Il y a à Paris un bâtiment que beaucoup de français connaissent mais bien peu visitent. Il s’agit du Panthéon, ce temple élevé par la République, et sur le fronton duquel on peut lire cette belle formule « Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante ». Certains trouveront cette formule démodée et ringarde. Pas moi : l’idée que la Patrie, c'est-à-dire la communauté des citoyens, se donne pour mission de maintenir vivante la mémoire de ceux qui ont aidé à la construire, à la défendre, à l’agrandir matérielle et spirituellement, l’idée que la mémoire puisse être la plus haute reconnaissance nationale en ce temps ou toute récompense devient monétaire me paraissent aujourd’hui aussi nécessaires qu’hier. Et même davantage : dans une société qui devient amnésique, tout ce qui peut rattacher le présent au passé est bon à prendre
Le problème, c’est bien évidemment le choix des panthéonisés. Depuis 1958, c’est au président de la République qu’échoit l’honneur de choisir ceux qui feront leur entrée sous l’auguste coupole. Et en pratique, il faut dire que les présidents successifs ont somme toute fait des choix assez prudents. Ainsi, De Gaulle a choisi d’y faire entrer Jean Moulin ; Mitterrand fait rentrer Réné Cassin, Jean Monnet, l’Abbé Grégoire, Gaspard Monge et Condorcet ; Chirac choisira Pierre et Marie Curie, André Malraux et Alexandre Dumas. En dehors de Jean Monnet – ce marchand de Cognac agent des américains, pour reprendre la formule de mongénéral – il s’agit donc de personnalités fort honorables, et quelque soit l’opinion qu’on puisse avoir sur la qualité de leurs œuvres, il faut reconnaître qu’ils ont contribué chacun à sa manière la construction et au rayonnement de la France.
Cependant, il ne faut pas sous-estimer la tendance probable, dans la société du spectacle qui est la notre, à instrumentaliser l’entrée au Panthéon pour soigner politiquement les différentes clientèles. De ce point de vue, on peut avoir les plus grandes inquiétudes sur la procédure lancée par François Hollande pour déterminer le nom du prochain heureux élu. Fidèle à sa logique consensuelle, le président a lancé en effet une « démarche participative » dont on peut prendre connaissance sur un site internet dédié (consultable ici).
La démarche est un peu surprenante. Elle pourrait être résumé schématiquement de la manière suivante : « citoyens, je voudrais rendre hommage à quelqu’un mais je ne sais pas trop à qui, pourriez-vous m’aider à trouver un nom ? ». Les présidents successifs ont généralement choisi de rendre hommage à des personnalités choisies en fonction d’un message politique qu’ils avaient choisi de transmettre. Pas Hollande, qui nous fait encore une fois le coup de « mes idées ? Mais ce sont les vôtres… ». On devrait commencer à être habitués.
Mais ce qui est plus inquiétant, c’est la forme de l’enquête. Ainsi, avant de pouvoir proposer deux noms à la panthéonisation, l’internaute se voit poser cette question : « Selon vous, quelle devrait être la principale qualité de la prochaine personne honorée au Panthéon ? ». Question à laquelle, plusieurs réponses sont proposées, qui valent leur pesant en cacahuètes tant par leur contenu que par l’ordre dans lequel elles sont données :
1- L’engagement humanitaire
2- L’action politique
3- L’engagement pour la paix
4- L’exploit sportif
5- La défense de l’environnement
6- L’engagement pour la liberté
7- Les découvertes scientifiques
8- L’engagement pour l’égalité
9- Le talent artistique
10- L’engagement pour la fraternité
Heureusement, un item « Autre » est aussi proposé pour ceux qui ne se reconnaîtraient pas dans cette étrange liste. Mais tout de même… passons sur la syntaxe pataphysique de la question – depuis quand « l’action politique » ou « les découvertes scientifiques » sont des « qualités » ? – pour nous concentrer sur le fonds. Et le fonds est que cette liste semble transformer la panthéonisation en une sorte de « prix d’excellence » sectoriel, qui récompenserait le « talent artistique », « l’exploit sportif » ou toutes sortes « d’engagements ». Une sorte de coupe du Monde, de prix Nobel et de la Palme d’Or du festival de Cannes à la fois. Or le Panthéon, ce n’est pas fait pour ça. Il n’est pas là pour récompenser les talents, fussent-ils exceptionnels, ou les engagements, fussent-ils extraordinaires, mais pour reconnaître ceux qui ont rendu un service exceptionnel à leur Patrie, c'est-à-dire, qui ont mis leurs engagements, leurs ouvrages artistiques, scientifiques et pourquoi pas sportifs au service de la Nation. Celui qui sauve son prochain en plongeant dans un canal mérite la médaille du sauvetage, celui qui donne son manteau à un pauvre la promesse du paradis, mais il serait ridicule de faire entrer l’un et l’autre au Panthéon. Pour entrer au Panthéon, il ne suffit pas d’avoir été excellent dans son domaine, encore faut-il avoir mis ces qualités exceptionnelles au service de son pays. Marie Curie méritait d’entrer au Panthéon non pas parce qu’elle a découvert le Radium – réussite scientifique qui lui avait valu le Prix Nobel, qui est là pour ça – mais parce qu’elle a œuvré toute sa vie et de manière désintéressée pour mettre cette découverte au service de tous. Jean Moulin y est entré non pas « pour son action politique » ou pour « son engagement en faveur » de telle ou telle chose. Il y est entré parce qu’il a mis de manière désintéressée cet engagement et même sa vie au service de son pays. Et si j’insiste sur le mot « désintéressé », c’est parce que ceux qui réussissent en faisant quelque chose qui leur rapporte beaucoup d'argent sont suffisamment récompensés par cette réussite sans qu’il soit besoin de leur rendre un quelconque hommage. Bill Gates ne mérite pas de rentrer au Panthéon pour avoir mis ses inventions au service de tous moyennant finance. Le fait de payer mon Windows me dispense de tout hommage par la suite.
Le Panthéon est le monument qui nous rappelle que si l’on peut faire des choses pour soi même, pour sa famille, pour son club de foot, pour son association de protection des éclopés ou pour sa commune, on peut aussi faire des choses pour sa Patrie. Y faire rentrer des personnalités qui ont fait ce geste est une manière de maintenir vivante l’idée qu’il y a un dévouement suprême à consacrer sa vie et ses œuvres au service de gens que vous ne connaissez pas, que vous n’avez une chance minime de connaître, qui ne vous remercieront peut-être jamais – ou alors posthumément – et qui dans beaucoup de cas ne sauront même pas que vous existez.
En lisant cette liste de « qualités », on se dit que le prochain panthéonisé a des grandes chances de se ressembler à l’Abbé Pierre, à Dalida, à Zidane, à Olympe de Gouges ou au commandant Cousteau. Pauvre France…
Descartes
cher Descartes,
soyez tranquille, vous savez qui va rentrer au Panthéon: ce sera une femme :))! C’est écrit…
Chirac y a fait rentrer Alexandre Dumas non parce qu’il était l’auteur du "Comte de Monte-Cristo" ou "des Trois Mousquetaires", mais parce qu’il était métis! Autre exemple avec Mitterrand et Jean Monnet, ce traître, ce vendu, y est également enterré alors qu’il détestait profondément la France! On a retiré les cendres d’Octave de Mirabeau pour infiniment moins que les trahisons de l’Inspirateur…
Hollande ayant fait preuve jusqu’ici d’une inculture crasse, c’est donc le lobby victimaire féministe, qui a crié le plus fort, qui va remporter le morceau. Et là, on réfléchit deux secondes pour savoir qui va y rentrer. La favorite semble être Olympe de Gouges, personnage oublié avant le début des années 80, qui a eu l’insigne honneur d’être exécutée sous le régime de la Terreur pour un libelle contre Robespierre et le comité de Salut Public. Jusqu’à preuve du contraire, je ne sais pas ce que cette femme a pu apporter à la patrie reconnaissance, sachant que ses revendications féministes concernaient bien plus sa catégorie sociale bourgeoise que les classes populaires. En gros, j’ai un mal de chien à distinguer en quoi sa démarche était désintéressée…
D’une façon générale, les féministes agissent dans cette histoire comme si les hommes avaient délibérément occulter le rôle des femmes dans l’histoire, alors que trivialement, le rôle des femmes dans la société était essentiellement cantonné à la maison! Dès lors, comme tous les lobbies victimaires, elles commettent un péché d’anachronisme, en oubliant le rôle essentiel de la guerre dans l’histoire de l’humanité, et le rôle de perpétuation de l’espèce assigné par la nature aux femmes. Ayant quitté la société de subsistance à la fin du 19è siècle, les femmes ont pu avoir un rôle plus important dans l’histoire, mais pas autant que les féministes veulent le faire accroire…
A titre personnel, je ne vois pas de femme qui pourrait y rentrer, sauf une Lucie Aubrac ou moins consensuel, une Louise Michel.
Mais honnêtement, ces revendication de reconnaissance me fatiguent, car elles ne permettent pas de soulager la conscience des groupes de pressions qui les demandent, car on n’en fera jamais assez…
@CVT
[A titre personnel, je ne vois pas de femme qui pourrait y rentrer, sauf une Lucie Aubrac ou moins consensuel, une Louise Michel.]
Cela pourrait être une femme résistante. Moi j’aurais bien vu Marie-Claude Vaillant-Couturier, mais elle a l’immense défaut d’être communiste, et la tendance actuelle est de faire comme si la résistance communiste n’avait jamais existé. Cela laisse Lucie Aubrac… pourquoi pas après tout. Elle a bien mérité de la Patrie. Mais étant donné le sectarisme des féministes de nos jours, je pense qu’on risque plutôt de choisir Marthe Richard.
Personnellement, j’ai envie de faire campagne pour que le prochain « panthéonisé » soit Denis Diderot…
[Mais étant donné le sectarisme des féministes de nos jours, je pense qu’on risque plutôt de choisir Marthe Richard]
Pourquoi, au juste? Parce qu’elle a fait fermer les maisons closes? Son action n’était pas vraiment désintéressée à deux égards: d’une part, c’était une ancienne prostituée, et son action aurait pu se comprendre. Mais c’est surtout le prétexte qui me laisse perplexe: Alsacienne et anti-allemande, elle entendait surtout faire payer les professionnelles qui pratiquaient la "collaboration horizontale". En version féminine, c’est un peu la suite des procès faits durant l’Epuration aux femmes tondues pour avoir fricoté d’un peu trop près avec les occupants allemands…
Enfin, est-ce que la fin des maisons de tolérance a résolu la lancinante question de l’"oppression des femmes par les hommes" (en ces temps de politically correct, j’aime toujours citer le fameux aphorisme de Paul Claudel: "la tolérance? Mais il y a des maisons pour cela"…)? Bien sûr que non, puisque la ministre Vallaud-Belkacem nous bassine nuit et jour avec l’abolition de la prostitution… C’est bien ce qui me fait enrager à chaque fois: ça ne sera jamais assez!
[Personnellement, j’ai envie de faire campagne pour que le prochain « panthéonisé » soit Denis Diderot…]
J’ignore pour quel raison l’encyclopédiste Diderot n’est pas au Panthéon comme Voltaire et Rousseau: si vous avez des explications, je serais curieux de les connaître… Dans une "Grande France", cet oubli aurait été réparé depuis longtemps, je pense, mais pas dans la "Petite France" petit-bourgeoise et inculte du XXIè siècle…
[Autre exemple avec Mitterrand et Jean Monnet, ce traître, ce vendu, y est également enterré alors qu’il détestait profondément la France!]
Je suis le seul à moyennement apprécier le "Monnet bashing" ?
Je reconnais sans problème ses erreurs de jugements sur la France, sur son fédéralisme etc., mais est-ce que c’est nécessaire de le traîner dans la boue en le traitant de traître, d’agent de la CIA ou de je ne sais pas quoi ? Monnet, comme de Gaulle, a eu la bonne intuition en 1940, je suis pas sûr que beaucoup de ses contemporains peuvent se vanter de ça… Après guerre, c’est Monnet qui a réussi à imposer les vues françaises sur l’utilisation de l’argent du plan Marshall en France. Bien sûr, Monnet s’est beaucoup trompé et personnellement je ne l’aurais pas mis au Panthéon. De ce que je sais sur Monnet, son problème n’a pas tant été de ne pas aimer la France, mais plutôt de construire ses raisonnements sur des prémisses fausses. Voilà, ce Monnet bashing assez courant chez les eurosceptiques m’exaspère un peu.
@CVT
[J’ignore pour quel raison l’encyclopédiste Diderot n’est pas au Panthéon comme Voltaire et Rousseau: si vous avez des explications, je serais curieux de les connaître… ]
J’avoue que je n’en sais rien. Peut-être est-ce parce que l’église St Roch ou se trouvait sa tombe vit ses sépultures profanées pendant la Révolution et les corps jetés dans une fosse commune, ce qui fait qu’il n’y a pas véritablement de "cendres" à faire rentrer au Panthéon. Peut-être est-ce parce que son oeuvre était jugée trop anticonformiste même par la République (ses œuvres ont été périodiquement censurées pendant tout le XIXème siècle)… quoi qu’il en soit, je trouverais normal qu’on répare aujourd’hui cette injustice!
@stu
[Je reconnais sans problème ses erreurs de jugements sur la France, sur son fédéralisme etc., mais est-ce que c’est nécessaire de le traîner dans la boue en le traitant de traître, d’agent de la CIA ou de je ne sais pas quoi ?]
C’est tout à fait nécessaire. Les eurolâtres ont fait de Monnet une sorte de saint laïque. Il n’est pas inutile de rappeler qui était véritablement ce "marchand de Cognac agent des américains" (De Gaulle dixit).
[Monnet, comme de Gaulle, a eu la bonne intuition en 1940, je suis pas sûr que beaucoup de ses contemporains peuvent se vanter de ça…]
Ils ont eu la même intuition, celle d’une guerre mondiale et non purement européenne. Mais ils en tirèrent des conclusions opposées: De Gaulle fonda la "France Libre" afin de préserver la fiction d’une souveraineté française et constituer les éléments qui permettraient à la France de s’asseoir à la table des vainqueurs. Monnet, au contraire, a cherché à contrer la constitution de la "France Libre", son projet étant plutôt de jouer à fond la carte d’un traité d’union franco-britannique. Il sera pendant la guerre d’abord un agent britannique envoyé par le gouvernement de Sa Majesté pour négocier l’achat d’armes américaines, puis un agent américain envoyé par Roosevelt à Alger avec l’objectif d’aider Giraud à devenir le seul représentant légitime du peuple français et contrer ainsi la France Libre de De Gaulle. Voici ce qu’il écrit alors à Harry Hopkins, proche conseiller du président américain: « Il faut se résoudre à conclure que l’entente est impossible avec lui [De Gaulle] ; qu’il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu’il est un ennemi de la construction européenne, qu’en conséquence il doit être détruit (sic) dans l’intérêt des Français. ». Faut-il continuer ?
[Après guerre, c’est Monnet qui a réussi à imposer les vues françaises sur l’utilisation de l’argent du plan Marshall en France.]
C’est là encore une légende. Monnet a bien négocié des crédits américains, mais n’aura aucun rôle dans le Plan Marshall.
[Bien sûr, Monnet s’est beaucoup trompé]
Je ne vois pas très bien à quelles erreurs vous faites référence. Monnet a défendu toute sa vie avec grand talent et constance les intérêts des grands capitaux internationaux, c’est tout. Ce que vous appelez des "erreurs" n’en sont pas vraiment…
[De ce que je sais sur Monnet, son problème n’a pas tant été de ne pas aimer la France, mais plutôt de construire ses raisonnements sur des prémisses fausses.]
J’aimerais bien que vous m’indiquiez un geste de Monnet montrant qu’il "aimait la France". Toute sa vie, il a cherché au contraire à dissoudre la France, d’abord dans une improbable union franco-britannique, puis dans l’Europe. Pendant la deuxième guerre mondiale, il a refusé tout contact avec la France Libre, devenant d’abord agent britannique puis agent américain. Est-ce cela que vous appelez "aimer la France" ? Moi, pas.
[Voilà, ce Monnet bashing assez courant chez les eurosceptiques m’exaspère un peu.]
Il faut les comprendre: à force de voir sanctifier en permanence pareil salaud…
@ Descartes :
[Ils ont eu la même intuition, celle d’une guerre mondiale et non purement européenne. Mais ils en tirèrent des conclusions opposées: De Gaulle fonda la "France Libre" afin de préserver la fiction d’une souveraineté française et constituer les éléments qui permettraient à la France de s’asseoir à la table des vainqueurs. Monnet, au contraire, a cherché à contrer la constitution de la "France Libre", son projet étant plutôt de jouer à fond la carte d’un traité d’union franco-britannique.]
C’est facile aujourd’hui de dire que c’était de Gaulle qu’il fallait suivre à l’époque et que ne pas le suivre c’était ne pas aimer la France. Sur le projet complètement fou d’union franco-britannique même de Gaulle s’y était laissé prendre un temps en le soutenant sans succès. D’ailleurs si on se mettait à l’histoire fiction, est-ce que la France n’y aurait pas gagné sachant qu’in fine après la guerre une telle union aurait été rompue ? Est-ce que l’union totale des deux empires n’aurait pas été plus efficace pour repousser l’ennemi ?
[Voici ce qu’il écrit alors à Harry Hopkins, proche conseiller du président américain: « Il faut se résoudre à conclure que l’entente est impossible avec lui [De Gaulle] ; qu’il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu’il est un ennemi de la construction européenne, qu’en conséquence il doit être détruit (sic) dans l’intérêt des Français. ». Faut-il continuer ?]
Cette citation prouve justement mon point qui est de dire qu’il s’est trompé sur de Gaulle et sur tout un tas de choses, mais qu’il gardait l’intérêt de la France en ligne de mire.
[C’est là encore une légende. Monnet a bien négocié des crédits américains, mais n’aura aucun rôle dans le Plan Marshall.]
J’ai parlé de son rôle dans l’utilisation des fonds pour une planification à la française. C’est ce que soutient Irwin Wall dans son article "Jean Monnet, les États-Unis et le plan français" (http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1991_num_30_1_2371) aux pages 13 et 14 :
"En 1951, Benoit Frachon dénonçait violemment en Jean Monnet "le plus américain des Américains français". En fait, comme le PCF l’avait admis naguère, l’ambition du plan Monnet avait été au contraire d’asseoir les bases d’une France puissante et indépendante, et Monnet réussit à plier à cette fin le plan Marshall lui-même. C’est ce qu’il dit très clairement dans une lettre adressée à Bidault en avril 1948, à l’occasion de la signature de l’accord bilatéral avec les États-Unis sur le plan Marshall : "Nous allons dans une grande mesure dépendre de ce pays tant pour le maintien de notre vie économique que pour notre sécurité nationale. Cette situation ne peut pas être maintenue sans grand danger. Nous sommes aujourd’hui "l’enjeu". Il nous faut rapidement transformer cette situation en situation d’indépendance et de collaboration." […] Le secrétaire d’Etat americain au Tresor, John Snyder, aurait voulu que son gouvernement ne cède pas aux demandes françaises. Mais Jean Monnet avait l’oreille de quelques personnages clefs du cote américain, comme David Bruce et William Tomlinson, respectivement chef de la Mission du plan en France et représentant a Paris du Tresor americain. Grace a quoi Paris réussit donc a faire prévaloir son point de vue sur cette question cruciale."
[Je ne vois pas très bien à quelles erreurs vous faites référence. Monnet a défendu toute sa vie avec grand talent et constance les intérêts des grands capitaux internationaux, c’est tout. Ce que vous appelez des "erreurs" n’en sont pas vraiment…]
Pour ses erreurs, je ferais référence au livre de Chevènement "La faute de M. Monnet" où il soutient que Monnet croyait que le fédéralisme était la seule solution, que la France était trop petite etc., avec notamment cette anecdote :
"On comprend que lors de la dernière visite qu’il ait rendue, peu avant sa mort en 1977, à Valéry Giscard d’Estaing, au palais de l’Élysée, Jean Monnet, ayant déjà pris congé, soit revenu sur ses pas pour confier à son hôte : « Je suis revenu parce qu’il y a une chose que j’avais oubliée et que je tenais à vous dire. J’ai vu, à votre façon d’agir, que vous avez compris l’essentiel. » « Il se tait un moment, raconte Giscard d’Estaing, comme pour concentrer sa pensée. Je suis surpris. J’attends : “Oui, j’ai vu que vous aviez compris que la France était désormais trop petite pour pouvoir résoudre seule ses problèmes”. » Giscard poursuit : « Il se retourne, ouvre lui-même la porte et s’en va. » Cette ultime confidence n’était-elle pas l’idée maîtresse qui toute sa vie avait guidé Jean Monnet ?
Cette théorisation de l’impuissance nationale qu’il a réussi à inscrire dans les institutions n’est-elle pas aussi son péché capital ?"
[J’aimerais bien que vous m’indiquiez un geste de Monnet montrant qu’il "aimait la France".]
Par exemple la lettre à laquelle Irwin Wall fait référence que j’ai cité plus haut.
@ Descartes :
[C’est facile aujourd’hui de dire que c’était de Gaulle qu’il fallait suivre à l’époque et que ne pas le suivre c’était ne pas aimer la France.]
La question de savoir si tel ou tel personnage « aimait la France » n’a à mon sens aucun intérêt. Je suis persuadé que Doriot, pour ne donner qu’un exemple, aimait profondément la France. Et de la même manière, je veut bien croire que Monnet aimait la France. Le problème, c’est ce que veut exactement dire « aimer la France ». Doriot voyait l’avenir de la France dans un régime fasciste et une soumission à l’Europe allemande. Monnet le voyait dans un régime oligarchique et la soumission à l’Europe américaine.
[D’ailleurs si on se mettait à l’histoire fiction, est-ce que la France n’y aurait pas gagné sachant qu’in fine après la guerre une telle union aurait été rompue ? Est-ce que l’union totale des deux empires n’aurait pas été plus efficace pour repousser l’ennemi ?]
Faisons de la politique fiction : imaginons cette « union » rompue, alors que l’Angleterre a un gouvernement, une armée, une flotte, et l’appui inconditionnel des Etats-Unis… à votre avis, dans ce divorce, qui aurait gardé la maison, les enfants et le compte en banque ?
[Cette citation prouve justement mon point qui est de dire qu’il s’est trompé sur de Gaulle et sur tout un tas de choses, mais qu’il gardait l’intérêt de la France en ligne de mire.]
Vous êtes bien indulgent. Cette lettre n’exprime pas seulement un jugement sur De Gaulle, il appelle à sa « destruction », et cet appel est adressé à une puissance étrangère. Cela va largement au-delà d’une simple « erreur ». Par ailleurs, je vous rappelle que lorsqu’il écrit cette lettre, Monnet est l’envoyé du gouvernement américain. Pensez-vous que le gouvernement des Etats-Unis ait envoyé quelqu’un pour « garder l’intérêt de la France en ligne de mire » ? Bien sur que non. Monnet n’était pas un enfant de cœur, et savait parfaitement qui était Giraud et pourquoi les américains l’appuyaient.
[J’ai parlé de son rôle dans l’utilisation des fonds pour une planification à la française. C’est ce que soutient Irwin Wall dans son article "Jean Monnet, les États-Unis et le plan français" (http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1991_num_30_1_2371) aux pages 13 et 14 :]
Je passe sur le côté hagiographique de l’article, qui est en fait une ode au personnage. Je ne conteste pas que Monnet a utilisé tout son poids à Washington pour pouvoir utiliser les crédits du plan Marshall dans le sens de son plan, le « plan Monnet » (et non d’une « planification à la française »). La question se pose de savoir jusqu’à quel point cette attitude était guidée par son « amour de la France », et jusqu’à quel point cela tenait au fait que le « plan Monnet » était dans l’intérêt des grands intérêts financiers avec lesquels il avait partie liée…
[Pour ses erreurs, je ferais référence au livre de Chevènement "La faute de M. Monnet" où il soutient que Monnet croyait que le fédéralisme était la seule solution, que la France était trop petite etc., avec notamment cette anecdote :]
Chevènement est trop bon en postulant un Monnet qui se trompe. Je pense au contraire que Monnet avait tout à fait raison : la France est « trop petite »… pour les intérêts que Monnet entendait défendre, ceux des grands capitaux multinationaux.
[“Oui, j’ai vu que vous aviez compris que la France était désormais trop petite pour pouvoir résoudre seule ses problèmes”. » Giscard poursuit : « Il se retourne, ouvre lui-même la porte et s’en va. » Cette ultime confidence n’était-elle pas l’idée maîtresse qui toute sa vie avait guidé Jean Monnet ? Cette théorisation de l’impuissance nationale qu’il a réussi à inscrire dans les institutions n’est-elle pas aussi son péché capital ?"]
Mais quels étaient ces « problèmes » que la France était « trop petite pour résoudre » selon Monnet ? La voilà, la véritable question… était-ce le chômage ? les inégalités sociales ? ou était-ce plutôt la faible rentabilité des capitaux ? Je pense que Chevènement se trompe lorsqu’il suppose que Monnet y croyait vraiment au « discours de l’impuissance nationale » qui servait de justification au projet euro-libéral. Monnet était l’homme de certains intérêts, et il a construit le discours qui permettait de les faire avancer. Je ne crois pas un instant à sa sincérité.
@ Descartes
[La question de savoir si tel ou tel personnage « aimait la France » n’a à mon sens aucun intérêt.]
Je ne faisais que répondre à CVT qui soutenait que Monnet détestait la France. La question avait assez d’intérêt pour que tu la poses ! En te fournissant un exemple, la question devient à tes yeux sans intérêt, étrange ! Pour Doriot, je ferais le même raisonnement que pour Monnet. Je dirais qu’il l’aimait, mais que ses prémisses étaient fausses et donc qu’il se trompait sur ce qui était bon pour la France.
[Faisons de la politique fiction : imaginons cette « union » rompue, alors que l’Angleterre a un gouvernement, une armée, une flotte, et l’appui inconditionnel des Etats-Unis… à votre avis, dans ce divorce, qui aurait gardé la maison, les enfants et le compte en banque ?]
Quelle maison ? Une telle fusion purement technocratique n’aurait pas changé grand chose sur le terrain, même si Monnet y croyait (sur ce point Churchill et de Gaulle n’avaient aucune illusion sur la fusion et c’était surtout une manœuvre tactique pour empêcher la capitulation française). Quels enfants ? Il y aurait toujours eu des français et des anglais, les peuples ne fusionnent pas en signant un bout de papier. Quand au compte en banque, ce qui aurait été dépensé en commun aurait été réparti, mais pour le reste chaque empire aurait retrouvé son compte en banque. Tu insinues que l’union, qui ne durerait que le temps de la guerre, aboutirait à l’anéantissement de l’empire français. Je suis pas sûr de bien saisir l’enchaînement causal.
[Vous êtes bien indulgent. Cette lettre n’exprime pas seulement un jugement sur De Gaulle, il appelle à sa « destruction », et cet appel est adressé à une puissance étrangère. Cela va largement au-delà d’une simple « erreur ». Par ailleurs, je vous rappelle que lorsqu’il écrit cette lettre, Monnet est l’envoyé du gouvernement américain. Pensez-vous que le gouvernement des Etats-Unis ait envoyé quelqu’un pour « garder l’intérêt de la France en ligne de mire » ? Bien sur que non. Monnet n’était pas un enfant de cœur, et savait parfaitement qui était Giraud et pourquoi les américains l’appuyaient.]
Dans une lettre écrite à la même époque, il compare de Gaulle à Hitler. Si on accepte la prémisse que "de Gaulle = Hitler", est-ce que pour le bien de la France il ne faut pas le détruire ?
[Je passe sur le côté hagiographique de l’article, qui est en fait une ode au personnage. Je ne conteste pas que Monnet a utilisé tout son poids à Washington pour pouvoir utiliser les crédits du plan Marshall dans le sens de son plan, le « plan Monnet » (et non d’une « planification à la française »)]
Ne pas rattacher le plan Monnet à la planification à la française me semble assez bizarre. Il y a beaucoup de publications qui font le lien entre les deux. Cette liste en regroupe quelques unes : http://scholar.google.fr/scholar?q=%22+la+planification+%C3%A0+la+fran%C3%A7aise%22+monnet&btnG=&hl=fr&as_sdt=0%2C5
[La question se pose de savoir jusqu’à quel point cette attitude était guidée par son « amour de la France », et jusqu’à quel point cela tenait au fait que le « plan Monnet » était dans l’intérêt des grands intérêts financiers avec lesquels il avait partie liée…]
Je ne connais pas bien le plan Monnet, à quoi fais-tu référence exactement ? Comment concilies-tu ta vision du plan Monnet avec cette phrase de l’article d’Irwin Wall : "En fait, comme le PCF l’avait admis naguère, l’ambition du plan Monnet avait été au contraire d’asseoir les bases d’une France puissante et indépendante, et Monnet réussit à plier à cette fin le plan Marshall lui-même". L’auteur ne source malheuresement pas la phrase donc j’ai pas pu vérifier, mais ça me semble contradictoire avec le portrait du plan Monnet que tu dépeins.
[Je ne crois pas un instant à sa sincérité.]
Si j’applique le principe de parcimonie avec les quelques éléments que j’ai, je déduis qu’il était sincère. Maintenant, c’est peut-être faux, mais j’aimerais bien savoir sur quels éléments de preuve tu te fondes. S’il était si insincère que cela, il doit bien y avoir des traces dans toute sa correspondance, non ?
@stu
[La question avait assez d’intérêt pour que tu la poses ! En te fournissant un exemple, la question devient à tes yeux sans intérêt, étrange !]
La question que j’ai posé n’était pas si Monnet aimait la France. La question que j’ai posé après que tu aies amené cette histoire d’amour, c’est de donner un exemple qui prouvait cet amour. J’étais curieux de savoir ce qui constituait une « preuve d’amour » pour toi.
[Pour Doriot, je ferais le même raisonnement que pour Monnet. Je dirais qu’il l’aimait, mais que ses prémisses étaient fausses et donc qu’il se trompait sur ce qui était bon pour la France.]
Exact. Et pourtant j’imagine que vous partagez avec moi l’idée que cet « amour » ne constitue pas une circonstance atténuante pour le comportement de Doriot. Et puisque vous m’accordez que le raisonnement est le même pour Monnet…
[Une telle fusion purement technocratique n’aurait pas changé grand chose sur le terrain,]
Bien sur que si. La France n’aurait plus eu de gouvernement, puisque le gouvernement à Westminster serait devenu le véritable gouvernement de l’Union. Le pôle d’identification qu’était la France Libre n’aurait pas existé, les résistants français auraient été priés de s’identifier avec Churchill et le gouvernement de Sa Majesté. Pensez-vous vraiement qu’une fois la guerre finie il aurait été facile de dire « et maintenant, merci beaucoup, on va constituer notre propre gouvernement, rendez nous nos colonies et on se sépare » ? Vous rêvez… il s’en est fallu de très peu que la France libérée soit mise sous administration américaine, et si on a évité ce triste sort, c’est parce qu’il y a eu un De Gaulle pour constituer un pôle d’unité et faire du chantage aux américains.
[Dans une lettre écrite à la même époque, il compare de Gaulle à Hitler. Si on accepte la prémisse que "de Gaulle = Hitler", est-ce que pour le bien de la France il ne faut pas le détruire ?]
Oui, mais on n’est pas obligé de croire ce que Monnet écrit. Lorsque Monnet écrit que « De Gaulle=Hitler », le croit-il vraiment ou cherche-t-il à convaincre son interlocuteur pour faire échec à De Gaulle et mettre en selle les giraudistes, beaucoup plus proches des intérêts que Monnet a toujours défendu ? Je trouve que vous excusez un peu facilement Monnet. C’est insulter son intelligence que de penser qu’il ait pu croire que De Gaulle était un nouveau Hitler. Qu’il ait pu se tromper en 1940, on peut le comprendre. Mais en 1943, il savait très bien quels étaient les intérêts en présence.
Par ailleurs, l’erreur n’est pas une excuse. Doriot était persuadé que le nazisme était le seul rempart contre le bolchevisme, et suivant votre raisonnement il n’a donc agi que pour le bien de la France… ce qui ne l’aurait probablement pas empêché d’être fusillé à la Libération si la résistance ne s’était chargé de lui avant. Pourquoi excuser chez Monnet ce qu’on n’excuse pas chez Doriot ?
[Ne pas rattacher le plan Monnet à la planification à la française me semble assez bizarre.]
On peut le rattacher sans prendre la partie pour le tout.
[Je ne connais pas bien le plan Monnet, à quoi fais-tu référence exactement ?]
Au départ, le plan Monnet contient un important volet de reconstruction industrielle. Ce qui était dans l’intérêt de la Nation, mais aussi dans l’intérêt des grandes dynasties industrielles avec qui Monnet avait partie liée. Il est difficile de dire si Monnet a soutenu ce volet parce que c’était l’intérêt de la Nation, ou parce que c’était l’intérêt de ses amis.
[Comment concilies-tu ta vision du plan Monnet avec cette phrase de l’article d’Irwin Wall : "En fait, comme le PCF l’avait admis naguère, l’ambition du plan Monnet avait été au contraire d’asseoir les bases d’une France puissante et indépendante, et Monnet réussit à plier à cette fin le plan Marshall lui-même". L’auteur ne source malheuresement pas la phrase donc j’ai pas pu vérifier, mais ça me semble contradictoire avec le portrait du plan Monnet que tu dépeins.]
Pas du tout. Comme je l’ai dit plus haut, le plan Monnet avait un volet industriel important qui ne pouvait que plaire au PCF. Ce qui est plus douteux, c’est les motivations de Monnet lorsqu’il a conçu ce volet du plan. Le fait qu’il ait passé le reste de sa vie à contrer l’idée d’une France « puissante et indépendante » laisse penser que ce n’est pas là sa principale motivation.
[Si j’applique le principe de parcimonie avec les quelques éléments que j’ai, je déduis qu’il était sincère. Maintenant, c’est peut-être faux, mais j’aimerais bien savoir sur quels éléments de preuve tu te fondes.]
Je l’ai expliqué plus haut. Lorsque Monnet compare De Gaulle à Hitler, lorsqu’il appelle à « détruire » De Gaulle « pour le bien de la France », on peut se demander comment un homme intelligent et informé comme l’était Monnet pouvait écrire sincèrement de pareilles choses. Par ailleurs, s’il a écrit ces horreurs dans des lettres personnelles adressés à ses mandants américains, il s’est bien gardé de rendre ses opinions publiques ou de les faire connaître aux gaullistes, par exemple. I faut donc conclure que soit il a menti aux américains, soit il a menti aux français…
[S’il était si insincère que cela, il doit bien y avoir des traces dans toute sa correspondance, non ?]
Tout à fait. J’ai pointé quelques éléments plus haut…
@stu,
je maintiens ce que je dis depuis le départ: on a enlevé les cendres (les restes?) de Mirabeau du Panthéon pour bien moins que les trahisons orchestrées par Jean Monnet contre notre pays.
Tout ce que Monnet a fait durant sa carrière, c’est servir les intérêts anglo-saxons contre les intérêts français, et à plusieurs reprises. Dès lors, on ne peut plus parler d’erreur, mais d’acharnement! Si vous appelez de l’amour ce n’est que l’expression de la haine contre la France, alors je n’y comprends plus rien!
Je ne sais pas si c’est une légende, mais cette anecdote me paraît crédible: en novembre 1918, Clemenceau, exaspéré par les manoeuvres de Monnet, a failli l’incorporer de force dans l’armée française, pour l’envoyer au front. Protestant de cette décision, Monnet aurait alors déclaré être un sujet britannique, et non un citoyen français. Le temps d’exécuter cette ordre d’incorporation, l’armistice était décrété le 11 novembre…
@ Descartes
[Bien sur que si. La France n’aurait plus eu de gouvernement, puisque le gouvernement à Westminster serait devenu le véritable gouvernement de l’Union. Le pôle d’identification qu’était la France Libre n’aurait pas existé, les résistants français auraient été priés de s’identifier avec Churchill et le gouvernement de Sa Majesté.]
Tu fais comme si la fusion ne se fait qu’au détriment des français, je ne vois toujours pas l’enchaînement logique. Dans le cas où la fusion aurait eu lieu, alors les français n’auraient pas capitulé. Ce qui fait une grosse différence. Il est question de la fusion des parlements et des gouvernements, il n’y a pas de raison à priori de croire que les français se font avoir. De même, dans ce cas de figure nul besoin de France libre puisque personne n’a capitulé. Si on prend l’exemple du Levant français, je pense qu’avec une telle union l’autorité de la France ne se serait pas dégradée aussi vite là-bas.
"Pourquoi excuser chez Monnet ce qu’on n’excuse pas chez Doriot ?"
Je ne crois pas avoir excusé Monnet ! Je soutiens seulement que c’est exagéré de traiter Monnet de tous les noms.
[Qu’il ait pu se tromper en 1940, on peut le comprendre. Mais en 1943, il savait très bien quels étaient les intérêts en présence.]
[Lorsque Monnet compare De Gaulle à Hitler, lorsqu’il appelle à « détruire » De Gaulle « pour le bien de la France », on peut se demander comment un homme intelligent et informé comme l’était Monnet pouvait écrire sincèrement de pareilles choses.]
C’est juste et ça ne le porte pas très haut dans mon estime. On en revient aux mêmes différences d’analyses : pour moi son anti-gaullisme l’a fourvoyé, pour toi c’était tout à fait conscient de sa part.
[Il est difficile de dire si Monnet a soutenu ce volet parce que c’était l’intérêt de la Nation, ou parce que c’était l’intérêt de ses amis.]
[Ce qui est plus douteux, c’est les motivations de Monnet lorsqu’il a conçu ce volet du plan. Le fait qu’il ait passé le reste de sa vie à contrer l’idée d’une France « puissante et indépendante » laisse penser que ce n’est pas là sa principale motivation.]
Oui, c’est douteux et difficile à dire. Dans ces cas là je préfère la parcimonie à la théorie du complot.
[Tout à fait. J’ai pointé quelques éléments plus haut…]
Dommage que ceux-la ne prouvent pas grand chose…
@ CVT
[Tout ce que Monnet a fait durant sa carrière, c’est servir les intérêts anglo-saxons contre les intérêts français, et à plusieurs reprises]
Non, j’en ai donné au moins un exemple plus haut.
@ stu
[Tu fais comme si la fusion ne se fait qu’au détriment des français,]
En 1940, la France était occupé par une armée étrangère, l’Angleterre était maîtresse de son territoire. A ton avis, lors de la constitution d’un gouvernement « fusionné », où aurait-il siégé, à Paris ou à Londres ? Crois-tu que Churchill aurait donné à des français les ministères clés ? Que le cabinet aurait été paritaire ? Que la Banque d’Angleterre aurait eu une moitié d’administrateurs français ? Tu rêves…
[Dans le cas où la fusion aurait eu lieu, alors les français n’auraient pas capitulé. Ce qui fait une grosse différence.]
Je ne vois pas très bien en quoi l’union aurait empêché un dirigeant français prestigieux de demander l’armistice (car la France n’a pas « capitulé »). Et même si cela n’avait pas eu lieu, le territoire aurait été occupé quand même. La France serait entré dans l’union en position de faiblesse.
[Il est question de la fusion des parlements et des gouvernements, il n’y a pas de raison à priori de croire que les français se font avoir.]
C’est oublier qu’en politique ce sont les rapports de force qui déterminent tout. Croire que les britanniques auraient traité les français sur un pied d’égalité alors que leur territoire était occupé relève à mon avis d’une ingénuité attendrissante…
[Si on prend l’exemple du Levant français, je pense qu’avec une telle union l’autorité de la France ne se serait pas dégradée aussi vite là-bas.]
Parce que tu crois vraiment que les anglais auraient gardé l’empire français au chaud pour pouvoir le rendre après la guerre ? Décidément…
[Je ne crois pas avoir excusé Monnet ! Je soutiens seulement que c’est exagéré de traiter Monnet de tous les noms.]
Je suis d’accord. Monnet a commis suffisamment de crimes pour se faire pendre sans qu’il soit besoin de lui inventer de nouveaux. Il reste qu’il est toujours nécessaire de raconter aux générations qu’on abreuve aujourd’hui de discours faisant de Monnet un saint laïque qui était le véritable Monnet.
[C’est juste et ça ne le porte pas très haut dans mon estime. On en revient aux mêmes différences d’analyses : pour moi son anti-gaullisme l’a fourvoyé, pour toi c’était tout à fait conscient de sa part.]
C’est effectivement notre différence. Je reconnais à Monnet une qualité : une grande intelligence. Pour vous, par contre, c’était un imbécile qui, en 1943, pouvait croire sincèrement que De Gaulle était l’égal de Hitler.
[C’est oublier qu’en politique ce sont les rapports de force qui déterminent tout. Croire que les britanniques auraient traité les français sur un pied d’égalité alors que leur territoire était occupé relève à mon avis d’une ingénuité attendrissante…]
Justement, le rapport de force est-ce qu’il meilleur avec la France libre et Vichy ou bien avec la France unie avec le Royaume-Uni ? La France libre n’a pas empêché les manigances des anglo-saxons au Levant ou à Madagascar. Est-ce qu’avec l’union elle n’aurait pas été plus à même à empêcher ce genre de choses ?
[Parce que tu crois vraiment que les anglais auraient gardé l’empire français au chaud pour pouvoir le rendre après la guerre ? Décidément…]
Décidément, c’est toi qui fais la sourde oreille. Dans le cas où l’union fonctionne, les colonies restent aux mains des français qui les gèrent… Je vois mal les britanniques dans le cadre de l’union dire aux français de dégager de Madagascar pour qu’ils puissent mettre en place une administration britannique.
[C’est effectivement notre différence. Je reconnais à Monnet une qualité : une grande intelligence. Pour vous, par contre, c’était un imbécile qui, en 1943, pouvait croire sincèrement que De Gaulle était l’égal de Hitler.]
Je crois que tu m’as mal lu. Quand je dis "C’est juste et ça ne le porte pas très haut dans mon estime.", je dis que je suis d’accord avec toi sur le fait qu’il n’était pas sincère.
@stu
[Justement, le rapport de force est-ce qu’il meilleur avec la France libre et Vichy ou bien avec la France unie avec le Royaume-Uni ?]
Le rapport de force entre qui et qui ? Je crois que vous n’avez pas compris ma remarque. Au moment de négocier les conditions de « l’union » entre la France et le Royaume-Uni, le Royaume-Uni était en position de force, et la négociation, si elle avait abouti, aurait abouti dans les termes voulus par le Royaume-Uni. C’est pourquoi De Gaulle a eu raison de ne pas entamer ce processus : une des premières règles de la stratégie est de ne pas engager la bataille lorsqu’on se trouve en position d’infériorité.
[La France libre n’a pas empêché les manigances des anglo-saxons au Levant ou à Madagascar. Est-ce qu’avec l’union elle n’aurait pas été plus à même à empêcher ce genre de choses ?]
Non. Avec l’Union, le Levant et Madagascar seraient devenus des territoires de l’Union, gouvernés pendant cinq ans depuis Londres par des gouverneurs délégués par un gouvernement en grande majorité britannique et responsable devant le parlement britannique.. Crois-tu qu’au bout de cinq ans les britanniques nous auraient gentiment rendus ces territoires ?
[Décidément, c’est toi qui fais la sourde oreille. Dans le cas où l’union fonctionne, les colonies restent aux mains des français qui les gèrent…]
De quels « français » ? S’il y a union, c’est le gouvernement de l’union qui siège à Londres qui désigne les gouverneurs des territoires en question, non ? J’ai l’impression que tu as une idée étrange de cette « union » : ce serait une « union » avec deux gouvernements, l’un anglais qui dirige les colonies anglaises, un autre français qu nomme des gouverneurs français dans les colonies françaises…
[Je vois mal les britanniques dans le cadre de l’union dire aux français de dégager de Madagascar pour qu’ils puissent mettre en place une administration britannique.]
Pas besoin. Il leur suffit de mettre en place l’administration de « l’union », ce qui étant donné le rapport de forces implique une administration dirigée par des britanniques…
Comme souvent, entierement d’accord avec vous. L’agrément que j’ai à vous lire est inversement proportionnel à celui que j’ai à échanger avec vous. C’est comme ça. Juste une remarque : le Panthéon n’a pas été "érigé par la République", comme vous l’écrivez ; il a été érigé par le Roi de France (Louis XV, terminé sous Louis XVI) en tant qu’église sainte Geneviève. Il est devenu "temple républicain" en 1791.
[L’agrément que j’ai à vous lire est inversement proportionnel à celui que j’ai à échanger avec vous. C’est comme ça.]
Dans ce cas, vous feriez bien de me lire et vous abstenir de commenter… car que cherchez vous lorsque vous commentez, sinon l’échange ? 😉
[Juste une remarque : le Panthéon n’a pas été "érigé par la République", comme vous l’écrivez ; il a été érigé par le Roi de France (Louis XV, terminé sous Louis XVI) en tant qu’église sainte Geneviève. Il est devenu "temple républicain" en 1791.]
Je persiste. L’église Sainte-Géneviève fut construite sous la monarchie. Mais elle fut "érigée" en "Panthéon français" par la Constituante en 1791. Il est vrai que la République n’avait pas encore été formellement proclamée, mais l’intention y était…
on se dit que le prochain panthéonisé a des grandes chances de se ressembler à l’Abbé Pierre, à Dalida, à Zidane, à Olympe de Gouges ou au commandant Cousteau. Pauvre France…)
Que reprochez vous donc à ces personnages ?
Zidane n’a t il pas participé au rayonnement de la France au delà du monde entier. Dans mes souvenirs, l’image d’un Zidane menant la France sur le toit du monde du football nous a permis de faire valoir notre savoir faire en football dans le monde entier.
Car les exploits scientifiques ou politiques ne valent pas grand chose pour un gosse en Irak. Il se souviendra plus de Zidane que de Cassin. Il en va de même pour l’abbé Pierre, qui est une figure extrêmement respectable, et donc son héritage se doit d’être gardé à jamais. Sa lutte n’a pas été vaine.
Enfin, quant aux critères d’admissions posés par Pépère, je n’en vois pas le probleme. Si Jean Moulin a agit de manière désintéréssé, son acte est constitutif d’une "action politique". Et celle ci a fait l’objet d’un consensus au sein de la patrie.
Mais la division droite gauche qui déchire la France depuis des décennies ne permettra à aucun homme politique d’entrer dans ce mausolée, soyez en sur.
Je note par ailleurs qu’aucun homme politique n’y figure. (Je ne considère pas Jean Moulin comme homme politique. Son action ayant revetit un caractère militaire).
@Jean-Michel Benzema
[« on se dit que le prochain panthéonisé a des grandes chances de se ressembler à l’Abbé Pierre, à Dalida, à Zidane, à Olympe de Gouges ou au commandant Cousteau. Pauvre France…) ». Que reprochez vous donc à ces personnages ?]
Je ne leur reproche rien. Seulement, je ne vois pas ce qu’ils auraient à faire au Panthéon…
[Zidane n’a t il pas participé au rayonnement de la France au delà du monde entier. Dans mes souvenirs, l’image d’un Zidane menant la France sur le toit du monde du football nous a permis de faire valoir notre savoir faire en football dans le monde entier.]
Sur le toit du monde ? Zidane a joué au foot sur l’Himalaya ?
Soyons sérieux… oui, avec son fameux coup de boule en finale, Zidane a vraiment fait beaucoup pour le rayonnement de la France. Mais je ne dirais pas que cela mérite le Panthéon.
[Car les exploits scientifiques ou politiques ne valent pas grand chose pour un gosse en Irak. Il se souviendra plus de Zidane que de Cassin.]
Seulement parce que quelques « exploits scientifiques », et non des moindres, lui ont permis de regarder Zidane à la télé. Peut-être ce sont les auteurs de ces « exploits » qui mériteraient la panthéonisation. Cela étant dit, si le critère de panthéonisation est la mémoire d’un gosse en Irak, George Bush arrive certainement bien avant Zidane…
[Il en va de même pour l’abbé Pierre, qui est une figure extrêmement respectable, et donc son héritage se doit d’être gardé à jamais.]
On n’a pas besoin de le panthéoniser pour garder son héritage. Le Panthéon n’est pas une étude de notaire. C’est un monument destiné à rendre hommage à ceux qui ont fait quelque chose pour la Patrie.
[Sa lutte n’a pas été vaine.]
C’est vrai. Sa lutte a servi a donner bonne conscience à trois générations de petits-bourgeois qui grâce à lui on pu consommer avec la conscience tranquille.
[Mais la division droite gauche qui déchire la France depuis des décennies ne permettra à aucun homme politique d’entrer dans ce mausolée, soyez en sur. Je note par ailleurs qu’aucun homme politique n’y figure.]
Et Jean Monnet, c’est quoi ? Un artiste ? Un scientifique ?
Par ailleurs, je m’étonne fortement du fait que les commentaires doivent passer outre modération. Surprenant , sur un blog qui prétend être fatigué du po correct et de la bien-pensance de la gauche.
Ah bah ca alors !
Amicalement votre,
monsieur Jean-Michel Benzema.
@Jean Michel Benzema
[Par ailleurs, je m’étonne fortement du fait que les commentaires doivent passer outre modération. Surprenant , sur un blog qui prétend être fatigué du po correct et de la bien-pensance de la gauche.]
Les règles sont simples: sur ce blog, on peut parler de tout, à condition de respecter deux principes: le premier, c’est de respecter la loi, qui je vous rappelle interdit l’incitation à la haine raciale, la diffamation, l’injure publique. Le second, c’est de garder aux échanges un ton compatible avec un débat entre personnes civilisées. La modération n’est là que pour s’assurer que ces règles sont respectées.
Je vous accorde que dans un monde idéal, les gens respecteraient spontanément ces règles et les modérateurs seraient au chômage. Seulement, l’expérience m’a enseigné que nous ne vivons pas dans un monde idéal, et que les blogs et forums sans modérations deviennent rapidement des dépotoirs à injures. Ce blog n’est peut-être pas d’un très bon niveau, mais je crois que la plupart des lecteurs apprécient l’ambiance qui y règne et la possibilité d’avoir des débats quelquefois vifs, mais toujours civilisés. C’est pourquoi je n’ai pas l’intention de changer les règles de modération.
Hélas vous avez raison notre monde n’est pas idéal ! dommage parfois que votre temps disponible ne vous permette pas une plus grande réactivité pour "valider" les commentaires, mais c’est le prix à payer.
A ce propos où est celui, bien anodin que j’avais posté sur ce sujet ?
[ce blog n’est peut-être pas d’un très bon niveau]
Quoi? Ah ben, je me demande alors vraiment à quoi peut ressembler un blog d’un bon niveau! On échappe ici aux litanies d’injures si fréquentes ailleurs, et le néophyte comme l’érudit y est le bienvenu, sans mépris ni ostracisme. Que réclamer de plus?
Mais ma question est la suivante: pourquoi Diderot? En quoi l’oeuvre de Diderot est-elle un service exceptionnel rendu à la patrie, selon toi?
[Mais ma question est la suivante: pourquoi Diderot? En quoi l’oeuvre de Diderot est-elle un service exceptionnel rendu à la patrie, selon toi?]
La réponse entre dans un mot: l’Encyclopédie. Le rayonnement de cet ouvrage fut immense, en France mais aussi à l’étranger. Il y a quelques années j’ai eu l’occasion de visiter avec un ami le directeur de la Bibliothèque Nationale de l’Argentine. Lorsque le directeur a appris que j’étais français, il m’amena au "saint des saints" de la bibliothèque, et là dans un coffre avec les ouvrages les plus précieux se trouvait… un exemplaire original de l’Encyclopédie !
Dans beaucoup de pays du monde, la France est le pays de Descartes et de l’Encyclopédie…
@gérard couvert
Comme vous l’avez remarqué, mon temps disponible se réduit en ce moment comme peau de chagrin… et du coup le rythme du blog s’en ressent. J’en suis désolé, mais comme vous dites, c’est le prix à payer. Par ailleurs, j’ai publié maintenant tous vous commentaires… et si par hasard je me trouvais un jour en situation de censurer l’une de vos réponses, je prendrai de toute manière contact avec vous pour vous expliquer pourquoi. J’essaye de le faire systématiquement, sauf quand il s’agit de messages publicitaires ou de dingues.
>Comme vous l’avez remarqué, mon temps disponible se réduit en ce moment comme peau de chagrin… et du coup le rythme du blog s’en ressent.<
C’est pour moi un quasi-drame, sache-le, camarade. Ton blog est un peu une bouffée d’air frais après la pratique du Parti, à égalité avec mes matins de week-end, où je suis inévitablement en diffusion ; après les interminables "conférences fédérales" faites d’instituteurs retraités à demi-dépressifs ; après avoir toléré l’ingérence de certains permanents, qui ne sont que des militants salariés promouvant La Ligne…
Mais il serait bien déplacé et malpoli d’en demander plus. C’est pourquoi j’honore là une tradition vieille comme le militantisme communiste : je prends mon mal en patience !
Mais peut-on considérer que Diderot a réalisé (avec d’autres, bien qu’il ait clairement été le plus impliqué) l’Encyclopédie pour "rendre service à la Patrie" et de manière purement désintéressée? Je me fais un peu l’avocat du Diable (et je précise que je ne suis pas hostile à Denis), mais ne s’agissait-il pas essentiellement d’éclairer la bonne bourgeoisie cultivée, celle qui investissait son capital dans la traite négrière par exemple? Diderot a défié l’Etat français de l’époque, qui certes était la monarchie absolue de Louis XV, un système critiquable à bien des égards, mais si l’on admet une certaine continuité de la France autour de l’idée d’Etat, j’avoue avoir un peu de mal à applaudir des gens dont le rôle est finalement un peu ambigu à l’égard de la Patrie. La France à l’époque, c’est le roi.
Très franchement, je ne vois pas ce que Voltaire fait au Panthéon. Voilà un homme qui s’est plus soucié de lui-même, de sa réputation, que de la Patrie. Il a violemment attaqué la monarchie de Louis XV… mais a soupé avec Frédéric II qui l’a ensuite humilié plus que le roi de France. Et Voltaire a déjà cette détestable habitude de nos élites de trouver que c’est toujours mieux sous d’autres cieux, en Angleterre (ennemi de la France en ce temps) ou en Prusse. Quant à Diderot, c’est Catherine de Russie qui l’accueille. Attaquer la monarchie absolue en France et dîner avec l’autocrate de toutes les Russies, cela me paraît un peu contradictoire.
Je suis un peu partagé sur le parti philosophique du XVIII° siècle, et ne suis pas convaincu que travailler à la grandeur de la France ait nécessairement fait partie de leurs objectifs. Je trouve justement que le manque de patriotisme est une des faiblesses de Voltaire et Diderot (Rousseau est un cas à part, originaire de Genève, la France n’est donc pas sa patrie).
@Bolchokek
[C’est pour moi un quasi-drame, sache-le, camarade. Ton blog est un peu une bouffée d’air frais]
C’est très gentil… même si c’est une manière de me mettre la pression !
[…après la pratique du Parti, à égalité avec mes matins de week-end, où je suis inévitablement en diffusion ; après les interminables "conférences fédérales" faites d’instituteurs retraités à demi-dépressifs ]
gnark gnark ;-))
@ nationalistejacobin
[Mais peut-on considérer que Diderot a réalisé (avec d’autres, bien qu’il ait clairement été le plus impliqué) l’Encyclopédie pour "rendre service à la Patrie" et de manière purement désintéressée?]
Je le crois, oui. Bien sûr, il faut éviter l’anachronisme et on ne peut pas parler de la « Patrie » au XVIIIème siècle comme on en parlera après que la Révolution et l’Empire aient donné au concept de Nation une armature politique et juridique. Mais je pense que Diderot reste un grand exemple de l’universalisme des Lumières qui, tout universel qu’il fut, était aussi profondément français. Je ne sais si l’on peut dire que qu’il a fait l’Encyclopédie pour « rendre service à la Patrie », mais on peut dire sans aucun doute qu’il l’a faite pour rendre service à l’Humanité, et pour lui rendre service en lui apportant une conception très française de la connaissance. Cela me suffit, personnellement.
[Je me fais un peu l’avocat du Diable (et je précise que je ne suis pas hostile à Denis), mais ne s’agissait-il pas essentiellement d’éclairer la bonne bourgeoisie cultivée, celle qui investissait son capital dans la traite négrière par exemple?]
Là encore, il faut éviter l’anachronisme… La « bonne bourgeoisie cultivée » était, à l’époque, la classe révolutionnaire. Celle qui pouvait se saisir des instruments intellectuels des Lumières pour faire avancer la société. L’Eglise et les aristocraties ne se sont pas trompés d’ailleurs : l’une l’inscrivit à l’Index, les autres interdirent sa publication.
[Diderot a défié l’Etat français de l’époque, qui certes était la monarchie absolue de Louis XV,]
Non. Ni lui ni les illuministes en général n’était foncièrement anti-monarchiques. Comme tu l’as dit toi-même, le mouvement des Lumières, même s’il pouvait servir de fondement à une République, n’était pas constitué pour contester la monarchie. Voltaire ou Diderot parlent du gouvernement par la Raison, mais un despotisme éclairé leur convient parfaitement. Ce que Diderot a contesté n’est pas tant « l’Etat français », ni même le régime politique, que l’organisation de la société et notamment le pouvoir de l’Eglise.
[mais si l’on admet une certaine continuité de la France autour de l’idée d’Etat, j’avoue avoir un peu de mal à applaudir des gens dont le rôle est finalement un peu ambigu à l’égard de la Patrie. La France à l’époque, c’est le roi.]
Non. L’Etat transcende les rois. On attribue à Louis XIV la célèbre formule « l’Etat c’est moi », et on le fait à tort. En fait, la vision de Louis XIV, qu’il résumé peut avant sa mort, était que le Roi meurt, mais l’Etat demeure. Je peux critiquer la politique de Hollande sans pour autant rejeter l’Etat.
[Très franchement, je ne vois pas ce que Voltaire fait au Panthéon. Voilà un homme qui s’est plus soucié de lui-même, de sa réputation, que de la Patrie.]
Ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a un volet peu connu de la biographie de Voltaire, qui est celui de son rôle d’agent de renseignement du « Secret du Roi ». Par ailleurs, quelque qu’aient pu être les démêlées de Voltaire avec la cour du Roi de France, il s’est toujours considéré citoyen français, porteur de l’esprit français partout où il est allé… et a choisi pour passer ses derniers jours de revenir en France. L’image du Voltaire nombriliste ne me semble pas correspondre à la réalité. Quelque aient pu être ses travers personnels, il me semble qu’il était au contraire très sensible aux questions de société françaises – affaire Calas, affaire Sirven, affaire du Chevalier de la Barre – alors qu’il n’a pas pris parti pour des affaires semblables à l’étranger. Clairement, pour lui la France n’était pas un pays de plus…
[Et Voltaire a déjà cette détestable habitude de nos élites de trouver que c’est toujours mieux sous d’autres cieux, en Angleterre (ennemi de la France en ce temps) ou en Prusse. Quant à Diderot, c’est Catherine de Russie qui l’accueille. Attaquer la monarchie absolue en France et dîner avec l’autocrate de toutes les Russies, cela me paraît un peu contradictoire.]
Faut bien vivre, comme disait l’autre… Encore une fois, ne faites pas d’anachronisme : dans la société du XVIIIème, un homme comme Diderot ou Voltaire ne pouvaient passer leur temps à étudier et à écrire qu’a condition de trouver un protecteur pour faire bouillir la marmite. C’était vrai des écrivains, des musiciens, des peintres… alors ne soyons pas trop durs.
[Je suis un peu partagé sur le parti philosophique du XVIII° siècle, et ne suis pas convaincu que travailler à la grandeur de la France ait nécessairement fait partie de leurs objectifs. Je trouve justement que le manque de patriotisme est une des faiblesses de Voltaire et Diderot]
Je ne partage pas. Bien entendu, on ne peut pas parler du « patriotisme » au XVIIIème siècle dans les mêmes termes qu’après la Révolution. Mais je pense que tant Voltaire comme Diderot étaient attentifs à la politique de leur pays, prêts à s’engager dans des affaires françaises alors qu’ils étaient presque indifférents ailleurs, et soucieux de son rayonnement intellectuel.
C’est l’illustration de la dilution de l’idée même de patrie. Est-ce un bien, est-ce un mal? à chacun sa réponse! Seul le fait est sûr.
Descartes au Panthéon !
Vous parlez du philosophe, je suppose… quant à moi, je compte vivre encore de longues années !
Bonjour Descartes,
Suite à la lecture de votre article, j’ai ajouté une entrée « Autres » sur le site, intitulée « Avoir rendu un service exceptionnel et désintéressé à sa Patrie » 😉 Je vais essayer de lancer une « chaîne » sur les réseaux sociaux pour que cette option soit ajoutée !
Je ne sais pas trop qui faire entrer dans ce cadre par contre… Le meilleur candidat qui me vienne à l’esprit est Ambroise Croizat. Qui choisiriez-vous vous ?
Comme je l’ai dit ailleurs, je propose Denis Diderot. Ambroise Croizat ou Marcel Paul remplissent pour moi les conditions d’admission au Panthéon, mais je pense qu’il faut encore laisser passer quelques années pour que ces figures deviennent consensuelles. Je trouve personnellement qu’une condition nécessaire pour la "panthéonisation" est l’existence d’un certain consensus national sur la figure proposée. Il serait dommage qu’à chaque alternance on fasse rentrer les copains du gouvernant du jour.
En fait, la figure qui devrait peut-être entrer aujourd’hui au Panthéon est celle de De Gaulle. Mais je crois qu’il a lui même interdit un tel hommage.
J’ai eu beau lire en détail je n’ai pas trouvé dans ce papier un moyen d’initier une disputatio avec l’hôte des lieux … c’est agaçant !
Ce qui est dit de Billy s’applique aussi -peut être plus- à S. Job, nous sommes loin de cette séance solennelle de l’Assemblée Nationale faisant don au monde de l’invention de la photographie !
Sur le même sujet je me permet de signaler : http://www.herodote.net/retrospectives-18.php
Personnellement, je trouve bien curieuse l’idée de rassembler dans un même lieu les restes des gens que l’on veut honorer. Un petit correctif, au passage, le Panthéon n’est pas exactement "un monument élevé par la République", mais une ancienne église dont la construction à débuté sous Louis XV.
Je sais que ce n’est pas une de ces spécificités nationales que le reste du monde nous envie. Les Britanniques ont l’Abbaye de Westminster. Les USA ont le cimetière d’Arlington, pour les militaires, aussi John et Robert Kennedy.
Mais les "panthéonisés" compteraient-ils moins pour nous si leurs dépouilles n’étaient pas en ce lieu ? Je mets au défi quiconque de donner de tête leur liste complète. D’autres qui comptent autant pour nous mériteraient sans doute d’y être aussi. Simplement, il faut décider lesquels.
Bref, je ne suis pas loin de penser comme vous que ce ne sont pas les gens que l’on met au Panthéon que l’on veut honorer, mais ceux qui les y mettent.
A propos de Jean Monnet, à en juger par les réactions de mon entourage à l’annonce de son décès, j’ai pu constater qu’il était un inconnu du grand public. Alors, "la Patrie reconnaissante"…. Bon, je sais, ça ne fait pas une enquête réalisée selon des critères scientifiques.
[Personnellement, je trouve bien curieuse l’idée de rassembler dans un même lieu les restes des gens que l’on veut honorer.]
Pourquoi ? C’est après tout quelque chose d’assez naturel… le caveau de famille est une coutume très ancienne et présente dans beaucoup de civilisations.
[Un petit correctif, au passage, le Panthéon n’est pas exactement "un monument élevé par la République", mais une ancienne église dont la construction à débuté sous Louis XV.]
Je n’ai pas dit que le Panthéon ait été construit par la République. J’ai dit que le Panthéon a été "érigé" par la République, et je persiste: je parlais de l’institution, et non du bâtiment.
[Mais les "panthéonisés" compteraient-ils moins pour nous si leurs dépouilles n’étaient pas en ce lieu ? Je mets au défi quiconque de donner de tête leur liste complète.]
A la lecture de la liste, on retrouve des noms dont on se demande bien ce qu’ils font là. Mais au cours du XXème siècle, les gouvernements successifs ont finalement été assez attentifs à ne faire rentrer que des personnalités de premier plan. Et je trouve que dans notre société sans mémoire, il n’est pas inutile de préserver un lieu où la Patrie puisse se montrer reconnaissante envers ceux qui ont travaillé pour elle…
Je suis d’accord sur le caractère bizarre de la démarche. Mais, malgré ça, je m’en suis saisi pour proposer qu’Irène Joliot-Curie entre au Panthéon. Elle aussi, de façon désintéressée (et en tant que femme, ce n’était pas sans difficulté) dans la recherche scientifique, ce qui lui a valu le prix Nobel de Chimie, dans les droits des femmes (membre du gouvernement du Front populaire, multiples candidatures, toutes refusées, à l’académie des sciences), et pour la paix. Il faut montrer à François-Normal que nous avons une conscience de la patrie et de la grandeur supérieure à la sienne.
A défaut d’être outré, j’ai préféré prendre la chose à la rigolade. J’ai choisi Thierry Roland. Comme raisons, j’ai invoqué "son action pour l’ouverture de la France aux autres cultures", "la participation au rayonnement de la France, à travers son dévouement permanent à l’esprit et à la finesse de la langue et de l’esprit français" et "sa carrière entière témoignant d’une volonté de rendre respectable le football français aux yeux de la société". Je suppose que quelqu’un lit tout cela, et j’espère pour lui qu’il a un minimum d’humour.
Pour souvenir :
Et pourquoi pas René Descartes? (je ne parle pas encore de l’auteur de ce blog, chaque chose en son temps 😉 ) Son héritage scientifique et philosophique est considérable dans le système éducatif français mais aussi à travers le monde. Voilà un homme qui a contribué au rayonnement de la France et rendu de fiers services à la patrie.
Sinon, dans un genre plus mystique donc malheureusement peut être plus polémique, j’ai aussi un faible pour Blaise Pascal.
@Brodj
La décision de faire entrer Descartes au panthéon a été prise par la Convention en 1792, mais elle n’a toujours pas été exécutée. Effectivement, si quelqu’un est inséparable du rayonnement de la philosophie française, c’est bien lui!
Des avis sur La Boetie, ce qui permettrait de faire lire à certains de nos compatriotes ses réflexions sur la servitude volontaire. Sinon Marie Curie me semble un bon choix.
Mais par les temps qui courent je me demande quel(le) homo ….
Marie Curie y est déjà, trop tard… Quant à La Boétie, si un bon livre vous faisait gagner le Panthéon…
Bonjour,
[ Ce blog n’est peut-être pas d’un très bon niveau, mais je crois que la plupart des lecteurs apprécient l’ambiance qui y règne et la possibilité d’avoir des débats quelquefois vifs, mais toujours civilisés.]
Souvent il y a un peu de provocation dans vos écrits, et cela est le cas dans l’assertion évoquée.
Vous connaissant, à travers ce blog depuis maintenant quelques années, je n’imagine pas que vous puissiez accepter un instant, la médiocrité dans vos interventions. Et c’est précisément ce qui en fait l’attrait. Les citoyens lambda que sont, j’imagine, la plupart de vos lecteurs, et qui très fréquemment sont guidés par des réactions primaires épidermiques, sont toujours réorientés sur une approche rationnelle de la question traitée. Et cela nous transforme peu ou prou, ce qui est inestimable. Vos prises de position auxquelles on n’est ni obligés d’ adhérer, ni sanctionnés ou censurés à s’y opposer sont un exemple de rigueur intellectuelle.
Il est en effet évident que sur ce blog, il est très difficile de se "défouler" avec des à priori sectaires ou capricieux. Pas de louanges et de flagorneries à foison. Pas d’affirmation qui ne soit susceptible de devoir être justifiée ou prouvée. Le cours de débat démocratique est permanent.
Ce blog est à Internet ce que C dans l’air est à la télé française: de l’ordre, de la rigueur, des compétences (complémentaires et contradictoires souvent).
C’est vrai, ici, il faut se tenir, sinon gare au coup de baguette sur les doigts. Tant pis pour le confort de l’expression spontanée à l’emporte pièce.
Et tant mieux si les excités de tous poils se rabattent sur des blogs pugilats !
Je vous remercie beaucoup. Vous avez tout à fait résumé l’essence de ma démarche…
[Ce blog est à Internet ce que C dans l’air est à la télé française]
Je ne suis pas pour la bagarre, mais ça ne m’aurait pas plu…
Soyons courtois… j’ai laissé passer parce que c’était dit avec une bonne intention…