Donald, le magnifique

« Tout ce que je suis en droit de te dire, je l’ai déjà dit. Tout ce que tu peux répondre, je l’ai déjà entendu…» (Sacha Guitry, Quadrille, 1937)

Pour ceux qui suivent la politique européenne et internationale, la campagne électorale de Donald Trump avec son épilogue, la conquête de la Maison Blanche, a l’air de déjà vu. Pire, de déjà vu multiple. Parce que depuis plus de dix ans le scénario se répète avec la régularité de métronome.

Cela commence par l’Acte I : « le ridicule ». Dans cet acte, l’option qui n’a pas l’heur de plaire aux élites politico-médiatiques se verra ridiculisée. Tout est bon : une mèche blonde, la couleur du bronzage, la minceur ou l’irréalisme supposés d’un projet, les outrances réelles ou supposées feront l’affaire. Le but est de conduire à une conclusion inévitable : cette option est ridicule et les hommes qui la portent sont des clowns. Ils n’ont aucune chance de gagner, mieux vaut en rire.

Mais le peuple est bête, et ne voit pas la Vérité lorsque les élites la lui montrent. L’option « clownesque » refuse donc catégoriquement de s’effacer. Elle gagne même du terrain. Se noue alors l’Acte II, « la fin du monde est proche ». On donne la grosse artillerie sur le mode « si ces gens gagnent, la monnaie dégringolera, il faudra fermer les cantines scolaires, le ciel nous tombera sur la tête ». On peut aussi sortir les boules puantes, par exemple, une vidéo montrant que lorsqu’il était petit le leader des clowns arrachait les ailes des mouches où tirait les cheveux des filles de sa classe.

Ces campagnes provoquent un effet intéressant : effrayés par leur propre audace, les électeurs ne changent pas d’avis mais ne le confient plus aux sondeurs. Et c’est ainsi que se noue l’Acte III : « le lâche soulagement ». Tout à coup, quelques jours avant le scrutin, les sondages donnent les clowns battus. Chez les bienpensants, c’est le grand soulagement. Des gens sérieux expliquent dans les gazettes et sur les étranges lucarnes, avec force chiffres et cartes, que l’affaire est pliée. On va pouvoir revenir rapidement au « business as usual » avec des gens raisonnables qui font des choses raisonnables au bénéfice des gens raisonnables.

Mais le jour du scrutin, patatras ! Tous ces gens qu’on a fait taire mais qu’on n’a pas réussi à convaincre votent suivant leur première intention et à la sortie des urnes les clowns gagnent. Commence alors l’Acte IV : « il faut dissoudre le peuple ». Passé les premiers instants de sidération, deux discours se mettent en place. D’un côté, celui de ceux qui affirment que le peuple ayant fait une erreur, il est urgent de ne pas tenir compte du résultat ou de le renverser. De l’autre, ceux qui se rassurent en affirmant que les clowns ne tiendront pas leurs promesses, qu’ils se rangeront à la raison et que finalement ils feront pareil que tout le monde.

En quatre actes, on peut ainsi décrire parfaitement la campagne de Donald Trump, mais aussi le référendum sur le Brexit ou celui sur le TCE, les élections municipales qui ont vu plusieurs mairies tomber dans les mains du Front National. Et aussi – même si pour des raisons évidentes la pièce s’est arrêtée à l’acte III, des élections présidentielles en Autriche. A chaque fois, la même chose : Quelle différence entre la ridiculisation de Farage ou Johnson et celle de Trump ? Quelle différence entre la surprise des partisans du « in », ceux du TCE et ceux de Clinton « le jour d’après » ? Quelle différence entre les manifestations pour demander un deuxième référendum à Londres et celles sous le vocable « not my president » contre Trump ?

Que ce processus se répète sous des formes très proches dans des pays différents montre que  nous sommes en présence d’un phénomène qui tire sa dynamique d’un changement global, et non d’un choix tactique ou stratégique local. Que ce soit à Paris ou à New York, à Milwaukee ou à Hénin-Beaumont, on assiste au même phénomène : une séparation radicale entre les classes moyennes, d’où sont issues les élites politiques, économiques, intellectuelles, médiatiques, et les couches populaires. Et lorsque je parle des couches populaires, je ne parle pas des miséreux et des exclus, des SDF et des sans papiers. Non, je parle de ces hommes et ces femmes à la vie modeste qui font tourner les usines et les bureaux, qui font la queue dans les agences de Pôle Emploi, qui sont occasionnellement appelés à mourir pour leur pays, et dont ces dernières années ont vu l’appauvrissement non seulement économique, mais aussi intellectuel et symbolique.

Pendant longtemps, les classes moyennes et les couches populaires ont vécu dans le même univers économique, intellectuel et symbolique. L’école publique assurait un cadre de référence uniforme, le service militaire un brassage des populations. La formation d’un bloc dominant composé par la bourgeoisie et les classes moyennes a changé tout ça. L’abolition du service militaire, la différentiation chaque fois plus grande du système scolaire y a contribué. Aujourd’hui, l’univers économique mais aussi mental du bloc dominant n’a rien de commun avec celui des couches populaires. Et c’est pourquoi les hommes politiques, qui aujourd’hui comme hier sont largement issus du bloc dominant, ne sont plus perçus comme des représentants légitimes. Ces dirigeants parlent dans un langage que les couches populaires ne comprennent pas de problématiques qui ne les intéressent pas.

Trump a gagné parce qu’il a repris dans son discours les priorités qui sont celles des couches populaires, et parlé un langage que ces couches peuvent comprendre. Ce n’est pas tant ses propositions – dont beaucoup sont clairement irréalisables, et tout le monde le sait –  qui lui ont attiré la sympathie du petit peuple. C’est le fait d’aborder sans fard des questions que le « politiquement correct » empêche les autres d’aborder. Parce qu’avant de discuter des différentes solutions au problème de l’immigration clandestine – et ne je crois pas un instant que tous les électeurs de Trump soient d’accord là-dessus –  il faut commencer par admettre que l’immigration clandestine pose un problème. C’est de cette admission que l’électorat populaire a su gré à Trump, bien plus que des solutions qu’il propose.

Donald Trump a été élu pour ce qu’il est, mais surtout pour ce qu’il n’est pas. Le monde politique américain est rempli d’hommes et des femmes à la dentition impeccablement artificielle, au sourire figé, au discours calibré au millimètre par des communicants et politiquement correct jusqu’à la nausée. Ce discours est maintenant indissociablement assimilé aux politiques d’un bloc dominant qui ne se soucie guère des couches populaires. Pour battre Clinton, grande prêtresse de ce discours, il fallait piétiner le « politiquement correct » et faire exactement le contraire de ce que tous les communicants lui conseillaient. Alors que Clinton faisait du spectacle en invitant chanteurs et célébrités à partager son podium, Trump a préféré faire de la politique en parlant des problèmes des gens. Et il a gagné (1).

Le bloc dominant, et tout particulièrement les élites qui en sont issues sont tellement isolés du monde, tellement peu réceptifs à tout discours qui ne soit pas le leur, qu’ils n’ont pas compris ce qui leur arrivait. Et cela se voit à la manière dont il a organisé la riposte.

Ainsi, par exemple, on a eu droit au discours sur la « grossièreté » qu’on attribue à Trump (2). Mais il faut se demander pourquoi le candidat qui osé le « bad language » – les gros mots – à la télévision est élu aujourd’hui alors qu’il aurait été blackboulé il y a dix ans.  Le fait est qu’en étant grossier, Trump marque sa différence – tout comme Coluche le fit dans les années 1970. Dans un océan de clones qui se ressemblent tous, qui n’osent pas faire un pas de travers sans l’autorisation d’un « communiquant », il détonne. Il n’est pas comme les autres. Il est libre. Et cette liberté paye.

Un autre reproche mille fois ressassé  est de signaler l’irréalisme ou l’outrance du programme de Trump. Il y a là aussi une profonde incompréhension. Lorsque les électeurs votent pour un homme politique, ils ne votent pas seulement pour une liste de mesures qu’ils veulent et espèrent voir mises en œuvre. Si les électeurs n’étaient motivés que par cela, les candidatures de témoignage n’auraient pas une voix. Quel électeur a été assez fou en 2012 pour imaginer que Mélenchon avait la moindre chance d’être en situation de mettre en œuvre son programme ? Non, les hommes ne vivent pas que de pain, et les électeurs ne votent pas que des programmes « réalistes ». Ils votent aussi une vision : des projets dont ils savent qu’ils n’ont qu’une chance infime de voir le jour, mais auxquels l’adhésion du candidat est de l’ordre du symbolique. Lorsque je me dis « ce serait tellement bien si une baguette magique me permettait de faire ceci », j’apprécie de savoir que l’homme politique qui prétend à mes suffrages ferait la même chose si la baguette magique était à sa disposition. C’est pourquoi lorsque Trump dit pendant sa campagne qu’il compte expulser 11 millions de latinos et une fois élu il dit qu’il en expulsera 2 millions, je doute que ses électeurs se sentent trahis, parce qu’ils ont conscience de la différence entre le souhaitable et le possible. Ils sauront gré à Trump d’avoir expulsé 2 millions, mais aussi d’avoir pensé comme eux qu’il aurait fallu expulser beaucoup plus. Les gens ne sont pas dupes, et voient assez clair dans les promesses qui leurs sont faites. L’erreur que font beaucoup d’hommes politiques est de prendre les électeurs pour des imbéciles en prétendant que leurs promesses sont réalisables – ou pire, qu’elles ont été tenues alors qu’elles ne l’ont pas été – bien après l’élection. On pardonne très souvent à un homme politique de revenir sur ses engagements, à condition de revenir tout de suite après le scrutin. Et de ce point de vue, Trump agit très intelligemment en renonçant dès maintenant à certaines de ses promesses.

Un autre discours sur lequel la bienpensance est unanime est celui qui raille chez Trump le « milliardaire » qui prétend défendre les plus modestes. On voit là cette curieuse croyance qui veut que les gens ne puissent être bien représentés – et défendus – que par des gens qui leur ressemblent (3). C’est une théorie qui est pour le moins discutable, pour ne pas dire plus, et qui est particulièrement ridicule dans un contexte où une élite issue presque exclusivement des classes moyennes prétend représenter tout un pays. En fait, le système américain fait qu’un candidat ne peut gagner que s’il a des moyens considérables à  sa disposition. Un candidat « pauvre » est donc totalement soumis à ceux qui peuvent financer sa campagne, et peut donc difficilement être un candidat de rupture. Seul un candidat disposant de moyens personnels considérables peut se permettre d’affronter l’establishment (4)…

Et finalement, venons-en à l’accusation la plus intéressante, celle que les classes moyennes brandissent le plus haut, celle de anti-élitisme. Il ne faudrait pas confondre à ce propos la critique du concept d’élite en général et la critique des élites réelles, telles qu’elles existent aujourd’hui. On peut parfaitement penser que nos élites actuelles sont en dessous de tout sans pour autant appeler à une société sans élites. Si nos élites font souvent cette confusion, c’est parce qu’elles se conçoivent comme seule élite possible. Les critiquer, c’est critiquer le concept même d’élite.

Je suis le premier à penser – et cela m’a valu de bien méchants commentaires de certains de mes amis – qu’une société sans élites est une impossibilité. D’abord, parce que si les hommes sont tous égaux en droit, ils ne seront jamais égaux dans leurs vertus et leurs talents. Je suis suffisamment modeste pour penser que même vivant dans la plus parfaite et égalitaire des sociétés je n’aurais jamais eu le génie d’un Mozart ou d’un Einstein. Et je trouve tout à fait normal qu’on donne aux Mozart et aux Einstein de mon temps des honneurs, des places et des salaires qu’on ne me donnera pas à moi. Pour leur permettre de faire bénéficier la société au mieux de leurs talents, bien entendu. Mais aussi, pour encourager les jeunes qui ont en eux les capacités d’être des futurs Mozart ou Einstein à travailler dur pour suivre leurs pas.

L’idée d’élite ne me gêne donc pas, aussi longtemps que c’est une élite des vertus, des talents,  du mérite et non de la fortune, de la naissance ou de l’exposition médiatique. Mais être membre d’une véritable élite ne peut n’avoir que des avantages. Les salaires, les honneurs et les places que la collectivité vous accorde et dont j’ai parlé plus haut créent des devoirs. Bourdieu qualifiait les élites administratives de « noblesse d’Etat ». Et il ne faut pas oublier que « noblesse oblige ».

Contrairement à ce que prétend le discours dominant, les couches populaires ne sont pas anti-élitistes. Elles ne méprisent pas les « sachants » ou les « experts », les énarques ou les polytechniciens. Elles sont au contraire prêtes à soutenir une élite et à lui faire confiance, mais elles exigent en retour que ces élites s’occupent de leurs problèmes. Qu’elles ne comptent pas leurs efforts pour améliorer leur vie, que ce soit d’un point de vue matériel ou intellectuel. Ce pacte a d’ailleurs fonctionné pendant très longtemps. Pensez à ces grands commis de l’Etat comme Georges Besse qui auraient pu faire des fortunes dans le privé et qui ont modernisé la France pour des salaires de fonctionnaire. Pensez à monsieur Germain, instituteur, qui s’est occupé d’éveiller le petit Camus puis est allé convaincre ses parents de l’envoyer faire des études sur son temps libre. Aujourd’hui, Besse serait parti pantoufler dans le privé et monsieur Germain aurait demandé des heures supplémentaires avant de faire quoi que ce soit. Besse et Germain étaient respectés et admirés. Mais comment voulez-vous que les classes populaires acceptent des élites ou les polytechniciens pantouflent et les professeurs se comportent comme des employés de bureau qui se détachent de leur travail dès qu’ils ont fait leurs heures ?

On doit reconnaître à Marx le mérite d’avoir prévu cette transformation dès 1848. Ainsi, dans le manifeste, il avait prédit que la bourgeoisie détruirait tous les rapports « aristocratiques » sur lesquels les élites ont fonctionné pendant des siècles pour leur substituer un rapport marchand. Rétrospectivement, il faut s’étonner que la transformation ait pris si longtemps. Que deux siècles après la révolution industrielle le professeur, le médecin hospitalier, l’ingénieur d’Etat n’aient pas compté leurs heures, qu’ils ne soient pas allés là où leur intérêt individuel le leur aurait commandé. Que certaines professions se soient conçues elles-mêmes aussi longtemps comme des sacerdoces, et non comme des activités économiques soumises à la logique marchande. Tout n’est pas noir, bien entendu. Des « vraies élites » existent encore. On trouve toujours des préfets, des enseignants, des médecins dévoués. Mais ils sont de moins en moins nombreux, et les gens s’en rendent compte. C’est cette prise de conscience qui rend le discours anti-élites – que l’extrême droite n’est pas la seule à enfourcher – si efficace.

Le problème est que le bloc dominant, d’où les élites actuelles sont massivement issues, ont une bonne conscience à toute épreuve, et cette bonne conscience les empêche de voir les problèmes. Ce bloc s’est fabriqué une idéologie « victimiste » centrée sur la compassion pour les « minorités » et les marginaux, et du haut de laquelle on peut se permettre de culpabiliser ou d’ignorer les couches populaires. Et du haut de cette idéologie, elles n’arrivent tout simplement pas à comprendre pourquoi les couches populaires sont insensibles à leur discours, lui préférant le discours fasciste-raciste-sexiste-vulgaire (rayer la mention inutile) de tel ou tel leader populiste. C’est cette cécité qui fait que nos élites préfèrent s’accrocher pour toute explication à une « lépénisation des esprits » sans cause autre que magique.

Le succès des Trump et des autres populismes à travers le monde n’est que la conséquence mécanique de l’autisme des classes dominantes, et notamment des classes moyennes, dont le monopole sur le champ des idées rend la défaillance particulièrement lourde de conséquences. Les pseudo-Cassandres (5) nous rappellent les années 1930. Mais il ne faudrait pas oublier que les désastres des années 1930 sont la conséquence de l’autisme des classes dominantes qui, après la crise de 1929, sont restés sourds à la misère populaire et ouvert ainsi la porte à Hitler et aux siens. Il est donc grand temps d’ouvrir les oreilles…

Descartes

(1) On peu trouver étrange que les bienpensants français, qui tressent des couronnes à Coluche, le comique qui osait dire « merde » ou « con » à la radio à l’époque ou ça ne se faisait pas, vomissent Trump parce qu’il est  « grossier ». Mais bon, on n’est pas à une contradiction près.

(2) C’est pourquoi je trouve douteux le discours de ceux qui prétendent que si les démocrates avaient choisi Sanders plutôt que Clinton, la victoire leur aurait souri. Pourquoi diable voulez-vous que Sanders attire plus l’électorat populaire que Clinton ? C’est un peu comme dire que Piketty aurait attiré plus les ouvriers que ne le ferait Macron…

(3) C’est le même raisonnement qu’on trouve derrière les théories qui posent comme objectif la représentativité sociologique, ethnique et sexuelle de nos assemblées.

(4) C’est pour cette raison qu’il faut être très prudent avec des idées comme celle qui consisterait à interdire aux fonctionnaires de poursuivre une carrière politique ou qui les obligerait à démissionner de la fonction publique pour le faire. Un élu qui aurait besoin de se trouver un point de chute pour plus tard serait bien plus facile à corrompre…

(5) Cassandre avait été condamnée par les dieux à prédire exactement le futur et je jamais être crue. Avec nos pseudo-Cassandres médiatiques, c’est l’inverse : leurs prédictions ne sont jamais justes, et elles sont toujours crues…

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100 réponses à Donald, le magnifique

  1. Vincent dit :

    Excellent article. Comme presque toujours.

    Il manque toutefois une clarification, même si il me semble l’avoir déjà lue dans un article précédent. Qu’appelle-t-on les “classes moyennes” ?

    Bien souvent, on parle des classes moyennes (ou petite bourgeoisie) pour parler des techniciens, petits cadres, etc. Ce sont eux qui ont été prolétarisés par la mondialisation, et par la gestion des entreprises, qui traitent leurs cols blancs non plus comme des adjoints du patron, mais comme de la main d’oeuvre corvéable.
    Et ce sont, du coup, également eux, dont les intérêts de classe rejoingnent ceux des classes ouvrières (même si, je l’accorde, la traduction politique n’est pas évidente) ; si bien que seule une classe dirigeante, très peu nombreuse, a réellement intérêt à poursuivre la conduite du pays dans la direction actuelle (et notamment pas les professeurs, chercheurs, cadres de l’industrie, de l’ingéniérie, etc.).

    Est ce ces classes moyennes que vous parlez ?

    Ou est ce que votre acception de la classe moyenne ne serait pas, plus qu’un classe sociale avec ses intérêts (dans le sens marxiste, si je peux me permettre), une communauté de vue d’esprit, qui irait de nos classes dirigeantes jusqu’à des vraies classes moyennes paupérisées, mais qui tiennent à conserver leur logiciel d’ancien cadre, malgré leur déclassement ? (un peu comme si la déchéance du niveau de vie pouvait être masquée par la conservation d’une mentalité de dirigeant (*) )
    Si c’est bien ça le sens que vous donnez aux “classes moyennes”, n’y aurait-il pas une expression prêtant moins à ambiguïté, moins à confusion avec des classes dans le sens de “communauté de gens ayant les mêmes intérêts” ?

    Vincent
    (*) Je connais ainsi un exemple édifiant.
    Cadre dans la finance à Londres, toujours très propre sur lui, toujours prêt à “dauber” sur une France incapable de s’adapter au monde, etc.
    Et j’ai eu la surprise d’apprendre qu’il n’avait aucun salaire garanti, qu’il n’était payé qu’à la commission, et qu’en moyenne, ses commissions lui permettaient à peine de se payer un modeste studio à Londres, et de se payer ses A/R pour voir sa femme et son fils en France, sans que son salaire de financier n’apporte un seul euro dans les caisses du ménage (qui est donc entièrement à la charge de sa femme… qui travaille dans la fonction publique !)
    Il a été prolétarisé, dans la pratique, devrait se considérer comme un prolétaire exploité, mais au contraire, il “gueule” contre la France qui aide trop les personnes défavorisées, a trop de fonctionnaire… Sans se rendre compte que c’est le salaire de fonctionnaire de sa femme qui lui permet d’avoir une famille !

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Il manque toutefois une clarification, même si il me semble l’avoir déjà lue dans un article précédent. Qu’appelle-t-on les “classes moyennes” ?]

      Je redonne ma définition : il existe une classe, le prolétariat, qui n’ayant pas de capital est obligé de vendre sa force de travail à ceux qui en ont, et une autre classe, la bourgeoisie, qui achète cette force de travail pour un prix inférieur à la valeur que ce travail produit, la différence constituant la plusvalue extraite au bénéfice du capitaliste. Entre les deux, il y a un groupe qui a suffisamment de capital (matériel et immatériel) pour obtenir que son travail soit rémunéré au moins à la valeur produite, mais pas assez pour pouvoir extraire de la plusvalue chez les autres.

      [Bien souvent, on parle des classes moyennes (ou petite bourgeoisie) pour parler des techniciens, petits cadres, etc. Ce sont eux qui ont été prolétarisés par la mondialisation, et par la gestion des entreprises, qui traitent leurs cols blancs non plus comme des adjoints du patron, mais comme de la main d’oeuvre corvéable.]

      Pour moi, les techniciens et les petits cadres sont des prolétaires. Ils ont eu accès à un moment donné à un mode de vie un peu meilleur qui leur a donné l’illusion de changer de classe, mais en pratique ce n’est pas le cas.

      [Et ce sont, du coup, également eux, dont les intérêts de classe rejoingnent ceux des classes ouvrières (même si, je l’accorde, la traduction politique n’est pas évidente) ; si bien que seule une classe dirigeante, très peu nombreuse, a réellement intérêt à poursuivre la conduite du pays dans la direction actuelle (et notamment pas les professeurs, chercheurs, cadres de l’industrie, de l’ingéniérie, etc.).]

      Ces groupes ne représentent pas une classe aussi « peu nombreuse » que ça…

      [Est ce ces classes moyennes que vous parlez ?]

      Oui, tout à fait.

      [Ou est ce que votre acception de la classe moyenne ne serait pas, plus qu’un classe sociale avec ses intérêts (dans le sens marxiste, si je peux me permettre), une communauté de vue d’esprit,]

      Non, justement. Je voudrais sortir de la vision « sociologique » des classes moyennes pour donner au concept un sens économique utilisable dans le cadre marxiste.

    • Vincent dit :

      @ Descartes

      Si je comprends tout bien, pour prendre des exemples, toutes ces professions, habituellement considérées comme “supérieures”, sont à assimiler au prolétariat ?
      – un ingénieur ou commercial dans une SSII, qui est “vendu” à la journée, ou cherche à justifier de garder son poste en “vendant” suffisamment de jours,
      – un ingénieur dans un bureau d’études,
      – un consultant, en dehors de ceux qui accèdent au grade de “partner”,
      – un avocat, qui est soit salarié d’un gros cabinet, soit jeune associé qui doit travailler 70h par semaine,
      – un pharmacien, salarié car non propriétaire de sa pharmacie,
      – un clerc de notaire,
      – un pilote de ligne.

      Pourtant, bien souvent, même si ils finissent par adopter, dans leur entreprise des attitudes qui sont celles des prolétaires (faire appel aux DP et au droit du travail, porter des revendications, etc.), ces professions ont des niveaux de rémunération confortables, mêmes s’ils ne sont pas extravagants.
      Et souvent, bien supérieurs à beaucoup d’indépendants, commercants, etc. qui sont les “vraies” classes moyennes.

      Est ce que cette définition des classes moyennes est vraiment pertinente aujourd’hui ?

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Si je comprends tout bien, pour prendre des exemples, toutes ces professions, habituellement considérées comme “supérieures”, sont à assimiler au prolétariat ?]

      J’ai du mal m’expliquer. Vous semblez avoir compris que l’exploitation est liée purement à la question de la subordination juridique. En fait, l’exploitation se juge uniquement au rapport entre la valeur que le travailleur reçoit en échange de sa force de travail, et la valeur que le capitaliste tire de sa mise en œuvre. Si le travailleur se voit obliger d’accepter une rémunération inférieure à la valeur produite par son travail, il est exploité et donc assimilé au prolétariat. Si au contraire il est en position – parce qu’il possède un capital matériel et immatériel suffisant – pour imposer à son employeur une rémunération équivalente à la valeur produite par son travail, il ne l’est pas, et donc assimilé aux « classes moyennes ».

      Pour illustrer, je reprends vos exemples :

      [- un ingénieur ou commercial dans une SSII, qui est “vendu” à la journée, ou cherche à justifier de garder son poste en “vendant” suffisamment de jours,
      – un ingénieur dans un bureau d’études,
      – un consultant, en dehors de ceux qui accèdent au grade de “partner”,
      – un avocat, qui est soit salarié d’un gros cabinet, soit jeune associé qui doit travailler 70h par semaine,]

      Cela dépend de leur rémunération. S’ils détiennent une « compétence rare » (qui est un capital immatériel) et que ce fait lui permet de récupérer la valeur qu’il produit, il sera « classe moyenne ». Dans le cas contraire, il sera assimilé à un prolétaire.

      [- un pharmacien, salarié car non propriétaire de sa pharmacie,]

      Oui, c’est un prolétaire. S’agissant d’un métier normé, il n’a aucun moyen de faire valoir un quelconque « capital immatériel » pour négocier un meilleur salaire.

      [- un clerc de notaire,]

      Prolétaire.

      [- un pilote de ligne.]

      « Classe moyenne ». Un pilote de ligne détient en effet une compétence extrêmement pointue qu’il peut valoriser hautement sur le marché.

      [Pourtant, bien souvent, même si ils finissent par adopter, dans leur entreprise des attitudes qui sont celles des prolétaires (faire appel aux DP et au droit du travail, porter des revendications, etc.), ces professions ont des niveaux de rémunération confortables, mêmes s’ils ne sont pas extravagants.]

      Justement, ce n’est pas une question de « rémunération ». Si l’on veut comprendre les comportements politiques, il faut définir une classification fondée sur les intérêts de chacun, et non sur les niveaux de rémunération ou les modes de vie. La définition des « classes moyennes » que je propose vise à résoudre cette difficulté.

  2. handsaway dit :

    Merci pour cette analyse. Elle croise avec celle d’Emmanuel Todd, qui ajoute un fait intéressant pour appuyer que Trump est un choix rationnel pour les couches populaires: l’augmentation de la mortalité chez les blancs de 45-54 ans aux US, qu’il attribue au néo-liberalisme.

    Pour la remarque (2) sur Sanders, je ne vois pas ce qui vous fait penser cela. On peut avancer que les couches populaires blanches de la rust belt ont voté Trump principalement pour son discours anti-globalisation. Ce discours (opposition au TPP, à Wall Street) faisait aussi largement partie de la platforme de Sanders. Et tout comme Trump, ses meetings étaient tous des succès populaires énormes (contrairement à Clinton, obligée de payer des figurants). Enfin, il partageait avec Trump d’être la cible d’articles à charge par les media mainstream. Bref, il était aussi un candidat de rupture avec l’establishment, et on peut légitimement penser qu’il aurait vaincu Trump.
    La différence notable aurait été sur l’immigration, mais je ne suis pas sûr de l’effet qu’elle aurait eu sur le résultat.
    NB: la comparaison avec Piketty est faible selon moi, car Piketty est un chercheur qui décrit un fait (l’augmentation des inégalités), pas un homme politique comme Sanders qui propose une orientation et des solutions et a une expérience politique. On peut faire l’exercice de pensée d’imaginer Piketty menant une campagne politique contre Macron, mais c’est dur d’en déduire une quelconque évidence.

    • Descartes dit :

      @ handsaway

      [Pour la remarque (2) sur Sanders, je ne vois pas ce qui vous fait penser cela. On peut avancer que les couches populaires blanches de la rust belt ont voté Trump principalement pour son discours anti-globalisation. Ce discours (opposition au TPP, à Wall Street) faisait aussi largement partie de la platforme de Sanders.]

      Il y a plusieurs problèmes. D’abord, les couches populaires n’ont pas envie d’un discours abstrait sur la globalisation. Ils veulent qu’on leur dise qu’on peut faire quelque chose de concret. Le discours sur la globalisation de Trump est concret : il parle de contrôle des frontières, de protectionnisme. Celui de Sanders est général : opposition au TPP, à Wall Street. Ensuite, il faut comprendre que les discours ne suffisent pas. Encore faut-il que le discours soit crédible. Et Sanders, avec son discours poli de professeur universitaire, n’est pas crédible pour affronter les requins de la finance. Trump, qui a démontré être capable de casser les codes, si.

      [Et tout comme Trump, ses meetings étaient tous des succès populaires énormes]

      Un meeting « énorme » ne veut rien dire. Ce sont les gens les plus politisés qui vont dans les meetings. Les électeurs, surtout ceux de l’électorat populaire, ne se déplacent pas forcément, mais votent quand même…

      [Enfin, il partageait avec Trump d’être la cible d’articles à charge par les media mainstream. Bref, il était aussi un candidat de rupture avec l’establishment, et on peut légitimement penser qu’il aurait vaincu Trump.]

      Pourrais-tu me donner la référence de l’un de ces « articles à charge » ?

      [La différence notable aurait été sur l’immigration, mais je ne suis pas sûr de l’effet qu’elle aurait eu sur le résultat.]

      Parce que Sanders ne proposait pas les mêmes solutions, ou parce qu’il ne posait pas le problème ?

      [NB: la comparaison avec Piketty est faible selon moi, car Piketty est un chercheur qui décrit un fait (l’augmentation des inégalités), pas un homme politique comme Sanders qui propose une orientation et des solutions et a une expérience politique.]

      Je vous l’accorde.

    • Luxy Luxe dit :

      Tout à fait d’accord avec Descartes. Le problème de Sanders, c’est le même problème qu’Obama : ce sont des gens respectables, respectueux des conventions sociales. Et de ce fait, parfaitement incapables de faire ce qu’ils ont annoncé vouloir réaliser. Le phénomène n’est d’ailleurs pas spécifiquement américain : Hollande a fait la même chose en Europe. Et Tsipras et Varoufakis, en Grèce, ont définitivement établi que la gauche écologiste-altermondialiste a un appareil intellectuel trop hypertrophié pour pondre un quelconque plan de bataille réaliste – waouw, la commission sur la dette odieuse de l’inénarrable Zoé Konstantopoulou et du non moins comique Eric Toussaint, il fallait l’inventer – et, en toute hypothèse, à supposer que, contre toute attente, elle y parvienne, n’a pas les tripes nécessaires pour le mettre en oeuvre.

      Quant à Piketty, moi je veux bien que ce soit un chercheur universitaire, mais enfin, il me revient quand même, par l’un ou l’autre camarade millénariste altermondialiste-écologiste, que certains émettent des appels à ce qu’il se présente aux primaires de gauche…

    • Descartes dit :

      @ Luxy Luxe

      Et Tsipras et Varoufakis, en Grèce, ont définitivement établi que la gauche écologiste-altermondialiste a un appareil intellectuel trop hypertrophié pour pondre un quelconque plan de bataille réaliste – waouw, la commission sur la dette odieuse de l’inénarrable Zoé Konstantopoulou et du non moins comique Eric Toussaint, il fallait l’inventer – et, en toute hypothèse, à supposer que, contre toute attente, elle y parvienne, n’a pas les tripes nécessaires pour le mettre en oeuvre.]

      Je ne pense pas qu’on doive parler de « appareil intellectuel hypertrophié ». Je ne crois pas qu’il faille opposer l’action et la réflexion. Le PCF de la grande époque avait un discours intellectuellement solide, et pourtant était crédible dans l’action. Si la « gauche radicale » est incapable de mettre en place un quelconque « plan de bataille réaliste », c’est surtout parce qu’elle ne veut pas de cette bataille. Comme disait Lénine – dans une formule souvent mal interprétée – qui veut la fin veut les moyens. La « gauche radicale » veut en finir avec l’austérité européenne, mais elle veut garder l’UE fédérale et l’Euro. Ce qui est clairement une impossibilité. Alors, pour résoudre la contradiction, on a un discours d’autant plus radical qu’on ne se donne pas les moyens de le mettre en œuvre.

      A force de répétition, les couches populaires ont appris à se méfier de ces discours radicaux, parce que l’expérience a montré qu’au pied du mur on reconnaît les maçons. Que devient le discours radical de Mélenchon en 2012 ? Un désistement inconditionnel pour Hollande au deuxième tour. Que devient la radicalité de Sanders ? Un soutien à Clinton. Que devient la radicalité de Tsipras ? La soumission aux politiques européennes.

    • marcolien dit :

      @Descartes

      Bonjour,

      Je suis assez d’accord avec handsaway, sur le fait que Sanders aurait fait une alternative bien plus crédible.

      [Et Sanders, avec son discours poli de professeur universitaire, n’est pas crédible pour affronter les requins de la finance.]

      Sanders était justement caricaturé par les médias américains comme étant un vieux grincheux constamment à attaquer Wall Street, quelqu’un avec son franc parler qui pouvait frapper fort à la tribune, l’opposé de quelqu’un de poli.

      [Pourrais-tu me donner la référence de l’un de ces « articles à charge » ?]

      Pour le Washington Post, un édito loin d’être isolé : https://www.washingtonpost.com/opinions/bernie-sanderss-attack-on-reality/2016/02/12/e0656e04-d1b1-11e5-b2bc-988409ee911b_story.html?utm_term=.92aa61275902
      On peut aussi citer la couverture médiatique des incidents qui ont émaillé le vote des délégués à la primaire démocrate du Nevada, présentant les partisans de Sanders comme violents et antidémocratiques quand ceux-ci ne faisaient que réagir contre le coup de force des organisateurs (des élus pro-Clinton) qui ont passé à la va-vite un vote par acclamation (fait qui n’était jamais abordé par les médias).
      L’électorat américain est en gros divisé en 3 blocs : les démocrates, les républicains et les indépendants.
      Clinton avait verrouillé la base démocrate, ce qui explique son succès à la primaire.
      Sanders, un élu apparenté aux démocrates, avait surtout du succès auprès des indépendants, qui adhéraient à son discours anti-élites couplé à des mesures radicales (l’université gratuite, quand on sait les problèmes posés par les prêts étudiants aux USA ; la protection sociale ; la hausse du salaire minimum ; les mesures pour limiter le rôle de la finance dans l’économie ; contre le rôle de l’argent et des lobbys dans la politique, etc).

    • Descartes dit :

      @ Marcolien

      [Je suis assez d’accord avec handsaway, sur le fait que Sanders aurait fait une alternative bien plus crédible.]

      Mais plus « crédible » pour auprès de qui ?

      [Sanders était justement caricaturé par les médias américains comme étant un vieux grincheux constamment à attaquer Wall Street, quelqu’un avec son franc parler qui pouvait frapper fort à la tribune, l’opposé de quelqu’un de poli.]

      Je n’ai pas étudié à fond la question. Mais j’ai suivi deux ou trois discours de Sanders, et franchement ils ne m’ont pas frappé par leur « franc parler ». Cracher sur Wall Street dans une réunion d’anti-mondialistes, même avec une grande violence, cela ne nécessite pas un grand courage. Le courage se mesure à la capacité de dire des choses qui risquent de vous faire perdre des voix.

      [« Pourrais-tu me donner la référence de l’un de ces « articles à charge » ? » Pour le Washington Post, un édito loin d’être isolé : ]

      C’est un article critique, certes, mais pas un « article à charge » comme on a pu en voir contre Trump.

      [L’électorat américain est en gros divisé en 3 blocs : les démocrates, les républicains et les indépendants. Clinton avait verrouillé la base démocrate, ce qui explique son succès à la primaire. Sanders, un élu apparenté aux démocrates, avait surtout du succès auprès des indépendants, qui adhéraient à son discours anti-élites couplé à des mesures radicales (l’université gratuite, quand on sait les problèmes posés par les prêts étudiants aux USA ; la protection sociale ; la hausse du salaire minimum ; les mesures pour limiter le rôle de la finance dans l’économie ; contre le rôle de l’argent et des lobbys dans la politique, etc).]

      Mais pourquoi, à votre avis, ce discours n’a pas « mordu » chez les « cols bleus » ? Peut-être parce que leur principal problème n’est pas le poids des prêts étudiants ou le rôle de la finance dans l’économie, mais la désindustrialisation et la substitution dans l’emploi par des clandestins qui acceptent n’importe quelles conditions de travail. Qu’a dit Sanders sur ces questions ?

    • Luxy Luxe dit :

      [Je ne pense pas qu’on doive parler de « appareil intellectuel hypertrophié ». Je ne crois pas qu’il faille opposer l’action et la réflexion. Le PCF de la grande époque avait un discours intellectuellement solide, et pourtant était crédible dans l’action. Si la « gauche radicale » est incapable de mettre en place un quelconque « plan de bataille réaliste », c’est surtout parce qu’elle ne veut pas de cette bataille. Comme disait Lénine – dans une formule souvent mal interprétée – qui veut la fin veut les moyens. La « gauche radicale » veut en finir avec l’austérité européenne, mais elle veut garder l’UE fédérale et l’Euro. Ce qui est clairement une impossibilité. Alors, pour résoudre la contradiction, on a un discours d’autant plus radical qu’on ne se donne pas les moyens de le mettre en œuvre.]

      Nous sommes d’accord sur le fond. Quand je parle d’appareil intellectuel hypertrophié, ce n’est pas pour remettre en cause la nécessité d’une analyse solide, mais pour dénoncer une tendance à l’hyperintellectuallisation manifestant (ou causant) une déconnexion complète des réalités sociales et économiques. Cette hyperintellectualisation, couplée à la nécessité d’affirmer en permanence sa virginité antifasciste, amène à la paralysie de l’action.

      [l’université gratuite, quand on sait les problèmes posés par les prêts étudiants aux USA ; la protection sociale ; la hausse du salaire minimum ; les mesures pour limiter le rôle de la finance dans l’économie ; contre le rôle de l’argent et des lobbys dans la politique, etc]

      Université gratuite, protection sociale, en gros un programme politique conçu pour un électorat européen. Sauf que Sanders s’adresse à un électorat américain pour qui la question du coût de l’université est accessoire si le salaire du diplômé lui permet de rembourser les sommes empruntées ou pour qui la meilleure protection sociale est un travail…

      Et puis, nous, nous avons l’université gratuite et un système de protection sociale particulièrement redistributif. En quoi cela nous aide-t-il ? Et ce système peut-il tenir à moyen ou long terme dans une économie déprimée ?

    • Descartes dit :

      @ Luxy Luxe

      [Nous sommes d’accord sur le fond. Quand je parle d’appareil intellectuel hypertrophié, ce n’est pas pour remettre en cause la nécessité d’une analyse solide, mais pour dénoncer une tendance à l’hyperintellectuallisation manifestant (ou causant) une déconnexion complète des réalités sociales et économiques. Cette hyperintellectualisation, couplée à la nécessité d’affirmer en permanence sa virginité antifasciste, amène à la paralysie de l’action.]

      Je comprends votre point, mais je ne le partage pas. Je ne vois nulle part cette « hyperintellectuallisation » dont vous parlez. Au contraire : partout dans la politique radicale aujourd’hui on voit un mépris affiché et revendiqué pour le travail intellectuel. Mépris qui se traduit par une dévalorisation permanente de tout ce qui est « rationnel » et une glorification de tout ce qui est « émotion » ou « intuition ». Dans quel parti politique aujourd’hui on pousse les militants à apprendre l’histoire, l’économie, la sociologie de leur pays ? Dans quel parti le scientifique, le technicien, « l’expert » est respecté, valorisé ? Certainement pas dans les partis de la « gauche radicale »…

      [Université gratuite, protection sociale, en gros un programme politique conçu pour un électorat européen. Sauf que Sanders s’adresse à un électorat américain pour qui la question du coût de l’université est accessoire si le salaire du diplômé lui permet de rembourser les sommes empruntées ou pour qui la meilleure protection sociale est un travail…]

      Je doute que le coût de l’université soit un problème pour les « cols bleus » américains. C’est par contre un sérieux problème pour les « classes moyennes », qui sont celles qui envoient massivement leur progéniture à l’université.

      [Et puis, nous, nous avons l’université gratuite et un système de protection sociale particulièrement redistributif. En quoi cela nous aide-t-il ?]

      A ne pas avoir des ouvriers qui ne se soignent pas parce que les soins sont trop chers, ou qui travaillent jusqu’à 75 ans parce que la retraite ne leur permet pas de vivre.

      [Et ce système peut-il tenir à moyen ou long terme dans une économie déprimée ?]

      Tant que les « bloc dominant » accepte de payer…

    • handsaway dit :

      @ Descartes [Pourrais-tu me donner la référence de l’un de ces « articles à charge » ? ]

      Le Monde Diplomatique a fait une petite analyse de la couverture négative de Sanders par les médias américains: http://www.monde-diplomatique.fr/2016/12/FRANK/56895.
      Vous pouvez aussi voir http://fair.org/home/washington-post-ran-16-negative-stories-on-bernie-sanders-in-16-hours/ ou comment le New York Times a modifié secrètement et rétroactivement un article en ligne sur Sanders : https://medium.com/@brokenravioli/proof-that-the-new-york-times-isn-t-feeling-the-bern-c74e1109cdf6#.wwjow3j4m, pour des exemples frappants.

      [Mais plus « crédible » pour auprès de qui ? ]

      Les sondages ne permettent pas de prédire (comme on l’a encore observé avec la victoire de Trump), mais ils donnaient en tout cas, pendant toute la durée des primaires démocrates, une bien plus grande marge à Sanders qu’à Clinton, dans le duel contre Trump.
      En mars (quand Trump est devenu le favori) : Sanders +17, Clinton +11.
      En juin, à la fin des primaires : Sanders +10, Clinton +2.

      source: http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/us/general_election_trump_vs_sanders-5565.html#polls et http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/us/general_election_trump_vs_clinton-5491.html

      [Mépris qui se traduit par une dévalorisation permanente de tout ce qui est « rationnel » et une glorification de tout ce qui est « émotion » ou « intuition ».]

      Tout à fait d’accord. On pourrait parler longtemps de comment la gauche radicale débat sur le nucléaire civil, les vaccins, les OGMs ou au contraire l’homéopathie et autres huiles essentielles.

      [Peut-être parce que leur principal problème n’est pas le poids des prêts étudiants ou le rôle de la finance dans l’économie, mais la désindustrialisation et la substitution dans l’emploi par des clandestins qui acceptent n’importe quelles conditions de travail. Qu’a dit Sanders sur ces questions ?]

      Sur la désindustrialisation, Sanders voulait annuler plusieurs accords de libre échange (NAFTA et PNTR with China) et ne pas ratifier le TPP. Il proposait également un grand projet de rénovation des infrastructures.
      Sur l’immigration, il proposait seulement quelques réformes sur le visa et faciliter l’obtention de la citoyenneté aux sans papiers pour diminuer l’exploitation.
      (source: son site).

      @ Luxy Luxe

      [Sauf que Sanders s’adresse à un électorat américain pour qui la question du coût de l’université est accessoire si le salaire du diplômé lui permet de rembourser les sommes empruntées ou pour qui la meilleure protection sociale est un travail…]

      Contrairement à la croyance répandue par les media, la majorité de la population américaine est pour une meilleure protection sociale. Voir Noam Chomsky, Failed States, p.225, sur ce point. Un extrait est disponible ici : http://www.counterpunch.org/2012/06/15/supreme-insult/

    • Descartes dit :

      @ handsaway

      [Le Monde Diplomatique a fait une petite analyse de la couverture négative de Sanders par les médias américains (…)]

      Désolé, mais il semble que cet article soit réservé aux abonnés.

      Pour vos autres références, merci, elles sont intéressantes. Mais il s’agit d’articles sérieux, certes critiques de Sanders, mais qui sont difficilement comparables au genre d’article que ces mêmes médias ont consacré à Trump tout au long de la campagne. Dire, comme le fait le commentateur auquel j’ai répondu, que « (Sanders) partageait avec Trump d’être la cible d’articles à charge par les media mainstream » me paraît tout de même un peu excessif.

      [Les sondages ne permettent pas de prédire (comme on l’a encore observé avec la victoire de Trump), mais ils donnaient en tout cas, pendant toute la durée des primaires démocrates, une bien plus grande marge à Sanders qu’à Clinton, dans le duel contre Trump.]

      La source que vous indiquez est extrêmement intéressante. Ce qui frappe dans certains de ces sondages, est qu’ils indiquent que Sanders faisait la différence en attirant une partie des plus riches, qui dans un duel Trum-Clinton avaient plus tendance à se reporter sur Trump. Cela étant dit, comme vous le dites, les sondages effectués plusieurs mois avant l’élection n’ont souvent qu’un rapport lointain avec le résultat (Juppé et Balladur en fournissent de très bons exemples).

      [Contrairement à la croyance répandue par les media, la majorité de la population américaine est pour une meilleure protection sociale.]

      Tout le monde est « pour une meilleure protection sociale »… jusqu’au moment où il faut la payer. Je ne suis pas aussi persuadé que vous que la majorité de la population américaine soit d’accord pour payer plus d’impôts afin de financer une meilleure protection sociale.

    • handsaway dit :

      @Descartes

      [Tout le monde est « pour une meilleure protection sociale »… jusqu’au moment où il faut la payer. Je ne suis pas aussi persuadé que vous que la majorité de la population américaine soit d’accord pour payer plus d’impôts afin de financer une meilleure protection sociale.]

      C’est pour cela que je donnais ce lien. La majorité est pour effectivement payer plus d’impôts pour une meilleure protection sociale:

      “A large majority of the population supports extensive government intervention, it appears. An NBC-Wall Street Journal poll found that ‘over 2/3 of all Americans thought the government should guarantee “everyone” the best and most advanced health care that technology can supply; a Washington Post-ABC News poll found that 80 percent regard universal health care as ‘more important than holding down taxes’; polls reported in Business Week found that ‘67% of Americans think it’s a good idea to guarantee health care for all U.S. citizens, as Canada and Britain do, with just 27% dissenting’; the Pew Research Center found that 64 percent of Americans favor ‘the U.S. government guaranteeing health insurance for all citizens, even if it means raising taxes’ (30 percent opposed). By the late 1980s, more than 70 percent of Americans ‘thought health care should be a constitutional guarantee,’ while 40 percent ‘thought it already was.’ One could only imagine what the figures would be if the topics were not virtually off the public agenda.”

    • Descartes dit :

      @ handsaway

      [C’est pour cela que je donnais ce lien. La majorité est pour effectivement payer plus d’impôts pour une meilleure protection sociale:]

      Pas tout à fait. Sur des questions comme celle-là, les sondages ne valent rien parce que le résultat est fortement influencé par un discours martelé systématiquement, qui fait des secours à la veuve et l’orphelin un devoir moral. Posez aux gens la question « pensez-vous que le secours aux malades (aux orphelins, aux handicapés, au choix) est plus important que baisser les impôts (ou que la conquête spatiale, ou que l’arme atomique, ou que…) » et vous pouvez à 90% prévoir la réponse. Cependant, lorsqu’il s’agit de faire effectivement des choix, les électeurs votent ou sanctionnent très différemment.

  3. Un Belge dit :

    [Elles ont au contraire sont prêtes au contraire nourrir une élite et à lui faire confiance]

    Je ne sais pas exactement comment vous vouliez tourner la phrase, mais visiblement il y a quelque chose qui cloche 🙂

    Je n’ai rien d’autre d’intéressant à ajouter, vous me sortez les mots de la bouche.

  4. obélix dit :

    Et si tous ces médiats qui collent des nez rouges à tout ce qui dérange,si toute cette classe dominante,continuent d’ignorer les couches populaire et leurs problèmes ,pensant uniquement qu’il n’est important que d’être au deuxième tour des présidentielles ,il peut y avoir une autre hypothèse: C’est qu’il n’y ait pas de deuxième tour.

  5. Richard dit :

    Bonjour,
    Comme d’habitude très intéressant. Merci 🙂
    Mais je suis en désaccord avec votre opinion concernant votre nota n° 4. Certes l’absence de point de chute peut faciliter la corruption mais je pense que le problème ou les élus en France sont majoritairement issus de la fonction publique est plus grave. L’absence d’une plus grande diversité professionnelle à l’assemblée nationale (par exemple) empêche ces mêmes élus de faire des choix plus “sensés” (bien sûr plus sensés à mon goût 🙂 ). Et je pense que notre tolérance est déjà bien élevée si on regarde les casseroles que portent déjà ceux qui sont en place. Il y a aussi un autre élément ou un candidat qui est fonctionnaire ne prend pas beaucoup de risques professionnels en cas d’échec politique comparé à quelqu’un qui n’est pas fonctionnaire. N’est-ce pas une forme de discrimination ?

    • Descartes dit :

      @ Richard

      [Mais je suis en désaccord avec votre opinion concernant votre nota n° 4. Certes l’absence de point de chute peut faciliter la corruption mais je pense que le problème ou les élus en France sont majoritairement issus de la fonction publique est plus grave. L’absence d’une plus grande diversité professionnelle à l’assemblée nationale (par exemple) empêche ces mêmes élus de faire des choix plus “sensés” (bien sûr plus sensés à mon goût 🙂 ).]

      Souvenez-vous que les élus n’ont pas toujours été issus de la fonction publique. Sous la IIIème République, ils étaient dans leur grande majorité issus du privé : avocats, médecins, industriels. Clemenceau était journaliste, Poincaré ou Laval avocats. Leurs choix étaient-ils plus « sensés » que ceux d’un De Gaulle ou d’un Pompidou ?

      Il y a cette vision fantasmatique qui veut que le fait d’avoir travaillé dans le privé vous donne une sapience, une sagesse particulière inaccessible à ceux qui passent leur vie à courir derrière les voleurs, à transmettre un savoir à une classe de gamins insupportables ou à calculer l’impôt de leurs concitoyens. Cette vision n’a, à mon avis, aucun support dans la réalité. D’abord, parce qu’il y a privé et privé : gratter du papier dans un bureau à Microsoft ou à Total n’est pas très différent de gratter du papier dans un ministère. Bien sur, dans le premier cas vous avez un bien meilleur salaire et en contrepartie plus de chance d’être viré, mais le travail est essentiellement le même. Et si vous croyez que le fait d’avoir peur d’être viré procure une sagesse particulière…

      [Et je pense que notre tolérance est déjà bien élevée si on regarde les casseroles que portent déjà ceux qui sont en place.]

      Je vous fais remarquer que les politiques qui ont les plus grosses casseroles ne sont en général pas issus de la fonction publique : Cahuzac était médecin et propriétaire d’une clinique, Balkany a repris l’entreprise familiale de prêt-à-porter. Le privé ne semble pas leur avoir procuré une « sagesse » particulière dans ce domaine…

      [Il y a aussi un autre élément ou un candidat qui est fonctionnaire ne prend pas beaucoup de risques professionnels en cas d’échec politique comparé à quelqu’un qui n’est pas fonctionnaire. N’est-ce pas une forme de discrimination ?]

      Certainement pas, puisque la fonction publique est ouverte à tout le monde. Interdire à ceux qui n’ont pas un diplôme de chirurgien d’opérer, est-ce une « discrimination » ?

  6. luc dit :

    Cette élection a t elle satisfait le lobby des armes et du complexe Militaro industriel?
    Mon commentaire posait cette question et après.emballement de internet.. est apparu..sur mon écran….’signalez un abus de pédophilie’!?!?
    Croyez moi,cher Descartes,Je n’y suis pour rien!
    mais peut être qu’en plus de tous ces défauts,Trump est un pédophile??

  7. BolchoKek dit :

    Ce qui m’a en effet particulièrement frappé, c’est à quel point il y a ces dernières années une constante politique dans tous les pays de notre cher Monde Libre, que certains appellent la “montée du populisme”, mais qui est en fait la réorientation progressive à droite du vote populaire et à gauche du vote des couches plus aisées.
    L’élection de Trump est un exemple flagrant de cette tendance, très visible à cause du bipartisme américain mais pas seulement.
    J’ai quelques amis américains avec lesquels je corresponds de temps en temps, qui sont “registered democrats” qui ont fait campagne pour Sanders, et j’en ai bien sûr profité pour leur demander leur avis. Il faut déjà se rendre compte à quel point Clinton a mis en place les conditions de sa propre défaite : comme tu le souligne, elle a fait une campagne extrêmement “people”, ignorant voire méprisant la base du parti démocrate. Quand on est un militant de longue date, voir sa candidate passer son temps avec Ellen DeGeneres et Katy Perry et mépriser souverainement le parti en tant qu’institution, ainsi que les militants, ne pousse pas à la sympathie. Parmi mes amis, sur quatre, un a voté Clinton en se bouchant le nez, deux ont voté blanc, et un a même voté Trump par exaspération. Je pense que l’on a là une parfaite illustration de ce qui a été le sujet de bien des discussions sur ce blog, le résultat d’une campagne médiatique qui considère le parti comme un outil dépassé. Il est assez clair à mon avis que ce faisant, Clinton a annulé l’avantage du rejet de la personne de Trump, en créant un rejet assez massif de sa propre personne dans son propre camp.
    Mais ce que j’ai trouvé le plus intéressant dans cette élection, c’est les statistiques de l’électorat. Déjà, malgré une campagne très mouvementées, on a eu une participation assez basse. Ensuite, la percée électorale de Trump est absolument fascinante : alors que l’électorat républicain traditionnel chrétien des classes moyennes l’a quelque peu boudé, le mettant en minorité dans le vote populaire, il a réellement cartonné dans les grands lacs, la “rust belt” industrielle qui jusqu’alors avait été assez fermement démocrate. Personne ne s’imaginait qu’il allait prendre la Pennsylvanie et le Michigan… Il faut dire qu’avec les difficiles conditions économiques et le délitement des liens privilégiés entre les syndicats et les démocrates, on pouvait s’y attendre. Obama, bête politique, avait réussi à conserver ces zones, Clinton est l’apothéose de ce que les “blue collar” de ces zones abhorrent….
    Ensuite, il faut noter que bien que présenté comme “raciste”, Trump a eu d’excellents résultats chez les “minorités” pour un candidat républicain, les meilleurs depuis des décennies : il a doublé le vote noir pour les républicains. Il faut se souvenir de son passage à Detroit, et on comprend mieux…
    Pour conclure, je voudrais parler d’un auteur que mes amis outre-atlantique m’ont tous vivement recommandé, Thomas Frank, qui depuis des années théorise justement le passage à droite des couches populaires, le tout dans un discours assez marxien. J’avais déjà lu certains de ses articles traduits, mais la lecture de “Listen, Liberal: What Ever Happened to the Party of the People?” est très intéressante. Je ne sais pas si Descartes l’a lu, mais je le recommande. Une interview pour ceux qui aiment ce genre de choses pour se faire une idée :
    http://www.pbs.org/newshour/bb/new-book-listen-liberal-looks-at-democratic-party-schism/

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Ce qui m’a en effet particulièrement frappé, c’est à quel point il y a ces dernières années une constante politique dans tous les pays de notre cher Monde Libre, que certains appellent la “montée du populisme”, mais qui est en fait la réorientation progressive à droite du vote populaire et à gauche du vote des couches plus aisées.]

      Je ne dirais pas « réorientation progressive à droite ». Dans certains pays – pensez par exemple au Vénézuela ou à l’Argentine – le populisme est plutôt classé « à gauche ». Je pense surtout que les étiquettes politiques « gauche » ou « droite » ne veulent plus rien dire. Dire qu’untel est « de gauche » ou « de droite » ne nous informe en rien sur son positionnement politique par rapport aux grandes questions sociales et économiques. Si je vous dit « X est de gauche » ou « Y est de droite », pouvez-vous me dire quel est la position de X ou Y sur une question donnée ? Y est-il étatiste ou libéral ? X est-il souverainiste ou fédéraliste ? Aujourd’hui, « droite » et « gauche » sont des étiquettes de filiation. Je suis « de gauche » parce que j’ai un portrait de Jaurès, je suis « de droite » parce que j’ai un portrait de De Gaulle.

      Je pense que la formation d’un bloc dominant à partir d’une alliance entre la bourgeoisie et les « classes moyennes » a laissé une masse énorme, les couches populaires, sans encadrement et sans représentation politique. Cette masse était donc disponible et trouve un exutoire qui dépend de la tradition politique de chaque pays, plutôt « à droite » ou plutôt « à gauche ». Mais quelque soit l’étiquette choisie, les « valeurs » et les politiques sont toujours les mêmes : revendication de la « solidarité inconditionnelle » qui constitue la Nation, d’un Etat suffisamment fort pour redistribuer la richesse, de la transmission d’une identité culturelle, de la notion de service public. Et qu’ils soient de droite comme de gauche, les hommes et les partis qui veulent récupérer cette masse disponible sont obligés de s’aligner sur ces éléments. Ainsi, Trump ou Marine Le Pen s’alignent sur des idées qui auraient fait pâlir d’horreur un véritable « homme de droite » il y a trente ans : relance keynésienne, protectionnisme, Etat fort…

      [Je pense que l’on a là une parfaite illustration de ce qui a été le sujet de bien des discussions sur ce blog, le résultat d’une campagne médiatique qui considère le parti comme un outil dépassé. Il est assez clair à mon avis que ce faisant, Clinton a annulé l’avantage du rejet de la personne de Trump, en créant un rejet assez massif de sa propre personne dans son propre camp.]

      Ton observation est très intéressante. En effet, l’affranchissement de la « forme parti » a peut-être joué un rôle dans la défaite de Clinton. La tendance à suivre plus les avis des experts en communication que les signaux venus des militants – qui sont, eux, à l’écoute de l’électeur de base – contribue à des campagnes « hors sol ».

      [Ensuite, la percée électorale de Trump est absolument fascinante : alors que l’électorat républicain traditionnel chrétien des classes moyennes l’a quelque peu boudé, le mettant en minorité dans le vote populaire, il a réellement cartonné dans les grands lacs, la “rust belt” industrielle qui jusqu’alors avait été assez fermement démocrate. Personne ne s’imaginait qu’il allait prendre la Pennsylvanie et le Michigan… Il faut dire qu’avec les difficiles conditions économiques et le délitement des liens privilégiés entre les syndicats et les démocrates, on pouvait s’y attendre. Obama, bête politique, avait réussi à conserver ces zones, Clinton est l’apothéose de ce que les “blue collar” de ces zones abhorrent….]

      Tout à fait d’accord. Je pense que beaucoup d’américains ont su gré à Trump de poser les problèmes – même pour ceux qui n’étaient pas d’accord avec les solutions proposées. Si je crois à des amis qui travaillent dans la « rust belt ». Les gens sortaient de ses meetings ou discutaient ses prestations télévisées sur le mode « ok, il dit n’importe quoi, mais au moins il parle de nos problèmes ». Dans une société qui est profondément fracturée, Trump parle de fractures, alors que Clinton a un discours irénique ou l’antiracisme et le féminisme résoudront tous les problèmes. Comment s’étonner que les électeurs qui subissent le plus les fractures trouvent le langage de vérité chez l’un plutôt que chez l’autre ?

      [Ensuite, il faut noter que bien que présenté comme “raciste”, Trump a eu d’excellents résultats chez les “minorités” pour un candidat républicain, les meilleurs depuis des décennies : il a doublé le vote noir pour les républicains. Il faut se souvenir de son passage à Detroit, et on comprend mieux…]

      J’ai vu ça. Je ne connais pas assez la société américaine pour interpréter ce phénomène, mais il semblerait en effet que les électeurs tendent à faire passer la question de classe devant la question de la race. Ce qui serait une très bonne nouvelle !

      [Pour conclure, je voudrais parler d’un auteur que mes amis outre-atlantique m’ont tous vivement recommandé, Thomas Frank,]

      Je ne connaissais pas cet auteur, mais j’ai lu l’entretien que tu proposes, et je retrouve en fait mon analyse d’une « gauche » contrôlée en fait par une « classe moyenne » (lui parle d’une « professional, managerial, highly educated, white-collar, affluent, suburban class ») qui n’a plus aucun intérêt pour les « couches populaires »…

    • BolchoKek dit :

      >Je ne dirais pas « réorientation progressive à droite ».<
      J’ai mal utilisé le terme “réorientation”… Je pensais plutôt “réalignement”. Dans le sens du réalignement des couches populaires anglaises sur les Tories, par exemple.

      >Dans certains pays – pensez par exemple au Vénézuela ou à l’Argentine – le populisme est plutôt classé « à gauche ».<
      Huntington dirait qu’il s’agit d’autres sphères…

      >Dire qu’untel est « de gauche » ou « de droite » ne nous informe en rien sur son positionnement politique par rapport aux grandes questions sociales et économiques.<
      Absolument, je me désole d’ailleurs que l’ironie de mon propos ne t’ait pas touché…

      >Je pense que la formation d’un bloc dominant à partir d’une alliance entre la bourgeoisie et les « classes moyennes » a laissé une masse énorme, les couches populaires<
      C’est bon, on est entre nous, tu peux bien parler de prolétariat 😉

      >La tendance à suivre plus les avis des experts en communication que les signaux venus des militants – qui sont, eux, à l’écoute de l’électeur de base – contribue à des campagnes « hors sol ».<
      Les irrégularités lors de la primaire ont beaucoup joué. C’est que contrairement aux souhaits très émouvants formulés que formule Manuel Valls, le parti socialiste et le parti démocrate américain, ce n’est pas la même chose. Les démocrates ont des militants, eux, pas des sandwichmen…
      des campagnes « hors sol ».<
      Les irrégularités lors de la primaire ont beaucoup joué. C’est que contrairement aux souhaits très émouvants formulés que formule Manuel Valls, le parti socialiste et le parti démocrate américain, ce n’est pas la même chose. Les démocrates ont des militants, eux, pas des sandwichmen…

      La réaction de Sanders prouve tout de même une certaine profondeur politique du personnage :
      http://www.politico.com/story/2016/11/sanders-trump-work-together-231158

      >mais il semblerait en effet que les électeurs tendent à faire passer la question de classe devant la question de la race. Ce qui serait une très bonne nouvelle !< C’est fébrile, mais la tendance y est. Les USA ont encore pour des siècles à vivre avec une ségrégation différée, à mon avis… >Je ne connaissais pas cet auteur, mais j’ai lu l’entretien que tu proposes,<
      Un certain nombre de ses articles a été traduit dans le Monde Diplo, mais étant traducteur moi-même je sais que je pourrais aisément faire passer Ahmadinejad pour un partisan de la politique expansionniste d’Israel. J’ai été bluffé par la qualité des analyses de Frank, honnêtement, j’ai un bref moment pensé que Descartes avait une double vie de politologue aux USA…

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [« Je pense que la formation d’un bloc dominant à partir d’une alliance entre la bourgeoisie et les « classes moyennes » a laissé une masse énorme, les couches populaires » C’est bon, on est entre nous, tu peux bien parler de prolétariat ;)]

      On peut… mais le terme pose problème. Au départ, le « prolétaire » est celui qui n’a pour toute richesse que ses enfants (« proles »). De toute évidence, ce n’est plus le cas aujourd’hui en France. « Classe ouvrière » serait plus exact, mais pour beaucoup de lecteurs l’ouvrier ne couvre que les travailleurs en usine. La terminologie « couches populaires » est plus compréhensible aujourd’hui.

      [J’ai été bluffé par la qualité des analyses de Frank, honnêtement, j’ai un bref moment pensé que Descartes avait une double vie de politologue aux USA…]

      C’est agréable de savoir qu’on n’est pas seuls…

  8. CVT dit :

    @Descartes,

    bravo, maestro (avec le roulement de R qui convient…).
    Je me suis bien amusé avec votre pièce en 4 actes: c’est un joli drame!
    Sinon, pour en revenir au commentaire que j’avais laissé dans votre poste précédent, je n’ai jamais laissé entendre que le Brexit et D.Trump véhiculaient une idéologie qui seraient le pendant de celle des “diaboliques” Thatcher et Reagan (au diable les préventions: ces deux-là, par leur idéologie, ont semé la misère et discorde dans le monde depuis plus de trois décennies! Quant à notre cher pays, je persiste à penser que notre “Thatcher” s’appelait Jacques Delors…).
    Simplement, je signalais la même coïncidence entre les deux pays, à 35 ans d’écart. Pour ma part, je suis surtout persuadé que Thatcher et Reagan avaient non seulement le soutien des chères “classes moyennes” que vous fustigez à raison avec vos posts, mais ils avaient également le soutien des classes populaires, au sens prolétaire du terme! En clair, une bonne partie des travailleurs anglais et américains ont voté pendant tout ce temps-là contre leurs propres intérêts, et désormais, en 2016, ces derniers ont sifflé la fin de la récréation!
    Car oui, chaque pays a ses modalité propre, en matière d’organisation sociale: Reagan a eu l’approbation de ce qu’on qualifie chez mes parents de “petits blancs” en opposition frontale avec les “minorités ethniques”, et Thatcher a dressé les ouvriers syndiqués contre les petits entrepreneurs. Dans les deux cas, il s’agissait d’une guerre entre travailleurs, donc certains ont fini apparemment par se lasser, voyant la prospérité du pays fuir dans les grandes métropoles “mondialisées”…
    A vrai dire, peu importe que Trump soit sincère ou non, ce qui est significatif, c’est qu’il incarne le retour des NATIONS dans le discours politique. D’ailleurs, j’y vois un avantage considérable: si les USA deviennent isolationnistes, l’UE devient désormais un canard sans tête!
    Rien que pour cela, Trump est l’hirondelle qui annonce le printemps…
    Dernière chose qui tempère mon optimisme, en dehors des réactions hystériques des “classes moyennes”: au XXè siècle, l’isolationnisme américain n’a pas été une bonne chose il y a près de cent ans: on ne peut pas refaire l’histoire, mais qui sait ce qui aurait pu se passer si les Américains avaient froncé les sourcils face aux ennemis de la République de Weimar, en Allemagne…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Quant à notre cher pays, je persiste à penser que notre “Thatcher” s’appelait Jacques Delors…).]

      Vous n’avez pas tort…

      [Simplement, je signalais la même coïncidence entre les deux pays, à 35 ans d’écart. Pour ma part, je suis surtout persuadé que Thatcher et Reagan avaient non seulement le soutien des chères “classes moyennes” que vous fustigez à raison avec vos posts, mais ils avaient également le soutien des classes populaires, au sens prolétaire du terme!]

      Vous avez raison. Et ce fut vrai aussi pour le couple Delors-Mitterrand, notre « Thatcher français ». Pendant les « trente glorieuses », nous avons eu un bloc politique constitué par les « classes moyennes » et les couches populaires. Ce bloc a duré aussi longtemps qu’il y avait un gâteau toujours plus grand à partager, et que l’ascenseur social permettait aux couches populaires d’accéder régulièrement aux « classes moyennes ». Mais à la fin des années 1960, la croissance ralentit et les « classes moyennes » changent de taquet. Elles se tournent vers la bourgeoisie, et cassent l’ascenseur social. Mais les classes populaires ne réalisent pas tout de suite ce changement. La victoire de Mitterrand, de Thatcher ou de Reagan traduisent ce malentendu : les couches populaires croient encore que ce qui est bon pour les « classes moyennes » est bon pour elles. Il leur faudra dix ans pour déchanter…

      [A vrai dire, peu importe que Trump soit sincère ou non, ce qui est significatif, c’est qu’il incarne le retour des NATIONS dans le discours politique. D’ailleurs, j’y vois un avantage considérable: si les USA deviennent isolationnistes, l’UE devient désormais un canard sans tête!]

      Il est clair que si les américains prennent clairement parti pour le protectionnisme, ce sera pour beaucoup d’eurolâtres qui ont les yeux tournés vers les USA une défaite idéologique. Après, je ne suis pas aussi persuadé que vous que l’UE soit dirigée depuis Washington.

      [Dernière chose qui tempère mon optimisme, en dehors des réactions hystériques des “classes moyennes”: au XXè siècle, l’isolationnisme américain n’a pas été une bonne chose il y a près de cent ans: on ne peut pas refaire l’histoire, mais qui sait ce qui aurait pu se passer si les Américains avaient froncé les sourcils face aux ennemis de la République de Weimar, en Allemagne…]

      Ca n’a rien à voir avec l’isolationnisme. A supposer même que les USA n’aient pas été isolationnistes dans les années 1930, qui vous dit qu’ils auraient été du « bon » côté ? Qu’ils n’auraient plutôt soutenu les nazis pour qu’ils attaquent directement l’URSS ? N’oubliez pas que le courant pro-nazi était puissant aux Etats-Unis…

  9. Regente dit :

    Je ne crois pas être “bien pensante” , mais je trouve que comparer Trump à Coluche est faire gravement injure à ce dernier . Le pere des Restos du Coeur , s’il était en effet mal embouché , n’a jamais prôné la haine , ni le racisme ni le sexisme . Il ne se serait jamais permis de saillies immondes sur les femmes , aurait vomi d’être soutenu par le Klux Klux Klan . Dommage que ce genre de raccourci vienne discréditer votre analyse .

    • Descartes dit :

      @ Regente

      [Je ne crois pas être “bien pensante” , mais je trouve que comparer Trump à Coluche est faire gravement injure à ce dernier.]

      Je trouve au contraire que c’est lui faire trop d’honneur. Après tout, Trump a réussi ce que Coluche a tenté, sans aller jusqu’au bout…

      Mais trève de plaisanterie. Je n’ai pas « comparé Trump à Coluche ». Je noté que sur un point bien précis – la grossièreté des propos – ceux-là même qui portent aux nues Coluche pour avoir osé défier le « tabou » qui consistait la grossièreté dans les médias sont les premiers à crier au meurtre devant la « grossiérété » de Trump ou le « casse toi po’v con » de Sarkozy.

      Personnellement, j’ai toujours été repoussé par l’irruption de la grossièreté dans les médias, ce qu’un discours bienpensant appelle « l’insolence ». Non, la radio et la télévision ne sont pas meilleures depuis qu’on peut dire « merde » ou « con » à tout bout de champ. Au contraire. Les langage des médias de papa était peut être artificiel, mais cette artificialité traduisait une exigence, un respect envers l’auditeur. Et aussi un respect pour soi-même, parce que si ce qu’on dit est important, alors il est digne d’être exprimé avec soin.

      Il y a une filiation entre Coluche et Trump – dont vous noterez qu’ils appartiennent à la même génération, et ce n’est pas par hasard. Tous deux sont enfants de cette logique de la transgression et de l’insolence. Coluche avait eu la tentation de transposer cette transgression, cette insolence, dans le camp politique, mais n’étant pas un vrai politicien, il s’était ravisé. Trump, lui, est allé jusqu’au bout.

      [Le pere des Restos du Coeur , s’il était en effet mal embouché, n’a jamais prôné la haine, ni le racisme ni le sexisme.]

      C’est discutable. Sa peinture du « beauf » – qui est en fait une manière déguisée de pointer l’ouvrier – était passablement haineuse. Mais la question n’est pas là. Je ne dis pas que Trump et Coluche partagent les mêmes idées. Je dis qu’ils partagent une même conception de la communication.

      [Il ne se serait jamais permis de saillies immondes sur les femmes,]

      Là, vous avez tort. Coluche a dit sur les « gonzesses » des choses qui aujourd’hui seraient dénoncées comme insupportablement sexistes. Coluche était homme de son époque, et le politiquement correct n’était pas ce qu’il est aujourd’hui… Voici un florilège :

      « Les prostituées sont des femmes qui ont très vite compris que leurs meilleures amies étaient leurs jambes et qu’il fallait très souvent écarter ses meilleures amies. »

      « Dieu a créé l’homme à son image, et la gonzesse à l’idée qu’il s’en faisait, ça peut paraître dégueulasse, mais ça partait d’un bon sentiment. »

      « Il y a des mecs qui ne font l’amour que bourrés. Bah oui, toutes les femmes ne sont pas belles ! »

      Et encore, je n’ai choisi que les moins sales. On est sur un blog d’un certain niveau…

      [aurait vomi d’être soutenu par le Klux Klux Klan.]

      Mais il n’a pas vomi de soutenir un ancien de l’Algérie Française décoré par Pétain de la Francisque. A chacun ses répugnances…

    • cdg dit :

      @regente
      Je vous engage a reecouter le sketch “le viol” de coluche. De nos jours, il aurait tous les feministes aux fesses
      De toute facon on demande pas a un president d etre un modele de vertu mais de diriger efficacement le pays. Pour prendre un exemple lointain et donc non polemique, Louis XIV a ete un bon roi pourtant c etait un cavaleur sexiste comme Trump et il a declenche de persecution religieuses (la revocation de l edit de nantes a ete une erreur mais le bilan de Louis XIV reste globalement positif)

  10. Ruben dit :

    Excellent billet, comme à votre habitude ; je ne peux que vous rejoindre.

    [” On peut aussi sortir les boules puantes, par exemple, une vidéo montrant que lorsqu’il était petit le leader des clowns arrachait l’ailes des mouches où tirait les cheveux des filles de sa classe.”]

    En l’occurrence, ils ont même réussi à dénicher une “pornstar” se plaignant qu’il lui ait proposé de coucher avec… “J’ai cuydé en crever de rire”
    Et l’année n’est pas finie, on va peut-être voir Juppé se faire sortir sous peu… ce qui confirmerait que 2016 est un grand millésime.

    • Descartes dit :

      @ Ruben

      [Et l’année n’est pas finie, on va peut-être voir Juppé se faire sortir sous peu… ce qui confirmerait que 2016 est un grand millésime.]

      Je crains que vous ne soyez trop optimiste…

    • Un Belge dit :

      Je lis souvent ici que Juppé est un des politiciens les plus unanimement détestés de ce blog. Pourriez-vous expliquer ce que vous lui reprochez ?
      Vu de Belgique il est admiré pour son centrisme et sa modération, et beaucoup de monde y voit un candidat de compromis. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il est impopulaire ?

    • Descartes dit :

      @ Un Belge

      [Je lis souvent ici que Juppé est un des politiciens les plus unanimement détestés de ce blog. Pourriez-vous expliquer ce que vous lui reprochez ? Vu de Belgique il est admiré pour son centrisme et sa modération,]

      Je connais mal l’histoire politique de la Belgique, mais de ce que je sais, elle est très différente de celle de la France. En France, historiquement, c’est la « vraie gauche » et la « vraie droite » qui ont poussé les politiques progressistes, alors que les « centres » ont au contraire porté les politiques les plus réactionnaires.

      Cela tient en grande partie aux particularités de l’histoire française. Une de ces particularités est qu’à la traditionnelle ligne de partage gauche/droite se superpose une division bien plus profonde, qui est celle entre jacobins et girondins. Historiquement, le camp jacobin (de gauche comme de droite) s’est identifié aux intérêts populaires, alors que le champ girondin (qui est celui des « centres ») s’est au contraire identifié à la bourgeoisie. C’est vrai du point de vue des politiques, c’est vrai du point de vue sociologique : en France, l’électorat populaire était communiste ou gaulliste, pas centriste.

      C’est ainsi qu’en 1940, la droite jacobine, par nationalisme et antigermanisme, s’est retrouvée avec les communistes et en opposition frontale avec les « centristes » qui s’étaient compromis avec Vichy. En 1946, avec la « troisième force », ce sont les centristes qui organisent la vassalisation de la France aux Etats-Unis au nom, déjà, de la construction européenne. En 1958, ils seront marginalisés par le « gaullo-communisme », cet accord tacite entre la « vraie droite » et la « vraie gauche » autour d’une politique jacobine qui marginalise les « centres ». Giscard et surtout Mitterrand marquent le retour des centristes au pouvoir avec une fois encore l’inféodation aux Etats-Unis et à l’Union européenne et l’abandon à leur sort des couches populaires.

      Juppé apparaît aujourd’hui comme l’incarnation de ce « centrisme » girondin. Et ne vous trompez pas : il n’a rien d’un modéré lorsqu’il s’agit de taper sur les couches populaires. On l’a vu en 1995…

      [et beaucoup de monde y voit un candidat de compromis.]

      De « compromis » entre quoi et quoi ?

    • Luxy Luxe dit :

      [De « compromis » entre quoi et quoi ? ]

      Pour un Belge, la question ne se pose pas : dans un pays où l’émancipation sociale a mené à une fracture entre deux populations distinctes, les Flamands et les Wallons, le compromis est devenu une valeur en soi… Il suffit de dire qu’un candidat est “de compromis” pour que tous soupirent d’aise et celui qui a le malheur de rompre “le compromis” est voué à la vindicte journalistique et l’anathème médiatique… c’en est au point que les Belges eux-mêmes sont convaincus d’avoir découvert ‘le compromis (à la belge)’ au même titre que la bière trappiste… (cherchez ‘compromis à la belge’ sur google.be)

    • Un Belge dit :

      Effectivement, je me suis mal exprimé sur la notion de compromis. Comme le dit Luxy Luxe, la notion de compromis est fondamentale en Belgique (pour le meilleur ou pour le pire), ce qui a un effet centripète sur la politique en générale… Malgré les tendances politiques de plus en plus disparates (une Wallonie qui glisse à gauche et une Flandre à droite) et une politique de décentralisation (les seuls partis contre le fédéralisme n’ont strictement aucun député).
      Je ne suis pas expert en histoire politique nationale, je crains de pas pas pouvoir en dire plus au risque de dire n’importe quoi.

      Quoiqu’il en soit, merci pour les explications sur le centre, c’est un pan entier de la politique que je découvre !

    • Ruben dit :

      [“Je crains que vous ne soyez trop optimiste…”]

      Ca semble pas trop mal parti…

    • Descartes dit :

      @ Ruben

      [Ca semble pas trop mal parti…]

      Je tire mon chapeau devant vos capacités oraculaires. Je n’aurais jamais imaginé que Juppé se prendrait une telle veste. Mais j’avoue que si je connais très bien le marigot de la gauche – pour l’avoir beaucoup fréquenté – je me rends compte que je connais mal les militants et l’électorat de la droite… peut-être faudrait que j’aille y faire un stage ?

    • Ruben dit :

      [” peut-être faudrait que j’aille y faire un stage ?”]

      Eh ! pourquoi pas ? Ca pourrait être intéressant, une série de reportages sur le militantisme de droite, un nouveau type d’articles et encore de nouvelles expériences pour vous… Et puis, comme ça, ça me le fera découvrir aussi…

      Content de la défaite de Juppé, qui n’aurait pu que gagner par défaut à chaque vote, là où un Fillon pourra je pense rassembler un vote positif, sur son programme bien assumé jusqu’alors, sur sa personne et son histoire politique. Mais je vois mal l’effet que cela va avoir sur le vote FN. Ca me semble surtout enlever tout doute qu’il pût y avoir entre la “ligne Nord” et la “ligne Sud” et engager Le Pen dans une stratégie résolument “nordiste” vu le programme économique de Fillon anti-prolo et son positionnement de droite traditionnelle sur les questions sociales et culturelles qui coupent peu ou prou l’herbe sous le pied à une stratégie sudiste du FN.
      Je ne déteste pas le personnage voire pourrait apprécier certains de ses aspects (le sérieux, une certaine conscience de la grandeur de la charge présidentielle, l’anti-blingbling) mais son programme mon Dieu!… je ne crois pas (du moins n’espère pas) qu’il puisse en faire le tiers mais voter pour quelqu’un en souhaitant qu’il ne réussisse pas complétement ne me semble pas un calcul avisé…

      Décidément, l’avenir est radieux…

    • Descartes dit :

      @ Ruben

      [« peut-être faudrait que j’aille y faire un stage ? » Eh ! pourquoi pas ? Ca pourrait être intéressant, une série de reportages sur le militantisme de droite, un nouveau type d’articles et encore de nouvelles expériences pour vous… Et puis, comme ça, ça me le fera découvrir aussi…]

      Je ne dis pas non… mais malheureusement, je n’ai pas beaucoup d’amis qui seraient prêts à m’amener dans les coulisses et dans les réunions de la droite, alors que j’en ai plein au PS, au PCF où à l’extrême gauche…

      [Mais je vois mal l’effet que cela va avoir sur le vote FN. Ca me semble surtout enlever tout doute qu’il pût y avoir entre la “ligne Nord” et la “ligne Sud” et engager Le Pen dans une stratégie résolument “nordiste” vu le programme économique de Fillon anti-prolo et son positionnement de droite traditionnelle sur les questions sociales et culturelles qui coupent peu ou prou l’herbe sous le pied à une stratégie sudiste du FN.]

      Je partage un peu votre analyse. Là où Sarkzoy attirait plutôt l’électorat populaire du FN et le poussait donc plus ou moins à se replier sur son électorat traditionnel – c’est ce qui s’était passé en 2007, la personnalité de Fillon pousse plutôt le FN a se poser en « opposition de gauche », défendant les prolos contre les affreux catho-réactionnaires. Cela étant dit, n’oubliez pas qu’une primaire se gagne avec les siens, alors qu’une élection se gagne avec les autres. Je ne suis pas convaincu que le langage ultra-droitier sur les questions sociales de Fillon à la primaire survivra tel quel après les vacances de Noël.

      [Je ne déteste pas le personnage voire pourrait apprécier certains de ses aspects (le sérieux, une certaine conscience de la grandeur de la charge présidentielle, l’anti-blingbling) mais son programme mon Dieu!… je ne crois pas (du moins n’espère pas) qu’il puisse en faire le tiers mais voter pour quelqu’un en souhaitant qu’il ne réussisse pas complétement ne me semble pas un calcul avisé…]

      En effet, son programme a de quoi faire peur. D’un autre côté, c’est un souverainiste, et cela a aussi son importance. Je pense qu’on ne guérit jamais totalement de sa jeunesse, et que si Mélenchon sera toujours un trotsko-mitterrandien, Fillon sera lui aussi influencé par l’héritage de Philippe Seguin…

      [Décidément, l’avenir est radieux…]

      En tout cas, ça peut difficilement être pire que ce qu’on a.

  11. frederic_N dit :

    Cher camarade
    Permettez-moi de descendre quelque peu du paradis – oui, je sais mais j’ai quand même fait un long stage au purgatoire où j’ai eu la chance de rencontrer mon ami Georg , lequel m’a sacrément remonté les bretelles d’ailleurs ! Permettez-moi donc de descendre du paradis, pour vous faire part de quelques remarques. Car sur le fond, cher camarade, vous n’expliquez rien et cela aggrave mon tourment. Vous tournez autour du pot comme on dit. En effet, ce que vous décrivez chez les électeurs de ce M Trump, nous l’avons tous vécu, et bien avant que vous ne soyez né. C’était même l’alfa et l’oméga de nos campagnes électorales dans les partis de la deuxième comme on a dit… Convaincre un par un les prolétaires que les élites les trompaient. On en a gagné des voix avec cela ! Donc ce qu’ont vécu les américains on connaît !
    Oui mais voilà : en apparence les électeurs fonctionnaient comme vous le dites, je l’ai moi-même cru. Mais en réalité – c’est Georg qui me l’a expliqué – ils ont toujours voté pour des idées, pour un système d’idées De fait nous les avons toujours fait voter « pour les rouges », pour la « sociale », ils disaient même « à bas la Nation » (ils sauront un jour que nos balles, vous connaissez .. ) . Bref ils croyaient en moi.
    C’est là le problème ! Car ces prolétaires américains, ils ne croient pas en moi, ils n’ont pas voté pour moi et je m’en désole. Ils ont retourné leurs armes … mais dans le sens que leurs généraux leur disent. Ils ont voté pour la Nation. Leur motivation c’est « make america great again ! », et c’est pourquoi ils ont voté Trump. Et l’Amérique croyez-moi, cela rime quand même avec « capitalisme ». Alors bien sûr vous parlerez de social. Mais j’en ai longuement parlé avec mon ami Georg, on ne vote jamais directement pour ses intérêts sociaux – seuls les vicieux le font, type les gens de gauche qui vont à la primaire de la droite. On vote pour un système d’idée dans lequel on se reconnaît – certes parce qu’on y reconnaît ses petits. Mais l’important est ce point : on se détermine toujours au niveau des idées . On ne votait pas pour un prolétaire, mais pour « le parti » des prolétaires ..
    Or que vous le vouliez ou non les idées de Trump sont tout sauf les miennes, c’est le contraire des miennes. Et si je le comprends tout sauf les vôtres. En fait je vois mal que vous vous réjouissiez d’un tel état de fait, et votre article a du mal à le cacher : on peut s’amuser que le peuple fasse un bras d’honneur à ceux qui le dirigent, mais parfois cela peut tourner mal ..
    Voyez-vous en réalité je suis très malheureux. Car moi aussi j’y ai cru il y a quelques années, quand j’ai vu toutes ces usines fermer. J’ai même cru qu’on allait me réhabiliter : je suis même devenu célèbre à Harvard ! c’est dire ! Malheureusement, je crois que c’est ce que vous ne comprenez pas : Harvard c’est la vraie fabrique des élites américaines ! Harvard et non Wall Street ! Et force est de le constater, les élites m’aiment bien, mais les prolétaires m’ont encore une fois tourné le dos Après Budapest et Berlin. Eux ils se sont entiché d’une idée , l’amérique. Le contraire de mes idées ..
    Et croyez bien , il est temps que mes derniers fidèles se demandent réellement pourquoi au lieu de se raconter des histoires ..
    Votre ami Karl et, par ordre, son ami Georg

    • Descartes dit :

      @ Frederic_N

      [En effet, ce que vous décrivez chez les électeurs de ce M Trump, nous l’avons tous vécu, et bien avant que vous ne soyez né.]

      J’en doute, mon cher Karl. D’abord, parce que vous n’avez guère « vécu » d’élections présidentielles, pas plus que des élections au suffrage universel… Rappelons à nos lecteurs que durant la quasi-totalité de votre parcours politique sur cette terre, l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne sont des royaumes ou des empires ou le chef de l’Etat n’est pas élu. Par ailleurs, vous n’avez guère connu le suffrage universel : il arrive en Grande Bretagne en 1922, en France en 1945…

      [Convaincre un par un les prolétaires que les élites les trompaient. On en a gagné des voix avec cela ! Donc ce qu’ont vécu les américains on connaît !]

      Je commence à douter que vous soyez le vrai Karl. Parce que lui, dans ses campagnes, essayait de montrer aux prolétaires que LA BOURGEOISIE les trompait. Je ne me souviens pas d’une seule référence explicite de Marx aux « élites ». Et dans ses références implicites, Marx les place plutôt du côté des victimes de la bourgeoisie : « La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités considérées jusqu’alors, avec un saint respect, comme vénérables. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l’homme de science, elle en a fait des salariés à ses gages » (Manifeste du parti communiste, 1948).

      [Oui mais voilà : en apparence les électeurs fonctionnaient comme vous le dites, je l’ai moi-même cru. Mais en réalité – c’est Georg qui me l’a expliqué – ils ont toujours voté pour des idées, pour un système d’idées.]

      Oui, mais Karl, tu as toi-même démontré de manière très convaincante que les « systèmes d’idées » n’apparaissent pas par enchantement, déconnectés de la réalité matérielle. Tout au contraire, ils expriment fondamentalement des rapports matériels. Il s’ensuit, avec une impeccable logique, que lorsque les électeurs votent « pour un système d’idées », en fait ils votent pour un système de rapports matériels auxquels ces idées sont dialectiquement attachées… Franchement, Karl, faut-il que je te rappelle pourquoi tu as été forcé de mettre ce cher Georg à l’envers ?

      [C’est là le problème ! Car ces prolétaires américains, ils ne croient pas en moi, ils n’ont pas voté pour moi et je m’en désole. Ils ont retourné leurs armes … mais dans le sens que leurs généraux leur disent. Ils ont voté pour la Nation. Leur motivation c’est « make america great again ! », et c’est pourquoi ils ont voté Trump.]

      Et alors ? Ne me dis pas que ton passage au paradis t’a rendu mécaniciste. La Nation n’est pas en elle-même bonne ou mauvaise. C’est une institution qui dans certaines conditions sert les intérêts d’une classe, et dans d’autres ceux d’une autre. Un peu de dialectique, que diable…

      [Et l’Amérique croyez-moi, cela rime quand même avec « capitalisme ».]

      Dans une autre langue, peut-être, mais en français comme en anglais, la rime entre « capitalisme » et « nation » est très pauvre. Non, si les gens votent pour la « Nation », s’ils veulent rendre « america great again », ce n’est pas au nom d’une « idée », mais bien d’un rapport matériel. Ces gens-là se souviennent que lorsque « américa was great », ils avaient des jobs sûrs, bien payés, un cadre de vie agréable. Et que depuis que la mondialisation a commencé, ils ont perdu leurs jobs, leurs villes se sont dégradés, la paye a diminué. Alors, ils veulent que « américa » soit « great again » pour récupérer tout ça. Et si cette volonté s’incarne dans une idée, elle n’est pas, en elle-même, une idée.

      [Alors bien sûr vous parlerez de social. Mais j’en ai longuement parlé avec mon ami Georg, on ne vote jamais directement pour ses intérêts sociaux – seuls les vicieux le font, type les gens de gauche qui vont à la primaire de la droite. On vote pour un système d’idée dans lequel on se reconnaît – certes parce qu’on y reconnaît ses petits. Mais l’important est ce point : on se détermine toujours au niveau des idées . On ne votait pas pour un prolétaire, mais pour « le parti » des prolétaires ..]

      A vous entendre, on penserait que les « idées » tombent du ciel au hasard. Pourquoi pensez-vous que certains votent pour certaines idées, et d’autres pour d’autres ? Et comment expliquez-vous que certaines idées soient plus répandues dans certaines classes sociales, alors que dans les autres ce sont d’autres idées qui sont dominantes ?

      Oui, les gens votent pour des « idées ». Mais pas n’importe lesquelles, et pas n’importe à quel moment. Ils votent pour des idées qui correspondent dialectiquement à leurs intérêts, qui les justifient, qui les idéalisent, qui les font passer – c’est vous qui l’avez dit – pour l’intérêt général.

      [Or que vous le vouliez ou non les idées de Trump sont tout sauf les miennes, c’est le contraire des miennes. Et si je le comprends tout sauf les vôtres.]

      Ca dépend lesquelles. Quand Trump parle de mettre fin au libre-échange ou de faire de la relance par l’investissement dans les infrastructures, il est assez proche de mes idées.

      [En fait je vois mal que vous vous réjouissiez d’un tel état de fait, et votre article a du mal à le cacher : on peut s’amuser que le peuple fasse un bras d’honneur à ceux qui le dirigent, mais parfois cela peut tourner mal .. ]

      Je ne sais pas d’où vous tirez que je me « réjouirais » de la victoire de Trump. Ce qui me réjouit, c’est qu’on soit arrivé dans une situation ou un certain nombre de problèmes réels des couches populaires, qui pendant trente ans ont été mis sous le boisseau, soient maintenant débattus sur la place publique. Oui, je trouve positif que la chape de béton du « politiquement correct » commence à se fissurer, même si je ne sous-estime pas les risques que cela implique.

      [Voyez-vous en réalité je suis très malheureux. Car moi aussi j’y ai cru il y a quelques années, quand j’ai vu toutes ces usines fermer. J’ai même cru qu’on allait me réhabiliter : je suis même devenu célèbre à Harvard !]

      Mais… vous êtes réhabilité, je vous rassure. Bien entendu, le « politiquement correct » empêche souvent de vous citer nommément, mais bien des idées que vous avez avancé dans vos travaux sont aujourd’hui citées comme allant de soi, même si le nom de l’auteur reste dans la brume…

    • frederic_N dit :

      Tout d’abord merci de votre effort pour structurer une discussion raisonnable sur ces sujets et merci de faire l’effort pour me répondre.
      Etant en position d’invité, je me dois de ne pas monopoliser votre blog, et je me limiterai à quelques points, pour noter la grande contradiction dans laquelle vous me semblez vous mouvoir. La contradiction est celle-là :
      • Vous avez récemment publié un très beau post – très habermassien au demeurant – à la gloire de la tradition de débat de votre parti de cœur. Tradition que vous opposez dans la lutte politique au « caudillisme » de Mélenchon, qui n’est pas admirateur de Chavez pour rien ! . Tradition qui remonte d’ailleurs .. à la Réforme (1)
      • Or je vous avais interpelé justement sur une tradition culturelle, protestante elle-aussi , le patriotisme américain, en soulignant qu’elle était le centre de ces élections. Et c’est cette similitude que vous avez ignoré. En me répondant à partir d’un matérialisme si radical si négateur de l’idée de tradition culturelle, que votre interlocuteur supposé l’avait lui-même rejeté (c’est un Marx « du Sud – Ouest « qui vous a écrit ! )
      Mais pour le coup vous tombez dans la traditionnelle critique que vous adresse Karl ( supposé converti par Georg). En m’expliquant que les conditions sociales déterminent un vote, vous vous illusionnez vous-même – de façon très cartésienne au demeurant – en confondant la « raison de » avec une détermination causale que vous inventez littéralement sans vous en rendre compte : dans votre bouche elle n’est qu’une condition a priori de la connaissance de la seule nature et ne saurait rien avoir à faire dans ce débat. Ce faisant vous réifiez la conscience de ces pauvres petits blancs et d’ailleurs c’est ce que font avec grande condescendance les journalistes américains. Au contraire, la seule manière de pouvoir en parler c’est de chercher à comprendre ce que disent les acteurs , ce qui veut dire se situer déjà dans l’univers dans lequel eux-mêmes se placent – id est celui du patriotisme américain, de sa dureté, de son capitalisme et de son altruisme aussi, puisque que je sache c’est le blanc du Middlewest et non l’homosexuel de Californie qui a débarqué à Omaha beach ! Mais aussi évacuer les classes sociales Pour le dire autrement comprendre cela signifie quitter sa posture d’explication rationnelle ( la vôtre) et rentrer dans l’univers du dialogue. C’est Georg en tout cas qui le dit ( après d’autres soit dit en passant).
      Le résultat est une double erreur. D’une part vous sous-entendez que le marxisme ne fait pas partie du politiquement correct , que c’est est un instrument possible pour ces malheureux petits blancs. Mais c’est totalement faux !! Ce que vous ne voyez pas c’est que le système dit des élites – pour faire vite – n’est pas le produit de l’argent, du capitalisme de grand papa. C’est le produit des universités américaines telles qu’elles sont hélas devenues ( avec leur idéologie bien française, la sainte trinité Derrida / Foucault / Deleuze ). Et pour qui le marxisme est un corpus positif de référence. Le problème posé par Trump c’est celui –là : les sachants sont du côté de l’interdit, d’une sorte de despotisme à moitié éclairé tandis que c’est les non sachant qui leur hurlent la vérité. Cela ce n’est certainement pas Marx qui est capable de nous l’expliquer – ni même Georg, d’ailleurs !
      Quoi qu’il en soit permettez moi de vous inviter sur mon blog
      Amicalement
      (1) Juste un mot, l’implication du peuple dans la lutte politique et le débat démocratique ne date pas de la fin du XIXème comme vous le croyez, mais de la décennie 1680 en Angleterre – Ashcraft – Ah ce nombrilisme français !

    • Descartes dit :

      @ frederic_N

      [Tout d’abord merci de votre effort pour structurer une discussion raisonnable sur ces sujets et merci de faire l’effort pour me répondre.]

      Ce n’est pas un effort, c’est un plaisir… même si vous faites dans la provoc !

      [Etant en position d’invité, je me dois de ne pas monopoliser votre blog,]

      Ne vous en faites pas pour ça. On est ici pour discuter. Et si vous devenez envahissant, je vous le ferai savoir…

      [• Vous avez récemment publié un très beau post – très habermassien au demeurant – à la gloire de la tradition de débat de votre parti de cœur. Tradition que vous opposez dans la lutte politique au « caudillisme » de Mélenchon, qui n’est pas admirateur de Chavez pour rien ! . Tradition qui remonte d’ailleurs .. à la Réforme (1)]
      • Or je vous avais interpelé justement sur une tradition culturelle, protestante elle-aussi , le patriotisme américain, en soulignant qu’elle était le centre de ces élections. Et c’est cette similitude que vous avez ignoré. En me répondant à partir d’un matérialisme si radical si négateur de l’idée de tradition culturelle, que votre interlocuteur supposé l’avait lui-même rejeté (c’est un Marx « du Sud – Ouest « qui vous a écrit ! )]

      J’avoue que je ne vois pas très bien la « contradiction » que vous invoquez entre ces deux positions. D’un côté, je note qu’une certaine communauté politique pratique un certain nombre de traditions et d’éléments de culture politique, d’un autre côté on parle non pas d’une « tradition culturelle » mais de la motivation d’un choix politique. Ma position est matérialiste dans les deux cas : je n’ai jamais dit que la « tradition de débat » des communistes ait pour fondement ultime une « idée »… j’aurais au contraire tendance à dire que si cette pratique s’est construite, elle doit avoir une base matérielle derrière…

      [Mais pour le coup vous tombez dans la traditionnelle critique que vous adresse Karl ( supposé converti par Georg). En m’expliquant que les conditions sociales déterminent un vote, vous vous illusionnez vous-même – de façon très cartésienne au demeurant – en confondant la « raison de » avec une détermination causale que vous inventez littéralement sans vous en rendre compte : dans votre bouche elle n’est qu’une condition a priori de la connaissance de la seule nature et ne saurait rien avoir à faire dans ce débat.]

      C’est que les « raisons » dans le cas d’espèce ne m’intéressent que marginalement. Dès lors qu’une classe a certains intérêts, elle produit dialectiquement l’idéologie qui lui permet la poursuite la plus efficace de ces intérêts. Et si cette idéologie la pousse à voter pour Trump, on pourra dire qu’elle est la « raison » du vote, mais non sa cause efficiente. Or, ce qui m’intéresse, c’est la cause beaucoup plus que la « raison ».

      [Au contraire, la seule manière de pouvoir en parler c’est de chercher à comprendre ce que disent les acteurs,]

      Ca dépend ce que vous voulez comprendre. Si vous voulez comprendre leurs « raisons », certainement. Mais si vous voulez comprendre les causes, ça n’a qu’un intérêt marginal. C’est un peu comme pour la réproduction : si vous voulez comprendre pourquoi les gens font des enfants, il faut les écouter. Mais si vous voulez comprendre comment, mieux vaut utiliser un microscope.

      [Le résultat est une double erreur. D’une part vous sous-entendez que le marxisme ne fait pas partie du politiquement correct, que c’est est un instrument possible pour ces malheureux petits blancs.]

      Franchement, j’ai du mal à vous suivre. Le marxisme, ce sont des instruments scientifiques pour analyser les rapports sociaux. Dire que le marxisme – au sens ou je l’entends – fait partie du politiquement correct c’est un peu comme dire que la théorie de la relativité fait partie du politiquement correct.

      [Mais c’est totalement faux !! Ce que vous ne voyez pas c’est que le système dit des élites – pour faire vite – n’est pas le produit de l’argent, du capitalisme de grand papa. C’est le produit des universités américaines telles qu’elles sont hélas devenues (avec leur idéologie bien française, la sainte trinité Derrida / Foucault / Deleuze ). Et pour qui le marxisme est un corpus positif de référence.]

      Je crois que vous confondez « le marxisme » et une lecture idéologique de Marx. Je me demande d’ailleurs comment on pourrait avoir comme référence « le marxisme » tout en rendant culte à la trinité Derrida/Foucault/Deleuze. Mais si les universités américaines produisent une telle idéologie, ce n’est pas par hasard. C’est parce que cette idéologie sert les intérêts d’une classe : ceux des « classes moyennes » et de la bourgeoisie, unis dans un « bloc dominant ».

      J’ai l’impression que vous vous placez dans une logique – postmoderne – ou tout est idéologie. Moi, je fais la différence entre une construction idéologique et une théorie scientifique.

      [Quoi qu’il en soit permettez moi de vous inviter sur mon blog]

      Avec plaisir… mais faudrait donner la référence.

      [(1) Juste un mot, l’implication du peuple dans la lutte politique et le débat démocratique ne date pas de la fin du XIXème comme vous le croyez, mais de la décennie 1680 en Angleterre – Ashcraft – Ah ce nombrilisme français !]

      Cela dépend de ce que vous appelez « le peuple ».

    • Frederic _N dit :

      Merci pour votre aimable réponse…

  12. CVT dit :

    @Descartes,
    je m’étais pourtant juré de ne pas parler des primaires de droite, vu que je suis fermement opposé à ce système pervers (merci le PS d’avoir introduit ce poison, il y a 21 ans de ça…), mais le résultat de ce soir est tout de même intéressant: ça m’embête de l’admettre, car j’ai le plus profond mépris pour ce personnage, mais Fillion sera très probablement le prochain président de la République Française.
    Je doute qu’un vote des militants eu donné un résultat fort différent, car Sarkozy traîne son bilan présidentiel comme un boulet (alors que Fillion en est aussi comptable que l’ex-président…), et Juppé n’avait pas du tout les faveurs des militants. On se console comme on peut, mais la fin de carrière politique de ces deux dinosaures politiques me fait un peu chaud au coeur: encore un pan du RPR qui s’envole…
    L’autre nouvelle qui déjoue mon pronostic initial, c’est que la droite sera unie derrière Fillion, médiocre apparatchik roué et capable de distribuer de bien jolis fromages et prébendes à tous ses futures ministres. Par conséquent, en l’absence de division à droite (Le Pen étant l’extrême-droite), le PS sera très certainement écrabouillé, comme en 1969 ou en 1993, ce dont je me réjouis à l’avance.
    Maintenant, on va juger Fillon sur ses actes, mais honnêtement, eu égard à son comportement pleutre et pusillanime pendant le mandat de Sarkozy, j’ai d’extrêmes réserves à son égard (on ne l’a pas surnommer “Courage, Fillon” pour rien….).
    Quant à vous, cher camarade, quelle opinion avez-vous de notre quasi-Président de la République?

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [je m’étais pourtant juré de ne pas parler des primaires de droite, vu que je suis fermement opposé à ce système pervers]

      Malheureusement – ou heureusement – ce n’est pas parce qu’on est opposé à quelque chose que ce quelque chose disparaît. Il faut bien vivre avec la réalité…

      [mais le résultat de ce soir est tout de même intéressant: ça m’embête de l’admettre, car j’ai le plus profond mépris pour ce personnage, mais Fillion sera très probablement le prochain président de la République Française.]

      J’avoue que je suis un peu désorienté. D’un côté, je me rappelle le Fillon gaulliste et jacobin, qui fut l’un des disciples politiques de Philippe Séguin, et qui fit campagne pour le « non » au traité de Maastricht. D’un autre côté, j’entends son discours aujourd’hui de père la rigueur… j’ai du mal à savoir comment concilier les deux personnages. Il faut reconnaître tout de même que tout au long de son mandat à Matignon il a su bien organiser le travail, s’entourer de gens compétents, et a tenu son poste avec rigueur et honnêteté. On peut ne pas partager ses orientations, mais je trouve qu’un « profond mépris », c’est tout de même très excessif.

      [L’autre nouvelle qui déjoue mon pronostic initial, c’est que la droite sera unie derrière Fillion, médiocre apparatchik roué et capable de distribuer de bien jolis fromages et prébendes à tous ses futures ministres.]

      Je ne crois pas. Je pense que ceux qui voient en lui une sorte de Hollande de droite, enclin à donner à chacun sa part de gâteau, vont avoir une très désagréable surprise. Mais bon, comme vous le savez, je suis d’un optimisme sans limites. J’ai des copains qui ont eu l’opportunité de fréquenter Matignon du temps où Fillon y était, et ils m’ont toujours dit avoir été impressionnés par la qualité de ses collaborateurs, par l’ambiance sereine et professionnelle qui y régnait (alors qu’à l’Elysée c’était l’hystérie permanente) et, last but not least, par le fait que les habituels demandeurs de prébendes étaient fermement reconduits vers la sortie. Dans un quinquennat qui n’a pas manqué de scandales, aucun ne semble avoir touché Matignon.

      [Par conséquent, en l’absence de division à droite (Le Pen étant l’extrême-droite), le PS sera très certainement écrabouillé, comme en 1969 ou en 1993, ce dont je me réjouis à l’avance.]

      Je dois dire que je ne verserai pas une larme sur le PS. Ces cinq dernières années ont été un mélange d’amateurisme, d’incompétence crasse, de cynisme et de je m’enfoutisme qui n’ont pas d’égal depuis les débuts de la Vème République.

      [Maintenant, on va juger Fillon sur ses actes, mais honnêtement, eu égard à son comportement pleutre et pusillanime pendant le mandat de Sarkozy, j’ai d’extrêmes réserves à son égard (on ne l’a pas surnommer “Courage, Fillon” pour rien….).]

      Pourquoi « pleutre et pusillanime » ? Le Premier ministre a un rôle difficile, d’autant plus si l’on tient compte du caractère de l’occupant de l’Elysée. Mais je ne pense pas qu’il ait manqué aux obligations de sa charge.

      [Quant à vous, cher camarade, quelle opinion avez-vous de notre quasi-Président de la République?]

      A titre personnel, une opinion plutôt favorable, qui tient essentiellement à sa formation chez Séguin et son attitude lors du référendum sur Maastricht (n’est ce pas drôle, d’ailleurs, de penser que le candidat de la droite a voté « non » en 1992 alors que le leader de la « gauche radicale », lui, a voté « oui » ?), mais aussi à la manière dont il a géré Matignon si je crois mes amis. A titre politique, je suis inquiet quand je lis son programme, notamment parce que l’expérience montre que quand la droite revient au pouvoir après une alternance elle a tendance à tomber dans une logique de « revanche » qui la pousse à faire des bêtises. Je me console en pensant que si les derniers présidents de la République ont tous trahi leurs promesses, il n’y a pas de raison que Fillon ne le fasse pas…

      En fait, ce qui m’inquiète plus, c’est la configuration parlementaire. Je pense que la droite va faire un tabac, que le groupe socialiste sera pour de longues années écrasé par le bilan et n’aura aucune crédibilité en tant qu’opposition, que le PCF n’aura plus qu’un ou deux députés et les « insoumis » aucun, et le Front National une trentaine. Dans ce contexte, c’est le FN qui apparaîtra comme la seule opposition crédible au gouvernement. Ca promet…

    • bip dit :

      @ Descartes

      Vous pensez quoi, généralement de l’idée exprimée par cette phrase de CVT ?
      [Sarkozy traîne son bilan présidentiel comme un boulet (alors que Fillion en est aussi comptable que l’ex-président…)]

      On devrait tenir Fillon responsable du n’importe quoi de notre politique étrangère en Libye et en Syrie par exemple ? Et donc, plus généralement, c’est quoi le rôle d’un 1er ministre dans la définition de la politique étrangère d’un président de la 5ème ?
      Ou même encore plus généralement, c’est quoi le rôle d’un 1er ministre dans une 5ème version gaulliste ?

      Parce que j’avoue que hormis un caractère qui me semble adapté à la fonction (mélange d’austérité apparente et de fermeté mais qui me semble très loin d’être le plus dogmatique et fermé de nos politiciens et pas le moins dénué d’humour (1)), la politique étrangère que je l’ai entendue dessinée (mise devant leurs responsabilités de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de la Turquie ; rapprochement de la Russie) me le faisait préférer de loin aux autres participants (pas assez pour envisager aller voter aux primaires quand même ;)).

      Un autre point : Fillon devrait favoriser la ligne Philippot au FN, non ? Car ils ne le doubleront ni sur les valeurs tradi ni sur les mesures “réduction de dépenses”. Donc ça devrait les inciter à y aller à fond sur le renforcement du rôle de l’État dans l’économie, des mesures éco favorables aux classes populaires et sur la rupture avec l’UE.
      D’autant que ça permettrait au FN d’étouffer Mélenchon sur le plan économique, ce qui le renverrait dans le discours gauchiste sur l’immigration comme bonheur suprême du peuple français pour se différencier ?

      (1) : http://rue89.nouvelobs.com/2011/06/27/le-dossier-scolaire-du-cancre-fillon-sur-dun-echec-211143

      Si ça peut atténuer un peu le mépris de CVT 😉 :
      “Lycéen au tournant des années 70, François Fillon était un cancre ; il ne s’en est d’ailleurs jamais caché. Du genre doué, mais paresseux. Et, surtout, rebelle à l’autorité.[…]
      « Lors d’un devoir écrit, il emporte un jour avec lui une ampoule lacrymogène qu’il lâche dans la classe en pleine composition. Tous les élèves doivent alors évacuer d’urgence. François est sévèrement réprimandé. »|…]
      « François est un adolescent révolté », écrit sa biographe : « Il se rebelle contre tout, contre l’école et contre ses parents. […] Epris de liberté, François n’accepte pas facilement les remarques. Il n’aime pas non plus les critiques. »|…]
      Dans la cour de Sainte-Croix, les élèves manifestent pour réclamer le départ d’une professeur d’anglais, qu’ils jugent incompétente :
      « “Démission !”, “Démission”, lit-on sur leurs banderoles improvisées. […] En tête de cortège, un lycéen aux cheveux noirs, arrivé l’année précédente dans l’établissement, un certain François Fillon. Il est réputé pour être turbulent et insolent. »
      Fillon est viré illico du lycée. Mais la manif continue, cette fois aux cris de « Libérez Fillon ! ». Le préfet de discipline finit par céder, en disant « Fillon est un bon garçon, soit, mais n’en faisons pas un martyr ».

      Triomphant, le lycéen rebelle réintègre l’établissement.[…]
      Mais François Fillon obtiendra tout de même son bac.

      Un temps, il envisagera d’être journaliste, puis fera du droit jusqu’en troisième cycle”

    • Descartes dit :

      @ bip

      [On devrait tenir Fillon responsable du n’importe quoi de notre politique étrangère en Libye et en Syrie par exemple ? Et donc, plus généralement, c’est quoi le rôle d’un 1er ministre dans la définition de la politique étrangère d’un président de la 5ème ? Ou même encore plus généralement, c’est quoi le rôle d’un 1er ministre dans une 5ème version gaulliste ?]

      Dans l’esprit de la Vème gaullienne, le premier ministre est l’homme de confiance du président, mais aussi son fusible. C’est l’homme qui doit faire marcher la machine gouvernementale, laissant le mérite au président quand les choses vont bien, mais prenant les coups à sa place quand ça va mal. C’est l’homme qui s’occupe des petits problèmes pour laisser au président le soin de s’occuper des grandes questions. Et du temps de mongénéral cela marchait parce que le président gardait ses distances et ne se mêlait pas de tout, laissant à son premier ministre une marge d’autonomie.

      Avec la médiatisation, le rôle du premier ministre est devenu de moins en moins politique et de plus en plus technique. C’est devenu caricatural avec Sarkozy puis Hollande, qui s’expriment sur tout et n’importe quoi, ne faisant pas de hiérarchie entre les grandes questions et les petites affaires. Quand le Président de la République parle de Léonarda, qu’est ce qui reste au premier ministre ?

      Je ne pense pas qu’on puisse tenir Fillon pour responsable du bilan politique de la présidence Sarkozy, et encore moins sur les questions de politique étrangère. On pourrait le tenir pour responsable si la machine administrative avait mal marché, ou des couacs entre ministres. Mais en pratique, ceux-ci n’ont pas été très nombreux.

      [Un autre point : Fillon devrait favoriser la ligne Philippot au FN, non ?]

      A priori, oui. Il sera intéressant d’observer la réaction des différents courants du FN – pour le moment très prudente – aux résultats de la primaire…

  13. Trublion dit :

    Bonsoir, que pensez-vous de la probable future victoire de Fillon à la primaire de la droite ? Je mes suis déplacé pour voter Sarko en pensant qu’il était le moins mauvais.

    • Descartes dit :

      @ Trublion

      [Bonsoir, que pensez-vous de la probable future victoire de Fillon à la primaire de la droite ? Je mes suis déplacé pour voter Sarko en pensant qu’il était le moins mauvais.]

      J’ai répondu à votre question dans la réponse à CVT… J’ajouterais que je suis plutôt satisfait que Juppé soit distancé. D’un point de vue personnel, j’ai une certaine tendresse pour Sarkozy que je pense plus sensible aux questions d’identité et de la Nation, peut-être parce qu’il a lui même des parents et grand-parents immigrés. Mais d’un autre côté, je pense que Fillon est supérieur intellectuellement et qu’il garde quelque chose du séguiniste qu’il fut. Comme dirait l’autre, on verra bien.

  14. Que pensez-vous de Fillon et comment analysez-vous sa (probable) victoire à la primaire de la droite?

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-ethniciste

      [Que pensez-vous de Fillon et comment analysez-vous sa (probable) victoire à la primaire de la droite?]

      Vous êtes le troisième à me poser la question. Excusez-moi si je vous renvoie à la réponse que j’ai faite à CVT plutôt que d’écrire une spécialement pour vous… 😉

    • @ Descartes,

      J’avoue que j’ai plusieurs griefs à l’encontre de Fillon.

      D’abord, il faut regarder son parcours: voilà un type qui, pardon de le dire, n’a jamais bossé de sa vie, en dehors de la politique. Il n’a pas passé de concours à ma connaissance. Au sortir de ces études, il devint assistant parlementaire d’un baron gaulliste ami de papa. Il lui succéda quelques années plus tard comme député (benjamin de l’Assemblée nationale en 81). Depuis 35 ans, Fillon fait partie de ces élus inamovibles et cumulards: il a tout fait, maire, député, sénateur, président de conseil général, régional, ministre… Ah on peut dire qu’il a de l’expérience! Sauf une: avoir bossé, dans le privé ou dans le public, ne serait-ce que quelques années. Je ne lui reproche pas de consacrer sa vie à la politique, je lui reproche de n’avoir fait que cela. Et quand je l’entends dire à des cheminots: “moi je bosse 70h par semaine”, il faudrait peut-être lui expliquer que lire des dossiers dans un beau fauteuil de cuir, ce n’est pas pareil que de travailler à la maintenance du réseau ferroviaire…

      Maintenant, si je regarde son programme sur l’éducation (disponible sur son site), je retiens une chose qui me paraît très dangereuse pour l’institution: l’accroissement impressionnant de la capacité d’ingérence (et donc de nuisance) des parents d’élèves. Et pour moi, le redressement de l’Education nationale passe par une mise à l’écart des parents dans les procédures de décision, car les parents ne défendent jamais l’institution, j’ai pu m’en rendre compte.

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-ethniciste

      [D’abord, il faut regarder son parcours: voilà un type qui, pardon de le dire, n’a jamais bossé de sa vie, en dehors de la politique. Il n’a pas passé de concours à ma connaissance. Au sortir de ces études, il devint assistant parlementaire d’un baron gaulliste ami de papa.]

      Vous avez tout à fait raison sur ce point. J’ai plusieurs fois dénoncé ici le « régime des attachés parlementaires », militants lycéen puis étudiants qui s’attachent ensuite à une « locomotive » en espérant pour prix de leurs services d’accéder au statut d’élu-apparatchik. Ce sont des personnalités dont toute la carrière se fait dans le petit marigot militant puis politique et qui n’ont aucune autre expérience de la vie et des rapports humains.

      Ces personnages ont toujours existé, mais depuis une dizaine d’années c’est devenu presque le mode nature du recrutement politique jusqu’aux plus hautes positions de l’Etat. On avait vu avec Hollande se multiplier les ministres venant de cette voie, il fallait bien qu’un jour on ait un président de la République…

      [Il lui succéda quelques années plus tard comme député (benjamin de l’Assemblée nationale en 81). Depuis 35 ans, Fillon fait partie de ces élus inamovibles et cumulards: il a tout fait, maire, député, sénateur, président de conseil général, régional, ministre… Ah on peut dire qu’il a de l’expérience! Sauf une: avoir bossé, dans le privé ou dans le public, ne serait-ce que quelques années. Je ne lui reproche pas de consacrer sa vie à la politique, je lui reproche de n’avoir fait que cela.]

      Je ne dirais pas que c’est rédhibitoire. On a vu des « attachés parlementaires » qui ont réussi à dépasser cet handicap initial et sont devenus des dirigeants politiques tout à fait honorables, compensant leur inexpérience du « monde réel » par un réel intérêt pour celui-ci. Mais ils ne sont pas très nombreux. La plupart d’entre eux deviennent des petits tacticiens à la tête creuse comme Najat Vallaud-Belkacem ou Julien Dray.

      [Maintenant, si je regarde son programme sur l’éducation (disponible sur son site), je retiens une chose qui me paraît très dangereuse pour l’institution: l’accroissement impressionnant de la capacité d’ingérence (et donc de nuisance) des parents d’élèves. Et pour moi, le redressement de l’Education nationale passe par une mise à l’écart des parents dans les procédures de décision, car les parents ne défendent jamais l’institution, j’ai pu m’en rendre compte.]

      Je souscris totalement. L’école est une institution au service de la société dans son ensemble, et non des parents. La participation des parents aux décisions autres que purement pratiques conduit l’école dans une pente clientéliste dans laquelle elle perd une bonne partie de sa logique institutionnelle. Je pense que le souci de Fillon est de rétablir la confiance des parents dans l’école, et c’est un souci louable : il est difficile d’enseigner si l’institution n’est pas soutenue à la maison. Mais, contrairement à la vulgate, je ne suis pas persuadé que la participation aux décisions soit la bonne manière de rétablir la confiance.

  15. Marcailloux dit :

    Bonjour,
    La pondération de votre réponse sur Fillon me rassérène car je ne comprends toujours pas tout à fait votre “tendresse” vis à vis de Sarkozy. Vos origines de descendants d’immigrés ne me semblent pas justifier une telle mansuétude pour quelqu’un qui n’a vraiment pas contribué à donner confiance dans les responsables politiques et qui au demeurant n’a pas marqué son quinquennat par des résultats probants, malgré selon votre opinion, sa plus grande sensibilité aux questions d’identité et de la Nation. Pour un président de la République, il ne suffit pas d’être “sensible” mais d’être efficace.
    Et puis comme l’a adroitement exprimé Fillon, imagine-t-on De Gaulle mis en examen et – sous entendu – impliqué à divers titres dans de nombreux scandales le tout dans une ambiance hystérique, comme vous le confirmez. Hollande est à sa façon, de la même veine et n’a pas contribuer à réconcilier les Français avec leurs élites politiques. Gageons que Fillon ou Juppé seront plus aptes à rétablir une image de dignité, condition préalable à l’exigence requise pour la fonction. Pour les programmes et l’action, nous verrons.
    Pour les pronostics, je trouve que Juppé est enterré un peu vite. La suite nous promet peut-être quelques surprises si l’on considère que l’une des composantes principale du vote Fillon était le rejet de Sarkozy avec l’espoir de l’éliminer dès le premier tour.
    Cette humiliation, sans doute imméritée, n’est que le dividende d’un excès d’indignité qui n’aura son équivalente à gauche que par une sortie par la porte de derrière de son successeur.
    Juppé est sans doute de l’eau tiède, pas très limpide. Néanmoins, Fillon se présente comme un bloc de glace cristalline et peut, par conséquent, avec le concours de bons communicants, rafraîchir les ardeurs de la probable moitié des électeurs de dimanche 20 qui se déplaceront le 27.
    Personnellement, je ne suis pas partisan d’un confort soporifique qui nous conduirait tout droit vers un vote extrémiste en 2022. La situation du pays est alarmante, tout report de mise en ordre des désordres qui nous affectent nous intoxiquent.

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [La pondération de votre réponse sur Fillon me rassérène car je ne comprends toujours pas tout à fait votre “tendresse” vis à vis de Sarkozy.]

      Comment vous l’expliquer… je trouve la personnalité de Sarkozy intéressante. Dans une droite qui fabrique en quantité des clones lisses et sans relief comme Bruno Le Maire, ou des petits roquets hystériques genre Copé ou NKM, je trouve que Sarkozy a une vraie personnalité et une indéniable profondeur, jusque dans ses contradictions. Tiens, si l’on me proposait de déjeuner avec l’homme politique de mon choix, je crois que ma curiosité me pousserait à le choisir…

      [Vos origines de descendants d’immigrés ne me semblent pas justifier une telle mansuétude pour quelqu’un qui n’a vraiment pas contribué à donner confiance dans les responsables politiques et qui au demeurant n’a pas marqué son quinquennat par des résultats probants, malgré selon votre opinion, sa plus grande sensibilité aux questions d’identité et de la Nation.]

      Je vous trouve bien sévère. Finalement, les résultats de la présidence Sarkozy sont largement aussi « probants » que ceux de la deuxième présidence de Chirac, et bien plus que l’actuelle présidence Hollande. En fait, paradoxalement, dans les domaines « à bas bruit », ces domaines qui n’intéressent pas le microcosme politico-médiatique, le résultat de la présidence Sarkozy est tout à fait honorable. Et dans les autres, s’il y a des ratages évidents, on ne peut nier un certain nombre de succès, notamment la gestion de la crise financière de 2008, ce qui n’est pas une mince affaire. Personnellement, je pense qu’une fois la vague d’antisarkozysme primaire passée, l’histoire ne sera pas trop méchante dans son jugement.

      Sur les questions d’identité nationale, il avait la volonté de faire beaucoup plus, et le débat aurait pu être très intéressant et utile si les « bienpensants » ne l’avaient saboté dès le départ…

      [Pour un président de la République, il ne suffit pas d’être “sensible” mais d’être efficace.
      Et puis comme l’a adroitement exprimé Fillon, imagine-t-on De Gaulle mis en examen et – sous entendu – impliqué à divers titres dans de nombreux scandales le tout dans une ambiance hystérique, comme vous le confirmez.]

      Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : quelque soit la tendresse que j’éprouve pour Sarkozy en tant qu’être humain, je n’ai jamais comparé son action à celle de mongénéral. Par ailleurs, il ne faudrait pas non plus oublier qu’un certain nombre d’amis politiques de De Gaulle ont été mêlés a des histoires troubles. Seulement, à l’époque, les juges n’auraient pas osé toucher à la dignité de la fonction en y associant le président de la République sauf à avoir des preuves incontestables. Aujourd’hui, les juges se permettent de mettre en examen un président sur de simples suppositions… et Sarkozy n’a pas tout à fait tort lorsqu’il signale que pour le moment, toutes les affaires dans lesquelles il a été mis en examen se sont conclues par un non lieu.

      [Pour les pronostics, je trouve que Juppé est enterré un peu vite. La suite nous promet peut-être quelques surprises si l’on considère que l’une des composantes principale du vote Fillon était le rejet de Sarkozy avec l’espoir de l’éliminer dès le premier tour.]

      Rien n’est joué, bien entendu, mais Fillon a tout de même pris une sérieuse option, puisque Sarkozy a appelé ses électeurs à voter pour lui.

  16. Jérémy dit :

    Bonjour Descartes,

    Je vous avoue que cette assertion me surprend: “On pardonne très souvent à un homme politique de revenir sur ses engagements, à condition de revenir tout de suite après le scrutin.”

    Pourriez-vous être un peu plus explicite ?
    Je ne suis probablement pas assez sensible aux charmes des discours électoraux, mais je vois mal comment on peut pardonner à un homme politique de complètement renier ses engagements. Que le “réel” l’amène à modérer sa position, pourquoi pas, mais s’il n’y a aucun volontarisme…

    • Descartes dit :

      @ Jérémy

      [Je ne suis probablement pas assez sensible aux charmes des discours électoraux, mais je vois mal comment on peut pardonner à un homme politique de complètement renier ses engagements. Que le “réel” l’amène à modérer sa position, pourquoi pas, mais s’il n’y a aucun volontarisme…]

      Pour vous répondre, permettez-moi d’avoir recours à une analogie. Lorsque vous faites la cour à une jeune fille, il vous est arrivé j’imagine de lui promettre de décrocher la lune pour la lui amener sur un plateau. Ce genre de promesses, qui font partie des rituels de séduction, ne sont pas vraiment des mensonges : au moment où elles sont formulés, ni l’un ni l’autre ne se fait des illusions sur les chances de les voir réalisées. Mais alors, pourquoi les fait-on ? Parce que c’est un moyen d’exprimer l’attachement pour l’autre, la volonté de lui faire plaisir.

      Le rapport d’un homme politique avec ses électeurs est un rapport complexe, qui tient en partie tient de la séduction. Les hommes politiques nous font deux types de promesses : certaines sont des vraies promesses politiques qu’ils essaieront de tenir – qu’ils y réussissent est une autre affaire. D’autres ne sont là que pour exprimer leur engagement, leur désir de montrer qu’ils nous écoutent, qu’ils nous connaissent, qu’ils savent ce que nous voulons. Mais ces promesses, nous savons eux comme nous qu’ils ne les tiendront pas.

      En général, les « promesses de séduction » disparaissent dès l’élection passée, soit parce que l’homme politique y renonce explicitement, soit parce qu’elles sont oubliées. Et les citoyens-électeurs n’en tiennent pas rigueur, pas plus que l’amoureuse de mon exemple ne songe à demander à son Roméo de lui décrocher effectivement la lune après leur mariage. L’erreur que font beaucoup de politiques est de continuer d’évoquer leurs promesses comme s’ils comptaient les tenir, ce qui finit par les faire passer de la catégorie de « promesses de séduction » à la catégorie des « promesses effectives ». Et là, quand elles ne sont pas tenues… c’est le divorce !

  17. Tom-Personne dit :

    [Et du haut de cette idéologie, elles n’arrivent tout simplement pas à comprendre pourquoi les couches populaires sont insensibles à leur discours, lui préférant le discours fasciste-raciste-sexiste-vulgaire (rayer la mention inutile) de tel ou tel leader populiste. C’est cette cécité qui fait que nos élites préfèrent s’accrocher pour toute explication à une « lépénisation des esprits » sans cause autre que magique.]

    Outre la victoire de l’outsider aux primaires de la droite, il y a eu ces jours ci un bon exemple de décalage avec la réalité, avec cette tribune du JDD : http://www.lejdd.fr/Politique/Deneuve-Binoche-Biolay-Une-cinquantaine-de-personnalites-disent-stop-au-Hollande-bashing-825751.

    Nous, artistes, sportifs et créateurs, penseurs, chercheurs, entrepreneurs et citoyens indépendants, dénonçons cet acharnement indigne qui entraîne le débat politique dans une dérive dangereuse pour la démocratie.
    François Hollande a droit au respect comme tout citoyen, et comme président de notre ­République.

    On ne peut qu’être d’accord avec la dernière phrase, mais de là à faire de lui un grand président, avec des convictions profondes et une ligne politique claire, sans parler de ses réalisations… Il y a un (grand) pas que je ne franchirai pas…

    Quant à Fillon, je n’ai pas lu ou entendu beaucoup de commentaires dans les journaux sur le fait qu’il semble avoir été élu principalement par des têtes grises. Je ne sais pas si on peut en déduire quelque chose.
    Ce qui serait ironique s’il accède ultimement à la présidence, ça serait qu’il devienne l’instrument d’une “trumpisation” élégante de la vie politique.
    Son libéralisme austéritaire assumé rassurera l’establishment, mais son conservatisme sociétal ou culturel n’a peut-être pas grand chose à envier à celui de la populiste à la rose bleue!
    Sous cet angle là, peut-être s’attaquera-t-il sérieusement certains des problèmes qui taraudent le pays?

    • Descartes dit :

      @ Tom-Personne

      [Outre la victoire de l’outsider aux primaires de la droite, il y a eu ces jours ci un bon exemple de décalage avec la réalité, avec cette tribune du JDD : (…)]

      Tout à fait. Ceux qui ont écrit cette pétition ne se rendent pas compte dans quel monde ils vivent. Rien que la formule de signature fait rire : « Nous, artistes, sportifs et créateurs, penseurs, chercheurs, entrepreneurs et citoyens indépendants (…) ». Dites, c’est quoi un « citoyen indépendant » ? Les artistes, les « sportifs et créateurs » ( ?), les penseurs, chercheurs et entrepreneurs seraient-ils des « citoyens dépendants » ? Et si oui, « dépendants » de quoi ?

      [« François Hollande a droit au respect comme tout citoyen, et comme président de notre –République ». On ne peut qu’être d’accord avec la dernière phrase,]

      Moi, je ne suis pas d’accord. Le président de la République a droit au respect, parce qu’en le respectant nous respectons la volonté des français qui l’ont élu. Mais François Hollande, la personne, n’a aucun « droit au respect », ni en tant que président, ni en tant que citoyen. Le respect n’est pas un droit : il se gagne.

      [Quant à Fillon, je n’ai pas lu ou entendu beaucoup de commentaires dans les journaux sur le fait qu’il semble avoir été élu principalement par des têtes grises. Je ne sais pas si on peut en déduire quelque chose.]

      Difficile à dire. Je pense que tous les candidats ont essentiellement reçu leurs voix des têtes grises, tout simplement parce que c’est la catégorie de la population qui vote le plus. Je ne sais pas si l’électorat de Fillon est en moyenne plus âgé que celui de Sarkozy ou de Juppé.

      [Son libéralisme austéritaire assumé rassurera l’establishment, mais son conservatisme sociétal ou culturel n’a peut-être pas grand chose à envier à celui de la populiste à la rose bleue!]

      Je ne vois pas chez Fillon la moindre « trumpisation ». Il y a chez tout démagogue une invocation du principe de plaisir. La vision des démagogues est généralement une vision plutôt optimiste, où les grandes problèmes sont simples et ont des solutions simples. Il est rare que ces discours n’offrent que sang, sueur et larmes. Fillon, avec son côté flagellant, est plutôt l’anti-Trump.

      [Sous cet angle là, peut-être s’attaquera-t-il sérieusement certains des problèmes qui taraudent le pays?]

      On peut toujours rêver… cela étant dit, je pense que s’il atteint la magistrature suprême, il aura un grand souci de rétablir le fonctionnement et l’autorité de l’Etat. C’est déjà ça…

    • @ Descartes,

      “cela étant dit, je pense que s’il atteint la magistrature suprême, il aura un grand souci de rétablir le fonctionnement et l’autorité de l’Etat.”
      En supprimant 500 000 fonctionnaires? Faudra qu’on m’explique comment il compte s’y prendre… Je crains que sur ce dossier, Fillon fasse du Sarkozy bis: un discours musclé sur l’autorité parallèlement à une déliquescence de l’Etat au nom de la lutte contre les déficits. La police, pour ne prendre qu’un exemple, n’a pas vraiment bénéficié de la “restauration de l’autorité” qu’avait promise Nicolas Sarkozy… Pourtant Sarkozy avait été ministre de l’Intérieur et n’avait pas une mauvaise image dans l’institution.

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-ethniciste

      [« cela étant dit, je pense que s’il atteint la magistrature suprême, il aura un grand souci de rétablir le fonctionnement et l’autorité de l’Etat. » En supprimant 500 000 fonctionnaires?]

      Oui. Je vais être terriblement « politiquement incorrecte », mais je vous avoue que ce débat sur les 500.000 fonctionnaires commence à me les briser menu.

      En vingt ans, les effectifs de la fonction publique – essentiellement de la fonction publique territoriale – se sont accrus d’un million. Est-ce que nous sommes aujourd’hui mieux administrés, mieux enseignés, mieux protégés, mieux soignés qu’il y a vingt ans ? Non. Est-ce que l’Etat avait moins d’autorité alors qu’aujourd’hui ? Non plus. Alors, arrêtons de croire qu’il y a une corrélation mécanique entre le nombre de fonctionnaires et le bon fonctionnement de l’Etat.

      Prenons un exemple : les services de communication des ministères et des collectivités locales – services dont la fonction essentielle est de faire la pub du ministre, du maire, du président du conseil départemental ou régional – ont été multipliés par dix en vingt ans. Pensez-vous vraiment que si on supprimait les 9/10èmes de ces postes le service rendu à nos concitoyens souffrirait beaucoup ?

      Pour des raisons qui m’échappent, la gauche en France considère que l’accroissement des effectifs de la fonction publique est un bien en soi. C’est faux. Le but n’est pas que tout le monde devienne fonctionnaire. Multiplier les effectifs affectés à des tâches inutiles, augmenter les effectifs pour suppléer à l’inefficacité des procédures ou des organisations, c’est au contraire destructeur et alimente les discours anti-fonctionnaires. Cela empêche aussi d’augmenter les traitements et donc de recruter des fonctionnaires de qualité qui peuvent faire le même travail bien mieux et avec des effectifs plus limités.

    • BolchoKek dit :

      @ Descartes

      La remarque de N-E est justifiée dans le sens où on parle justement de supprimer 500k fonctionnaires, sans préciser où. Je ne me plaindrais pas non plus de coupes dans les services de com’ ou la fonction publique territoriale, mais étant donné le côté droitier du reste du programme, l’inquiétude est légitime de se demander si à une gauche qui en effet voit l’accroissement du nombre de fonctionnaires comme un bien en soi, ne répond pas une droite prête à couper dans tous les sens, les deux ayant une vision du “fonctionnaire” comme de professions interchangeables…
      Dans la mesure où Fillon parle volontiers d’une “nouvelle décentralisation”, et que le gouvernement actuel avait quelques plans pour la sécurité notamment avant les attentats, je ne pense justement pas que l’air du temps permette d’interpréter cette annonce avec optimisme.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [l’inquiétude est légitime de se demander si à une gauche qui en effet voit l’accroissement du nombre de fonctionnaires comme un bien en soi, ne répond pas une droite prête à couper dans tous les sens, les deux ayant une vision du “fonctionnaire” comme de professions interchangeables…]

      Bien entendu. Mais mon point est qu’il faut sortir de la posture où l’on utilise la suppression de 500.000 emplois de fonctionnaire comme argument politique, que ce soit pour faire peur à l’électorat de gauche ou de séduire l’électorat de droite. La création ou la suppression d’emplois publics n’est en soi ni un bien, ni un mal. Cela dépend de quels emplois il s’agit, combien ils coûtent, quel service ils rendent.

      Je trouve très dommage que tout débat sur le fonctionnement de l’Etat et de ses services se réduise mécaniquement à un débat sur la question des postes. Quelle est la politique que propose le PCF – mais ce n’est guère mieux ailleurs à gauche – pour l’école ? On ne parle pas de didactique, de savoirs, d’organisation. On ne parle que des « moyens », et d’abord des postes.

    • BolchoKek dit :

      @Descartes

      >Mais mon point est qu’il faut sortir de la posture où l’on utilise la suppression de 500.000 emplois de fonctionnaire comme argument politique<
      Bien entendu. Mais mon point est que nous sommes dans une drôle d’époque, celle où le moindre notable second couteau de province a droit à ses trois sycophantes rémunérés, mais où on menace de fermer L’Hôtel-Dieu. Je ne sais pas si Fillon aura la clairvoyance ni le capital politique pour s’affronter à ce que la fonction territoriale a créé de caudillisme local dans notre pays… Et je ne sais surtout pas s’il ne choisirait pas la facilité.

      >Quelle est la politique que propose le PCF – mais ce n’est guère mieux ailleurs à gauche – pour l’école ? On ne parle pas de didactique, de savoirs, d’organisation. On ne parle que des « moyens », et d’abord des postes. <
      Le retour des grands féodaux, ce n’est pas que dans les régions…

    • @ Descartes,

      “Oui. Je vais être terriblement « politiquement incorrecte », mais je vous avoue que ce débat sur les 500.000 fonctionnaires commence à me les briser menu”
      Je vous trouve bien agressif… Mais les échanges virils ne me font pas peur, je vous préviens. En effet, vous êtes terriblement “politiquement incorrect” je vous l’accorde, car critiquer la fonction publique, quelle audace, quel courage. Ça, c’est un acte de Résistance…

      “Est-ce que nous sommes aujourd’hui mieux administrés, mieux enseignés, mieux protégés, mieux soignés qu’il y a vingt ans ? Non.”
      “Être enseigné”, je ne sais pas ce que ça veut dire, mais vous allez m’expliquer. Après beaucoup de fonctionnaires, dont les enseignants comme moi, sont de simples exécutants. Je fais ce que l’institution m’ordonne de faire. Vous pouvez bien sûr me répondre que l’institution se trompe ou qu’elle fait mal, et je l’entends. Mais le fonctionnaire doit obéir. Les collègues qui outrepassent les directives au nom du Bien et du Vrai s’engagent dans une dérive dont on mesure les effets…

      Concernant les soins, le peu que j’ai entendu sur les projets de Fillon ne m’incitent pas à croire que nous serons mieux soignés s’il est élu.

      “Alors, arrêtons de croire qu’il y a une corrélation mécanique entre le nombre de fonctionnaires et le bon fonctionnement de l’Etat”
      Vous devriez me relire au lieu de me faire la leçon. Je n’ai JAMAIS écrit qu’il y avait corrélation entre le nombre de fonctionnaires et le bon fonctionnement de l’Etat. En revanche, je dis que se livrer à une surenchère dans la réduction des effectifs, sans plus de précision, ce n’est pas une politique. Par ailleurs, je suis d’accord avec vous sur le fait que la fonction publique territoriale et les services de com’ pourraient être considérablement allégés… Sauf que sous Sarkozy, c’est la fonction publique d’Etat qui s’est serrée la ceinture. Or François Fillon avait déclaré sur France 2, dans l’émission qui lui était consacrée: “il n’y a pas une mesure, pendant le quinquennat durant lequel j’étais premier ministre, que Nicolas Sarkozy m’a imposée”, autrement dit Fillon a suivi une politique avec laquelle il était largement d’accord.

      Lorsqu’il sera président, s’il le devient, je doute que Fillon touche aux “clientèles” des notables qui l’auront soutenu, notables dont il est lui-même issu. Par contre, il tapera certainement sur la fonction publique d’Etat, dans la grande tradition de la droite, et particulièrement sur les enseignants qu’il n’aime pas et qui le lui rendent bien.

      “Est-ce que l’Etat avait moins d’autorité alors qu’aujourd’hui ? Non plus”
      Ah bon? C’est étonnant. Où était Fillon entre 2007 et 2012? Vous avez écrit qu’il allait avoir “un grand souci de rétablir l’autorité et le fonctionnement de l’Etat”. Pourquoi ferait-il en 2017 ce qu’il a été infoutu de faire quand il était 1er ministre pendant 5 ans? Sarkozy aurait-il empêché Fillon de faire des miracles?

      “Le but n’est pas que tout le monde devienne fonctionnaire.”
      Je n’ai JAMAIS écrit que tout le monde devait devenir fonctionnaire…

      Finalement chacun votera pour ses petits intérêts personnels, au-delà des grands discours sur la France, la souveraineté nationale, les classes laborieuses exploitées: pour le haut cadre du nucléaire, la survie de sa filière vaut bien une messe; pour l’enseignant paresseux et pusillanime, voter pour un homme qu’on a vu à l’oeuvre avec les résultats que l’on sait, n’est guère envisageable.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Bien entendu. Mais mon point est que nous sommes dans une drôle d’époque, celle où le moindre notable second couteau de province a droit à ses trois sycophantes rémunérés, mais où on menace de fermer L’Hôtel-Dieu. Je ne sais pas si Fillon aura la clairvoyance ni le capital politique pour s’affronter à ce que la fonction territoriale a créé de caudillisme local dans notre pays… Et je ne sais surtout pas s’il ne choisirait pas la facilité.]

      Je partage vos inquiétudes. Et c’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas se polariser sur la question des 500.000 postes supprimés, mais sur la question de savoir quels postes on supprime, et selon quels critères.

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-ethniciste

      [« Oui. Je vais être terriblement « politiquement incorrecte », mais je vous avoue que ce débat sur les 500.000 fonctionnaires commence à me les briser menu » Je vous trouve bien agressif…]

      Croyez bien que je regrette déjà cet écart de colère…

      [En effet, vous êtes terriblement “politiquement incorrect” je vous l’accorde, car critiquer la fonction publique, quelle audace, quel courage. Ça, c’est un acte de Résistance…]

      Vous êtes très injuste. Je n’ai jamais critiqué « la fonction publique ». Je suis au contraire profondément attaché à une fonction publique de carrière, distincte et séparée du monde su privé.

      [« Est-ce que nous sommes aujourd’hui mieux administrés, mieux enseignés, mieux protégés, mieux soignés qu’il y a vingt ans ? Non. » « Être enseigné », je ne sais pas ce que ça veut dire, mais vous allez m’expliquer.]

      Oh, un peu d’humour, s’il vous plaît. C’est un néologisme humoristique : si les administrateurs veillent à ce que nous soyons bien administrés et les soignants à ce que nous soyons bien soignés, les enseignants devraient veiller à ce que nous soyons bien enseignés…

      [Après beaucoup de fonctionnaires, dont les enseignants comme moi, sont de simples exécutants. Je fais ce que l’institution m’ordonne de faire. Vous pouvez bien sûr me répondre que l’institution se trompe ou qu’elle fait mal, et je l’entends. Mais le fonctionnaire doit obéir. Les collègues qui outrepassent les directives au nom du Bien et du Vrai s’engagent dans une dérive dont on mesure les effets…]

      Je suis tout à fait d’accord sur le principe d’obéissance hiérarchique. Parce qu’en dernière instance, le fonctionnaire est soumis à la volonté des élus du peuple. Mais ce n’est pas pour autant que les fonctionnaires sont « des simples exécutants ». Si l’institution leur donne des directives, il est rare que ces directives couvrent l’intégralité du champ de leur activité. Souvent l’institution se contente de définir l’objectif, et laisse au fonctionnaire le choix des moyens pour l’atteindre. Et c’est particulièrement pour l’enseignant, qui conjugue obéissance hiérarchique et liberté pédagogique.

      Mais je crois que vous avez très mal interprété mon commentaire. Je n’ai pas insinué que les enseignants n’enseignent pas bien, que les soignants ne soignent pas bien, que les policiers ne policent pas bien. Ce que je dis, c’est que la qualité des soins, de l’enseignement, de la police n’est pas forcément corrélée avec les effectifs. D’autres paramètres sont aussi déterminants sinon plus de la qualité du service rendu. C’est pourquoi je trouve très dangereux de transformer le débat sur le service publique à une simple querelle de postes ou de moyens, comme si c’était la seule chose qui compte. La création de 100.000 postes d’enseignant ne compenseront le dixième des dégâts que les nouveaux programmes feront à notre système éducatif. Et pourtant personne ne discute sérieusement de didactique, de programmes : on ne discute que postes et moyens.

      Je m’étonne de votre réaction parce que lors de précédentes discussions vous aviez tenu des propos assez proches des miens, soulignant combien les syndicats enseignants trahissent leur rôle en faisant des postes et moyens leur seul combat…

      [Vous devriez me relire au lieu de me faire la leçon. Je n’ai JAMAIS écrit qu’il y avait corrélation entre le nombre de fonctionnaires et le bon fonctionnement de l’Etat. En revanche, je dis que se livrer à une surenchère dans la réduction des effectifs, sans plus de précision, ce n’est pas une politique.]

      Je suis d’accord. Tout comme se livrer à une surenchère dans l’augmentation des effectifs ne constitue pas une politique. Pourtant, quand le curseur est à la hausse ce ne sont pas les mêmes qui gueulent que lorsque le curseur est à la baisse. Preuve que ce qui fait réagir les gens n’est pas tant l’absence de politique que la défense d’intérêts sonnants et trébuchants : à gauche, on veut des postes, à droite, on ne veut pas payer des impôts.

      [Par ailleurs, je suis d’accord avec vous sur le fait que la fonction publique territoriale et les services de com’ pourraient être considérablement allégés… Sauf que sous Sarkozy, c’est la fonction publique d’Etat qui s’est serrée la ceinture. Or François Fillon avait déclaré sur France 2, dans l’émission qui lui était consacrée: “il n’y a pas une mesure, pendant le quinquennat durant lequel j’étais premier ministre, que Nicolas Sarkozy m’a imposée”, autrement dit Fillon a suivi une politique avec laquelle il était largement d’accord.]

      Ne me dites pas que vous croyez les déclarations des politiques, maintenant… Je sais de très bonne source qu’il y a un certain nombre de décisions que Sarkozy a imposé à Fillon, qui pendant les cinq ans qu’a duré son passage à Matignon a avalé pas mal de couleuvres et quelques boas. Mais je ne suis pas l’avocat de Fillon. Ce qui me gêne dans cette affaire est que le clivage va se faire sur les 500.000 postes pris globalement, et non sur une véritable discussion des véritables besoins en personnel de la fonction publique, discussion qui me paraît beaucoup plus intéressante. D’ailleurs, notez que chaque fois que Fillon est interrogé sur cette question, il évite soigneusement la question.

      Or, le débat sur les postes est un débat que les progressistes ne peuvent pas gagner. Parce que l’argument de Fillon est imparable : il y a vingt ans il y avait un million de fonctionnaires de moins, et on ne peut pas dire que le service rendu au citoyen se soit considérablement amélioré de ce fait, plutôt tout le contraire. On ne peut gagner ce débat qu’en pointant les domaines où l’on a recruté à tort, les services qui sont parfaitement inutiles pour le citoyen – même s’ils profitent à certains lobbies ou à la propagande des élus. Parce que je doute fort qu’à l’heure de réduire les effectifs globaux, l’intention de Fillon soit de s’attaquer véritablement à ces secteurs-là. En d’autres termes, si vous dites « non, il ne faut pas supprimer un seul poste de fonctionnaire », votre message sera inaudible. Si vous dites « chiche, supprimons ces 500.000 postes dans les services de communication, dans les cabinets des élus, dans les innombrables « délégations à la diversité » et autres « ambassades des régions auprès de l’Union européenne », votre discours sera audible.

      [« Est-ce que l’Etat avait moins d’autorité alors qu’aujourd’hui ? Non plus » Ah bon? C’est étonnant. Où était Fillon entre 2007 et 2012? Vous avez écrit qu’il allait avoir “un grand souci de rétablir l’autorité et le fonctionnement de l’Etat”. Pourquoi ferait-il en 2017 ce qu’il a été infoutu de faire quand il était 1er ministre pendant 5 ans? Sarkozy aurait-il empêché Fillon de faire des miracles?]

      Non, mais il est certain qu’entre 2007 et 2012 on a fait ce que Sarkozy voulait, et non ce que Fillon pensait devoir faire. Mais comme je vous l’ai dit plus haut, je ne suis pas l’avocat de Fillon. La seule chose que je note, c’est que le million de postes créés ces vingt dernières années ne se sont pas accompagnées d’un renforcement de l’autorité de l’Etat, ce qui montre là encore qu’il n’y a pas de corrélation mécanique entre la puissance de l’Etat et les effectifs de la fonction publique. Et c’est pourquoi l’argument de Fillon porte.

      [« Le but n’est pas que tout le monde devienne fonctionnaire. » Je n’ai JAMAIS écrit que tout le monde devait devenir fonctionnaire…]

      Je n’ai jamais dit que vous l’ayez dit. Je faisais référence au discours de la gauche qui voit dans chaque augmentation des effectifs de la fonction publique un progrès. Si on prolonge ce raisonnement, le progrès ultime serait que tout le monde devienne fonctionnaire…

      [Finalement chacun votera pour ses petits intérêts personnels, au-delà des grands discours sur la France, la souveraineté nationale, les classes laborieuses exploitées: pour le haut cadre du nucléaire, la survie de sa filière vaut bien une messe; pour l’enseignant paresseux et pusillanime, voter pour un homme qu’on a vu à l’oeuvre avec les résultats que l’on sait, n’est guère envisageable.]

      Je vous trouve tout à coup bien pessimiste… oui, les gens votent globalement en fonction de leurs intérêts individuels et de leurs intérêts de classe. Mais ce qui est vrai au niveau global ne l’est pas forcément au niveau individuel et à un instant donné. Je connais pas mal de « hauts cadres du nucléaire » à qui Fillon donne des boutons et qui ne voteront probablement pas pour lui. Et il y aura certainement des enseignants qui voteront pour lui malgré les « résultats que l’on sait ». Le problème est que le deuxième tour qui se profile sera un choix Fillon-Le Pen…

    • @ Descartes,

      Excusez-moi de ma réponse un peu vive, mais j’avais cru déceler dans la vôtre une agressivité que je ne comprenais pas. Nous sommes tous un peu fatigués en cette période, je pense.

      “Je n’ai jamais critiqué « la fonction publique ». Je suis au contraire profondément attaché à une fonction publique de carrière, distincte et séparée du monde su privé.”
      C’est vrai. Mais je trouve normal qu’on critique la fonction publique, y compris l’enseignement, simplement je n’avais pas l’impression que c’était briser un tabou que de le faire.

      “Oh, un peu d’humour, s’il vous plaît. C’est un néologisme humoristique”
      Excusez-moi, je n’avais honnêtement pas compris. L’agacement a fait le reste…

      “Et c’est particulièrement pour l’enseignant, qui conjugue obéissance hiérarchique et liberté pédagogique.”
      C’est vrai, mais d’un autre côté on voit bien que, via les enseignement transdisciplinaires, les programmes par cycle et non par année, on pousse les enseignants d’un même établissement à adopter les mêmes façons de faire. Et ceux qui parlent le plus fort, qui se targuent d’être “modernistes”, l’emportent souvent, et les autres cèdent par lassitude. Tenez, prenons les notes: certains de mes collègues sont déjà passés au “tout-compétence” sans note, et d’autres (dont je suis) font de la résistance, parce que, pour moi, le référentiel de compétences ne permet pas d’évaluer tout ce que je veux faire acquérir à mes élèves. Mais le débat sur les notes va revenir…

      “Et pourtant personne ne discute sérieusement de didactique, de programmes : on ne discute que postes et moyens.
      Je m’étonne de votre réaction parce que lors de précédentes discussions vous aviez tenu des propos assez proches des miens, soulignant combien les syndicats enseignants trahissent leur rôle en faisant des postes et moyens leur seul combat…”
      Et je n’ai pas changé d’avis: tout n’est pas qu’une question de moyen et de postes, c’est vrai. Mais l’Education nationale doit quand même tenir compte de l’évolution démographique. Je suis professeur en collège. Les suppressions de postes sous Sarkozy sont survenues au moment où les enfants nés lors du “mini baby-boom” de la fin des années 90 et du début des années 2000 commençaient à entrer au collège. Vous n’êtes pas obligé de me croire, mais il y a eu vraiment un problème de moyens dans certains établissements, des postes non pourvus, des heures supplémentaires en quantité, non attribuées faute de volontaires.

      Mais je discute aussi didactique et programme. J’ai dit ici sur votre blog le mal que je pensais des nouveaux programmes. Il y a deux jours, nous parlions avec des collègues du programme de Fillon sur l’éducation. Un collègue s’indigne qu’il veuille rétablir le “roman national” et j’ai eu le courage de dire (ce qui est rare, je l’admets) que j’étais favorable à cela si c’était bien fait. Un collègue surpris m’a demandé pourquoi je soutenais cela, et j’ai répondu que je pensais que la France avait besoin d’unité nationale et que le “roman national” pouvait développer le sentiment d’appartenance à la nation française. Je dois dire que je n’ai pas essuyé de remarques désagréables.

      “Tout comme se livrer à une surenchère dans l’augmentation des effectifs ne constitue pas une politique. Pourtant, quand le curseur est à la hausse ce ne sont pas les mêmes qui gueulent que lorsque le curseur est à la baisse. Preuve que ce qui fait réagir les gens n’est pas tant l’absence de politique que la défense d’intérêts sonnants et trébuchants : à gauche, on veut des postes, à droite, on ne veut pas payer des impôts.”
      Je souscris à ce que vous dites.

      “Ne me dites pas que vous croyez les déclarations des politiques, maintenant… Je sais de très bonne source qu’il y a un certain nombre de décisions que Sarkozy a imposé à Fillon, qui pendant les cinq ans qu’a duré son passage à Matignon a avalé pas mal de couleuvres et quelques boas.”
      Pardon, je n’ai pas vos relations, et par conséquent j’ai tendance à faire crédit aux politiques de leurs déclarations. J’avais d’ailleurs trouvé Fillon honnête sur la question, en se disant solidaire de la politique menée sous Sarkozy et en l’assumant. Après tout, il aurait pu dire: “j’ai essayé de faire entendre raison à Nicolas Sarkozy sur certains points, mais il ne m’a pas écouté”.

      “Ce qui me gêne dans cette affaire est que le clivage va se faire sur les 500.000 postes pris globalement, et non sur une véritable discussion des véritables besoins en personnel de la fonction publique, discussion qui me paraît beaucoup plus intéressante”
      Je dois vous dire que le programme économique et social de Fillon dans son ensemble m’inquiète beaucoup.

      “n d’autres termes, si vous dites « non, il ne faut pas supprimer un seul poste de fonctionnaire », votre message sera inaudible.”
      Mon message est le même que le vôtre: supprimons les effectifs pléthoriques de la fonction publique territoriale et des services de com’, les fonctionnaires “surnuméraires” comme je les nomme, mais tant que Fillon n’aura pas ciblé précisément ces postes là, il n’aura pas mon suffrage.

      “Je faisais référence au discours de la gauche qui voit dans chaque augmentation des effectifs de la fonction publique un progrès.”
      Autant pour moi. Je suis hostile à ce discours parce que, pour moi, une bonne fonction publique est une fonction publique sélectionnée par des concours dignes de ce nom, ce qui implique que tout le monde ne peut pas y accéder. Je suis fier de pouvoir dire que j’ai passé un concours sélectif et que j’ai été admis avec un bon classement. Le recrutement tous azimuts dans l’Education nationale a hélas ouvert la porte de la maison à de mauvaises recrues, il faut le dire. J’ai lu le témoignage d’un formateur d’ESPE atterré d’entendre un futur enseignant déclarer qu’il ne se sentait pas le droit d’expliquer aux élèves la différence entre science et croyance…

      “Je vous trouve tout à coup bien pessimiste…”
      Oh, ce n’est pas nouveau. Mais je dois vous dire que, me regardant dans le miroir, je dois admettre quelques vérités désagréables: le programme économique de Fillon m’effraie, et il est difficile de garantir qu’élu il ne l’appliquera pas; et s’il n’en applique qu’une partie, laquelle? Autant de questions qui restent sans réponses. Ensuite, égoïstement, je dois dire que je suis attaché à mon confort de vie. Je ne demande pas d’augmentation de salaire, mais je n’ai aucune envie de passer à 21h ou 22h obligatoires de cours devant élèves, je préfère faire des heures sup les années où je le désire.

      “Le problème est que le deuxième tour qui se profile sera un choix Fillon-Le Pen…”
      J’en suis moins sûr que vous. Mais je voterai Le Pen dans ce cas. Pour que même le FN dénonce la brutalité du programme économique de Fillon… Et au moins le FN assume une ligne eurosceptique.

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-ethniciste

      [Excusez-moi de ma réponse un peu vive, mais j’avais cru déceler dans la vôtre une agressivité que je ne comprenais pas. Nous sommes tous un peu fatigués en cette période, je pense.]

      J’ai été surpris par votre réponse, mais je l’ai attribué à une incompréhension car on se connaît – et je pense, on s’apprécie – trop pour que cela put avoir pour moi une autre origine. Encore une fois, si j’ai dit quelque chose qui vous a blessé je m’en excuse, ce n’était pas mon intention.

      [C’est vrai. Mais je trouve normal qu’on critique la fonction publique, y compris l’enseignement, simplement je n’avais pas l’impression que c’était briser un tabou que de le faire.]

      Critiquer la fonction publique, non. Mais critiquer le dogme qui veut que l’augmentation des effectifs de la fonction publique soit une « politique de gauche » alors que leur réduction est une « politique de droite », oui.

      [Et je n’ai pas changé d’avis: tout n’est pas qu’une question de moyen et de postes, c’est vrai. Mais l’Education nationale doit quand même tenir compte de l’évolution démographique. Je suis professeur en collège. Les suppressions de postes sous Sarkozy sont survenues au moment où les enfants nés lors du “mini baby-boom” de la fin des années 90 et du début des années 2000 commençaient à entrer au collège. Vous n’êtes pas obligé de me croire, mais il y a eu vraiment un problème de moyens dans certains établissements, des postes non pourvus, des heures supplémentaires en quantité, non attribuées faute de volontaires.]

      Je vous crois tout à fait : je suis persuadé que DANS CERTAINS ETABLISSEMENTS il y ait des problèmes qui nécessitent plus d’effectifs pour être traités. Je ne pense pas que ce soit le cas dans tous. Mais j’irai plus loin : est-ce que les postes non pourvus dans certains établissements ne traduisent une défaillance dans le système des affectations, voire même un problème avec les salaires des enseignants. Tiens, je vais poser une question iconoclaste : vaut-il mieux deux classes de 15 élèves avec à la tête un professeur payé 2000 €, ou une seule classe de 30 élèves avec un professeur payé 4000 € ? Certains affirment qu’avec un salaire de 4000 € on peut attirer des enseignants de qualité capables de « tenir » 30 élèves, alors qu’à 2000 € on a des gens incapables d’enseigner… il faut donc mettre les problèmes à plat sans faire de la question des effectifs un dogme.

      [Mais je discute aussi didactique et programme. J’ai dit ici sur votre blog le mal que je pensais des nouveaux programmes.]

      Je ne parlais pas de vous. Je parle du débat politique. Je ne doute pas que chez les enseignants on discute didactique et programme. Mais lors des débats sur la politique de l’éducation, les échanges convergent vers les questions de moyens : prenez le programme de Hollande : tout le monde se souvient de sa promesse de création de 60.000 postes d’enseignant. Mais qu’est ce qu’il y avait d’autre en matière d’éducation dans son programme ? Qui s’en souvient ?

      [Il y a deux jours, nous parlions avec des collègues du programme de Fillon sur l’éducation. Un collègue s’indigne qu’il veuille rétablir le “roman national” et j’ai eu le courage de dire (ce qui est rare, je l’admets) que j’étais favorable à cela si c’était bien fait. Un collègue surpris m’a demandé pourquoi je soutenais cela, et j’ai répondu que je pensais que la France avait besoin d’unité nationale et que le “roman national” pouvait développer le sentiment d’appartenance à la nation française. Je dois dire que je n’ai pas essuyé de remarques désagréables.]

      Je pense que même dans la profession enseignante, pourtant épitomé des « classes moyennes », on commence à prendre conscience de certains dangers. C’est je pense une évolution plutôt positive.

      [Pardon, je n’ai pas vos relations, et par conséquent j’ai tendance à faire crédit aux politiques de leurs déclarations. J’avais d’ailleurs trouvé Fillon honnête sur la question, en se disant solidaire de la politique menée sous Sarkozy et en l’assumant. Après tout, il aurait pu dire: “j’ai essayé de faire entendre raison à Nicolas Sarkozy sur certains points, mais il ne m’a pas écouté”.]

      Je pense que, quelque soient les reproches qu’on peut adresser à Fillon, c’est un homme entier. Il n’est pas du genre à cracher dans la soupe. Dès lors qu’il a été le premier ministre de Sarkozy, il n’a pas à se désolidariser avec lui après coup, quelque soient ses désaccords. S’il le faisait, on pourrait se demander quand il est sincère : avant, lorsqu’il vantait la politique de Sarkozy, ou maintenant qu’il la débine. Rocard ne s’est pas grandi en racontant que Mitterrand était un salaud après avoir quitté Matignon. Encore une « fiction nécessaire »…

      [Je dois vous dire que le programme économique et social de Fillon dans son ensemble m’inquiète beaucoup.]

      Il y a de quoi, je pense. Mais il ne faut pas oublier que l’on vient d’assister à une primaire, et tout le monde sait que dans une primaire on rassemble son camp, dans l’élection il faut rassembler les français. J’attends de voir quel sera le discours de Fillon une fois la primaire terminée. Cela étant dit, la politique économique et sociale que propose Fillon n’est pas très différente globalement de celle qu’ont fait les socialistes – je dis bien celle qu’ils ont faite, et non celle qu’ils ont promise : réduction des dépenses publiques, saccage du Code du travail…

      [Mon message est le même que le vôtre: supprimons les effectifs pléthoriques de la fonction publique territoriale et des services de com’, les fonctionnaires “surnuméraires” comme je les nomme, mais tant que Fillon n’aura pas ciblé précisément ces postes là, il n’aura pas mon suffrage.]

      Nous sommes d’accord.

      [Autant pour moi. Je suis hostile à ce discours parce que, pour moi, une bonne fonction publique est une fonction publique sélectionnée par des concours dignes de ce nom, ce qui implique que tout le monde ne peut pas y accéder.]

      Bien entendu, nous sommes sur la même longueur d’onde. C’est pourquoi je pense que le projet de Fillon de supprimer 500.000 postes est moins destructeur de la fonction publique que la logique socialiste de créer des postes pour ensuite les pourvoir avec des gens incompétents recrutés par des concours qui deviennent une plaisanterie.

      [J’en suis moins sûr que vous. Mais je voterai Le Pen dans ce cas. Pour que même le FN dénonce la brutalité du programme économique de Fillon… Et au moins le FN assume une ligne eurosceptique.]

      C’est vrai. Je me demande d’ailleurs ce que devient en Fillon l’héritage de Philippe Séguin. De toute évidence, la personnalité de Séguin reste pour lui marquante. Mais reprendra-t-il ne serait-ce que partiellement les principes et le projet du gaullisme social ? Difficile de le dire aujourd’hui.

      Un ami m’a dit quelque chose qui est très vraie : le discours de Fillon ressemble beaucoup au discours de De Gaulle, le vrai, pas celui idéalisé qu’on nous présente aujourd’hui. Car on oublie un peu vite que De Gaulle était lui aussi un conservateur catholique, et qu’il a fallu travailler au corps pour lui arracher le consentement pour la légalisation de la contraception – et ne parlons même pas de l’avortement. On peut se demander si De Gaulle serait passé à l’histoire comme un dirigeant social s’il n’avait pas eu à gérer un rapport de forces avec le PCF… et il est vrai que Fillon n’aura pas devant lui se contrepoids!

    • @ Descartes,

      “vaut-il mieux deux classes de 15 élèves avec à la tête un professeur payé 2000 €, ou une seule classe de 30 élèves avec un professeur payé 4000 € ? Certains affirment qu’avec un salaire de 4000 € on peut attirer des enseignants de qualité capables de « tenir » 30 élèves, alors qu’à 2000 € on a des gens incapables d’enseigner…”
      J’ai connu des agrégés qui étaient de bien mauvais professeurs à l’heure de tenir une classe, et des maîtres auxiliaires bien plus compétents… et payés moins qu’un certifié. Il faut attirer de bons éléments dans l’Education nationale, car nous en avons besoin. Mais d’un autre côté, l’enseignant a la sécurité de l’emploi et quatre mois de vacances par an, par conséquent, ramené au temps de travail effectif, 2 000 € net par mois, pardon, ce n’est pas un scandale (enseignant certifié depuis presque 10 ans, mon salaire de base est inférieur à 1 800 € net mensuel). Ensuite, “tenir” une classe ne peut pas relever uniquement du charisme personnel: il faut que l’institution scolaire soit forte, respectée et jusqu’à un certain point crainte, des élèves comme des parents. Et alors des professeurs payés 2 000 €/mois pourront tenir des classes de 30 élèves (ce que beaucoup font déjà, pour moi une classe de 28-29 élèves, c’est courant). Et si la société leur accorde un peu de reconnaissance, ce sera très bien.

      “J’attends de voir quel sera le discours de Fillon une fois la primaire terminée.”
      Vous pensez que Fillon changera de discours une fois investi? Je le crois trop honnête pour remanier en profondeur son programme. C’est un peu le danger d’être désigné sur une ligne “radicale”…

      “Car on oublie un peu vite que De Gaulle était lui aussi un conservateur catholique”
      Je dois vous dire que d’un point de vue “sociétal”, les positions de Fillon ont plutôt ma sympathie, étant moi-même conservateur et attaché à la conception catholique de la famille. Seulement le sociétal relève pour moi du symbolique. Ce n’est pas négligeable, mais ce n’est pas suffisant: le redressement du pays passe pour moi par une politique économique cohérente qui essaie de procurer du travail à ceux qui n’en ont pas et d’améliorer le niveau de vie des salariés. Une politique qui, pour cela, se penche sur la question de la production. Or Fillon, comme souvent à droite, me semble prendre le problème par la seule question de la compétitivité (libérer les énergies, supprimer l’ISF en espérant que les riches investiront en France par patriotisme, augmenter le temps de travail, réduire les charges qui écrasent les entreprises, etc). Dans ce modèle, les efforts sont uniquement consentis par les salariés d’une part, et d’autre part je n’ai pas entendu dans la bouche de Fillon une vision de la politique économique du pays, un chantier, un projet dans un secteur donné. Il ne nous parle que de son “remède de cheval”.

    • BolchoKek dit :

      @N-E
      >C’est vrai. Mais je trouve normal qu’on critique la fonction publique, y compris l’enseignement, simplement je n’avais pas l’impression que c’était briser un tabou que de le faire.<
      C’est un tabou, mais ça dépend où. La gauche a un rapport très particulier à cette question : annoncer que l’on va supprimer des postes dans la fonction publique, c’est tabou, le faire par contre, ça ne l’est vraiment pas. Enfin, ça dépend où. Il faut se souvenir de ce qu’a été la politique de Valls avant les attentats…
      Moi, je ne suis pas fonctionnaire. Mais je suis tout aussi angoissé que vous lorsque je vois le programme (ou pré-programme) de Fillon. Justement parce que lorsqu’il s’agit de couper dans la fonction publique, sans préciser, on sait où ça va… Pas vraiment sur la fonction territoriale. Nous sommes dans un pays où l’on ferme des hôpitaux publics, mais où l’expansion des compétences des “territoires” et “régions” fait apparemment consensus. D’ailleurs, vous devez vous réjouir probablement de l’opportunité de désormais vivre en “Centre-Val-de-Loire”, ce qui va absolument tout changer, vous comprenez c’est moderne mais traditionnel et tout. Il faudrait mieux, parce que le pognon dépensé là dedans…

      >”Oh, un peu d’humour, s’il vous plaît. C’est un néologisme humoristique”
      Excusez-moi, je n’avais honnêtement pas compris. L’agacement a fait le reste…<
      J’ai remarqué ça, l’humour passe mal sur internet. Que voulez-vous, on ne va pas se mettre à avoir des smileys de partout, pour remplacer ce qui lors d’une conversation orale est fait par l’intonation et le visage…

      >Tenez, prenons les notes: certains de mes collègues sont déjà passés au “tout-compétence” sans note, et d’autres (dont je suis) font de la résistance, parce que, pour moi, le référentiel de compétences ne permet pas d’évaluer tout ce que je veux faire acquérir à mes élèves.<
      J’ai eu mon Bac en 2008-2009, et à chaque fois que j’entends des enseignants parler de leur boulot, j’ai l’impression que l’on est dans un autre monde que celui que j’ai connu… C’est franchement angoissant, et je ne pense pas que l’éducation y gagne comme service public.

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-jacobin

      [J’ai connu des agrégés qui étaient de bien mauvais professeurs à l’heure de tenir une classe, et des maîtres auxiliaires bien plus compétents… et payés moins qu’un certifié. Il faut attirer de bons éléments dans l’Education nationale, car nous en avons besoin.]

      C’était mon point. Je ne crois pas que l’argument de l’argent soit déterminant dans le recrutement du service public, mais il faut quand même que cela permette aux gens de vivre dignement vis-à-vis de leurs concitoyens (c’est d’ailleurs, historiquement, la raison pour laquelle les fonctionnaires reçoivent un « traitement », et non un salaire). Si l’on veut de « bons éléments », il faut leur offrir une rémunération décente.

      [Mais d’un autre côté, l’enseignant a la sécurité de l’emploi et quatre mois de vacances par an, par conséquent, ramené au temps de travail effectif, 2 000 € net par mois, pardon, ce n’est pas un scandale (enseignant certifié depuis presque 10 ans, mon salaire de base est inférieur à 1 800 € net mensuel).]

      J’ai donné les chiffres un peu au hasard, pour faire passer l’idée. Je suis convaincu aujourd’hui qu’il nous faut une fonction publique plus ramassée et mieux payée. On n’est plus aux temps de Napoléon, quand la quantité pouvait suppléer à la qualité.

      [Ensuite, “tenir” une classe ne peut pas relever uniquement du charisme personnel: il faut que l’institution scolaire soit forte, respectée et jusqu’à un certain point crainte, des élèves comme des parents.]

      Tout à fait d’accord. Les « hussards noirs de la République » avaient des paies misérables, et n’avaient aucune difficulté pour « tenir » leurs classes.

      [« J’attends de voir quel sera le discours de Fillon une fois la primaire terminée. » Vous pensez que Fillon changera de discours une fois investi? Je le crois trop honnête pour remanier en profondeur son programme. C’est un peu le danger d’être désigné sur une ligne “radicale”…]

      Je pense – mais je peux me tromper – qu’il ira de Fillon comme de Trump : à l’usage, il abandonnera les promesses les plus outrancières pour se couler dans un moule plus modéré. Mais vous direz que je suis un indécrottable optimiste… et vous aurez probablement raison.

      [“Car on oublie un peu vite que De Gaulle était lui aussi un conservateur catholique”. Je dois vous dire que d’un point de vue “sociétal”, les positions de Fillon ont plutôt ma sympathie,]

      Mon point n’était pas celui-là. Ce que je voulais dire, c’est qu’aujourd’hui on a fait de De Gaulle une sorte d’icône nationale dont tous les partis se réclament, oubliant que mongénéral était un homme de son époque, plutôt conservateur et réactionnaire sur les questions sociétales. Chez les bienpensants ont vomit Fillon parce qu’il est contre l’avortement, et on porte aux nues De Gaulle qui pourtant avait la même position. Je me demande comment De Gaulle aurait gouverné s’il n’avait pas eu en pendant un PCF très fort et représentatif de la classe ouvrière. Peut-être aurait-il été plus sensible aux thèses des néo-libéraux comme Rueff et beaucoup moins keynésien… un peu comme Fillon!

      [Seulement le sociétal relève pour moi du symbolique. Ce n’est pas négligeable, mais ce n’est pas suffisant: le redressement du pays passe pour moi par une politique économique cohérente qui essaie de procurer du travail à ceux qui n’en ont pas et d’améliorer le niveau de vie des salariés.]

      100% d’accord.

      [Une politique qui, pour cela, se penche sur la question de la production. Or Fillon, comme souvent à droite, me semble prendre le problème par la seule question de la compétitivité (libérer les énergies, supprimer l’ISF en espérant que les riches investiront en France par patriotisme, augmenter le temps de travail, réduire les charges qui écrasent les entreprises, etc). Dans ce modèle, les efforts sont uniquement consentis par les salariés d’une part, et d’autre part je n’ai pas entendu dans la bouche de Fillon une vision de la politique économique du pays, un chantier, un projet dans un secteur donné. Il ne nous parle que de son “remède de cheval”.]

      C’est vrai. Mais Fillon n’est pas un économiste, et n’a aucune appétence particulière pour l’économie. Dans une primaire dont il sait qu’elle se gagne à droite – parce que son rival Juppé occupe la position centriste – il se raccroche donc à la vulgate de sa famille politique. Après la primaire, commencera le travail des « groupes d’experts » dont je me suis laissé dire qu’ils sont plutôt sur une logique industrialiste…

    • @ Descartes,

      “Mais je suis tout aussi angoissé que vous lorsque je vois le programme (ou pré-programme) de Fillon. Justement parce que lorsqu’il s’agit de couper dans la fonction publique, sans préciser, on sait où ça va… Pas vraiment sur la fonction territoriale.”
      C’était mon point. Dans mon esprit, je pensais à des coupes sombres dans la fonction publique d’Etat, mais je ne l’ai pas écrit explicitement, d’où la réaction de Descartes. Cela étant, son idée d’une “fonction publique moins nombreuse mais mieux payée” a selon moi des limites: avec une population qui vieillit, et qui donc a des problèmes de santé, on ne pourra pas dégraisser les hôpitaux à l’infini; on pourra peut-être donner des classes de 30 élèves à des enseignants mieux payés, mais on pourra difficilement travailler dans de bonnes conditions avec 45 élèves par classe; l’évolution de la criminalité et de la délinquance, la menace terroriste, semblent difficilement permettre une baisse des effectifs de la police, de la justice, des surveillants pénitentiaires. Tripler le traitement des fonctionnaires ne leur permettra pas forcément d’abattre trois fois plus de travail…

      “D’ailleurs, vous devez vous réjouir probablement de l’opportunité de désormais vivre en “Centre-Val-de-Loire”,”
      Et je ne vous révélerai pas la somme très confortable qui fut versée à une entreprise de com’ pour dessiner le nouveau logo, que je trouve pour ma part ridicule (il est vrai que je suis partisan de réutiliser la vieille héraldique qui a son charme, c’est mon côté Ancien Régime…).

      “J’ai remarqué ça, l’humour passe mal sur internet.”
      Pourtant, d’habitude, je dois dire que je suis sensible à l’humour, mais là, je suis passé à côté.

      “J’ai eu mon Bac en 2008-2009”
      Le premier changement de programme avec “socle commun de connaissances et de compétences” est arrivé au collège vers 2010. Vous avez donc échappé au “changement de logiciel” de l’Education Nationale.L’éducation n’y gagne rien, mais on s’aligne sur les référentiels européens, voire mondiaux. On rejoint la “norme” chère à nos élites.

    • Mon message précédent s’adressait à Bolchokek et non à Descartes.

    • BolchoKek dit :

      @ N-E

      >l’évolution de la criminalité et de la délinquance, la menace terroriste, semblent difficilement permettre une baisse des effectifs de la police, de la justice, des surveillants pénitentiaires.<
      En effet, mais on revient un peu à la question que comme beaucoup de débats politiques, on s’écharpe dans notre beau pays sur la superficialité des problèmes : “fonctionnaire”, c’est tellement vague… Par ailleurs il est à noter que l’administration pénitentiaire a énormément de mal à recruter. Et mes amis policiers m’ont parlé de la mobilisation générale des forces de sécurité au moment des attentats, dont les effectifs sont déjà assez restreints pour bien remplir leurs missions, et des horaires de dingues qu’ils ont eu pendant plusieurs semaines. Il y a un moment où la qualité ne suffit pas à suppléer à la quantité, et franchement il est assez angoissant de se dire que bien des policiers et gendarmes ont tourné pendant un certain temps avec 3-4h de sommeil par nuit…
      Par ailleurs, pour revenir au sujet d’origine un peu, j’ai pas mal regardé les interventions de Fillon, et il se targue régulièrement d’avoir organisé la privatisation de France Telecom. Ça promet.

      >Et je ne vous révélerai pas la somme très confortable qui fut versée à une entreprise de com’ pour dessiner le nouveau logo, que je trouve pour ma part ridicule<
      Rien que les noms, “Hauts-de-France”, on dirait que l’on a demandé son avis à Monsieur Jourdain… C’est un peu la mentalité de la régionalisation : ça n’a pas à être authentique, il suffit que ça en ait vaguement l’air, un peu comme ces pizzas surgelées “cuites au four à pierre”… Vous savez, nous bretons avons pour ainsi dire inventé le concept, alors…

      >Vous avez donc échappé au “changement de logiciel” de l’Education Nationale.<
      Oh ne vous en faites pas pour moi, même avant j’ai eu ma dose d’étrangeté !

  18. Sébas C. dit :

    Votre définition de la prête à confusion si vous cherchez à la définir d’un point de vue matérialiste.

    – Le prolétaire dans l’acception moderne n’est pas le prole de l’empire romain. La est une définition discriminatoire médiatique trop proche de l’anathème « populiste » – « populisme » à mon goût. Il n’est jamais bon de se battre avec les mots et définitions de l’ennemi.
    – À une époque pas si éloignée on intercalait la entre la bourgeoisie et le prolétariat, généralement pour définir ceux que l’on qualifiait de boutiquiers.
    – La dans l’acception courante est le gros morceau au milieu avec une représentation plus ou moins arithmétique de la chose. Dès lors que les classes populaires gagnent les élections par la majorité des urnes, elles deviennent moyennes ; invalidant de ce fait votre définition.

    Votre représentation me fait penser à celle de l’ancien régime ; quand l’aristocratie intercalant la bourgeoisie entre eux et le peuple parlait de .
    De même que celle des techniciens, ingénieurs et autres salariés hautement qualifiés au service de la bourgeoisie que l’on a qualifiée de classe moyenne, voire même de petite bourgeoisie. Qui n’est que moyenne que tant qu’elle gagne les élections et qui glisse dorénavant vers le prolétariat, ce qu’étymologiquement elle a toujours été.

    Enfin de toute façon je pense qu’il est peut-être erroné de partir d’une vision productive. Définir notre société d’abord comme une société de consommation pour en définir des classes me semblerait plus juste aujourd’hui en France ; comme chez Paul Ariès par exemple.

    Sinon bon article comme d’habitude. Je vous ai mis dans mes flux RSS.

    • Descartes dit :

      @ Sébas C.

      [- Le prolétaire dans l’acception moderne n’est pas le prole de l’empire romain. La est une définition discriminatoire médiatique trop proche de l’anathème « populiste » – « populisme » à mon goût. Il n’est jamais bon de se battre avec les mots et définitions de l’ennemi.]

      Que le prolétaire actuel n’ait que peu de chose à voir avec le « prolétaire » romain, c’est indiscutable. Cependant, la confusion est très fréquente, que ce soit à droite ou à gauche. Vous trouvez encore à l’extrême gauche des gens qui parlent comme si les prolétaires français vivaient comme au XIXème siècle. Or, ce n’est pas le cas. Le « prolétaire » français d’aujourd’hui peut jouir d’un niveau de vie raisonnable, être propriétaire de sa maison, de sa voiture… Le mot « prolétaire » peut faire oublier que ce qui caractérise le prolétariat pour Marx n’est pas la misère, mais l’exploitation.

      [- À une époque pas si éloignée on intercalait la entre la bourgeoisie et le prolétariat, généralement pour définir ceux que l’on qualifiait de boutiquiers.]

      Tout à fait. Mais il s’agissait d’une « petite bourgeoisie » possédant un capital raisonnable, mais pas suffisant pour s’approprier « les grands moyens de production et d’échange ». La couche sociale faisant fructifier un capital essentiellement immatériel n’apparaît vraiment qu’avec les débuts d’une économie de la connaissance et le développement des services intellectuels.

      [- La dans l’acception courante est le gros morceau au milieu avec une représentation plus ou moins arithmétique de la chose. Dès lors que les classes populaires gagnent les élections par la majorité des urnes, elles deviennent moyennes ; invalidant de ce fait votre définition.]

      Je n’ai pas très bien compris votre raisonnement. Pourquoi une classe sociale deviendrait-elle « moyenne » du fait de gagner les élections ? Dans « classe moyenne », le terme « moyen » ne désigne pas une catégorie statistique…

      [De même que celle des techniciens, ingénieurs et autres salariés hautement qualifiés au service de la bourgeoisie que l’on a qualifiée de classe moyenne, voire même de petite bourgeoisie. Qui n’est que moyenne que tant qu’elle gagne les élections et qui glisse dorénavant vers le prolétariat, ce qu’étymologiquement elle a toujours été.]

      Je n’ai rien compris.

      [Enfin de toute façon je pense qu’il est peut-être erroné de partir d’une vision productive. Définir notre société d’abord comme une société de consommation pour en définir des classes me semblerait plus juste aujourd’hui en France ; comme chez Paul Ariès par exemple.]

      Eh bien, c’est un point fondamental de désaccord avec Ariès. C’est le travail productif qui nous constitue socialement en tant qu’êtres humains. Tous les animaux consomment, mais il n’y a qu’un seul capable de produire. Il faut d’ailleurs se demander pourquoi on construit une idéologie qui refuse le protagonisme au producteur pour l’accorder au consommateur. Peut-être s’agit-il de chasser le travailleur du champ politique pour mettre à leur place d’autres couches sociales ?

    • Sébas C. dit :

      [ Je n’ai rien compris.]
      C’est normal il manque plein de mots dans mon commentaire. Comme ça, même moi j’arrive pas à me relire. Problème technique.
      À +

  19. Carnot dit :

    @ Descartes

    Concernant Fillon je rejoins largement votre analyse et je vous accorde que le personnage a des qualités de sérieux et un fond vaguement souverainiste et national qui ne peut pas faire de mal mais je suis malgré tout réellement inquiet de son programme social et économique, et surtout de ses projets pour la fonction publique. Autant sur le plan social ses projets sont tellement brutaux que j’ai du mal à imaginer qu’un gouvernement puisse espérer les mettre réellement en oeuvre sans bloquer totalement le pays autant en matière de fonction publique il aurait sans doute les moyens de faire des dégâts considérables. Les effectifs de l’Etat sont aujourd’hui presque partout en tension, et la fonction publique hospitalière doit suivre la hausse de la demande de soins, il suffirait que le tiers des suppressions de postes promises soient mises en oeuvre pour que cela se traduise par un désastre pour les services publics. Surtout que je ne suis pas sûr qu’il aura le courage de réformer la Constitution afin de pouvoir supprimer librement des postes là où il y a effectivement des emplois publics en surnombre, dans les collectivités. Quant à la politique libérale de baisses d’impôts tous azimuts “to starve the beast”, elle serait désastreuse d’un point de vue budgétaire. Par ailleurs Fillon est le plus fanatique des apologètes du modèle allemand, il faut voir comme il parle des lois Hartz avec des trémolos dans la voix et de l’ordolibéralisme en général… On n’y est pas encore mais je crains que les intérêts nationaux soient de ce point de vue tout autant sacrifiés à une politique économique inspirée par nos “amis” d’outre-Rhin.

    A l’actif, si Fillon devait être élu président, je vois cependant quatre principales choses : sa défense assumée du “tout-nucléaire”, sa volonté de dénoncer la CESDH, son “conservatisme” de bon sens en matière scolaire qui va clairement dans le bon sens et enfin sa fermeté prévisible sur la question du référendum relatif à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

    Par ailleurs, et sur ce point je pense que nous aurons une divergence, je n’apprécie pour ma part pas du tout le tropisme pro-russe de Fillon – et de Marine le Pen d’ailleurs – en politique étrangère. Je n’ai aucune animosité particulière pour la Russie mais force est de constater que celle-ci est aujourd’hui une puissance destabilisatrice de l’ordre international dont la France, en tant que membre permanent du CSONU est l’une des garantes. En laissant sans réagir la Russie saper les règles du système international, en Ukraine, en Syrie ou ailleurs, nous saperions à terme notre propre position de puissance. Par ailleurs il est évident à mon sens que non seulement la France n’a rien à gagner à se rapprocher fortement de la Russie mais que, surtout, c’est réciproque et que la Russie se moque d’une éventuelle alliance avec la France qui ne lui apporterait rien. Par ailleurs il existe dans une partie de la droite une sorte de fascination pour les “hommes forts” qui se traduit par une appétence particulière pour Vladimir Poutine en particulier et les “autocrates nationaux” en général et qui me paraît fort malsaine.

    Par contre effectivement c’est plutôt une “bonne nouvelle” quant à l’évolution du Front national puisque la ligne Philippot devrait en sortir largement renforcée, de ce point de vue un second tour MLP-Fillon serait passionnant à étudier tant il semble probable qu’on y trouverait probablement des contrastes géographiques mais aussi des oppositions de classe très nette. D’autant que, si Fillon conserve son programme en l’Etat la plus grande partie de l’électorat de gauche s’abstiendra en masse dans cette configuration.

    • Descartes dit :

      @ Carnot

      [Concernant Fillon je rejoins largement votre analyse et je vous accorde que le personnage a des qualités de sérieux et un fond vaguement souverainiste et national qui ne peut pas faire de mal mais je suis malgré tout réellement inquiet de son programme social et économique, et surtout de ses projets pour la fonction publique.]

      Je ne vous cache pas que moi aussi. J’attends de voir si ses promesses sont de l’ordre de la séduction en direction d’un électorat particulier qui est celui de la primaire, ou s’il entend vraiment en faire un thème de son gouvernement s’il est élu.

      [Autant sur le plan social ses projets sont tellement brutaux que j’ai du mal à imaginer qu’un gouvernement puisse espérer les mettre réellement en oeuvre sans bloquer totalement le pays autant en matière de fonction publique il aurait sans doute les moyens de faire des dégâts considérables. Les effectifs de l’Etat sont aujourd’hui presque partout en tension, et la fonction publique hospitalière doit suivre la hausse de la demande de soins, il suffirait que le tiers des suppressions de postes promises soient mises en oeuvre pour que cela se traduise par un désastre pour les services publics.]

      Il faut raison garder. D’abord, il n’est pas vrai que la fonction publique soit « partout en tension ». Pour ne vous donner qu’un exemple, les effectifs des services de communication des différentes administrations ont été multipliés par un facteur qui va de cinq à dix dans les vingt dernières années. Je ne pense pas que l’action de l’Etat souffrirait beaucoup si on revenait aux effectifs des services de communication d’il y a vingt ans. Il y aurait aussi beaucoup à dire des effectifs de la fonction publique territoriale, dont les procédures de recrutement sont beaucoup plus politisées, et dont l’accroissement exponentiel a été favorisé par le fait que si l’Etat se serre la ceinture depuis bientôt trente ans, les collectivités, elles, ont vécu une fête continue, qui ne s’arrête que maintenant. J’ai quelques copains qui travaillent à la mairie de Paris, et je peux vous assurer que si on virait tous les fils d’archevêque, on pourrait réduire les effectifs de 20% sans le service rendu aux parisiens ne s’en ressentisse le moins du monde.

      Franchement, je suis moins intéressé – ou effrayé – par les promesses de réduire les effectifs de 500.000 que par la manière dont ces 500.000 seront distribués. Il ne serait pas inutile de se demander quelles sont les fonctions qu’un Etat moderne doit assumer, et abandonner éventuellement des fonctions qui avaient leur importance lorsque Napoléon les avait créées, mais qui sont aujourd’hui obsolètes. Malheureusement, je crains une réédition de la RGPP, qui avait commencé avec la louable intention de réexaminer les politiques publiques, et qui avait fini en foire d’empoigne entre les différents lobbies.

      [Surtout que je ne suis pas sûr qu’il aura le courage de réformer la Constitution afin de pouvoir supprimer librement des postes là où il y a effectivement des emplois publics en surnombre, dans les collectivités.]

      Pas besoin de modifier la Constitution. Il suffit de fermer le robinet des dotations… mais vous avez raison, cela demande beaucoup de courage.

      [Quant à la politique libérale de baisses d’impôts tous azimuts “to starve the beast”, elle serait désastreuse d’un point de vue budgétaire. Par ailleurs Fillon est le plus fanatique des apologètes du modèle allemand, il faut voir comme il parle des lois Hartz avec des trémolos dans la voix et de l’ordolibéralisme en général…]

      La promesse de baisser les impôts fait partie des promesses de séduction classique. Et ce n’est pas parce que vous promettez à une jeune fille de lui décrocher la lune…

      [On n’y est pas encore mais je crains que les intérêts nationaux soient de ce point de vue tout autant sacrifiés à une politique économique inspirée par nos “amis” d’outre-Rhin.]

      J’en doute. J’ai l’impression que Fillon prend ses références plutôt chez les britanniques que chez les allemands. D’ailleurs, les commentateurs ces jours-ci répètent en boucle que les propositions de Fillon ont bien marché dans des pays comme la Suède ou la Grande-Bretagne… mais comme l’a signalé un auditeur agacé ce matin, ils oublient de rappeler que ces pays n’ont pas l’Euro, et qu’ils peuvent donc accompagner la politique de restriction de la dépense publique par une politique de dévaluation compétitive…

      [A l’actif, si Fillon devait être élu président, je vois cependant quatre principales choses : sa défense assumée du “tout-nucléaire”, sa volonté de dénoncer la CESDH, son “conservatisme” de bon sens en matière scolaire qui va clairement dans le bon sens et enfin sa fermeté prévisible sur la question du référendum relatif à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.]

      Je pense que sur beaucoup de sujets, Fillon est proche de De Gaulle. Mais du De Gaulle tel qu’il était, pas le De Gaulle légendaire que le temps et une mauvaise mémoire ont transformé en une sorte de social-démocrate un peu rigide. On oublie que De Gaulle était d’abord un homme de droite, conservateur en matière sociétale mais aussi sociale. Et que c’est un rapport de forces mais aussi de séduction avec le « parti de la classe ouvrière » – exploité, il est vrai, avec une intelligence politique peut commune – qui a fait de lui un personnage récupérable tant par la droite que par la gauche. Le programme économique de Fillon n’est pas beaucoup plus « brutal » que le programme que Rueff et Baumgartner ont mis en œuvre en 1959. Mais à l’époque, De Gaulle avait réussi à montrer qu’il ne s’agissait pas d’un programme d’austérité pour l’austérité, mais d’un programme préparant l’avenir pour tous.

      Fillon sera-t-il capable de faire de même ? Arrivera-t-il comme De Gaulle a distribuer les sacrifices avec justice entre les différentes couches sociales ? Je crains que non : De Gaulle avait pu le faire parce que le PCF faisait peur, et cette peur permettait à mongénéral à imposer des sacrifices aux classes moyennes et à la bourgeoisie. Fillon n’aura pas cet épouvantail à sa disposition et du coup sera poussé fortement à faire imposer tout le poids de sa politique sur les couches populaires. A moins que le FN… on peut toujours rêver, d’autant plus que Philippot a déjà commencé à prendre cette posture !

      [Par ailleurs, et sur ce point je pense que nous aurons une divergence, je n’apprécie pour ma part pas du tout le tropisme pro-russe de Fillon – et de Marine le Pen d’ailleurs – en politique étrangère. Je n’ai aucune animosité particulière pour la Russie mais force est de constater que celle-ci est aujourd’hui une puissance destabilisatrice de l’ordre international dont la France, en tant que membre permanent du CSONU est l’une des garantes.]

      Franchement, parler de la Russie comme « puissance déstabilisatrice » après ce que les américains ont fait en Irak ou en Palestine, c’est faire preuve de comique involontaire. Effectivement, je pense que nous avons sur ce point une divergence. Je pense au contraire que la Russie a plutôt un rôle stabilisateur, et que c’est au contraire le « camp occidental » qui joue un jeu déstabilisateur. Quelquefois volontairement, le plus souvent par indécision ou par bêtise. Prenons quelques exemples si vous le voulez bien :

      Premier exemple : l’Ukraine. Pays situé aux marches de la Russie, il est considéré par Moscou depuis des siècles comme faisant partie de ce glacis qui lui donne la profondeur stratégique permettant de défendre des frontières qu’aucun obstacle naturel ne vient sécuriser. Cette position est connue des occidentaux, et Moscou l’a toujours très clairement réaffirmée. Moscou ne réclame pas une tutelle sur Kiev, mais exige que l’Ukraine soit neutralisée, qu’elle n’adhère à aucun bloc. Et voici voilà que l’UE vient signer un accord qui fait rentrer l’Ukraine dans son orbite, fait miroiter une éventuelle adhésion. Et voici voilà que l’OTAN fait miroiter une possible adhésion à l’Alliance. Qui joue là dedans un « rôle destabilisateur » ? Celui qui fait connaître clairement ses intentions et ses lignes rouges – par ailleurs fort raisonnables ? Ou celui qui joue sur les incertitudes, qui dit un jour une chose et le jour suivant le contraire ?

      Deuxième exemple : la Syrie. Ce pays a un gouvernement légitime, internationalement reconnu. Dont on peut certes dire beaucoup de mal, mais qui au moins garantit une certaine prévisibilité, un certain ordre, une certaine paix. Les Russes là encore ont été toujours très clairs : Bachar Al-Assad est pour eux un allié, son gouvernement est légitime et c’est une garantie de stabilité pour la région, ils le soutiendront. Et en face, qu’est ce qu’on voit ? Les américains, les français et les autres qui un jour menacent de bombarder, le suivant n’en veulent plus, qui soutiennent les rebelles mais pas tous et pas tout le temps, qui combattent le terrorisme mais tolèrent les interventions des puissances sunnites qui l’alimentent… de quel côté est la « stabilité », et de quel côté « l’instabilité » ?

      Je ne suis pas un adorateur de Poutine, mais je ne peux que constater qu’il a repris une tradition diplomatique héritée de l’URSS et profondément marquée par les années 1920 et 1930. Cette diplomatie a cherché constamment le même résultat : non pas l’extension, mais la protection des frontières contre toute agression étrangère. Entre 1920 et aujourd’hui, l’URSS puis la Russie n’est jamais intervenue hors de ses frontières avec une vision expansionniste, que ce soit pour conquérir du territoire ou pour mettre en place un gouvernement favorable à ses intérêts économiques. A chaque fois, les interventions ont été motivées par la crainte de voir s’installer à ses portes un régime hostile qui pourrait menacer ses frontières. Déjà à Yalta, le découpage de la « zone d’influence » soviétique avait pour seul but de définir un « glacis » pour donner à l’URSS une profondeur stratégique empêchant « Barbarossa » de se reproduire.

      C’est cette politique essentiellement défensive qui fait que l’URSS puis la Russie ont joué un rôle stabilisateur en politique internationale, préférant à chaque fois le maintien du statu quo à n’importe quelle aventure. Et je trouve très encourageant que Fillon parte sur une logique internationale plus équilibrée que son prédécesseur ?

      [En laissant sans réagir la Russie saper les règles du système international, en Ukraine, en Syrie ou ailleurs, nous saperions à terme notre propre position de puissance.]

      Je ne vois pas très bien de quelles « règles du système international » vous voulez parler. Le principe de l’intangibilité des frontières a été réduit en poussière lorsque l’OTAN a bombardé la Serbie pour détacher une province Serbe, le Kossovo, et en faire un état indépendant. On ne peut pas participer au dépècement de la Serbie et ensuite invoquer la sacralité des « règles du système international » quand la Russie fait la même chose en Crimée.

      Pour ce qui concerne la Syrie, il n’est pas inutile de rappeler que le gouvernement de Bachar el-Assad est le gouvernement légitime reconnu par la collectivité internationale. On voit mal quelles sont les « règles du système international » que la Russie viole en lui prêtant secours à sa demande. Par contre, on peut s’interroger sur la conformité aux « règles » en question de l’aide fournie par les pays occidentaux – et par certaines puissances sunnites – aux rebelles insurgés contre le gouvernement…

      [Par ailleurs il est évident à mon sens que non seulement la France n’a rien à gagner à se rapprocher fortement de la Russie mais que, surtout, c’est réciproque et que la Russie se moque d’une éventuelle alliance avec la France qui ne lui apporterait rien.]

      Je crois que vous vous trompez sur les deux tableaux. Pour avoir trempé un peu dans les rapports franco-russes, je peux vous assurer que la parole de la France a du poids à Moscou, et que la Russie est très sensible aux positions prises par la France, au point que même après la fâcherie syrienne, la Russie a fortement tenu à ce que les groupes de coopération bilatérale continuent à se réunir. Pensez aussi à l’affaire des « Mistral » : pourquoi croyez-vous que la Russie a été aussi compréhensive, et a cherché à régler cette affaire à l’amiable et sans créer des rancœurs inutiles ? La France de son côté a beaucoup à gagner à des bons rapports avec la Russie. C’est vrai évidement du point de vue économique et industriel. C’est encore plus vrai du point de vue stratégique : des bons rapports avec la Russie permettent plus facilement de s’affranchir de la tutelle américaine, comme mongénéral l’avait très bien compris.

      [Par ailleurs il existe dans une partie de la droite une sorte de fascination pour les “hommes forts” qui se traduit par une appétence particulière pour Vladimir Poutine en particulier et les “autocrates nationaux” en général et qui me paraît fort malsaine.]

      Vous devriez discuter avec quelques russes sur ce que furent les années Eltsine… je pense que cela vous donnerait une perspective. Ce n’est pas un hasard si la Russie a vu se succéder des « hommes forts ». Dans une tradition politique chaotique, celle d’un pays immense et sous administré, d’une société d’une violence inimaginable chez nous, il faut une incarnation du pouvoir qui soit terrible. C’est le Léviathan de Hobbes dans toute sa splendeur. Je ne sais pas si la droite est fascinée par les « hommes forts », ou si c’est la personnalité de Poutine qui attire. Mais il faut reconnaître à Poutine une capacité extraordinaire de remettre son pays sur pied.

      [Par contre effectivement c’est plutôt une “bonne nouvelle” quant à l’évolution du Front national puisque la ligne Philippot devrait en sortir largement renforcée,]

      Philippot est déjà sorti du bois pour dénoncer la « violence inouïe » du programme de Fillon et le dénoncer comme « ultralibéral et clairement pour l’austérité ». Exactement le langage qu’on aurait attendu du PCF il y a trente ans…

      [de ce point de vue un second tour MLP-Fillon serait passionnant à étudier tant il semble probable qu’on y trouverait probablement des contrastes géographiques mais aussi des oppositions de classe très nette.]

      Effectivement, ça risque d’être intéressant. Le danger, c’est que dans l’Assemblée nationale qui sera issue du scrutin de juin, le PCF soit balayé et le FN soit seul en mesure de jouer le rôle d’opposition « ouvrière » – car on voit mal les socialistes après cinq ans hollandiens dénoncer le « libéralisme » du gouvernement avec une once de crédibilité.

    • Luxy Luxe dit :

      @Descartes et Carnot

      Superbe échange, merci de ces réflexions.

  20. @Descartes

    “Je ne pense pas qu’on puisse tenir Fillon pour responsable du bilan politique de la présidence Sarkozy, et encore moins sur les questions de politique étrangère.”

    Pourquoi donc ? Il pouvait démissionner à n’importe quel moment, il ne l’a pas fait. Il est donc co-responsable du bilan de Sarkozy, guerre franco-libyenne inclue.

    • Descartes dit :

      @Johnathan R. Razorback

      [« Je ne pense pas qu’on puisse tenir Fillon pour responsable du bilan politique de la présidence Sarkozy, et encore moins sur les questions de politique étrangère. » Pourquoi donc ? Il pouvait démissionner à n’importe quel moment, il ne l’a pas fait.]

      Dans ces conditions, il faut associer au bilan politique de la présidence Sarkozy tous les fonctionnaires de France : ils pouvaient démissionner à n’importe quel moment, ils ne l’ont pas fait.

    • Françoise dit :

      au pseudo D
      cette réponse est vraiment bizarre de votre part
      vous nous aviez habitués à mieux

    • Descartes dit :

      @ Françoise

      [vous nous aviez habitués à mieux]

      Vous, non.

  21. BJ dit :

    Je viens d’aller faire un tour sur le site du FN pour voir quelle est sa position sur l’Europe. Et contrairement à ce que je pensais, le FN n’a pas pour projet de sortir de l’Europe. http://www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/politique-etrangere/europe/
    Extraits (paragraphe “Positions”):
    « il convient d’initier une renégociation des traités »
    « Il faut désormais jeter les bases d’une Europe respectueuse des souverainetés populaires »
    Donc, – comme Mélenchon – il ne s’agit pas de quitter l’Europe mais de faire une autre Europe.
    Décidément, aucun parti ne propose la sortie de l’UE et le retour aux Etats-Nations.

    • Descartes dit :

      @ BJ

      [Je viens d’aller faire un tour sur le site du FN pour voir quelle est sa position sur l’Europe. Et contrairement à ce que je pensais, le FN n’a pas pour projet de sortir de l’Europe.]

      Ca veut dire quoi « sortir de l’Europe » ? L’Europe est une réalité physique. Quelque soient les décisions politiques prises, la France aura toujours pour voisins l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie, la Suisse, l’Espagne et la Grande-Bretagne. On sera toujours en Europe, et personne ne parle de « sortir » du continent.

      Ce qui sépare les souverainistes des européistes – qu’ils soient partisans de « cette Europe » ou de « l’autre Europe » n’est pas la question de la « sortie de l’Europe », mais la question de la supranationalité. En d’autres termes, doit on construire des accords européens qui respectent la souveraineté des Etats, ou doit-on au contraire limiter celle-ci pour transférer des pouvoirs à une structure supranationale ?

      De ce point de vue, le programme du FN prend clairement position pour la première option. Lorsque le texte dit « il convient d’initier une renégociation des traités », c’est pour préciser que l’objectif est de « jeter les bases d’une Europe respectueuse des souverainetés populaires ». En d’autres termes, une Europe sans structures supranationales.

      [Donc, – comme Mélenchon – il ne s’agit pas de quitter l’Europe mais de faire une autre Europe.]

      Non. « l’autre Europe » de Mélenchon est une Europe supranationale. C’est pourquoi il parle de « réformer la BCE », par exemple. L’autre Europe du FN exclut toute limitation de souveraineté, et donc toute supranationalité. C’est une Europe ou les acteurs sont les Etats-Nations.

      [Décidément, aucun parti ne propose la sortie de l’UE et le retour aux Etats-Nations.]

      Mais ça veut dire quoi, le « retour aux Etats-Nations » ? Les Etats-Nations européens n’ont jamais été isolés. Ils ont toujours signé des accords et des traités, bilatéraux et multilatéraux, entre eux. Ont-ils pour autant été moins « Etat-nations » ? Encore une fois, la question n’est pas un « retour aux Etats-nations », mais un retour à la souveraineté nationale. Et cela figure très clairement dans le programme du FN lorsqu’il est précisé que « Un ministère des Souverainetés coordonnera la renégociation des Traités et LA RESTAURATION DE NOTRE SOUVERAINETE NATIONALE DANS L’ENSEMBLE DES DOMAINES OU ELLE A DISPARU » (souligné dans l’original). A ma connaissance, le FN est le seul « grand » parti politique à prendre une position claire sur le sujet – et croyez-moi, ça ne me fait guère plaisir. Il y en a d’autres acteurs qui sont sur cette position, mais il s’agit de personnalités isolées ou de petites organisations.

    • BJ dit :

      @ Descartes

      [Ca veut dire quoi « sortir de l’Europe » ?]

      J’ai en effet fait trop court.
      J’aurais dû préciser “sortir de l’Europe, entité supranationale”.
      Je ne voulais évidemment pas dire “sortir de l’Europe, entité géographique”.

      [En d’autres termes, une Europe sans structures supranationales.]

      Je trouve que c’est une interprétation que vous faites.
      Je ne vois pas comment une structure politique européenne pourrait ne pas être supranationale.
      Ou alors ce n’est pas un organisation politique, mais un “machin”.

      [ça veut dire quoi, le « retour aux Etats-Nations »]

      Ça veut dire ce que vous dites plus haut : une Europe (ou toute autre entité géographique) où les acteurs sont les Etats-Nations

      [Les Etats-Nations européens n’ont jamais été isolés]

      Je ne pense pas avoir dit ça.

      [la question n’est pas un « retour aux Etats-nations », mais un retour à la souveraineté nationale]

      Quelle est la différence ?
      Peut on avoir la souveraineté nationale hors d’un Etat-nation ?

      [Un ministère des Souverainetés coordonnera la renégociation des Traités]

      Qu’il y a-t-il à renégocier ?
      Ces traités ont justement pour objectif de soustraire leur souveraineté aux Etats-nations !

      [A ma connaissance, le FN est le seul « grand » parti politique à prendre une position claire sur le sujet]

      Je trouve au contraire que ce n’est pas clair.
      Renégocier, ça veut dire qu’on veut changer les règles de la structure (supranationale par essence).
      Pas qu’on veut la quitter (seul préalable à la récupération de la souveraineté nationale).
      Une fois la souveraineté nationale récupérée, on peut établir tous les accords bi ou multilatéraux qu’on veut.
      Ce texte du FN peut prêter à toutes les interprétations, selon la direction du vent…

    • Descartes dit :

      @BJ

      [Je ne vois pas comment une structure politique européenne pourrait ne pas être supranationale.]

      Il y a beaucoup d’organisations internationales qui ne sont pas supranationales et qui sont cependant très utiles : l’Agence internationale de l’énergie atomique est un bon exemple, mais il y en a d’autres : Le Bureau international du travail, le tribunal international du droit de la mer…

      Maintenant, si pour vous une « organisation politique » implique une autorité capable d’imposer des choses aux états sans leur accord, oui, il ne peut y avoir de « organisation politique » qui ne soit pas supranationale.

      [« ça veut dire quoi, le « retour aux Etats-Nations » » Ça veut dire ce que vous dites plus haut : une Europe (ou toute autre entité géographique) où les acteurs sont les Etats-Nations]

      Et bien, dans la mesure où les nouveaux traités que le FN propose de négocier doivent préserver la souveraineté des nations, cette proposition équivaut à un « retour aux Etats-Nations ».

      [« Un ministère des Souverainetés coordonnera la renégociation des Traités » Qu’il y a-t-il à renégocier ? Ces traités ont justement pour objectif de soustraire leur souveraineté aux Etats-nations !]

      Les traités tels qu’ils sont, oui. Les traités « renégociés » n’auront pas nécessairement le même objectif que les traités existants.

      [Renégocier, ça veut dire qu’on veut changer les règles de la structure (supranationale par essence).]

      Non. Renégocier, ça veut dire qu’on ré-ouvre la négociation qui a abouti au traité. Le résultat d’une renégociation peut être une modification des règles d’une structure, mais aussi du changement de l’essence de l’institution. J’ai l’impression que vous donnez au terme « renégocier » un sens très restrictif.

      [Pas qu’on veut la quitter (seul préalable à la récupération de la souveraineté nationale).]

      Mais qui veut la quitter ? Si on trouve une structure qui permet de coopérer en Europe sans porter atteinte à la souveraineté des nations, qui dirait « non, moi je veux qu’on s’en aille quand même » ? Personne, bien entendu. Mais en faisant de la souveraineté nationale la ligne rouge à ne pas franchir, il ne reste plus que deux options : la sortie ou la disparition de l’UE…

      [Ce texte du FN peut prêter à toutes les interprétations, selon la direction du vent…]

      Toutes, non. Il en exclue une : le fait que la France reste dans une structure supranationale.

    • BJ dit :

      [J’ai l’impression que vous donnez au terme « renégocier » un sens très restrictif.]

      Dans le contexte de l’UE telle qu’elle est, non. L’UE actuelle c’est : l’Europe, tu l’aimes ou tu la quittes.

      [Toutes, non. Il en exclue une : le fait que la France reste dans une structure supranationale.]

      Je trouve que vous voyez dans la position du FN ce que vous voulez y voir. Nulle part il est écrit qu’en cas d’échec de la “renégotiation”, le FN souhaite quitter l’Europe. Et quand bien même on considérerait, comme vous, que cela va de soi, nulle part il est écrit comment on s’y prendrait alors, et quelles en seraient les conséquences (cout-bénéfice).
      Mon interprétation est que la volonté affichée du FN de quitter une organisation supranationale n’est qu’un argument électoral (la lune à décrocher de votre analogie).
      Et ça n’est pas un procès d’intention de ma part. Dire ce que l’on veut faire sans expliquer comment on le fera, n’a pas de sens. Ou bien le FN sait très bien comment il s’y prendrait, et alors pourquoi n’en dit-il mot (ne pas effrayer l’électeur, sans doute), ou bien il ne le sait pas et ce ne sont alors que des aventuriers démagogues.
      Sauf à trouver un texte du FN qui explique tout cela, sa position affichée n’est pour moi pas crédible.
      C’est juste une promesse électorale, et les promesses n’engagent que ceux qui les croient.

    • Descartes dit :

      @ BJ

      [Dans le contexte de l’UE telle qu’elle est, non. L’UE actuelle c’est : l’Europe, tu l’aimes ou tu la quittes.]

      Je ne le crois pas. Regardez l’affaire britannique : après le vote pour le Brexit, ni les britanniques ni l’UE ne souhaite couper touts les liens. S’ouvrira une négociation où seront discutés les liens entre la Grande-Bretagne et l’Europe, et ces liens devront respecter le principe de souveraineté nationale. Dans ce contexte, on peut dire que la Grande Bretagne aura quitté l’UE, mais on peut aussi dire qu’elle est restée en « renégociant » sa participation.

      [« Toutes, non. Il en exclue une : le fait que la France reste dans une structure supranationale ». Je trouve que vous voyez dans la position du FN ce que vous voulez y voir. Nulle part il est écrit qu’en cas d’échec de la “renégociation”, le FN souhaite quitter l’Europe.]

      Il est clairement écrit que le résultat de cette « renégociation » doit respecter le principe de souveraineté nationale. On voit mal comment on pourrait respecter ce principe si on se disait qu’en cas d’échec des négociations on continue comme avant.

      [Et quand bien même on considérerait, comme vous, que cela va de soi, nulle part il est écrit comment on s’y prendrait alors, et quelles en seraient les conséquences (cout-bénéfice).]

      C’est vrai. Mais c’est là un autre problème. On peut reprocher au programme du FN son manque de détail sur le processus, mais on ne peut pas pour autant affirmer que le FN est devenu tout comme Mélenchon adepte de « l’autre Europe » ou qu’il ne proposerait pas le retour à la souveraineté nationale.

      [Mon interprétation est que la volonté affichée du FN de quitter une organisation supranationale n’est qu’un argument électoral (la lune à décrocher de votre analogie).
      Et ça n’est pas un procès d’intention de ma part. Dire ce que l’on veut faire sans expliquer comment on le fera, n’a pas de sens.]

      Dans ce cas il faut mettre dans la catégorie « la lune à décrocher » les 99/100èmes des programmes politiques, y compris les plus respectables comme celui du CNR. Je ne partage pas votre conclusion : un programme politique doit bien entendu proposer des mesures concrètes et détailler les moyens et la mise en œuvre, mas est là aussi pour poser des principes.

      [Ou bien le FN sait très bien comment il s’y prendrait, et alors pourquoi n’en dit-il mot (ne pas effrayer l’électeur, sans doute), ou bien il ne le sait pas et ce ne sont alors que des aventuriers démagogues.]

      Lorsque le 18 juin 1940 De Gaulle propose de rendre à la France sa souveraineté, croyez-vous vraiment qu’il sait comment faire ? Non, bien sur que non. Dans beaucoup de politiques, on fait le chemin en marchant. Eh oui, l’action politique c’est aussi une « aventure ». Le simple fait de fixer un objectif est quelquefois un acte politique, et n’a rien de démagogique si celui qui le fixe a la ferme intention de se donner les moyens de l’atteindre.

      Mais de toute façon, la question est sans importance. Marine Le Pen ne sera pas présidente de la République, et elle n’aura donc pas l’opportunité de mettre en œuvre un processus de sortie de l’UE, quand bien même il aurait été décrit dans son programme à la virgule près. Il n’est important que par le sens que l’électorat lui donne. Le fait que la restauration de la souveraineté nationale figure dans le programme du FN et que 28% des électeurs lui accordent leur suffrage montre qu’il existe au moins 28% d’électeurs qui veulent que la souveraineté nationale soit restaurée. Ce que pense sur la question Marine Le Pen au fond de son âme, le fait de savoir si une fois élue elle tiendrait cette promesse ou si elle la trahirait est sans importance.

    • BJ dit :

      @ Descartes

      [mais on peut aussi dire qu’elle est restée en « renégociant » sa participation.]

      Non. La question du référendum était claire : « Le Royaume-Uni doit-il rester un membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? »
      Et rien d’autre.
      Les électeurs ont majoritairement voté en faveur de la sortie de l’Union européenne.
      Qu’ensuite l’Etat Royaume Uni discute avec l’UE est dans la logique des choses, comme il le ferait avec n’importe quel autre Etat
      La logique du Brexit était “on quitte d’abord, et on discute ensuite”.
      La logique du FN est “on discute d’abord, et si on ne se met pas d’accord… on sait pas ce qu’on fait”.
      Ça fait un sacré distinguo.

      [Lorsque le 18 juin 1940 De Gaulle propose de rendre à la France sa souveraineté, croyez-vous vraiment qu’il sait comment faire ?]

      Je trouve la comparaison osée, mais bon…

      [Mais de toute façon, la question est sans importance… …montre qu’il existe au moins 28% d’électeurs qui veulent que la souveraineté nationale soit restaurée.]

      Je suis d’accord avec vous

      [Marine Le Pen ne sera pas présidente de la République, et elle n’aura donc pas l’opportunité de mettre en œuvre un processus de sortie de l’UE]

      Je le pense aussi.
      Je note cependant qu’à propos du Brexit et de Trump, l’avis dominant était que ça n’arriverait pas.
      Du coup, je le pense moins fort…

    • Descartes dit :

      @ BJ

      [La question du référendum était claire : « Le Royaume-Uni doit-il rester un membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? » Et rien d’autre. Les électeurs ont majoritairement voté en faveur de la sortie de l’Union européenne.]

      Certes. Mais la question portait sur l’Union européenne telle qu’elle est. Elle ne permet pas de dire que les britanniques se sont prononcés pour rejeter par avance toute structure européenne – même supranationale. En d’autres termes, si une renégociation des traités avec pour résultat de mettre en place une « autre Europe », la question de savoir si le résultat du référendum empêcherait les britanniques d’y adhérer n’est pas tranchée.

      [La logique du Brexit était “on quitte d’abord, et on discute ensuite”. La logique du FN est “on discute d’abord, et si on ne se met pas d’accord… on sait pas ce qu’on fait”. Ça fait un sacré distinguo.]

      Pas tout a fait. La logique exprimée dans le programme du FN est « on discute d’abord, et cette discussion doit aboutir à la fin de la supranationalité ». Cela implique clairement qu’en absence d’accord, les traités actuels soient dénoncés. Je vous dirai que la solution du FN ne me convient pas, que j’aurais préféré une prise de position encore plus nette. Mais de là à dire qu’il n’y a pas de différence entre la « renégociation sous condition de la fin de la supranationalité » du FN et la « renégociation sous condition d’Europe sociale » de Mélenchon…

      [« Lorsque le 18 juin 1940 De Gaulle propose de rendre à la France sa souveraineté, croyez-vous vraiment qu’il sait comment faire ? » Je trouve la comparaison osée, mais bon…]

      Je ne le crois pas. L’exemple donné – qui n’est pas une comparaison – est bien entendu extrême, mais c’est pour bien illustrer le point. Demander aux hommes politiques de détailler précisément dans leur programme la procédure exacte pour atteindre tous leurs objectifs, c’est une demande excessive, surtout quand la procédure implique une négociation avec des parties extérieures. Sur certains points, un programme doit démontrer que l’objectif est atteignable et qu’on sait comment l’atteindre. Sur d’autres, la définition d’un objectif et des « lignes rouges » pour l’atteindre c’est déjà pas mal.

      [Je note cependant qu’à propos du Brexit et de Trump, l’avis dominant était que ça n’arriverait pas.
      Du coup, je le pense moins fort…]

      Ce n’est pas tout à fait vrai. Pour le Brexit, on savait depuis fort longtemps que les britanniques étaient en grande majorité eurosceptiques, et qu’il y avait un courant d’opinion puissant pour la sortie de la Grande Bretagne. On ne peut pas dire que le Brexit soit un éclair dans un ciel bleu. Pour Trump, il est vrai qu’on s’est convaincu pendant longtemps que c’était un clown qui allait se dégonfler tout seul. Mais il ne faut quand même pas oublier que Trump a fait sa campagne à l’intérieur d’un des partis de l’establishment, parti qui a fait élire plusieurs présidents par le passé. Le fait qu’une personnalité comme Trump gagne est un événement inattendu. Mais le fait que le candidat républicain gagne l’élection, non. Dans le cas de Marine Le Pen, sa victoire serait non seulement une surprise sur le plan personnel, mais sur le plan politique. En fait, Trump fait plus penser à Hollande qu’à Le Pen : l’outsider dans un parti politique « de gouvernement » qui arrive à gagner la primaire.

  22. Anne Iversaire dit :

    @Descartes

    [à propos de la Russie “d’une société d’une violence inimaginable chez nous,”]

    Vous pouvez préciser ?

    • Descartes dit :

      @ Anne Iversaire

      [“à propos de la Russie “d’une société d’une violence inimaginable chez nous,” Vous pouvez préciser ?]

      Je parlais bien entendu au sens historique du terme. Les rapports sociaux dans la Russie d’avant 1917 étaient d’une violence difficile à imaginer en France. Ainsi, l’esclavage reste important dans les campagnes russes jusqu’au début du XVIIIème siècle, et le servage subsiste jusqu’en 1861, date à laquelle plus d’un tiers des habitants de la Russie avaient le statut de serf. Cela donnait des révoltes paysannes périodiques d’une rare violence, avec massacres des propriétaires terriens et représailles collectives sur la population. La consommation massive d’alcools de fabrication locale et souvent clandestine n’arrangeant rien. Les pogroms contre les juifs et certaines minorités étaient eux aussi courants. Le banditisme de grand chemin était encore habituel jusque dans les années 1920… et je pourrai continuer la liste.

      Cela se traduit d’ailleurs dans la tradition politique. Comme disait je ne sais plus qui, la Russie est une autocratie tempérée par le meurtre. Le magnicide est une tradition largement pratiquée en Russie, tout comme l’assassinat de dirigeants politiques, ministres, conseillers, etc…

    • BolchoKek dit :

      > La consommation massive d’alcools de fabrication locale et souvent clandestine n’arrangeant rien. Les pogroms contre les juifs et certaines minorités étaient eux aussi courants. Le banditisme de grand chemin était encore habituel jusque dans les années 1920… et je pourrai continuer la liste.<
      Il faut noter d’ailleurs, et pour rajouter à ce que dit Descartes, que la Russie est un pays immense. La France est un quart de timbre poste dans l’imaginaire Russe, on oublie cela trop souvent. La Sibérie, et surtout l’histoire de son peuplement, est fascinante. La vision dominante nous donne l’image d’une “conquête de l’ouest” glorieuse aux USA, mais la Sibérie n’est apparemment qu’un goulag géant. En fait, c’est plutôt le contraire : la Sibérie c’était certes pour certains les travaux forcés, mais pour beaucoup, c’était aussi la liberté. L’Etat Tsariste y avait un faible contrôle sur les populations, ce qui permettait à beaucoup de serfs de s’échapper et de vivre en hommes libres. Les hivers y sont plus rudes qu’en Russie européenne, mais aussi bien plus prévisibles, et la quantité de terres arables a fait que beaucoup y ont trouvé leur fortune. Je crois me souvenir d’un chroniqueur occidental au XVIIIe siècle qui avait traversé l’Oural, et si à l’ouest avait trouvé une paysannerie miséreuse, dans laquelle les hommes se saoulaient dès qu’ils trouvaient la moindre liqueur, avait été surpris par la relative qualité de vie des paysans sibériens.
      L’histoire de la “conquête de l’est” Russe est bien plus intéressante en vérité que son pendant américain, mais que voulez vous…

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