Puigdemont au bagne!

Le drame – ou plutôt la saynète – de l’indépendance catalane continue à défrayer la chronique. Après le vote d’une motion d’indépendance par le parlement régional, Madrid a, comme c’était prévisible, mis en route le processus constitutionnel de destitution du gouvernement régional et de suspension de l’autonomie. La justice espagnole a, de son côté, engagé le processus judiciaire à l’encontre des hauts fonctionnaires et dirigeants élus qui ont participé à ces évènements. Cette réaction des autorités espagnoles ont donné lieu en Espagne mais aussi chez nous, et c’était là aussi prévisible, à toutes sortes de dénonciations de l’inacceptable « répression » contre les dirigeants indépendantistes. On est allé jusqu’à assimiler les dirigeants arrêtés aux prisonniers politiques sous le régime franquiste… c’est dire si l’affaire est grave aux yeux de nos redresseurs de torts préférés.

 

Ces discours ont de quoi surprendre. Car que reproche-t-on aux personnalités en question ? Rien, quelques broutilles : d’avoir abusé de leur pouvoir en excédant les compétences des fonctions pour lesquelles ils ont été élus, d’avoir refusé dans l’usage de leurs fonction d’appliquer les décisions contraignantes des juges, et d’avoir porté atteinte à l’intégrité du territoire national de l’Espagne. Je ne connais pas le code pénal espagnol, mais on peut se demander quelles sont les peines qu’encourrait un élu qui en France ferait de même. Ainsi, le « fait pour la personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende » (code pénal, art 432-1). Et ne parlons pas du fait de participer à un mouvement portant atteinte à l’intégrité du territoire national, puni de 15 ans d’emprisonnement (code pénal, art 412-4).

 

Il faut appeler un chat un chat : ces délits sont parmi les plus graves qui puissent être commis par un agent public, un dirigeant politique. Et ce n’est pas par le caprice du législateur, mais pour une raison très simple : si l’agent investi de l’autorité publique peut faire ce que lui dicte son bon plaisir sans limites, plus personne n’est en sécurité. Nous, pauvres citoyens, donnons à nos élus des pouvoirs qui sont exorbitants du droit commun. Par notre mandat, ils disposent de l’argent public, de la force armée, du pouvoir de faire des règles auxquelles nous sommes contraints – par la force si nécessaire – d’obéir. Et ces pouvoirs nous leur accordons en échange d’une seule promesse : de les exercer dans les limites que leur fixe la loi. Que le citoyen viole la loi, c’est grave. Mais que le citoyen investi du pouvoir public, qui est censé faire la loi et la faire observer, fasse de même, c’est inacceptable, et ne saurait être toléré. Que la justice ouvre une procédure contre ceux qui ont commis ces graves délits n’a donc rien de surprenant. Et pour ceux qui sont attachés au gouvernement républicain, fondé sur la responsabilité des élus, ces actions sont plus à applaudir qu'à blâmer. Du moins si l’on prend au sérieux les actes des élus catalans.

 

Mais faut-il les prendre au sérieux ? A lire une partie des expressions politiques – notamment celles venant de la gauche – on arriverait à la conclusion contraire. A les entendre, Puigdemont et les siens doivent être traités comme on traiterait des étudiants turbulents qui auraient voté une motion dans une assemblée générale universitaire. Puisque ce vote ne porte pas à conséquence, qu’il n’y a pas mort d’homme, aucune raison de les poursuivre.

 

Cette réaction est en elle-même très révélatrice d’un trait dominant dans la politique des nations de l’Europe occidentale, qui se caractérise de plus en plus par un comportement infantile des dirigeants et des élites politico-médiatiques. Naguère, l’arène politique était un lieu tragique, ou se jouait l’avenir des peuples, la vie et la mort des nations. Les dirigeants politiques avaient droit aux honneurs et au respect parce qu’ils portaient sur leurs épaules la responsabilité de décisions graves. Aujourd’hui, ce sont des enfants au point qu’il serait presque indécent de les mettre en prison lorsqu’ils ont trahi de manière évidente leur mandat.

 

Cette infantilité est visible dans la légèreté avec laquelle des décisions qui engagent le crédit et la vie de la nation sont prises. Quelques exemples ? En voici un : on découvre qu’une erreur juridique dans la conception d’une taxe va couter à l’Etat une dizaine de milliards d’Euros, et bien entendu personne n’est responsable. En voici un autre : l’avenir de notre parc nucléaire de production d’électricité, qui vaut bon an mal an une cinquantaine de milliards d’euros, est suspendu à des obscurs débats politicards, et aucune décision n’est prise parce que personne n’est capable de l’assumer. Et le pire, c’est que cette légèreté n’est pas nouvelle : elle rappelle singulièrement la France de 1939-40 telle que décrite par Marc Bloch dans « L’étrange défaite », cette époque ou la date de la mobilisation de nos armées était décidée sous la pression du lobby des « pinardiers ».

 

Il ne faut pas non plus oublier que dans notre monde politico-médiatique le poids de ceux dont la formation politique s’est faite dans la politique étudiante n’a jamais été aussi fort. Ceci explique peut-être une partie du phénomène. Car si quelque chose caractérise la politique universitaire, c’est son rapport très lointain avec la dure réalité du monde. Et ceux qui ont participé à des assemblées générales universitaires peuvent en témoigner. Ou mieux que là peut-on voter des motions qui n’ont aucune raison de recevoir un commencement d’exécution, qui n’auront la moindre conséquence sur le réel ? Oui, vous avez raison, il y a aussi le Parlement Européen…

 

Descartes

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35 réponses à Puigdemont au bagne!

  1. Gérard Jeannesson dit :

    Tout à fait pertinent.

  2. CVT dit :

    @Descartes,
    donc, j’avais raison depuis trois semaines: l’indépendance de la Catalogne était une pantalonnade, et d’ailleurs, c’est un peu grâce à vous que je l’ai devinée lorsque que vous aviez cité Mongénéral, qui affirmait que première reculade préparait toutes les autres; car Puigdemont a reculé devant la détermination du gouvernement espagnol. Pire, il a probablement réveillé le nationalisme espagnol en exaspérant et en persécutant les résidants non-Catalans…
    Plus comique, l’affaire Puigdemont est aussi devenue une blague belge: les séparatistes flamands de la N-VA, majoritaires dans le nord de la Belgique, sont venus à la rescousse du séditieux catalan en l’accueillant à Bruxelles, et en lui fournissant des conseillers judiciaires, provoquant ainsi une mini-crise gouvernementale. Le pire, c’est que le premier ministre Michel, un francophone, a tenté en vain de prévenir cette crise en dénonçant vigoureusement la répression policière des Catalans par le gouvernement Rajoy, mais rien n’y a fait: la bêtise flamingante (comme on désigne là-bas les indépendantistes flamandes) aura été la plus forte, et le ministre de l’Intérieur N-VA Théo Franken a porté secours à son collègue régionaliste, et dans le même élan, appliqué le mandat d’arrêt européen lancé par le gouvernement espagnol… Vous parliez d’inconsistance, de palinodie et d’irresponsabilité de nos dirigeants ? En voici la preuve…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [donc, j’avais raison depuis trois semaines: l’indépendance de la Catalogne était une pantalonnade, et d’ailleurs, c’est un peu grâce à vous que je l’ai devinée lorsque que vous aviez cité Mongénéral, qui affirmait que première reculade préparait toutes les autres; car Puigdemont a reculé devant la détermination du gouvernement espagnol.]

      Oui, mais cette « reculade » était inscrite dans le processus. Pour faire une révolution – et l’indépendance est une forme de révolution – il faut avoir un projet institutionnel. Il faut avoir une idée d’un ordre nouveau qui se substituera à un ordre ancien. Or, le « projet » qui unit les indépendantistes se réduit à « nous ne voulons pas payer pour les autres ». Il suffit de regarder comment se préparent les futures élections régionales : les trois partis qui forment la coalition pour l’indépendance ont été incapables de s’entendre pour présenter une plateforme commune aux électeurs…

      [Plus comique, l’affaire Puigdemont est aussi devenue une blague belge: les séparatistes flamands de la N-VA, majoritaires dans le nord de la Belgique, sont venus à la rescousse du séditieux catalan en l’accueillant à Bruxelles, et en lui fournissant des conseillers judiciaires, provoquant ainsi une mini-crise gouvernementale.]

      Oui. Et c’est encore une démonstration d’infantilisme politique. Comment s’étonner ensuite que les citoyens soient excédés par les avantages consentis aux élus pour l’exercice de leur mandat ? Comment s’étonner qu’ils perdent tout respect pour le « décorum » politique et pour la politique elle-même ?

  3. Vincent dit :

    Très bon article. PLus court, et je trouve aussi plus profond que d’habitude.

    Quelques remarques : “ces actions sont plus à applaudir ou à blâmer”. Le “ou” serait peut être à remplacer par un “qu’ ” ?

    Enfin, je pense qu’on peut rapprocher cela, même si c’est à un niveau bien mois élevé, de la pétition des profs :

    Concernant la règle de grammaire qui veut que dans un groupe nominal, l’adjectif prend toujours le genre masculin s’il est précédé ou suivi de noms communs féminins et masculins. Une tribune est parue, où 314 professeurs déclarent « avoir cessé ou (s’)apprêter à cesser de l’enseigner ».

    Il s’agit de fonctionnaires, qui décident d’eux-mêmes qu’ils refusent de suivre leurs instructions…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Quelques remarques : “ces actions sont plus à applaudir ou à blâmer”. Le “ou” serait peut être à remplacer par un “qu’ ” ?]

      Vous avez raison, l’erreur est corrigée.

      [Enfin, je pense qu’on peut rapprocher cela, même si c’est à un niveau bien moins élevé, de la pétition des profs :]

      Tout à fait. Je n’ai pas mentionné cette affaire dans mon article pour ne pas l’alourdir, mais j’y pensais en l’écrivant. L’idée même de fonction publique de carrière repose sur l’acceptation par les fonctionnaires d’une discipline stricte dans l’exécution des décisions du pouvoir politique. Et si le décalage entre les convictions du fonctionnaire et les politiques qu’il doit mettre en œuvre est trop grand, il démissionne. Autrement, comment les citoyens pourraient avoir confiance dans l’administration pour mettre en œuvre leurs choix ? Admettrait-on qu’un général décide que les instructions qu’il a reçues ne lui agréent pas, et qu’il préfère faire autre chose ? Non, bien sûr. Alors, pourquoi l’admettre d’un professeur ? A moins qu’on m’explique que le travail d’un professeur est moins important que celui d’un général…

      En déclarant qu’un fonctionnaire pourrait rester en poste tout en mettant en œuvre des actions contraires aux instructions reçues, on porte atteinte au principe même de la fonction publique de carrière, et on justifie ceux qui préféreraient une fonction publique politisée par le « système des dépouilles », ou chaque parti politique dès son arrivée au pouvoir remercie les fonctionnaires qui ont servi le régime précédent et place ses propres amis – et pas toujours sur un critère de compétence.

      Le comportement de ces professeurs est celui de la toute-puissance infantile. Elle montre une totale inconscience quant au fait qu’ils ne sont pas seuls au monde, mais qu’ils sont les agents d’une institution. Comment pourraient-ils éclairer leurs élèves, comment pourraient-ils former en eux le sens civique s’ils se considèrent eux-mêmes au-dessus de la loi ?

      Et vous pouvez être sur que si demain ces professeurs étaient sanctionnés – on peut toujours rêver – ils seraient les premiers à se demander “pourquoi”…

  4. Luc dit :

    El segadors,l’hymne catalan,signifie ,les moissonneurs.
    Non,la partie n’est pas fini en catalogne.
    Les identito souverainistes français et catalans ont beaucoup de proximités:la langue,le républicanisme,la géographie,la ténacité,le poids électoral(+30%).
    Les moqueries superficielles,brain stream,ne sont elles pas déplacées?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [El segadors, l’hymne catalan, signifie « les moissonneurs ».]

      Les « faucheurs » serait plus exact. En fait, la chanson fait référence au un soulèvement entre 1640 et 1652, connu comme « la guerre des faucheurs ». Le motif de ce soulèvement ? Pas une revendication culturelle ou nationale, mais le refus – déjà – de payer les taxes décidées par Philippe IV pour financer les dépenses de la guerre de Trente ans. Le premier couplet est d’ailleurs assez révélateur.

      « La Catalogne triomphante,
      Redeviendra riche et prospère.
      Renvoie ces gens,
      Si vaniteux et méprisants ».

      Pas d’amour de la patrie, pas de rejet de la tyrannie, pas de projet collectif. L’important est de devenir riche et de foutre les « estrangers » dehors. Tout un programme…

      [Les identito souverainistes français et catalans ont beaucoup de proximités: la langue, le républicanisme, la géographie, la ténacité, le poids électoral (+30%).]

      Oui, mais ils ont une différence fondamentale. Les catalans espagnols sont les riches d’un pays pauvre. Les catalans français sont les pauvres d’un pays riche. Je doute fort que les Ariégeois aient beaucoup d’intérêt de se séparer de la France et de ses subventions pour faire partie d’une Catalogne unie. Et je doute que les Catalans espagnols, qui n’ont pas envie de payer pour le reste de l’Espagne, aient très envie de payer pour l’Ariège…

  5. d'Aubrac dit :

    Enlevez, c’est pesé !

    Comment ne pas partager la colère que révèle votre article.

    Il y 60 ans -déjà- de Gaulle se lamentait sur l’irresponsabilité de ceux qui prétendaient incarner “l’intelligence”.

    Peut-être sommes nous, collectivement, en train de périr de ce qui est sans doute le mal français le plus durable et le plus pernicieux.

    • Descartes dit :

      @ d’Aubrac

      [Peut-être sommes nous, collectivement, en train de périr de ce qui est sans doute le mal français le plus durable et le plus pernicieux.]

      Vous pouvez difficilement parler d’un “mal français”, lorsqu’on voit le succès de l’infantilisme politique en Espagne, en Belgique, aux Etats-Unis…

  6. popeye-66 dit :

    “on découvre qu’une erreur juridique dans la conception d’une taxe va couter à l’Etat une dizaine de milliards d’Euros, et bien entendu personne n’est responsable”.
    Et pour boucher ce trou fiscal, élaboré alors que notre Président était conseiller auprès de l’ancien Président, on élabore une taxe exceptionnelle….
    Vu d’un “immigré breton en Catalogne nord”, l’objectif des catalans d’Espagne était principalement de diminuer leur contribution financière au budget espagnol. Et de nombreux catalans du nord soutiennent les catalans du sud dans l’espoir que ces derniers soutiennent financièrement la Catalogne de France !
    J’ai appris cette année que, chaque année, des catalans de France commémorent la signature du traité des Pyrénées…

    • Descartes dit :

      @ popeye-66

      [« on découvre qu’une erreur juridique dans la conception d’une taxe va couter à l’Etat une dizaine de milliards d’Euros, et bien entendu personne n’est responsable ». Et pour boucher ce trou fiscal, élaboré alors que notre Président était conseiller auprès de l’ancien Président, on élabore une taxe exceptionnelle….]

      Oui, mais je crois que vous manquez le point. Il y a à Bercy les meilleurs experts en droit fiscal. Et vous allez me dire qu’ils ne sont pas capables de voir le risque d’inconstitutionnalité d’une taxe ? Bien sur qu’ils sont capables. Le problème, c’est qu’on ne les consulte pas. Ou bien on les consulte et on ne tient pas compte de leur avis. Parce que les politiques raisonnent à court terme, sur le mode « on tente le coup », et de toute façon lorsque ce sera annulé ils ne seront plus en poste.

      Depuis une dizaine d’années, TOUS les arrêtés fixant les tarifs du gaz et de l’électricité ont été annulés par le Conseil d’Etat. Vous croyez que les ministres qui les ont signés ne savaient pas qu’ils étaient illégaux ? Bien sur qu’ils le savaient, et les hauts fonctionnaires qui s’occupent de ces questions n’ont pas arrêté de tirer les sonnettes d’alarme. Mais la réponse des ministres est toujours la même : « faites-moi une augmentation minimale qui plaise aux électeurs, et on verra bien quand ce sera annulé ». C’est là où l’on voit un comportement infantile: on fait comme si la décision qu’on prend n’avait finalement aucune importance, comme si on était sur une scène de théatre…

      [Vu d’un “immigré breton en Catalogne nord”, l’objectif des catalans d’Espagne était principalement de diminuer leur contribution financière au budget espagnol. Et de nombreux catalans du nord soutiennent les catalans du sud dans l’espoir que ces derniers soutiennent financièrement la Catalogne de France !]

      C’est là qu’on verra si la Catalogne est une nation – comme le soutiennent les indépendantistes – ou seulement une communauté. Parce que le propre de la nation, c’est la solidarité inconditionnelle. Et je veux voir le jour où les riches barcelonais payeront pour les pauvres ariégeois…

      [J’ai appris cette année que, chaque année, des catalans de France commémorent la signature du traité des Pyrénées…]

      Oui, mais la « commémoration » est ambigue. Côté autonomiste, on exige l’abrogation du traité ( !?), tandis que les institutions régionales ont tendance plutôt à le célebrer…

    • Caton d'Utique dit :

      [J’ai appris cette année que, chaque année, des catalans de France commémorent la signature du traité des Pyrénées…]

      Oui bon, ils sont environ 300 péquins à manifester chaque année sous le regard amusé des badauds. C’est absolument ridicule. La plupart des “catalanistes” que j’ai rencontré portaient des noms bien étrangers au pays, parlant le catalan enseigné et imposé par Barcelone. Les vieux des régions du Conflent et de Cerdagne, qui parlent encore le patois sont en grande majorité farouchement attachés à la France. Qu’on pense aux monuments des morts, nombreux dans ces villages…
      Mais j’admets que l’influence catalane est délétère dans les Pyrénées-orientales, surtout pour créer un pseudo sentiment national sur des fondements historiques biaisées. De plus en plus s’impose l’appellation “catalogne nord” qui n’a strictement aucun sens historiquement, puisque juridiquement les Comtés (els Comtats) étaient séparés du Principat de Catalogne. En espérant que les carabistouilles de Puigdemont fassent cesser le financement des écoles et autres instituts catalans dans notre pays…

    • Descartes dit :

      @ Caton d’Utique

      [Oui bon, ils sont environ 300 péquins à manifester chaque année sous le regard amusé des badauds. C’est absolument ridicule. La plupart des “catalanistes” que j’ai rencontré portaient des noms bien étrangers au pays, parlant le catalan enseigné et imposé par Barcelone.]

      Souvent les régionalistes sont des gens qui se cherchent désespérément des racines. Je connais un couple de « bretonnants » qui se sont installés dans le pays bigouden, qui parlent breton à la maison, qui jouent du biniou, qui envoient leurs enfants à l’école Diwan et qui ne perdent une opportunité d’agiter le drapeau breton dans les manifestations. Mais ne leur rappelez pas qu’elle descend de juifs bulgares, et qu’il descend, lui, de juifs roumains. Ca casserait le charme…

      [Les vieux des régions du Conflent et de Cerdagne, qui parlent encore le patois sont en grande majorité farouchement attachés à la France. Qu’on pense aux monuments des morts, nombreux dans ces villages…]

      Parce que ces vieux portent en eux la mémoire de ce qu’était le pays avant, et ce qu’il est devenu grâce à la solidarité nationale qui a permis de bâtir des routes et des écoles. C’est ce qui m’a toujours amusé chez les régionalistes. Ils expliquent que la République jacobine a tué les langues régionales, sans jamais se demander pourquoi ces langues ont disparu non seulement de l’espace public, mais aussi de l’espace privé. Pourtant, si la République a interdit le patois dans les écoles, elle n’a pas mis un gendarme dans la cuisine de chaque famille paysanne… en fait, si les langues régionales se sont éteintes dans l’espace privé, c’est parce que les paysans eux-mêmes y voyaient dans ces langues un vestige du passé, et d’un passé pas particulièrement reluisant, là où le français était la langue de la modernité, de la culture, de la prospérité.

    • morel dit :

      @ Descartes

      « Souvent les régionalistes sont des gens qui se cherchent désespérément des racines »

      C’est le problème depuis un certain nombre d’années et pas que des régionalistes. Des enfants d’immigrés ayant toujours vécu ici se réclament d’un mythique pays ancestral qu’ils n’ont jamais connu dans lequel un séjour de quelques mois suffirait pour constituer un repoussoir.
      Trop facile d’avancer que l’herbe est plus verte ailleurs lorsqu’on refuse d’aller s’en nourrir.

      Mehmet Myftiu écrivain albanais : «Lorsque la toute puissance de l’État se relativise en tant que valeur, les sous-identités substitutives « ethno-communautaires » en particulier, se renforcent ».
      Pas faux même s’il vient d’un pays où ces problèmes sont plus aigus.

      Quant au régionalisme, on peut aimer la terre où l’on est né et où des souvenirs nous rattachent. On peut aussi à ce même titre affectif parler et entendre le dialecte local quand il est encore vivant, Mais ne pas oublier que ces restes du passé (comment dit-on internet, portable… en basque, breton, corse, alsacien?) n’ont court que dans une zone étroitement délimitée. Jakez-Hélias citant son grand-père disait : « avec le breton tu es comme une vache attachée au pieu dans un pré, avec le français, tu feras le tour du monde ». Voilà même si très résumé la disparition des dialectes.
      Et sans entrer dans la réalité de ces idiomes aux variations infinies dans un rayon assez faible.
      La tv avec le parler strasbourgeois est difficilement compréhensible pour les hauts-rhinois.
      La parade classique c’est la langue « chimique » qui n’a jamais été parlée, comme « résurrection », on a vu mieux.

      La langue est une étape dans l’évolution de l’histoire des populations, une variation du bas-latin a donné naissance au français. Elle témoigne en en faisant partie d’un stade dans l’histoire. D’ailleurs les dialectes ne s’écrivaient pas (la fée « chimie » est aussi passée par là). En Corse, c’était le génois, en Alsace, l’allemand.

      Sommes nous devant un renouveau du romantisme ? Pour une frange peut-être mais loin du pays réel. Je crois qu’on le verra aussi en Catalogne.

    • Descartes dit :

      @ morel

      [« Souvent les régionalistes sont des gens qui se cherchent désespérément des racines » C’est le problème depuis un certain nombre d’années et pas que des régionalistes. Des enfants d’immigrés ayant toujours vécu ici se réclament d’un mythique pays ancestral qu’ils n’ont jamais connu dans lequel un séjour de quelques mois suffirait pour constituer un repoussoir. Trop facile d’avancer que l’herbe est plus verte ailleurs lorsqu’on refuse d’aller s’en nourrir.]

      Je pense que c’est en fait plus complexe. Cela tient aussi à ce processus d’infantilisation auquel je faisais référence dans mon papier. Il y a un fantasme qui est commun à presque tous les enfants et qui se manifeste entre les six et les dix ans. Les enfants de cet âge ont la fantaisie que leurs parents ne sont pas leurs « vrais » parents, qu’ils sont en fait les enfants d’un personnage très important – un roi, un acteur, un président – et qu’ils ont été en fait confiés à leurs « faux » parents à la suite d’une histoire plus ou moins rocambolesque. C’est une manière de se fabriquer des « racines glorieuses » à la place des racines forcément banales qui sont le patrimoine de la plupart d’entre nous.

      Cette fantasmagorie, absolument normale, fait partie de la croissance de chacun d’entre nous. Avec le temps, la plupart d’entre nous guérit de la toute-puissance infantile et accepte la banalité de la vie ordinaire. Mais certains gardent le besoin de se singulariser de la masse en se constituant comme héritiers d’ancêtres mythiques qu’on pare pour l’occasion de toutes sortes de vertus et qualités.

      C’est là toute la différence entre le « roman national » et les « romans communautaires », et qui explique pourquoi les bienpensants adorent le second et se signent comme s’ils avaient vu le démon devant le premier. Le « roman national » est construit pour être partagé. Son but est de donner des ancêtres mythiques communs à TOUS les citoyens, y compris ceux pour lesquels cette filiation apparaît impossible : quand on faisait réciter « nos ancêtres les gaulois », on faisait réciter TOUS les enfants, y compris ceux qui de toute évidence ne pouvaient avoir de tels ancêtres dans la réalité. Les « romans communautaires », au contraire, visent à réserver des ancêtres mythiques à une communauté pour la séparer du reste de ses concitoyens. Et ils aboutissent forcément à une « guerre des ancêtres » sous la forme infantile de « mes ancêtres sont meilleurs que les tiens »…

      [Quant au régionalisme, on peut aimer la terre où l’on est né et où des souvenirs nous rattachent.]

      Et encore, comme disait l’écrivain gallois (mais de langue anglaise) Dylan Thomas : « The land of my fathers ? My fathers can have it ». (« La terre de mes ancêtres ? Mes ancêtres peuvent se la garder »). Je trouve assez absurde cette idée qu’on puisse « aimer la terre où l’on est né ». On peut aimer la terre ou l’on a vécu, parce que le vécu est fait de souvenirs, de personnes qu’on a aimé, de choses qu’on a faites, d’une culture qu’on a héritée et qui peut être liée à la terre. Mais le fait d’y être « né » ? Franchement, cela ne m’est jamais venu à l’idée d’aimer la maternité ou je suis né.

      [Jakez-Hélias citant son grand-père disait : « avec le breton tu es comme une vache attachée au pieu dans un pré, avec le français, tu feras le tour du monde ». Voilà même si très résumé la disparition des dialectes.]

      Tout à fait. Et on peut difficilement suspecter le grand père de Jakez-Héliaz d’avoir été un jacobin farouche. Mais la phrase que vous citez était je pense dans la tête de beaucoup de paysans français après a Révolution est surtout après 1881 : tout fiers qu’ils étaient de leur culture régionale, ils en comprenaient bien les limites et saluaient les opportunités que l’assimilation intérieure voulue par les jacobins leur offrait. Et je persiste à penser que le problème qui se pose aujourd’hui avec les populations issues de l’immigration n’est pas fondamentalement différent de cette « assimilation intérieure » voulue et exécutée à la fin du XIXème. La grande différence, c’est qu’à l’époque il y avait eu un grand consensus social pour la vouloir et l’imposer, et que les classes dominantes étaient prêts à y payer le prix. Ce n’est plus le cas aujourd’hui…

      [Sommes-nous devant un renouveau du romantisme ? Pour une frange peut-être mais loin du pays réel. Je crois qu’on le verra aussi en Catalogne.]

      Je pense effectivement que nous vivons une sorte de renouveau romantique, au moins au niveau des « classes moyennes ». Ces « classes sans âme qui se cherchent une âme » pour paraphraser Marx…

    • morel dit :

      @ Descartes

      « Et encore, comme disait l’écrivain gallois (mais de langue anglaise) Dylan Thomas : « The land of my fathers ? My fathers can have it ». (« La terre de mes ancêtres ? Mes ancêtres peuvent se la garder »). Je trouve assez absurde cette idée qu’on puisse « aimer la terre où l’on est né ». On peut aimer la terre ou l’on a vécu, parce que le vécu est fait de souvenirs, de personnes qu’on a aimé, de choses qu’on a faites, d’une culture qu’on a héritée et qui peut être liée à la terre. Mais le fait d’y être « né » ? Franchement, cela ne m’est jamais venu à l’idée d’aimer la maternité ou je suis né. »

      Veuillez m’excuser mais ma phrase complète n’exprime pas ce que vous écrivez. La seconde partie précisant la première.

      « ils en comprenaient bien les limites et saluaient les opportunités que l’assimilation intérieure voulue par les jacobins leur offrait. »

      Oui mais n’est-ce pas aussi les « opportunités », le cadre et les perspectives qui ont changé ?

    • Descartes dit :

      @ morel

      [« ils en comprenaient bien les limites et saluaient les opportunités que l’assimilation intérieure voulue par les jacobins leur offrait. » Oui mais n’est-ce pas aussi les « opportunités », le cadre et les perspectives qui ont changé ?]

      Bien entendu. C’est là tout le problème. Le « bloc dominant » de la IIIème République – c’est-à-dire essentiellement la bourgeoisie et une toute petite « classe moyenne » a bien compris que son intérêt était d’accélérer autant que faire se peut « l’assimilation intérieure ». Cela lui permettait d’accélérer la qualification et la mobilité de la main d’œuvre, de former de nouvelles élites pour remplacer les élites aristocratiques dont le républicanisme était plus que douteux, de former une armée puissante et nombreuse. Et parce que cette « assimilation intérieure » était pour lui prioritaire, le « bloc dominant » a accepté de payer la construction d’écoles qui sont de véritables palais républicains, la formation des instituteurs, une administration puissante qui étendait les services publics à la moindre commune de France…

      Aujourd’hui, la position du « bloc dominant » – dans lequel les « classes moyennes » jouent un rôle capital – a totalement changé. Quel intérêt y aurait-il à « assimiler » des gens dont on n’a plus besoin pour produire puisqu’on peut trouver de la main d’œuvre bien plus docile et meilleur marché ailleurs ? Même chose pour nos armées, constituées de professionnels hautement entraînés. Qui a besoin d’une armée de masse aujourd’hui ? Même le combat contre les séparatismes a perdu de son charme. Qu’est-ce que nos élites ont à foutre que les Corses deviennent indépendants ? Au contraire, comme l’avait dit Barre en son temps, cela nous économisera pas mal de dépenses « inutiles »…

      L’unité de la nation était sous la IIIème République la cause du « bloc dominant ». Aujourd’hui, au contraire, l’unité de la nation se maintient mal que mal CONTRE le « bloc dominant ».

  7. DIONISI dit :

    Il est très bien de rappeler que : “…la France de 1939-40 telle que décrite par Marc Bloch dans « L’étrange défaite », cette époque ou la date de la mobilisation de nos armées était décidée sous la pression du lobby des « pinardiers »….” car cela renvoie à la phrase d’Anatole France disant que l’on croit se battre pour son pays alors qu’on meurt pour les industriels. Un autre fait historique vient renforcer cette affirmation. C’est celui de la mise en application du décret de l’abolition de l’esclavage à La Réunion. En effet, alors que l’envoyé officiel de la France, SARDA-GARRIGA décrétait la fin de l’esclavage le 20 DÉCEMBRE 1848, cela faisait 8 mois que ce même décret était publié à Paris. Mais la distance et les moyens de transport n’expliquent pas tout. Sarda-Garriga débarque dans l’île le 13 octobre 1848 mais se voit imposé par les industriels réunionnais de la canne à sucre et les autorités politiques locales (ce sont les mêmes) d’attendre la fin de la récolte de la canne à sucre (fin décembre) pour annoncer l’abolition de l’esclavage. Le “petit profit” n’existe pas chez les capitalistes. Aujourd’hui encore, les enfants de bourgeois pouvant accéder aux études universitaires le savent bien. Ils représentent 95% des étudiants lustrant leurs culottes sur les bancs des amphis. Ce sont aussi ceux-là qu’on retrouvera plus tard à l’A.N et au Sénat. Demain n’est pas la veille du jour où les “petites gens” seront dignement représentés, défendus et armés du pouvoir de décision. Sauf si l’on veut bien se souvenir de 1789, de 1848, de 1871 et, dans une certaine mesure, de 1936, de 1945 et de 1968. Soyons réalistes, exigeons l’impossible.

    • Descartes dit :

      @ DIONISI

      [Demain n’est pas la veille du jour où les “petites gens” seront dignement représentés, défendus et armés du pouvoir de décision. Sauf si l’on veut bien se souvenir de 1789, de 1848, de 1871 et, dans une certaine mesure, de 1936, de 1945 et de 1968. Soyons réalistes, exigeons l’impossible.]

      1936, 1945… soit. Mais 1968 ? Soyons sérieux. Et puis, si vous vous regrettez le manque de représentation des couches populaires, soyez cohérent et évitez le « soyons réalistes, exigeons l’impossible » qui est précisément le slogan de ceux qui ont toujours voulu réduire le politique à l’impuissance. Parce que « exiger l’impossible » a été la technique par laquelle on a pu trahir impunément les promesses et précipiter les couches populaires dans la désespérance. Souvenez-vous de 1981, quand le peuple avait voté pour « changer la vie ». Il n’a pas fallu deux ans pour qu’on lui explique qu’il demandait « l’impossible », et que du coup il ne fallait pas s’étonner de ne pas le voir réalisé.

  8. Baruch dit :

    Autant que je sache l’Ariège n’a jamais été catalane, mais relevait du Languedoc sous l’ancien régime. La langue était la langue d’oc, et même pour le Couseran le gascon. Vous voulez parler des Pyrénées orientales qui elles relèvent du Roussillon et de la langue catalane ?

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [Autant que je sache l’Ariège n’a jamais été catalane, mais relevait du Languedoc sous l’ancien régime.]

      Vous avez tout à fait raison. Je suis confus d’avoir commis une erreur aussi élémentaire. C’est bien dans le département des Pyrénéennes Orientales que se trouvent les “comarcas” ou l’on parlait à une époque la langue catalane.

  9. Vincent dit :

    Bonjour,

    Ca n’a rien à voir (au départ) avec le sujet, mais je le mets ici car :
    – la conclusion le rejoint,
    – je crois que l’acteur est un de vos personnages préférés,
    – et je crois aussi que le sujet vous tient à coeur.

    Titre de l’article (à propos du fait qu’il sera difficile de tenir la promesse des 50% de nucléaire en 2025) : “François de Rugy en a ras le bol des lois d’affichage”.

    http://www.leparisien.fr/politique/nucleaire-francois-de-rugy-en-a-ras-le-bol-des-lois-d-affichage-12-11-2017-7388505.php

    J’ai été étonné en bien à la lecture du titre. Je croyais que M. de Rugy trouvait que c’était n’importe quoi d’avoir voté une loi d’affichage pour dire qu’il fallait atteindre un objectif, sans donner le début d’explication ni du comment, ni du pourquoi, ni d’avec les sous de qui, ni surtout des personnes qui sont censées appliquer cette loi, vu qu’on est dans un marché qui a été libéralisé.

    Bref, cette loi était un archétype de “loi d’affichage”, comme l’a si justement fait remarquer M. de Rugy.

    J’ai donc lu avec intérêt, pour voir comment il réussirait à critiquer cette loi d’affichage, sans trop verser dans l’autocritique (car il a naturellement son amour propre). Mais à la lecture de l’article, on commence à moins comprendre ce qu’il a voulu dire…

    En fait, ce qu’il critique n’est pas le fait que la loi d’affichage ait été votée, mais qu’on vienne expliquer que cette loi est inapplicable. Quand le principe de réalité vient condredire une loi d’affichage, c’est donc le principe de réalité qui doit être condamné…

    Je me permets un copier coller de l’article pour conclure ce commentaire :

    “Cette réaction est en elle-même très révélatrice d’un trait dominant dans la politique des nations de l’Europe occidentale, qui se caractérise de plus en plus par un comportement infantile des dirigeants et des élites politico-médiatiques.”

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Titre de l’article (à propos du fait qu’il sera difficile de tenir la promesse des 50% de nucléaire en 2025) : “François de Rugy en a ras le bol des lois d’affichage”.]

      Si ma mémoire ne me trompe pas, François de Rugy a voté la « loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte », qui prescrivait de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% en 2025 sans donner aucun moyen pour atteindre un objectif qui, de l’aveu de la plupart des experts sérieux, était pratiquement impossible à atteindre.

      Alors, avant de déclarer que « On ne peut pas rester dans ce système où des lois sont votées, mais pas appliquées », il devrait se dire que la meilleure manière de rester dans ce système est de voter des lois inapplicables. Comme disait un personnage de Saint-Exupéry : « si je donne à mon général l’ordre de se transformer en oiseau marin, et qu’il n’obéit pas, est-ce sa faute ou la mienne ? ».

    • Vincent dit :

      > François de Rugy a voté la « loi relative à » […] sans donner aucun moyen pour atteindre un objectif
      > qui, de l’aveu de la plupart des experts sérieux, était pratiquement impossible à atteindre.

      Si je peux me permettre, et pour autant que je connaisse le dossier, c’est plus grave que cela :
      Outre le fait que la loi était un peu irréaliste et non financée, reproches trop récurrents dans tous les domaines, il y a selon moi un autre point. EDF n’est plus (en théorie) un opérateur monopolistique qui doit obéir à l’Etat, mais un opérateur privé qui doit agir selon ses intérêts.
      La loi dit que la production nucléaire (pas la puissance installée) ne doit pas dépasser 50% de la production annuelle.

      Si on réfléchit, dans un marché comme le marché actuel de l’électricité, cela signifie que l’opérateur qui appelle les centrales en fonction de leur coût et des besoins en électricité (RTE) devrait arrêter d’appeler des centrales nucléaires, même si celles ci sont moins chères. C’est une loi qui s’impose à RTE, pas à EDF.
      Et ce serait à d’autres opérateurs de construire d’autres centrales, non nucléaires, pour se substituer aux centrales nucléaires qui ne seraient plus appelées par RTE.

      Et, ses centrales n’étant plus suffisamment appelées, EDF en tirerait la conclusion qu’il convient d’en fermer certaines. Voire, je ne vois pas comment on pourrait les empêcher, dans le cadre de contrats strictement privés, de déconnecter certaines de leurs centrales du réseau, pour revendre directement à un opérateur (par exemple un producteur d’Aluminium à Gravelines), ou pourquoi pas à un réseau étranger (les centrales proches de frontières ne manquent pas…).

      Et si jamais Engie décidait de construire une centrale nucléaire, que leur dirait-on ? Impossible, il faut qu’EDF ferme une centrale d’abord ?

      Bref, la loi qui a été votée est une loi de principe qui vise EDF, mais qui, dans les faits, ne peut s’appliquer que à RTE, et encore, EDF peut, en théorie (si on la considère comme une vraie entreprise privée) contourner cette loi…

      Vincent

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Si je peux me permettre, et pour autant que je connaisse le dossier, c’est plus grave que cela :
      Outre le fait que la loi était un peu irréaliste et non financée, reproches trop récurrents dans tous les domaines, il y a selon moi un autre point. EDF n’est plus (en théorie) un opérateur monopolistique qui doit obéir à l’Etat, mais un opérateur privé qui doit agir selon ses intérêts.]

      Exact. Même si l’Etat désigne la majorité des administrateurs d’EDF, cela ne lui permet pas de faire voter n’importe quoi par eux. Un administrateur est censé prendre ses décisions dans le meilleur intérêt de la société qu’il administre, et le fait de voter une décision qui irait contre ces intérêts l’expose à des poursuites pénales et civiles.

      Cela étant dit, l’Etat peut imposer la fermeture d’une installation industrielle, à deux conditions posées depuis longtemps par le Conseil d’Etat : la première, est que la mesure soit justifiée par l’intérêt général, ce qui suppose dans le cas d’espèce de démontrer que la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique est de cette nature. La seconde, est de verser une juste indemnisation (CE, 14 février 1938, « La Fleurette »).

      [Si on réfléchit, dans un marché comme le marché actuel de l’électricité, cela signifie que l’opérateur qui appelle les centrales en fonction de leur coût et des besoins en électricité (RTE) devrait arrêter d’appeler des centrales nucléaires, même si celles-ci sont moins chères. C’est une loi qui s’impose à RTE, pas à EDF.]

      En fait, ni à l’un, ni à l’autre. L’article 1er de la LTECV est considéré comme entrant dans la catégorie des « lois de programme », c’est-à-dire, qu’elle fixe les priorités de l’action de l’Etat (Conseil constitutionnel, DC 2015-718). Cette catégorie de textes n’a aucun effet sur les tiers, que ce soit RTE ou EDF. C’est à l’Etat de prendre des instruments législatifs ou réglementaires pour mettre en œuvre ces objectifs, ce que pour le moment il s’est bien gardé de faire…

      J’ajoute qu’une loi qui obligerait RTE à cesser d’appeler le parc nucléaire dans les conditions que vous décrivez obligerait probablement l’Etat à indemniser EDF… Par ailleurs, l’appel des centrales se fait sur une liste déclarée par les opérateurs et correspondant aux contrats de vente établis entre les producteurs et leurs clients. Il n’est donc pas possible – sauf à réformer totalement le marché de l’électricité et donc de refaire les directives européennes, de faire ce que vous suggérez.

      [Voire, je ne vois pas comment on pourrait les empêcher, dans le cadre de contrats strictement privés, de déconnecter certaines de leurs centrales du réseau, pour revendre directement à un opérateur (par exemple un producteur d’Aluminium à Gravelines), ou pourquoi pas à un réseau étranger (les centrales proches de frontières ne manquent pas…).]

      Vous voulez dire en construisant des lignes privées ? Cela est strictement interdit. RTE dispose du monopole du transport de l’électricité en France.

      [Et si jamais Engie décidait de construire une centrale nucléaire, que leur dirait-on ? Impossible, il faut qu’EDF ferme une centrale d’abord ?]

      Exactement. Cela est prévu par l’article 184 de la LTECV… il faut noter que cette situation créerait probablement un contentieux constitutionnel… mais le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé sur ce point précis.

  10. Marcailloux dit :

    @ Descartes

    Bonjour,

    [Cette réaction des autorités espagnoles ont donné lieu en Espagne mais aussi chez nous, et c’était là aussi prévisible, à toutes sortes de dénonciations de l’inacceptable « répression » contre les dirigeants indépendantistes. On est allé jusqu’à assimiler les dirigeants arrêtés aux prisonniers politiques sous le régime franquiste… c’est dire si l’affaire est grave aux yeux de nos redresseurs de torts préférés.]
    J’avais, en début de carrière un patron qui, lorsque nous prononcions le “on” impersonnel la parole coupée par: “”on” est un con” !
    Nous – ses collaborateurs – étions tenus de nous exprimer factuellement sur des réalités nettement établies. Il avait raison et cette position m’a marqué ma vie durant.
    Maintenant, lorsque vous reprenez cette assertion sous cette forme, je souhaite vous demander: c’est qui “on” ? Parce que je n’ai pas vraiment l’impression, citoyen lambda et téléspectateur assidu des débats politiques, que la défense des indépendantistes catalans ait été bien au delà du simple témoignage auquel tout accusé à droit dans un débat. C’est le contraire qui m’aurait choqué et qui aurait pu s’interpréter comme un résidu du franquisme.
    Les débats auxquels j’ai assisté, où intervenaient des témoins relativement favorables à leur cause faisaient plus figure d’accusés que de victimes. Les raisons historiques et culturelles qui étaient évoquées, sans être déniées, ne semblaient pas vraiment convaincre les débateurs.
    Qui, en dehors de seconds couteaux toujours prêts à se distinguer par l’outrance, s’est désolidarisé du gouvernement espagnol, sauf à reconnaitre une certaine maladresse de la part des forces de l’ordre qui pouvaient très bien imaginer que le moindre geste serait exploité médiatiquement.
    Vraiment, l’immense majorité des responsables, politiques ou des médias, n’a pas pris, selon mon regard le parti des indépendantistes.

    • Descartes dit :

      @ Marcailloux

      [Maintenant, lorsque vous reprenez cette assertion sous cette forme, je souhaite vous demander: c’est qui “on” ?]

      Si j’ai utilisé le « on », c’est précisément parce qu’il m’importe peu que l’expression vienne de tel ou tel quartier, de tel ou tel personnage. Ce qui me paraît intéressant, est qu’il puisse se trouver dans nos élites politico-médiatiques un certain nombre de voix pour comparer la détention ordonnée par des juges sous un régime démocratique et les prisonniers politiques du franquisme.

      [Parce que je n’ai pas vraiment l’impression, citoyen lambda et téléspectateur assidu des débats politiques, que la défense des indépendantistes catalans ait été bien au delà du simple témoignage auquel tout accusé à droit dans un débat.]

      Je ne partage pas votre impression. Si je prends des journaux comme « Le Monde » ou « Libération », tous deux ont publié des articles et des tribunes considérant la détention et la mise en examen des indépendantistes comme « excessive » au moins, « inacceptable » au plus.

      [Vraiment, l’immense majorité des responsables, politiques ou des médias, n’a pas pris, selon mon regard le parti des indépendantistes.]

      Je pense que vous mélangez deux choses. Ce à quoi je faisais référence, ce n’était pas les prises de position quant au fond de l’affaire, pour ou contre les indépendantistes, mais sur la question de la détention et de la mise en examen. On peut parfaitement être réservé à l’égard de l’indépendance, tout en pensant que les indépendantistes ne devraient pas être poursuivis.

  11. luc dit :

    Faire un congrès fin novembre 2018,c’est attendre pour le PCF,que du temps positif possible vienne ,gonfler ses voiles.
    L’état de la gauche soixanthuitarde,est assez mauvais.
    Les logiques tendantiellement souverainistes des communistes autour de Gérin,semblent plus cohérentes mais 30%,c’est peu…
    Les légitimistes du PCF,se sont cantonnés dans une abstention majoritaire vis à vis du questionnaire auto-dépréciatif fourni par la direction,stressée d’être débarquée.
    Tout ça ne montre t il pas,que le couvercle,de l’Histoire, s’est refermé sur le PCF?

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Faire un congrès fin novembre 2018, c’est attendre pour le PCF que du temps positif possible vienne gonfler ses voiles.]

      Quels « vents » ? Quelles « voiles » ? Le PCF est politiquement mort, et le mieux qu’on puisse faire pour les gens morts, même ceux qu’on a beaucoup aimés, c’est de porter des fleurs sur leur tombe. Et croyez qui si je fais aujourd’hui ce constat, c’est sans la moindre joie, au contraire. Mais il faut se rendre à l’évidence.

      Comme disait je ne sais plus qui, ce qui le mieux caractérise les morts, c’est la prévisibilité. Les vivant, c’est l’imprévisible, c’est la capacité de se remettre en question et de changer de trajectoire. La mort, c’est la prévisibilité absolue. Et le PCF en est là. Vous pouvez prévoir la réponse du PCF à n’importe quelle question sans avoir à lui poser. Le PCF est devenu une chambre d’écho des idées les plus conformistes, les plus bienpensantes. Il ne fait plus peur à personne, si ce n’est à quelques dames patronnesses de la droite qui n’ont toujours pas compris que le mur de Berlin était tombé. Aujourd’hui, les débats internes du PCF n’intéressent personne, pas même les militants qui regardent se préparer ce nouveau congrès comme les vaches regardent passer les trains.

      [Les logiques tendantiellement souverainistes des communistes autour de Gérin semblent plus cohérentes mais 30%, c’est peu…]

      Gérin est un type bien. Mais il est pratiquement seul. Ce qu’on appelle « l’opposition de gauche » au PCF – les « rouges vifs » avec des personnages comme Bleitrach – sont dans une logique sectaire d’admiration béate pour les « socialismes tropicaux » et de culte aux grands ancêtres. Aucun travail sur la réalité, sur ce que pourrait être une ligne révolutionnaire ou même progressiste aujourd’hui.

  12. Simon dit :

    Cher Descartes,

    Merci pour ce billet qui remet les pendules à l’heure.

    Puidgemont a commis depuis quelques articles ou tribunes, l’une d’entre elles dans Libération, avec des morceaux qui confirment votre approche :
    “Certes, le Tribunal constitutionnel a suspendu et parfois même annulé les décisions que le gouvernement et le Parlement ont adoptées pour avancer dans cet engagement électoral, mais dans ce conflit entre deux légitimités, le critère qui doit s’imposer, à notre avis, est celui de la volonté de la majorité des citoyens et du respect des droits fondamentaux, recueillis dans les traités signés par le royaume d’Espagne et incorporés dans sa Constitution.
    Il semblerait qu’il existe deux niveaux de démocratie en Espagne. Si vous êtes indépendantiste, vous pouvez l’être tant que vous ne gouvernez pas ; car dès l’instant où vous accédez au pouvoir, vous serez accusé de rébellion si jamais vous osez appliquer votre programme électoral” et ” Que ce qui a été dit et redit pendant les années lourdes du terrorisme soit honoré : en absence de violence, on peut parler de tout. Nous n’avons jamais choisi la violence, au contraire, mais il est faux que nous puissions parler de tout.”

    Il commence par se plaindre de l’illégalité des décisions de Madrid (alors que les procédures ont été respectées) tout en reconnaissant ne pas respecter la loi et l’état de droit, avec un référendum fait selon une décision illégale du parlement et ne respectant pas cette même décision. Voter une sécession en expliquant que c’est prévu par les droits fondamentaux garantis par la constitution, c’est plus que bancal juridiquement. Ensuite, il se plaint qu’il soit incohérent qu’il y ait une différence entre la réponse à des paroles et à des actes : il est pourtant clair que je vais avoir plus d’ennuis si je tue mon voisin que si je dis que je vais le faire.

    Je pense que vous vous rejoignez sur la lettre de la dernière phrase, en l’interprétant à l’opposé : “Car ce qui est en jeu est bien plus que notre futur personnel : c’est la démocratie même qui est en jeu.”.

    • Descartes dit :

      @ Simon

      [Puidgemont a commis depuis quelques articles ou tribunes, l’une d’entre elles dans Libération, avec des morceaux qui confirment votre approche : « (…) Il semblerait qu’il existe deux niveaux de démocratie en Espagne. Si vous êtes indépendantiste, vous pouvez l’être tant que vous ne gouvernez pas ; car dès l’instant où vous accédez au pouvoir, vous serez accusé de rébellion si jamais vous osez appliquer votre programme électoral »]

      Cette phrase enferme en fait le nœud de l’affaire. Un maire qui se présenterait aux élections municipales avec pour « programme électoral » de modifier la Constitution ou d’abroger le Code pénal pourrait-il exiger qu’on lui laisse réaliser ces modifications une fois élu au prétexte que c’était dans son « programme électoral » et que ses électeurs l’ont voulu ? Pas si l’on s’en tient à la logique héritée de la Révolution française : La souveraineté « réside essentiellement dans la nation ». Les différents élus ne reçoivent du souverain qu’une délégation de pouvoir dont les limites sont définies par la Constitution et dont le respect est contrôlé par les juridictions administratives et constitutionnelles. Puigdemont semble croire que lorsqu’on accède à une fonction élective on « accède au pouvoir », et que ce pouvoir est absolu. Mais dans une logique républicaine, lorsqu’on accède à une fonction élective on n’a que des pouvoirs toujours limités, et celui du président de la Généralité de Catalogne n’inclut pas celui d’organiser des référendums ou de déclarer la sécession.

      Le raisonnement de Puigdemont est plus répandu qu’on ne le croit dans la « gauche radicale ». Ainsi, on trouve des municipalités qui votent des délibérations illégales – car contraires aux lois votées par le Parlement – et à chaque fois cette « gauche » se scandalise du fait que ces décisions soient annulées par le juge administratif, forcément « complice des puissants » alors qu’il ne fait que son boulot…

  13. Vincent dit :

    > Cette réaction est en elle-même très révélatrice d’un trait dominant dans la politique
    > des nations de l’Europe occidentale, qui se caractérise de plus en plus par un
    > comportement infantile des dirigeants et des élites politico-médiatiques.

    Je ressort cette phrase, qui me semble particulièrement bien adaptée à ce qui se passe aujourd’hui autour des commentaires d’un certain ministre relatifs à une affaire judiciaire en cours.
    Oui, c’est du grand n’importe quoi, par quelque bout qu’on le prenne, mais bon… La parole est libre, et n’importe quel ministre, de la même manière que n’importe quel militant, peut dire n’importe quoi sans que ça ne prête à conséquences…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je ressort cette phrase, qui me semble particulièrement bien adaptée à ce qui se passe aujourd’hui autour des commentaires d’un certain ministre relatifs à une affaire judiciaire en cours.]

      Le plus comique dans cette affaire est que les arguments utilisés par les avocats du mari sont l’exacte réplique de ceux utilisés en son temps par la défense de Jacqueline Sauvage… Mais bon, quand on met à ce genre de postes des personnages sans culture politique ou historique, on aboutit à ce genre de résultat. Je me demande si les jeunes députés et ministres de LREM comprennent ce que signifie la séparation de pouvoirs. D’un côté, un ministre qui se permet de qualifier pénalement un fait – en retenant d’ailleurs une qualification différente de celle retenue par le juge. De l’autre, le vote par l’Asssemblée nationale d’une commission d’enquête sur l’affaire Lactalis, alors que le règlement de l’Assemblée interdit sans ambiguïté de créer une commission d’enquête sur des faits couverts par une procédure judiciaire… mais que voulez-vous, nous avons aujourd’hui des députés et des ministres dont le seul titre de gloire est d’avoir été cadres dans le privé ou d’avoir milité dans telle ou telle association féministe, sans jamais avoir eu la curiosité de lire un livre de philosophie politique…

      Si vous voulez pleurer, regardez les débats à l’Assemblée nationale. On se croirait dans une AG de l’UNEF.

    • Vincent dit :

      >> Cette réaction est en elle-même très révélatrice d’un trait dominant dans la politique
      >> des nations de l’Europe occidentale, qui se caractérise de plus en plus par un
      >> comportement infantile des dirigeants et des élites politico-médiatiques.

      > Je ressort cette phrase, qui me semble particulièrement bien adaptée à ce qui se passe aujourd’hui […]

      Je me permets de la ressortir de nouveau, ainsi que celle ci :

      > Naguère, l’arène politique était un lieu tragique, ou se jouait l’avenir des peuples, la vie et la mort des nations.

      En rapprochant cela d’une dépèche récente (qui n’est malheureusement pas du Gorafi) :

      “loi alimentation : le terme chocolatine defendu par des deputes”

      C’est sûr que le débat “chocolatine” ou “pain au chocolat” porte moins à conséquences que celui sur l’appartenance à la zone euro, dont personne ne débat jamais au parlement…

      https://www.leprogres.fr/france-monde/2018/05/23/loi-alimentation-le-terme-chocolatine-defendu-par-des-deputes

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je me permets de la ressortir de nouveau, ainsi que celle ci : « Naguère, l’arène politique était un lieu tragique, ou se jouait l’avenir des peuples, la vie et la mort des nations ». En rapprochant cela d’une dépèche récente (qui n’est malheureusement pas du Gorafi) : “loi alimentation : le terme chocolatine defendu par des deputes”. C’est sûr que le débat “chocolatine” ou “pain au chocolat” porte moins à conséquences que celui sur l’appartenance à la zone euro, dont personne ne débat jamais au parlement…]

      Difficile de trouver une meilleure illustration…

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