Les primaires à gauche ou les grenouilles qui demandent un roi

Et Grenouilles de se plaindre ;
30Et Jupin de leur dire : « Eh quoi ! votre désir
À ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre Gouvernement ;
Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
35Que votre premier Roi fût débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire. »

Jean de La Fontaine, “Les grenouilles qui demandent un roi”

Les grenouilles socialistes demandent un Roi. Et pas un soliveau, le “Roi débonnaire et doux” du bon sieur de La Fontaine, mais “un Roi qui se remue”, comme les grenouilles de la fable. Et comme toutes les tentatives pour faire surgir un tel personnage du marigot socialiste ont échoué, les socialistes désespérés sont prêts à se tourner vers le Jupiter tonnant du suffrage presque-universel de la gauche pour sélectionner leur candidat à l’élection présidentielle.

On peut comprendre dans cette affaire le désarroi de tous ceux – et ils sont étonnament nombreux – qui pensent qu’un parti politique est un lieu de débat sur des options et d’élaboration d’un projet. Et non pas une machine électorale dont le but est d’abord de sélectionner un candidat “éligible” et ensuite de le faire élire sur un programme fabriqué de manière à attirer le plus de monde possible. Les “primaires” marquent définitivement la transformation du parti politique “à l’ancienne” dont le but était d’éduquer et de guider le souverain, en agence à la fois de marketing et de communication, dont la fonction est d’abord de développer un produit vendable, et ensuite d’en organiser la promotion. Les qualités intrinsèques du “produit” politique en question n’ont finalement pas beaucoup d’importance. L’essentiel, c’est qu’il soit vendable, c’est à dire, qu’il donne envie d’acheter. Les déceptions viendront après. Mais comme le Code Electoral, contrairement à celui de la consommation, ne prévoit pas de délai de rétractation…

Ce qu’il est plus difficile, c’est de comprendre l’enthousiasme de ceux – et ils sont étonnamment nombreux aussi –  qui croient dur comme fer que les primaires sont la solution miracle aux problèmes du Parti socialiste. Il n’en est rien: au delà du gadget, les “primaires populaires” reposent sur un double pari: le premier pari est qu’elles permettront de réduire le nombre de candidats présents au premier tour de l’élection présidentielle, ce qui suppose que l’ensemble des autres partis renonce dès le départ à présenter leurs candidats. Le second pari est que le candidat qui sortirait des primaires bénéficierait d’une dynamique unitaire qui le porterait devant le candidat de la droite.

La première hypothèse, celle qui verrait l’ensemble des partis de gauche sacrifier leurs propres candidats au candidat issu des primaires socialistes, est pour le moins aventureuse. Si les “collectifs antilibéraux”, dont les participants étaient bien plus proches que ne peuvent l’être par exemple le PS et le NPA, ont été incapables de se mettre d’accord sur un candidat commun pour 2007, quelle est la chance qu’ils acceptent se soutenir un candidat socialiste dès le premier tour ? Un tel sacrifice n’est concevable que dans le cadre d’un accord programmatique et de contreparties importantes en termes de circonscriptions concédées à des alliés. Pour conclure de tels accords il faudrait justement au PS une direction forte, pouvant négocier au nom de l’ensemble du Parti et surtout ayant suffisamment de cohérence et d’autorité sur ses propres troupes pour garantir que les engagement pris seront tenus (1).  Or si le PS avait une telle direction… la question des primaires ne se poserait pas.

Mais même à supposer qu’une telle direction fut en place, les caractéristiques de l’élection présidentielle font que les accords négociés avant l’élection n’engagent que ceux qui y croient. Une fois élu, le candidat peut renier ses promesses sans craindre de sanction, et le socialistes ne se sont pas gênés pour le faire dans le temps. C’est là la différence fondamentale avec la situation italienne, ou le Président du Conseil, même désigné suite à une primaire, ne peut effectivement gouverner sans la bienveillance de ses alliés à la Chambre des Députés (2). La prééminence du Président de la République dans notre constitution fait qu’il est (et c’était bien la volonté de De Gaulle) indépendant des partis. Demander aux autres partis de gauche de retirer leurs candidats pour contribuer à l’élection du candidat socialiste revient donc à leur demander un acte de foi. Et la foi se perd dans nos campagnes…

Il y a donc de grandes chances que même avec des primaires le candidat socialiste soit opposé aux candidats des autres organisations de gauche au premier tour de l’élection présidentielle. Mais alors, quelle est vraiment l’utilité de ces primaires ? On nous dit que, issu d’un suffrage “presque-universel”, le candidat aura une plus grande légitimité auprès des militants socialistes. Mais croit-on vraiment que ceux qui exècrent Ségolène Royal feront campagne avec enthousiasme pour elle simplement parce que les “électeurs de gauche” l’auront désigné ?  On nous dit aussi que les primaires permettront un véritable débat entre les différents candidats à la candidature. Mais pourquoi penser que les candidats n’utiliseront pas lors des “primaires” les mêmes ficelles marketing qu’ils utilisent pour n’importe quelle élection ?

En fait, des primaires ont déjà eu lieu en 2006 (3). Certes, il ne s’agissait pas de “primaires populaires”, puisque Ségolène Royal, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn avaient été départagés par les seuls militants socialistes. Et déjà à l’époque le débat entre les candidats avait été pauvre et inconsistant, et le choix ne s’était pas fait sur la question du programme à appliquer ou sur les idées à défendre. L’affaire s’était jouée sur la capacité réelle ou supposée de chaque candidat à remporter l’élection présidentielle. En fait, le candidat a été choisi par l’électorat de gauche par sondage, puisque ce sont ces sondages qui ont guidé le vote des militants socialistes. Si on avait organisé des primaires en 2006, les résultats auraient été très probablement les mêmes, sauf à imaginer que les sondeurs se soient mis le doigt dans l’oeil. Et pourtant, les faits l’ont amplement démontré, le candidat sélectionné n’était pas à la hauteur, n’avait pas le soutien entier de son Parti et n’était pas capable de rassembler véritablement la gauche. Est-ce que la sacralisation de Ségolène Royal par des primaires aurait changé quelque chose ? On peut très sérieusement en douter.

En fait, le discours des défenseurs de la “primaire populaire” doit beaucoup à l’obamanie ambiante et à une croyance quasi-mystique dans le pouvoir du suffrage populaire. Mais il faut garder en tête que le peuple, même souverain, ne peut pas tout. Et en particulier, ne peut pas suppléer à ce qui reste le problème fondamental de la gauche: son incapacité à formuler un projet global qui soit en même temps attractif et crédible. Comme dans la fable, le processus risque de remplacer le “Roi débonnaire et doux” par une grue.

Descartes

(1) que vaut la promesse d’une circonscription législative à tel ou tel allié si les socialistes locaux défient leur direction et présentent finalement leur propre candidat ?

(2) Prodi en fit l’amère expérience: désigné candidat suite à une primaire de toute la gauche italienne, élu, son gouvernement n’a duré que deux ans avant de s’effondrer du fait des dissentions dans sa coalition.

(3) C’est en tout cas ce que soutiennent… les partisans les plus fervents de “primaires à la française”, à savoir la fondation Terra Nova. Le document est consultable ici

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