“Au Congrès, chaque fois qu’ils font une blague c’est une loi,
et chaque fois qu’ils font une loi, c’est une blague” (Will Rogers)
A défaut de vivre une époque exaltante, nous avons au moins le privilège de vivre une époque intéressante, pour reprendre le dicton chinois. L’épidémie agit comme une sorte de lentille grossissante qui met en évidence les traits de notre époque, et ce n’est pas toujours beau à voir.
Nous savions que nos institutions étaient dégradées, nous n’avions pas nécessairement conscience du niveau du désastre. Prenez par exemple l’article 24 de la loi dite de « sécurité globale », et laissons de côté son contenu pour s’en tenir à la procédure. La proposition de loi, signée par un l’ensemble des députés du groupe LREM et apparentés ainsi que le groupe « Agir ensemble », a été déposé le 20 octobre 2020. Elle a été traitée par la commission des lois et fait l’objet d’un rapport de la commission du 5 novembre. La proposition de la commission a été débattue dans l’hémicycle entre le 17 et le 24 novembre, et l’ensemble du texte voté en première lecture à cette date (1). A chacune de ces étapes, chaque député a pu prendre connaissance du texte et se faire son idée. Les députés appartenant à la commission des Lois – ou tous les groupes politiques sont représentés – ont pu en débattre et l’amender lors du passage en commission. En séance plénière, chaque député a pu écouter les débats et proposer ses amendements. On peut donc supposer que le résultat final représente le résultat d’un examen attentif, sérieux, rationnel du texte et que celui-ci est jugé nécessaire et opportun par une majorité de l’Assemblée.
L’encre du procès-verbal n’était pas encore sèche que le président du groupe majoritaire – c’est-à-dire, celui qui a joué le premier rôle dans le dépôt du texte, dans le processus d’examen et dans le vote final – déclare que l’article doit être « totalement réécrit ». En d’autres termes, que les députés ont mal voté. Que toute la procédure parlementaire, avec ses débats en commission et en séance, n’a pas permis aux députés de la majorité de s’apercevoir que le texte n’était pas bon ou pas opportun et avait besoin d’être « totalement réécrit ».
Est-il besoin d’insister sur le ridicule de cette situation ? Un président de groupe peut faire avec la loi ce qu’un professeur fait avec une mauvaise copie. Et une majorité de députés sont prêts à ce que le texte qu’ils ont attentivement écrit, amendé et voté soit jeté dans les poubelles de l’histoire sans autre forme de procès. Et le citoyen de se dire : Si dans cette affaire les députés sont suffisamment idiots pour déposer, amender et voter un texte tellement faible qu’il a besoin d’être « réécrit » moins d’une semaine après son vote, on est en droit de se demander si les autres lois votées par cette Assemblée ne méritent pas, elles aussi, une réécriture immédiate. Faut-il confier plus de pouvoirs – comme le réclament certains à cor et à cri – à une institution dont le travail doit être « complètement réécrit » ?
Une telle situation aurait été impensable il y a vingt ou trente ans. On imagine mal un président de groupe déclarer publiquement à l’époque que le travail de ses collègues était à jeter à la poubelle, et encore moins un groupe parlementaire admettre un tel comportement de son président. Tout simplement parce qu’il y avait chez les députés la conscience d’être membres d’une institution et de l’intérêt de la défendre comme telle. C’est cette conscience institutionnelle qui a été balayée par un mouvement qui, sous prétexte de « moderniser la vie publique » et « rapprocher les institutions des citoyens » a fini par les banaliser. La démocratie représentative, si l’on suit Condorcet, est fondée sur l’idée que les citoyens éliront pour les représenter les meilleurs d’entre eux. C’est au nom de ce principe qu’on peut leur exiger plus de l’élu que ce que le citoyen moyen pourrait donner. Si Madame Michu peut sans formation particulière devenir député du simple fait qu’elle appartient à la « société civile », alors pourquoi attendre des députés plus de sagesse, plus de retenue, plus de sérieux que ce qu’on peut demander à Madame Michu ?
La disparition, au prétexte de « modernisation », des rituels, des cérémonies et des interdits qui soudent les membres d’une institution et leur donnent conscience d’y appartenir devrait de ce point de vue nous interpeller. Car les symboles ne sont pas innocents : Exiger le port de la cravate dans l’hémicycle n’est pas juste une curiosité d’un autre âge. C’est une manière de souligner que l’hémicycle, ce n’est pas la rue ou la buvette, pas plus qu’une assemblée universitaire ou un meeting. Que c’est un lieu sérieux ou l’on discute sérieusement de questions sérieuses. Et a contrario, il ne faut pas s’étonner que dans un hémicycle où l’on peut venir en pyjama on finisse par penser que ce qu’on y fait n’a guère plus de conséquence que ce qu’on fait dans son lit.
Descartes
(1) Tous les éléments permettant se suivre la progression de la loi sont consultables ici : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/securite_globale1?etape=15-AN1-DEPOT
Après la démocratie d’élections, nous avons eu la démocratie d’opinions, maintenant nous en sommes à la démocratie d’émotions… une forme d’émocrature… en <em>direct live</em> et à mort.
Sur votre rappel, essentiel, de qui doit écrire la loi dans une démocratie, on pourra aussi se souvenir comment certains médias et partis politiques voudraient faire d’une Convention Citoyenne tirée au sort un quasi organe législatif dont on devrait adopter les propositions “sans filtre” (juste parce qu’un président se sera laissé entraîné à utiliser cette regrettable formule.
Ci-dessous, une excellente critique (me semble-t-il) de ce genre de biais démocratique :
https://www.telos-eu.com/fr/les-conventions-citoyennes-et-la-democratie-repres.html
@ Claustaire
[Ci-dessous, une excellente critique (me semble-t-il) de ce genre de biais démocratique :]
Personnellement, je trouve leur critique moins “excellente” que vous ne le dites. En particulier, les auteurs postulent que ce type de “convention” – à condition de suivre certaines règles précises – peuvent contribuer à rapprocher les citoyens des institutions politiques, sans donner aucun argument pour justifier ce dogme. Franchement, feriez-vous plus confiance à une loi, seriez-vous plus disposé à l’appliquer si vous saviez qu’elle a été élaborée par 150 ignorants cornaqués par quatre “garants” qui auront profité pour faire passer leurs idées, plutôt que par un groupe d’experts ou une assemblée élue ?
Curieuse objection de votre part, alors que la première phrase de la réflexion que je mettais en lien commence par bien rappeler que “les institutions parlementaires sont les seules légitimes pour adopter les lois”.
“À quelles conditions pourrait-on compléter le rôle des institutions parlementaires, seules légitimes pour adopter les lois et contrôler la politique du gouvernement, en faisant intervenir dans l’espace public des groupes de citoyens qui travailleraient pendant quelque temps pour connaître de manière informée et contradictoire les dimensions d’un problème politique et publieraient les résultats de leur délibération ?”
Quant aux groupes de citoyens faisant publiquement part des résultats de leurs travaux et réflexions afin d’alimenter celle des représentants de la nation, en quoi seraient-ils si différents des anciens partis politiques, si précieux au débat politique ?
Chercher à mobiliser des citoyens à impliquer sur des questions communes à traiter, n’est-ce pas simplement (et utilement) prendre acte de la quasi disparition des partis politiques ? Or, si on ne veut pas laisser toute initiative et responsabilité au gouvernement, et en l’absence de partis politiques (et de l’intellectuel commun qu’ils représentaient ou étaient censés représenter), n’est-il pas logique de vouloir mobiliser des gens à s’occuper de politique, autrement que par des seules manifs contestataires unissant des “gens contre” mais incapables d’élaborer un programme alternatif cohérent à proposer au débat citoyen et démocratique ?
@ Claustaire
[Curieuse objection de votre part, alors que la première phrase de la réflexion que je mettais en lien commence par bien rappeler que “les institutions parlementaires sont les seules légitimes pour adopter les lois”.]
Il y a ici une ambiguïté sur la notion de « légitimité ». Si l’on regarde le droit, le fait que le pouvoir législatif soit dévolu aux institutions parlementaires et à elles seules est une évidence. Mais il y a un autre concept de « légitimité », qui contient le fait que ce qui est écrit dans les textes soit accepté en pratique par la population. Les auteurs de l’article que vous citez posent comme évident le fait que des expériences comme celle de la Convention sur le climat, sans se substituer au travail du législateur, peuvent rapprocher ce dernier du citoyen, et donc à gagner en légitimité au sens de l’acceptation de son rôle par la population. Or, ce principe n’a pour moi rien d’évident.
[Quant aux groupes de citoyens faisant publiquement part des résultats de leurs travaux et réflexions afin d’alimenter celle des représentants de la nation, en quoi seraient-ils si différents des anciens partis politiques, si précieux au débat politique ?]
D’abord, à la manière dont ils sont sélectionnés. On appartient à un parti politique à travers d’un acte volontaire qui implique l’acceptation d’une discipline. Aucun parti politique ne recrute ses adhérents par tirage au sort, et aucun n’admet qu’ils disent publiquement ce qui leur passe par la tête. Ensuite, parce qu’un parti politique s’autorise à réfléchir globalement sur tous les domaines de la vie sociale, politique, économique, intellectuelle, ce qui n’est pas le cas de ces groupes de citoyens constitués en général avec un mandat étroit. Et finalement, parce qu’un parti politique a parmi ses objectifs la conquête et l’exercice du pouvoir, ce qui n’est pas le cas de ces « groupes de citoyens ».
[Chercher à mobiliser des citoyens à s’impliquer sur des questions communes à traiter, n’est-ce pas simplement (et utilement) prendre acte de la quasi disparition des partis politiques ?]
Peut-être. Mais c’est à mon avis une manière stérile de le faire. Il manque à ces « groupes de citoyens » ce qui fait l’essence de la politique : la capacité de s’abstraire de ses petits problèmes et de ses petits intérêts pour penser en termes abstraits. Cas classique : vous devez décider de la localisation de la station d’épuration, et personne ne veut l’avoir derrière sa maison. Et pourtant il en faut une… Dans ce contexte, ces « groupes de citoyens » ne produisent au pire qu’un cahier de doléances, au mieux que des propositions irréalistes… ou téléguidées par les « animateurs ».
En fait, ces « groupes de citoyens » sont des machines à obstruer. Ce ne sont pas des moteurs, mais des freins. Je me souviens encore du petit vieux, qui me disait en parlant des barrages de la chaîne de la Durance, « si on nous avait demandé notre avis, on y serait encore… ».
[Or, si on ne veut pas laisser toute initiative et responsabilité au gouvernement,]
Mais je VEUX laisser « toute responsabilité au gouvernement ». Si ce n’est pas lui qui la prend, ce sera qui alors ? Un « groupe de citoyens » ?
[(…) et en l’absence de partis politiques (et de l’intellectuel commun qu’ils représentaient ou étaient censés représenter), n’est-il pas logique de vouloir mobiliser des gens à s’occuper de politique, autrement que par des seules manifs contestataires unissant des “gens contre” mais incapables d’élaborer un programme alternatif cohérent à proposer au débat citoyen et démocratique ?]
Mais quelle différence entre vos « groupes de citoyens » et une manif contestataire ? Tous deux sont à adhésion volontaire qui n’implique aucune discipline commune ou engagement à long terme. Tous deux mobilisent d’abord les « gens contre ». Tous deux manquent de structures de formation. Ou voyez-vous un « groupe de citoyens » capable d’élaborer un programme alternatif cohérent ? L’expérience des Gilets Jaunes ne vous a pas suffi ?
@Descartes
> Dans ce contexte, ces « groupes de citoyens » ne produisent au pire qu’un cahier de doléances, au mieux que des propositions irréalistes… ou téléguidées par les « animateurs ».
C’est d’ailleurs le cas de la Convention « citoyenne » sur le climat, dont les préconisations semblent ne reprendre que les lubies du militantisme écologiste.
Il est évident que dans le contexte où on demande à un tel groupe d’individus tirés au sort de dessiner des orientations sur des sujets assez techniques dont ils ne maîtrisent aucun aspect, c’est en réalité le choix des animateurs et des experts autorisés à donner leur « éclairage » à ces individus qui sera déterminant. Choix qui ne doit rien au tirage au sort…
@ Ian Brossage
[« Dans ce contexte, ces « groupes de citoyens » ne produisent au pire qu’un cahier de doléances, au mieux que des propositions irréalistes… ou téléguidées par les « animateurs ». » C’est d’ailleurs le cas de la Convention « citoyenne » sur le climat, dont les préconisations semblent ne reprendre que les lubies du militantisme écologiste.]
C’est drôle, n’est-ce pas ? A l’heure de choisir les « garants » censés animer cette convention et « assurer l’indépendance des travaux de la convention, en veillant notamment aux principes d’impartialité et de sincérité », qui est-on allé chercher ? Cyril Dion, militant écologiste, co-fondateur et ancien président de l’association « colibris » de l’inénarrable Pierre Rabhi. Comme garantie d’impartialité et de sincérité, on fait mieux. Et ne parlons même pas du « comité de gouvernance », co-présidé par Thierry Pech, président de Terra Nova, et par Laurence Tubiana, vieille routière de l’écologisme administratif.
[Il est évident que dans le contexte où on demande à un tel groupe d’individus tirés au sort de dessiner des orientations sur des sujets assez techniques dont ils ne maîtrisent aucun aspect, c’est en réalité le choix des animateurs et des experts autorisés à donner leur « éclairage » à ces individus qui sera déterminant. Choix qui ne doit rien au tirage au sort…]
Pour donner une idée de ce choix, vous pourrez constater qu’aucun dirigeant d’EDF ou du secteur pétrolier n’a été entendu comme expert…
Castaner a touché le fond, mais Castex a continué à creuser avec sa proposition, rapidement abandonnée, de confier la réécriture à une commission indépendante. Encore une fois, nos dirigeants perdent les pédales face à la rue, je ne vois pas d’autre explication. Pourtant, pour en revenir un peu au fond, l’art 24 n’est nullement de nature à museler les médias.
A propos de l’idée de Castex, j’ai trouvé les Parlementaires qui s’y sont opposés quelque peu malhonnêtes, si, toutefois, il est vrai qu’il leur arrive de proposer tels quels à la délibération des Assemblées des textes rédigés par des lobbyistes.
@ xc
[Castaner a touché le fond, mais Castex a continué à creuser avec sa proposition, rapidement abandonnée, de confier la réécriture à une commission indépendante.]
Classique : quand on a une patate chaude, on la passe à une « commission indépendante ». Cela donne une idée du manque d’autorité du gouvernement et du président. Je trouve d’ailleurs très drôles ceux qui dénoncent une « monarchie républicaine » ou la naissance d’un « régime autoritaire », alors que le gouvernement tourne comme une girouette au moindre souffle de vent.
[A propos de l’idée de Castex, j’ai trouvé les Parlementaires qui s’y sont opposés quelque peu malhonnêtes, si, toutefois, il est vrai qu’il leur arrive de proposer tels quels à la délibération des Assemblées des textes rédigés par des lobbyistes.]
Dans la mesure où les partis politiques ne jouent plus leur rôle en développant une « masse critique » d’expertise permettant un véritable travail sur les textes, où voulez-vous que les élus trouvent une expertise, sinon chez les lobbyistes ?
Oui, mais en même temps…
Même si je ne parle pas de la même loi, j’évoquerai quelque chose de similaire. La loi actuellement débattue sur le séparatisme (qui a un autre nom maintenant). Le volet consacré à l’obligation de scolarisation. Le ministre de l’éducation nationale évoque la possibilité de «motif balai». «À savoir l’existence d’une situation particulière propre à l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient leur capacité à assurer l’instruction en famille et le fassent dans l’intérêt supérieur de l’enfant», qui permettrait aux parents d’instruire eux-mêmes leurs enfants.
C’est vraiment vague au point de pouvoir l’interpréter comme on le souhaite.
C’est ce qui existe déjà et que je connais bien dans ma profession.
Travaillant dans le secteur de l’enfance handicapée, nombre de parents dans le déni de la pathologie de leur enfant assurent eux-mêmes la scolarité de leur enfant, surtout pour éviter de se mettre au contact du réel . Normalement il y a un contrôle de cet enseignement familial par l’inspection de l’éducation nationale. C’est plutôt théorique… Toujours est-il que ce sont des enfants que nous ne pouvons pas prendre en charge, ni sortir de l’influence familiale éventuellement pathogène.
Si je vous cite l’exemple de ma profession, c’est pour dire comment des “dérogations” peuvent empêcher un enfant de sortir de la sphère d’influence familiale, qui peut être toxique. Si l’on recherche l’accession des enfants aux savoirs permettant d’avoir une pensée critique et de ne pas rester sous influence, on ne peut pas accorder ces “dérogations” aussi floues et qui remettent en question la loi qui est sensée être votée. Faire un projet de loi en établissant des dérogations qui en annulent les effets relève d’une irresponsabilité inquiétante.
@ Paul
[Si je vous cite l’exemple de ma profession, c’est pour dire comment des “dérogations” peuvent empêcher un enfant de sortir de la sphère d’influence familiale, qui peut être toxique. Si l’on recherche l’accession des enfants aux savoirs permettant d’avoir une pensée critique et de ne pas rester sous influence, on ne peut pas accorder ces “dérogations” aussi floues et qui remettent en question la loi qui est sensée être votée.]
Là encore, comme sur beaucoup de sujets, il faut se demander au-delà du débat législatif quelle est la réalité sociale qui se trouve derrière. On parle habituellement d’un conflit entre la Mère, qui représente le plan du domestique, de la permissivité, bref du « care » pour utiliser le terme moderne ; et le Père qui représente la loi sociale, la cité, le monde extérieur. L’enfant qui grandit passait graduellement de la sphère de la Mère à la sphère du Père.
L’évolution de notre société depuis trente ou quarante ans marque l’effacement du rôle paternel et l’extension illimitée domaine de la Mère (devenue « maman » dans la bouche des prescripteurs d’opinion, ce qui n’est pas innocent). Partout le domestique prend le pas sur le civique – pensez aux appels à concilier la vie professionnelle et la vie familiale, qui fait en pratique passer la première derrière la seconde. Les institutions qui servaient à arracher l’enfant aux jupes de leurs mères – l’internat, le service militaire, les études dans une autre ville – sont en voie de disparition. Reste l’école…
@Descartes
Une fois n’est pas coutume, je défendrai cette Assemblée Nationale.
Le fait qu’il n’avait aucune colonne vertébrale n’est pas une surprise : avant même leur élection, ils avaient signé le contrat proposé par Macron, dans lequel il s’engageait -en gros- à voter tout ce que Macron demanderait. Et on voit bien qu’ils continuent à obéir strictement au président, presque comme un seul homme. Cette attitude, oui, décrédibilise le Parlement.
Sur ce que vous pointez, pour prendre leur défense, on pourrait arguer que la loi, même votée, doit, outre l’assentiment des députés, recevoir l’assentiment de la population. Pour le dire autrement : si une loi rencontre dans la rue une forte opposition, il me semble normal que le Parlement prenne en compte cette réalité extérieure, et accepte, face à la pression de la rue, de retravailler son texte…
@ Vincent
[« Une fois n’est pas coutume, je défendrai cette Assemblée Nationale. Le fait qu’il n’avait aucune colonne vertébrale n’est pas une surprise : (…)]
En d’autres termes, vous « défendez » cette Assemblée en notant qu’elle est invertébrée, mais qu’on le savait déjà. Avec un avocat comme vous, pas besoin de procureur…
[Sur ce que vous pointez, pour prendre leur défense, on pourrait arguer que la loi, même votée, doit, outre l’assentiment des députés, recevoir l’assentiment de la population. Pour le dire autrement : si une loi rencontre dans la rue une forte opposition, il me semble normal que le Parlement prenne en compte cette réalité extérieure, et accepte, face à la pression de la rue, de retravailler son texte…]
Mais qu’est-ce qui vous permet de dire que l’article 24 n’a pas « l’assentiment du peuple » ? Quelques dizaines de milliers de manifestants – il n’y avait guère plus, et encore, la plupart d’entre eux étaient là pour manifester contre le gouvernement, quelque fut le contenu de la loi – ne représentent pas la volonté du peuple, que je sache, pas plus que la corporation médiatique ne le représente. S’il suffit de mettre quelques milliers de personnes dans la rue pour qu’un texte législatif soit réécrit, on n’est pas sortis de l’auberge.
[S’il suffit de mettre quelques milliers de personnes dans la rue pour qu’un texte législatif soit réécrit, on n’est pas sortis de l’auberge.] On peut aussi faire remarquer que cette Assemblée nationale “invertébrée” est passée outre une opposition bien plus nombreuse sur les retraites.
@ cd
[On peut aussi faire remarquer que cette Assemblée nationale “invertébrée” est passée outre une opposition bien plus nombreuse sur les retraites.]
Invertebrée peut-être, mais faite de députés issus très majoritairement des classes intermédiaires, et très conscients de leurs intérêts.
@cd @Descartes
[[S’il suffit de mettre quelques milliers de personnes dans la rue pour qu’un texte législatif soit réécrit, on n’est pas sortis de l’auberge.]
On peut aussi faire remarquer que cette Assemblée nationale “invertébrée” est passée outre une opposition bien plus nombreuse sur les retraites.]
Je veux bien qu’une manifestation minoritaire ne doive pas remettre en cause un choix politique. Mais quand cette manifestation est représentative de l’opinion de la majorité silencieuse, elle doit s’en préoccuper.
C’est ce qui leur a été reproché pendant les premières semaines des gilets jaunes, et pendant la réforme des retraites. Ils auraient du reculer rapidement.
Ceci dit, mea culpa sur ce sujet, puisque, après vérification, les sondages indiquent qu’une majorité de français soutient cet article. Il n’y avait donc aucune justification à une telle reculade.
@ Vincent
[Je veux bien qu’une manifestation minoritaire ne doive pas remettre en cause un choix politique. Mais quand cette manifestation est représentative de l’opinion de la majorité silencieuse, elle doit s’en préoccuper.]
D’accord. Mais comment savoir si une manifestation est « représentative de l’opinion de la majorité silencieuse » ? Comment la « majorité silencieuse » exprime-t-elle son « opinion » ?
Que dans un régime représentatif le représentant doive écouter en permanence les représentés, cela paraît une évidence. Si le vote n’implique pas un mandat impératif, ce n’est pas non plus un chèque en blanc. Ce n’est pas moi qui vous dira que la démocratie se réduit au vote une fois tous les cinq ans : la démocratie est une dialectique permanente entre le peuple qui s’exprime par différentes voies et un représentant qui n’est pas un simple mandataire.
Mais écouter le peuple c’est une chose, et suivre les demandes d’une manifestation, à supposer même qu’elle représente une opinion majoritaire, c’est une autre. Le représentant a aussi une fonction maïeutique : il aide à dégager à partir d’opinions souvent contradictoires une politique. Parce que la « majorité silencieuse » peut vouloir des choses impossibles : plus de dépenses et moins d’impôts, par exemple…
[C’est ce qui leur a été reproché pendant les premières semaines des gilets jaunes, et pendant la réforme des retraites. Ils auraient dû reculer rapidement.]
Pour ce qui concerne les gilets jaunes, on voit mal sur quoi il aurait fallu « reculer », compte tenu des revendications diverses et souvent contradictoires du mouvement. Pour ce qui concerne la réforme des retraites, le texte présenté n’était ni fait ni à faire. Il n’aurait jamais du être déposé.
[Ceci dit, mea culpa sur ce sujet, puisque, après vérification, les sondages indiquent qu’une majorité de français soutient cet article. Il n’y avait donc aucune justification à une telle reculade.]
Mais justement, mon point est que ce que les sondages indiquent n’a aucune importance. Nous mandatons des députés pour qu’ils fassent la loi en leur âme et conscience, pas pour qu’ils suivent aveuglement les sondages. Si nos législateurs pensent que l’article 24 est nécessaire, alors ils devraient le voter quand bien même 80% de la population serait contre. Et s’ils pensent qu’il est liberticide, ils doivent s’y opposer quand bien même 80% serait favorable. En d’autres termes, le législateur est notre représentant, il n’est pas notre porte-voix. On attend de lui qu’il soit plus intelligent et mieux informé que nous.
[Mais quand cette manifestation est représentative de l’opinion de la majorité silencieuse, elle doit s’en préoccuper.]
Mais qu’est-ce qui vous fait dire qu’elle est “représentative de l’opinion de la majorité silencieuse” ?N’avez-vous pas pensé que si la majorité est silencieuse, c’est qu’elle est d’accord ?
Il y a peut-être une autre raison à la moindre résistance des LREM à la pression sur l’article 24 qu’aux gilets jaunes : la proximité sociologique. Les manifs gauchistes sont le fait de petits bourgeois dont les macroniens se sentent proches et avec lesquelles ils partagent une certaine empathie et certaines valeurs libertaires alors que les manifestations sur les retraites ou celles des gilets jaunes sont menés par des gens du peuple qui fument des gitanes et roulent en diesel bref des gens qui ne sont rien et que l’on méprise.
@ cd
[Il y a peut-être une autre raison à la moindre résistance des LREM à la pression sur l’article 24 qu’aux gilets jaunes : la proximité sociologique.]
Bien entendu. Et il suffit pour regarder la façon dont les “black blocs” et les Gilets Jaunes ont été décrit dans les médias. Les Gilets Jaunes, c’est l’image même des beaufs qui fument des gitanes, roulent en diesel, chassent la tourterelle et ne veulent pas bosser. Les “black blocs” sont certes destructeurs, mais ils sont racés, intelligentes, efficaces… avec quelques années de plus, ils deviendront notaires.
Au delà de ces innombrables Gabégies , ne pensez vous pas que Macron s’est démonétisé et qu’il est pertinent d’envisager qu’il ne se représente pas en 2022 alors qu’en février 2020 il semblait tel un Jupiter inatteignable?
Comment expliquer cette popularité inhabituelle à plus de 40% d’un président à moins de 18 mois de la fin de son quinquenat ?
@ luc
[Au delà de ces innombrables Gabégies , ne pensez vous pas que Macron s’est démonétisé et qu’il est pertinent d’envisager qu’il ne se représente pas en 2022 alors qu’en février 2020 il semblait tel un Jupiter inatteignable?]
Je le vois mal ne pas se représenter. Sa psychologie de joueur le poussera à tenter sa chance.
Et d’ailleurs, il me semble qu’il a de larges changes d’être réélu, vu ce qu’il y a en face.
@ Ian Brossage
[Et d’ailleurs, il me semble qu’il a de larges changes d’être réélu, vu ce qu’il y a en face.]
Comment ? Vous n’avez pas confiance dans les capacités du Gourou de LFI pour rassembler les Français ? Homme de peu de foi !!! Et puis, dans le pire des cas, il y a toujours Jadot et Piolle pour sauver le monde, s’ils ne s’entretuent pas avant.
Je suis d’accord avec vous: le meilleur allié de Macron, c’est l’inertie d’un monde politique incapable de proposer une alternative. Et il faut se dire que si cette alternative a autant de mal à surgir, c’est peut-être parce qu’au delà des discours et des rodomontades, la politique de Macron fait consensus dans les classes dominantes, la bourgeoisie mais aussi les classes intermédiaires. Ceux qui pourraient soutenir une “autre politique” sont ultraminoritaires chez “ceux qui comptent”, et le rapport de force leur est défavorable d’une manière écrasante.
Que peut-on attendre de plus d’un gouvernement qui nous a déjà gratifiés de sa fameuse “convention citoyenne”, où Madame Michu, justement, choisie on ne sait trop comment, conseillée on ne sait trop par qui, en tout cas mandatée par personne, a reçu mission de proposer des lois?
Il parait d’ailleurs qu’un brillant sujet, comme cette majorité en compte tant, a conçu l’idée de faire écrire la loi par une commission “indépendante” ; on irait donc jusqu’à privatiser le travail parlementaire?
Le probleme n est il pas que nos deputés sont majoritairement des cumulards (depute maire ou autre variation) ?
Etudier les textes ca prend du temps. Proposer des correctifs ou en debattre aussi. Les journées n ont que 24 h et si d autres activités sont aussi chronophages (et en plus sont plus remuneratrices electoralement parlant) ont arrive a ce qu on consate depuis longtemps : absenteisme parlementaire massif !
En plus avec un discipline de groupe, les deputés doivent voter ce qu on leur dit de voter (ou sinon mettre en danger leur carriere)
Je ne pense pas que la solution de creer un esprit de corps et une caste de politiciens qui se soutiennent les uns les autres meme quand une erreur a ete commise.
PS: dans l exemple ici je pense pas que le president du groupe parlementaire pense que son travail est nul. C est simplement une facon de faire marche arriere devant les protestations (probablement sur ordre du president) . Il aurait tres bien pu dire que dieu lui etait apparu et lui avait donné la solution 😉
@ cdg
[Le probleme n’est-il pas que nos députés sont majoritairement des cumulards (député maire ou autre variation) ? Etudier les textes ça prend du temps. Proposer des correctifs ou en débattre aussi.]
Oui et non. Pendant des décennies le cumul a été la règle. Pourtant, le travail législatif était d’une qualité nettement supérieure à ce qu’on voit depuis quelques années. Pourquoi ? Parce que le député faisait essentiellement son travail de représentant. La partie technique (étude des textes, travail sur les amendements) était faite par les partis politiques. Saviez-vous que jusqu’aux années 1980 les collaborateurs parlementaires n’étaient pas attribués à un député personnellement mais au groupe parlementaire dans son ensemble ?
Le problème à mon sens est moins le cumul que la disparition des partis politiques en tant que « intellectuel collectif ».
[En plus avec une discipline de groupe, les députés doivent voter ce qu’on leur dit de voter (ou sinon mettre en danger leur carrière)]
Cette discipline était bien plus forte au XXème siècle, et cela ne se ressentait pas dans la qualité du travail législatif. La discipline de parti faisait que les législateurs mettaient en commun la réflexion sur les textes, et du coup étaient plus proches d’une « masse critique » intellectuelle. Aujourd’hui chaque député travaille seul…
[Je ne pense pas que la solution de créer un esprit de corps et une caste de politiciens qui se soutiennent les uns les autres même quand une erreur a été commise.]
Je ne dis pas que ce soit la solution idéale. Mais elle est nettement meilleure qu’un parlement morcelé ou chaque député est à l’affut d’opportunités pour se mettre personnellement en valeur au détriment de l’institution.
[PS: dans l’exemple ici je pense pas que le président du groupe parlementaire pense que son travail est nul. C’est simplement une façon de faire marche arrière devant les protestations (probablement sur ordre du président). Il aurait très bien pu dire que dieu lui était apparu et lui avait donné la solution.]
Vous voulez dire que dans la tête de Castaner le texte est de qualité, mais qu’on le jette à la poubelle sous la pression de la rue ? Dans ce cas, pourquoi ne pas le dire ? Pourquoi faire semblant de croire qu’on va “améliorer” le texte ?
“Vous voulez dire que dans la tête de Castaner le texte est de qualité, mais qu’on le jette à la poubelle sous la pression de la rue ? Dans ce cas, pourquoi ne pas le dire ? Pourquoi faire semblant de croire qu’on va “améliorer” le texte ?”
Parce que Castaner a envie de redevenir ministre et que se griller aux yeux de Macron est perdre toute chance de revenir et meme pire : risquer la perdre de son siege de deputé (il suffirait que LREM presente quelqu un d autre dans sa circonscription pour qu il risque de ne plus avoir de mandat du tout).
N oublions pas que Castaner etait un sous fifre du PS et qu il n a aucune envie de retourner a son etat pre-Macron
@ cd
[Parce que Castaner a envie de redevenir ministre (…)]
On est d’accord : Castaner est prêt à rabaisser le Parlement pour redevenir ministre, et les députés sont prêts à l’admettre plutôt que de prendre un risque politique. CQFD.
Comme l’ont souligné certains médias, si la réécriture de l’article 24 se confirmait, elle soulèverait des problèmes institutionnels, et peut-être un cas de conscience pour les Sénateurs.
Le texte de loi a été adopté par les Députés et est maintenant devant ces derniers, lesquels doivent l’examiner dans les prochains jours. Pourquoi devraient-ils perdre leur temps à discuter de ce qui doit de toute façon passer à la corbeille ?
Dès lors, ils pourraient adopter l’article tel quel, ce qui embarrasserait les Députés, lesquels devraient modifier le texte même qu’ils ont élaboré et adopté, texte adopté en termes identiques par les deux chambres, qui plus est. Autant que je sache, on ne touche plus un tel texte.
Les sénateurs pourraient aussi repousser le texte. Les députés auraient alors toutes facilités pour le remplacer par une nouvelle rédaction, ou confirmer l’abandon.
Ils pourraient aussi, pris d’une inspiration quasi divine, tenter eux-mêmes la réécriture.
@ xc
[Dès lors, ils pourraient adopter l’article tel quel, ce qui embarrasserait les Députés, lesquels devraient modifier le texte même qu’ils ont élaboré et adopté, texte adopté en termes identiques par les deux chambres, qui plus est. Autant que je sache, on ne touche plus un tel texte.]
Si le Sénat venait à voter le texte sorti de l’Assemblée sans le modifier, les députes ne pourraient plus le modifier lors des lectures suivantes. C’est ce qu’on appelle en procédure parlementaire la règle de l’entonnoir: lors des “navettes” successives, ne sont examinés que les articles sur lesquels des divergences subsistent. Si les sénateurs s’amusaient à voter l’article tel que sorti de l’Assemblée, il n’y aurait aucun moyen de le modifier dans le cadre du débat de ce projet de loi. Il faudrait inscrire la modification dans un véhicule législatif postérieur.
https://www.mezetulle.fr/quelques-reflexions-et-verites-sur-larticle-24-du-projet-de-loi-securite-globale/
Qui va dans le sens du sentiment du foutoir législatif.
« L’immobilisme est en marche et rien ne pourra l’arrêter », Edgar Faure. Quand la loi est forcément mauvaise, quand il faut forcément la changer, plus rien n’a de sens, plus rien n’a d’effet sur rien et on est emporté comme fétu de paille par un fleuve en crue. Le seul changement serait de ne plus changer. Respecter et appliquer la loi telle qu’elle est, et non pas telle qu’on rêve qu’elle devrait être, serait la seule façon de lui redonner sens et force. Pour sortir de l’immobilisme, immobilisons-nous : prenons ce point d’appui, la loi, accrochons-nous à lui, afin d’échapper au courant.
Bonjour Descartes,
Je suis l’un de vos lecteurs depuis quelques temps déjà, mais c’est aujourd’hui la première fois que je laisse une contribution sur votre blog.
Je ne connais pas particulièrement le monde politique, ni les processus de construction des lois. Je ne me permettrai donc pas d’émettre un avis sur le contenu de votre billet. En revanche, je tenais à vous faire part d’une réflexion complémentaire qui m’est venue après la lecture de votre blog :
Dans notre société contemporaine, il me semble que nous avons de plus en plus d’occasions de nous exprimer et de dialoguer. Par exemple, les démarches managériales des entreprises s’appuient aujourd’hui assez largement sur des discussions et des participations. De plus, les industries à risques sont tenues de dialoguer avec les Autorités de tutelle, voire d’organiser des concertations avec les citoyens … On pourrait également citer les réunions du monde associatif ou les réunions de quartier organisées par certaines mairies … .
Pensez-vous que cette expansion de dialogues au quotidien pourrait expliquer un certain désintérêt grandissant pour les institutions classiques de représentations, de débats et confrontations ?
@ Trouve le chemin
[Je suis l’un de vos lecteurs depuis quelques temps déjà, mais c’est aujourd’hui la première fois que je laisse une contribution sur votre blog.]
Bienvenu ! Et n’hésitez pas à recommencer !
[Je ne connais pas particulièrement le monde politique, ni les processus de construction des lois. Je ne me permettrai donc pas d’émettre un avis sur le contenu de votre billet. En revanche, je tenais à vous faire part d’une réflexion complémentaire qui m’est venue après la lecture de votre blog :
Dans notre société contemporaine, il me semble que nous avons de plus en plus d’occasions de nous exprimer et de dialoguer.]
Comme disait je ne sais plus qui, « toute époque aime à se concevoir comme singulière ». Non, nous n’avons pas « plus d’occasions de nous exprimer et de dialoguer ». Nos ancêtres discutaient autant sinon plus que nous dans les foires, dans les bistrots, dans les associations et sociétés de toutes sortes, dans les syndicats et les partis politiques autrement plus nombreux qu’aujourd’hui. Tout ce qui a changé, c’est le public : grâce aux réseaux sociaux, notre voix porte plus loin, mais beaucoup moins profondément.
[Par exemple, les démarches managériales des entreprises s’appuient aujourd’hui assez largement sur des discussions et des participations. De plus, les industries à risques sont tenues de dialoguer avec les Autorités de tutelle, voire d’organiser des concertations avec les citoyens … On pourrait également citer les réunions du monde associatif ou les réunions de quartier organisées par certaines mairies …]
Je pense que vous mélangez deux choses. Le dialogue des industries avec l’Etat est aussi vieux que ce dernier. Et les gens se réunissent dans leurs quartiers ou dans leurs associations depuis la nuit des temps. Par contre, il y a une mutation dans la manière dont la production est gérée : au modèle « militaire » qui était celui des industries fordistes a succédé un modèle plus « collaboratif ». Cela tient à une modification du mode de production : hier, on achetait la force de travail physique du salarié. Aujourd’hui, l’employeur veut aussi pouvoir compter sur son engagement intellectuel, ce qui suppose une forme d’écoute inconnue il y a deux siècles. Il faut par ailleurs noter que cette transformation ne s’est pas faite en un jour : des formes permettant aux travailleurs de participer à l’organisation du travail et de la production existent depuis les années 1930.
[Pensez-vous que cette expansion de dialogues au quotidien pourrait expliquer un certain désintérêt grandissant pour les institutions classiques de représentations, de débats et confrontations ?]
Non, je ne le pense pas. Je dirais même que c’est le contraire : si les politiques cherchent désespérément – et avec fort peu de succès – à susciter des échanges sous forme de « concertations avec les citoyens », « grands débats » et autres formules, c’est pour répondre au désintérêt grandissant pour les institutions classiques. Non, ce qui a mon sens provoque le désintérêt pour les formes classiques de représentation, de débat et de confrontation est que dans le contexte et le rapport de forces actuel, ces formes n’ont aucun effet sur le réel. Quand un passage chez Hanouna vous donne plus de poids que dix conférences au Collège de France, on comprend qu’ils soient nombreux à bouder l’honorable institution de la Rue des Ecoles…
Je pense qu’un de nos défunts présidents avait fait mieux encore quand à propos d’un projet de loi qui faisait l’objet d’une forte contestation, il avait déclaré : “Je promulgue cette loi pour qu’elle ne s’applique pas.”
Les macroniens sont de petits joueurs, refiler la patate chaude à une commission, c’est vieux comme Clemenceau.
Je ne sais plus où je l’ai lu, mais Clemenceau parlait de commission parlementaire, pas une commission quelconque créée pour l’occasion.
Et tant que j’y suis (HS), à propos d’une autre citation fameuse du même, “la guerre” était un raccourci pour le ministère du même nom.