Suite à mon dernier article sur le marché du travail et l’immigration, un lecteur de ce blog m’a mis au défi de faire un papier pédagogique sur le marché et le libre-échange. Je relève le défi, d’une part parce que je ne suis pas du genre à laisser un gant par terre, et d’autre part parce que je pense, comme mon lecteur, que la question du marché est une question essentielle trop souvent délaissée par la réflexion économique “de gauche”. Voici donc un papier sur le marché, le libre échange sera le sujet du prochain…
Le marché: un mécanisme optimal… sous certaines conditions.
C’est quoi exactement le marché ? C’est un endroit où des individus multiples échangent des biens et des services qu’ils possèdent contre d’autres biens et d’autres services. Pour ne pas compliquer l’analyse, on laissera pour le moment de côté les marchés de troc (ou l’on échange n’importe quelle marchandise contre n’importe quelle marchandise) pour ne prendre que les marchés monétisés: dans ces marchés, on échange des biens et des services contre une “marchandise particulière”, la monnaie, qui devient du coup un “équivalent universel”, puisqu’elle peut être échangée contre n’importe quel type de bien. Dans ces marchés on distingue les “vendeurs” (qui propose un bien où un service contre de la monnaie) et “les acheteurs” (qui lui cherche à se défaire de la monnaie contre un bien où un service).
Le marché est le lieu de confrontation de deux intérêts: l’intérêt des vendeurs est évidement de maximiser la quantité de monnaie qu’ils obtiendront en échange de leur marchandise. L’intérêt des acheteurs est l’inverse: se procurer la marchandise en échange de la plus petite quantité possible de monnaie. Cette confrontation détermine simultanément deux paramètres: un prix mais aussi une quantité échangée. Ce deuxième paramètre est souvent négligé, or il est essentiel pour comprendre pourquoi les marchés sont efficients. Pour mieux comprendre, prenons par exemple un échange de blé:
- Plaçons nous du côté des producteurs: chacun cultive son champ. Mais ces champs ne sont pas de même productivité: Certains nécessitent beaucoup de travail pour être cultivés et leur production est faible, alors que d’autres sont beaucoup plus fertiles et donnent des récoltes abondantes. Si le prix du blé sur le marché est bas, il ne sera plus rentable de cultiver les champs les moins productifs, qui seront laissés en friche. La quantité de blé disponible pour l’échange sera plus faible. Par contre, si les prix sont élevés, il sera rentable de cultiver tous les champs, et la quantité proposée à la vente sera plus grande.
- Maintenant, du point de vue de l’acheteur, c’est l’inverse: si le prix est élevé, les acheteurs chercheront à en consommer moins, par exemple en substituant au blé des produits moins chers chaque fois que c’est possible. Ils chercheront donc à acheter des quantités faibles. Par contre, si le blé est bon marché, les acheteurs ne prendront pas la peine de restreindre leur consommation ou de remplacer le blé, et la quantité achetée sera plus importante.
Lorsque vendeurs et acheteurs se mettront d’accord sur un prix, ce prix déterminera aussi la quantité échangée. Mais que se passe-t-il si l’on fixe administrativement par exemple un prix plus différent plus haut ou plus bas que le prix de cet accord ? Si le prix est plus haut, les acheteurs achèteront moins, s’il est plus bas, les vendeurs offriront moins. Dans les deux cas, on aboutit à une quantité échangée inférieure à celle qui aurait été échangée au prix d’équilibre du marché. L’équilibre du marché correspond donc à un optimum de l’échange: le prix du marché est celui qui permet aux vendeurs de vendre le plus, et au plus grand nombre d’acheteurs de bénéficier d’un produit. Tout autre prix aboutirait à un résultat moins bon.
Ce mécanisme a impressionné les économistes depuis très longtemps. L’expression d’Adam Smith montre bien cette admiration: “(…) en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions” (A. Smith, “La richesse des Nations”). Dans un contexte où les pouvoirs de régulation étaient souvent vénaux et corrompus, ce qui provoquait l’admiration de Smith, c’était l’idée de la régulation de la société non pas par les décisions d’une autorité, toujours sujette à l’arbitraire ou à la corruption, mais par un mécanisme aveugle.
Et les libéraux ont raison quand ils disent que le mécanisme de marché, lorsqu’il fonctionne correctement, aboutit à un optimum économique. Le problème, c’est que ce mécanisme ne marche pas à tous les coups. Quelles sont les conditions pour que le marché aboutisse effectivement à un prix d’équilibre qui soit un optimum ? Et bien, les économistes ont démontré qu’il fallait pour cela que la concurrence satisfasse trois conditions (celles qu’on appelle “concurrence pure”):
- Les vendeurs et les acheteurs doivent être très nombreux et de petite taille, de manière qu’aucun d’entre eux puisse à lui seul fixer les quantités échangées ou les prix (condition dite “d’atomicité du marché). Pour revenir à l’exemple précédent, on voit que s’il n”y a qu’un seul vendeur de blé, il peut fixer son prix arbitrairement sans garantie de choisir le prix optimum.
- Homogénéité du produit échangé: il faut que les biens proposé par les différents vendeurs soient interchangeables entre eux. Dans notre exemple, si chaque vendeur propose une un type différent de blé, et que ces types ne sont pas adaptés aux mêmes usages, le prix global du marché n’a aucune raison de converger vers un prix d’équilibre, puisque chaque acheteur aura à chercher le vendeur capable de lui fournir le produit dont il a besoin.
- La transparence de l’information: si certains acteurs du marché ont des informations que d’autres n’ont pas, ils peuvent en profiter pour augmenter leurs marges en écartant le prix d’équilibre de l’optimum. Pour revenir à notre exemple, imaginons un instant que certains vendeurs de blé soient au courant de l’arrivée sur le marché de grandes quantités de blé étranger alors que les acheteurs l’ignorent. Ceux-ci auront tendance à négocier comme si cette arrivée n’existait pas, maintenant un prix d’échange plus élevé que celui qui se serait établi naturellement par l’équilibre du marché si tous les acteurs connaissaient cet arrivage.
S’ajoutent à ces trois conditions deux conditions dites “de concurrence parfaite” qui, s’ils ne pèsent pas directement sur la formation du prix, participent au fait que les marchés sont liés entre eux, et que dans une économie complexe on doit atteindre l’équilibre simultané de plusieurs marchés en même temps. Voici les deux conditions:
- L’absence de barrières à l’entrée et à la sortie du marché: tous ceux qui ont un bien, comme par exemple le blé dans notre exemple, doivent avoir la possibilité de le vendre si le prix leur convient, ou se retirer de la vente si le prix ne leur convient pas.
- Mobilité des facteurs de production (capital et travail): Ainsi, dans notre exemple, imaginons qu’il y ait un déficit dans l’offre de blé alors qu’il y a un excès d’offre sur le marché du maïs. Les prix du blé auront tendance à monter et ceux du maïs à baisser. Si les producteurs de maïs peuvent changer facilement de culture, alors ils auront tendance à faire moins de maïs et plus de blé, et ce transfert de facteurs de production équilibrera les deux marchés. Par contre, s’il y a des barrières (technologiques, réglementaires) au déplacement d’une culture vers une autre, le déséquilibre persistera.
Quels sont les marchés qui remplissent ces conditions ? Eh bien… en fait ils sont très rares. Le problème de la vision libérale n’est donc pas un problème théorique. La théorie montre bien que le marché “pur et parfait” aboutit à un optimum. La difficulté est de savoir si cette théorie représente effectivement lel fonctionnement des marchés réels. A rien ne sert donc de critiquer les théories libérales: en tant que théories, elles sont tout à fait cohérentes. Le problème, c’est que lorsqu’on essaye d’organiser les marchés réels conformément aux principes libéraux, on se casse le nez parce que les marchés réels ne sont pas, en général, “purs”.
Pour cela, il y a des raisons matérielles (la circulation de l’information n’est pas instantanée, par exemple), mais il y a aussi des raisons qui tiennent au comportement des acteurs. C’est l’un des résultats paradoxaux de la théorie libérale: en théorie, sur un marché “pur et parfait” le profit tend vers zéro. En effet, la concurrence oblige les vendeurs à baisser leurs prix pour faire face à leurs concurrents et maximiser leur ventes, et ce processus ne s’arrête que lorsque les prix sont très proches du coût de production des biens. Les marchés les plus proches de la “perfection” sont d’ailleurs ceux où les marges sont les plus faibles, alors que ce sont les marchés “imparfaits” (l’exemple des produits de luxe, marché non atomique et non homogène, est le plus criant) sont ceux qui laissent les marges les plus confortables. C’est pourquoi les grandes entreprises, tout en proclamant leur attachement au “libre marché”, cherchent par tous les moyens à rendre les marchés aussi “imparfaits” que possible en violant les cinq règles exprimées plus haut: en “désatomisant” le marché (par le biais des concentrations et des OPA), en différenciant les produits par la multiplication de produits différents et difficilement substituables les uns aux autres, en fournissant un minimum d’informations, en mettant des barrières à l’accès de leurs concurrents au marché.
Une véritable réflexion “socialiste” ne devrait donc pas exclure le marché comme mécanisme de régulation. Là où l’on peut organiser des marchés dont les conditions sont proches d’une “concurrence pure et parfaite”, et sous réserve qu’il s’agisse de biens qui ne nécessitent pas une grande anticipation des prix (1), le marché est un excellent mécanisme de fixation des prix et d’allocation de ressources.Est-il nécessaire par exemple pour réaliser une société “socialiste” de réguler les prix de la restauration courante ? Non, bien sur: c’est un marché qui réunit presque les conditions d’une concurrence pure et parfaite, et les prix sont donc proches de l’optimum. Par contre, sur des marchés qui sont par essence disfonctionnels (du moins du point de vue des théories libérales) comme les marchés de l’électricité, le marché n’a aucune raison de conduire aux prix optimum.
Descartes
(1) Le problème ici est la “myopie” des marchés dans le temps. En effet, le prix fixé par le marché est le “signal” qui indique aux producteurs les quantités à produire. Dans notre exemple du marché du blé, c’est en fonction du prix que les agriculteurs peuvent choisir s’il est rentable de mettre en culture telle ou telle parcelle ou de la laisser en friche en fonction de sa fertilité. Mais le prix du marché fournit une indication sur son état instantané, et ne permet pas d’anticiper l’avenir. Or, la décision de cultiver se prend huit mois avant que le blé arrive effectivement sur le marché. Et en huit mois, le prix peut changer considérablement…
Vous êtes plus Proudhonien que marxiste mon cher Descartes!
Ah bon ? Et qu’est ce qui vous fait penser ça ?
Il y a mon sens un autre facteur qui peut éventuellement rendre le marché “imparfait”, c’est la spéculation.Le prix du blé (comme d’autres matières premières de ce type)est fixé quelques mois avant
la récolte(et de facto avant la transaction), ce sont des marchés dits “à terme” ce qui a tendance à faire monter les prix (le vendeur et l’acheteur sont dans un bras de fer,mais le vendeur essaye
de minimiser les risques de mauvaise surprise). Très souvent les acheteurs n’ont pas directement besoin du blé, ils n’en voyent d’ailleurs jamais la couleur, ce sont des traders qui vendent et
achétent dans le seul but de faire des profits, ce qui a aussi tendance a faire monter les prix. Il y a aussi des gros poissons (fonds d’investissement) qui sont capables d’acheter et stocker des
grosses quantités, de façon a réduire l’offre et influencer les cours (il y a quelques temps sarko s’était ému que quelqun puisse acheter 15 % du cacao mondial).
Il y a mon sens un autre facteur qui peut éventuellement rendre le marché “imparfait”, c’est la spéculation.
Je crois que tu confonds la cause et la conséquence. Ce n’est pas la spéculation qui “rend le marché imparfait”. C’est parce que le marché est imparfait que la spéculation est possible. Dans un
marché “pur et parfait” la spéculation est impossible. La spéculation repose soit sur une assymétrie d’information (le spéculateur “sait” quelque chose que les autres opérateurs ne savent pas),
soit sur le pouvoir d’un opérateur du marché de faire varier les prix (marché non atomique). Dans un marché “pur et parfait”, tous les opérateurs sont égaux et aucun ne peut influencer les cours.
Si l’on pouvait gagner de l’argent en “spéculant”, cette option serait ouverte à tous les opérateurs à égalité… ce qui rend évidement la spéculation impossible.
Proudhon était pour une economie de marché de petits producteurs, ce que Marx était pour la collectivisation général des moyens de productions.
Pas tout à fait: Marx parle de la collectivisation des “grands moyens de production et d’échange”. Il ne parle pas de la collectivisation de tous les moyens de production. Et de
ce point de vue, je suis certainement du côté de Marx, et non de Proudhon. Il ne reste pas moins qu’une fois que les moyens de production ont été collectivisés, il reste à trouver un mécanisme de
formation des prix. A ma connaissance, Marx n’a jamais rejeté l’idée que ce mécanisme pourrait être un mécanisme de marché.
D’une manière générale, il faut se rappeler que Marx est grand en tant que théoricien du capitalisme. Ses écrits sur la manière dont une économie socialiste pourrait fonctionner sont très
schématiques.
Bonjour à tous,
Les biens et les services échangés, qui font le « marché » au sens large étaient, à l’origine, une réponse à des besoins, vitaux pour la plupart. Ou les individus satisfaisaient individuellement
ces besoins ou, afin d’optimiser les moyens de production – un savoir faire, une charrue, etc – ils avaient recours à l’intervention d’un partenaire économique. Peu à peu aux besoins se sont
associées des envies, pour en arriver à l’époque actuelle dans nos sociétés occidentales à un marché de biens et de services repondant pour l’essentiel de leur valeur marchande, à la satisfaction
d’envies. Exemple : une automobile ( si tant est que l’on en ait réellement besoin) de type Logan, à 8500€ remplit correctement la fonction que l’on attend en principe d’une automobile. Or combien
de véhicules en circulation ont un prix catalogue de 8500€ ? Très peu. C’est donc que le consommateur achete, associé à l’auto, une « valeur »* supplémentaire que l’on appelle en technique
d’analyse de la valeur : la valeur d’estime. Et cette valeur d’estime devient prépondérente dans une grande partie de notre consommation. La publicité s’est chargée de nous faire prendre des
vessies pour des lanternes et personne n’y échappe. Les modes, alimentaires ou equipementières, les exigences corporelles de toutes sortes, les attentes culturelles, etc, presque tout est
conditionné par des influences externes qui ne répondent que très partiellement aux besoins fondamentaux. A partir de là, la « spéculation » ne porte plus tant sur le déséquilibre provoqué ou non
entre l’offre et la demande mais surtour sur la capacité escomptée de création d’un manque psychologique, d’une frustration du consommateur potentiel. La spéculation ne se réduit pas à la «
manipulation « d’un marché de biens ou de services. Elle est multiforme et nous spéculons tous à un moment ou à un autre. Et dans cet esprit généralisé, il n’y a plus de limites sauf celle , et
encore, de la solvabilté des acheteurs. Le crédit sous toutes ses formes, mêmes scandaleuses, permet de repousser ces limites.
Nous achetons sans nous en rendre compte, de l’aléniation que nous payons par une partie importante de notre liberté, et tout ça dans l’euphorie consumériste !
Nous ne nous libérerons de ce carcan « tarpéien » qu’au prix d’un très long effort culturel qui devrait aboutir à une relativisation du bien être apporté par la marchandisation à outrance.
Mais là je parle comme un nanti en retraite et je demande aux générations qui suivent de faire l’effort. J’ai conscience de l’outrance !
De grace, Descartes, admettez ce mot au sens de monsieur tout le monde au café du commerce.
Spéculativement votre.
Les biens et les services échangés, qui font le « marché » au sens large étaient, à l’origine, une réponse à des besoins, vitaux pour la plupart. (…) Peu à peu aux besoins se sont associées
des envies, pour en arriver à l’époque actuelle dans nos sociétés occidentales à un marché de biens et de services repondant pour l’essentiel de leur valeur marchande, à la satisfaction
d’envies.
Cette vision d’une époque où l’économie satisfaisait des “besoins, vitaux pour la plupart” nous ramène en fait à l’âge des cavernes. On peut même se demander si ce qui a séparé l’homme du singe
n’est pas justement qu’il échappé aux “besoins” pour satisfaire des “envies”. Car contrairement à ce que tu crois, on commence très tôt à échanger des objets qui ne satisfont aucun besoin
pressant. Le maquillage et la joaillerie, sans aller plus loin, est utilisé dans toutes les cultures, même les plus primitives. Et il faudra m’expliquer en quoi se farder le visage ou porter un
collier de coquillages précieux (quelquefois importés de très loin) satisfait un quelconque “besoin”.
Ta distinction entre “besoin” et “envie” (qui, sans vouloir te cataloguer, est le lot classique des mouvement “décroissants” et en général des mouvements ascétiques qui apparaissent de temps en
temps depuis que le monde est monde) est en fait très artificielle. En dehors du litre d’eau et des 2000 calories journalières indispensables pour survivre, qu’est ce qui distingue un “besoin”
d’une “envie” ?
Exemple : une automobile ( si tant est que l’on en ait réellement besoin) de type Logan, à 8500€ remplit correctement la fonction que l’on attend en principe d’une automobile.
Mais qu’est ce que cela veut dire exactement “la fonction que l’on attend en principe d’une automobile” ? Ici, tu universalises ce que toi tu attends comme si tout le monde
attendait la même chose. Or, ce n’est pas le cas. Certains attendent de l’automobile qu’elle les amène d’un point A à un point B, d’autres veulent que le trajet soit aussi un plaisir. D’autres
encore voudront que leur voiture proclame mon rang social. Crois-tu que dans ce dernier cas une Logan fasse l’affaire ?. Et le fait de proclamer son rang social est-il une “envie” ou un “besoin”
? Je te fais remarquer que ce fait existe dans toutes les civilisations humaines connaissant la division du travail… dont existait dejà à l’époque dorée où selon toi l’échange visait à
“satisfaire des besoins”.
C’est donc que le consommateur achete, associé à l’auto, une « valeur »* supplémentaire que l’on appelle en technique d’analyse de la valeur : la valeur d’estime. Et cette valeur d’estime
devient prépondérente dans une grande partie de notre consommation.
Et heureusement. Plus une civilisation avance, et plus son imaginaire est complexe. Nous n’exigeons pas seulement que les objets soient utiles, nous exigeons aussi qu’ils soient beaux. Et la
beauté, c’est une pure question d’estime (au sens où tu l’enonces plus haut). Une belle voiture et une voiture moche remplissent exactement la même fonction matérielle.
La publicité s’est chargée de nous faire prendre des vessies pour des lanternes et personne n’y échappe. Les modes, alimentaires ou equipementières, les exigences corporelles de toutes
sortes, les attentes culturelles, etc, presque tout est conditionné par des influences externes qui ne répondent que très partiellement aux besoins fondamentaux.
Il faut revenir à l’Histoire. Les modes existent depuis la plus haute antiquité, bien avant que la publicité n’apparaisse. Mais d’une manière plus générale, faut-il regretter que “les modes
alimentaires ou équipementières, etc.” ne répondent que très partiellement aux besoins fondamentaux ? Ou faut-il au contraire s’en réjouir ? Personnellement, je choisis la deuxième option: le
progrès humain est justement construit en s’abstrayant des “besoins fondamentaux”.
J’ai du mal à croire que tu penses vraiment ce que tu dis ici. Penses-tu vraiment que les “attentes culturelles” devraient répondre aux “besoins fondamentaux” ? Mais c’est quoi exactement les
“besoins fondamentaux” en matière culturelle ?
A partir de là, la « spéculation » ne porte plus tant sur le déséquilibre provoqué ou non entre l’offre et la demande mais surtour sur la capacité escomptée de création d’un manque
psychologique, d’une frustration du consommateur potentiel.
Désolé, mais ce raisonnement à la Humpty-Dumpty, ce n’est pas pour moi. Les mots ont un sens, et si l’on commence à les utiliser à tort et à travers, on ne se comprend plus. La “spéculation”
désigne un comportement bien précis, qui consiste schématiquement à “parier” sur un prix futur (et éventuellement, à manipuler ce prix pour gagner son “pari”).
Nous achetons sans nous en rendre compte, de l’aléniation que nous payons par une partie importante de notre liberté, et tout ça dans l’euphorie consumériste !
Vous me direz trois Notre-Père et cinq Ave-Maria. Allez en paix, mon fils. Ego te absolvo…
Arrêtons avec ces litanies d’autoflagellation et revenons une fois encore à l’Histoire. L’euphorie consumériste a toujours existé: les patriciennes romaines se disputaient les tissus et
l’orfévrèrie venue d’orient, et à la court de Louis XIV ces dames et ces messieurs faisaient assaut de brocats et de dentelles venues de Flandres. Le seul changement qu’apporte la révolution
industrielle est d’élargir cette “euphorie consumériste”, qui était reservée à une classe très réduite, à l’ensemble de la population. Les appels à l’ascèse eux non plus ne sont pas nouveaux. Les
prêches des Franciscains contre le luxe (on ne l’appellait pas encore “consommation”, mais ça y ressemble) valent bien toutes les diatribes des “décroissants”. Le moteur du progrès humain a
toujours été la meilleure satisfaction des besoins matériels. Et ce n’est pas près de changer. D’ailleurs, qu’est ce que tu proposerais comme alternative ? Une économie dont le but serait
seulement la satisfaction des besoins vitaux ?
De grace, Descartes, admettez ce mot au sens de monsieur tout le monde au café du commerce.
Requête rejetée.
Paradoxalement, votre réponse très…euh.. “charpentée” m’a provoqué des éclats de rires!
Vous semblez muer lentement de René à Maximilien
En effet tout d’abord vous me faites dire des choses que je ne dis pas, car un constat n’est pas synonyme de croyance. Ensuite ce qui depuis la nuit des temps est valable pour l’humanité, mais à
titre très marginal, n’est pas pour autant significatif de la réalité de la plupart de la race humaine.Exemple, si vous observez, à, travers les chroniqueurs de l’époque, la situation de nos
compatriotes au IXXème siecle, leur souci quotidien était, pour la plupart de survivre. Les gouts de luxe étaient réservés aux midinettes et bourgeois parisiens ou similaires.95% de la population
luttait pour sa survie. Autre malentendu concernant l’exemple de l’automobile. C’est d’abord un objet dont l’usage permet de transporter des passagers d’un point à un autre dans les conditions
optima de confort, de sécurité, de cout et de rapidité. Point final .Ce que l’on attent du reste, en plus, c’est la satisfaction d’une vanité. Elle est légitime, mais ne soyons pas hypocrite, ce
n’est que le produit d’une société artificielle qui provoque la différenciation entre les individus. Je sais de quoi je parle car je possède actuellement un 4×4 Toyota Land Cruiser et ce qui me
différencie, peut être, de vous, c’est la conscience que j’ai de cette vanité.
Puis, à vous lire, tout propos visant à remettre en cause cette soif inextinguible de consommation à tout va, sans cesse en augmentation, au mépris de toute vision ou simple souci écologiste, se
réduit à une soit disante « diatribes des “décroissants”. »
Je ne suis pas contre le luxe, car j’ai le sentiment d’en jouir actuellement et je ne dédie à quiqonque le droit d’y aspirer. Mais il ne faut pas , comme vous le faites, créer l’amalgame entre le
besoin bien naturel de satisfaction d’un plaisir dans la consommation d’un bien matériel ou d’un service et le but existentiel d’une vie qui ne vaudrait que par les possibilités de consommation
qu’elle procure.
Tout ne se réduit pas à la dialectique marxiste et comme vous le dites, « Le moteur du progrès humain a toujours été la meilleure satisfaction des besoins matériels. » je ne suis pas du tout sur
que ce soit un progrès, pour le plus grand nombre, que de vivre frustré par des manques, par des envies impossibles à satisfaires.
Je crois que la voie spirituelle a été bien trop négligée depuis quelques décénies. Les dirigeants de tout poils n’apprécient pas particulièrement un peuple qui raisonne, qui conteste, qui se
maintien lucide. C’est pourquoi les efforts consentis à son éducation, surtout d’ailleurs en France, vont en s’affaiblissant. Il vaut en effet beaucoup mieux pour l’oligarchie de droite comme de
gauche, satisfaire des besoins matériels en recourant au besoin largement au crédit – ça ligote le bon peuple – que de lui donner les moyens de son autonomie.
Enfin, est il permis sur le blog dont vous êtes j’en conviens le maitre absolu, d’employer les termes de valeur, de spéculation ou autres dans une acception s’affranchissant de l’évangile selon
saint Marx , en se référant à Kant par exemple, ou doit on faire notre le fameux vers de Dante « Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate » ( Laissez toute espérance, vous qui entrez ).
Aller, bonne journée ! ! ! !
Vous semblez muer lentement de René à Maximilien. En effet tout d’abord vous me faites dire des choses que je ne dis pas, car un constat n’est pas synonyme de croyance.
Au contraire, je reste très Réné: après tout, à moins d’avoir un accès directe à la vérité, tout constat est nécessairement une “croyance”… 😉
Ensuite ce qui depuis la nuit des temps est valable pour l’humanité, mais à titre très marginal, n’est pas pour autant significatif de la réalité de la plupart de la race humaine.
Certes. Mais attribuer à la “publicité” ou à “l’aliénation capitaliste” des éléments qui sont présents depuis la nuit des temps pose un redoutable problème logique. Par ailleurs, qu’une structure
se soit maintenue si longtemps, malgré les changement politiques, sociaux et économiques, et qu’elle soit présente dans toutes les civilisations laisse penser qu’elle est profondément liée à la
condition humaine, et que ce n’est pas une vague illusion entretenue par la publicité.
Les gouts de luxe étaient réservés aux midinettes et bourgeois parisiens ou similaires.95% de la population luttait pour sa survie.
Admettons. Mais quid des 5% restants ? Ces “midinettes et bourgeois parisiens”, étaient-ils des victimes de l’horrible aliénation consumériste ? Comment expliquer que ce fut la classe dominante
qui était “aliénée” alors que les dominés jouissaient du privilège de vivre la “vraie” vie, dans un monde où l’économie servait à “satisfaire les besoins” ? Ne trouvez vous pas étonnant que votre
idéal d’économie corresponde en fait à l’économie de survie des couches les plus pauvres ?
Autre malentendu concernant l’exemple de l’automobile. C’est d’abord un objet dont l’usage permet de transporter des passagers d’un point à un autre dans les conditions optima de confort, de
sécurité, de cout et de rapidité. Point final.
Je ne vois pas ce qui vous permet de mettre un “point final”. Pour celui qui s’achète une Maseratti, le souci essentiel n’est pas de “transporter des passagers d’un point à un autre, etc.”. En
quoi le point de vue de cet individu serait-il moins légitime que le votre ? Rien ne vous autorise à généraliser votre idée de la voiture au reste du monde.
C’est bien là que se trouve le talon d’Achille de toutes les théories qui prétendent établir une hiérarchie entre “besoins” et “désirs”. En dehors des besoins vitaux (qui sont en fait très
réduits: un litre d’eau et 2000 calories par jour, c’est tout), tout le reste n’est que “désir”. Et rien ne vous permet de décrêter que le “désir” de contempler un Van Gogh ou d’écouter une
sonate de Bach soit moins légitime que le “désir” de voir sa vanité comblée par une Maseratti.
Elle est légitime, mais ne soyons pas hypocrite, ce n’est que le produit d’une société artificielle qui provoque la différenciation entre les individus.
“Société artificielle” ? Mais ce srait quoi une “société naturelle” ? Je te trouve finalement bien nostalgique d’un paradis perdu qui ressemble dangereusement à une sorte de communisme primitif:
pas de “société artificielle”, pas de différentiation, une économie qui se contenterait de “satisfaire les besoins”…
Je sais de quoi je parle car je possède actuellement un 4×4 Toyota Land Cruiser et ce qui me différencie, peut être, de vous, c’est la conscience que j’ai de cette vanité.
Ce qui vous différentie surtout de moi c’est que moi, je n’ai pas de 4X4 Toyota Land Cruiser !!!! 😉
En fait, je suis une personne plutôt frugale en termes de consommation… mais je n’en tire aucune fierté particulière. Et je ne prétend pas imposer mon style de vie aux autres: peut-être que ce
qui pour moi est important n’est pour eux que “vanité”…
Puis, à vous lire, tout propos visant à remettre en cause cette soif inextinguible de consommation à tout va, sans cesse en augmentation, au mépris de toute vision ou simple souci écologiste,
se réduit à une soit disante « diatribes des “décroissants”. »
Oui. Parce que se battre contre la “soif inextinguible” d’amélioration matérielle me paraît aussi inutile que de se battre contre la marée ou contre la rotation de la terre. Que voulez-vous, je
reste un indécrottable matérialiste…
Mais il ne faut pas , comme vous le faites, créer l’amalgame entre le besoin bien naturel de satisfaction d’un plaisir dans la consommation d’un bien matériel ou d’un service et le but
existentiel d’une vie qui ne vaudrait que par les possibilités de consommation qu’elle procure.
Sauf à croire en une transcedence, nous n’avons pas d’autre “but existentiel” que de profiter de la vie.
je ne suis pas du tout sur que ce soit un progrès, pour le plus grand nombre, que de vivre frustré par des manques, par des envies impossibles à satisfaires.
La meilleure vie serait donc celle où l’on ne désire rien, car c’est la seule vie qui nous assure de ne jamais être frustrés ? Je ne savais pas que vous étiez boudhiste…
C’est justement la frustration des “envies impossibles à satisfaire” qui a constitué le moteur de la civilisation occidentale (c’est à dire, pour faire court, celle qui est héritière de Grèce et
de Rome), qui lui a donné ce dynamisme qui a tant manqué aux grandes civilisations orientales. C’est cette frustration qui nous a conduit à chercher, à innover, à inventer. Sans cette
“frustration”, on en serait resté dans des cavernes à manger du mammouth mal cuit. Ne pensez vous pas que le chemin parcouru depuis Cro-Magnon jusqu’à nos jours constitue un “progrès” ?
Je crois que la voie spirituelle a été bien trop négligée depuis quelques décénies.
C’est quoi “la voie spirituelle” ? Je ne vous savais pas mystique.
Les dirigeants de tout poils n’apprécient pas particulièrement un peuple qui raisonne, qui conteste, qui se maintien lucide. C’est pourquoi les efforts consentis à son éducation, surtout
d’ailleurs en France, vont en s’affaiblissant.
J’ai du mal à suivre votre raisonnement. L’enviable système d’éducation dont la France a bénéficié pendant un peu moins d’un siècle était lui aussi le produit des “dirigeants”. Faut croie que
Ferry ou Buisson appréciaient particulièrement “un peuple qui raisonne”…
Ce ne sont pas les dirigeants qui ont détruit le système scolaire. Ce sont les classes moyennes. Et elles l’ont fait très rationnellement: un système scolaire capable de former “un peuple qui
raisonne” est capable d’élever socialement les gens, et donc de produire des concurrents pour les rejetons des classes moyennes. Pourquoi croyez-vous que l’éducation et la culture aient été
arasées par la gauche au pouvoir ? Auriez-vous oublié que la télé-poubelle a commencé du temps de Mitterrand ?
Enfin, est il permis sur le blog dont vous êtes j’en conviens le maitre absolu, d’employer les termes de valeur, de spéculation ou autres dans une acception s’affranchissant de l’évangile
selon saint Marx,
Oui, bien sur. Mais aux risques et périls de l’utilisateur…
Bonne journée à vous aussi, et merci de vos commentaires que j’apprécie beaucoup, même si je ne suis généralement pas d’accord avec!
Je me permets une courte intervention, à demi-amusée.
Descartes dit : « à la court de Louis XIV ces dames et ces messieurs faisaient assaut de brocats et de dentelles venues de Flandres ». Mais justement…
Quel fut l’intérêt de la Cour ? Domestiquer la noblesse pour la rendre inoffensive. Asservir les courtisans par la mode, le paraître, extrêmement coûteux, afin que les nobles dépensent toujours
plus, et dépendent financièrement du roi. Donc la mode et la « passion consumériste » qui va avec a bien été une façon de priver la noblesse de sa liberté (et on comprend Louis XIV quand on se
souvient de la fronde)…
Ajoutons que la mode au sens moderne ne remonte qu’au XVIII° siècle. Dans l’Antiquité, la mode existe, mais elle évolue très lentement. Certains types de vêtements sont portés pendant plusieurs
siècles.
Cordialement.
Quel fut l’intérêt de la Cour ? Domestiquer la noblesse pour la rendre inoffensive. Asservir les courtisans par la mode, le paraître, extrêmement coûteux, afin que les nobles dépensent
toujours plus, et dépendent financièrement du roi.
Vous avez en partie raison. En partie seulement, car le “consumérisme” n’a pas été créé par Louis XIV. Il a simplement tiré parti d’un phénomène qui existait depuis la Renaissance. Mais l’exemple
n’était pas bien choisi. J’aurais du plutôt parler des cours de la Renaissance, où la mode et la passion consumériste régnaient aussi, mais sans ce but politique.
Ajoutons que la mode au sens moderne ne remonte qu’au XVIII° siècle. Dans l’Antiquité, la mode existe, mais elle évolue très lentement.
C’est inexact. S’il est vrai que la mode évoluait plus lentement qu’aujourd’hui, Senèque décrit les changements de la mode dans la Rome impériale en fonction des caprices de l’Empereur qui ne
sont pas très différents à ce qu’on peut voir aujourd’hui. Même chose dans l’Italie de la Renaissance.
“En fait, je suis une personne plutôt frugale en termes de consommation…”
Dommage car j’aurais eu du plaisir à vous inviter dans un bon resto lors d’un futur déplacement à Paris ou lors d’un de vos passages dans le nord Ardèche !
“Je ne savais pas que vous étiez boudhiste…”
Sans l’être, il m’arrive de ressentir de la tentation pour cette philosophie, mais je me sens plus près d’Aristote, de Diogène ou de Sénèque, et puis je manque de courage pour être boudhiste.
Très cordialement..
p.s.:La publication de ce mot n’apportant rien au débat, si vous ne la publiez pas, je ne considèrerai pas qu’il s’agit là d’une abjecte censure !!!
Dommage car j’aurais eu du plaisir à vous inviter dans un bon resto lors d’un futur déplacement à Paris
N’hésitez pas ! J’ai beau être frugal, quand c’est quelqu’un d’autre qui paye, je fais une exception… 😉
La publication de ce mot n’apportant rien au débat, si vous ne la publiez pas, je ne considèrerai pas qu’il s’agit là d’une abjecte censure !!!
Il apporte au climat du débat, puisqu’il montre qu’on peut être en désaccord et croiser l’épéé en conséquence tout en conservant une estime mutuelle… je le publie donc!
« le “consumérisme” n’a pas été créé par Louis XIV. Il a simplement tiré parti d’un phénomène qui existait depuis la Renaissance. » Tout à fait, je n’ai d’ailleurs jamais dit le contraire. J’ai
juste dit que Louis XIV a utilisé ce phénomène pour priver la noblesse de sa liberté d’action politique (qui suppose une certaine autonomie financière).
« Sénèque décrit les changements de la mode dans la Rome impériale en fonction des caprices de l’Empereur qui ne sont pas très différents à ce qu’on peut voir aujourd’hui ». Non, c’est différent
d’aujourd’hui. La mode jusqu’au XVIII° siècle existe mais se cantonne dans des élites restreintes (l’aristocratie pour aller vite) et quelques parvenus (bourgeois) qui veulent les imiter. Mais le
paysan, qui représente la majeure partie de la population, est vêtu sous Trajan comme sous Auguste, à peu de chose près, et comme sous Alexandre ou Périclès. Idem pour le potier ou le forgeron. A
partir du XVIII°, via les fripiers qui recyclent les vêtements de l’aristocratie, la mode se diffuse au reste de la population. Pourquoi ? Parce que la mode s’est accélérée. De plus, n’oublie pas
que dans les sociétés d’Ancien Régime, des lois somptuaires réglementent les tenues : chacun est vêtu selon son statut (et pas seulement sa fortune). Je te renvoie aux costumes des députés des
états généraux en 1789.
Et aujourd’hui ? Il y a certes la mode des grands couturiers, mais même les élites ne se baladent pas toujours en grande tenue. La mode s’est « démocratisée » : même la fille d’agriculteur et
d’ouvrier a envie de s’habiller comme sa chanteuse ou son actrice préférée (l’aristocratie du showbiz si je puis dire). Et c’est possible jusqu’à un certain point (les moyens financiers).
Impensable pour une fille du peuple au XVII° siècle…
Non, c’est différent d’aujourd’hui. La mode jusqu’au XVIII° siècle existe mais se cantonne dans des élites restreintes (l’aristocratie pour aller vite) et quelques parvenus (bourgeois) qui
veulent les imiter.
C’est bien ce que j’ai dit: la seule différence sur ces questions entre l’antiquité et aujourd’hui est que dans l’antiquité le phénomène ne touchait qu’une petite frange privilégiée, alors que
grâce à la production de masse la mode touche aujourd’hui une majorité. Mais c’est justement cela qui montre que la théorie de Marcailloux selon laquelle suivre la mode est une aliénation voulue
par les dominants est fausse: ce sont les dominants justement qui ont été les premiers à suivre la mode…
La référence à Adam Smith est une erreur classique souvent dénoncée par Noam Chomsky. De wikipedia :
« La célèbre expression de Smith sur la « main invisible », que tout le monde utilise totalement de travers, n’apparaît qu’une fois dans La Richesse des nations et dans le contexte d’un
raisonnement contre ce que nous appelons aujourd’hui le néoliberalisme[53]. Smith dit que si les industriels et les investisseurs anglais importaient de l’étranger et investissaient outre-mer
plutôt que chez eux, ce serait nuisible à l’Angleterre. Autrement dit, s’ils suivaient ce que nous nous appelons aujourd’hui “les principes d’Adam Smith”, cela serait nuisible à l’Angleterre. Mais
poursuit-il, il n’y a aucune raison de redouter ce scénario, car « à égalité de profit ou à peu près, tout marchand en gros préférera naturellement le commerce intérieur au commerce étranger de
consommation ». C’est-à-dire que chaque capitaliste britannique préférera, individuellement, utiliser des biens produits sur le territoire national et investir dans son pays. Ainsi, comme s’il
était « conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions », il conjurera la menace de ce qu’on appelle aujourd’hui le néolibéralisme. L’économiste David
Ricardo a avancé un argument tout à fait semblable. » — http://fr.wikipedia.org/wiki/Main_invisible
L’extrait choisi (bel effort, en général on ne se fend même pas d’un extrait) parvient à masquer la référence au marché domestique, mais c’est au prix d’une coupure, disons, audacieuse : en plein
milieu de la phrase, juste après le passage fâcheux. Le reste de la phrase est éclairant.
« By preferring the support of domestic to that of foreign industry, he intends only his own security; and by directing that industry in such a manner as its produce may be of the greatest value,
he intends only his own gain, and he is in this, as in many other cases, led by an invisible hand to promote an end which was no part of his intention. » (BOOK FOUR – Of Systems of Political
Economy, CHAPTER II – Of Restraints upon the Importation from Foreign Countries of such Goods as can be produced at Home, http://socserv.mcmaster.ca/~econ/ugcm/3ll3/smith/wealth/index.html)
Par ailleurs, l’argumentaire en faveur du marché libre n’est pas suffisamment concluant. En effet, le marché libre (dans une hypothèse de concurrence parfaite, etc.) conduit à un (vous dites bien :
un) optimum. Mais il y a sans-doute plusieurs manières raisonnables de définir l’optimum, et ces définitions ne conduisent sans-doute pas toutes à la même conclusion. Par exemple, si l’optimum est
défini en terme de moindre disparité de richesse effective (y compris moindre disparité de richesse entre personnes de capacités productives différentes), alors le marché libre n’y conduit
probablement pas.
J’ai utilisé la citation de Smith a bon escient: mon but était de montrer combien Smith était séduit par l’idée de la régulation par un “mécanisme automatique” indépendent de la volonté des
acteurs plutôt que par une autorité. Ce qui correspond bien au contexte dans lequel Smith emploie l’expression. Je suis d’accord que la formule “la main invisible” est utilisée souvent à tort et
à travers. Mais je trouve que dans le cas présent, le reproche est injuste…
Mais il y a sans-doute plusieurs manières raisonnables de définir l’optimum, et ces définitions ne conduisent sans-doute pas toutes à la même conclusion.
Certainement. Mais c’est pourquoi j’ai pris la peine de définir exactement à quel optimum je faisais référence. J’ai écrit: “(…) optimum de l’échange: le prix du marché est celui qui permet
aux vendeurs de vendre le plus, et au plus grand nombre d’acheteurs de bénéficier d’un produit”. Dans la mesure où l’on parle d’un mécanisme d’échange, il semble raisonnable de retenir un
tel “optimum” comme objectif à atteindre.
Par exemple, si l’optimum est défini en terme de moindre disparité de richesse effective (y compris moindre disparité de richesse entre personnes de capacités productives différentes), alors
le marché libre n’y conduit probablement pas.
Je crois que vous confondez un optimum et un objectif politique. Si je réflechis en termes de méchanismes d’échanges de biens et services, “l’optimum” est la situation dans laquelle ces échanges
sont les meilleurs. Le marché n’a pas pour but de rendre les gens heureux, et il est donc absurde de lui reprocher de ne pas le faire.
Je suis globalement d’accord avec ce billet, mais j’ai, à l’égard de la théorie des marchés purs et parfaits, un doute quand à leur capacité à se maintenir ainsi : même sans prendre en compte des
facteurs comme le progrès technique, ou d’autres aspects extérieurs, l’atomicité ne peut subsister à long terme, sauf sur quelques marchés particuliers : la concurrence voit les entreprises les
moins fortes disparaître, et les plus fortes s’enrichir. A terme, il ne subsiste plus qu’un nombre réduit d’entreprises, pas forcément assez peu pour établir un oligopole, mais pas non plus assez
pour respecter l’atomicité. Les facteurs de libre-entrée et de mobilités sont censés réduire ces risques, en introduisant de nouvelles entreprises au fur et a mesure que d’autres disparaissent,
mais en pratique, leur nombre est limité, et il n y a pas de nouveaux entrepreneurs qui viennent régulièrement se placer sur des marchés dont l’atomicité est menacée – j’aurais même tendance à dire
que plus celle ci est réduite, moins il y aura d’entreprises capable d’y investir suffisamment pour faire concurrence efficace à celles déjà présentes.
Sur un autre sujet, j’ai failli l’évoquer dans votre billet sur l’immigration, mais je le relis ici dans vos commentaires, vous parlez des classes moyennes qui organisent certains changements de la
société (destruction de l’école républicaine, immigration, europe libérale…). En vous lisant, j’ai l’impression que vous vous représentez ces classes comme ayant une conscience de classe et une
optique de lutte vis à vis des classes populaires. Or, le sentiment général que je retrouve chez les classes moyennes (de mon expérience personnelle, mais vous vous appuyez peut être sur des études
sociologiques qui m’intéresseraient fort si tel était le cas), inférieures ou aisées, n’est pas du tout celui là : c’est plutôt l’idée, martelée depuis les premiers cours d’économie au lycée qu’il
n y a plus en France qu’une immense classe moyenne disparate, quelques ouvriers très pauvres, et quelques riches très riches ; et que cela est responsable de la fin de la lutte des classes. Vous
avez me semble t’il l’opinion inverse, dans laquelle j’ai beaucoup de mal à me retrouver, puisque je n’en constate aucun point – ils se désolent, au contraire, du mauvais état de l’éducation
nationale, d’une Union Européenne trop loin d’eux, d’une immigration trop nombreuse, etc… et aussi de l’inverse, mais jamais en raisonnant par classe ou intérêt de classe. La destruction de
l’école républicaine, notamment, si je la vois être organisée chez les classes aisées, me semble un point de vue bien rare chez les classes moyennes !
Enfin, si selon vous les classes moyennes votent et agissent uniquement dans leur intérêt, avec une vision de classe et d’intérêt réfléchi sur le long terme ; sachant qu’elles représentent la
majorité de la population, les voies de la démocratie ne condamneraient elles pas les classes populaires à continuer à subir leurs problèmes d’aujourd’hui ? Vous critiquez, peut être avec raison,
le fait que la gauche radicale ait un programme pour les classes moyennes, mais si l’on part du principe que celles ci voteront contre les autres classes, n’est-ce pas politiquement suicidaire de
se concentrer sur les classes populaires, minoritaires, sauf à attendre que les classes moyennes se paupérisent à leur tour ?
A terme, il ne subsiste plus qu’un nombre réduit d’entreprises, pas forcément assez peu pour établir un oligopole, mais pas non plus assez pour respecter l’atomicité
Ca dépend des secteurs. Sur des secteurs où l’efficacité croit toujours avec la taille (exemple, la production d’électricité) la logique économique pousse à la concentration. C’est d’ailleurs
pourquoi ce marché est toujours disfonctionnel, et que la Commission est obligée d’intervenir et d’obliger les états d’intervenir en permanence sur le marché pour le “corriger”. Mais dans
d’autres domaines (ex. la restauration) la concentration ne présente aucun intérêt. C’est pourquoi, malgré le fait que le marché est totalement libre, il reste des miliers de petits restaurants à
Paris et le marché est “atomique”.
En vous lisant, j’ai l’impression que vous vous représentez ces classes comme ayant une conscience de classe et une optique de lutte vis à vis des classes populaires.
Jusqu’à un certain point, oui. Mais cela n’implique pas une vision conspirative: il n’y a pas un “directoire des classes moyennes” (pas plus qu’il n’existe un “directoire de la bourgeoisie”) qui
se réunit dans une salle enfumée pour faire des plans. Si l’action des classes moyennes est cohérente, cette cohérence résulte d’une communauté d’intérêts, et non pas d’une planification.
c’est plutôt l’idée, martelée depuis les premiers cours d’économie au lycée qu’il n y a plus en France qu’une immense classe moyenne disparate, quelques ouvriers très pauvres, et quelques
riches très riches ;
Dans une autre réponse j’avais précisé quelle est ma définition des “classes moyennes”, qui n’est pas tout à fait celle qui est utilisée habituellement. Je classe dans les “classes moyennes” les
individus dont le capital (matériel et immatériel) leur donne un pouvoir de négociation suffisant pour ne pas laisser de plus-value à leurs patrons, mais pas assez pour pouvoir en extraire de
leurs employés. Cela fait un groupe nombreux, mais pas si nombreux que ça.
La destruction de l’école républicaine, notamment, si je la vois être organisée chez les classes aisées, me semble un point de vue bien rare chez les classes moyennes !
Vous regardez trop les discours, alors que c’est les actes qu’il faut regarder. Les classes moyennes, comme vous dites, “se désolent du mauvais état de l’éducation nationale”. Mais qui a fait
rentrer à l’école les idées fumeuses de mai 68 (par exemple, celles d’Ivan Illitch, pour ne donner qu’un exemple extrême) ? Qui a expliqué qu’il fallait “faire rentrer le monde à l’école” ? Qui a
voté des deux mains pour qu’on mette “l’élève au centre du système” ? Or, toutes ces innovations ont pour résultat de détruire l’école républicaine: les “pédagogies nouvelles” ne marchent que
lorsqu’elles sont le complément d’un haut niveau culturel à la maison (et excluent donc les élèves des couches populaires). “L’élève au centre du système” fait partie des stratégies pour
expliquer qu’il faut que chacun soit fier de ce qu’il est, ce qui en fait revient à confiner les enfants de banlieue dans leur langue (pauvre) et les écoliers des classes moyennes dans leur
langue (beaucoup plus riche).
Enfin, si selon vous les classes moyennes votent et agissent uniquement dans leur intérêt, avec une vision de classe et d’intérêt réfléchi sur le long terme ; sachant qu’elles représentent la
majorité de la population,
Je ne crois pas qu’elles représentent la majorité de la population. Tout au plus un 20%.
“(pas plus qu’il n’existe un “directoire de la bourgeoisie”) “
Ah bon ? Et l’UMP alors ? 😉
Plus sérieusement, je comprends maintenant mieux vos billets : l’arrière-goût conspirationniste qui me semblait en ressortir parfois me semblait tellement improbable ici, me voilà rassuré ! Nous ne
parlions donc pas des mêmes classes moyennes. Toutefois, la destruction de l’école républicaine me semble plus venir d’une vision bobo plus que d’une volonté malicieuse, ou simplement intéressé.
Pareil pour les couplets anti-racistes et pro immigration.
Toutefois, la destruction de l’école républicaine me semble plus venir d’une vision bobo plus que d’une volonté malicieuse, ou simplement intéressé. Pareil pour les couplets anti-racistes et
pro immigration.
Je me méfie des coïncidences… et la destruction de l’école républicaine, tout comme les “couplets” communautaristes sont tellement avantageux pour les classes moyennes qu’il m’est difficile de
croir que c’est un pur hasard…