Parti de Gauche: Pourquoi l’adhésion de Martine Billard est une mauvaise nouvelle

“Timeo danaos et dona ferentes (1)”

Martine Billard, député de Paris (2) élue sous l’étiquette des Verts, a décidé de démissionner de son parti. Elle nous explique les raisons sur son blog (ici), dans un texte curieusement  – on va voir pourquoi – intitulé “Pourquoi je démissionne des Verts”. Si l’on comprend bien, elle reproche a son ancien parti d’être trop coupé du monde du travail; d’être devenu un parti “comme les autres” sacrifiant “la politique autrement” à l’électoralisme; au cumul des mandats et à l’opportunisme, et finalement de dériver dangereusement vers le centre, en enterrant un peu tôt le clivage gauche/droite.

On pourrait lui donner le bon dieu sans confession, à Martine. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Derrière les principes, pointent les dents acérées d’une politicienne à la vieille mode. Ainsi, elle écrit:

“J’ai été élue députée en 2002 sur la base d’une candidature écologiste soutenue par le Parti socialiste au premier tour et par l’ensemble des forces de gauche au second tour. J’ai été réélue en 2007 dans une configuration similaire (Verts-PS-PRG, au premier tour et toute la gauche au second). Je ne peux donc me réjouir de la crise de la gauche  (…)” (c’est moi qui souligne)

Que tirer de ce paragraphe ? Que si Martine ne peut “se réjouir de la crise de la gauche”, c’est essentiellement (notez bien le “donc”) parce qu’elle “a été élue sur la base d’une candidature (…) soutenue par la gauche au second tour”. En effet, quelle tragédie pour la France qu’une crise de la gauche qui pourrait compromettre fatalement l’élection de Martine. Bien sur, Martine a des idées sur l’écologie, le féminisme, la gauche et tutti-quanti. Mais on peut se préoccuper des questions politiques tout en surveillant son beefsteak (3).

Cette introduction devrait briser les rêves de ceux qui vivent encore dans le pays des bisonours et croient que le geste de Martine Billard est une décision de principe. Martine est une professionnelle de la politique, formée à la dure école de l’OCT, rompue aux luttes d’appareil internes des Verts. C’est d’ailleurs pourquoi elle sait qu’il ne faut jamais quitter un navire sans avoir au préalable trouver un autre. Malgré son titre “Pourquoi je démissionne des Verts”, Martine ne se contente pas d’expliquer sa démission, elle s’occupe aussi de son avenir:

“J’ai donc décidé de faire le pari de construire ailleurs la synthèse entre le social et l’écologie pour laquelle je me suis battue pendant 16 ans chez les Verts. C’est pourquoi, avec Paul Ariès (…) nous lançons un appel aux écologistes de gauche afin d’oeuvrer à l’évolution du Parti de Gauche en ce sens, en participant à la préparation de son congrès programmatique de fin d’année”.

On peut trouver étrange qu’un parti politique accueille à bras ouvert – comme le fait le Parti de Gauche – une opération dont le but est de “oeuvrer à l’évolution du Parti de Gauche” dans un certain sens. Cela rappelle une vielle tradition d’entrisme des gauchistes, dont le but était de manipuler une organisation politique en prenant le contrôle de certains leviers pour changer son orientation. Comment ces adhérents acceptent-ils que des gens venus de l’extérieur s’organisent pour modifier la ligne politique de leur Parti dans un sens qui, apparament, n’est pas celui que les adhérents en question choisiraient spontanément (car si c’était le cas, on ne voit pas trop l’intérêt de l’opération) ?

Mais le plus étrange ne se trouve pas là: Nulle part dans le texte Martine Billard n’indique qu’elle entend adhérer au Parti de Gauche. Elle n’a pas donné d’indication dans ce sens dans sa conférence de presse commune avec Jean-Luc Mélanchon. Pourtant, on voit mal comment elle pourraient “participer à la préparation du congrès” d’une organisation dont elle n’est pas adhérente. On reste aussi songeur en lisant la formulation qui figure dans le site du Parti de Gauche: “Martine Billard a décidé de co-organiser le congrès fondateur [du Parti de Gauche]”. Doit-on comprendre que n’importe quel individu peut, unilatéralement et de sa propre volonté, “décider de co-organiser” le congrès en question ? Ou faut-il croire que Martine a été invitée à participer à l’organisation du congrès, et que sa décision est en fait d’accepter cette proposition ? Et si la dernière affirmation est la bonne, qui a décidé d’inviter Martine ?

Lors de la création du Parti de Gauche, beaucoup (et j’étais parmi eux) se sont réjouis de voir apparaître une nouvelle formation politique qui promettait une synthèse entre le républicanisme intransigeant d’un Chévènement, la tradition populaire portée par le PCF et le réalisme politique du PS. On en est à l’opposé: le Parti de Gauche est en train de montrer les pires travers des groupuscules gauchistes (4). Et cela autant dans son discours que dans son fonctionnement. Concentrons nous-ici, si vous le voulez bien, sur le fonctionnement: l’arrivée de Billard & Co., comme celle de Piquet & Co. avant elle, ne fait qu’illustrer la tendance du Parti de Gauche à être un parti de clans. Dès la fondation, il y a eu les “amis” de Melenchon, les “amis” de Dolez, les “amis” de Debons et les “amis” de Piquet (5).  Maintenant, il y aura en plus les “amis” de Billard. Et chacun de ces groupes d’amis voudra certainement “co-organiser” le congrès et “oeuvrer à l’évolution du Parti de Gauche dans son sens”. Ca promet.

D’autant que le fonctionnement du Parti de Gauche reste on ne peut plus opaque. On connaît la composition des instances dirigeantes, et c’est tout. Pas de calendrier de leurs réunions, pas de compte rendus, pas de relevés de décisions. Lorsque Martine Billard annonce sa “décision de co-organiser le congrès fondateur”, on ne peut que se demander si cette “décision” a été débattue dans une instance du Parti de Gauche, et si oui, laquelle. Je peux me tromper, mais j’ai la très forte impression que tout est décidé en secret par J-L Mélenchon après consultation de quelques-uns des chefs de “groupes d’amis”. Ce n’est pas une façon saine de faire fonctionner un parti politique, surtout quand ce parti proclame sa foi dans la démocratie.

Un véritable parti politique, c’est d’abord un groupe d’individus qui partagent une même idéologie. Ce qui ne veut pas dire forcément qu’ils partagent la même analyse d’une situation ou les propositions qui en découlent. Mais au moins ils doivent partager le cadre de référence dans lequel ces analyses et ces propositions sont élaborées, sans quoi il n’existe plus aucune différence entre débat interne et débat externe (6). Le Parti de Gauche est en train de devenir un refuge pour “notables” en délicatesse avec leur organisation d’origine. C’est sympathique, mais ce n’est pas comme cela qu’on fabrique un parti politique. Si chacun de ces “notables” amène avec lui une idéologie différente et appelle ses ouailles à “oeuvrer à l’évolution du Parti de Gauche dans son sens”, on n’arrivera jamais à créer les références partagées permettant une véritable élaboration, puisque on sera obligé à se contenter de quelques principes vagues pour garder ensemble des gens qui, idéologiquement, ne sont d’accord sur presque rien.

Faire du Parti de Gauche un véritable parti politique implique que ceux qui le réjoignent le fassent parce qu’ils partagent ses idées et ses buts, et non pas parce qu’ils aspirent à lui faire adopter les leurs. Le parti-caméléon, qui prend les couleurs de celui qui le rejoint,  est une aberration.

Descartes


(1) “Je redoute les grecs, même lorsqu’ils apportent des cadeaux”. Tirée de “l’Eneide” de Virgile, cette phrase se réfère au cheval de troie.

(2) de l’une des circonscriptions les plus fortunées et boboïsées de Paris (1°-2°-3°-4° arrondissements). Pas étonnant, pour une ancienne militante de l’OCT…

(3) Pour ceux qui trouvent que je file un peu fin, je recommande l’écoute de la conférence de presse donnée par Martine Billard pour expliquer son geste (consultable sur le site du Parti de Gauche, ici). Sa référence sur les problèmes que pourrait poser se retrouver sans organisation politique “d’autant plus que nous sommes plusieurs à être élus” mérite son pesant en cacahuètes.

(4) A l’exception de l’anticommunisme, rendons à César ce qui lui appartient. Du moins aussi longtemps que les rapports personnels avec la direction du PCF sont bons. Mais les premiers conflits s’annoncent por les régionales…

(5) On se souviendra de ce meeting “fondateur” de l’Ile-Saint-Denis, ou il avait fallu donner dix minutes de parole a une longue succession de “notables”, de manière à sauvegarder les égos permettre à chacun de rameuter ses “amis”.

(6) Le débat interne dans une organisation politique a un rôle fondamental, celui de l’élaboration politique. Mais pour que ce débat soit possible, les participants doivent partager des références communes: d’une part parce que ces références constituent un langage, et qu’il est difficile de se comprendre si l’on ne parle pas le même langage; et d’autre part parce que ces références servent à mettre en perspective les désaccords par rapport au corpus bien plus fondamental qui unit les membres d’une même organisation. Le débat externe, lui, a un objectif qui est très différent: celui de construire un rapport de forces. Dans les organisations politiques ou l’idéologie ne joue qu’un rôle secondaire (c’est aujourd’hui le cas du PS), il n’y a plus de différence entre débat “interne” et “externe” : même à l’intérieur de l’organisation, la recherche du rapport de force devient le seul but, et l’élaboration politique devient impossible.

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