Quelque chose a changé dans la logique électorale des grandes démocraties. Il y a quarante ou cinquante ans, le matin après l’élection la question qu’on se posait était de savoir qui avait gagné. Aujourd’hui, il est bien plus révélateur de focaliser le microscope sur celui qui a perdu. Car c’est de moins en moins courant qu’un candidat gagne parce qu’il porte un projet qui séduit les électeurs, et de plus en plus qu’un candidat perde parce qu’il n’a pas su conquérir la confiance de ces derniers.
Prenons le cas des élections législatives de juillet dernier en France, où ce phénomène prend des allures caricaturales. Il n’est pas difficile de dire qui a perdu ces élections : c’est le Rassemblement national qui a échoué à conquérir le pouvoir. Mais qui les a gagnées ? Est-ce le « front républicain » ? Celui-ci, on le voit chaque jour, ne portait aucun projet de société, aucune logique de gouvernement. Il ne portait qu’un seul et unique objectif : faire battre l’autre.
Cette logique devient de plus en plus dominante presque partout. En Grande Bretagne les travaillistes de Keith Starmer n’arrivent au pouvoir que parce que les conservateurs sont usés par une décennie au pouvoir et par leurs divisions internes. Aux Etats-Unis, Trump est de moins en moins l’homme susceptible de « make america great again », et de plus en plus celui qui chassera les fantômes du woke et évitera à l’Amérique les affres d’une présidence Harris. On oublierait presque qu’il fut un temps où les experts en communication politique conseillaient aux candidats de ne jamais mentionner leurs adversaires, puisque les mentionner était leur donner une forme de légitimité. Aujourd’hui, c’est la campagne négative qui triomphe, chacun cherchant à faire voter contre son adversaire plutôt que pour soi-même. La question intéressante aujourd’hui n’est donc pas tant de savoir pourquoi les gens ont voté POUR Trump, mais pourquoi ils ont voté CONTRE Harris.
Cette analyse est confirmée par une réalité : les outrances constantes, les contre-vérités sans complexe qui ont émaillé la campagne de Trump, n’ont pas empêché son élection, pas plus que leur mise en exergue par ses adversaires. A cela, je ne vois qu’une explication : ceux qui votent pour Trump n’écoutent pas Trump, ou bien l’écoutent d’une oreille distraite. Ce n’est pas le discours de Trump qui détermine leur vote, mais le discours de Harris. Pour le dire autrement, pour gagner l’élection Harris aurait dû parler non pas à ses propres électeurs – qui, eux, écoutaient Trump et en étaient effrayés – mais aux électeurs de l’autre camp.
C’est exactement ce qu’a fait Trump d’ailleurs : il a cherché à s’adresser à des électorats – chez les femmes, chez les noirs, chez les latinos – qui votaient traditionnellement démocrate. Cela peut paraître contre-intuitif pour nous européens, qui avons une image d’un Trump largement construite par la bienpensance, qui insiste sur son racisme et son sexisme présumé. C’est oublier qu’on peut s’adresser à un électorat de différentes façons. On peut s’adresser aux femmes en leur parlant du contrôle des naissances ou des risques de viol. Mais une femme ne se réduit pas à cela : les femmes sont aussi des travailleuses en concurrence avec les immigrants illégaux, des consommatrices souffrant de l’inflation, des mères craignant pour la sécurité et pour l’avenir de leurs enfants. Traiter de ces sujets, c’est aussi « parler aux femmes ». L’erreur de la gauche – aux Etats-Unis mais aussi en France – est de fragmenter l’électorat et de penser qu’on s’adresse à chaque fragment à partir des éléments qui en font la spécificité, là où la droite populiste trouve au contraire un discours qui peut s’adresser à l’ensemble des électeurs. L’immigrant illégal qui concurrence le travailleur américain est un thème qui parle autant à la femme noire qu’au latino de sexe masculin.
La gauche américaine – comme la gauche européenne d’ailleurs – s’est enfermée dans une réalité parallèle qui est celle des classes intermédiaires. Une réalité parallèle dans laquelle l’immigration est une chance pour le pays – et le restera aussi longtemps que les immigrés ne seront pas des concurrents pour leurs propres enfants. Une réalité parallèle dans laquelle la question est la distribution et non la production – et le restera aussi longtemps qu’on pourra emprunter pour couvrir la différence. Une réalité parallèle où les problèmes économiques et sociaux passent au deuxième plan devant l’urgence écologique. Une réalité parallèle où le travail, l’effort, la rigueur, le mérite sont des gros mots. Une réalité parallèle où l’ordre est suspect et le désordre un gage de liberté. Une réalité parallèle où le mal vient des institutions – l’Etat en premier lieu – et le salut vient de l’insertion dans des « communautés » de plus en plus étroites se livrant à une concurrence victimiste acharnée. Le discours tenu depuis cette réalité ne peut que sonner surréaliste aux citoyens plongés dans la vraie réalité. C’est le cas d’une Harris qui voudrait qu’on vote pour elle parce que George Clooney ou Taylor Swift l’aiment bien, ou qui explique qu’il faut voter contre Trump parce qu’avec lui c’en sera fini du droit à l’avortement (1). Et plus près de nous, Macron – qui, faut-il le rappeler, est un pur produit de la deuxième gauche – expliquant qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi, Rousseau préférant les sorcières aux ingénieurs, Mélenchon saluant la « bordélisation » de l’Assemblée et la « créolisation » du pays du bras des Frères Musulmans. Voilà le message qui parvient de la lointaine contrée où vit la gauche. Comment ces messages peuvent-ils être compris par les citoyens qui vivent dans le monde réel ? Dans le meilleur des cas, ils sont incompréhensibles. Dans le pire, cela apparaît comme une manière de se moquer des gens, un peu comme cette Marie Antoinette apocryphe conseillant à ceux qui n’ont pas de pain de manger de la brioche.
Les commentateurs n’hésitent pas à souligner ce paradoxe qui fait que nos sociétés occidentales se « droitisent », alors que toutes les enquêtes montrent au contraire une tolérance toujours croissante des populations vis-à-vis des « différences » et les « diversités ». Ce paradoxe tient dans l’ambiguïté du concept de « droitisation ». Prenez l’électorat ouvrier : au début des années 1970, le PCF parlait déjà de « immigration zéro », alors que c’était le centre-droit giscardien qui, poussé par le patronat, voulait maintenir l’immigration de travail et créait le regroupement familial. Georges Cogniot, l’apparatchik communiste parmi les apparatchiks, disait déjà dans les années 1960 que « le PCF est un parti d’ordre, d’un ordre différent certes, mais un parti d’ordre ». Dans les écoles du Parti, on répétait la formule venue de l’époque stalinienne qui veut que « le militant communiste doit être le meilleur ouvrier, le meilleur étudiant, le meilleur camarade ». Pour l’organisation qui se considérait à juste titre « le parti de la classe ouvrière » et qui la représentait effectivement, les valeurs à défendre étaient l’effort, le travail, le mérite. On évoquait encore « le mariage du drapeau rouge et du drapeau tricolore », la nation, la patrie, la famille n’étaient pas des mots tabous pour un parti qui appelait à « produire français ». Autrement dit, les valeurs du « parti de la classe ouvrière » étaient les valeurs que la gauche bienpensante, des classes intermédiaires soixante-huitardes attribuaient un peu vite à « la droite ».
A l’époque déjà, la gauche bienpensante ne perdait pas une opportunité pour dénoncer chez les communistes – et par élévation chez leurs électeurs – le racisme, le sexisme, le nationalisme, le conservatisme réactionnaire, bref, toutes les tares qu’aujourd’hui soulignent ceux qui parlent de « droitisation ». Déjà à l’époque, c’étaient tous des « beaufs » tels que caricaturés par Cabu. Ceux qui ont vécu ce que fut le néo-maccarthysme de la fin des années 1970 et du début des années 1980 se souviendront combien la pression était forte, jusqu’à ce que le PCF finisse par capituler en rase campagne dans les années 1990 sous le mandat de Robert Hue, ne manquant pas une occasion de se frapper la poitrine et de reconnaître son péché de ne pas avoir porté suffisamment haut les valeurs de la « diversité », de ne pas avoir assez lutté contre le « patriarcat ».
Il est donc absurde de parler de « droitisation » de l’électorat populaire, puisque selon les critères de ceux qui utilisent cette expression l’électorat populaire était déjà largement « droitisé » il y a cinquante ans. Ce ne sont pas les électeurs – et tout particulièrement ceux des couches populaires – qui se sont « droitisés », c’est la gauche qui a abandonné ses valeurs pour se convertir à ceux des « libéraux-libertaires ». C’est elle qui qualifie les valeurs qu’elle avait elle-même portées dans le passé de « droitières ». La droite et surtout l’extrême-droite n’a eu qu’à se baisser pour ramasser les drapeaux que la gauche avait laissé tomber. Et lorsqu’elle les brandit et que l’électorat populaire les suit, une partie de la gauche n’a pas honte de crier à la « droitisation » des électeurs.
Ce qui rend le phénomène intéressant, c’est qu’il ne s’agit pas d’une transformation nationale, mais d’une tendance présente au niveau international, dans des pays à l’histoire, l’économie et la société aussi différentes que les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, l’Argentine, l’Espagne, le Brésil. Or, quand une transformation est aussi globale, il est difficile de l’attribuer aux choix tactiques ou stratégiques de tel ou tel parti, de telle ou telle coalition. Une transformation aussi globale ne peut qu’être liée à une transformation globale du mode de production capitaliste lui-même. J’y vois là une confirmation de ma théorie sur la rupture de l’alliance entre les classes intermédiaires et les couches populaires :
Après 1945, la croissance – liée autant au rattrapage des destructions de la guerre qu’aux ruptures technologiques – a permis la promotion d’une partie des couches populaires grâce à la constitution d’un capital immatériel, promotion qui a constitué les classes intermédiaires. Et tant que la forte croissance a duré, les intérêts des classes intermédiaires et ceux des couches populaires n’ont pas été antagoniques, parce que la promotion sociale des dernières ne menaçait pas la position des premières. Lorsque cette croissance ralentit à la fin des années 1960, les intérêts de ces deux groupes sociaux commencent à s’opposer, puisque dans un contexte de faible croissance la promotion de « ceux d’en bas » n’est possible que si « ceux d’en haut » cèdent des places. On casse donc l’ascenseur social, celui qui permettait la formation du capital immatériel. Et du coup, l’intérêt des classes intermédiaires a rejoint celui de la bourgeoisie. Il s’agit désormais non pas de contribuer à la formation de capital, mais à faire fructifier au mieux le capital déjà constitué, matériel dans un cas, immatériel dans l’autre.
Dans le champ politique, cette transformation se traduit par une « intermédiarisation » – qu’on me pardonne le néologisme – de l’ensemble des partis politiques, puisque ce sont les classes intermédiaires qui détiennent les ressources intellectuelles indispensables à l’activité politique. Ce sont donc les valeurs des classes intermédiaires, ceux des « libéraux-libertaires », qui occupent l’ensemble du champ politique. Les valeurs des couches populaires, celles de la « common decency » chère à Orwell, sont chassées du champ politique. Et cela laisse un énorme électorat vacant, prêt à se donner au premier populiste ayant l’intelligence de reprendre les drapeaux dont j’ai parlé plus haut. Bien sûr, le populiste en question peut être très différent selon les pays, puisque les traditions politiques des couches populaires ne sont pas les mêmes. Il sera libéral aux Etats-Unis, étatiste en France, mais dans les deux cas il apparaîtra comme un pôle de résistance contre un « establishment » qui représente de manière de plus en plus flagrante les intérêts d’un groupe réduit, celui des classes intermédiaires et de la bourgeoisie.
C’est la détestation croissante de ce pôle « libéral-libertaire » qui a fait perdre Kamala Harris aux Etats-Unis ou Sergio Massa en Argentine. C’est la détestation de cette bienpensance qui s’indigne de voir Gaza rasée par les bombes, mais qui ne fait rien. De cette bienpensance qui ne pense qu’au spécifique et laisse tomber l’universel. De cette bienpensance prête à combattre pour le sociétal et à mettre sous le tapis le social. C’est cette hypocrisie qui a été battue dans les urnes. Et comme il faut bien que quelqu’un gagne une élection présidentielle, Donald Trump et Javier Milei ont été élus. Et peu importe le fonds de leurs discours, leurs excès, leur incompétence, leur folie même, puisqu’ils ne gagnent pas grâce à ce qu’ils sont, mais grâce à ce qu’ils ne sont pas.
Ce contexte est dangereux parce qu’il peut ouvrir le chemin du pouvoir à un véritable fou. Bien sûr, il ne faut pas exagérer le danger. D’une part, les régimes politiques contiennent d’innombrables garde-fous, qui empêcheraient un fou de faire n’importe quoi – ou du moins de faire n’importe quoi en portant atteinte aux intérêts du bloc dominant. Mais un Trump, un Milei peuvent faire quand même beaucoup de dégâts. Avant d’écarter une Marine Le Pen de la course – par rapport en utilisant une procédure judiciaire – certains feraient mieux de réfléchir à deux fois. Il se pourrait bien que les alternatives le leur fassent regretter…
Descartes
(1) Il faut rappeler ici que l’avortement aux Etats-Unis n’a jamais fait l’objet d’une législation fédérale le légalisant formellement. Aucun président, pas plus démocrate que républicain, n’a jamais proposé une telle législation. Ce sont les états fédérés qui, selon leur couleur et leurs traditions plus ou moins conservatrices, ont légalisé ou non l’IVG. Dans la décision « Roe vs. Wade » de 1973, la Cour suprême des Etats-Unis a jugé que le la liberté d’avorter faisait partie du « droit à la vie privée » protégé par la constitution des Etats-Unis, et qu’à ce titre la législation des différents états devait mettre en balance ce droit avec les intérêts de l’Etat de restreindre les possibilités d’avorter. Cette décision a été interprétée par les juges comme interdisant aux états d’inclure dans leur législation une interdiction générale et absolue de l’avortement, mais pas d’imposer des conditions plus ou moins restrictives à condition de se conformer à la décision. « Roe vs. Wade » a été très critiquée en ce qu’elle s’appuie sur un « droit à la vie privée » qui n’est pas explicitement écrit dans la constitution. Dans sa décision de 2022 « Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization », la Cour revient sur sa position, considérant que le droit à l’avortement ne résulte pas de dispositions constitutionnelles, et qu’il appartient donc aux états de légiférer sur la question. On notera que cette décision a été prise sous présidence démocrate. L’élection de Trump ne changera donc rien à la question.
En ce qui concerne Marine Le Pen nos génies auto-inspirés par la politique de haut vol feraient bien de réfléchir, de se poser les bonnes questions.
Comment Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron ont ils été élus ?
Parce qu’ils se sont servi du FN ou RN comme tremplin électoral
Les citoyens de ce pays n’ont pas voté POUR des idées mais CONTRE le RN
Le résultat est là et bien là, lui …….. nous sommes dans le mur
@ UBU
[En ce qui concerne Marine Le Pen nos génies auto-inspirés par la politique de haut vol feraient bien de réfléchir, de se poser les bonnes questions.
Comment Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron ont ils été élus ? Parce qu’ils se sont servi du FN ou RN comme tremplin électoral]
Je ne comprends pas cet argument. Cela marche à la rigueur pour Chirac en 2002. Mais Sarkozy n’a pas fait du FN son “tremplin”, au contraire: c’est le seul parmi les candidats que vous citez qui a assumé le fait de battre le FN sur son propre terrain, en ciblant son électorat. Et pas seulement sur ses sujets historiques, comme la sécurité ou l’immigration, mais aussi sur les questions économiques et sociales (“travailler plus pour gagner plus”). Hollande, lui non plus, n’a pas vraiment utilisé le FN comme “tremplin”: ce fut une élection “classique”, avec un second tour entre le candidat de la gauche et le candidat de la droite, le candidat FN placé loin derrière, à plus de dix points du second. En fait, il n’y a que Macron qui ait sciemment joué la bipolarisation entre un “bloc central” et le RN, comptant sur le fait que les électeurs de gauche lui apporteraient leurs voix pour “barrer la route à l’extrême droite”.
Bonjour,
merci pour cet article, très intéressant et très clair.
J’ai une question sur ce passage :
[Dans le champ politique, cette transformation se traduit par une « intermédiarisation » – qu’on me pardonne le néologisme – de l’ensemble des partis politiques, puisque ce sont les classes intermédiaires qui détiennent les ressources intellectuelles indispensables à l’activité politique.]
Durant les trente glorieuses, ces classes intermédiaires détenaient aussi ces “ressources intelectuelles” non ? Et pourtant les partis communistes existaient et avaient du succès. Qu’est ce qui les a poussés EUX à “s’intermédiariser” ?
Au passage :
– je pense qu’il y a une petite coquille dans l’avant dernière phrase : “par rapport en utilisant une procédure judiciaire” => “par exemple” ?
– merci au webmaster, pour ma part je ne recevais plus les nouveaux articles par mail, ça semble de nouveau fonctionner !
@ tmn
[« Dans le champ politique, cette transformation se traduit par une « intermédiarisation » – qu’on me pardonne le néologisme – de l’ensemble des partis politiques, puisque ce sont les classes intermédiaires qui détiennent les ressources intellectuelles indispensables à l’activité politique. » Durant les trente glorieuses, ces classes intermédiaires détenaient aussi ces “ressources intellectuelles” non ? Et pourtant les partis communistes existaient et avaient du succès. Qu’est ce qui les a poussés EUX à “s’intermédiariser” ?]
Ce qui a changé, ce n’est pas le fait que les classes intermédiaires détiennent les « ressources intellectuelles », mais l’usage qu’elles en font. Après 1945, dans un contexte de croissance rapide, il y avait de la place pour tout le monde : les classes intermédiaires pouvaient permettre aux enfants des classes populaires d’acquérir des « ressources intellectuelles » sans que cela en fasse des concurrents pour leurs propres enfants, puisque la création de postes dans l’industrie, la banque, l’administration était massive et que tout le monde trouvait sa place. A l’époque, cela ne gênait pas les classes intermédiaires de partager leur savoir – et on pouvait voir dans les partis politiques et dans les organisations d’éducation populaire un véritable engagement des classes intermédiaires dans ce sens.
Mais lorsque la croissance commence à ralentir, à la fin des années 1960, les classes intermédiaires réalisent que partager leurs « ressources intellectuelles » devient dangereux pour elles, qu’une éducation de qualité, qu’une politique de diffusion culturelle de masse fabrique des concurrents alors que les créations de postes se font rares. C’est à ce moment-là que les classes intermédiaires se referment sur elles-mêmes et gardent jalousement leurs « ressources intellectuelles ». Et on voit se déliter l’école, disparaître les politiques d’éducation populaire, remplacées par un foisonnement de médias à la programmation abêtissante.
Le PCF – mais jusqu’à un certain point le PS aussi – étaient traditionnellement autant des organisations politiques que des organisations éducatives. Ils avaient l’ambition de former des cadres issus des couches populaires, de leur donner un bagage qui leur permettait de tenir tête aux dirigeants « bourgeois » formés aux meilleures écoles. Et pour cela, il fallait la collaboration des classes intermédiaires pour partager leurs « ressources intellectuelles ». Quand la croissance était forte, cela ne portait pas à conséquence. Mais quand la croissance ralentit, les classes intermédiaires sont de moins en moins enclines à jouer ce rôle, de plus en plus soucieuses de prendre le pouvoir pour défendre leurs intérêts.
Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si la première chose que les Hue boys ont liquidé, c’est l’appareil de formation et de sélection des cadres du PCF.
[– merci au webmaster, pour ma part je ne recevais plus les nouveaux articles par mail, ça semble de nouveau fonctionner !]
Malheureusement, ça marche quand ça veut… on n’a pas encore trouvé une solution stable.
Ce que vous dites du PCF d’autrefois quand il était authentique, me rappelle le livre et la conférence de Paul Thorez, fils de Maurice Thorez, né en URSS, racontant comment son père qui lui a appris d’aimer son pays à travers toutes ses composantes, aspects.
Quant à Trump son élection me paraissait bien plus probable que tous les médias réunis ne l’envisageaient, je pense qu’il s’est trouvé bien plus en phase avec la société de son pays que la candidate démocrate et son parti.
“C’est la détestation de la bienpensance qui s’indigne de voir Gaza rasée par les bombes mais qui ne fait rien”
Désole mais il faut faire le constat de notre impuissance sur ce conflit et même les USA, les grands soutiens d’Israël, se laissent dicter leur politique dans la région. Le gouvernement israélien est d’une extrême-droite religieuse messianiste du Grand Israël. Lui et tous ses prédécesseurs depuis longtemps se moque totalement de l’opinion internationale, des règles de la communauté internationale. D’autre part l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien est déplorable à des fins politiques par une partie de la bienpensance telle la FI. Elle souffle sur les braises de façon irresponsable en suscitant un renouveau d’antisémitisme jamais vu de la part de la gauche mais vu surtout historiquement à l’extrême-droite. Leurs membres sont trop intelligents pour tomber dans ce travers.
Dans un pays qui n’est plus souverain parce que soumis à des règles européennes stupides de l’UE dont elle seule au monde s’est infligée et dont la classe politique et médiatique a renié le vote populaire du 29 mai il n’est pas étonnant voire de monter en puissance un populisme de plus en plus puissant non seulement en France mais aussi dans de nombreux pays européens. L’économiste hétérodoxe David Cayla démontre bien le rapport entre le populisme et néolibéralisme ce dont les classe intermédiaires ne veulent pas voir ce qui est normal parce que depuis longtemps elles ont fait toutes des politiques néolibérales. Les classes intermédiaires et leurs relais médiatiques sont porteuses de l’idéologie libérale-libertaire.
D’une façon plus générale il est permis de penser que nous n’échapperons à un moment populiste qui ne sera pas le danger qui nous est présenté abusivement.
@ Cording1
[Quant à Trump son élection me paraissait bien plus probable que tous les médias réunis ne l’envisageaient, je pense qu’il s’est trouvé bien plus en phase avec la société de son pays que la candidate démocrate et son parti.]
Je ne sais pas ce que vous appelez « être en phase avec la société de son pays ». Comme je l’ai écrit dans mon papier, je pense que le vote aujourd’hui est un vote négatif. On vote Trump parce qu’on a peur de ce que peut faire Harris, on vote Harris parce qu’on a peur de Trump.
[« C’est la détestation de la bienpensance qui s’indigne de voir Gaza rasée par les bombes mais qui ne fait rien » Désole mais il faut faire le constat de notre impuissance sur ce conflit et même les USA, les grands soutiens d’Israël, se laissent dicter leur politique dans la région.]
Je ne vois pas où est « notre impuissance ». Nous – et encore plus les Américains – avons les moyens de mettre Israël en grande difficulté : sans parler d’une intervention militaire, nous pourrions user de sanctions financières et économiques. Les pays occidentaux ont décidé de ne pas les utiliser, et il faut assumer ce choix. Le discours de « l’impuissance » sert à occulter un choix politique, et à permettre à ceux qui l’ont fait d’échapper à leurs responsabilités.
[Le gouvernement israélien est d’une extrême-droite religieuse messianiste du Grand Israël. Lui et tous ses prédécesseurs depuis longtemps se moque totalement de l’opinion internationale, des règles de la communauté internationale.]
Pensez-vous qu’ils pourraient continuer à se moquer longtemps si l’Europe et les Etats-Unis faisaient voter par l’ONU une batterie de sanctions interdisant tout échange commercial avec l’état hébreu, à l’image de ce qui fut fait avec l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid ? On n’a pas hésité à imposer des sanctions massives à Cuba ou à l’Iran, et on a mis l’économie de ces deux pays à genoux. Alors faut arrêter de dire « on ne peut pas », et assumer le fait que « on ne veut pas ». Israël fait le sale boulot que les américains veulent voir fait, mais qu’ils n’ont pas envie de faire eux-mêmes. Et le système UE/OTAN est complice. C’est ça la réalité.
[D’une façon plus générale il est permis de penser que nous n’échapperons à un moment populiste qui ne sera pas le danger qui nous est présenté abusivement.]
Je le crains, en effet…
Vous abordez un thème important, le pouvoir, la logique de domination, elle-même complètement disctincte , à mon sens, de celle du commandement. Est-ce que la sacro-sainte libre circulation des marchandises n’a pas contribué à cette perte de valeur pour le débat d’idées, , la délibération, le respect de l’autre partie , pour privilégier cet “intérêt” de voir l’autre perdre…. PS : La seule réserve de forme à votre article serait le E majuscule à Etat….
@ LEROY PASCALINE
[Vous abordez un thème important, le pouvoir, la logique de domination, elle-même complètement distincte , à mon sens, de celle du commandement.]
Je vous avoue ne pas avoir compris cette remarque. Je ne crois pas avoir abordé ces sujets dans mon papier. Mon point était plutôt le fait que la « droitisation » de l’électorat populaire, dont on nous rebat les oreilles, tient à un problème de perspective. En fait, cet électorat est là où il a toujours été. C’est la gauche qui s’est déportée vers une forme de gauchisme autocentrée qui lui fait percevoir le reste du monde comme virant à droite.
[Est-ce que la sacro-sainte libre circulation des marchandises n’a pas contribué à cette perte de valeur pour le débat d’idées, la délibération, le respect de l’autre partie, pour privilégier cet “intérêt” de voir l’autre perdre….]
Il y a un peu de ça. Marx l’avait déjà écrit en 1948 : dans la mesure où le capitalisme tend à substituer tous les rapports par des rapports d’argent, il ne peut que « déchirer le voile d’idéalisme » dans lequel vivaient les sociétés précapitalistes. Et malgré les efforts de la République pour maintenir des formes aristocratiques héritées de l’Ancien régime – en substituant à l’aristocratie du sang une aristocratie du mérite – on dérive de plus en plus vers une société matérialiste, où les hiérarchies du savoir, du goût, de l’effort et même du sacré s’effacent devant la seule hiérarchie matérielle de l’argent.
[PS : La seule réserve de forme à votre article serait le E majuscule à Etat….]
Je mets toujours une majuscule lorsqu’on se réfère à l’institution. J’avoue que j’ai du mal à la mettre lorsque « état » est synonyme de « pays ». Mais c’est un tort, je le sais…
Quelques questions et remarques :
– Avez-vous lu le dernier numéro de Front Populaire ayant trait à Mai 68 et ses conséquences ? Beaucoup articles reprennent certaines de vos remarques.
– Ne pensez-vous pas qu’il devienne contre-productif de faire parrainer sa candidature par des vedettes diverses et variées ? Cela ne donne t’il pas l’impression aux électeurs que le candidat n’appartient pas à leur monde et ne peut comprendre leurs problèmes. Mutatis mutandis, les innombrables “tribunes” que nous ont infligées des artistes, écrivains, gens de média pour nous dissuader de voter RN ont-elles eu un autre effet que de leur permettre de montrer leur belle âme ?
– Pensez-vous que l’effondrement des exigences dans l’Education procède de la même “tactique” ? En d’autres termes, permettre un entre-soi de bon aloi et éloigner du gâteau ceux qui ne sont pas détenteurs de “capital immatériel” ?
[Il faut rappeler ici que l’avortement aux Etats-Unis n’a jamais fait l’objet d’une législation fédérale le légalisant formellement. ]
J’en ai plus qu’assez de voir sans cesse le droit à l’IVG brandi comme le plus imprescriptible des droits de l’homme, avant même le droit de vote, puisque certains voudraient restreindre ce dernier à ceux qui ont une intelligence suffisante pour pouvoir penser comme eux. J’en ai plus qu’assez de voir le vote de la loi Veil célébré comme und des grandes dates de l’Histoire de France, à l’égal de la victoire de Valmy ou de la Libération de Paris. Je serais d’ailleurs curieux de savoir si Mme Veil approuvait tant que cela ces célébrations, ainsi que l’évolution des pratiques abortives. Mais cela est un autre sujet.
@ maleyss
[– Avez-vous lu le dernier numéro de Front Populaire ayant trait à Mai 68 et ses conséquences ? Beaucoup articles reprennent certaines de vos remarques.]
Non, je ne suis pas trop cette revue, entre autres choses parce que je ne supporte pas Michel Onfray. Même si ces derniers temps il semble avoir renoncé à son passé hédoniste et repris une ligne plus proche de la mienne, la vanité du personnage est insupportable.
Je dois dire que ma position sur mai 1968 n’est en rien originale aujourd’hui, et vous trouverez pas mal d’analystes pour la partager. Mon seul mérite – dont, au diable la modestie, j’en suis très fier – est d’avoir fait cette analyse dès les années 1980, à une époque où mai 1968 faisait partie des vaches sacrées qu’on n’avait pas le droit de toucher sans révérence. A l’époque, j’en avais scandalisé pas mal de mes camarades en disant que mai 1968 était une contre-révolution, qui préparait la montée en puissance des classes intermédiaires et de l’idéologie « libérale-libertaire »…
[– Ne pensez-vous pas qu’il devienne contre-productif de faire parrainer sa candidature par des vedettes diverses et variées ? Cela ne donne-t-il pas l’impression aux électeurs que le candidat n’appartient pas à leur monde et ne peut comprendre leurs problèmes.]
Les américains ont une attraction pour la « célébrité » très caractéristique, qu’on ne retrouve pas dans la culture européenne. Si vous avez regardé « les Simpson », vous aurez certainement remarqué la fréquence avec laquelle apparaissent dans la série des « célébrités », que ce soient des personnalités du monde du spectacle, des milieux politiques, des personnages scientifiques… vous verrez la même chose dans pas mal de séries américaines. Et de la même manière, on peut voir à la télévision américaine des « talk shows » qui mélangent des invités de toutes sortes, dont le seul point commun est d’être « célèbres ». En France, ce type de mélange n’était pas habituel. On imagine mal un dessin animé faisant intervenir De Gaulle ou Pompidou comme personnage invité, alors que Clinton ou Obama apparaissent sans problème dans « les Simpson ». Ces barrières tendent d’ailleurs à tomber, et on voit de plus de plus des talk-shows ou un ministre côtoie parmi les invités un sportif, un chanteur, un homme d’affaires.
Cela étant dit, du point de vue électoral il y a célébrité et célébrité. Le soutien d’un grand entrepreneur comme Elon Musk ou d’un acteur intellectuel comme Robert Redford apporte certainement des voix, parce que ces personnages ont des positions politiques connues et consistantes. Je doute par contre que Taylor Swift, dont les chansons ne se distinguent pas par un haut niveau de réflexion, ait apporté beaucoup d’électeurs quelque soit l’intérêt du public pour ses chansons.
[Mutatis mutandis, les innombrables “tribunes” que nous ont infligées des artistes, écrivains, gens de média pour nous dissuader de voter RN ont-elles eu un autre effet que de leur permettre de montrer leur belle âme ?]
Là, c’est un autre problème. Pendant de très longues années, les artistes, les écrivains, les philosophes, les scientifiques ont eu dans notre pays une grande influence. Ils constituaient une forme d’aristocratie du mérite, et à ce titre leur opinion était respectée. Cela leur donnait un certain pouvoir de prescription. Le soutien de Sartre, de Bourdieu, de Joliot-Curie, de Picasso avait un certain poids. Ce poids a beaucoup diminué, d’une part parce que l’évolution du capitalisme a beaucoup réduit le prestige des métiers intellectuels, et d’autre part parce que ces personnages ont largement galvaudé leur influence en agissant en fonction de leurs sentiments.
[– Pensez-vous que l’effondrement des exigences dans l’Education procède de la même “tactique” ? En d’autres termes, permettre un entre-soi de bon aloi et éloigner du gâteau ceux qui ne sont pas détenteurs de “capital immatériel” ?]
Tout à fait. L’effondrement de l’école « des pauvres » permet aux classes intermédiaires de renouveler leur « capital immatériel » sans pe partager.
[« Il faut rappeler ici que l’avortement aux Etats-Unis n’a jamais fait l’objet d’une législation fédérale le légalisant formellement. » J’en ai plus qu’assez de voir sans cesse le droit à l’IVG brandi comme le plus imprescriptible des droits de l’homme, (…) J’en ai plus qu’assez de voir le vote de la loi Veil célébré comme une des grandes dates de l’Histoire de France, à l’égal de la victoire de Valmy ou de la Libération de Paris.]
Je suis d’accord avec vous qu’on surjoue la question de l’avortement. D’autant plus que l’avortement a toujours été pratiqué – légale ou illégalement – et que l’effet global de cette légalisation est donc à relativiser. En fait, ce qui constitue une véritable révolution c’est la planification des naissances, dont l’avortement n’est qu’un instrument – et pas forcément le plus utilisé. De ce point de vue, la loi Neuwirth (1967), qui légalise la contraception, est bien plus importante que la loi Veil (1976). On remarquera d’ailleurs que les lois en question ont été faites alors que la droite était au pouvoir et majoritaire à l’Assemblée.
[Je serais d’ailleurs curieux de savoir si Mme Veil approuvait tant que cela ces célébrations, ainsi que l’évolution des pratiques abortives. Mais cela est un autre sujet.]
En tout cas, dans son explosé de la loi, Simone Veil avait bien décrit l’avortement comme une tragédie, et je ne crois pas qu’elle ait changé d’avis plus tard.