La question est de savoir si sous la Présidence d’Allende, la Constitution et les libertés publiques ont été enfreintes, et par qui.

    Notez que je défends les coups d’Etats, même contre les gouvernements qui abusent de leur pouvoir. Mais il faut se demander ce qui rendu possible un climat où un coup d’Etat devenait désirable pour une large partie des chiliens –assez en tout cas pour que le régime de Pinochet perdure.

    « Le gouvernement Allende fut saboté, et lorsqu’il a utilisé les instruments à sa disposition pour contrer ce sabotage, fut accusé de vouloir imposer une dictature et finalement renversé. »

    Les instruments en question étaient-ils légaux et légitimes ? Etait-il tout à fait irrationnel de penser à l’époque –dans un contexte de Guerre froide de surcroît- qu’une dictature marxiste était en train de s’installer au Chili ? That’s the question.

    « Tous ceux qui craignaient si fort qu’Allende devienne un dictateur se sont parfaitement accommodés de la dictature de son successeur. En vrais libéraux… »

    Je ne sais pas si vous êtes amer ou écœuré par cette tragédie historique, mais il est de mon devoir de vous faire remarquer que vous êtes en train d’imiter M. Manuel Cervera-Marzal en baptisant « libéraux » tous ceux qui vous n’aimez pas : les maccarthystes américains, les putschistes chiliens… et ensuite quoi ? Hitler et Franco ? (association que le freudo-marxiste Herbert Marcuse s’est permise en son temps)…

    Comme vous l’avez-vous-même énoncé autrefois : « En simplifiant la complexité du monde par un manichéisme qui réduit tout à un combat entre le « bien » et le « mal » on s’évite le travail de penser, et que cela nous garantit la satisfaction morale d’être automatiquement du côté du « bien ». »

    « Pour vous ni Schröder ni Blair ni Macron ne sont « libéraux » ? »

    Bien sûr que non. Les deux premiers sont des sociaux-démocrates, c’est-à-dire des bricoleurs qui, ayant abandonnés la socialisation des moyens de productions, se sont accommodés du capitalisme, en le faisant fonctionner plus ou moins mal, en recherchant la fameuse Troisième Voie qui n’est qu’un autre masque du capitalisme de connivence (cf : http://www.wikiberal.org/wiki/Capitalisme_de_connivence ).

    D’ailleurs tous deux soutiennent la construction européenne, qui est rejetée explicitement aussi bien par un Jean-Jacques Rosa que par un Pascal Salin. A son époque, Aron disait déjà : « On ne créé pas les patries sur commande, l’Europe est « une idée d’intellectuels ». » (Raymond Aron, cité par Joël Mouric in Raymond Aron et l’Europe). Et encore dans Les guerres en chaîne : « L’idée européenne est vide. »

    Je ferais aussi remarquer que Blair a soutenu les guerres d’agression de l’Etat américain en Afghanistan et en Irak. Guerre d’Irak dont il soutenait toujours la nécessité en 2010, au mépris du droit international et du demi-million de morts (« La revue scientifique The Lancet a dans une seconde étude publiée le 11 octobre 2006 estimé que le nombre de morts liés à la guerre était situé entre 426 369 et 793 663 » -article wikipédia « Guerre d’Irak ») qu’elle a entraîné (cf : http://www.lemonde.fr/europe/article/2010/01/29/tony-blair-a-defendu-sans-aucun-regret-la-guerre-en-irak_1298747_3214.html ). Ce qui fait de lui un sinistre connard. MM. Sarkozy et Hollande lui ont d’ailleurs emboîté le pas en Lybie et maintenant en Syrie.

    Comparer donc ça avec la position libérale : « The liberal thinks otherwise. He is convinced that victorious war is an evil even for the victor, that peace is always better than war. He demands no sacrifice from the stronger, but only that he should come to realize where his true interests lie and learn to understand that peace is for him, the stronger, just as advantageous as it is for the weaker. » (Ludwig von Mises, Liberalism, p. 24) ; “The emergence of the international division of labor requires the total abolition of war.” (Mises, Human Action, p. 827) ; et encore “Only one thing can conquer war—that liberal attitude of mind which can see nothing in war but destruction and annihilation, and which can never wish to bring about a war, because it regards war as injurious even to the victors.” (Mises, The Theory of Money and Credit, p. 433).

    J’ajoute que Ayn Rand s’opposait à la guerre du Vietnam, ce qui, avec son athéisme, ses positions libérales et sa défense du droit à l’avortement, n’était pas pour plaire aux conservateurs américains (« It is proper to go to war to fight fascism, the Left says, but not to fight communism. I say we must fight both or neither. In my view, we should fight fascism and communism when they come to this country (USA). » cf: https://books.google.fr/books?id=-2D6VqMXfFIC&pg=PT86&lpg=PT86&dq=ayn+rand+against+vietnam+war&source=bl&ots=D9_DKcvz6t&sig=1txQPQJYpCHwoZCd4OG9PRGhHo8&hl=fr&sa=X&ved=0CEUQ6AEwBWoVChMIyfaCv9XoyAIVgSgaCh19JQa6#v=onepage&q=ayn%20rand%20against%20vietnam%20war&f=false ).

    Quant à M. Macron, c’est un opportuniste qu’Hollande utilise pour générer des équivoques sur ses intentions, tout comme le discours antimondialisation de M. Montebourg servait en son temps à leurrer une autre portion de l’électorat. Pendant ce temps, la dette et le chômage continuent de s’envoler vers des sommets insoupçonnés…

    « Sauf que Ayn Rand écrit cela en 1963, en plein « dégel ». »

    Ha, tout à l’heure le maccarthysme de l’Amérique totalitaire durait jusque dans les années 60, maintenant 1963 marque un plein dégel…

    « Qu’écrivait Rand en 1949, par exemple ? »

    Son célèbre roman « Atlas Shrugged », paru en 1957 (traduction française La Grève, disponible aux éditions Les Belles Lettres). Elle y a travaillé pendant treize ans, et à la lecture, on comprend que ça en valait la peine. Ce n’est qu’avec le succès d’Atlas Shrugged que Ayn Rand a commencé à exercer une activité « politique » (conférences publiques, essais, etc). Mais elle défendait déjà la liberté d’expression de tous en 1947 : « As for Communists’ rights to free speech, she argued, rather persuasively, that the principle of free speech requires « that we do not [pass laws or] use a police force to forbid the Communists the expression of their ideas ».” -Anne C. Heller, Ayn Rand and the world she made, Anchor Books Edition, 2009, 567 pages, p. 201.

    Pour rappel, la même année, un Merleau-Ponty pouvait écrire tranquillement: « La ruse, le mensonge, le sang versé, la dictature, sont justifiés s’ils rendent possible le pouvoir du prolétariat et dans cette mesure seulement. » -Maurice Merleau-Ponty, Humanisme et terreur, coll. « Essais », éd. Gallimard, 1947, p. XIV.

    « Le commentaire d’Aron que vous avez cité. »

    Il y a aussi écrit des livres, et le fait que dans cette interview, il insiste sur l’adhésion obligatoire à une idéologie d’Etat ne réduit pas son analyse du totalitarisme à ce seul facteur, mais vise à distinguer totalitarisme et régime autoritaire. Et vous savez cela.

    « J’ai envie de vous demander ce que vous, vous entendez par « régime totalitaire ». »

    Je vous répondrais quand j’aurais compris pourquoi le concept est plus large chez Aron que chez Arendt. Et aussi quand j’aurais lu Claude Lefort sur la question. En tout cas je me risquerais pas à l’utiliser à tort et à travers, comme le font hélas nombre de contemporains pour qualifier tout et n’importe quoi.

    « Prenez par exemple l’acte de proclamer une croyance obligatoire dans les billets de banque. S’agit-il pour vous d’un acte de nature « totalitaire » ? »

    Vous parlez de l’émission de monnaie à cours forcé, n’est-ce-pas ? Non, bien sûr que ça n’est pas totalitaire (pourquoi tant de guillemets ? les concepts ont un sens vous savez, les utiliser entre guillemets ne fait que rendre la signification que vous leur attribuer floue, alors qu’il existe certainement d’autres concepts qui exprimeraient mieux les nuances de votre propos. Bref). En revanche, de là à dire que le cours forcé est compatible avec le libéralisme…

    « Très rares ont été les critiques qui ont affirmé le droit des citoyens d’être communistes si cela leur chante sans être discriminés. »

    C’est vrai, mais au grand jeu de l’horreur, mieux vaut être discriminé aux USA parce qu’on est communiste, que liquidé en URSS parce qu’on est pas marxiste-léniniste orthodoxe…ou qu’être rééduqué par la « révolution culturelle » chère aux maoïstes d’hier, nos brillants esprits d’aujourd’hui, les Rancière, les Badiou, les Finkielkraut

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [« J’avoue que de la part d’une personne ayant votre culture politique je ne m’attendais pas à une telle confusion. » Hélas…Vous êtes la deuxième personne que j’estime à me dire cela aujourd’hui. Comme disait Emil Cioran : « Ne nous suicidons pas trop vite, il y a encore quelqu’un à décevoir. »]

      Je serais vraiment désolé si mon commentaire devait vous pousser dans la voie du suicide, qu’il soit réel ou symbolique. Il n’y avait aucune méchanceté dans mon commentaire, mais j’avoue que j’ai été véritablement surpris par votre réponse, au point que – car je ne suis pas totalement immodeste – je me suis longuement demandé s’il y avait dans celui-ci un deuxième sens qui m’avait échappé.

      [Mais je crois que j’échangerais volontiers la moitié de la valeur que j’attribue à votre compliment contre un peu plus de nuance de votre part.]

      Je pense au contraire avoir été très « nuancé ». On ne peut pas mettre sur le même plan l’analyse d’un intellectuel qui, quelque soient ses opinions, est tenu par la surveillance de ses pairs à une certaine rigueur sous peine de passer pour un charlot, et le discours d’un politique particulièrement dans une situation ou tous les coups, même les plus bas, étaient permis.

      [« Je vous rappelle que ce n’est pas au Parlement, mais au juge constitutionnel de décider si une mesure prise par un gouvernement est constitutionnelle ou pas. » Si vous le dites. Vous affirmez donc que le Parlement chilien est entré dans l’illégalité avant le gouvernement ?]

      Non. Ce que je dis, c’est que la déclaration du parlement chilien n’est que cela, une déclaration. Elle reflète une position politique, et n’a aucune valeur probante en matière juridique. Si demain le Sénat de la République Française votait une motion déclarant que la loi Taubira est inconstitutionnelle, quel crédit donneriez-vous à cette affirmation du point de vue juridique ?

      [« Je vous fais aussi remarquer que le Parlement chilien, si attentif aux violations de la constitution par le gouvernement Allende, n’a eu rien à dire sur le gouvernent Pinochet et n’a rien fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. Etonnant, n’est-ce pas ? » Je ne sais pas s’il faut trouver cela très étonnant, cela prouve surtout que les parlementaires chiliens étaient plus disposés à endurer une dictature de droite qu’une dictature de gauche.]

      Pas tout à fait : cela prouve plutôt qu’ils étaient plus disposés à endurer une dictature de droite qu’un régime démocratique. A supposer même que le régime d’Allende fut une « dictature », qu’est ce qui empêchait les militaires après le coup d’Etat d’appeler à des élections dans la foulée ? Cela aurait permis au peuple chilien d’exprimer sa volonté sans ambiguïté, non ? Mais peut-être que ces sages parlementaires, si soucieux des violations des règles démocratiques sous Allende, ne tenaient pas trop à ce que le peuple puisse s’exprimer ? En tout cas, ces parlementaires se sont curieusement abstenus d’exiger un retour rapide à l’ordre démocratique. Ce qui tend à jeter un certain doute sur leurs motivations lorsqu’ils dénonçaient le régime d’Allende…

      [Mais il faut aussi se demander ce qui a affaibli le respect de la démocratie et de l’Etat de droits en premier lieu.]

      Ca, c’est très clair. Tout gouvernement qui fait une politique qui heurte les intérêts de la bourgeoisie et des « classes moyennes » – et accessoirement les intérêts américains – affaiblit semble-t-il le respect de la démocratie et de l’Etat de droit. De Mossadegh à Allende, de Soekarno à Lumumba, le scénario est toujours le même. Une coïncidence, certainement…

      [« Je ne vais même pas essayer de répondre à ce genre d’argumentaire fabriqué pour justifier le coup d’Etat. » Ce n’est pas le sens de cet article. Ensuite, si vous soutenez qu’il est factuellement faux, je serais intéressé de connaître vos sources. La littérature sur l’histoire chilienne moderne n’est pas particulièrement abondante, me semble-t-il.]

      Oui, je soutiens qu’il est actuellement faux, par action et par omission. Mais comme je vous l’ai dit, le démontrer rigoureusement me prendrait beaucoup de temps. Je ne vais donc pas démonter un à un les arguments exposés. Mais comme je n’aime pas vous laisser sur une réponse que je sais insatisfaisante, je prendrai quelques exemples. Prenez par exemple le premier paragraphe du texte : même avant d’exposer le moindre fait, on fait l’amalgame Allende avec « Lénine, Mao, Che Guevara » – alors qu’il n’y a guère de points communs entre les trajectoires de ces trois personnages et celle de Salvador Allende. Ce procédé est assez typique de ce genre d’argumentaires « guerre froide ». L’amalgame étant faite, on peut charger Allende des pêchés des autres sans avoir rien à prouver.

      Cette amalgame continue plus loin : « Selon l’historien Christopher Andrew – qui se base sur les archives secrètes du major du KGB Vasili Mitrokhin passé à l’Ouest en 1992 –, cette victoire relative obtenue de justesse aurait été due en partie au soutien politique et surtout financier reçu par Allende de la part des services secrets soviétiques ». Il est vrai que « l’or de Moscou » a encore ses adeptes, et que les « archives secrètes » et donc invérifiables permettent d’écrire à peu près n’importe quoi. Mais dans le cas d’espèce, l’argument est particulièrement tiré par les cheveux : la victoire d’Allende est surtout due à la division de la droite chilienne, division dans laquelle le KGB n’a joué aucun rôle. D’ailleurs, l’article raconte un peu plus tard que « La désignation d’Allende put se faire grâce à l’appui de Tomic », le candidat démocrate-chrétien. Il était payé par le KGB, lui aussi ?

      Vient ensuite l’affirmation imaginaire : « Allende devait signer un Statut de garanties constitutionnelles et s’engager à n’entreprendre des réformes structurelles que par la voie législative. Le patron de l’Unité populaire signera bien ce document mais ne l’honorera jamais. Il se vantera d’ailleurs six mois plus tard de sa duplicité dans une entretien avec Régis Debray, expliquant que la signature de ce pacte de respect de la constitution n’avait été qu’une simple concession tactique afin d’accéder au pouvoir (…) ». J’ai retrouvé l’entretien de Régis Debray avec Salvador Allende (http://www.archivochile.com/Ideas_Autores/debray/debray0001.pdf). Le discours d’Allende n’est pas celui-là : C’est Debray lui demande si le « statut de garanties constitutionnelles » n’était pas une concession tactique, et Allende répond précisément qu’il n’y a pas eu de « concession », dans la mesure où le « statut de garanties constitutionnelles » était parfaitement compatible avec le programme de l’unité populaire.

      Au paragraphe suivant, on trouve un autre argument fallacieux, celui du raisonnement par inférence. Voici le paragraphe : « Car, très loin d’un soi-disant projet « progressiste » mais « modéré » et utilisant la voie démocratique, le programme politique de l’Unité populaire mené par Allende relevait bien de la classique ligne marxiste-léniniste. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les programmes politiques des partis membres de la coalition de l’Unité populaire ou les déclarations de leurs dirigeants, avant et après l’arrivée au pouvoir d’Allende ». Suivent un certain nombre de citations d’extraits des programmes des partis de l’Unité populaire. Mais si on lit les « programmes politiques » du Parti socialiste français ou du PCF dans les années 1970, on trouvera des expressions assez semblables à celles qui figurent dans ces extraits. Rappelons que Mitterrand déclarait que « celui qui ne croit pas à la rupture avec le capitalisme n’a pas sa place au Parti socialiste », et que le PCF n’abandonne l’idée de « dictature du prolétariat » qu’en 1976. Peut on conclure, en faisant le même raisonnement, que le Programme commun de 1972 « relève de la classique ligne marxiste-léniniste », et que d’avoir gagné Mitterrand les élections de 1974 on aurait eu une « dictature du prolétariat » en France ? Bien sur que non : il y a ce qu’on écrit dans les programmes, et il y a ce qu’on fait en pratique. Si on devait juger l’action des politiques par leur programme…

      Je pourrais continuer longtemps, parce que l’article est truffé de ce genre d’abus de raisonnement. On y retrouve un par paragraphe, au moins. Mais j’espère que ces trois exemples vous convaincront que l’article n’est pas sérieux.

      [« La décision de renverser Allende a été prise par Washington dès son élection. » Même question.]

      Je vous recommande le livre de Kornbluh, « The Pinochet file », qui contient les documents déclassifiés par les services américains. Vous pouvez accéder à certains de ces documents sur lien http://nsarchive.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB110/index.htm. Vous noterez en particulier le mémorandum du 5 novembre 1970, écrit le jour suivant l’élection d’Allende…

      [Ce n’est pas la question. Tous les gouvernements du monde font des erreurs, et les gestions économiques désastreuses ne sont pas l’apanage des gouvernements socialistes. La question est de savoir si sous la Présidence d’Allende, la Constitution et les libertés publiques ont été enfreintes, et par qui.]

      Tout à fait, tout à fait…

      [Notez que je défends les coups d’Etats, même contre les gouvernements qui abusent de leur pouvoir. Mais il faut se demander ce qui rendu possible un climat où un coup d’Etat devenait désirable pour une large partie des chiliens –assez en tout cas pour que le régime de Pinochet perdure.]

      Mais… dès lors que le projet d’Allende heurtait les intérêts des « classes moyennes », de la bourgeoisie chilienne et des intérêts américains, le coup d’Etat devenait « désirable pour une large partie des chiliens » du fait même de son élection. La question est aussi combien « large » était cette « large partie des chiliens ». Apparemment, pas assez « large » pour que ces couches sociales poussent le gouvernement issu du coup d’Etat à organiser rapidement des élections libres… peut-être craignaient-elles qu’une telle élection ne donne une victoire nette aux héritiers politiques d’Allende ?

      [« Le gouvernement Allende fut saboté, et lorsqu’il a utilisé les instruments à sa disposition pour contrer ce sabotage, fut accusé de vouloir imposer une dictature et finalement renversé. » Les instruments en question étaient-ils légaux et légitimes ?]

      Légitimes, j’en suis convaincu. Légaux ? Possiblement pas toujours, et Allende l’avait reconnu lui-même. La constitution chilienne ne prévoyant pas l’équivalent de l’article 16 de la constitution de 1958, elle n’offrait pas vraiment les moyens « légaux » d’assurer l’ordre public face à une opposition qui, elle, ne respectait pas les règles de la légalité. En situation de quasi-guerre civile, il est difficile de respecter strictement la légalité. Mais je conteste formellement l’idée qu’Allende aurait violé la légalité volontairement le premier, et non pas en réaction à une situation qui exigeait les grands moyens.

      [Etait-il tout à fait irrationnel de penser à l’époque –dans un contexte de Guerre froide de surcroît- qu’une dictature marxiste était en train de s’installer au Chili ? That’s the question.]

      Pour essayer d’y répondre, je vous invite à considérer le fait que chaque fois qu’un gouvernement, qu’il fut modéré ou « révolutionnaire » a mis en cause les intérêts américains, on a sorti le joker « dictature marxiste ». Mossadegh, Soekarno, Lumumba, Bosch, Allende… ça fait un peu beaucoup de « dictatures communistes », vous ne trouvez pas ?

      [« Tous ceux qui craignaient si fort qu’Allende devienne un dictateur se sont parfaitement accommodés de la dictature de son successeur. En vrais libéraux… » Je ne sais pas si vous êtes amer ou écœuré par cette tragédie historique (…)]

      Ni l’un, ni l’autre. Que la bourgeoisie chilienne et les intérêts américains aient cherché à contrer par tous les moyens – y compris le sang – toute tentative de mise en cause de leurs intérêts est dans l’ordre des choses. Ce qui me rend « amer et écoeuré », c’est que presque un demi-siècle après les faits on continue à déguiser ce qui fut une brutale défense d’intérêts derrière le rideau de fumée de la « défense de la démocratie et des libertés ». Lorsque vous citez la déclaration du parlement chilien invoquant les libertés sacrées prévues par la constitution, vous ne pouvez ignorer que c’est un vote de circonstance, que les députés qui ont voté ce texte s’en foutaient totalement « de la démocratie et des libertés », comme ils l’ont prouvé quelques mois plus tard, et que ce vote n’avait pour but que de protéger les intérêts d’une caste.

      Je ne voudrais pas être désagréable à votre égard, et vous savez bien que même si je ne partage vos opinions libérales – même si, vous l’avez compris, je ne rejette pas in toto l’héritage libéral – je respecte vos positions. Mais j’avoue que j’ai du mal à comprendre votre position dans cette affaire. Croyez-vous vraiment que ceux qui ont renversé Allende l’ont fait pour défendre la vérité, la liberté et la justice ?

      [mais il est de mon devoir de vous faire remarquer que vous êtes en train d’imiter M. Manuel Cervera-Marzal en baptisant « libéraux » tous ceux qui vous n’aimez pas : les maccarthystes américains, les putschistes chiliens… et ensuite quoi ? Hitler et Franco ? (association que le freudo-marxiste Herbert Marcuse s’est permise en son temps)…]

      Pas du tout. Je n’ai jamais « baptisé libéraux les maccarthystes ou les putschistes chiliens », et encore moins Hitler ou Franco et si j’ai donné cette impression, je m’en excuse. Ma question était toute autre : pourquoi les penseurs libéraux – dont vous savez que je partage un certain nombre de principes, ce qui m’est d’ailleurs reproché par les soi-disant « antilibéraux »… – ont dans leur grande majorité mis de côté leurs idées lorsqu’il s’est agi de prendre position sur l’action des maccarthystes, des putschistes chiliens, et aussi mutatis mutandis de Hitler et Franco ? Pourquoi ces libéraux, qui ont été intransigeants à l’heure de combattre les « socialismes réels » au nom des libertés et du droit ont choisi de soutenir – car faire d’elles un « moindre mal », c’est bien un soutien – les dictatures « de droite » ? On ne peut pas balayer cette question d’un revers de main. Les « liberaux » ont joué Hitler contre le « communisme », et ont permis au régime de Franco de survivre quarante ans. Franco était-il moins dangereux pour les « libertés » que Allende ?

      [« Pour vous ni Schröder ni Blair ni Macron ne sont « libéraux » ? » Bien sûr que non. Les deux premiers sont des sociaux-démocrates, c’est-à-dire des bricoleurs qui, ayant abandonnés la socialisation des moyens de productions, se sont accommodés du capitalisme, en le faisant fonctionner plus ou moins mal, en recherchant la fameuse Troisième Voie qui n’est qu’un autre masque du capitalisme de connivence (cf : http://www.wikiberal.org/wiki/Capitalisme_de_connivence ).]

      Vous m’avez convaincu. Je retire mon commentaire…

      [J’ajoute que Ayn Rand s’opposait à la guerre du Vietnam, ce qui, avec son athéisme, ses positions libérales et sa défense du droit à l’avortement, n’était pas pour plaire aux conservateurs américains (« It is proper to go to war to fight fascism, the Left says, but not to fight communism. I say we must fight both or neither. In my view, we should fight fascism and communism when they come to this country (USA). »]

      Au contraire, sur ce point Rand était dans la droite ligne des « conservateurs américains », traditionnellement isolationnistes. Rappelez-vous que la guerre du Vietnam a été commencée par les Démocrates, et terminée par les Républicains. Mais vous ne répondez pas à ma question : quelle a été la position de Rand lors du Maccartysme ? Et bien : Ayn Rand fut l’une des toutes premières personnalités intellectuelles à dénoncer « la propagande communiste » dans le milieu du cinéma. Elle témoignera en 1947 à charge dans le procès des « dix de Hollywood ». Ils seront tous condamnés à de la prison ferme, et jamais réhabilités. Elle témoignera aussi à charge devant le « Comité sénatorial sur les activités non-américaines ». Encore un très bon exemple de la manière dont les « libéraux » se ont soutenu les politiques les plus « antilibérales » qui soient lorsque les intérêts de leur classe étaient en jeu.

      [« Sauf que Ayn Rand écrit cela en 1963, en plein « dégel ». » Ha, tout à l’heure le maccarthysme de l’Amérique totalitaire durait jusque dans les années 60, maintenant 1963 marque un plein dégel…]

      Exactement. Il ne vous aura pas échappé que 1963 c’est passé l’année 1960… j’aurais peut-être du écrire « jusqu’aux années 1960 non inclus » ?

      [« Qu’écrivait Rand en 1949, par exemple ? » (…) Mais elle défendait déjà la liberté d’expression de tous en 1947 : « As for Communists’ rights to free speech, she argued, rather persuasively, that the principle of free speech requires « that we do not [pass laws or] use a police force to forbid the Communists the expression of their ideas ».” -Anne C. Heller, Ayn Rand and the world she made, Anchor Books Edition, 2009, 567 pages, p. 201.]

      Vraiment ? En dénonçant la « propagande communiste à Hollywood » ? En témoignant à charge contre les « dix de Hollywood » ? En dénonçant devant le « Un-american activities senate commitee » ? Drôle de façon de « défendre la liberté d’expression de tous »… J’ai l’impression que Anne C. Heller, dont je ne connais pas les œuvres, aime tant son sujet qu’elle préfère effacer les zones d’ombre. A moins que chez Ayn Rand les écrits ne soient pas conformes aux actes.

      [Pour rappel, la même année, un Merleau-Ponty pouvait écrire tranquillement: « La ruse, le mensonge, le sang versé, la dictature, sont justifiés s’ils rendent possible le pouvoir du prolétariat et dans cette mesure seulement. » -Maurice Merleau-Ponty, Humanisme et terreur, coll. « Essais », éd. Gallimard, 1947, p. XIV.]

      Et les faits semblent lui donner raison. La guerre froide semble montrer que la bourgeoisie – y compris dans les pays dits « libres » – est prête à utiliser « la ruse, le mensonge, le sang versé, la dictature s’il le faut » pour empêcher tout régime qui menacerait ses intérêts. Le « pouvoir du prolétariat » n’est donc possible que si on accepte d’utiliser les mêmes méthodes. Si on y renonce, on est condamnés à accepter le pouvoir de la bourgeoisie, ou à voir toute tentative d’y échapper sabotée, réprimée, supprimée. Mossadegh ou Soekarno ont été renversés pour beaucoup moins que ça.

      Dans ce contexte, la remarque de Merleau-Ponty est plutôt modérée : la ruse, du mensonge, le sang versé, la dictature ne sont justifiés QUE s’ils rendent possible le pouvoir du prolétariat, et dans ce SEUL cas.

      [« Prenez par exemple l’acte de proclamer une croyance obligatoire dans les billets de banque. S’agit-il pour vous d’un acte de nature « totalitaire » ? » Vous parlez de l’émission de monnaie à cours forcé, n’est-ce-pas ?]

      Non. Je parle de l’inscription de la devise « in god we trust » dans les billets américains.

      [« Très rares ont été les critiques qui ont affirmé le droit des citoyens d’être communistes si cela leur chante sans être discriminés. » C’est vrai, mais au grand jeu de l’horreur, mieux vaut être discriminé aux USA parce qu’on est communiste, que liquidé en URSS parce qu’on est pas marxiste-léniniste orthodoxe…]

      Je ne sais pas si la chaise électrique des Rosenberg était plus douce que la balle dans la nuque dans la Loubianka. Personnellement, je trouve que c’est assez équivalent.

  18. BJ dit :

    [peut être parce qu’on peut avoir sa carte au parti socialiste sans être nullement « socialiste »…]
    Ou plus simplement parce que le parti socialiste n’est plus socialiste ?

  19. ma dit :

    @Descartes
    une anecdote amusante

    sur France Culture, je n’avais encore jamais assisté à la coupure d’une émission pour une nouvelle jugée importante par la rédaction. Et c’est arrivé le 19 octobre http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=5097303 (vers la 25ème mn).

    Pour quelle raison “extraordinaire”? pour l’annonce de la relaxe d’E Luca, avec en plus une longue intervention de son avocat (ou soutien ?)
    J’en conclu que Fr Culture est encore bien représentatif du mouvement que vous analysez

    nb: je n’ai pas lu les textes de E Luca , mais l’argument de son défenseur, est que lorsque E Luca employait le mot “sabotage”, c’était au sens figuré, et que donc on ne pouvait l’accuser de quelque responsabilité que ce soit dans les désordres qui ont eu lieu. Il faudrait relire ses textes, dans le contexte, pour se faire une idée documentée.

  20. @Descartes
    « Je serais vraiment désolé si mon commentaire devait vous pousser dans la voie du suicide, qu’il soit réel ou symbolique. »

    Mais non, rassurez-vous. C’est juste que j’avais Cioran à l’esprit. J’aime bien son côté ironique et mordant. C’est un peu comme Camus, en beaucoup plus lyrique. De grands auteurs (nietzschéens), dont il ne faut pas trop abuser sous peine de déprime.

    « Si demain le Sénat de la République Française votait une motion déclarant que la loi Taubira est inconstitutionnelle, quel crédit donneriez-vous à cette affirmation du point de vue juridique ? »

    Pour en juger il faudrait que je connaisse le droit, et comme vous l’avez remarqué quelque part, peu de gens ont cette culture. Pour moi, cela se limite à un semestre de droit constitutionnel, il y a déjà quelques années…Et ça ne me permet pas de répondre. Même si je me doute que la réponse est négative.

    D’un autre côté, la frénésie législative de la classe politique, les quelques milliers de décrets et dizaines de milliers de lois en France rendent totalement utopique le « Nul n’est censé ignoré la loi ».

    « Ces parlementaires se sont curieusement abstenus d’exiger un retour rapide à l’ordre démocratique. Ce qui tend à jeter un certain doute sur leurs motivations lorsqu’ils dénonçaient le régime d’Allende… »

    Oui, je n’y avais pas pensé, vu sous cet angle…

    A moins qu’ils aient été évincés sous le régime de Pinochet…Encore et toujours le manque d’informations. Néanmoins : « Dès le 12 septembre 1973, Augusto Pinochet prend l’ascendant sur la junte et met fin aux espérances de la droite chilienne, des conservateurs et des démocrates chrétiens qui s’attendaient à récupérer le pouvoir exécutif. Au contraire, le Parlement est dissous. » (cf : https://fr.wikipedia.org/wiki/Augusto_Pinochet#Chef_de_l.27.C3.89tat_.281973-1990.29 ).

    « On fait l’amalgame Allende avec « Lénine, Mao, Che Guevara » – alors qu’il n’y a guère de points communs entre les trajectoires de ces trois personnages et celle de Salvador Allende. »

    Cette critique comporte une prémisse cachée, qui tient pour établi qu’Allende était respectueux de la démocratie. Or c’est précisément le point en question. On ne peut donc dire qu’a posteriori s’il y a amalgame ou non.

    « On trouve un autre argument fallacieux, celui du raisonnement par inférence. […] il y a ce qu’on écrit dans les programmes, et il y a ce qu’on fait en pratique. Si on devait juger l’action des politiques par leur programme… »

    Je vous accorde volontiers ce point, ça n’est pas une méthode sérieuse.

    « J’espère que ces trois exemples vous convaincront que l’article n’est pas sérieux. »

    Il ne faut pas confondre la partie et le tout. Disons que votre argumentation ruine certains passages et jette une suspicion légitime sur l’ensemble.

    « Dès lors que le projet d’Allende heurtait les intérêts des « classes moyennes », de la bourgeoisie chilienne et des intérêts américains. »

    Sans oublier le reste de la population, si les données économiques de l’article discuté sont fiables. D’une manière générale, le socialisme ne fonctionne nulle part. L’effondrement actuel du Venezuela est un bon exemple (http://money.cnn.com/2015/10/29/news/economy/venezuela-selling-gold/index.html?sr=fbmoney102915venezuela-selling-gold0303PMStoryLink ).

    « Le coup d’Etat devenait « désirable pour une large partie des chiliens » du fait même de son élection. La question est aussi combien « large » était cette « large partie des chiliens ». Apparemment, pas assez « large » pour que ces couches sociales poussent le gouvernement issu du coup d’Etat à organiser rapidement des élections libres… peut-être craignaient-elles qu’une telle élection ne donne une victoire nette aux héritiers politiques d’Allende ? »

    J’ai l’impression que vous suggérez que les soutiens de la dictature de Pinochet était si peu nombreux qu’ils étaient obligés de tenir le pays par l’absence d’élections et la menace de l’armée. C’est un argument qu’on retrouve chez les impérialistes anti-Kadhafi ou anti-Bachar-el-assad : ces dirigeants ne feraient que régner par la menace des armes contre l’immense majorité de leur population que l’Occident doit « délivrer »… Je ne crois pas que les choses se passent comme ça dans l’histoire. Je ne crois pas qu’un gouvernement, démocratique ou non, puisse se maintenir contre l’opposition d’une majorité de sa population. Si mon point est juste, il faut se demander pourquoi la majorité des chiliens a accepté de subir la dictature militaire de Pinochet. Pourquoi cette résignation a laisser de côté la démocratie ? Cette servitude volontaire ne s’expliquait-elle par le sentiment d’un progrès (économique, social ?) par rapport au chaos ayant caractérisé la présidence d’Allende ?

    A un niveau plus théorique, c’est la question : qu’est-ce qui maintien le pouvoir ? Et pour Max Weber, « le fondement de toute domination est une croyance ». Ce n’est pas une simple question de fusils, de forces productives ou d’intérêts économiques, mais d’obéissance, d’adhésion, d’affects. Si Allende a été renversé, c’est qu’une majorité de chiliens ne voulait pas le défendre. Ou alors il faut m’expliquer comment une minorité peut dominer une majorité sans entraîner une guerre civile qu’elle ne peut que perdre.

    « Ce qui me rend « amer et écœuré », c’est que presque un demi-siècle après les faits on continue à déguiser ce qui fut une brutale défense d’intérêts derrière le rideau de fumée de la « défense de la démocratie et des libertés ». »

    L’article que j’ai cité ne disait pas cela. Il parle d’Allende, pas de ce qu’ont fait ou prétendus faire ses opposants.

    « J’avoue que j’ai du mal à comprendre votre position dans cette affaire. Croyez-vous vraiment que ceux qui ont renversé Allende l’ont fait pour défendre la vérité, la liberté et la justice ? »

    C’est très simple, j’essaie de comprendre pourquoi le peuple chilien a accepté d’obéir pendant des années à un gouvernement réactionnaire ayant poussé au suicide son ancien président, détruit sa démocratie -et une bonne part du palais présidentiel à l’artillerie de siège. Je ne partage pas la vision conservatrice du peuple –façon psychologie des foules de Gustave Le Bon- selon laquelle les gens ne seraient qu’une masse irrationnelle et volatile. Il y a donc dû exister un climat d’affaiblissement de l’Etat de droits, un chaos social, politique, économique et moral, qui a fait préférer aux chiliens un régime antidémocratique au précédent. Sans cela l’histoire serait absurde.

    Je vous ai déjà donné mon opinion : je suis hostile à la violence et aux coups d’Etat, celui qui a renversé Pinochet pas moins que celui qui a mis en fuite Kerenski. Simplement, la condamnation morale et politique n’exclue pas la volonté de comprendre les causes des bouleversements historiques.

    J’ai personnellement au moins trois raisons de rejeter le régime de Pinochet : il était issu d’un coup d’Etat ; il n’était pas démocratique, et enfin, il n’était pas libéral. Hostile aux libertés civiles et politiques (interdiction de tous les partis, de la liberté de la presse, syndicale, grève punie de mort, etc), le régime de Pinochet l’était également vis-à-vis de la liberté économique. Par exemple, il usait d’un régime de change fixe et d’un système d’épargné forcée, favorisait la centralisation et la cartellisation, cherchait à « encadrer » l’activité économique au bénéfice de la caste dirigeante –bref, du constructivisme de droite (cf : http://www.wikiberal.org/wiki/Constructivisme ). Un universitaire prompt à pourfendre le « néo-libéralisme » chilien ne se rend pas compte, sans doute par aveuglement idéologique, que les rapports entre l’Etat et le marché y étaient à certains égards plus proche de la semi-planification d’un Etat fasciste, ou d’une démocratie social-démocrate interventionniste, que d’un utopique marché libre.

    Je cite : « La technocratie devient toute-puissante » (p.203-204)

    « La supposée “neutralité” des mesures adoptées était incapable de rendre compte de l’hétérogénéité des structures productives et des agents économiques. Ces mesures privilégiaient en effet la concentration de la propriété et la spéculation financière au détriment de la formation de capital et du développement productif. » (p.205)

    « Les techniciens du gouvernement militaire, en restreignant l’offre monétaire, espéraient que les entrepreneurs privés ajusteraient automatiquement leurs prix à la baisse, évitant ainsi une chute de leurs ventes. Cependant, l’indice officiel des prix à la consommation (IPC) prenant en compte l’ensemble de l’information des prix des mois antérieurs et non pas la masse monétaire effectivement en circulation, continua d’être la principale référence en matière de prix. Cette situation conduisit au maintien jusqu’en 1975 de taux d’inflation supérieurs à 300%. De fait, la restriction monétaire eut donc plus d’impact sur le niveau de l’activité économique que sur celui des prix. […] C’est seulement aux environs de juin 1976 que l’équipe économique reconnut que le contrôle monétaire à lui seul ne pouvait freiner l’inflation. Une seconde mesure fut alors incorporée à la politique anti-inflationniste : la régulation du type de change. » (p.206)

    Et je n’ai pas eu le courage m’infliger l’intégralité de la thèse de M. Emmanuel Garate (cf: https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00565323/document ), mais je ne doute pas qu’on pourrait multiplier les exemples. Libéraliser certains secteurs économiques n’est pas synonyme d’adhésion au libéralisme –dans le cas contraire, le NEP ferait de Lénine un « libéral »…

    « Pourquoi les penseurs libéraux ont dans leur grande majorité mis de côté leurs idées lorsqu’il s’est agi de prendre position sur l’action des maccarthystes, des putschistes chiliens, et aussi mutatis mutandis de Hitler et Franco ? »

    Personne n’est à l’abri du reniement ou du basculement idéologique. Cela dit, un libéral qui soutient ce genre de personnages déserte son propre camp. Je me félicite que vous n’ayez aucun exemple concret à me donner. Vous êtes victime de la confusion libéralisme = bourgeoisie, dont j’ai commencé à expliquer le caractère fallacieux (cf : http://www.contrepoints.org/2015/10/01/223793-la-gauche-et-le-liberalisme-les-poncifs-de-libe-decryptes#fn-223793-1 ).

    « Les « libéraux » ont joué Hitler contre le « communisme ». »

    Je vous ai déjà mis en garde contre l’usage des guillemets. Vous ne trouverez pas de penseur libéral pour soutenir Hitler. En fait, il n’a existé à peu près aucun penseur libéral allemand avant 1945. A l’exception éventuelle de Max Weber, et il a participé à la rédaction de la constitution de Weimar.

    « Vous m’avez convaincu. Je retire mon commentaire… »

    J’ai peur que vous soyez ironique. Pourquoi admettre mon point là où la limite peut sembler plus fine –grâce à une rhétorique pro-business vulgaire- alors que vous essayez à côté de suggérer un rapprochement entre libéralisme et fascisme/autoritarisme ?

    D’ailleurs j’ai oublié un argument quantitatif pour différencier libéraux et sociaux-démocrates : sur la période du gouvernement Blair (1997-2007), la part de la dépense publique dans le PIB a augmenté de 38.9% à 42.8% (cf : http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/royaume-uni/depenses-publiques.html ).

    « Elle témoignera en 1947 à charge dans le procès. »

    Je crois me souvenir que comparaître était obligatoire à cette période. Auquel cas il serait injuste d’y voir une pulsion sadique à la dénonciation.

    « Ils seront tous condamnés à de la prison ferme, et jamais réhabilités. »

    Je veux bien admettre que ce soit un coup bas. Si Rand savait que ces personnes allaient être emprisonnées pour leurs seules opinions, elle aurait dû les défendre. Néanmoins il y a bien de la différence entre soutenir des peines de prison injustifiés et soutenir « la ruse, le mensonge, le sang versé, la dictature » -sans oublier tout ce que tait une telle formule.

    « A moins que chez Ayn Rand les écrits ne soient pas conformes aux actes. »

    Il est vrai, n’en déplaise aux Randiens, que son œuvre est la meilleure part de sa vie. La biographie d’Anne C. Heller fait bien ressortir les côtés sombres de la personnalité de Rand (amphétamines, paranoïa, adultère, ingratitude, dirigisme…je vous passe les détails).

    « La remarque de Merleau-Ponty est plutôt modérée. »

    Comme disent les anglo-saxons : « let’s agree to disagree ».

    « Je parle de l’inscription de la devise « in god we trust » dans les billets américains. »

    C’est un problème de sécularisation de l’Etat et de la vie publique, non de totalitarisme. Le républicanisme à la française résoudrait le problème.

    Notez que le problème n’en serait pas non plus un dans un système de monnaies privées concurrentielles…

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [« Ces parlementaires se sont curieusement abstenus d’exiger un retour rapide à l’ordre démocratique. Ce qui tend à jeter un certain doute sur leurs motivations lorsqu’ils dénonçaient le régime d’Allende… ». Oui, je n’y avais pas pensé, vu sous cet angle…]

      C’est un angle important, ne trouvez-vous pas ? N’est il pas curieux que des hommes qui ont eu le courage de lever contre la dictature d’Allende se soient couchés devant la dictature de Pinochet ?

      [A moins qu’ils aient été évincés sous le régime de Pinochet…Encore et toujours le manque d’informations. Néanmoins : « Dès le 12 septembre 1973, Augusto Pinochet prend l’ascendant sur la junte et met fin aux espérances de la droite chilienne, des conservateurs et des démocrates chrétiens qui s’attendaient à récupérer le pouvoir exécutif. Au contraire, le Parlement est dissous. »]

      Et alors ? Si ma mémoire ne me trompe pas, en 1789 Louis XVI dissout les états généraux. Et que répondent les députés ? « Nous sommes ici par la volonté du peuple, et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». Il semblerait que les parlementaires chiliens, si courageux lorsqu’il s’agissait de dénoncer le « dictateur » Allende, aient été bien plus prudents avant d’affronter son successeur. Mais peut-être n’en avaient-ils pas envie ? Peut-être que finalement le gouvernement de Pinochet faisant la politique qui servait les intérêts de leur classe, ils étaient moins enclins à le défier ?

      [« On fait l’amalgame Allende avec « Lénine, Mao, Che Guevara » – alors qu’il n’y a guère de points communs entre les trajectoires de ces trois personnages et celle de Salvador Allende. » Cette critique comporte une prémisse cachée, qui tient pour établi qu’Allende était respectueux de la démocratie.]

      Même pas. Lénine, Mao, Guevara arrivent au pouvoir dans le contexte d’une guerre civile. Tous trois ont défié le monopole de la violence légitime détenu par l’Etat pour lui opposer la violence révolutionnaire. Ce n’est pas le cas d’Allende : sous son mandat, l’Etat a gardé le monopole de la force légitime. Allende n’a pas armé ses partisans, pas plus qu’il n’a désarmé les forces armées. Il n’a même pas envisagé d’user la force contre le droit. Sous son mandat, le Parlement a continué à siéger, les opposants à se promener en liberté dans les rues.

      [Il ne faut pas confondre la partie et le tout. Disons que votre argumentation ruine certains passages et jette une suspicion légitime sur l’ensemble.]

      Je pourrais ruiner l’ensemble, mais cela me prendrait beaucoup de temps et de recherche documentaire. Franchement, si je lis un texte et que je trouve trois erreurs majeures de raisonnement ou de fait dans le premier paragraphe, je pense pouvoir conclure avec un haut degré de vraisemblance que le reste du document est du même acabit.

      [« Dès lors que le projet d’Allende heurtait les intérêts des « classes moyennes », de la bourgeoisie chilienne et des intérêts américains. » Sans oublier le reste de la population, si les données économiques de l’article discuté sont fiables.]

      A supposer même qu’elles le soient, il faut prendre la chose avec des pincettes. Le gouvernement d’Allende a subi un sabotage systématique et continu de l’économie. Dans ces conditions, une dégradation de la situation économique de la population n’implique pas nécessairement que « le gouvernement heurte les intérêts de la population ».

      [D’une manière générale, le socialisme ne fonctionne nulle part.]

      Cela dépend de ce que vous appelez « fonctionner ». En vingt ans, le socialisme soviétique a transformé un pays arriéré et virtuellement détruit par une guerre mondiale suivie d’une guerre civile en puissance mondiale. Ce n’est pas si mal, non ?

      Le problème, est qu’on ne connaît pas vraiment de socialisme « pur », c’est-à-dire, qui ait pu se développer sans être immédiatement agressé par l’ensemble du monde capitaliste. Qu’aurait donné l’expérience soviétique sans la guerre civile et l’invasion étrangère, le blocus économique, les tentatives de déstabilisation puis l’invasion nazie ? Ni vous ni moi ne le saurons jamais…

      [L’effondrement actuel du Venezuela est un bon exemple]

      Et qu’est ce qui vous fait penser que le Venezuela est « socialiste » ? Soyons sérieux… ce n’est pas parce que Mélenchon adore Chavez que celui-ci est « socialiste ».

      [J’ai l’impression que vous suggérez que les soutiens de la dictature de Pinochet était si peu nombreux qu’ils étaient obligés de tenir le pays par l’absence d’élections et la menace de l’armée.]

      Je ne le « suggère » pas, je le dis.

      [C’est un argument qu’on retrouve chez les impérialistes anti-Kadhafi ou anti-Bachar-el-assad :]

      Je ne sais pas si c’est vrai pour Kadhafi ou Bachar-al-Assad. Mais quel est le rapport ? Ni la Syrie ni la Libye ressemblent le moins du monde au Chili. D’un côté, deux pays qui ont toujours vécu sous des dictatures, de l’autre un pays de longue tradition démocratique. Dans un pays sans tradition démocratique, il y a de très bonnes raisons de se méfier d’un processus démocratique à marche forcée. Sans partis politiques, sans institutions fortes, sans ce consensus naturel qui fait que le perdant reconnaît sa défaite et laisse le gagnant gouverner sans chercher à le renverser, un processus démocratique aboutit rarement, et on voit le résultat un peu partout dans le monde. Mais le Chili n’est pas du tout dans ce cadre. C’est un pays qui a une longue tradition démocratique et parlementaire, l’une des plus longues d’Amérique Latine.

      [Je ne crois pas qu’un gouvernement, démocratique ou non, puisse se maintenir contre l’opposition d’une majorité de sa population.]

      Vous voulez dire que Pol Pot avait avec lui la majorité de la population ?
      Je pense que vous avez une position irénique. Un gouvernement peut parfaitement se maintenir au pouvoir par la terreur contre la majorité de sa population. Il lui suffit pour cela d’avoir derrière lui les couches sociales qui détiennent le pouvoir économique. Et une aide étrangère, cela aide aussi. Pinochet avait sans aucun doute le soutien de la bourgeoisie chilienne, de la grande majorité des « classes moyennes », et de l’ensemble du « monde libre ». Avec de tels appuis, il n’avait nullement besoin d’une « majorité de la population » derrière lui.

      [A un niveau plus théorique, c’est la question : qu’est-ce qui maintien le pouvoir ? Et pour Max Weber, « le fondement de toute domination est une croyance ».]

      Bien sur. La croyance que la moindre opposition peut vous coûter la prison, la torture ou la vie est, paraît-il, fort efficace.

      [Ce n’est pas une simple question de fusils, de forces productives ou d’intérêts économiques, mais d’obéissance, d’adhésion, d’affects. Si Allende a été renversé, c’est qu’une majorité de chiliens ne voulait pas le défendre.]

      Ou qu’ils n’en avaient pas la force. Qu’auraient-ils pu faire ?

      [Ou alors il faut m’expliquer comment une minorité peut dominer une majorité sans entraîner une guerre civile qu’elle ne peut que perdre.]

      Mais qu’est ce qui vous fait penser qu’une guerre civile est forcément perdue par la minorité ? L’histoire est pleine au contraire de guerres civiles gagnées par des minorités. Il suffit d’avoir de son côté le pouvoir économique et l’aide étrangère…

      [« Ce qui me rend « amer et écœuré », c’est que presque un demi-siècle après les faits on continue à déguiser ce qui fut une brutale défense d’intérêts derrière le rideau de fumée de la « défense de la démocratie et des libertés ». L’article que j’ai cité ne disait pas cela. Il parle d’Allende, pas de ce qu’ont fait ou prétendus faire ses opposants.]

      Ne jouez pas avec les mots : peindre Allende en dictateur diabolique est le meilleur moyen d’absoudre ceux qui l’ont renversé. Comment condamner l’homme qui a renversé le diable ?

      [« J’avoue que j’ai du mal à comprendre votre position dans cette affaire. Croyez-vous vraiment que ceux qui ont renversé Allende l’ont fait pour défendre la vérité, la liberté et la justice ? » C’est très simple, j’essaie de comprendre pourquoi le peuple chilien a accepté d’obéir pendant des années à un gouvernement réactionnaire ayant poussé au suicide son ancien président, détruit sa démocratie -et une bonne part du palais présidentiel à l’artillerie de siège.]

      Peut-être parce qu’ils étaient convaincus que les hommes qui n’avaient pas hésité à bombarder La Moneda, à enfermer les démocrates dans des stades, à torturer et assassiner ceux qui n’étaient pas de leur bord, n’hésiteraient certainement pas à recommencer. Comme disait la poétesse argentine Maria Elena Walsh à propos de la dictature de Videla, « celui qui ne dit pas mot ne consent pas ; celui qui ne dit pas mot, c’est parce qu’il est mort, généralement de peur ». Vous savez, la plupart des gens ne sont pas des héros.

      [Je vous ai déjà donné mon opinion : je suis hostile à la violence et aux coups d’Etat, celui qui a renversé Pinochet pas moins que celui qui a mis en fuite Kerenski.]

      Le coup d’Etat qui a « renversé Pinochet » ? Lapsus révélateur…

      [Simplement, la condamnation morale et politique n’exclue pas la volonté de comprendre les causes des bouleversements historiques.]

      Vous savez bien que je partage cette position. La condamnation morale de Pinochet ne m’intéresse pas. Il n’était ni meilleur ni pire qu’un autre, il servait simplement des intérêts de classe. Ce sont ces intérêts qu’il faut explorer pour comprendre.

      [Un universitaire prompt à pourfendre le « néo-libéralisme » chilien ne se rend pas compte, sans doute par aveuglement idéologique, que les rapports entre l’Etat et le marché y étaient à certains égards plus proche de la semi-planification d’un Etat fasciste, ou d’une démocratie social-démocrate interventionniste, que d’un utopique marché libre.]

      C’est plus complexe que ça. Pinochet était « libéral » au sens « anti-étatiste ». Ce n’est pas par hasard si les libéraux du courant Hayek l’admiraient. Mais si la philosophie pinochetiste était de réduire l’Etat à un appareil répressif et de laisser l’ensemble des l’économie dans les mains du secteur privé, dans le contexte particulier de la société chilienne ou la richesse est extrêmement concentrée cela ne pouvait aboutir qu’à un semi-féodalisme. En plus, dans un pays dépendant comme le Chili la politique monétaire – qui ne peut être faite que par l’Etat – peut difficilement être libéralisée sans provoquer des pics inflationnistes extrêmement violents.

      [« Pourquoi les penseurs libéraux ont dans leur grande majorité mis de côté leurs idées lorsqu’il s’est agi de prendre position sur l’action des maccarthystes, des putschistes chiliens, et aussi mutatis mutandis de Hitler et Franco ? ». Personne n’est à l’abri du reniement ou du basculement idéologique. Cela dit, un libéral qui soutient ce genre de personnages déserte son propre camp.]

      Mais je ne parle pas de « soutenir », l’indifférence bienveillante me suffit…

      [Je me félicite que vous n’ayez aucun exemple concret à me donner.]

      Et bien, je vous trouve bien culotté. Vous ne m’avez demandé aucun « exemple », alors je vois mal comment vous pouvez déduire que « je n’aurais aucun exemple concret à vous donner ». Je vous ai par ailleurs donné plusieurs exemples, dont Hayek. Pas assez libéral pour vous ?

      [« Les « libéraux » ont joué Hitler contre le « communisme ». Je vous ai déjà mis en garde contre l’usage des guillemets.]

      A tort, je vous l’assure, à tort. Ce que ces libéraux appelaient « communisme » n’avait aucun rapport avec le vrai produit.

      [« Vous m’avez convaincu. Je retire mon commentaire… » J’ai peur que vous soyez ironique.]

      Non, pas du tout ironique. J’ai trouvé vos arguments pertinents, c’est tout. Cela vous étonne ?

      [« Elle témoignera en 1947 à charge dans le procès. » Je crois me souvenir que comparaître était obligatoire à cette période. Auquel cas il serait injuste d’y voir une pulsion sadique à la dénonciation.]

      D’abord, d’autres ont refusé de témoigner. Un intellectuel qui se proclame « libéral » mais qui n’est pas capable de prendre des risques pour défendre la liberté ne mérite pas le nom de libéral. Difficile par ailleurs de prétendre que Ayn Rand aurait été trainée devant la commission contre son gré. Elle dénonça tout à fait volontairement « l’infiltration communiste à Hollywood », allant même jusqu’à s’engager dans l’officine maccarthyste « Motion Picture Alliance for the Preservation of the American Ideals ». Non : Rand est l’exemple même de ce type de « libéraux » prêts à soutenir n’importe quoi lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts de classe.

      [Je veux bien admettre que ce soit un coup bas. Si Rand savait que ces personnes allaient être emprisonnées pour leurs seules opinions, elle aurait dû les défendre. Néanmoins il y a bien de la différence entre soutenir des peines de prison injustifiés et soutenir « la ruse, le mensonge, le sang versé, la dictature » -sans oublier tout ce que tait une telle formule.]

      Ceux-là même qui aux Etats-Unis envoyaient des gens en prison ou à la chaise électrique pour leurs seules opinions pratiquaient une politique extérieure ou « la ruse, le mensonge, le sang versé et la dictature » ont joué un rôle majeur.

      [« Je parle de l’inscription de la devise « in god we trust » dans les billets américains. » C’est un problème de sécularisation de l’Etat et de la vie publique, non de totalitarisme.]

      Ah bon ? Un état qui prétend décider ce que vous devez croire n’est pas « totalitaire » ?

      [Notez que le problème n’en serait pas non plus un dans un système de monnaies privées concurrentielles…]

      Je n’ai pas compris la remarque. D’ailleurs, c’est quoi une « monnaie privée » ?

  21. @Descartes

    N’ayant pas le loisir de vous répondre systématiquement, je vais me concentrer sur quelques points.

    « En vingt ans, le socialisme soviétique a transformé un pays arriéré et virtuellement détruit par une guerre mondiale suivie d’une guerre civile en puissance mondiale. Ce n’est pas si mal, non ? »

    Je pourrais vous répondre que je ne sais pas, vu que vous ne m’avez toujours pas suggéré comment vous discriminiez le bien du mal. Et comme l’a bien vu Henri De Man dans son ouvrage Au-delà du marxisme (http://classiques.uqac.ca/classiques/de_man_henri/au_dela_du_marxisme/au_dela_du_marxisme.html ), même le marxisme repose sur une morale implicite. Et ce que j’ai lu de Clouscard montre que cette morale peut finir par émerger explicitement. De même, vous aussi êtes obligé de faire reposer vos opinions politiques sur une morale, au moins implicite. Sinon, pourquoi donc dénoncer la peur de punir du gouvernement ou les mutations anti-méritocratiques de l’Education nationale ?

    En ce qui me concerne, je peux répondre à votre question par la négative. Non, il n’était pas bien que soit sacrifié les soviétiques aux fins de leur assignait l’Etat soviétique, même si cela a fait de l’URSS une puissance militaire conséquente. Hormis le révolutionnaire-conservateur Oswald Spengler, personne n’a jamais osé soutenir que la puissance était une fin en soi.

    « Le problème, est qu’on ne connaît pas vraiment de socialisme « pur », c’est-à-dire, qui ait pu se développer sans être immédiatement agressé par l’ensemble du monde capitaliste. Qu’aurait donné l’expérience soviétique sans la guerre civile et l’invasion étrangère, le blocus économique, les tentatives de déstabilisation puis l’invasion nazie ? Ni vous ni moi ne le saurons jamais… »

    Il y a de bonnes raisons théoriques de penser que le socialisme ne fonctionne pas, indépendamment de tous les facteurs politico-militaires que vous évoquez. De surcroît, de tels facteurs ont cessé d’agir après 1945 (hormis le blocus économique, et encore, les partenaires économiques de l’URSS étaient plus nombreux du fait de l’extension du bloc de l’Est).

    « Un gouvernement peut parfaitement se maintenir au pouvoir par la terreur contre la majorité de sa population. Il lui suffit pour cela d’avoir derrière lui les couches sociales qui détiennent le pouvoir économique. Et une aide étrangère, cela aide aussi. »

    Staline n’avait ni les unes ni l’autre, et il a une « carrière » étonnamment longue. Sa longévité ne s’explique pas par ces facteurs, mais par le consentement à l’obéissance de la majorité des soviétiques.

    « Ou qu’ils n’en avaient pas la force. »

    Comment la majorité de la population pourrait-elle avoir moins de force que la minorité ?

    « L’histoire est pleine au contraire de guerres civiles gagnées par des minorités. »

    Je suis à l’écoute de vos exemples. Mais j’ai l’intuition qu’à chaque fois, vos minorités ont en réalité triomphées en ralliant d’autres groupes à leur cause contre le parti adverse, donc en devenant une majorité (l’hégémonie de Gramsci). Une minorité en tant que telle ne peut pas dominer une majorité.

    « Ne jouez pas avec les mots : peindre Allende en dictateur diabolique est le meilleur moyen d’absoudre ceux qui l’ont renversé. »

    Pas du tout, le meilleur moyen serait celui-là, conjoint avec la louange de ses adversaires. En ce qui concerne l’article de base, il ne dit rien de favorable vis-à-vis de Pinochet. J’en conclus que vous le sur-interpréter injustement. Vous prétendez savoir ce que pense son auteur d’un sujet dont il ne dit rien.

    « Peut-être parce qu’ils étaient convaincus que les hommes qui n’avaient pas hésité à bombarder La Moneda, à enfermer les démocrates dans des stades, à torturer et assassiner ceux qui n’étaient pas de leur bord, n’hésiteraient certainement pas à recommencer. »

    Ou peut-être que les adversaires de Pinochet se sont aperçus qu’ils n’étaient pas majoritaires, et qu’ils ne pouvaient pas aller à l’encontre de la majorité de la population, même lorsqu’elle accepte le renversement de la démocratie.

    « La condamnation morale de Pinochet ne m’intéresse pas. »

    Je vous ai expliqué que c’était impossible. Lorsque vous défendez Allende, vous ne le faite pas simplement de manière factuelle, en affirmant qu’il n’a pas violé la légalité. Vous pensez aussi qu’il était légitime, que le coup d’Etat était injuste. Et vous avez raison.

    Je trouve terrible et au fond assez incompréhensible ce rejet de la morale, du normatif dans la tradition marxiste, comme si juger et comprendre était incompatibles (alors que ce sont deux moments différents). Et alors qu’on y trouve toutes sortes de jugements moraux, mais qui ne s’assume pas comme tels.

    « Pinochet était « libéral » au sens « anti-étatiste ». »

    Dans ce cas (c’est-à-dire pour autant que l’anti-étatisme de Pinochet soit historiquement avérer), il conviendrait de dire, en toute rigueur conceptuelle, qu’il était anti-étatiste, mais pas libéral. Les anarchistes sont anti-étatistes, mais pas libéraux. Définir Pinochet comme un libéral, même avec des guillemets, équivaut à un contresens ou à une volonté de disqualification par association.

    Mutatis mutandis, cela vaut aussi pour Thatcher et Reagan.

    « Je vous ai par ailleurs donné plusieurs exemples, dont Hayek. Pas assez libéral pour vous ? »

    Clairement pas assez, du peu que je connais de lui. C’était d’ailleurs ce que Hans Hermann-Hope lui reprochait dans un texte précédemment cité. C’est aussi ce que nous avions vu avec son soutien à la position thatchérienne (conservatrice) sur le droit de grève, dont vous m’avez-vous-même expliqué que le libéral Bastiat l’aurait refusé.

    Hayek appartient en fait à une catégorie politique hybride, celle des libéraux-conservateurs, à cheval sur deux courants distincts (un peu comme les conseillistes, à mi-chemin du marxisme et de l’anarchisme ; ou les « géo-libertariens », quelque part entre le libertarianisme et l’écologisme. Ou encore le « national-bolchevisme » d’un Niekisch : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ernst_Niekisch).

    Ces précisions sur la position particulière d’Hayek étant faite, en quoi aurait constitué l’indifférence bienveillante d’Hayek vis-à-vis du régime de Pinochet ? (ma question est peut-être naïve, mais je n’ai pas eu l’occasion d’explorer les biographies du personnage).

    « Ce que ces libéraux appelaient « communisme » n’avait aucun rapport avec le vrai produit. »

    Vous ne m’avez toujours pas cité de libéraux ayant eu ne serait-ce qu’une indifférence bienveillante pour Hitler. Et ça ne va pas être facile à trouver, les libéraux allemands étant une espèce quasiment inconnue avant 1945. Les seuls cas que je connaisse sont Max Weber (et encore…) et Wilhelm von Humboldt : ni l’un ni l’autre ne furent contemporains du IIIème Reich.

    « J’ai trouvé vos arguments pertinents, c’est tout. Cela vous étonne ? »

    Il est rare d’arriver à faire changer d’avis quelqu’un sur un désaccord politique substantiel (et je m’en réjouis, naturellement). Mais comme je l’écrivais, je trouve étrange que vous m’accordiez ce point-là, où somme toute la confusion est aisée et compréhensible, et non d’autres où elle l’est beaucoup moins.

    « Rand est l’exemple même de ce type de « libéraux » prêts à soutenir n’importe quoi lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts de classe. »

    Je ne vois pas ce que les intérêts de classe viennent faire dans la question de la cohérence ou du courage intellectuel. Vous m’avez vous-même soutenu que l’intelligentsia, les intellectuels, n’étaient pas une classe. Je vais bien reconnaître que Rand se soit enrichi dans les années 40 et 50, mais ce fut grâce au succès de ses romans. Ce qui n’en fait pas une bourgeoise au sens marxiste du terme. A moins que vous utilisiez une autre définition ?

    « Un état qui prétend décider ce que vous devez croire n’est pas « totalitaire » ? »

    Le fait d’utiliser ces billets n’a rien à voir avec ce que les utilisateurs pensent de Dieu. Le « nous » de la devise est vague (les Pères fondateurs ? Tous les américains ? Tous les utilisateurs de dollars ?), et même si la condition des athées est mauvaise aux USA, personne n’est mis en prison pour avoir critiqué la devise du billet. Les USA n’ont rien d’un régime totalitaire. Pour ce qui est de l’impérialisme, en revanche…

    « Je n’ai pas compris la remarque. »

    Si vous avez le choix entre plusieurs monnaies, plutôt que d’être obligé d’utiliser celle que l’Etat a monopolisé, vous pouvez facilement ne pas utiliser celle qui porte un slogan religieux.

    « D’ailleurs, c’est quoi une « monnaie privée » ? »

    => https://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie_priv%C3%A9e

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [N’ayant pas le loisir de vous répondre systématiquement, je vais me concentrer sur quelques points.]

      Pas de problème, de toute façon, nos débats tendent à foisonner…

      [De même, vous aussi êtes obligé de faire reposer vos opinions politiques sur une morale, au moins implicite. Sinon, pourquoi donc dénoncer la peur de punir du gouvernement ou les mutations anti-méritocratiques de l’Education nationale ?]

      Bien évidemment, mon engagement ne peut, comme vous le dites, que reposer sur une morale implicite ou explicite. Mais je ne confonds pas – ou du moins j’essaye de ne pas confondre – mes engagements et mes analyses. Lorsque je regarde avec les yeux de l’analyste, j’essaie de m’interdire le point de vue moral.

      [En ce qui me concerne, je peux répondre à votre question par la négative. Non, il n’était pas bien que soit sacrifié les soviétiques aux fins de leur assignait l’Etat soviétique, même si cela a fait de l’URSS une puissance militaire conséquente. Hormis le révolutionnaire-conservateur Oswald Spengler, personne n’a jamais osé soutenir que la puissance était une fin en soi.]

      Ce n’est pas ce que j’ai dit. La puissance n’est pas un but, mais un moyen. Je n’ose imaginer quel aurait été le sort des soviétiques si la « puissance » de l’Etat soviétique n’avait pas été suffisante pour battre Hitler. Et lorsque je parlais de puissance, je ne faisais pas seulement référence à l’aspect militaire, mais aussi économique. L’échec de l’économie soviétique dans les années 1970 ne doit pas occulter les succès des années 1930.

      [Il y a de bonnes raisons théoriques de penser que le socialisme ne fonctionne pas, indépendamment de tous les facteurs politico-militaires que vous évoquez.]

      Comme par exemple ?

      [De surcroît, de tels facteurs ont cessé d’agir après 1945 (hormis le blocus économique, et encore, les partenaires économiques de l’URSS étaient plus nombreux du fait de l’extension du bloc de l’Est).]

      Sauf que la plupart de ces « partenaires » étaient à reconstruire après les énormes destructions de guerre. La Pologne en 1945 n’était pas ce qu’on pourrait appeler un « partenaire économique » très dynamique. Vous semblez oublier aussi la guerre froide, et les agressions permanentes qui obligent l’URSS a consacrer à sa défense une masse de ressources.

      [« Un gouvernement peut parfaitement se maintenir au pouvoir par la terreur contre la majorité de sa population. Il lui suffit pour cela d’avoir derrière lui les couches sociales qui détiennent le pouvoir économique. Et une aide étrangère, cela aide aussi. »][Staline n’avait ni les unes ni l’autre, et il a une « carrière » étonnamment longue.]

      Et c’est pour cela que je pense comme vous que Staline n’aurait pu se maintenir par la seule terreur, et qu’il y avait chez les soviétiques un rapport à leurs dirigeants bien plus complexe qu’on le dit souvent. Mais que cela fut vrai pour Staline n’implique pas que cela fut vrai pour Pinochet, pour Marcos, pour Suharto, pour Somoza ou pour Thieu, qui tous cinq ont pu compter sur un appui étranger massif.

      [« Ou qu’ils n’en avaient pas la force. »][Comment la majorité de la population pourrait-elle avoir moins de force que la minorité ?]

      Parce que la « minorité » contrôle le capital, les armes, les connaissances, par exemple.

      [« L’histoire est pleine au contraire de guerres civiles gagnées par des minorités. »][Je suis à l’écoute de vos exemples. Mais j’ai l’intuition qu’à chaque fois, vos minorités ont en réalité triomphées en ralliant d’autres groupes à leur cause contre le parti adverse, donc en devenant une majorité (l’hégémonie de Gramsci). Une minorité en tant que telle ne peut pas dominer une majorité.]

      La victoire des Tustis sur les Hutus au Rwanda me paraît un très bon exemple. Lisez le livre de Péan (« Noires fureurs, blancs menteurs »), magnifiquement documenté et qui explique bien le processus.

      [« Ne jouez pas avec les mots : peindre Allende en dictateur diabolique est le meilleur moyen d’absoudre ceux qui l’ont renversé. »][Pas du tout, le meilleur moyen serait celui-là, conjoint avec la louange de ses adversaires.]

      Pas besoin. Il suffit de décrire Allende sous des traits suffisamment mauvais pour que toute option apparaisse comme un « moindre mal ». Et lorsque cela vient d’un intellectuel habitué à prendre position dans ces affaires, une absence de position est aussi un message.

      [Ou peut-être que les adversaires de Pinochet se sont aperçus qu’ils n’étaient pas majoritaires,
      et qu’ils ne pouvaient pas aller à l’encontre de la majorité de la population, même lorsqu’elle accepte le renversement de la démocratie.]

      Et comment auraient-ils pu « s’apercevoir qu’ils n’étaient pas majoritaires » dans un pays soumis à une dictature qui contrôlait strictement tous les canaux d’expression ?

      [« La condamnation morale de Pinochet ne m’intéresse pas. » Je vous ai expliqué que c’était impossible. Lorsque vous défendez Allende, vous ne le faite pas simplement de manière factuelle, en affirmant qu’il n’a pas violé la légalité. Vous pensez aussi qu’il était légitime, que le coup d’Etat était injuste. Et vous avez raison.]

      Non. D’abord, je ne « défends pas Allende ». J’essaye de rétablir les faits. Ensuite, la question de la légitimité n’est pas une question « morale », mais une question juridique. Je soutiens que Allende était « légitime » parce qu’il avait été élu conformément aux règles constitutionnelles en vigueur au Chili, et parce qu’il avait exercé ses fonctions dans ce cadre. La « morale » n’a rien à faire là dedans. Quant à dire que le coup de Pinochet était « injuste », je ne me souviens pas d’avoir dit pareille chose.

      [Je trouve terrible et au fond assez incompréhensible ce rejet de la morale, du normatif dans la tradition marxiste, comme si juger et comprendre était incompatibles (alors que ce sont deux moments différents). Et alors qu’on y trouve toutes sortes de jugements moraux, mais qui ne s’assume pas comme tels.]

      Pourtant c’est facile à comprendre : dans la mesure ou le marxisme prétend se donner des instruments scientifiques pour analyser l’histoire, elle exclut automatiquement toute prétention normative, puisque le travail du scientifique ne peut être normatif. La théorie de la relativité peut nous dire comment faire exploser une bombe atomique, mais elle ne peut pas nous dire s’il faut le faire ou pas. Et de la même manière, le marxiste analyse l’histoire dans une position amorale, même s’il peut en tant que personne et non de scientifique, s’engager en fonction de considérations morales.

      [Dans ce cas (c’est-à-dire pour autant que l’anti-étatisme de Pinochet soit historiquement avérer), il conviendrait de dire, en toute rigueur conceptuelle, qu’il était anti-étatiste, mais pas libéral.]

      Je suis d’accord, ce n’est pas moi qui qualifie Pinochet de « libéral ».

      [« Je vous ai par ailleurs donné plusieurs exemples, dont Hayek. Pas assez libéral pour vous ? » Clairement pas assez, du peu que je connais de lui. C’était d’ailleurs ce que Hans Hermann-Hope lui reprochait dans un texte précédemment cité. C’est aussi ce que nous avions vu avec son soutien à la position thatchérienne (conservatrice) sur le droit de grève, dont vous m’avez-vous-même expliqué que le libéral Bastiat l’aurait refusé.]

      Vous risquez de découvrir que les « vrais libéraux » sont une espèce éteinte…

      [Ces précisions sur la position particulière d’Hayek étant faite, en quoi aurait constitué l’indifférence bienveillante d’Hayek vis-à-vis du régime de Pinochet ? (ma question est peut-être naïve, mais je n’ai pas eu l’occasion d’explorer les biographies du personnage).]

      Voici ce que déclare Hayek en « El Mercurio », 12 avril 1981 : « Je dirai que, comme institutions pour le long terme, je suis complètement contre les dictatures. Mais une dictature peut être un système nécessaire pour une période transitoire. Parfois il est nécessaire pour un pays d’avoir, pour un temps, une forme ou une autre de pouvoir dictatorial. […] Personnellement je préfère un dictateur libéral plutôt qu’un gouvernement démocratique manquant de libéralisme. Mon impression personnelle est que […] au Chili par exemple, nous assisterons à la transition d’un gouvernement dictatorial vers un gouvernement libéral ».

      [« Rand est l’exemple même de ce type de « libéraux » prêts à soutenir n’importe quoi lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts de classe. »][Je ne vois pas ce que les intérêts de classe viennent faire dans la question de la cohérence ou du courage intellectuel. Vous m’avez vous-même soutenu que l’intelligentsia, les intellectuels, n’étaient pas une classe. Je vais bien reconnaître que Rand se soit enrichi dans les années 40 et 50, mais ce fut grâce au succès de ses romans. Ce qui n’en fait pas une bourgeoise au sens marxiste du terme. A moins que vous utilisiez une autre définition ?]

      Mais cela en fait un membre des « classes moyennes », alliées à l’époque avec la bourgeoisie…

      [« Un état qui prétend décider ce que vous devez croire n’est pas « totalitaire » ? »][Le fait d’utiliser ces billets n’a rien à voir avec ce que les utilisateurs pensent de Dieu. Le « nous » de la devise est vague (les Pères fondateurs ? Tous les américains ? Tous les utilisateurs de dollars ?), et même si la condition des athées est mauvaise aux USA, personne n’est mis en prison pour avoir critiqué la devise du billet.]

      Dans le contexte ou la devise a été inscrite sur les billets en 1956, il n’y avait aucune ambiguïté quand à son sens : le « nous » c’était le peuple américain, et l’inscription de la devise sur les billets équivalait à exclure les athées de la communauté nationale. Rappelez-vous qu’en parallèle avec cette « devise » fut imposé aux américains un « serment d’allégeance » contenant la formule « une nation unie sous l’autorité de Dieu ». Cela ne revient-il pas à faire de la croyance en dieu une idéologie officielle ? Et l’obligation d’adhérer à une idéologie n’est elle pas un élément d’un état totalitaire ?

      Vous êtes par ailleurs très optimiste en supposant que « personne n’est mis en prison pour avoir critiqué la devise du billet ». La prison n’est pas la seule manière dont une société peut punir ses membres. Essayez dans certains états américains de refuser de prononcer le serment au drapeau, et vous verrez ce qui vous arrive.

      [« Je n’ai pas compris la remarque. » Si vous avez le choix entre plusieurs monnaies, plutôt que d’être obligé d’utiliser celle que l’Etat a monopolisé, vous pouvez facilement ne pas utiliser celle qui porte un slogan religieux.]

      Mais comment pourrais-je avoir « le choix » ? Seul l’Etat est capable de rendre l’acceptation d’une monnaie obligatoire.

  22. @Descartes
    « Par exemple ? »

    Par exemple l’impossibilité du calcul économique, qui conduit inéluctablement à une gestion à l’aveugle de la pénurie. Lisez L. V. Mises, Le Libéralisme, ch. 2, partie 4 « Le caractère irréalisable du socialisme » (cf : http://herve.dequengo.free.fr/Mises/LL/LL_2.htm#par4 ).

    Et aussi Mises, Le Socialisme, deuxième partie, section 1, ch. 2, parties 2, 3 et 4 (cf : http://herve.dequengo.free.fr/Mises/LS/LS_II_1_2.htm#par2 ).

    « Et comment auraient-ils pu « s’apercevoir qu’ils n’étaient pas majoritaires » dans un pays soumis à une dictature qui contrôlait strictement tous les canaux d’expression ? »

    Tout simplement par l’expérience quotidienne. En observant que leur hostilité au coup d’Etat ne suscitait pas l’adhésion de leur entourage immédiat. La prise de conscience du fait d’être minoritaire peut susciter des formes d’autocensure qui expliquent la stabilité du pouvoir de façon plus convaincante que la seule menace des fusils. Une majorité est infiniment moins inhibée contre la seule supériorité militaire de la minorité. La décolonisation de l’Inde le montre bien.

    « La question de la légitimité n’est pas une question « morale », mais une question juridique. […] La « morale » n’a rien à faire là-dedans. »

    C’est un autre débat classique en philosophie, mais votre affirmation implique que la loi n’est jamais illégitime, qu’on peut se dresser contre le pouvoir parce qu’il est illégal mais jamais pour une autre raison.

    « Vous risquez de découvrir que les « vrais libéraux » sont une espèce éteinte… »

    Depuis quelques temps, je suis moins pessimiste => http://www.liberaux.org/

    « Voici ce que déclare Hayek en « El Mercurio », 12 avril 1981. […]Mon impression personnelle est que […] au Chili par exemple, nous assisterons à la transition d’un gouvernement dictatorial vers un gouvernement libéral. »

    Ce qui prouve bien que le régime de Pinochet n’est pas libéral aux yeux d’Hayek, mais « en transition » d’après son « impression personnelle ». On peut tourner cette déclaration dans tous les sens, elle n’est pas un éloge du régime de Pinochet. Elle ne fait que trahir une forme de complaisante avec la droite militariste, qui elle-même trahit le « libéral-conservatisme » d’Hayek. Inutile de redire que ce personnage n’est pas assez libéral pour moi.

    « Cela en fait un membre des « classes moyennes », alliées à l’époque avec la bourgeoisie… »

    Je ne vois pas ce que ça explique. Ni comment vous pouvez déduire l’opportunisme politique de propriétés sociales.

    « Dans le contexte ou la devise a été inscrite sur les billets en 1956, il n’y avait aucune ambiguïté quant à son sens : le « nous » c’était le peuple américain, et l’inscription de la devise sur les billets équivalait à exclure les athées de la communauté nationale. »

    Ok, admettons.

    « Rappelez-vous qu’en parallèle avec cette « devise » fut imposé aux américains un « serment d’allégeance » contenant la formule « une nation unie sous l’autorité de Dieu ». Cela ne revient-il pas à faire de la croyance en dieu une idéologie officielle ? »

    On pourrait le dire.

    « Et l’obligation d’adhérer à une idéologie n’est-elle pas un élément d’un état totalitaire ? »

    Encore faut-il qu’il y est obligation, et on ne peut la déduire que des sanctions infligées en cas de transgressions.

    « La prison n’est pas la seule manière dont une société peut punir ses membres. »

    Certes, mais si la sanction de la transgression ne prend pas la forme d’une peine (prison, amende, etc.) infligée par l’Etat, et si les sanctions sont sociales mais qu’elles n’impliquent aucune violation des droits de l’individu puni, alors il est absurde de qualifier la société en question de totalitaire. Des regards noirs ou des insultes sur la place publique ne sont pas des traits pertinents pour définir le totalitarisme.

    « Essayez dans certains états américains de refuser de prononcer le serment au drapeau, et vous verrez ce qui vous arrive. »

    Et qu’arrive-t-il ?

    « Comment pourrais-je avoir « le choix » ? Seul l’Etat est capable de rendre l’acceptation d’une monnaie obligatoire. »

    Seul l’Etat est capable de rendre l’utilisation de sa monnaie obligatoire. Vous avez l’air de croire que les gens ne peuvent pas nouer d’échanges par l’intermédiaire d’une monnaie non-étatique, non obligatoire. Le concept même de monnaie privée établit le contraire, et on en trouve des illustrations empiriques depuis les coquillages des peuples sans Etats jusqu’au Bitcoin moderne.

    • Descartes dit :

      @Johnathan R. Razorback

      [Par exemple l’impossibilité du calcul économique, qui conduit inéluctablement à une gestion à l’aveugle de la pénurie. Lisez L. V. Mises, Le Libéralisme, ch. 2, partie 4 « Le caractère irréalisable du socialisme » (cf : http://herve.dequengo.free.fr/Mises/LL/LL_2.htm#par4 ).]

      Il faudrait savoir de quoi on parle. Le « socialisme », c’est un système économique dans lequel le capital est socialisé, et l’exploitation du travail humain abolie. Dans l’article que vous citez, l’auteur semble penser que cela exclue la fixation des prix par le marché ou la rémunération au mérite. Par ailleurs, on y trouve quelques affirmations étonnantes : « On sait que les entreprises étatiques et municipales ont dans l’ensemble échoué, ». Pensez-vous qu’EDF ou EDF aient « dans l’ensemble échoué » ? Bien sur que non.

      Accessoirement, je trouve le texte que vous citez assez étrange. On peut y lire que « Les hommes ne peuvent consommer que s’ils travaillent et ils ne peuvent consommer qu’autant que leur travail leur a rapporté. Et c’est le trait caractéristique de l’ordre social capitaliste qu’il transmet cette incitation au travail à chaque membre individuel de la société, qu’il fait tendre chacun au rendement le plus élevé d’où, des résultats magnifiques ». A votre avis, quelle « incitation au travail » éprouve Mme Bettencourt ? Pensez-vous qu’elle ne puisse consommer « que ce que lui rapporte son travail » ? En fait, Von Mises semble décrire un capitalisme sans capitalistes…

      On y trouve aussi une étrange réflexion sur le salaire : « Si les rapports entre entrepreneurs et travailleurs ne sont pas influencés par des mesures législatives ou par les pressions syndicalistes, le salaire payé par l’entrepreneur pour chaque catégorie de travail correspond exactement à la plus-value que subissent, par ce travail, les produits en formation. Le salaire ne peut être supérieur à cette plus-value, car l’entrepreneur n’y trouverait pas son compte et serait obligé de suspendre une production qui ne « paie » pas. Il ne peut pas non plus être inférieur à cette plus-value, vu qu’il orienterait les travailleurs vers d’autres branches mieux rétribuées et forcerait les entrepreneurs à arrêter leur production en raison d’une pénurie de main-d’œuvre ». Mais si le salaire ne peut être ni supérieur, ni inférieur à la valeur ajoutée (ce que dans le texte on appelle « plus-value »), cela implique que le revenu de « l’entrepreneur » est nul… pourquoi dans ces conditions investirait-il son capital ? Encore une fois, le capitalisme de Von Mises est un capitalisme sans capitaliste, en fait, une forme de « socialisme de marché »…

      Ce discours économique a un intérêt historique, mais est de toute évidence falsifié par l’expérience. Ainsi, lorsque Von Mises écrit que « Il existe donc toujours dans une économie nationale un taux de salaire tel que chaque travailleur trouve à s’employer et chaque employeur trouve la main-d’œuvre désirée lorsqu’il veut commencer une entreprise rentable à un tel taux » il énonce une « vérité » dont la crise de 1929 et l’analyse keynésienne a montré l’inanité…

      [« Et comment auraient-ils pu « s’apercevoir qu’ils n’étaient pas majoritaires » dans un pays soumis à une dictature qui contrôlait strictement tous les canaux d’expression ? » Tout simplement par l’expérience quotidienne. En observant que leur hostilité au coup d’Etat ne suscitait pas l’adhésion de leur entourage immédiat.]

      A la rigueur, cela leur aurait permis de déduire des choses sur le soutien de leur entourage immédiat. Mais il n’y a aucun moyen à partir d’une observation individuelle de déduire si la « majorité » est ou non d’accord avec telle ou telle proposition. Pourquoi croyez-vous qu’on fait des études d’opinion ?

      [« La question de la légitimité n’est pas une question « morale », mais une question juridique. […] La « morale » n’a rien à faire là-dedans. » C’est un autre débat classique en philosophie, mais votre affirmation implique que la loi n’est jamais illégitime, qu’on peut se dresser contre le pouvoir parce qu’il est illégal mais jamais pour une autre raison.]

      Pas du tout. La loi n’est pas la seule source de légitimité, et elle ne suffit pas à garantir la légitimité. Mais dans le cas d’Allende, le raisonnement est très simple : Allende a été élu sous l’empire d’une constitution dont ses adversaires reconnaissaient la légitimité. Cela suffit à mon sens pour prouver que la contestation par ces mêmes adversaires de la légitimité de son pouvoir est sans fondement.

      [« Voici ce que déclare Hayek en « El Mercurio », 12 avril 1981. […]Mon impression personnelle est que […] au Chili par exemple, nous assisterons à la transition d’un gouvernement dictatorial vers un gouvernement libéral. » Ce qui prouve bien que le régime de Pinochet n’est pas libéral aux yeux d’Hayek,]

      Je n’ai jamais dit que Hayek ait qualifié le gouvernement de Pinochet de « libéral ». Ce que j’ai dit, c’est que le « libéral » Hayek a soutenu le gouvernement de Pinochet, ou du moins fait preuve à l’égard de celui-ci une forte bienveillance.

      [On peut tourner cette déclaration dans tous les sens, elle n’est pas un éloge du régime de Pinochet.]

      Un éloge, peut-être pas. Mais un soutien, sans aucun doute.

      [« Et l’obligation d’adhérer à une idéologie n’est-elle pas un élément d’un état totalitaire ? » Encore faut-il qu’il y est obligation, et on ne peut la déduire que des sanctions infligées en cas de transgressions.]

      La récitation du « serment d’allégeance » était bien obligatoire, et l’est resté pendant une très longue période. Cette obligation était assortie de sanctions tant pénales que sociales. Ce n’est que dans les années 1990 que la Cour Suprême a finalement décidé que l’élément de phrase « under god » ne pouvait pas être imposé.

      [« La prison n’est pas la seule manière dont une société peut punir ses membres. » Certes, mais si la sanction de la transgression ne prend pas la forme d’une peine (prison, amende, etc.) infligée par l’Etat, et si les sanctions sont sociales mais qu’elles n’impliquent aucune violation des droits de l’individu puni, alors il est absurde de qualifier la société en question de totalitaire. Des regards noirs ou des insultes sur la place publique ne sont pas des traits pertinents pour définir le totalitarisme.]

      Admettons. J’ai un collègue qui, étant expatrié aux Etats-Unis, a refusé que ses enfants prononcent le « serment » en question. Il a vu des briques projetées sur sa maison, les pneus de sa voiture crevés. Il a été interdit d’entrer dans certains magasins. Ses enfants ont été menacés. Et cela sans que la police accepte d’agir. Pensez-vous que cela caractérise une pratique « totalitaire » ?

      [« Essayez dans certains états américains de refuser de prononcer le serment au drapeau, et vous verrez ce qui vous arrive. » Et qu’arrive-t-il ?]

      Je vous ai donné la réponse ci-dessus…

      [« Comment pourrais-je avoir « le choix » ? Seul l’Etat est capable de rendre l’acceptation d’une monnaie obligatoire. » Seul l’Etat est capable de rendre l’utilisation de sa monnaie obligatoire. Vous avez l’air de croire que les gens ne peuvent pas nouer d’échanges par l’intermédiaire d’une monnaie non-étatique, non obligatoire.]

      J’imagine aisément que des gens puissent nouer des échanges par l’intermédiaire d’un bien tiers considéré comme étalon. La question est de savoir si un tel bien peut être qualifié de « monnaie ». J’adhère plutôt à l’école nominaliste, qui répond par la négative à cette question. Ce qui fait la différence entre n’importe quel bien utilisé comme étalon d’échange – l’or, l’argent, des coquillages, du sel, ce que vous voulez – et la « monnaie » est le fait qu’alors que vous avez le choix d’accepter ou de refuser l’or, l’argent, les coquillages ou le sel en règlement d’une dette, vous ne pouvez pas refuser la « monnaie ». Et ce caractère obligatoire ne peut être conféré que par l’Etat en tant que titulaire du pouvoir normatif.

      [Le concept même de monnaie privée établit le contraire, et on en trouve des illustrations empiriques depuis les coquillages des peuples sans Etats jusqu’au Bitcoin moderne.]

      Mais avec ce genre de raisonnement, n’importe quel bien est une « monnaie », puisque je peux en théorie utiliser comme intermédiaire à peu près n’importe quel bien durable. Prenez l’exemple qui vous plaira… disons par exemple un ticket de métro. Est-ce de la monnaie pour vous ? Et si non, pourquoi pas ?

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