La tribune publiée par Anne Hidalgo – future présidente de la République française, si l’on croit certains – dans « Le Monde » du 16 août dernier et intitulée en toute modestie « Anne Hidalgo appelle à soutenir la résistance en Afghanistan : L’esprit du commandant Massoud ne doit pas disparaître » est passée presque inaperçue. C’est très injuste, car ce texte jette une lumière crue, non pas sur la situation en Afghanistan – dont la dame en question ne connaît pas grande chose – mais sur la mentalité de nos élites germanopratines.
« Comme souvent avec l’Afghanistan, c’est Bernard-Henri Lévy qui m’a alertée. Il venait de recevoir un message d’Ahmad Massoud, le fils du commandant Massoud. Même regard clair et profond, même douceur dans la voix, même flamme de résistant. (…) Fin mars 2021, Ahmad Massoud est revenu sur les traces de son père. Chez Bernard-Henri Lévy, puis à l’Hôtel de ville nous avons longuement échangé sur l’Afghanistan et la tragédie qu’il pressentait déjà d’un retour rapide des talibans au pouvoir. Nous avons profité de sa venue pour baptiser une allée des Champs-Élysées au nom de son père. Quelques semaines plus tard, un décret présidentiel afghan m’élevait dans l’ordre du Héros national d’Afghanistan Commandant Massoud. J’étais à la fois émue et honorée. Cette rencontre et cette médaille matérialisent le lien profond qui me lie à l’Afghanistan. »
Que Anne Hidalgo – qui se voit déjà en Jeanne d’Arc faisant sacrer le fils Massoud à Kaboul – soit « honorée » qu’un président afghan inféodé aux Américains – au point que l’annonce par eux de leur retrait a suffi à provoquer sa chute (1) – et dont la corruption n’est pas moins réelle pour être légendaire lui accorde une médaille en chocolat de « héros national » c’est son affaire. Quelle donne le nom de Massoud – qui n’est lorsqu’on relit l’histoire qu’un seigneur de la guerre rétrograde et sans scrupules – à une allée de la capitale, c’est déjà un peu la nôtre. Mais bon, comment refuser une allée à quelqu’un qui est reçu chez Bernard-Henri Lévy ?
On connait la citation de Marx devenue un classique – et dont on ne retient à tort qu’une phrase : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1851 pour la Montagne de 1793 à 1795, le neveu pour l’oncle. » (K. Marx, « le 18 brumaire de Louis Bonaparte). Cette formule résume peut-être mieux que tout autre le côté dérisoire de « l’opération Massoud » par laquelle les élites germanopratines essayent de se donner un rôle dans l’Histoire en essayant de rééditer les « coups » qui avaient si bien marché à la fin des années 1970, ce temps béni où l’hystérie anticommuniste permettait à n’importe quel « nouveau philosophe » de passer pour un phare de la pensée et pouvait transformer un « seigneur de la guerre » passablement rétrograde en « combattant de la liberté ». C’était tragique dans les années 1980, c’est grotesque aujourd’hui : l’URSS est morte, et avec elle la « grande peur » qui avait permis aux vessies de se faire passer pour des lanternes. A l’époque, Massoud promu à la dimension d’un nouveau Jean Moulin conduisant vaillamment la résistance de son peuple (musulman) contre le gouvernement (athée) était un objet commode pour donner des airs romantiques à la guerre froide. Aujourd’hui, il n’intéresse plus que BHL et Hidalgo, autant dire, personne.
On ne guérit pas de sa jeunesse. BHL sera jusqu’au jour de sa mort, un « guerrier froid ». Et cette tribune – qu’il a de toute évidence inspirée – le montre avec une particulière acuité. Car que contient-elle ? Non pas un appel à une négociation des différents groupes de la société afghane (ce qui inclut les Taliban : après tout, s’ils ont pu tenir tête vingt ans à la première armée du monde et reconquérir le pays en quelques jours après son retrait, c’est qu’ils doivent représenter politiquement quelque chose) pour reconstruire des institutions, un Etat, une armée, une administration. Mais un appel à la continuation d’une guerre civile qui dure depuis trente ans – en fait, depuis la victoire de Massoud et des autres « seigneurs de la guerre » en 1992.
Il faut rappeler ici combien la guerre froide fut la confrontation entre un camp fondamentalement « constructif » et un autre tout aussi fondamentalement « destructif ». Au-delà des jugements de valeur et de l’opinion que chacun peut avoir sur le projet communiste (2), il est difficile de contester que la doctrine constante du bloc soviétique en matière de politique internationale fut toujours de construire et de consolider dans sa zone d’influence des Etats institutionnalisés, dotés d’institutions fortes et de dirigeants ayant une véritable légitimité politique locale. C’est d’ailleurs pourquoi les soviétiques ont essentiellement soutenu des gouvernements déjà constitués – Nasser en Egypte, Ho Chi Minh au Vietnam, Castro à Cuba, Karmal en Afghanistan – ou des mouvements avec lesquels ils avaient une forte proximité idéologique et seulement à leur demande. Et c’est parce que ces dirigeants avaient une véritable base politique qu’ils pouvaient se permettre de se fâcher avec les soviétiques voire rompre avec eux, comme le fit un Tito. Imagine-t-on Somoza, Van Thieu ou Ghani chassant les américains ? C’eut été impossible, parce que les régimes soutenus par les Américains sont des régimes proconsulaires : le leader local n’existe que par la grâce de la puissance tutélaire. On ne trouve pas d’équivalent dans le camp soviétique : même en Afghanistan, le régime soutenu par les soviétiques tiendra trois ans après leur retrait. A comparer aux derniers évènements…
Dans le camp en face, la doctrine était toute autre. Il ne s’agissait pas de construire, mais d’empêcher l’autre de le faire, et de détruire ce qu’il avait pu malgré tout bâtir (3). La formule thatchérienne « there is no alternative » doit être lue non pas comme une constatation mais comme une menace : s’il n’y a pas d’alternative, ce n’est pas parce qu’elle n’existe pas, mais parce qu’elle n’est pas permise. Et toute tentative de construire une alternative sera impitoyablement détruite. Et peu importe que l’alternative en question n’eût qu’un rapport lointain avec le communisme honni : de la même manière qu’on tient pour vrai dans les armées que « réfléchir, c’est commencer à désobéir », dans le camp capitaliste toute tentative de faire différemment était considéré comme le début du communisme. Mossadegh, Lumumba et Allende en ont fait l’expérience.
Lorsque vous voulez bâtir, vous ne pouvez vous allier qu’avec ceux qui veulent à peu près la même chose que vous. Mais lorsque vous voulez détruire, toute alliance est bonne dès lors que vous partagez le même ennemi. C’est ainsi que du côté bourgeois on se trouva avec d’étranges compagnons de lit. On coucha ainsi avec volupté avec les amis de la théocratie, avec des dictateurs sanguinaires, avec des tortionnaires, avec des corrompus, au nom de la liberté et de la démocratie. Et cela sous les applaudissements des « guerriers froids » comme BHL – mais il n’était pas le seul, loin de là… et je ne donne pas de noms pour ne pas faire de jaloux. Contre le communisme, tout – et je dis bien TOUT – était justifiable. Sur place, on a couvert le régime de terreur d’un Videla, les exécutions massives de communistes ou prétendus tels par Suharto (« je ne crois pas à une politique de la terre brûlée, je crois à une politique de communistes brûlés »), les bombardements de populations civiles au Vietnam. A Paris, nos idéologues faisaient aussi le boulot : Un « dissident » se permettait d’embrasser un dictateur ou de faire des déclarations antisémites ? L’élite germanopratine se faisait un devoir de le défendre sur le mode « vous comprenez, il a beaucoup souffert », comme si la souffrance justifiait l’admiration pour Pinochet ou la recommandation de la lecture des « Protocoles des Sages de Sion ». Le dirigeant d’un pays du bloc soviétique montrait des velléités d’indépendance ? Il était immédiatement rangé dans le camp du Bien. Ainsi Ceaucescu et son régime aura dans les années 1970 d’une excellente presse : normal, il avait montré une certaine froideur dans ses rapports avec le Pacte de Varsovie, et on voyait en lui l’espoir d’un nouveau Tito qui casserait un peu plus la solidarité du bloc socialiste. Du coup, la gymnaste Nadia Comaneci fut applaudie – toujours par opposition aux méchantes gymnastes soviétiques – et ses exploits sportifs salués comme des actes de résistance. Hélas, Ceaucescu rentra rapidement dans les rangs, et le « Nouvel Observateur » rangea ses articles dithyrambiques sur le « génie des Carpathes » qui rejoignit la cohorte des méchants… Le fils d’Henri Alleg commit en ce temps sous le pseudonyme Jean Sarat un ouvrage, « Rideau de fer sur le Boul’Mich » que je ne peux que vous recommander, parce qu’il dépeint avec beaucoup d’humour les ressorts de cette époque.
Certains intellectuels – toujours actifs aujourd’hui, comme quoi la honte ne tue pas – sont allés bien plus loin, avec le soutien enthousiaste de la presse « bourgeoise ». Voici un exemple que je trouve particulièrement intéressant dans le contexte d’aujourd’hui : le 7 janvier 1979, l’armée vietnamienne intervient au Cambodge pour chasser du pouvoir les Khmers Rouges. On aurait pu imaginer que le « monde libre » aurait applaudi des deux mains. Et bien, pas du tout. Pour les « guerriers froids », un régime génocide vaut infiniment mieux qu’un régime ami des soviétiques. Le très sérieux journal « Le Monde » publiera le 17 janvier 1979 une tribune d’Alain Badiou devenue célèbre : « Kampuchéa Vaincra » (pour ceux qui l’auront oublié, « Kampuchéa » était le nom du pays sous les Khmers Rouges). Dans cette tribune – qu’il faut absolument lire pour comprendre ce qu’était l’hystérie anticommuniste de l’époque (4) – on trouve ce paragraphe glorieux :
« Il est tout aussi vital et moralement clair de se lever contre l’actuelle invasion, qu’il l’était de condamner sans détour l’agression américaine de 1970. Les procédés sont les mêmes, aviation et division blindées contre un petit peuple démuni. Les objectifs sont les mêmes : installer dans les villes un pouvoir à la botte de l’étranger. Les résultats seront les mêmes : la guerre populaire de résistance nationale. »
Et Badiou-le-maoïste sera suivi par les régimes « bourgeois » au-delà de ses espérances : Américains et Européens soutiendront résolument la « résistance nationale » des groupes Khmer Rouges qui harcèleront depuis leurs campements dans la jungle le gouvernement cambodgien pendant des années, et feront en sorte que ces « résistants » (5) continuent à occuper le siège du Cambodge aux Nations-Unies. Le Vietnam, quant à lui, sera sanctionné pour avoir violé la souveraineté cambodgienne.
Comment expliquer cet aveuglement ? Et bien, Badiou le dit lui-même : « à l’arrière-plan on trouve cette fois les ambitions impériales de la superpuissance soviétique, dont le Vietnam est client ». Et voilà pourquoi votre fille est muette. Le Vietnam est « client » de la « superpuissance soviétique ». A partir de là, ses interventions sont illégitimes quand bien même elles auraient pour objectif de renverser un régime génocide. Et toute résistance contre cette intervention, fut-ce celle d’un mouvement qui a commis un génocide dont l’étendue a été rarement égalée dans l’histoire, doit être soutenue au nom de la « guerre populaire de résistance nationale ».
Cet exemple est amusant parce qu’on y retrouve exactement la même conclusion que dans la tribune d’Anne Hidalgo. Normal : ce sont les mêmes qui l’écrivent. Des « guerriers froids » qui ont gagné leur guerre mais qui ne sont pas contents du résultat, parce qu’ils n’ont pas très bien compris quel était le but du combat dont ils ont été de si fervents partisans. Le camp du Bien a gagné, mais au prix d’un recul massif de civilisation. Les larmes de crocodile versées sur les femmes afghanes sommées de revenir au moyen-âge sont dans ce contexte particulièrement indécentes : lorsque les « guerriers froids » ont soutenu massivement les « seigneurs de la guerre » réactionnaires et obscurantistes à chasser le régime progressiste de Najibullah, détruisant l’Etat afghan en passant, ils s’attendaient à quoi ? S’imaginaient-ils que le Jamiat-el-Islami – le principal allié du commandant Massoud – allait dévoiler les femmes et leur ouvrir les portes de l’Université ?
Je suis conscient que beaucoup d’hommes et des femmes qui font de la politique aujourd’hui n’étaient pas nés à cette époque. Anne Hidalgo, pour ne mentionner qu’elle, n’avait que 20 ans lorsque les soviétiques entrent en Afghanistan. Mais ils deviennent complices en adoptant de manière acritique le discours d’un Bernard-Henri Lévy qui, lui, a participé au combat. On ne peut pas épouser le discours des “guerriers froids” et ne pas assumer la responsabilité de leurs oeuvres.
Le prix amer de cette victoire, c’est la multiplication des états faibles ou directement « faillis » laissant libre cours à des logiques de prédation des « seigneurs de la guerre ». Le choix occidental de soutenir n’importe qui, n’importe quoi pourvu qu’il soit anticommuniste a abouti à détruire dans beaucoup de pays l’idée même d’Etat moderne, que les élites locales – souvent formées en occident du temps des empires coloniaux – avaient cherché à adapter au contexte local. Il a – et c’est encore plus grave – remis en cause l’idée même que la paix civile est un bien en soi, et que l’ordre, aussi imparfait soit-il, est préférable au chaos. Là où il aurait fallu soutenir les jeunes états, le « monde libre » s’est au contraire appliqué à les affaiblir dès lors qu’ils montraient la moindre indépendance. Et l’expérience américaine en Afghanistan montre qu’une fois que ces structures sont détruites, leur reconstitution n’est plus une question de dollars ou de canons. Deux générations d’Afghans ont été éduqués et formés dans un contexte de guerre civile, sous un Etat failli et corrompu, où l’on ne survit que par les solidarités de tribu et de clan. Et avec des élites intellectuelles totalement « hors sol » après vingt ans de régime proconsulaire, qui ne songent qu’à émigrer. Et dans ce champ de ruines, Hidalgo voit une priorité : maintenir vivant l’esprit de Massoud… c’est dire si elle est digne d’entrer à l’Elysée.
Un officier américain lors de la guerre du Vietnam avait expliqué la destruction d’un village dans les termes suivants : « pour sauver le village, il fallait le détruire ». Cette formule paradoxale résume assez exactement ce que fut la « guerre froide ». Pour « sauver » le village de l’ogre communiste, il fallut le détruire. Et nous n’avons pas fini de payer la facture de la reconstruction.
PS: On annonce ce matin que la vallée du Panjshir, territoire historique de la tribu Massoud, vient de tomber aux mains des Taliban. Ahmed Massoud aurait mieux fait de se chercher d’autres sponsors.
Descartes
(1) Ashraf Ghani, président de l’Afghanistan par œuvre et grâce des ricains, a pris l’avion pour une destination inconnue – accompagné, selon les mauvaises langues, de quelques valises de billets – quelques jours avant la prise de Kaboul par les Taliban. Ce qui prouve que c’était un homme intelligent, et certainement bien plus clairvoyant que la moyenne. Rappelons à titre de comparaison que lors du retrait des soviétiques en février 1989, le président afghan est son gouvernement étaient restés en place, et avaient tenu au pouvoir jusqu’au mois d’avril 1992, trois ans plus tard. Il faut dire que, contrairement à Ghani, Najibullah était un militant politique de longue date dans son pays, qu’il pouvait compter sur une armée qui se battait, sur une administration qui administrait. Un bon sujet de réflexion, non ?
(2) Lorsque je parle ici de « communiste », je fais référence au « camp socialiste » construit autour de l’URSS, ses alliés et ses satellites. Car c’est là le seul « communisme » qui ait vraiment fait peur aux régimes bourgeois et suscité des mouvements de masse. Les autres projets « communistes » n’ont guère dépassé le stade groupusculaire, et très souvent servi de cache-sexe au combat antisoviétique.
(3) L’unification allemande fournit une parfaite illustration de cette volonté de destruction, avec une volonté marquée de détruire tout ce qui pouvait rappeller la défunte RDA. Ainsi par exemple, le « Palais de la République » qui était le siège du parlement de la RDA et dont la qualité architecturale était reconnue internationalement, a été laissé à l’abandon puis détruit. Un peu comme si la Révolution française avait fait démolir le Château de Versailles…
(4) consultable ici : https://www.gildasbernier.fr/wp-content/uploads/2011/08/Alain-Badiou-et-le-Cambodge.pdf
(5) Dans les années 1980, les médias français qualifiaient les rebelles dans les pays sous influence soviétique de « résistants », un mot qui à l’époque avait une connotation encore plus forte qu’aujourd’hui. Curieusement, ce vocabulaire n’a pas été repris après l’invasion américaine de l’Afghanistan ou de l’Irak au début des années 2000. Un oubli, sans doute.
[ Lorsque vous voulez bâtir, vous ne pouvez vous allier qu’avec ceux qui veulent à peu près la même chose que vous. Mais lorsque vous voulez détruire, toute alliance est bonne dès lors que vous partagez le même ennemi.]
Lisant ce passage, et sans rapport avec votre sujet du jour, j’ai pensé aux alliances objectives (entre gens d’extrême-gauche et d’extrême-droite prétendument opposés sur tout) qui s’étaient nouées en France durant l’hiver 2004 jusqu’au printemps 2005 pour rejeter le projet de TCE. Les mêmes qui, hier sous leurs gilets jaunes, aujourd’hui avec leurs étoiles jaunes, nous jouent leur éternel numéro de victimes-opposants au Système (Capitaliste, faut-il le rappeler, dont Macron et tous les sociaux-démocrates européens seraient les valets ?).
Sur votre sujet du jour (Hidalgo, BHL, etc. en Afghanistan) et la manière dont l’anticommunisme primaire aurait toujours fait le malheur des peuples, on regrettera que le communisme primaire n’ait pas de son côté davantage su entraîner d’enthousiasme communiste secondaire de la part de peuples qui en auraient profité.
Sur l’Afghanistan, Hidalgo aura fait la même erreur que Hollande en Syrie : les mains dans les poches, faire les gros yeux aux méchants, alors qu’il aurait suffi de mettre la tête dans le sable, comme d’autres, plus réalistes.
Je ne sais pas s’il faut davantage envier vos certitudes ou se moquer des dérives idéalistes (éventuellement manipulatrices et bassement politicienne) de ceux qui ici ou là encore rêveraient de pouvoir s’opposer au totalitarisme, théocratique là, consumériste ici.
Merci de ne pas me taper trop fort avec les bâtons que je vous tends 🙂
@ Claustaire
[Lisant ce passage, et sans rapport avec votre sujet du jour, j’ai pensé aux alliances objectives (entre gens d’extrême-gauche et d’extrême-droite prétendument opposés sur tout) qui s’étaient nouées en France durant l’hiver 2004 jusqu’au printemps 2005 pour rejeter le projet de TCE.]
Tout à fait. Et c’est pourquoi ceux qui ont vu dans cette victoire les prémisses de la naissance d’un nouveau mouvement politique – voir l’affaire des « collectifs antilibéraux » – se sont fourrés le doigt dans l’œil. Dès qu’on est sorti du choix binaire, les vieilles rivalités et les vieilles rancœurs ont repris leurs droits.
[Les mêmes qui, hier sous leurs gilets jaunes, aujourd’hui avec leurs étoiles jaunes, nous jouent leur éternel numéro de victimes-opposants au Système (Capitaliste, faut-il le rappeler, dont Macron et tous les sociaux-démocrates européens seraient les valets ?).]
Là, je pense, vous dérapez en commettant la même erreur qu’une partie de l’extrême gauche. Le mouvement des « gilets jaunes » n’était pas un mouvement « contre » quelque chose en particulier. C’était surtout un mouvement exprimant une angoisse sociale, une colère face à l’abandon par les élites de pans entiers du territoire. Il ne s’agissait pas de « détruire » pas plus que de « construire », mais seulement « d’exprimer ». J’ajoute qu’il est aventureux de voir dans le mouvement des « gilets jaunes » une « opposition au système capitaliste » : vous serez en peine de trouver un seul acte des « gilets jaunes » attaquant le Capital… ce fut l’arc de Triomphe qui fut saccagé, pas le MEDEF.
[Sur votre sujet du jour (Hidalgo, BHL, etc. en Afghanistan) et la manière dont l’anticommunisme primaire aurait toujours fait le malheur des peuples, on regrettera que le communisme primaire n’ait pas de son côté davantage su entraîner d’enthousiasme communiste secondaire de la part de peuples qui en auraient profité.]
Comme vous y allez… le communisme primaire a au contraire pendant quelques décennies entraîné un enthousiasme assez considérable, sans lequel nous n’aurions probablement pas eu la sécurité sociale, les nationalisations de 1945 ou le droit de grève dans la Constitution.
[Sur l’Afghanistan, Hidalgo aura fait la même erreur que Hollande en Syrie : les mains dans les poches, faire les gros yeux aux méchants, alors qu’il aurait suffi de mettre la tête dans le sable, comme d’autres, plus réalistes.]
L’erreur, c’est surtout de commencer des guerres sans se donner les moyens de les gagner. On peut discuter longtemps pour savoir si la victoire de la rébellion sur Bachar Al-Assad aurait amélioré la vie des Syriens. Mais soutenir le mouvement alors qu’on n’était pas prêts à lui assurer la victoire, c’était à coup sûr obtenir l’effet contraire. A la place d’une Syrie ordonnée sous Bachar Al-Assad, on a une Syrie désorganisée et appauvrie… toujours sous Bachar Al–Assad. Je ne suis pas sûr que les Syriens y aient beaucoup gagné.
[Je ne sais pas s’il faut davantage envier vos certitudes ou se moquer des dérives idéalistes (éventuellement manipulatrices et bassement politicienne) de ceux qui ici ou là encore rêveraient de pouvoir s’opposer au totalitarisme, théocratique là, consumériste ici.]
Pardon, mais de quelles « dérives idéalistes » parlez-vous ? Je vous rappelle que ce sont précisément ceux qui professaient « s’opposer au totalitarisme » qui ont ouvert la voie au consumérisme ici et à la théocratie là-bas. C’est soi-disant pour « s’opposer au totalitarisme » que les Glucksman et les Lévy, les Ockrent et les July ont lancé leur croisade contre le gouvernement progressiste de l’Afghanistan. Ce sont eux qui ont pavé la voie pour l’arrivée au pouvoir des Taliban. Et pas précisément par « idéalisme »…
Que nous profitions de “la sécurité sociale, des nationalisations de 1945 ou du droit de grève dans la Constitution” tout en étant resté une social-démocratie enviée (qui sait combiner intérêts privés et bien public, libéralisme et mutualisation sociale) prouve que l’on n’a pas eu besoin d’un système collectiviste à la soviétique pour tenter d’améliorer la condition humaine dans nos démocraties tempérées (même si elles sont de plus en plus menacées par les dérives ultralibérales du néolibéralisme mondial).
Je n’ignore pas que la puissance chinoise internationale acquise grâce à son régime de parti unique centralement administré et plus directif que démocratique pourrait aussi suggérer que des alternatives efficaces pourraient exister à nos démocraties fragilisées d’être de plus en plus d’émotions que d’élections.
Face à la cohérence d’une telle puissance (la Chine, ou d’autres), nos divers souverainismes nationaux de l’ancien monde seraient sans doute bien plus respectés et surtout efficients s’ils savaient se fédérer en une Union européenne (chantier pluridécennal en cours) à laquelle certains rêvent encore pendant que d’autres déjà s’en désolent comme d’un cauchemar.
@ Claustaire
[Que nous profitions de “la sécurité sociale, des nationalisations de 1945 ou du droit de grève dans la Constitution” tout en étant resté une social-démocratie enviée]
Enviée par qui ? On nous envie beaucoup de choses, mais notre « social-démocratie » ? J’en doute…
[(qui sait combiner intérêts privés et bien public, libéralisme et mutualisation sociale)]
Je suis d’accord avec vous… à condition de mettre la phrase au passé. Oui, nous avons su combiner intérêt public et privé. Mais ça, c’était avant. Et si la société française n’est pas beaucoup plus inégalitaire, c’est parce que nous avons de beaux restes et cela malgré toutes les tentatives de nos « intérêts privés » d’en « finir avec le programme du CNR », pour reprendre la formule d’un dirigeant patronal. Etes vous capable de me citer une institution, une seule, qui contribue à « combiner intérêts privés et bien public » et qui ait été créé ces vingt, ces trente, ces quarante dernières années ?
[preuve que l’on n’a pas eu besoin d’un système collectiviste à la soviétique pour tenter d’améliorer la condition humaine dans nos démocraties tempérées (même si elles sont de plus en plus menacées par les dérives ultralibérales du néolibéralisme mondial).]
Au contraire : il faut un système collectiviste à la soviétique. Pas nécessairement chez nous, mais suffisamment près pour faire peur à nos bourgeois. Sans ce « système collectiviste » à trois heures de Paris, croyez-vous vraiment que les conquêtes de 1945 seraient passées ? Et que sont devenues ces conquêtes lorsque cette menace qui empêchait les bons bourgeois de dormir tranquilles a disparu ?
François George a raison : on peut longuement discuter le bilan de Staline et ses successeurs vu de l’ouvrier soviétique. Mais leur bilan vue de l’ouvrier Français – mais aussi en Britannique, en Italien et même Allemand – reste très largement positif.
[Je n’ignore pas que la puissance chinoise internationale acquise grâce à son régime de parti unique centralement administré et plus directif que démocratique pourrait aussi suggérer que des alternatives efficaces pourraient exister à nos démocraties fragilisées d’être de plus en plus d’émotions que d’élections.]
Démocraties ? Quelles démocraties ? Désolé de vous détromper, mais nos « démocraties » ne sont « démocratiques » qu’aussi longtemps que les élections envoient au pouvoir des gens « acceptables ». Autrement dit, nous sommes libres de mettre au pouvoir le candidat que nous voulons, à condition de vouloir ce que veut le « bloc dominant ». Seriez-vous capable de me donner un exemple, un seul, ou le peuple ait « démocratiquement » porté au pouvoir un personnage « inacceptable », et que celui-ci ait pu gouverner paisiblement ?
Cela ne veut pas dire que nous vivions en dictature. Il y a beaucoup de nuances entre ces deux pôles. En France, nous avons une liberté raisonnable à l’heure de manifester, de nous exprimer, de faire grève. Mais de la même manière que sous la doctrine de « souveraineté limitée » de Brezhnev les pays de l’Est étaient libres de se gouverner comme ils l’entendaient tant que cela ne touchait ni la défense ni les affaires étrangères, nous vivons une « démocratie limitée », ou nous pouvons décider de tout à condition de ne pas toucher aux intérêts du capital.
[Face à la cohérence d’une telle puissance (la Chine, ou d’autres), nos divers souverainismes nationaux de l’ancien monde seraient sans doute bien plus respectés et surtout efficients s’ils savaient se fédérer en une Union européenne (chantier pluridécennal en cours) à laquelle certains rêvent encore pendant que d’autres déjà s’en désolent comme d’un cauchemar.]
Ce n’est pas une question de « savoir ». La Chine est une nation, et s’est constituée comme telle au cours des siècles. La solidarité inconditionnelle est là-bas une réalité, fondée sur une unité historique, institutionnelle, culturelle, linguistique. Ce n’est pas le cas en Europe : nous avons des langues différentes, des droits différents, des références différentes. Et vous pouvez répéter « chantier pluri décennal en cours » comme le proposait le docteur Coué, cela ne changera les réalités.
[Enviée par qui ?]
Par tous ceux, innombrables, qui rêvent d’y migrer, par exemple.
[il faut un système collectiviste à la soviétique. Pas nécessairement chez nous, mais suffisamment près pour faire peur à nos bourgeois.]
Où étaient donc ces “soviétiques” lorsque du sein même du peuple français jaillirent les forces qui renversèrent la monarchie, abolirent les privilèges féodaux séculaires, proclamèrent des droits inaliénables de l’Homme, et promurent la fière devise dont d’autres nations par la suite se réclamèrent, notamment les Russes un siècle plus tard ?
Pourquoi voulez-vous oublier qu’au sein même d’un peuple (tant soit peu éclairé de raison et d’humanisme, comme le furent beaucoup de peuples européens des temps modernes, malgré les différentes “classes” qui les composaient) des intelligences collectives (dont les “bourgeoises” comme ce fut le cas lors de la Révolution) ont pu s’éclairer d’un idéal humaniste leur permettant d’instaurer (du moins de tendre vers) davantage de fraternité, d’égalité, de liberté ?
@ Claustaire
[« Enviée par qui ? » Par tous ceux, innombrables, qui rêvent d’y migrer, par exemple.]
Je vous mets au défi de me trouver une seule personne qui rêve d’émigrer en France attiré par le fait qu’on est une « social-démocratie »… car je vous rappelle, c’est cela que vous qualifiiez de « enviée »… Je suis sûr que beaucoup de gens nous envient notre niveau de vie, notre protection sociale, nos services publics, notre législation du travail… mais des qui nous envient notre « social-démocratie », vous allez avoir du mal à en trouver.
Maintenant, vous allez me dire que tout ça, c’est la « social-démocratie » qui l’a bâti. Et bien, c’est faux. La plupart des choses qu’on nous envie ont été construits avec la droite au pouvoir et les communistes dans la rue. L’arrivée au pouvoir des social-démocrates marque au contraire dans notre pays la lente décadence de notre modèle.
[« il faut un système collectiviste à la soviétique. Pas nécessairement chez nous, mais suffisamment près pour faire peur à nos bourgeois » Où étaient donc ces “soviétiques” lorsque du sein même du peuple français jaillirent les forces qui renversèrent la monarchie, abolirent les privilèges féodaux séculaires, proclamèrent des droits inaliénables de l’Homme, et promurent la fière devise dont d’autres nations par la suite se réclamèrent, notamment les Russes un siècle plus tard ?]
Mais… ils étaient réunis au couvent des Jacobins, et plus tard majoritaires à la Convention. Parce que, à l’époque, les soviétiques qui faisaient peur dans toute l’Europe et aidaient les autres peuples à faire des conquêtes sociales sur leurs princes et leurs nobles, c’était nous ! Pas étonnant que les Russes, un siècle plus tard, y aient été si sensibles…
Vous savez, tout est question de rapport de forces. En 1789, la bourgeoisie française était assez forte, le système féodal assez vermoulu, pour pouvoir prendre le pouvoir et battre les interventions étrangères. Et encore, ce ne fut pas facile : il fut nécessaire d’abandonner bien des principes – comme par exemple l’abolition de la peine de mort – et organiser la terreur pour frapper de stupeur les adversaires du régime et permettre la victoire sur les armées étrangères. En 1945, le prolétariat français n’était certainement pas assez fort pour prendre le pouvoir et faire face non seulement à la bourgeoisie française, mais à une intervention américaine. Elle n’aurait probablement pas été assez forte pour imposer un programme comme celui du CNR. Mais la bourgeoisie avait peur des soviétiques, et a très bien compris que la seule façon d’éviter une guerre civile c’était céder beaucoup. Et lorsque l’URSS a cessé de faire peur, vous noterez, elle a commence à tout reprendre…
Alors, chaque fois que vous recevrez votre décompte de sécurité sociale, dites vous que si c’est en partie grâce aux communistes comme Croizat, c’est aussi un peu grâce à Staline.
[Pourquoi voulez-vous oublier qu’au sein même d’un peuple (tant soit peu éclairé de raison et d’humanisme, comme le furent beaucoup de peuples européens des temps modernes, malgré les différentes “classes” qui les composaient) des intelligences collectives (dont les “bourgeoises” comme ce fut le cas lors de la Révolution) ont pu s’éclairer d’un idéal humaniste leur permettant d’instaurer (du moins de tendre vers) davantage de fraternité, d’égalité, de liberté ?]
Mais… au contraire, je suis un grand croyant dans cette « intelligence collective ». Seulement, je lui donne un autre nom : « intérêt de classe ». Oui, en 1789 la bourgeoisie était gênée dans son expansion par les privilèges et l’arbitraire aristocratique. Pour renverser l’ancienne classe dominant, il lui fallait une idéologie qui donne à ses intérêts particuliers l’apparence de l’intérêt général. Cette idéologie est belle et généreuse, mais il ne faut pas confondre idéologie et réalité. C’est au nom de la « liberté » qu’on a aboli les protections corporatives et mis l’ouvrier en position de négocier « librement » son salaire avec un patron « libre » de mettre en concurrence les travailleurs entre eux. Quand les bourgeois de 1789 parlaient « d’Egalité », ils ne pensaient nullement à redistribuer les fortunes, ou à proclamer l’égalité salariale. C’était simplement « l’égalité » devant le loi, celle qui permet aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts. Quant à la « fraternité », c’était surtout une valeur d’unité nationale qui permettait de lever une armée pour que certains « frères » aient défendre aux frontières les biens des « frères » plus riches qu’eux et qui n’y allaient pas.
Oui, la devise de la République est belle. Comme est belle le commandement chrétien « aimez-vous les uns les autres ». Comme sont beaux certains discours de Staline. La question est de se demander ce qu’il y a exactement derrière le discours. Et ce que vous découvrez dépend radicalement du rapport de forces. C’est au nom de la « liberté » que la Révolution interdit la grève, c’est au nom de cette même liberté que la Constitution de 1946 en fait un droit constitutionnel. Entre les deux, ce n’est pas la devise qui a changé, c’est le rapport de forces.
@Descartes
“Maintenant, vous allez me dire que tout ça, c’est la « social-démocratie » qui l’a bâti. Et bien, c’est faux. La plupart des choses qu’on nous envie ont été construits avec la droite au pouvoir et les communistes dans la rue. L’arrivée au pouvoir des social-démocrates marque au contraire dans notre pays la lente décadence de notre modèle.”
Et au Royaume-Uni, en Allemagne de Ouest, dans les pays scandinaves, ce sont les partis communistes qui ont bâti l’Etat Providence ? Au contraire dans les pays du socialisme réel chers à votre coeur, on bâtissait des murs pour empêcher les prolétaires de quitter le paradis socialiste pour aller dans l’enfer capitaliste…. Quand la social-démocratie était en compétition avec les pays léninistes, c’est bizarre mais les prolos choisissaient la social-démocratie. Mais je sais : les prolos sont cons, les idéologues léninistes qui veulent leur bonheur sont beaucoup plus intelligents et savent ce qui est bon pour eux. Au besoin on n’hésite pas à les massacrer pour leur apprendre, cf Novocherkassk en 1962 ou Gdansk en 1970…
@ cd
[“Maintenant, vous allez me dire que tout ça, c’est la « social-démocratie » qui l’a bâti. Et bien, c’est faux. La plupart des choses qu’on nous envie ont été construits avec la droite au pouvoir et les communistes dans la rue. L’arrivée au pouvoir des social-démocrates marque au contraire dans notre pays la lente décadence de notre modèle.” Et au Royaume-Uni, en Allemagne de Ouest, dans les pays scandinaves, ce sont les partis communistes qui ont bâti l’Etat Providence ?]
En Allemagne, les assurances sociales ont été mises en place par Bismarck, dont on peut difficilement dire que c’était un « social-démocrate ». Au Royaume-Uni, du fait du système électoral qui poussait au bipartisme, le Parti travailliste agglomérait l’ensemble de ce qu’on appellerait chez nous « la gauche », depuis les sociaux-démocrates jusqu’aux trotskystes. Et Aneurin Bevan, le créateur de la sécurité sociale britannique, était bien plus proche d’un Croizat que d’un Mollet.
Mais la question n’est pas tant de savoir qui était au pouvoir, mais quel était le rapport de forces. Il me semble assez difficile de contester que si le patronat français, britannique, et même scandinave a cédé autant en 1945, ce n’est pas par pure bonté d’âme, mais parce qu’il fallait impérativement détourner leurs classes ouvrières respectives de toute tentation « révolutionnaire ». C’est en ce sens que le « socialisme réel » a eu un effet sur l’ensemble de l’Europe occidentale. Et on voit d’ailleurs sous nos yeux le mécanisme inverse : dès que le danger « révolutionnaire » a disparu, la bourgeoisie a repris une à une les différentes conquêtes de 1945.
[Au contraire dans les pays du socialisme réel chers à votre coeur,]
La question n’est pas de savoir ce qui est cher à mon cœur, mais de regarder les faits. Vous croyez vraiment que le patronat aurait cédé autant en 1945 si la « peur du communisme » n’avait pas été aussi forte ?
[(…) on bâtissait des murs pour empêcher les prolétaires de quitter le paradis socialiste pour aller dans l’enfer capitaliste….]
Oui, je sais. Et on mangeait aussi les enfants crus. C’est dans « le Figaro », donc ça doit être vrai…
Evitons si vous le voulez ce genre de diatribes enflammées qui ne contribuent pas à un débat sérieux. Accessoirement, vous noterez que les prolétaires – assez rares, d’ailleurs : l’essentiel des candidats à l’émigration appartenaient aux classes moyennes – qui souhaitaient quitter le « paradis socialiste » prenaient très rarement le chemin du Bangladesh, du Salvador, de l’Afrique du Sud ou du Chili, pourtant des pays parfaitement « capitalistes ». Non, curieusement, ils choisissaient tous les pays les plus riches : Allemagne, France, Etats-Unis… Ce qui semble suggérer que le problème est un peu plus complexe que vous ne le faites !
[Quand la social-démocratie était en compétition avec les pays léninistes, c’est bizarre mais les prolos choisissaient la social-démocratie.]
Ah bon ? Je crois pourtant me souvenir qu’en 1945 en France les « prolos » comme vous dites ont voté communiste plutôt que « social-démocrate ». Et que cette préférence a duré jusqu’aux années 1970. Mais peu importe, au fond, parce que franchement, ça ne m’intéresse guère de vous convaincre sur ce point. Mon propos est tout autre :
Admettons un instant que les « prolos » aient préféré la « social-démocratie » au « léninisme ». Pourquoi, à votre avis, ce n’est plus le cas ? Parce qu’il vous faut tout de même admettre que la social-démocratie est aujourd’hui sur le recul presque partout, et surtout qu’elle ne capitalise plus, loin de là, le soutien des « prolos ». C’est drôle, non ? Quand il y avait « compétition » entre « léninistes » et « sociaux-démocrates », les prolos choisissaient ces derniers. Depuis que les « léninistes » ont disparu, les « sociaux-démocrates » ne font plus recette…
La raison est très simple : c’est parce que les léninistes faisaient peur que la bourgeoisie était prête à faire des concessions. Ce sont ces concessions qui permettaient à la social-démocratie de détourner les « prolos » des sirènes « révolutionnaires ». Donner aux prolos un haut niveau de vie, des services publics, des assurances sociales, c’était les dissuader d’aller à la crémerie d’en face. Mais du jour où les léninistes n’ont plus constitué une menace, les concessions se sont arrêtées et la social-démocratie s’est retrouvée à gérer la régression sociale. N’ayant plus grande chose à donner, les « prolos » se sont détournés d’elle. C’est pourquoi la chute du mur de Berlin a fait autant de mal aux partis communistes qu’aux partis socio-démocrates : les uns, parce qu’ils s’identifiaient avec les régimes déchus, les autres parce qu’ils n’avaient plus aucune utilité. La bourgeoisie n’avait plus besoin d’alliés pour combattre les « léninistes »…
[Mais je sais : les prolos sont cons, les idéologues léninistes qui veulent leur bonheur sont beaucoup plus intelligents et savent ce qui est bon pour eux. Au besoin on n’hésite pas à les massacrer pour leur apprendre, cf Novocherkassk en 1962 ou Gdansk en 1970…]
Oui… mais les socio-démocrates savent eux aussi y faire dans la répression. Jules Moch a fait exactement la même chose en France 1947, et je ne vous parle même pas de Franz Ebert en 1918. Tous deux sont pourtant considérés comme des grands hommes dans leurs partis respectifs, au point que la fondation du SPD porte le nom de ce dernier. Mais, que voulez-vous, quand on a la mémoire sélective…
Oui, je sais. Et on mangeait aussi les enfants crus. C’est dans « le Figaro », donc ça doit être vrai… ]
Et vous vous tenez toute votre science de « L’Humanité »… Vous êtes lamentable sur ce coup là, Descartes. Mais je vous comprends : c’est difficile de défendre l’indéfendable.
[Evitons si vous le voulez ce genre de diatribes enflammées qui ne contribuent pas à un débat sérieux. Accessoirement, vous noterez que les prolétaires – assez rares, d’ailleurs : l’essentiel des candidats à l’émigration appartenaient aux classes moyennes – qui souhaitaient quitter le « paradis socialiste » prenaient très rarement le chemin du Bangladesh, du Salvador, de l’Afrique du Sud ou du Chili, pourtant des pays parfaitement « capitalistes ». Non, curieusement, ils choisissaient tous les pays les plus riches : Allemagne, France, Etats-Unis… Ce qui semble suggérer que le problème est un peu plus complexe que vous ne le faites ! ]
Ben la quasi totalité choisissait le pays dont ils se sentaient les ressortissants et dont ils parlaient la langue : la République Fédérale d’Allemagne. Mais c’est bizarre : il n’y a jamais une émigration même légère des prolétaires ouest-allemands vers le paradis socialiste de la RDA. Vous avez une explication ?
[Oui… mais les socio-démocrates savent eux aussi y faire dans la répression. Jules Moch a fait exactement la même chose en France 1947, et je ne vous parle même pas de Franz Ebert en 1918. Tous deux sont pourtant considérés comme des grands hommes dans leurs partis respectifs, au point que la fondation du SPD porte le nom de ce dernier. Mais, que voulez-vous, quand on a la mémoire sélective… ]
Ben les sociaux-démocrates savaient ce qui est arrivé à leur homologues partout où vos camarades léninistes ont pris le pouvoir : ils ont été massacrés. Ils avaient peur du communisme et avaient de bonnes raisons pour cela fondées sur l’observation des faits. Vous quand je vous ai fait remarquer que beaucoup de vieux communistes et particulièrement ceux d’origine juive avaient été liquidés en Europe orientale après la prise des staliniens, vous avez balayé mes remarques d’un revers de main assez peu convaincant. Je pense que d’autres sont moins masochistes que vous.
Tiens à propos quand je vous ai parlé du complot des blouses blanches, vous m’avez dit qu’il n’y avait rien d’antisémite puisque il n’y avait que 6 sur 9 des accusés qui étaient juifs… Que dites-vous du cas de Cassandre Fristot ? A partir de quelle proportion de juifs une mise en cause devient-elle antisémite ?
Et pour vous dire ma façon de penser, moi qui suis fils d’ouvrier et petit fonctionnaire de catégorie C, je n’ai aucune sympathie envers un régime qui a passé une bonne partie de son temps à massacrer les petites gens, les paysans comme les ouvriers. En 1968, des millions d’ouvriers se sont mis en grève et que je sache, l’Etat n’a pas sorti les tanks ou les mitrailleuses.
Je me souviens que vous avez justifié la mise à mort de 3 millions d’Ukrainiens par le besoin de lutter contre la spéculation sur les denrées alimentaires. Et tout ça pour quoi ?
Dans les années 70, l’URSS devait importer des céréales pour nourrir sa population. Je vous ai d’ailleurs vu chialer sur les sanctions mises en œuvre par Carter, sanctions qui ont d’ailleurs été contournées par l’URSS. Mais, Descartes, la Russie tsariste exportait des céréales, la Russie poutinienne s’est remise à exporter des céréales. Mais je sais je suis un fasciste. J’aurai quand même une pensée pour ces gamins que votre génial Staline sans lequel nous ne saurions pas que les langues sont constituées d’un vocabulaire et d’une grammaire a condamné à crever de faim.
@ cd
[« Oui, je sais. Et on mangeait aussi les enfants crus. C’est dans « le Figaro », donc ça doit être vrai… » Et vous vous tenez toute votre science de « L’Humanité »…]
La preuve que non, puisque je vous cite « Le Figaro ». Faut savoir ce que vous voulez : si je vous cite l’Humanité, vous n’êtes pas content. Si je vous cite « Le Figaro », non plus…
[Mais je vous comprends : c’est difficile de défendre l’indéfendable.]
Devant l’avis d’un expert, je m’incline…
[« Accessoirement, vous noterez que les prolétaires – assez rares, d’ailleurs : l’essentiel des candidats à l’émigration appartenaient aux classes moyennes – qui souhaitaient quitter le « paradis socialiste » prenaient très rarement le chemin du Bangladesh, du Salvador, de l’Afrique du Sud ou du Chili, pourtant des pays parfaitement « capitalistes ». Non, curieusement, ils choisissaient tous les pays les plus riches : Allemagne, France, Etats-Unis… Ce qui semble suggérer que le problème est un peu plus complexe que vous ne le faites ! » Ben la quasi-totalité choisissait le pays dont ils se sentaient les ressortissants et dont ils parlaient la langue : la République Fédérale d’Allemagne.]
Les dissidents soviétiques se « sentaient » ressortissants allemands et parlaient la langue ? Vous en êtes sûr ?
[Mais c’est bizarre : il n’y a jamais une émigration même légère des prolétaires ouest-allemands vers le paradis socialiste de la RDA. Vous avez une explication ?]
Bien sûr. Les gouvernements d’Europe occidentale ont bien compris en 1945 qu’une classe ouvrière mécontente pouvait être tentée par des solutions révolutionnaires. Il fallait donc donner aux ouvriers occidentaux un niveau de vie suffisante pour rendre ces tentations inoffensives. C’est pourquoi, dans un bel ensemble, la bourgeoisie des pays d’Europe occidentale accorde en 1945 des concessions très importantes à la classe ouvrière : sécurité sociale, droit de grève, droits syndicaux, retraites, statuts avantageux, nationalisations… sauf bien entendu dans les pays où l’on élimine ce type de tentations par des moyens… disons… plus fermes : l’Espagne et le Portugal. Dans ces conditions, pourquoi émigrer ?
On observera d’ailleurs que dès que la « tentation » a disparu, à la fin des années 1970, la bourgeoisie a commencé à reprendre une à une les conquêts qu’elle avait dû consentir en 1945.
[« Oui… mais les socio-démocrates savent eux aussi y faire dans la répression. Jules Moch a fait exactement la même chose en France 1947, et je ne vous parle même pas de Franz Ebert en 1918. Tous deux sont pourtant considérés comme des grands hommes dans leurs partis respectifs, au point que la fondation du SPD porte le nom de ce dernier. Mais, que voulez-vous, quand on a la mémoire sélective… » Ben les sociaux-démocrates savaient ce qui est arrivé à leur homologues partout où vos camarades léninistes ont pris le pouvoir : ils ont été massacrés.]
Je vois mal comment Franz Ebert pouvait en 1918 « savoir » pareille chose, à moins de disposer d’une boule de cristal particulièrement performante. Votre réponse n’est donc pas très sérieuse…
[Ils avaient peur du communisme et avaient de bonnes raisons pour cela fondées sur l’observation des faits.]
Ils avaient sans doute très peur du communisme. Mais j’aimerais connaître les « bonnes raisons » que pouvait avoir Ebert en 1918. A part le fait de garder le pouvoir, of course.
[Tiens à propos quand je vous ai parlé du complot des blouses blanches, vous m’avez dit qu’il n’y avait rien d’antisémite puisque il n’y avait que 6 sur 9 des accusés qui étaient juifs… Que dites-vous du cas de Cassandre Fristot ? A partir de quelle proportion de juifs une mise en cause devient-elle antisémite ?]
Je trouve personnellement assez ridicule l’accusation d’antisémitisme dans le cas de Cassandre Fristot. Je suis donc cohérent. Mais je vous retourne la question : que pensez-vous du cas de Cassandre Fristot ? Appliqueriez-vous la même règle à l’affaire des « blouses blanches » ?
[Et pour vous dire ma façon de penser, moi qui suis fils d’ouvrier et petit fonctionnaire de catégorie C, je n’ai aucune sympathie envers un régime qui a passé une bonne partie de son temps à massacrer les petites gens, les paysans comme les ouvriers.]
C’est votre droit. Ce que je comprends moins bien, c’est que vous ayez de la sympathie pour un autre régime qui a, lui aussi, passé une bonne partie de son temps à massacrer les petites gens. Au Chili, en Indonésie, au Vietnam… mais peut-être que certaines « petites gens » valent plus que d’autres ?
[En 1968, des millions d’ouvriers se sont mis en grève et que je sache, l’Etat n’a pas sorti les tanks ou les mitrailleuses.]
Non, parce que le PCF a eu l’intelligence politique pour comprendre que le rapport de forces ne permettait pas une révolution, et à fait en sorte que la CGT négocie des revendications pécuniaires. Si le PCF et la CGT s’étaient lancé dans une grève insurrectionnelle, on aurait sorti tanks et mitraillettes, comme on l’avait fait en 1947. Encore une fois, la démocratie subsiste aussi longtemps que les classes dominantes ne se sentent pas menacées dans leurs intérêts vitaux.
[Je me souviens que vous avez justifié la mise à mort de 3 millions d’Ukrainiens par le besoin de lutter contre la spéculation sur les denrées alimentaires. Et tout ça pour quoi ?]
Je vous mets au défi de m’indiquer où j’aurais « justifié » une telle « mise à mort ». Je vous prie de rester dans les limites de la courtoisie, et cela inclut le fait de ne pas lancer des accusations ad hominem, d’autant plus blessantes qu’elles sont infondées.
[Dans les années 70, l’URSS devait importer des céréales pour nourrir sa population. Je vous ai d’ailleurs vu chialer sur les sanctions mises en œuvre par Carter, sanctions qui ont d’ailleurs été contournées par l’URSS.]
Vous m’avez vu « chialer » ?
[Mais, Descartes, la Russie tsariste exportait des céréales, la Russie poutinienne s’est remise à exporter des céréales.]
Tout à fait. Mais le fait qu’on exporte des grains, dans une économie capitaliste, n’implique pas que le peuple mange à sa faim. On n’exporte pas ce qui est en excès, on exporte aussi longtemps que les prix sur le marché international sont plus intéressants que ceux du marché interne. Le fait qu’on exporte des grains sous le Tsar ou sous Poutine peut vouloir dire que la production est excédentaire… ou bien que les Russes n’ont pas assez d’argent pour acheter du grain !
[Mais je sais je suis un fasciste.]
Si vous le dites, je ne vous contredirai pas. Mais vous noterez que je ne vous ai jamais qualifié de « fasciste ». Et d’une façon générale, j’ai supporté tout au long de ces échanges vos accusations et vos attaques ad hominem sans jamais vous rendre la pareille. Et vous avez le culot de vous qualifier vous-même pour jouer les victimes ? Soyons sérieux.
[J’aurai quand même une pensée pour ces gamins que votre génial Staline sans lequel nous ne saurions pas que les langues sont constituées d’un vocabulaire et d’une grammaire a condamné à crever de faim.]
Je ne pense pas que ce genre d’appels à l’émotion contribuent à un débat sérieux. Je les tiens en général pour preuve d’une absence d’argumentation consistante.
Le TCE rejeté à 55%, avec une participation très forte, c’est bien plus que les extremes gauche et droite réunis, avec le soutien déterminant de l’anarco-trotskiste Laurent Fabius.
Le non-respect de ce vote historique par Sarkozy puis Hollande est une des raisons de la défiance envers les eurocrates béats.
@ Jean M : Le Non au TCE a parfaitement annulé le projet de traité constitutionnel.
Vous avez raison de rappeler que s’il a été majoritaire, c’est effectivement que, outre les “antisystème”, souverainistes et eurosceptiques, des proeuropéens (comme moi) membres d’un PS très divisé sur cette question, ont tenu à refuser de souscrire à un traité qui entérinait les dérives ultralibérales en cours au sein de l’UE. Ce qui ne signifiait pas qu’ils voulaient sortir de l’UE, mais qu’il voulait que cette UE s’oriente vers plus de social-fédéralisme mutualiste. D’une certaine manière, la réponse européenne à la crise financière de 2008 et sanitaire de 2020 illustre la salvatrice puissance que l’UE peut représenter pour des pays qui, isolés, auraient eu plus de souci.
Comme ce Non n’avait pas été un vote pour la sortie de l’UE par la France, cette UE a cependant, et heureusement à mon avis, continué de vivre… et des traités ultérieurs ont nécessairement dû être votés pour en faire avancer la cohérence.
Le traité de Lisbonne, quoi que certains en disent, n’est pas le traité constitutionnel refusé d’ailleurs par trois peuples de l’UE.
@ Claustaire
[@ Jean M : Le Non au TCE a parfaitement annulé le projet de traité constitutionnel.]
Disons que le « non » a réussi à éviter que ce texte acquière un niveau constitutionnel dans la hiérarchie des normes. Si le « oui » avait gagné, il serait devenu difficile de soutenir la primauté des constitutions nationales sur les traités européens, principe régulièrement mis en cause par la CJUE. Avec le « non » la voie de la constitutionnalisé a été – pour quelque temps au moins – fermée.
[Vous avez raison de rappeler que s’il a été majoritaire, c’est effectivement que, outre les “antisystème”, souverainistes et eurosceptiques, des proeuropéens (comme moi) membres d’un PS très divisé sur cette question, ont tenu à refuser de souscrire à un traité qui entérinait les dérives ultralibérales en cours au sein de l’UE. Ce qui ne signifiait pas qu’ils voulaient sortir de l’UE, mais qu’il voulait que cette UE s’oriente vers plus de social-fédéralisme mutualiste.]
Dans ce cas vous auriez donc aussi vous opposer au traité de Lisbonne, qui ne fait rien pour corriger les « dérives ultralibérales » ou pour orienter l’UE vers plus de « social-fédéralisme mutualiste ». Cela étant dit, ça m’amuse toujours d’entendre les europhiles parler de « dérives », comme si le néolibéralisme n’était pas l’essence du projet européen, mais une imperfection qu’il suffirait de corriger pour que le projet révèle toutes ses potentialités. Vous noterez que la construction européenne a TOUT raté, TOUT sauf UNE SEULE CHOSE : l’ouverture à la concurrence dans tous les domaines, le marché unique « libre et non faussé ». Et ce serait une simple « dérive » ?
[D’une certaine manière, la réponse européenne à la crise financière de 2008 et sanitaire de 2020 illustre la salvatrice puissance que l’UE peut représenter pour des pays qui, isolés, auraient eu plus de souci.]
Pourriez-vous développer ? Je n’ai pas l’impression que les pays membres de l’UE soient en meilleure posture que la Grande Bretagne, la Suisse ou la Norvège (qui n’appartiennent pas à l’UE). Alors, où voyez-vous la « salvatrice puissance que l’UE peut représenter » ?
[Comme ce Non n’avait pas été un vote pour la sortie de l’UE par la France, cette UE a cependant, et heureusement à mon avis, continué de vivre… et des traités ultérieurs ont nécessairement dû être votés pour en faire avancer la cohérence.]
Là, je ne vous comprends pas. Vous m’expliquez d’abord que vous avez voté « non » pour rejeter les « dérives ultralibérales » de la construction européenne, et maintenant vous me dites qu’il fallait bien faire des traités pour « renforcer la cohérence »… de ces mêmes dérives ? Ca m’a l’air plutôt incohérent, votre histoire…
Je vous aime bien, alors je ne voudrais pas vous offenser. Mais votre attachement à la construction européenne me semble relever plus de la croyance religieuse que de la conviction raisonnable. Comme la croyance religieuse, vous refusez de vous confronter à l’expérience. Oui, bien sûr, il y a quelques « dérives », mais le paradis est là, à notre portée. Il faut prier et d’attendre que le salut vienne… et si le salut ne vient pas, c’est parce qu’on n’a pas prié assez fort.
Désolé, je ne trouve aucun commentaire à écrire, étant d’accord à 100% avec ce texte 🙂 Un de ces jours, si vous êtes en “panne d’inspiration”, ça serait sympa que vous nous écriviez votre opinion sur les causes de la chute de l’URSS. Bien entendu, il y a eu la pression Occidentale, énorme, mais elle était équivalente à celle contre la Chine. Or, la Chine a non seulement échappé à l’effondrement, mais elle a, comme en exécutant une sorte de prise de judo, utilisé la force de l’adversaire pour, peut-être pas le dominer, mais en tout cas le mettre en difficulté…Merci (je me répète…) pour ce souffle bien frais, en ces temps de pensée sclérosée…
@ Sami
[Un de ces jours, si vous êtes en “panne d’inspiration”, ça serait sympa que vous nous écriviez votre opinion sur les causes de la chute de l’URSS.]
Il faudrait au contraire que j’aie beaucoup d’inspiration pour attaquer à un tel sujet…
[Bien entendu, il y a eu la pression Occidentale, énorme, mais elle était équivalente à celle contre la Chine. Or, la Chine a non seulement échappé à l’effondrement,]
Pas tout à fait. La Chine a géré l’effondrement, elle n’y a pas échappé. Elle est revenue au capitalisme, à un capitalisme d’Etat très régulé et non un capitalisme libéral, mais capitalisme tout de même.
L’échec de la première expérience socialiste doit beaucoup à la guerre franche ou larvée que la bourgeoisie a menée contre elle. Mais elle doit aussi pas mal à une raison structurelle : après les crises de la première moitié du XXème siècle, le capitalisme a eu, grâce à la révolution industrielle des communications et des transports, une nouvelle jeunesse. Souvenez-vous de la conclusion de Marx : un mode de production ne cède le pas que lorsque de par ses contradictions il devient un obstacle à « l’expansion des forces productives ». C’était le cas du capitalisme en 1930, ce n’est certainement pas le cas aujourd’hui.
A l’appui de cette thèse, vous pouvez constater que TOUTES les expériences socialistes, sans aucune exception, sont revenues vers le capitalisme. On pourrait comprendre qu’une, deux, trois expériences se soient effondrées sous le poids des erreurs de leurs dirigeants. Mais TOUTES ?
@Descartes
Quelle différence faites-vous exactement entre communisme et capitalisme d’État ? Comment le communisme doit-il concentrer le capital (concentration indispensable au développement des « grands moyens de production », il me semble) si ce n’est par l’État ?
Y en a-t-il eu tant que ça ? À part 1) les pays du pacte de Varsovie 2) la Chine et ses quelques satellites, qu’y a-t-il eu comme expériences socialistes depuis les temps modernes selon vous ?
@ Ian Brossage
[Quelle différence faites-vous exactement entre communisme et capitalisme d’État ?]
Le capitalisme est caractérisé par le fait qu’une classe sociale achète la force de travail d’une autre classe, la paye en dessous de la valeur produite et empoche la différence. Mais ce mécanisme nécessite d’être régulé : comment fixe-t-on la paye des salariés, les domaines ou le capital s’investit préférentiellement, la répartition de la plusvalue entre les différents groupes de la bourgeoisie, etc ?
Dans un capitalisme « libéral », cette régulation est confiée au mécanisme impersonnel du marché. Les salaires sont fixés par confrontation de l’offre et de la demande, le capital s’investit là où la rentabilité financière est la plus forte, et les groupes de la bourgeoisie sont en compétition sur un marché. Dans un « capitalisme d’Etat », c’est une bureaucratie (au sens wébérien du terme) guidée par un certain nombre de principes de « bien public » qui est chargée de cette régulation. Les salaires peuvent ainsi être encadrés par des règlements, le capital peut etre canalisé vers des investissements particuliers, etc. Il y a donc toujours une classe qui s’enrichit sur le travail d’une autre, mais la régulation de cet enrichissement est d’une nature différente.
Le communisme est une société sans classes. Autrement dit, il n’y a plus un groupe qui s’enrichit en prélevant une part de la valeur produite par une autre. Dans la philosophie politique marxiste, c’est d’ailleurs conçu comme un état idéal, mais finalement assez peu exploré en termes d’organisation pratique. Marx, on ne le dira pas assez, est un théoricien du capitalisme, et non du communisme. Ses successeurs ont été donc obligés d’improviser en fonction des circonstances. Les révolutionnaires de la Commune de Paris comme ceux qui les ont suivi dans les différentes expériences « communistes » ont toujours eu le même problème : une fois qu’on a enlevé à la bourgeoisie le capital et le pouvoir qui va avec, comment régule-t-on la société ? Et tous, après une phase « anarchiste » (ou « autogestionnaire », dans le vocabulaire moderne) d’organisation par la base, se sont tournés vers le seul acteur capable d’offrir une régulation alternative : l’Etat wébérien. C’est pourquoi on assimile souvent le « capitalisme d’Etat » à une sorte de voie tranquille vers le communisme…
[Comment le communisme doit-il concentrer le capital (concentration indispensable au développement des « grands moyens de production », il me semble) si ce n’est par l’État ?]
Je suis moins extrême que vous. Pour moi, il est essentiel de distinguer la problématique structurelle et la question de la régulation. D’un côté, vous avez à choisir entre capitalisme ou communisme, autrement dit, « exploitation or not exploitation » du travail humain. D’un autre, il faut penser la régulation – et le problème n’est pas si différent que ça. On peut parfaitement imaginer une société communiste ou l’on laisserait la fixation de certains prix à une logique de marché. C’est pourquoi autant je reste communiste, autant je milite pour une régulation pragmatique : il y a des domaines ou le marché est plus efficace pour réguler les prix et l’allocation du capital que l’Etat, et d’autres ou c’est l’inverse. Ce n’est pas un choix idéologique, c’est un choix pragmatique.
[« A l’appui de cette thèse, vous pouvez constater que TOUTES les expériences socialistes, sans aucune exception, sont revenues vers le capitalisme. On pourrait comprendre qu’une, deux, trois expériences se soient effondrées sous le poids des erreurs de leurs dirigeants. Mais TOUTES ? » Y en a-t-il eu tant que ça ? À part 1) les pays du pacte de Varsovie 2) la Chine et ses quelques satellites, qu’y a-t-il eu comme expériences socialistes depuis les temps modernes selon vous ?]
D’abord, vous allez un peu vite en supposant que le Pacte de Varsovie constituait, du point de vue de la politique intérieure ou de la politique économique, un ensemble homogène. Entre la politique économique de Kadar en Hongrie, celle de Ceaucescu en Roumanie ou celle de Honecker en RDA, il y a d’énormes différences. Et je ne vous parle même pas de Cuba. Même chose pour la « zone d’influence » chinoise : difficile de comparer la politique intérieure des Khmers Rouges au Cambodge à celle du Vietnam. Et finalement, il y a des expériences « socialistes » chez les non-alignés : l’Algérie, la Yougoslavie… C’est peut-être ce dernier pays qui résume le mieux le problème : fut un temps ou l’on donnait Tito comme exemple d’économie socialiste « autogestionnaire », à l’opposé du modèle soviétique et non inféodé à celui-ci. Il est vrai que la direction yougoslave a fait des choix très différents du modèle soviétique. Il a été emporté comme les autres…
@Descartes
Cette classe qui s’enrichit sur le travail d’une autre est toujours la classe des détenteurs du capital, donc ? Je pensais que l’expression « capitalisme d’État » impliquait que le capital appartienne… à l’État, justement. Apparemment, j’ai mal compris ?
Du coup, que pensez-vous de ceux qui qualifient l’expérience soviétique de capitalisme d’État (souvent pour la rejeter au loin et garder au mot « communisme » une sorte d’aura immaculée) ?
Vous noterez que j’ai envisagé cette possibilité en utilisant l’expression « les grands moyens de production ». La question du contrôle de l’accumulation du capital et de son utilisation reste entière pour les dits « grands moyens de production », non ?
Mea culpa. J’avoue que je ne connais pas du tout le sujet.
@ Ian Brossage
[Cette classe qui s’enrichit sur le travail d’une autre est toujours la classe des détenteurs du capital, donc ? Je pensais que l’expression « capitalisme d’État » impliquait que le capital appartienne… à l’État, justement. Apparemment, j’ai mal compris ?]
Je pense, oui. Bien sûr, le « capitalisme d’Etat » s’accompagne souvent d’une accumulation de capital du côté de l’Etat, parce que celui-ci tend à prendre en charge toutes les activités qui ne sont pas régulées par le marché. Mais il reste à côté un important secteur privé. Dans la Chine d’aujourd’hui – comme dans la France des années 1960 – il y a un secteur privé qui détient une part majoritaire du capital productif, même si à côté vous trouvez des corporations d’Etat qui ont un poids considérable.
[C’est pourquoi on assimile souvent le « capitalisme d’Etat » à une sorte de voie tranquille vers le communisme… Du coup, que pensez-vous de ceux qui qualifient l’expérience soviétique de capitalisme d’État (souvent pour la rejeter au loin et garder au mot « communisme » une sorte d’aura immaculée) ?]
Je pense qu’ils ont tort. Il n’y a pas de classe bourgeoise dans l’URSS – même si sur la fin il y a bien une « classe intermédiaire » qui jouera un rôle important dans la chute du régime et le retour vers le capitalisme – n’en déplaise aux trotskystes divers et variés. L’expérience soviétique a bien été une expérience « socialiste » (le « communisme » étant une étape supérieure, idéale, qui marquerait la fin de l’histoire) en ce que les moyens de production furent effectivement socialisés, et le capital privé a disparu.
Personnellement, je trouve pathétique ces efforts de certains – je pense à Lucien Sève, que j’ai beaucoup admiré, mais il n’est pas le seul – pour garder à tout prix une vision idéale du communisme, quitte à nier le caractère « communiste » des expériences réelles. Ma position est toute autre : pour moi, il va du communisme comme de n’importe quelle autre vision idéale : la confrontation avec la réalité produit quelque chose qui n’est jamais tout à fait satisfaisant. Il faut se résigner à ce que nos rêves ne se réalisent pas sur terre…
[Vous noterez que j’ai envisagé cette possibilité en utilisant l’expression « les grands moyens de production ». La question du contrôle de l’accumulation du capital et de son utilisation reste entière pour les dits « grands moyens de production », non ?]
La formule marxienne « socialisation des GRANDS moyens de production et d’échange » laisse en effet la porte ouverte à des politiques différents pour ce qui concerne les « petits ». Mais la question pour moi est ailleurs : il ne s’agit plus de distinguer entre les « gros » et les « petits » mais entre ceux qui ont besoin d’une régulation administrative et ceux qui peuvent être régulés par le marché. J’ajoute que la régulation par le marché et la propriété du capital sont deux choses très différentes. On pourrait par exemple imaginer un système où le capital serait totalement socialisé, et où ce capital serait investi dans des sociétés différentes en concurrence les unes par rapport aux autres. Une telle société serait « communiste » (au sens qu’il n’y aurait plus de plusvalue) alors qu’elle serait régulée par le marché.
[« D’abord, vous allez un peu vite en supposant que le Pacte de Varsovie constituait, du point de vue de la politique intérieure ou de la politique économique, un ensemble homogène. » Mea culpa. J’avoue que je ne connais pas du tout le sujet.]
C’est un sujet passionnant pourtant, qui a été largement occulté par la propagande anticommuniste, dont l’un des tenants est l’uniformité – dans le temps comme dans l’espace. En fait, lorsqu’on regarde de près, on se rend compte que ces sociétés sont demeurées profondément différentes les unes des autres, avec des politiques intérieures fort différentes, et que ces politiques ont d’ailleurs beaucoup varié dans le temps. Que loin d’être monolithiques, ces sociétés étaient le siège d’une vie politique intense, avec des oppositions frontales et quelquefois violentes – même si elles s’exprimaient essentiellement à l’intérieur du parti unique. Ainsi par exemple l’affrontement Dubcek/Husak, par exemple…
“On pourrait par exemple imaginer un système où le capital serait totalement socialisé, et où ce capital serait investi dans des sociétés différentes en concurrence les unes par rapport aux autres. Une telle société serait « communiste » (au sens qu’il n’y aurait plus de plusvalue) alors qu’elle serait régulée par le marché.”
Sauf erreur de ma part car je suis loin de bien saisir ces mécanismes, c’est ce que proposent certains théoriciens, Bernard Friot par exemple.
Il me semble que vous aviez qualifié Friot d’idéaliste dans un précèdent commentaire. En tout cas, il propose de remplacer le capital prêté avec intérêt par les banques commerciales aux entreprises par des subventions (non remboursables donc) fournies par des caisses d’allocation
Ces caisses seraient abondées par une collecte sur les revenus des entreprises. Elles seraient supervisées par des collectifs de citoyens (je crois) à l’instar des caisses de la Sécurité sociale autrefois gérées par les syndicats ouvriers et patronaux.
Plus d’intérêts et de prêts remboursables donc une socialisation du capital. En revanche, la concurrence entre entreprise et le profit seraient maintenus
@ Ovni de Mars
[“On pourrait par exemple imaginer un système où le capital serait totalement socialisé, et où ce capital serait investi dans des sociétés différentes en concurrence les unes par rapport aux autres. Une telle société serait « communiste » (au sens qu’il n’y aurait plus de plusvalue) alors qu’elle serait régulée par le marché.” Sauf erreur de ma part car je suis loin de bien saisir ces mécanismes, c’est ce que proposent certains théoriciens, Bernard Friot par exemple.]
Je n’ai pas en tête tous les éléments de la proposition de Friot, mais je ne me souviens pas qu’il propose une logique de concurrence dans son modèle de « subventions non remboursables ».
[Il me semble que vous aviez qualifié Friot d’idéaliste dans un précèdent commentaire. En tout cas, il propose de remplacer le capital prêté avec intérêt par les banques commerciales aux entreprises par des subventions (non remboursables donc) fournies par des caisses d’allocation. Ces caisses seraient abondées par une collecte sur les revenus des entreprises. Elles seraient supervisées par des collectifs de citoyens (je crois) à l’instar des caisses de la Sécurité sociale autrefois gérées par les syndicats ouvriers et patronaux.]
Effectivement, je troue la description de Friot naïve parce qu’on ne voit pas très bien quel serait, dans ce modèle, le mécanisme de régulation. Autrement dit, il postule des individus parfaits, servant l’intérêt général et non leurs intérêts particuliers. Prenons la question de l’allocation : comment former des « collectifs de citoyens » qui choisiraient les projets en fonction de l’intérêt général et non de l’intérêt particulier de leurs membres ? Qui fixerait le taux de prélèvement sur le revenu des entreprises ? Comment seraient fixés les prix des biens produits ?
[Plus d’intérêts et de prêts remboursables donc une socialisation du capital.]
C’est amusant de voir comment on s’imagine qu’en changeant les mots on change les réalités. Imaginons que vous et moi fondions une société, chacun de nous apportant la moitié du capital – et recevant donc la moitié des actions de la société. L’argent que nous mettons ne sera « remboursé » que dans l’hypothèse où la société est liquidée. Et c’est une hypothèse très rare : ou bien la société marche bien – et il serait idiot de la liquider – ou bien elle ne marche pas, et à la liquidation il n’y aura pas de quoi rembourser. Autrement dit, le schéma des « subventions non remboursables » est le mécanisme habituel du capitalisme.
Le fait qu’on appelle l’investissement « subvention » et les intérêts « collecte » ne change rien à l’affaire. Si socialisation il y a dans ce modèle, elle vient du fait que le pouvoir de décision sur l’allocation du capital est confié à un « collectif de citoyens » censé représenter la société, et non à un individu ou classe particuliers.
[En revanche, la concurrence entre entreprise et le profit seraient maintenus]
Mais qui empocherait le profit ?
“Effectivement, je troue la description de Friot naïve parce qu’on ne voit pas très bien quel serait, dans ce modèle, le mécanisme de régulation. Autrement dit, il postule des individus parfaits, servant l’intérêt général et non leurs intérêts particuliers. Prenons la question de l’allocation : comment former des « collectifs de citoyens » qui choisiraient les projets en fonction de l’intérêt général et non de l’intérêt particulier de leurs membres ? Qui fixerait le taux de prélèvement sur le revenu des entreprises ? Comment seraient fixés les prix des biens produits ?”Je manque de temps pour voir en détails les propositions de Friot mais je les interprète en me disant qu’il veut corriger la circulation du capital, qu’elle ne soit plus guidée par la “main invisible du marché” mais par une concertation démocratique et collective (certes imparfaite)
De mon point de vue, on pourrait imaginer une délibération de l’Assemblée Nationale pour définir des critères généraux (écologiques, énergétiques…). Les caisses d’investissements (qui ne dépendent pas de l’État) se baseraient sur ces critères pour accorder des subventions dans des domaines particuliers. Leur choix devraient être publiquement motivés et ne seraient pas soumis à des critères de rentabilité mais à des critères d’usage
“C’est amusant de voir comment on s’imagine qu’en changeant les mots on change les réalités. Imaginons que vous et moi fondions une société, chacun de nous apportant la moitié du capital – et recevant donc la moitié des actions de la société. L’argent que nous mettons ne sera « remboursé » que dans l’hypothèse où la société est liquidée. Et c’est une hypothèse très rare : ou bien la société marche bien – et il serait idiot de la liquider – ou bien elle ne marche pas, et à la liquidation il n’y aura pas de quoi rembourser. Autrement dit, le schéma des « subventions non remboursables » est le mécanisme habituel du capitalisme. “La différence de mon point de vue entre “capital prêté ou investi” et “subvention de caisse d’investissement” serait que dans le premier cas, il y a des intérêts à rendre périodiquement (les dividendes) alors que dans le 2ème cas, les subventions sont simplement accordées sans contre-parties financièresAinsi, le profit existerait encore mais ne serait plus vital car l’entreprise ne serait plus assujettie au versement de dividendes ou au remboursement de prêts auprès de banques
En fait, si je comprends bien, le capital serait libéré de la notion de retour sur investissement
Une entreprise ne serait plus propriété d’actionnaires mais propriété d’usage de ses salariésIci, la notion de propriété d’usage de Friot : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Friot_(sociologue)#Propri%C3%A9t%C3%A9_d'usage“Mais qui empocherait le profit ?”Je ne sais pas ! mais, toujours au conditionnel, j’imagine qu’une fois déduit les collectes sur les entreprises (en fonction du taux de prélèvement et pour les caisses d’investissement et de salaires), s’il reste de l’argent, l’entreprise peut décider comme maintenant de le répartir sous forme de salaires supplémentaires exceptionnels, de l’investir ou de le provisionner.
@ Ovni de Mars
[Je manque de temps pour voir en détails les propositions de Friot mais je les interprète en me disant qu’il veut corriger la circulation du capital, qu’elle ne soit plus guidée par la “main invisible du marché” mais par une concertation démocratique et collective (certes imparfaite)]
Autrement dit, par une régulation administrative. Seulement, la régulation administrative est très coûteuse : l’organe qui décide – que ce soit un cénacle de technocrates, une assemblée de citoyens ou ce que vous voudrez – a besoin de traiter une très grande quantité d’information. Pour décider d’accorder du capital à l’activité A plutôt qu’à l’activité B il vous faut connaître en détail les deux propositions, être capable d’évaluer la manière dont ces activités répondent à un besoin donné, le rapport entre le capital investi et le niveau de satisfaction du besoin… vous voyez la complexité ? Et lorsqu’il s’agit non pas de repartir le capital entre deux propositions, mais entre plusieurs centaines ?
La « main invisible » a beaucoup de défauts. Mais elle fournit une régulation efficace et peu coûteuse pour peu que les le contexte s’y prête – autrement dit, que le marché soit « pur et parfait ». C’est pourquoi il vaut mieux réserver la régulation administrative aux secteurs de l’économie ou le marché sera toujours très imparfait : les « monopoles naturels », pour ne donner qu’un exemple.
Et cela sans compter sur le fait que la « concertation démocratique et collective » elle aussi a un coût si vous voulez qu’elle reflète l’intérêt général, et non l’intérêt particulier de tel ou tel groupe.
[De mon point de vue, on pourrait imaginer une délibération de l’Assemblée Nationale pour définir des critères généraux (écologiques, énergétiques…). Les caisses d’investissements (qui ne dépendent pas de l’État) se baseraient sur ces critères pour accorder des subventions dans des domaines particuliers.]
Si les caisses ne dépendent pas de l’Etat, elles dépendent de qui ? Qui désigne ceux qui auront la lourde tâche d’interpréter les situations concrètes et de décider si elles entrent ou non dans les critères définis par l’Assemblée ?
[Leurs choix devraient être publiquement motivés et ne seraient pas soumis à des critères de rentabilité mais à des critères d’usage]
Ce dernier élément me plonge dans un abîme de perplexité. Imaginons un projet A qui fabrique des ampoules électriques en passant par un processus de production totalement inefficace, qui consomme donc une grande quantité de capital et de travail pour produire une ampoule. Et à côté, vous avez un projet B qui fabrique une ampoule identique en utilisant un processus très efficace, qui consomme dix fois moins de capital et de travail que la précédente. Du point de vue des « critères d’usage », les deux processus sont parfaitement équivalents. A l’heure de les subventionner, faut-il leur accorder les mêmes subventions ?
[La différence de mon point de vue entre “capital prêté ou investi” et “subvention de caisse d’investissement” serait que dans le premier cas, il y a des intérêts à rendre périodiquement (les dividendes) alors que dans le 2ème cas, les subventions sont simplement accordées sans contre-parties financières.]
Vous m’avez dit que les caisses d’investissement seraient financées « par des prélèvements sur les entreprises ». Ces « prélèvements » ne constituent-ils pas une « contrepartie » ? Quelle est la différence entre ces « prélèvements » et un dividende ou un remboursement de prêt ?
[Ainsi, le profit existerait encore mais ne serait plus vital car l’entreprise ne serait plus assujettie au versement de dividendes ou au remboursement de prêts auprès de banques]
Mais elle serait assujettie au « prélèvement » qui doit financer la caisse d’investissement. Et la somme des ces prélèvements doit être suffisante pour que la caisse puisse continuer à subventionner, autrement le système s’arrête ! Ce n’est pas parce que vous l’appelez « prélèvement » et non « remboursement » ou « dividende » que vous changer la nature de la chose.
[En fait, si je comprends bien, le capital serait libéré de la notion de retour sur investissement
Une entreprise ne serait plus propriété d’actionnaires mais propriété d’usage de ses salariés]
Autrement dit, l’entreprise serait gérée non pas dans le sens de l’intérêt général, mais de l’intérêt particulier des salariés. Prenons par exemple le cas d’EDF : en tant qu’établissement public, l’Etat lui avait donné pour mission de vendre le courant à prix coûtant. Mais si c’avait été aux salariés de décider, n’auraient-ils pas été tentés d’augmenter les prix pour se payer de meilleurs salaires ? Et si en plus, comme le propose Friot, ils siégeaient dans les caisses de financement, n’auraient-ils pas intérêt à s’opposer à l’apparition d’un concurrent afin de profiter d’un marché captif pour pouvoir fixer les prix arbitrairement ?
[“Mais qui empocherait le profit ?”Je ne sais pas !]
C’est pourtant fondamental : dis-moi qui empoche le profit, et je te dirai qui a intérêt à ce que les prix soit hauts et les salaires bas…
[mais, toujours au conditionnel, j’imagine qu’une fois déduit les collectes sur les entreprises (en fonction du taux de prélèvement et pour les caisses d’investissement et de salaires), s’il reste de l’argent, l’entreprise peut décider comme maintenant de le répartir sous forme de salaires supplémentaires exceptionnels, de l’investir ou de le provisionner.]
Autrement dit, vous n’avez nullement fait disparaître la notion de « retour sur investissement ». Si le profit est distribué sous forme de salaire, alors l’intérêt des salariés est que le « retour sur investissement » soit le plus grand possible. En fait, vous reconstruisez la logique coopérativiste.
<<< [La différence de mon point de vue entre “capital prêté ou investi” et “subvention de caisse d’investissement” serait que dans le premier cas, il y a des intérêts à rendre périodiquement (les dividendes) alors que dans le 2ème cas, les subventions sont simplement accordées sans contre-parties financières.]Vous m’avez dit que les caisses d’investissement seraient financées « par des prélèvements sur les entreprises ». Ces « prélèvements » ne constituent-ils pas une « contrepartie » ? Quelle est la différence entre ces « prélèvements » et un dividende ou un remboursement de prêt ? >>>La différence pour moi serait que les subventions ne sont pas remboursables alors que les prêts aux entreprises le sont nécessairement. De même qu’il y a évidemment presque toujours intérêts sur les actions à de voir donner chaque année aux propriétairesAvec les subventions, l’entreprise reverse une partie de ses revenus aux caisses (des cotisations) mais sans intérêts et sans lien avec le niveau de subventions reçus. Une entreprise peut donc moins rembourser que ce qu’elle a reçu (et inversement) sans que cela ne constitue un problèmeC’est le principe des cotisations sociales en fait : les cotisations perçus par la Sécu sont immédiatement distribuées aux hôpitaux, chômeurs… Et ceux-ci n’ont rien à rembourser aux caisses (à la différence d’un prêt de banque) Ici, la caisse distribuerait des subventions aux entreprises, subventions conditionnées comme je vous le disais, à des critères qu’il faudrait définir comme le fait la Sécu (on ne rembourse pas les branches de lunettes mais les soins pour les maladies graves, on utilise les cotisations pour construire des hôpitaux publics, etc). La Sécu œuvre pour le bien commun. Rien n’empêche de penser que l’on ne pourrait pas faire la même chose pour les entreprises ou du moins, pour des entreprises dans certains secteurs économiquesPour moi, les remboursement de la Sécu aux malades reviennent en bout de chaîne, à subventionner les médecins. Ceux-ci ne vont pas reverser quoique ce soit aux caisses de Sécu.
De même, il me semble que les partisans de Friot veulent créer une subvention “alimentaire” qui serait versée inconditionnellement à tout le monde. Cette subvention ne pourrait être utilisée que pour acheter de la nourriture produite localement et / ou bio (je suis loin de connaitre tous les détails) et permettrait de subventionner toujours sans contrepartie, des épiciers et des producteurs respectant ces critères environnementaux
@ Ovni de Mars
[« Vous m’avez dit que les caisses d’investissement seraient financées « par des prélèvements sur les entreprises ». Ces « prélèvements » ne constituent-ils pas une « contrepartie » ? Quelle est la différence entre ces « prélèvements » et un dividende ou un remboursement de prêt ? » La différence pour moi serait que les subventions ne sont pas remboursables alors que les prêts aux entreprises le sont nécessairement.]
Relisez ce que j’ai écrit. Si les « subvention » sont financées par des « prélèvements », alors ces « prélèvements » sont l’équivalent d’un remboursement !
[De même qu’il y a évidemment presque toujours intérêts sur les actions à de voir donner chaque année aux propriétaires Avec les subventions, l’entreprise reverse une partie de ses revenus aux caisses (des cotisations) mais sans intérêts et sans lien avec le niveau de subventions reçus.]
Et en fonction de quoi calculerez-vous ces « cotisations » ? Si elles ne sont liées au niveau de subvention reçu, alors votre subvention constitue un transfert : certaines entreprises paieront pour que d’autres puissent vivre. Très vite, ce système arriverait à une allocation du capital absurde.
[Une entreprise peut donc moins rembourser que ce qu’elle a reçu (et inversement) sans que cela ne constitue un problème.]
N’est-ce pas un « problème » que certaines entreprises remboursent plus que ce qu’elles n’ont reçu ? Qui décide quelles sont les heureuses élues qui recevront plus que ce qu’elles donnent et vice-versa ?
[C’est le principe des cotisations sociales en fait : les cotisations perçus par la Sécu sont immédiatement distribuées aux hôpitaux, chômeurs… Et ceux-ci n’ont rien à rembourser aux caisses (à la différence d’un prêt de banque)]
Sauf que la Sécurité sociale « subventionne » des gens qui n’ont pas CHOISI d’être dans la situation qui leur vaut d’être subventionnés. Personne ne choisit d’être malade ou d’être chômeur. Et quand les gens commencent à le choisir (par exemple, parce que les allocations sont trop importantes par rapport aux salaires) le système s’effondre. Dans votre système de financement aux entreprises, quel serait le critère pour qu’une entreprise reçoive plus ou moins d’argent qu’une autre ?
[De même, il me semble que les partisans de Friot veulent créer une subvention “alimentaire” qui serait versée inconditionnellement à tout le monde. Cette subvention ne pourrait être utilisée que pour acheter de la nourriture produite localement et / ou bio (je suis loin de connaitre tous les détails) et permettrait de subventionner toujours sans contrepartie, des épiciers et des producteurs respectant ces critères environnementaux]
Mais la question est toujours la même : sur qui prélève-t-on l’argent nécessaire pour financer la « subvention alimentaire » ? Soit vous prélevez sur les mêmes qui la reçoivent, et alors c’est un mouvement circulaire, soit ce ne sont pas les mêmes, et il s’agit d’un transfert qu’il faut justifier…
“On pourrait comprendre qu’une, deux, trois expériences se soient effondrées sous le poids des erreurs de leurs dirigeants. Mais TOUTES ?”
Peut etre tour simplement car le systeme est intrinsèquement mauvais ?
C est probablement ce qu a decide un communiste comme Deng Xioping a maintenir le communisme comme dictature politique mais a l abolir comme systeme economique
PS:
– Deng a rejoint le PCC a l epoque ou il etait ultra minoritaire et reprimé et est devenu un commissaire politique. Autrement dit pas un apparatchik qui a rejoint pour faire carriere
– le communisme n a pas encore completement disparu : la coree du nord et Cuba fonctionnent encore sous ce regime
– Dans les systeme qui ont quasi disparu, on peut aussi citer l aristocratie et le feodalisme (on a encore des rois a certains endroit mais le roi de droit divin avec ses seigneurs et ses manants n existe plus que dans des pays arrierés)
@ cdg
[« On pourrait comprendre qu’une, deux, trois expériences se soient effondrées sous le poids des erreurs de leurs dirigeants. Mais TOUTES ? » Peut être tour simplement car le système est intrinsèquement mauvais ?]
J’imagine que vous n’entendez pas « mauvais » au plan moral. Sans quoi, je serais obligé de pointer que de ce point de vue tous les systèmes sont « intrinsèquement mauvais », et que des systèmes nettement plus injustes se sont maintenu pendant des siècles, quand ce n’est pas de millénaires.
Si vous entendez « mauvais » au sens « moins efficace économiquement que le capitalisme des années 1980 », vous avez certainement raison. Et je serais d’accord avec vous : la chute de la première expérience socialiste tient fondamentalement à son incapacité, à un moment donné, de satisfaire mieux que le capitalisme les appétits de consommation des populations. Souvenez-vous que lorsque les allemands de l’Est ont pu traverser le mur, ils ne se sont pas précipités dans les librairies, les cinémas, les bibliothèques. Ils sont allés droit vers les supermarchés. C’est là peut-être la plus grande erreur des communistes : imaginer qu’on peut changer les hommes. Et pourtant, Marx lui-même les avait mis en garde contre ce genre d’idéalisme…
[C’est probablement ce qu’à décide un communiste comme Deng Xioping à maintenir le communisme comme dictature politique mais a l’abolir comme système économique]
J’ai du mal à comprendre comment on peut maintenir « le communisme comme dictature ». Le communisme est un mode de production. Dès lors que votre économie repose sur l’exploitation du travail humain, et qu’une classe empoche une partie de la valeur produite par une autre, vous avez un mode de production capitaliste. Et cela n’a rien à voir avec l’organisation politique de la société.
[– Dans les système qui ont quasi disparu, on peut aussi citer l’aristocratie et le féodalisme (on a encore des rois à certains endroit mais le roi de droit divin avec ses seigneurs et ses manants n’existe plus que dans des pays arriérés)]
Je crois que vous confondez deux choses très différentes : dans une société, il y a d’un côté le système politique, et d’un autre le mode de production. Et même s’il y a un rapport dialectique entre les deux, ils restent bien séparés. Vous pouvez avoir un système politique monarchique, mais cela n’implique pas que le mode de production soit féodal (pensez à la Grande Bretagne du XIXème siècle…). Vous pouvez même avoir un régime démocratique et un mode de production fondé sur l’esclavage (pensez à la Grèce antique…).
Vous noterez par ailleurs que certains modes de production – c’est vrai aussi pour les systèmes politiques – peuvent disparaître à un moment donné, tout simplement parce qu’ils sont moins adaptés qu’un autre à une situation concrète, et réapparaître lorsque le contexte change. Ainsi, par exemple, le « capitalisme libéral » qui paraissait solidement établi au début du XXème siècle laisse la place à un « capitalisme d’Etat » de plus en plus marqué à la suite de la première guerre mondiale, des crises cycliques de l’entre-deux guerres puis de la deuxième guerre mondiale. Dans les années 1970, le « capitalisme d’Etat » recule pour voir le « capitalisme libéral » revenir en force…
J entendais en effet mauvais au sens economique et pas moral.
“la chute de la première expérience socialiste tient fondamentalement à son incapacité, à un moment donné, de satisfaire mieux que le capitalisme les appétits de consommation des populations”
triste a dire, mais je suppose que vous avez raison. une dictature qui permettra a la population de satisfaire ses pulsions consumeristes aura le soutient d une vaste majorité (par ex je suis sur que meme si les chinois avaient acces a des medias non censurés, ils soutiendraient Xi)
” Le communisme est un mode de production”
A mon avis c est bien plus que ca. autant le capitalisme est un mode de fonctionnement economique (c est pour ca qu on peut avoir des monarchies capitalistes, des republiques capitalistes ou des dictatures capitalistes) autant le communisme implique autre chose.
Le communisme implique que l economie est coiffee par l etat (qui va decider qui fait quoi, ou et quand). a partir de là vous avez forcement un pouvoir fort, représenté par un PC qui va décider. Et quand tout se passe pas comme prévu, la tentation est forte de considerer qu il faut contraindre les gens de faire ce qu on leur a ordonné de faire
Si tous les pays communistes se sont transformées en dictatures, c est pas un hasard.
Un systeme economique libre (aka non dirigé par l etat) est antinomique du communisme. On le voit avec la Chine où Xi a décidé de remettre au pas les dirigeants des grosses societes privées chinoises
@ cdg
[« Le communisme est un mode de production » A mon avis c’est bien plus que ça. Autant le capitalisme est un mode de fonctionnement économique (c’est pour ça qu’on peut avoir des monarchies capitalistes, des républiques capitalistes ou des dictatures capitalistes) autant le communisme implique autre chose.]
Pardon, mais vous commettez là le péché d’anachronisme. Vous comparez un mode de production à ses débuts, lorsqu’il lutte encore pour s’imposer, et un mode de production devenu largement dominant. Combien de « républiques capitalistes » au sens moderne du terme il y avait quand le capitalisme faisait ses débuts, et que les premiers états « capitalistes » étaient entourés d’états féodaux ?
[Le communisme implique que l’économie est coiffée par l’état (qui va décider qui fait quoi, ou et quand).]
Non. Le communisme – du moins pour Marx – implique au contraire le « dépérissement de l’Etat »… Je vous l’ai déjà dit, le communisme est un mode de production « idéal » sur lequel finalement il n’existe que très peu de travaux théoriques sérieux. On peut à la rigueur concevoir ce que serait une société socialiste, mais difficilement ce que pourrait être une société communiste. Par ailleurs, la socialisation des moyens de production – condition du dépassement du capitalisme – n’implique nullement que ceux-ci soient gérés par l’Etat. Certains ont décrit des projets de « socialisme autogestionnaire »…
[A partir de là vous avez forcément un pouvoir fort, représenté par un PC qui va décider. Et quand tout ne se passe pas comme prévu, la tentation est forte de considérer qu’il faut contraindre les gens de faire ce qu’on leur a ordonné de faire]
Mais n’est ce pas la même chose dans un système capitaliste ? Dès lors que le rapport de forces est favorable à la bourgeoisie, et que celle-ci domine l’Etat, qu’est ce qui l’empêche de contraindre les gens de la même manière ? Que la contrainte émane du PC ou du MEDEF, quelle différence ?
[Si tous les pays communistes se sont transformées en dictatures, c’est pas un hasard.]
Tout à fait. Ceux qui ne sont pas devenus des dictatures ont été écrasés par des interventions militaires et des blocus économiques. La seule chose dont cette « transformation » témoigne, c’est d’une forme de darwinisme social : étant donné l’ardeur de la bourgeoisie à défendre sa position et les moyens dont il dispose, le seul communisme capable de survivre est le communisme de guerre, appuyé sur une totale unité d’action. D’ailleurs, ce fut la même chose pour les premières républiques bourgeoises…
[Un système économique libre (aka non dirigé par l’état) est antinomique du communisme.]
Je trouve très drôle votre idée qu’un système est « libre » du moment où il n’est pas « dirigé par l’Etat ». Ainsi, pour vous, un régime oligarchique est « libre » ?
[On le voit avec la Chine où Xi a décidé de remettre au pas les dirigeants des grosses societes privées chinoises]
Tout à fait : en Chine, c’est le patron du PCC qui fait et défait les patrons. En France, ce sont au contraire les patrons qui font et défont les présidents. La différence ? Les statut de patron s’hérite, pas celui de secrétaire du PCC…
[Dès lors que le rapport de forces est favorable à la bourgeoisie, et que celle-ci domine l’Etat, qu’est ce qui l’empêche de contraindre les gens de la même manière ? Que la contrainte émane du PC ou du MEDEF, quelle différence ?]
La difference ? L etat de droit (Macron ne peut mettre quelqu un en prison si ca lui chante, Xi le peut ), une presse libre (Bennalla en chine serait toujours au pouvoir). Le commissaire politique d une ville peut destituer le maire de la ville quand il le veut. Le pouvoir de coercition dans une democratie est sans commune mesure avec celui que possede le PC d un pays communiste.
[étant donné l’ardeur de la bourgeoisie à défendre sa position et les moyens dont il dispose, le seul communisme capable de survivre est le communisme de guerre, appuyé sur une totale unité d’action.]
Vous croyez vraiment que la bourgeoisie souhaite la chute du communisme chinois ? Et si oui pourquoi ils ont delocalisé massivement la bas ?
Meme dans le cas de l URSS, s il est clair que l URSS a affronté un environnement hostile a ses debuts (pas forcement qu a cause de la bourgeoisie, je suppose qu en France l arret des combat en 1917 a du etre mal passé), ce n etait plus le cas après 1945 (URSS, USA et GB etaient alliés) jusqu a ce que la politique de Staline declenche la guerre froide. De meme, dans les années 70/80 l URSS etait loin d etre assiégé par les pays capitalistes et aurait pu evoluer differement, un peu comme a essayé de le faire Gorbatchev (mais la cocotte minute lui a explosé a la figure car si on eleve la cohercition tout le systeme s effondre)
[Je trouve très drôle votre idée qu’un système est « libre » du moment où il n’est pas « dirigé par l’Etat ». Ainsi, pour vous, un régime oligarchique est « libre » ]
Bien sur que non, mais vous comprenez ce que je veux dire : un marché libre n est dominé par personne et c est pour ca qu il faut casser les monopoles (publics ou privés hors des cas de monopole naturel (en va pas construire 2 voie de chemins de fer paris/lyon pour qu ils se concurrence)
[en Chine, c’est le patron du PCC qui fait et défait les patrons. En France, ce sont au contraire les patrons qui font et défont les présidents. La différence ? Les statut de patron s’hérite, pas celui de secrétaire du PCC]
Theorie audacieuse. Selon vous Macron ou Hollande ont été mit là par le Medef ? Comment expliques vous que Sarkozy n ait pu revenir malgré le soutient de Bolloré et de son «frere» Lagardère
Pour les dirigeants PCC, je suis désolé de vous decevoir, mais ca s herite aussi. On appelle ca les princes rouges. Xi par ex est le fils d un proche de Mao (Mao a un petit fils qui est réputé pour sa stupidité, il est donc juste général)
@ cdg
[La difference ? L etat de droit (Macron ne peut mettre quelqu un en prison si ca lui chante, Xi le peut),]
Il faudrait que vous disiez cela aux prisonniers de Guantanamo, ou ceux qui sont passés par les « extraordinaire renditions » en Europe. Je suis sûr que cela les fera beaucoup rire…
L’Etat de droit ? Oui, c’est une énorme conquête. Mais ne vous faites aucune illusion : vous bénéficierez de l’Etat de droit aussi longtemps que vous ne serez pas considéré comme un véritable danger pour les classes dominantes. Quand vous devenez dangereux, vous vous trouverez sur simple décision de l’exécutif enfermé dans une prison sur simple décision du président (comme à Guantanamo), torturé dans une prison clandestine en Europe (savez vous ce que c’est les « extraordinary renditions » ?) ou accusé opportunément de viol (voir affaire Assange).
Vous noterez qu’il ne s’agit pas là d’erreurs ou d’imperfections, de l’excès de zèle ou de l’incompétence d’un fonctionnaire. Il s’agit d’exemples ou le déni de droit a été une politique d’Etat, résultat d’une décision politique des plus hautes autorités, au vu et au su des citoyens.
[une presse libre (Benalla en chine serait toujours au pouvoir).]
Benalla en Chine n’aurait jamais été au pouvoir. Quant à notre « presse libre »… je vous recommande de regarder qui sont les actionnaires de nos vénérables journaux. Mais j’oubliais, les actionnaires n’exercent absolument aucune pression sur la ligne éditoriale des journaux…
[Le pouvoir de coercition dans une démocratie est sans commune mesure avec celui que possède le PC d’un pays communiste.]
Connaissez-vous l’affaire Pierucchi ? Expliquez-moi en quoi le « pouvoir de coercion » exercé sur lui avait quelque chose à envier à celui que pouvait exercer le PC d’un pays communiste ? Je pense que vous sous-estimez le pouvoir de coercion de nos états démocratiques, dès lors qu’il s’agit de défendre des intérêts puissants.
[« Étant donné l’ardeur de la bourgeoisie à défendre sa position et les moyens dont il dispose, le seul communisme capable de survivre est le communisme de guerre, appuyé sur une totale unité d’action. » Vous croyez vraiment que la bourgeoisie souhaite la chute du communisme chinois ? Et si oui pourquoi ils ont délocalisé massivement là-bas ?]
De quel « communisme chinois » me parlez-vous ? Je vous l’ai déjà dit : la Chine est un capitalisme d’Etat, pas un « communisme ». Je ne doute pas que les capitalistes voudraient la chute du « capitalisme d’Etat » chinois, et c’est pourquoi ils exercent une pression constante pour obtenir l’ouverture du marché chinois, la libre convertibilité de la monnaie, etc. Mais pourquoi chercheraient-ils a abattre un « communisme » qui n’existe plus ?
[Meme dans le cas de l’URSS, s’il est clair que l’URSS a affronté un environnement hostile à ses debuts (pas forcement qu’à cause de la bourgeoisie, je suppose qu’en France l’arret des combat en 1917 a du etre mal passé),]
Vous êtes sérieux ? Vous croyez vraiment que si les puissances occidentales sont intervenues dans la guerre civile, s’ils ont financé les armées de Wrangel, de Petlioura, soutenu la campagne polonaise de 1922, maintenu un blocus économique jusqu’aux années 1930, et finalement encouragé les régimes autoritaires (Pilsudski en Pologne, Hitler en Allemagne, Mussolini en Italie) avec l’espoir d’une ruée vers l’Est et refusé tout accord de sécurité collective c’était pour se « venger » de la paix séparée de 1917 ? Vous croyez vraiment ça ?
[ce n etait plus le cas après 1945 (URSS, USA et GB étaient alliés)]
Encore une fois, l’URSS, les USA et GB n’ont JAMAIS ETE ALLIES. Ils combattaient un ennemi commun, et se sont mis d’accord sur un certain nombre de points (exigence d’une reddition sans conditions, partage des zones d’influence). Mais aucune alliance formelle n’a été conclure.
[jusqu’à ce que la politique de Staline déclenche la guerre froide.]
Ah, bien sûr, tout est de la faute à Staline. Si seulement il avait été plus gentil (par exemple, s’il avait été capitaliste) tout cela ne serait pas arrivé… tiens, juste par curiosité, quels sont les actes politiques concrets de Staline qui ont « déclenché la guerre froide » ?
[De même, dans les années 70/80 l’URSS était loin d’etre assiégé par les pays capitalistes et aurait pu évoluer différemment, un peu comme a essayé de le faire Gorbatchev (mais la cocotte minute lui a explosé a la figure car si on eleve la cohercition tout le systeme s effondre)]
Encore une fois, j’ai du mal à croire que vous pensiez sérieusement ce que vous dites. L’embargo américain sur les grains, les discours réaganiens sur la « guerre des étoiles » (et sa célèbre bourde essayant un micro en déclarant la guerre nucléaire à l’URSS), l’aide occidentale à tous les mouvements de contestation – même les plus rétrogrades, les plus réactionnaires dans tous les pays du « glacis » soviétique, ce n’était pas un « siège » ? Je ne sais pas quel est votre âge, mais ayant vécu le néo-maccarthysme de la fin des années 1970 et du début des années 1980, je vois mal comment on peut honnêtement considérer que l’URSS vivait en 1970 dans un monde qui ne lui était pas hostile, et qu’elle aurait pu relaxer sa vigilance sans que cela soit immédiatement utilisé.
Quant à Gorbatchev… il s’est imaginé que les classes intermédiaires russes allaient le soutenir dans un retour intelligent au capitalisme. Il n’a pas compris que les occidentaux n’avaient que faire d’une Russie forte, fut-elle capitaliste. Les occidentaux voulaient une Russie faible, et pour cela l’homme idéal n’était pas Gorbatchev, mais Eltsine.
[« Je trouve très drôle votre idée qu’un système est « libre » du moment où il n’est pas « dirigé par l’Etat ». Ainsi, pour vous, un régime oligarchique est « libre » » Bien sûr que non, mais vous comprenez ce que je veux dire ( …)]
Non, je ne comprends pas. Mes capacités de divination sont particulièrement faibles en ce moment… Je vous rappelle votre expression : « Un système économique libre (aka non dirigé par l’état) (…) ». Autrement dit, pour vous « libre » et « non dirigé par l’Etat sont synonymes. Je ne vois pas très bien ce qu’il y a d’autre à « comprendre » là-dedans. Et s’il suffit de ne pas être « contrôlé par l’Etat » pour être « libre », alors il s’ensuit logiquement qu’un système oligarchique est « libre ».
[(…) : un marché libre n’est dominé par personne et c’est pour ça qu’il faut casser les monopoles (publics ou privés hors des cas de monopole naturel (en va pas construire 2 voies de chemins de fer paris/lyon pour qu’ils se concurrence)]
Excusez-moi, mais dans votre commentaire il ne s’agissait pas d’un « marché libre » mais d’un « système économique libre ».
[« en Chine, c’est le patron du PCC qui fait et défait les patrons. En France, ce sont au contraire les patrons qui font et défont les présidents. La différence ? Le statut de patron s’hérite, pas celui de secrétaire du PCC » Theorie audacieuse. Selon vous Macron ou Hollande ont été mit là par le Medef ? Comment expliques vous que Sarkozy n’ait pu revenir malgré le soutien de Bolloré et de son «frère» Lagardère]
Oh, je suis sûr que vous trouverez en Chine quelques patrons qui déplaisent personnellement au patron du PCC, mais qui pour des raisons de rapport de forces internes restent en place… Mais redevenons sérieux : je n’ai pas dit que ce soit le Medef qui choisit les présidents. J’ai dit que c’est « les patrons » – ce qui est bien entendu un raccourci pour « le bloc dominant » – qui les choisit. Et la meilleure preuve en est qu’aucun président depuis bien longtemps n’est une véritable menace pour les intérêts de celui-ci. Après, Sarkozy ou Hollande, tout le monde s’en fout : la politique est à peu de choses près la même.
Franchement, j’ai envie de connaître votre opinion : vous qui croyez que dans nos démocraties c’est le peuple qui élit ses dirigeants, comment expliquez vous que depuis un demi-siècle pas UNE SEULE FOIS on a vu l’élection produire un président qui menaçait les intérêts du « bloc dominant » ? Pas UNE SEULE FOIS ? Avouez que c’est curieux, non ?
[Pour les dirigeants PCC, je suis désolé de vous decevoir, mais ca s herite aussi. On appelle ca les princes rouges. Xi par ex est le fils d un proche de Mao (Mao a un petit fils qui est réputé pour sa stupidité, il est donc juste général)]
Xi est peut-être le fils d’un proche de Mao, mais il n’est pas le fils de Mao. Je connais des dizaines de cas de PDG dont le père était PDG. Je ne connais qu’un seul chef d’Etat « communiste » dont le père ait été chef d’Etat. Et ce n’est pas la Chine.
Bonjour Descartes,
Je n’ai pas compris cette phrase : «Et voilà pourquoi votre fille et [sic] muette ». Pouvez-vous expliquer cette référence ?
@ Ian Brossage
[Je n’ai pas compris cette phrase : «Et voilà pourquoi votre fille et [sic] muette ». Pouvez-vous expliquer cette référence ?]
La référence est de Molière (“Le médecin malgré lui”): « Qui est causée par l’âcreté des humeurs engendrées dans la concavité du diaphragme, il arrive que ces vapeurs… Ossabandus, nequeyrs, nequer, potarimum, potsa milus. Voilà justement pourquoi votre fille est muette. ».
Je suis content de vous voir écrire cela :
On sait trop peu en France que Massoud n’était pas un gentil combattant de la liberté, démocrate et laïc, et administrant les territoires conquis avec la même bienveillance pour les délinquants que ce que nous avons en France…
Je me rappelle avoir lu un livre sur l’Afghanistan dans lequel il était expliqué que la charia était appliqué de manière bien plus brutale encore dans certaines zones tenues par le Commandant Massoud, que dans les zones tenues par les talibans.
J’y avais lu que les services français avaient des correspondants aussi bien auprès des talibans qu’auprès de Massoud, et que, selon la personne qu’on interrogeait au sein des services, le “good guy” et le “bad guy” pouvaient s’inverser…
La différence entre les talibans et Massoud n’était pas tant religieuse, que Massoud qui défendait le principe d’une société tribale sur une base ethnique, et qui était opposé aux talibans, qui étaient un mélange de société tribale pachtoune (ethnie majoritaire en Afghanistan) et d’Oumma.
@ Vincent
[La différence entre les talibans et Massoud n’était pas tant religieuse, que Massoud qui défendait le principe d’une société tribale sur une base ethnique, et qui était opposé aux talibans, qui étaient un mélange de société tribale pachtoune (ethnie majoritaire en Afghanistan) et d’Oumma.]
Exact. Massoud – comme d’autres « seigneurs de guerre » comme Khan ou Dostom – étaient d’abord des leaders issues d’ethnies minoritaires, craignant de voir leur autonomie rognée par un pouvoir central fort. Les taliban, au contraire, sont issus d’une ethnie majoritaire, et n’ont pas cette crainte, d’où leur approche bien plus « universaliste » d’une communauté des croyants sans base ethnique.
Quelque part, nos gauchistes (et les USA) sont cohérents : ils préfèrent le modèle tribal et multiculturel au modèle universaliste.
Et donc, ils se battent aux côtés des chefs tribaux contre les universalistes… (les deux étant des musulmans intégristes, ça ne fait pas de différence de ce point de vue).
Cette Jeanne ne prend même pas le risque du bûcher…
@ NG
[Cette Jeanne ne prend même pas le risque du bûcher…]
Détrompez-vous… ce ne serait pas la première fois qu’au parti socialiste un candidat est dégommé par ses propres amis…
C’est vrai mais ce ne sera pas pour cette tribune grotesque et grandiloquente sur l’Afghanistan !
[ Il faut rappeler ici combien la guerre froide fut la confrontation entre un camp fondamentalement « constructif » et un autre tout aussi fondamentalement « destructif » ]
Le Printemps de Prague, vous le mettez dans le camp des constructifs ? Si oui, alors les soviétiques sont le camp des destructifs.
@ Glarrious
[Le Printemps de Prague, vous le mettez dans le camp des constructifs ? Si oui, alors les soviétiques sont le camp des destructifs.]
Seulement si vous avez un raisonnement binaire. Deux camps opposés peuvent tous deux être “constructifs”, et vouloir “construire” des choses différentes voire opposées. D’un côté, Dubcek et ses partisans voulaient “construire” une certaine société en Tchecoslovaquie. De l’autre, les soviétiques mais aussi les autres dirigeants des pays de l’Est voulaient “construire” un pacte défensif solide. A un moment donné, ces deux constructions sont apparues contradictoires, et le conflit s’est réglé par la force. Mais les forces du Pacte de Varsovie n’ont jamais eu pour objectif de dissoudre l’Etat tchécoslovaque, de refaire l’armée ou l’administration sur le modèle soviétique. Et on imagine mal les soviétiques en 1968 s’allier avec l’Opus Dei ou n’importe quel autre groupe de fanatiques religieux pour abattre Dubcek…
“Mais les forces du Pacte de Varsovie n’ont jamais eu pour objectif de dissoudre l’Etat tchécoslovaque, de refaire l’armée ou l’administration sur le modèle soviétique”
Vu que l armee, la police politique et l administration etait deja sur le modele sovietique ils avaient en effet pas besoin de les dissoudre
” Et on imagine mal les soviétiques en 1968 s’allier avec l’Opus Dei ou n’importe quel autre groupe de fanatiques religieux pour abattre Dubcek”
Vu qu ils ont utilisé leurs propres chars, les chars de l opus dei n etaient pas necessaire 😉
Par contre les USA ne pouvaient pas utiliser leurs soldats en afghanistan (ne peu comme l URSS en coree ou au vietnam). Ils ont donc utilisé ce qu ils pouvaient (en plus comme ils sont passé par les pakistanais, ils se sont fait manipuler en choisissant les pires)
Apres les sovietiques n etaient pas des enfants de coeur quand il fallait utiliser des proxy. Ils pouvaient soutenir des terroristes de la fraction armee rouge (qui avaient asile en RDA et financement de la stasi) ou ce bon colonel Kadafi
@ cdg
[“Mais les forces du Pacte de Varsovie n’ont jamais eu pour objectif de dissoudre l’Etat tchécoslovaque, de refaire l’armée ou l’administration sur le modèle soviétique” Vu que l’armée, la police politique et l’administration était déjà sur le modelé soviétique ils avaient en effet pas besoin de les dissoudre.]
Devant ce genre de clichés, je suis toujours un peu démuni. J’aurais envie de vous demandez d’où vous tirez que « l’administration ou l’armée » des différents pays de l’Est était « sur le modèle soviétique ». Vous croyez VRAIMENT qu’en une dizaine d’années on peut effacer des siècles d’histoire ? Que l’armée de la RDA par exemple était plus proche du « modèle soviétique » que du modèle Prussien ? Que les fonctionnaires Tchèques ont jeté aux orties les traditions, les pratiques, les réflexes issus de leur histoire pour adopter un modèle étranger ?
Ce qui me fascine dans votre discours, c’est qu’il prête au « soviétisme » une toute puissance quasi diabolique. Ici, vous lui prêtez la puissance de « faire table rase » de l’histoire de l’ensemble des pays de l’Est et d’avoir – et en seulement une dizaine d’années – réussi à changer non seulement les structures, mais les hommes qui les font fonctionner. Pourtant, vous savez que l’histoire montre exactement le contraire : l’administration française garde encore des pratiques, des structures, des réflexes qui datent de Colbert ou de Napoléon. Et ne parlons même pas des armées, qui conservent des traditions qui pour certaines viennent du XVème siècle. Autrement dit, les « soviétiques » auraient réussi ce qu’aucune révolution, aucune invasion n’avait réussi avant eux : modeler les structures d’un autre pays à leur image.
[”Et on imagine mal les soviétiques en 1968 s’allier avec l’Opus Dei ou n’importe quel autre groupe de fanatiques religieux pour abattre Dubcek” Vu qu’ils ont utilisé leurs propres chars, les chars de l’opus dei n’étaient pas nécessaire]
Vous avez tellement envie de débiter votre catéchisme, que vous manquez le point. La question ici n’est pas de savoir si on utilise ses propres chars ou ceux des autres, mais la nature des gens qu’on se choisit comme alliés. Le fait demeure que les Américains ont été prêts à soutenir n’importe quel mouvement – y compris les dictateurs les plus sanguinaires et les plus corrompus, les religieux les plus obscurantistes, les sectes les plus délirantes – dès lors qu’elles tapaient sur leurs ennemis. Quitte à subir des déconvenues quand ces « alliés » décidaient de retourner les armes qu’on leur avait si gentiment fourni contre leur allié d’hier. Et que la politique soviétique a été, de ce point, beaucoup plus conforme à leurs principes affichés. Je n’ai pas connaissance d’un exemple ou les soviétiques aient soutenu une secte religieuse pour embêter les Américains.
[Apres les soviétiques n’étaient pas des enfants de cœur quand il fallait utiliser des proxy. Ils pouvaient soutenir des terroristes de la fraction armee rouge (qui avaient asile en RDA et financement de la stasi) ou ce bon colonel Kadafi]
Pourriez-vous indiquer quelques références sur le « soutien aux terroristes de la fraction armée rouge », leur « asile en RDA » et leur financement par la Stasi ? Même chose pour leur « utilisation » supposée au « bon colonel Kadafi ».
Je ne crois pas qu’il existe en politique internationale des « enfants de chœur ». Et les soviétiques n’en étaient certainement pas – le régime n’aurait pas survécu 70 ans. Mais ce n’est pas une raison pour leur attribuer des péchés sans preuves…
[J’aurais envie de vous demandez d’où vous tirez que « l’administration ou l’armée » des différents pays de l’Est était « sur le modèle soviétique ». Vous croyez VRAIMENT qu’en une dizaine d’années on peut effacer des siècles d’histoire ? Que l’armée de la RDA par exemple était plus proche du « modèle soviétique » que du modèle Prussien ?]
Déjà la reference à la prusse est pas forcement bonne. L armée prussienne etait quand meme un repoussoir pour les communistes allemands : une armée dirigée par des proprietaires terriens nobles (https://fr.wikipedia.org/wiki/Junker) et auteur de la repression du soulevement spartakiste. Je doute qu ils aient eut envie de refaire une chose similaire.
Ensuite quand vous etes intégré a une alliance, surtout quand vous etes un membre mineur vous aller subit les influences : organisation, materiel, doctrine (vrai aussi pour l OTAN et l armee francaise). Par ex, il y avait des commissaires politiques dans l armee est allemande ainsi que dans celle des autres pays de l est (Ceaușescu etait un commissaire politique). La police politique est allemande (stasi) collaborait avec son homologue soviétique (dont le representant le plus connu fut Poutine)
Apres il est clair que meme si vous calquez les institutions d un pays sur les votres, que vou smettez a leur tete des gens qui vous sont fidèle, vous ne pouvez pas effacer une culture ou les sentiments. Les USA ont echoué de faire de l aghanistan une democratie parlementaire 😉 et en 1956 les soldats hongrois, à la difference des haut gradés, se sont opposé à la remise au pas soviétique (https://fr.wikipedia.org/wiki/Insurrection_de_Budapest)
[Pourriez-vous indiquer quelques références sur le « soutien aux terroristes de la fraction armée rouge », leur « asile en RDA » et leur financement par la Stasi ? ]
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fraction_arm%C3%A9e_rouge
en allemand
https://www.stasi-mediathek.de/sammlung/stasi-und-raf/?fbclid=IwAR03hD6iUz707q9XnQew8p4ESVxUxM3ENX2oPnSaVkpwpG4d05DHHDwkPrg
petit extrait
Anfang der 80er Jahre intensivierten sich die Kontakte zwischen den Terroristen und der Staatssicherheit. Die bat das um Unterstützung bei der Unterbringung von ausstiegswilligen -Mitgliedern. Überraschend machte das MfS das Angebot, diese in der DDR aufzunehmen
en Francais
Au debut des années 80 les contacts avec les terroristes et la statsi s intensifierent. Ils demandèrent un soutien pour l hebergement de membres voulant se mettre au repos. De facon surprenante la stasi leur offrit un asile en RDA
[Même chose pour leur « utilisation » supposée au « bon colonel Kadafi ».]
Le fait que Kadafi ait ete soutenu par l URSS est de notoriété publique, ainsi que son soutient a different mouvement terroristes, par ex l IRA
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arm%C3%A9e_r%C3%A9publicaine_irlandaise_provisoire
@ cdg
[« Vous croyez VRAIMENT qu’en une dizaine d’années on peut effacer des siècles d’histoire ? Que l’armée de la RDA par exemple était plus proche du « modèle soviétique » que du modèle Prussien ? » Déjà la référence à la Prusse n’est pas forcement bonne. L’armée prussienne était quand même un repoussoir pour les communistes allemands (…)]
Et alors ? L’armée tsariste était certainement un repoussoir pour les communistes soviétiques, et il n’empêche que l’armée rouge reprendra pour beaucoup les traditions de cette dernière. D’où croyez vous que vient le « pas de l’oie » ? Que c’est Trotski qui l’a inventé ?
On ne crée pas des institutions par art de magie. Pour donner à une armée ou une administration les règles et les traditions qui font sa cohésion, il faut souvent des décennies sinon des siècles. C’est pourquoi en général les régimes nouveaux, aussi « révolutionnaires » soient-ils, prennent leurs références ans les institutions anciennes, quitte à leur passer une couche de Ripolin. Le mariage républicain reprend en grande partie le mariage religieux catholique, et les fonctionnaires français échangent des notes dont la forme a été prescrite… par Colbert.
[Ensuite quand vous êtes intégré a une alliance, surtout quand vous êtes un membre mineur vous aller subit les influences : organisation, matériel, doctrine (vrai aussi pour l’OTAN et l’armée française).]
Entre « subir une influence » et « être sur le modèle » il y a tout de même une importante nuance, vous ne trouvez pas ? Pour travailler souvent avec des militaires, je peux vous assurer que les militaires polonais, britanniques et français ne sont nullement « du même modèle »…
[Par ex, il y avait des commissaires politiques dans l’Armee est allemande ainsi que dans celle des autres pays de l’est (Ceausescu était un commissaire politique).]
Alors, elles n’étaient pas organisées « sur le modèle soviétique ». Parce que les commissaires politiques dans l’armée rouge sont supprimés par un décret de Staline datant de 1942. Les généraux soviétiques avaient en effet réussi à le convaincre que la présence de cette double ligne de commandement était préjudiciable à la discipline. J’ignore quels sont les pays de l’Est qui ont inclus des commissaires politiques dans les armées, mais s’ils l’ont fait, cela prouve qu’ils ne s’organisaient pas « sur le modèle soviétique »…
[La police politique est allemande (stasi) collaborait avec son homologue soviétique (dont le représentant le plus connu fut Poutine)]
Et alors ? La police politique chilienne ou argentine ont collaboré avec les services américains pendant les dictatures de Videla et Pinochet. Doit-on conclure qu’elles fonctionnaient « sur le même modèle » ?
[« Pourriez-vous indiquer quelques références sur le « soutien aux terroristes de la fraction armée rouge », leur « asile en RDA » et leur financement par la Stasi ? » (référence wikipédia)]
Je cite le seul paragraphe o un « soutien » est mentionné : « En octobre 1980, la Stasi semble avoir aidé et financé les activités de la Fraction Armée rouge. La République démocratique allemande (RDA) accueille sur son territoire huit membres de la RAF en fuite. Parmi eux se trouve Susanne Albrecht, mêlée à l’assassinat de Jürgen Ponto, patron de la Dresdner Bank. Le régime communiste de la RDA leur octroie de nouveaux papiers d’identité. Les anciens terroristes mènent une existence tranquille jusqu’à la réunification allemande. » Donc : pour ce qui concerne le financement, on en reste à « semble avoir aidé et financé » (sans référence). Pour l’asile, on pourrait dire que la RDA a été pour la RAF ce que la France (sous la doctrine Mitterrand) pour les Brigades Rouges…
[(référence en allemand et un site des archives allemand) : « Au début des années 80 les contacts avec les terroristes et la Stasi s’intensifierent. Ils demandèrent un soutien pour l’hébergement de membres voulant se mettre au repos. De facon surprenante la stasi leur offrit un asile en RDA]
Intéressant texte, en effet. Aucune mention, là aussi, à un éventuel « financement ». Et pour ce qui concerne l’hébergement, le commentateur souligne combien est « surprenante » le fait que la RDA leur ait accordé l’asile… Je serais intéressé de savoir si l’asile en question a été accordé dans le cadre du droit d’asile…
[« Même chose pour leur « utilisation » supposée au « bon colonel Kadafi ». » Le fait que Kadafi ait ete soutenu par l URSS est de notoriété publique, ainsi que son soutient a different mouvement terroristes, par ex l IRA]
Vous savez, il y a tellement de choses qui sont « de notoriété publique » et fausses quand même… par ailleurs, dans la référence wikipédia que vous donnez sur l’IRA, je n’ai pas trouvé la moindre référence à une aide soviétique… mais peut-être est-ce tellement « évident » que cela va sans dire ?
Sur le coeur de votre sujet (Hidalgo rendue Kaboul par BHL), voici un lien vers ce qui me semble une analyse sérieuse et cohérente dont la lecture aurait pu éviter à l’éventuelle future candidate aux présidentielles de 2021 la grave erreur de vouloir se com(pro)mettre dans l’imbroglio afghan.
https://www.telos-eu.com/fr/trois-lecons-de-lafghanistan.html
@ Claustaire
[Sur le coeur de votre sujet (Hidalgo rendue Kaboul par BHL), voici un lien vers ce qui me semble une analyse sérieuse et cohérente]
Excellente analyse, en effet, mais qui est victime d’un non-dit qui nous dit beaucoup de choses. Toutes ces analyses, curieusement, font comme si l’histoire de l’intervention américaine – et plus généralement occidentale – en Afghanistan commençait en 2001. Ce qui revient à tenir pour nulles et non avenues les basses œuvres qui ont commencé dans les années 1970 pour ne s’arrêter qu’après 1992.
Or, les acteurs sur le terrain n’oublient pas. Ils savent que le discours occidental sur les droits de l’homme, sur le terrorisme, sur l’importance de la paix civile, sur la lutte contre la corruption, ne sont que des alibis. Ils se souviennent que ces groupes que les Américains combattent aujourd’hui comme « terroristes » étaient autrefois – quand leur « terrorisme » était fonctionnel aux objectifs des puissances occidentales – reçus avec honneurs à la Maison Blanche par un Reagan qui leur décernait le titre de « combattants de la liberté ». Ils se souviennent aussi comment les armes américaines ont permis de mettre à bas le dernier gouvernement progressiste issu de la société afghane – et non imposé dans le cadre d’un régime proconsulaire. Nous, nous avons oublié Najibullah, mais les Afghans non : interrogés par Radio Kaboul sur le fait de savoir quel fut en leur opinion le meilleur gouvernement que l’Afghanistan ait eu ce dernier demi-siècle, ils ont placé Najibullah en tête…
Le fait qu’un analyste sérieux comme celui que vous citez fasse l’impasse sur ce détail devrait nous interroger…
On se doute bien que pour un Etats-unien réaliste ou cynique (voire amateur de pétrole ou autres richesses) les ennemis (islamistes) de ses ennemis (communistes) peuvent devenir des alliés dans les luttes d’influence en Asie centrale. Nos démocraties libérales (ou juste prétendues telles, si vous le souhaitez) se sont bien naguère alliées au totalitarisme stalinien dans la guerre contre le nazisme.
Evidemment tout change lorsque ces “alliés” auront servi de base à une opération terroriste d’envergure internationale permettant de jeter à bas les plus prestigieux buildings dressés au coeur de votre capitale économique.
Je ne pense donc pas qu’il faille reprocher un grave oubli dans cet article qui ne revient pas sur toute l’histoire moderne de l’Afghanistan mais n’analyse que ce qui s’est passé depuis l’intervention américaine en Afghanistan, après le 11 septembre 2001.
@ Claustaire
[Nos démocraties libérales (ou juste prétendues telles, si vous le souhaitez) se sont bien naguère alliées au totalitarisme stalinien dans la guerre contre le nazisme.]
Très, très tardivement. Pendant des années, nos « démocraties libérales » ont au contraire refusé toute alliance défensive avec l’URSS, et encore moins une alliance offensive « contre le nazisme ». En 1938, lorsque l’URSS offre son aide à la Tchecoslovaquie, nos « démocraties libérales » encouragent la Pologne dans son refus de laisser les troupes soviétiques traverser son territoire pour aller au secours du gouvernement de Prague. En 1939, la France et la Grande-Bretagne envisagent… d’entrer en guerre contre l’URSS en intervenant dans le conflit finno-soviétique. Il faut dire qu’à cette époque, les « démocraties libérales » espéraient qu’Hitler prenne la route de l’Est et les débarrasse de l’ours soviétique, et voyaient dans les régimes autoritaires un excellent vaccin contre le « virus communiste ».
Il a fallu attendre que la France soit vaincue et la Grande Bretagne bombardée pour que ces deux puissances admettent enfin la possibilité d’une coopération – et non d’une alliance – avec l’URSS. Quant aux Etats-Unis, sans Pearl Harbour et Stalingrad… Et encore : même si on parle des « alliés » ou des « puissances alliées », aucun traité formel d’alliance n’a jamais été signé. Tout au plus des accords fixant les « buts de guerre » et le partage des zones d’influence après le conflit.
[Je ne pense donc pas qu’il faille reprocher un grave oubli dans cet article qui ne revient pas sur toute l’histoire moderne de l’Afghanistan mais n’analyse que ce qui s’est passé depuis l’intervention américaine en Afghanistan, après le 11 septembre 2001.]
Disons que c’est un peu comme si vous écriviez l’histoire de l’Europe depuis 1946 sans jamais parler de la deuxième guerre mondiale. Si vous lisiez un ouvrage qui prendrait ce parti-là, vous ne seriez pas tenté de vous demander le pourquoi de ce choix ?
Pour ma part, pour la période 1914-1945, je ne me ferai l’avocat ni de l’URSS, ni de l’Angleterre, ni de la France, ni de l’Italie, ni des USA, ni de bien d’autres, qui ne furent, ni les uns ni les autres, des modèles de vertu, de générosité, de courage ou d’humanisme. Mais si avec l’URSS vous aviez trouvé un parangon de générosité internationale et d’assistance humaniste à des voisins en difficultés, réjouissez-vous de pouvoir vous consoler de l’humanité moderne ainsi illustrée.
Désolé aussi de vous entraîner si loin en arrière de votre sujet d’actualité incriminant, sans doute avec raison, une très mauvaise initiative de Mme Hidalgo.
@ Claustaire
[Mais si avec l’URSS vous aviez trouvé un parangon de générosité internationale et d’assistance humaniste à des voisins en difficultés, réjouissez-vous de pouvoir vous consoler de l’humanité moderne ainsi illustrée.]
Vous voulez à tout prix me faire dire ce que je n’ai jamais dit. Je n’ai jamais parlé de « générosité » à propos de l’URSS. Quand j’ai dit que l’URSS a proposé de soutenir militairement la Tchécoslovaquie en 1938, je me suis volontairement abstenu de juger des motifs de cette offre. Je ne sais pas si c’était un acte de pure générosité, ou bien la réaction logique d’un Etat qui avait tout à craindre du nazisme et qui ne souhaitait pas le voir s’approcher de ses frontières ou prendre plus de puissance en Europe.
Si vous lisez mes papiers, vous devriez maintenant être habitué à ma logique : j’évite, autant que faire se peut, les jugements de valeur. Parce que je suis persuadé que le débat doit se centrer sur les faits, et non sur les choix moraux de chacun d’entre nous.
Excellent article bien que trop gentil avec BHL ! Plutôt que “guerrier froid”, je l’aurais résumé en “guerrier cynique mythomane et prétentieux”
Je me demande toujours comment ce type arrive encore à nous imposer ses discours fumeux et pseudo-idéalistes après plus de 40 ans d’échecs en tous genres. Il a certes un grand pouvoir d’influence germanopratine
Je me demande aussi si on ne peut pas le comparer avec les idéologues à la Karadzic qui ont conduit des pays à des désastres militaires et humanitaires. Karadzic était un nationaliste et BHL ne se définit pas comme tel mais y a-t-il une différence finalement quant au résultat ?
@ Ovni de Mars
[Excellent article bien que trop gentil avec BHL ! Plutôt que “guerrier froid”, je l’aurais résumé en “guerrier cynique mythomane et prétentieux”]
Mais c’eut été là un jugement ad hominem, et vous savez que j’évite cela chaque fois que je le peux. Parler de la personnalité de BHL n’a à mon avis de l’intérêt que si l’on veut comprendre comment un tel personnage a pu acquérir une telle influence, médiatique et politique. Pourquoi des gens à priori dotés d’une intelligence politique au-dessus de la moyenne ont suivi – et continuent à suivre, l’exemple d’Anne Hidalgo est de ce point de vue éclairant – ses injonctions.
[Je me demande toujours comment ce type arrive encore à nous imposer ses discours fumeux et pseudo-idéalistes après plus de 40 ans d’échecs en tous genres. Il a certes un grand pouvoir d’influence germanopratine.]
C’est simple : il a un grand pouvoir médiatique, et donc un grand pouvoir de nuisance. Les politiques ne l’apprécient pas forcément, mais ils en ont peur. C’est d’ailleurs le secret de la puissance aujourd’hui. Pensez à un Nicolas Hulot : qu’a-t-il fait dans la vie, à part animer des émissions de télévision et créer une marque de cosmétiques ? Ses écrits sont un ramassis de platitudes. Son action politique se limite à un magistère de la parole qui de par son idéalisme n’a jamais abouti et ne peut aboutir à quoi que ce soit de concret. Et pourtant, il a un poids suffisant pour être nommé ministre, pour que le président le courtise.
[Je me demande aussi si on ne peut pas le comparer avec les idéologues à la Karadzic qui ont conduit des pays à des désastres militaires et humanitaires. Karadzic était un nationaliste et BHL ne se définit pas comme tel mais y a-t-il une différence finalement quant au résultat ?]
Il y a une grande différence : Karadzic n’était pas qu’un idéologue. C’était un militant politique, député, chef de parti puis président de la « république serbe de Bosnie ». Autrement dit, il a agi politiquement lui-même et assumé les responsabilités qui vont avec. BHL n’a jamais vraiment assumé la responsabilité d’une décision politique. Se contentant du rôle d’idéologue, il peut toujours cacher ses bourdes derrière l’argument que ses conseils ont été mal suivis.
Peut-être que Mme Hidalgo aurait dû regarder cette vidéo: https://youtu.be/T2lkC2bvwDg.Il me semble qu’elle est (la vidéo et non Mme Hidalgo) un complément utile à votre contribution. Votre analyse serait opportune.
@ Esclarmonde
[me semble qu’elle est (la vidéo et non Mme Hidalgo) un complément utile à votre contribution. Votre analyse serait opportune.]
La vidéo est intéressante… autant pour ce qu’elle dit que pour ce qu’elle ne dit pas. Vous remarquerez que Chaliand ne parle pas un instant dans sa vidéo des intérêts économiques. Le pétrole, les matières premières, le contrôle des marchés… on a l’impression que cela n’a aucune importance. Que les conflits internationaux ne sont qu’une confrontation de “causes” (avec la question sous-jacente “est on prêt à mourir pour une cause”)…
Personnellement, je pense que cela le fait manquer un élément d’analyse essentiel: la guerre est de moins en moins le lieu d’enjeux économiques. Quand les puissances européennes perdent leurs colonies après 1945, celles-ci ont cessé depuis longtemps d’être véritablement rentables. Une victoire américaine dans les guerres d’Irak ou d’Afghanistan n’aurait guère enrichi les USA. Avec les mutations de l’économie, les guerres coloniales ont perdu leur intérêt. Et les puissants intérêts économiques qui autrefois investissaient dans la guerre s’en désintéressent. C’est dans ce désintérêt, et non dans un manque de volonté qu’il faut à mon avis chercher l’origine des défaites “occidentales”.
Bonsoir,
J’ai trouvé intéressants les témoignages de ce jeune réfugié :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/bas-rhin/strasbourg-0/recit-je-deteste-les-talibans-mais-dans-mon-village-leur-arrivee-a-ete-un-soulagement-raconte-un-ancien-refugie-2230483.html
« Moi je suis démocrate, je déteste les talibans et tout ce qu’ils représentent mais vous savez dans mon village et dans les campagnes, leur arrivée a été un soulagement. Après quarante ans de guerre, le peuple est épuisé, il n’aspire qu’à une seule chose : la sécurité et la stabilité. Et les talibans sont garants de ça, une certaine paix. »
… et de cette autre jeune réfugiée (qui idéalise peut-être un peu la politique extérieure de la France ?) :
https://www.ouest-france.fr/monde/afghanistan/temoignage-accueillie-a-piriac-sur-mer-la-jeune-footballeuse-afghane-deteste-la-burqa-4333f084-0d64-11ec-82a5-f0d05d472285
« Les Américains m’ont proposé de prendre un avion. Pas question ! Je déteste ce pays qui a détruit l’Afghanistan pendant vingt ans, qui a supporté les talibans, qui a dépensé 1 000 milliards de dollars, pas pour reconstruire mais pour détruire. Les Français, eux, ont aidé à reconstruire. J’ai reçu une recommandation de l’ambassade de France et nous avons pu partir. »
@ Ian Brossage
[J’ai trouvé intéressants les témoignages de ce jeune réfugié : (…)]
Personnellement, je me méfie des « témoignages » de ce genre. D’une part, parce qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. La crise du Covid-19 a montré amplement qu’il est facile à un journaliste de trouver un « témoin » pour dire à peu près n’importe quoi, d’autant plus dans une situation où le « témoin » se trouve en situation de faiblesse et cherche à plaire, donc à dire ce que l’autre veut entendre. Ces témoignages ne servent donc qu’à manipuler le lecteur : au lieu d’écrire ce qu’il pense, le journaliste se trouve un « témoin » qui, parce qu’il est censé avoir vécu la situation, sera beaucoup plus crédible. Mais les opinions exprimées sont celles du journaliste, pas du « témoin ».
[« Moi je suis démocrate, je déteste les talibans et tout ce qu’ils représentent mais vous savez dans mon village et dans les campagnes, leur arrivée a été un soulagement. Après quarante ans de guerre, le peuple est épuisé, il n’aspire qu’à une seule chose : la sécurité et la stabilité. Et les talibans sont garants de ça, une certaine paix. »]
Cela étant dit, je ne suis pas étonné que des gens qui ne sont en principe pas favorables aux Taliban soient « soulagés » de leur arrivée. Contrairement à ce qu’affiche une partie de nos élites politico-médiatiques, j’ai toujours pensé que la paix civile est un bien en soi, qu’un mauvais ordre vaut toujours mieux que le chaos, et qu’il faut réfléchir à deux fois avant de prendre le risque de la guerre civile. Les Taliban ont gagné en 1996 parce qu’ils offraient une alternative « ordonnée » au chaos du régime des « seigneurs de la guerre » installé en 1992. Et l’histoire se répète aujourd’hui : mieux vaut l’ordre répressif des Taliban que le désordre et la corruption du proconsulat américain. Et ceux qui chez nous expliquent qu’il faut prolonger la guerre civile sont des irresponsables.
[… et de cette autre jeune réfugiée (qui idéalise peut-être un peu la politique extérieure de la France ?) :]
Et surtout, qui falsifie les faits. Dans l’entretien, la « jeune réfugiée » dont le journaliste nous dit qu’elle a vingt-cinq ans raconte que « J’ai appris le foot à l’âge 6 ans, j’étais réfugiée au Pakistan durant l’occupation soviétique ». Or, comme les soviétiques ont quitté l’Afghanistan en 1989, c’est-à-dire il y a trente-deux ans, c’est matériellement impossible. Si elle était réfugiée au Pakistan pendant une « occupation », cela ne peut être que « l’occupation » américaine…
Ce genre d’incohérences jette le doute sur la sincérité du témoignage, et suggère que la « réfugiée » en question est en train de dire ce que le journaliste veut entendre. Le thème de « l’occupation soviétique » est un des leitmotivs des médias français. C’est très drôle, d’ailleurs : on parle « d’occupation soviétique » alors que les Soviétiques sont entrés à la demande du gouvernement du pays, on ne parle jamais « d’occupation américaine » alors que les Américains ont renversé le gouvernement en place et l’ont remplacé par un régime proconsulaire…
[Personnellement, je me méfie des « témoignages » de ce genre.]
Je me souviens qu’il y a quelques années, des journalistes faisant un micro-trottoir sur un marché de province en période électorale avaient demandé son avis à une petite vieille bien comme il faut, avec cabas et tout. Elle leur avait répondu quelque chose du style “moi de toute façon je vote pas, je suis anarchiste et je conchie ce système bourgeois pourri !”
Que cette brave dame fût dotée d’un sens de l’humour ravageur ou pas, cela illustre parfaitement le fait qu’un individu particulier pris au hasard ne saurait représenter un groupe…
@ BolchoKek
[Que cette brave dame fût dotée d’un sens de l’humour ravageur ou pas, cela illustre parfaitement le fait qu’un individu particulier pris au hasard ne saurait représenter un groupe…]
Exactement. L’erreur qui consiste à prendre l’exceptionnel pour exemplaire a toujours existé, mais les médias audiovisuels avec leur “effet de réalité” rendent cette erreur encore plus fréquente. Il faut donc marteler: un témoignage d’opinion peut ILLUSTRER un raisonnement où une statistique, mais il ne DEMONTRE absolument rien.
@Descartes
Bien vu… mais plus probablement, c’est un problème de transcription. Au moment de retranscrire des propos tenus à l’oral, les journalistes prennent souvent quelques libertés, surtout lorsqu’il ne s’agit pas d’une personne publique. Peut-être a-t-elle simplement dit « l’occupation » et le journal a cru bien faire en ajoutant une précision… fausse. J’ajoute qu’on peut difficilement soupçonner cette personne de vouloir épargner l’image des États-Unis, vu ce qu’elle en dit par ailleurs.
D’où l’explication la plus probable : une réécriture du journal. Ce qui jette effectivement un doute sur l’exactitude du témoignage.
Bonjour Descartes
[Lorsque vous voulez bâtir, vous ne pouvez vous allier qu’avec ceux qui veulent à peu près la même chose que vous. Mais lorsque vous voulez détruire, toute alliance est bonne dès lors que vous partagez le même ennemi. C’est ainsi que du côté bourgeois on se trouva avec d’étranges compagnons de lit.]
Les communistes aussi vous savez, pouvaient se retrouver avec d’étranges compagnons de lit. Le nationalisme du FLN a bien plus à voir avec la guerre sainte que la lutte des classes et pourtant ça n’a pas empêché l’URSS de lui apporter son soutien durant la guerre d’Algérie. N’oublions pas que les fellagas algériens portent le titre de moudjahid!
[C’eut été impossible, parce que les régimes soutenus par les Américains sont des régimes proconsulaires : le leader local n’existe que par la grâce de la puissance tutélaire. On ne trouve pas d’équivalent dans le camp soviétique : même en Afghanistan, le régime soutenu par les soviétiques tiendra trois ans après leur retrait. A comparer aux derniers évènements…]
Comment expliquez-vous qu’après le discours de Mikhaïl Gorbatchev du 7 décembre 1988 à l’ONU, l’année suivante les régimes communistes du pacte de Varsovie sont tous tombés les uns après les autres comme des châteaux de cartes ?
[Ainsi par exemple, le « Palais de la République » qui était le siège du parlement de la RDA et dont la qualité architecturale était reconnue internationalement, a été laissé à l’abandon puis détruit.]
Il a été construit où der Palast der Republik ? Dans une ancienne prairie ?
@ François
[Les communistes aussi vous savez, pouvaient se retrouver avec d’étranges compagnons de lit. Le nationalisme du FLN a bien plus à voir avec la guerre sainte que la lutte des classes et pourtant ça n’a pas empêché l’URSS de lui apporter son soutien durant la guerre d’Algérie.]
Pardon, mais pourriez-vous donner une référence précise de l’aide fournie par l’URSS au FLN pendant la guerre d’Algérie ? Relisez vos classiques : ce sont les Américains – et non pas les Soviétiques – qui à partir de 1945 ont soutenu les mouvements nationalistes luttant pour l’indépendance des anciennes colonies, de manière à casser le pouvoir des anciens empires coloniaux et absorber plus facilement les nouveaux états issus de la décolonisation dans l’orbite américaine. Ce n’était d’ailleurs que la continuité d’une doctrine bien plus ancienne, la doctrine Monroe, en application de laquelle les Etats-Unis avaient aidé les états des Amériques à secouer le joug espagnol ou portugais.
C’est drôle : pendant des années, la bienpensance de gauche a reproché au PCF – et par élévation aux soviétiques – leur engagement insuffisant contre le colonialisme. Combien de fois, jeune militant, je me suis vu reprocher le vote des communistes en faveur de Guy Mollet… me voir reprocher maintenant en tant que communiste un engagement aveugle en faveur du FLN, avouez que c’est ironique. En fait, les soviétiques ne viendront soutenir le gouvernement algérien qu’une fois la guerre terminée – et surtout après le remplacement de Ben Bella par Boumediène.
[N’oublions pas que les fellagas algériens portent le titre de moudjahid!]
Déjà à l’époque, les Américains étaient prêts à soutenir n’importe qui pourvu qu’ils tirent dans la bonne direction. Le FLN affaiblissait la France, la seule ancienne puissance qui refusait de se soumettre. Les fellagas algériens, moudjahidines ou pas, méritaient donc un soutien qui d’ailleurs faisait enrager De Gaulle…
[« C’eut été impossible, parce que les régimes soutenus par les Américains sont des régimes proconsulaires : le leader local n’existe que par la grâce de la puissance tutélaire. On ne trouve pas d’équivalent dans le camp soviétique : même en Afghanistan, le régime soutenu par les soviétiques tiendra trois ans après leur retrait. A comparer aux derniers évènements… » Comment expliquez-vous qu’après le discours de Mikhaïl Gorbatchev du 7 décembre 1988 à l’ONU, l’année suivante les régimes communistes du pacte de Varsovie sont tous tombés les uns après les autres comme des châteaux de cartes ?]
J’avoue que je saisis mal le sens de votre question. Quel rapport entre l’évènement que vous citez et la logique « proconsulaire » du régime ? Les régimes installés par les américains sont « proconsulaires » au sens que le véritable pouvoir – sur les affaires intérieures comme sur les affaires extérieures – réside dans le représentant américain dans le pays, et non dans le gouvernement censé être en poste. Vous savez comment on savait dans certains pays d’Amérique latine qu’un coup d’Etat était imminent ? Parce que les commandants en chef de l’armée, de la marine, de l’armée de l’air étaient invités à diner par l’ambassadeur des Etats-Unis. Les régimes de l’Europe orientale n’ont jamais été « proconsulaires ». En dehors des questions regardant la défense ou les relations extérieures, les gouvernements locaux gouvernaient vraiment. Un Ceaucescu, un Kadar ou un Honecker n’allaient pas demander des instructions chez l’ambassadeur soviétique avant de prendre chaque décision.
[« Ainsi par exemple, le « Palais de la République » qui était le siège du parlement de la RDA et dont la qualité architecturale était reconnue internationalement, a été laissé à l’abandon puis détruit. » Il a été construit où der Palast der Republik ? Dans une ancienne prairie ?]
Si ma mémoire ne me trompe pas, sur un amas de ruines laissé par les bombardements de la seconde guerre mondiale. Pas besoin d’aller chercher très loin du foncier à Berlin, à cette époque…
Si vous ne disposez pas, Descartes, de liens fiables donnant aisément accès à des documents le prouvant (par exemples vos “classiques”), vous aurez du mal à convaincre que l’URSS ne se mêla pas beaucoup plus que les USA d’assistance aux divers Fronts de Libération Nationale ou d’Indépendance qui s’épanouirent notamment dans le monde arabe et en Afrique après guerre, en vue d’affaiblir le monde colonialiste et capitaliste occidental.
@ Claustaire
[Si vous ne disposez pas, Descartes, de liens fiables donnant aisément accès à des documents le prouvant (par exemples vos “classiques”), vous aurez du mal à convaincre que l’URSS ne se mêla pas beaucoup plus que les USA d’assistance aux divers Fronts de Libération Nationale ou d’Indépendance qui s’épanouirent notamment dans le monde arabe et en Afrique après guerre, en vue d’affaiblir le monde colonialiste et capitaliste occidental.]
J’attire votre attention sur le fait que l’échange entre François et moi concernant l’aide au FLN, et non “aux divers fronts de libération nationale etc.”. Mes “classiques” étant sur du papier, j’aurais du mal à vous donner des “liens fiables”. Je peux tout de même vous indiquer quelques références: “Histoire de la guerre d’Algérie” (Yves Michaud) et “La république des contradictions” et “la République des choix” de Georgette Elgey. Je vous renvoie aussi aux contacts d’Allen Dulles avec le FLN lorsque le gouvernement de Mao annonça qu’il se tenait prêt à assister les nationalistes algériens. Les dirigeants algériens rassurèrent pleinement Dulles en lui indiquant qu’ils n’avaient aucune intention d’établir des liens avec les communistes. Vous noterez d’ailleurs que le FLN ouvrit un bureau à Washington, mais pas à Moscou…
Je n’ai jamais dit que l’URSS n’ait pas soutenu des “Fronts de libération nationale”. Elle le fit… mais seulement lorsqu’ils étaient proches du mouvement communiste. A ma connaissance, l’URSS n’a jamais soutenu des fanatiques religieux ou des néolibéraux…
@Descartes
[[Les communistes aussi vous savez, pouvaient se retrouver avec d’étranges compagnons de lit. Le nationalisme du FLN a bien plus à voir avec la guerre sainte que la lutte des classes et pourtant ça n’a pas empêché l’URSS de lui apporter son soutien durant la guerre d’Algérie.]
Pardon, mais pourriez-vous donner une référence précise de l’aide fournie par l’URSS au FLN pendant la guerre d’Algérie ?]
« C’est dans le cadre du renouvellement des modalités d’affrontement entre puissances évoqué précédemment qu’il faut resituer l’action soviétique à destination de l’Algérie. Des contacts avec le FLN sont établis dès 1956 et à partir de 1958 le soutien soviétique à la révolution algérienne se renforce, sur fond de différend sino-soviétique naissant⁴. Mais l’attitude soviétique à l’égard du conflit n’est pas dénuée de paradoxes et d’ambiguïtés : ainsi l’URSS ne peut à la fois encourager ouvertement la lutte du FLN pour l’indépendance et entretenir de bonnes relations avec la France ; or la politique française, en laquelle Moscou voit un possible facteur de fragilisation et d’assouplissement de l’alliance atlantique, recueille les faveurs du Kremlin. C’est malgré ses condamnations anticolonialistes et ses plaidoyers en faveur du droit des peuples colonisés à disposer d’eux mêmes, la position de l’URSS reste prudente : tout en poursuivant ses livraisons d’armes clandestines au FLN, l’État soviétique préfère une solution franco-algérienne négociée, telle que l’autodétermination du peuple algérien évoquée par le général de Gaulle dans son discours du 16 septembre 1959 permet de l’entrevoir. Cette relative temporisation déchaîne les foudres de la Chine, engagée dans une surenchère prônant la lutte armée et non la négociation : la question lui fournit son meilleur argument dans la dénonciation du révisionnisme khrouchtchévien. Ce n’est qu’en octobre 1960 que les autorités soviétiques se décident à reconnaître de facto le GPRA⁵, imitant ainsi le geste effectué par Pékin deux années auparavant.
[4] Pour l’analyse des étapes de l’implication de l’URSS dans la guerre d’indépendance algérienne et leur lien avec le conflit sino-soviétique, voir Hadhri Mohieddine, L’URSS et le Maghreb de la Révolution d’octobre à l’indépendance de l’Algérie, 1917-1962, Paris, 1985, 211 p., pp. 160-167.
[5] Sur les motivations de cette reconnaissance – liée à une crispation des rapports franco-soviétiques et une détérioration du dialogue avec les États-Unis sur la question allemande en raison de l’affaire de l’U-2 – voir Hadhri Mohieddine, op. cit., pp. 165-166. »
Les relations militaires entre l’Algérie et l’URSS, de l’indépendance aux années 1970
https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2007_num_94_354_4252
[Relisez vos classiques : ce sont les Américains – et non pas les Soviétiques – qui à partir de 1945 ont soutenu les mouvements nationalistes luttant pour l’indépendance des anciennes colonies, de manière à casser le pouvoir des anciens empires coloniaux et absorber plus facilement les nouveaux états issus de la décolonisation dans l’orbite américaine.]
Personnellement, on m’a expliqué que les deux superpuissances de l’époque voulaient dégager les puissances coloniales : les uns (USA) par intérêt économique, les autres (URSS) par intérêt idéologique.
[C’est drôle : pendant des années, la bienpensance de gauche a reproché au PCF – et par élévation aux soviétiques – leur engagement insuffisant contre le colonialisme.]
Ah mais je ne fais pas partie de la bienpensance de gauche vous savez ! (Tout comme je ne suis également pas un atlantiste). Et personnellement j’ai cru comprendre que les communistes étaient actifs dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, notamment via le PCA.
[[N’oublions pas que les fellagas algériens portent le titre de moudjahid!]
Déjà à l’époque, les Américains étaient prêts à soutenir n’importe qui pourvu qu’ils tirent dans la bonne direction.]
Au vu de l’extrait que j’ai mis plus haut, ce fut le cas également pour les soviétiques.
[J’avoue que je saisis mal le sens de votre question. Quel rapport entre l’évènement que vous citez et la logique « proconsulaire » du régime ? Les régimes installés par les américains sont « proconsulaires » au sens que le véritable pouvoir – sur les affaires intérieures comme sur les affaires extérieures – réside dans le représentant américain dans le pays, et non dans le gouvernement censé être en poste.]
Je voulais juste dire que sans assistance militaire soviétique, les pays du pacte de Varsovie n’ont pas significativement tenu plus longtemps que le régime Afghan après le retrait des troupes US.
[Si ma mémoire ne me trompe pas, sur un amas de ruines laissé par les bombardements de la seconde guerre mondiale. Pas besoin d’aller chercher très loin du foncier à Berlin, à cette époque…]
@ François
[« Pardon, mais pourriez-vous donner une référence précise de l’aide fournie par l’URSS au FLN pendant la guerre d’Algérie ? » « (…) C’est malgré ses condamnations anticolonialistes et ses plaidoyers en faveur du droit des peuples colonisés à disposer d’eux mêmes, la position de l’URSS reste prudente : tout en poursuivant ses livraisons d’armes clandestines au FLN, l’État soviétique préfère (…) »]
Le problème, c’est qu’on a toujours ce genre vagues allusions à des « livraisons d’armes clandestines », mais aucune référence PRECISE. Quelles armes ont été livrées ? En quelle quantité ? Quand et comment ? A quel groupe précisément ? Et où sont les documents – ou témoignages – qui l’attestent ? Tant qu’on n’a pas ces éléments, on serait toujours dans la rumeur et le « on dit que ». Vous noterez d’ailleurs un petit paradoxe : pendant des années, la « gauche bienpensante » a dénoncé à cor et à cri les positions « tièdes » du PCF qui refusait de soutenir le FLN – contrairement aux héroïques « porteurs de valises ». Et maintenant on découvre que les soviétiques – sur lesquels le PCF était aligné – ont livré des armes et du soutien au FLN ?
[« C’est drôle : pendant des années, la bienpensance de gauche a reproché au PCF – et par élévation aux soviétiques – leur engagement insuffisant contre le colonialisme. » Ah mais je ne fais pas partie de la bienpensance de gauche vous savez !]
Je sais, je sais… le reproche ne vous était pas adressé. Je voulais vous faire remarquer que selon d’où souffle le vent, on reprochera à l’URSS ou aux communistes tout et son contraire. Dans les années 1970, quand les « porteurs de valises » étaient des héros, on dénonçait le refus de la galaxie communiste de soutenir le FLN ou d’avoir laissé mourir le Che. Aujourd’hui, parce que par analogie avec les Taliban ce genre de soutien sent le soufre, on les accusera exactement du contraire…
[Et personnellement j’ai cru comprendre que les communistes étaient actifs dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, notamment via le PCA.]
Contrairement à la légende qui veut que le PCF ait été un parti monolithique, le conflit algérien avait ouvert des débats très importants au sein du PCF/PCA, qui traduisent plus largement la position ambiguë des communistes sur la question nationale. Il y avait aussi la méfiance des communistes envers la logique « foquiste » dans laquelle une minorité armée se substituait à l’action de la masse. Certains communistes ont milité pour l’indépendance – sans pour autant se rapprocher du FLN, dont la direction était farouchement anticommuniste.
[Je voulais juste dire que sans assistance militaire soviétique, les pays du pacte de Varsovie n’ont pas significativement tenu plus longtemps que le régime Afghan après le retrait des troupes US.]
Il n’y a pas de symétrie entre les deux situations. En 1989, le bloc socialiste s’est effondré DANS SON ENSEMBLE. La chute des gouvernements socialistes dans les pays de l’Est est le résultat du MEME processus qui a provoqué la chute du gouvernement socialiste en URSS. Dans le cas Afghan, on ne voit pas le gouvernement de Bidden laisser la place aux Taliban à Washington.
[« Si ma mémoire ne me trompe pas, sur un amas de ruines laissé par les bombardements de la seconde guerre mondiale. Pas besoin d’aller chercher très loin du foncier à Berlin, à cette époque… » (référence au site de l’association pour la reconstruction du château)]
Merci beaucoup de cette référence. Je ne peux résister la tentation de reproduire les textes qui s’y trouvent :
« Tant que l’on ne m’empêchera pas de parler par la violence, je n’arrêterai pas de protester contre cette décision et pas comme ressortissant de l’ouest mais plutôt comme un fils de l’est qui se sent intimement lié à Berlin et à sa culture et qui s’efforce de donner un contrepoids aux questions culturelles à l’est, en ce qui concerne les héritages artistiques de qualité comme le château de Berlin”
(Pr. Dr. Richard Hamann, Doyen de la faculté d’Histoire de l’art de l’université Humboldt est-berlinoise 1950) »
« Compte tenu de l’importance du château sur les plans artistique, historique, urbain et social à l’échelle européenne, compte tenu de son rôle de témoin architectural sur cinq siècles, l’académie allemande des sciences rejette l’idée d’une destruction planifiée et définitive du château. L’académie intervient dans le cadre de ses compétences et de son devoir pour participer à la protection des biens culturels du peuple allemand en général et en particulier à l’entretien des monuments. Entre autres biens importants sous sa tutelle, le château de Berlin est l’une de ses priorités.
(Professeur Johannes Stroux, Président de l’académie des sciences de Berlin Est, 1950) »
Deux hauts fonctionnaires de la RDA qui s’exprimaient publiquement contre les décisions du secrétaire général du Parti, Walter Ulbricht ? Et moi qui croyait que la Stasi veillait…
ps: j’avais envoyé ce commentaire hier mais ne le voyant pas apparaître …
@ Esclarmonde
[ps: j’avais envoyé ce commentaire hier mais ne le voyant pas apparaître …]
Lorsque vous proposez un commentaire avec un lien vidéo, je me fais un devoir de regarder la vidéo en question avant de le valider. Et comme je n’aime pas regarder des vidéos, la validation prend souvent bien plus de temps que lorsque c’est un commentaire ne contenant que des textes. Que voulez-vous, le dinosaure qui vous parle est avant tout un dinosaure de l’écrit…
pas de soucis, prenez votre temps ! tic tac tic tac tic tac ⏰
Ce qui est interessant ici est pas ce que raconte Hidalgo. Apres tout elle n est que maire de Paris et ne sera jamais elue president (meme si ca montre à quel niveau est tombé le PS pour n avoir plus qu Hidalgo comme candidate)
Ce qui est interessant a mon avis, c est l aveuglement vis à vis de l afghanistan. Apparement personne n arrive a admettre que les afghans veulent vivre sous un regime islamiste. C est ainsi qu une armée moderne a été vaincue par une troupe de va nu pieds (ce n est pas qu une image, dans certains photos publiees par la presse, vous avez des talibans armés mais sans chaussures …).
Certains ont du mal a comprendre qu on rejette nos valeurs, qu on nous considerent comme faible et decadents et qu ils ne veulent pas nous ressembler.
Meme maintenant on a dans nos journaux des pages sur les opposants aux talibans (aujourd hui encore un article d une femme ex deputée https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/07/afghanistan-les-talibans-veulent-faire-croire-qu-ils-ont-change_6093719_3210.html) qui ne represente rien mais rien sur les vainqueurs qui si ca se trouve representent la majorité des habitants du pays vu la vitesse de la conquete.
D ou les tirades d Hidalgo/BHL mais aussi de notre hote sur Massoud («chef de guerre retrograde»)
Je ne vais pas reprocher a notre hote de faire l eloge des communistes, c est bien d etre fidèle. Mais il faut etre objectif.
Si on reproche aux USA d avoir armé des islamistes via le Pakistan pour affaiblir l URSS, il faut aussi reprocher aux soviétiques d avoir armés les khmers rouges via la chine afin d affaiblir les USA
Pour le palais de la republique à Berlin (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:19860503400NR_Berlin_Palast_der_Republik_Marx-Engels-Platz.jpg?uselang=fr), je suis pas compétant pour juger si ca valait la peine de la garder (perso je trouve ce genre de bâtiment moderne assez laid). Par contre vous auriez pu signaler qu il a été construit sur les ruines d un chateau. Chateau que les communistes de l epoque detestaient car symbole du royaume de prusse et qu ils ont rasé
PS :
– j ai eut cette reflection sur notre decadence de la part de chinois : le LBGT+ ne fait pas des emules partout
– Tito (ou les albanais) purent rompre avec l URSS car aucune troupe sovietique n y stationnait. Les hongrois et plus tard les tcheques n eurent pas cette chance
@ cdg
[Ce qui est intéressant ici est pas ce que raconte Hidalgo. Après tout elle n’est que maire de Paris et ne sera jamais élue président (même si ça montre à quel niveau est tombé le PS pour n’avoir plus qu’Hidalgo comme candidate)]
Méfiez-vous. On était nombreux à dire que « Hollande n’a aucune chance ». Et on a vu le résultat. Cela étant dit, le contenu de la tribune est moins intéressant que le fait qu’elle ait été publié par le journal qui se prétend « de référence », par la référence obsessionnelle au parrainage de Bernard-Henri Lévy, et par l’absence totale de réalisme politique.
[Ce qui est intéressant à mon avis, c’est l’aveuglement vis à vis de l’Afghanistan. Apparemment personne n’arrive à admettre que les afghans veulent vivre sous un régime islamiste.]
Je pense que vous allez un peu vite. Je ne sais pas ce que « veulent » les Afghans en termes abstraits. Tout ce qu’on peut déduire de la victoire des Taliban, c’est que lorsqu’on a donné à choisir entre le gouvernement inefficace et corrompu mis en place par les Américains et le gouvernement des Taliban, les Afghans ont globalement choisi ce dernier. Peut-être que si d’autres options avaient été sur la table, le choix aurait été différent. Après tout, comme je l’ai expliqué dans mon papier, l’Afghanistan a connu des gouvernements progressistes pendant une longue période, et aujourd’hui encore le gouvernement de Najibullah apparaît comme le meilleur que l’Afghanistan ait connu en un demi-siècle.
[Certains ont du mal à comprendre qu’on rejette nos valeurs, qu’on nous considère comme faibles et décadents et qu’ils ne veulent pas nous ressembler.]
Je ne sais pas s’il faut voir une question de « faiblesse et décadence ». Mais je suis d’accord avec vous sur le fond : il n’y a aucune raison pour que les autres peuples veuillent vivre comme nous. C’est d’ailleurs la grande contradiction des « décoloniaux » : ils se sont battus pour que les peuples puissent choisir librement, et sont scandalisés quand les peuples choisissent autre chose qu’eux !
Cela étant dit, ne voyez pas dans ce commentaire un reniement de l’universalisme. Je reste un universaliste, convaincu que certaines valeurs, certaines institutions sont meilleures pour toute l’humanité, et que tous les peuples les partageront un jour. Mais je n’ai jamais cru qu’on puisse imposer ces valeurs de l’extérieur : pour qu’une société les adopte, il faut qu’elles s’intègrent dans une expérience historique propre. Pour le dire autrement, les peuples pas plus que les individus ne peuvent pas apprendre des erreurs des autres.
[D’où les tirades d Hidalgo/BHL mais aussi de notre hôte sur Massoud («chef de guerre rétrograde»)]
Je trouve l’amalgame hors de propos. Quand je parle de Massoud « chef de guerre rétrograde », je ne fais aucun jugement de valeur. Je ne pense pas que vous contesterez l’idée que Massoud était un « chef de guerre » (mon expression je crois était « seigneur de la guerre », en référence à une modalité qui fait partie de l’histoire chinoise, mais peu importe). Et dans ses déclarations et sa pratique, Massoud a toujours marqué sa préférence pour un retour en arrière par rapport aux politiques qui avaient été mises en œuvre par les différents gouvernements qui s’étaient succédés depuis 1945. Il était donc « rétrograde » au sens strict du terme. Après, on peut toujours discuter si cette vision « rétrograde » est ou non partagée par le peuple Afghan, et si le peuple a le droit de revenir en arrière si cela lui chante. Mais cela ne change pas les faits.
[Je ne vais pas reprocher à notre hôte de faire l’éloge des communistes, c’est bien d’être fidèle. Mais il faut être objectif.]
Je suis un peu étonné de me voir reprocher de « faire l’éloge des communistes », alors que nulle part dans mon papier vous trouverez un jugement de valeur. A moins que le simple fait de mettre de côté la « pensée unique » et de revenir aux faits constitue en soi un « éloge » ?
Encore une fois, je ne peux que constater les faits. Dire que le gouvernement de Najibullah a tenu trois ans après l’évacuation des troupes soviétiques, alors que celui de Ghani est tombé trois jours avant la fin de la présence américaine, c’est dire un fait. Souligner que dans nos médias la présence soviétique en Afghanistan était – et est toujours – qualifiée « d’occupation » alors que le terme n’est jamais utilisé pour la présence américaine (et cela alors même que dans un cas les troupes sont rentrées à l’appel du gouvernement du pays, et dans l’autre elles sont rentrées pour le renverser) c’est dire un fait. Ce n’est pas ma faute si dans votre tête l’examen de ces faits apparaît comme favorable aux soviétiques.
[Si on reproche aux USA d’avoir armé des islamistes via le Pakistan pour affaiblir l’URSS, il faut aussi reprocher aux soviétiques d’avoir armés les khmers rouges via la chine afin d’affaiblir les USA]
Tout à fait. A condition d’avoir établi que ce sont les soviétiques qui ont armé les Khmers Rouges. Parce que l’histoire tend à montrer que les Khmers Rouges étaient plutôt soutenus par les chinois pour faire contrepoids à l’influence soviétique sur les vietnamiens après la rupture sino-soviétique au début des années 1960. Quand les USA s’engagent au Cambodge en 1970, la Chine et l’URSS sont a couteaux tirés et on voit mal les soviétiques « armer les Khmers Rouges via la Chine »…
Moi, je veux bien discuter les turpitudes des soviétiques. Mais les turpitudes REELLES, pas celles que la rumeur ou la pensée unique des « guerriers froids » leur attribuent.
[Pour le palais de la republique à Berlin (…), je suis pas compétant pour juger si ca valait la peine de la garder (perso je trouve ce genre de bâtiment moderne assez laid).]
Les goûts et les couleurs, cela ne se discute pas. Mais vous manquez le point : la destruction d’un bâtiment parlementaire – et je ne parle même pas de la reconstruction à l’identique d’un château prussien à sa place – a un sens politique. Il me semble difficile à contester que la décision prise de démolir l’un – et de reconstruire l’autre – manifeste une volonté de faire oublier un pan de l’histoire allemande.
A titre d’illustration (si vous comprenez l’anglais): https://vimeo.com/39147237
[Par contre vous auriez pu signaler qu’il a été construit sur les ruines d’un château.]
Cela ne me semblait pas important, à partir du moment où le château n’avait pas été réduit en ruines par le gouvernement de la RDA, mais par les bombardements alliés.
[Château que les communistes de l’époque détestaient car symbole du royaume de Prusse et qu’ils ont rasé]
D’où tirez-vous que « les communistes détestaient ce symbole du royaume de Prusse » ? Vous savez, il ne faut pas croire tout ce que dit wikipédia… Je pense qu’on prête ici aux méchants communistes un fétichisme architectural qui n’existe que dans l’imagination des anticommunistes. J’ai du mal à trouver des exemples ou des communistes aient détruit un bâtiment pour de telles raisons. Lénine n’a pas fait détruire le Kremlin ou le Palais d’Hiver, pas plus que Castro n’a fait détruire le Capitole cubain (qui est pourtant une copie en plus petit de celui de Washington).
Les communistes ont beaucoup de défauts, mais si on peut leur reconnaître une qualité, c’est d’être fondamentalement historicistes. Et on voit mal un historiciste détruire un monument historique par simple « détestation ». De ce point de vue, il faut revoir le film de Wajda, « l’homme de marbre ». La statue de l’ouvrier stakhanoviste tombé en disgrâce n’est pas détruite, elle est stockée dans une réserve du musée de Varsovie. Pour le château de Berlin, je pense surtout que la RDA avait à l’époque des priorités plus importantes que de reconstruire un bâtiment détruit par les alliés et ne présentant finalement aux yeux du gouvernement de la RDA aucun intérêt particulier.
[– Tito (ou les albanais) purent rompre avec l’URSS car aucune troupe soviétique n’y stationnait. Les hongrois et plus tard les tchèques n’eurent pas cette chance]
Et comment se fait-il que « aucune troupe soviétique n’y stationnait » ? Qui l’avait décidé ainsi ?
Pour prolonger votre réflexion, je me demandais quel pays d’Europe occidentale à l’époque avait la « chance » de ne pas avoir de troupe américaine sur son sol… et quel était le poids politique de cette présence. Des idées ?
[Méfiez-vous. On était nombreux à dire que « Hollande n’a aucune chance ». Et on a vu le résultat. ]
Hollande avait beneficié d une chance inouie (le candidat de son parti, DSK, est arreté pour viol a NY)
Dans le cas d Hidalgo son parti ne pese plus rien. Meme si Melenchon se met a ne plus controler sa libido elle ne passera pas le second tour
[l’Afghanistan a connu des gouvernements progressistes pendant une longue période]
Gouvernement qui faisaient face a une forte opposition. C est comme en Iran, la population souhaitait majoritairement un regime islamique (Khomeny a été acceuilli comme un messie 😉 )
[Massoud a toujours marqué sa préférence pour un retour en arrière par rapport aux politiques qui avaient été mises en œuvre par les différents gouvernements qui s’étaient succédés depuis 1945. Il était donc « rétrograde » au sens strict du terme]
Depuis 1945, epoque ou il etait pas né ? Disons plutot depuis 1978 et le coup d etat.
Mais l important n est pas là. Retrograde a une notion negative. Pour Massoud je suppose que sa politique n est pas rétrograde mais remet le pays dans la bonne direction : celle indiquée par le prophete
Si Maurice Thorez revenait à la vie, je suis sur qu il serait taxé de retrograde par toute la gauche francaise
[Je suis un peu étonné de me voir reprocher de « faire l’éloge des communistes », alors que nulle part dans mon papier vous trouverez un jugement de valeur]
Quand meme : les communistes sont des constructeurs alors qu en face on a affaire a des gens sans foi ni loi qui ne savent que detruire «Et toute tentative de construire une alternative sera impitoyablement détruite»
«D’où tirez-vous que « les communistes détestaient ce symbole du royaume de Prusse » ? Vous savez, il ne faut pas croire tout ce que dit wikipédia»
Sur ce point, je pense que wikipedia a raison. Comme je l ai ecris dans un commentaire plus haut, la prusse c etait les grand proprietaires terriens et une aristocratie militaire reactionnaire qui a ecrasé les spartakistes. Cerise sur le gateau c est eux qui ont amené l allemagne au naufrage en 14-18. Meme aujourd hui en RFA, c est pas quelque chose vu tres positivement (et pas uniquement par la gauche)
«Les communistes ont beaucoup de défauts, mais si on peut leur reconnaître une qualité, c’est d’être fondamentalement historicistes. Et on voit mal un historiciste détruire un monument historique par simple « détestation »»
dans ce cas pourquoi la cathédrale du Christ Sauveur près du Kremlin fut détruite en 1931 ? (il y en a plein d autres mais celle ci a été reconstruite en 95-2000)
[Et comment se fait-il que « aucune troupe soviétique n’y stationnait » ? Qui l’avait décidé ainsi ?]
Il n y avait pas de troupe soviétique car la geographie a fait que ceux ci n avaient pas besoin d envahir la yougoslavie pour defaire les nazis. Du coup la resistance locale (tito) a pu prendre le controle du pays sans l armee rouge. Un peu comme les troupes US ne sont pas allés dans le sud ouest de la France car les allemands avaient evacué la region et ce sont les FFI/FTP qui ont pris le controle de la region
[je me demandais quel pays d’Europe occidentale à l’époque avait la « chance » de ne pas avoir de troupe américaine sur son sol…]
la je vois pas, La france a eut des troupes US jusqu au retrait du commandement integre de l OTAN par De Gaulle. Le SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe) etait meme en france à l epoque
@ cdg
[« Méfiez-vous. On était nombreux à dire que « Hollande n’a aucune chance ». Et on a vu le résultat. » Hollande avait bénéficié d’une chance inouïe (le candidat de son parti, DSK, est arrêté pour viol à NY). Dans le cas d’Hidalgo son parti ne pèse plus rien. Même si Mélenchon se met à ne plus contrôler sa libido elle ne passera pas le second tour]
Mélenchon non… mais si Macron laisse libre cours à la sienne, tous les espoirs lui sont permis. N’oubliez pas que le véritable candidat socialiste à cette élection, c’est Macron !
[« l’Afghanistan a connu des gouvernements progressistes pendant une longue période » Gouvernement qui faisaient face a une forte opposition. C’est comme en Iran, la population souhaitait majoritairement un régime islamique (Khomeny a été accueilli comme un messie)]
La comparaison est intéressante, mais trompeuse. Les gouvernements Afghans étaient certes progressistes, mais ont été bien plus prudents que ne l’a été le Shah d’Iran. Et si les tentatives de laïcisation de l’Etat et d’instaurer l’école obligatoire ont provoqué des résistances, celles-ci restaient gérables tant que les Américains n’ont pas cherché à les exploiter.
[« Massoud a toujours marqué sa préférence pour un retour en arrière par rapport aux politiques qui avaient été mises en œuvre par les différents gouvernements qui s’étaient succédés depuis 1945. Il était donc « rétrograde » au sens strict du terme » Depuis 1945, époque ou il était pas né ? Disons plutôt depuis 1978 et le coup d’état.]
Vous avez mal lu. On peut être pour en retour en arrière au moyen-âge, sans nécessairement y avoir vécu. Massoud voulait un recul qui aurait amené l’Afghanistan en arrière jusqu’avant 1945, même si à l’époque il n’était pas né.
[Mais l’important n’est pas là. Rétrograde a une notion négative. Pour Massoud je suppose que sa politique n’est pas rétrograde mais remet le pays dans la bonne direction : celle indiquée par le prophete.]
Autrement dit, « rétrograde » a un sens négatif pour vous, mais pas pour Massoud. Parce que je vois mal comment une politique qui consiste à revenir au temps du Prophète pourrait être qualifié autrement que de « rétrograde »…
[Si Maurice Thorez revenait à la vie, je suis sûr qu’il serait taxé de rétrograde par toute la gauche française]
C’est possible, mais ils auraient tort. Je n’imagine pas Maurice Thorez, s’il revenait à la vie, proposer un retour en arrière.
[« Je suis un peu étonné de me voir reprocher de « faire l’éloge des communistes », alors que nulle part dans mon papier vous trouverez un jugement de valeur » Quand meme : les communistes sont des constructeurs alors qu en face on a affaire a des gens sans foi ni loi qui ne savent que detruire «Et toute tentative de construire une alternative sera impitoyablement détruite»]
Je ne vois pas où est le « jugement de valeur ». Je n’ai pas dit que les communistes AIMENT construire, ou que leurs opposants AIMENT détruire – ce qui aurait constitué un jugement de valeur. Je me limite à constater un fait : les états qui sont réclamés d’une idéologie communiste ont cherché à établir des institutions fortes. Les états capitalistes ont plutôt cherché à les détruire. Prenez les interventions occidentales en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Somalie : à chaque fois ils ont laissé derrière eux un désert institutionnel, des états « faillis ». Je ne connais pas d’équivalent lors d’une intervention « communiste ».
[«D’où tirez-vous que « les communistes détestaient ce symbole du royaume de Prusse » ? Vous savez, il ne faut pas croire tout ce que dit wikipédia» Sur ce point, je pense que wikipedia a raison. Comme je l’ai écrit dans un commentaire plus haut, la Prusse c’etait les grand propriétaires terriens et une aristocratie militaire réactionnaire (…)]
Oui, un peu comme le Château de Versailles c’était l’ancien régime, l’arbitraire royal et l’oppression des paysans, ou le Palais d’Hiver l’autocratie tsariste et l’oppression des serfs. Pourtant, Lénine a fait du Palais d’Hier un musée, et je vois mal les communistes français pousser à la destruction du Château de Versailles. Les communistes sont fondamentalement historicistes, et de ce fait ils ont plus tendance à assumer l’histoire qu’à chercher à l’effacer. J’ajoute que l’idée qu’on puisse « détester » un bâtiment me semble plus traduire l’immaturité du rédacteur de la page wikipédia qu’une réalité historique…
[(…) qui a ecrasé les spartakistes.]
Vous faites erreur. Quand les spartakistes sont écrasés, la monarchie prussienne est déjà tombée. C’est un social-démocrate, Friedrich Ebert, qui préside à la répression…
[Cerise sur le gâteau c’est eux qui ont amené l’Allemagne au naufrage en 14-18. Même aujourd’hui en RFA, ce n’est pas quelque chose vu très positivement (et pas uniquement par la gauche)]
Ca doit être pour ça que les Allemands (et pas uniquement à droite) on décidé de reconstruire la façade de l’ancien palais royal à la place du Palais de la République… Soyons sérieux : le récit allemand est celui du « coup de poignard dans le dos. L’armée (prusienne) avait gagné la guerre, et ce sont les politiciens qui ont « trahi ». Et la reconstruction du palais royal vous montre combien cette idéologie est aujourd’hui dominante…
[«Les communistes ont beaucoup de défauts, mais si on peut leur reconnaître une qualité, c’est d’être fondamentalement historicistes. Et on voit mal un historiciste détruire un monument historique par simple « détestation »» dans ce cas pourquoi la cathédrale du Christ Sauveur près du Kremlin fut détruite en 1931 ? (il y en a plein d autres mais celle ci a été reconstruite en 95-2000)]
J’ignorais qu’en 1931 le pouvoir de l’église orthodoxe n’était plus qu’un souvenir… Encore une fois, il faut être sérieux : lorsqu’on détruit ce qui reste du palais royal à Berlin, la monarchie n’est plus qu’un souvenir et son pouvoir a été brisé. Lorsqu’on détruit les églises en 1931, le pouvoir de l’église orthodoxe est toujours là, bien présent. Il ne faudrait pas confondre ce qui relève d’un combat politique réel, et ce qui relève d’un pur symbole. On aurait pu comprendre que les sans-culottes incendient le Château de Versailles en 1789. Qu’ils le fassent aujourd’hui serait incompréhensible.
[« Et comment se fait-il que « aucune troupe soviétique n’y stationnait » ? Qui l’avait décidé ainsi ? » Il n y avait pas de troupe soviétique car la géographie a fait que ceux-ci n’avaient pas besoin d’envahir la Yougoslavie pour défaire les nazis. Du coup la résistance locale (tito) a pu prendre le contrôle du pays sans l’armée rouge. Un peu comme les troupes US ne sont pas allés dans le sud-ouest de la France car les allemands avaient évacué la région et ce sont les FFI/FTP qui ont pris le contrôle de la région]
Pourtant les américains avaient des bases en Ecosse pendant toute la guerre froide, et à ma connaissance ils n’ont jamais livré de combat avant 1945 là-bas… vous croyez vraiment que le schéma de stationnement des troupes durant la guerre froide obéissait au fait que les troupes ont été nécessaires à cet endroit-là pendant la deuxième guerre mondiale ?
[« je me demandais quel pays d’Europe occidentale à l’époque avait la « chance » de ne pas avoir de troupe américaine sur son sol… » la je vois pas, La france a eut des troupes US jusqu au retrait du commandement integre de l OTAN par De Gaulle. Le SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe) etait meme en france à l epoque]
Précisément. Pensez-vous que la présence de ces troupes a eu une influence en matière de politique intérieure ?
@ Descartes
[Soyons sérieux : le récit allemand est celui du « coup de poignard dans le dos. L’armée (prusienne) avait gagné la guerre, et ce sont les politiciens qui ont « trahi ».]
Oui, c’est la version contemporaine édulcorée d’un récit plus ancien, dans lequel à la “trahison” des politiciens s’ajoutait le “complot” des juifs. Déjà à l’époque malgré l’absurdité évidente pour quiconque observe les faits cinq minutes, ça plaisait beaucoup, il y en a même qui ont été élus là-dessus…
@ BolchoKek
[Oui, c’est la version contemporaine édulcorée d’un récit plus ancien, dans lequel à la “trahison” des politiciens s’ajoutait le “complot” des juifs. Déjà à l’époque malgré l’absurdité évidente pour quiconque observe les faits cinq minutes, ça plaisait beaucoup, il y en a même qui ont été élus là-dessus…]
Tout à fait. Et on aurait tort de croire que ce récit a disparu. Bien entendu, on l’a mis prudemment en sourdine pendant quelques décennies, le temps que l’Allemagne soit réadmise dans l’espèce humaine. Mais depuis la réunification, cette version de l’histoire revient en force, le complot juif en moins. La reconstruction du palais royal à Berlin n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce retour aux fondamentaux…
[On aurait pu comprendre que les sans-culottes incendient le Château de Versailles en 1789. Qu’ils le fassent aujourd’hui serait incompréhensible.]
Certes, mais là nous sommes plutôt sur l’équivalent de détruire Notre-Dame sous l’Empire. En 1931, le pouvoir de Staline était consolidé. A Kiev aussi les églises ont été”rectifiées” par des architectes socialistes. Remarquez, les communistes ont été progressistes : d’après un ami historien, c’est les premiers voire les seuls à faire des massacres à grande échelle en temps de paix (généralement, on massacre quand la patrie est en danger).
Pour se consoler de la destruction du Palais de la République, il reste le Conseil de l’Europe d’un goût similaire.
Et le ton de l’article est très pro-soviétique, ce qu’on ne saurait reprocher au taulier -il est chez lui.
Mais pourquoi faire remonter la guerre civile à 1992 alors qu’elle commence vers 1979? Car si c’est une guerre civile lors de l’intervention des US, ça l’est aussi lors de intervention de l’URSS.
Et l’intervention soviétique n’a pas été plus douce sue l’intervention des US au Vietnam, elle a semble-t-il aussi fait son million de morts civils. Après, des partisans/résistants/terroristes, ça énerve, et y aller à l’allemande se comprends. La retenue de l’armée française en Algérie est à noter, en comparaison. Vous n’avez certes pas dit que l’URSS a été propre en Afghanistan, mais vous avez rappelé que l’armée US a été sale au Vietnam, il n’y a donc rien de faux mais cela donne un ton général au billet.
La distinction établit/s’appuie sur des institutions et des politiques crédibles vs établit des régimes proconsulaire, y compris en dehors de son pré carré, est intéressante et je ne l’avais pas remarqué, merci pour ce rappel des faits. Est-ce que les russes ont la même approche, et comment gèrent-ils leurs marches?
Et merci pour ces rappels sur le Cambodge, j’en était resté à “la gauche française soutient les rouges génocidaires”, ce qui est vrai mais incomplet. De quand date le basculement d’une partie des élites du stalinisme au maoïsme ? 68 avec le rattachement des classes intermédiaires au bloc bourgeois, en soutenant des régimes n’ayant aucun risque de contagion en France ?
@ Simon
[« On aurait pu comprendre que les sans-culottes incendient le Château de Versailles en 1789. Qu’ils le fassent aujourd’hui serait incompréhensible. » Certes, mais là nous sommes plutôt sur l’équivalent de détruire Notre-Dame sous l’Empire. En 1931, le pouvoir de Staline était consolidé.]
Pas vraiment. En 1931, Staline est loin d’être consolidé au pouvoir. La lutte de fractions à l’intérieur du Parti bolchévique continue de plus belle : Trotski a certes été contraint à l’exil en 1929, mais ses partisans restent actifs. Boukharine, Zinoviev et Kamenev animent une opposition à Staline jusqu’en 1937. Et ce n’est pas seulement une bataille de mots : ainsi par exemple Kirov, ami et soutien de Staline, est assassiné en 1934. Sur le plan administratif, Staline n’arrive à donner une constitution au pays qu’en 1936. Si vous voulez faire une comparaison avec l’Empire, on peut la démarrer à partir de cette date…
[Remarquez, les communistes ont été progressistes : d’après un ami historien, c’est les premiers voire les seuls à faire des massacres à grande échelle en temps de paix (généralement, on massacre quand la patrie est en danger).]
Tout dépend ce qu’on appelle « temps de paix »…
[Pour se consoler de la destruction du Palais de la République, il reste le Conseil de l’Europe d’un goût similaire.]
Les deux bâtiment sont très différents dans leur conception. Le Palais de la République avait pour ambition être à la fois un lieu politique – le siège de la chambre unique du Parlement de la RDA – et un lieu culturel, avec des salles de théâtre, de cinéma, des cafés… Le palais de l’Europe à Strasbourg n’a jamais eu un tel objectif. Par ailleurs, ils ne sont pas liés à la même école architecturale : le Palais de la République met en valeur l’acier et le verre, le Palais de l’Europe le béton. Mais la question n’est pas tant de se « consoler » que de comprendre quel est la rationalité derrière la destruction d’un lieu symbolique. La destruction du Palais de la République témoigne d’abord de l’intention de supprimer toute trace de « la vie d’avant », d’effacer une période de l’histoire allemande.
[Et le ton de l’article est très pro-soviétique, ce qu’on ne saurait reprocher au taulier -il est chez lui.]
Merci. Mais la question pour moi est moins de prendre parti que de comprendre une évolution. Constater que les soviétiques ont généralement soutenu des gens qui leur étaient idéologiquement affines – et regardé avec une grande méfiance les autres – alors que les américains ont soutenu n’importe qui pourvu qu’il fût anti-soviétique, ce n’est pas être ni pro ni anti soviétique, c’est constater un fait. A moins que vous pensiez qu’il y avait affinité idéologique entre les Américains et les Taliban ? Vous noterez que je n’ai pas pris en considération cette hypothèse, ce qui pourrait être considéré comme particulièrement « pro-américain », non ?
[Mais pourquoi faire remonter la guerre civile à 1992 alors qu’elle commence vers 1979 ? Car si c’est une guerre civile lors de l’intervention des US, ça l’est aussi lors d’intervention de l’URSS.]
En général, on réserve le terme « guerre civile » aux moments où il n’y a pas de gouvernement constitué et légitime. C’est ce que font les historiens du conflit afghan, qui parlent de « guerre civile » pour caractériser la période qui va de la chute du gouvernement Najibullah à l’instauration d’un gouvernement centralisé par les Taliban. Cela n’implique pas bien entendu qu’il n’y ait pas eu des combats entre des groupes rebelles et les troupes gouvernementales avant (ou après). Mais si vous appelez cela « guerre civile », alors elle commence bien avant l’arrivée des soviétiques en 1979.
[Et l’intervention soviétique n’a pas été plus douce sue l’intervention des US au Vietnam, elle a semble-t-il aussi fait son million de morts civils.]
Je ne sais pas. Je n’ai vu aucune estimation qui aboutirait à « un million de morts civils » en Afghanistan, et j’avoue ne pas m’être intéressé à la question. La nécro-comptabilité m’a toujours paru un exercice inutile. La Shoah serait-elle moins condamnable si elle avait fait 5 millions de morts au lieu de 6 millions ?
[Après, des partisans/résistants/terroristes, ça énerve, et y aller à l’allemande se comprends.]
J’ai pas compris cette remarque.
[La retenue de l’armée française en Algérie est à noter, en comparaison. Vous n’avez certes pas dit que l’URSS a été propre en Afghanistan, mais vous avez rappelé que l’armée US a été sale au Vietnam, il n’y a donc rien de faux mais cela donne un ton général au billet.]
Pardon, mais vous avez du mal comprendre. Je n’ai pas comparé la « saleté » ou la « propreté » des uns ou des autres. C’est un sujet qui ne m’a jamais vraiment intéressé. Toutes les guerres sont horribles, et discuter si tuer des gens au phosphore est plus terrible que de les tuer au Napalm ne m’intéresse pas particulièrement. Ce que j’ai comparé, c’est la doctrine politique qui est derrière ces interventions. Au Vietnam, les Américains n’interviennent pas pour soutenir un gouvernement issu du peuple vietnamien, au contraire : un tel gouvernement aurait une légitimité propre et pourrait donc se rebeller. Les américains ont donc mis au pouvoir un gouvernement choisi par eux – et ils l’ont changé chaque fois qu’ils le veulent. A l’inverse, en Afghanistan les soviétiques soutiennent des leaders portés au pouvoir par leur propre peuple (Karmal puis Najibullah)
[La distinction établit/s’appuie sur des institutions et des politiques crédibles vs établit des régimes proconsulaire, y compris en dehors de son pré carré, est intéressante et je ne l’avais pas remarqué, merci pour ce rappel des faits. Est-ce que les russes ont la même approche, et comment gèrent-ils leurs marches ?]
Je pense que les leaders soviétiques avaient bien plus de culture politique que les leaders américains. Ils avaient en particulier une mémoire vivace de la période révolutionnaire et de la guerre civile. Si le gouvernement soviétique avait pu la gagner – et maintenir uni un empire multinational – c’est parce qu’il avait pu se reposer sur des dirigeants politiques locaux, ayant une véritable légitimité populaire. Le régime soviétique avait compris que mieux faut un dirigeant ami ayant une véritable base politique qu’une marionnette. Bien sûr, un dirigeant ayant une véritable base a beaucoup plus d’autonomie, mais en même temps il « tient » son territoire. La marionnette vous obéit au doigt et à l’œil… mais elle ne « tient » rien.
[Et merci pour ces rappels sur le Cambodge, j’en était resté à “la gauche française soutient les rouges génocidaires”, ce qui est vrai mais incomplet. De quand date le basculement d’une partie des élites du stalinisme au maoïsme ? 68 avec le rattachement des classes intermédiaires au bloc bourgeois, en soutenant des régimes n’ayant aucun risque de contagion en France ?]
Je pense qu’il faut voir dans ce basculement le passage des « classes intermédiaires » avec armes et bagages du camp populaire au « bloc dominant » à la fin des « trente glorieuses », lorsque la croissance commence à ralentir et que l’économie devient un jeu à somme nulle. Ce fut un processus graduel, commencé au milieu des années 1960… et qui apparaîtra dans toute son amplitude à la fin des années 1960.
Je vous propose ici certaines précisions que (pour des raisons techniques) je n’ai pu placer “en réponse” :
J’ai appelé “social-démocratie” un régime comme celui de notre 5ème République (gouverné en gros du pareil au même depuis son institution, que ce soit prétendument à gauche ou à droite) ou de nombreux autres pays voisins, régime dans lequel l’entreprise privée coexiste avec de puissantes institutions publiques (sécurité, santé ou éducation par ex), dans lequel les prélèvements sur les revenus privés alimentent majoritairement les budgets sociaux (éducation, soins, solidarité, etc.), dans lequel se respectent les lois de l’économie de marché (sans que ces marchés ne veuillent faire la loi aux sociétés, comme cela s’est malheureusement développé ces dernières décennies) pour les distinguer de régimes collectivistes ou d’autres régimes autocratiques ni démocratiques ni sociaux. Et s’il y a décadence ou plutôt tensions au sein du modèle social-démocrate, un peu partout sur terre, ce n’est pas du fait des seuls sociaux-traîtres du PS français, mais pour des raisons plus complexes et plus fortes liées, entre autres, à la crise des énergies, des démographies, des échanges mondiaux, etc.
Malgré la chute du Communisme, la plus grande part de notre PIB reste affectée aux services sociaux, publics, collectifs. Bref, le soleil stalinien a pu s’éteindre sans que la nuit ne tombe sur nous…
Je suis désolé que, pour vous en moquer, vous repreniez certaines caricatures de notre devise républicaine, en résumant notre idéal d’égalité à celle de pouvoir coucher sous les ponts qu’on soit riche ou pauvre, ou notre quête de liberté à celle du renard dans le poulailler. Mais, heureusement, la caricature est encore de droit en nos sociales-démocraties 🙂
Sur notre approche de l’UE, dont la critique est pour ma part nuancée et chez vous radicale, nous nous sommes déjà assez souvent expliqué pour que je n’y revienne pas : si pour vous la construction européenne en cours est une catastrophe, pour moi c’est la meilleure des ambitions que nous ayons pu nous donner pour notre bout de continent après les guerres séculaires par lesquelles nous nous sommes mutuellement ravagés. Que cette union soit encore plus concurrentielle que mutualiste doit être dénoncé. Mais plus vite cette UE serait plus fédérale que confédérale, plus vite un certain nombre de difficultés seraient levées (pendant que d’autres, bien sûr, émergeraient, puisque que, comme dans tout organisme vivant, un problème réglé en pose le plus souvent un autre…). Évidemment, ce n’est pas en priant dans un sens ni en criant dans un autre que les hommes se font leur chemin, mais seulement en cheminant, ensemble, en pariant que ce qui les sépare pèse moins lourd que l’élan qui pourrait les unir.
Mais, comme dit, tout cela nous éloigne du sujet initial de votre post, ce dont je vous prie de m’excuser.
@ Claustaire
[J’ai appelé “social-démocratie” un régime comme celui de notre 5ème République (gouverné en gros du pareil au même depuis son institution, que ce soit prétendument à gauche ou à droite) ou de nombreux autres pays voisins (…),]
Et moi, j’appelle « social-démocratie » une sauce indienne faite d’oignons et de crème fraîche assaisonnée au curry. Si chacun donne aux termes le sens qui l’arrange, on se retrouve au royaume d’Humpty-Dumpty…
C’est classique des sociaux-démocrates de vouloir s’attribuer le mérite de la construction issue du gaullo-communisme en appelant cela « social-démocratie ». Mais l’assimilation est non seulement intéressé, mais abusive. Finalement, dans votre acception la « social-démocratie » est exactement ce à quoi les « sociaux-démocrates » se sont systématiquement opposés, et ce qu’ils se sont appliqués à détruire dès qu’ils ont été aux affaires. Faut-il que je vous rappelle ce que les « sociaux-démocrates » ont dit et fait lors de la fondation de la Vème République ? Et ce qu’ils ont fait aux institutions issues du programme du CNR sous Mitterrand ?
[(…) régime dans lequel l’entreprise privée coexiste avec de puissantes institutions publiques (sécurité, santé ou éducation par ex),]
Diable ! Et quelles sont les « puissantes institutions publiques » dans le paysage aujourd’hui ?
[dans lequel les prélèvements sur les revenus privés alimentent majoritairement les budgets sociaux (éducation, soins, solidarité, etc.),]
Là encore, je demande à voir vos chiffres…
[dans lequel se respectent les lois de l’économie de marché (sans que ces marchés ne veuillent faire la loi aux sociétés, comme cela s’est malheureusement développé ces dernières décennies) pour les distinguer de régimes collectivistes ou d’autres régimes autocratiques ni démocratiques ni sociaux.]
Je ne comprends pas. Vous me dites que ce qui caractérise ce que vous appelez une « social-démocratie » est le fait que on « respecte les lois de l’économie de marché sans que les marchés fassent la loi aux sociétés ». Ensuite, vous notez que « ces dernières décennies » ce sont les marchés qui « font la loi aux sociétés ». La conclusion évidente est que depuis des décennies NOUS NE SOMMES PLUS DANS UNE SOCIAL-DEMOCRATIE, non ? Il y a là une contradiction qu’il serait intéressant de résoudre…
[Et s’il y a décadence ou plutôt tensions au sein du modèle social-démocrate, un peu partout sur terre, ce n’est pas du fait des seuls sociaux-traîtres du PS français, mais pour des raisons plus complexes et plus fortes liées, entre autres, à la crise des énergies, des démographies, des échanges mondiaux, etc.]
Je vois… quand ça va bien, c’est le mérite des « sociaux-démocrates », quand ça va mal, ce n’est pas leur faute. J’ai bien compris ?
[Malgré la chute du Communisme, la plus grande part de notre PIB reste affectée aux services sociaux, publics, collectifs.]
J’attends toujours de voir les chiffres.
[Bref, le soleil stalinien a pu s’éteindre sans que la nuit ne tombe sur nous…]
Vous-même, vous écrivez que « depuis quelques décennies » ce sont les marchés qui font la loi aux sociétés. Et vous ne pouvez que constater qu’il y a « décadence ou plutôt tensions dans le modèle social-démocrate ». Ca doit être une coïncidence si cela arrive en même temps que la « chute du communisme ». Le soleil stalinien s’est éteint, et sa lumière nous arrive encore… mais chaque fois plus faiblement.
[Je suis désolé que, pour vous en moquer, vous repreniez certaines caricatures de notre devise républicaine, en résumant notre idéal d’égalité à celle de pouvoir coucher sous les ponts qu’on soit riche ou pauvre, ou notre quête de liberté à celle du renard dans le poulailler.]
Il n’y a là aucune « caricature ». Quand vous parlez de « notre » devise républicaine, vous omettez de dire qui est ce « nous ». J’ai simplement noté que selon qui est ce « nous », les trois mots qui font notre devise ne sont pas interprétés de la même manière. Pour certains, l’égalité implique un égal accès de tous aux biens et services produits par notre société. Pour d’autres, l’égalité implique simplement que la loi soit la même pour tous, riches et pauvres. Ce qui, vous me l’accorderez, n’est pas du tout la même chose.
[Mais, heureusement, la caricature est encore de droit en nos sociales-démocraties 🙂]
Je ne vois pas comment la caricature pourrait être un droit dans une sauce indienne…
[Si pour vous la construction européenne en cours est une catastrophe, pour moi c’est la meilleure des ambitions que nous ayons pu nous donner pour notre bout de continent après les guerres séculaires par lesquelles nous nous sommes mutuellement ravagés.]
Donc, si je comprends bien, pour vous la construction européenne doit être jugée en termes d’ambition, et non de fait. Elle est admirable non par ce qu’elle produit, mais par ce qu’elle promet. C’est un peu comme on disait à l’église : acceptez la souffrance en ce monde, et croyez à la promesse du paradis dans l’autre. J’avais bien compris votre propos.
[Que cette union soit encore plus concurrentielle que mutualiste doit être dénoncé.]
Faut savoir : vous m’expliquez d’abord que la construction européenne est une « ambition ». Pourquoi perdre son temps à « dénoncer » ce qui est, puisque seule la promesse de ce qu’elle sera compte ?
[Mais plus vite cette UE serait plus fédérale que confédérale, plus vite un certain nombre de difficultés seraient levées (pendant que d’autres, bien sûr, émergeraient, puisque que, comme dans tout organisme vivant, un problème réglé en pose le plus souvent un autre…).]
C’est là un article de foi. Et qui ne résiste la confrontation avec les faits : depuis l’Acte Unique de 1988, l’UE est devenue de plus en plus « fédérale ». Et on voit mal en quoi cela a accru ses capacités à « lever des difficultés ». Je vous mets au défi de citer un problème CONCRET, un seul, qui serait « plus vite » résolu par une UE qui serait « plus fédérale »…
[Évidemment, ce n’est pas en priant dans un sens ni en criant dans un autre que les hommes se font leur chemin, mais seulement en cheminant, ensemble, en pariant que ce qui les sépare pèse moins lourd que l’élan qui pourrait les unir.]
Que c’est beau… et pendant ce temps, on ouvre à la concurrence le téléphone, l’électricité, les transports ferroviaires, les assurances, et demain l’éducation. Mais ne vous inquiétez pas, un jour une UE fédérale résoudra tous nos problèmes. Prions, mes frères…
[Mais, comme dit, tout cela nous éloigne du sujet initial de votre post, ce dont je vous prie de m’excuser.]
Vous n’avez pas à vous excuser, dans ce blog tous les sujets sont intéressants !
Désolé de vous voir de mauvaise humeur à cause de l’ambiguïté de certains de nos mots ou du malentendu voire des procès de mauvaise foi où cela pourrait déboucher.
Libre à vous de refuser de distinguer un régime libéral-réformiste comme le nôtre (que ce soit sous Pompidou, Giscard ou Mitterrand) de régimes collectivistes ou autocratiques (totalitarisme politique ou religieux).
Pourquoi faudrait-il garder à nos socialistes français (tantôt SFIO, tantôt PS, tantôt “radicaux” de naguère, tantôt un peu n’importe quoi) l’exclusivité de l’appellation social-démocrate ou libéral-réformiste si vous préférez qui est à l’oeuvre dans la plupart des pays d’Europe (avec certes de grosses nuances, selon qu’il y sera plutôt de tendance centre-gauche, centre-droite, plus ou moins libéral, plus ou moins étatique) où depuis des décennies on concilie la libre entreprise et un marché libre (régulé par la loi) avec des institutions publiques (garantes du respect de droits sociaux, éducatifs et sanitaires) voire des entreprises nationalisées.
L’Education nationale, la Sécurité Sociale, l’assistance sociale, la sécurité publique ne sont-elles pas pour vous des institutions publiques ?
Sur la manière dont le PIB est redistribué en services publics, voici juste un lien :
https://www.economie.gouv.fr/fiscalite-et-depenses-publiques#
Quant à l’Egalité de notre devise, ce n’est pas à vous, qu’il doit falloir rappeler qu’elle désigne nommément l’égalité en droits (c’est écrit dans l’article 1er de la déclaration de 1789 “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune”) et en aucun cas quelque égalité de revenus ou de destin, mais que c’est la Fraternité (dont notre Sécurité sociale peut être une illustration) qui doit venir corriger les inégalités de destin dont nous pourrions être victimes. Régime auquel chacun contribue différemment selon ses moyens puis en bénéficie, également chacun, selon ses besoins.
La construction européenne en cours ne me semble pas une ambition plus méprisable que notre propre démocratie nationale vers l’idéal de laquelle nous aurions intérêt à avancer, tant elle reste imparfaite.
Et si vous voulez ignorer comment tant lors de la crise financière de 2008 que de la crise sanitaire de 2020-21 (avec le “quoi qu’il en coûte” impliqué et les milliards mis sur la table ou au moins sur les lignes de crédit que cela a permis), ce n’est pas moi, modeste prof à la retraite qui pourrai vous fournir plus d’infos détaillées que le brillant ingénieur du nucléaire auquel je m’adresse.
@ Claustaire
[Désolé de vous voir de mauvaise humeur à cause de l’ambiguïté de certains de nos mots ou du malentendu voire des procès de mauvaise foi où cela pourrait déboucher.]
Ce n’est pas l’ambiguïté qui me met de mauvaise humeur, c’est l’exploitation de cette ambigüité. Nuance.
[Libre à vous de refuser de distinguer un régime libéral-réformiste comme le nôtre (que ce soit sous Pompidou, Giscard ou Mitterrand) de régimes collectivistes ou autocratiques (totalitarisme politique ou religieux).]
Je ne sais pas ce que c’est qu’un « régime collectiviste ». Je coprends ce que peut être une économie « collectiviste » (c’est-à-dire, une économie où le capital est géré collectivement) mais je vois mal en quoi le « collectivisme » pourrait caractériser un régime politique. Par ailleurs, à ma connaissance, aucune économie « collectiviste » n’a donné naissance à une « autocratie ». Je vous rappelle que « l’autocratie » est une notion étroitement liée à l’essence divine du souverain, qui incarne la loi de dieu sur terre.
Quant aux distinctions, il faut en comprendre les limites. Nous vivons certes dans une démocratie, ou le peuple peut – en théorie – choisir ce qu’il veut. Et cela fonctionne aussi longtemps que le peuple ne fait pas certains choix. Dès lors qu’il le fait – ou même qu’il semble disposé à le faire – la démocratie s’arrête. Pensez au Chili, pays ayant une impeccable histoire démocratique… jusqu’au jour où son peuple a fait le « mauvais » choix. Et c’est logique : la démocratie est un consensus dans lequel les classes antagoniques acceptent une confrontation organisée et régulée plutôt qu’un conflit frontal. Et elles le font aussi longtemps qu’elles considèrent que le coût de la confrontation violente dépasse les avantages qu’ils pourraient en tirer. Le jour où elles perçoivent la décision démocratique comme une menace vitale, c’en est fini.
[Pourquoi faudrait-il garder à nos socialistes français (tantôt SFIO, tantôt PS, tantôt “radicaux” de naguère, tantôt un peu n’importe quoi) l’exclusivité de l’appellation social-démocrate ou libéral-réformiste si vous préférez qui est à l’oeuvre dans la plupart des pays d’Europe (avec certes de grosses nuances, selon qu’il y sera plutôt de tendance centre-gauche, centre-droite, plus ou moins libéral, plus ou moins étatique) où depuis des décennies on concilie la libre entreprise et un marché libre (régulé par la loi) avec des institutions publiques (garantes du respect de droits sociaux, éducatifs et sanitaires) voire des entreprises nationalisées.]
Je ne comprends pas très bien votre question. Pour vous, qui mérite l’appellation « social-démocrate » ? Si on ne la « réserve » pas à ceux qui adhèrent aux principes de l’internationale socialiste, à qui alors ? Les communistes ? Les gaullistes ? Après tout, eux aussi ont fait tout ça, non ?
[L’Education nationale, la Sécurité Sociale, l’assistance sociale, la sécurité publique ne sont-elles pas pour vous des institutions publiques ?]
Oui. Mais je ne les trouve pas très « puissantes » par les temps qui courent. Or, vous me parliez de la coexistence entre le secteur privé et des « puissantes institutions publiques ». Je vous ai demandé de me donner quelques exemples de cette « puissance ». J’attends encore…
[Quant à l’Egalité de notre devise, ce n’est pas à vous, qu’il doit falloir rappeler qu’elle désigne nommément l’égalité en droits (c’est écrit dans l’article 1er de la déclaration de 1789 “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune”) et en aucun cas quelque égalité de revenus ou de destin,]
Exactement mon point : l’égalité implique que le riche et le pauvre aient le même « droit » à coucher sous les ponts. Pourtant, vous vous êtes énervé quand je vous ai proposé cet exemple – inventé, si ma mémoire ne me trompe pas, par Anatole France.
Dans la conception des auteurs de la Déclaration de 1789, l’Egalité était bien l’égalité en droit, et non en fait. Tous les hommes avaient droit à la liberté, entendue comme « le droit de faire ce qui ne nuit pas à autrui », et peu importe si le riche peut « faire » nettement plus de choses que le pauvre. Tous les hommes avaient droit au respect de sa propriété : le riche à son palais, le pauvre à sa hutte. Dans cette conception, la devise « liberté, égalité, fraternité » est bien moins ragoûtante que dans la lecture qu’on lui donne en 1946.
[mais que c’est la Fraternité (dont notre Sécurité sociale peut être une illustration) qui doit venir corriger les inégalités de destin dont nous pourrions être victimes. Régime auquel chacun contribue différemment selon ses moyens puis en bénéficie, également chacun, selon ses besoins.]
Pardon, mais ça c’est une interprétation moderne. Et bien peu conforme aux droits de propriété tel qu’il figure dans la Déclaration, puisque vous êtes privé d’une partie de votre propriété sans « juste et préalable indemnisation » pour faire face aux besoins de quelqu’un d’autre.
[La construction européenne en cours ne me semble pas une ambition plus méprisable que notre propre démocratie nationale vers l’idéal de laquelle nous aurions intérêt à avancer, tant elle reste imparfaite.]
Le prospectus est toujours magnifique. Mais une fois le produit acheté… Le problème, c’est que la construction européenne n’est pas qu’une ambition, c’est aussi une réalité.
[Et si vous voulez ignorer comment tant lors de la crise financière de 2008 que de la crise sanitaire de 2020-21 (avec le “quoi qu’il en coûte” impliqué et les milliards mis sur la table ou au moins sur les lignes de crédit que cela a permis), ce n’est pas moi, modeste prof à la retraite qui pourrai vous fournir plus d’infos détaillées que le brillant ingénieur du nucléaire auquel je m’adresse.]
Je me demande comment on fait la Suisse, la Norvège ou l’Islande (et au-delà le Japon, la Corée, et autres pays industrialisés) pour gérer la crise de 2008 sans être membres de l’Union européenne… et pourtant, je n’ai pas l’impression qu’ils s’en soient sortis moins bien que nous. Accessoirement, je trouve toujours amusants ceux qui vantent l’efficacité des institutions libérales pour gérer les crises qu’elles ont-elles-mêmes produites. Sans la libéralisation galopante des marchés financiers auxquels la construction européenne a beaucoup contribué, la crise aurait certainement eu une ampleur bien moindre…
Quant à la crise sanitaire, la Grande Bretagne ne s’en sort pas vraiment plus mal que nous, et pourtant elle ne peut compter sur « les milliards sur la table ». Et point besoin d’être un « brillant ingénieur » pour comprendre que les « milliards » en question, fabriqués par la planche a billets de la BCE, auraient pu être tout aussi bien produits par les banques centrales – comme ils le sont dans les pays qui conservent leur souveraineté monétaire. Franchement, si l’on devait juger la construction européenne par sa gestion de la crise sanitaire…
@ Descartes,
[Par ailleurs, à ma connaissance, aucune économie « collectiviste » n’a donné naissance à une « autocratie ». Je vous rappelle que « l’autocratie » est une notion étroitement liée à l’essence divine du souverain, qui incarne la loi de dieu sur terre.]
“Ô Grand Staline, ô chef des peuples,
Toi qui fais naître l’homme
Toi qui fécondes la terre
Toi qui rajeunis les siècles
Toi qui fais fleurir le printemps
Toi qui fais vibrer les cordes musicales
Tu es la fleur de mon printemps,
Un soleil reflété par des millions de coeurs humains.”
Rashimov, poème publié dans la Pravda, le 28 août 1936
Bon, je passe sur le fait que l’auteur de ce chef-d’oeuvre aurait dû lire La Fontaine sur les flatteurs vivant aux dépens de ceux qui les écoutent. Mais enfin, je ne vois pas ce qui est rationnel dans ce texte: c’est une profession de foi, pure et simple. Vous ne voulez pas le voir, mais le stalinisme fut une religion. Une religion peut-être noble et généreuse à vos yeux, mais une religion quand même, avec son lot de tartuffes, d’hypocrites, de puritains, de fondamentalistes, de mystiques, d’hérétiques, etc.
En quoi le parti communiste russe différait-il d’une Eglise? Quand on en arrive à écrire et faire publier par le journal officiel des psaumes à la gloire de Staline, on se le demande, avouez-le. Le texte que j’ai cité attribue des pouvoirs divins à Staline. Les Evangiles disent la même chose sur Jésus…
@ nationaliste-ethniciste
[Bon, je passe sur le fait que l’auteur de ce chef-d’oeuvre aurait dû lire La Fontaine sur les flatteurs vivant aux dépens de ceux qui les écoutent.]
Je ne vous le fait pas dire. Souvenez-vous de la formule de Séguéla : « je viens en ce lieu adorer Mitterrand ». Si chaque régime où le dirigeant suprême se fait flatter devient une autocratie, il y aurait beaucoup d’autocraties dans le monde…
[Mais enfin, je ne vois pas ce qui est rationnel dans ce texte : c’est une profession de foi, pure et simple. Vous ne voulez pas le voir, mais le stalinisme fut une religion.]
Mais pourquoi dites-vous que « je ne veux pas le voir » ? Au contraire, j’ai toujours pensé que le stalinisme était une religion – au sens stricte du terme. Ayant été élevé dans cette religion – ou du moins de ce qui pouvait en rester après le rapport Khroutchev, je n’ai aucun problème pour le reconnaître. Cependant, il me semble nécessaire de faire une distinction entre la « religion stalinienne » en tant que cadre idéologique dans lequel des militants et des croyants agissaient, et le « régime stalinien » qui est lui un régime politique.
Si on regarde ce dernier aspect, on ne peut que constater que le régime stalinien ne prit jamais un caractère « autocratique ». Formellement – et je vous rappelle que l’autocratie est, comme la démocratie, une forme – l’URSS a toujours eu une direction collective, une constitution, des règles. Les accusés des procès de Moscou n’ont pas été condamnés par le dirigeant suprême, mais par un tribunal. On peut discuter longuement de la manière comment ce tribunal a été constitué ou fonctionné, mais il ne reste pas moins que Staline n’a pas voulu – ou pas pu – apparaître comme condamnant les accusés lui-même.
[Une religion peut-être noble et généreuse à vos yeux, mais une religion quand même, avec son lot de tartuffes, d’hypocrites, de puritains, de fondamentalistes, de mystiques, d’hérétiques, etc.]
Bien entendu. Et ce n’est pas moi qui dirai le contraire. Mais je note qu’on ne tient pas la vieille bigote qui va tous les jours à l’église pour responsable des excès de l’inquisition, ou plus près de nous de l’aide fournie par l’église catholique aux anciens nazis. Pourquoi alors tient-on les croyants « staliniens » pour responsables du Goulag ?
[En quoi le parti communiste russe différait-il d’une Eglise?]
Facile : en ce qu’il ne prétendait pas tirer son autorité d’une entité omnisciente, toute-puissante et douée de volonté. Le PCUS pouvait à la rigueur menacer les gens de les tuer, elle ne pouvait pas les menacer d’une éternité dans les enfers. La vision d’une Eglise est bien plus « totalitaire » que celle du PCUS, tout simplement parce que si le PCUS sait beaucoup de choses sur le croyant, Dieu, lui, sait TOUT. Ce que vous pensez dans votre tête échappe au Parti, pas à Dieu. Aussi envahissante que pouvait être la « religion stalinienne », le croyant avait des espaces de liberté. Le Parti pouvait condamner vos paroles, pas vos pensées. Alors que le catholique ou le musulman peuvent aller en enfer sur simple pensée…
@ Descartes,
[Si chaque régime où le dirigeant suprême se fait flatter devient une autocratie, il y aurait beaucoup d’autocraties dans le monde…]
Entre flatter et diviniser, il y a une marge tout de même.
[Au contraire, j’ai toujours pensé que le stalinisme était une religion – au sens stricte du terme. Ayant été élevé dans cette religion – ou du moins de ce qui pouvait en rester après le rapport Khroutchev, je n’ai aucun problème pour le reconnaître.]
Autant pour moi. Il est vrai que vous avez toujours assumé votre filiation avec les communistes staliniens. Je vous présente mes excuses sur ce point.
[Formellement – et je vous rappelle que l’autocratie est, comme la démocratie, une forme – l’URSS a toujours eu une direction collective, une constitution, des règles.]
Mais alors comment appelle-t-on une pratique “autocratique” qui ne le serait pas dans la forme? Votre remarque me rappelle celle des décoloniaux quand ils affirment que les groupes identitaires issus des minorités ne font pas de censure lorsqu’ils empêchent la tenue d’une conférence ou d’un spectacle, au prétexte que la censure ne peut être exercée que par l’Etat, évidemment aux mains du groupe oppresseur. S’il n’y a pas un tsar couronné par le Saint-Synode devant un mur d’icônes, pour vous il n’y a pas autocratie? Je trouve l’argument un peu faible.
D’après ce que j’ai lu, des Soviétiques condamnés au Goulag écrivaient parfois à Staline pour protester de leur loyauté (des historiens ont retrouvé des lettres annotées de la main du Petit Père des Peuples lui-même). Pourquoi écrire à Staline et non au juge ou au procureur, puisque “formellement”, Joseph Staline ne détenait pas le pouvoir judiciaire?
Je suis étonné que vous n’appliquiez pas à l’URSS cet historicisme que vous soutenez avec vigueur (et à raison à mon avis). Staline s’est “coulé” dans une tradition politique russe qui est fondamentalement autocratique. Il s’y est coulé à sa manière, dans le cadre de l’expérience marxiste-léniniste, mais il s’y est coulé quand même, comme Vladimir Poutine le fait d’une autre manière aujourd’hui. Personnellement, je n’y vois aucun problème. Napoléon en son temps a recyclé des pratiques politiques héritées de la monarchie absolue pour permettre de pérenniser l’héritage révolutionnaire. Pourquoi ne pas admettre que Staline a fait de même, à sa façon? Il y a, je trouve, certaines similitudes entre ces deux personnages historiques.
[On peut discuter longuement de la manière comment ce tribunal a été constitué ou fonctionné, mais il ne reste pas moins que Staline n’a pas voulu – ou pas pu – apparaître comme condamnant les accusés lui-même]
Certes. Une question se pose néanmoins: quelle proportion de citoyens soviétiques était dupe?
[Pourquoi alors tient-on les croyants « staliniens » pour responsables du Goulag ?]
Ai-je écrit cela? Je ne le crois pas. Il y a une chose que je trouve tout de même un peu étonnante chez les staliniens. Bien sûr, Staline a dû gérer la phase de “stabilisation” de la révolution, ce qui est une tâche difficile et ingrate. Il a gouverné l’URSS dans un contexte international défavorable, le pays étant mis au ban des nations. Staline était à la tête d’un pays dont la tradition politique était marquée par la violence et la brutalité, indéniablement. Je tiens personnellement Joseph Staline pour un grand homme d’Etat. Mais je m’interroge sur les méthodes utilisées pour développer le pays et assurer le bonheur des peuples. Vous avez plusieurs fois eu l’occasion de fustiger le slogan thatchérien “there is no alternative”, alors je me permets de vous poser la question: la répression était probablement inévitable, mais aurait-il été possible malgré tout de lui donner une ampleur moindre?
Je pense que la différence entre nous est que vous semblez voir Staline comme prisonnier de circonstances qui l’ont amené à prendre les seules décisions raisonnablement envisageables eu égard au contexte. Quant à moi, je me demande si certaines facettes de la personnalité de Staline n’ont pas malgré tout pesé dans la pratique politique “stalinienne”. Et auquel cas, la question de savoir si Staline était cruel et paranoïaque n’est pas totalement neutre, parce qu’il est possible qu’il ait diffusé cette paranoïa et cette cruauté dans les institutions qu’il s’est efforcé de mettre en place. Postuler l’existence de complots et de trahisons doit-il conduire nécessairement à condamner à tour de bras au moindre commencement de début de soupçon de complot et de trahison? Les intentions de Staline étaient peut-être généreuses, mais doit-on pour autant admettre que la fin justifie les moyens?
Je suis également surpris du peu de cas que font les staliniens des remarques négatives de Lénine sur Staline: “Staline est trop brutal et ce défaut, parfaitement tolérable dans notre milieu et dans la relation entre nous les communistes, ne l’est plus dans la fonction de Secrétaire général“. Lénine qualifie également Staline de “capricieux“. Il propose de le démettre de ses fonctions. Pourtant Lénine n’était pas un bisounours tout de même.
[en ce qu’il ne prétendait pas tirer son autorité d’une entité omnisciente, toute-puissante et douée de volonté.]
J’ignore quelle définition vous donnez à la “toute-puissance”, mais lorsque je lis:
“Toi qui fais naître l’homme
Toi qui fécondes la terre
Toi qui rajeunis les siècles”
j’y vois, excusez-moi, une assez bonne définition de l’omnipotence. A ceci près que Staline n’est pas l’élu du Seigneur, il est Dieu lui-même… Et il semble bien que le blasphème n’ait pas été plus toléré par le NKVD que par l’Inquisition (j’ignore cependant si une telle institution existait dans le monde orthodoxe).
[La vision d’une Eglise est bien plus « totalitaire » que celle du PCUS, tout simplement parce que si le PCUS sait beaucoup de choses sur le croyant, Dieu, lui, sait TOUT.]
Mais, dans le christianisme du moins, Dieu peut se montrer compréhensif et miséricordieux, pour celui qui reconnaît être un pécheur (et tout le monde l’est, rappelez-vous de la phrase du Christ: “que celui qui n’a jamais péché lui lance la première pierre”). La rédemption n’est jamais complètement inaccessible. Et chez les staliniens?
@ nationaliste-ethniciste
[« Si chaque régime où le dirigeant suprême se fait flatter devient une autocratie, il y aurait beaucoup d’autocraties dans le monde… » Entre flatter et diviniser, il y a une marge tout de même.]
Tout à fait. Mais vous noterez que si des poèmes ont été écrits à la gloire du grand Staline, la Constitution « stalinienne » de 1936 ne fait pas du secrétaire général du PCUS – car je vous rappelle qu’à l’époque Staline n’a que ce titre-là, le chef de l’Etat (président du présidium du soviet suprême) étant Mikhail Kalinine jusqu’à sa mort en 1946, et le président du conseil des ministres étant Molotov jusqu’en 1941 – un être divin…
[« Mais alors comment appelle-t-on une pratique “autocratique” qui ne le serait pas dans la forme ? »]
Je ne comprends pas la question.
[Votre remarque me rappelle celle des décoloniaux quand ils affirment que les groupes identitaires issus des minorités ne font pas de censure lorsqu’ils empêchent la tenue d’une conférence ou d’un spectacle, au prétexte que la censure ne peut être exercée que par l’Etat, évidemment aux mains du groupe oppresseur.]
Je ne vois pas le rapport. Dans votre exemple, il s’agit d’une querelle sur le sens exact du mot « censure ». Par ailleurs, je ne suis pas persuadé que les décoloniaux affirment que de tels actes ne constituent pas de la « censure ». Je pense plutôt qu’ils assument cette censure comme justifiée.
[S’il n’y a pas un tsar couronné par le Saint-Synode devant un mur d’icônes, pour vous il n’y a pas autocratie? Je trouve l’argument un peu faible.]
Le Saint-Synode et le mur d’icônes n’est pas indispensable. Mais ce qui fait l’autocratie, c’est l’affirmation que le pouvoir absolu est confié à un seul homme par la divinité. Autrement dit, que ce pouvoir ne connaît aucune limite humaine. Staline était peut-être un dictateur, mais certainement pas un « autocrate ».
[D’après ce que j’ai lu, des Soviétiques condamnés au Goulag écrivaient parfois à Staline pour protester de leur loyauté (des historiens ont retrouvé des lettres annotées de la main du Petit Père des Peuples lui-même). Pourquoi écrire à Staline et non au juge ou au procureur, puisque “formellement”, Joseph Staline ne détenait pas le pouvoir judiciaire ?]
Parce que leur souffrance était autant physique que psychologique. Pour beaucoup d’entre eux le fait d’être considérés comme des traîtres au Parti était autant sinon plus terrible que d’être enfermés dans un camp. Certains d’entre eux étaient des militants ou dirigeants politiques, qui savaient parfaitement que la prison – et même la mort – était une possibilité, et ils l’acceptaient. Mais être considéré comme un traître à une cause à laquelle on a consacré sa vie, est une chose terrible. C’est d’ailleurs pourquoi la question des réhabilitations a été si importante après la mort de Staline. Or, si le procureur ou le juge pouvaient les libérer, seule le Parti pouvait lever la suspicion de trahison.
[Je suis étonné que vous n’appliquiez pas à l’URSS cet historicisme que vous soutenez avec vigueur (et à raison à mon avis). Staline s’est “coulé” dans une tradition politique russe qui est fondamentalement autocratique. Il s’y est coulé à sa manière, dans le cadre de l’expérience marxiste-léniniste, mais il s’y est coulé quand même, comme Vladimir Poutine le fait d’une autre manière aujourd’hui.]
Je suis tout à fait d’accord avec vous, et vous avez raison de le rappeler. Mais j’aimerais souligner une différence intéressante : Poutine s’est « coulé » dans la tradition politique russe, et a fait une Constitution présidentielle qui lui accorde tous les pouvoirs ou presque. Staline, lorsqu’il fit écrire une constitution, a tenu à maintenir dans le texte le principe d’une direction collective. Je pense que Staline, autant par formation politique que par penchant personnel, était bien moins confortable avec la position d’autocrate – qui implique une exposition publique très importante – que ne l’est Poutine. En ce sens, je ne pense pas qu’on puisse dire que Staline ait été un « autocrate » meme si, comme vous le rappelez, il est difficile d’exercer le pouvoir en échappant à la tradition politique de son pays. Les Russes attendent de leurs leaders un certain comportement, et cette attente s’impose autant à Staline qu’à Poutine.
[Personnellement, je n’y vois aucun problème. Napoléon en son temps a recyclé des pratiques politiques héritées de la monarchie absolue pour permettre de pérenniser l’héritage révolutionnaire. Pourquoi ne pas admettre que Staline a fait de même, à sa façon ? Il y a, je trouve, certaines similitudes entre ces deux personnages historiques.]
Mais… je l’admets volontiers. Seulement, il y a manière et manière de recycler. Napoléon recycla pas mal d’éléments de la monarchie absolue, mais ne s’est jamais prétendu empereur de droit divin : tout comme Staline, il n’a jamais caché le fait que son investiture venait du peuple, et non d’un pouvoir supérieur. Et je coïncide avec vous, il y a des ressemblances entre les deux personnages parce qu’ils ont joué le même rôle : celui de construire des institutions solides sur les ruines du régime ancien.
[« On peut discuter longuement de la manière comment ce tribunal a été constitué ou fonctionné, mais il ne reste pas moins que Staline n’a pas voulu – ou pas pu – apparaître comme condamnant les accusés lui-même » Certes. Une question se pose néanmoins: quelle proportion de citoyens soviétiques était dupe?]
Je ne sais pas. Mais à l’époque, il y eut beaucoup de « dupes ». L’ambassadeur américain de l’époque, Davies, était convaincu de la culpabilité des accusés si l’on croit les télégrammes qu’il adressa à Washington et le livre qu’il écrivit à l’époque. Encore aujourd’hui, il est difficile de savoir si les accusés complotaient ou non contre Staline. Je pense que pour beaucoup de Russes à l’époque l’existence d’un tel complot était parfaitement raisonnable.
[« Pourquoi alors tient-on les croyants « staliniens » pour responsables du Goulag ? » Ai-je écrit cela?]
Vous non, mais d’autres – très nombreux – l’ont fait. La question a donc sa pertinence.
[Il y a une chose que je trouve tout de même un peu étonnante chez les staliniens. Bien sûr, Staline a dû gérer la phase de “stabilisation” de la révolution, ce qui est une tâche difficile et ingrate. Il a gouverné l’URSS dans un contexte international défavorable, le pays étant mis au ban des nations. Staline était à la tête d’un pays dont la tradition politique était marquée par la violence et la brutalité, indéniablement. Je tiens personnellement Joseph Staline pour un grand homme d’Etat. Mais je m’interroge sur les méthodes utilisées pour développer le pays et assurer le bonheur des peuples. Vous avez plusieurs fois eu l’occasion de fustiger le slogan thatchérien “there is no alternative”, alors je me permets de vous poser la question : la répression était probablement inévitable, mais aurait-il été possible malgré tout de lui donner une ampleur moindre ?]
C’est une de ces questions auxquelles tout homme de bonne volonté aimerait connaître la réponse… et auxquelles il est impossible à répondre. L’histoire est pleine d’hommes comme Allende qui ont refusé la terreur ou même la répression, et qui ont été renversés ou assassinés. Et de l’autre côté, vous trouvez des hommes comme Staline ou Robespierre qui ont assumé la terreur et ont sauvé les acquis de la révolution. Aurait-on pu placer ailleurs le curseur ? Etait-il possible d’en faire moins sans mettre en danger leur pays ? Il est impossible de répondre à cette question.
La « patrie en danger » aurait pu être sauvée avec quelques guillotinées de moins. Mais il est aussi possible que sans cela la France eut été dépecée par « l’armée des princes » victorieuse. Si tel avait été le résultat, on reprocherait aujourd’hui à Robespierre son manque de fermeté. C’est un pari que l’homme politique ne peut gagner : quoi qu’il fasse, il sera jugé sévèrement par les gens qui savent ce qu’il aurait fallu faire depuis le sofa du salon…
[Je pense que la différence entre nous est que vous semblez voir Staline comme prisonnier de circonstances qui l’ont amené à prendre les seules décisions raisonnablement envisageables eu égard au contexte. Quant à moi, je me demande si certaines facettes de la personnalité de Staline n’ont pas malgré tout pesé dans la pratique politique “stalinienne”. Et auquel cas, la question de savoir si Staline était cruel et paranoïaque n’est pas totalement neutre, parce qu’il est possible qu’il ait diffusé cette paranoïa et cette cruauté dans les institutions qu’il s’est efforcé de mettre en place.]
Je ne crois pas qu’on soit vraiment en désaccord. En tout cas, pas sur ce point-là. Je ne pense pas que Staline fut un homme particulièrement « cruel » – il n’existe aucune évidence qui le montre jouissant de la souffrance des autres, il n’assistait pas personnellement aux exécutions, et ceux qui l’ont connu disent qu’il avait une certaine répugnance pour le sang. Paranoïaque, il l’était certainement. Mais dans l’époque et le contexte dans lequel il a vécu, ceux qui n’étaient pas paranoïaques ne faisaient pas long feu. Plutôt que se demander si la paranoïa de Staline a diffusé dans son contexte, il faut plutôt se demander si le contexte n’a pas rendu les hommes qui l’ont vécu paranoïaques.
En tout cas, on peut constater que les institutions staliniennes ne sont pas particulièrement cruelles ou paranoïaques. La Constitution de 1936 est de ce point de vue presque banale. Et le discours officiel du régime ne laisse transparaître ni paranoïa, ni cruauté. On n’en trouve pas trace d’ailleurs dans les écrits de Staline lui-même. A ce titre, la comparaison avec le nazisme est éclairante : lisez Mein Kampf, et vous trouverez de la paranoïa à chaque page. C’est pourquoi l’analyse qui ferait de Staline un fou cruel et paranoïaque me semble peu vraisemblable.
[Postuler l’existence de complots et de trahisons doit-il conduire nécessairement à condamner à tour de bras au moindre commencement de début de soupçon de complot et de trahison ?]
La logique de la terreur fonctionne toujours de la même manière : par une répression indiscriminée, on paralyse ceux qui autrement s’engageraient dans de véritables complots. La terreur robespierrienne a certainement causé la mort de beaucoup de gens qui n’avaient probablement rien à se reprocher. Mais elle a été incontestablement efficace à un moment critique pour empêcher les royalistes d’agir.
[Les intentions de Staline étaient peut-être généreuses, mais doit-on pour autant admettre que la fin justifie les moyens ?]
Cela se décide au cas par cas. La terreur robespierrienne était-elle justifiée ? Ce qu’elle a sauvé valait ce qu’elle a détruit ? C’est une question tragique, à laquelle chacun ne peut qu’apporter sa réponse personnelle. Et je pense qu’il en va de même pour Staline.
[Je suis également surpris du peu de cas que font les staliniens des remarques négatives de Lénine sur Staline: “Staline est trop brutal et ce défaut, parfaitement tolérable dans notre milieu et dans la relation entre nous les communistes, ne l’est plus dans la fonction de Secrétaire général“. Lénine qualifie également Staline de “capricieux“. Il propose de le démettre de ses fonctions. Pourtant Lénine n’était pas un bisounours tout de même.]
J’imagine que vous faites référence au « testament de Lénine », et notamment la note datée du 4 janvier 1923. D’abord, sachez que l’authenticité de ces textes n’est nullement établie : Les notes ont été dictées – et ne sont donc pas autographes – et ne portent pas de signature. Il est tout de même étrange qu’elles n’aient pas été transmises immédiatement aux membres du Comité central auxquels elles sont adressées. Et qu’elles aient été conservées par la femme de Lénine et transmises au Comité central du PCUS trois ans après la mort de Lénine, en 1927, à un moment ou les opposants de Staline cherchaient à l’abattre. C’est d’autant plus curieux qu’il n’existe aucune autre expression de Lénine – orale ou écrite – faisant état de « remarques négatives » sur Staline.
Mais au-delà du fait de savoir si le texte est ou non authentique, je me demande ce que Robespierre pensait de Napoléon. Je ne serais pas surpris si dans une lettre Robespierre avait dénoncé l’ambition dévorante du jeune général et l’avait qualifié de danger pour la République, et à ce titre à surveiller particulièrement…
[« en ce qu’il ne prétendait pas tirer son autorité d’une entité omnisciente, toute-puissante et douée de volonté » J’ignore quelle définition vous donnez à la “toute-puissance”, mais lorsque je lis: “Toi qui fais naître l’homme/Toi qui fécondes la terre/Toi qui rajeunis les siècles” j’y vois, excusez-moi, une assez bonne définition de l’omnipotence.]
Certes. Mais c’est un poème, et rien d’autre. La Constitution de 1936 rédigée à l’initiative de Staline ne confère pas au secrétaire général du PCUS de tels pouvoirs – pas plus qu’elle ne déclare que ceux qu’il a lui sont conférés par une entité toute-puissante. Qu’on trouve un flatteur pour écrire que Macron est tout-puissant – et on en trouve toujours – n’implique pas que la République française soit fondée sur l’idée que le président est omnipotent…
[« La vision d’une Eglise est bien plus « totalitaire » que celle du PCUS, tout simplement parce que si le PCUS sait beaucoup de choses sur le croyant, Dieu, lui, sait TOUT. » Mais, dans le christianisme du moins, Dieu peut se montrer compréhensif et miséricordieux,]
Il peut… ou pas. Et son choix nous est « impénétrable ». Mais cela ne change rien au fait que Dieu sait TOUT sur vous, alors que le Parti ne sait qu’une partie, et que Dieu peut vous punir pour l’éternité, alors que le Parti ne peut vous punir que jusqu’à la fin de votre vie. Cela fait tout de même une grosse différence…
[La rédemption n’est jamais complètement inaccessible. Et chez les staliniens ?]
De ce point de vue je dois dire que Staline, ancien séminariste, n’a guère été original. La rédemption est accessible par la repentance, la purification de la chair, le sacrifice. Dans mon enfance, on me racontait l’histoire de ce scientifique soviétique qui, condamné pour trahison, avait continué ses recherches en prison et avait conçu des améliorations fondamentales pour certains armements utilisés pendant la seconde guerre mondiale. Il fut gracié et décoré par Staline lui-même. Je ne peux bien entendu pas garantir l’authenticité de l’histoire, mais mon grand père y croyait.
@Descartes
Vous oubliez une différence majeure : en URSS, c’était le régime lui-même qui flattait le dirigeant suprême. Pire, il est possible que ceux qui auraient refusé de participer aux flatteries organisées se voyaient quelque peu inquiétés… Certains avaient beau flatter Mitterrand (*), on pouvait aussi critiquer Mitterrand publiquement (voire le moquer férocement) sans craindre grand chose pour soi ou pour ses proches.
(*) je passe sur la question de savoir si Séguéla était ironique dans la citation que vous lui attribuez.
@ Ian Brossage
[Vous oubliez une différence majeure : en URSS, c’était le régime lui-même qui flattait le dirigeant suprême. Pire, il est possible que ceux qui auraient refusé de participer aux flatteries organisées se voyaient quelque peu inquiétés…]
Je ne sais pas. Pourriez-vous donner un exemple précis de personnalité qui ait été “inquiétée” du simple fait de ne pas participer aux flatteries organisées ? Personnellement, je n’en connais aucun. Les poèmes, les statues, les tableaux, les villes baptisées à son nom… finalement, on retrouve à peu près la même chose chez nous sous le règne de Louis XIV. Ajoutez à cela la tradition politique autocratique et la vision orthodoxe du culte des images… et vous aurez le tableau complet.
Le pouvoir absolu – réel on fantasmé – attire très naturellement ce genre de comportement. Pas besoin donc de “l’organiser”, il s’organise de lui-même. Si vous pensez que le Grand Leader a le pouvoir de faire et défaire votre carrière, alors pourquoi ne pas écrire un poème, un essai, de peindre un tableau ou composer un hymne à sa gloire, de baptiser une rue ou une ville à son nom ? Ça ne vous coûte rien, et peut vous rapporter très gros. Alors, pourquoi s’en priver ?
Bien sur, cela se fait en accord aux traditions de chaque pays. Chez nous, le culte public des images a depuis longtemps perdu sa puissance, et la flatterie est donc quelque chose qui se fait derrière portes closes – et je peux vous assurer que la flagornerie, dans les couloirs de l’Elysée et des ministères, ça y va comme à la meilleure époque, souvenez-vous de la lettre de Christine Lagarde à Nicolas Sarkozy. Et puis, le pouvoir chez nous est multipolaire et en flattant l’un vous risquez de vous faire un ennemi de celui qui lui succédera… une certaine prudence s’impose donc.
Cela étant dit, on sait très peu de chose sur l’effet que ce culte avait sur Staline lui-même. Il n’y a guère de preuves qu’il ait vu dans ce culte autre chose qu’un instrument politique, qu’il ait été sensible personnellement à ce torrent de louanges. En tout cas, dans les actes officiels, l’Etat soviétique s’est montré fort discret. Le “régime” ne lui décerne aucun titre – comme celui de Führer en Allemagne ou Duce en Italie. La Constitution de 1936 ne lui confère aucun rôle particulier. S’il est présent par son image, sa présence physique est rare: pas de grands rassemblements, pas de grands discours publics. On peut difficilement voir en lui un “roi soleil”…
[Certains avaient beau flatter Mitterrand (*), on pouvait aussi critiquer Mitterrand publiquement (voire le moquer férocement) sans craindre grand chose pour soi ou pour ses proches.]
Çà dépend. Ceux qui ont voulu se “moquer” de son aventure extraconjugale avec Mme Pingeot ont quand même eu de sérieux ennuis. Mais au delà de cet exemple particulier, vous avez tout à fait raison: le pouvoir du “bloc dominant” en France est solidement établi, et la critique de ses leaders ne présente aucun danger pour lui. Persécuter les critiques aurait donc un coût social bien supérieur aux avantages que les classes dominantes peuvent en tirer. Mais là où le “bloc dominant” s’est senti menacé, cette liberté de critiquer a été rapidement supprimée – avec la bénédiction des régimes “démocratiques”. Videla, Pinochet, Franco, ça vous dit quelque chose ?
@ Descartes
[Dans mon enfance, on me racontait l’histoire de ce scientifique soviétique qui, condamné pour trahison, avait continué ses recherches en prison et avait conçu des améliorations fondamentales pour certains armements utilisés pendant la seconde guerre mondiale. Il fut gracié et décoré par Staline lui-même.]
Il me semble que ton aïeul te parlait de Sergueï Korolev. En tout cas, le récit y ressemble énormément.
@ BolchoKek
[Il me semble que ton aïeul te parlait de Sergueï Korolev. En tout cas, le récit y ressemble énormément.]
Ton grand père racontait la même histoire ?
@ Descartes,
[la Constitution « stalinienne » de 1936 ne fait pas du secrétaire général du PCUS – car je vous rappelle qu’à l’époque Staline n’a que ce titre-là, le chef de l’Etat (président du présidium du soviet suprême) étant Mikhail Kalinine jusqu’à sa mort en 1946, et le président du conseil des ministres étant Molotov jusqu’en 1941 – un être divin…]
Je trouve que vous attachez beaucoup d’importance à la Constitution de 1936, et que vous semblez négliger la pratique du pouvoir. Pouvez-vous me citer une décision importante prise par Kalinine ou Molotov, sans l’aval de Staline?
[Je ne comprends pas la question.]
La question était: comment appelez-vous une pratique autocratique qui se cache derrière une Constitution en apparence équilibrée (celle de 1936 par exemple)? Vous me dites que ce n’est pas de l’autocratie. C’est quoi alors?
[Par ailleurs, je ne suis pas persuadé que les décoloniaux affirment que de tels actes ne constituent pas de la « censure ».]
C’est en tout cas ce qu’a affirmé Maboula Soumahoro dans “Signes des temps” sur France Culture (le pauvre Marc Weitzmann faillit s’étrangler): les opprimés ne peuvent censurer, et leur combat pour interdire tel spectacle ou conférence s’inscrit dans la défense des minorités. Vu que Soumahoro recycle en France des discours racialistes venus d’Outre-Atlantique, je serais surpris qu’elle soit la seule à être sur cette ligne.
[Mais ce qui fait l’autocratie, c’est l’affirmation que le pouvoir absolu est confié à un seul homme par la divinité.]
Non. “Autocratie” signifie “qui tient son pouvoir de soi-même”. En France, le pouvoir royal venait de Dieu et était absolu aux XVII° et XVIII° siècles. Pourtant, ni Louis XIV, ni Louis XV à ma connaissance ne se qualifiaient ou étaient qualifiés d’ “autocrates”.
[Or, si le procureur ou le juge pouvaient les libérer, seule le Parti pouvait lever la suspicion de trahison.]
Admettons. Mais alors, qui gouverne véritablement l’URSS? L’Etat ou le Parti? La Constitution de 1936 n’établit-elle pas un Etat fantoche masquant la mainmise totale du Parti sur les processus de décisions politiques?
[Je pense que Staline, autant par formation politique que par penchant personnel, était bien moins confortable avec la position d’autocrate – qui implique une exposition publique très importante – que ne l’est Poutine.]
Je ne sais pas. J’ai tendance à penser que Staline était un homme d’une grande intelligence, et qu’il a été fort habile de se mettre en retrait. De mon point de vue, il a été un “autocrate en coulisses”. Et comme il était Secrétaire général du Parti communiste, c’était aussi une façon de protéger le parti, je pense.
[Et je coïncide avec vous, il y a des ressemblances entre les deux personnages parce qu’ils ont joué le même rôle : celui de construire des institutions solides sur les ruines du régime ancien.]
Mais les institutions que bâtit Staline sont en partie factice. La Constitution de 1936 établit un Etat sur le papier. Dans la réalité, le pouvoir réside dans le Parti et dans son chef. De ce point de vue, Napoléon fut moins hypocrite.
[Et de l’autre côté, vous trouvez des hommes comme Staline ou Robespierre qui ont assumé la terreur et ont sauvé les acquis de la révolution.]
Robespierre n’a pas, personnellement, sauvé grand chose: il a été lui-même victime de la Terreur qu’il avait contribué à déclencher. Ce sont plutôt les Thermidoriens (qui avaient largement participé à ladite Terreur) qui ont sauvé les acquis de la Révolution. Y compris en annulant les élections durant le Directoire…
J’ajoute que Robespierre siégeait au Comité de Salut Public et que la mise en oeuvre de la Terreur dépendait beaucoup du Comité de Sûreté Générale, où les robespierristes n’étaient pas majoritaires. Par conséquent, Robespierre n’était pas en mesure de contrôler le développement de la Terreur comme Staline, lorsque ce dernier eut pris le contrôle total du Parti.
[Je ne pense pas que Staline fut un homme particulièrement « cruel » – il n’existe aucune évidence qui le montre jouissant de la souffrance des autres, il n’assistait pas personnellement aux exécutions, et ceux qui l’ont connu disent qu’il avait une certaine répugnance pour le sang.]
Je serai moins catégorique que vous. On a apparemment retrouvé sur les lettres envoyés par des camarades expédiés au goulag des insultes ou des sarcasmes griffonnés par Staline en personne. Il ne semble pas avoir été un ami d’une grande loyauté, et sa conduite avec ses proches (épouses, fils) laisse entrevoir un homme dur et insensible. Après, on peut toujours dire qu’il était dévoué corps et âme à la Révolution et à la cause du prolétariat, je veux bien l’entendre.
[C’est pourquoi l’analyse qui ferait de Staline un fou cruel et paranoïaque me semble peu vraisemblable.]
Fou certainement pas. Mais dur au point d’en être inhumain, la question est posée. Vous dites qu’aucun témoignage ne valide l’image d’un homme cruel et sanguinaire. Mais y a-t-il le moindre témoignage évoquant – en privé, dans l’intimité – des remords, des doutes, des regrets? Staline a-t-il jamais reconnu à mi-mot des erreurs, des excès? Pas à ma connaissance.
[Mais au-delà du fait de savoir si le texte est ou non authentique, je me demande ce que Robespierre pensait de Napoléon.]
Maximilien Robespierre, je ne sais pas. Mais son frère Augustin Robespierre, je peux vous le dire: beaucoup de bien. Je crois me rappeler qu’il écrivit une lettre à son aîné faisant l’éloge de ce jeune officier tout acquis à la Révolution. Il est vrai cependant que Robespierre n’a pas eu le temps de voir le début de l’ascension de Bonaparte. Par contre Robespierre a soutenu et favorisé la carrière de Pichegru qui plus tard se compromit avec les monarchistes.
[Certes. Mais c’est un poème, et rien d’autre.]
Paru dans le journal officiel, et il y en a eu d’autres. Que Staline ait pu agréer un tel niveau de flagornerie (qui franchement frise le ridicule) ne rend pas hommage à son intelligence, que je tiens pour assez grande. J’ajoute qu’il est étonnant d’attribuer à un simple “camarade” (l’égalité formelle étant de mise entre communistes) des pouvoirs quasi-divins. Il y a tout de même une petite contradiction. Je me demande si Staline n’a pas fini par croire à sa propre infaillibilité.
[Mais cela ne change rien au fait que Dieu sait TOUT sur vous, alors que le Parti ne sait qu’une partie, et que Dieu peut vous punir pour l’éternité, alors que le Parti ne peut vous punir que jusqu’à la fin de votre vie. Cela fait tout de même une grosse différence…]
Dans la mesure où le Parti en question ne fait pas grand cas de l’éternité, et que la damnatio memoriae peut ensuite peser sur vos enfants et petits-enfants, je ne sais pas si la différence est aussi “grosse” que vous semblez le penser. Tenez, ça faisait quoi en URSS d’être l’enfant d’un traître condamné publiquement? Les familles des traîtres ne subissaient pas l’opprobre?
[Dans mon enfance, on me racontait l’histoire de ce scientifique soviétique qui, condamné pour trahison, avait continué ses recherches en prison et avait conçu des améliorations fondamentales pour certains armements utilisés pendant la seconde guerre mondiale.]
Mais s’il avait été envoyé pour terrasser sous le neige en Sibérie, c’eût été plus difficile… Cet homme avait sans doute une compétence rare qui le rendait précieux. Mais pour les simples camarades qui n’étaient que de petits cadres du Parti aisément remplaçables?
@ nationaliste-ethniciste
[« la Constitution « stalinienne » de 1936 ne fait pas du secrétaire général du PCUS – car je vous rappelle qu’à l’époque Staline n’a que ce titre-là, le chef de l’Etat (président du présidium du soviet suprême) étant Mikhail Kalinine jusqu’à sa mort en 1946, et le président du conseil des ministres étant Molotov jusqu’en 1941 – un être divin… » Je trouve que vous attachez beaucoup d’importance à la Constitution de 1936, et que vous semblez négliger la pratique du pouvoir.]
Je ne néglige pas la pratique réelle du pouvoir, mais vous avez raison de penser que j’accorde à la constitution « stalinienne » de 1936 une importance toute particulière. C’est un peu comme pour la Déclaration de 1789 : même si sa mise en œuvre pendant la période révolutionnaire a été très largement incomplète, elle donne une idée de ce que les libéraux qui dominaient les Etats Généraux avaient en tête. La Constitution de 1936 donne une idée de la conception que pouvait avoir la fraction « stalinienne » du Parti bolchévique du fonctionnement de l’Etat socialiste et de ses rapports avec le Parti. On peut d’ailleurs comparer la Constitution de 1936 aux « masses de granit » de Napoléon : même après la mort de Staline, la Constitution de 1936 reste en vigueur, et ses dispositions seront très largement reprises dans la constitution soviétique de 1977.
[Pouvez-vous me citer une décision importante prise par Kalinine ou Molotov, sans l’aval de Staline?]
Pouvez-vous me citer une décision importante prise par le gouvernement français et qui n’ait pas eu l’aval du MEDEF ? Quelle conclusion faut-il tirer de cette coïncidence, à votre avis ?
[« Je ne comprends pas la question. » La question était: comment appelez-vous une pratique autocratique qui se cache derrière une Constitution en apparence équilibrée (celle de 1936 par exemple)? Vous me dites que ce n’est pas de l’autocratie. C’est quoi alors?]
Prenons un exemple : les Etats-Unis d’Amérique ont une constitution démocratique. Pourtant, on peut dire que pendant le maccarthysme, le système politique américain a eu des « pratiques » qui étaient très loin d’être conformes à la démocratie. Comment appelleriez-vous le régime politique des Etats-Unis de cette période ? Diriez-vous que les USA à l’époque n’étaient pas une démocratie ?
[« Par ailleurs, je ne suis pas persuadé que les décoloniaux affirment que de tels actes ne constituent pas de la « censure ». » C’est en tout cas ce qu’a affirmé Maboula Soumahoro dans “Signes des temps” sur France Culture (le pauvre Marc Weitzmann faillit s’étrangler): les opprimés ne peuvent censurer, et leur combat pour interdire tel spectacle ou conférence s’inscrit dans la défense des minorités. Vu que Soumahoro recycle en France des discours racialistes venus d’Outre-Atlantique, je serais surpris qu’elle soit la seule à être sur cette ligne.]
Je ne connaissais pas cet exemple. Les discours que j’avais entendu ne contestaient pas qu’il s’agisse de « censure », mais tendaient plutôt à considérer cette « censure » comme justifiée – en particulier en donnant l’exemple de la Loi Gayssot. Mais je veux bien croire que certains aient plus loin dans le discours. Cependant, je vois mal comment ils pourraient contester rationnellement qu’il s’agit d’un acte de censure.
[« Mais ce qui fait l’autocratie, c’est l’affirmation que le pouvoir absolu est confié à un seul homme par la divinité. » Non. “Autocratie” signifie “qui tient son pouvoir de soi-même”.]
Ne confondons pas « étymologie » et « signification »… le terme grec « autocrator » est utilisé pour qualifier les empereurs romains à partir de Marcien, à qui le sacre par le patriarche bizantin permet de cumuler le pouvoir religieux et le pouvoir civil, de devenir le représentant de dieu sur terre. C’est cette idée qui sera plus tard généralisée dans le monde slave et donnera naissance à l’autocratie russe. En occident, la présence du Pape rendait très difficile l’instauration d’une véritable « autocratie ».
[En France, le pouvoir royal venait de Dieu et était absolu aux XVII° et XVIII° siècles. Pourtant, ni Louis XIV, ni Louis XV à ma connaissance ne se qualifiaient ou étaient qualifiés d’ “autocrates”.]
Non, parce que si bien ils étaient désignés par dieu pour régner sur leurs états, ils n’étaient pas les représentants de dieu sur terre. Ils étaient dépositaires de l’autorité civile, mais pas de l’autorité religieuse. En occident, le seul qui pouvait prétendre au titre « d’autocratos » était… le Pape lui-même, qui cumulait autorité civile et autorité religieuse…
[« Or, si le procureur ou le juge pouvaient les libérer, seule le Parti pouvait lever la suspicion de trahison. » Admettons. Mais alors, qui gouverne véritablement l’URSS? L’Etat ou le Parti?]
Cette dualité a toujours été problématique. Je pense qu’un des buts de la Constitution de 1936 était de mettre fin ou du moins limiter la dualité du pouvoir – qui est d’ailleurs caractéristique des périodes révolutionnaires – entre les structures de contrôle politique et la bureaucratie d’Etat, qui était à l’origine d’un grand nombre de désordres et d’abus. Bonaparte eut le même problème, et le renforcement de l’autorité préfectorale avait entre autres objectifs de faire disparaître toute une théorie de comités et de commissaires qui ont fleuri sous la Révolution. De Gaulle aura le même souci à la Libération. C’est d’ailleurs une constante de la période stalinienne : le remplacement progressif des structures de contrôle politique par des structures administratives (voir par exemple la suppression des commissaires politiques dans les armées en 1942). C’est là la naissance de la fameuse « bureaucratie stalinienne » tant dénoncée par les « vieux bolchéviques » attachés à la primauté des structures du Parti sur celles de l’Etat.
[La Constitution de 1936 n’établit-elle pas un Etat fantoche masquant la mainmise totale du Parti sur les processus de décisions politiques?]
Nullement. Contrairement à ce que vous semblez penser, la Constitution de 1936 ne passe pas sous silence le rôle du Parti. Ses rédacteurs consacrent au contraire son « rôle dirigeant » consacré à l’article 126 (voir le texte complet sur https://mjp.univ-perp.fr/constit/su1936.htm). Je vous accorde que ces dispositions ne résolvent pas la question du dualisme dont j’ai parlé plus haut. Mais il faut aussi comprendre qu’en 1936 il restait au Parti beaucoup de « vieux bolchéviques » qui acceptaient très mal l’idée d’un Parti laissant l’administration travailler sans interférence…
[Et je coïncide avec vous, il y a des ressemblances entre les deux personnages parce qu’ils ont joué le même rôle : celui de construire des institutions solides sur les ruines du régime ancien.]
Mais les institutions que bâtit Staline sont en partie factice. La Constitution de 1936 établit un Etat sur le papier. Dans la réalité, le pouvoir réside dans le Parti et dans son chef. De ce point de vue, Napoléon fut moins hypocrite.]
Comme dans toute analogie, il faut faire attention de ne pas pousser la chose trop loin. Les problématiques auxquelles Bonaparte et Staline ont eu à faire face sont très différentes. La bourgeoisie française avait colonisé progressivement l’Etat depuis le règne de Louis XIII : les « grands » du royaume, ceux qu’on appellait les « princes », ont été progressivement écarté au bénéfice de bourgeois anoblis à la va vite (la « noblesse de robe »). Les Colbert ou le Tellier, les deux dynasties administratives dominantes sous Louis XIV en sont un bon exemple. Du coup, la Révolution puis l’Empire – qui venaient organiser l’Etat de la bourgeoisie – pouvaient compter sur des administrateurs compétents et dévoués aux objectifs du pouvoir.
La situation de la Russie est tout à fait différente. Les dirigeants « prolétariens » arrivent au pouvoir alors que l’administration est inféodée à l’aristocratie et à la bourgeoisie. Il est donc impensable d’utiliser cette administration comme relai pour gouverner le pays, sauf à la surveiller étroitement. Il faut donc construire une structure parallèle pour contrôler l’administration : ce sera le Parti-Etat. C’est cette structure qui permettra au pouvoir bolchévique de gagner la guerre civile et d’établir une gouvernabilité sur un territoire immense à la fin des années 1920. Seulement voilà : une fois que le diable est sorti de sa boite, il est difficile de le faire rentrer. Ce n’est pas Staline qui a donné tout pouvoir au Parti, ce sont les circonstances. Staline avait certainement un pouvoir immense, mais il n’était pas tout-puissant, et il n’a jamais oublié « qui l’a fait roi ». Il pouvait difficilement dire a ses camarades de Parti – comme le fit De Gaulle avec la Résistance – « maintenant vous rendez les armes et vous retournez à votre boulot ». Il a choisi la voie graduelle, en réduisant progressivement le rôle du Parti et poussait en avant celui des administrations de l’Etat : suppression du Komintern, suppression des « commissaires politiques », interdiction aux organisations du Parti de se mêler des matières administratives… contrairement à ce que beaucoup de gens croient, les structures du Parti du temps de Staline ont beaucoup moins de pouvoir que du temps de Lénine.
[« Et de l’autre côté, vous trouvez des hommes comme Staline ou Robespierre qui ont assumé la terreur et ont sauvé les acquis de la révolution. » Robespierre n’a pas, personnellement, sauvé grand chose: il a été lui-même victime de la Terreur qu’il avait contribué à déclencher.]
Je ne suis pas d’accord. La terreur a rendu impossible la progression des complots royalistes à un moment critique de la Révolution.
[J’ajoute que Robespierre siégeait au Comité de Salut Public et que la mise en œuvre de la Terreur dépendait beaucoup du Comité de Sûreté Générale, où les robespierristes n’étaient pas majoritaires. Par conséquent, Robespierre n’était pas en mesure de contrôler le développement de la Terreur comme Staline, lorsque ce dernier eut pris le contrôle total du Parti.]
La question à se poser est de savoir jusqu’à quel point ce contrôle était « total ». Je me méfie beaucoup des théories qui reposent sur l’autorité absolue d’un homme. On ne prend pas le pouvoir et on ne s’y maintient pas tout seul. Ces théories sont d’autant plus suspectes que les témoins sur lesquels ces théories reposent ont tout intérêt en général à se dédouaner en chargeant le tyran de toutes les fautes…
La répression stalinienne reposait sur des exécutants qui avaient toute la confiance de Staline. Et je doute que ce dernier ait visé chaque dossier. Comme dans le cas de Robespierre, la répression dépendait de comités sur lesquels le contrôle ne pouvait qu’être imparfait.
[Je serai moins catégorique que vous. On a apparemment retrouvé sur les lettres envoyées par des camarades expédiés au goulag des insultes ou des sarcasmes griffonnés par Staline en personne.]
Je ne doute pas qu’il ait haï certains des « camarades » qu’il a fait exécuter – et qui probablement l’auraient fait exécuter, lui, si le rapport de forces avait été différent. Mais cela n’en fait pas un homme « cruel ». Tout au plus « vindicatif ». Par ailleurs, avez-vous une référence de ces « lettres » ? J’ai du mal à imaginer que Staline, qui après tout était un homme très occupé, ait perdu son temps à lire des lettres de condamnés et à y mettre des annotations.
[Il ne semble pas avoir été un ami d’une grande loyauté, et sa conduite avec ses proches (épouses, fils) laisse entrevoir un homme dur et insensible. Après, on peut toujours dire qu’il était dévoué corps et âme à la Révolution et à la cause du prolétariat, je veux bien l’entendre.]
Je pense qu’il avait été à l’école de Lénine : « un révolutionnaire n’a pas d’amis ».
[Fou certainement pas. Mais dur au point d’en être inhumain, la question est posée. Vous dites qu’aucun témoignage ne valide l’image d’un homme cruel et sanguinaire. Mais y a-t-il le moindre témoignage évoquant – en privé, dans l’intimité – des remords, des doutes, des regrets ? Staline a-t-il jamais reconnu à mi-mot des erreurs, des excès ? Pas à ma connaissance.]
Et bien, vous avez tort. Je vous conseille la lecture de l’article suivant : https://www.persee.fr/doc/cmr_1252-6576_1997_num_38_3_2492
Il est un peu long, mais décrit assez bien ce que pouvait être l’ambiance de l’époque (en particulier les pages 318-320). On voit finalement un fonctionnement assez collectif, dans lequel Staline reconnaît des erreurs et demande l’avis de ses collaborateurs avant de prendre des décisions. On voit aussi qu’encore en 1932 la direction stalinienne du Parti bolchévique n’avait pas vraiment les choses en main : certains comités ne faisaient qu’à leur tête, certains dirigeants défiaient les ordres venues d’en haut…
[« Certes. Mais c’est un poème, et rien d’autre. » Paru dans le journal officiel, et il y en a eu d’autres. Que Staline ait pu agréer un tel niveau de flagornerie (qui franchement frise le ridicule) ne rend pas hommage à son intelligence, que je tiens pour assez grande.]
Je pense qu’il faudrait la relire avec les yeux du lieu et de l’époque. Certain textes paraissent ridicules aujourd’hui, mais ne l’étaient pas à l’époque. Relisez les dédicaces au Maréchal Pétain écrites par De Gaulle dans les années 1930…
[« Mais cela ne change rien au fait que Dieu sait TOUT sur vous, alors que le Parti ne sait qu’une partie, et que Dieu peut vous punir pour l’éternité, alors que le Parti ne peut vous punir que jusqu’à la fin de votre vie. Cela fait tout de même une grosse différence… » Dans la mesure où le Parti en question ne fait pas grand cas de l’éternité,]
Justement. Pour le chrétien, l’Eglise peut vous damner pour l’éternité. Pour le communiste, le Parti peut vous damner tout au plus jusqu’à la fin de votre vie.
[et que la damnatio memoriae peut ensuite peser sur vos enfants et petits-enfants, je ne sais pas si la différence est aussi “grosse” que vous semblez le penser. Tenez, ça faisait quoi en URSS d’être l’enfant d’un traître condamné publiquement ? Les familles des traîtres ne subissaient pas l’opprobre ?]
Pas que je sache. Si je crois la rumeur publique, le régime encourageait les enfants et les familiers d’un « traitre » à le dénoncer. On voit mal comment cela aurait pu marcher si les familles des traîtres « subissaient l’opprobre ».
[« Dans mon enfance, on me racontait l’histoire de ce scientifique soviétique qui, condamné pour trahison, avait continué ses recherches en prison et avait conçu des améliorations fondamentales pour certains armements utilisés pendant la seconde guerre mondiale. » Mais s’il avait été envoyé pour terrasser sous la neige en Sibérie, c’eût été plus difficile… Cet homme avait sans doute une compétence rare qui le rendait précieux. Mais pour les simples camarades qui n’étaient que de petits cadres du Parti aisément remplaçables ?]
Je vous ai proposé ce récit pour vous montrer que dans « l’église communiste », la rédemption était possible. On parle d’un symbole, pas d’une réalité.
@Descartes
Non, et il est possible que je me trompe sur ce point précis. N’empêche que :
Votre analogie est donc passée de Mitterrand à Louis XIV. Ce n’est pas la même chose. Louis XIV était bel et bien un monarque de droit divin.
Attendez. Le poème cité n’était pas publié par un quelconque éditeur indépendant. Il était publié par la Pravda, la voix officielle du régime. Vous faites un amalgame entre une flagornerie individuelle et un culte organisé, non pas « de lui-même », mais par le régime avec ses instruments. De même, les statues érigées à son effigie ne l’étaient probablement pas à titre privé et individuel. Et lorsqu’elles ont été détruites, c’est également par le régime lui-même (ou celui qui a pris sa succession) (*).
(*) https://fr.rbth.com/histoire/81026-monuments-staline
Ce ne serait pas un épouvantail rhétorique, par hasard ? Je vous rappelle que le sujet était le culte de nature religieuse rendu à Staline.
@ Ian Brossage
[« Pourriez-vous donner un exemple précis de personnalité qui ait été “inquiétée” du simple fait de ne pas participer aux flatteries organisées ? » Non, et il est possible que je me trompe sur ce point précis.]
Vous n’avez aucun exemple précis… et pourtant vous en êtes convaincu – au point de l’écrire comme un fait établi sans aucune précaution de langage. Sans vouloir vous offenser, c’est intéressant parce que cela illustre parfaitement à quel point la « légende noire » a été installée dans les mentalités : tout vice reproché à Staline est donné pour certain sans qu’on s’interroge spontanément sur la réalité des faits.
[« Les poèmes, les statues, les tableaux, les villes baptisées à son nom… finalement, on retrouve à peu près la même chose chez nous sous le règne de Louis XIV. » Votre analogie est donc passée de Mitterrand à Louis XIV. Ce n’est pas la même chose. Louis XIV était bel et bien un monarque de droit divin.]
Oui, mais ce n’est déjà plus un « autocrate ». Le règne de Louis XIV marque la séparation définitive entre le Roi et l’Etat (« je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours » devait-il dire dans son lit de mort). Même si on conserve formellement l’idée que le roi a été choisi par dieu pour gouverner ses états, on ne croit plus que sa bouche exprime la parole de dieu.
Du point de vue de la maturité politique, la Russie de 1917 n’était pas très loin de la France de Louis XIV, c’est pourquoi je pense que la comparaison est pertinente. Le culte de la personnalité mitterrandienne se déroulera dans un pays qui a une tradition politique très différente. Un culte ouvert sous la forme que prenait le culte de Louis XIV ou de Staline aurait paru ridicule dans la France de 1981…
[« Le pouvoir absolu – réel on fantasmé – attire très naturellement ce genre de comportement. Pas besoin donc de “l’organiser”, il s’organise de lui-même. » Attendez. Le poème cité n’était pas publié par un quelconque éditeur indépendant. Il était publié par la Pravda, la voix officielle du régime.]
Oui. Autrement dit, sa publication a été décidée par le directeur du journal, qui voyait lui aussi un certain intérêt à flatter le dirigeant suprême. Je pense que vous faites l’erreur de croire que le régime soviétique – ou n’importe quel autre régime, d’ailleurs – était monolithique, au point que chaque article publié dans la Pravda était approuvé par Staline lui-même avant publication. A mon avis, c’est une vision fausse. Dans tout régime, y compris le plus « totalitaire », chaque échelon a une marge d’autonomie. Et le directeur de la Pravda avait autant intérêt à flatter en publiant le poème que son auteur en l’écrivant.
Il est clair que si Staline n’avait pas voulu qu’on le flatte, il avait les moyens de décourageur les flatteurs. Il ne l’a pas fait. Mais cela n’implique pas qu’il ait « organisé » la flatterie, ou qu’il l’ait appréciée. Plus banalement, il ne voyait probablement aucune raison pour la décourager… comme la plupart des hommes politiques avant et après lui. La légende qui montre Cromwell – à l’époque Protecteur de la République Anglaise – engueulant un peintre qui avait cherché à le flatter en supprimant ses verrues dans le portrait qui fit de lui (« représentez moi comme je suis, verrues comprises ! ») correspond bien au puritanisme du personnage. Mais on ne peut pas dire que son exemple ait été beaucoup suivi.
[Vous faites un amalgame entre une flagornerie individuelle et un culte organisé, non pas « de lui-même », mais par le régime avec ses instruments. De même, les statues érigées à son effigie ne l’étaient probablement pas à titre privé et individuel.]
Je ne sais pas. Combien de ces statues furent élevées par décision du « régime », et combien spontanément par des dirigeants subalternes qui voulaient se faire bien voir – et je ne compte même pas ceux qui voulaient sincèrement rendre hommage au personnage sans rien attendre en échange et qui étaient probablement fort nombreux eux aussi ? Je n’ai pas la réponse. Mais ayant vu ce que peut être le comportement de certains subordonnés envers des chefs bien moins charismatiques que ne pouvait l’être Staline, je suis convaincu qu’il n’est point besoin « d’organiser » ce type de flagornerie. Elle vient d’elle-même…
[Et lorsqu’elles ont été détruites, c’est également par le régime lui-même (ou celui qui a pris sa succession).]
Là encore, je me pose la question. De la même façon que beaucoup de dirigeants subalternes ont proposé de donner le nom du grand dirigeant à une ville ou une rue, de lui lever une statue ou de commander un tableau à sa gloire, dès lors que le nouveau dirigeant suprême a condamné la figure de Staline on trouvera des dirigeants subalternes – souvent les mêmes d’ailleurs – pour effacer son nom dans les mêmes conditions. C’est tellement humain…
[« Mais là où le “bloc dominant” s’est senti menacé, cette liberté de critiquer a été rapidement supprimée – avec la bénédiction des régimes “démocratiques”. Videla, Pinochet, Franco, ça vous dit quelque chose ? » Ce ne serait pas un épouvantail rhétorique, par hasard ? Je vous rappelle que le sujet était le culte de nature religieuse rendu à Staline.]
Si le sujet était « le culte de nature religieuse rendu à Staline », alors je me demande pourquoi vous aviez écrit « Certains avaient beau flatter Mitterrand, on pouvait aussi critiquer Mitterrand publiquement (voire le moquer férocement) sans craindre grand-chose pour soi ou pour ses proches. ». Cette remarque ne me semble pas avoir grand rapport avec le « culte » rendu à Staline. Si vous faites des remarques hors sujet, ne vous plaignez pas d’avoir des réponses hors sujet…
Par ailleurs, je ne vois dans ma réponse aucun “épouvantail rhétorique”. Je vous donne simplement des exemples où a bourgeoisie s’est sentie suffisamment menacée dans ses intérêts pour estimer que le coût de passer outre au choix démocratique était moindre que celui de l’accepter. Ces exemples me semblent assez parlants à l’heure de montrer combien la démocratie est fragile: elle ne subsiste qu’aussi longtemps que le “bloc dominant” estime qu’elle aboutit à des solutions moins onéreuses pour lui que l’usage nu de la force.
@ Descartes,
[Pouvez-vous me citer une décision importante prise par le gouvernement français et qui n’ait pas eu l’aval du MEDEF ?]
Je dirai les 35 heures sous le gouvernement Jospin. Ou bien Ernest-Antoine Seillière faisait-il semblant de s’opposer?
Mais revenons à la Constitution de 1936. Lors de la Conférence de Téhéran de 1943, qui pose avec Churchill et Roosevelt? Ce n’est pas Kalinine ni Molotov, mais bien Staline. Il est vrai qu’à ce moment-là, ce dernier avait mis fin à une certaine hypocrisie en prenant le poste de Président du Conseil des commissaires du Peuple de l’Union Soviétique (depuis 1941).
[Comment appelleriez-vous le régime politique des Etats-Unis de cette période ? Diriez-vous que les USA à l’époque n’étaient pas une démocratie ?]
Dans la mesure où il n’était pas possible de professer des idées communistes sans être inquiété, je parlerai de “démocratie limitée”. En tout cas, l’appellation de “démocratie libérale” pour les Etats-Unis de cette période me paraît discutable. Après tout, dans un état vraiment libre, il ne devrait pas être dangereux d’être impopulaire ou d’adhérer à une idéologie minoritaire.
Mais vous n’avez pas vraiment répondu à ma question.
[le terme grec « autocrator » est utilisé pour qualifier les empereurs romains à partir de Marcien, à qui le sacre par le patriarche bizantin permet de cumuler le pouvoir religieux et le pouvoir civil, de devenir le représentant de dieu sur terre.]
Je pense que vous vous méprenez. Le patriarche de Constantinople ainsi que le clergé orthodoxe (tout particulièrement les moines) ont toujours représenté un pouvoir avec lequel le “basileus et autocrator des Romains” devait composer. Je vous renvoie aux tentatives avortées de certains empereurs byzantins d’imposer l’Union des Eglises grecque et latine à leur clergé. Ils s’y sont cassés les dents… Contrairement à ce qui s’est passé dans des pays protestants, où des rois sont devenus chefs d’Eglise (en Angleterre par exemple).
[La répression stalinienne reposait sur des exécutants qui avaient toute la confiance de Staline. Et je doute que ce dernier ait visé chaque dossier.]
Chaque dossier, peut-être pas. Mais si j’en crois ce que les historiens ont trouvé dans les archives à Moscou, Staline a de sa main signé pas moins de 383 listes de condamnations à mort (soit 44 000 exécutions). Je doute que Robespierre ait eu un tel pouvoir. Et d’ailleurs, la Constitution de 1936 accordait-elle un tel pouvoir au secrétaire général du parti communiste de l’URSS?
J’ignore si les Grandes Purges de 1936-1939 se justifiaient d’un point de vue strictement politique. Il est fort possible en effet que Staline ait rencontré des oppositions dans le parti. Il n’est pas impossible que des militaires aient réellement comploté contre lui. Il n’en demeure pas moins que Staline a profité des Grandes Purges pour asseoir son pouvoir personnel, un pouvoir qu’on peut je crois qualifier d’absolu. Et peut-être est-ce ce qui lui a permis de diriger efficacement le pays pendant la guerre. Il n’empêche que Staline a contrôlé de près la répression et son ampleur. Il a choisi Iejov, l’exécuteur des basses oeuvres à la tête du NKVD, avant de l’éliminer pour lui faire porter le chapeau (comme les Thermidoriens ont fait avec Robespierre). Il a remplacé une génération de cadres par des “petits jeunes” qui lui devaient tout. La femme de Kalinine, le chef de l’Etat en titre, est tout de même déportée en 1938 pour avoir osé critiquer Staline. Je veux bien entendre que l’historiographie contemporaine adopte un prisme antistalinien systématique mais enfin, quand on regarde les faits, qu’on les met bout à bout, qu’on observe comment des proches de Staline, même pas des ennemis ou des opposants, et leurs familles ont parfois subi la répression, on sent tout de même la volonté de briser toute velléité de s’opposer – même en petit comité – au Petit Père des Peuples, d’utiliser la peur comme instrument politique. Passé le milieu des années 30, on a l’impression que Staline ne supporte plus la moindre contradiction.
Encore une fois, il m’est impossible de dire si ce “grand ménage” revêtait une nécessité absolue. En revanche, il me paraît difficile de nier que les Grandes Purges ont instauré une forme d’autocratie stalinienne, fondée sur une répression féroce. Répression qui étrangement s’atténue quelque peu, notamment dans le domaine religieux, au moment de la guerre, alors que cette dernière aurait dû accentuer la répression, si on suit le modèle de la Révolution française.
[Par ailleurs, avez-vous une référence de ces « lettres » ? J’ai du mal à imaginer que Staline, qui après tout était un homme très occupé, ait perdu son temps à lire des lettres de condamnés et à y mettre des annotations.]
Les historiens s’accordent à dire que Staline était un bourreau de travail. Il recevait énormément de courrier et se faisait apparemment un devoir de le lire. Il avait semble-t-il l’habitude d’annoter tout ce qu’il lisait (lettres, rapports, livres, etc). Pour ce qui est des lettres de dévouement écrites par des victimes de la répression et griffonnées d’injures par Staline en personne, Jean-Jacques Marie en donne apparemment des exemples dans son ouvrage sur Staline (Fayard, 2001).
[Je pense qu’il avait été à l’école de Lénine : « un révolutionnaire n’a pas d’amis ».]
Ni de famille… Après la tentative de suicide ratée de son fils Iakov, Staline déclare “Dire qu’il n’est même pas foutu de viser juste”. Moi, j’appelle ça de la cruauté. Pas vous?
Cela étant dit, je vous pose la question, puisque vous vous revendiquez fièrement de cet héritage révolutionnaire: vous auriez dénoncé vos parents? Vous seriez prêt à sacrifier femme et enfants à la Révolution? En toute honnêteté, êtes-vous aussi stalinien que vous vous plaisez à le dire?
[Et bien, vous avez tort. Je vous conseille la lecture de l’article suivant]
Très intéressant. Mais ça, c’était avant les Grandes Purges, quand Staline devait encore compter avec des dirigeants communistes qui disposaient d’une réelle influence et d’une légitimité propre. Qu’en est-il après les Grandes Purges? Au soir de sa vie, Staline a-t-il exprimé des regrets ou des remords, comme Louis XIV confessant “avoir trop aimé la guerre”? De son vivant, Staline a-t-il réhabilité des gens qu’il avait fait condamner? Si oui, combien?
@ nationaliste-ethniciste
[« Pouvez-vous me citer une décision importante prise par le gouvernement français et qui n’ait pas eu l’aval du MEDEF ? » Je dirai les 35 heures sous le gouvernement Jospin. Ou bien Ernest-Antoine Seillière faisait-il semblant de s’opposer ?]
Je note que vous êtes obligé d’aller chercher un exemple vieux de vingt ans… et qui plus est un exemple ambigu. L’opposition du MEDEF était réelle au départ, elle est devenue factice une fois que les patrons ont réussi à obtenir du gouvernement Jospin les contreparties qu’ils souhaitaient (gel des salaires pendant cinq ans, possibilité d’annualisation du temps de travail, réduction du coût des heures supplémentaires, subvention aux bas salaires…). On peut difficilement que les 35 heures ont été imposées au MEDEF.
[Mais revenons à la Constitution de 1936. Lors de la Conférence de Téhéran de 1943, qui pose avec Churchill et Roosevelt ? Ce n’est pas Kalinine ni Molotov, mais bien Staline. Il est vrai qu’à ce moment-là, ce dernier avait mis fin à une certaine hypocrisie en prenant le poste de Président du Conseil des commissaires du Peuple de l’Union Soviétique (depuis 1941).]
Si vous posez la question et vous répondez vous-même… Au moment où il participe à la conférence de Téhéran, Staline est chef du gouvernement – tout comme Churchill. Téhéran était un sommet des chefs de gouvernement, et non des chefs d’Etat (sans quoi le roi d’Angleterre aurait du prendre la place de Churchill…).
Mais je ne suis pas sûr qu’il faille parler « d’hypocrisie ». Comme je l’ai expliqué par ailleurs, on a tort d’imaginer que Staline était un grand partisan de la dictature du Parti. Au contraire de certains « vieux bolchéviques » (Trotsky y compris) qui voyaient dans la primauté du Parti la garantie de la pureté révolutionnaire du régime, Staline faisait partie des pragmatiques (on pourrait dire « bonapartistes », tant la problématique rejoint celle de l’après-révolution française) qui avaient compris qu’il fallait bâtir un Etat solide, reposant sur une bureaucratie wébérienne et libéré de l’interférence permanente des « militants ». On peut interpréter l’accession de Staline à un poste gouvernemental comme un pas dans cette direction, une façon de bien marquer que le pouvoir désormais résidait dans les structures de l’Etat plus que celles du Parti.
On présente trop souvent le conflit entre Staline et les « vieux bolchéviques » (qui aboutit à la « purge » de ces derniers) comme un simple choc d’ambitions ou d’inimitiés personnelles. Je suis convaincu qu’il y eut au contraire un véritable conflit politique entre une vision « mouvementiste » ou les militants du Parti à tous les niveaux surveillent et contrôlent l’Etat, et une vision « institutionnaliste » prétendant au contraire gouverner à travers une administration affranchie des querelles politiques.
[« Comment appelleriez-vous le régime politique des Etats-Unis de cette période ? Diriez-vous que les USA à l’époque n’étaient pas une démocratie ? » Dans la mesure où il n’était pas possible de professer des idées communistes sans être inquiété, je parlerai de “démocratie limitée”. En tout cas, l’appellation de “démocratie libérale” pour les Etats-Unis de cette période me paraît discutable.]
Vous êtes bien seul dans cette position. Lorsqu’on parle des « grandes démocraties » dans la période qui suit la deuxième guerre mondiale, on inclut invariablement les Etats-Unis. Lorsqu’on classe les pays capitalistes selon leurs régimes politiques, c’est pratiquement toujours en fonction de l’ordre juridique théorique, et non de leurs « pratiques » (sans quoi, il faudrait rayer pas mal de pays de la liste des « démocraties » y compris en Europe). Curieusement, cette facilité est refusée aux états socialistes. Je doute que vous qualifieriez l’URSS de « démocratie limitée », à quelque période que ce soit de son existence.
[Après tout, dans un état vraiment libre, il ne devrait pas être dangereux d’être impopulaire ou d’adhérer à une idéologie minoritaire. Mais vous n’avez pas vraiment répondu à ma question.]
Je pense l’avoir fait, mais peut-être n’ais-je pas bien compris la question. Pourriez-vous la reformuler ?
[« le terme grec « autocrator » est utilisé pour qualifier les empereurs romains à partir de Marcien, à qui le sacre par le patriarche bizantin permet de cumuler le pouvoir religieux et le pouvoir civil, de devenir le représentant de dieu sur terre. » Je pense que vous vous méprenez. Le patriarche de Constantinople ainsi que le clergé orthodoxe (tout particulièrement les moines) ont toujours représenté un pouvoir avec lequel le “basileus et autocrator des Romains” devait composer.]
Certes. Les décisions politiques n’effacent pas les rapports de force d’un trait de plume. Mais je voulais simplement signaler que le terme « autocrate » est lié à la fusion de l’autorité politique et de l’autorité religieuse dans un seul homme se disant le représentant de dieu sur terre. Qu’une partie du clergé orthodoxe ait résisté la prétention de Marcien et ses successeurs de se proclamer « autocrator » ne change rien à l’affaire.
[Contrairement à ce qui s’est passé dans des pays protestants, où des rois sont devenus chefs d’Eglise (en Angleterre par exemple).]
Chefs oui, mais pas « représentants de dieu sur terre »… L’acte de Suprématie donne au roi le pouvoir de nommer les évêques et les archevêques, de créer ou dissoudre les monastères, de disposer des biens de l’Eglise. Mais il n’avait pas le pouvoir de remettre les péchés ou d’administrer les sacrements. Dans la tradition autocratique russe, le tsar détient au contraire un pouvoir spirituel qui va bien au-delà.
[Chaque dossier, peut-être pas. Mais si j’en crois ce que les historiens ont trouvé dans les archives à Moscou, Staline a de sa main signé pas moins de 383 listes de condamnations à mort (soit 44 000 exécutions). Je doute que Robespierre ait eu un tel pouvoir. Et d’ailleurs, la Constitution de 1936 accordait-elle un tel pouvoir au secrétaire général du parti communiste de l’URSS?]
Certainement pas. Mais il faudrait savoir s’il a « signé » pour décision – cela m’étonnerait beaucoup – ou plus simplement pour indiquer que le document lui avait été communiqué, conformément à l’habitude soviétique. C’est le cas des (rares) exemples figurant sur le site de l’association « Mémorial » (https://stalin.memo.ru/ accessible seulement en russe).
[J’ignore si les Grandes Purges de 1936-1939 se justifiaient d’un point de vue strictement politique. Il est fort possible en effet que Staline ait rencontré des oppositions dans le parti.]
La question pour moi est moins de « justifier » que de comprendre. Quelque puisse mon engagement personnel, j’essaye de me placer dans une position d’historien. La question ici est « pourquoi l’a-t-il fait ». La question de savoir si cela se justifiait ou pas dépend beaucoup de votre position moral et de la valeur relative que vous donnez aux choses. Etait-il « justifié » de faire mourir un million de jeunes français pour battre l’Allemagne ? Certains vous diront « oui », d’autres « non ».
[Il n’est pas impossible que des militaires aient réellement comploté contre lui.]
C’est même très probable. A l’époque, les complots étaient chose commune, et de la même façon que Staline a « comploté » la chute de ses adversaires, on peut raisonnablement penser que ceux-ci complotaient sa chute. Personne dans les hautes sphères du Parti à l’époque n’était un enfant de chœur…
[Il n’en demeure pas moins que Staline a profité des Grandes Purges pour asseoir son pouvoir personnel, un pouvoir qu’on peut je crois qualifier d’absolu. Et peut-être est-ce ce qui lui a permis de diriger efficacement le pays pendant la guerre.]
Pour être honnête, je me suis toujours interrogé sur cette question, et je n’ai pas encore trouvé un ouvrage qui réponde à cette interrogation. Jusqu’à quel point Staline était-il seul ? Quelles étaient les rapports avec ses hommes de confiance – qui pour beaucoup l’ont accompagné pendant tout son parcours et ne l’ont pas renié après sa mort ? Sollicitait-il leur avis ? En tenait-il compte ? Se sentaient-ils en confiance avec lui ?
J’avoue que j’ai beaucoup de mal à croire à « l’homme seul » en politique. On n’arrive pas et surtout ne s’y maintient pas à la tête d’une organisation sans relais. Commander ne sert à rien s’il n’y a pas des hommes pour relayer les ordres et s’assurer qu’ils sont mis en œuvre. Et cela nécessite un rapport de confiance. Il faut des hommes en qui le leader peut avoir confiance et qui ont confiance en lui. La terreur pure permet de passer un mauvais moment en frappant de stupeur les adversaires, mais cela ne dure jamais longtemps. La chute de Robespierre illustre très bien les limites de la terreur : quand tout le monde se sent menacé, quand personne ne peut plus être sûr de rien, les gens se révoltent. Or, ce ne fut pas le cas dans l’univers stalinien.
[Je veux bien entendre que l’historiographie contemporaine adopte un prisme antistalinien systématique mais enfin, quand on regarde les faits, qu’on les met bout à bout, qu’on observe comment des proches de Staline, même pas des ennemis ou des opposants, et leurs familles ont parfois subi la répression, on sent tout de même la volonté de briser toute velléité de s’opposer – même en petit comité – au Petit Père des Peuples, d’utiliser la peur comme instrument politique.]
Que Staline ait utilisé la terreur comme instrument politique, c’est je pense incontestable. Ce qui me semble beaucoup moins évident, c’est que cette terreur ait été aussi aveugle que vous la faites. On sait très peu de choses sur les jeux de pouvoir au sein du Parti bolchévik dans les années 1930. Une grande partie des négociations, des complots, des conspirations étaient secrètes et ont laissé peu de traces écrites – sauf à croire aux archives judiciaires ou policières staliniennes, ce qui est évidemment un choix dangereux. Les victimes de la répression et leurs familles ont tout intérêt à exagérer l’aspect victimaire, et donc à gommer tout élément qui rendrait la répression subie justifiable. Les témoins côté gouvernement ont tout intérêt, eux, à rejeter l’ensemble des fautes sur Staline, et donc à « personnaliser » son rôle à outrance.
[Passé le milieu des années 30, on a l’impression que Staline ne supporte plus la moindre contradiction.]
Je ne sais pas. Dans ses échanges avec Kaganovitch (voir l’article que je vous ai proposé dans mon commentaire hier) il semble demander l’avis de son interlocuteur. Est-ce que Kaganovitch en retour lui révelait le fond de sa pensée ? Comment réagissait Staline lorsque la réponse contredisait ses propres idées ? Nous n’en savons rien, en fait. Des témoins pourtant amicaux envers lui nous ont rapporté les colères hométiques de Hitler lorsqu’un de ses visiteurs lui portait la contradiction, même sur un sujet banal et éloigné de la politique. Mais pour Staline, je ne connais pas de témoignage équivalent.
[Répression qui étrangement s’atténue quelque peu, notamment dans le domaine religieux, au moment de la guerre, alors que cette dernière aurait dû accentuer la répression, si on suit le modèle de la Révolution française.]
La situation était très différente : l’église catholique en France avait parié sur la victoire de « l’armée des princes », alors que l’église orthodoxe, n’a jamais compté sur les armées allemandes pour rétablir ses privilèges. Le discours des nazis concernant les « races inférieures » incluant les slaves ne leur laissait pas beaucoup d’espoirs à cet égard… la hiérarchie orthodoxe a donc bien compris que son intérêt était de se rapprocher du pouvoir stalinien, et réciproquement.
[Les historiens s’accordent à dire que Staline était un bourreau de travail. Il recevait énormément de courrier et se faisait apparemment un devoir de le lire. Il avait semble-t-il l’habitude d’annoter tout ce qu’il lisait (lettres, rapports, livres, etc).]
Il faut se souvenir que la tradition administrative soviétique était pour tout destinataire d’une lettre de la signer pour en accuser la réception. La signature prouve donc que Staline a eu la lettre entre les mains, mais pas forcément qu’elle l’ait lu. Cela étant dit, ceux qui l’ont côtoyé le décrivent effectivement comme un bourreau de travail et un grand lecteur.
[Pour ce qui est des lettres de dévouement écrites par des victimes de la répression et griffonnées d’injures par Staline en personne, Jean-Jacques Marie en donne apparemment des exemples dans son ouvrage sur Staline (Fayard, 2001).]
Je n’ai pas lu celui-là… faudrait que je me le procure.
[« Je pense qu’il avait été à l’école de Lénine : « un révolutionnaire n’a pas d’amis ». » Ni de famille… Après la tentative de suicide ratée de son fils Iakov, Staline déclare “Dire qu’il n’est même pas foutu de viser juste”. Moi, j’appelle ça de la cruauté. Pas vous?]
Moi, j’appelle surtout cela une légende… qui atteste cette remarque ?
[Cela étant dit, je vous pose la question, puisque vous vous revendiquez fièrement de cet héritage révolutionnaire : vous auriez dénoncé vos parents ? Vous seriez prêt à sacrifier femme et enfants à la Révolution ?]
Je ne sais pas. Je serais malhonnête si je répondais oui ou non à cette question. Je n’ai jamais été au cours de ma vie confronté à un tel choix. Quand la situation s’est présentée, j’ai sacrifié ma carrière, une partie de ma vie personnelle et familiale en militant non pas pour une Révolution (que je ne pensais pas possible à court terme) mais disons pour une « perspective révolutionnaire ». Et-ce que dans d’autres circonstances j’aurais été prêt à aller beaucoup plus loin… en toute honnêteté, je ne sais pas. C’est un peu comme si vous me posiez la question de savoir si je serais prêt à donner ma vie pour mon pays en m’engageant dans la Résistance…
[En toute honnêteté, êtes-vous aussi stalinien que vous vous plaisez à le dire ?]
Je ne pense pas être « stalinien ». J’ai été élevé par des parents et des grands parents qui l’avaient été (je suis né trop tard pour les avoir connu du temps où ils étaient des « vrais croyants ») et qui gardaient encore la nostalgie du temps où ils croyaient encore. Je revendique, oui, ces gens-là parce qu’ils n’ont fait de mal à personne, au contraire. Pour reprendre la formule de François George, « ils croyaient en quelque chose de grand, et cette croyance les grandissait ». Si vous voulez comprendre ce que je veux dire, regardez le film « tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ».
Cela étant dit, je ne suis pas non plus « anti-stalinien ». Je pense que le stalinisme est un phénomène historique et doit être étudié comme tel. « ni louer, ni condamner, mais comprendre ».
[« Et bien, vous avez tort. Je vous conseille la lecture de l’article suivant » Très intéressant. Mais ça, c’était avant les Grandes Purges, quand Staline devait encore compter avec des dirigeants communistes qui disposaient d’une réelle influence et d’une légitimité propre. Qu’en est-il après les Grandes Purges ?]
C’est une très bonne question. Personnellement, l’idée d’un Staline tout-puissant me paraît un peu courte, pour les raisons expliquées plus haut. On ne gouverne pas un Etat tout seul, et tout dirigeant, aussi puissant soit-il, a besoin de relais – et doit donc compter avec eux. Mais comme l’historiographie actuelle retient comme article de dogme la toute-puissance du Petit père des peuples, je ne sais pas s’il y a des historiens qui aient travaillé sur les équilibres de pouvoir entre les différents secteurs du PCUS après le milieu des années 1930.
[Au soir de sa vie, Staline a-t-il exprimé des regrets ou des remords, comme Louis XIV confessant
“avoir trop aimé la guerre”?]
Staline vit les dernières années de sa vie très isolé. Ses apparitions publiques sont rarissimes : il ne prononcera que trois discours après 1946, dont deux qui durent à peine quelques minutes. Il est pratiquement retiré des affaires après 1950 : sa santé des dégrade et il passe de longs mois dans sa résidence d’été au Caucase. En 1952 il interviendra au Comité central du Parti pendant une heure et demie pour parler des qualités qu’il lui semble nécessaire de rechercher dans son éventuel successeur, allant jusqu’à mentionner plusieurs noms (Mikoyan, Molotov). Mais il ne semble pas qu’il ait été très porté sur l’introspection, et encore moins à discuter ses sentiments personnels.
[De son vivant, Staline a-t-il réhabilité des gens qu’il avait fait condamner? Si oui, combien?]
Il y a un certain nombre. Ainsi, par exemple, après la chute de Iéjov un certain nombre de jugements prononcés pendant son mandat ont été cassés et les personnes libérées ou rejugées (ce fut le cas par exemple de S Korolev, le père du programme spatial soviétique). D’ailleurs, il fut reproché à Iéjov la « purge » du NKVD au cours de laquelle quelque 14.000 personnes furent condamnées. Cela équivaut pratiquement à une réhabilitation collective. Mais en toute franchise je ne saurais pas vous dire le nombre exact de rehabilitations.
@Descartes
Je ne crois pas avoir reproché des « vices » à Staline, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs.
Et alors ? Le point était que Staline faisait l’objet d’une adoration religieuse, pas la forme exacte du pouvoir soviétique. Quant à savoir comment se définit exactement un « autocrate » et si Staline remplit les conditions de ce qualificatif, cela tient plus de l’argutie terminologique, à mon avis.
Franchement, la peur du ridicule n’a jamais arrêté les entreprises de quelque pouvoir que ce soit (pensez à la statue de Georges Frêche). Peut-être certains soviétiques trouvaient-ils ridicules les poèmes à la gloire de Staline, cependant il valait mieux ne pas l’exprimer publiquement et vous en trouverez donc certainement peu la trace dans les archives historiques.
Pardon, mais qu’est-ce que cela est censé changer, exactement ? Il est évident que si on parle du « régime » soviétique, on construit une abstraction qui simplifie la réalité – et donc la tord un peu. De même que si l’on parle de l’entreprise « Peugeot », on pourrait toujours rétorquer que chaque échelon a une marge d’autonomie, etc., et qu’il n’y a pas de main-mise totale du conseil d’administration. Et alors ?
Maintenant, si vous mettez bout à bout les différentes manifestations de louanges quasi-mystiques à l’égard de Staline dans l’espace public (poème dans la Pravda, statues, cérémonies…) et que vous mettez en contrepoint l’absence totale de critique publique à son égard (et même l’impossibilité d’en émettre une), et que vous n’arrivez pas à un « culte de la personnalité » dûment organisé parce que selon vous c’est juste la résultante de quelques décisions individuelles, eh bien, tant pis.
Peut-être, mais vous noterez que ni nationaliste-ethnicisite ni moi n’avons accusé Staline d’avoir personnellement organisé les louanges publiques. Je ne vois donc pas à quoi répond cette phrase. Quant on discute de savoir s’il y avait un culte de la personnalité, une ferveur de type religieux autour d’un dirigeant, on se fiche de savoir si c’était le dirigeant qui organisait personnellement la propagande, les affiches, les cérémonies.
Oui, enfin soyons sérieux. Il y a aussi des tas de contextes où la flagornerie ne « vient » pas trop, ou pas à ce point. Et je trouve amusant que vous ne considériez pas un seul instant que ces louanges aient pu être sérieuses et sincères. Notons que les mêmes louanges se sont retrouvées à l’étranger où il n’y a avait rien à espérer en retour, ce qui pointe bien qu’elles pouvaient largement être sincères.
@ Ian Brossage
[Je ne crois pas avoir reproché des « vices » à Staline, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs.]
J’avais compris que vous lui reprochiez d’avoir « inquiété » ceux qui refusaient de participer aux séances de flatterie organisée… mais si je me suis trompé, je m’en excuse.
[Et alors ? Le point était que Staline faisait l’objet d’une adoration religieuse, pas la forme exacte du pouvoir soviétique. Quant à savoir comment se définit exactement un « autocrate » et si Staline remplit les conditions de ce qualificatif, cela tient plus de l’argutie terminologique, à mon avis.]
Je ne partage pas. L’autocratie fait partie des traditions politique les plus archaïques en Russie. Savoir si les bolchéviques ont repris cette tradition ou si au contraire ils se sont placés en rupture ne me paraît pas une pure question terminologique.
[Peut-être certains soviétiques trouvaient-ils ridicules les poèmes à la gloire de Staline, cependant il valait mieux ne pas l’exprimer publiquement et vous en trouverez donc certainement peu la trace dans les archives historiques.]
Ne croyez pas ça. Certains auteurs soviétiques ont ironisé sur ce genre de flatterie. C’est le cas par exemple d’Ilya Ilf et Evgueni Petrov dans « le veau d’or », un livre qui a eu un énorme succès pendant la période stalinienne… et qui était particulièrement apprécié dit-on par le « petit père des peuples ». Le texte est d’ailleurs publié en français.
[Pardon, mais qu’est-ce que cela est censé changer, exactement ? Il est évident que si on parle du « régime » soviétique, on construit une abstraction qui simplifie la réalité – et donc la tord un peu. De même que si l’on parle de l’entreprise « Peugeot », on pourrait toujours rétorquer que chaque échelon a une marge d’autonomie, etc., et qu’il n’y a pas de main-mise totale du conseil d’administration. Et alors ?]
Et alors, si l’on voit apparaître dans le canard interne de l’usine Peugeot un texte à la gloire de son PDG, on ne peut pas conclure que « l’entreprise » met en place « une campagne de flatterie organisée ». C’était bien là mon point : la flatterie dans l’URSS stalinienne était-elle une politique d’Etat, ou le fruit d’une converge d’intérêts entre des agents qui ne voyaient que des avantages à cirer les pompes de celui qu’on percevait comme détenteur de tous les pouvoirs ?
[Maintenant, si vous mettez bout à bout les différentes manifestations de louanges quasi-mystiques à l’égard de Staline dans l’espace public (poème dans la Pravda, statues, cérémonies…) et que vous mettez en contrepoint l’absence totale de critique publique à son égard (et même l’impossibilité d’en émettre une), et que vous n’arrivez pas à un « culte de la personnalité » dûment organisé parce que selon vous c’est juste la résultante de quelques décisions individuelles, eh bien, tant pis.]
Evitez-moi le gambit « je possède la vérité, mais si vous êtes trop bête pour la voir, tant pis (pour vous)…
[Peut-être, mais vous noterez que ni nationaliste-ethnicisite ni moi n’avons accusé Staline d’avoir personnellement organisé les louanges publiques.]
Faudrait se décider. Vous m’expliquez que a) en URSS il y eut une campagne organisée de flatterie ; et que b) En URSS Staline avait tout pouvoir, toute initiative ne pouvait venir que de lui. On ne peut logiquement déduire que si une campagne de flatterie a eu lieu, elle l’a été à l’initiative de Staline. Pour tenir votre position il faut soit admettre qu’il n’y a pas eu de « campagne organisée », soit qu’il pouvait y avoir des initiatives de grande ampleur prises sans l’accord de Staline. Je vous laisse choisir l’hypothèse qui aurait votre préférence…
[Quant on discute de savoir s’il y avait un culte de la personnalité, une ferveur de type religieux autour d’un dirigeant, on se fiche de savoir si c’était le dirigeant qui organisait personnellement la propagande, les affiches, les cérémonies.]
Vous vous fichez peut-être, pas moi. Ce n’est pas la même chose de se proclamer dieu soi même que d’être élevé au rang de dieu par les autres.
[« Mais ayant vu ce que peut être le comportement de certains subordonnés envers des chefs bien moins charismatiques que ne pouvait l’être Staline, je suis convaincu qu’il n’est point besoin « d’organiser » ce type de flagornerie. Elle vient d’elle-même… » Oui, enfin soyons sérieux. Il y a aussi des tas de contextes où la flagornerie ne « vient » pas trop, ou pas à ce point.]
Par exemple ? Pouvez-vous me donner un exemple d’un leader supposé détenir un pouvoir quasi-absolu et qui n’ait pas fait l’objet d’une flatterie outrageuse ?
[Et je trouve amusant que vous ne considériez pas un seul instant que ces louanges aient pu être sérieuses et sincères. Notons que les mêmes louanges se sont retrouvées à l’étranger où il n’y a avait rien à espérer en retour, ce qui pointe bien qu’elles pouvaient largement être sincères.]
Mais… non seulement je l’ai considéré, mais je l’ai écrit. Je me cite : « Combien de ces statues furent élevées par décision du « régime », et combien spontanément par des dirigeants subalternes qui voulaient se faire bien voir – et je ne compte même pas ceux qui voulaient sincèrement rendre hommage au personnage sans rien attendre en échange et qui étaient probablement fort nombreux eux aussi ? ».
Cela étant dit, quand vous regardez les hommages rendus à Staline par des gens qui n’avaient rien à attendre de lui, vous trouvez quand même des textes bien moins excessifs par rapport à celui que vous avez cité. Ainsi, par exemple, voici l’hommage funèbre publié par Louis Aragon :
« La France doit à Staline tout ce que, depuis qu’il est à la tête du parti bolchevik, il a fait pour rendre invincible le peuple soviétique, et dans son armée rouge, et dans sa confiance en Staline, l’homme qui disait que gouverner c’est prévoir, et qui a toujours prévu juste… La France doit à Staline son existence de nation pour toutes les raisons que Staline a données aux hommes soviétiques d’aimer la paix, de haïr le fascisme, et particulièrement pour la constitution stalinienne, qui est une de ces raisons, pour lesquelles un grand peuple peut également vivre et mourir. […]
Merci à Staline pour ces hommes qui se sont forgés à son exemple, selon sa pensée, la théorie et la pratique stalinienne ! Merci à Staline qui a rendu possible la formation de ces hommes, garants de l’indépendance française, de la volonté de paix de notre peuple, de l’avenir d’une classe ouvrière, la première dans le monde montée à l’assaut du ciel et que l’on ne détournera pas de sa destinée en lui faisant voir trente-six étoiles étrangères, quand elle a de tels hommes à sa tête ! »
On peut penser ce qu’on veut du fond du texte, mais on ne voit là-dedans aucune référence à des pouvoirs « quasi-divins ». C’est d’un homme qu’on parle, un grand dirigeant certes, mais pas d’un demi-dieu …
Je me suis amusé à chercher la référence exacte du poème de Rashimov que vous avez cité. Je l’ai trouvé reproduit des dizaines de fois dans l’internet dans des sites proposant des ressources pédagogiques, avec divers commentaires. Il y a franchement de quoi faire un florilège comique. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, sur le site de l’académie de Poitiers on trouve un dossier ou l’on explique ceci “poème publié dans la Pravda (journal officiel et SEUL AUTORISE A L’EPOQUE)” (c’est moi qui souligne). Avec de tels documents pédagogiques, on peut imaginer que nos chères têtes blondes auront une vision tout à fait équilibrée de l’histoire. Curiosité: tous les sites on donne le nom de l’auteur (sous deux orthographes différentes Rashimov ou Rakhimov) mais aucun ne propose son prénom (Suleyman) ni donne un aperçu de sa biographie, pas plus qu’on ne mentionne le nom du traducteur… tout cela laisse penser que toutes ces déclinations proviennent d’une source unique. Mais laquelle ?
Pour ceux que ça intéresse, j’ai trouvé un extrait très intéressant du Veau d’or d’Ilf et Petrov :
Je n’ai connu que la Russie de Poutine, mais déjà ça me rappelle un peu l’état d’esprit que j’y ai trouvé : alors qu’il y a une censure réelle et un certain culte de la personnalité – de nos jours c’est les calendriers avec Poutine torse nu qui fait du cheval ou en tenue d’aviateur – un observateur extérieur pourrait avoir l’impression d’une société particulièrement oppressive… Or, la moquerie surtout des aspects les plus ridicules est largement tolérée, le sarcasme et la dérision s’expriment un peu partout. Je pense que les Russes sont un peuple qui a une capacité exceptionnelle à l’ambivalence et au second degré, en consentant tacitement à un pouvoir à l’apparence personnalisée jusqu’au grotesque mais tout en s’en moquant copieusement…
moquerie surtout des aspects les plus ridicules est largement tolérée, le sarcasme et la dérision s’expriment un peu partout. Je pense que les Russes sont un peuple qui a une capacité exceptionnelle à l’ambivalence et au second degré, en consentant tacitement à un pouvoir à l’apparence personnalisée jusqu’au grotesque mais tout en s’en moquant copieusement…]
Je dirais plutôt que le régime soviétique laissait de très larges marges de liberté à condition de ne pas traverser certaines lignes rouges. Traverser ces lignes, par contre, déclenchait une réponse d’une violence inconcevable dans nos sociétés « occidentales ».
Pour ceux qui voudraient se plonger dans le climat de ce que pouvait être la vie soviétique de al fin des années 1920 à la fin des années 30 je recommande la lecture des livres d’Ilf et Pétrov. Traduit en français vous avez deux romans (« les 12 chaises » (1928) et « le veau d’or » (1931)), un récit du voyage que les auteurs firent aux Etats-Unis (1935) et un recueil de nouvelles publiées originalement dans la “Pravda” (« Cloop », ou l’on trouve un délicieux récit sur le « Robinson Crusoe soviétique »). Par contre, les chroniques de guerre de Pétrov – très intéressantes pour saisir comment fut vécue la « grande guerre patriotique » parles soviétiques – ne sont pas, à ma connaissance, traduites. Le fait qu’Ilya Ilf fut juif et le caractère satirique de leurs écrits en semble pas leur avoir porté tort.
J’ajoute que les éditions françaises sont parsemées de notes de la plus mauvaise foi antisoviétique, qui cherchent à persuader le lecteur que les auteurs étaient quasiment des « dissidents » cachant habilement leurs opinions. Mais bon, rien n’et parfait en ce bas monde…
@ Descartes,
[Je note que vous êtes obligé d’aller chercher un exemple vieux de vingt ans…]
Je note que vous ne m’aviez pas demandé un exemple RECENT… Vingt ans, ce n’est pas si vieux que ça, tout de même.
[On peut difficilement que les 35 heures ont été imposées au MEDEF.]
Ah bon? Ce n’est pas le souvenir que j’en ai.
[On présente trop souvent le conflit entre Staline et les « vieux bolchéviques » (qui aboutit à la « purge » de ces derniers) comme un simple choc d’ambitions ou d’inimitiés personnelles. Je suis convaincu qu’il y eut au contraire un véritable conflit politique entre une vision « mouvementiste » ou les militants du Parti à tous les niveaux surveillent et contrôlent l’Etat, et une vision « institutionnaliste » prétendant au contraire gouverner à travers une administration affranchie des querelles politiques.]
Je ne vois pas pourquoi l’un exclurait l’autre. Un désaccord politique peut être un point de départ valable pour une inimitié personnelle. Et comme vous l’avez admis vous-même, Staline semble avoir été quelqu’un d’assez vindicatif.
[Vous êtes bien seul dans cette position.]
Vous m’avez demandé mon avis, je vous l’ai donné. Vous savez bien que je ne suis pas un thuriféraire de l’Oncle Sam. Je ne suis pas communiste, mais je ne me suis jamais fait beaucoup d’illusion sur le “monde libre”, et son soutien à des dictateurs sanguinaires ou son alliance avec les islamistes les plus obscurantistes. Vous me reconnaîtrez au moins cela j’espère.
[Lorsqu’on classe les pays capitalistes selon leurs régimes politiques, c’est pratiquement toujours en fonction de l’ordre juridique théorique, et non de leurs « pratiques » (sans quoi, il faudrait rayer pas mal de pays de la liste des « démocraties » y compris en Europe). Curieusement, cette facilité est refusée aux états socialistes. Je doute que vous qualifieriez l’URSS de « démocratie limitée », à quelque période que ce soit de son existence.]
Votre remarque est pertinente. A titre personnel, je vous dirai que je me méfie un peu des mots-totems comme “démocratie” ou “dictature” qui sont des termes parfois utilisés à tort et à travers. Un temps, je ne sais pas si le mot est encore à la mode, on entendait même le terme “démocrature” pour désigner des régimes qui déplaisaient aux milieux intellectuels progressistes de nos pays.
Maintenant, sur l’URSS et les pays de l’est, je note l’emploi de l’expression “démocratie populaire”, et en même temps une filiation revendiquée avec une idéologie qui prône, me semble-t-il, la “dictature du prolétariat” avec, je suppose, le sens antique de “dictature”, c’est-à-dire un pouvoir exercé de manière exceptionnelle et provisoire, le temps de préparer l’avènement de la société communiste. Et comme cette dernière est un horizon et que, comme tout horizon, plus on s’en rapproche, plus il s’éloigne, je présume que ladite dictature, de phénomène transitoire, était amenée à durer. Staline est sans doute l’homme qui institutionnalise cette “dictature du prolétariat”, l’homme qui revient à la réalité après les rêves un peu romantiques d’avènement du paradis que connaît toute période révolutionnaire. D’où la détestation dont il fait l’objet chez les gauchistes.
[Mais il n’avait pas le pouvoir de remettre les péchés ou d’administrer les sacrements. Dans la tradition autocratique russe, le tsar détient au contraire un pouvoir spirituel qui va bien au-delà.]
Le tsar avait le pouvoir d’accorder la rémission des péchés et d’administrer les sacrements? J’en suis étonné mais je ne suis pas un connaisseur du régime tsariste. Avez-vous un exemple ou une référence?
[Quelque puisse mon engagement personnel, j’essaye de me placer dans une position d’historien.]
Un historien ne peut pas faire l’économie de questionner le cadre idéologique qui structure sa pensée. Vous savez comme moi que la lecture que nous avons du monde et de l’histoire est profondément influencée par nos convictions. L’honnêteté et la rigueur méthodologique n’enlèvent rien à l’affaire: nous adoptons une grille de lecture globalement conforme à nos convictions, même quand on fait l’effort de la corriger, de l’amender afin de “coller” aux faits.
[J’avoue que j’ai beaucoup de mal à croire à « l’homme seul » en politique. On n’arrive pas et surtout ne s’y maintient pas à la tête d’une organisation sans relais. Commander ne sert à rien s’il n’y a pas des hommes pour relayer les ordres et s’assurer qu’ils sont mis en œuvre. Et cela nécessite un rapport de confiance. Il faut des hommes en qui le leader peut avoir confiance et qui ont confiance en lui. La terreur pure permet de passer un mauvais moment en frappant de stupeur les adversaires, mais cela ne dure jamais longtemps.]
Je suis d’accord avec vous. D’un autre côté, j’ai un peu de mal à considérer les nombreux historiens qui soulignent l’ampleur effroyable de la répression stalinienne, sa cruauté, ses excès (on parle de minorités ethniques entières déportées), comme étant tous des affabulateurs antistaliniens. Je ne conteste pas que l’historiographie contemporaine dans notre pays est très anticommuniste et que Staline a été érigé, de manière abusive à mon avis, en repoussoir à l’égal d’Hitler. Pour autant, faut-il écarter d’un revers de main toutes les études qui tendent à prouver l’implication personnelle de Staline dans la répression, et ses penchants autocratiques?
Le poème de Rashimov n’est-il pas la reconnaissance du pouvoir énorme dont disposait Staline?
Je me permets également de citer une anecdote que vous avez vous-même racontée sur ce blog: Khrouchtchev s’exprime au Congrès du Parti sur les crimes de Staline, justement. Il se rassoit et on lui fait passer un mot sur lequel est écrit “si vous saviez, pourquoi n’avez-vous rien dit?”. Khrouchtchev se lève, demande la parole et dit en brandissant le papier: “Qui a écrit cela?”. Tout le monde se tait. “Vous avez votre réponse” dit Khrouchtchev, et il se rassoit. Cette anecdote en dit long, je trouve…
[Il faut se souvenir que la tradition administrative soviétique était pour tout destinataire d’une lettre de la signer pour en accuser la réception. La signature prouve donc que Staline a eu la lettre entre les mains, mais pas forcément qu’elle l’ait lu]
J’ai parlé de lettres annotées, et pas seulement signées.
[Moi, j’appelle surtout cela une légende… qui atteste cette remarque ?]
Elle est citée par l’historien britannique Simon Sebag Montefiore qui a travaillé sur l’entourage de Staline. Evidemment, je n’ai pas personnellement eu l’occasion d’en parler avec Staline lui-même…
[Je revendique, oui, ces gens-là parce qu’ils n’ont fait de mal à personne, au contraire. Pour reprendre la formule de François George, « ils croyaient en quelque chose de grand, et cette croyance les grandissait ».]
Sans doute. Mais comme on dit, “le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions”.
[Si vous voulez comprendre ce que je veux dire, regardez le film « tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ».]
Avec Josiane Balasko? J’ai vu ce film, je crois, il y a longtemps. Un bon film, plutôt touchant, mais pas très réaliste: l’héroïne, communiste, est mariée avec un gaulliste, si ma mémoire ne me trompe pas. Pas très convaincant… On sait qu’en général les communistes se mariaient entre eux.
[Je me suis amusé à chercher la référence exacte du poème de Rashimov que vous avez cité. Je l’ai trouvé reproduit des dizaines de fois dans l’internet dans des sites proposant des ressources pédagogiques, avec divers commentaires.]
Je me permets d’intervenir dans votre échange avec Ian Brossage, et je m’en excuse. C’est moi qui ai cité le poème de Rashimov. Je l’ai trouvé dans un manuel du secondaire de 3ème. L’origine de la traduction n’est en effet pas indiquée, comme c’est souvent le cas pour des documents de ce type dans les manuels (et c’est regrettable).
[Il y a franchement de quoi faire un florilège comique. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, sur le site de l’académie de Poitiers on trouve un dossier ou l’on explique ceci “poème publié dans la Pravda (journal officiel et SEUL AUTORISE A L’EPOQUE)” (c’est moi qui souligne).]
Ces documents pédagogiques proviennent souvent d’enseignants du secondaire, et peuvent en effet contenir des erreurs.
[Avec de tels documents pédagogiques, on peut imaginer que nos chères têtes blondes auront une vision tout à fait équilibrée de l’histoire.]
En tout cas, je vous assure de ma bonne foi lorsque j’ai cité ce document. La “vision équilibrée de l’histoire” est un mythe, vous le savez bien. Il est probable que les manuels soviétiques n’étaient pas non plus des modèles du genre. Je vous rappelle par ailleurs que l’enseignement dans le secondaire est largement tributaire – y compris dans l’intitulé des programmes – des paradigmes dominants dans la recherche universitaire. Comme vous l’avez rappelé, l’historiographie actuelle est antistalinienne. Je sais votre détestation pour les enseignants du secondaire, mais en l’occurrence, ils ne font que suivre les recommandations académiques, si je puis dire. Peu d’entre nous ont effectué des recherches pointues sur Staline et l’URSS, et nous nous en remettons à ceux qui sont reconnus comme des spécialistes.
[Curiosité: tous les sites on donne le nom de l’auteur (sous deux orthographes différentes Rashimov ou Rakhimov) mais aucun ne propose son prénom (Suleyman) ni donne un aperçu de sa biographie, pas plus qu’on ne mentionne le nom du traducteur…]
Vous savez bien que la transcription latine de noms écrits originellement en cyrillique est problématique, et qu’il en existe plusieurs.
Si cela intéresse vos lecteurs, Rashimov était un écrivain soviétique d’Azerbaïdjan. Il fut enseignant (ce qui n’est pas forcément plus rassurant que le document pédagogique que vous citez ci-dessus avec une pointe de sarcasme). Il a été président de l’Union des écrivains de la RSS d’Azerbaïdjan, et président du comité des affaires culturelles et éducatives du Conseil des ministres de l’Azerbaïdjan, si l’on en croit Wikipédia (qui orthographie son nom “Rahimov”, une 3ème transcription donc). On en déduit que la flagornerie pouvait payer en URSS…
[tout cela laisse penser que toutes ces déclinations proviennent d’une source unique. Mais laquelle ?]
Je n’ai pas compris cette remarque. Sous-entendez-vous que le poème que j’ai cité est un faux, créé de toute pièce pour noircir Staline?
Je tiens à vous remercier une fois de plus pour ces échanges très stimulants, pour vos réponses détaillées et pour votre honnêteté. Je me permets simplement de vous faire remarquer que vous êtes injuste avec la plupart des enseignants. Hier comme aujourd’hui, l’Education Nationale diffuse une idéologie. Cette idéologie ne vous plaît pas, et elle ne me plaît guère à moi non plus. Mais, en-dehors de cas finalement assez minoritaires, l’idéologie qui imprègne l’enseignement est celle du gouvernement et des élites (européisme, écologie, antiracisme, inclusion, etc), y compris dans sa dimension anticommuniste. Quand des ministres (y compris de l’Education Nationale) répètent depuis des décennies que le RN ne partagent pas les “valeurs républicaines”, il ne faut pas s’étonner que certains professeurs disent cela dans leurs cours, alors que c’est une violation flagrante du devoir de neutralité.
Le problème est qu’aujourd’hui, l’Etat demande aux enseignants de défendre et de diffuser les “valeurs républicaines”, lesquelles ont pris un sens fourre-tout. C’est une erreur. Professeur ou prédicateur, il faut choisir…
@ nationaliste-ethniciste
[« Je note que vous êtes obligé d’aller chercher un exemple vieux de vingt ans… » Je note que vous ne m’aviez pas demandé un exemple RECENT… Vingt ans, ce n’est pas si vieux que ça, tout de même.]
Peut-être. Mais si le gouvernement ne chagrine le MEDEF qu’une fois tous les vingt ans, vous avouerez qu’on pourrait en déduire qu’il y a un lien de subordination de même nature que celui entre Staline et Kalinine…
[« On peut difficilement que les 35 heures ont été imposées au MEDEF. » Ah bon? Ce n’est pas le souvenir que j’en ai.]
Relisez les journaux de l’époque. Le MEDEF a agi énergiquement au départ, mais une fois qu’il a obtenu les concessions qui l’intéressaient son opposition n’a été que de forme. Vous noterez d’ailleurs que lorsque Jospin perdra les élections à peine un an plus tard, la droite revenue au pouvoir n’abrogera pas la loi.
[Je ne vois pas pourquoi l’un exclurait l’autre. Un désaccord politique peut être un point de départ valable pour une inimitié personnelle. Et comme vous l’avez admis vous-même, Staline semble avoir été quelqu’un d’assez vindicatif.]
Je n’ai pas dit que ce fut exclusif, j’ai dit qu’arrêter l’analyse à la simple animosité personnelle, c’était un peu court.
[Vous savez bien que je ne suis pas un thuriféraire de l’Oncle Sam. Je ne suis pas communiste, mais je ne me suis jamais fait beaucoup d’illusion sur le “monde libre”, et son soutien à des dictateurs sanguinaires ou son alliance avec les islamistes les plus obscurantistes. Vous me reconnaîtrez au moins cela j’espère.]
Tout à fait. Nous sommes au moins d’accord sur ce point-là.
[Maintenant, sur l’URSS et les pays de l’est, je note l’emploi de l’expression “démocratie populaire”, et en même temps une filiation revendiquée avec une idéologie qui prône, me semble-t-il, la “dictature du prolétariat” avec, je suppose, le sens antique de “dictature”, c’est-à-dire un pouvoir exercé de manière exceptionnelle et provisoire, le temps de préparer l’avènement de la société communiste.]
Je pense qu’il y a beaucoup d’erreurs de lecture autour de la notion de « dictature du prolétariat ». Il ne faut pas confondre la question de la classe qui détient le pouvoir et celle des hommes qui l’exercent. Dans nos sociétés capitalistes, nous vivons sous la « dictature de la bourgeoisie » (ou, pour être plus précis, celle du « bloc dominant »). Mais cela n’implique pas que l’organisation politique de la société soit effectivement une « dictature » avec un dictateur à sa tête. Cela veut dire simplement que quel que soit le mécanisme pour désigner nos gouvernants, ceux-ci sont limités dans leur capacité à faire par un rapport de forces entre classes. Autrement dit, que le gouvernement que vous avez élu peut faire beaucoup de choses… à condition de ne pas faire certaines choses.
Quand Lénine parle de « dictature du prolétariat », il veut dire que pour pouvoir dépasser le mode de production capitaliste il faut en finir avec la « dictature de la bourgeoisie », et que cela implique, le temps de construire une société sans classes, de veiller à ce que les gouvernements – quel que soit leur mode de désignation – soient limités par les intérêts du prolétariat (comme ils le sont aujourd’hui par ceux du « bloc dominant »). Rien de plus.
A partir de là, il n’y a pas de raison d’imaginer qu’un régime de « dictature du prolétariat » n’épouse, dans son organisation politique, les structures les plus diverses (démocratie, aristocratie, dictature…), de la même manière que la « dictature de la bourgeoisie » peut prendre des formes politiques diverses.
[Staline est sans doute l’homme qui institutionnalise cette “dictature du prolétariat”, l’homme qui revient à la réalité après les rêves un peu romantiques d’avènement du paradis que connaît toute période révolutionnaire. D’où la détestation dont il fait l’objet chez les gauchistes.]
Tout à fait. De la même manière que Napoléon a fait l’objet de détestation de la part des « gauchistes » de la Révolution française. Ces personnages représentent le passage du principe de plaisir qui gouverne les périodes révolutionnaires, au principe de réalité. Ou si vous préférez, le passage de la toute-puissance infantile au réalisme de l’adulte.
[Le tsar avait le pouvoir d’accorder la rémission des péchés et d’administrer les sacrements? J’en suis étonné mais je ne suis pas un connaisseur du régime tsariste. Avez-vous un exemple ou une référence?]
Je crois avoir lu ça dans un ouvrage historique, mais il faudrait que je vous retrouve le passage.
[Un historien ne peut pas faire l’économie de questionner le cadre idéologique qui structure sa pensée. Vous savez comme moi que la lecture que nous avons du monde et de l’histoire est profondément influencée par nos convictions. L’honnêteté et la rigueur méthodologique n’enlèvent rien à l’affaire: nous adoptons une grille de lecture globalement conforme à nos convictions, même quand on fait l’effort de la corriger, de l’amender afin de “coller” aux faits.]
Bien entendu. J’ai écrit « j’essaye », je ne sais pas si je réussis…
[D’un autre côté, j’ai un peu de mal à considérer les nombreux historiens qui soulignent l’ampleur effroyable de la répression stalinienne, sa cruauté, ses excès (on parle de minorités ethniques entières déportées), comme étant tous des affabulateurs antistaliniens.]
Je suis d’accord avec vous. Tous ne le sont pas, et un certain nombre de faits « effroyables » sont clairement établis au-delà de tout doute raisonnable. Si « affabulation » il y a, c’est plus dans la présentation déséquilibrée des faits et de leur mise en perspective que dans les faits eux-mêmes.
Prenons un exemple : l’intervention américaine au Vietnam a fait entre un et deux millions de morts, et un nombre incalculable de blessés, de mutilés, d’handicapés à vie. Pendant cette intervention, la torture et l’exécution sommaire des prisonniers vietnamiens a été systématique. On pourrait aligner pendant des pages et des pages des faits « effroyables » perpétrés par les armées d’intervention. Et pourtant, l’homme qui a ordonné cette intervention et qui l’a alimentée jusqu’à sa mort a un aéroport à son nom aux Etats-Unis et une avenue à Paris. Imaginez-vous quelle serait la réaction de nos bienpensants si l’aéroport de Moscou était rebaptisé « aéroport Iossif Vissarionovich Staline » (abrégé, IVS), si une avenue à Paris recevait son nom ?
Oui, on trouve beaucoup de faits « effroyables » dans l’histoire récente. Mais il semblerait que certains « effrayent » beaucoup plus que d’autres, selon de quel côté se trouve leurs auteurs. On pardonne beaucoup aux uns, pas aux autres. C’est cela qui m’amène à dire qui si Staline est devenu l’incarnation du méchant, ce n’est pas pour ce qu’il a fait de mal, mais plutôt pour ce qu’il a fait de bien…
[Pour autant, faut-il écarter d’un revers de main toutes les études qui tendent à prouver l’implication personnelle de Staline dans la répression, et ses penchants autocratiques?]
Bien sûr que non. Mais il faut les mettre en perspective, regarder les faits dans leur contexte.
[Le poème de Rashimov n’est-il pas la reconnaissance du pouvoir énorme dont disposait Staline?]
Le problème, c’est que nous ne connaissons pas les raisons qui l’ont amené à l’écrire, et celles qui ont amené les rédacteurs de la Pravda à le publier. On peut imaginer un calcul cynique du flatteur qui espère obtenir un fromage. On peut imaginer une admiration quasi-mystique pour le leader. On peut imaginer la peur de se faire remarquer comme insuffisamment allant par un dictateur vindicatif. Ou une combinaison des trois.
IL n’est pas nécessaire de citer Rashimov pour savoir que Staline – avec le groupe d’hommes qui gravitait autour de lui – disposait d’un pouvoir immense, non seulement parce qu’il contrôlait les leviers classiques du pouvoir d’Etat, mais parce qu’il était arrivé à incarner une idée, à construire une figure paternelle qui répondait à une demande très forte de ses concitoyens. D’ailleurs, comment expliquer qu’il ait réussi, alors que tout le monde savait qu’il présidait à la terreur, à se forger une telle image ? Pourquoi les soviétiques en masse sont sortis le pleurer le jour de sa mort ?
La réponse se trouve, je pense, dans la réalité russe. Les russes ont vécu la première moitié du XXème siècle dans un climat de désordre et de violence inimaginable aujourd’hui. Les paysans qui étaient encore traités encore comme des serfs (le servage n’est en droit aboli qu’en 1866 !), des ouvriers sur lesquels on faisait tirer l’armée à la moindre révolte, une guerre mondiale où les aristocrates devenus généraux incapables envoyaient à la mort des soldats déguenillés et affamés sans états d’âme. Et puis la révolution, la guerre civile, la famine. On imagine mal ce qu’a du représenter dans ce contexte la capacité affichée de Staline et les siens de mettre de l’ordre, d’en finir avec la guerre civile permanente et liquider les profiteurs de toute taille et couleur qui avaient prospéré en profitant du désordre.
[Je me permets également de citer une anecdote que vous avez vous-même racontée sur ce blog: Khrouchtchev s’exprime au Congrès du Parti sur les crimes de Staline, justement. Il se rassoit et on lui fait passer un mot sur lequel est écrit “si vous saviez, pourquoi n’avez-vous rien dit?”. Khrouchtchev se lève, demande la parole et dit en brandissant le papier: “Qui a écrit cela?”. Tout le monde se tait. “Vous avez votre réponse” dit Khrouchtchev, et il se rassoit. Cette anecdote en dit long, je trouve…]
Oui, mais pas nécessairement sur Staline…
[« Il faut se souvenir que la tradition administrative soviétique était pour tout destinataire d’une lettre de la signer pour en accuser la réception. La signature prouve donc que Staline a eu la lettre entre les mains, mais pas forcément qu’elle l’ait lu » J’ai parlé de lettres annotées, et pas seulement signées.]
Certes. Mais « annoter » une condamnation à mort n’est pas la même chose que la « signer ».
[« Moi, j’appelle surtout cela une légende… qui atteste cette remarque ? » Elle est citée par l’historien britannique Simon Sebag Montefiore qui a travaillé sur l’entourage de Staline. Evidemment, je n’ai pas personnellement eu l’occasion d’en parler avec Staline lui-même…]
Pour vous dire le fond de ma pensée, je m’en doutais. Mais Montefiore cite j’imagine une source pour ce commentaire. Faire autrement ne serait pas très sérieux pour un historien…
[« Si vous voulez comprendre ce que je veux dire, regardez le film « tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes » Avec Josiane Balasko? J’ai vu ce film, je crois, il y a longtemps. Un bon film, plutôt touchant, mais pas très réaliste: l’héroïne, communiste, est mariée avec un gaulliste, si ma mémoire ne me trompe pas. Pas très convaincant… On sait qu’en général les communistes se mariaient entre eux.]
Je crois que vous vous trompez. Le mari en question n’est nullement « gaulliste ». Il est surtout un commerçant juif qui est en train de perdre son magasin et qui ne s’intéresse guère à la politique. Et qui trouve la foi communiste de sa femme par trop envahissante. Vous avez tort aussi de penser que « les communistes se marient entre eux ». Mon ongle, qui venait de la plus stricte orthodoxie marxiste-léniniste, s’est marié avec une étudiante de philosophie sartrienne… qu’il a mis de très longues années à convertir. Le film est assez réaliste – au sens du « réalisme magique » – et j’ai personnellement reconnu pas mal de choses de mes parents et de mes grands parents.
[« Il y a franchement de quoi faire un florilège comique. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, sur le site de l’académie de Poitiers on trouve un dossier ou l’on explique ceci “poème publié dans la Pravda (journal officiel et SEUL AUTORISE A L’EPOQUE)” (c’est moi qui souligne). » Ces documents pédagogiques proviennent souvent d’enseignants du secondaire, et peuvent en effet contenir des erreurs.]
Mais une erreur de ce niveau ? Dois-je conclure qu’on place devant nos enfants des professeurs d’histoire qui croient qu’en 1936 il n’y avait qu’un seul « journal autorisé » en URSS, ou du moins des professeurs qui voyant une telle erreur n’écrivent pas immédiatement au site pour que le document soit corrigé ?
Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une simple « erreur ». C’est une profession de foi. Le but est de sortir l’URSS de l’histoire, et c’est pourquoi n’importe quelle invention, dès lors qu’elle va dans ce sens, bénéficie d’une présomption de vérité – présomption qui, dans la pratique, s’avère irréfragable. Un commentateur de ce blog arrive ainsi à justifier le massacre des spartakistes organisée par Franz Ebert au motif qu’il savait ce que les communistes pouvaient faire quand ils étaient au pouvoir. Vu que le massacre des spartakistes date de 1918, cela aurait demandé de la part d’Ebert une remarquable prescience. Mais ce n’est pas grave, parce que même si ce n’est pas vrai, ça aurait mérité de l’être…
[En tout cas, je vous assure de ma bonne foi lorsque j’ai cité ce document. La “vision équilibrée de l’histoire” est un mythe, vous le savez bien.]
La perfection n’est certes pas de ce monde. Mais une vision de l’histoire qui repose sur l’analyse rigoureuse des documents et des témoignages et qui évite les jugements de valeur me paraît tout à fait possible.
[Il est probable que les manuels soviétiques n’étaient pas non plus des modèles du genre.]
Au contraire. Les manuels soviétiques étaient un modèle du genre, seulement il s’agissait d’un autre genre. Les manuels soviétiques – comme les manuels de la IIIème République – étaient là pour enseigner le roman national. Contrairement à ceux d’aujourd’hui qui cachent derrière une prétention de neutralité leurs préjugés.
[Je vous rappelle par ailleurs que l’enseignement dans le secondaire est largement tributaire – y compris dans l’intitulé des programmes – des paradigmes dominants dans la recherche universitaire. Comme vous l’avez rappelé, l’historiographie actuelle est antistalinienne. Je sais votre détestation pour les enseignants du secondaire, mais en l’occurrence, ils ne font que suivre les recommandations académiques, si je puis dire. Peu d’entre nous ont effectué des recherches pointues sur Staline et l’URSS, et nous nous en remettons à ceux qui sont reconnus comme des spécialistes.]
Vous m’excuserez, mais je doute que même en fouillant dans l’abondante historiographie antistalinienne, vous trouverez beaucoup de spécialistes pour affirmer que la Pravda était « le seul journal autorisé » en 1936. Non, dans le dossier en question l’erreur ne vient pas du « spécialiste », c’est un ajout par quelqu’un qui, n’y connaissant rien au sujet, se permet d’ajouter sa touche personnelle en rajoutant une information qu’il tient pour vraie simplement parce qu’elle est conforme au préjugé dominant. Et si personne n’a écrit pour demander que le texte soit corrigé, ce n’est là encore pas parce qu’un « spécialiste » aurait confirmé l’information, mais parce que les enseignants soit ignorent ce que c’est les « Izvestia », soit considèrent qu’une telle erreur n’est pas grave parce que même si la chose est fausse, elle mériterait d’être vraie…
[« tout cela laisse penser que toutes ces déclinations proviennent d’une source unique. Mais laquelle ? » Je n’ai pas compris cette remarque. Sous-entendez-vous que le poème que j’ai cité est un faux, créé de toute pièce pour noircir Staline?]
Pas nécessairement. Le fait que toutes les citations aient des caractéristiques formelles communes (pas de référence au traducteur, pas de prénom de l’auteur, etc.) laisse penser qu’elles sont copiées les unes sur les autres, et donc qu’il y a une source unique (et probablement russe, puisque le nom de l’auteur n’est pas orthographié de la même manière, ce qui laisse à penser qu’il a été transcrit du cyrillique par des personnes différentes). Mais le fait qu’il n’y ait pas de référence m’interpelle…
[Je tiens à vous remercier une fois de plus pour ces échanges très stimulants, pour vos réponses détaillées et pour votre honnêteté.]
Puisqu’on en est aux remerciements, je tiens à ce que vous sachiez que c’est un très grand plaisir d’échanger avec vous.
[Je me permets simplement de vous faire remarquer que vous êtes injuste avec la plupart des enseignants. Hier comme aujourd’hui, l’Education Nationale diffuse une idéologie. Cette idéologie ne vous plaît pas, et elle ne me plaît guère à moi non plus. Mais, en-dehors de cas finalement assez minoritaires, l’idéologie qui imprègne l’enseignement est celle du gouvernement et des élites (européisme, écologie, antiracisme, inclusion, etc), y compris dans sa dimension anticommuniste.]
Sévère, oui, injuste, non. Les enseignants sont ceux, parmi les fonctionnaires, qui ont la plus grande liberté de parole. Et aussi ceux qui sont les mieux armés intellectuellement pour penser par eux-mêmes. Et ils ne se privent pas d’ailleurs à contredire les discours officiels quand leur intérêt est en jeu. Rien ne les oblige à épouser dans leur enseignement les préjugés dominants, et encore moins d’inventer des bobards comme celui que je citais dans mon exemple. Pour moi, un professeur qui appuie de son autorité l’idée qu’il n’y avait en URSS « qu’un seul journal autorisé » trahit son mandat et sa mission.
Vous pouvez me reprocher d’être trop exigeant envers les enseignants. J’accepte le reproche, même si je pense que, comme disait l’autre, des grandes possibilités entrainent des grandes responsabilités.
[Quand des ministres (y compris de l’Education Nationale) répètent depuis des décennies que le RN ne partagent pas les “valeurs républicaines”, il ne faut pas s’étonner que certains professeurs disent cela dans leurs cours, alors que c’est une violation flagrante du devoir de neutralité.]
Les ministres répètent depuis des décennies qu’il faudrait que les enseignants travaillent plus, et pourtant je ne vois pas que ce discours soit repris dans les cours. Ce qui montre à mon sens que les enseignants sont parfaitement capables de choisir ce qu’ils taisent et ce qu’ils répètent… Désolé, mais si les enseignants manquent au devoir de neutralité, ce n’est pas parce que leur ministre le leur ordonne, c’est parce qu’ils sont intimement convaincus que la lutte contre les « méchants » vaut bien qu’on s’assoie sur la neutralité.
[Le problème est qu’aujourd’hui, l’Etat demande aux enseignants de défendre et de diffuser les “valeurs républicaines”, lesquelles ont pris un sens fourre-tout. C’est une erreur. Professeur ou prédicateur, il faut choisir…]
Vous qui connaissez le milieu, pensez-vous vraiment que les enseignants qui diffusent ce « gloubi-boulga » le font contraints et forcés ? Qu’ils ne partagent pas eux-mêmes non seulement ces idées, mais le besoin de « prédication » ?
@ Descartes
[Je dirais plutôt que le régime soviétique laissait de très larges marges de liberté à condition de ne pas traverser certaines lignes rouges. Traverser ces lignes, par contre, déclenchait une réponse d’une violence inconcevable dans nos sociétés « occidentales ».]
C’est l’impression que j’en ai. Mais je ne puis que comparer à ce que je connais d’expérience, et honnêtement, ça me rappelle assez la Russie d’aujourd’hui : alors que les bibelots et la com’ à la gloire des exploits de Poutine sont des plus flagorneurs, à moins de vouloir passer pour le dernier des caves, il est de bon ton socialement de se moquer copieusement de ces aspects… Ce qui n’empêche pas une bonne partie des moqueurs de voter Poutine à deux mains. Je ne sais pas ce que tu en penses, mais personnellement, les Russes m’ont toujours donné cette impression d’avoir une très faible opinion d’eux-mêmes en tant que société, comme s’ils étaient intimement persuadés de ne pas mériter autre chose qu’un dirigeant autoritaire avec une musique de fond faite de flagornerie exacerbée ; et le cynisme affiché comme un mécanisme servant à sublimer ce sentiment inconfortable…
Après, pour ce qui est des sanctions et des “lignes rouges”, je crois que ça a aussi à voir avec quelque chose qui n’est pas spécifiquement Russe, mais qui se retrouve à divers degrés dans toute l’Europe de l’est, c’est à dire le fait que la répression – au delà d’ailleurs du contexte de la censure ou de considérations politiques – soit féroce mais qu’elle s’applique seulement de temps en temps. Le droit pénal est bien plus sévère qu’à l’ouest, seulement on a bien moins de chances de se faire gauler. Par exemple, rouler sans permis dans certains pays expose carrément à de la prison ferme, mais on trouve bien plus de conducteurs sans permis car même si on se fait attrapper, on peut toujours soudoyer le policier. On se rend assez vite compte que les mécanismes répressifs sont très punitifs justement car leur application effective est bien moins fiable.
@ Descartes,
[Oui, on trouve beaucoup de faits « effroyables » dans l’histoire récente. Mais il semblerait que certains « effrayent » beaucoup plus que d’autres, selon de quel côté se trouve leurs auteurs. On pardonne beaucoup aux uns, pas aux autres.]
Je suis d’accord avec vous pour dire que le “deux poids, deux mesures” est un vrai problème. On oublie (ou on minimise) plus facilement les crimes commis par le “monde libre” que ceux attribués aux communistes. A titre personnel, je suis également très gêné par le parallèle forcé que certains tentent d’établir entre nazisme et communisme, entre Hitler et Staline.
[Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une simple « erreur ». C’est une profession de foi. Le but est de sortir l’URSS de l’histoire, et c’est pourquoi n’importe quelle invention, dès lors qu’elle va dans ce sens, bénéficie d’une présomption de vérité – présomption qui, dans la pratique, s’avère irréfragable.]
Je crains pour ma part qu’il faille y voir avant tout la marque d’une ignorance crasse. Il y a des incompétents dans le métier. C’est d’autant plus impardonnable qu’un simple coup d’oeil sur l’article Wikipédia consacré à la Pravda suffit pour constater qu’il existait d’autres journaux en URSS. Une chose me turlupine cependant: les contenus pédagogiques mis en ligne sur les sites académiques sont en théorie validés par les inspecteurs et/ou des formateurs eux-mêmes proposés par les inspecteurs. Qu’une telle erreur puisse passer est le signe d’un dysfonctionnement…
[Les manuels soviétiques étaient un modèle du genre, seulement il s’agissait d’un autre genre. Les manuels soviétiques – comme les manuels de la IIIème République – étaient là pour enseigner le roman national.]
Pour les manuels soviétiques, je veux bien réserver mon jugement et vous faire confiance. Mais pour avoir eu entre les mains des manuels de la III° République, je puis vous garantir que leur vision de l’histoire n’était certainement pas “équilibrée”. On y trouve des jugements moraux portés sur les rois (par exemple Louis XIV se voit reprocher son orgueil) et un classement des “bons” et des “méchants” dirigeants qui confine au manichéisme. Même les Malet & Isaac qui généralement évitent les caricatures, présentent des profils psychologiques à partir de portraits. Je me rappelle encore, dans un volume consacré au XIX° siècle, le commentaire (très bien écrit mais surréaliste) du portrait d’un général allemand se terminant par “la rudesse de ses traits traduit bien la brutalité toute germanique du reître”. On repassera pour la “vision équilibrée” de l’histoire…
[Puisqu’on en est aux remerciements, je tiens à ce que vous sachiez que c’est un très grand plaisir d’échanger avec vous.]
Le plaisir est partagé, vous pouvez me croire.
[Sévère, oui, injuste, non. Les enseignants sont ceux, parmi les fonctionnaires, qui ont la plus grande liberté de parole. Et aussi ceux qui sont les mieux armés intellectuellement pour penser par eux-mêmes.]
C’est ce que je croyais aussi… (soupir). Je pense que vous seriez déçu. J’ai quelques scrupules à casser du sucre sur le dos des collègues, mais pour certains, si Libération, Télérama ou Yann Barthès le disent, c’est forcément vrai. La seule chose qui m’a agréablement surpris ces derniers temps concerne la vaccination: la quasi-totalité des collègues que je connais se sont faits vacciner, et plutôt rapidement. Je n’ai entendu aucun discours critique sur le vaccin.
[Et ils ne se privent pas d’ailleurs à contredire les discours officiels quand leur intérêt est en jeu.]
L’esprit rebelle est à la mode…
[Rien ne les oblige à épouser dans leur enseignement les préjugés dominants,]
Et leur intérêt de classe? Que faites-vous, marxiste que vous êtes, de leur intérêt de classe?
[Vous pouvez me reprocher d’être trop exigeant envers les enseignants. J’accepte le reproche, même si je pense que, comme disait l’autre, des grandes possibilités entrainent des grandes responsabilités.]
Vous surestimez les possibilités, je le crains. Il fut un temps, peut-être pas si lointain, où l’enseignement attirait des esprits brillants et cultivés. Je ne dis pas qu’il n’y en a plus, mais le fait est qu’on recrute aujourd’hui surtout des “intellectuels de second ordre”. Je me souviens avoir essuyé quelques sarcasmes pour avoir, parfois, montré un peu d’érudition. Maintenant, je me tais…
[Vous qui connaissez le milieu, pensez-vous vraiment que les enseignants qui diffusent ce « gloubi-boulga » le font contraints et forcés ? Qu’ils ne partagent pas eux-mêmes non seulement ces idées, mais le besoin de « prédication » ?]
Moi-même je suis “contraint et forcé” de suivre le programme, y compris dans ce qu’il a de plus discutable à mes yeux (même si j’essaie d’amener quelques petites nuances le cas échéant). Mais de manière générale, je pense que les enseignants adhèrent à ce “gloubi-boulga”. Ils y adhèrent sans doute par intérêt, mais la plupart ne sont pas cyniques: ils sont sincèrement convaincus de défendre le Bien, le Beau, le Vrai. En même temps, j’observe une part d’hypocrisie: on défend les immigrés, mais on habite les quartiers un peu cossus ou les communes périurbaines éloignées de la ZUP; on aime la mixité, mais on s’arrange pour que les enfants fréquentent plutôt les “bons” établissements, ou se retrouvent dans les “bonnes” classes par le jeu des options. On dirait que les gens n’ont pas vraiment de problème à dissocier leur vie de leurs principes. Personnellement, je suis toujours tourmenté lorsque je me retrouve dans une situation qui me conduit à agir contre mes convictions et mes principes.
@ nationaliste-ethniciste
[« Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une simple « erreur ». C’est une profession de foi. Le but est de sortir l’URSS de l’histoire, et c’est pourquoi n’importe quelle invention, dès lors qu’elle va dans ce sens, bénéficie d’une présomption de vérité – présomption qui, dans la pratique, s’avère irréfragable. » Je crains pour ma part qu’il faille y voir avant tout la marque d’une ignorance crasse. Il y a des incompétents dans le métier.]
A ce point ? Pour une fois, je vous trouve bien plus sévère pour la corporation que je ne le suis moi-même !
Je vous le répète, je ne crois pas que ce soit de l’ignorance. A partir d’une vision de ce qu’est la réalité, on tire une conclusion logique. Il est « vérité d’évidence » que le régime soviétique était monolithique, qu’il n’y avait qu’une seule pensée autorisée et que toute pensée différente était poursuivie. L’URSS c’était le royaume de l’uniformité. Arte nous le rappelle régulièrement, alors ce doit être vrai. Et une fois cette vérité acceptée, la conclusion logique est qu’il ne devait y avoir qu’un seul journal autorisé. A quoi bon en avoir plusieurs, puisqu’ils auraient tous dû dire la même chose ?
[C’est d’autant plus impardonnable qu’un simple coup d’oeil sur l’article Wikipédia consacré à la Pravda suffit pour constater qu’il existait d’autres journaux en URSS.]
Oui, mais pourquoi vérifier ce qui est de l’ordre d’une vérité d’évidence ? Iriez-vous vérifier sur wikipédia que le soleil se lève à l’Est avant de l’écrire ? Bien sûr que non. Il y a toute une série de postulats sur l’URSS qui sont aujourd’hui acceptées comme des vérités d’évidence. Y compris lorsqu’elles contiennent une contradiction logique : il y a des gens qui croient encore dur comme fer que Staline supervisait PERSONNELLEMENT chaque exécution, ce qui est de toute évidence incompatible avec le nombre d’exécutions qu’on attribue à son régime.
[Une chose me turlupine cependant: les contenus pédagogiques mis en ligne sur les sites académiques sont en théorie validés par les inspecteurs et/ou des formateurs eux-mêmes proposés par les inspecteurs. Qu’une telle erreur puisse passer est le signe d’un dysfonctionnement…]
Tout au plus, elle montre que les « vérités d’évidence » sont partagées. Ou plus cyniquement, que certains inspecteurs laissent passer des choses qu’ils savent fausses parce qu’elles « mériteraient d’être vraies ». Les féministes radicales soutiennent qu’un homme accusé de viol doit être condamné quand bien même il n’y aurait pas de preuves, parce que même s’il n’a violé personne ce n’est pas faute de le vouloir. Eh bien, transposez cette idée en politique : même s’il y avait plusieurs journaux en URSS, Staline aurait bien aimé qu’il n’y en ait qu’un. Dire cela n’est pas donc une erreur, tout au plus une anticipation…
[Pour les manuels soviétiques, je veux bien réserver mon jugement et vous faire confiance. Mais pour avoir eu entre les mains des manuels de la III° République, je puis vous garantir que leur vision de l’histoire n’était certainement pas “équilibrée”.]
Je ne me suis pas bien fait comprendre. Les manuels soviétiques étaient comme ceux de la IIIème République : leur but n’était pas l’enseignement de l’histoire, mais celui d’un « roman national ». Le but de ses auteurs n’était pas de faire connaître le passé tel qu’il était, mais de construire un récit fournissant aux enfants un ensemble de références communes. Plus que des manuels d’histoire, c’étaient des manuels de morale utilisant des exemples historiques.
[« Sévère, oui, injuste, non. Les enseignants sont ceux, parmi les fonctionnaires, qui ont la plus grande liberté de parole. Et aussi ceux qui sont les mieux armés intellectuellement pour penser par eux-mêmes. » C’est ce que je croyais aussi… (soupir). Je pense que vous seriez déçu. J’ai quelques scrupules à casser du sucre sur le dos des collègues, mais pour certains, si Libération, Télérama ou Yann Barthès le disent, c’est forcément vrai.]
Il y a une différence entre ne pas avoir les moyens et ne pas les utiliser. Les enseignants sont pour la plupart fonctionnaires, ce qui leur permet d’envisager l’avenir sans la peur du chômage. Ils sont raisonnablement payés. Parmi les fonctionnaires, ce sont eux qui ont la formation la plus longue – et la plus riche (le CAPES se place au niveau Master 2 (bac+5) alors que la plupart des concours de catégorie A se placent au niveau licence) et la plus grande liberté de parole, de publication et d’engagement intellectuel. Ils ont donc tous les moyens pour penser. S’ils préfèrent croire tout ce que dit Télérama ou Yann Barthès, c’est qu’ils n’en ont pas envie de penser – ou qu’ils ne voient pas leur intérêt. Je peux trouver des circonstances atténuantes à l’ouvrier titulaire d’un CAP qui après une journée éreintante à l’usine – qui accessoirement risque de fermer et de le licencier – n’a pas trop envie de réfléchir. Pas à l’enseignant.
[« Et ils ne se privent pas d’ailleurs à contredire les discours officiels quand leur intérêt est en jeu. » L’esprit rebelle est à la mode…]
Certes. Mais les enseignants savent choisir leurs rebellions. C’est pourquoi je trouve l’idée qu’ils adhéraient aux discours officiels par obéissance hiérarchique me semble pour le moins erronée.
[« Rien ne les oblige à épouser dans leur enseignement les préjugés dominants, » Et leur intérêt de classe? Que faites-vous, marxiste que vous êtes, de leur intérêt de classe?]
L’intérêt de classe est une notion collective, et non individuelle. Aucun individu n’est personnellement « obligé » d’épouser ses intérêts de classe, et les exemples ne manquent pas de personnes qui ont adhéré à des causes qui contredisaient de façon flagrante ces derniers. Pour l’individu, c’est un choix, pas une obligation.
[« Vous pouvez me reprocher d’être trop exigeant envers les enseignants. J’accepte le reproche, même si je pense que, comme disait l’autre, des grandes possibilités entrainent des grandes responsabilités. » Vous surestimez les possibilités, je le crains. Il fut un temps, peut-être pas si lointain, où l’enseignement attirait des esprits brillants et cultivés. Je ne dis pas qu’il n’y en a plus, mais le fait est qu’on recrute aujourd’hui surtout des “intellectuels de second ordre”. Je me souviens avoir essuyé quelques sarcasmes pour avoir, parfois, montré un peu d’érudition. Maintenant, je me tais…]
Mais cela n’a rien à voir avec les « possibilités ». L’enseignant a toujours la liberté de chaire, du temps et des moyens pour se cultiver, et le privilège d’être en position d’autorité pour modeler les jeunes esprits (même si, je vous l’accorde, cette autorité est de plus en plus contestée). A partir de là, il ne me semble pas « injuste » de se demander ce que les enseignants font de ces possibilités.
[Moi-même je suis “contraint et forcé” de suivre le programme, y compris dans ce qu’il a de plus discutable à mes yeux (même si j’essaie d’amener quelques petites nuances le cas échéant). Mais de manière générale, je pense que les enseignants adhèrent à ce “gloubi-boulga”. Ils y adhèrent sans doute par intérêt, mais la plupart ne sont pas cyniques: ils sont sincèrement convaincus de défendre le Bien, le Beau, le Vrai.]
Je suis d’accord avec vous. Les vrais cyniques, ceux qui sont capables d’assumer le fait de tenir un discours auquel ils ne croient pas, sont finalement très rares. La plupart des gens se construisent un réseau de justifications qui leur permet de reprendre leur place dans le camp du Bien. Même si c’est quelquefois acrobatique… et très hypocrite.
[Personnellement, je suis toujours tourmenté lorsque je me retrouve dans une situation qui me conduit à agir contre mes convictions et mes principes.]
Moi aussi. J’ai été plusieurs fois dans ma vie d’agent public à faire des choses que je pensais être inutiles ou néfastes, et j’en ai beaucoup souffert.
[A partir de là, il n’y a pas de raison d’imaginer qu’un régime de « dictature du prolétariat » n’épouse, dans son organisation politique, les structures les plus diverses (démocratie, aristocratie, dictature…), de la même manière que la « dictature de la bourgeoisie » peut prendre des formes politiques diverses.]
“Une chose absolument certaine, c’est que notre Parti et la classe ouvrière ne peuvent arriver à la domination que sous la forme de la république démocratique. Cette dernière est même la forme spécifique de la dictature du prolétariat, comme l’a déjà montré la grande Révolution française.”Engels, Critique du projet de programme social-démocrate de 1891
Et manifestement Marx partageait cette idée (je suis en train de lire Les luttes de classes en France dans lequel il parle régulièrement de la dictature de classe nécessaire pour passer au communisme). Comme Lénine le défendra plus tard, la dictature du prolétariat est l’accession à la démocratie des masses laborieuses, elle est donc plus démocratique que la dictature du capital qui se cache derrière les apparences de la démocratie bourgeoise.
[le massacre des spartakistes organisée par Franz Ebert]
Comme vous aimez la précision historique, je crois que vous parlez de Friedrich Ebert, et non Franz.
[Vous qui connaissez le milieu, pensez-vous vraiment que les enseignants qui diffusent ce « gloubi-boulga » le font contraints et forcés ? Qu’ils ne partagent pas eux-mêmes non seulement ces idées, mais le besoin de « prédication » ?]
Je valide votre remarque à 100%, Descartes. De mon expérience personnelle, les enseignants ne se privent pas de diffuser leur idéologie libérale à tout bout de champ. Récemment, une enseignante de SVT s’est permise de critiquer mon choix d’afficher les visages des grands auteurs de la sociologie et de l’économie dans ma salle, au prétexte que cela “manquait de femmes”. En SVT! Alors je n’ose imaginer ce qui se passe en histoire, où le jugement moral n’est jamais loin de la présentation des faits… Déjà, accepter de ne parler du stalinisme qu’avec le fascisme italien et le nazisme dans un même chapitre sur “les totalitarismes” devrait susciter une levée de boucliers si l’on aime la rigueur historique…
@ Patriote Albert
[« le massacre des spartakistes organisée par Franz Ebert » Comme vous aimez la précision historique, je crois que vous parlez de Friedrich Ebert, et non Franz.]
Vous avez tout à fait raison. J’en ai honte. Où ais-je été pêcher ce « Franz » ?
[Déjà, accepter de ne parler du stalinisme qu’avec le fascisme italien et le nazisme dans un même chapitre sur “les totalitarismes” devrait susciter une levée de boucliers si l’on aime la rigueur historique…]
Vous noterez que le Franquisme n’est jamais inclus dans ce chapitre. A première vue cela peut paraître étonnant, puisque de tous les totalitarismes, c’est celui qui a survécu le plus longtemps. Il y a à cela une explication très simple à mon avis : le franquisme est un « totalitarisme » clérical. Parler de lui, c’est potentiellement questionner la vocation totalitaire des églises, et tout particulièrement de l’église catholique…
[Je vous rappelle que « l’autocratie » est une notion étroitement liée à l’essence divine du souverain, qui incarne la loi de dieu sur terre.]
Vous n’avez pas à le rappeler, je disais moi-même “collectivistes OU autocratiques” en donnant des théocraties comme exemples d’autocraties.
Sur les démocraties juste tolérées (par l’impérialisme capitaliste) aussi longtemps qu’elles ne feraient pas le mauvais choix (de trop de justice sociale, par exemple ou d’impositions drastique des hauts revenus) faute de subir un coup d’état et un renversement souvenez-vous du taux d’imposition que sut imposer Roosevelt aux USA dans les années 30 du siècle dernier.
https://blogs.alternatives-economiques.fr/chavagneux/2013/04/30/comment-roosevelt-a-taxe-les-riches-et-les-entreprises
Si des pays comme le Chili ou l’Argentine (des années de guerre froide où les USA craignaient la subversion communiste en Amérique latine dès que la moindre social-démocratie un peu plus sociale que libérale y pointait le nez) ont vu leurs démocraties renversées par des dictatures soutenues par les USA, vous aurez observé qu’en Europe occidentale contemporaine les élections démocratiques ont même permis à des ministres communistes de participer à des gouvernements, sans que cela ait entraîné quelque coup d’état.
Peut-être aussi que les “classes antagonistes” (qui, selon vous, ne pourraient que mortellement s’affronter en cas de fondamental conflit d’intérêt) ont pu apprendre “que le coût d’une confrontation violente dépassera toujours les avantages qu’elles pourraient en tirer”, d’où le fameux compromis social-réformiste (que certains qualifieront de compromission) de nos démocraties modernes et de leurs constantes mais apparemment supportables tensions impliquées dans toute démocratie de compromis, où il s’agit d’aller vers l’idéal par les chemins du réel (comme disait Jaurès).
Vous avez bien compris que j’appelle “social-démocrate” tout régime politique ni théocratique, ni autocratique, ni collectiviste, ni libéral-mafieux (cf. Liban), et donc le gaullisme y a bien sa place, en même temps que “nos” communistes français.
Si pour vous la Sécurité sociale (avec les milliards qu’elle mutualise) n’est pas une puissante institution publique, je n’ai pas mieux.
Si la lecture de la devise « liberté, égalité, fraternité » s’améliore avec le temps et les mobilisations des gens, comme vous l’avez remarqué, c’est donc qu’il ne faut pas tout à fait désespérer de nos démocraties bourgeoises ni des possibilités de mobilisations diverses qu’elles permettent.
Vos exemples prouvant qu’on n’est pas forcément plongé dans la misère faute d’avoir intégré l’UE (et ses respectifs avantages et inconvénients) rappellent, heureusement, que l’UE n’est ni pays de cocagne ni paradis ni enfer terrestre, mais juste une fragile tentative pour tenter de surmonter certains problèmes, en acceptant du coup d’en affronter d’autres. Exactement comme le Brexit anglais leur évite certains problèmes mais leur en pose d’autres.
Mais ça, c’est l’histoire de tout organisme vivant, naturel ou politique. Et aussi un peu de nos échanges : toute réponse à une interpellation en appelant une autre, etc. L’essentiel, c’est d’être d’accord sur ses désaccords, tout en se respectant comme il sied entre gens ou concitoyens d’une minimale bonne foi. 🙂
@ Claustaire
[Sur les démocraties juste tolérées (par l’impérialisme capitaliste) aussi longtemps qu’elles ne feraient pas le mauvais choix (de trop de justice sociale, par exemple ou d’impositions drastique des hauts revenus) faute de subir un coup d’état et un renversement souvenez-vous du taux d’imposition que sut imposer Roosevelt aux USA dans les années 30 du siècle dernier.]
Permettez-moi de citer l’article que vous donnez en référence : « La loi fiscale de 1935 représente un moment clé : Roosevelt accroît les impôts sur les riches et les entreprises. LES MESURES NE RAPPORTENT PAS GRAND-CHOSE EN MATIERE DE RECETTES mais elles envoient deux messages politiques forts : le paiement des impôts doit effectivement refléter la capacité de chacun à les payer et il est nécessaire et juste de mettre en œuvre une forte progressivité de l’impôt sur le revenu. » (c’est moi qui souligne). Si la mesure n’a « pas rapporté grand-chose », alors on déduit que l’imposition ne devait pas être aussi « drastique que ça.
Il ne faut pas oublier le contexte de la politique de Roosevelt. Les Etats-Unis n’arrivaient pas à sortir de la Grande Dépression, qui avait durement frappé les pauvres mais aussi les riches. Plus que de faire baisser les impôts, la priorité de la bourgeoisie était de relancer la machine économique, non seulement pour relancer les profits, mais pour empêcher que les travailleurs américains soient tentés par des solutions, disons, « révolutionnaires ». La bourgeoisie a permis à Roosevelt d’augmenter les impôts pour les mêmes raisons qu’elle a permis à De Gaulle de nationaliser en 1945 : parce que les alternatives étaient pires.
[Si des pays comme le Chili ou l’Argentine (des années de guerre froide où les USA craignaient la subversion communiste en Amérique latine dès que la moindre social-démocratie un peu plus sociale que libérale y pointait le nez) ont vu leurs démocraties renversées par des dictatures soutenues par les USA, vous aurez observé qu’en Europe occidentale contemporaine les élections démocratiques ont même permis à des ministres communistes de participer à des gouvernements, sans que cela ait entraîné quelque coup d’état.]
Vous pouvez barrer « Europe occidentale » et mettre « France » à la place. Car à ma connaissance il n’y a jamais eu des ministres communistes en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Portugal… Et pour ce qui concerne la France, il a fallu obtenir l’accord des Américains, qui l’ont accepté à condition qu’on ne leur donne aucun ministère régalien. Et même ainsi, il y eut des « coups de canif » non négligéables au contrat démocratique (comme la fraude électorale lors du vote d’investiture de Maurice Thorez en 1947, raconté par Georgette Elgey dans « la République des illusions »). Ailleurs en Europe, des mesures ont été prises au cas où les communistes seraient amenés à entrer au gouvernement. Avez-vous entendu parler du « Gladio » italien ?
[Peut-être aussi que les “classes antagonistes” (qui, selon vous, ne pourraient que mortellement s’affronter en cas de fondamental conflit d’intérêt) ont pu apprendre “que le coût d’une confrontation violente dépassera toujours les avantages qu’elles pourraient en tirer”,]
L’exemple du Chili devrait vous convaincre du contraire… de toute évidence, la bourgeoisie chilienne a considéré que le jeu en valait la chandelle. Et ce n’est pas le seul exemple, loin de là.
[d’où le fameux compromis social-réformiste (que certains qualifieront de compromission) de nos démocraties modernes et de leurs constantes mais apparemment supportables tensions impliquées dans toute démocratie de compromis, où il s’agit d’aller vers l’idéal par les chemins du réel (comme disait Jaurès).]
Dans les pays développés, après 1945 la bourgeoisie avait tout intérêt à acheter la paix sociale, même au prix de concessions importantes. D’une part, elle avait besoin d’une base nationale, d’autre part elle savait une classe ouvrière mécontente risquait de « passer à l’Est ». Mais depuis les années 1980, elle a de moins en moins de raisons de poursuivre dans cette voie : dans l’économie mondialisée la base nationale est de moins en moins nécessaire, et il n’y a plus d’alternative à l’Est. C’est pourquoi le « compromis » craque de tous les côtés. Est-on très loin du moment où une partie des couches populaires se convaincra qu’elle a plus de chances de gagner des concessions par la violence qu’en respectant le pacte démocratique ? Le saccage de l’Arc de Triomphe laisse penser qu’on est dangereusement proches…
[Vous avez bien compris que j’appelle “social-démocrate” tout régime politique ni théocratique, ni autocratique, ni collectiviste, ni libéral-mafieux (cf. Liban), et donc le gaullisme y a bien sa place, en même temps que “nos” communistes français.]
Tiens, la définition a changé encore une fois ? Humpty-Dumpty serait fier de vous…
[Si pour vous la Sécurité sociale (avec les milliards qu’elle mutualise) n’est pas une puissante institution publique, je n’ai pas mieux.]
Je crois que vous confondez « lourd » et « puissant ». La Sécurité sociale a beau mutualiser des milliards, elle est en déficit et obligée par conséquent de suivre les cures d’amaigrissement successives imposées par les docteurs de Bruxelles. La « puissance », c’est la capacité de traduire sa volonté en acte. Pouvez-vous me donner un exemple récent ou la Sécurité sociale ait fait cela ?
[Si la lecture de la devise « liberté, égalité, fraternité » s’améliore avec le temps et les mobilisations des gens, comme vous l’avez remarqué, c’est donc qu’il ne faut pas tout à fait désespérer de nos démocraties bourgeoises ni des possibilités de mobilisations diverses qu’elles permettent.]
Comme vous savez, j’évite les jugements de valeur. Je constate que la lecture de la devise républicaine CHANGE avec le temps. Savoir si elle s’améliore ou pas, c’est une question de point de vue. Quand je vois des centaines de milliers de manifestants pour la « liberté de ne pas se vacciner, je me dis que « l’amélioration » est très relative…
[Vos exemples prouvant qu’on n’est pas forcément plongé dans la misère faute d’avoir intégré l’UE (…)]
Vous avez mal lu. Mes exemples ne prouvent pas « qu’on n’est pas forcément plongé dans la misère faute d’avoir intégré l’UE ». Ils montrent qu’on peut s’en sortir tout aussi bien sans avoir intégré l’UE. Nuance.
[(…) (et ses respectifs avantages et inconvénients) rappellent, heureusement, que l’UE n’est ni pays de cocagne ni paradis ni enfer terrestre, mais juste une fragile tentative pour tenter de surmonter certains problèmes, en acceptant du coup d’en affronter d’autres. Exactement comme le Brexit anglais leur évite certains problèmes mais leur en pose d’autres.]
Dit comme ça, c’est une banalité. Le nazisme – ou le communisme, ou l’indépendance de la Corse, ou la guerre d’Algérie, ou la création des Nations unies, ou la guerre d’Irak – était aussi « une tentative de surmonter certains problèmes, en acceptant du coup d’en affronter d’autres ». L’ennui, c’est que la construction européenne n’a résolu pratiquement aucun problème – du moins pour les couches populaires – et en a crée des désastres. Mais pas d’inquiétude, le futur sera radieux, c’est garanti.
[Mais ça, c’est l’histoire de tout organisme vivant, naturel ou politique.]
Autrement dit, c’est un truisme. Merci de l’admettre.
Ah, mon cher Descartes, je m’absente du blog pour quelques jours, et à mon retour je trouve cette merveille :
“Comme souvent avec l’Afghanistan, c’est Bernard-Henri Lévy qui m’a alertée.”
On dit que le rire est bon pour la santé, et je dois dire que cette simple phrase m’a parfaitement requinqué. Bon, avant de continuer ma lecture, et bien que la gourmandise soit pêché, je ne résiste pas à laisser ici un lien vers un article qui permet de rigoler un peu plus à ce sujet :
https://www.monde-diplomatique.fr/2010/01/RIMBERT/18750
@ BolchoKek
[Bon, avant de continuer ma lecture, et bien que la gourmandise soit pêché, je ne résiste pas à laisser ici un lien vers un article qui permet de rigoler un peu plus à ce sujet :]
Bel article… mais qui n’ajoute finalement pas grande chose à ce qu’on sait. Et surtout, il n’explique pas pourquoi BHL, dont l’amateurisme, la superficialité, l’inféodation aux américains n’est plus à prouver, continue à exercer une sorte de magistère moral sur nos élites, au point qu’une Hidalgo, qui se sent les ailes d’un président de la République, se considère obligée de citer deux fois son nom dans un article d’une demie-page. Pour moi, la raison de cette absence est simple: pour expliquer, il faudrait revenir aux années 1980, vous savez, ces années néo-maccarthystes ou la “gauche” au pouvoir se convertit au néolibéralisme. Et revenir sur cette époque aboutirait à montrer comment une bonne partie de nos élites intellectuelles, sans aller aux extrémités d’un Lévy, ont succombé aux charmes du n’importe quoi. L’exemple de Badiou défendant les Khmers Rouges n’est pas un exemple isolé.
Sur votre sujet initial, mon cadeau du jour :
https://melenchon.fr/2021/09/03/anne-hidalgo-choisit-la-guerre-des-islamistes-en-afghanistan/
Et la grimace qu’il inspire en face :
@ Claustaire
[Sur votre sujet initial, mon cadeau du jour : (…)]
Mélenchon est de plus en plus amnésique. Je le trouve très amusant quand il rappelle que « En effet, dès 1981, BHL est en Afghanistan pour soutenir les islamistes déjà atrocement obscurantistes face aux communistes. Cette période dramatique de l’histoire afghane a constitué la première version opérationnelle du djihadisme actuel (Gilles Kepel, « Le terrorisme islamiste est né en Afghanistan », L’Histoire, n°293, décembre 2004). Al Quaïda est par exemple ainsi née en Afghanistan en 1987 avec l’appui direct des USA et des intellectuels anti-communistes comme Bernard-Henri Levy. Là encore, comme beaucoup d’intellectuels et médias engagés dans la Guerre froide aux côtés des USA et du « monde libre » (« Quand les djihadistes étaient nos amis », Monde diplomatique, février 2016), BHL a appelé à armer les combattants pour la foi (moudjahidine) face au régime communiste afghan et à l’armée rouge. »
Tout ça est tellement vrai… mais quel dommage que Mélenchon omette de lister les « intellectuels anti-communistes » qui étaient aux côtés de BHL dans sa croisade contre le « régime communiste afghan ». Et pas seulement les intellectuels. Aurait-il oublié comment l’Afghanistan fut utilisé par le PS et son leader François Mitterrand à partir de 1979 dans sa campagne pour affaiblir le PCF ? A l’époque, on trouvait les socialistes – le parti dont Mélenchon était alors un cadre plein de promesses – plutôt du côté des « intellectuels anticommunistes » pour faire l’éloge des « combattants pour la foi ». Mélenchon aurait-il oublié tout ça ?
[Et la grimace qu’il inspire en face : (…)]
Et oui. Il y a toujours des gens pour qui « c’est pro-soviétique » constitue un argument.
Jeanne d’Arc, acceptant en ce beau dimanche de septembre de monter au bûcher médiatique et politique, à Rouen, vous ne croyiez pas si bien dire !
@ Claustaire
[Jeanne d’Arc, acceptant en ce beau dimanche de septembre de monter au bûcher médiatique et politique, à Rouen, vous ne croyiez pas si bien dire !]
Mais contrairement à Jeanne d’Arc, elle en est redescendue!
Bonjour Descartes,
Merci pour ce papier.
Je lisais vos commentaires, notamment un où vous indiquiez qu’aucun candidat élu à la présidence de la République ces cinquante dernières années n’était une menace pour le système, faute de quoi, il n’aurait probablement pas été élu, en raison de l’opposition du bloc dominant.
Comment dans ces conditions, expliquez-vous l’élection de Mitterrand? Selon vous, les bourgeois avaient senti que tout ça tournerait à la pantalonnade? Il y avait pourtant le PCF dans le boucle et un programme assez musclé…
Par ailleurs, pour en revenir à notre système politique, je n’ai pas l’impression de vivre dans une démocratie, autre que formelle. Je qualifierais plutôt la France de pays de “libertés” ce qui est déjà beaucoup, mais clairement insuffisant. Quand je lis certains qui proposent du tirage au sort ou d’autres grigri pour instaurer une démocratie véritable, je m’étouffe un peu.
Je pense qu’il faut revenir aux fondamentaux. Je relisais il y a quelque temps un constitutionnaliste qui expliquait qu’une démocratie avait 3 grandes caractéristiques :
-Les gouvernés élisent les gouvernants (c’est de moins en moins le cas, comme vous le notez vous même, du patronat aux juges, le pouvoir semble ailleurs)
-Les gouvernants ont les moyens de gouverner(ils se les sont en partie eux-mêmes ôtés…)
-Les gouvernants sont responsables devant les gouvernés (pas le point qui m’importe le plus d’autant qu’on peut craindre des dérives…)
En outre et là je vous rejoins dans un autre commentaire, un candidat qui gêne est très vite entravé, pour des motifs fallacieux. Avez-vous suivi le traitement infligé à Eric Zemmour? On pouvait s’y attendre, mais le CSA se moque du monde… Les gauchistes (gauchisme culturel j’entends) sévissent quotidien à nos frais sur le service public, et là, pour une émission sur la TNT, on créé un précédent… Je ne parle même pas des GAFA, avec la censure des chaînes Youtube ou autre… On a beau dire, même sur le net, la liberté d’expression demeure restreinte.
@ Bruno
[Je lisais vos commentaires, notamment un où vous indiquiez qu’aucun candidat élu à la présidence de la République ces cinquante dernières années n’était une menace pour le système, faute de quoi, il n’aurait probablement pas été élu, en raison de l’opposition du bloc dominant. Comment dans ces conditions, expliquez-vous l’élection de Mitterrand? Selon vous, les bourgeois avaient senti que tout ça tournerait à la pantalonnade? Il y avait pourtant le PCF dans le boucle et un programme assez musclé…]
Ils n’avaient pas besoin de le « sentir », c’était dit dès le départ. En 1974, le candidat Mitterrand était allé à l’élection engagé sur un « programme commun » avec un PCF puissant, qui avait probablement les moyens de s’assurer que le programme serait appliqué. Il sera battu : les classes intermédiaires ont eu peur que l’élection ouvre la voie du pouvoir aux « cocos » (souvenez-vous de la formule d’un hiérarque socialiste : « si les cocos passent, je prends le maquis »). Mitterrand a bien tiré les leçons de cet échec : en 1981, il ira à l’élection avec un message tout différent. Ayant rompu avec le PCF, engagé dans la campagne néo-maccarthyste qui commence à la fin des années 1970, affirmant sans ambages que son objectif était de détourner l’électorat populaire du vote communiste, il apparaît au contraire comme le meilleur rempart contre les communistes, alors que le centrisme sauce Giscard bat de l’aile sous les coups de la crise économique suite aux deux chocs pétroliers. Les classes intermédiaires le porteront au pouvoir.
Seulement voilà, un homme politique est dialectiquement esclave de son électorat. Arrivé au pouvoir porté par les classes intermédiaires, il aurait été surprenant qu’il les trahisse une fois au pouvoir pour faire une politique servant les intérêts des couches populaires. Rien que ce raisonnement aurait dû faire réfléchir ceux qui ont cru qu’en élisant Mitterrand ils élisaient quelqu’un qui « menaçait le système ». Et puis, il y avait la personnalité et la trajectoire de Mitterrand et de ceux qui formaient son entourage, qui aurait là aussi mettre la puce à l’oreille…
Ce que vous appelez la « pantalonnade » était écrite dès la rupture du programme commun en 1977. Et si certains à gauche vous racontent qu’ils ne l’ont pas vu, c’est qu’ils n’ont pas VOULU le voir. Quand on a envie de croire, on peut se convaincre de tout. Et à l’époque, l’électeur de gauche voulait désespérément croire qu’après vingt ans de pouvoir sans partage de la droite, on pouvait « changer la vie ». Et du coup, personne – sauf certains communistes, et parmi eux celui qui écrit ces lignes – ne s’est posé des questions. Des questions sur la personnalité des gens qui promettaient ce « changement », mais surtout, et c’est là pour moi l’essentiel, sur le véritable rapport des forces à l’échelle nationale et internationale.
[Par ailleurs, pour en revenir à notre système politique, je n’ai pas l’impression de vivre dans une démocratie, autre que formelle. Je qualifierais plutôt la France de pays de “libertés” ce qui est déjà beaucoup, mais clairement insuffisant. Quand je lis certains qui proposent du tirage au sort ou d’autres grigri pour instaurer une démocratie véritable, je m’étouffe un peu.]
Cela dépend ce que vous appelez « démocratie ». Le terme est tellement polysémique… Personnellement, je mets la barre relativement bas. Dès lors que les droits et libertés fondamentales sont garanties, que les gouvernants sont issus d’une procédure permettant ne serait-ce qu’en théorie les citoyens de les choisir, de les contrôler et éventuellement les renvoyer, et que les pouvoirs sont séparés et régis par le principe de légalité, on est en démocratie. Une démocratie peut être plus ou moins corrompue, plus ou moins effective, elle n’en demeure pas moins une démocratie.
Je suis conscient qu’en mettant la barre aussi bas, on ouvre une question complémentaire : la démocratie est-elle le meilleur système de gouvernement ? Faut-il rejeter par principe toute alternative ? Personnellement, je pense comme Churchill que la démocratie est le pire des systèmes une fois qu’on a éliminé tous les autres, du moins sur le long terme.
[Je pense qu’il faut revenir aux fondamentaux. Je relisais il y a quelque temps un constitutionnaliste qui expliquait qu’une démocratie avait 3 grandes caractéristiques :
-Les gouvernés élisent les gouvernants (c’est de moins en moins le cas, comme vous le notez vous même, du patronat aux juges, le pouvoir semble ailleurs)
-Les gouvernants ont les moyens de gouverner (ils se les sont en partie eux-mêmes ôtés…)
-Les gouvernants sont responsables devant les gouvernés (pas le point qui m’importe le plus d’autant qu’on peut craindre des dérives…)]
Ces critères – qui pour moi ne sont pas suffisants, parce qu’ils laissent de côté la question de la légalité, autrement dit, des limites que le souverain impose aux gouvernants. Un système où l’on élirait un homme qu’on pourrait révoquer à tout moment et qui serait investi du pouvoir de faire tout ce qui lui passe par la tête remplit les conditions, et pourtant je ne pense pas qu’on puisse le qualifier de « démocratie ». Pour moi, la démocratie implique non seulement qu’on élise les gouvernants, mais aussi que ceux-ci reçoivent une délégation LIMITEE dans le temps et dans l’espace.
Je voudrais tout de même signaler la dernière condition, qui pour moi est peut-être la plus importante. Il n’y a pas de démocratie sans responsabilité. Et c’est peut-être sur ce sujet plus que tous les autres que le caractère démocratique de notre système actuel peut être questionné.
[En outre et là je vous rejoins dans un autre commentaire, un candidat qui gêne est très vite entravé, pour des motifs fallacieux. Avez-vous suivi le traitement infligé à Eric Zemmour? On pouvait s’y attendre, mais le CSA se moque du monde…]
Je pense que l’affaire mérite effectivement une analyse qui aille au-delà du cas concret de Zemmour. La décision du CSA permet de mettre à jour une hypocrisie fondamentale du système : la frontière floue entre information et propagande. Au prétexte d’informer, un journaliste peut faire campagne pour des idées, et donc implicitement – et quelquefois explicitement – pour l’homme censé les représenter au mieux. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, un Bernard Guetta a sévi tous les matins sur France Inter pendant des années débitant un discours eurolâtre acritique qu’on aurait du mal à qualifier autrement que de « propagande ». Alain Duhamel avait été plus loin : il avait pris fait et cause pour Bayrou. Et ces interventions n’ont jamais été comptées comme propagande politique.
Autrement dit, dans la logique hypocrite du CSA un journaliste – ou une personnalité quelconque – peut faire campagne pour une politique, pour un candidat, et son temps de parole ne sera pas décompté… à condition qu’il ne fasse pas campagne pour lui-même. C’est parfaitement ridicule.
Pas de démocratie sans responsabilité, pas de démocratie sans possibilité de défaire ce qu’un gouvernement aura fait, pas de démocratie sans réversibilité des politiques engagées. Soit.
Mais alors, quelle réversibilité pour une politique qui aura décidé le recours au nucléaire et l’irréversibilité séculaire (millénaire) des déchets à gérer ? Quel personnage politique des années 60 ou 70 pourra être déclaré responsable de décisions dont les conséquences (éventuellement redoutables) se mesureront des décennies, des siècles après le départ ou la mort de ce politique ?
Lorsque Marx théorisait sa phase de transition vers une société communiste envisageait-il d’éventuelles élections démocratiques ultérieures qui eussent renoncé à la société communiste précédemment instaurée ?
Et quand le Capitalisme néolibéral mondialisé (encore plus productiviste que le marxisme léniniste rêvait de l’être) aura rendu la planète inhabitable, quelle élection démocratique assurera l’alternative politique permettant la marche arrière devenue impossible ?
@ Claustaire
[Pas de démocratie sans responsabilité, pas de démocratie sans possibilité de défaire ce qu’un gouvernement aura fait, pas de démocratie sans réversibilité des politiques engagées. Soit.]
L’idée d’associer réversibilité et démocratie me paraît curieuse. La plupart des décisions que prend un gouvernement sont irréversibles. Ainsi, par exemple, si une politique éducative est erronée, on ne peut la changer que pour l’avenir. On ne peut pas faire revenir sur les bancs de l’école la génération qui aura souffert de l’erreur… si pour vous la réversibilité est une condition sine qua non de la démocratie, alors la démocratie est impossible.
[Mais alors, quelle réversibilité pour une politique qui aura décidé le recours au nucléaire et l’irréversibilité séculaire (millénaire) des déchets à gérer ?]
Je vous le répète : pratiquement aucune décision de politique publique n’est « réversible » au sens où vous l’entendez. Si j’autorise un médicament et celui-ci tue des gens, je peux l’interdire pour l’avenir, mais je ne peux ressusciter les morts qu’il aura causé dans l’intervalle.
Le choix du nucléaire n’est pas « réversible », mais le choix inverse non plus.
[Quel personnage politique des années 60 ou 70 pourra être déclaré responsable de décisions dont les conséquences (éventuellement redoutables) se mesureront des décennies, des siècles après le départ ou la mort de ce politique ?]
La « damnatio memoriae » existe précisément pour résoudre ce problème. Il ne faut pas confondre « responsabilité » et « responsabilité pénale ».
[Lorsque Marx théorisait sa phase de transition vers une société communiste envisageait-il d’éventuelles élections démocratiques ultérieures qui eussent renoncé à la société communiste précédemment instaurée ?]
Marx n’a pas vraiment « théorisé sa phase de transition ver une société communiste ». Marx est fondamentalement un théoricien du capitalisme, pas du communisme. Il n’a consacré à ce dernier que quelques textes d’opinion, et pas les plus convaincants.
Mais pour répondre à votre question, un mode de production ne s’établit que parce qu’il correspond à un état déterminé des forces productives. L’idée qu’une fois le communisme établi un vote pourrait « renoncer » à celui-ci pour revenir au capitalisme est à peu près aussi réaliste que l’idée qu’un vote dans une société capitaliste pourrait opérer un retour vers un mode de production féodal ou antique. Pour que cela fut possible, il faudrait une telle régression des forces productives qu’on a du mal à l’imaginer…
[Et quand le Capitalisme néolibéral mondialisé (encore plus productiviste que le marxisme léniniste rêvait de l’être) aura rendu la planète inhabitable, quelle élection démocratique assurera l’alternative politique permettant la marche arrière devenue impossible ?]
Si la marche arrière est « devenue impossible », alors aucune élection démocratique n’assurera celle-ci, à moins d’imaginer que la démocratie possède le pouvoir magique de rendre possible l’impossible. Mais je ne comprends pas très bien le sens de cette question… a quoi ça sert de se demander “qu’est ce qu’on peut faire lorsqu’il n’y a rien à faire” ?
[Ayant rompu avec le PCF, engagé dans la campagne néo-maccarthyste qui commence à la fin des années 1970, affirmant sans ambages que son objectif était de détourner l’électorat populaire du vote communiste, il apparaît au contraire comme le meilleur rempart contre les communistes,]
Je n’ai pas votre connaissance de cette période, mais si j’avais été un bon bourgeois de l’époque, j’aurais voté VGE. Sauf si ma mémoire m’abuse, le PCF a appelé à voter Mitterrand au second tour, ce qui n’était pas rien. Ce positionnement m’interpelle d’ailleurs car pendant la campagne du premier tour, Marchais affirmait que le PS ferait la politique de la droite… Le PS a même fait pire selon moi. Comment expliquez-vous que le parti, sachant cela, n’a pas adopté le même positionnement qu’en 1965?
[Les classes intermédiaires le porteront au pouvoir.]
1974 et 1981 se jouent dans des mouchoirs de poche. 300.000 voix pour la première, 550.000 voix pour la seconde. Je pense donc que la bascule s’est jouée ailleurs et que le soutien des communistes et d’une partie des classes populaires a été déterminant en 1981.
[Arrivé au pouvoir porté par les classes intermédiaires, il aurait été surprenant qu’il les trahisse une fois au pouvoir pour faire une politique servant les intérêts des couches populaires.]
Certes, les classes intermédiaires ont joué un rôle, mais les classes populaires aussi. Elles ont été largement cocufiées selon moi. Le fait qu’elles ne soient pas représentées au sein du PS a dû jour, le déclin du PCF aussi.
[Des questions sur la personnalité des gens qui promettaient ce « changement », mais surtout, et c’est là pour moi l’essentiel, sur le véritable rapport des forces à l’échelle nationale et internationale.]
Comment expliquez-vous le déclin du PCF entre 1974 et 1981? Que s’est-il passé en interne, chez nous, pour que le rapport de forces évolue à ce point? J’ai lu des choses sur un prétendu effet de l’intervention de l’URSS en Afghanistan, mais je suis plus que sceptique…
[Personnellement, je mets la barre relativement bas]
Les démocraties socialistes ou populaires de l’Europe de l’est franchissaient-elles cette barre d’après vous?
[Personnellement, je pense comme Churchill que la démocratie est le pire des systèmes une fois qu’on a éliminé tous les autres, du moins sur le long terme.]
Les failles de notre système actuel sont la conséquence d’un poids trop important des intermédiaires qui s’arrogent le pouvoir (associations, juges…) et contournent ainsi la démocratie.
Je vous rejoins totalement sur le CSA. Faudrait-il le supprimer selon vous? Qu’est-ce qu’un tel organe peut apporter de bon? Si au moins il censurait la vulgarité…
@ Bruno
[Je n’ai pas votre connaissance de cette période, mais si j’avais été un bon bourgeois de l’époque, j’aurais voté VGE.]
Si vous aviez été un « bon bourgeois » issu de la bourgeoisie industrielle ou bancaire, probablement. Mais les classes intermédiaires ont voté massivement pour Mitterrand, tout comme beaucoup de « bourgeois modernes » officiant dans les activités de service, la culture, les médias… pensez à des hommes comme André Rousselet.
[Sauf si ma mémoire m’abuse, le PCF a appelé à voter Mitterrand au second tour, ce qui n’était pas rien. Ce positionnement m’interpelle d’ailleurs car pendant la campagne du premier tour, Marchais affirmait que le PS ferait la politique de la droite… Le PS a même fait pire selon moi. Comment expliquez-vous que le parti, sachant cela, n’a pas adopté le même positionnement qu’en 1965?]
Il y avait eu un débat très vif à l’époque, et certaines instances du PCF avaient donné en sous-main la consigne de faire voter pour VGE. Mais la direction de l’époque, Marchais en tête, étaient conscients qu’après le « conditionnement » du programme commun qui avait créé une véritable « envie d’y croire », une telle position risquait de provoquer l’explosion du PCF. C’est d’ailleurs à mon avis le reproche les plus sérieux qu’on peut faire à Marchais : de s’être refusé à trancher les conflits et les avoir laissé pourrir de peur de provoquer une division.
Mais ce choix s’explique. En 1969, lorsque le PCF renvoie Poher et Pompidou dos à dos, il est le parti dominant de la gauche, exerçant un magistère incontesté sur une classe ouvrière qui bénéficie encore d’un rapport de forces favorable qui est celui des « trente glorieuses ». En 1981, le rapport de forces devient nettement défavorable à la classe ouvrière : le chômage de masse s’est installé, la désindustrialisation frappe, la construction européenne commence à produire ses effets, des villes et des régions entières sont sinistrées.
[1974 et 1981 se jouent dans des mouchoirs de poche. 300.000 voix pour la première, 550.000 voix pour la seconde. Je pense donc que la bascule s’est jouée ailleurs et que le soutien des communistes et d’une partie des classes populaires a été déterminant en 1981.]
C’est un peu contradictoire : les communistes étaient nettement plus enthousiastes en 1974 qu’en 1981. Autrement dit, ce ne sont pas les voix communistes qui lui ont manqué lors de sa défaite en 1974 et qui ont permis sa victoire en 1981. Ce serait plutôt l’inverse : il y a des voix communistes qui se sont portés sur Mitterrand en 1974 et qui lui ont manqué en 1981. Pour compenser ce phénomène et lui assurer la victoire, il a fallu le basculement de plus d’un million de voix. Qu’il faut aller chercher chez les bourgeois et les classes intermédiaires…
Mais il est clair que sans le vote d’une partie des couches populaires, Mitterrand n’aurait pu gagner en 1981. La grande réussite de Mitterrand a été de persuader de larges secteurs des classes intermédiaires et la bourgeoisie qu’il saurait préserver leurs intérêts tout en convaincant une partie majoritaire des couches populaires qu’il s’occuperait de leurs problèmes. A l’arrivée, il ne pouvait que décevoir les uns ou les autres. Et devinez qui fut le dindon de la farce ?
[« Des questions sur la personnalité des gens qui promettaient ce « changement », mais surtout, et c’est là pour moi l’essentiel, sur le véritable rapport des forces à l’échelle nationale et internationale. » Comment expliquez-vous le déclin du PCF entre 1974 et 1981? Que s’est-il passé en interne, chez nous, pour que le rapport de forces évolue à ce point? J’ai lu des choses sur un prétendu effet de l’intervention de l’URSS en Afghanistan, mais je suis plus que sceptique…]
D’abord, vous noterez que TOUS les partis communistes occidentaux ont subi ce déclin, alors que leurs choix stratégiques et tactiques furent très différents. Ce n’est donc pas dans ces choix qu’il faut chercher la cause, même si ces choix ont eu une influence sur l’ampleur de la débâcle. Débâcle qui a été bien plus destructrice chez ceux qui ont choisi une orientation « eurocommuniste » et rompu avec l’URSS (Italie, Espagne) que chez ceux qui sont restés alignés avec la « patrie du socialisme » (France, Portugal). Le PCI était bien plus puissant que le PCF en 1970, il n’existe plus aujourd’hui alors que le PCF est toujours là, et dispose bon an mal an du troisième réseaux d’élus.
Le déclin des partis communistes est inscrit dans le changement du rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie. Entre 1974 et 1981, on voit la globalisation s’installer. Le libre-échange commence à produire ses effets, avec l’envahissement du marché intérieur par des produits fabriqués dans les pays à faible coût de main d’œuvre. La désindustrialisation commence et le chômage de masse s’installe, réduisant le pouvoir de négociation des ouvriers. Les classes intermédiaires, protégées du chômage et des délocalisations, découvrent tout l’intérêt qu’elles peuvent tirer de la nouvelle donne. Alors que pendant les « trente glorieuses » leur intérêt – arracher à la bourgeoisie un part de gâteau aussi importante que possible – les conduisait à faire alliance avec les couches populaires dont elles étaient d’ailleurs issues et dont elles ne s’étaient pas totalement séparées – elles comprennent que leur intérêt de classe se situe maintenant dans une alliance avec la bourgeoisie.
Le résultat de cette inversion du rapport de forces se fait sentir tout au long des années 1970. Alors qu’entre 1945 et 1970 les luttes sociales étaient ponctuées de victoires régulières, après 1974 il n’y a plus que des défaites. La bataille des mineurs ne change en rien la politique de fermeture sèche des puits, la bataille des sidérurgistes ne peut empêcher la Lorraine d’être sinistrée. Cette suite de défaites provoquera le découragement des militants ouvriers, alors que les militants issus des classes intermédiaires reprochent au Parti son « ouvriérisme » et le poussent à abandonner son ancrage social pour épouser les combats « sociétaux ». C’est dans ce phénomène qu’il faut voir à mon avis la racine du déclin des partis communistes…
[« Personnellement, je mets la barre relativement bas » Les démocraties socialistes ou populaires de l’Europe de l’est franchissaient-elles cette barre d’après vous?]
Non. Elles n’ont pas eu le temps de le faire. Leur courte vie s’est déroulée dans un contexte de guerre, qui ne l’était pas moins pour être froide.
[« Personnellement, je pense comme Churchill que la démocratie est le pire des systèmes une fois qu’on a éliminé tous les autres, du moins sur le long terme. » Les failles de notre système actuel sont la conséquence d’un poids trop important des intermédiaires qui s’arrogent le pouvoir (associations, juges…) et contournent ainsi la démocratie.]
Je pense surtout que les failles de notre système actuel sont liées au fait qu’il fait semblant d’ignorer la lutte des classes sous-jacente. Nous vivons dans l’illusion que nous pouvons choisir les politiques qui seront mises en œuvre, alors qu’en fait nous ne pouvons choisir que parmi les options qui sont acceptables pour le bloc dominant. Tout le reste n’est que la conséquence…
[Je vous rejoins totalement sur le CSA. Faudrait-il le supprimer selon vous? Qu’est-ce qu’un tel organe peut apporter de bon? Si au moins il censurait la vulgarité…]
Franchement, je ne sais pas. Ce n’est pas un domaine que je connais, et je n’ai pas beaucoup réfléchi là-dessus. Il me semble assez évident que dans un paysage audiovisuel contrôlé par les intérêts privés étroitement liés à des groupes politiques, l’idée qu’un « conseil supérieur » administratif pourrait défendre le faible contre le fort me paraît illusoire.
@Descartes
[Si vous aviez été un « bon bourgeois » issu de la bourgeoisie industrielle ou bancaire, probablement. Mais les classes intermédiaires ont voté massivement pour Mitterrand, tout comme beaucoup de « bourgeois modernes » officiant dans les activités de service, la culture, les médias… pensez à des hommes comme André Rousselet.]
J’ai cette remarque qui me vient en tête : prenons le patron d’une manufacture, l’ouvrier qui y travaille, ainsi que le patron d’une société d’importation et le manutentionnaire qui y travaille (la société importe le même type de produits fabriqués par la manufacture). Qui partagent le plus en commun en termes d’intérêts : le patron de la manufacture et son ouvrier d’un côté, le patron de la société d’importation de l’autre, ou bien les deux patrons d’un côté et les deux employés de l’autre ?
Vous direz que les deux patrons partagent le plus en commun en termes d’intérêts parce-que tous deux membres deux la bourgeoisie cherchent à aliéner une partie de la plus-value produite par leurs employés, personnellement je réponds que les membres de la société d’importation partagent le plus d’intérêts en commun d’un côté et les membres de la manufacture de l’autre, car dans un jeu à somme nulle, une entreprise gagne des parts de marché au détriment de l’autre et pour l’entreprise qui perd, cela se traduit par une perte de capital pour le patron et de salaire pour l’employé.
@ François
[J’ai cette remarque qui me vient en tête : prenons le patron d’une manufacture, l’ouvrier qui y travaille, ainsi que le patron d’une société d’importation et le manutentionnaire qui y travaille (la société importe le même type de produits fabriqués par la manufacture). Qui partagent le plus en commun en termes d’intérêts : le patron de la manufacture et son ouvrier d’un côté, le patron de la société d’importation de l’autre, ou bien les deux patrons d’un côté et les deux employés de l’autre ?]
Je vois bien ou va votre raisonnement, mais vous oubliez un point important : la mobilité du capital. Vos deux patrons ont par exemple intérêt à l’ouverture des frontières et à la libre circulation du capital et des marchandises : le patron de la société d’importation, parce que cela lui permet de faire du commerce sans avoir à payer des taxes ou respecter des limites ; et le patron de la manufacture, parce qu’avec la libre circulation il peut retirer son capital de France, l’investir en Bulgarie ou au Bangladesh (où les salaires sont bien moindres, tout comme les charges et les contraintes réglementaires) et ensuite rapatrier les produits pour les vendre chez nous.
Les ouvriers, par contre, ont tous deux intérêt à garder les frontières fermées : l’un parce qu’il risque la concurrence de travailleurs immigrés bien moins bien payés, l’autre parce qu’il risque de voir son boulot délocalisé.
[Vous direz que les deux patrons partagent le plus en commun en termes d’intérêts parce-que tous deux membres deux la bourgeoisie cherchent à aliéner une partie de la plus-value produite par leurs employés, personnellement je réponds que les membres de la société d’importation partagent le plus d’intérêts en commun d’un côté et les membres de la manufacture de l’autre, car dans un jeu à somme nulle, une entreprise gagne des parts de marché au détriment de l’autre et pour l’entreprise qui perd, cela se traduit par une perte de capital pour le patron et de salaire pour l’employé.]
Mais pourquoi privilégier ce jeu à somme nulle, plutôt que celui qui fait que les deux patrons ont intérêt à baisser les salaires, et les deux ouvriers à les voir monter ? Là aussi, le meilleur salaire de l’un fait moins de profits pour l’autre…
[le patron de la manufacture, parce qu’avec la libre circulation il peut retirer son capital de France, l’investir en Bulgarie ou au Bangladesh (où les salaires sont bien moindres, tout comme les charges et les contraintes réglementaires) et ensuite rapatrier les produits pour les vendre chez nous.]
Certes, mais dans les faits, cela se passe t-il toujours comme ça ? Quelle est la proportion d’entreprises qui ont délocalisé, quelle est la proportion d’entreprise qui ont fait faillite ? Je vois mal le patron d’une PME (héritée du père) d’une vingtaines de personnes et située dans les Vosges, aller la délocaliser en Chine.
[Mais pourquoi privilégier ce jeu à somme nulle, plutôt que celui qui fait que les deux patrons ont intérêt à baisser les salaires, et les deux ouvriers à les voir monter ? Là aussi, le meilleur salaire de l’un fait moins de profits pour l’autre…]
Pour couper la poire en deux, les deux se complètent.
@ François
[Certes, mais dans les faits, cela se passe t-il toujours comme ça ? Quelle est la proportion d’entreprises qui ont délocalisé, quelle est la proportion d’entreprise qui ont fait faillite ? Je vois mal le patron d’une PME (héritée du père) d’une vingtaine de personnes et située dans les Vosges, aller la délocaliser en Chine.]
Non, mais la question n’est pas celle des personnes, mais du capital. Le patron d’une PME ne délocalisera peut-être pas son entreprise, mais le capital qui auparavant aurait été investi dans celle-ci aura été s’investir ailleurs.
[Pour couper la poire en deux, les deux se complètent.]
Oui, et c’est pourquoi on peut, dans des circonstances très particulières, voir des alliances entre une bourgeoisie industrielle et le prolétariat contre une bourgeoisie aux intérêts essentiellement financiers. Mais ce sont des anomalies : le rapport entre la bourgeoisie et le prolétariat est déterminé d’abord par un conflit antagonique : les moindres salaires des uns font les profits des autres…
[Mais les classes intermédiaires ont voté massivement pour Mitterrand, tout comme beaucoup de « bourgeois modernes » officiant dans les activités de service, la culture, les médias… ]
L’élection de 1981 possède par ailleurs quelques particularités dans la répartition des votes, notamment dans la différence importante entre le vote des hommes et des femmes au second tour, les premiers choisissant assez largement Mitterrand (http://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Flelab2012.com%2Fhistorique-election-presidentielle-1981.php). Comment expliquez-vous cela?
[En 1981, le rapport de forces devient nettement défavorable à la classe ouvrière : le chômage de masse s’est installé, la désindustrialisation frappe, la construction européenne commence à produire ses effets, des villes et des régions entières sont sinistrées.]
Face à ces difficultés, le PCF a-t-il su poser un bon diagnostic ou bien se contentait-il de rester sur la défensive? Ce que je veux dire par là, c’est a-t-il compris ce qui lui arrivait et, si oui, pourquoi n’a-t-il pas su ou pu peser davantage dans les choix, comme la construction européenne?
[Ce serait plutôt l’inverse : il y a des voix communistes qui se sont portés sur Mitterrand en 1974 et qui lui ont manqué en 1981. Pour compenser ce phénomène et lui assurer la victoire, il a fallu le basculement de plus d’un million de voix. Qu’il faut aller chercher chez les bourgeois et les classes intermédiaires…]
Un sondage sorti ces urnes n’est certes pas la Bible mais il est intéressant de constater qu’en 1974 comme en 1981, le vote des ouvriers, est le même en faveur de Mitterrand au second tour (67%). Toutefois, Tonton progresse chez les cadres moyens et les employés.
[Le déclin des partis communistes est inscrit dans le changement du rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie. Entre 1974 et 1981, on voit la globalisation s’installer. Le libre-échange commence à produire ses effets, avec l’envahissement du marché intérieur par des produits fabriqués dans les pays à faible coût de main d’œuvre. La désindustrialisation commence et le chômage de masse s’installe, réduisant le pouvoir de négociation des ouvriers.]
Quelle était la position du PCF à l’époque sur le regroupement familial?
[Non. Elles n’ont pas eu le temps de le faire. Leur courte vie s’est déroulée dans un contexte de guerre, qui ne l’était pas moins pour être froide.]
Que manquait-il à ses régimes pour la franchir selon vous? Pensez-vous que leurs dirigeants souhaitaient qu’un libre débat démocratique y soit possible, à terme?
@ Bruno
[L’élection de 1981 possède par ailleurs quelques particularités dans la répartition des votes, notamment dans la différence importante entre le vote des hommes et des femmes au second tour, les premiers choisissant assez largement Mitterrand]
Je ne suis pas sûr que ce soit une « particularité » de l’élection de 1981. C’est une constante qui d’ailleurs n’est pas spécifique à la France. Le vote des femmes est plus traditionnaliste que celui des hommes, et ce décalage est d’autant plus fort que les femmes sont plus présentes dans la sphère domestique. Jusqu’en 1945, la gauche s’est opposé au vote féminin non parce qu’elle considérait que les femmes ne méritaient pas le vote, mais parce que « donner le vote aux femmes c’est donner leur vote aux curés ». La loi de séparation de 1905 aurait été impossible si les femmes avaient pu voter à l’époque.
[« En 1981, le rapport de forces devient nettement défavorable à la classe ouvrière : le chômage de masse s’est installé, la désindustrialisation frappe, la construction européenne commence à produire ses effets, des villes et des régions entières sont sinistrées. » Face à ces difficultés, le PCF a-t-il su poser un bon diagnostic ou bien se contentait-il de rester sur la défensive? Ce que je veux dire par là, c’est a-t-il compris ce qui lui arrivait (…)]
Le PCF n’a pas compris ce qui lui arrivait. Seule une toute petite minorité de militants et de dirigeants ont saisi la portée des changements à l’œuvre et anticipé les conséquences, et ils n’ont pas été écoutés. La droite non plus, d’ailleurs, n’a rien vu venir. Alors que le ralentissement de la croissance qui marque la fin des « trente glorieuses » était perceptible dès la fin des années 1960 – on peut y voir l’une des causes de l’explosion de mai 1968 – tous les commentateurs l’ont ignorée. Le choc pétrolier de 1973 a largement occulté ce phénomène, apparaissant pour les contemporains comme la cause de tout alors qu’il n’a fait qu’accélérer les effets d’un changement bien plus profond. D’ailleurs, la plupart des commentateurs – de gauche comme de droite – des années 1970 parlent de « la crise » comme de quelque chose de temporaire, dont on verra bientôt « le bout du tunnel » (l’expression est de Raymond Barre) à condition de mettre en œuvre les « bonnes » politiques.
On a vécu sur cette illusion d’une « crise » à durée limité pendant toute la décennie 1980. Ce n’est qu’à l’aube des années 1990 qu’on a fini par accepter que le chômage de masse n’était pas un élément conjoncturel mais bien le résultat d’une transformation structurelle. En 1993, quand Mitterrand reconnaît que « contre le chômage on a tout essayé » (implicitement « et rien ne marche »), il provoque encore un scandale.
[et, si oui, pourquoi n’a-t-il pas su ou pu peser davantage dans les choix, comme la construction européenne?]
Si le PCF n’a pas vraiment compris les transformations économiques qui allaient broyer la classe ouvrière et réduire à néant son pouvoir de négociation, il a bien compris par contre les dangers de la construction européenne, et s’est constamment opposé à la construction européenne dès le départ. Il ne changera de position qu’avec l’arrivée à sa tête de Robert Hue qui traduit la reconversion du PCF en parti des classes intermédiaires.
[« Le déclin des partis communistes est inscrit dans le changement du rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie. Entre 1974 et 1981, on voit la globalisation s’installer. Le libre-échange commence à produire ses effets, avec l’envahissement du marché intérieur par des produits fabriqués dans les pays à faible coût de main d’œuvre. La désindustrialisation commence et le chômage de masse s’installe, réduisant le pouvoir de négociation des ouvriers. » Quelle était la position du PCF à l’époque sur le regroupement familial?]
Le PCF à l’époque exige l’arrêt de l’immigration nouvelle tout en autorisant le regroupement familial strictement contrôlé – pour empêcher qu’il serve de porte d’entrée à l’immigration clandestine. Les communistes considèrent que l’idée répandue à l’époque comme quoi les immigrés viendraient travailler quelques années en France pour ensuite retourner chez eux est une fiction. Il faut donc à la fois arrêter l’immigration et permettre à ceux qui sont installés de mener une vie familiale normale – et de s’assimiler.
[« Non. Elles n’ont pas eu le temps de le faire. Leur courte vie s’est déroulée dans un contexte de guerre, qui ne l’était pas moins pour être froide. » Que manquait-il à ses régimes pour la franchir selon vous?]
Je dirais que ce qui a manqué c’est un contexte de paix extérieure qui aurait permis de découpler politique extérieure et politique intérieure. En effet, l’existence d’une menace vitale permanente à l’extérieur rend la politique intérieure tributaire de la défense extérieure. Comment permettre un débat libre sur les options politiques lorsque celui-ci peut devenir le cheval de Troie d’une intervention extérieure ?
Vous noterez que ce problème n’est pas exclusivement soviétique : les « démocraties » occidentales ont, elles aussi, imposé des limitations au débat démocratique lorsqu’elles sentent la présence d’une menace de cette nature. Aux Etats-Unis, ce fut le maccarthysme. En Allemagne fédérale, les Berufsberbote. En France, l’interdiction pour les communistes de passer certains concours ou d’occuper certaines fonctions (voir par exemple l’affaire Barel). Mais alors que la menace était largement théorique à l’Ouest, elle était bien réelle à l’Est. Dans les années 1930, les « démocraties occidentales » ont aidé les régimes autoritaires d’Europe centrale et orientale à se mettre en place avec l’espoir qu’ils constitueraient des antidotes efficaces contre le communisme et qu’ils feraient la guerre à l’URSS. Il en est résulté la dévastation du pays et 22 millions de victimes soviétiques, civiles et militaires. Il n’y a pas d’équivalent en sens inverse.
[Pensez-vous que leurs dirigeants souhaitaient qu’un libre débat démocratique y soit possible, à terme?]
Je ne sais pas. Probablement pas, comme la grande majorité des dirigeants une fois au pouvoir. Croyez-vous vraiment qu’un Mitterrand ou un Delors souhaitait « qu’un libre débat démocratique soit possible » ? Lorsqu’on voit la direction qu’ils ont donné à la construction européenne, on peut légitimement en douter.
Mais cela n’a guère d’importance. Les sociétés ont leur dynamique interne, et la dialectique entre gouvernants et gouvernés fait que dans certaines circonstances le libre débat s’installe, que les dirigeants le veuillent ou pas. Et c’est là que se pose la question de la paix. Les citoyens d’une société soumise à une menace extérieure auront plus de réticences à affirmer leurs libertés que ceux d’une société vivant dans la crainte permanente d’une agression. C’est d’ailleurs pourquoi beaucoup de dirigeants – démocratiques ou non – cherchent à persuader leurs citoyens de l’existence d’une menace vitale. Aux Etats-Unis, il faut en permanence instituer un ennemi qui représente une telle menace. Que ce soit le communisme, Hitler, l’URSS, Saddam Hussein, les Taliban, la Chine… et comme il s’agit d’une menace vitale, elle justifie tout : les persécutions, les arrestations illégales, la torture, l’assassinat.
L’URSS n’a pas connu, dans sa relativement courte histoire, une période où les citoyens aient pu se dire « on peut se rebeller contre le gouvernement, exiger qu’il respecte les libertés civiles, sans pour autant porter atteinte à la sécurité du pays ». Très difficile, dans ces conditions, d’imaginer une démocratie.
Un petit hors sujet, qui fait écho à un papier que vous aviez d’ailleurs publié, me semble-t-il :
https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/transports/ile-de-france-mobilites-menace-de-ne-plus-payer-la-ratp-et-la-sncf_AD-202109140413.html
Résumé : “Ile-de-France Mobilités réclame 1,3 milliard d’euros de subvention à l’Etat pour couvrir les pertes liées à la crise sanitaire. Sans ce soutien, le Syndicat des transports de la région francilienne menace de suspendre ses versements à la RATP et à la SNCF dès la fin du mois de septembre.”
Vous aviez assez justement dit que si les régions voulaient leur autonomie, il ne fallait pas qu’elles viennent râler dès qu’il y avait un problème.
L’argument opposé était que la gestion de la crise n’avait pas été faite par la région, mais au niveau supérieur, qui devait donc assumer les conséquences.
Mais si on regarde plus en détail, la gestion de la crise par Macron au début de l’épidémie a consisté à s’aligner strictement sur les lignes de conduites dictées au niveau de l’UE.
Suivant le même raisonnement, est ce que le gouvernement ne pourrait donc pas transmettre directement la note à Bruxelles ?
@ Vincent
[Résumé : “Ile-de-France Mobilités réclame 1,3 milliard d’euros de subvention à l’Etat pour couvrir les pertes liées à la crise sanitaire. Sans ce soutien, le Syndicat des transports de la région francilienne menace de suspendre ses versements à la RATP et à la SNCF dès la fin du mois de septembre.” Vous aviez assez justement dit que si les régions voulaient leur autonomie, il ne fallait pas qu’elles viennent râler dès qu’il y avait un problème.]
Tout à fait. Avec le pouvoir vient – ou du moins devrait venir – la responsabilité. Quand l’Etat doit faire face à une catastrophe dans un domaine où il est compétent, c’est lui qui fait face à la dépense, et personne d’autre. Pourquoi devrait-on admettre que régions, départements et communes puissent se retourner vers l’Etat quand il y a un problème ?
[L’argument opposé était que la gestion de la crise n’avait pas été faite par la région, mais au niveau supérieur, qui devait donc assumer les conséquences. Mais si on regarde plus en détail, la gestion de la crise par Macron au début de l’épidémie a consisté à s’aligner strictement sur les lignes de conduites dictées au niveau de l’UE. Suivant le même raisonnement, est ce que le gouvernement ne pourrait donc pas transmettre directement la note à Bruxelles ?]
Sauf que suivre cet argument, ce serait admettre une position subordonnée de la France par rapport à l’UE ! Surtout pas, malheureux !
C’était la logique macronienne, que, pendant la crise, de suivre aveuglément les directions bruxelloises. Cela ne coûte pas grand chose d’admettre que la France a été suiviste par rapport à l’UE. Et si l’UE refuse de financer, on devrait pouvoir en déduire qu’elle refuse d’assumer les conséquences, et qu’elle n’a donc aucune responsabilité, ni aucun pouvoir.
Le débat serait intéressant, je pense. Si les Etats peuvent faire peser sur le dos de l’UE les conséquences des politiques décidées au niveau européen, il y a pas mal de choses qui pourraient leur être imputées (à commencer par une bonne partie du coût du chômage).
Et si l’UE refuse d’assumer les conséquences, il faudra bien qu’ils expliquent d’où ils tiennent leur légitimité à décider de politiques dont ils n’assument pas les décisions…
@ Vincent
[C’était la logique macronienne, que, pendant la crise, de suivre aveuglément les directions bruxelloises. Cela ne coûte pas grand chose d’admettre que la France a été suiviste par rapport à l’UE.]
Là, vous m’obligez à défendre Macron. Si la France a été « suiviste » en matière de vaccination, dans les autres domaines elle s’est assise joyeusement sur les règles européennes. L’exemple le plus flagrant : les mesures de réquisition qui, je vous le rappelle, sont interdites par les règles du marché intérieur.
[Et si l’UE refuse de financer, on devrait pouvoir en déduire qu’elle refuse d’assumer les conséquences, et qu’elle n’a donc aucune responsabilité, ni aucun pouvoir.]
Et si elle accepte ? Dans ce cas, on serait obligés d’accepter qu’elle est légitime à nous gouverner…
[Prenons un exemple : l’intervention américaine au Vietnam a fait entre un et deux millions de morts, et un nombre incalculable de blessés, de mutilés, d’handicapés à vie. Pendant cette intervention, la torture et l’exécution sommaire des prisonniers vietnamiens a été systématique. On pourrait aligner pendant des pages et des pages des faits « effroyables » perpétrés par les armées d’intervention. Et pourtant, l’homme qui a ordonné cette intervention et qui l’a alimentée jusqu’à sa mort a un aéroport à son nom aux Etats-Unis et une avenue à Paris. Imaginez-vous quelle serait la réaction de nos bienpensants si l’aéroport de Moscou était rebaptisé « aéroport Iossif Vissarionovich Staline » (abrégé, IVS), si une avenue à Paris recevait son nom ?]
La question est plutôt “quelles seraient les réactions si un aéroport Brejnev ou Gorbatchev était inauguré à Moscou, et une avenue rebaptisée à Paris”, la guerre du Vietnam, avec son cortège d’exactions, rappelant plus la guerre d’Afghanistan que les grandes purges (commises en temps de paix). J’imagine que personne n’en aurait rien à faire, et qu’il n’y aurait aucune réaction (ou peut-être quelquechose dans Libé ou Télérama, ce qui revient au même).
Que pensez-vous du passage suivant, semble-t-il rapporté par Soljenitsyne (trouvé sur un site de l’éducation nationale) :
“A la fin de la conférence, adoption d’une motion de fidélité au camarade Staline.
Bien entendu, tous se lèvent. Des applaudissements frénétiques se transformant en ovation éclatent dans la petite salle…Mais déjà, les bras s’engourdissent à force d’être levés …Cependant qui osera s’arrêter ? Car dans cette salle, parmi ceux qui applaudissent, il y a des membres du NKVD ; et ils surveillent qui cessera le 1er !…
A la onzième minute, le directeur de la fabrique de papier prend un air effaré et s’assied à sa place. O miracle, où est passé l’indescriptible et irrésistible
enthousiasme général ? Tous s’arrêtent comme un seul homme…La nuit même, le directeur de la fabrique est arrêté. On n’a pas de mal à lui coller dix ans pour un autre motif. Mais après la signature du PV de l’instruction, le commissaire lui a rappelle : »Et ne soyez jamais le premier à vous arrêter d’applaudir ».
Est-ce de la pure imagination, un incident isolé lié à un excès de zèle d’un fonctionnaire local, ou une illustration des inquiétudes que pouvaient avoir ce qui ne participaient pas assez à une séance de flatterie organisée ?
Désolé de ne pouvoir contribuer plus à la conversation, du fait d’une faible culture historique, et au plaisir de lire la suite de vos échanges avec national-ethniciste.
@ Simon
[Imaginez-vous quelle serait la réaction de nos bienpensants si l’aéroport de Moscou était rebaptisé « aéroport Iossif Vissarionovich Staline » (abrégé, IVS), si une avenue à Paris recevait son nom ?]
[La question est plutôt “quelles seraient les réactions si un aéroport Brejnev ou Gorbatchev était inauguré à Moscou, et une avenue rebaptisée à Paris”, la guerre du Vietnam, avec son cortège d’exactions, rappelant plus la guerre d’Afghanistan que les grandes purges (commises en temps de paix).]
L’idée de « temps de paix » est assez difficile à saisir. Peut-on dire par exemple que tout ce qui se passe aux Etats-Unis depuis l’intervention américaine en Afghanistan en 2001 se passe « en temps de guerre » ? Si la réponse est négative, alors il faut conclure que l’intervention au Vietnam se déroule, elle aussi, « en temps de paix ». Et si la réponse est positive, on aboutit à la conclusion que les Etats-Unis ont été « en état de guerre » pendant la plus grande partie du XXème siècle.
Ensuite, faut-il considérer que les « guerres froides » sont des « temps de paix » ? La question n’a pas de réponse évidente…
[J’imagine que personne n’en aurait rien à faire, et qu’il n’y aurait aucune réaction (ou peut-être quelque chose dans Libé ou Télérama, ce qui revient au même).]
Je pense que vous imaginez mal. Souvenez-vous de la guerre à propos du parvis Georges Marchais à Champigny-sur-Marne…
[Que pensez-vous du passage suivant, semble-t-il rapporté par Soljenitsyne (trouvé sur un site de l’éducation nationale) : “A la fin de la conférence, adoption d’une motion de fidélité au camarade Staline. Bien entendu, tous se lèvent. Des applaudissements frénétiques se transformant en ovation éclatent dans la petite salle…Mais déjà, les bras s’engourdissent à force d’être levés …Cependant qui osera s’arrêter ? Car dans cette salle, parmi ceux qui applaudissent, il y a des membres du NKVD ; et ils surveillent qui cessera le 1er !… A la onzième minute, le directeur de la fabrique de papier prend un air effaré et s’assied à sa place. O miracle, où est passé l’indescriptible et irrésistible
enthousiasme général ? Tous s’arrêtent comme un seul homme…La nuit même, le directeur de la fabrique est arrêté. On n’a pas de mal à lui coller dix ans pour un autre motif. Mais après la signature du PV de l’instruction, le commissaire lui a rappelle : « Et ne soyez jamais le premier à vous arrêter d’applaudir ».]
Je pense que c’est une invention, comme on en trouve des tonnes chez Soljenitsyne (vous noterez que pratiquement aucune des anecdotes de ce type qu’il raconte n’est référencée avec suffisamment de précision pour pouvoir être vérifiée). Soljenitsyne a bénéficié à fond de « l’envie de croire » de l’occident, qui a fait de ses écrits des vérités d’évidence. A ma connaissance, rares sont les historiens qui ont cherché à vérifier les faits rapportés dans « l’Archipel » au moment de sa publication : c’eut été risquer l’accusation de négationnisme et l’ostracisme universitaire et médiatique. Ce n’est qu’après la chute de l’URSS qu’arrivent les lectures critiques : Celle de Nicolas Werth, peu suspect de sympathies staliniennes, qui ramène les « 12 millions » de prisonniers à… 2 millions et demi. L’ouverture des archives soviétiques après 1989 conduit à des révisions à la baisse des chiffres d’au moins un ordre de grandeur. Mais la vérité, comme souvent, arrive trop tard. Alors que le mensonge, lui, a permis d’alimenter la campagne contre le « socialisme réel »…
Dans le cas d’espèce, il est clair qu’il y a une absurdité logique. Il est évident qu’il y aura toujours une personne pour cesser les applaudissements le premier (autrement, ils seraient encore en train d’applaudir…). Autrement dit, le raisonnement de Soljenitsyne conduit à ce que dans chaque évènement où l’on applaudit le nom de Staline – et il paraît qu’il y en avait beaucoup – quelqu’un soit condamné à dix ans « pour un autre motif ». Parce que de la même manière qu’il est impossible d’avoir un train sans un dernier wagon, il est impossible d’arrêter d’applaudir sans que quelqu’un le fasse en premier.
Mais il y a dans cette historiette une autre curiosité : Soljenitsyne cite les paroles du « commissaire ». Il est invraisemblable que cette phrase ait été prononcée en public, puisque Soljenitsyne affirme lui-même qu’on a cherché à déguiser le motif de la sanction en arrêtant la personne et en la condamnant « pour un autre motif ». Mais alors, comment ces paroles sont-elles arrivées jusqu’à lui ? Et comment vérifier qu’elles ont été effectivement prononcées ? Cette conclusion édifiante est tellement artificielle, elle arrive tellement à propos dans son récit, qu’on peut raisonnablement douter de sa réalité.
[Est-ce de la pure imagination, un incident isolé lié à un excès de zèle d’un fonctionnaire local, ou une illustration des inquiétudes que pouvaient avoir ce qui ne participaient pas assez à une séance de flatterie organisée ?]
Plus que « d’imagination », je parlerais de « manipulation ». « L’Archipel », c’est un « Tintin au pays des soviets » qui n’assume pas son caractère romanesque. Dans un autre contexte, il passerait pour ce qu’il est : un roman. C’est le contexte néomaccarthystes des années 1980 qui en a fait un texte documentaire. Imaginer qu’on peut connaître la société soviétique à travers « l’Archipel », c’est un peu comme croire qu’on peut connaître la France de Louis XIII à travers « les trois mousquetaires ».
En fait, « l’Archipel » nous dit plus de choses sur l’occident de 1980 que sur l’URSS stalinienne…
@Descartes,
quand on parle Jeanne D’arc, je vous réponds “coup de Trafalgar“.
Franchement, si notre savoir-faire et des milliers d’emplois n’étaient pas en jeu, j’éprouverais une joie mauvaise!!
Car oui, c’est bien le “chéri” des bien-pensants, le champion du droit et du Bien qui se fait pâmer d’extase les bobos français (européistes, plutôt, tellement la France n’est rien pour eux…) atlantistes, j’ai nommé Joseph Robinette Biden, qui a fait ce tour pendable aux Français!!!
N’accablons pas trop les Australiens, pour la bonne et simple raison qu’ils ont certainement fait l’objet d’une offre qu’ils ne pouvaient absolument pas refuser…
Le pire, dans tout ça, c’est la nullité absolue de réaction des autorités françaises: Le Drian parlant d’un “coup digne de Trump“: pourtant, je ne me rappelle absolument pas d’une tour aussi pendable en quatre années de mandat du président US sortant (et sorti par les moyens qu’on sait…). Bien sûr, je ne doute pas une seule seconde que la réaction de P’tit Cron à cet affront sera digne de la décision prise par De Gaulle de sortir du commandement intégré de l’OTAN :-))….
L’autre raison d’éprouver une schadenfreude viens de l’acteur « français » dans cette affaire: depuis quand l’ex-DCN s’appelle « Naval Group »?
Utiliser une marque franglaise (“naval” est un adjectif quasi-inusité, en anglais correct) et prétendre faire avancer l’intérêt français relève de l’imposture. A l’heure où un certain Zemmour fait florès sur la polémique des prénoms français (il fustige aussi bien les Mohammed que les Kevin et Jennifer), il est drôle de constater qu’en voulant toujours plus se couler dans le moule anglo-saxon, malgré tous leurs effort, les Français se font encore plus rabrouer…
De Gaulle avait parfaitement cerné les Amerloques: ils n’ont pas d’alliés, ils n’ont que des obligés. Dès lors que vous leur cédez, vous devenez une carpette…
@ CVT
[Car oui, c’est bien le “chéri” des bien-pensants, le champion du droit et du Bien qui se fait pâmer d’extase les bobos français (européistes, plutôt, tellement la France n’est rien pour eux…) atlantistes, j’ai nommé Joseph Robinette Biden, qui a fait ce tour pendable aux Français!!!]
Ils sont bizarres, les bobos français. Comme ils passent leur temps à élire des gouvernants qui aiment construire des châteaux dans les nuages, ils s’imaginent que tout le monde fait pareil. Hollande ou Macron sont de toute évidence prêts à sacrifier l’intérêt de leur pays à on ne sait pas très bien quelle construction européenne ou « multilatérale ». Mais ils sont bien les seuls. Merkel, Bidden, Johnson, c’est « mon pays d’abord ». Et ce sont eux qui ont raison, pas nous.
[N’accablons pas trop les Australiens, pour la bonne et simple raison qu’ils ont certainement fait l’objet d’une offre qu’ils ne pouvaient absolument pas refuser…]
Et surtout, parce que c’est aux Australiens de décider ce qui est mieux dans l’intérêt de l’Australie.
[Le pire, dans tout ça, c’est la nullité absolue de réaction des autorités françaises: Le Drian parlant d’un “coup digne de Trump“: pourtant, je ne me rappelle absolument pas d’une tour aussi pendable en quatre années de mandat du président US sortant (et sorti par les moyens qu’on sait…). Bien sûr, je ne doute pas une seule seconde que la réaction de P’tit Cron à cet affront sera digne de la décision prise par De Gaulle de sortir du commandement intégré de l’OTAN :-))….
[L’autre raison d’éprouver une schadenfreude viens de l’acteur « français » dans cette affaire: depuis quand l’ex-DCN s’appelle « Naval Group »?]
Vous voulez me faire pleurer…
[De Gaulle avait parfaitement cerné les Amerloques: ils n’ont pas d’alliés, ils n’ont que des obligés. Dès lors que vous leur cédez, vous devenez une carpette…]
« Les états n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts »…
@Descartes et CVT
[[N’accablons pas trop les Australiens, pour la bonne et simple raison qu’ils ont certainement fait l’objet d’une offre qu’ils ne pouvaient absolument pas refuser…]
Et surtout, parce que c’est aux Australiens de décider ce qui est mieux dans l’intérêt de l’Australie.]
Il n’y avait donc rien de choquant à ce que la France annule unilatéralement la livraison de BPC Mistral à la Russie, qui pour une raison ou une autre a estimé que c’était ce qu’il y a de mieux pour elle ?
@ François
[Il n’y avait donc rien de choquant à ce que la France annule unilatéralement la livraison de BPC Mistral à la Russie, qui pour une raison ou une autre a estimé que c’était ce qu’il y a de mieux pour elle ?]
L’annulation EN ELLE MEME n’avait rien de “choquant”, en effet. Les Russes n’ont d’ailleurs pas été “choqués” outre-mesure: ils ont accepté de bonne grâce le dédommagement proposé, et sont passés à autre chose. Peut-être parce qu’ils ne se faisaient aucune illusion quant à la volonté de la France de Hollande d’affronter les pressions de ses “alliés” européens et Américains pour observer ses obligations contractuelles envers la Russie. Et les Russes ont certainement tiré les conséquences diplomatiques de cette affaire: à quoi bon ménager la France ?
Au lieu de moulinets inutiles – rappel d’ambassadeurs, communiqués enflammés… – Macron ferait mieux de programmer une visite d’Etat en Chine, avec à la clé la signature d’un traité d’amitié et de coopération. Un peu comme De Gaulle le fit avec Moscou, et sans pour autant changer en rien son appréciation du régime soviétique. C’est une question de simple pragmatisme: la France ne peut avoir une position autonome que si elle maintient un équilibre entre les deux blocs, pour donner à chacun d’entre eux un intérêt à nous ménager. Dès lors qu’on est inféodé à l’un ou à l’autre, on n’a plus aucune marge de manoeuvre.
@François,
A vrai dire, j’ai repensé à cette rupture de contrat de livraison de navire aux Russes: pour moi, au contraire, il n’y a pas d’opposition, il y a une vraie cohérence et une vrai continuité de la démonstration de servilité de la France à l’égard des Amerloques! N’oubliez pas que le renoncement à livrer ces frégates à la Russie résulte d’un boycott stupide ordonné par “notre allié transatlantique”…
Dans une France défendant ses intérêts, elle aurait honorer ce contrat, montrant ainsi son indépendance. Mais sous Flamby et maintenant sous P’tit Cro, l’indépendance est saugrenue, pour ne pas dire que c’est devenu un gros mot! Rappelez-vous qu’en matière de guerre en Syrie, en 2013, Hollande était plus royaliste que le Roi Obama himself: l’armée française avait reçu ordre d’éliminer Bachar el-Assad par voie aérienne!!!
Voilà à quoi mène la perte de volonté de puissance, ou plutôt devrais-je dire, d’abdication de puissance! Les élites “françaises” comprador ne trompent absolument personne quand elles appellent à une “Europe puissance”: elles ne voient même que cette expression est un oxymore, oublieuses de ce que l’UE doit à l’OTAN…
@ CVT
[Dans une France défendant ses intérêts, elle aurait honorer ce contrat, montrant ainsi son indépendance. Mais sous Flamby et maintenant sous P’tit Cro, l’indépendance est saugrenue, pour ne pas dire que c’est devenu un gros mot!]
Rétrospectivement, on ne peut qu’admirer le courage d’un Chirac qui a dit “non” aux Américains, malgré toutes les pressions, les “conseils” et les menaces. Qui ne venaient pas toutes d’outre-atlantique: certaines venaient de nos “alliés” de l’UE ou de l’Otan, et même de certains groupes bien de chez nous. Mais il est vrai que Chirac était d’une autre génération… celle qui avait été élevée dans le culte des héros de la France Libre et qui avait connu dans sa chair la guerre d’Algérie. Quelle différence entre l’énarque Chirac se portant volontaire pour faire son service militaire pendant la guerre d’Algérie (où il sera blessé), un Chevènement sous-préfet d’Oran et préfet par intérim lors des massacres de 1962, qui faillit “disparaître dans la tourmente” selon ses propres termes, et les larves Hollande et Macron, qui de l’exercice de l’Etat n’ont connu que les bureaux confortables de Solférino ou de la Banque Rotschild…
@CVT
[A vrai dire, j’ai repensé à cette rupture de contrat de livraison de navire aux Russes: pour moi, au contraire, il n’y a pas d’opposition, il y a une vraie cohérence et une vrai continuité de la démonstration de servilité de la France à l’égard des Amerloques!]
Si la décision de la France à l’époque était bien entendu lamentable, ne vous y trompez pas CVT, celle de l’Australie n’est guère plus reluisante. Le fait est qu’après la période de flottement d’oncle Donald, oncle Joe a rappelé à son vassal australien qui est le maître. Les dissensions qui existaient entre la France et l’Australie ne sont qu’un prétexte pour se soumettre à l’offre américaine (sinon ils se seraient reportés sur une offre allemande ou japonaise pour un sous-marin à propulsion anaérobie).
Le revirement australien n’a rien à voir avec une supériorité technique de l’offre américaine, mais il s’agit bien pour ces derniers de renforcer leur emprise sur l’Australie, puisqu’elle ne sera in fine que l’opérateur des SNA qui leurs seront fourni, là où la France leur proposait une autonomie stratégique.
Et la France est parfaitement en mesure de répondre techniquement à la nouvelle offre proposée par par les Yankees. Je doute fort que Le Drian aurait refusé un avenant pour rajouter des chaudières TechnicAtome K15 au contrat de vente (n’oublions pas que la classe Attack qui était destinée à l’Australie, est issue du programme Barracuda, comme la classe Suffren, et n’en diffère que par un mode de propulsion anaérobie à la place d’une propulsion nucléaire).
@Descartes
[Quelle différence entre l’énarque Chirac se portant volontaire pour faire son service militaire pendant la guerre d’Algérie (où il sera blessé), un Chevènement sous-préfet d’Oran et préfet par intérim lors des massacres de 1962, qui faillit “disparaître dans la tourmente” selon ses propres termes, et les larves Hollande et Macron, qui de l’exercice de l’Etat n’ont connu que les bureaux confortables de Solférino ou de la Banque Rotschild…]
Et si le problème ne serait pas la prise de pouvoir des « classes intermédiaires », mais la formidable période de paix et de prospérité que nous connaissons depuis la fin de la catastrophe qu’a été la seconde guerre mondiale, problème qui a été amplifié avec la fin de la Guerre Froide ?
Comme le disait Ibn Khaldûn : « Les temps difficiles créent des hommes forts. Les hommes forts créent les périodes de paix. Les périodes de paix créent les hommes faibles. Les hommes faibles créent les temps difficiles. »
Bizarrement les évènements de mai sont survenus en 1968 et non en 1948…
@ François
[Si la décision de la France à l’époque était bien entendu lamentable, ne vous y trompez pas CVT, celle de l’Australie n’est guère plus reluisante. Le fait est qu’après la période de flottement d’oncle Donald, oncle Joe a rappelé à son vassal australien qui est le maître.]
Oui, enfin, c’est une piètre consolation. Que le Premier ministre australien ait ou non défendu efficacement les intérêts nationaux de l’Australie, c’est son problème. Le nôtre, c’est de savoir si on a choisi la bonne stratégie pour défendre les intérêts de la France.
[Et la France est parfaitement en mesure de répondre techniquement à la nouvelle offre proposée par les Yankees. Je doute fort que Le Drian aurait refusé un avenant pour rajouter des chaudières TechnicAtome K15 au contrat de vente]
Il l’aurait certainement refusé, ou alors il aurait fallu s’asseoir sur le traité de non-prolifération. Chose que seuls les Américains osent faire de nos jours. La technologie de la propulsion nucléaire est en effet dans la liste des technologies proliférâtes, et il aurait fallu que l’avenant dont vous parlez protège donc efficacement cette technologie…
[Et si le problème ne serait pas la prise de pouvoir des « classes intermédiaires », mais la formidable période de paix et de prospérité que nous connaissons depuis la fin de la catastrophe qu’a été la seconde guerre mondiale, problème qui a été amplifié avec la fin de la Guerre Froide ?
Comme le disait Ibn Khaldûn : « Les temps difficiles créent des hommes forts. Les hommes forts créent les périodes de paix. Les périodes de paix créent les hommes faibles. Les hommes faibles créent les temps difficiles. »]
Belle citation… et certainement pleine de vérité. Il aurait donc fallu se poser la question : comment fait-on pour fabriquer des « hommes forts » alors que la guerre devient – du moins dans nos contrées – une rareté ? Voilà à mon sens un défi intellectuel intéressant : comment donner à notre jeunesse une expérience vitale qui en fasse des « hommes forts », sans pour autant la soumettre aux ravages de la guerre ?
Je n’ai pas de réponse simple à cette question, mais on pourrait commencer par ce qu’il ne faut pas faire. Plus que la paix, c’est l’idéologie du « care » et du « victimisme » qui conduit à élever nos jeunes dans du coton, à leur éviter toute épreuve, toute cérémonie initiatique, toute difficulté sous prétexte de « ne pas les traumatiser ». In fine, on fait des assistés craintifs de tout, incapables de supporter une frustration ou d’élaborer un deuil, vivant dans les peurs fantasmatiques (la catastrophe climatique, le vaccin, le désastre nucléaire…). Avant de penser à les envoyer dans les tranchées, les soumettre à des examens qu’on ne donne pas à tout le monde et à des enseignants – soutenus par les parents – qui n’hésitent pas à dire la vérité des prix, ce sera déjà un bon début.
[Bizarrement les évènements de mai sont survenus en 1968 et non en 1948…]
Oui. Et la génération de 1948 n’a pas gouverné comme la génération 1968…
@ Descartes
[Plus que la paix, c’est l’idéologie du « care » et du « victimisme » qui conduit à élever nos jeunes dans du coton, à leur éviter toute épreuve, toute cérémonie initiatique, toute difficulté sous prétexte de « ne pas les traumatiser ».]
On est toujours dans la citation de Ibn Khaldûn : ce n’est pas à toi que je vais faire remarquer que ce sont les hommes tels qu’ils sont qui font l’idéologie… Et que les hommes sont faits par les circonstances !
@ BolchoKek
[On est toujours dans la citation de Ibn Khaldûn : ce n’est pas à toi que je vais faire remarquer que ce sont les hommes tels qu’ils sont qui font l’idéologie… Et que les hommes sont faits par les circonstances !]
Ce sont les hommes tels qu’ils sont qui font l’idéologie… mais paraphrasant Marx ils ne savent pas l’idéologie qu’ils font. La construction idéologique est œuvre humaine, certes, mais une idéologie ne devient celle d’une classe que si elle est fonctionnelle à ses intérêts. Et elle ne devient dominante que si elle est fonctionnelle aux intérêts de la (des) classe(s) dominantes… Si l’idéologie du “care” et la glorification de la “victime” sont devenus les caractères de l’idéologie dominante, c’est aussi parce que cette idéologie conforte le mode de production du capitalisme avancé. C’est là que la formule de Ibn Khaldûn trouve un peu sa limite.
@ Descartes[vivant dans les peurs fantasmatiques (la catastrophe climatique, le vaccin, le désastre nucléaire)]D’accord avec vous pour le nucléaire et le vaccin. Mais pour dérèglement climatique je suis plus réservé. Quelle est votre position sur ce sujet :
Pensez-vous qu’in s’agisse d’une peur fantasmée (en gros, c’est pas grave),
ou bien pensez-vous que les prévisions du GIEC soient à prendre au sérieux, mais que les mesures à prendre ne peuvent l’être qu’au niveau mondial (le CO2 ne connait pas de frontières), et qu’au niveau national on ne peut rien faire qui soit efficace, (a part nous pourrir la vie) car la France ne représente qu’1% des émissions de CO2 mondiales (en gros, un problème qui na pas de solution n’est pas un problème.)
@ BJ
[« vivant dans les peurs fantasmatiques (la catastrophe climatique, le vaccin, le désastre nucléaire » D’accord avec vous pour le nucléaire et le vaccin. Mais pour dérèglement climatique je suis plus réservé.]
Vous noterez que je n’ai pas parlé de « dérèglement climatique », mais de « catastrophe climatique ». Ce n’est pas du tout la même chose. Qu’on s’inquiète du réchauffement climatique, qu’on recherche les moyens de le réduire et d’en atténuer les effets, c’est une chose. Mais de là à en faire une « catastrophe » au point de ne pas pouvoir dormir la nuit, de craindre de faire des enfants, d’avoir des troubles psychologiques – je vous renvoie à une étude récente très commentée sur « l’angoisse climatique » des jeunes – il y a une nuance.
[Pensez-vous qu’in s’agisse d’une peur fantasmée (en gros, ce n’est pas grave),]
Je ne dirais pas « ce n’est pas grave », mais je dirais, oui, que ce n’est pas aussi grave que le prétendent les marchands de peurs. Je rejoins paradoxalement la vision des écologistes, qui font de l’arrêt du nucléaire – énergie décarbonée – un objectif de premier rang, alors qu’il implique une augmentation dans la consommation de gaz ou de charbon. Si les écologistes ne font pas du réchauffement climatique leur première priorité, c’est qu’eux non plus ne sont pas convaincus que ce soit si grave que ça…
[ou bien pensez-vous que les prévisions du GIEC soient à prendre au sérieux, mais que les mesures à prendre ne peuvent l’être qu’au niveau mondial (le CO2 ne connait pas de frontières), et qu’au niveau national on ne peut rien faire qui soit efficace, (à part nous pourrir la vie) car la France ne représente qu’1% des émissions de CO2 mondiales (en gros, un problème qui n’a pas de solution n’est pas un problème.)]
C’est un peu ça. Je pense que combattre le réchauffement climatique suppose une discipline mondiale. Une discipline qui est impossible dans un système de concurrence. C’est là le point fondamental : si la seule façon de survivre est d’être compétitif, s’imposer des contraintes revient à se suicider, et chacun est donc poussé à jouer les passagers clandestins. Alors, s’il faut se couper un bras pour donner l’exemple, moi je dis non.
Le meilleur investissement, dans le contexte actuel, est moins d’empêcher le réchauffement que de palier à ses conséquences. Bien entendu, si l’on peut joindre l’utile à l’économique – par exemple, en remplaçant les combustibles fossiles par le nucléaire – il faut le faire. Mais pour le reste, on ferait mieux de travailler à rehausser nos digues, protéger nos côtes, déplacer les populations menacées, améliorer nos infrastructures.
@Descartes
[Il l’aurait certainement refusé, ou alors il aurait fallu s’asseoir sur le traité de non-prolifération. Chose que seuls les Américains osent faire de nos jours. La technologie de la propulsion nucléaire est en effet dans la liste des technologies proliférâtes, et il aurait fallu que l’avenant dont vous parlez protège donc efficacement cette technologie…]
Il me semble que le TNP concerne seulement les armes nucléaires, ce que n’est pas un réacteur à eau pressurisée, seulement le taux d’enrichissement du combustible nucléaire (plus élevé que dans un réacteur civil) étant problématique. Je crois savoir qu’il s’agi(ssai)t plutôt d’une règle tacite entre grandes puissances de ne pas fournir la propulsion nucléaire à un pays tiers. Et il semblerait que la France ait bel et bien réfléchit de réévaluer la proposition pour convertir la classe Attack en SNA :
https://www.lefigaro.fr/international/crise-des-sous-marins-dans-les-coulisses-de-la-trahison-du-siecle-20210921
[Voilà à mon sens un défi intellectuel intéressant : comment donner à notre jeunesse une expérience vitale qui en fasse des « hommes forts », sans pour autant la soumettre aux ravages de la guerre ?]
La question n’est pas de savoir comment le faire (le PCC est en train de le faire), mais comment dans un système démocratique être en mesure de le faire. Je crains malheureusement Descartes que vous ne pouvez pas vous faire élire en expliquant aux électeurs que leurs enfants sont des mauviettes qu’il faut redresser (quand il ne s’agit pas des électeurs eux-mêmes).
[Si l’idéologie du “care” et la glorification de la “victime” sont devenus les caractères de l’idéologie dominante, c’est aussi parce que cette idéologie conforte le mode de production du capitalisme avancé. C’est là que la formule de Ibn Khaldûn trouve un peu sa limite.] (réponse à Bolchokek)
Les névroses des « classes intermédiaires » que vous interprétez comme un moyen de se maintenir dans l’échelle d’accaparement de la valeur ajoutée, je l’interprète comme le fait que ces névroses viennent de classes urbaines oisives, complètement coupées des réalités.
Un ingénieur d’une usine automobile et un « community manager » d’une « start-up » vendant des produits « éco-responsables » appartiennent tous deux aux « classes intermédiaires », et pourtant je doute fort que tous deux partagent la même vision du monde, partagent les mêmes obsessions.
@ François
[Il me semble que le TNP concerne seulement les armes nucléaires, ce que n’est pas un réacteur à eau pressurisée, seulement le taux d’enrichissement du combustible nucléaire (plus élevé que dans un réacteur civil) étant problématique.]
Le problème n’est effectivement pas lié au réacteur mais au combustible. Les matières nucléaires contenues dans le réacteur doivent, aux termes du TNP, être soumis aux « sauvegardes » et donc aux contrôles de l’AIEA. Ce qui suppose que les inspecteurs de l’AIEA (qui peuvent appartenir à n’importe laquelle des nations adhérentes à l’Agence…) puissent accéder librement à une installation militaire…
[« Voilà à mon sens un défi intellectuel intéressant : comment donner à notre jeunesse une expérience vitale qui en fasse des « hommes forts », sans pour autant la soumettre aux ravages de la guerre ? » La question n’est pas de savoir comment le faire (le PCC est en train de le faire),]
Je ne sais pas ce que donnera la génération de jeunes chinois qui naissent aujourd’hui…
[(…) mais comment dans un système démocratique être en mesure de le faire. Je crains malheureusement Descartes que vous ne pouvez pas vous faire élire en expliquant aux électeurs que leurs enfants sont des mauviettes qu’il faut redresser (quand il ne s’agit pas des électeurs eux-mêmes).]
Je ne pense pas que le problème se trouve là. Je suis convaincu que le diagnostic est partagé autant par les parents que par les jeunes. Les parents voient bien qu’il y a un problème (pensez au succès du film « Tanguy ») ; les jeunes sentent bien qu’il leur manque quelque chose, sans nécessairement comprendre quoi.
La difficulté n’est pas tant dans le diagnostic, mais dans la possibilité de mettre en œuvre des solutions. On peut tous être rationnellement d’accord qu’il faudrait donner à notre jeunesse des défis, des exigences, un parcours initiatique sans pour autant être prêts à en payer le prix. Car l’idéologie dominante s’impose. Difficile de proposer ce qui au fond constitue une ascèse alors que la société de consommation est bâtie au contraire sur le règne sans partage du « principe de plaisir ».
[Les névroses des « classes intermédiaires » que vous interprétez comme un moyen de se maintenir dans l’échelle d’accaparement de la valeur ajoutée, je l’interprète comme le fait que ces névroses viennent de classes urbaines oisives, complètement coupées des réalités. Un ingénieur d’une usine automobile et un « community manager » d’une « start-up » vendant des produits « éco-responsables » appartiennent tous deux aux « classes intermédiaires », et pourtant je doute fort que tous deux partagent la même vision du monde, partagent les mêmes obsessions.]
Mais qu’est-ce qui vous fait penser que le « community manager » est plus « coupé des réalités » que « l’ingénieur dans une usine automobile » ? Tous deux sont immergés dans la même « réalité » : tous deux occupent une position privilégiée dans la répartition de la valeur produite grâce à leur « capital immatériel ». Tous deux savent que ce capital est éminemment précaire et ne peut être transmis qu’en le reconstituant à chaque génération. Tous deux savent que la promotion sociale des enfants des couches populaires représente un danger mortel parce que cela forme des concurrents à leurs propres enfants. Dans ces conditions, pourquoi leurs névroses seraient différentes – même si elles s’expriment différemment suivant le contexte ?
@Descartes
[Je ne sais pas ce que donnera la génération de jeunes chinois qui naissent aujourd’hui…]
Très certainement plus nationalistes que les générations de jeunes français qui naissent aujourd’hui…
[Mais qu’est-ce qui vous fait penser que le « community manager » est plus « coupé des réalités » que « l’ingénieur dans une usine automobile » ?]
À la différence de l’ingénieur d’une usine automobile dans le Doubs, le « community manager » travaillant à station F n’est guère confronté à la diversité sociale (si ça n’est la femme de ménage qui nettoye les bureaux). Bref, l’endogamie sociale est bien plus élevée chez l’un que chez l’autre.
[Tous deux sont immergés dans la même « réalité » : tous deux occupent une position privilégiée dans la répartition de la valeur produite grâce à leur « capital immatériel »]
C’est possiblement leur seul point commun.
[Tous deux savent que ce capital est éminemment précaire et ne peut être transmis qu’en le reconstituant à chaque génération.]
Dans la mesure où le chargé de communication ne veut pas d’enfants, parce-que ça « pollue la planète », je suis curieux de savoir en quoi il en a quelque chose à faire que ce capital soit précaire.
[Tous deux savent que la promotion sociale des enfants des couches populaires représente un danger mortel parce que cela forme des concurrents à leurs propres enfants.]
Encore faut-il avoir conscience de l’existence des enfants des couches populaires, ce dont je doute très fortement que ça soit le cas pour le community manager (et en admettant l’hypothèse qu’il veuille avoir des enfants). De plus, je constate que la discrimination positive a de facto été mise en place dans notre pays pour les enfants des couches populaires allogènes.
[Dans ces conditions, pourquoi leurs névroses seraient différentes – même si elles s’expriment différemment suivant le contexte ?]
Parce-que vous pensez vraiment que ledit ingénieur a les mêmes névroses (même exprimées sous une forme différente) que ledit chargé de communication ? Vous pensez vraiment que l’ingénieur en a quelque chose à faire de « l’éco-féminisme » ? Que le chargé de communication en a quelque chose à faire de l’industrie nationale (dont vous conviendrez avec moi qu’il ne s’agit pas de la même névrose exprimée sous une forme différente) ?
En attendant, comme l’ouvrier, l’ingénieur risque de se retrouver sur le carreau si son usine venait à être délocalisée. Le chargé de communication, pour le moment, est épargné par ce genre de désagrément.
@ François
[« Je ne sais pas ce que donnera la génération de jeunes chinois qui naissent aujourd’hui… » Très certainement plus nationalistes que les générations de jeunes français qui naissent aujourd’hui…]
Je ne sais pas. Leurs parents le sont certainement. Mais cela pourrait bien produire une génération de jouisseurs qui se foutent de tout… un peu comme nos soixante-huitards, dont les parents ont pourtant reconstruit la France.
[« Tous deux sont immergés dans la même « réalité » : tous deux occupent une position privilégiée dans la répartition de la valeur produite grâce à leur « capital immatériel » » C’est possiblement leur seul point commun.]
A l’heure d’examiner leur intérêt de classe, c’est un point essentiel.
[Dans la mesure où le chargé de communication ne veut pas d’enfants, parce-que ça « pollue la planète », je suis curieux de savoir en quoi il en a quelque chose à faire que ce capital soit précaire.]
Vous savez bien que cette histoire de « ne pas faire des enfants parce que ça pollue la planète » est une coquetterie qui en pratique n’a des effets qu’à une toute petite échelle. Mais il est clair que si les classes intermédiaires devenaient « suicidaires », cela changerait considérablement les choses.
[De plus, je constate que la discrimination positive a de facto été mise en place dans notre pays pour les enfants des couches populaires allogènes.]
Pourriez-vous donner quelques exemples ?
[Parce-que vous pensez vraiment que ledit ingénieur a les mêmes névroses (même exprimées sous une forme différente) que ledit chargé de communication ? Vous pensez vraiment que l’ingénieur en a quelque chose à faire de « l’éco-féminisme » ? Que le chargé de communication en a quelque chose à faire de l’industrie nationale (dont vous conviendrez avec moi qu’il ne s’agit pas de la même névrose exprimée sous une forme différente) ?]
Je ne pense pas que « l’éco-féminisme » pas plus que « l’industrie nationale » soient des névroses.
[En attendant, comme l’ouvrier, l’ingénieur risque de se retrouver sur le carreau si son usine venait à être délocalisée. Le chargé de communication, pour le moment, est épargné par ce genre de désagrément.]
Pas du tout. Avec le télétravail, on peut parfaitement sous-traiter le « community management » à l’étranger.
Bonjour Descartes,
Georges Kuzmanovic a publié une charte pour son parti “République Souveraine”, qu’il compte utiliser comme base pour faire des alliances avec d’autres groupes souverainistes dans les années à venir (des sortes de lignes rouges à l’intérieur desquelles chercher des compromis). Je pense que c’est une excellente initiative, et même si je regrette la présence du RIC et des “énergies renouvelables réellement non polluantes”, la charte me paraît vraiment superbe. J’aimerais bien avoir votre avis sur la question !
https://www.republique-souveraine.fr/accueil/le-mouvement/notre-fonctionnement/charte/
@ Erwan
[Georges Kuzmanovic a publié une charte pour son parti “République Souveraine”, qu’il compte utiliser comme base pour faire des alliances avec d’autres groupes souverainistes dans les années à venir (des sortes de lignes rouges à l’intérieur desquelles chercher des compromis). Je pense que c’est une excellente initiative, et même si je regrette la présence du RIC et des “énergies renouvelables réellement non polluantes”, la charte me paraît vraiment superbe. J’aimerais bien avoir votre avis sur la question !]
D’une façon générale, je trouve que cette « charte » est une bonne base de travail. Mais elle contient malheureusement des éléments qui montrent une difficulté à hiérarchiser les problèmes – à moins qu’il faille voir une intention démagogique. Ainsi, par exemple, concernant la souveraineté alimentaire on s’engage sur « des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, qui garantissent un revenu décent pour les exploitants et salariés agricoles ». Nulle part dans la « charte » on n’aborde le problème du « revenu décent » pour les ouvriers, les fonctionnaires, les enseignants, ou n’importe quelle autre catégorie. Pourquoi cette distinction ?
Un autre exemple : sur l’éducation on commence par « les Français doivent avoir un égal accès à l’éducation ». Comme si l’égalité était le problème essentiel, et non la qualité de l’éducation. J’aurais préféré largement « les Français doivent tous avoir accès à une éducation de qualité »…
Encore un : « Une réforme profonde de l’administration, de ses responsabilités, droits et devoirs doit être menée ». L’administration n’a ni droits, ni devoirs. Les fonctionnaires ont, eux, des droits, des responsabilités et des devoirs. Mais l’administration, en tant qu’institution, n’en a pas.
Ainsi, par exemple, concernant la souveraineté alimentaire on s’engage sur « des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, qui garantissent un revenu décent pour les exploitants et salariés agricoles ». Nulle part dans la « charte » on n’aborde le problème du « revenu décent » pour les ouvriers, les fonctionnaires, les enseignants, ou n’importe quelle autre catégorie. Pourquoi cette distinction ?
Ami et camarade, je crois que cela peut se comprendre. Les ouvriers, les fonctionnaires, les enseignants ont un Smic ou un statut. Rien de tout cela pour le monde paysan. Et il est exact que bien des agriculteurs ou éleveurs ont des ressources extrèmement faibles.
@ Gugus69
[Ami et camarade, je crois que cela peut se comprendre. Les ouvriers, les fonctionnaires, les enseignants ont un Smic ou un statut. Rien de tout cela pour le monde paysan. Et il est exact que bien des agriculteurs ou éleveurs ont des ressources extrêmement faibles.]
Admettons. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas mentionner les artisans, les commerçants ou les “auto-entrepreneurs”, dont le revenu ne bénéficie d’aucune protection réglementaire ? Par ailleurs, le texte mentionne les “salariés agricoles”, qui bénéficient du SMIC comme n’importe quel autre salarié!
Non, je pense que la raison pour laquelle “exploitants et salariés agricoles” bénéficient dans cette charte d’une attention particulière ne doit rien au fait qu’ils seraient moins protégés que d’autre catégories, mais à la position particulière que la figure du paysan occupe dans l’imaginaire collectif des Français. Or, si cette place particulière a un certain charme, elle explique aussi pourquoi on a pu désindustrialiser le pays sans que les Français prennent véritablement conscience des conséquences. Cet imaginaire est un puissant appui de la “petite France” dans son combat contre la “grande”…
@ Descartes
[[La bourgeoisie] avait une classe ouvrière mécontente risquait de « passer à l’Est ». Mais depuis les années 1980, elle a de moins en moins de raisons de poursuivre dans cette voie : dans l’économie mondialisée la base nationale est de moins en moins nécessaire, et il n’y a plus d’alternative à l’Est.]
J’aurais bien envie de commenter d’un LOL, mais cela ne siérait pas au ton de ce blog. Je me contenterai de demander ce que signifie ici “passer à l’Est”. Quel est exactement cette menace qui aurait contraint la bourgeoisie jusqu’à la chute de l’Urss?
@ Jerôme Morvan
[J’aurais bien envie de commenter d’un LOL, mais cela ne siérait pas au ton de ce blog.]
“MDR” serait plus approprié dans un blog qui défend notre belle langue, en effet.
[Je me contenterai de demander ce que signifie ici “passer à l’Est”. Quel est exactement cette menace qui aurait contraint la bourgeoisie jusqu’à la chute de l’Urss ?]
Mais cela semble assez évident: le vote communiste. En 1945, un Français sur quatre votait communiste. Que pensez-vous qui serait arrivé si la bourgeoisie avait persisté à traiter la classe ouvrière comme elle le faisait en 1900 ou en 1930 ?
“Passer à l’est” c’est donc voter communiste. Mais en quoi la menace d’un vote communiste a-t-elle été conditionnée par l’existence de l’Urss?
@ Jerôme Morvan
[Mais en quoi la menace d’un vote communiste a-t-elle été conditionnée par l’existence de l’Urss?]
D’abord, parce que l’existence d’un pays gouverné suivant des principes différents de ceux du capitalisme montrait empiriquement qu’une alternative était possible, que le vote communiste n’était pas purement testimonial.
Mais surtout, parce que ce vote n’avait pas du tout la même signification pour une bourgeoisie qui savait que si ce vote devenait majoritaire le gouvernement qui en serait issu pourrait compter, s’il était attaqué, sur un soutien économique et militaire non négligeable; qu’il ne l’a pour une bourgeoisie qui sait que si par malheur – pour elle – un gouvernement cherchait à faire une politique qui s’écarte de ses intérêts, ce gouvernement ferait ipso facto l’objet de sanctions et d’opérations de déstabilisation sans pouvoir compter sur des alliés. Et du coup, la bourgeoisie était prête à faire des concessions bien plus importantes lorsque le vote communiste menaçait.
Bon bin je reprends ma vidéo et je vais dormir avec .
Tout d’abord, le comportement des messes-médias et des féministes médiatiques à la chute de Kaboul sous le ton de « que vont devenir les femmes afghanes » m’exaspère au plus haut point : à croire que le « droit d’opprimer les femmes » est suffisant au bonheur et à la prospérité des afghans, comme s’ils n’avaient pas besoin de manger, se loger, travailler, vêtir, de sécurité, etc. L’amélioration du sort des femmes dans n’importe quel pays sous-développé passe d’abord par sa stabilisation (stabilité et amélioration qui existaient en Afghanistan du temps de l’influence soviétique, que les féministes n’ont jamais daigné reconnaître), par une politique rendant le lendemain, le commerce, les relations avec les administrations et les concitoyens prévisibles, et les talibans offrent cette perspective. Le féminisme post-moderne n’a cessé de nier le penchant féminin vers la sécurité et la stabilité universellement observé par les anthropologues, dans les pays sous-développés ou les PVD, les femmes soutiennent majoritairement les forces conservatrices/traditionnelles car elles leurs offrent cette stabilité. A partir du moment où les règles du jeu sont connues, les plus habiles parviennent à faire avec. Il n’y a que les Belles de jour désœuvrées avec le statut social/compte en banque conséquent qui peuvent assumer socialement une vie libertaire.
C’est malheureux mais le retour tranquille des talibans aux affaires était largement prévisible, ce que les chancelleries russes ou chinoises avaient parfaitement compris. Les américains laissent aux pigeons européens un champ de ruines dans tout le Proche-Orient, dont on a pas fini de voir les conséquences. Nos élites doivent bien voir que ça + le suicide démographique de l’Afrique seront des défis immenses, mais elles restent tétanisées par leur habitudes, se refusent à jeter à la poubelles l’OTAN et l’UE, à faire preuve de réalisme et de pragmatisme.
A l’image de l’Âne-de-Algo, c’est stupéfiant de voir ces personnages continuer à écouter des pseudos-conseillers qui ne font que conforter leurs préjugés de classe. Je me demande toujours si ce sont nos services de renseignements et nos diplomates qui sont nuls, ou si c’est l’endogamie sociale féroce de nos élites qui les amène à se planter systématiquement.
Qu’on ne me dise pas qu’on n’a pas les moyens de « se retrouver seuls », le meilleur contre-exemple c’est la Russie depuis Poutine. Rappelons que ce dernier avait un double défi : remettre de l’ordre après l’effondrement du pays et moderniser l’armée, et il l’a fait en moins de 15 ans. Résultat : toutes les opérations militaires à l’étranger initiées par la Russie sont de type Hit-and-Run (en Crimée, en Ossétie) fulgurantes, qui ont soufflé les observateurs internationaux, et qui ont consisté à attraper un fruit qui allait tomber à la suite d’un patient travail de renseignement. Même en Syrie, les russes ont essentiellement fourni un appui militaire aérien, laissant les combats aux sols à des formations chiites très bien organisées comme les Pasdarans et qui connaissent le terrain et les populations (à comparer aux pitreries de Hollande avec je ne sais quel groupuscule « démocratique » syrien). Et tout cela c’est parce qu’ils doivent avoir d’excellents services de renseignements (avec des gens qui connaissent la géographie, l’histoire, l’anthropologie, etc), qui donnent à leurs dirigeants une carte des rapports de forces réels, pour que les politiques puissent choisir ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire, sur qui s’appuyer, ce qui est le B.A. BA d’une politique étrangère crédible, sans gaspiller inutilement des soldats et des ressources.
Résultat : alors que la Russie atteint péniblement le PIB de l’Espagne en crise, et que les hispanophones se comptent en centaines de millions sur plusieurs continents, elle a 100 fois plus de poids que l’Espagne, fait peur, et est devenue un intermédiaire indispensable en Asie mineure (même Israël l’a compris).
Même récemment lors de la crise arménienne avec son voisin, c’est la Russie qui a fait de l’activisme diplomatique et les français sont restés à faire les potiches, alors que du fait de notre bonne image auprès des arméniens, on aurait pu peser.
De toutes façons, on va certainement devoir partir du Mali. Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il faut empêcher l’apparition d’états faillis, et l’intervention au Mali se justifie dans ce cadre, et elle aurait du être présentée de cette façon, mais assortie de conditions auprès des responsables maliens. Le problème encore de nos zélites, c’est qu’elles restent arc-boutées sur des solutions qui n’ont jamais marché dans ces pays (comme le principe d’1 homme/1 voix, les ONG bouffeuses de subventions, etc). Un Lugan affirme que le djihadisme en Afrique noire est essentiellement opportuniste, et qu’il s’est greffé à d’anciennes querelles tribales. La diplomatie serait de travailler sur ces querelles comme intermédiaire pour aboutir à des compromis et partages acceptables par toutes les parties.
@ Bannette
[Tout d’abord, le comportement des messes-médias et des féministes médiatiques à la chute de Kaboul sous le ton de « que vont devenir les femmes afghanes » m’exaspère au plus haut point : à croire que le « droit d’opprimer les femmes » est suffisant au bonheur et à la prospérité des afghans, comme s’ils n’avaient pas besoin de manger, se loger, travailler, vêtir, de sécurité, etc. L’amélioration du sort des femmes dans n’importe quel pays sous-développé passe d’abord par sa stabilisation (stabilité et amélioration qui existaient en Afghanistan du temps de l’influence soviétique, que les féministes n’ont jamais daigné reconnaître), par une politique rendant le lendemain, le commerce, les relations avec les administrations et les concitoyens prévisibles, et les talibans offrent cette perspective.]
Je partage tout à fait votre analyse. Ce n’est pas par hasard si les pays où les femmes ont atteint l’égalité juridique, politique et économique sont les pays organisés, prévisibles, où les activités économiques et sociales se déroulent dans un contexte de sécurité satisfaisant. « d’abord manger, ensuite philosopher » disait le sage. L’émancipation sociale et politique – c’est vrai pour les femmes comme pour les hommes – ne peut être endogène que dans un pays où toute une série de problèmes plus pressants ont été résolus.
[Le féminisme post-moderne n’a cessé de nier le penchant féminin vers la sécurité et la stabilité universellement observé par les anthropologues, dans les pays sous-développés ou les PVD, les femmes soutiennent majoritairement les forces conservatrices/traditionnelles car elles leurs offrent cette stabilité.]
Là encore, je partage totalement. Si l’être humain s’est civilisé, s’il est sorti de la logique de « la guerre de tous contre tous », c’est parce qu’il a ce tropisme vers l’ordre, qu’il préfère céder aux institutions son « pouvoir de nuire » en échange d’un ordre – qui peut être plus ou moins juste, mais qui vaut toujours mieux que le chaos – plutôt que de vivre dans l’état de nature. L’explication de Hobbes est toujours aussi lumineuse. Le gauchisme – dont le féminisme post-moderne n’est qu’une variante – a toujours méprisé ce tropisme. Les soixante-huitards n’ont toujours pas compris pourquoi la classe ouvrière a préféré s’en tenir aux négociations de Grenelle plutôt que de soutenir la révolution des barricades…
[A l’image de l’Âne-de-Algo, c’est stupéfiant de voir ces personnages continuer à écouter des pseudos-conseillers qui ne font que conforter leurs préjugés de classe. Je me demande toujours si ce sont nos services de renseignements et nos diplomates qui sont nuls, ou si c’est l’endogamie sociale féroce de nos élites qui les amène à se planter systématiquement.]
Je pense que nos élites ont fait leur la formule de Gramsci : « je préfère l’optimisme de la volonté au pessimisme de la raison ». L’héritage libéral-libertaire de mai-68 – qui est la matrice intellectuelle de nos élites d’aujourd’hui – est fondé sur un immense volontarisme, celui de la toute-puissance infantile. Et du coup, lorsque les services de renseignement, les diplomates, les hauts fonctionnaires formulent des avertissements et des analyses pessimistes, elles sont taxées de « défaitistes », leurs auteurs accusés de « obstruction » quand elles ne sont pas purement et simplement ignorées.
Vous n’imaginez pas à quel point nos leaders politiques exigent des services une attitude permanente d’optimisme, de « on va y arriver ». Au point que personne n’ose dire au politique que certaines choses sont impossibles. L’exemple le plus flagrant est le nombre de textes règlementaires mal fagotés qui sortent et qui sont annulés par le Conseil d’Etat. C’est le dilemme du haut fonctionnaire : si vous dites au ministre « ça ne passera jamais », vous vous faites une solide réputation d’empêcheur de tourner en rond. Mieux vaut chanter les louanges du projet… et d’avoir un bouc émissaire tout prêt au cas où le texte serait annulé.
[De toutes façons, on va certainement devoir partir du Mali. Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il faut empêcher l’apparition d’états faillis, et l’intervention au Mali se justifie dans ce cadre, et elle aurait du être présentée de cette façon, mais assortie de conditions auprès des responsables maliens. Le problème encore de nos zélites, c’est qu’elles restent arc-boutées sur des solutions qui n’ont jamais marché dans ces pays (comme le principe d’1 homme/1 voix, les ONG bouffeuses de subventions, etc).]
Encore les ravages du volontarisme… En effet, nos élites sont persuadées qu’on peut injecter la démocratie et les principes de l’Etat de droit de l’extérieur. Elles ont du mal à accepter que pour que la démocratie fonctionne, il faut toute une série de préalables internes à une société, une longue construction historique et politique qu’on ne peut pas imposer par des « missionnaires bottés ».
Comme vous le dites à propos de la Russie, ce n’est pas tant une question de moyens que d’intelligence. Il faut arrêter de croire – comme les américains – que la technologie militaire peut suppléer à la connaissance du pays et de ses acteurs, à l’intelligence politique – qui seules permettent de se fixer des objectifs atteignables. Pour commencer, il faudrait arrêter de croire que les postes d’ambassadeur (mais c’est aussi le cas pour les postes de préfet ou de directeur) sont des prébendes qu’on donne à des amis politiques. Ce sont des postes vitaux, où il faut mettre des gens compétents capables de faire des analyses et du renseignement.
Enième humiliation pour la France, énième réaction de candide cocu de nos zélistes avec la volte-face des australiens sur un contrat de sous-marins. Ces gens n’ont-ils jamais entendu parler :
Du Commonwealth ?
Du Brexit ?
N’ont-ils pas vu que le centre des créations de richesses s’est déplacé en Asie depuis presque 30 ans (en majeure partie grâce à eux du fait de leur obsession de tout payer moins cher) ?
Que vu le cumul des fiascos américains au Proche-Orient, ils se sont trouvé un nouveau Satan en la Chine, et qu’ils allaient activer leur protectorats officieux du Pacifique ?
N’ont-ils pas au moins un Atlas sous le pif ?????
N’ont-ils jamais entendu parler des coups de p***** précédents de nos « alliés » du genre amende historique de la BNP, cadres embastillés arbitrairement par le FBI pour forcer à la cession de fleuron industriel, humiliation publique et pseudo-accusation de viol d’un possible candidat à la présidentielle, etc, méthodes dignes de gangsters.
Ce qui est stupéfiant dans leur candeur, c’est la répétition. Ces gens là n’ont jamais connu l’adversité au sens existentiel du terme (au contraire des puissances réémergentes comme la Chine et la Russie), ont toujours nié la fracture de classes. La classe-moyennisation des élites est une plaie, et un poison bien plus insidieux qu’une occupation brutale, car elle mène à l’effacement lent et certain de notre pays.
Ces gens là croient qu’en respectant gentiment les règles du marché libéral, ils se feront une place, alors que ceux qui se sont vraiment fait une place ne les appliquent absolument pas à eux-mêmes, USA et Chine en tête !
Même la qualité reconnue et la compétence des derniers bijoux industriels que nous avons ne suffit pas à remporter des marchés : voir l’arlésienne du F35 que les américains refourguent brutalement, ou Boeing, malgré le scandale de crashs d’avions dus à des développements de logiciels payés au lance-pierre, supplante plusieurs fois Airbus.
L’Europe est devenue une immense pigeonne à piller, industriellement, socialement, devient lentement mais sûrement un continent-musée pour les futurs nouveaux riches d’ailleurs.
@ Bannette
[Enième humiliation pour la France, énième réaction de candide cocu de nos zélistes avec la volte-face des australiens sur un contrat de sous-marins. Ces gens n’ont-ils jamais entendu parler du Commonwealth ? Du Brexit ? N’ont-ils pas vu que le centre des créations de richesses s’est déplacé en Asie depuis presque 30 ans (en majeure partie grâce à eux du fait de leur obsession de tout payer moins cher) ?]
Surtout, ces gens-là n’ont toujours pas compris que ce n’est pas parce qu’on est formellement « alliés » qu’on va se faire des fleurs. En matière internationale, ce sont d’abord les rapports de force et d’intérêt qui priment. La politique française ces quarante dernières années aboutit à un résultat simple : nous avons besoin des Américains – pour protéger nos lignes d’approvisionnement, pour nous fournir des composants critiques, pour pourvoir à la logistique militaire de nos opérations extérieures – et les Américains n’ont pas besoin de nous. Et c’est le cas pour l’ensemble de leurs « alliés » européens. Et c’est pourquoi ils peuvent s’essuyer les pieds sur nous et sur l’Europe en général. Et cela est vrai que ce soit Bidden ou Trump qui occupe le fauteuil.
Les britanniques s’en sortent en assumant leur rôle de vassaux. En échange d’une subordination totale en politique étrangère, ils sont assurés que leur seigneur ne leur fera pas trop de crasses. La France n’a pas – pour le moment – accepté ce rôle, et c’est pourquoi les Américains ne prennent même pas de gants.
[Ce qui est stupéfiant dans leur candeur, c’est la répétition. Ces gens là n’ont jamais connu l’adversité au sens existentiel du terme (au contraire des puissances réémergentes comme la Chine et la Russie), ont toujours nié la fracture de classes. La classe-moyennisation des élites est une plaie, et un poison bien plus insidieux qu’une occupation brutale, car elle mène à l’effacement lent et certain de notre pays.]
Oui, parce que les classes intermédiaires regardent essentiellement leur nombril, et sont obsédées par leurs petits intérêts immédiats.
Je propose ici (faute de pouvoir répondre ailleurs pour des raisons techniques) un commentaire sur vos échanges avec cd (et d’autres): Vous lui expliquez (une fois de plus) les acquis sociaux arrachés à la bourgeoisie après 1945 par la peur qu’aurait inspirée aux bourgeois à la fois la réussite et la menace communiste ainsi que le pouvoir d’attraction ou d’influence d’un puissant parti communiste local, peur qui se serait dissipée après 1989 et expliquerait la récente dégradation des avantages précédemment acquis.
Lors d’échanges précédents, vous aviez pourtant convenu que du sein même du peuple français (notamment de sa bourgeoisie éclairée) pouvait naître les mouvements politiques capables d’arracher à cette même bourgeoisie (et à la féodalité encore existante) des droits et libertés assez enviables pour inspirer d’autres mouvements sociaux-politiques comme la révolution soviétique (bien inspirée aussi, rappelons-le, par la Commune de 1870 qui fut une bonne piqûre de rappel des aspirations sociales et des possibles mobilisations politiques de bien gens, qu’on ne peut pas réduire au seul “prolétariat”).
En ce sens, c’est bien à ces sociétés bourgeoises occidentales (où tant d’avantages sociaux furent préalablement acquis) que les soviétiques et leur petit Père du peuple pourraient dire merci 🙂
De tels acquis sociaux (éducation, libertés publiques, mutuelles sociales, syndicalisme, conditions de travail, pouvoir d’achat, etc.) ont bien sûr été observés dans d’autres pays occidentaux (autres que ceux où militait un puissant PC) à mesure que s’y élevait le niveau de vie.
Expliquer principalement la dégradation en cours des rapports de force entre classes travailleuses (prolétariat ou “intermédiaires”) et classes exploiteuses, depuis le milieu des années 70, par la disparition du régime soviétique (et de ses PC satellites de la IIIe Internationale Communiste) vous interdit curieusement d’autres causes d’explication, sans doute aussi pertinentes et dont l’analyse pourrait conduire à des réflexions méritoires ou fécondes.
Parmi ces causes (et sans vouloir être exhaustif) : vous n’ignorez sans doute pas plus que d’autres, la question de la fabuleuse augmentation du prix de l’énergie (commencée avec les deux “chocs pétroliers” des années 70), le développement de la spéculation et financiarisation internationale permise par la technologie informatique mise en réseau mondial ainsi que la mise en concurrence internationale des travailleurs par l’exploitation des transports par conteneurs, la prise de conscience du système écologique et atmosphérique limité dans lequel aucune croissance productive illimitée n’est possible, etc. Je suppose que vous connaissez les travaux d’un Jancovici (et peut-être aussi les critiques qu’il s’attire dans certains milieux : https://reporterre.net/Jancovici-une-imposture-ecologique ).
Peut-être aussi est-ce l’occasion de rappeler (avec Marx ?) combien l’évolution d’une infrastructure technico-énergétique est déterminante dans l’évolution de la superstructure politique ou culturelle qu’elle sous-tend.
@ Claustaire
[Vous lui expliquez (une fois de plus) les acquis sociaux arrachés à la bourgeoisie après 1945 par la peur qu’aurait inspirée aux bourgeois à la fois la réussite et la menace communiste ainsi que le pouvoir d’attraction ou d’influence d’un puissant parti communiste local, peur qui se serait dissipée après 1989 et expliquerait la récente dégradation des avantages précédemment acquis.]
Oui, mais avec quelques nuances. La « peur » peut être l’anticipation d’un danger imaginaire, mais elle peut aussi être la perception d’un danger réel. On est ici dans la deuxième hypothèse : la bourgeoisie a réagi non pas à une peur imaginaire, mais à l’analyse d’un rapport de forces réel. C’est pourquoi le mot « peur » peut être ici trompeur.
Par ailleurs, si la « peur » a disparu en 1989, elle s’était considérablement atténuée au fur et à mesure que les rapports de force se sont inversés à la fin des années 1970.
[En ce sens, c’est bien à ces sociétés bourgeoises occidentales (où tant d’avantages sociaux furent préalablement acquis) que les soviétiques et leur petit Père du peuple pourraient dire merci 🙂]
Je pense qu’ils l’ont abondamment fait : les révolutionnaires bolchéviques se sont toujours considérés comme les héritiers des grands mouvements révolutionnaires du passé, et tout particulièrement de la Révolution française et de la Commune…
[De tels acquis sociaux (éducation, libertés publiques, mutuelles sociales, syndicalisme, conditions de travail, pouvoir d’achat, etc.) ont bien sûr été observés dans d’autres pays occidentaux (autres que ceux où militait un puissant PC) à mesure que s’y élevait le niveau de vie.]
Ça dépend ce que vous appelez « acquis sociaux ». La bourgeoisie a dans beacoup de pays créé les structures éducatives minimales permettant de donner à ses futurs ouvriers une formation suffisante pour être productifs. Doit-on appeler cela un « acquis social » ?
On doit tout de même constater que là où il y avait un PC puissant, les conquêtes ont été autrement plus consistantes que là où il n’existait pas. Les Etats-Unis ont beau être le pays le plus riche au monde, il n’y a chez eux ni sécurité sociale, ni droit de grève, ni mutuelles sociales, ni une véritable législation sur les conditions de travail. Par ailleurs, même là où le PC n’était pas très puissant, la peur qu’il puisse le devenir fut un moteur puissant. L’exemple de Peron en Argentine est de ce point de vue éclairant…
[Expliquer principalement la dégradation en cours des rapports de force entre classes travailleuses (prolétariat ou “intermédiaires”) et classes exploiteuses, depuis le milieu des années 70, par la disparition du régime soviétique (et de ses PC satellites de la IIIe Internationale Communiste) vous interdit curieusement d’autres causes d’explication, sans doute aussi pertinentes et dont l’analyse pourrait conduire à des réflexions méritoires ou fécondes.]
Vous m’avez très mal lu. Où ais-je attribué la dégradation des rapports de force entre travailleurs et exploiteurs à « la disparition du régime soviétique et ses PC satellites » (je laisse de côté la référence à la IIIème internationale, dissoute en 1942) ? J’ai dit EXACTEMENT LE CONTRAIRE : que les racines de la disparition de l’URSS et l’affaiblissement des PC se trouve précisément dans le renversement des rapports de force à la suite d’une révolution dans le mode de production introduite par la révolution informatique et la mondialisation du capital.
Comment pouvez-vous penser qu’un matérialiste comme moi irait dire qu’une modification du rapport de forces STRUCTUREL aurait des raisons liés à la SUPERSTRUCTURE ?
[la prise de conscience du système écologique et atmosphérique limité dans lequel aucune croissance productive illimitée n’est possible, etc.]
Je ne vois pas très bien comment on peut « prendre conscience » de quelque chose qui est de toute évidence faux. On peut parfaitement avoir une croissance positive indéfiniment sans pour autant que le total de la production tende à l’infini.
[Je suppose que vous connaissez les travaux d’un Jancovici (et peut-être aussi les critiques qu’il s’attire dans certains milieux : https://reporterre.net/Jancovici-une-imposture-ecologique ).]
Je connais bien les travaux de Jancovici. Quant aux « certains milieux » dont vous faites référence, la simple lecture de l’article en question est suffisante pour les disqualifier. Quand on commence à descendre un expert de la politique énergétique au prétexte que son discours serait « sexiste »…
[Peut-être aussi est-ce l’occasion de rappeler (avec Marx ?) combien l’évolution d’une infrastructure technico-énergétique est déterminante dans l’évolution de la superstructure politique ou culturelle qu’elle sous-tend.]
Une fois encore ce n’est pas « la peur » seule qui a permis les conquêtes : c’est le rapport de forces sous-jacent qui en est à l’origine. Mais il ne faut pas oublier que dans le rapport de forces il y a un élément objectif, qui est intimement lié à l’infrastructure, mais aussi un élément subjectif lié à la superstructure. Ce que l’URSS et le réseau des partis communistes fournissaient, c’est l’élément subjectif. Cet élément est devenu nettement moins intéressant lorsque l’élément objectif a disparu.
@ Descartes
[On peut parfaitement avoir une croissance positive indéfiniment sans pour autant que le total de la production tende à l’infini.]
Je ne comprends pas. Pouvez-vous développer ?
@ BJ
[“On peut parfaitement avoir une croissance positive indéfiniment sans pour autant que le total de la production tende à l’infini.” Je ne comprends pas. Pouvez-vous développer ?
Sans difficulté. Imaginons que la croissance d’un pays chaque année soit C(n) (exprimée sous la forme 1+croissance en pourcentage/100 pour simplifier les écritures). Si la production à l’année 0 est P(0), alors la production à l’année n+1 est donnée par P(n) = P(0)*C(0)*C(1)*…*C(n-1). Ce que j’ai dit équivaut à dire c’est que l’on peut trouver une série C(n) telle que lorsque n tend à l’infini, P(n) tende à une valeur finie (i.e. que le produit infini des C(n) soit convergent).
Or, l’existence d’une telle série est facile à démontrer. Passons au logarithme, ce qui permet de transformer un produit infini en somme infinie: log P(n) = log P(0) + log C(0) + log C(1) +…+ log C(n-1). Pour que le produit infini converge, il suffit que cette somme converge vers une valeur autre que 0. Imaginons donc que la croissance C(n) soit donnée par la formule C(n) = exp (1/2^n). Alors, log P(n) = 1 + 1/2 + 1/4 +…+ 1/2^(n-1) = 2 * (1 – 1/2^n). Et quand n tend à l’infini… cela tend vers 2. Dans cet exemple, la croissance C(n) sera toujours supérieure à 1 (l’exponentielle d’un nombre positif l’est toujours) ce qui veut dire que la croissance au sens usuel sera toujours supérieure à 0. Et pourtant, à la fin des temps, la production n’aura été multipliée que… par exp(2).
Bien entendu, il y a d’autres façons de construire C(n) moins brutales. En fait, il suffit que C(n) décroisse “assez vite” pour que la production puisse augmenter indéfiniment sans pour autant tendre à l’infini.
[Ça dépend ce que vous appelez « acquis sociaux ». La bourgeoisie a dans beacoup de pays créé les structures éducatives minimales permettant de donner à ses futurs ouvriers une formation suffisante pour être productifs. Doit-on appeler cela un « acquis social » ?]
Faudra-t-il rappeler que de fins analystes et sociologues anticapitalistes ont su, fort légitimement, expliquer que le Capitalisme savait être assez “pervers” pour donner à ses exploités suffisamment de “carottes aliénantes” (pouvoir d’achat sans cesse en augmentation grâce à une Croissance prédatrice de ressources naturelles que l’on estimait quasi gratuites et saccageables ad libitum , société de consommation et de loisirs de masse aussi aliénants qu’addictifs, congés payés permettant d’enrichir les entreprises capitalistes de loisir les exploitant, sécurité sociale maintenant la santé permettant l’exploitation, éducation gratuite pour former les futurs exploités, etc.) pour que ceux-ci soient non seulement en état intellectuel et physique assurant une bonne productivité mais trouvent le système capitaliste assez jouissif ou addictif pour ne pas avoir envie de le renverser ? Et plus les syndicats anticapitalistes arrachaient d’avantages acquis au Système, plus ils en devenaient à la fois esclaves et complices ?
[On doit tout de même constater que là où il y avait un PC puissant, les conquêtes ont été autrement plus consistantes que là où il n’existait pas. ]
Contre-exemples en Europe : les social-démocraties nordiques, l’Allemagne, la Suisse…
Mais, comme dit, toute conquête sociale peut être assez addictive pour dissuader de renverser un Système qui faute de telles carottes n’aurait jamais eu de bâton assez solide pour empêcher son renversement. Les “vrais” anticapitalistes se permettant de présenter les acquis sociaux comme les pires pièges du Système. Et de faire remarquer que plus un puissant PC aurait su arracher de tels acquis, plus il se faisait complice du Capitalisme qu’il dénonçait…
Sur un le concept d’un développement illimité dans un monde limité, la géométrie physique sera, hélas, plus forte que toute grammaire algébrique.
@ Claustaire
[Faudra-t-il rappeler que de fins analystes et sociologues anticapitalistes ont su, fort légitimement, expliquer que le Capitalisme savait être assez “pervers” pour donner à ses exploités suffisamment de “carottes aliénantes” (pouvoir d’achat sans cesse en augmentation grâce à une Croissance prédatrice de ressources naturelles que l’on estimait quasi gratuites et saccageables ad libitum , société de consommation et de loisirs de masse aussi aliénants qu’addictifs, congés payés permettant d’enrichir les entreprises capitalistes de loisir les exploitant, sécurité sociale maintenant la santé permettant l’exploitation, éducation gratuite pour former les futurs exploités, etc.) pour que ceux-ci soient non seulement en état intellectuel et physique assurant une bonne productivité mais trouvent le système capitaliste assez jouissif ou addictif pour ne pas avoir envie de le renverser ?]
Tout à fait. Mais le niveau de « carottes » nécessaire pour que les exploités trouvent le système capitaliste « jouissif ou addictif » dépend fortement des alternatives. Quand aucune alternative crédible n’apparaît à l’horizon, chercher à renverser le système paraît inutile quand bien même les « carottes » seraient ridiculement petites. Par contre, quand il y a une alternative crédible – et même réelle – le seuil à partir duquel on n’a plus envie de renverser le système est bien plus haut…
[Et plus les syndicats anticapitalistes arrachaient d’avantages acquis au Système, plus ils en devenaient à la fois esclaves et complices ?]
Ca, c’est raisonnement typiquement gauchiste : il faut garder les prolétaires dans la misère, sans quoi ils n’auront pas envie de faire la révolution. Je n’ai jamais partagé ce discours. Si le capitaliste se sent obligé de réduire la plusvalue qu’il extrait de peur de ne plus pouvoir en extraire du tout, j’en suis ravi !
[« On doit tout de même constater que là où il y avait un PC puissant, les conquêtes ont été autrement plus consistantes que là où il n’existait pas. » Contre-exemples en Europe : les social-démocraties nordiques, l’Allemagne, la Suisse…]
Si ma mémoire ne me trompe pas, le parti communiste allemand fut l’un des plus puissants de l’Europe occidentale. Et il fallut les massacres organisés par les socio-démocrates comme Ebert puis le nazisme pour le détruire. Je ne pense pas que la bourgeoisie allemande, lorsqu’il s’est agi de construire l’état social de l’après-guerre l’ait oublié. La Suisse, elle aussi, avait un parti communiste relativement puissant.
Par ailleurs, je serais curieux de savoir si dans les « social-démocraties nordiques, l’Allemagne ou la Suisse » le droit de grève est protégé dans la constitution. Je ne pense pas que ce soit le cas. Tout comme la liberté de l’activité syndicale est très limitée… je pense que vous réduisez un peu vite l’idée de « conquête » à la protection sociale ou aux conditions de travail.
[Mais, comme dit, toute conquête sociale peut être assez addictive pour dissuader de renverser un Système qui faute de telles carottes n’aurait jamais eu de bâton assez solide pour empêcher son renversement.]
Là, vous vous faites beaucoup d’illusions. Quand la bourgeoisie s’est sentie menacée, elle a sorti les gros bâtons suffisamment solides pour liquider toute tentative de renversement. Et cela jusqu’au suicide – pensez au soutien dont Hitler a bénéficié de la part de la bourgeoisie allemande. En France, quand la bourgeoisie s’est sentie menacée, on n’a pas hésité à tirer à balles réelles sur les ouvriers – ce dont Jules Moch était très fier.
[Les “vrais” anticapitalistes se permettant de présenter les acquis sociaux comme les pires pièges du Système. Et de faire remarquer que plus un puissant PC aurait su arracher de tels acquis, plus il se faisait complice du Capitalisme qu’il dénonçait…]
Tout à fait. Ce sont les mêmes « vrais » anticapitalistes qui ont rejoint Mitterrand pour casser les « faux » anticapitalistes du PCF et qui ont ensuite soutenu le tournant de la rigueur, le traité de Maastricht, les politiques de chômage de masse et de désindustrialisation. C’est dire si leur anticapitalisme est « vrai »…
[Sur un le concept d’un développement illimité dans un monde limité, la géométrie physique sera, hélas, plus forte que toute grammaire algébrique.]
Cette phrase est censée avoir une signification ?
Question “grammaire algébrique”, je faisais bien sûr allusion à votre tentative (algébrique) de mettre en équation la possibilité d’une croissance illimitée dans un monde (une géométrie) clos. Mais je pense que vous m’aviez bien compris. Sinon, attendons d’autres échanges plus productifs de compréhension mutuelle…
Quel bordel, ces présidentielles, pour l’instant ! Mais bon, ça se clarifiera, non ?
On ne peut pas dire que le PCF ait soutenu Fabien Roussel en invitant à la fête de l’Huma un rappeur partageant avec le public la haine de la police ? Est-ce volontaire ? Ou le symptôme de ce que le PCF est devenu un autre groupuscule des classes moyennes ? Et Roussel sera lâché par la direction.
Cette primaire des écolos à la fois m’amuse par la place médiatique qui lui est donnée, et m’irrite par la place que lui donnent les partis “de gauche”. Que serait une gauche qui s’unifierait soit à un libéral et européiste (Jadot), soit à une représentante de la woke culture (Rousseau). Imaginez Alice Coffin, proche de Rousseau, ministre !
Qu’est-ce que Zemmour vient alors représenter dans un tel contexte ? Un nouveau Coluche ? Pas plus à droite selon moi, Coluche avec son mépris des classes populaires n’était pas “de gauche”. Là aussi, pouquoi ce soutien des média ?
Les concepts de gauche et de droite sont à revisiter de toute urgence si l’on veut y comprendre quelque chose, et faire en sorte que cette élection soit démocratique. Pour ma part, la gauche est pour le progrès scientifique et social: l’écologie politique n’en fait pas partie.
@ Paul
[Quel bordel, ces présidentielles, pour l’instant ! Mais bon, ça se clarifiera, non ?]
Pour moi, c’est très clair : tout le monde s’excite et à la fin c’est Macron qui est réélu. D’ailleurs, pourquoi voulez-vous qu’on le change ? Tous ceux qui se présentent ont déjà un long parcours derrière eux. Qui peut imaginer que Pécresse, Bertrand, Hidalgo, Mélenchon, Jadot, Rousseau ou Le Pen (dans son orientation actuelle) feraient mieux ? Aucun ne semble prêt à sortir du carcan européen. Et sans cela, les marges de manœuvre sont minimes quelque soit la bonne volonté du gouvernant… Reste Montebourg ou Roussel, qui diront des choses intéressantes mais qui sont des candidatures de témoignage.
[On ne peut pas dire que le PCF ait soutenu Fabien Roussel en invitant à la fête de l’Huma un rappeur partageant avec le public la haine de la police ? Est-ce volontaire ? Ou le symptôme de ce que le PCF est devenu un autre groupuscule des classes moyennes ?]
Je ne pense pas que ce soit volontaire. C’est dans la droite ligne de la stratégie commencée du temps de Robert Hue pour donner au PCF une image « moderne » et « branchée » susceptible d’attirer les classes intermédiaires – et particulièrement la frange « djeune ». On voit le décalage aujourd’hui parce que Roussel – contrairement à Hue, Buffet ou Laurent – ne s’inscrit pas dans cette stratégie largement portée par les « notables » et autres « barons » de l’appareil. Ces barons qui se sont patiemment installés depuis l’époque Hue.
Au risque de me répéter : le PCF s’est « féodalisé » comme le Parti radical autrefois. L’époque où il y avait une ligne nationale qui s’imposait à tous les niveaux est finie. Les « barons » laisseront Roussel faire joujou au niveau national aussi longtemps qu’il ne les gêne pas au plan local. C’est à mon avis pour cela qu’il y aura cette fois-ci un candidat communiste, ce qui était impossible en 2017. Parce qu’en 2017, les « barons » s’imaginaient que leur ralliement à Mélenchon serait payé de retour. L’expérience leur a montré qu’ils n’avaient rien à gagner. C’est pourquoi ils avaient fait feu de tout bois en 2017 pour saboter une candidature interne, et que cette fois-ci ils sont restés en retrait et laissé faire.
[Et Roussel sera lâché par la direction.]
Comme je l’ai dit plus haut, je ne le pense pas. Du moins pas aussi longtemps que la campagne de Roussel ne gêne pas leurs positions locales. Bien sûr, il y en a qui ont vendu leur âme à Mélenchon (genre Buffet ou Faucillon) et qui vont faire campagne pour lui. Mais je ne pense pas qu’ils soient nombreux.
[Cette primaire des écolos à la fois m’amuse par la place médiatique qui lui est donnée, et m’irrite par la place que lui donnent les partis “de gauche”. Que serait une gauche qui s’unifierait soit à un libéral et européiste (Jadot), soit à une représentante de la woke culture (Rousseau). Imaginez Alice Coffin, proche de Rousseau, ministre !]
Si Taubira peut, pourquoi pas Rousseau ? Rassurez-vous, si un maroquin peut faire un libéral d’un trotskiste… Cela étant dit, cette primaire est une tempête dans un verre d’eau. Ca vaut à peu près autant qu’un sondage internet. Politiquement, cela ne vaut rien.
[Qu’est-ce que Zemmour vient alors représenter dans un tel contexte ? Un nouveau Coluche ? Pas plus à droite selon moi, Coluche avec son mépris des classes populaires n’était pas “de gauche”. Là aussi, pourquoi ce soutien des média ?]
La comparaison me paraît abusive. Coluche était l’épitomé du conformisme des classes intermédiaires. Zemmour est au contraire un anticonformiste. Coluche était l’antipolitique là où Zemmour voudrait au contraire réhabiliter la politique.
Quant à votre question, je ne crois pas que les médias « soutiennent » Zemmour. Aujourd’hui, les médias suivent l’opinion plus qu’ils ne la précèdent. Les médias donnent une place à Zemmour parce que Zemmour attire du public. Et il attire du public parce qu’au-delà de ses marottes, il dit tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas mais n’osent dire du fait de la dictature du politiquement correct. Cette dictature étouffante à uniformisé le discours à un point tel que n’importe quel discours hétérodoxe parait comme un espace de liberté.
[Les concepts de gauche et de droite sont à revisiter de toute urgence si l’on veut y comprendre quelque chose, et faire en sorte que cette élection soit démocratique. Pour ma part, la gauche est pour le progrès scientifique et social : l’écologie politique n’en fait pas partie.]
Si vous liez le concept de gauche à l’idée de progrès, alors les écologistes n’en font évidemment pas partie de leur propre aveu, puisqu’ils récusent l’idée même de « progrès »… mais en toute franchise je ne vois pas trop l’intérêt de raisonner en termes de « gauche » et « droite », fut-ce en revisitant le concept. L’aventure macronienne l’a bien montré : non seulement gauche et droite font les mêmes politiques, mais hommes de gauche et hommes de droite peuvent parfaitement gouverner ensemble. Dans ces conditions, qu’est ce que cela nous apporte de savoir que Macron et Le Drian sont « de gauche » et Philippe ou Castex sont « de droite ?
[Aucun ne semble prêt à sortir du carcan européen. Et sans cela, les marges de manœuvre sont minimes quelque soit la bonne volonté du gouvernant… Reste Montebourg ou Roussel, qui diront des choses intéressantes mais qui sont des candidatures de témoignage.]
A ce propos, j’ai écouté les interventions médiatiques récentes de Montebourg et Roussel. Je suis assez déçu par le deuxième: au-delà d’un certain revirement sur la sécurité, on reste vraiment dans le discours habituel de gauche: “plus de moyens pour tout, taxons les riches, et soyons heureux”. Même approche totalement idéaliste sur la questions de l’UE: “il faut s’asseoir autour d’une table avec les dirigeants allemands et tout remettre à plat”. Ben voyons… J’ai aussi sursauté en entendant la proposition d’interdire Zemmour d’antenne et de dissoudre le RN. Bref, encore un effort camarade pour atteindre le sérieux!
Quant à Montebourg, je suis à l’inverse plutôt agréablement surpris. Même si sur l’UE il en reste à “il faut récupérer une part de notre souveraineté en réaffirmant la prééminence du droit national sur le droit européen” (ce qui, si c’est vraiment appliqué, est quand-même une bombe pour l’UE), il semble courageux intellectuellement (il n’a pas hésité à afficher son soutien au pass sanitaire, parle de reprendre une politique de non-alignement vis-à-vis des EU et de la Chine…), et il a mis les enjeux économiques au cœur de sa campagne (salaires, industrie), que je vais donc suivre avec attention, même si comme vous dîtes il risque de faire du témoignage.
[Si Taubira peut, pourquoi pas Rousseau ? Rassurez-vous, si un maroquin peut faire un libéral d’un trotskiste… Cela étant dit, cette primaire est une tempête dans un verre d’eau. Ca vaut à peu près autant qu’un sondage internet. Politiquement, cela ne vaut rien.]
Non, mais humoristiquement, ça vaut son pesant de cacahuètes. Entendre hier Jadot dire que non, il n’est pas déçu par son score et qu’il est fier des écologistes alors qu’il doit être dégoutté de se voir à quelques points de % de la folledingue Rousseau, et peut-être privé de candidature à cause de la radicalité des électeurs verts, quelle tranche de rigolade! Et ensuite ladite Rousseau qui explique qu’on a peut-être trop insisté sur la rationalité masculine, et que le féminin peut réenchanter le monde en prenant appui sur la tradition des sorcières… Quelle époque!
Quant aux souverainistes, ils sont au ras des pâquerettes dans les sondages, vous aviez donc raison de dire que leur positionnement anti-tout serait non seulement critiquable intellectuellement mais aussi inefficace politiquement. Et vu le discrédit qui pèse sur cette partie du champ politique maintenant, je me demande même si parler de Frexit est encore opportun, tant cela fait courir le risque d’être assimilé aux délires adolescents du trio NDA-Philppot-Asselineau.
[L’aventure macronienne l’a bien montré : non seulement gauche et droite font les mêmes politiques, mais hommes de gauche et hommes de droite peuvent parfaitement gouverner ensemble. Dans ces conditions, qu’est ce que cela nous apporte de savoir que Macron et Le Drian sont « de gauche » et Philippe ou Castex sont « de droite ?]
Intellectuellement rien, mais politiquement c’est plus compliqué. Même s’ils demeurent fictifs, les camps de gauche, droite, extrême-droite sont intériorisés par beaucoup de gens, en témoigne l’impossibilité du dialogue entre les “souverainistes des deux rives”, plus vivace encore aujourd’hui qu’il y a vingt ans avec Chevènement. Peut-être parce que comme l’analysait Eugénie Bastié, la gauche et la droite ont à voir avec une appréhension du monde: la droite serait liée à une métaphysique de la perte (d’où un conservatisme et une acceptation du monde tel qu’il est), et la gauche à une métaphysique de la promesse (d’où une volonté de transformation). Bien sûr, cette analyse n’est pas très matérialiste, mais elle me semble pertinente pour comprendre pourquoi malgré l’évidente collusion de ce qu’on a pu appeler la droite et la gauche de gouvernement et la composition d’un bloc élitaire s’opposant à un bloc populaire en construction, il y a au final si peu de recomposition du paysage politique aujourd’hui.
@ Patriote Albert
[A ce propos, j’ai écouté les interventions médiatiques récentes de Montebourg et Roussel. Je suis assez déçu par le deuxième: au-delà d’un certain revirement sur la sécurité, on reste vraiment dans le discours habituel de gauche: “plus de moyens pour tout, taxons les riches, et soyons heureux”. Même approche totalement idéaliste sur la question de l’UE: “il faut s’asseoir autour d’une table avec les dirigeants allemands et tout remettre à plat”. Ben voyons…]
Pour le meilleur et pour le pire, le PCF reste l’un des seuls – sinon le seul – parti qui ait une véritable gouvernance démocratique en France. Roussel est certes le candidat – et accessoirement le secrétaire national – mais cela ne lui donne pas tout pouvoir. Contrairement à un Mélenchon qui est le gourou de sa secte ou Montebourg qui est un homme seul, il est tenu par les votes de congrès. Il porte le programme du PCF, et non ses idées personnelles. Le fait est que le PCF, lors de ses derniers congrès, n’a pas retenu l’idée d’un Frexit ou de la sortie de l’Euro. Ce qui est bien entendu totalement contradictoire avec les propositions économiques est sociales retenues, qui n’ont tout simplement aucune possibilité d’être mises en œuvre dans un contexte européen. Mais il n’en reste pas moins que c’est ce que les militants ont voté.
C’est pourquoi il ne faut pas attendre de Roussel plus qu’il ne peut donner. Il ne tiendra certainement pas un discours souverainiste.
[Quant à Montebourg, je suis à l’inverse plutôt agréablement surpris. Même si sur l’UE il en reste à “il faut récupérer une part de notre souveraineté en réaffirmant la prééminence du droit national sur le droit européen” (ce qui, si c’est vraiment appliqué, est quand-même une bombe pour l’UE), il semble courageux intellectuellement (il n’a pas hésité à afficher son soutien au pass sanitaire, parle de reprendre une politique de non-alignement vis-à-vis des EU et de la Chine…), et il a mis les enjeux économiques au cœur de sa campagne (salaires, industrie), que je vais donc suivre avec attention, même si comme vous dîtes il risque de faire du témoignage.]
Montebourg a plus de liberté de ton, mais il a un peu le même problème que le PCF. Il se refuse à formuler l’idée d’une rupture avec l’UE ou une sortie de l’Euro, mais de l’autre côté il propose des choix politiques économiques et sociaux qui ne sont réalisables qu’à cette condition. Par le passé, cette contradiction s’est toujours résolue par le choix européen et l’abandon des politiques en question. Peut-il en aller différemment aujourd’hui ?
[Intellectuellement rien, mais politiquement c’est plus compliqué. Même s’ils demeurent fictifs, les camps de gauche, droite, extrême-droite sont intériorisés par beaucoup de gens, en témoigne l’impossibilité du dialogue entre les “souverainistes des deux rives”, plus vivace encore aujourd’hui qu’il y a vingt ans avec Chevènement.]
Il y a vingt ans, la division « gauche/droite » a empêché le dialogue entre les souverainistes « des deux rives » ? Mais est-ce le cas aujourd’hui ? Franchement, j’en doute. Où voyez-vous un souverainiste « de gauche » qui aurait des difficultés à dialoguer avec un souverainiste « de droite » ? S’il n’y a pas aujourd’hui de dialogue entre les « souverainistes des deux rives », c’est peut-être et surtout parce qu’il ne reste pas beaucoup de souverainistes dans l’une des deux rives… Quelle personnalité qualifieriez-vous de « souverainiste de gauche » aujourd’hui ?
[Peut-être parce que comme l’analysait Eugénie Bastié, la gauche et la droite ont à voir avec une appréhension du monde: la droite serait liée à une métaphysique de la perte (d’où un conservatisme et une acceptation du monde tel qu’il est), et la gauche à une métaphysique de la promesse (d’où une volonté de transformation).]
Cette analyse était intéressante jusqu’aux années 1970. Mais depuis, on voit une inversion : le « conservatisme » est celui d’une gauche qui se bat pour préserver les conquêtes sociales d’une époque révolue, alors que c’est la droite néolibérale qui cherche à révolutionner l’existant et à construire le « monde nouveau ».
[C’est pourquoi il ne faut pas attendre de Roussel plus qu’il ne peut donner. Il ne tiendra certainement pas un discours souverainiste.]
Oui mais au-delà de ça, il serait déjà intéressant de sortir du discours “faire payer les riches” sur tout sujet, qui permettait peut-être de faire 5% dans les années 90 – 2000 avec la bonne conscience des classes intermédiaires et les restes de tradition du vote ouvrier, mais qui est trop simpliste pour susciter l’adhésion aujourd’hui. Après, évidemment je loue la gouvernance du PCF à une époque où les partis sont abandonnés au profit des écuries électorales, et si les militants communistes ne sont pas prêts à tenir un discours plus réaliste et mature, c’est ainsi.
]Mais est-ce le cas aujourd’hui ? Franchement, j’en doute. Où voyez-vous un souverainiste « de gauche » qui aurait des difficultés à dialoguer avec un souverainiste « de droite » ?]
J’ai pu le constater de l’intérieur des Patriotes, où des gens comme François Boulo ou Georges Kuzmanovic (que je considère comme des souverainistes de gauche) ont refusé toute entrevue, interview croisée ou collaboration avec Philippot, alors même que sur le plan des idées ils sont d’accord à 90%. La raison? Philippot = extrême-droite = infréquentable (ce n’était même pas une question de position sur la crise sanitaire)
[Cette analyse était intéressante jusqu’aux années 1970. Mais depuis, on voit une inversion : le « conservatisme » est celui d’une gauche qui se bat pour préserver les conquêtes sociales d’une époque révolue, alors que c’est la droite néolibérale qui cherche à révolutionner l’existant et à construire le « monde nouveau ».]
Certes, mais dans ce que l’on qualifie usuellement de “gauche” et de “droite” aujourd’hui, la gauche et la droite sont également révolutionnaires économiquement (la gauche peut-être même plus!), tandis que sur les questions sociétales, la “droite” reste plus conservatrice que la “gauche” (exemples: mariage pour tous, relation à l’immigration…). Et il me semble que dans l’imaginaire collectif, la gauche reste le parti du mouvement et la droite le parti de l’ordre. On peut voir d’ailleurs que les candidats de gauche répugnent à déclarer vouloir conserver l’existant, je n’ai jamais entendu un homme politique de gauche dire: la Sécurité sociale, on la garde telle qu’elle est. Il s’agit toujours de refonder le système économique, social, les institutions etc.
@ Patriote Albert
[Oui mais au-delà de ça, il serait déjà intéressant de sortir du discours “faire payer les riches” sur tout sujet, qui permettait peut-être de faire 5% dans les années 90 – 2000 avec la bonne conscience des classes intermédiaires et les restes de tradition du vote ouvrier, mais qui est trop simpliste pour susciter l’adhésion aujourd’hui.]
Pour être conforme à la réalité, il faudrait dire « il faut faire payer les riches et les classes intermédiaires ». Mais je doute que ce soit électoralement très porteur…
Blague à part, je pense que le PCF a raison de vouloir « faire payer les riches ». Mais il a tort de faire de cette idée la réponse à tous les problèmes. Le PCF a le défaut – qui s’explique par l’histoire des trente dernières années – de confondre réflexion politique et revendication syndicale, de faire de tout une question de « moyens ». Même si on fait « payer les riches », cela ne permettra pas de dégager des moyens infinis. Les moyens seront donc limités, et il faudra donc choisir ce qu’on fait et ce qu’on sacrifie. C’est ce choix auquel le PCF – et plus largement la gauche radicale – se refuse.
Les riches sont certes très riches. Mais ils sont peu nombreux. Les « faire payer » ne résoudra donc pas tous les problèmes.
[« Mais est-ce le cas aujourd’hui ? Franchement, j’en doute. Où voyez-vous un souverainiste « de gauche » qui aurait des difficultés à dialoguer avec un souverainiste « de droite » ? » J’ai pu le constater de l’intérieur des Patriotes, où des gens comme François Boulo ou Georges Kuzmanovic (que je considère comme des souverainistes de gauche) ont refusé toute entrevue, interview croisée ou collaboration avec Philippot, alors même que sur le plan des idées ils sont d’accord à 90%. La raison? Philippot = extrême-droite = infréquentable (ce n’était même pas une question de position sur la crise sanitaire)]
Vous m’apprenez quelque chose. J’aurais compris qu’ils refusent toute collaboration avec Philippot compte tenu de ses prises de position clivantes. Mais j’ignorais qu’ils avaient refusé toute discussion…
[Et il me semble que dans l’imaginaire collectif, la gauche reste le parti du mouvement et la droite le parti de l’ordre.]
Dans l’IMAGINAIRE, oui. Mon point est précisément qu’il s’agit d’une illusion. La réalité est toute autre…
Et Kuzmanovic, candidature encore plus marginale (et incertaine, mais annoncée tout de même).
@Descartes
J’entends souvent ce raisonnement, mais il me semble qu’il néglige l’aspect progressif du changement climatique : S’adapter à un changement de 1.5 degrés ou 2 plutot que de l’empecher est sans doute économique, mais une société qui décide de laisser filer passera à 3 degrés. Et si on décide de s’adapter à 3 plutot que de l’empecher, les émissions continueront et on se retrouvera à 4 degrés, etc.Je ne sais pas exactement où est le point d’équilibre (Je pense me souvenir que les pires scénarios sont autour de 7°C d’ici deux siècles. La borne supérieure étant atteinte lorsqu’on a brulé tout ce qu’on pouvait)
A moins de s’imaginer que d’ici à ce qu’on atteigne un stade de développement technique (Fusion nucléaire ? Surgénérateurs ? Renouvelables ? Un peu de tout ?) où bruler des fossiles n’est pas compétitif, on se dirige vers une vraie catastrophe, telle la grenouille qu’on ébouillante lentement, à cause de la vision binaire (réchauffement / pas réchauffement) qui domine.
@ Un Belge
[J’entends souvent ce raisonnement, mais il me semble qu’il néglige l’aspect progressif du changement climatique : S’adapter à un changement de 1.5 degrés ou 2 plutôt que de l’empêcher est sans doute économique, mais une société qui décide de laisser filer passera à 3 degrés. Et si on décide de s’adapter à 3 plutôt que de l’empêcher, les émissions continueront et on se retrouvera à 4 degrés, etc.]
Le problème, justement, c’est que la « société » ne « décide » jamais de rien. Vous avez ici le cas classique d’une décision qui affecte les intérêts particuliers au nom d’un intérêt général. Seulement, pour que l’intérêt général s’impose, il faut que votre collectivité soit structurée d’une façon particulière, que ses membres se sentent obligés les uns envers les autres par une logique de solidarité inconditionnelle et impersonnelle.
Cette structure n’existe aujourd’hui qu’au niveau des nations. Il y a des « sociétés nationales », qui peuvent prendre ce type de décisions. Mais il n’existe pas de « société internationale » qui pourrait décider que c’est dans l’intérêt de l’humanité – vivante ou à venir – de prendre certaines décisions, même si elles sont douloureuses pour certaines catégories. Imaginer que les classes intermédiaires américaines vont réduire leur niveau de vie pour protéger des Africains qui ne sont pas encore nés, c’est une illusion.
[A moins de s’imaginer que d’ici à ce qu’on atteigne un stade de développement technique (Fusion nucléaire ? Surgénérateurs ? Renouvelables ? Un peu de tout ?) où bruler des fossiles n’est pas compétitif, on se dirige vers une vraie catastrophe, telle la grenouille qu’on ébouillante lentement, à cause de la vision binaire (réchauffement / pas réchauffement) qui domine.]
Comme disait mongénéral, on ne fait de la politique qu’avec des réalités. Il est illusoire d’imaginer qu’on peut demander des efforts considérables aux populations au nom des générations à venir ou de gens à l’autre bout de la terre. D’ailleurs, sur qui faire tomber ces efforts ? Les riches n’en veulent pas, et les pauvres n’en peuvent pas. Si vous voulez une politique climatique mondiale, je ne vois que la voie d’une « dictature écologique » qui saurait ce qui est bon pour le monde et l’imposerait.
Il faut donc être rationnel : la seule voie de réduire notre empreinte, c’est de trouver les moyens de conserver notre niveau de vie en diminuant notre empreinte. Remplacer le charbon par le nucléaire, créer des filières pour recycler nos déchets, prolonger la vie utile des objets qui nous entourent, voilà des choses qui ne coûtent pas cher – voire qui rapportent – et qui permettent d’améliorer la situation. Et cela suppose de faire confiance à la science, à la recherche, à la technologie. Et non de rêver d’un retour à la lampe à pétrole et la marine à voile…
@Descartes
Les accords internationaux fonctionnent (relativement) pour la prolifération nucléaire ou la protection de la couche d’ozone. C’est plusieurs ordres de grandeur en dessous en termes d’effort, mais ce n’est pas rien. Bien sûr le retour à la lampe à pétrole et la marine à voile sont illusoires, mais il y a un entre deux. Il ne me paraît pas impossible d’arriver d’ici une dizaine d’années à un consensus pour ne plus brûler de charbon sans capture de CO2 dans les nouvelles centrales ou pour une taxe carbone internationale.Bien sûr, on est loin de la fameuse “décroissance” mais c’est une attitude déjà plus saine que le fatalisme pur.
(Je profite de l’occasion pour signaler que les “blocs de citations” de l’éditeur WordPress me semblent beaucoup plus lisibles que les crochets pour citer. Bien sûr, si on écrit nos commentaires sur un éditeur de texte externe avant publicaiton, il faut sans doute repasser dessus…)
@ Un Belge
[Les accords internationaux fonctionnent (relativement) pour la prolifération nucléaire ou la protection de la couche d’ozone.]
Deux exemples tout à fait intéressants à analyser :
Le TNP « marche » parce qu’il repose sur l’intérêt bien compris de tous les participants. Autrement dit, tout le monde a quelque chose à gagner. Les pays « dotés », qui sont en fait les gardiens du traité, y ont intérêt parce que le traité protège leur monopole nucléaire. Les états « non-dotés » y gagnent parce qu’en échange de leur renonciation à développer l’arme nucléaire ils ont accès à la technologie nucléaire civile. Mais vous noterez que le succès est relatif : certains pays ont trouvé que la contrepartie n’était pas suffisante, et n’ont pas signé le TNP. Or, cela ne marche pas pour un accord climatique, qui ne peut marcher que si TOUT LE MONDE signe (sans quoi vous aurez des « fuites carbone »).
Le cas de la protection de la couche d’ozone est différent : le traité demandait des actions relativement peu coûteuses et sans véritable conséquence sur la compétition économique. L’interdiction par exemple des composants fluorocarbonnés dans les frigos n’a pas changé grande chose, des substituts économiquement raisonnables existaient.
[C’est plusieurs ordres de grandeur en dessous en termes d’effort, mais ce n’est pas rien.]
Le problème, c’est surtout que cela coûtera très cher et ne rapportera rien avant des générations…
[Bien sûr le retour à la lampe à pétrole et la marine à voile sont illusoires, mais il y a un entre deux. Il ne me paraît pas impossible d’arriver d’ici une dizaine d’années à un consensus pour ne plus brûler de charbon sans capture de CO2 dans les nouvelles centrales ou pour une taxe carbone internationale.]
Pour le charbon, c’est possible : après tout, des alternatives économiquement équivalentes existent. Remplacer le charbon par le nucléaire ne renchérit pas significativement le prix de l’électricité. Mais une taxe carbone internationale ? Ce serait transférer de l’argent des économies carbonnées vers les économies décarbonées. En Europe, ce serait pénaliser l’Allemagne et la Pologne au bénéfice de la France, pour ne donner qu’un exemple… et je ne vous parle même pas de l’Inde ou de la Chine. Pensez-vous que ces pays accepteront une telle contrainte ?
[(Je profite de l’occasion pour signaler que les “blocs de citations” de l’éditeur WordPress me semblent beaucoup plus lisibles que les crochets pour citer. Bien sûr, si on écrit nos commentaires sur un éditeur de texte externe avant publication, il faut sans doute repasser dessus…)]
Effectivement, c’est là le problème. Lorsque vous voudrez récupérer un commentaire pour l’archiver ou pour toute autre utilisation, les citations deviennent illisibles.
@Belge & Descartes : en complément de vos échanges : ce matin, mardi 21 09, sur France Culture.
En voici le lien. Je vous le recommande vivement.
https://www.franceculture.fr/emissions/l-invite-e-des-matins/l-invite-des-matins-du-mardi-21-septembre-2021
@Descartes
[Or, cela ne marche pas pour un accord climatique, qui ne peut marcher que si TOUT LE MONDE signe (sans quoi vous aurez des « fuites carbone »).]
On revient à mon point sur l’aspect binaire du changement climatique. Si une vaste partie du monde coopère, une vaste partie du problème est résolu. Quelques pays récalcitrants seraient effectivement des passagers clandestins, mais c’est un grand pas en avant d’un point de vue climatique.
(Si le passager clandestin garde des émissions stables, évidemment. Si il récupère la totalité de l’industrie mondiale c’est une autre affaire)
Mais dans ce contexte, il faudrait des mesures semi-coercitives de type douanières : si un ensemble de pays implémentent une taxe carbone, pas de douane, mais si un pays ne l’implémente pas, elle est compensée à la frontière.
[Effectivement, c’est là le problème. Lorsque vous voudrez récupérer un commentaire pour l’archiver ou pour toute autre utilisation, les citations deviennent illisibles.]
Je ne suis pas sur d’avoir compris. Ma réflexion portait sur le fait qu’en recopiant ici il faudrait reconvertir les citations; y a-t-il un autre probleme ?
@ Un Belge
[On revient à mon point sur l’aspect binaire du changement climatique. Si une vaste partie du monde coopère, une vaste partie du problème est résolu. Quelques pays récalcitrants seraient effectivement des passagers clandestins, mais c’est un grand pas en avant d’un point de vue climatique.]
Sauf que, dans ces conditions, quel est l’intérêt d’un pays pris individuellement de rejoindre les « coopératifs » plutôt que les « récalcitrants », de ne pas jouer au « passager clandestin » ?
[Si le passager clandestin garde des émissions stables, évidemment. S’il récupère la totalité de l’industrie mondiale c’est une autre affaire.]
Mais dans un régime de concurrence et de libre circulation des capitaux, qu’est ce qui l’empêcherait justement de « récupérer la totalité de l’industrie mondiale » ?
[Mais dans ce contexte, il faudrait des mesures semi-coercitives de type douanières : si un ensemble de pays implémentent une taxe carbone, pas de douane, mais si un pays ne l’implémente pas, elle est compensée à la frontière.]
Ce qui veut dire pour la population des pays qui imposent ces taxes, accepter d’acheter vos ordinateurs ou vos t-shirts plus chers pouvant les avoir meilleur marché. Vous pensez que vous trouverez beaucoup d’électeurs pour accepter cela ?
[Je ne suis pas sur d’avoir compris. Ma réflexion portait sur le fait qu’en recopiant ici il faudrait reconvertir les citations; y a-t-il un autre problème ?]
C’est le problème inverse : lorsque vous copiez un commentaire d’ici pour aller le mettre ailleurs, vous perdez la mise en forme.
Bonjour,
Je me permets de vous conseiller cet article de blog… désopilant !
@ Vincent
[Je me permets de vous conseiller cet article de blog… désopilant !]
Bien vu… surtout la conclusion.
Excellentissime en effet, merci de cette belle et franche tranche de rigolade tous azimuts.