Nous vivons dans une société intolérante. Je vous vois déjà sourire, mon cher lecteur. Vous pensez sans doute que je vais vous parler de la censure, du rejet des sexualités “différentes”, des religieux de tous acabits faisant fermer des expositions et interdire des pièces. Et bien non. Aujourd’hui je veux plutôt vous parler d’une intolérance bien plus banale, parce qu’à mon avis elle fait le lit de toutes les autres.
Vendredi dernier, un grand opérateur de téléphonie portable, filiale de l’opérateur historique des télécommunications français, a connu une panne générale de son réseau. Un problème logiciel au niveau de ses serveurs centraux empêchait les utilisateurs de se connecter au réseau et donc d’accéder aux services de téléphonie et de transmission de données. Des centaines de milliers voire des millions de clients ont donc été privés du service pendant une demie journée. Voilà pour les faits.
On peut ajouter que personne n’accuse Orange, l’opérateur en question, ni de mauvaise volonté, ni de négligence coupable. Tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un pur accident, comme cela peut arriver dans n’importe quelle activité humaine, un “act of god” pour utiliser la jolie formule de nos amis anglais. Dans cette affaire, Orange n’a rien fait de mal avant l’accident, et a ensuite mis en œuvre tous les moyens dont elle disposait pour remettre en service le réseau aussi vite que possible. Le public aurait du applaudir.
Et bien, le public n’a pas applaudi. Au contraire. Il a immédiatement exigé “réparation”. Réparation de quoi, me demanderez vous. Après tout, seule une infime minorité d’utilisateurs peut évoquer un préjudice significatif. On pourrait discuter de la “réparation” due au fleuriste qui a vu se faner ses fleurs sans pouvoir recevoir de commandes, de la personne âgée accidentée qui n’a pas pu contacter un médecin… mais pour l’immense majorité des clients, le préjudice se réduire à ne pas avoir pu rencontrer ses amis au cinéma ou prévenir chéri qu’on serait un peu en retard. Pourquoi faudrait-il “réparer” un préjudice aussi banal ? A quand les demandes de réparation contre l’Etat pour ne pas avoir arrêté la pluie alors qu’on voulait partir en vacances ?
La plupart des commentateurs ont brodé autour du sujet de “notre dépendance au portable”. Un sujet vendeur parce qu’il joue sur notre peur de la dépendance et sur ce mythe absurde qui veut qu’on ne soit jamais aussi heureux que lorsqu’on est autonome. Vous savez, cette religion écologiste qui veut qu’on accède au bonheur en cultivant “ses” légumes et en produisant “son” électricité pour ne dépendre de personne. La réalité est que l’homme est un animal social, et que nous dépendons les uns des autres. Les services collectifs, que ce soit l’eau, l’électricité, le téléphone, les réseaux de données ou plus banalement l’ascenseur de notre immeuble matérialisent cette interdépendance. Et je peux vous assurer qu’une journée sans ascenseur est pour beaucoup plus pénible qu’une journée sans téléphone.
Non, le vrai sujet de cette panne n’est pas notre “dépendance au portable”, mais notre intolérance envers ceux qui assurent par leur travail les services dont nous dépendons. C’est cette incapacité à se dire, lorsque quelque chose ne fonctionne pas, “ils font ce qu’ils peuvent”. Et éventuellement de se trouver, lorsque cela est possible, un service de substitution. Non: dès que le portable est muet, l’électricité est coupée ou le TGV arrive avec trois heures de retard, même lorsque ce n’est la faute de personne, nous exigeons la tête du responsable et des “réparations”. A côté des très rares usagers qui rappellent que ces pannes sont somme toute rares, et qu’elles sont en général bien gérées, on trouve toujours les éternels mécontents que rien ne satisfait: si on leur donne de l’eau, ils se plaignent qu’il n’y avait pas de sandwichs. Si on leur donne eau et sandwichs, ils se plaignent qu’il n’y avait pas de petits pots pour enfants, et ainsi de suite à l’infini (1).
Nous sommes un peuple de râleurs, et ce râle permanent a une fonction préventive. Peu importe que nos services publics soient excellents ou en tout cas bien meilleurs que ceux de tous les pays qu’il m’ait été donné de visiter. Nous continuons à râler parce qu’on sent confusément que si on arrêtait de râler, ceux qui font fonctionner les services se laisseraient aller, et le service en souffrirait. Le râle joue donc un rôle préventif et dissuasif. On ne râle pas contre le service tel qu’il est, on râle contre le service tel qu’il pourrait devenir si l’on ne râlait pas. Et cela marche. Mais ces derniers temps on est passé du râle conventionnel – et je dis conventionnel parce que les agents du service public, malgré le râle permanent auquel ils sont soumis, se sentent appréciés – à une vision à l’américaine avec “réparation” à la clé. Et là, il faut dire “stop”. Avec la “réparation”, on construit une relation perverse dans laquelle le but n’est pas d’améliorer le service, mais d’accepter un service de mauvaise qualité dès lors que l’opérateur crache au bassinet. C’est aussi la fin du service public égalitaire tel que nous l’entendons, parce qu’il est évident qu’à l’heure de faire cracher l’opérateur au bassinet, nous ne sommes pas tous égaux…
Notre rapport aux services publics est de plus en plus puérile: comme l’enfant à qui on enlève sa sucette, nous pleurons dès que le service manque, sans faire aucune différence entre un accident, une cause de force majeure, une erreur et une faute. Que la perturbation soit due à la volonté de l’entreprise d’augmenter ses profits ou qu’elle soit la conséquence d’un tremblement de terre, nous réagissons de la même manière. L’opérateur du service a une obligation de résultats, s’il ne la tient pas, il doit payer. Mais cette conception repose sur une illusion: celle de croire que le “résultat” est toujours atteignable à condition d’y mettre les moyens. Or, même en mettant des moyens infinis, les accidents arrivent. Columbia a bien explosé en vol, et cela malgré toutes les précautions prises et les milliards de dollars dépensés en procédures qualité. Et même si c’était possible d’éviter les pannes en mettant les moyens, est-il raisonnable de dépenser des centaines de milliards d’euros pour nous éviter une demie journée de panne téléphonique tous les dix ans alors que cet argent peut être employé à des choses plus utiles ?
Alors, arrêtons la comédie. Reconnaissons qu’un accident a eu lieu, et qu’Orange l’a somme toute géré très correctement. Lorsqu’on entend un ministre de la République déclarer “qu’un tel incident ne doit plus se reproduire” on ne sait s’il faut rire ou pleurer (2). Le mieux qu’on puisse faire, c’est se demander quelle est la probabilité qu’on est prêt à accepter (une fois tous les dix ans ? Une fois tous les vingt ans ?) et à quel prix. Que cela plaise ou non a Mme Fleur Pellerin, un tel incident se reproduira, forcément, un jour. Le “risque zéro” n’existe pas. On peut réduire la probabilité, on ne peut l’annuler.
Descartes
(1) Et bien entendu, il est hors de question de remercier lorsque les choses sont bien faites. Je me souviens, il y a quelques années, d’une journée de grève à la SNCF. Je rentrais de Paris chez moi dans les environs de Dunquerke, et comme les horaires étaient bouleversés, lorsque je suis arrivé en gare de Lille vers minuit il n’y avait plus de correspondance. Nous étions trois ou quatre personnes dans cette situation, qui sommes allées aux Informations demander ce qui pouvait être fait. L’employée présente nous a proposé d’arranger un taxi aux frais de la SNCF, ce qui fut fait. Nous sommes donc arrivés sains et saufs chez nous, même si ce fut avec un retard de cinq heures sur l’horaire prévu. Je me demande combien parmi nous quatre ont pris l’initiative d’écrire une lettre à la SNCF pour la remercier d’avoir géré aussi bien une situation qui, après tout, n’était pas de sa responsabilité. Je l’ai fait, en tout cas, et j’ai reçu une réponse qui ne laissait pas de doute sur le fait que de tels remerciements sont très, très rares…
(2) C’est drôle d’ailleurs de voir ceux-là même qui accusaient l’Etat d’affirmer qu’en matière nucléaire l’accident était impossible professer aujourd’hui l’idée qu’on pourrait avoir un réséau de télécommunications infaillible…
Bonjour,
Il s’agit bien d’intolérance, plus précisément d’intolérance à la frustration, qu’on trouve chez les sujets immatures (et le paralléle avec l’enfant à qui on enlève sa sucette est
judicieux) mais aussi chez les toxicomanes (et parler de dépendance n’était pas tout à fait idiot, si on prend ce mot dans le sens d’addiction).
Effectivement. J’ai tendance à utiliser les termes “infantile” ou “puéril” mais je pense que tu as trouvé le mot juste: “immature”. J’avais dans un autre papier essayé de montrer combien dans
notre société la figure de l’adulte s’est effacée au profit d’un culte de la “jeunesse” qui est en fait un culte de l’immaturité.
Quant à la question de la “dépendance”, j’aurais tendance à faire le lien avec le fait que nous vivons dans une société qui est de plus en plus histérique (et qui encourage de plus en plus les
comportements histériques). Car la dépendance au portable n’est pas une dépendance réelle, comme celle qui éprouve un toxicomane, qui se traduit par des symptômes organiques alors même qu’il est
inconscient ou endormi. Il s’agit d’une dépendance purement psychologique dans un cadre nevrotique.
Lorsque cet incident est survenu j’ai pensé à vous en me demandant si ce n’était pas là une preuve, un signe avant-coureur que les infrastructures péréclitent. Mais s’il ne s’agit que d’un
problème de logiciel…
On voit là aussi la différence entre rapport d’usager et un rapport de client.
Le client est roi, dit l’adage, et un client roi peut être très capricieux.
Ce n’est pas un problème d’infrastructure. Les réséaux de télécommunications mobiles sont l’un des rares réseaux sur lesquels on ait massivement investi ces dernières années. C’est un cas typique
de “la faute à pas de chance”.
On voit là aussi la différence entre rapport d’usager et un rapport de client. Le client est roi, dit l’adage, et un client roi peut être très capricieux.
Tout à fait !
“On peut réduire la probabilité, on ne peut l’annuler.”
Vous donner des munitions aux anti-nucléaires. Ensuite tout dépend de l’ampleur de la catastrophe. Mais personne en France
est prêt à accepter un accident de la gravité de Tchernobyl.
Vous donner des munitions aux anti-nucléaires.
Certainement pas. La politique des partisans du nucléaire n’a jamais été de cacher l’existence d’un risque. Le nucléaire n’a
pas besoin de mensonges pour le défendre. Sa meilleure défense, est de montrer que la probabilité d’un accident multipliée par son coût est très inférieure aux avantages qu’il procure. Il faut
arrêter de traiter les gens comme des enfants, et les français sont parfaitement prêts à écouter un discours rationnel.
Mais personne en France est prêt à accepter un accident de la gravité de Tchernobyl.
Un accident “de la gravité de Tchernobyl” est à peu près aussi probable qu’une chute de météorite sur Paris. Et il serait
ridicule de dire “personne en France n’est prêt à accepter un accident de chute de météorite sur Paris”, non ?
J’ai subi des retard sur les lignes de la sncf, la neige ou un suicide, un moment d’agacement sur le coup car devoir gérer les correspondances qui suivent, avions ou trains, mais décemment je ne
pouvais pas en vouloir au personnel de la SNCF qui n’y était pour rien et de plus était très sympathique et m’a même prêté un de leur portable pour communiquer et gérer le truc.
Ayant souscrit une assurance pour couvrir ce type d’aléa, j’ai été pour partie remboursé des frais supplémentaires occasionnés. Mutualisation des risques sous forme d’assurance, pas de
récriminations, juste un contrat qui fonctionne. Et puis voyager, c’est s’exposer aux risques et devoir les gérer si nécessaire. C’est la vie…
Tout à fait. Je prends beaucoup le train, et d’une manière générale les incidents sérieux sont rares, et bien gérés. Je suis d’ailleurs souvent ému – chacun place la fierté nationale où il veut –
de voir qu’on arrive à faire fonctionner un équipement comme la LGV Paris-Méditerrannée avec un train toutes les dix minutes montre en main et un taux d’incidents finalement minime. Il faut se
souvenir de la difficulté de la tâche et être indulgent lorsque tout ne se passe pas comme prévu.
Il ne s’agit pas seulement d’intolérance ; il s’agit d’une conception erronée de la société, des progrès techniques, et même de la civilisation humaine. On en est arrivé à penser que nous avons
aboli, l’accident, le hasard, la malchance. Tout est supposé être prévisible, donc prévu. À tout impondérable on attribue le statut d’erreur. Il faut donc un
responsable qui expiera sa faute.
Ainsi des parents qui portent plainte contre la directrice d’école ou le maire, quand un enfant qui joue et court, se blesse en chutant dans la cour de l’école. Dès lors, on assiste à une
remontée de couverture très préjudiciable à la société, qu’on appelle aujourd’hui “principe de précaution”
On devrait dire qu’un enfant peut se blesser en jouant. Que non seulement c’est un accident, mais qu’une des fonctions essentielles du jeu est d’enseigner aux petits d’hommes à
gérer le risque, le danger, en s’y confrontant, dans un cadre, évidemment, le plus sécurisé possible.
Au lieu de cela, on a démonté dans les cours d’école, les balançoires, les tourniquets et autres cages à écureuils qui ont fait les frissons de mon enfance bénie des années soixante, et quelques
bosses et écorchures.
Le principe de précaution consiste, en fait, à ne rien faire dont on ne puisse maîtriser par avance la totalité des conséquences, même encore inconnues !
Ainsi, au milieu du XIXe siècle, certains scientifiques craignaient que le métabolisme humaine ne puisse supporter une vitesse supérieure à 40 ou 50 km/h. Aujourd’hui, si on avait à l’époque été
“précautionneux”, nous n’aurions pas de train. C’est Descartes qui serait bien malheureux, on dirait…
Il ne s’agit pas seulement d’intolérance ; il s’agit d’une conception erronée de la société (…) On en est arrivé à penser que nous avons aboli, l’accident, le hasard, la malchance. Tout est
supposé être prévisible, donc prévu
Si tel était le cas, pourquoi lorsque c’est à nous que l’imprévision peut être imputée on trouve toujours quelqu’un d’autre pour évacuer notre responsabilité ? S’il s’agissait d’une “conception
erronée”, nous l’appliquerions aussi bien lorsqu’il s’agit de la responsabilité des autres que de la notre. Or, justement, la tendance à chercher des coupables s’accompagne d’une totale
dé-responsabilisation de celui qui parle…
Non, je pense qu’il s’agit bien d’une intolérance: on ne tolère pas chez l’autre la simple erreur humaine qu’on pardonne aisément chez soi…
Au lieu de cela, on a démonté dans les cours d’école, les balançoires, les tourniquets et autres cages à écureuils qui ont fait les frissons de mon enfance bénie des années soixante, et
quelques bosses et écorchures.
Tout à fait. Au delà de notre mémoire, il faut relire la délicieuse “Guerre des Boutons” de Louis Pergaud pour voir à quel point la jeunesse aujourd’hui est élevée dans du coton, sur-protégée par
des parents qui ont peur de tout.
Il me semble que Trubli met le doigt sur l’essentiel. La « marchandisation » via les privatisations de secteurs
entiers de l’économie avec son corollaire de l’avènement du client y compris dans les administrations, favorisées par les gouvernements et l’UE, n’est pas sans lien avec le recul de l’esprit
public. Marché de dupes car là où le client avance, le citoyen recule (ex mais pas le seul : le rural…).
Les citoyens ont en principe des droits égaux, le client est d’autant plus « roi » qu’il est d’autant plus
solvable.
Immaturité ? Oui, mais ne l’a-t-on pas favorisée ?
Il me semble que Trubli met le doigt sur l’essentiel. La « marchandisation » via les privatisations de secteurs entiers de l’économie avec son corollaire de l’avènement du client y compris
dans les administrations, favorisées par les gouvernements et l’UE, n’est pas sans lien avec le recul de l’esprit public.
Est-ce la “marchandisation” et la “privatisation” qui a provoqué le “recul de l’esprit public” ? N’est ce plutôt le “recul de l’esprit public” qui a rendu possibles la “marchandisation” et la
“privatisation” ? Je pense aussi qu’il faut arrêter de rejeter la faute sur “le gouvernement” ou “l’UE”, comme si l’un et l’autre étaient des martiens descendus sur nous pour nous apporter le
malheur. Les gouvernements, en dernière instance, font ce que leurs mandants demandent d’eux, et l’UE nous l’avons votée et choisie. Lorsque la privatisation et la “libre concurrence” permettait
d’acheter des choses bon marché dans les magasins, tout le monde était pour.
Oui, le recul de l’esprit public est une constante de l’idéologie des classes moyennes depuis 1968, et est devenu la base des politiques publiques lorsque les classes moyennes ont pris le pouvoir
dans les années 1980. Pas la peine d’aller chercher des coupables chez “les gouvernements”. Qui est sorti dans la rue pour protester contre la privatisation de France Télécom ? Bien moins de gens
que pour la “gay pride”…
Marché de dupes car là où le client avance, le citoyen recule (ex mais pas le seul : le rural…). Les citoyens ont en principe des droits égaux, le client est dutant plus « roi » qu’il est
d’autant plus solvable.
Tout à fait d’accord, sauf pour la référence au “rural”, que je n’ai pas comprise.
Immaturité ? Oui, mais ne l’a-t-on pas favorisée ?
Tu veux dire qu’il y aurait eu une Grande Conspiration pour nous rendre immatures ? Non, franchement, je n’y crois pas. L’immaturité n’a pas été planifiée, elle fait partie du métabolisme du
système: la prise de pouvoir par les classes moyennes conduit nécessairement à une forme d’immaturité, parce que le rapport des couches moyennes à la réalité est un rapport immature. Il suffit de
comparer le “mai étudiant” au “mai ouvrier” pour voir la différence. Mai 1968 fut la grande victoire de l’immaturité, et produisit des dirigeants qui – quarante ans plus tard – restent immatures.
Bonjour,
Nous sommes effectivement un peuple de râleurs (mais cela ne date pas d’hier) ce qui nous rend si antipathiques aux yeux de nombreux étrangers. Il suffit de passer quelques temps en Belgique pour
comprendre qu’il s’agit d’une spécificité française et qu’un peuple patient et compréhensif cela existe. Néanmoins, je me dis que nos râleries sont des préliminaires indispensables aux révoltes
et révolutions qui ont émaillé l’histoire de notre pays. Ce n’est pas à Bruxelles qu’aurait pu avoir lieu la prise de la Bastille et, à l’inverse, la France n’aurait pas tenu 10j sans
gouvernement, les belges eux ont établi le record mondial avec plus 500j…
Ce qui est nouveau et ce qui analysez parfaitement, c’est qu’en plus de râler le Français veut être indemnisé, ça c’est nouveau et dramatique pour notre société.
Néanmoins, je me dis que nos râleries sont des préliminaires indispensables aux révoltes et révolutions
Je ne suis pas très convaincu… je dirais plutôt le contraire: les “râleries” jouent un rôle de substitution, on “râle” pour ne pas se révolter. Et dans le langage des leaders de nos différentes
“révoltes et révolutions” c’est plutôt le messianisme lyrique qui prime, et non la “râlerie” qu’on considère toujours un peu mesquine quand elle est publique.
Je pense que les “râleries” jouent un rôle différent, celui de maintenir nos représentants dans un état permanent de sollicitation. Cela maintient vivante chez nos élus la peur du peuple… pour
le meilleur et pour le pire.
Pourtant, le premier incident de mai 68 a consisté à interpeler un ministre sur le cloisonnement des chambres des filles et des garçons à l’internat de l’université de Nanterre et cela a été fait
par Daniel Cohn-Bendit. On est quand même un peu éloigné du messianisme lyrique… A l’origine, le moteur populaire de la Révolution a été le manque de pain… ce qui est moins mesquin.
A mon sens, le lyrisme messianique et les grandes idées des leaders sont secondaires (dans le temps) et un râleur peut finir par se révolter.
Pourtant, le premier incident de mai 68 a consisté à interpeler un ministre sur le cloisonnement des chambres des filles et des garçons à l’internat de l’université de Nanterre et cela a été
fait par Daniel Cohn-Bendit. On est quand même un peu éloigné du messianisme lyrique…
Ah le mythe, quand tu nous tiens… le premier incident de la Révolution Française fut l’attaque d’une forteresse délabrée pour libérer quatre prisonniers, dont quatre faussaires, deux
fous et un personnage enfermé à la demande de sa famille pour une affaire de moeurs. Est-ce que cela nous dit quelque chose sur l’esprit de la Grande Révolution ? Ce serait malheureux…
La mythologie du “premier incident de mai 68” est en fait très discutable. D’abord, parce qu’il eut lieu le 21 mars 1967, c’est à dire plus d’un an avant mai 1968. Mais même en admettant que
l’envahissement des dortoirs des filles fut le “premier incident de mai 68”, il est tout à fait dans le “méssianisme lyrique”. Car l’objectif n’était pas d’aller avec les filles – ce que toutes
les générations universitaires avaient fait depuis le moyen-âge – mais de sauver l’humanité de “l’aliénation sexuelle” et de dénoncer les “névroses” provoquées par les prohibitions. A l’époque,
on ne faisait rien si ce n’était pour sauver le monde…
A l’origine, le moteur populaire de la Révolution a été le manque de pain… ce qui est moins mesquin.
Le pain manquait très régulièrement depuis plus de mille ans, et ils auraient attendu jusqu’en 1789 pour faire la révolution ? Ce n’est pas très logique…
A mon sens, le lyrisme messianique et les grandes idées des leaders sont secondaires (dans le temps) et un râleur peut finir par se révolter.
Et cependant, on peut constater que les raisons de se révolter étaient là, souvent pendant des siècles, sans que la révolte ne se produise. Et qu’elle ne s’est produite que lorsque les “grandes
idées” étaient au rendez-vous. Ce qui laisse penser que les “grandes idées” jouent un rôle bien plus fondamental que ce que vous leur accordez…
« Est-ce
la “marchandisation” et la “privatisation” qui a provoqué le “recul de l’esprit public” ? N’est ce plutôt le “recul de l’esprit public” qui a rendu possibles la “marchandisation” et la
“privatisation” ? »
Avant d’envoyer mon message, je me suis aussi posé ces questions et me suis
contenté d’un sage : « n’est pas sans lien avec le recul de l’esprit public. » pour laisser ouverte une réponse que je n’ai pas.
« Je pense aussi qu’il faut arrêter de rejeter la faute sur “le gouvernement” ou “l’UE”,
comme si l’un et l’autre étaient des martiens descendus sur nous pour nous apporter le malheur. Les gouvernements, en dernière instance, font ce que leurs mandants demandent d’eux, et l’UE nous
l’avons votée et choisie. ».
Je me suis contenté d’écrire que les gouvernements et l’UE chacun à leur
façon ont, en prenant des mesures en ce sens, favorisé la marchandisation avec les privatisations (l’UE plus sournoisement car n’oblige jamais aux privatisations mais exige la fameuse concurrence
libre et non faussée…). Vous mettez l’accent sur la responsabilité des citoyens mais pas sur celle des institutions gouvernantes qui ne sauraient être exonérés de leurs actes. Loin de moi
d’abonder vers la thèse du complot. Je n’ai jamais remis en cause l’existence de la démocratie bien réelle mais avouez qu’un Chirac promettant de « réduire la fracture sociale » est
assez éloigné de celui qui a ensuite gouverné même si, personnellement je ne l’ai jamais cru.
Autre exemple directement lié aux privatisations : n’es-ce pas Jospin
qui proclamait, avant l’élection, qu’il ne privatisera pas France Télécom (pour votre gouverne, j’étais là aussi « mécréant »)? La
suite est connue. Le comble en cette matière est la forfaiture relative à Lisbonne : vous pouvez toujours expliquer que ce n’est pas un Lisbonne bis, on peut avoir aussi le sentiment que le
traité final manque d’une réelle légitimité populaire.
Et c’est précisément là où nous en sommes. Je n’ai pas de réponse toute
faite sur ce sujet, seulement des interrogations. On peut s’interroger aussi, si les comportements que vous décrivez dans ce billet se manifestent pour une part de l’électorat au moment du
vote : pusillanimité, immaturité même si cela n’explique pas tout, loin de là.
Je n’affirme nullement une « Grande Conspiration pour nous rendre
immatures ». Je voulais préciser que l’addition des mesures prises par les gouvernements et l’UE a conduit en France à un changement qualitatif où l’économie administrée dominante a cédé le
pas.
Le rural : j’ai voulu faire bref : comprendre le recul de la
présence des services publics marqué en campagne.
Vous mettez l’accent sur la responsabilité des citoyens mais pas sur
celle des institutions gouvernantes qui ne sauraient être exonérés de leurs actes.
Je mets l’accent sur la responsabilité des citoyens, parce
c’est sur les actes des citoyens que nous avons une influence. Rejetter la
faute sur des institutions que nous n’avons pas le pouvoir de changer – si ce n’est à travers les actes des citoyens, justement – est une version moderne de la soumission aux dieux.
Autre exemple directement lié aux privatisations : n’es-ce pas
Jospin qui proclamait, avant l’élection, qu’il ne privatisera pas France Télécom (pour votre gouverne, j’étais là aussi « mécréant »)? La suite est connue.
Moins que vous ne le croyez: la suite, ce n’est pas seulement que France
Telecom a été privatisée. C’est qu’elle a été privatisée sans que personne, et notamment les partis et personnalités de la “gauche radicale” n’ait véritablement fait quelque chose pour l’empêcher, au delà des déclarations plus
ou moins genées. Qu’ont fait Marie-George Buffet, Pierre Laurent ou Jean-Luc Mélenchon, à l’époque ? Ils étaient tous ministres. Pourquoi n’ont-ils pas rappelé à Jospin ses promesses ? Pourquoi
n’ont-ils pas fait un “casus belli”, alors qu’ils l’ont fait sur d’autres questions “sociétales” ?
Je n’aime pas – et je m’excuse si ma réponse était un peu vive – cette tendance à se chercher des boucs émissaires. Les gouvernements ont fait tout ce dont vous les accusés, mais ils l’ont fait
parce c’est ce que la majorité des français voulait. Lorsque les gouvernements ont essayé d’imposer aux classes moyennes ce dont elles ne voulaient pas, elles ont toujours réagi et ont souvent eu
gain de cause: de la réforme Devaquet aux protestations contre le CPE, les gouvernements ont été obligés de changer leurs plans. Je suis donc obligé de conclure que les privatisations et la
marchandisation de la société avaient leur soutien ou du moins ne suscitaient chez elles pas d’opposition.
Les couches populaires ont moins de chance, parce depuis la fin des années 1970 elles ont un pouvoir de négociation très limité,et pas de véritable représentation politique.
J’ai parfois l’impression et je vous prie de bien vouloir m’en excuser que vous abordez la problématique de la
démocratie comme d’aucuns abordent la concurrence : « pure et parfaite ». Qu’un Jospin –et il n’en a pas l’exclusivité- se fasse élire sur des « promesses qui n’engagent que
ceux qui veulent y croire » ne semble pas avoir d’importance à vos yeux. Qu’une construction européenne soit un carcan pour les peuples idem. Ce sont bien entendu des constructions humaines
et comme telles dans une démocratie, sur lesquelles on peut revenir. Mais es-ce si facile ?
Il me semble que tout ceci est plus compliqué. Vous évoquez « une version moderne de la soumission aux dieux », il y a un peu de ça. Depuis une trentaine d’années l’électeur vogue de Charybde en Scylla espérant le changement
et finissant par le rejet, pour revenir à son choix précédent tel un amnésique. Ceci me semble nécessiter une réflexion qui dépasse le « c’est la faute des citoyens ».
Ne vous excusez pas, notre controverse n’a pas dépassé les règles de respect et de courtoisie.
J’ai parfois l’impression et je vous prie de bien vouloir m’en excuser que vous abordez la problématique de la démocratie comme d’aucuns abordent la concurrence : « pure et parfaite ». Qu’un
Jospin –et il n’en a pas l’exclusivité- se fasse élire sur des « promesses qui n’engagent que ceux qui veulent y croire » ne semble pas avoir d’importance à vos yeux.
Bien sûr que cela a de l’importance. Mon point est précisement que personne n’y croit. Et que par conséquence on peut difficilement lui faire un procès en violation de promesse. C’est un peu
comme un homme qui pour séduire sa promise lui promettrait de décrocher la lune. Peut-elle après le mariage l’accuser de ne pas l’avoir fait ? J’en doute…
Mais pour aller plus loin, je dirais que ma position est essentiellement méthodologique. En d’autres termes, je me soucie peu de la réalité de la responsabilité des uns et des autres. C’est la
fiction qui m’intéresse. La tendance naturelle des gens est à rechercher leur petit bonheur et à laisser les “grandes choses” à d’autres, surtout si l’on peut facilement reporter sur ces “autres”
la culpabilité de ce qui ne va pas. Si l’on veut pouvoir changer quelque chose, il faut au préalable que les gens se sentent couplables de ce qui ne va pas. Autrement, ils ne chercheront pas à le
changer.
L’église catholique a eu l’intelligence de créer un péché originel que nous devons passer notre vie à racheter par des bonnes actions. La République laïque a besoin, elle aussi, d’un mécanisme
qui pousse les citoyens à faire le bien: ce mécanisme, c’est celui de la responsabilité collective. Peu importe que cette responsabilité soit réelle ou pas: si nous permettons aux citoyens de se
défausser sur leurs élus de leur culpabilité, ils ne chercheront jamais à prendre le pouvoir sur eux. La fiction de la responsabilité du peuple est fondamentale au fonctionnement de la
démocratie.
Qu’une construction européenne soit un carcan pour les peuples idem. Ce sont bien entendu des constructions humaines et comme telles dans une démocratie, sur lesquelles on peut revenir. Mais
es-ce si facile ?
Ce n’est pas “si facile” mais il faut convaincre les gens que c’est possible. Le discours qui transforme les institutions européennes en Léviathans fait plus pour décourager l’action que pour la
stimuler.
Il me semble que tout ceci est plus compliqué. Vous évoquez « une version moderne de la soumission aux dieux », il y a un peu de ça. Depuis une trentaine d’années l’électeur vogue de Charybde
en Scylla espérant le changement et finissant par le rejet,
Je ne le crois pas. Sauf à supposer que l’électeur est un imbécile, il est difficile d’expliquer cette attitude. Je pense, contrairement à vous, qu’une grande partie de l’électorat a voulu ces
transformations dont nous voyons les résultats aujourd’hui, même s’ils refusent d’en assumer ouvertement la responsabilité. Pensez à ces classes moyennes qui envoient leurs enfants aux meilleurs
lycées – ou dans l’enseignement privé subventionné – tout en brodant sur la “déchéance de l’école de la République”. Accepteraient-elles de payer plus d’impôts pour donner à l’éducation nationale
les moyens de ses missions ? Non. Elles se remplissent la bouche de la “réussite pour tous”, mais seraient horrifiés à l’idée que les enfants des couches populaires puissent concurrencer leurs
propres rejetons sur le marché du travail. Pour ce gens-là, le discours de la “trahison des gouvernements” est un alibi bien commode.
Croyez-vous vraiment que si les gouvernements avaient ouvré dans l’intérêt d’une infime minorité en “trahissant” la majorité de leurs électeurs le système politique aurait conservé l’énorme
légitimité qui est la sienne aujourd’hui ? Bien sur que non: si les gouvernements peuvent gouverner, c’est parce que l’immense majorité du peuple y consent. Et cela tend à prouver que les gens ne
se sentent pas si “trahis” que ça.
Ceci me semble nécessiter une réflexion qui dépasse le « c’est la faute des citoyens ».
Qui dépasse, certainement. Mais qui doit partir sur ce fondement. Les discours du genre “c’est la faute du gouvernement” (généralisé sous la forme “que se vayan todos”, “qu’ils s’en aillent
tous”) c’est de la pure démagogie. Et c’est ignorer un fait fondamental: les gouvernements ne peuvent gouverner que parce que les gens acceptent d’obéir. La manière comme cette légitimité se
génère et se maintient nécessite une analyse qui tienne compte des réalités.
« Mon point est précisement que personne n’y croit »
Je n’en suis pas si sûr et cela revêt toute son importance dans un pays où
droite et gauche alternent, un déplacement de quelques % suffit. En même temps, dans la mesure où la différence entre les deux partis « de gouvernement » est loin d’être abyssale,
j’opine plutôt pour une crainte du vrai changement. Il y a des raisons à cela, parfois raisonnables, parfois non. Vous évoquez ce que l’on peut appeler « l’esprit citoyen » force est de
constater que ce n’est pas ce qui a le plus cours au long de l’histoire ; la prise en main par le peuple de son propre destin ne se réalise souvent qu’à partir de grands événements.
« Je pense, contrairement à vous, qu’une grande partie de l’électorat
a voulu ces transformations dont nous voyons les résultats aujourd’hui, même s’ils refusent d’en assumer ouvertement la responsabilité »
Je dirais, pour ma part, qu’il a laissé faire.
« Les discours du genre “c’est la faute du gouvernement” (généralisé
sous la forme “que se vayan todos”, “qu’ils s’en aillent tous”) c’est de la pure démagogie »
C’est pourquoi, je ne les reprends pas mais je ne vois pas au nom de quoi
je me priverais de d’indiquer par ex que c’est le gouvernement Jospin qui a finalisé la privatisation de France Télécom, c’est un fait.
« les gouvernements ne peuvent gouverner que parce que les gens
acceptent d’obéir. »
C’est bien le problème mais c’est le plus souvent le cas dans l’histoire.
Peut-être plus particulièrement ces dernières années, exiger tout des autres et rien de soi, c’est lorsque je suis amer, ce que je dis à mes camarades syndicaux. « Une idée devient une force
lorsqu’elle s’empare des masses ». Le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas celle d’émancipation qui a régné ces dernières décennies (n’y voyez pas d’allusion à une révolution
hypothétique).
j’opine plutôt pour une crainte du vrai changement.
Je partage un peu votre diagnostic. Et compte tenue du discours de ceux qui
proposent un “vrai changement”, je dirais que cette crainte est assez justifiée. Seriez-vous prêt à confier à Mélenchon ou a Buffet une dictature – au sens romain du terme ?
Je dirais, pour ma part, qu’il a laissé faire.
Je pense que cela va bien plus loin que ça. La destruction de l’ascenseur
social dans l’éducation ne fut pas du simple “laissez faire”. Les classes moyennes y ont participé avec enthousiasme. Pensez à mai 68…
C’est pourquoi, je ne les reprends pas mais je ne vois pas au nom de
quoi je me priverais de d’indiquer par ex que c’est le gouvernement Jospin qui a finalisé la privatisation de France Télécom, c’est un fait.
Tout à fait. La question qui se pose est: pourquoi il y eut des
manifestations massives contre le CPE ou les différentes réformes de l’université, mais jamais pour défendre la propriété publique d’une entreprise nationale ? Pourquoi les gouvernements
tremblent lorsqu’il veulent réformer l’école, mais pas lorsqu’il lancent la privatisation de FT ou d’EDF ?
« Et
compte tenue du discours de ceux qui proposent un “vrai changement”, je dirais que cette crainte est assez justifiée »
Je crois que vous avez assez de recul pour imaginer que Mélenchon Buffet au
pouvoir ne serait pas le cataclysme agité par ses adversaires : le refus d’envisager de quitter l’UE ou l’euro suffit à en témoigner. Après tout, vous avez souligné qu’ils ont été ministres
« sages » de Jospin.
Lorsque j’écris que je dirais, pour ma part, qu’il a laissé faire, j’ai plutôt à l’esprit les couches
populaires qu’on a tout fait pour impuissanter : recul social, chômage, délocalisations, ne négligeant pas même la guerre « psychologique », l’ouvrier présenté comme un
beauf’…
La lutte des classes
c’est aussi cela et comme la politique a horreur du vide, si ce n’est la classe ouvrière qui a l’initiative, d’autres s’en saisissent.
Par ailleurs ce qui me
gêne dans votre discours relatif à la classe moyenne, c’est qu’il semble oublier la grande bourgeoisie qui a beaucoup profité (ne croyez pas que j’en fais un diable de confort mais les faits sont
là).
NB : selon mes
souvenirs le CPE avait des répercussions sur l’ensemble du salariat. Ce qui n’était pas le cas, dans la conscience, des privatisations FT et EDF .Les progrès technologiques permettant une
production de masse avec baisse des coûts dans les télécoms et, les gouvernements ont su procéder en tenant compte des obstacles comprenant des pauses , des aménagements mais allant sûrement vers
le but. J’avoue, pour ma part, avoir crié trop tôt à la privatisation, vrai sur le fond mais pas assez analysé les étapes : FT début : 88 ; fin : 96 et encore, l’Etat est
toujours présent.
Je crois que vous avez assez de recul pour imaginer que
Mélenchon Buffet au pouvoir ne serait pas le cataclysme agité par ses adversaires : le refus d’envisager de quitter l’UE ou l’euro suffit à en témoigner.
Ce n’est pas leur radicalité qui peut faire peur, mais leur incompétence et
leur manque de réalisme. Si j’étais un ouvrier aujourd’hui, est-ce que donnerais le pouvoir à un parti dont le raisonnement économique est largement magique ? Je pense que le couches populaires sont parfaitement
conscientes qu’ils seraient les premiers à souffrir de l’improvisation et du désordre d’un gouvernement incompétent, même s’il est bardé de bonnes intentions.
Par ailleurs ce qui me gêne dans votre discours relatif à
la classe moyenne, c’est qu’il semble oublier la grande bourgeoisie qui a beaucoup profité (ne croyez pas que j’en fais un diable de confort mais les faits sont là).
Je n’en parle pas parce que je pense qu’il est évident pour
mes lecteurs, étant donné mes parti-pris idéologiques, que pour moi le capitalisme est fondé essentiellement sur l’exploitation du travail par le capital. Dans ces conditions, critiquer la
“grande bourgeoisie” n’apporterait rien de nouveau à mes lecteurs. J’ai par contre la vanité de penser que mon analyse des classes moyennes est relativement originale, et qu’elle peut aider
à comprendre certains choix politiques qui autrement sont incompréhensibles.
NB : selon mes souvenirs le CPE avait des
répercussions sur l’ensemble du salariat. Ce qui n’était pas le cas, dans la conscience, des privatisations FT et EDF.
Vous faites erreur. D’une part, le CPE ne touchait pas
l’ensemble du salariat, mais seulement les jeunes à la recherche du premier emploi (CPE est l’acronyme de “Contrat première embauche”). D’autre part, la privatisation de FT et EDF touchait
l’ensemble des abonnés au téléphone et l’électricité, ce qui fait l’immense majorité des salairés.
Dernier message sur ce sujet car souci de ne chercher ni les prolongations à
l’infini, ni de souligner que j’ai raison. Je dirais que j’ai mes raisons et je les suis tant que je ne suis convaincu. Sans doute, il en est de même pour vous.
« Est-ce que donnerais le pouvoir à un parti dont le raisonnement
économique est largement magique ? »
Croyez-vous que, contrairement à leurs groupies, ils pensaient « être au
second tour » ? Ce qui m’avait séduit, au-delà de ces mirages, c’est la création d’un pôle qui ne se soumet ni au Medef, ni à l’UMP ou au PS. Il y a eu un tournant dans la campagne FDG
où ils sont passés à la lutte « antifasciste », miroir aux alouettes mitterrandiennes. Bien sûr tout était très loin d’être bon mais comprenez-vous que ça fait des années qu’on recule,
que les « petits » qui ont une conscience, qui essaient de se battre et n’en retirent que des claques ont besoin qu’on leur ouvre d’autres perspectives ? Et il n’y en avait pas
10 000. A tout prendre, je préfère être de ce camp en toute lucidité, en toute critique et je ne m’en suis pas privé. Dupont-Aignan ? Respectable mais aucune racine dans la classe
ouvrière, Chevènement ? Idem. Donc aucune chance d’aller vers le but.
« D’une part, le CPE ne touchait pas l’ensemble du salariat, mais seulement les jeunes à la
recherche du premier emploi (CPE est l’acronyme de “Contrat première embauche”). D’autre part, la privatisation de FT et EDF touchait l’ensemble des abonnés au téléphone et l’électricité, ce qui
fait l’immense majorité des salariés.
Le temps passe trop vite, un coup chasse l’autre. J’ai repris mes doc CPE : il s’agissait
tout de même d’employer des jeunes de moins de 26 ans avec une période d’essai dérogatoire de 2 ans au cours de laquelle l’employeur pouvait licencier sans justification. De plus celui-ci
bénéficiait de 3 ans d’exonération de cotisations sociales…
Je pense toujours que cette proposition était une avancée du Medef et une menace pour tout le
salariat. Comme toujours, on commence par le point faible. La jeunesse scolarisée s’est mobilisée ? Rien de plus logique, de là à l’appeler « classe moyenne », il me semble que
c’est largement abusif. Il est, bien entendu plus facile de mobiliser des personnes qui ne perdent pas de salaire. N’ont-ils pas eu raison ? N’est-ce pas un premier abord contre le
CDI par le biais des jeunes (sans distinction d’origine, en plus clair cela visait les moins bien protégés) ?
Permettez-moi d’insister sur FT/EDF / Oui, « la privatisation de FT et EDF touchait
l’ensemble des abonnés au téléphone et l’électricité, ce qui fait l’immense majorité des salariés. » mais j’écrivais « dans la conscience » et soulignait les raisons pour
lesquelles rien ne s’est produit : Les progrès technologiques permettant une production de
masse avec baisse des coûts dans les télécoms et, les gouvernements ont su procéder en tenant compte des obstacles comprenant des pauses , des aménagements mais allant sûrement vers le
but..
Plus général : lorsqu’il s’agit aux USA de créer une sorte de couverture sociale
généralisée sous Obama, les quasi seules manifestations qui ont eu lieu ont été celles des réactionnaires « à mort le communisme ! » (sic !), Dans ce monde à l’envers,
les « pauvres » ne se manifestent pas.
Espérant ne pas avoir abusé de votre patience.
Ce qui m’avait séduit, au-delà de ces mirages, c’est la création d’un pôle qui ne se soumet ni au Medef, ni à l’UMP ou au PS.
Franchement, l’insoumission ne m’a jamais séduit comme objectif en soi. Ce n’est pas parce qu’on ne se soumet pas au Medef, l’UMP ou le PS qu’on fait des choses bien. Le FN en est peut-être la
meilleure preuve.
Il y a eu un tournant dans la campagne FDG où ils sont passés à la lutte « antifasciste », miroir aux alouettes mitterrandiennes.
C’était prévisible. Le FdG pouvait difficilement aborder les “vrais” sujets (politique énergétique, construction européenne, Euro, politique industrielle) sans diviser sa base militante. Comment
proposer une politique énergétique cohérente sans mécontenter les partisans de la sortie du nucléaire ? Comment parler de politique industrielle sans mécontenter les “décroissants” et autres
“antiproductivistes” ? Comment parler de l’Euro sans se ridiculiser en proposant d’y rester tout en “désobéissant” les règles qui lui permettent d’exister ? Dans ce contexte, la tentation de
centrer la campagne sur le seul sujet qui unit tous les militants de la “gauche radicale” était irrésistible.
Bien sûr tout était très loin d’être bon mais comprenez-vous que ça fait des années qu’on recule, que les « petits » qui ont une conscience, qui essaient de se battre et n’en retirent que des
claques ont besoin qu’on leur ouvre d’autres perspectives ?
Certainement. C’est d’ailleurs ce besoin qui ouvre un boulevard à Marine Le Pen, précisement parce qu’elle a eu l’astuce de prendre les problèmes à bras le corps. A côté, je ne vois pas très bien
quelles sont les “perspectives” qu’ouvre le FdG aux “petits”. En restant dans l’Euro, on ferme toute possibilité de politique économique ou industrielle qui les sorte du trou. Et je doute que la
régularisation des sans papiers ou le mariage homosexuel puisse faire longtemps illusion.
Et il n’y en avait pas 10 000. A tout prendre, je préfère être de ce camp en toute lucidité, en toute critique et je ne m’en suis pas privé. Dupont-Aignan ? Respectable mais aucune racine
dans la classe ouvrière, Chevènement ? Idem. Donc aucune chance d’aller vers le but.
Si l’on est lucide et critique, on ne peut pas faire trop de mal, quelque soit le “camp” qu’on choisisse. Il est vrai que NDA ou JPC ont peu de “racines dans la classe ouvrière”. Mais au moins
ils essayent de semer des idées qui vont dans ce sens.
Je pense toujours que cette proposition [le CPE] était une avancée du Medef et une menace pour tout le salariat. Comme toujours, on commence par le point faible.
Avec ce genre de raisonnement, la privatisation de FT et’EDF n’est pas moins dangereuse…
La jeunesse scolarisée s’est mobilisée ? Rien de plus logique, de là à l’appeler « classe moyenne », il me semble que c’est largement abusif.
Si ma mémoire ne me trompe pas, ce fut dans les manifestations contre le CPE qu’on a observé ce phénomène: les enfants des classes moyennes défilant sagement et s’affrontant avec les enfants des
banlieues venus à Paris pour “casser”…
Il est, bien entendu plus facile de mobiliser des personnes qui ne perdent pas de salaire. N’ont-ils pas eu raison ?
La question n’est pas là. Je ne m’intéresse pas au fait de savoir s’ils ont eu “raison ou tort”. Ils ont défendu leurs intérêts, et cela me suffit pour l’analyse. La question que je me pose est:
pourquoi sont ils sortis dans la rue pour défendre leurs contrats, et pas pour défendre la propriété publique des entreprises comme FT ou EDF ?
N’est-ce pas un premier abord contre le CDI par le biais des jeunes (sans distinction d’origine, en plus clair cela visait les moins bien protégés) ?
Pas tout à fait. Imaginons la comparaison entre deux jeunes, A et B. A est diplômé, a des relations familiales, et trouverait un emploi relativement facilement. B, par contre, vient d’une
banlieue “difficile”, n’a pas de capital éducatif et familial, et il trouverait avec difficulté du travail. Maintenant, apparaît le CPE. L’effet de celui-ci est double: on embauche plus, et on
paye moins. A, qui aurait trouvé du travail de toute manière, est perdant puisque son patron, qui l’aurait embauché en CDI, lui propose un CPE. B, par contre, est gagnant: au lieu de rester au
chômage, il obtient un CPE. Comme tu vois, l’idée que le CPE portait préjudice aux “moins biens protégés” est pour le moins discutable…
Plus général : lorsqu’il s’agit aux USA de créer une sorte de couverture sociale généralisée sous Obama, les quasi seules manifestations qui ont eu lieu ont été celles des réactionnaires « à
mort le communisme ! » (sic !), Dans ce monde à l’envers, les « pauvres » ne se manifestent pas.
Peut-être. Mais la couverture généralisée a été l’une des raisons pour lesquelles les américains ont voté Obama… les partisans ne se sont peut-être pas manifesté dans les rues, mais ils se sont
manifestés dans les urnes.
Espérant ne pas avoir abusé de votre patience.
Vous n’avez certainement pas abusé, et ne vous censurez pas en pensant l’avoir fait. C’est toujours un plaisir d’échanger avec vous au delà de nos désaccords.
je pense qu’il est évident pour mes lecteurs, étant donné mes parti-pris idéologiques, que pour moi le capitalisme est fondé essentiellement sur l’exploitation du travail par le capital.
Je suis désolé de m’immiscer un peu comme ça mais… justement, ce n’est pas forcément si évident que ça ! Je sais que ton objectif avec ce blog c’était d’insister surtout sur la méthode et ne
pas tomber dans la facilité des critiques faciles de tout ce qu’on aime pas. Mais je pense que ça peut être intéressant que tu présentes quelques fondamentaux de ta réflexion parce qu’on (en tout
cas moi) a parfois du mal à saisir ce que tu “veux”. Peut-être que cela pourrait permettre par exemple à d’autres blogeurs de rebondir dessus afin d’élaborer quelque chose ensemble et d’estimer
les points de compatibilité ?
Pour reprendre l’exemple de plus haut: “le capitalisme est fondé essentiellement sur l’exploitation du travail par le capital”. Certes. Mais es-tu favorable à une abolition “à court terme” du
capitalisme ou est-ce une longue course de fond et pour le moment nous devons le réguler ? Que réponds-tu à ceux qui te diront que l’entrepreneur permet de faire vivre les ouvriers en leur
donnant du travail et que donc le transfert de la valeur n’est que juste compensation du risque de faillite ? Est-ce que c’est “l’aliénation du travail” (bien que ce terme me reste un peu flou)
qui te pose problème ?
En fait j’ai l’impression que ta vision est plutôt keynésienne que “communiste”, bien que ce terme aujourd’hui veuille dire tout et son contraire. Désolé pour toutes ces questions ! Ce n’est bien
sûr nullement un interrogatoire et tu n’es pas obligé de répondre, c’est juste de la grande curiosité de ma part (et une envie de comprendre) 🙂
Bien amicalement