Mélenchon, entre « Faites mieux ! » et faire pire…

Quand j’étais écolier, je me souviens qu’au retour de l’école nous passions devant une vieille maison. Dans le jardin vivaient quatre chiens, quatre molosses terrifiants, que la grille qui fermait le devant du jardin empêchait de sortir dans la rue. On s’amusait, en passant devant, à frapper la grille avec des bâtons ce qui provoquait un concert d’aboiements qui durait un bon quart d’heure et qui nous poursuivait pour le reste du chemin.

Et bien, cette anecdote d’enfance m’est revenue en pensant aux dernières polémiques médiatiques provoquées par le Leader Minimo – chaque fois plus minimo, à mesure que le temps passe – de LFI. Comme un écolier facétieux, il frappe la grille du monde politique et médiatique, et provoque les aboiements des molosses qui se cachent derrière. Peu importe les moyens : on peut insulter un journaliste, s’opposer à une perquisition, dire « noir » là où tout le monde dit « blanc » sur un sujet polémique. Tout est bon, pourvu qu’on puisse rendre fous les pitbulls de l’autre côté de la grille. Mais il y a une différence radicale entre l’amusement plus ou moins innocent d’un groupe d’écoliers, et le calcul politique qui se cache derrière les coups de l’un et les aboiements des autres.

C’est une chorégraphie qui, au cours des années, s’est raffinée sans que rien ne change vraiment sur le fond. Mais c’est ici une chorégraphie sans chorégraphe. Elle fonctionne parce que chacun y trouve son compte. Pour Mélenchon, c’est un moyen d’exister médiatiquement. Cela lui permet aussi de se placer dans le rôle de la victime, persécutée par la « caste » politique et médiatique, qu’il sait rejetée par une portion non négligeable de l’électorat. Un choix habile des thématiques lui permet aussi de se présenter comme le défenseur des communautés, et donc de caresser dans le sens du poil un sentiment communautaire qu’il imagine – à tort à mon avis – pouvoir traduire en termes électoraux (0).

Pour le « cercle de la raison », cette agitation est aussi fort intéressante. Non seulement elle lui fournit un « diable de confort » qui en plus à l’obligeance de faire tout ce qu’il peut pour paraître vraiment diabolique – contrairement à l’ancien « diable de confort », cet RN qui ne fait presque plus tellement peur. Mais surtout, lui permet de jeter un voile pudique sur les véritables questions politiques. Sur la place publique, on ne discute plus du gouvernement de la cité, de ce que la France devrait faire de sa politique étrangère, pas plus que de sa politique énergétique ou éducative. Tout l’espace médiatique est occupé par la question de savoir si l’attaque du 7 octobre est ou non un acte terroriste, ou de savoir si Ruth Elkrief est une bonne journaliste ou au contraire une manipulatrice.

Mélenchon, il faut toujours garder cela en tête, est un piètre stratège mais un grand tacticien. Il ne sait pas où il va, mais il sait comment y aller. C’est pourquoi il est intéressant de suivre les méandres de la tactique mélenchonienne et surtout ses changements de cap. Prenons par exemple la NUPES : elle s’inscrit dans une longue suite de tentatives de reproduire le congrès d’Epinay, qui vit le dirigeant d’une formation politique marginale réussir une OPA sur la vénérable SFIO pour constituer une organisation, le Parti socialiste, capable d’arriver au pouvoir. Depuis son départ du PS en 2008, Mélenchon a essayé à plusieurs reprises le même coup : avec le PCF dans le cadre du Front de Gauche, avec l’ensemble de la gauche lors de la fondation de LFI en 2016, avec la NUPES en 2022. Et à chaque fois il bute sur le même obstacle : les autres partis acceptent une alliance électorale, ils peuvent aller jusqu’à soutenir la candidature présidentielle de Mélenchon… mais ne vont pas plus loin. Seule une minorité des militants – ceux qui par voie de débauchage constituent les « communistes insoumis », les « socialistes insoumis », les « écologistes insoumis » et ainsi de suite – sont prêts à se fondre dans une organisation qui, n’ayant aucune structure démocratique, n’est en fait qu’un instrument dans les mains de son gourou.

La NUPES a naufragé pour la même raison que le Front de Gauche avant elle. Il est clair que Mélenchon ne conçoit de participer à une alliance que s’il en a la maîtrise, que si les autres se rallient à lui. Or, il s’avère que plus le temps passe, moins les autres sont pressés de se rallier à son panache blanc inconditionnellement. On arrive vite à la situation où Mélenchon, agissant comme s’il avait une autorité qu’il n’a pas, utilise le fait accompli pour faire avaler des couleuvres à ses alliés, qui à leur tour se rebiffent. C’est pourquoi la NUPES n’avait pas d’avenir. Elle ne pouvait être autre chose qu’une alliance électorale, et donc vivre aussi longtemps que le leader minimo pensait une élection imminente. Maintenant qu’il a compris qu’une dissolution n’est pas dans les cartes, qu’on ne voit pas se profiler à l’horizon une situation où le président pourrait avoir intérêt à revenir devant les électeurs, il change sa tactique. Il ne se prépare plus à une législative imminente, mais à une présidentielle en 2027. Et cela suppose d’avoir les coudées franches. La NUPES n’a donc plus aucun intérêt pour lui, au contraire : elle limite sa capacité à dire n’importe quoi, et serait un obstacle à l’heure de chasser sur les terres électorales des communistes, des socialistes ou des écologistes. La NUPES a donc vécu : après avoir copieusement maltraité et insulté ses partenaires, Mélenchon a prononcé son acte de décès en rejettant, bien entendu, la faute sur les autres. Tout comme Mitterrand l’avait fait en 1978, lorsqu’il a cassé le « programme commun », ayant compris son intérêt de se présenter devant les électeurs avec les coudées franches et libéré de toute obligation envers les communistes.

A ce point du raisonnement, il faut poser la question de fond. Peut-on réduire Mélenchon à un pur tacticien ? Y a-t-il derrière cette pensée tactique, de ce désir d’égaler son maître en politique, une véritable Weltanschauung, ou mieux encore, une théorie qui donnerait une cohérence au discours ? Pour répondre à cette question, je me suis infligé la lecture de son dernier opus, « Faire mieux ! Vers la révolution citoyenne ». Comme il vaut mieux prévenir que guérir, je m’étais prévu une large dose de chocolat, mon antidépresseur favori, et caché toutes les armes dans la maison, couteaux de cuisine compris. On n’est jamais trop prudent. Ces précautions sont inutiles : le texte contient une large dose de comique involontaire, et s’il suscite une réaction ce serait l’ennui plutôt que la violence.

D’abord, le livre ravira ceux qui aiment les grandes envolées mélenchoniennes. Il n’y a pas à dire, le bonhomme a du talent pour pondre un texte agréable à lire, et qui donne une impression de profondeur et de pédagogie. Il faut le relire avec attention, crayon à la main, pour se rendre compte que des paragraphes entiers qui paraissent profonds n’énoncent en fait que des banalités, quand ce n’est pas des absurdités qu’il serait trop long de commenter (pour des exemples, voir le chapitre « le nouvel espace-temps », pages 27 sq). Mais à coté de ses envolées lyriques, le livre a un défaut aujourd’hui très fréquent dans les essais de ce type : on y trouve des dizaines – voire des centaines – de paragraphes faits d’énumération en vrac d’exemples, de chiffres, de données. Il est vrai que de nos jours n’importe quel assistant avec un accès à Google est capable de vous compiler des centaines de pages de cette nature. De quoi remplir largement un livre sans trop se fouler. Je ne dis pas que ce type d’information soit inutile : un exemple, un chiffre sont au contraire indispensables lorsqu’il s’agit d’illustrer ou d’appuyer un raisonnement. Mais balancés en vrac, avec au bout de plusieurs pages des conclusions générales du genre « cela montre comment le capitalisme saccage notre planète », sans qu’aucun lien ne soit établi entre le « capitalisme » et les données en question, cela ne sert à rien. Sans trop de difficultés, on pourrait compiler par le même moyen des chiffres et des exemples et tirer la conclusion inverse.

Une fois qu’on met de côté ces éléments, on rentre dans le vif du sujet, à savoir la fameuse – et fumeuse – « théorie de l’ère du peuple ». Ce qui frappe d’abord, c’est la pauvreté conceptuelle de la pensée mélenchonienne. Une théorie, quelle qu’elle soit, se construit à partir d’une batterie de concepts, c’est-à-dire, d’entités et d’objets rigoureusement définis, dont la théorie décrit les relations. Plus une théorie définit des concepts, plus les relations entre elles seront nombreuses et complexes, et plus la théorie sera riche. La théorie marxienne, pour ne donner qu’un exemple, nous a laissé de nombreux concepts, qu’elle a définies ou redéfinies : classe, bourgeoisie, prolétariat, aliénation, exploitation, plus-value, valeur, travail socialement nécessaire, et j’en passe. Quoi qu’on pense de l’articulation que Marx et ses successeurs ont fait de ces concepts, ils restent présents dans la réflexion y compris par ceux qui, comme Raymond Aron, ont critiqué le marxisme. La « théorie de l’ère du peuple » est de ce point de vue très pauvre. Si Mélenchon introduit quelques notions – « peuple », « oligarchie », « règle verte », « planification écologique », « révolution citoyenne » – il peine à les transformer en véritables « concepts », faute d’un travail de définition rigoureuse.  

Prenons par exemple les groupes sociaux. Mélenchon décrète obsolètes les catégories du marxisme. Foin de l’opposition entre bourgeoisie ou du prolétariat, aujourd’hui la confrontation se joue entre le « peuple » et « l’oligarchie ». Mais comment définit-on ces catégories ? Pour ce qui concerne « l’oligarchie », la gêne de Mélenchon est évidente, et c’est pourquoi le paragraphe qui lui est consacré (page 177 sq) noie le poisson avec une avalanche de chiffres : on apprend ainsi que « la moitié des richesses existantes est possédée par le 1% de la population mondiale », que « toutes les trente heures un milliardaire émerge et un million de personnes de plus basculait dans la pauvreté extrême », que « vingt-six milliardaires détiennent autant d’argent que la moitié de l’humanité », sans compter que l’oligarchie « excite les préjugés racisants et genrés » et « fait de l’islamophobie un fonds de commerce ». Et je pourrais continuer, parce qu’il y a une page complète d’informations et accusations de cette nature, parfaitement inutiles pour définir ce qu’est « l’oligarchie », qui y appartient et qui n’appartient pas, et surtout pourquoi. Sur cette définition, les idées de l’auteur sont tellement confuses qu’il tombe dans la contradiction logique : « [l’oligarchie] se distingue de la bourgeoisie traditionnelle même si elle la contient parce que son nombre est plus faible, sa propriété plus diffuse » (page 177). Comment un ensemble peut en contenir un autre tout en étant de cardinal plus faible ?

Pour le « peuple » (page 175 sq), c’est encore pire. Je suis obligé de citer in extenso pour que le lecteur apprécie le gloubi-boulga « théorique » que nous sert Mélenchon : « Le peuple est le milieu social constitué par la dépendance aux réseaux collectifs urbains. Mais nous nommons là, en réalité, un ensemble humain présent sous plusieurs noms différents et autant d’états. D’abord, c’est le peuplement. Le mot désigne alors les masses de gens installés dans une zone. Une foule. Elle vaque à ses occupations les plus diverses. Aucun autre lien n’apparaît, sinon les infrastructures matérielles auxquelles il lui faut avoir recours pour aller et venir. Mais bien sûr c’est quand même un ensemble de gens reliés en arrière-plan par des innombrables liens sociaux de la vie réelle. Ils font de chacun le membre d’une famille, l’associé, le colocataire, l’ami Facebook, le syndiqué, que sais-je. Je pourrais citer là tous nos liens sociaux personnels. Le peuplement forme alors une population. Elle est définie par les rapports sociaux au sein desquels elle se constitue. Et quand cette population se met en mouvement pour agir sur des objectifs revendicatifs communs, alors surgit le « peuple ». Le peuple est la forme politique du grand nombre, devenant protagoniste dans la société. Il l’est dans le cadre du conflit central dont l’enjeu est le partage de la richesse et l’accès aux réseaux. Conflit entre le peuple et l’oligarchie ».

Avez-vous compris quelque chose ? Moi si : que l’auteur de ce texte n’a pas les idées claires. Sa définition est tellement englobante qu’elle inclut de fait l’ensemble des groupes humains qui constituent la société. Car après tout, est-ce que les membres de « l’oligarchie » ne sont pas, eux aussi, « installés dans une zone » ? Est-ce qu’ils ne « vaquent » pas, eux aussi, à leurs occupations » ? Est-ce qu’ils ne sont pas, eux aussi, « reliés en arrière-plan par d’innombrables liens sociaux de la vie réelle » ?  Ne sont-ils pas, eux aussi, « membres d’une famille », « colocataires », « amis Facebook » et même « syndiqués » au MEDEF ? Est-ce qu’ils ne se mettent pas, eux aussi, « en mouvement sur des objectifs revendicatifs communs », par exemple, la baisse de leurs impôts (1)? Qu’est ce qui sépare alors de manière décisive « l’oligarchie » du « peuple »

Ces ambiguïtés ne sont pas, à mon sens, le fruit d’une réflexion insuffisante. Elles sont volontaires, et visent à créer un effet de sens, c’est-à-dire, un discours où chacun peut se reconnaître parce qu’il peut prendre un sens différent en fonction des préjugés ou des envies du lecteur. La clé se trouve dans la fin du paragraphe précité : « Conflit entre peuple et oligarchie. C’est « nous » face à « eux » ». Cette phrase est passionnante parce qu’elle montre combien la « théorie » mélenchonienne est subjective. Le lecteur du livre – qu’il soit ouvrier, cadre supérieur, rentier ou grand capitaliste – peut s’identifier au « peuple », puisque le « nous » l’englobe. L’oligarque, le méchant, c’est toujours l’autre. Un résultat impossible d’atteindre avec une définition comme celle, objective, que Marx donne des classes sociales. Ou bien on possède le capital, ou bien on vend sa force de travail, et cela ne dépend nullement de l’identification des individus avec un « nous » qui n’exclut finalement personne. Cette vision du « eux et nous » marque le fait que, pour les mélenchoniens, l’oligarque est une figure abstraite. Les êtres concrets sont tous membres du « peuple ». On retrouve ici une logique très présente dans les classes intermédiaires : le « riche », « l’oligarque », c’est celui qui est plus riche que vous et qui, naturellement, est toujours absent de la pièce. Celui qui occupe une place que vous aimeriez bien atteindre, mais qui n’est pas à votre portée. C’est pourquoi il n’est jamais « nous », mais toujours « eux ». On pourrait ici parler d’une forme « d’envie de classe ».

Le même problème affecte la définition de la « révolution citoyenne », notion tellement centrale dans le discours mélenchonien qu’on s’attendait à une délimitation précise. Comme souvent, Mélenchon ne la définit pas, mais procède à une énumération de mobilisations populaires dans différents pays depuis la fin du XXème siècle (page 191 sq), dans laquelle il est difficile de trouver un fil conducteur, une logique de classification. Qu’y a-t-il de commun entre les « printemps arabes », soulèvement populaire contre des régimes autoritaires, contre des figures usées par une trop longue permanence au pouvoir, et les occupations de Podemos en Espagne et du mouvement « Occupy Wall Street », manifestation des classes intermédiaires dans un contexte démocratique ? Entre le mouvement des Gilets Jaunes ou la protestation contre la retraite à 64 ans en France, qui font partie d’un débat démocratique interne, et la « révolution des parapluies » à Hong Kong qui contestait la mainmise d’un pouvoir vécu comme étranger ? Mélenchon l’établit : « [ces mouvements] sont nés d’une même situation, d’un même empêchement essentiel. Le capitalisme est incapable d’organiser la société des réseaux sinon comme société de pénurie pour le grand nombre. Pourtant, le pillage au profit de l’oligarchie n’est pas le déclencheur. La pagaille, l’impossibilité de vivre normalement, l’arrogance et l’indifférence des puissants met le feu aux poudres ». On voit très mal quel raisonnement peut conduire de l’énumération à la conclusion. Pour ne prendre qu’un exemple, cette caractérisation difficilement peut correspondre à la « révolution des parapluies » à Hong Kong, déclenchée non pas pour contester le capitalisme libéral, mais au contraire pour le défendre.

Une fois encore, cette ambiguïté ne doit rien au hasard. L’essentiel pour Mélenchon, c’est de montrer que « sa » révolution est une réalité ailleurs, et donc que le mouvement qu’il cherche à susciter en France est possible. Et accessoirement, que chaque groupe puisse labeliser « sa » révolte comme une « révolution citoyenne », qu’il se reconnaisse parmi le « nous », opposé au « eux ». C’est ainsi que (page 226 sq) les émeutes de banlieue sont élevées au rang de mouvement révolutionnaire. Pour la même raison, Mélenchon prend cinq pages (page 231 sq) pour singulariser le rôle des femmes dans les « révolutions citoyennes », là aussi à grands coups d’exemples tellement édifiants qu’on se demande s’ils ne sont pas inventés, soupçon d’autant plus justifié que ces exemples sont donnés sans mention de date et sans références. Ainsi, par exemple : « Avec cette présence, toutes les activités typiquement genrées changent de registre. Ainsi a-t-on vu des femmes organiser un service d’ordre spontané à Beyrouth lors d’une manifestation. Stupeur des machistes violents dès lors empêchés d’agir ! ». Vous noterez que si l’activité « genrée » de « service d’ordre » a « changé de registre », celle des manifestants « violents » reste très « genrée » : ce sont forcément des hommes. Ce service d’ordre « spontané » (mais « organisé »… on n’est pas à une contradiction près) n’aurait-il pas eu aussi à faire à des femmes – voire des féministes – « violentes » pour les « empêcher d’agir » ?

On trouve une ambiguïté assez similaire sur une question qui a toujours été difficile dans l’extrême gauche, celle de la nature et du rôle de la Nation. Curieusement, le concept est pratiquement absent dans la prose mélenchonienne, ce qui est d’autant plus étonnant que c’est un concept fondamental de l’idéologie de la Révolution française, à laquelle Mélenchon ne perd une occasion de manifester son attachement. La seule mention de la question nationale que j’ai pu trouver (pages 228 sq) fait référence à l’usage des drapeaux nationaux dans les manifestations à chaque « révolution citoyenne » : « Dans chaque cas, des foules brandissant le drapeau de leur pays (…) Le fait de prendre le drapeau et de se l’approprier veut dire, au sens très strict : « ce pays nous appartient », autrement dit « nous sommes le peuple souverain » ». Mais Mélenchon ne tire pas la conclusion qui s’impose: si partout dans le monde le « peuple » brandit le drapeau national pour marquer son caractère de souverain, cela indique un très large consensus sur le fait que la souveraineté n’a de sens que dans un cadre national. Il est vrai qu’une telle conclusion mettrait le discours mélenchonien en contradiction avec sa pratique politique…

Le manque de conceptualisation gâche l’une des idées les plus intéressantes du livre, qui est la question des réseaux. Mélenchon remarque à juste titre l’importance prise par les réseaux – électricité, eau, gaz, transports, téléphonie, internet – dans la vie économique et sociale. A partir de cette constatation, il prétend faire de la « lutte pour l’accès aux réseaux » une lutte essentielle, qui opposerait une « oligarchie » contrôlant ces réseaux et imposant du fait de ce monopole ses conditions au « peuple ». Il va jusqu’à soutenir que la richesse de l’oligarchie est en fait une « rente » liée à son contrôle des réseaux, qui lui permet de prélever un « droit d’accès ». Le problème est que Mélenchon étend la notion de « réseau » à l’infini. Ainsi, par exemple, il affirme que « Pour chacun en ville, quel que soit le problème, la solution unique est le raccordement à un réseau ». Et il explique : « ainsi, on ne songerait pas d’emblée à l’éducation dans cette catégorie. Pourtant, le moyen d’accéder aux connaissances indispensables pour survivre dans nos sociétés complexes ne peut fonctionner sans former un réseau, un parcours faisant converger toutes sortes d’acteurs de la maternelle à l’université ». Ou bien : « La santé publique est aussi un réseau. D’abord parce qu’elle nécessite l’acheminement et la coordination de nombreux flux : ceux des soignants, du matériel, des médicaments et ainsi de suite ». D’autres paragraphes font d’activités aussi disparates que la livraison de colis ou le commerce alimentaire des « réseaux ». Ici, les définitions vagues conduisent l’auteur à confondre la problématique du réseau avec celle de la division du travail. Car une chose est de dire que nous sommes dépendants du réseau – qui est une infrastructure matérielle, faite de câbles, de tuyaux ou de rails – et une autre est de dire que nous sommes dépendants de l’activité – éventuellement coordonnée – d’autres personnes. Or, cette dernière dépendance ne doit rien au capitalisme. Elle est inhérente à toute société où existe la division du travail. Pour trouver un individu autosuffisant, il faut remonter très loin dans la préhistoire, et pour trouver des communautés autosuffisantes, à l’âge du bronze. On l’oublie souvent, mais déjà à l’époque romaine les chaines de valeur étaient « mondialisées » – même si le « monde » était beaucoup plus petit : le verre était produit par fusion là où les matières premières et les techniques étaient disponibles, puis transportées – quelquefois très loin – sous forme de « pains » ou lingots, qui étaient ensuite chauffés et soufflés à la verrerie – la température nécessaire pour souffler le verre est très inférieure à celle nécessaire pour la vitrification du sable – pour en faire des récipients, qui à leur tour étaient transportés vers des marchés lointains. Même chose pour le fer : le forgeront de village, qui forgeait les fers pour les chevaux du coin, ne partait pas du minerai de fer et n’avait d’ailleurs pas de four assez chaud pour séparer le fer ou le réduire. Il achetait à un marchand des lingots de fer, eux-mêmes fabriqués à partir du minerai, dans un lieu aussi proche que possible à la fois du lieu d’extraction et des gisements de combustible. L’idée d’un processus de production localisé en un seul lieu, de la matière première au produit fini, n’a de réalité que dans des sociétés très primitives.

Parmi les réseaux au sens stricte du mot, beaucoup sont des monopoles naturels (3) et dans ce cas ils sont pratiquement toujours publics ou strictement régulés, et l’accès à ceux-ci est un droit légal. C’est le cas par exemple dans la plupart des pays du réseau électrique. Parler donc d’un « conflit de propriété » à leur propos ou faire de « l’accès au réseau » un « conflit central » entre « peuple » et « oligarchie » n’a pas beaucoup de sens. Pour les autres réseaux, la régulation par la concurrence limite très largement le pouvoir de leurs propriétaires pour imposer ses conditions d’accès. On remarquera d’ailleurs que les réseaux en concurrence – internet, téléphonie mobile – ne procurent pas à leurs exploitants des profits mirifiques, puisque la concurrence sur les prix est féroce. Pour les fournisseurs de service internet, l’activité réseau est plutôt un boulet, leurs gains se trouvant essentiellement dans la vente de contenus (vidéo, musique). Car il y a là une autre confusion dans le discours mélenchonien, c’est la confusion entre le réseau lui-même et ce que le réseau délivre. Le réseau, en tant qu’infrastructure, n’est que le moyen de prêter un service ou de livrer un bien. Le réseau d’eau livre de l’eau, le réseau d’électricité livre l’électricité, mais le réseau d’assainissement ne « livre » rien, au contraire. Il fournit un service d’évacuation. Et cette livraison, cette évacuation sont des services en eux-même, qui doivent être produits par le travail humain. Ce que le propriétaire du réseau facture à ses usagers, ce n’est pas un « droit d’accès », une sorte de nouvel octroi, comme le prétend Mélenchon, mais bien un service qui a sa propre économie.

Et on arrive ainsi à la faiblesse essentielle dans la « théorie de l’ère du peuple » : elle ignore totalement les processus de production. On chercherait en vain dans le texte la moindre réflexion sur la manière dont les biens et les services sont produits, sur les mécanismes de régulation qui adaptent la production au besoin. Il serait tout aussi vain de rechercher la description d’un mode de production alternatif, qui pourrait se substituer au capitalisme. La production matérielle n’existe en fait pas chez lui : ainsi, tout en invoquant « la tradition efficace du matérialisme » (page 188) il explique que « Le peuple produit et reproduit son existence matérielle en accédant aux réseaux collectifs (…) sans lesquels il lui est impossible de survivre. Le régime de la propriété des réseaux, leur place dans le processus global d’accumulation capitaliste, l’aliénation de soi constituée par leur fonctionnement marchand, font la définition du peuple comme acteur du mode de production ». Autrement dit, ce n’est pas la production de valeur qui fait du peuple un « acteur du mode de production », mais son accès à cette même valeur. Mélenchon regarde le capitalisme uniquement sous l’angle de la distribution des richesses (2). La manière dont ces richesses sont produites ne semble pas l’intéresser. Il est d’ailleurs remarquable que, après avoir donné aux réseaux une telle importance, il n’ait rien à dire sur leur genèse, c’est à dire, sur la manière dont ils ont été eux-mêmes produits.

Cette indifférence a des conséquences théoriques importantes. D’abord, parce que sans une réflexion sur le mode de production, c’est à dire de la manière dont la production des biens et les services est organisée et régulée, il n’y a aucune possibilité de définir une alternative. Pour le dire autrement, la vision « révolutionnaire » de Mélenchon est purement réformiste: le mode de production capitaliste est une donnée, un universel pour lequel il n’y a pas d’alternative. On peut jouer sur la manière dont richesse et pouvoir sont distribués, mais pas sur la manière dont ils sont produits.

Ensuite, cette indifférence a une conséquence idéologique. Dans la théorie marxienne, la légitimité du prolétariat pour exiger un autre partage des richesses repose fondamentalement sur le fait qu’il en est le producteur. Mais dans la « théorie de l’ère du peuple », sur quoi repose la légitimité du « peuple » à exiger un partage plus juste ? La question n’est pas formellement traitée, mais à la lecture du texte, on voit que c’est pour Mélenchon une question de principe. La répartition capitaliste n’est pas injuste parce qu’elle prive le producteur du fruit de son travail, mais parce qu’elle viole un principe d’égalité abstrait. Du coup, la dynamique de la lutte des classes, qui en fait dans la logique marxiste le moteur de l’histoire, disparaît pour laisser place à un conflit qui est purement idéologique, puisqu’il dépend de l’adhésion et de l’interprétation d’un principe. Ce n’est plus une question matérielle, mais une idée qui devient le moteur de l’évolution sociale.

Cet idéalisme se retrouve aussi dans la vision que le livre donne du « pouvoir ». Pour Mélenchon, le pouvoir est associé à la prise de décision. Il l’écrit d’ailleurs formellement : « La citoyenneté est cette fonction. Elle consiste à exercer le pouvoir. Le pouvoir dont il est question ici est celui de décider. C’est-à-dire, concrètement, de prendre le contrôle au sens large du terme ». Le problème est que « décider » et « prendre le contrôle », surtout « au sens large du terme », ce n’est pas du tout la même chose. Entre la « décision » et sa réalisation il y a une mécanique bien matérielle qui est déterminante. Le « pouvoir », ce n’est pas la capacité à décider, qui n’est qu’une manifestation de volonté, mais la capacité de traduire sa volonté en actes.

La « théorie de l’ère du peuple » est ce qu’on peut appeler une « théorie ad hoc », un manifeste idéologique. Elle ne surgit pas du besoin d’analyser et de modéliser le réel, mais de justifier un projet politique – et accessoirement, de légitimer la prétention d’un groupe social, les classes intermédiaires, à en prendre la tête. Tant que la pensée à gauche était soumise au cadre marxien, il est clair que le rôle des classes intermédiaires ne peut être que marginal, le premier rôle étant réservé au prolétariat. C’est d’ailleurs de là que vient le grand traumatisme de mai 1968, quand les classes intermédiaires ont pris conscience que le prolétariat ne leur était pas soumis. L’idée du « peuple » définie comme un « nous » généralisé permet aux classes intermédiaires de se placer du bon côté de l’Histoire, celui des opprimés. Ce qui les dispense de s’interroger sur leur position réelle dans le mode de production, sur leurs intérêts, sur les privilèges dont elles bénéficient. Et accessoirement, compte tenu des avantages objectifs dont elles disposent, de prendre la tête du « peuple » et parler en son nom.

En dehors de ça, le livre contient beaucoup de développements, certains intéressants, d’autres amusants, d’autres encore absurdes (4) qui, lus avec une certaine distance, donnent une idée assez complète de ce qu’est le monde selon Mélenchon. Et de pourquoi ce monde n’apporte, finalement, pas grande chose de nouveau.

Descartes

(0) Vous noterez d’ailleurs que ce comportement n’est pas exclusif de Mélenchon : Macron fait exactement la même chose, lorsqu’il accueille une cérémonie religieuse à l’Elysée ou en assistant à une messe à Marseille. Il sait parfaitement que ce faisant il provoque la polémique, ce qui lui permet non seulement de caresser dans le sens du poil un objectif électoral, mais aussi occuper le devant de la scène médiatique. Milei, en Argentine, fait exactement la même chose lorsqu’il apparaît avec sa tronçonneuse. Il faut croire que l’égo-politique a la même logique partout…

(1) On pourrait écrire des pages sur la faiblesse de cette définition. Ainsi, par exemple, que se passe-t-il quand deux « populations » se « mettent en mouvement pour agir sur des objectifs revendicatifs communs » mais contradictoires – par exemple, lorsqu’une partie des couches populaires exige l’expulsion des clandestins, et une autre partie les accueille ? Constituent-ils deux « peuples » différents ?

(2) On trouve d’ailleurs des paragraphes révélateurs et passablement comiques à ce sujet, par exemple lorsqu’il décrit (page 34) l’activité d’une usine : « [l’usine] organise bien un espace, délimité par ses murs, à l’intérieur duquel divers sous-espaces prennent en charge les diverses étapes de la production : réception des matières premières ou pièces détachées, assemblage, peinture, contrôle qualité, stockage, livraison ». Passons sur l’idée que ce soient les « sous-espaces » qui « prendraient en charge » les activités de production, pour nous concentrer sur un grand absent parmi les activités accomplies dans l’usine mélenchonienne. Qu’est ce qui manque ? Eh bien, dans l’usine en question on « réceptionne les matières premières »… mais on ne les transforme pas. On ne fait qu’assembler – probablement les « pièces détachées » venues d’ailleurs – et peindre, pour ensuite contrôler le produit fini, le stocker et le livrer. L’image de la production chez Mélenchon n’est pas l’aciérie ou la forge, mais la « maquiladora ».

(3) On appelle « monopoles naturels » les activités dans lesquelles l’existence d’acteurs multiples entraîne une perte d’efficacité économique. Dans ces secteurs, la tendance naturelle des acteurs privés est à fusionner, puisque la fusion entraîne une augmentation de l’efficacité économique, jusqu’à aboutir à un monopole. C’est le cas par exemple du transport et de la distribution d’électricité ou de gaz. La multiplication du réseau électrique coûterait cher et n’apporterait aucun avantage.

(4) C’est le cas de la « règle verte », dont la définition conduit à une impossibilité physique : elle consiste « à ne pas prélever sur la nature plus que celle-ci ne peut reconstituer ». Cela suppose de n’utiliser aucun minerai (qui ne se reconstitue jamais), aucun combustible fossile (dont le temps de reconstitution se compte en millions d’années). Une civilisation qui ferait sienne cette règle est-elle possible ? Il ne reste pas moins que Mélenchon continue à répéter cette antienne… preuve que, comme le disait Napoléon, « en politique une absurdité n’est pas une impossibilité ».

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76 réponses à Mélenchon, entre « Faites mieux ! » et faire pire…

  1. marc.malesherbes dit :

     
    Billet très intéressant pour qui s’intéresse à Mélenchon, LFI.Serait-il possible d’avoir un billet aussi fouillé sur l’idéologie Woke ?
     
    nb : c’est important car l’idéologie Woke sera sans doute celle du XXIème siècle pour les “dominés”.
     
    Quelque soit ses travers elle s’alimente de la volonté, compréhensible, des pays du Sud, des minorités immigrés dans les pays occidentaux de prendre le pouvoir au dépens de leurs anciens maîtres, de leurs anciens colonisateurs.
     
    Elle est dérivée du marxisme, avec Sartre et co (voir son livre « la question juive », voir sa préface à Les damnés de la terre de Frantz Fanon ). Il a rencontré sur ce sujet à l’époque un succès limité en Europe. Mais au USA les intellectuels, les universitaires s’en sont emparés pour soutenir les revendications des noirs et elle nous revient maintenant massivement en Europe.
     
    La théorie marxiste ne s’intéressait que marginalement aux pays colonisés, ce qui se comprend, les ouvriers ayant intérêt à cette exploitation et le sujet n’étant pas central pour le monde ouvrier européen. L’idéologie Woke cherche à y remédier en mettant les anciens pays colonisés et leurs peuples au centre du jeu, tout en reprenant de nombreux éléments du marxisme. Et ce d’autant plus que depuis Marx les pays colonisés se sont émancipés, les populations issues de ces pays se sont considérablement accrus dans les pays occidentaux.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Billet très intéressant pour qui s’intéresse à Mélenchon, LFI.Serait-il possible d’avoir un billet aussi fouillé sur l’idéologie Woke ?]

      Je peux essayer… mais je n’ai pas trop travaillé là-dessus, il faudrait un gros effort de documentation.

      [nb : c’est important car l’idéologie Woke sera sans doute celle du XXIème siècle pour les “dominés”.]

      Je ne le crois pas un instant. L’idéologie « woke » est surtout une idéologie générée par le bloc dominant, et dont le résultat n’est certainement pas de donner aux « dominés » – on aimerait avoir une définition précise de ce terme – des outils d’émancipation, mais au contraire de les diviser dans une compétition victimaire. Vous noterez d’ailleurs que les « dominés » ne sont pas dupes. L’idéologie « woke » a fort peu d’influence dans les cités populaires… elle ne pèse lourd que dans les lieux fréquentés par les classes intermédiaires.

      [Quels que soient ses travers elle s’alimente de la volonté, compréhensible, des pays du Sud, des minorités immigrés dans les pays occidentaux de prendre le pouvoir au dépens de leurs anciens maîtres, de leurs anciens colonisateurs.]

      Je ne vois pas très bien d’où vous sortez cette idée. L’idéologie « woke » joue un rôle minimal dans la plupart des pays du sud, et même chez les minorités immigrées dans les pays occidentaux. En fait, l’idéologie « woke » est un produit des classes intermédiaires américaines, produit d’une société qui n’a jamais vraiment digéré son rapport historique à l’esclavage. Allez dans les pays du sud ou dans les cités françaises expliquer la convergence des luttes féministes, raciales et LGBT, et vous verrez comment vous serez accueilli.

      [Elle est dérivée du marxisme, avec Sartre et co (voir son livre « la question juive », voir sa préface à Les damnés de la terre de Frantz Fanon ).]

      Pauvre Marx… d’abord, Sartre n’a jamais été marxiste, et on voit mal comment un existentialiste pourrait l’être. Ensuite, le « wokisme » n’est en rien une théorie matérialiste, puisqu’elle met l’accent sur la question subjective de « l’éveil ». Alors de grâce, Marx et les marxistes ont suffisamment de péchés à eux pour ne pas avoir à assumer ceux des autres.

      [Il a rencontré sur ce sujet à l’époque un succès limité en Europe. Mais au USA les intellectuels, les universitaires s’en sont emparés pour soutenir les revendications des noirs et elle nous revient maintenant massivement en Europe.]

      Quel rapport avec la colonisation ? Les noirs américains ne sont pas des « colonisés ». Et il ne faudrait pas confondre l’idéologie « woke » avec la lutte pour les droits civiques. Il est vrai que les idées anticolonialistes ont trouvé un fort écho dans les classes intermédiaires américaines, à une époque où la politique américaine était de soutenir les mouvements qui poussaient à la dissolution des anciens empires coloniaux, et de récupérer les marchés ainsi ouverts.

      Méfiez-vous : lorsque le bloc dominant commence à fabriquer des idéologies en défense des opprimés, on a toutes les raisons de penser que ces idéologies ne sont pas tout à fait ce qu’elles semblent être.

      [La théorie marxiste ne s’intéressait que marginalement aux pays colonisés, ce qui se comprend, les ouvriers ayant intérêt à cette exploitation et le sujet n’étant pas central pour le monde ouvrier européen.]

      En général, la théorie marxiste s’intéresse assez marginalement aux pays, colonisés ou pas. Marx est un théoricien du capitalisme, pas de l’organisation politique. Ce qui l’intéressait, c’est d’observer les rapports de classe dans les pays capitalistes. Je doute que Marx ait exclu le sujet colonial de sa réflexion parce que « les ouvriers avaient intérêt à cette exploitation ». La théorie marxienne n’est pas une théorie « ad hoc ».

      [L’idéologie Woke cherche à y remédier en mettant les anciens pays colonisés et leurs peuples au centre du jeu,]

      Je ne comprends pas très bien votre raisonnement. Si la théorie marxienne est insuffisante dans sa prise en compte du phénomène colonial, on voit mal comment une «idéologie » pourrait « remédier » cette absence. Pour corriger les défauts d’une théorie, il vous faut une autre théorie, et non une « idéologie ».

      L’idéologie « woke » ne cherche nullement à mettre « les pays colonisés et leurs peuples au centre du jeu ». Elle prétend surtout de sortir le prolétariat du jeu, en fabriquant un « opprimé » alternatif qui, de par sa position dans le mode de production, ne représente aucun danger, et qui surtout permet aux classes intermédiaires de parler en son nom.

      [tout en reprenant de nombreux éléments du marxisme.]

      Comme par exemple ? Quel « élément du marxisme » reprend l’idéologie « woke » ?

      • Goupil dit :

        Excusez-moi mais, même si vous cherchez de la documentation, j’ai peur que ce soit partir du mauvais pied que de parler d’idéologie woke.
        Le “wokisme” est un discours médiatique, une espèce de vulgate de pensées “critiques” qui, si elles sont explorées en profondeur, s’avèrent dissemblables : si on prend au sérieux leurs fondements théoriques, il n’y a que peu de points communs entre féminisme queer, féminisme radical, décolonialisme, afrocentrisme, etc… Et je pense que ces différentes idéologies n’ont pas forcément les mêmes fonctions. Après, il est clair qu’il existe un “wokisme” chez des gens (des classes moyennes) qui ont une vision superficielle mais positive de ces idées et qui manifestent surtout, non pas une adhésion réelle à ces concepts, mais à un mouvement perçu comme “progressiste-libéral”. Je crois qu’il y a chez eux la même conscience que celle que l’hôte de ce blog décèle chez les électeurs de gauche : une volonté de se donner bonne conscience sans que cela ne leur coûte trop cher.
        Au demeurant, s’il l’on souhaite critiquer ces idéologies, il me semble que l’honnêteté intellectuelle impose de les examiner isolément les uns des autres, quitte à en souligner les éventuels points communs ultérieurement.
        De plus, je crois surtout que ce que marc.malesherbes appelle “wokisme” désigne plutôt le décolonialisme (du fait de son insistance sur le fait qu’il répondrait aux intérêts des Etats du Sud ou décolonisés). Il est en effet une idéologie qui est très prégnante dans certains milieux et qui mérite d’être critiquée. Cependant, elle a bien un lien avec le marxisme puisque certains de ses auteurs (Annibal Quijano notamment) sont d’anciens marxistes (souvent très inspirés par Mariategui) qui ont cherché à “dépasser” ce qu’ils en estimaient être les limites, quitte à rompre avec lui.

        • Descartes dit :

          @ Goupil

          [Excusez-moi mais, même si vous cherchez de la documentation, j’ai peur que ce soit partir du mauvais pied que de parler d’idéologie woke. Le “wokisme” est un discours médiatique, une espèce de vulgate de pensées “critiques” qui, si elles sont explorées en profondeur, s’avèrent dissemblables : si on prend au sérieux leurs fondements théoriques, il n’y a que peu de points communs entre féminisme queer, féminisme radical, décolonialisme, afrocentrisme, etc…]

          Je ne suis pas d’accord. Ce qui caractérise l’idéologie « woke », ce ne sont pas les « pensées critiques » auxquelles vous faites référence, mais la manière dont ces pensées sont resituées dans la dynamique sociale. L’idée derrière le « wokisme » est que les vices qu’on reproche à la société (sexisme, racisme, colonialisme…) sont « systémiques », et pour cette raison, invisibles aux individus qui n’ont pas été « éveillés ». Autrement dit, que le fait que vous ne perceviez pas une injustice n’implique pas qu’elle n’existe pas, mais que vous n’êtes pas assez « éveillé » pour la voir. Au fond, on retrouve chez les « woke » une vision aristocratique-sectaire : l’idée qu’on détient une vérité évidente, et que ceux qui ne l’acceptent pas le font par aveuglement, parce qu’ils n’ont pas bénéficié de la « révélation » qui n’est ouverte qu’aux élus, appelés à conduire les autres vers la vérité.

          Cela étant dit, le terme « woke » est un peu mis à toutes les sauces, et on tend à en faire un synonyme d’extrémisme sociétal…

          [De plus, je crois surtout que ce que marc.malesherbes appelle “wokisme” désigne plutôt le décolonialisme (du fait de son insistance sur le fait qu’il répondrait aux intérêts des Etats du Sud ou décolonisés). Il est en effet une idéologie qui est très prégnante dans certains milieux et qui mérite d’être critiquée. Cependant, elle a bien un lien avec le marxisme puisque certains de ses auteurs (Annibal Quijano notamment) sont d’anciens marxistes (souvent très inspirés par Mariategui) qui ont cherché à “dépasser” ce qu’ils en estimaient être les limites, quitte à rompre avec lui.]

          Justement, pour arriver à ce genre d’idéologie il a fallu à ces « anciens marxistes » de « rompre » avec le marxisme. Vous trouverez des « anciens marxistes » dans beaucoup de chapelles idéologiques : on trouvait d’anciens trotskystes comme Weber ou Mélenchon qui ont soutenu avec passion Mitterrand, d’autres comme Kristol qui sont devenus des idéologues du neoconservatisme américain. Cela n’implique nullement qu’on puisse établir un « lien » entre l’idéologie eurolâtre de Mitterrand ou le néoconservatisme de Bush et le marxisme…

  2. Cording1 dit :

    Il n’empêche que la création de la NUPES fût un bon coup tactique de Mélenchon  pour renter d’asseoir sa domination sur toute la gauche. Cependant elle était vouée à l’échec parce qu’elle n’était, en fin de compte, qu’un cartel électoral pour tenter d’empêcher le naufrage de la gauche au point de vue de sa représentation parlementaire. Ce n’est que partie remise pour 2027 dans la mesure où Mélenchon depuis son départ du PS a surtout détruit le PS pour se venger du congrès de Reims où sa tendance a été minorée par une manoeuvre d’appareil dont le PS et lui étaient pourtant friands. Depuis il n’a élaboré que des structures peu ou pas démocratiques avec la culture du chef et de son clan ce qui est plus visible avec la FI qui pratiquent des exclusions sans appel dès le moindre désaccord. C’est un autocrate ou un caudillo dans la mesure où il aimait l’Amérique du sud notamment le régime de Chavez sans bien le comprendre parce que le christianisme y est plus prégnant qu’il ne l’imagine ou ne le veut.
    Et finalement pour l’homme politique hostile aux institutions de la Vè République il semble “accro” à l’élection présidentielle dans la mesure où il a fait le vide autour de lui pour des candidatures alternatives à la sienne en 2027.

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Il n’empêche que la création de la NUPES fût un bon coup tactique de Mélenchon pour tenter d’asseoir sa domination sur toute la gauche.]

      C’était surtout un coup de génie pour capitaliser le score de l’élection présidentielle. D’abord, Mélenchon a très bien compris que pour cela, il fallait « nationaliser » l’élection législative en transformant ce qui normalement est un scrutin local en un vote pour choisir un premier ministre. Ensuite, il a su expliquer à ses partenaires qu’ils avaient tout intérêt à participer à cette fiction pour sauver leur représentation parlementaire.

      [Cependant elle était vouée à l’échec parce qu’elle n’était, en fin de compte, qu’un cartel électoral pour tenter d’empêcher le naufrage de la gauche au point de vue de sa représentation parlementaire.]

      Oui et non. La NUPES a été un succès en tant que cartel électoral. Ce n’est un échec que si on veut qu’elle soit autre chose. Ce que Mélenchon – mais aussi les socialistes qui parlent aujourd’hui d’union de la gauche – ne veulent pas admettre, c’est que la « gauche » de leur jeunesse est morte. La gauche de 1972 avait un cadre intellectuel commun, le marxisme, qui lui donnait une forme d’unité. On pouvait s’écharper entre réformistes et léninistes sur la meilleure manière d’en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme, mais l’objectif de tous était celui-là. Aujourd’hui, il n’y a plus de cadre idéologique commun. Ce qu’on appelle pour des raisons historiques « la gauche » est un rassemblement de chapelles ou l’on rend culte à des dieux très différents. Quelle politique commune entre des écologistes qui reprennent les antiennes les plus réactionnaires du romantisme allemand, et des communistes toujours attachés aux idées de progrès issues des Lumières ? Quel point commun entre des socialistes reconvertis dans le libéralisme et des « insoumis » qui vouent aux gémonies Smith et Ricardo ?

      L’union de la gauche de 1972 est impossible aujourd’hui non pour une question d’égos et de boutiques, comme Mélenchon fait semblant de croire, mais parce que les différentes organisations veulent des choses différentes – et répondent d’ailleurs à des groupes sociaux différents. Leur seul ciment, c’est l’idéologie dominante des classes intermédiaires, qu’on peut appeler – avec quelque abus de langage – le « wokisme ». Et cela ne suffit pas à faire un corps politique.

      [Ce n’est que partie remise pour 2027 dans la mesure où Mélenchon depuis son départ du PS a surtout détruit le PS pour se venger du congrès de Reims où sa tendance a été minorée par une manœuvre d’appareil dont le PS et lui étaient pourtant friands.]

      C’est faire beaucoup d’honneur de croire qu’un homme à lui tout seul a le pouvoir de détruire un parti politique ayant la taille et l’implantation du PS. Non, si Mélenchon a quitté le PS en 2008, c’est parce qu’il a bien compris que le bateau coulait. Mais son rôle dans le sabordage est relativement minime. Le naufrage du PS a été la conséquence de sa conversion jamais totalement assumée au néolibéralisme. Cette conversion a produit des tensions énormes entre les néolibéraux assumés, les vieux dirigeants attachés à la tradition socialiste, et au milieu les opportunistes pour qui seul le pouvoir compte. Les fissures pouvaient être occultées lorsque le PS était dans l’opposition et que les différentes factions étaient unies derrière la priorité qui était de reconquérir le pouvoir. Mais elles devenaient béantes chaque fois qu’il fallait exercer le pouvoir et donc faire des choix. La présidence Hollande a provoqué l’explosion finale : une grosse moitié du PS a fini par assumer son néolibéralisme derrière Macron, une petite moitié est restée dans la « vieille maison » à rabâcher ses rancœurs et s’est repliée sur les bases de pouvoir local. Et dans ce processus, Mélenchon n’a joué aucun rôle, si ce n’est celui de la mouche du coche. Là où l’on peut créditer Mélenchon d’une grande clairvoyance, c’est d’avoir compris dès 2008 que le ver était dans le fruit. Lorsqu’on regarde rétrospectivement, on peut voir dans la campagne qui conduit Ségolène Royal au deuxième tour de la présidentielle le processus de pourrissement à l’œuvre. Mais Mélenchon a été celui qui l’a perçu avant tout le monde.

      Mélenchon n’avait rien à « venger » au congrès de Reims. La manipulation des votes dont il a été victime n’avait rien de nouveau, c’était la règle depuis le milieu des années 1980. Pensez-vous vraiment que Mélenchon aurait attendu jusqu’à 2008 pour s’en apercevoir ? Non, le choix de Mélenchon est bien plus politique que ça. Le congrès de Reims a montré combien l’aile néolibérale et l’aile traditionnaliste du PS étaient inconciliables, et Mélenchon a bien compris que cette confrontation allait se terminer tôt ou tard par une implosion.

      [Depuis il n’a élaboré que des structures peu ou pas démocratiques avec la culture du chef et de son clan ce qui est plus visible avec la FI qui pratiquent des exclusions sans appel dès le moindre désaccord.]

      Avant aussi. LFI ne fait que reproduire le fonctionnement des « courants » successifs du PS dont Mélenchon a été le chef. Que voulez-vous, on ne guérit pas de sa jeunesse…

      [C’est un autocrate ou un caudillo dans la mesure où il aimait l’Amérique du sud notamment le régime de Chavez sans bien le comprendre parce que le christianisme y est plus prégnant qu’il ne l’imagine ou ne le veut.]

      Je pense que vous faites erreur. Le « christianisme », au sens strict du terme, n’est pas plus prégnant que chez nous. Ce qui est nettement plus prégnant, c’est la pensée magique. Que cette pensée magique s’organise autour des rites et symboles vaguement chrétiens, c’est vrai. Mais en termes idéologiques, cette pensée n’a que peu de contenus « chrétiens ».

      Ce que Mélenchon aime dans la politique latinoaméricaine, c’est sa plasticité. Il est vrai qu’en Amérique Latine il suffit que le « caudillo » dise « je veux » pour que les choses se fassent, alors que chez nous il faut souvent des mois ou des années de planification, de consultation, de travail d’expert pour aboutir. Mais cette plasticité a sa contrepartie : lorsque le « caudillo » donne un ordre irrationnel, il n’y a aucun mécanisme pour détecter et corriger l’erreur. Et puis, ce qu’un « caudillo » peut faire très vite, un autre peut le défaire tout aussi rapidement.

      Mélenchon n’est pas le seul à avoir été séduit par cette plasticité. Elle a séduit beaucoup de penseurs de la « vieille Europe », que ce soit sous sa version latino-américaine à gauche, ou nord-américaine à droite. Mais cette plasticité, de Chavez à Bush, cache une bonne dose d’irrationnalité. Et de corruption…

      • Cording1 dit :

        Vous faites trop d’honneur à Mélenchon en pensant qu’il a quitté le PS parce qu’il a compris que le bateau coulait. Pendant sa campagne électorale Ségolène Royal a eu quelques justes intuitions qui n’ont pas plu à l’appareil du PS et des médias à savoir notamment un besoin d’ordre et d’autorité dans la société.En 2008 et bien après c’est tout l’appareil du PS qui s’était rallié au néolibéralisme sous alibi européen pour finir en 2016-2017 pour fournir 90% des cadres initiaux de Macron et du macronisme. Peu ou prou toute la gauche est néolibérale sous alibi européen. Vous ne verrez jamais aucun de leurs dirigeants faire le lien direct : l’UE telle qu’elle est est le grand tabou du discours politique actuel.
        On dit parfois que les USA sont le laboratoire politique et social de ce qui va nous arriver 20 ans après. Or un essayistes américain Thomas Frank a publié 2 livres traduits en français sous les titres “Pourquoi les riches votent à gauche” et “Pourquoi les pauvres votent à droite” parus en édition de poche chez Agone; Ils expliquent bien la situation politique aux USA voire de la nôtre. D’autre part l’économiste David Cayla fait bien le lien entre populisme et néolibéralisme. En conséquence de quoi il est permis de penser que le populisme a de beaux jours devant lui tant que la gauche sera néolibérale même sous alibi européen. Et qu’elle est morte politiquement pour longtemps. Mélenchon n’aura été qu’une pathétique tentative de le sauver d’elle-même. Un ami diplomate pense que Trump va être élu en novembre 2024 parce que les “Swing states” lui sont acquis et que la participation électorale sera bien inférieure à 2020 pour en revenir à un taux moyen de 50% et que l’anti-trumpisme s’est en grande parti dissous. Chez nous certains dans les couches dirigeantes jouent Marine Le Pen gagnante en 2027 notamment parce qu’elle leur donne tous les gages.   

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [Vous faites trop d’honneur à Mélenchon en pensant qu’il a quitté le PS parce qu’il a compris que le bateau coulait.]

          A l’époque, j’avais des échanges fréquents avec Mélenchon et son équipe. Je peux vous assurer que c’était là leur constat de base. Après la défaite de Royal et le scandale du congrès de Reims, ça sentait nettement le sapin. Souvenez-vous : tout le monde pensait à l’époque que Sarkozy ferait deux mandats. D’une certaine façon, l’élection de Hollande fut une « divine surprise ». Je me demande d’ailleurs si Mélenchon aurait quitté le PS s’il avait pensé que celui-ci remporterait les élections de 2012…

          [Pendant sa campagne électorale Ségolène Royal a eu quelques justes intuitions qui n’ont pas plu à l’appareil du PS et des médias à savoir notamment un besoin d’ordre et d’autorité dans la société. En 2008 et bien après c’est tout l’appareil du PS qui s’était rallié au néolibéralisme sous alibi européen pour finir en 2016-2017 pour fournir 90% des cadres initiaux de Macron et du macronisme.]

          Le ralliement est bien plus ancien. Il commence en 1983, avec le « tournant de la rigueur » qui voit la prise du pouvoir par l’équipe Delors. Et il est pratiquement complet en 1992 : Lors du référendum sur le traité de Maastricht, très rares sont les voix socialistes qui défendent le « non ».

          [Peu ou prou toute la gauche est néolibérale sous alibi européen. Vous ne verrez jamais aucun de leurs dirigeants faire le lien direct : l’UE telle qu’elle est est le grand tabou du discours politique actuel.]

          C’est un peu exagéré : je vois mal un Roussel dans les habits d’un « néolibéral ». Mais il est vrai que la gauche est globalement devenue « eurolâtre », sans comprendre que l’Union européenne ne peut être que néolibérale, que « l’Europe démocratique et sociale » est un rêve impossible. Oui, la question de l’UE est un grand tabou. Ce qui est curieux, c’est que de plus en plus on entend une petite musique selon laquelle on pourrait « s’affranchir » des règles de l’UE – tout en restant dedans. Ainsi, j’ai été surpris de lire dans le journal de référence un article sur la volonté du RN, au cas où il arriverait au pouvoir dans un contexte de cohabitation, de mettre la TVA sur les carburants à 5,5%. Le journaliste signale que cette mesure violerait les règles européennes, que de ce fait « elle aurait besoin de l’accord du président de la République ». Autrement dit, violer les règles européennes ce n’est plus une impossibilité, il faut juste avoir l’accord du chef de l’Etat…

          La sortie il y a quelque temps de cet eurolâtre qu’est Michel Barnier sur la question de la supériorité du droit européen est d’ailleurs symptomatique du progrès de certaines idées y compris dans notre classe politique. La sacralité du droit européen n’est plus un dogme.

          [On dit parfois que les USA sont le laboratoire politique et social de ce qui va nous arriver 20 ans après. Or un essayistes américain Thomas Frank a publié 2 livres traduits en français sous les titres “Pourquoi les riches votent à gauche” et “Pourquoi les pauvres votent à droite” parus en édition de poche chez Agone; Ils expliquent bien la situation politique aux USA voire de la nôtre.]

          C’est une question de classe. La gauche a été phagocytée par les classes intermédiaires. Et aujourd’hui, l’intérêt des classes intermédiaires se trouve du côté de la bourgeoisie, et non des couches populaires. Pourquoi voulez-vous que les « pauvres » votent pour des partis qui ne traitent que les problématiques qui intéressent les classes intermédiaires ?

          [En conséquence de quoi il est permis de penser que le populisme a de beaux jours devant lui tant que la gauche sera néolibérale même sous alibi européen. Et qu’elle est morte politiquement pour longtemps. Mélenchon n’aura été qu’une pathétique tentative de le sauver d’elle-même.]

          Je pense que vous faites erreur. La « gauche » n’est certainement pas morte : aujourd’hui, elle est au pouvoir. On ne le répétera jamais assez : Macron, c’est la « gauche ». Regardez ses actes : en quoi sont-ils fondamentalement différents de ceux d’un Lionel Jospin, d’un Michel Rocard, d’un François Hollande ? Aurait-on oublié que Jospin fut le plus grand privatiseur que la France ait connu ? Que François Hollande fit lui aussi une « réforme » des retraites – la réforme Touraine – et qu’il saccagea le code du travail avec la loi El Khomri ? La politique du « quoi qu’il en coute » est bien plus keynesienne que la politique du « franc fort » de Rocard…

          Mélenchon, loin d’être « une tentative de sauver » la gauche, s’inscrit au contraire dans l’évolution naturelle du rapport de classes. Pour assurer le pouvoir de la « gauche » macroniste, un dirigeant capable de stériliser les voix de la gauche dite « radicale », d’une gauche qui resterait attachée à des politiques progressistes. Et c’est exactement ce qu’il fait. Sa présence rend impossible tout accord – implicite ou explicite – entre antilibéraux de droite et antilibéraux de gauche.

          [Un ami diplomate pense que Trump va être élu en novembre 2024 parce que les “Swing states” lui sont acquis et que la participation électorale sera bien inférieure à 2020 pour en revenir à un taux moyen de 50% et que l’anti-trumpisme s’est en grande parti dissous.]

          C’est en effet très probable. Non seulement parce que Trump est fort, mais parce que le parti démocrate semble paralysé par ses luttes intestines et n’est pas capable de sortir du chapeau un candidat ayant un minimum de charisme. Qu’il mette en avant Biden, un homme clairement diminué intellectuellement par l’âge, est déjà un aveu d’échec.

          [Chez nous certains dans les couches dirigeantes jouent Marine Le Pen gagnante en 2027 notamment parce qu’elle leur donne tous les gages.]

          C’est surtout qu’on voit mal les alternatives. D’une part, le réflexe de « front républicain » est de moins en moins efficace, et d’autre part on ne voit pas qui pourrait être l’homme providentiel qui aurait une trajectoire, un charisme et un projet capable de mobiliser le marais « centriste » pour passer le premier tour. L’hypothèse d’un deuxième tour Le Pen – Mélenchon n’est pas si impossible que ça – quelque soient les doutes sur la capacité du gourou de refaire le score de 2022. Auquel cas Marine Le Pen a toutes ses chances d’être le prochain président de la République…

      • delendaesteu dit :

        @descartes
        《Leur seul ciment, c’est l’idéologie dominante des classes intermédiaires, qu’on peut appeler – avec quelque abus de langage – le « wokisme ». Et cela ne suffit pas à faire un corps politique.》
        Au vu des réactions de l’ensemble des organisations de gauche à  la Loi sur l’immigration (une toute petite réforme) il me semble que le sans frontierisme soit le vrai ciment da gauche.
        Exemple :Tous les conseils généraux de gauche ont annoncé ne pas vouloir respecter la Loi, ainsi que les maire de Paris et Marseille, la CGT qui appelle à la  désobéissance civile !!!.
        Et après,  ces gens là s’étonnent que les ouvriers et les employés votent pour le RN.
         

        • Descartes dit :

          @ delendaesteu

          [Au vu des réactions de l’ensemble des organisations de gauche à la Loi sur l’immigration (une toute petite réforme) il me semble que le sans frontierisme soit le vrai ciment da gauche.]

          Je pense que c’est trop restrictif. Le vrai ciment de la gauche aujourd’hui – mais ce ne fut pas toujours le cas – c’est le rejet des contraintes. De TOUTE contrainte. Le « frontiérisme » implique une contrainte, et vous trouvez donc la gauche unie pour le rejeter. Mais ce n’est qu’un tout petit aspect d’une idéologie qui en fait rejette toute contrainte extérieure comme illégitime.

          La gauche est aujourd’hui fondamentalement rousseauiste : l’homme est naturellement bon, et s’il n’y avait pas la société pour le corrompre il agirait spontanément d’une manière morale. L’idéal de la gauche, c’est donc une société sans contraintes dont la régulation serait confiée à cette moralité immanente. C’est pourquoi le migrant est représenté sous des traits moraux : c’est un individu qui « veut travailler », qui ne cherche que « une vie meilleure », qui ne veut que « s’intégrer », mieux, il est indispensable et contribue à « construire la France ». Je ne doute pas qu’il y ait des migrants qui tombent dans cette description, je doute autant moins que ce fut mon cas. Mais cela n’exclut pas le fait que d’autres migrants peuvent venir pour profiter des avantages de notre système social, qu’ils n’ont aucune envie de « s’intégrer », de « travailler », et que « construire la France » soit le cadet de leurs soucis. Ce migrant-là n’existe pas dans l’univers de la gauche. Parce que l’admettre, ce serait admettre qu’il faut instituer des contraintes pour séparer le bon grain de l’ivraie, l’immigré travailleur de l’immigré profiteur.

          Personnellement, je milite pour une conception hobbesienne. L’état de nature, c’est le rapport de force. Et les sociétés se sont constituées justement pour réguler ce rapport de force pure. La contrainte sociale est donc une nécessité, et la toute-puissance individuelle un danger.

          [Exemple : Tous les conseils généraux de gauche ont annoncé ne pas vouloir respecter la Loi, ainsi que les maire de Paris et Marseille, la CGT qui appelle à la désobéissance civile !!!.]

          Ça illustre parfaitement mon point plus haut. Toute règle qui vous demande de faire ce que vous n’avez pas envie de faire est par essence illégitime.

          [Et après, ces gens-là s’étonnent que les ouvriers et les employés votent pour le RN.]

          Le pire, ce n’est pas qu’ils s’en étonnent, c’est que cet étonnement ne conduit à aucun questionnement. J’ai entendu Ruffin ce matin à France Inter. Il explique très bien qu’il y a toute une série de questions bien plus vitales pour les couches populaires que la question de l’immigration, et que le RN n’adresse pas. Mais une fois que cela est dit, il ne s’interroge pas sur le fait que les couches populaires votent RN quand même… et que le phénomène n’est pas exclusivement français !

  3. Bruno dit :

    Bonsoir Descartes et merci pour votre billet.
    Votre capacité à souffrir la lecture d’un livre de Mélenchon m’impressionne. Vous qui connaissez bien le personnage (qui n’est ni un philosophe ou encore un économiste) et son environnement politique, que pensiez vous trouver de concret dans la prose du gourou?
    Plus sérieusement, l’incapacité du principal protagoniste de la gauche française à développer une pensée politique, économique et sociale structurée est-elle la cause ou la conséquence du marasme dans lequel nous nous trouvons collectivement? La gauche française, qu’elle soit politique, journalistique ou même intellectuelle, ne semble pas en mesure de produire autre chose qu’une vague moraline avec de slogans creux.
    Etant plutôt de l’autre bord, je m’amuse de voir que la droite, notamment conservatrice, paraît aujourd’hui plus à même de produire une pensée critique de la société dans laquelle nous vivons (le Figaro accueille plus de “diversité” intellectuelle que le journal de référence…). Je n’irais pas jusqu’à affirmer que la droite a remporté une victoire culturelle/intellectuelle quelconque sur la gauche; on va plutôt dire qu’elle brille d’autant plus que la gauche est absente. La droite ne suscite toutefois aucune adhésion populaire et les partis de droite sont indigents sur ces questions; je pense davantage à des personnalités de droite ou de gauche, accueillies par la droite…
    Pour en revenir à la gauche, j’ai le sentiment qu’elle cherche à produire un grand récit de substitution aux problématiques économiques et sociales, par la mise en exergue d’autres questions, particulièrement celle de l’environnement. Je suis assez fasciné par la place prise par le sujet “environnemental”, au sens très très large, dans l’actualité. Ce n’est pas encore autant que le football mais on y vient… Un discours millénariste, culpabilisateur et anxiogène occupe une place croissante dans le discours des politiciens de gauche et dans les publications liées. Pourquoi selon vous? Quel est le rôle de ce nouveau dogme (avec ses prophètes, ses règles, ses interdits…)? Je trouve qu’il y a pas mal d’hypocrisie dans tout ça mais ça va sans doute plus loin… Enfin, vous vous exprimez peu sur ce thème, mais j’aimerais beaucoup avoir l’avis d’un matérialiste, connaisseur du processus de production, sur l’environnement? En fait-on trop d’après vous sur cette question? 
     

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Votre capacité à souffrir la lecture d’un livre de Mélenchon m’impressionne. Vous qui connaissez bien le personnage (qui n’est ni un philosophe ou encore un économiste) et son environnement politique, que pensiez vous trouver de concret dans la prose du gourou?]

      Pas grande chose, je vous rassure. Si j’ai pris la peine de lire le livre avec une certaine attention, c’est parce que je pense que Mélenchon est un signe, un symptôme de ce qui se passe dans la tête d’un secteur dominant de nos classes intermédiaires. Le fait est que Mélenchon, avec son discours si personnel a obtenu 20% des votants aux dernières présidentielles, là où un Roussel, avec un discours beaucoup plus construit et bien plus rationnel, n’obtient même pas 5%. Il faut donc essayer de comprendre pourquoi le discours mélenchonien fait rêver une partie des classes intermédiaires et certaines franges de l’électorat populaire. Et pour cela, il faut décortiquer ce discours.

      C’est d’ailleurs d’autant plus intéressant que Mélenchon s’inscrit dans un courant international. De la même manière que les couches populaires ont tendance à être captés par des mouvements dont l’origine se trouve à l’extrême droite et qui, pour accueillir ce nouvel électorat, cherchent à s’intégrer dans le moule républicain, une partie des classes intermédiaires est séduite par des mouvements millénaristes qui trouvent leur origine à gauche mais qui adoptent au contraire un modèle de fonctionnement interne autoritaire, souvent autour d’un « gourou » tout puissant. Pensez à Podemos…

      [Plus sérieusement, l’incapacité du principal protagoniste de la gauche française à développer une pensée politique, économique et sociale structurée est-elle la cause ou la conséquence du marasme dans lequel nous nous trouvons collectivement ?]

      J’ai du mal me faire comprendre. A mon sens, la pensée que Mélenchon exprime dans son livre est une pensée très structurée. C’est justement sa structure qui est intéressante. Et en fait, elle n’est pas si originale que ça. Elle reprend la pensée magique du gauchisme, avec quelques changements chez les acteurs. Pour le gauchisme façon 1968, la classe ouvrière était magiquement pourvue de toutes les qualités morales. Le gouvernement de la classe ouvrière ne pouvait donc qu’être le règne de la vertu. Mélenchon change « classe ouvrière » par « peuple », mais l’idée est la même. Donnons le pouvoir absolu au « peuple », et celui-ci gouvernera spontanément de manière morale. C’est la « common decency » de Orwell – qui était, rappelons-le, trotskyste – transposée au champ politique.

      [La gauche française, qu’elle soit politique, journalistique ou même intellectuelle, ne semble pas en mesure de produire autre chose qu’une vague moraline avec de slogans creux.]

      Oui, mais pourquoi ? Est-ce une question de qualité intellectuelle, ou est-ce parce qu’elle n’a aucun intérêt à produire « autre chose qu’une vague moraline avec de slogans creux » ? Pourquoi les classes intermédiaires iraient aujourd’hui fabriquer les idéologies qui permettraient de dynamiter un monde qui leur va si bien ?

      [Etant plutôt de l’autre bord, je m’amuse de voir que la droite, notamment conservatrice, paraît aujourd’hui plus à même de produire une pensée critique de la société dans laquelle nous vivons (le Figaro accueille plus de “diversité” intellectuelle que le journal de référence…).]

      Mon explication à ce paradoxe tient à la sociologie politique. « Le Figaro » représente une classe qui, pour reprendre l’expression de Warren Buffet, est persuadée d’avoir gagné la « lutte des classes », et qui ne se sont donc pas menacée. Elle peut faire preuve d’ouverture. Le « journal de référence » représente des classes intermédiaires toujours sur la sellette, parce que leur reproduction ne va pas de soi, et qu’assurer à ses enfants le même statut social est une lutte de tous les instants. D’un côté, une classe dont la position dépend d’un patrimoine matériel qui s’hérite, de l’autre une classe dont le statut dépend d’un patrimoine immatériel qu’il faut reconstituer à chaque génération. Pour cette raison, les classes intermédiaires vivent dans la peur du déclassement, d’où leur rigidité idéologique.

      [Je n’irais pas jusqu’à affirmer que la droite a remporté une victoire culturelle/intellectuelle quelconque sur la gauche; on va plutôt dire qu’elle brille d’autant plus que la gauche est absente.]

      La « droite » représente une classe qui a emporté incontestablement une victoire sur les classes populaires que la gauche a pendant longtemps représenté. C’est cette victoire qui, dialectiquement, entraine une forme de « victoire culturelle/intellectuelle ». Au demeurant, c’est une victoire à la Pyrrhus : l’idéologie « libérale-libertaire » qui s’impose aujourd’hui n’est pas tout à fait celle de la droite, et encore moins de la droite conservatrice. Et les rares penseurs qui « brillent » aujourd’hui ne sont pas vraiment classés à droite dans l’échiquier politique.

      [La droite ne suscite toutefois aucune adhésion populaire et les partis de droite sont indigents sur ces questions; je pense davantage à des personnalités de droite ou de gauche, accueillies par la droite…
      Pour en revenir à la gauche, j’ai le sentiment qu’elle cherche à produire un grand récit de substitution aux problématiques économiques et sociales, par la mise en exergue d’autres questions, particulièrement celle de l’environnement.]

      Arrivés à ce point de la discussion, il devient nécessaire de préciser ce qu’est la « droite » et ce qu’est la « gauche ». L’idéologie « libérale-libertaire », de quel côté la situer ? Et l’écologisme radical, qui doit plus au très réactionnaire romantisme allemand qu’au marxisme ? Et les idéologies « woke », qui ressuscitent le communautarisme et la « racisation » contre l’universalisme des Lumières ?

      Historiquement, la « gauche » apparaît comme le parti du progrès, des Lumières, contre le conservatisme et l’obscurantisme d’une « droite » fondamentalement conservatrice. Plus tard, avec la venue du marxisme, la « gauche » deviendra le camp des exploités, et la « droite » celui des exploiteurs. Mais aujourd’hui, c’est catégories ont-elles encore un sens ? A l’heure ou les grandes entreprises embrassent l’idéologie « woke » et où les ouvriers votent majoritairement pour le RN, cela veut dire quoi exactement « gauche » et « droite » ?

      Si l’on se tient aux partis qui s’auto-définissent comme étant « la gauche », on ne peut que constater un glissement de classe. Hier, ces partis représentaient – ou prétendaient représenter – les couches populaires, le monde du travail. Et ils généraient le récit qui va avec. Quarante ans d’évolution ont fait de ces partis des représentants des classes intermédiaires. Et logiquement, ils génèrent le récit qui convient à ces couches-là. Et dans ce contexte, mieux vaut éviter toute référence aux question sociales, référence qui rendrait évidente le changement de classe. Mieux vaut se concentrer sur des sujets consensuels : l’environnement est un bon candidat. Seulement, quand on chasse le social et l’économique par la porte, ils reviennent par la fenêtre. On le voit bien avec les « zones à faible émission », qui chassent des villes la voiture des couches populaires qui n’ont pas le moyen de se payer une voiture neuve et encore moins une voiture électrique.

      [Je suis assez fasciné par la place prise par le sujet “environnemental”, au sens très très large, dans l’actualité. Ce n’est pas encore autant que le football mais on y vient…]

      Parce que c’est un sujet consensuel. L’un des rares sujets ou l’on peut maintenir la fiction que riches et pauvres, patrons et salariés, travailleurs et rentiers, nous sommes tous dans le même bateau. Ce qui permet d’occulter le fait que certains sont en fonds de cale, et d’autres dans les ponts de première classe…

      [Un discours millénariste, culpabilisateur et anxiogène occupe une place croissante dans le discours des politiciens de gauche et dans les publications liées. Pourquoi selon vous? Quel est le rôle de ce nouveau dogme (avec ses prophètes, ses règles, ses interdits…)?]

      Dans une société profondément divisée, le dogme a toujours la même fonction, celle d’unifier la société autour de croyances et de rituels communs. Hier, on allait à la messe le dimanche pour affirmer son appartenance à la société. Maintenant, on trie ses déchets. Et si hier on stigmatisait – ou pire – ceux qui ne se découvraient pas au passage d’une procession, aujourd’hui on fait de même avec ceux qui mettraient leurs déchets en vrac. Les parallèles sont innombrables : prenez la manière dont l’église utilisait les enfants – et notamment leur confession – pour surveiller leurs parents. On retrouve la même chose aujourd’hui : combien d’enfants grondent leurs parents parce qu’ils ne trient pas leurs déchets ou ne font siens d’autres gestes qu’on leur apprend à l’école ?

      Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un véritable problème en termes de préservation de l’environnement. Plus nous sommes nombreux, plus nous voulons un niveau de vie élevé, et plus il faut faire attention à notre empreinte sur l’environnement. Non pas pour des raisons plus ou moins spirituelles, mais parce que nous aimons vivre dans un cadre agréable et parce que c’est notre intérêt économique. Mais préserver l’environnement appelle une approche scientifique, le développement et l’utilisation des meilleures technologies, et non le retour à l’âge de la lampe à huile. Les discours culpabilisateurs et anxiogènes ont d’ailleurs un effet néfaste : ils dirigent les efforts non pas vers les actions les plus utiles, mais vers les actions les plus « déculpabilisantes »…

      [Enfin, vous vous exprimez peu sur ce thème, mais j’aimerais beaucoup avoir l’avis d’un matérialiste, connaisseur du processus de production, sur l’environnement ? En fait-on trop d’après vous sur cette question ?]

      Je ne pense pas qu’on en fasse trop, mais on ne fait pas ce qu’il faudrait faire. Justement parce qu’on ne choisit pas les priorités en fonction d’une pensée rationnelle, mais de ce qui fait plaisir à tel ou tel groupe de pression. Prenez les emballages : on pleurniche en permanence sur le gâchis que cela représente, mais on ne prend aucune mesure réelle pour mettre fin à la fringale de plastics et de cartons. On parle de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais on est contre le nucléaire. On parle « d’énergie propre » au sujet du photovoltaïque, mais on oublie que la fabrication des panneaux est l’une des industries les plus « sales » qui soit. On fait tout un plat du stockage des déchets nucléaires, alors que des déchets industriels bien plus toxiques et à vie bien plus longue sont stockés à la va comme je te pousse sans que personne ne s’en émeuve.

      • alexis dit :

        Bonjour Descartes,
        Merci pour ce billet intéressant et agréable à lire comme d’habitude. Moi aussi j’aimerais que vous traitiez davantage d’environnement. Il est triste de constater que beaucoup de ‘matérialistes’ ne saisissent pas l’ampleur d’un problème existentiel aussi bêtement matérialiste. Le prix du blé par ex., vous n’en parlez pas pour expliquer les printemps arabes ci-dessus, ça a un peu joué peut-être… Il y a des auteurs qui abordent le sujet avec une analyse de classe, par ex Andreas Malm ou Matt Huber (ce dernier en particulier pourrait vous intéresser). Que pensez-vous du plan Empreinte 2050 coordonné par Amar Bellal pour le PCF? Défendre le nucléaire, c’est bien, mais ça ne suffira pas. Vous connaissez je pense assez le sujet pour ne pas confondre la consommation électrique et la consommation d’énergie, majoritairement fossile même en France (erreur que font beaucoup des pro-nucs de droite). Il faudrait de toutes façons développer massivement les ENR. De même, parler de surpopulation permet de déplacer le problème sur ses premières victimes dans le Sud mais c’est une diversion. Bien sûr que l’explosion démographique aggrave le problème mais si deux milliards de pauvres disparaissaient demain, ça ne le réglerait pas. Les tropiques sont neutres en CO2 en fait, cf la fig 13 de https://essd.copernicus.org/articles/14/4811/2022/.          

        • Descartes dit :

          @ Alexis

          [Moi aussi j’aimerais que vous traitiez davantage d’environnement. Il est triste de constater que beaucoup de ‘matérialistes’ ne saisissent pas l’ampleur d’un problème existentiel aussi bêtement matérialiste.]

          Il n’est pas facile d’écrire autour d’un concept mal défini. C’est quoi, exactement, « l’environnement » ? S’agit-il seulement de ce qui est naturel, ou il faut compter là dedans ce qui a été créé par l’homme ? Une forêt artificielle, est-ce de « l’environnement » ? Un musée ? Un square ? Une rivière ? Un canal ? Un lac naturel ? Une retenue artificielle ?

          [Le prix du blé par ex., vous n’en parlez pas pour expliquer les printemps arabes ci-dessus, ça a un peu joué peut-être…]

          Mais en quoi le prix du blé est une question « d’environnement » ?

          [Il y a des auteurs qui abordent le sujet avec une analyse de classe, par ex Andreas Malm ou Matt Huber (ce dernier en particulier pourrait vous intéresser).]

          Je me méfie beaucoup des intellectuels qui utilisent l’autorité intellectuelle et le vocabulaire du marxisme pour traiter des sujets à la mode. Dans les années 1970, la mode était à la psychanalyse alors il fallait à tout prix marier Marx et Freud. Aujourd’hui, la mode est au climat, et il est donc retable de chercher à marier Marx et l’écologie. Souvent, ces théories confondent « capitalisme » et « capitaliste ». Si le développement du capitalisme aboutit à une consommation toujours plus grande de ressources, celle-ci ne profite pas seulement aux « capitalistes » : elle a permis une amélioration sans précédent des conditions de vie de la classe ouvrière. C’est d’ailleurs pourquoi l’écologisme a tant de difficulté à convaincre les prolétaires…

          [Que pensez-vous du plan Empreinte 2050 coordonné par Amar Bellal pour le PCF?]

          Comme tout ce que fait Bellal, ce n’est pas mal fait. Le problème est qu’on fait un plan pour atteindre un objectif, la neutralité carbone de la France, sans se demander si cet objectif est pertinent. La France représente à peu près 1% des émissions totales. Autant dire que la neutralité carbone de la France n’apportera pas grande chose en termes de changement climatique. En fait, gagner une tonne de CO2 supplémentaire en France coûte beaucoup plus cher que de faire ce même gain en Chine ou en Inde. Il serait donc plus rationnel d’investir l’argent dans la réduction de ces émissions dans ces pays-là plutôt qu’en France.

          Quant au volet économique qui accompagne ce plan… c’est à en pleurer, tant il contient d’absurdités. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, il explique que « Chaque personne formée est assurée de retrouver un emploi CHOISI SANS PERTE DE REVENU car les formations correspondent à des emplois nouveaux créés par les investissements en cours ou planifiés. » (c’est moi qui souligne). Comment assurer que les « choix » individuels aboutissent in fine à un équilibre collectif ? Que se passe-t-il si tout le monde choisit le même emploi, par exemple ? Et qu’est ce qui garantit que les « emplois nouveaux créés » offriront la même rémunération que les anciens ?

          [Défendre le nucléaire, c’est bien, mais ça ne suffira pas. Vous connaissez je pense assez le sujet pour ne pas confondre la consommation électrique et la consommation d’énergie, majoritairement fossile même en France (erreur que font beaucoup des pro-nucs de droite). Il faudrait de toutes façons développer massivement les ENR.]

          Soyons sérieux : comment couvrir la consommation d’énergie NON ELECTRIQUE par des ENR ? Car s’il ne faut pas faire la confusion au niveau de la production, il ne faut pas non plus la faire au niveau de la consommation. Or, la plupart des ENR qu’on se propose de développer produisent… de l’électricité, et jouent donc dans le même cours que le nucléaire !

          Non, la nécessité de développer « massivement » des ENR intermittentes n’a absolument rien d’évident. Pour ce qui concerne l’électricité, le nucléaire est largement suffisant et beaucoup plus rentable – sauf bien entendu pour les porteurs des projets, qui se font les c… en or, mais c’est là une autre histoire. Et ni le nucléaire ni les ENR pour le moment ne résolvent pas le problème de la décarbonisation en dehors de l’électricité, et notamment dans le domaine des transports…

          [De même, parler de surpopulation permet de déplacer le problème sur ses premières victimes dans le Sud mais c’est une diversion. Bien sûr que l’explosion démographique aggrave le problème mais si deux milliards de pauvres disparaissaient demain, ça ne le réglerait pas.]

          Ca dépend : si un milliard de chinois disparaissait, ça ferait une grosse différence… Mais la surpopulation ne présente pas tant une menace pour le climat que pour la pression écologique sur les ressources et sur la biodiversité.

      • Bruno dit :

        [Mélenchon change « classe ouvrière » par « peuple », mais l’idée est la même. Donnons le pouvoir absolu au « peuple », et celui-ci gouvernera spontanément de manière morale.]

        Pensée structurée ok, mais ça reste flou, vous le dites vous même, on met ce qu’on veut derrière “peuple”.

        [Est-ce une question de qualité intellectuelle, ou est-ce parce qu’elle n’a aucun intérêt à produire « autre chose qu’une vague moraline avec de slogans creux » ?]

        Les deux mon capitaine, même si cette “idéologie” à la petite semaine leur permet aussi de se déculpabiliser.

        [De l’autre une classe dont le statut dépend d’un patrimoine immatériel qu’il faut reconstituer à chaque génération.]

        Vous idéalisez un peu le lecteur moyen du Figaro. Il est plus âgé et certainement plus aisé que celui du journal de référence, mais il est essentiellement constitué des classes intermédiaires. Ne pensez-vous pas que son lectorat assume mieux de mettre en avant ses paradoxes que celui de l’autre journal? Le lecteur du Figaro est majoritairement favorable à la libre-circulation des personnes, notamment pour baisser les coûts, mais il préfère des Polonais à des Maliens car ça l’inquiète moins pour les aspects culturels. Je force un peu le trait.
          
        [Au demeurant, c’est une victoire à la Pyrrhus : l’idéologie « libérale-libertaire » qui s’impose aujourd’hui n’est pas tout à fait celle de la droite, et encore moins de la droite conservatrice.]

        On en reparlera un peu plus bas, mais à mon sens l’idéologie “libérale-libertaire” ne vient pas du tout de la droite, même si certains qui se disent aujourd’hui à droite vont dans ce sens.

        [Arrivés à ce point de la discussion, il devient nécessaire de préciser ce qu’est la « droite » et ce qu’est la « gauche ». L’idéologie « libérale-libertaire », de quel côté la situer ? Et l’écologisme radical, qui doit plus au très réactionnaire romantisme allemand qu’au marxisme ? Et les idéologies « woke », qui ressuscitent le communautarisme et la « racisation » contre l’universalisme des Lumières ?]

        Historiquement je ne pense pas qu’on puisse considérer la libéralisme comme une idéologie de droite. La Révolution, en France avec la victoire de l’universalisme des Lumières, marque une coupure nette. La droite de ce temps, c’est Bonald et Maistre. Ils sont réactionnaires et monarchistes, en tout cas jusqu’en 1815. Ensuite, sont venues se greffer d’autres “droites” qui se construisent davantage par opposition au libéralisme politique, au républicanisme et plus tard au socialisme. Je ne considère pas l’Orléanisme comme la droite. Le XXème siècle a bouleversé la donne, en France, ceux se considérant de droite, optant massivement pour le libéralisme, et, progressivement (années 70) se rangeant derrière une partie du libertarianisme. Pour l’écologisme radical, il vient de la droite réactionnaire allemande comme vous le suggérez. Pour le wokisme, je ne saurais dire. Ce que je trouve “amusant” c’est de constater que l’universalisme des Lumières n’a de cesse de reculer aujourd’hui sous les coups de butoirs de prétendus libéraux-libertaires qui ne jurent plus que par le communautarisme et l’ethno-différentialisme.

        [Les discours culpabilisateurs et anxiogènes ont d’ailleurs un effet néfaste : ils dirigent les efforts non pas vers les actions les plus utiles, mais vers les actions les plus « déculpabilisantes »…]

        Auriez-vous quelques exemples?

        • Descartes dit :

          @ Bruno

          [« Mélenchon change « classe ouvrière » par « peuple », mais l’idée est la même. Donnons le pouvoir absolu au « peuple », et celui-ci gouvernera spontanément de manière morale. » Pensée structurée ok, mais ça reste flou, vous le dites vous même, on met ce qu’on veut derrière “peuple”.]

          C’était bien mon point lorsque je critiquais la pauvreté conceptuelle de la « théorie de l’ère du peuple ». C’est une pensée structurée qui opère sur des catégories floues. Ce qui est intéressant, c’est que derrière une « théorie » qui se prétend originale, on trouve une structure très archaïque. Comme Mélenchon ne fonde pas la légitimité révolutionnaire du « peuple » sur un fondement matériel (comme le fait Marx pour la classe ouvrière), il est obligé de fonder cette légitimité sur une forme de supériorité morale. Autrement dit, si le « peuple » avait le pouvoir, il gouvernerait moralement, parce que c’est dans son essence…

          [« De l’autre une classe dont le statut dépend d’un patrimoine immatériel qu’il faut reconstituer à chaque génération. » Vous idéalisez un peu le lecteur moyen du Figaro. Il est plus âgé et certainement plus aisé que celui du journal de référence, mais il est essentiellement constitué des classes intermédiaires.]

          C’est une question. Je pense que le lectorat du Figaro est bien plus « bourgeois » et moins « classes intermédiaires » que celui du « Monde ».

          [Ne pensez-vous pas que son lectorat assume mieux de mettre en avant ses paradoxes que celui de l’autre journal ? Le lecteur du Figaro est majoritairement favorable à la libre-circulation des personnes, notamment pour baisser les coûts, mais il préfère des Polonais à des Maliens car ça l’inquiète moins pour les aspects culturels. Je force un peu le trait.]

          Les « contradictions » ne sont pas tout à fait les mêmes. « Le Figaro » est le journal de la bourgeoisie conservatrice, là où « Le Monde » est celui des classes intermédiaires « libérales-libertaires ». La bourgeoisie veut de l’immigration, mais est sensible à la préservation des structures sociales traditionnelles. Les classes intermédiaires, elles, n’ont pas cet horizon temporel.

          [« Au demeurant, c’est une victoire à la Pyrrhus : l’idéologie « libérale-libertaire » qui s’impose aujourd’hui n’est pas tout à fait celle de la droite, et encore moins de la droite conservatrice. » On en reparlera un peu plus bas, mais à mon sens l’idéologie “libérale-libertaire” ne vient pas du tout de la droite, même si certains qui se disent aujourd’hui à droite vont dans ce sens.]

          C’était bien mon point. Il y a une idéologie « libéral-libertaire » de droite (pensez à Javier Milei, par exemple) mais ce n’est pas vraiment celle-là qui s’est imposé chez nous. Chez nous, l’idéologie « libérale-libertaire » s’est imposée par la gauche après 1981.

          [Historiquement je ne pense pas qu’on puisse considérer le libéralisme comme une idéologie de droite.]

          D’abord, je ne pense pas qu’on puisse parler du « libéralisme » comme d’une idéologie unique. Il y a une grande distance entre le libéralisme « moral » d’un Smith ou d’un Locke, et le libéralisme amoral d’un Hayek. Le libéralisme « classique » est intimement lié à la philosophie des Lumières, et dans un sens strictement historique c’est une idéologie « de gauche » au sens qu’elle trouvait ses partisans les plus radicaux dans la « gauche » de la Convention. Mais pour le reste, on a du mal à qualifier le libéralisme à la droite ou à la gauche sans avoir une définition de « droite » et « gauche » qui soit rigoureuse.

          [Ce que je trouve “amusant” c’est de constater que l’universalisme des Lumières n’a de cesse de reculer aujourd’hui sous les coups de butoirs de prétendus libéraux-libertaires qui ne jurent plus que par le communautarisme et l’ethno-différentialisme.]

          Et qui, comble de l’ironie, se réclament de la « gauche »… alors que cet universalisme fait partie de la filiation historique de celle-ci.

          [« Les discours culpabilisateurs et anxiogènes ont d’ailleurs un effet néfaste : ils dirigent les efforts non pas vers les actions les plus utiles, mais vers les actions les plus « déculpabilisantes »… » Auriez-vous quelques exemples?]

          Le meilleur exemple je pense est l’exigence de développement en France des ENR, avec l’objectif de remplacer un parc de production d’électricité déjà décarboné à 95%…

  4. Erwan dit :

    Cet article semble t’avoir demandé un travail conséquent ! Après sa lecture, ce que je me demande, c’est surtout : pourquoi faire ce travail ? Mélenchon en vaut-il vraiment la peine ? Je veux dire : penses-tu vraiment qu’il ait encore la possibilité de se présenter à la prochaine présidentielle (comme il ne s’est pas présenté aux législatives) ? Penses-tu qu’il puisse encore parasiter la gauche comme il l’a fait depuis 2012 maintenant que plus personne ne veut s’allier avec lui, et que même les militants de LFI commencent à le rejeter de plus en plus ?

    • Descartes dit :

      @ Erwan

      [Cet article semble t’avoir demandé un travail conséquent ! Après sa lecture, ce que je me demande, c’est surtout : pourquoi faire ce travail ? Mélenchon en vaut-il vraiment la peine ?]

      Mélenchon en tant que théoricien, en effet, ne vaut pas la peine. Si on veut faire de la théorie politique, mieux vaut passer le peu de temps qu’on dispose à lire d’autres auteurs bien plus intéressants. Par contre, cela vaut la peine de lire Mélenchon en tant que phénomène politique. Le fait est que le discours mélenchonien a séduit 20% des votants en 2022. Ce n’est pas banal. Il est donc essentiel de comprendre comment ce discours est construit, quel est son cadre de référence, si l’on veut comprendre pourquoi les gens continuent à voter pour lui malgré tous ses défauts.

      C’est d’autant plus intéressant que Mélenchon est l’un des rares dirigeants politiques aujourd’hui qui prétend avoir une théorie politique. C’est une singularité qu’il faut lui reconnaître. D’autres dirigeants écrivent des mémoires ou des livres-programme, mais aucun à ma connaissance ces trente ou quarante dernières années ne s’est lancé à publier un ouvrage à prétention théorique. De ce point de vue, Mélenchon est peut-être le dernier représentant d’une espèce disparue…

      [Je veux dire : penses-tu vraiment qu’il ait encore la possibilité de se présenter à la prochaine présidentielle (comme il ne s’est pas présenté aux législatives) ?]

      Oui. Je ne vois pas d’ailleurs ce qui pourrait l’en empêcher – sauf, bien entendu, accident de santé. En 2027 il aura certes 76 ans. C’est un âge avancé, mais on a connu des candidats qui se sont présentés – et certains ont été élus – à des âges équivalents : De Gaulle a 75 ans lorsqu’il est élu en 1965, et Joe Biden est élu président des Etats-Unis à 78 ans, Jean-Marie Le Pen a 79 ans lors de sa dernière campagne en 2007…

      Pour le reste, quelle personnalité à LFI pourrait lui ravir la candidature s’il décidait de se présenter ? Parmi les membres de la « jeune garde » qui tient les manettes à LFI, pas un seul n’est capable de lui disputer le poste. Imaginez-vous Bompard ou Panot se présentant contre la volonté du gourou ? Et les membres de la « vieille garde » sont marginalisés, discrédités ou sont passés à autre chose.

      [Penses-tu qu’il puisse encore parasiter la gauche comme il l’a fait depuis 2012 maintenant que plus personne ne veut s’allier avec lui, et que même les militants de LFI commencent à le rejeter de plus en plus ?]

      Je ne vos pas pourquoi il ne le pourrait pas. Personne ne veut s’allier avec lui, certes, mais c’était déjà le cas en 2022, et on a vu le résultat. Mélenchon a réussi à capter une part importante des classes intermédiaires et vise une partie du vote communautaire dans les « quartiers », et on voit mal pourquoi ces groupes, qui se sentaient représentés par lui en 2022, le laisseraient tomber en 2027, d’autant plus qu’il n’y a personne qui soit en mesure de lui disputer cet électorat, et qu’il a démontré ses capacités de tacticien.

  5. Geo dit :

     
    À Descartes
    « Diable de confort », l’expression est jolie. Vous semblez citer, si oui, qui ?
              [Or, cette dernière dépendance ne doit rien au capitalisme. Elle est inhérente à toute société où existe la division du travail. Pour trouver un individu autosuffisant, il faut remonter très loin dans la préhistoire (………………….) L’idée d’un processus de production localisé en un seul lieu, de la matière première au produit fini, n’a de réalité que dans des sociétés très primitives.]
    Mais tout de même, il me semble que Durkheim pointe dans son œuvre un bouleversement des solidarités, un approfondissement de la division du travail à l’époque moderne. Il semble même considérer que la sociologie qu’il fonde en France est appelée par cette transformation. Ce n’est pas rien et ce n’est pas si ancien.
    Je me limite à cette remarque, je n’ai pas tant envie de défendre Mélenchon, dont je ne lirai pas le livre. Félicitations pour votre patience et votre soucis de parler “sur pièces”.

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [« Diable de confort », l’expression est jolie. Vous semblez citer, si oui, qui ?]

      Je ne sais plus chez qui je l’ai entendue pour la première fois. Mais Mélenchon l’utilise lui-même quelquefois pour qualifier le rapport entre Marine Le Pen et Macron.

      [Mais tout de même, il me semble que Durkheim pointe dans son œuvre un bouleversement des solidarités, un approfondissement de la division du travail à l’époque moderne. Il semble même considérer que la sociologie qu’il fonde en France est appelée par cette transformation. Ce n’est pas rien et ce n’est pas si ancien.]

      Je pense que Durkheim fait plutôt référence à la parcellisation du travail, c’est-à-dire, à la division d’une tâche en gestes élémentaires accomplis par des individus différents. C’est cette parcellisation qui est au cœur de ce qu’on a appelé l’organisation scientifique du travail mise en œuvre dans les chaines de production au début du XXème siècle. Mais ce n’est pas à ce processus que fait référence Mélenchon dans son livre, au contraire. La parcellisation vise justement à réduire la dépendance d’un individu par rapport à un autre dans le processus de production, puisqu’en simplifiant le geste professionnel elle rend les travailleurs interchangeables. La vision mélenchonienne est au contraire celle d’une dépendance accrue à des « réseaux » de division du travail…

      [Je me limite à cette remarque, je n’ai pas tant envie de défendre Mélenchon, dont je ne lirai pas le livre. Félicitations pour votre patience et votre souci de parler “sur pièces”.]

      Je vous remercie, mais je pense que vous avez tort de ne pas lire le livre. Il est intéressant non par son apport théorique, mais parce qu’il présente une bonne photographie de ce qui passe par la tête d’une partie de la gauche…

  6. kaiser hans dit :

    Mélenchon a ses défauts mais au moins il s’oppose, parfois de façon idiote mais certainement plus maligne que les Républicains . désolé fallait que ça sorte surtout que le jeu des républicains est dangereux pour la démocratie

    • Descartes dit :

      @ kaiser hans

      [Mélenchon a ses défauts mais au moins il s’oppose, parfois de façon idiote mais certainement plus maligne que les Républicains.]

      Les Républicains – comme le PS d’ailleurs – c’est un bateau à la dérive. Les deux partis ont été victimes du même processus : la conversion générale du « bloc dominant » aux idées néolibérales. Et du coup, d’une scission dans laquelle les néolibéraux du PS et les néolibéraux de LR ont quitté leurs bateaux respectifs pour gouverner ensemble sous la bannière macroniste. Il ne reste au PS comme à LR que les nostalgiques d’une époque meilleure, qui n’arrivent pas à se décider entre virer leur cuti et rejoindre les néolibéraux au centre, ou aller vers les extrêmes qui sont les seuls à préserver la flamme…

      Pour des partis qui son devenus des machines à conquérir le pouvoir, et qui n’ont aucune chance au niveau national compte tenu du poids des néolibéraux qui les ont quittés, il ne reste qu’une solution : se replier sur les collectivités locales, où l’exercice du pouvoir est plus personnel et moins idéologique. C’est ce que font la gauche et la droite dites « républicaine » : les véritables dirigeants tant à LR qu’au PS (mais aussi chez les écologistes…) sont les maires des grandes villes ou les présidents des conseils régionaux (Delga, Hidalgo, Wauquiez, Bertrand, Piolle, Doucet…). Les leaders nationaux sont des pâles zombies comme Faure, Tondellier ou Ciotti…

      [désolé fallait que ça sorte surtout que le jeu des républicains est dangereux pour la démocratie]

      En quoi serait-il « dangereux pour la démocratie » ? Vous savez, la démocratie en a vu d’autres…

      • kaiser hans dit :

        “En quoi serait-il « dangereux pour la démocratie » ? Vous savez, la démocratie en a vu d’autres…”
        La France a testé
        Le référendum, on a vu en 2005 ce qu’en faisait notre classe politique… Qui n’en a plus fait depuis d’ailleurs.La possibilité pour les citoyens de demander un référendum? les gilets jaunes ont essayé, les élites politiques et policières n’ont pas hésité à tuer.Les manifestations massives comme la manif pour tous ou les manifs sur les retraites…les élites politiques n’en ont rien à foutreles manifestations un peu violentes, la police a carte blanche sur la violence (cf les gilets jaunes).Un système légèrement proportionnel , contourné grâce au 49.3 en permanence, contournement qui fonctionne en raison du ralliement systématique des républicains.
        Maintenant si on veut changer les choses il reste le fusil d’assaut (tout sauf démocratique)
         
        dans notre situation le gouvernement n’aurait jamais dû pouvoir utiliser 20 fois le 49 trois en 1 an et demi….
         

        • Descartes dit :

          @ kaiser hans

          [“En quoi serait-il « dangereux pour la démocratie » ? Vous savez, la démocratie en a vu d’autres…” La France a testé. Le référendum, on a vu en 2005 ce qu’en faisait notre classe politique…]

          Oui. Ce qui a été fait en 2005, je suis d’accord avec vous, a mis la démocratie en danger. On a vu la classe politique – gauche et droite confondues, une complicité qui annonce déjà le macronisme – contourner le vote populaire sans même s’en justifier.

          [Qui n’en a plus fait depuis d’ailleurs. La possibilité pour les citoyens de demander un référendum? les gilets jaunes ont essayé, les élites politiques et policières n’ont pas hésité à tuer.]

          Vous aussi, vous adhérez à cette idée que « la police tue » ? En fait, on a tué fort peu pendant les manifestations des « Gilets Jaunes ». Compte tenu de la violence et de l’extension du mouvement, la répression a été assez modérée. Oui, bien entendu, dans ces situations il y a toujours des accidents, des manifestants sont quelquefois blessés ou pire – les policiers aussi, il ne faudrait pas l’oublier. Mais globalement, on peut difficilement parler « d’élites politiques et policières qui n’auraient pas hésité à tuer ». Tout ce qui est excessif…

          Quant à « la possibilité pour les citoyens de demander un référendum », je suis très réservé sur cette possibilité. Le référendum d’initiative populaire est, par essence, un instrument d’obstruction. Il ne sert pas à mettre en œuvre une politique, mais à l’en empêcher. Déjà dans ce pays l’Etat a le moteur d’une deux chevaux et les freins d’une Rolls Royce. Faut-il encore pousser nos institutions dans cette direction ? Je ne le crois pas. Je pense qu’il nous faut un système orienté vers l’action : je veux un gouvernement qui ait des vrais leviers d’action et qui prenne la responsabilité de ses actes, et non un système qui peut se réfugier derrière son impuissance pour n’être responsable de rien.

          [Les manifestations massives comme la manif pour tous ou les manifs sur les retraites…les élites politiques n’en ont rien à foutre]

          N’exagérons rien. Ce n’est pas parce que la manif pour tous n’a pu empêcher le vote de la loi Taubira ou celle sur les retraites l’adoption du texte reportant l’âge qu’elles n’ont eu aucun effet. La démocratie est un équilibre : sans les manifestations, les deux textes en question auraient probablement été très différents, et beaucoup plus « durs ». Mais s’il est normal que les institutions écoutent la rue, il ne me semble pas souhaitable que ce soit la rue qui gouverne.

          [les manifestations un peu violentes, la police a carte blanche sur la violence (cf les gilets jaunes).]

          Illustrez-moi : c’est quoi « une manifestation un peu violente » ? Et si vous étiez ministre de l’intérieur, quelles instructions donneriez-vous à la police pour faire face à ces « manifestations un peu violentes » ? Quant à votre exemple, dire que la police a eu « carte blanche sur la violence » lors des manifestations des « Gilets Jaunes » me paraît contraire à la réalité des faits. Ou alors il faut admettre que la police a usé de cette « carte blanche » avec une remarquable modération.

          [Un système légèrement proportionnel , contourné grâce au 49.3 en permanence, contournement qui fonctionne en raison du ralliement systématique des républicains. (…) dans notre situation le gouvernement n’aurait jamais dû pouvoir utiliser 20 fois le 49 trois en 1 an et demi….]

          Là encore, je ne suis pas d’accord avec vous. Je pense qu’on fait une lecture erronée du sens de l’article 49.3 de la Constitution. Je trouve au contraire cet article absolument indispensable pour clarifier la position des uns et des autres. Que dit un gouvernement qui a recours au 49.3 ? Il dit « cette loi est si importante pour moi, si inséparable de mon orientation politique, que cela n’aurait pas de sens de rester en place s’il n’était pas voté ». A partir de là, le Parlement a le choix : soit il estime que la loi en question est absolument inacceptable, et vote la censure ; soit il estime qu’eu égard à l’importance que le gouvernement lui donne, la loi peut être admise, la censure est rejetée et la loi est considérée comme votée. Autrement dit, le 49.3 permet de hiérarchiser les lois, de montrer quelles sont les mesures que le gouvernement considère indispensables, et dont il ne peut accepter le rejet ou la modification. Et ce sont les députés qui prennent la décision finale.

          Le gouvernement a bien raison d’utiliser le 49.3 quand il l’estime nécessaire. C’est d’ailleurs un instrument de clarté démocratique, puisqu’il montre combien certaines oppositions – on l’a vu sur les retraites – sont hypocrites.

          [Maintenant si on veut changer les choses il reste le fusil d’assaut (tout sauf démocratique)]

          Vous me faites penser à Talleyrand : « on peut toujours se faire un trône avec des baïonnettes, le problème c’est ensuite de s’asseoir dessus ». Après le « fusil d’assaut », quoi ?

          • Kaizer Hans dit :

            Vous me faites penser à Talleyrand : « on peut toujours se faire un trône avec des baïonnettes, le problème c’est ensuite de s’asseoir dessus ». Après le « fusil d’assaut », quoi
             
            Justement c’était mon point. Il ne reste plus grand chose pour s’exprimer.
            Votre laïus sur le ric est faux. Regardez la Suisse. Ça marche très bien le ric.
            Quant au 49.3. ça fait beaucoup d’articles qui Passent comme ça pour un gouvernement autoritaire.
            Votre problème c’est que vous croyez qu’on ne réforme pas assez parce que trop de contre pouvoir.
            Mon analyse est que l’on réforme mal parce que pas assez.
            Pour avoir vu une manif gilets jaunes sous ma fenêtre, c’était rude. Quant au mariage pour tous les manifestations n’ont même pas changé une virgule. 
             
             

            • Descartes dit :

              @ Kaizer Hans

              [« Vous me faites penser à Talleyrand : « on peut toujours se faire un trône avec des baïonnettes, le problème c’est ensuite de s’asseoir dessus ». Après le « fusil d’assaut », quoi ? » Justement c’était mon point. Il ne reste plus grand chose pour s’exprimer.]

              Je crois que vous n’avez pas compris la citation. Ce que dit Talleyrand, c’est que lorsqu’on conquiert le pouvoir par la force pure, il est ensuite très difficile de l’exercer. Une fois que vous vous serez « exprimé » avec le fusil d’assaut, il se passe quoi ?

              [Votre laïus sur le ric est faux. Regardez la Suisse. Ça marche très bien le ric.]

              Quel serait le critère pour dire qu’en Suisse « le ric marche très bien » ? En quoi le RIC Suisse permet de prendre des décisions plus sages ou mieux acceptées que le système politique allemand, par exemple, qui interdit explicitement le référendum sous toutes ses formes ?

              La situation Suisse n’est pas comparable à la nôtre : c’est un petit pays enclavé, divisé en cantons et en communautés qui s’auto-gouvernent depuis des siècles. C’est un pays richissime, qui bénéficie de la rente considérable de la neutralité et du secret bancaire. C’est un pays ultra-conservateur. Imaginer que ce qui marche en Suisse pourrait marcher en France…

              [Quant au 49.3. ça fait beaucoup d’articles qui passent comme ça pour un gouvernement autoritaire.]

              Si l’Assemblée nationale estime que ce gouvernement est « autoritaire » et que trop de textes passent par le 49.3, elle a les instruments pour y mettre fin. Il lui suffit de voter une motion de censure. Elle ne le fait pas, donc il faut conclure qu’une majorité de nos représentants estime que le gouvernement à raison de faire passer ses textes par ce moyen. A chacun ses responsabilités. Il est drôle d’ailleurs de voir que ce sont ceux qui veulent donner plus de pouvoir au Parlement qui critiquent le 49.3. Pourquoi donner plus de pouvoir à une Assemblée qui n’utilise déjà pas ceux dont elle dispose ?

              [Votre problème c’est que vous croyez qu’on ne réforme pas assez parce que trop de contre-pouvoirs.]

              Pas du tout. Vous ne lirez que très rarement sous ma plume le mot « réforme ». Je ne fais pas de la « réforme » l’alpha et l’oméga de l’action publique ou de la politique au sens le plus noble du terme. Non, pour moi, le cœur de la politique, c’est l’action : c’est la définition et la mise en œuvre de politiques publiques, c’est la création d’institutions. Pensez à la Libération : création du CEA, nationalisation des banques et mise en place d’une politique nationale du crédit, nationalisation de l’électricité et du gaz et mise en place d’une vraie politique d’électrification, création de la sécurité sociale… et vous noterez que, lorsqu’on pense à la Libération, le mot « réforme » n’apparait pratiquement pas. Parce qu’on s’attachait plus aux objectifs, et que la « forme » était finalement un élément secondaire.

              Et oui, je pense qu’à l’heure de définir – et surtout de mettre en œuvre – une politique publique, de créer des institutions, il y a beaucoup trop de contrepouvoirs, beaucoup de groupes à la représentativité douteuse mais qui disposent d’un pouvoir économique, juridique, médiatique d’obstruction. En 1974, il fallait cinq ans pour construire un réacteur nucléaire, autorisation incluse, il faut aujourd’hui cinq ans pour obtenir l’autorisation de le construire, et cela avant de pouvoir donner le premier coup de pioche. Pourquoi ? Parce qu’il faut des « débats publics », des « consultations », des « enquêtes publiques » qui ne servent à rien – je n’ai jamais vu sortir de ces consultations quelque proposition intéressante que ce soit – le contraire serait étonnant : imagine-t-on madame Michu avoir une idée brillante qui aurait échappé aux centaines d’ingénieurs qui préparent ces projets ? – et qui prennent des années. Sans compter sur les recours juridiques présentés par toutes sortes d’ONG et groupes de pression, et dont il faut attendre que le juge – souvent très bienveillants envers les « robin hood » – donne sa décision avant de pouvoir commencer le moindre travail. Et ce n’est pas fini : il faut des dizaines d’autorisations. Certaines sont demandées à juste titre (autorité de sécurité ou de sûreté nucléaire, par exemple). Mais d’autres sont parfaitement inutiles : avis de l’Autorité environnementale, autorisations loi sur l’eau, autorisations espèces protégées, autorisation de déboisement… et ces autorisations donnent elles-mêmes lieu à contentieux…

              [Pour avoir vu une manif gilets jaunes sous ma fenêtre, c’était rude. Quant au mariage pour tous les manifestations n’ont même pas changé une virgule.]

              Je ne suis pas d’accord. Sans ces manifestations, le projet Taubira eut été bien plus extrémiste…

            • kaiser hans dit :

              “Je crois que vous n’avez pas compris la citation. Ce que dit Talleyrand, c’est que lorsqu’on conquiert le pouvoir par la force pure, il est ensuite très difficile de l’exercer. Une fois que vous vous serez « exprimé » avec le fusil d’assaut, il se passe quoi ?”

              si j’ai très bien compris c’est justement mon idée. quand je ne laisse plus que les armes pour s’exprimer , je ne laisse plus rien qui ne vaille pas le coup.

              “En quoi le RIC Suisse permet de prendre des décisions plus sages ou mieux acceptées”

              le système suisse est juste cité en modèle dans la démocratie de négociation par énormément de politologues et la Suisse a très peu de manifestations parce que ce n’est pas nécessaire

              “La situation Suisse n’est pas comparable à la nôtre ”

              oui on est d’accord, mais regardons ce qui peut s’appliquer./Les allemands fonctionnant à la proportionnelle quasi intégrale leurs lois sont souvent négociées.

              “Si l’Assemblée nationale estime que ce gouvernement est « autoritaire » et que trop de textes passent par le 49.3, elle a les instruments pour y mettre fin. Il lui suffit de voter une motion de censure. Elle ne le fait pas, donc il faut conclure qu’une majorité de nos représentants estime que le gouvernement à raison de faire passer ses textes par ce moyen. A chacun ses responsabilités. Il est drôle d’ailleurs de voir que ce sont ceux qui veulent donner plus de pouvoir au Parlement qui critiquent le 49.3. Pourquoi donner plus de pouvoir à une Assemblée qui n’utilise déjà pas ceux dont elle dispose ?”

              entièrement d’accord c’était d’ailleurs le point qui a lancé le débat…:) sisisi relisez moi je disais qu’au moins Mélenchon s’opposait…;)

              “Et oui, je pense qu’à l’heure de définir – et surtout de mettre en œuvre – une politique publique, de créer des institutions, il y a beaucoup trop de contrepouvoirs, beaucoup de groupes à la représentativité douteuse mais qui disposent d’un pouvoir économique, juridique, médiatique d’obstruction. ”

              en fait vous êtes tombés dans le piège, un contrepouvoir ne fonctionne pas par commission mais par négociation de la loi en amont (voire le blocage). les commissions paralysent l’action la négociation ralentit la décision et la force à être réfléchie.

              je me trompe peut-être dans les moyens possibles pour atteindre ce but, mais je pense réellement que la France aurait intérêt à apprendre à s’opposer de façon constructive mais s’opposer (c’est-à-dire pas avec 20 49-3) pour ralentir la décision mais par contre une fois une décision concertée fruit d’un compromis prise, accélérer l’action. En France à part ce qui vient de l’Europe on aime détricoter par le gouvernement N ce qu’a fait le gouvernement N-1. résultat les commissions prennent le pouvoir car ce sont les seules institutions qui donnent une direction pérenne

            • Descartes dit :

              @ kaiser hans

              [« En quoi le RIC Suisse permet de prendre des décisions plus sages ou mieux acceptées » le système suisse est juste cité en modèle dans la démocratie de négociation par énormément de politologues et la Suisse a très peu de manifestations parce que ce n’est pas nécessaire]

              Mais est-ce que le fait d’avoir « très peu de manifestations » est un signe de santé sociale ? Ne serait-ce plutôt le signe d’un comportement moutonnier ? Je ne souviens plus qui a dit que « lorsque tout le monde est d’accord, cela montre qu’il n’y a qu’un seul qui pense »…

              Je pense que derrière cette idéalisation de la « démocratie de négociation » il y a l’idée que l’objectif de la démocratie est de gommer les conflits. Et je suis d’accord avec Alain-Gérard Slama lorsqu’il dit que la démocratie est un moyen non pas de gommer les conflits, mais de les gérer. Une démocratie de négociation n’est possible que dans une société très consensuelle. On peut toujours « négocier » lorsqu’il s’agit de choisir la couleur du papier peint, mais on peut difficilement « négocier » lorsque le conflit porte sur les fondamentaux. Cela marche dans des petites communautés vivant dans un espace fermé et structurées par des idéologies conservatrices. Chez les Amish, par exemple, tout est communautaire. Mais dans de grands pays, ouverts sur le monde, la chose est plus compliquée. La France est une société dont l’unité s’est construite autour de l’Etat, et non d’un dogme religieux, par exemple. C’est pourquoi c’est une société conflictuelle, et on n’effacera pas cette conflictualité en important une « démocratie de négociation ». Tous ceux qui ont essayé en France se sont cassés les dents. La dialectique politique en France fonctionne entre un pouvoir fort et une rue turbulente. Chaque fois qu’on essaye de sortir de ce schéma, on arrive à la paralysie.

              [« La situation Suisse n’est pas comparable à la nôtre » oui on est d’accord, mais regardons ce qui peut s’appliquer. Les allemands fonctionnant à la proportionnelle quasi intégrale leurs lois sont souvent négociées.]

              Je ne vois pas que l’Allemagne soit mieux gouvernée que la France. Qu’une loi soit « négociée » n’implique pas qu’elle soit bonne. Et comme je l’ai dit plus haut, un système politique ne peut être « importé » sans tenir compte de l’histoire de chaque pays. La négociation, chez nous, ne marche pas. Et il est inutile d’imaginer qu’on va changer les Français et en faire des Allemands.

              [“Et oui, je pense qu’à l’heure de définir – et surtout de mettre en œuvre – une politique publique, de créer des institutions, il y a beaucoup trop de contrepouvoirs, beaucoup de groupes à la représentativité douteuse mais qui disposent d’un pouvoir économique, juridique, médiatique d’obstruction. ” en fait vous êtes tombés dans le piège, un contrepouvoir ne fonctionne pas par commission mais par négociation de la loi en amont (voire le blocage). les commissions paralysent l’action la négociation ralentit la décision et la force à être réfléchie.]

              Je n’ai pas compris votre remarque. Pourriez-vous être plus précis ? Que viennent faire les « commissions » dans l’affaire ?

              [je me trompe peut-être dans les moyens possibles pour atteindre ce but, mais je pense réellement que la France aurait intérêt à apprendre à s’opposer de façon constructive mais s’opposer (c’est-à-dire pas avec 20 49-3) pour ralentir la décision mais par contre une fois une décision concertée fruit d’un compromis prise, accélérer l’action.]

              Mais cela veut dire quoi « la France aurait intérêt à apprendre » ? La France, c’est une histoire millénaire. Et c’est cette histoire qui a fait les français comme ils sont – tout comme elle a fait les Suisses tels qu’ils sont. Je n’ai jamais cru à l’ingénierie sociale qui pourrait « apprendre » à un peuple à être différent de ce qu’il est. Non seulement cela me semble impossible, mais je ne suis même pas convaincu que ce soit désirable. Si j’avais envie de vivre comme les Suisses ou les Allemands, j’irais vivre là-bas. J’aime profondément le côté « gaulois » des Français, et je ne le changerais pour rien au monde. A partir de là, il nous faut bâtir un système politique qui tienne en compte les spécificités des Français, et non prendre un système qui marche bien – à supposer qu’on puisse établir que c’est le cas – ailleurs et imaginer qu’on va adapter les Français pour qu’il marche en France.

              [En France à part ce qui vient de l’Europe on aime détricoter par le gouvernement N ce qu’a fait le gouvernement N-1. résultat les commissions prennent le pouvoir car ce sont les seules institutions qui donnent une direction pérenne]

              Je n’ai pas compris ce que sont ces « commissions ». Pourriez-vous être plus précis ?
              Au demeurant, je ne vois pas ce qui vous permet de dire que « on aime détricoter par le gouvernement N ce qu’a fait le gouvernement N-1 ». Je trouve au contraire que nos gouvernements ont une remarquable continuité, chacun continuant l’œuvre de son prédécesseur. Hollande a décidé la fermeture de Fessenheim, Macron l’a faite.

  7. Jacobin dit :

    Bonjour Descartes,
    merci et félicitations pour vous être farci ce livre probablement très indigeste, mais pour lequel vous ne posez pas la question fondamentale qui suppose une montée en généralité : en quoi les politiques en général, et pas seulement Mélenchon, sont-ils à ce point mauvais pour le développement théorique et la conceptualisation ? Je crois que c’est une question fondamentale qui ne tient pas qu’à leur médiocrité personnelle. Vous prenez l’exemple de Marx, mais on pourrait aussi prendre celui de Lénine : voilà deux intellectuels qui ont pensé le monde et articulé leur pensée avec leur action (plus ou moins, puisque Lénine a exercé le pouvoir, Marx non) ; il en va de même avec le général de Gaulle. Sans leur donner tort ou raison, ce n’est pas le sujet, il faut toutefois remarquer que l’ère des hommes politiques qui pensaient était aussi une ère où la recherche scientifique, notamment en sciences sociales, n’était pas aussi développée et professionnalisée qu’aujourd’hui et que le développement d’une pensée politique élaborée était indispensable en propre car elle n’existait pas ailleurs, tout simplement. L’affaissement intellectuel du monde politique dans la deuxième partie du 20e siècle correspond aussi au développement d’une recherche scientifique, en SHS ou en histoire et en philosophie (par exemple suite à la création du CNRS en France) qui a au minimum deux conséquences : 1. les partis n’ont plus besoin de penser (il suffit de créer une fondation pour faire l’interface avec la recherche et piocher dedans ce qui peut les intéresser) et 2. les biais idéologiques dans la construction conceptuelle ayant des conséquences politiques sont considérablement réduits du fait de l’insertion de cette production dans le cercle de la recherche, par approfondissement méthodologique, recours à des données de plus en plus massives, relecture par les pairs. Si bien que les politiques se retrouvent à ne plus (devoir ou pouvoir) penser mais, de surcroît, à voir la loi d’airain de la production académique contrecarrer leurs a priori, et, par conséquent, à les amener à soit faire du “cherry picking” (ne prendre que ce qui les arrange), soit à singer une pensée mais qui s’avère être pauvre et floue (cas de Mélenchon), soit à se contenter de principes vagues et à n’agir que de façon clientéliste ou, au mieux, comme des sur-assistantes sociales (typique des élus locaux) ou marketing selon les segments de la population visés (Mélenchon, Macron). Cette mise à distance entre la réflexion scientifique et la politique a le mérite de mettre en lumière la pauvreté de la pensée des politiques mais, en déshabillant ceux-ci, elle ouvre un boulevard à l’ordre des choses, aux rapports de force naturels, pour imposer leur loi sans que le politique n’y puisse rien sauf à suivre des mouvements de la société s’emparant plus ou moins bien de concepts développés dans la sphère académique (par exemple l’intersectionnalité dans ses multiples acceptions, ou le néolibéralisme de l’école de Chicago de l’autre).
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Jacobin

      [merci et félicitations pour vous être farci ce livre probablement très indigeste,]

      En fait, pas tant que ça. On peut rapidement sauter les « paragraphes google », et pour les autres le style est plutôt agréable. On gagne presque à le lire à haute voix, tellement il semble pensé pour être lu à une tribune – et il faut admettre que Mélenchon est un excellent tribun. Ce qui manque à Mélenchon, c’est le sens de l’humour.

      [mais pour lequel vous ne posez pas la question fondamentale qui suppose une montée en généralité : en quoi les politiques en général, et pas seulement Mélenchon, sont-ils à ce point mauvais pour le développement théorique et la conceptualisation ? Je crois que c’est une question fondamentale qui ne tient pas qu’à leur médiocrité personnelle. Vous prenez l’exemple de Marx, mais on pourrait aussi prendre celui de Lénine : voilà deux intellectuels qui ont pensé le monde et articulé leur pensée avec leur action (plus ou moins, puisque Lénine a exercé le pouvoir, Marx non) ; il en va de même avec le général de Gaulle.]

      Vous posez une question très intéressante. Je pense que la réponse est double. D’abord, il y a le rapport à l’écrit. De Marx à Lénine, de De Gaulle à Mitterrand, on ne pensait que par écrit. C’est l’écrit qui permettait de retenir les idées, de les hiérarchiser, de les échanger, de les diffuser. On peut dire n’importe quoi, mais on ne peut écrire n’importe quoi, pour la simple raison que « verba volant, scripta manent » (« les mots s’envolent, les écrits restent »). On parle pour l’instant – surtout pour une génération ou l’enregistrement était rare et cher – on écrit pour l’éternité.

      On parle donc de générations qui avaient tous les ressorts d’une langue écrite riche et nuancée. Mais comment se formait cette langue ? Par la lecture des grands auteurs, souvent grands autant par les idées que par le style. Et on arrive là au deuxième aspect, qui est le rapport à l’histoire. Le contact avec les grands auteurs est implicitement un contact avec une histoire. Une histoire qui vous influence, et dans laquelle on a envie de s’inscrire. Pour un De Gaulle, il ne suffisait pas d’avoir libéré la France : pour occuper sa place dans l’histoire, il fallait écrire, expliquer cette épopée. Car c’est l’écrit qui vous fait rentrer dans l’histoire : qui se souviendrait des actions des treize césars si Suétone n’avait pas écrit ?

      L’élaboration conceptuelle et théorique appartient à un univers mental où le savoir est cumulatif, ou l’individu ne se fait pas tout seul, mais où il est l’hériter d’une histoire, avec une dette envers les générations passées qui l’ont faite. Elle est intimement liée à l’idée que chacun de nous apporte une pierre – plus ou moins grosse, plus ou moins vitale – à une construction qu’on hérite de nos ancêtres et qu’on léguera aux générations futures. Elle n’a aucune place dans un univers mental où chaque individu est son propre auteur, et ne doit rien à personne. Qui remercie ses maîtres aujourd’hui comme pouvaient le faire les générations précédentes ? Qui reconnaît avoir été influencé par telle ou telle figure du passé ? En qui Sarkozy, Hollande ou Macron reconnaissent un maître, comme pouvait le faire De Gaulle avec Maurras ou Péguy ?

      [Sans leur donner tort ou raison, ce n’est pas le sujet, il faut toutefois remarquer que l’ère des hommes politiques qui pensaient était aussi une ère où la recherche scientifique, notamment en sciences sociales, n’était pas aussi développée et professionnalisée qu’aujourd’hui et que le développement d’une pensée politique élaborée était indispensable en propre car elle n’existait pas ailleurs, tout simplement.]

      Je ne le crois pas. La philosophie politique et juridique dans les universités a toujours existé de manière autonome par rapport à la politique. Pensez à l’influence d’un Hobbes, qui pourtant ne fut jamais un politicien. Vous noterez d’ailleurs que la productivité « théorique » de la recherche en sciences sociales a elle aussi considérablement décliné, en parallèle avec celle du monde politique.

      Je pense donc qu’il ne faut pas voir dans la baisse de la productivité théorique du politique un simple déplacement vers d’autres sphères. Non, c’est le travail théorique lui-même qui est remis en cause, et cela dans toutes les sphères de l’activité humaine. Il n’y a qu’à voir le mépris professé à tous les niveaux de la société pour tout ce qui est « théorique », à quoi on oppose des « savoirs pratiques », bien plus adaptés à notre économie…

      [L’affaissement intellectuel du monde politique dans la deuxième partie du 20e siècle correspond aussi au développement d’une recherche scientifique, en SHS ou en histoire et en philosophie (par exemple suite à la création du CNRS en France) qui a au minimum deux conséquences : 1. les partis n’ont plus besoin de penser (il suffit de créer une fondation pour faire l’interface avec la recherche et piocher dedans ce qui peut les intéresser) et 2. les biais idéologiques dans la construction conceptuelle ayant des conséquences politiques sont considérablement réduits du fait de l’insertion de cette production dans le cercle de la recherche, par approfondissement méthodologique, recours à des données de plus en plus massives, relecture par les pairs.]

      Au risque de me répéter, « l’affaissement intellectuel » dans la deuxième partie du 20ème siècle est au moins aussi désastreux dans le milieu de la recherche en sciences sociales que dans le milieu politique. Ou voyez-vous aujourd’hui un Durkheim, un Weber, un Keynes, un Althusser, un Lefebre, un Foucault, un Bouveresse, un Derrida, un Bourdieu ?

  8. SCIPIO dit :

    J’ai lu votre billet et n’ai pas lu (c’est peut-être un tort) le livre de Melenchon. Je ne pense pas que je le lirai car je pense que Melenchon est d’une certaine manière hors jeu.
    Les petites phrases, ou présentées comme telles par le monde médiatique peuvent être regardées comme déplorables de la part de Melenchon mais je pense qu’elles ne sont que le reflet de l’esprit déplorable de ces faiseurs d’opinions.
    En clair, si Melenchon est coupable, ceux qui embrayent sans discontinuer durant des heures et des heures sur cette “culpabilité” sont encore plus mauvais.
    En fait je pense que Melenchon a des idées intéressantes et que certains de ses concepts comme les réseaux, si ils ne sont pas neufs, loin s’en faut dans l’histoire, sont intéressant pour des gens qui ne sont pas férus d’histoire.
    Je pose une question qui n’apparaît pas dans votre billet et qui n’a pas été posée à ma connaissance ailleurs:” A qui réellement s’adresse ce livre?”.
    Je pense que ce livre, écrit par un homme au fond vieillissant, s’adresse plutôt à certaines personnes qu’a d’autres. J’en veut aussi pour preuve que dans les interventions de Melenchon sur son livre (une intervention au cours d’une réunion publique ou encore son interview sur thinkerview), celui-ci lâche le fait qu’il a relu des textes importants en particulier de Marx.
    Alors, ce livre testament, n’est-il pas une tentative d’introduction moderne aux auteurs classique de la Gauche (Marx en tête)?

    • Descartes dit :

      @ SCIPIO

      [J’ai lu votre billet et n’ai pas lu (c’est peut-être un tort) le livre de Melenchon. Je ne pense pas que je le lirai car je pense que Melenchon est d’une certaine manière hors jeu.]

      Quand bien même ce serait le cas – personnellement je ne l’enterrerais pas trop vite – le livre est intéressant, non pas en tant que travail théorique mais en tant que témoignage sociologique. N’avez-vous pas envie de comprendre une idéologie qui arrive à entraîner derrière elle un cinquième des votants ? Quand bien même Mélenchon disparaîtrait demain, cette idéologie continuera à jouer un rôle important.

      [Les petites phrases, ou présentées comme telles par le monde médiatique peuvent être regardées comme déplorables de la part de Melenchon mais je pense qu’elles ne sont que le reflet de l’esprit déplorable de ces faiseurs d’opinions. En clair, si Melenchon est coupable, ceux qui embrayent sans discontinuer durant des heures et des heures sur cette “culpabilité” sont encore plus mauvais.]

      Il ne s’agit pas de distribuer des responsabilités. On est devant un système médiatique qui a ses règles du jeu, et que Mélenchon exploite sans vergogne. Mélenchon a compris qu’aujourd’hui l’essentiel est d’être présent dans les médias. Le contenu est finalement secondaire : on voit un personnage comme Hanouna dire des horreurs à longueur de temps. Est-ce que le public lui retire sa confiance ? Non. Macron, dans ses discours, piétine en permanence les fondements de la République. Est-ce qu’il a été battu ? Non. Ségolène Royal s’est fait une profession de dire n’importe quoi. Est-ce que cela l’a empêché de faire une brillante carrière ministérielle ? Non. Alors, pourquoi s’en priver ?

      Mélenchon sait parfaitement que ses outrances vont être reprises, que des « journalistes » – guillemets nécessaires – vont « embrayer sans discontinuer durant des heures et des heures » sur ses propos. Il a beau pester contre Elkrief et Pujadas, mais si on regarde bien ce sont les Elkrief et les Pujadas qui lui ont permis d’arriver là où il est. Si les médias avaient passé sous silence ses outrances, il serait un dirigeant gauchiste de plus. Le scandale, c’est ce qu’il recherche, et il est servi. Cela arrange tout le monde : Mélenchon a l’exposition médiatique qu’il recherche, et les journalistes ont quelque chose à dire pour alimenter cette machine monstrueuse qu’est l’information en continu.

      [En fait je pense que Melenchon a des idées intéressantes et que certains de ses concepts comme les réseaux, si ils ne sont pas neufs, loin s’en faut dans l’histoire, sont intéressant pour des gens qui ne sont pas férus d’histoire.]

      Pardon, mais Mélenchon n’a guère de « concepts ». Pour qu’un mot devienne concept, il faut donner une définition rigoureuse de celui-ci. Mélenchon ne fournit jamais une définition : au mieux, il se contente de donner des exemples. Qu’est ce que c’est, exactement, un « réseau » pour Mélenchon ? Et surtout, qu’est ce qui n’est PAS un « réseau » ? A la lecture de son livre, impossible de répondre à cette question. A partir des exemples on peut comprendre que l’éducation est un « réseau », que la santé publique est un « réseau », que l’eau, l’électricité ou le gaz sont des « réseaux », mais aussi les supermarchés et la livraison de colis. A partir de ces exemples, difficile d’établir les limites du « concept ».

      En fait, derrière les « réseaux » mélenchoniens, se trouve l’idée d’interdépendance. Il est clair que dans une société complexe aucun individu ne peut subsister et se reproduire matériellement et socialement tout seul. Nous sommes tous dépendants des autres, et les sociétés humaines organisent cette interdépendance de manière à assurer une satisfaction plus ou moins grande des besoins de chacun. Exprimée ainsi, ce que Mélenchon présente comme une grande nouveauté est finalement une banalité…

      [Je pose une question qui n’apparaît pas dans votre billet et qui n’a pas été posée à ma connaissance ailleurs : ” A qui réellement s’adresse ce livre?”.]

      J’avoue m’être posé la même question. J’y vois un effet de génération. Mélenchon écrit d’abord pour lui-même. Il a appartient à une génération pour laquelle la pensée est inséparable de l’écrit. Une génération aussi dans laquelle il était impensable de faire de la politique « révolutionnaire » d’une manière purement pragmatique, sans s’appuyer sur une théorie politique. Pour le surmoi de cette génération, faire un bon résultat électoral ne suffit pas pour laisser son nom dans l’histoire : pour cela, il faut être un théoricien. Les grandes figures du panthéon révolutionnaire dans lequel Mélenchon a fait son catéchisme – Marx, Engels, Lénine, Trotsky – sont des théoriciens. Et celles qui ne l’étaient pas naturellement s’y sont forcés. Même Staline, qui pourtant avait toutes les raisons de croire qu’il passerait à l’histoire sans cela, s’est senti obligé de commettre un ouvrage théorique – les « questions du léninisme », un ouvrage qui est loin d’être bête – pour renforcer sa position.

      Comme Mitterrand, qui est son modèle en tout, Mélenchon est sensible à sa place dans l’histoire. Etablir une nouvelle théorie politique, c’est gagner l’immortalité. C’est pourquoi il met en exergue cette « théorie de l’ère du peuple » (qui d’autre que lui utiliserait le mot « théorie » aujourd’hui ?).

      [Je pense que ce livre, écrit par un homme au fond vieillissant, s’adresse plutôt à certaines personnes qu’a d’autres. J’en veut aussi pour preuve que dans les interventions de Melenchon sur son livre (une intervention au cours d’une réunion publique ou encore son interview sur thinkerview), celui-ci lâche le fait qu’il a relu des textes importants en particulier de Marx.]

      A la lecture de son livre, cette « relecture des textes importants » n’apparaît guère évidente. Le livre ne contient presque pas de références théoriques – ne serait-ce que pour les réfuter. Si on retrouve ici et là quelques résidus de vocabulaire marxiste, les termes en question sont utilisés dans le sens colloquial.

      [Alors, ce livre testament, n’est-il pas une tentative d’introduction moderne aux auteurs classique de la Gauche (Marx en tête)?]

      Absolument pas. Je ne peux que vous conseiller de lire le livre. Non seulement il ne contient aucune référence aux auteurs classiques (Marx en tête), mais Mélenchon refuse presque viscéralement le matérialisme historique. Pour lui, la « classe » définie à partir de l’organisation du mode de production est un concept obsolète. A la place, il met une vision binaire d’une société divisée entre « peuple » – définie non pas par sa position matérielle, mais par sa « mise en mouvement » – et une « oligarchie » définie par défaut, par la logique du « eux et nous ». On voit mal comment cette vision pourrait servir à introduire les auteurs classiques de la gauche…

      • Cargation dit :

        [Si on retrouve ici et là quelques résidus de vocabulaire marxiste, les termes en question sont utilisés dans le sens colloquial.]
        ? Non, ce n’est pas un néologisme …
        Harrap’s new shorter / Dictionnaire Anglais-Français (1985) :   colloquial → a. familier; de la conversation; (langue) parlée.
        Yours truly.

  9. Goupil dit :

    Bonjour,
    Il me semble qu’il y a chez Mélenchon une forme de “régression théorique” vers des thèses de ce qu’on appelait, fut un temps, la “gauche bourgeoise”, et je veux dire par-là de la gauche non-issue du mouvement ouvrier.
    Historiquement, ce qu’on appelle en France “la gauche” – à condition de ne pas la limiter à un simple positionnement dans l’espace parlementaire, ce que j’ai l’impression que vous faites en qualifiant Macron d’homme de gauche – est l’alliance entre la fraction progressiste de la (petite, moyenne ou grande) bourgeoisie (en pratique, les républicains modérés puis surtout radicaux) et une fraction plus ou moins large du mouvement ouvrier, ce qui sécrète un fond doctrinal mêlant républicanisme et socialisme. Après la décomposition de cette alliance, en gros quand le PCF et la SFIO ont commencé après 1945 à s’imposer comme “la gauche” alors que les radicaux étaient réduits à la portion congrue, la gauche est devenue synonyme de “partis issus du mouvement ouvrier” ou de “partis socialistes d’inspiration marxiste”. En adoptant l’une ou l’autre de ces définitions, on peut bien affirmer que “la gauche est morte”, non ? (Je dis cela en rapport avec un commentaire lu dans le fil)
    Or, il me semble que les thèses développées par Mélenchon partagent certains points communs avec le solidarisme des radicaux de la IIIème République. Déjà, l’abandon de la lutte de classe, du fait de l’abandon de la classe sociale comme concept pour penser la société : les radicaux reconnaissaient l’existence de classes sociales mais condamnaient la lutte entre elles et privilégiaient l’instauration d’une solidarité nationale entre elles. Dès lors, plus besoin de justifier la lutte des ouvriers par leur rôle dans la production : la justification de cette solidarité était trouvée par Léon Bourgeois dans les concepts de solidarité organique et de division du travail (créés par Durkheim) ou de dette sociale (dont il est le théoricien). Même des créations mélenchoniennes comme la planification écologique ou la règle verte pourraient être, avec un peu de travail théorique et les outils conceptuels adaptés, rattachés au solidarisme : je crois que Serge Audier avait déjà montré l’existence d’une prescience des enjeux écologiques dans le socialisme utopique (le socialisme “français”) et la solidarisme républicain.
    Les problèmes viennent d’une part du fait que, Mélenchon n’étant pas issu de cette tradition, il ne connaît peut-être pas l’existence ou du moins la nature même de ces idées, et d’autre part du fait que sa formation politique et les circonstances l’ont conduit à accorder plus de place à la conflictualité en politique : il a donc cherché à recycler la lutte de classe sans les classes sociales, ce qui était possible en utilisant la théorie “populiste de gauche” marquée du sceau argentin.
    Enfin, pour la question de la nation, sachant que Mélenchon était encore en 2017 très critiqué à l’extrême-gauche pour son patriotisme qualifié de cocardier (cf. Le Hareng de Bismarck) et qu’il vient du lambertisme (qui est le moins “mondialiste” [pour aller vite] des courants trotskystes), je pense que sa difficulté à la penser vient plutôt de sa volonté de n’en point trop parler pour pouvoir capter plus facilement certains courants larges de l’extrême-gauche.

    • Descartes dit :

      @ Goupil

      [Il me semble qu’il y a chez Mélenchon une forme de “régression théorique” vers des thèses de ce qu’on appelait, fut un temps, la “gauche bourgeoise”, et je veux dire par-là de la gauche non-issue du mouvement ouvrier.]

      Même pas. La « gauche bourgeoise » en France a été historiquement plutôt jacobine, positiviste, rigoureusement laïque – laïcarde même – et farouchement assimilationniste. Je ne vois rien de tel dans le discours mélenchonien, au contraire. Je ne pense pas qu’il faille voir dans l’idéologie propagée par LFI un retour en arrière. C’est au contraire une idéologie très moderne, une adaptation des logiques « libérales-libertaires » de 1968 au post-néolibéralisme.

      [Historiquement, ce qu’on appelle en France “la gauche” – à condition de ne pas la limiter à un simple positionnement dans l’espace parlementaire, ce que j’ai l’impression que vous faites en qualifiant Macron d’homme de gauche (…)]

      Je me permets de préciser : non, il ne s’agit pas d’un « positionnement dans l’espace parlementaire ». Cela fait bien longtemps que le terme « gauche » a perdu toute réalité en termes idéologiques. Ceux qui se réclament de la « gauche » – ou qui sont qualifiés comme tels par le consensus des commentateurs – défendent des principes ou des idées diamétralement opposées. Il y a une partie de ce qu’on appelle « la gauche » qui revendique l’héritage des Lumières, et une autre partie qui le rejette. Une partie qui s’inscrit dans le cadre marxien, et une autre qui le considère soit comme criminel, soit comme dépassé.

      A partir de là, si on veut utiliser le terme « gauche », on ne peut le faire que dans un sens historique : la « gauche », ce sont ceux qui se réclament héritiers des mouvements qui, autrefois ont adhéré autrefois à une matrice idéologique commune, quand bien même ils l’auraient abandonnée depuis. Et dans ce contexte, on doit considérer « de gauche » les gouvernements de François Mitterrand (1988-93), de Lionel Jospin (1997-2002) ou de François Hollande (2012-17). Or, en quoi les politiques mises en œuvre par Macron différent significativement de celles de ces trois gouvernements ? En quoi son équipe y est très différente ?

      [En adoptant l’une ou l’autre de ces définitions, on peut bien affirmer que “la gauche est morte”, non ? (Je dis cela en rapport avec un commentaire lu dans le fil)]

      Je pense que la « gauche », si l’on donne à ce mot un sens idéologique, est bien « morte ». Aujourd’hui, il n’existe pas d’idéologie « de gauche ». Et si on s’en tient à la substance – et non au langage, qui reste lui marqué – d’un discours politique, il est impossible de dire objectivement s’il est « de gauche » ou « de droite ». Par contre, « gauche » et « droite » continuent à exister comme héritage. De la même manière qu’une « tribu » se différentie d’une autre « tribu » non pas par des questions idéologiques, mais par l’existence d’ancêtres communs, la « gauche » et la « droite » ne sont aujourd’hui que des catégories historiques, entre ceux qui s’estiment descendants de Jaurès et ceux qui se reconnaissent en De Gaulle.

      [Or, il me semble que les thèses développées par Mélenchon partagent certains points communs avec le solidarisme des radicaux de la IIIème République. Déjà, l’abandon de la lutte de classe, du fait de l’abandon de la classe sociale comme concept pour penser la société : les radicaux reconnaissaient l’existence de classes sociales mais condamnaient la lutte entre elles et privilégiaient l’instauration d’une solidarité nationale entre elles. Dès lors, plus besoin de justifier la lutte des ouvriers par leur rôle dans la production : la justification de cette solidarité était trouvée par Léon Bourgeois dans les concepts de solidarité organique et de division du travail (créés par Durkheim) ou de dette sociale (dont il est le théoricien).]

      Je pense que la ressemblance ici est trompeuse. Alors que le solidarisme admettait l’existence des classes mais se refusait à considérer la lutte entre elles comme fatale, Mélenchon fait l’inverse : il fait disparaître la notion de classe, mais conserve la notion de lutte, cette fois-ci appliquée au conflit entre le « peuple » et « l’oligarchie ». Et entre ces deux unités, pas de « solidarité » possible. Le conflit ne peut être résolu que par la victoire de l’un sur l’autre. De ce point de vue, il est plus proche de Marx que de Bourgeois.

      [Même des créations mélenchoniennes comme la planification écologique ou la règle verte pourraient être, avec un peu de travail théorique et les outils conceptuels adaptés, rattachés au solidarisme : je crois que Serge Audier avait déjà montré l’existence d’une prescience des enjeux écologiques dans le socialisme utopique (le socialisme “français”) et la solidarisme républicain.]

      Je ne partage pas cette idée de « prescience », qui à mon avis relève d’une lecture anachronique des textes. Si l’on trouve chez mélenchon des idées qui semblent reprendre des thèmes du socialisme utopique, c’est parce que le socialisme utopique lui-même est influencé par le romantisme, et tout particulièrement par le romantisme allemand qui, en réaction contre la philosophie humaniste, veut remettre la nature sur le piédestal qu’occupait auparavant la religion. Je pense que plutôt que de chercher les racines des idées mélenchoniennes sur la nature dans le socialisme utopique, il faudrait les rechercher dans le romantisme. Et ne pas oublier que Mélenchon, comme beaucoup de gauchistes de sa génération, ont une vision du monde décidément romantique.

      [Les problèmes viennent d’une part du fait que, Mélenchon n’étant pas issu de cette tradition, il ne connaît peut-être pas l’existence ou du moins la nature même de ces idées, et d’autre part du fait que sa formation politique et les circonstances l’ont conduit à accorder plus de place à la conflictualité en politique : il a donc cherché à recycler la lutte de classe sans les classes sociales, ce qui était possible en utilisant la théorie “populiste de gauche” marquée du sceau argentin.]

      Tout à fait. Et le fait que cela vienne d’Argentine, l’un des pays du sud où les classes intermédiaires sont les plus nombreuses et les plus puissantes, n’est à mon avis pas un hasard. Le modèle « peuple vs. oligarchie » est d’ailleurs très « argentin », au sens que la société argentine est divisée entre une « oligarchie » (le terme est couramment utilisé en Argentine depuis les années 1950) propriétaire de la terre et d’établissement ancien, et des couches populaires venus de l’immigration européenne et latino-américaine qui ont donné naissance à des classes intermédiaires. Ce modèle porte aussi la marque de la fin des années 1960, quand les classes intermédiaires ont cru que la révolution était proche, et qu’elles se sont divisées sur la meilleure tactique pour conserver le pouvoir, entre les « conservateurs » qui ont cherché à l’empêcher, et les « radicaux » qui ont cherché à en prendre la tête – Guevara et ses admirateurs étant les exemples les plus éclatants.

      D’une certaine façon, et dans des circonstances moins dramatiques, le « populisme de gauche » reprend le flambeau des « radicaux ». Il croit à un effondrement prochain du système politique, et pense qu’en prenant la tête de la révolution qui vient les classes intermédiaires auront une chance de conserver leurs privilèges.

      [Enfin, pour la question de la nation, sachant que Mélenchon était encore en 2017 très critiqué à l’extrême-gauche pour son patriotisme qualifié de cocardier (cf. Le Hareng de Bismarck) et qu’il vient du lambertisme (qui est le moins “mondialiste” [pour aller vite] des courants trotskystes), je pense que sa difficulté à la penser vient plutôt de sa volonté de n’en point trop parler pour pouvoir capter plus facilement certains courants larges de l’extrême-gauche.]

      Je ne suis pas convaincu. Mélenchon a toujours eu un problème pour penser la Nation. Même à l’époque où il publie « Le Hareng de Bismarck » – c’est-à-dire, à un moment où il ne semblait pas voir un problème à afficher une forme de « patriotisme » intransigeant – il n’a guère abordé dans ses écrits ou ses discours l’idée de « nation ». On peut dire que, paradoxalement, la notion de « patrie » semble lui poser moins de problèmes que celle de « nation »… Je pense qu’il a un véritable problème avec la question nationale, et ce n’est pas tout à fait surprenant. La formule malheureuse de Marx, « les travailleurs n’ont pas de patrie », est resté comme un dogme chez l’extrême gauche, et cela alors que l’expérience des deux guerres mondiales l’avaient clairement démentie. Le PCF, qui pourtant avait une vision assez dogmatique du marxisme, avait depuis longtemps fait un retour critique sur cette idée, en adoptant le drapeau tricolore ou en faisant chanter « La Marseillaise » à ses meetings. L’extrême gauche, elle, n’a tiré aucune leçon de l’expérience.

  10. Glarrious dit :

    [ Maintenant qu’il a compris qu’une dissolution n’est pas dans les cartes, qu’on ne voit pas se profiler à l’horizon une situation où le président pourrait avoir intérêt à revenir devant les électeurs, il change sa tactique. Il ne se prépare plus à une législative imminente, mais à une présidentielle en 2027. Et cela suppose d’avoir les coudées franches.]
     
    Pendant les 3ans jusqu’à la présidentielle de 2027, il va jouer le personnage “de l’écolier factieux” mais en faisant ça ne risque-t-il de se fatigué lui-même et ses probables partenaires comme on peut l’entendre de la bouche d’un Fabien Roussel (PCF) ou d’une Marie Tondellier (EELV) ?

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Pendant les 3ans jusqu’à la présidentielle de 2027, il va jouer le personnage “de l’écolier factieux” mais en faisant ça ne risque-t-il de se fatiguer lui-même et ses probables partenaires comme on peut l’entendre de la bouche d’un Fabien Roussel (PCF) ou d’une Marie Tondellier (EELV) ?]

      Pour répondre à votre question, il était utile d’écouter la conférence de presse donnée à l’issue de « l’assemblée représentative » de LFI samedi dernier. On a vu là prendre corps le « récit » que Mélenchon compte porter jusqu’à 2027, et qui est la copie conforme de la stratégie mitterrandienne à partir de 1978. De la même manière que le PS a rompu le programme commun puis rejeté la faute sur les communistes, Mélenchon a rompu la NUPES… mais accuse ses alliés d’avoir voulu et organisé cette rupture. Alors que c’est Mélenchon lui-même qui a « exclu » le PCF de la NUPES, il prétend aujourd’hui non seulement que c’est le PCF qui a quitté l’alliance, mais pousse la chansonnette jusqu’à affirmer qu’il « ne comprend pas » ce qui a provoqué la rupture.

      Mélenchon aujourd’hui, comme Mitterrand naguère, n’a pas et n’a jamais eu de « partenaires ». Un partenaire est d’abord un égal, et Mélenchon n’a pas d’égaux. Dans toute son histoire politique, on ne trouve pas une seule situation où il ait accepté loyalement de partager le pouvoir. Il fut socialiste à l’époque ou le PS était ultra-hégémonique, et dans son discours il a toujours marqué une profonde jouissance à exercer cette hégémonie – pour ceux qui en douteraient, relisez son intervention au Sénat lors de la ratification du traité de Maastricht. Il ne s’est en fait jamais remis de la chute du PS en 2007. Depuis 2008, on l’a vu essayer d’imposer son hégémonie aux communistes dans le Front de Gauche – qu’il quittera lorsque les communistes refuseront d’accepter ses caprices. On l’a vu, avec LFI « première époque », imposer à ceux qui voulaient un accord une « charte » qui était en fait quasiment un serment de fidélité personnelle. En 2022, on l’a vu insulter ses « alliés » chaque fois que ceux-ci faisaient preuve d’un minimum d’indépendance.

      Ne sous-estimez pas Mélenchon. Comme je l’ai dit, c’est un tacticien hors pair. Il est encore capable de sortir de son chapeau une tactique géniale pour imposer au reste de la gauche de le soutenir nolens volens en 2027. Il jouera probablement sur le ressort de « si ce n’est pas moi, ce sera l’extrême droite », et chargera ceux qui lui refuseraient leur appui avec la culpabilité d’ouvrir la porte du pouvoir à l’extrême droite. Ca a marché pour Mitterrand en 1988… mais est-ce que ce discours peut fonctionner en 2027 ? Je n’en suis pas persuadé. Depuis la manipulation mitterrandienne de 1988, l’argument a trop servi, et le RN s’est beaucoup « normalisé ». Même à gauche, Mélenchon fait presque plus peur que l’extrême droite. Et puis il n’y a pas que Roussel, Faure et Tondellier à considérer. Il y a aussi une fronde qui monte à l’intérieur même de LFI, et qui devient de plus en plus visible même si Mélenchon tient son mouvement d’une main de fer.

  11. Régis de Nîmes dit :

    Précision concernant la construction européenne, la cohérence et la constante du PCF .
    En 1986, à l’assemblée nationale, seul le PCF a voté contre l’Acte Unique Européen. Suivra le Traité de Maastricht en 1992 puis le Traité Constitutionnel Européen en 2005.
    Constante et cohérence que l’on ne retrouvent pas chez les électeurs (absence de conscience politique et de classe ?).
    Après 2005 et la victoire du non, 2007 second tour Sarkozy /  Royal (UMP/ PS), deux partisans du oui au TCE…
    Vient alors 2008 et la suite que vous avez très bien décrit.
     

    • Descartes dit :

      @ Régis de Nîmes

      [Précision concernant la construction européenne, la cohérence et la constante du PCF.]

      Le rappel est nécessaire, mais il manque quand même quelque chose. Oui, le PCF fut le seul à dénoncer la construction européenne, et cela depuis ses débuts. En 1979, lors de la première élection au parlement européen, déjà il expliquait combien ce parlement était un simulacre destiné à faire croire à une “démocratie européenne” alors qu’il se préparait des transferts de pouvoirs massifs de l’échelon national à l’échelon européen. En 1986 le PCF fut je crois le seul des grands partis à voter contre l’Acte Unique, et en 1992 il fit activement campagne contre le traité de Maastricht. Mais avec l’arrivée de Robert Hue en 1994, ça commence à se gâter. Non seulement les campagnes contre la mise en place de l’Euro sont arrêtées, mais une petite musique sur “l’autre Europe” commence à se faire jour. Aux élections de 1999, le PCF présente la liste “Bouge l’Europe!” où l’on trouve un certain nombre de personnalités qui ont soutenu le traité de Maastricht, et qui ne sont nullement opposés aux “transferts de souveraineté” (Fraysse, Sylla…). La barre sera partiellement redressée bien après la disgrâce de Robert Hue, avec la campagne du “non” au référendum de 2005. Depuis, le PCF garde une prudente ambiguïté sur ces questions…

  12. Julie dit :

    [De même, parler de surpopulation permet de déplacer le problème sur ses premières victimes dans le Sud mais c’est une diversion. Bien sûr que l’explosion démographique aggrave le problème mais si deux milliards de pauvres disparaissaient demain, ça ne le réglerait pas.]
    Ca dépend : si un milliard de chinois disparaissait, ça ferait une grosse différence… Mais la surpopulation ne présente pas tant une menace pour le climat que pour la pression écologique sur les ressources et sur la biodiversité.
    Il est dommageable que cette “course” à l’argument et  contre argument, au deumeurant intérréssants, vous fasse écrire de tels propos (soulignés ci-dessus) que je trouve dangereux, même si vous essayer de tempérer sur la fin de phrase (les écrits restent…) Après avoir tant cité le nom de Marx et ses écrits, pensez-vous l’humanité résponsable de la préssion sur les ressources et la biodivérsité?  Dans le même temps vous écrivez “Si le développement du capitalisme aboutit à une consommation toujours plus grande de ressources, celle-ci ne profite pas seulement aux « capitalistes » : elle a permis une amélioration sans précédent des conditions de vie de la classe ouvrière. C’est d’ailleurs pourquoi l’écologisme a tant de difficulté à convaincre les prolétaires…” donc la question ici est bien  le systeme capitaliste et son dépassement en commencant par la réapropriation des moyens de production et le pouvoir d’organisation par les travailleurs eux-même. A ce titre je vous invite à bien vous renseigner sur ce que l’on appelle la SEF (Sécurisation-Emploi-Formation) qui constitue une étape de ce dépassement, car vous en conviendrez peut-être pour abolir le capitalisme il faut travailler à son dépassement et surtout avec les travailleurs (classe populaires et intermédaires) et oui cela est difficile mais rien de neuf sous le soleil…

    • Descartes dit :

      @ Julie

      [Il est dommageable que cette “course” à l’argument et contre argument, au demeurant intéressants,]

      Cette « course à l’argument et contre argument s’appelle « débat ». Il est vrai que de nos jours, c’est devenu une denrée rare…

      [vous fasse écrire de tels propos (soulignés ci-dessus) que je trouve dangereux, même si vous essayer de tempérer sur la fin de phrase (les écrits restent…)]

      Désolé, mais le souligné n’est pas passé à la publication, et je ne sais donc pas à quels propos vous faites allusion. Mais j’aimerais vous poser une question. Faut-il s’abstenir de dire une vérité au motif qu’elle serait « dangereuse » ?

      [Après avoir tant cité le nom de Marx et ses écrits, pensez-vous l’humanité responsable de la pression sur les ressources et la biodiversité ?]

      Cela dépend ce que vous mettez derrière le mot « responsable ». Si la question est de savoir si l’activité humaine met une pression sur les ressources et la biodiversité, une pression d’autant plus grande que nous sommes plus nombreux, cela me paraît une évidence. Bien entendu, on peut dire que le capitalisme pousse à une utilisation peu rationnelle des ressources, et qu’un autre mode de production permettrait de réduire la pression sur celles-ci et les effets sur la biodiversité. Mais ne n’imagine pas une société où chaque génération laisserait les choses comme elle les a trouvées. Le deuxième principe de la thermodynamique est impitoyable…

      Maintenant vous parlez de « responsabilité », est si le mot est utilisé dans le sens usuel, nous sommes alors dans une question morale. Est-ce que l’homme a une « responsabilité » morale vis-à-vis de la nature ? Après tout, dirions nous que le lion qui chasse une gazelle d’une espèce en voie d’extinction est « responsable » de celle-ci ? Paradoxalement, dans une vision dans laquelle l’homme fait partie de la nature, voire n’est qu’un animal comme les autres – vision que beaucoup d’écologistes privilégient – on ne peut parler de « responsabilité », comme l’exemple du lion le montre. Par contre, si on adopte l’approche cartésienne – que les écologistes rejettent – d’un homme « maître et propriétaire de la nature », alors c’est autre chose : on a une « responsabilité » vis-à-vis des choses qui sont sous notre contrôle…

      [Dans le même temps vous écrivez “Si le développement du capitalisme aboutit à une consommation toujours plus grande de ressources, celle-ci ne profite pas seulement aux « capitalistes » : elle a permis une amélioration sans précédent des conditions de vie de la classe ouvrière. C’est d’ailleurs pourquoi l’écologisme a tant de difficulté à convaincre les prolétaires…” donc la question ici est bien le système capitaliste et son dépassement en commençant par la réappropriation des moyens de production et le pouvoir d’organisation par les travailleurs eux-mêmes.]

      Oui et non. Comme je l’ai dit plus haut, il se peut que le capitalisme une fois « dépassé » s’établisse un nouveau mode de production qui utiliserait plus efficacement les ressources et diminuerait la pression sur la biodiversité. Mais cela n’est nullement certain : qu’est ce qui vous dit qu’une fois que les travailleurs auront pris le contrôle des moyens de production et le pouvoir de les organiser, ils ne choisiront plutôt d’augmenter leur consommation dans une logique décidément productiviste ?

      J’ai l’impression que pour vous les travailleurs sont, par essence, moraux. Autrement dit, s’ils avaient le pouvoir ils protégeraient les léopards alors que les capitalistes, dans la logique de Cruella de Vil, ne songent qu’à s’en faire un manteau avec. Qu’est ce qui vous fait penser qu’une fois au pouvoir les travailleurs seraient plus soucieux de l’environnement que ne le sont les capitalistes ? Pensez par exemple au débat sur la chasse. De quelle classe vient la majorité des anti-chasse ? Et de quelle classe les pro-chasse ?

      [A ce titre je vous invite à bien vous renseigner sur ce que l’on appelle la SEF (Sécurisation-Emploi-Formation) qui constitue une étape de ce dépassement,]

      C’est amusant que vous disiez ça, parce que je suis cette histoire de « sécurité emploi formation » depuis sa présentation en 1996 par Paul Boccara, l’ancien animateur de la prestigieuse « section économique du comité central » disparue corps et âmes avec le 28ème congrès et la « mutation ». J’avais posé à l’époque une question, que j’ai reposée à chaque fois que j’ai participé à un débat sur cette question, et pour laquelle j’attends toujours une réponse.

      La question est la suivante : comment un tel système se régule, pour s’assurer qu’il produit les biens et services nécessaires à la société ? En effet, le SEF a pour objectif de donner à chacun la « liberté » de son choix de formation et la « garantie » que cette formation aboutit à un emploi. Autrement dit, votre travail dépend de votre choix individuel. Mais comment garantir que tous ces choix individuels aboutissent collectivement à un équilibre ? Si personne ne choisit de ramasser les poubelles, comment on fait pour s’assurer que les poubelles soient ramassées ?

      Le problème est un peu le même avec la « sécurité de revenu ». Si le revenu est sécurisé quelque soit le comportement du salarié, alors pourquoi voulez-vous qu’il travaille ? J’ai la chance de faire un métier que j’adore, mais je sais que ce n’est pas le cas de beaucoup de mes concitoyens. S’ils avaient le choix de ne pas travailler tout en touchant leur revenu, je suis sûr qu’ils seraient ravis de se consacrer à leur jardin.

      Paradoxalement, dans le rapport de Frédéric Boccara au CN du 5 septembre 2020 dans lequel il revient longuement sur la SEF, on peut lire en référence à Marx « [Le travail] fait partie de ce que Marx appelle « le royaume de la nécessité », plus exactement il s’agit du travail imposé par une nécessité extérieure. Ainsi, écrit-il dans Le capital, « cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en se fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la nécessité. ». Pourtant, il ne tire pas la conclusion évidente : la « nécessité extérieure » tient au fait que, comme êtres matériels, nous avons besoin d’un certain nombre de biens et de services pour vivre et reconstituer notre force de travail. Et que le mode de production doit être organisé de telle façon qu’on puisse satisfaire ces besoins, et cela de manière obligatoire. Le « libre choix » dont parle le même Boccara plus loin est une impossibilité.

      Le SEF est donc un mécanisme bancal. D’ailleurs, il n’est pas là par hasard. Ayant abandonné ce qui faisait l’essentiel du projet communiste d’avant le 28ème congrès, Robert Hue avait besoin d’un nouveau « gadget », qui ne contienne surtout pas des mots honnis comme « socialisme » ou « nationalisation », et encore moins une quelconque « obligation », puisque la logique de l’époque était celle de « l’individu souverain ». Depuis, cette histoire de « sécurité emploi formation » apparaît régulièrement dans les textes de congrès et les tracts du Parti. Mais interrogez dix militants sur que cela veut dire précisément, et vous aurez dix réponses différentes. Boccara lui-même, dans le rapport susvisé, le dit sans ambages : « Il a été formulé dès 1996 par Paul Boccara, à la suite des grandes batailles de décembre 1995 (…) Repris et déformé en tous sens par d’autres, ce projet nécessite une nouvelle appropriation créative et collective car elle constitue une proposition communiste centrale et une perspective majeure renforcée par la situation actuelle et à l’appui des luttes, comme y insiste notre 38è congrès. » On ne saurait mieux dire…

      [car vous en conviendrez peut-être pour abolir le capitalisme il faut travailler à son dépassement et surtout avec les travailleurs (classe populaires et intermédiaires)]

      Pardon, mais quel intérêt de travailler avec les « classes intermédiaires » ? Pensez-vous qu’elles aient intérêt au « dépassement du capitalisme », elles qui bénéficient grâce à lui de somptueux avantages ?

  13. Julie dit :

    Justement vu l’intérêt au débat ici,  je me répète quel dommage que vous considériez cette phrase comme une vérité :”Ça dépend : si un milliard de chinois disparaissait, ça ferait une grosse différence…”
    Bonne chance à vous.
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Julie

      [quel dommage que vous considériez cette phrase comme une vérité :”Ça dépend : si un milliard de chinois disparaissait, ça ferait une grosse différence…”]

      Si j’en crois les statistiques de l’Agence internationale de l’énergie, la Chine représente aujourd’hui à peu près le tiers des émissions de CO2 mondiales liées à l’énergie, et un peu plus d’un quart des émissions totales. Non seulement cela: c’est l’un des pays dont les émissions continuent à augmenter de manière soutenue, multipliées par 3 en trente ans (1990-2020). Alors oui, si un milliard de chinois disparaissait, cela ferait une importante différence.

  14. Denis Weill dit :

    Bonjour,
    Je découvre avec grand plaisir votre blog en ce début d’année 2024 via le site lepcf.fr.
    Je suis stupéfait de la qualité des billets que j’ai pu parcourir, de l’existence d’un tel espace de débat  et de la patience avec laquelle vous répondez aux commentateurs.
    Aussi je me permet de réagir respectueusement à cet article (peut être un peu tardivement) car il m’a semblé que dans une réponse à un des commentaires vous faites un contre sens sur un auteur aussi important que Rousseau lorsque vous écrivez : “La gauche est aujourd’hui fondamentalement rousseauiste : l’homme est naturellement bon, et s’il n’y avait pas la société pour le corrompre il agirait spontanément d’une manière morale”.
    Contrairement aux idées reçues, Rousseau n’a jamais prétendu une telle chose. Dans l’état de nature (qui est pour lui un état théorique et non historique) l’homme n’est ni bon, ni mauvais. Il est guidé par l’instinct de conservation et peut être par un vague sentiment de pitié pour autrui qui lui vient de la faculté de se reconnaître dans toute être souffrant.
    Dans le chapitre VIII du Contrat Social “De l’Etat civil”,  Rouseau explique que le passage de l’état de nature à la société (qu’il appelle “état civil”) sustitue chez l’homme “la justice à l’instinct” et “donne à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant”. L’homme se voit alors forcé de “consulter sa raison avant d’écouter ses penchants”.
    Ce sont “les abus de cette nouvelle condition” qui l’empêche de “bénir l’instant heureux” qui l’arracha pour jamais à son premier état et “d’un animal stupide et borné fit un être intelligent et un homme”‘.
    Personnellement, je milite pour une conception hobbesienne. L’état de nature, c’est le rapport de force. Et les sociétés se sont constituées justement pour réguler ce rapport de force pure. 
    Au seul rapport de force qui caractérise effectivement la nature, Rousseau en apelle au contrat social, à la convention, qui loin d’être une absence de contrainte est au contraire le seul moyen par lequel peut émerger la volonté générale pour dépasser la somme des volontés individuelles coagulées.
    Pour Rousseau, la société se constitue pour sortir du “droit du plus fort” (par essence éphêmère puisqu’il ne dure que jusqu’à l’arrivée d’un plus fort encore) et transformer “la force en droit et l’obésissance en devoir” (Contrat Social, chap. III Du droit du plus fort”).
    Vous souhaitant mes voeux sincères pour l’année à venir.
     

    • Descartes dit :

      @ Denis Weill

      [Je découvre avec grand plaisir votre blog en ce début d’année 2024 via le site lepcf.fr. Je suis stupéfait de la qualité des billets que j’ai pu parcourir, de l’existence d’un tel espace de débat et de la patience avec laquelle vous répondez aux commentateurs.]

      Eh bien, soyez le bienvenu et n’hésitez pas à commenter… y compris en faisant des hors sujet, que j’encourage. Après tout, certains des échanges les plus intéressants sont sortis d’un hors-sujet…

      [Aussi je me permet de réagir respectueusement à cet article (peut être un peu tardivement) car il m’a semblé que dans une réponse à un des commentaires vous faites un contre sens sur un auteur aussi important que Rousseau lorsque vous écrivez : “La gauche est aujourd’hui fondamentalement rousseauiste : l’homme est naturellement bon, et s’il n’y avait pas la société pour le corrompre il agirait spontanément d’une manière morale”. Contrairement aux idées reçues, Rousseau n’a jamais prétendu une telle chose.]

      Je veux bien admettre qu’en simplifiant un peu la pensée de Rousseau pour les besoins d’un commentaire j’aie pu trahir marginalement sa pensée. Mais il ne faudrait pas aller trop loin dans le sens inverse. Rousseau écrit presque mot pour mot ce que je lui attribue : « le principe de toute morale (…) est que l’homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l’ordre ; qu’il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits (…) tous les vices qu’on impute au cœur humain ne lui sont point naturels (…) par l’altération successive de leur bonté originelle, les hommes deviennent enfin ce qu’ils sont » (lettre à C. de Beaumont, 1762). C’est le mythe du « bon sauvage », que Rousseau n’a pas inventé, mais qu’il modernise considérablement dans son « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », ce qui lui valut une critique cinglante de Voltaire…

      [Dans l’état de nature (qui est pour lui un état théorique et non historique) l’homme n’est ni bon, ni mauvais. Il est guidé par l’instinct de conservation et peut être par un vague sentiment de pitié pour autrui qui lui vient de la faculté de se reconnaître dans toute être souffrant.]

      Autrement, dit, il n’avait aucun vice. Dans l’état de nature, point d’envie, d’avarice, de volonté de pouvoir, de méchanceté. Je veux bien admettre que le qualifier de « bon » de ce fait est un peu réducteur, mais pas tout à fait erroné.

      [Dans le chapitre VIII du Contrat Social “De l’Etat civil”, Rouseau explique que le passage de l’état de nature à la société (qu’il appelle “état civil”) sustitue chez l’homme “la justice à l’instinct” et “donne à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant”. L’homme se voit alors forcé de “consulter sa raison avant d’écouter ses penchants”.
      Ce sont “les abus de cette nouvelle condition” qui l’empêche de “bénir l’instant heureux” qui l’arracha pour jamais à son premier état et “d’un animal stupide et borné fit un être intelligent et un homme”‘.]

      Rousseau est sur beaucoup de points contradictoire. Alors que dans le contrat social il se rapproche de Hobbes – lui aussi un contractualiste – dans d’autres écrits il se place en opposition flagrante avec lui. Mais dans ce débat ce que pensait Rousseau m’intéresse moins que ce que les militants d’aujourd’hui en ont retenu.

      [Personnellement, je milite pour une conception hobbesienne. L’état de nature, c’est le rapport de force. Et les sociétés se sont constituées justement pour réguler ce rapport de force pure.
      Au seul rapport de force qui caractérise effectivement la nature, Rousseau en apelle au contrat social, à la convention, qui loin d’être une absence de contrainte est au contraire le seul moyen par lequel peut émerger la volonté générale pour dépasser la somme des volontés individuelles coagulées.]

      Je tends aussi d’être plus proche de Hobbes. Même si sa vision de la nature humaine est nettement plus pessimiste, je trouve bien plus réaliste sa vision que celle du « bon sauvage » qu’on trouve chez Rousseau – même si, comme vous le soulignez, Rousseau est ambigu sur cette question. Ce que je trouve chez Rousseau qui me manque chez Hobbes est une réflexion sur la question de la propriété privée… ce qui est assez logique : Hobbes écrit dans un contexte pré-bourgeois, son problème est de théoriser la monarchie absolue. Rousseau écrit dans un contexte ou la bourgeoisie a pris le pouvoir économique est s’aprête a partir à l’assaut du pouvoir politique…

      • Denis Weill dit :

        Merci pour votre réponse,
        Je veux bien admettre qu’en simplifiant un peu la pensée de Rousseau pour les besoins d’un commentaire j’aie pu trahir marginalement sa pensée. Mais il ne faudrait pas aller trop loin dans le sens inverse. 
        J’avoue volontiers m’être avidement jeté sur ce commentaire, n’ayant pu résister au plaisir d’entamer un débat sur les philosophes contractualistes des XVII et XVIII emes siècles.
         
        Rousseau écrit presque mot pour mot ce que je lui attribue : « le principe de toute morale (…) est que l’homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l’ordre ; qu’il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits (…) tous les vices qu’on impute au cœur humain ne lui sont point naturels (…) par l’altération successive de leur bonté originelle, les hommes deviennent enfin ce qu’ils sont » (lettre à C. de Beaumont, 1762).
        Il faut comprendre la bonté naturelle de l’Homme chez Rousseau comme une possibilité d’accéder au bien, à la conscience qui le distingue des autres animaux. Mais c’est un travail lent, progressif et dialectique, superbement décrit dans le Discours sur l’origine de l’inégalité.
        Tout de suite après le passage que vous citez dans la lettre  à l’archevêque Mgr de Beaumont, Rousseau précise : “La conscience est donc nulle dans l’homme qui n’a rien comparé et qui n’a point vu ses rapports. Dans cet état l’homme ne connaît que lui ; il ne voit son bien-être opposé ni conforme à celui de personne ; il ne hait ni n’aime rien ; borné au seul instinct physique, il est nul, il est bête ; c’est ce que j’ai fait voir dans mon discours sur l’inégalité.”
         
        Autrement, dit, il n’avait aucun vice. Dans l’état de nature, point d’envie, d’avarice, de volonté de pouvoir, de méchanceté. Je veux bien admettre que le qualifier de « bon » de ce fait est un peu réducteur, mais pas tout à fait erroné.
        Effectivement. Les notions de bien et de mal n’ayant de sens que dans la société, il serait absurde d’essayer de les y trouver dans l’état de nature. La nature est le règne de la force, pas de la morale. Sauf à considérer que la lionne qui dévore le petit du gnou dans la savane est…”méchante”. 
         
        Mais dans ce débat ce que pensait Rousseau m’intéresse moins que ce que les militants d’aujourd’hui en ont retenu.
        Là je suis d’accord avec vous sur l’incompréhension totale de Rousseau par “les militants d’aujourd’hui”. Mais concédez moi que cette faute ne saurait sans injustice être imputée au grand homme.
         
        [Personnellement, je milite pour une conception hobbesienne. L’état de nature, c’est le rapport de force. Et les sociétés se sont constituées justement pour réguler ce rapport de force pure.Au seul rapport de force qui caractérise effectivement la nature, Rousseau en apelle au contrat social, à la convention, qui loin d’être une absence de contrainte est au contraire le seul moyen par lequel peut émerger la volonté générale pour dépasser la somme des volontés individuelles coagulées.]
        Je tends aussi d’être plus proche de Hobbes. 
        Ici intervient un quiproquo qui est tout de ma faute, celui de ma mauvaise maitrise du traitement de texte. De “Personnellement” jusqu’à “rapport de force pure”, c’est votre commentaire que je citais. La suite est ma réponse.
        Je suis donc fondamentalement rousseauiste en ce que le génie du genevois et l’époque à laquelle il écrit lui permettent de dépasser le philosophe anglais.
        Cependant vous avez raison, Rousseau s’est trouvé à la fois en accord et en contradiction avec l’œuvre de ce dernier. Le chapitre du Contrat sur la religion civile est par exemple fortement marquée par Hobbes. De plus, Rousseau lui savait gré d’avoir vu l’indivisibilité de la souveraineté.
        A mon sens cependant, Hobbes se trompe lorsqu’il pense que l’homme est un loup pour l’homme dans la nature. Il impute à une nature originelle de l’homme, l’état de dégénérescence qu’il constate dans la société et qui n’est dû qu’à elle ou plutôt à ses abus. Encore une fois, le chasseur cueilleur isolé n’a pas plus de raison d’être mauvais que bon avec son semblable (les loups d’ailleurs ne se dévorent pas entre eux et vivent en meutes).
         
        Bien à vous,
         
         
         
         
         

        • Descartes dit :

          @ Denis Weill

          [Il faut comprendre la bonté naturelle de l’Homme chez Rousseau comme une possibilité d’accéder au bien, à la conscience qui le distingue des autres animaux. Mais c’est un travail lent, progressif et dialectique, superbement décrit dans le Discours sur l’origine de l’inégalité.]

          Je pense que vous sollicitez un peu la pensée de Rousseau. Pour Rousseau, la « bonté naturelle » n’est pas une potentialité, mais une réalité. Si l’homme suivait sa nature, il ferait le bien. N’oubliez pas qu’il y a chez Rousseau une idée de « morale naturelle » : le fondement de la morale n’est pas pour lui la raison, pas plus que la société, mais un « sentiment naturel », celui de la pitié pour autrui. Rousseau a une révérence pour la « nature » qu’on ne retrouve pas chez Hobbes… il est vrai qu’on n’est pas loin du romantisme !

          [Là je suis d’accord avec vous sur l’incompréhension totale de Rousseau par “les militants d’aujourd’hui”. Mais concédez-moi que cette faute ne saurait sans injustice être imputée au grand homme.]

          Je vous le concède en partie seulement. Rousseau est, sur la question de la morale naturelle, ambigu. Et certains de ses écrits – je pense à l’Emile, par exemple – en ont une vision plus proche du romantisme que des Lumières. Ce sont ces ambiguïtés qui permettent aux militants de « faire leur marché » et de ne retenir que ce qui les arrange.

          [A mon sens cependant, Hobbes se trompe lorsqu’il pense que l’homme est un loup pour l’homme dans la nature. Il impute à une nature originelle de l’homme, l’état de dégénérescence qu’il constate dans la société et qui n’est dû qu’à elle ou plutôt à ses abus. Encore une fois, le chasseur cueilleur isolé n’a pas plus de raison d’être mauvais que bon avec son semblable (les loups d’ailleurs ne se dévorent pas entre eux et vivent en meutes).]

          C’est là où nous sommes en désaccord. Je suis plus proche de Hobbes parce que je suis matérialiste. Le « chasseur cueilleur isolé » a toutes les raisons du monde d’être « mauvais » avec son semblable parce qu’il est en compétition avec lui pour des ressources rares et limitées. Et si les loups ne se dévorent pas entre eux AU SEIN D’UNE MEME MEUTE, ils sont par contre impitoyables lorsque des individus qui n’y appartiennent pas se présentent sur leur territoire. En ce sens, je pense que le « sentiment naturel de pitié » que Rousseau érige en fondement de la morale n’existe tout simplement pas. La morale tient au besoin de réguler la compétition pour les ressources, et c’est là le fondement des sociétés humaines comme le décrit Hobbes…

          • Denis Weill dit :

            Si l’homme suivait sa nature, il ferait le bien. 
            En réalité, la question ne se pose pas vraiment ainsi. Rousseau montre bien dans le Discours sur l’inégalité que l’Homme ne sort pas de l’état de nature par choix. Il en sort par le fait d’un développement historique et dialectique inéluctable (décourverte du feu, de l’outil, qui amènent à la maîtrise du fer puis à l’agriculture). D’ailleurs l’ “état de nature” lui même est un état que Rousseau postule philosophiquement pour les besoins de son argumentation (“Commençons par écarter tous les faits”!).
             
            Le « chasseur cueilleur isolé » a toutes les raisons du monde d’être « mauvais » avec son semblable parce qu’il est en compétition avec lui pour des ressources rares et limitées. 
            Oui, comme les animaux le sont entre eux dans le règne animal. Mais seul l’Homme qui, les observant depuis la société, peut qualifier moralement leur comportement par anthropomorphisme. Je répète mon argument : la lionne qui dévore le bébé gnou dans la savane n’est objectivement ni “bonne”, ni “mauvaise”. Ni plus ni moins que les loups (même “impitoyables”).
             
            La morale tient au besoin de réguler la compétition pour les ressources, et c’est là le fondement des sociétés humaines comme le décrit Hobbes…
            Si dans la nature règne l’impitoyable droit du plus fort, d’où vient la nécéssité de réguler la compétition pour les ressources ? Il faudrait, pour que la société s’impose, qu’elle le soit par la volonté du plus fort. Or, pour quelle raison le plus fort aurait-il besoin de la société puisque par définition il a déjà le meilleur accès possible aux ressources ?
            Enfin et surtout, n’est ce pas précisemment dans la société que l’on trouve les exemples de répartition des ressources les plus inégalitaires ? On chercherait en vain des exemples d’accumulation dans la nature, où l’on ne convoite que le strict nécéssaire à sa survie.
            Bien à vous,

            • Descartes dit :

              @ Denis Weill

              [« Si l’homme suivait sa nature, il ferait le bien. » En réalité, la question ne se pose pas vraiment ainsi. Rousseau montre bien dans le Discours sur l’inégalité que l’Homme ne sort pas de l’état de nature par choix. Il en sort par le fait d’un développement historique et dialectique inéluctable (découverte du feu, de l’outil, qui amènent à la maîtrise du fer puis à l’agriculture).]

              Certes. Mais il n’en demeure pas moins que pour Rousseau c’est cette « dialectique » qui a étouffé cette « bonté naturelle ». Dans le « Discours » il peint une société idéale dans laquelle les hommes « vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature » à laquelle l’homme a été arraché par la « cupidité » de quelques-uns.

              [D’ailleurs l’ “état de nature” lui même est un état que Rousseau postule philosophiquement pour les besoins de son argumentation (“Commençons par écarter tous les faits”!).]

              C’était déjà le cas pour Hobbes…

              [« Le « chasseur cueilleur isolé » a toutes les raisons du monde d’être « mauvais » avec son semblable parce qu’il est en compétition avec lui pour des ressources rares et limitées. » Oui, comme les animaux le sont entre eux dans le règne animal.]

              Exactement. C’est la vision de Hobbes pour qui, dans l’état de nature, les hommes se comportent comme des animaux. Contrairement à Rousseau, pour qui dans l’état de nature l’homme se comporte différemment des animaux, du fait de son sens de la « pitié ». C’est sur ce point que je suis plus proche de Hobbes que de Rousseau…

              [« La morale tient au besoin de réguler la compétition pour les ressources, et c’est là le fondement des sociétés humaines comme le décrit Hobbes… » Si dans la nature règne l’impitoyable droit du plus fort, d’où vient la nécessité de réguler la compétition pour les ressources ? Il faudrait, pour que la société s’impose, qu’elle le soit par la volonté du plus fort. Or, pour quelle raison le plus fort aurait-il besoin de la société puisque par définition il a déjà le meilleur accès possible aux ressources ?]

              La réponse semble, pour le matérialiste que je suis, assez évidente : la « loi du plus fort » est un système particulièrement inefficient. L’exercice permanent de la violence a un coût très élevé pour le plus fort. C’est tellement vrai qu’on trouve chez les animaux sociaux d’innombrables exemples de régulation, qui ne tiennent pas à la « volonté » de tel ou tel individu, mais à la sélection naturelle : là où une forme de régulation apparaît, les individus sont plus à même de se reproduire et de transmettre leur patrimoine génétique. Et cela est vrai aussi pour les sociétés humaines : celles qui ont réussi à instaurer des formes de régulation qui ne font pas appel à l’exercice permanent de la violence ont réussi à s’imposer.

              En pratique, on observe le même mécanisme « hobbesien » un peu partout : le plus fort échange une autolimitation en échange d’une reconnaissance de son statut privilégié. Pour le patron, il est plus intéressant d’accepter une limitation de son pouvoir par une convention collective plutôt que de faire face à des grèves à répétition.

              [Enfin et surtout, n’est ce pas précisemment dans la société que l’on trouve les exemples de répartition des ressources les plus inégalitaires ? On chercherait en vain des exemples d’accumulation dans la nature, où l’on ne convoite que le strict nécéssaire à sa survie.]

              Certes. Mais dans la nature le plus fort survit, et le plus faible meurt. N’est-ce pas là une très importante inégalité dans la répartition des ressources ? De ce point de vue, la société est bien moins inégalitaire, n’est ce pas ?

            • P2R dit :

              @ Denis Weill et Descartes
               
              (((Le « chasseur cueilleur isolé » a toutes les raisons du monde d’être « mauvais » avec son semblable parce qu’il est en compétition avec lui pour des ressources rares et limitées)))
               
              Notons à ce sujet, comme un marqueur intéressant du retour en force du Rousseau-isme dans la pensée occidentale moderne, que les dernières théories “à la mode” nous expliquent en long en large et en travers (et surtout contre toute évidence) que le chasseur cueilleur vivait dans un monde d’abondance, et ne passait qu’une très faible partie de son temps à chercher sa nourriture, voire même régulait le nombre de naissances dans le groupe pour préserver cet état d’abondance… Et que c’est la découverte de l’agriculture et de l’élevage qui l’ont corrompu et fait entrer dans l’ère des famines, des maladies et de la surpopulation. C’est la thèse qui est principalement développée dans l’énorme best-seller “Sapiens” de Harari. Le retentissement de ces thèses Lyssenkistes par excellence* ne peut que laisser songeur sur l’ampleur de la pénétration de cette idéologie du “bon sauvage” chez nos contemporains…
               
              *On retrouve également (dans la même idée) des thèses aussi fortement relayées médiatiquement que faiblement étayées scientifiquement nous expliquant que les femmes chassaient le mammouth et que les hommes s’occupaient des enfants à la grotte… Etonnant non ?

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Notons à ce sujet, comme un marqueur intéressant du retour en force du Rousseau-isme dans la pensée occidentale moderne, que les dernières théories “à la mode” nous expliquent en long en large et en travers (et surtout contre toute évidence) que le chasseur cueilleur vivait dans un monde d’abondance, et ne passait qu’une très faible partie de son temps à chercher sa nourriture, voire même régulait le nombre de naissances dans le groupe pour préserver cet état d’abondance… Et que c’est la découverte de l’agriculture et de l’élevage qui l’ont corrompu et fait entrer dans l’ère des famines, des maladies et de la surpopulation.]

              C’est à ce genre de lecture que je faisais allusion dans le commentaire qui a démarré l’échange avec Denis Weill. Cette lecture ne reflète pas à mon avis la pensée complexe de Rousseau parce qu’elle n’en reprend qu’une seule facette, celle du « bon sauvage ». Rousseau – qui, il ne faut pas l’oublier, annonce déjà le romantisme – était certes séduit par cette idée, mais apporte dans ses écrits de sérieuses nuances !

              [C’est la thèse qui est principalement développée dans l’énorme best-seller “Sapiens” de Harari. Le retentissement de ces thèses Lyssenkistes par excellence* ne peut que laisser songeur sur l’ampleur de la pénétration de cette idéologie du “bon sauvage” chez nos contemporains…]

              Je ne vois pas très bien en quoi ces théories seraient « Lyssenkistes ». Le pauvre Lyssenko a assez de péchés en propre pour qu’on vienne lui coller ceux des autres. Non, cette vision est caractéristique du romantisme, ce mouvement surgi en réaction contre les Lumières, qui haïssait les idées de progrès et la Raison et pleurait une « nature » idéalisée…

              [*On retrouve également (dans la même idée) des thèses aussi fortement relayées médiatiquement que faiblement étayées scientifiquement nous expliquant que les femmes chassaient le mammouth et que les hommes s’occupaient des enfants à la grotte… Etonnant non ?]

              Ca, c’est ce que j’appelle une théorie ad hoc. On fabrique une théorie pseudo-scientifique – en général en retenant dans les découvertes scientifiques les faits qui vous arrangent et en oubliant les autres – pour justifier un présupposé idéologique. Ici, il s’agit de combattre l’idée d’une division du travail sexuée fondée sur la biologie, autrement dit, l’idée que la différence des rôles dans la reproduction de l’espèce conditionne le partage des rôles dans la société. Nier que c’est le cas dans une société où la reproduction de l’espèce ne tenait qu’à un fil, et où l’efficacité dans ce domaine conditionnait tout le reste me parait une suprême bêtise… Ce n’est que dans une société comme la nôtre, où la survie de l’espèce est garantie, qu’on peut se permettre de faire passer d’autres critères devant celui de l’efficacité reproductrice…

  15. Denis Weill dit :

    On trouve chez les animaux sociaux d’innombrables exemples de régulation, qui ne tiennent pas à la « volonté » de tel ou tel individu, mais à la sélection naturelle : là où une forme de régulation apparaît, les individus sont plus à même de se reproduire et de transmettre leur patrimoine génétique.
    Certes mais cette régulation ne fait pas sortir ces “animaux sociaux” de l’état de nature pour autant. Ce n’est donc pas la clef du passage à l’état civil.
     
    Et cela est vrai aussi pour les sociétés humaines : celles qui ont réussi à instaurer des formes de régulation qui ne font pas appel à l’exercice permanent de la violence ont réussi à s’imposer.
    Là il me semble que vous comparez différents types de sociétés entre eux et non pas l’état de nature à la société.
     
    Le plus fort échange une autolimitation en échange d’une reconnaissance de son statut privilégié. Pour le patron, il est plus intéressant d’accepter une limitation de son pouvoir par une convention collective plutôt que de faire face à des grèves à répétition.
    La force du patron est uniquement sociale. Dans la nature, il ne serait probablement pas le plus fort et il ne serait pas patron non plus. Or, ce dont parle Hobbes est censé se dérouler dans l’état de nature.
     
    Certes. Mais dans la nature le plus fort survit, et le plus faible meurt. N’est-ce pas là une très importante inégalité dans la répartition des ressources ? De ce point de vue, la société est bien moins inégalitaire, n’est ce pas ?
    Ha bon ? Le plus faible ne meurt pas dans la société ? Ni de froid, ni de faim, ni d’exploitation, ni de guerre ?
     
    Bien à vous,
     

    • Descartes dit :

      @ Denis Weill

      [« On trouve chez les animaux sociaux d’innombrables exemples de régulation, qui ne tiennent pas à la « volonté » de tel ou tel individu, mais à la sélection naturelle : là où une forme de régulation apparaît, les individus sont plus à même de se reproduire et de transmettre leur patrimoine génétique. » Certes mais cette régulation ne fait pas sortir ces “animaux sociaux” de l’état de nature pour autant. Ce n’est donc pas la clef du passage à l’état civil.]

      Mon exemple n’avait pour but que de vous montrer que la régulation – qui implique une autolimitation de la part du plus fort – est une source d’efficacité dont tous les membres du groupe, forts ou faibles, en profitent. Le fait que de tels comportements soient sélectionnés dans l’évolution des espèces me semble une preuve flagrante.

      Quant au fait que cela soit la clef du passage à l’état civil… je ne serais pas aussi négatif que vous. L’homme s’est progressivement affranchi des règles du règne animal, mais pas immédiatement et pas complètement. Nous savons que le passage de « l’état de nature » à « l’état civil » est une vision philosophique, et non anthropologique. Que dans les premiers groupes humains la sélection naturelle ait joué son rôle pour privilégier les groupes où les plus forts s’autolimitaient, et que cette autolimitation soit à l’origine du passage à des formes de régulation encore plus complexes ne peut pas être exclu.

      [« Et cela est vrai aussi pour les sociétés humaines : celles qui ont réussi à instaurer des formes de régulation qui ne font pas appel à l’exercice permanent de la violence ont réussi à s’imposer. » Là il me semble que vous comparez différents types de sociétés entre eux et non pas l’état de nature à la société.]

      Je me place là dans une perspective anthropologique, et non philosophique. Les différents groupes humains se sont confrontés, et la sélection naturelle a fait le reste : ceux qui ont eu les organisations les plus « efficientes » se sont imposés aux autres. Or, l’autolimitation des plus forts est une forme d’organisation plus efficiente que celle où les plus forts ne peuvent se reposer que sur la violence, avec les coûts et les risques qu’elle comporte. C’est ce qui explique le surgissement de sociétés « régulées », même si en apparence les plus forts pouvaient avoir un intérêt immédiat à refuser toute régulation. C’était ça votre question, non ?

      [« Le plus fort échange une autolimitation en échange d’une reconnaissance de son statut privilégié. Pour le patron, il est plus intéressant d’accepter une limitation de son pouvoir par une convention collective plutôt que de faire face à des grèves à répétition. » La force du patron est uniquement sociale. Dans la nature, il ne serait probablement pas le plus fort et il ne serait pas patron non plus. Or, ce dont parle Hobbes est censé se dérouler dans l’état de nature.]

      Mon exemple ici n’avait d’autre but que d’illustrer l’intérêt qu’un « plus fort » – ici il s’agit de force au sens social, et non purement physique – à accepter des limites à l’usage de sa « force » en échange de la reconnaissance par les plus faibles de sa prééminence. Je réponds encore une fois à votre question concernant l’intérêt que peut avoir le plus fort à accepter de tels limites. Cet intérêt est universel, aussi présent dans « l’état de nature » que dans « l’état civil ».

      [« Certes. Mais dans la nature le plus fort survit, et le plus faible meurt. N’est-ce pas là une très importante inégalité dans la répartition des ressources ? De ce point de vue, la société est bien moins inégalitaire, n’est-ce pas ? » Ha bon ? Le plus faible ne meurt pas dans la société ? Ni de froid, ni de faim, ni d’exploitation, ni de guerre ?]

      Beaucoup moins, quand même… dans notre « société civile », les gens qui meurent de froid et de faim, d’exploitation ou de guerre sont tout de même très minoritaires. Pensez-vous vraiment que “l’état de nature” est par essence plus “égalitaire” que “l’état civil” ?

      • Denis Weill dit :

         L’homme s’est progressivement affranchi des règles du règne animal, mais pas immédiatement et pas complètement. Nous savons que le passage de « l’état de nature » à « l’état civil » est une vision philosophique, et non anthropologique. Que dans les premiers groupes humains la sélection naturelle ait joué son rôle pour privilégier les groupes où les plus forts s’autolimitaient, et que cette autolimitation soit à l’origine du passage à des formes de régulation encore plus complexes ne peut pas être exclu.
        D’accord avec vous.
         
        Pensez-vous vraiment que “l’état de nature” est par essence plus “égalitaire” que “l’état civil” ?
        Non, bien sûr. Comme Rousseau je pense que l’état civil est infiniment plus souhaitable que l’état de nature mais que “les abus de cette nouvelle condition” dégrade souvent l’Homme “au dessous de celle dont il est sorti” (Contrat social, Livre I, Chapitre VIII).
        Il n’y a que dans la “société” qu’on envoie des bombes atomiques sur des populations civiles d’un pays qui s’est rendu, que l’on se venge sur des milliers de femmes, de vieillards et d’enfants d’une attaque qu’on a subit et pour laquelle ils n’ont aucune responsabilité ou que l’on réduit en esclavage des populations entières pour les besoins de l’accumulation.
        Les moyens technologiques développés dans la société donnent d’ailleurs infiniment plus de possibilité au mal (comme au bien).
        Ni saint dans la nature, ni marquis de Sade.
         
        Bien à vous,

        • Descartes dit :

          @ Denis Weill

          [Pensez-vous vraiment que “l’état de nature” est par essence plus “égalitaire” que “l’état civil” ?
          Non, bien sûr. Comme Rousseau je pense que l’état civil est infiniment plus souhaitable que l’état de nature mais que “les abus de cette nouvelle condition” dégrade souvent l’Homme “au dessous de celle dont il est sorti” (Contrat social, Livre I, Chapitre VIII).]

          Vous ne lisez pas Rousseau correctement. Rousseau ne dit pas que « l’état civil » soit « infiniment plus souhaitable que l’état de nature ». Il dit que ce SERAIT le cas SI « les abus de cette nouvelle condition etc. ». Relisez le texte : « si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais, et qui, d’un animal stupide & borné, fit un être intelligent et un homme ». Notez le « si » conditionnel qui commence le paragraphe.

          [Il n’y a que dans la “société” qu’on envoie des bombes atomiques sur des populations civiles d’un pays qui s’est rendu, que l’on se venge sur des milliers de femmes, de vieillards et d’enfants d’une attaque qu’on a subit et pour laquelle ils n’ont aucune responsabilité ou que l’on réduit en esclavage des populations entières pour les besoins de l’accumulation.]

          Possible. Mais c’est aussi dans la « société » qu’on se donne les moyens de faire reculer des maladies jusqu’à les faire disparaître, qu’on dispose des aliments en quantité chaque fois plus abondante et plus saine, qu’on diffuse le savoir et la culture chaque fois plus largement… et contrairement à Rousseau, je suis convaincu personnellement que le bilan est largement positif.

          J’ajoute que, contrairement à ce que vous semblez suggérer, plus on s’éloigne de la nature et moins on tue. La bombe atomique est un excellent exemple : alors que c’est une arme terrifiante par sa puissance, depuis son invention en 1945 elle aura tué moins de 200.000 personnes dans les 80 ans qui ont suivi, soit une proportion infime de la population.

          [Les moyens technologiques développés dans la société donnent d’ailleurs infiniment plus de possibilité au mal (comme au bien).]

          Oui, mais contrairement au discours romantique qui prétend que le progrès scientifique et technique s’accompagne d’un recul moral (et Rousseau est tenté par cette vision), c’est exactement l’inverse qui se produit. Alors que nous avons des moyens de plus en plus élaborés de tuer ou d’asservir notre prochain, nous limitons de plus en plus leur usage. L’esclavage a pratiquement disparu, le servage est en train de disparaître. Proportionnellement, on tue beaucoup moins aujourd’hui qu’a aucune période dans l’histoire. Il y a quelques siècles, il était courant de passer par l’épée l’intégralité de la garnison d’une forteresse prise, aujourd’hui le cas est rarissime.

          • Denis Weill dit :

            Alors que nous avons des moyens de plus en plus élaborés de tuer ou d’asservir notre prochain, nous limitons de plus en plus leur usage. L’esclavage a pratiquement disparu, le servage est en train de disparaître. Proportionnellement, on tue beaucoup moins aujourd’hui qu’a aucune période dans l’histoire. Il y a quelques siècles, il était courant de passer par l’épée l’intégralité de la garnison d’une forteresse prise, aujourd’hui le cas est rarissime.
            Là, je ne vous comprend pas. Les deux massacres les plus abominables qu’aient connu l’Humanité (presque 20 millions de morts pour le premier, 50 millions pour le deuxième) ont eu lieu en plein XXème siècle ! Les deux guerres mondiales apparaissent au milieu de la société la plus cultivée, la plus raffinée qui soit et voit s’affronter les nations les plus développées. On appelle même encore cette période d’avant guerre : “La Belle Epoque”!
            Je n’impute pas pour autant ces abominations à la société en général, mais bien à ses abus. Que l’on peut également appeler “exploitation” ou “impérialisme” si vous préférez.
            C’est l’idéologie dominante qui veut nous enfermer dans cette alternative : exploitation de l’homme par l’homme ou retour à la nature, certainement pas Rousseau.
             
            Bien à vous,
             

            • Descartes dit :

              @ Denis Weill

              [Là, je ne vous comprend pas. Les deux massacres les plus abominables qu’aient connu l’Humanité (presque 20 millions de morts pour le premier, 50 millions pour le deuxième) ont eu lieu en plein XXème siècle !]

              Pourquoi dites-vous « les plus abominables » ? Il y a une échelle « d’abominabilité » qui vous permet de dire que les guerres puniques étaient moins « abominables » que la première guerre mondiale ?

              Il est très difficile de comparer des comptabilités macabres. S’il est vrai qu’on a tué beaucoup de monde dans les deux guerres mondiales, on ne peut pas dire que PROPORTIONNELLEMENT c’ait été le pire massacre de l’histoire. De toutes les nations engagées dans la deuxième guerre mondiale, c’est la Pologne dont les pertes sont les plus importants et elles atteignent à peine – si l’on peut dire – 15% de la population. Suit l’Allemagne avec 12%, puis l’URSS avec 10%. Faute de statistiques, difficile de dire si Cartage a perdu plus de population lors des guerres puniques. Mais on sait que dans les guerres entre les tribus amérindiennes, certaines « nations » ont été totalement exterminées lors d’un affrontement avec une autre « nation ».

              [Je n’impute pas pour autant ces abominations à la société en général, mais bien à ses abus. Que l’on peut également appeler “exploitation” ou “impérialisme” si vous préférez.]

              Mais dans la mesure où ces « abus » se répètent partout, au point que rares sont les nations où ils n’ont pas lieu, il faut se demander s’il s’agit de simples « abus », où s’ils sont consubstantiels aux sociétés humaines.

              [C’est l’idéologie dominante qui veut nous enfermer dans cette alternative : exploitation de l’homme par l’homme ou retour à la nature, certainement pas Rousseau.]

              Vous oubliez que Rousseau est un représentant de « l’idéologie dominante », ou plutôt de l’idéologie qui allait devenir dominante avec l’accession de la bourgeoisie au pouvoir…

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
            [Oui, mais contrairement au discours romantique qui prétend que le progrès scientifique et technique s’accompagne d’un recul moral (et Rousseau est tenté par cette vision), c’est exactement l’inverse qui se produit.]
            Patrick Buisson – paix à son âme – portait cette vision romantique, lui qui déclarait: “ce que nous avons gagné est de l’ordre de la technique, ce que nous avons perdu est de l’ordre de l’humain”, ou encore “l’histoire montre que les effets des progrès annulent au final le bénéfice des progrès en question”. Et il cite la mortalité infantile: 25 % des enfants mouraient avant l’âge de un an dans les sociétés anciennes, 25 % des grossesses de nos jours se termineraient par un avortement… Ainsi, le “progrès” de la légalisation de l’IVG annulerait le bénéfice des “progrès” de la médecine qui ont permis une baisse spectaculaire de la mortalité infantile.
            J’aime beaucoup écouter Patrick Buisson, un homme que je trouve brillant et cultivé, mais je dois dire qu’en l’espèce, son argument est éminemment discutable pour ne pas dire spécieux (d’autant qu’il ne prend pas en compte l’avortement dans les sociétés anciennes qui, bien que risqué et parfois condamné, n’était pas aussi rare qu’on veut bien le croire…).
             
            Pardonnez mon intervention, mais je trouvais intéressant de signaler ce côté “rousseauiste” de Buisson (qui cependant devait regretter davantage la “société traditionnelle” – laquelle d’ailleurs? – que l’état de nature).

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Oui, mais contrairement au discours romantique qui prétend que le progrès scientifique et technique s’accompagne d’un recul moral (et Rousseau est tenté par cette vision), c’est exactement l’inverse qui se produit. » Patrick Buisson – paix à son âme – portait cette vision romantique, lui qui déclarait: “ce que nous avons gagné est de l’ordre de la technique, ce que nous avons perdu est de l’ordre de l’humain”, ou encore “l’histoire montre que les effets des progrès annulent au final le bénéfice des progrès en question”.]

              Je ne suis pas d’accord. Buisson est un réactionnaire, mais pas vraiment un romantique. Si les romantiques étaient souvent réactionnaires, tous les réactionnaires ne sont pas nécessairement romantiques. Pour être un romantique, il manque à Buisson l’adoration de la nature, l’individualisme qui caractérise ce mouvement. Et bien de courants intellectuels avant et après le romantisme ont rendu culte à un « âge d’or » mythique ou ont condamné le progrès.

              [Et il cite la mortalité infantile: 25 % des enfants mouraient avant l’âge de un an dans les sociétés anciennes, 25 % des grossesses de nos jours se termineraient par un avortement… Ainsi, le “progrès” de la légalisation de l’IVG annulerait le bénéfice des “progrès” de la médecine qui ont permis une baisse spectaculaire de la mortalité infantile. J’aime beaucoup écouter Patrick Buisson, un homme que je trouve brillant et cultivé, mais je dois dire qu’en l’espèce, son argument est éminemment discutable pour ne pas dire spécieux (d’autant qu’il ne prend pas en compte l’avortement dans les sociétés anciennes qui, bien que risqué et parfois condamné, n’était pas aussi rare qu’on veut bien le croire…).]

              Et Buisson oublie un deuxième élément : non seulement on pratiquait l’IVG clandestinement (avec des résultats souvent désastreux pour la mère), mais surtout l’infanticide des jeunes nourrissons était beaucoup plus courant qu’aujourd’hui…

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [Pour être un romantique, il manque à Buisson l’adoration de la nature, l’individualisme qui caractérise ce mouvement.]
              Pardonnez mon outrecuidance, mais je pense que vous avez une vision très partielle et réductrice du romantisme. Notamment, vous confondez “romantisme” et “romantisme allemand”, en oubliant au passage qu’il existe aussi un romantisme anglais, français, italien… Peut-être russe, mais je connais moins.
               
              Par ailleurs, le romantisme ne se limite pas à ce tableau montrant un homme seul en extase devant Dame Nature, symbolisée par la Montagne, la Forêt ou la Mer. Le romantisme aime les vieilles pierres, les ruines, tout particulièrement les ruines médiévales, et il se plaît souvent à peindre un Moyen Âge idéalisé, rustique, champêtre, en opposition au monde urbain et industriel qui connaît son essor au XIX° siècle. Mais derrière ce Moyen Âge idyllique, peut-être vu comme “plus proche de la nature”, il y a bel et bien dans une frange du romantisme une nostalgie pour les sociétés traditionnelles et leurs “hiérarchies naturelles”.
               
              Je ne suis pas d’accord avec cette idée que le romantisme serait systématiquement individualiste. Il y a un “nationalisme romantique”, et il peut y avoir dans le romantisme une mystique de la terre, du peuple. Et les Lumières, par bien des aspects, sont éminemment individualistes. 

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Pour être un romantique, il manque à Buisson l’adoration de la nature, l’individualisme qui caractérise ce mouvement. » Pardonnez mon outrecuidance, mais je pense que vous avez une vision très partielle et réductrice du romantisme. Notamment, vous confondez “romantisme” et “romantisme allemand”, en oubliant au passage qu’il existe aussi un romantisme anglais, français, italien… Peut-être russe, mais je connais moins.]

              Il y a même quelquefois plusieurs écoles « romantiques » au sein d’un même pays. Mais ils ont tous des points communs qui caractérisent le romantisme comme mouvement. Parmi eux, l’idéalisation de la nature et l’individualisme. Il est vrai que le romantisme français n’a jamais poussé l’idéalisation de la nature aux extrêmes du romantisme allemand, qui en arrive presque à en faire un déité, douée de volonté et de sentiment. Mais l’idéalisation est là tout de même. Même chose pour l’individualisme : chez certains romantiques il vire presque à la misanthropie (Chateaubriand) quand d’autres (Hugo) se placent dans une perspective plus sociale. Mais l’individu libre et seul maître de lui-même est une constante du romantisme.

              [Mais derrière ce Moyen Âge idyllique, peut-être vu comme “plus proche de la nature”, il y a bel et bien dans une frange du romantisme une nostalgie pour les sociétés traditionnelles et leurs “hiérarchies naturelles”.]

              Mais justement, le Moyen-Age idéalisé par le romantisme est une société individualiste, débarrassée du caractère holiste des sociétés médiévales.

              [Je ne suis pas d’accord avec cette idée que le romantisme serait systématiquement individualiste. Il y a un “nationalisme romantique”, et il peut y avoir dans le romantisme une mystique de la terre, du peuple.]

              Mais le « nationalisme romantique » est un discours individualiste. Le héros romantique peut mourir pour sa Patrie, mais meurt par choix individuel, et non prisonnier d’un déterminisme holiste, contrairement au héros classique, qui ne peut échapper aux lois du sang, de la tradition, de la cité. C’est pourquoi d’ailleurs le romantisme fabrique du drame, mais pas de la tragédie.

              [Et les Lumières, par bien des aspects, sont éminemment individualistes.]

              On peut même dire que ce sont les Lumières qui l’ont inventé !

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Pour être un romantique, il manque à Buisson l’adoration de la nature, l’individualisme qui caractérise ce mouvement. » Pardonnez mon outrecuidance, mais je pense que vous avez une vision très partielle et réductrice du romantisme. Notamment, vous confondez “romantisme” et “romantisme allemand”, en oubliant au passage qu’il existe aussi un romantisme anglais, français, italien… Peut-être russe, mais je connais moins.]

              Il y a même quelquefois plusieurs écoles « romantiques » au sein d’un même pays. Mais ils ont tous des points communs qui caractérisent le romantisme comme mouvement. Parmi eux, l’idéalisation de la nature et l’individualisme. Il est vrai que le romantisme français n’a jamais poussé l’idéalisation de la nature aux extrêmes du romantisme allemand, qui en arrive presque à en faire un déité, douée de volonté et de sentiment. Mais l’idéalisation est là tout de même. Même chose pour l’individualisme : chez certains romantiques il vire presque à la misanthropie (Chateaubriand) quand d’autres (Hugo) se placent dans une perspective plus sociale. Mais l’individu libre et seul maître de lui-même est une constante du romantisme.

              [Mais derrière ce Moyen Âge idyllique, peut-être vu comme “plus proche de la nature”, il y a bel et bien dans une frange du romantisme une nostalgie pour les sociétés traditionnelles et leurs “hiérarchies naturelles”.]

              Mais justement, le Moyen-Age idéalisé par le romantisme est une société individualiste, débarrassée du caractère holiste des sociétés médiévales.

              [Je ne suis pas d’accord avec cette idée que le romantisme serait systématiquement individualiste. Il y a un “nationalisme romantique”, et il peut y avoir dans le romantisme une mystique de la terre, du peuple.]

              Mais le « nationalisme romantique » est un discours individualiste. Le héros romantique peut mourir pour sa Patrie, mais meurt par choix individuel, et non prisonnier d’un déterminisme holiste, contrairement au héros classique, qui ne peut échapper aux lois du sang, de la tradition, de la cité. C’est pourquoi d’ailleurs le romantisme fabrique du drame, mais pas de la tragédie.

              [Et les Lumières, par bien des aspects, sont éminemment individualistes.]

              On peut même dire que ce sont les Lumières qui l’ont inventé !

  16. Denis Weill dit :

    Merci à P2R de venir enrichir ce débat passionnant. Et merci à Descartes de rappeler que la pensée de Rousseau est “complexe” quand le post-modernisme tente d’en faire un illuminé naïf prônant un improbable “retour à la nature” (Voltaire faisait d’ailleurs déjà le même contre-sens).
    Une œuvre d’une densité telle que celle de Rousseau peut évidemment prêter le flanc par endroits à des interprétations apparemment contradictoires. D’autant que comme toute pensée sérieuse elle a pu évoluer.
    Aussi est-il prudent de s’appuyer non pas sur tel ou tel extrait de correspondance mais sur le cœur du maître ouvrage ” Du Contrat Social” (paru en 1762).
    En son Livre I, Chapitre VIII “De l’Etat civil”, Rousseau non seulement écrit noir sur blanc que l’Homme est arraché “pour jamais” à sa condition de sauvage (la question de savoir si il en était un bon ou non a donc une importance relative) mais ce chapitre est une ode à la société qui développe les facultés de l’Homme, ennoblit ses sentiments, élève son âme et lui donne la liberté civile et morale au détriment d’une liberté naturelle toute relative car bornée par la seule force (les siennes et celles du plus fort que soi). Re-lisez ce chapitre et dites moi honnêtement si il y a là quoique ce soit de comparable avec une nostalgie de la nature d’un écolo-réac actuel.
    Par contre, Rousseau fustige les abus de cette nouvelle condition de l’Homme. Qui pourrait sérieusement lui donner tort ?
     
    En espérant moi même ne pas avoir trop abusé du cadre de ce blog.
    Bien à vous,
     
     

    • Descartes dit :

      @ Denis Weill

      [Merci à P2R de venir enrichir ce débat passionnant. Et merci à Descartes de rappeler que la pensée de Rousseau est “complexe” quand le post-modernisme tente d’en faire un illuminé naïf prônant un improbable “retour à la nature” (Voltaire faisait d’ailleurs déjà le même contre-sens).]

      Vous m’obligez à défendre ce pauvre Voltaire. Je ne crois pas que Voltaire ait fait de Rousseau un « illuminé naïf prônant un improbable retour à la nature ». Ce que Voltaire critique, c’est la tendance de Rousseau à idéaliser la nature – et tout particulièrement la nature humaine. Que Rousseau considère la sortie de l’état de nature comme inéluctable n’empêche pas de détecter dans ses écrits une certaine nostalgie pour les sociétés primitives où les hommes « vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature » (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes). Il est vrai que Rousseau se contredit lui-même sur ce point dans le « contrat social », mais pas complétement : « Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme tout entière s’élève à tel point que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais, et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme. ». Le passage de l’état de nature à l’état civil est donc à « bénir »… ou plutôt le serait si « les abus de cette nouvelle condition » ne rendaient sa situation finalement moins favorable que celle dont il bénéficiait dans l’état antérieur…

      Le problème avec Rousseau, c’est l’ambiguïté de ses sentiments envers la société moderne. D’un côté, il se place dans la ligne des Lumières en voyant l’état civil comme un progrès indéniable, d’un autre côté sa critique de la société de son temps l’amène à regretter un « état de nature » dans la ligne de ce qui sera plus tard le romantisme. En ce sens, il est pessimiste là où Hobbes est paradoxalement optimiste.

      [En son Livre I, Chapitre VIII “De l’Etat civil”, Rousseau non seulement écrit noir sur blanc que l’Homme est arraché “pour jamais” à sa condition de sauvage (la question de savoir si il en était un bon ou non a donc une importance relative) mais ce chapitre est une ode à la société qui développe les facultés de l’Homme, ennoblit ses sentiments, élève son âme et lui donne la liberté civile et morale au détriment d’une liberté naturelle toute relative car bornée par la seule force (les siennes et celles du plus fort que soi). Re-lisez ce chapitre et dites moi honnêtement si il y a là quoique ce soit de comparable avec une nostalgie de la nature d’un écolo-réac actuel. Par contre, Rousseau fustige les abus de cette nouvelle condition de l’Homme. Qui pourrait sérieusement lui donner tort ?]

      Je l’ai relu, et j’ai trouvé l’ambiguïté que je souligne plus haut. Oui, il y a chez Rousseau une forme de « nostalgie », plus perceptible dans le « Discours… » que dans le « Contrat social ». Rousseau reconnaît que l’éloignement de la « nature » amène à un progrès considérable… mais annule cette reconnaissance en mentionnant des « abus » qui finalement ramènent l’homme à une situation encore pire que « l’état de nature ». Comme il n’est pas clair que ces « abus » soient évitables – ils semblent par moment être intrinsèques à la nature humaine – à la fin on ne sait pas si la sortie de l’état de nature est ou non un progrès.

      [En espérant moi même ne pas avoir trop abusé du cadre de ce blog.]

      Rassurez-vous, c’est tout le contraire. Mon but est de susciter les échanges qui enrichissent ceux qui y participent et ceux qui les lisent. Il n’y a donc pas ici de « hors sujet ».

      • Denis Weill dit :

        Je ne crois pas que Voltaire ait fait de Rousseau un « illuminé naïf prônant un improbable retour à la nature »
        Evidemment non, mais je pensais à cette lettre dans laquelle Voltaire avec tout l’esprit persifleur dont il savait faire preuve, envoie à Rousseau qu'”il prend envie de marcher à quatre pattes” lorsqu’on lit son ouvrage (le Discours sur l’inégalité) et qu'”on a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes” (mais j’ai bien conscience qu’il fait semblant de ne pas comprendre pour faire un bon mot).
         
        Que Rousseau considère la sortie de l’état de nature comme inéluctable n’empêche pas de détecter dans ses écrits une certaine nostalgie pour les sociétés primitives où les hommes « vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature » 
        Vous avez raison.
         
        Le problème avec Rousseau, c’est l’ambiguïté de ses sentiments envers la société moderne. D’un côté, il se place dans la ligne des Lumières en voyant l’état civil comme un progrès indéniable, d’un autre côté sa critique de la société de son temps l’amène à regretter un « état de nature » dans la ligne de ce qui sera plus tard le romantisme.
        Je comprend votre point de vue et vous avez raison lorsque vous décelez chez Rousseau des traces d’idéalisme philosophique. Mais ce que vous appelez “ambiguïté”, c’est au contraire ce qui fait de lui l’auteur clef de la compréhension de notre modernité. En effet, Rousseau n’est ni partisan d’un hypothétique retour à la vie primitive ni en idolâtrie devant une linéarité inéluctable du progrès.
        Le génie dialectique de Rousseau consiste en ce qu’il s’oppose non seulement à l’absolutisme, l’ordre ancien en train de disparaître, mais également à la critique qu’en fait les Lumières en son temps. Critique (ou antithèse) en laquelle Rousseau perçoit l’ordre nouveau en train de naitre, commerçant, bourgeois, qui sous couvert de liberté civile et de libertinage philosophique, s’apprête à noyer tous les rapports humains dans “les eaux glacées du calcul égoïste”.
        Certes le talent et l’ironie d’un Voltaire ont contribué à miner les bases de l’ordre ancien. Rousseau lui, inaugure la modernité en ce qu’il comprend que rien n’est gagné et que tout reste à fonder, ce qu’il entreprend de contribuer à faire avec son Contrat social.
         
        En ce sens, il est pessimiste là où Hobbes est paradoxalement optimiste.
        Peut être, mais tout matérialiste qu’il était, Hobbes défend l’absolutisme le plus intransigeant quand Rousseau se place sur le terrain de la proposition que la modernité rend désormais inéluctable à savoir la démocratie.
         
        Bien à vous,

        • Descartes dit :

          @ Denis Weill

          [« Je ne crois pas que Voltaire ait fait de Rousseau un « illuminé naïf prônant un improbable retour à la nature » » Evidemment non, mais je pensais à cette lettre dans laquelle Voltaire avec tout l’esprit persifleur dont il savait faire preuve, envoie à Rousseau qu’”il prend envie de marcher à quatre pattes” lorsqu’on lit son ouvrage (le Discours sur l’inégalité) et qu’”on a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes” (mais j’ai bien conscience qu’il fait semblant de ne pas comprendre pour faire un bon mot).]

          Je pense surtout que Voltaire, homme des Lumières jusqu’au bout des ongles, raillait le « romantique » Rousseau et sa nostalgie du « bon sauvage ». Voltaire portait en lui l’optimisme des Lumières, la confiance dans la capacité humaine à s’améliorer. Rousseau annonce déjà le pessimisme des romantiques, da conviction que l’homme régresse moralement en progressant matériellement.

          [Je comprends votre point de vue et vous avez raison lorsque vous décelez chez Rousseau des traces d’idéalisme philosophique. Mais ce que vous appelez “ambiguïté”, c’est au contraire ce qui fait de lui l’auteur clef de la compréhension de notre modernité. En effet, Rousseau n’est ni partisan d’un hypothétique retour à la vie primitive ni en idolâtrie devant une linéarité inéluctable du progrès.]

          Mais qu’est-ce qu’il voudrait alors ? Si le retour vers le « bon sauvage » ne lui convient pas, et qu’il explique pourtant que les « abus » font que le progrès ne conduit qu’à une condition toujours plus mauvaise, quelle solution viable nous propose-t-il ? Si reculer est impossible, et avancer nous conduit au pire, quelle solution reste-t-il, à parti l’immobilité ?

          [« En ce sens, il est pessimiste là où Hobbes est paradoxalement optimiste. » Peut-être, mais tout matérialiste qu’il était, Hobbes défend l’absolutisme le plus intransigeant quand Rousseau se place sur le terrain de la proposition que la modernité rend désormais inéluctable à savoir la démocratie.]

          Hobbes est un progressiste parce qu’en 1650 « l’absolutisme » constituait un considérable progrès par rapport au pouvoir féodal des « barons ». Mais vous noterez que son raisonnement peut servir autant à défendre une monarchie absolue qu’une République démocratique. Cromwell était autant « hobbésien » sinon plus que Charles I. Rousseau, même s’il rejette l’absolutisme, exprime une vision nostalgique qui annonce les courants réactionnaires du siècle suivant…

          • Denis Weill dit :

            Rousseau, même s’il rejette l’absolutisme, exprime une vision nostalgique qui annonce les courants réactionnaires du siècle suivant…
             
            Je m’excuse mais vous vous égarez complétement avec cette dernière phrase. Ou bien vous confondez avec Joseph De Maistre !
            Vous faites de celui qui a posé les bases de la modernité politique un proto-récationnaire.
            Rousseau précurseur du romantisme peut-être mais sur le plan littéraire, avec les Rêveries ou la Nouvelle Héloise.
            Le Rousseau politique  inaugure au contraire un axe qui va de Hegel à Lénine en passant par Marx.
            Kant, penseur des Lumières si il en est, dit d’ailleurs de lui qu’il est le “Newton de la morale” (en ce sens qu’il en a découvert les lois).
             
            Bien à vous,

            • Descartes dit :

              @ Denis Weill

              [« Rousseau, même s’il rejette l’absolutisme, exprime une vision nostalgique qui annonce les courants réactionnaires du siècle suivant… » Je m’excuse mais vous vous égarez complétement avec cette dernière phrase. Ou bien vous confondez avec Joseph De Maistre !]

              Contrairement à De Maistre, Rousseau est mort avant la Révolution. Nous ne savons donc pas ce qu’il aurait pensé de la chose. Et non, je ne confond pas De Maistre et Rousseau. Le premier est un farouche adversaire du contractualisme, alors que Rousseau s’inscrit clairement dans ce courant. Je n’ai pas dit que Rousseau ait été réactionnaire, je dis que son pessimisme quant à l’homme est sa vision de la nature annoncent les courants du siècle suivant qui, eux, seront réactionnaires.

              [Rousseau précurseur du romantisme peut-être mais sur le plan littéraire, avec les Rêveries ou la Nouvelle Héloise.]

              Pas seulement. Sa conception de la nature, son pessimisme quant à la « nature humaine » le rattachent aussi au romantisme.

              [Le Rousseau politique inaugure au contraire un axe qui va de Hegel à Lénine en passant par Marx.]

              Je ne vois pas chez Rousseau la moindre trace de matérialisme. Pourriez-vous élaborer ?

              [Kant, penseur des Lumières si il en est, dit d’ailleurs de lui qu’il est le “Newton de la morale” (en ce sens qu’il en a découvert les lois).]

              Faut savoir : s’il s’inscrit « dans l’axe qui va de Hegel à Lénine en passant par Marx », on peut difficilement parler de « morale »…

  17. Glarrious dit :

    [ C’est une chorégraphie qui, au cours des années, s’est raffinée sans que rien ne change vraiment sur le fond. Mais c’est ici une chorégraphie sans chorégraphe. Elle fonctionne parce que chacun y trouve son compte. Pour Mélenchon, c’est un moyen d’exister médiatiquement. Cela lui permet aussi de se placer dans le rôle de la victime, persécutée par la « caste » politique et médiatique, qu’il sait rejetée par une portion non négligeable de l’électorat]
     
    De la manière d’exister médiatiquement, il pouvait se représenter aux élections législatives et avec son groupe LFI ou intergroupe NUPES de par sa taille -vu la composition de la nouvelle Assemblée Nationale- être un opposant visible comme Marine le Pen, alors pourquoi ne l’a-t-il pas fait et s’est refusé de se représenter ?  

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [De la manière d’exister médiatiquement, il pouvait se représenter aux élections législatives et avec son groupe LFI ou intergroupe NUPES de par sa taille -vu la composition de la nouvelle Assemblée Nationale- être un opposant visible comme Marine le Pen, alors pourquoi ne l’a-t-il pas fait et s’est refusé de se représenter ?]

      Très bonne question, d’autant qu’il s’était choisi une circonscription dans laquelle un âne coiffé du bonnet LFI aurait été élu triomphalement – il l’a d’ailleurs été, mais c’est une autre histoire. J’avoue que je me suis moi-même posé cette question, sans aboutir à une conclusion satisfaisante. Mélenchon est un homme politique beaucoup trop expérimenté pour ne pas savoir qu’en France il est difficile de faire de la politique sans avoir la tribune et la légitimité que seule l’élection confère. J’exclus donc un éloignement volontaire. La seule hypothèse qui me reste est celle d’un accident de santé. Après tout, Mélenchon est un homme relativement âgé, et il n’est pas invraisemblable de penser qu’après sa campagne présidentielle endiablée, il ait eu des symptômes qui ont poussé ses médecins à lui conseiller de limiter son activité politique.

      Certains insinuent que, devant une contestation de sa stratégie, Mélenchon aurait pu opérer une retraite tactique pour montrer qu’il est indispensable. Mais cette hypothèse ne tient pas la route. D’une part, cela aurait supposé de laisser ses opposants diriger le mouvement, de manière à montrer leur incompétence. Or c’est le contraire de la stratégie suivie par Mélenchon lors de la « purge » qui a vu les « historiques » écartés pour être remplacés par les jeunes groupies du Gourou. Et d’autre part, lorsque les candidatures législatives ont été décidées, Mélenchon n’était pas sérieusement contesté, et sa stratégie avait l’air au contraire de triompher…

  18. Denis Weill dit :

    Sa conception de la nature, son pessimisme quant à la « nature humaine » le rattachent aussi au romantisme.
    Je ne comprend plus. Au début de cet échange vous reprochiez à Rousseau de faire de l’homme un être naturellement bon que viendrait corrompre la société…
     
    [Le Rousseau politique inaugure au contraire un axe qui va de Hegel à Lénine en passant par Marx.]
    Je ne vois pas chez Rousseau la moindre trace de matérialisme. Pourriez-vous élaborer ?
    Rousseau n’est pas matérialiste mais c’est un penseur emminement dialectique.
    Lorsque Kant rend hommage à Rousseau c’est pour avoir jetté les bases morales politiques de la modernité, à savoir la souveraineté populaire à travers le concept de volonté générale. C’est sur ces conceptions inaugurées par Rousseau que prendra appui (même pour en critiquer l’idéalisme comme Marx le fera avec Hegel) la pensée progressiste à partir de Robespierre, tout au long du 19eme siècle et jusqu’à la révolution d’Octobre. 
    Au passage, notez qu’il est souvent reproché au Contrat social une conception “pré-totalitaire” du politique. On est assez loin de l’individualisme que vous attribuez au romantisme.
     
     
    Bien à vous,

    • Descartes dit :

      @ Denis Weill

      [« Sa conception de la nature, son pessimisme quant à la « nature humaine » le rattachent aussi au romantisme. » Je ne comprend plus. Au début de cet échange vous reprochiez à Rousseau de faire de l’homme un être naturellement bon que viendrait corrompre la société…]

      Ma plume a fourché. Au lieu de « nature humaine » il faut lire « société humaine ».

      [« Le Rousseau politique inaugure au contraire un axe qui va de Hegel à Lénine en passant par Marx.]
      Je ne vois pas chez Rousseau la moindre trace de matérialisme. Pourriez-vous élaborer ? » Rousseau n’est pas matérialiste mais c’est un penseur éminemment dialectique.]

      Pourriez-vous développer ? J’avoue que j’ai beaucoup de mal à voir la dialectique chez Rousseau. Mais surtout, je pense que réduire « l’axe qui va de Hegel a Lénine en passant par Marx » à la dialectique sans tenir compte du fait que cette dialectique est fondamentalement matérialiste me parait un peu excessif.

      [Lorsque Kant rend hommage à Rousseau c’est pour avoir jeté les bases morales politiques de la modernité, à savoir la souveraineté populaire à travers le concept de volonté générale. C’est sur ces conceptions inaugurées par Rousseau que prendra appui (même pour en critiquer l’idéalisme comme Marx le fera avec Hegel) la pensée progressiste à partir de Robespierre, tout au long du 19eme siècle et jusqu’à la révolution d’Octobre.]

      Il n’a jamais été question dans mon esprit de nier l’apport considérable de la pensée de Rousseau à la philosophie politique. Mon point est que les ambiguïtés de Rousseau ont permis que sa pensée soit récupérée plus tard par des mouvements romantiques/réactionnaires, c’est tout.

      [Au passage, notez qu’il est souvent reproché au Contrat social une conception “pré-totalitaire” du politique. On est assez loin de l’individualisme que vous attribuez au romantisme.]

      Comme je l’ai dit, Rousseau est très ambigu sur beaucoup de points. Le « Contrat social » est dans la continuité de la philosophie contractualiste des Lumières, alors que le « Discours… » est plus proche du romantisme. Il faut dire que dix-sept ans séparent les deux ouvrages…

      • Denis Weill dit :

        Pourriez-vous développer ? J’avoue que j’ai beaucoup de mal à voir la dialectique chez Rousseau. Mais surtout, je pense que réduire « l’axe qui va de Hegel a Lénine en passant par Marx » à la dialectique sans tenir compte du fait que cette dialectique est fondamentalement matérialiste me parait un peu excessif.
         
        Attention, Hegel non plus n’est pas matérialiste et ça n’empêche pourtant pas la filiation avec Marx d’être bien établie.
        Le génie dialectique de Rousseau consiste en ceci qu’il s’oppose à et renvoie dos à dos la monarchie de droit divin et la bourgeoisie libérale montante. Il comprend (il est le seul) le conflit entre le théocratisme monarchiste et le matérialisme positiviste des Lumières comme unité des contraires, dualité de complémentarité, thèse et antithèse qui forment le consensus, le bloc homogène de l’Ancien Régime. Rousseau proposera la synthèse faite de l’Etre Suprême et de la Volonté Générale, comme deux critiques adressées aux deux idéologies d’Ancien Régime sur la base de leurs propres principes, mais pour les dépasser.
        Sa synthèse par la souveraineté populaire pose déjà les bases de la démocratie socialiste quant la bourgeoisie des Lumières produit l’idéologie du libre entrepreneur et permet la récupération libérale.
         
        C’est cette identification de la conflictualité théocratisme/Lumières comme processus d’engendrement réciproque de l’Ancien Régime, qui fait que Voltaire voulait la tête de Rousseau (littéralement !).
         
        Il n’a jamais été question dans mon esprit de nier l’apport considérable de la pensée de Rousseau à la philosophie politique. Mon point est que les ambiguïtés de Rousseau ont permis que sa pensée soit récupérée plus tard par des mouvements romantiques/réactionnaires, c’est tout.
         
        Nous sommes d’accord.
        J’ai une question à ce sujet, j’avoue que j’ignore la réponse. Y a t-il des romantiques qui se sont expréssément revendiqués de Rousseau ou bien est ce une filiation qu’on lui attribue après coup ?
         
        Bien à vous,
         

        • Descartes dit :

          @ Denis Weill

          [Attention, Hegel non plus n’est pas matérialiste et ça n’empêche pourtant pas la filiation avec Marx d’être bien établie.]

          Tout à fait, mais « l’axe qui va de Hegel à Lénine en passant par Marx » est celui d’un renversement matérialiste du système hégélien, qui a été possible parce que Hegel supporte déjà deux lectures, l’une matérialiste, l’autre idéaliste. Je ne suis pas sûr qu’un tel renversement soit possible avec Rousseau.

          [Le génie dialectique de Rousseau consiste en ceci qu’il s’oppose à et renvoie dos à dos la monarchie de droit divin et la bourgeoisie libérale montante. Il comprend (il est le seul) le conflit entre le théocratisme monarchiste et le matérialisme positiviste des Lumières comme unité des contraires, dualité de complémentarité, thèse et antithèse qui forment le consensus, le bloc homogène de l’Ancien Régime. Rousseau proposera la synthèse faite de l’Etre Suprême et de la Volonté Générale, comme deux critiques adressées aux deux idéologies d’Ancien Régime sur la base de leurs propres principes, mais pour les dépasser.]

          J’avoue que je n’avais pas conscience de cette lecture possible de Rousseau. Merci.

          [Sa synthèse par la souveraineté populaire pose déjà les bases de la démocratie socialiste quand la bourgeoisie des Lumières produit l’idéologie du libre entrepreneur et permet la récupération libérale.]

          Là, je pense que vous allez un peu trop loin. Si vous utilisez le terme « socialiste » au sens idéaliste, les utopies « socialistes » n’ont pas attendu Rousseau. Et Rousseau est trop loin du courant matérialiste pour pouvoir l’y rattacher.

          [J’ai une question à ce sujet, j’avoue que j’ignore la réponse. Y a-t-il des romantiques qui se sont expressément revendiqués de Rousseau ou bien est-ce une filiation qu’on lui attribue après coup ?]

          Je crois me souvenir qu’en Allemagne les romantiques (Schelling, Fichte) ont fait de Rousseau une référence. En France, je ne connais pas de filiation explicite, peut-être parce que Rousseau est très associé à la Révolution, alors que beaucoup de romantiques sont monarchistes…

          • Denis Weill dit :

            Merci à vous pour cet échange très intéressant.
            C’est rare aujourd’hui.
             
            Bien à vous,

            • Descartes dit :

              @ Denis Weill

              [Merci à vous pour cet échange très intéressant. C’est rare aujourd’hui.]

              Ce fut pour moi un grand plaisir, et en plus fort instructif. J’ai été obligé pour vous répondre à me replonger dans l’œuvre de Rousseau, que je n’avais pas vraiment regardé depuis mes années scolaires… et j’ai redécouvert un auteur. Il est vrai que je suis d’un caractère plus voltairien que rousseauiste…
              En tout cas, vous êtes le bienvenu ici et n’hésitez pas à lancer d’autres discussions!

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