Un paragraphe à méditer… de Terry Pratchett

Voici un extrait qui, me semble-t-il, pose avec beaucoup d’humour un problème politique qui mérite quelque réflexion. Il est extrait du roman “Guards, Guards!” (“A la garde!” je crois en version française) de l’anglais Terry Pratchett, et je le recommande chaleureusement ainsi que les autres livres du même auteur.

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“Permettez-moi de vous donner quelques conseils, Capitaine”, dit le Patricien

“Oui, m’sieur ?”

“Ils pourraient vous aider à mieux comprendre le monde”

“M’sieur”

“Je pense que vous trouvez la vie compliquée parce que vous croyez qu’il y a les gentils et les méchants”, dit le Patricien, “Vous êtes dans l’erreur, bien entendu. Il y a seulement et uniquement des méchants. Seulement,  ils ne sont pas tous du même côté”

Le Patricien montra de sa main la ville en se dirigeant vers la fenêtre.

“Un grand océan de méchanceté,” – dit il, avec les accents du propriétaire – “Peu profond à certains endroits, bien entendu, mais profond, oh! très profond dans d’autres. Et les gens comme vous construisent des petits radeaux faits de règles et de bonnes intentions un peu vagues et disent, ceci est différent, ceci triomphera à la fin. Extraordinaire!” – et il donna au capitaine une petite tape bienveillante dans le dos.

“La bas”, continua le Patrician, “il y a des gens prêts à suivre n’importe quel dragon, à vénérer n’importe quel dieu, à ignorer n’importe quelle iniquité. Et tout ça a cause d’une méchanceté très quelconque. Pas la perversion créatrice des grands criminels, mais une sorte d’obscurité de l’âme fabriquée en série. Le pêché, si vous voulez, mais sans la moindre trace d’originalité. Ils acceptent le mal non pas parce qu’ils disent “oui”, mais parce qu’ils ne disent pas “non”. Je suis désolé si cela vous offense,” – ajouta le Patricien avec une petite tape sur l’épaule du capitaine – “mais la vérité est que vous les gens avez besoin de nous”

“Ah oui, m’sieur ?” murmura le Capitaine.

“Oh, que oui. Parce que nous sommes les seuls qui sachent comment faire fonctionner les choses. Voyez vous, la seule chose que les gentils savent faire, c’est de renverser les méchants. Et vous savez gentiment le faire, je vous l’accorde. L’ennui, c’est que c’est la seule chose que vous sachiez faire. Un jour on sonne les cloches pour célébrer la chute du méchant tyran, et le lendemain tout le monde se plaint que depuis que le méchant tyran a été renversé personne ne sort plus les poubelles. Parce que les méchants savent faire des plans. Cela fait partie de la spécification, si vous voulez. Chaque méchant tyran a un plan pour gouverner le monde. Les gentils ne semblent pas avoir cette capacité”

Terry Pratchett

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Pour ceux qui lisent l’anglais, voici le texte original:

 

  ‘Let me give you some advice, Captain’, said the Patrician.

  ‘Yes, sir ?’

  ‘It may help you make some sense of the world.’

  ‘Sir.’

  ‘I believe you find life such a problem because you think there are the good people and the bad people,’ said the man. ‘You are wrong, of course. There are, always and only, the bad people, but some of them are on opposite sides.’

  He waved his thin hand towards the city and walked over to the window.

  ‘A great rolling sea of evil,’ he said, almost proprietorially. ‘Shallower in some places, of course, but deeper, oh, so much deeper in others. But people like you put together little rafts of rules and vaguely good intentions and say, this is the opposite, this will triumph in the end. Amazing !’ He slapped Vimes good-naturedly on the back.

  ‘Down there,’ he said, ‘are people who will follow any dragon, worship any god, ignore any iniquity. All out of a kind of humdrum, everyday badness. Not the really high creative loathesomeness of the great sinners, but a sort of mass-produced darkness of the soul. Sin, you might say, without a trace of originality. They accept evil not because the say yes, but because they don’t say no. I’m sorry if this offends you,’ he added, patting the captain’s shoulder. ‘but you fellows really need us.’

  ‘Yes, sir ?’ said Vimes quietly.

  ‘Oh, yes. We’re the only ones who know how to make things work. You see, the only thing the good people are good at is overthrowing the bad people. And you’re good at that, I’ll grant you. But the trouble is that it’s the only thing you’re good at. One day it is the ringing of the bells and the casting down of the evil tyrant, and the next it’s everyone complaining that ever since the tyrant was overthrown no one’s been taking out the thrash. Because the bad people know how to plan. It’s part of the specification, you might say. Every evil tyrant has a plan to rule the world. The good people don’t seem to have the knack .’

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