Mélenchon chez Drucker: Une étoile est née…

“Souvenez vous que si au lieu de venir faire un discours je venais pour être pendu,

la foule serait deux fois plus nombreuse”

(Churchill, à un collaborateur qui le complimentait sur la foule qu’il attirait à ses meetings)

 

 

Dimanche dernier, je me suis assis devant ma télé pour regarder “Vivement Dimanche”, ce qui ne m’était pas arrivé depuis de très, très longues années. Pour être précis, depuis 1998, lors du passage de Robert Hue. Autant dit que ça ne date pas d’hier. Autant le dire donc, je ne suis pas un fan de l’émission de Michel Drucker “Vivement Dimanche”. Je trouve assez fatigante (vous voyez, je reste poli) cette succession d’interviews de gens trop polis pour être honnêtes, entrecoupés de numéros d’artistes amis de l’invité ou pas qui, oh coïncidence !, ont toujours un dernier disque à vendre où un dernier spectacle à faire connaître.

 

Mais dimanche dernier, l’invité était un ami. Jean-Luc Mélenchon allait poser ses augustes fesses sur la banquette qui a vu défiler l’ensemble de la classe politique avec quelques honorables exceptions (1). Je me suis donc installé sur mon canapé, et en avant le spectacle.

 

Le spectacle. C’est là ou se trouve tout le problème. Jean-Luc Mélenchon, malgré sa réputation d’ogre, est en fait un homme extraordinairement pudique. Or, l’émission de Drucker est construite pour les exhibitionnistes. Ce qu’on attend de l’invité, ce n’est pas qu’il fasse des discours politiques ou qu’il expose des théories, mais qu’il livre son moi intime. Son enfance, son parcours, ses amitiés, c’est cela qui intéresse Drucker. Or, Mélenchon n’a pratiquement rien livré: à la fin de l’émission, le public avait appris qu’il est né à Tanger, qu’il a passé sa jeunesse à Besançon… et qu’il aime Laurel  Hardy et la Calas. Et c’est à peu près tout.  Du coup, on se demandait qui était le plus mal à l’aise: Drucker, qui avait l’air d’hésiter sur la manière de traiter son invité, ou Mélenchon, recroquevillé, les bras croisés sur son ventre, agressant son hôte avec “écoutez, Drucker” qui n’étaient pas vraiment nécessaires.

 

Quant aux invités… il y avait de tout. D’abord les artistes: on ne peut regretter que des perles comme cette prof de français qui faisait faire du théatre à ses élèves se trouve noyée entre l’humour bobo-gras de Nicolas Bedos (pire que son père, celui-là) et le démago-sucré d’Agnes Bihl, digne représentante de ces “artistes” qui ont compris qu’il y a aujourd’hui une niche commerciale pour des chansons “liberté, égalité, fraternité”. Les invités politiques, eux, ont fait leur petit numéro, trois petits tours et puis s’en vont. On a pu constater que Clémentine Autain a toujours des yeux verts magnifiques et les dents qui rayent le parquet. Que Martine Billard se pose toujours en gardienne du temple écologique du PG. Et que Pierre Laurent reste parfaitement transparent (dans le sens “invisible”), même si c’est le seul qui se soit permis une petite pique en parlant du “jeu collectif” au Front de Gauche. On se serait cru devant trois automates: des réponses standardisées et prévisibles, pas la moindre chaleur. Enfin, les invités censés avoir connu le Grand’Homme dans une vie antérieure semblaient être au moins aussi génés que leur hôte. Seul l’interview de Nicolas Domenach échappait à ce climat de tension, et peignait un portrait juste et chalereux. Etais-ce parce que étant enregistré au préalable il échappait au climat de tension perceptible sur le plateau ?

 

Malgré la tension sous-jacente et qui affleurait régulièrement à l’occasion de certains échanges, l’émission n’était pas intéressante au sens où elle a révélé un homme sensible, généreux, écorché vif et finalement cachant sa timidité derrière ses postures d’ogre. A la fin de la première partie de l’émission, on pouvait dire que Jean-Luc s’en était pas trop mal tiré.

 

Malheureusement, la seconde partie de l’émission a mis a nu certaines limitations de Mélenchon qu’il est impératif de corriger s’il veut demain faire une campagne présidentielle. Dans son échange avec Sérillon, il a commis deux graves erreurs: la première a été de jouer encore une fois le numéro du Quichotte attaquant à la lance la profession journalistique. Sérillon, qui en a vu d’autres, a eu l’intelligence de ne pas perdre son calme, de rester avenant et poli sous les insultes, de continuer à interroger d’une manière toute professionnelle. Il faut dire que Mélenchon a tellement fait le coup de la vierge outragée que cela commence à se savoir, et que les journalistes préparent des parades. Et une stratégie que le punching-ball est capable d’anticiper devient dangereuse. Il est temps d’en changer.

 

La seconde erreur, plus grave, est d’ignorer les dangers de l’à-peu-près. Sérillon est un professionnel connu et respecté depuis de longues années. Si Sérillon lui demande pourquoi il ne parle pas des droits de l’homme en Chine dans son bouquin, on peut se dire qu’il ne prend pas un risque inconsidéré, et qu’il a pris la peine de vérifier dans le texte. Il est donc très dangereux d’affirmer taxativement “j’en parle dans mon livre” sauf à se souvenir précisement de la phrase. Parce qu’il est évident que Sérillon allait demander la référence… et étant incapable de la donner, Mélenchon risquait de passer pour quelqu’un de pas sérieux, et d’inutilement agressif.

 

Travailler sur cette agressivité me paraît essentiel si Mélenchon veut être candidat. L’ennui, c’est que Jean-Luc ne réalise même pas qu’il y a un problème (2). Ainsi, il écrit sur son blog:

 

Un dernier mot. Ne me saoulez plus avec ces histoires de « posture de force tranquille », look de présidentiable, mes cravates, mes dents, mes cheveux, et tout ce bla bla mal digéré de l’imagerie d’Epinal des hommes d’état revus et  colorisés par la cinquième République et ses mythes monarchiques débiles. Je suis le bruit et la fureur. Comme mon époque. Et on n’aura besoin de nous que parce que nous sommes incorruptibles, que nos mains ne tremblent pas, que notre manière d’être montre que nous n’avons pas peur. Tout ce qui fait de nous des rustres pour la bonne société fait de nous des valeurs sures pour les nôtres.

 

Je pense que Mélenchon se trompe. Il n’y a que les gauchistes pour croire que le peuple veut voir des rustres à sa tête. Le peuple, le vrai, n’a pas envie de se donner pour dirigeants des rustres. Georges Marchais, qui fut ouvrier et syndicaliste, n’apparaissait jamais devant les français autrement qu’en costume-cravate. Et quelque fut sa passion en politique, je ne me souviens pas une seule fois qu’il ait utilisé un terme injurieux à l’égard de qui que ce soit, même des adversaires politiques déclarés. Il pouvait dire a Elkkabach de se taire, mais il ne l’aurait jamais traité de “salaud”.  Le côté écorché vif de Jean-Luc risque de lui jouer de sales tours dans une campagne présidentielle…

 

Dans l’ensemble, je reste songeur sur les raisons qui ont poussé Jean-Luc Mélenchon a se prêter à cette émission. Je me souviens l’avoir entendu dire  “je ne suis pas une personne publique, mais une personne privée qui a une vie publique” et à mon sens il a raison. Mais alors pourquoi aller se commettre à une émission dont le principe est justement de permettre à une “personne privée qui a une vie publique” de révéler des éléments de sa vie privée ? Pourquoi se soumettre à un exercice qui de toute évidence lui procure un énorme stress et très peu de plaisir, ce plaisir communicatif que l’on ressent chez lui quant il bat les estrades ?

 

Chez Drucker, on ne parle pas politique, on parle de soi même. Et on le fait en compagnie de gens (Coffe, Rouquier…) qui sont des experts dans le domaine. C’est la logique même de l’émission. Si l’on n’a pas envie de se livrer (et à mon sens Mélenchon a parfaitement raison de ne pas vouloir le faire), alors il ne faut pas y aller.

 

 

Descartes

 

 

(1) Qui méritent d’être retenues: Ainsi, ni Lionel Jospin ni Jean-Pierre Chèvenement n’ont accepté de se préter au jeu.

 

(2) Et ne veut peut-être pas le voir. Sur son blog, on peut voir des dizaines de messages concernant son passage chez Drucker, et tous (à de très rares nuances près) dythyrambiques, certains jusqu’au ridicule. La politique de modération du site y serait-elle pour quelque chose ? “Sans liberté de blâmer, il n’y a pas d’éloge flatteur”…

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8 réponses à Mélenchon chez Drucker: Une étoile est née…

  1. julie dit :

    cher Descartes, je suis obligée de reconnaître en grande partie votre analyse. Je n’ai regardé que des extraits sur internet de l’émission, mais cela m’a donné une vision proche de la vôtre.
    Par contre, je penses au contraire de vous qu’il était utile d’y être dans la campagne de notoriété recherchée actuellement par Melenchon. Et ça l’air de fonctionné, j’ai eu des témoignages de gens
    qui regardent cette émission régulièrement, si j’ai bien compris presque religieusement et ça a porté ses fruits. Selon eux Melenchon est quelqu’un de sérieux tout en étant proche d’eux. Et
    quelques raisonnements politique ont pu trouver leur chemin. Vu le contexte, ce n’est pas si mal, non?
    Par ailleurs, j’apprécie votre travail d’analyse de l’embryon programmatique du PG (dont je ne suis pas), pas toujours d’accord non plus, mais fallait-il encore le faire…
    mon sentiment est que Melenchon se dirige vers une piste “101 propositions” qui avait fort bien marché et laisse le travail de transposition dans le réel à qui de droit dans un futur incertain.
    Comment faire autrement? Avons-nous le temps? Vous voyez mes questions expriment pas mal de doutes.
    au plaisir de lire la suite de vos analyses
    Julie du blog de JLM

    • Descartes dit :

      Que le passage chez Drucker contribue à la “notoriété” de Mélenchon, je n’en disconvient pas. Cela étant dit, je me suis toujours méfié des communiquants qui racontent que l’important c’est faire
      parler de soi. Les français, contrairement à une image trop facile, ne sont ni des marionettes manipulées ni des imbéciles. Ils savent très bien faire la différence entre la célébrité et la
      capacité à les représenter. Cousteau ou l’Abbé Pierre ont été des “stars”, mais je ne crois pas que confrontés au suffrage universel ils auraient fait de très bons scores.

      Il y a un risque pour Mélenchon à paraître trop dans des émissions de “divertissement”, qui est celui d’apparaître à la fin comme un amuseur public. A force de trop fréquenter les Rouquier, les
      Drucker, les Bolloch, les Bihl, on finira par conclure qu’il est l’un d’eux. Il n’est pas inutile de rappeller que les deux grands “tribuns populaires” de la fin du XXème siècle que furent (dans
      un régistre idéologique très différent, bien entendu) Georges Marchais et Jean-Marie Le Pen ont évité d’associer leur image au “fun” et au “divertissement”. On ne peut pas d’un côté considérer
      que la politique est une affaire sérieuse, et d’un autre coté croire qu’on fait de la politique en échangeant des plaisanteries avec Rouquier ou Le Bolloch chez Drucker.

      Pour ce qui concerne le programme, je crains, en effet, qu’on s’achemine vers un “catalogue” dans le genre 101 propositions. Qui “n’avaient fort bien marché” comme instrument électoral parce que
      les gens – les pauvres! – n’avaient pas vu la gauche gouverner depuis longtemps et croyaient encore qu’un président dit “de gauche” agirait différement que n’importe quel politicien “de droite”.
      Aujourd’hui, la gauche a un tel déficit de crédibilité, que les listes de courses dignes de la lettre au père Noël ne font plus ni chaud ni fraud à personne.

      Je persiste à penser que le principal problème de la “gauche radicale” est aujourd’hui la crédibilité de son projet (ou plutôt le fait qu’elle n’a pas de projet crédible). Aussi longtemps qu’on
      n’aura pas fait ce travail – qui est un travail de longue haleine – on en restera aux petites combines électorales dans le dos des couches populaires qui, il faut bien le voir, ne votent plus
      pour la gauche.

      Cordialement,

      Descartes

  2. argeles39 dit :

    Espérons tout de même que dans les 101 propositions ont évitera le ridicule (par exemple la fiche 103 :”Adopter le scénario Négawatt”).
    A mon sens, ce qui manque cruellement au sein de la gauche radicale, c’est l’engagement d’intellectuels et de scientifiques de renom.
    Beaucoup d’intellectuels (philosophes, économistes….) et de scientifiques (mathématiciens, physiciens….) visiblement de gauche, écrivent des articles et des livres remarquables, avec des
    diagnostics pertinents et des solutions intéressantes, mais ils ne s’engagent pas dans les partis de gauche.
    Je trouve que c’est dommage……..

    • Descartes dit :

      Je trouve la formule “intellectuels et scientifiques de rénom” (c’est moi qui souligne) très révélatrice. Comme si ce qui fait l’intérêt de l’engagement d’un intellectuel ou
      scientifique était son “rénom” (c’est à dire, aujourd’hui, son exposition médiatique) et non pas l’intérêt de ses travaux…

      Ce qu’il nous faut, plus que des “intellectuels et scientifiques de rénom” c’est des “experts”, des gens capables de réflechir sérieusement et systématiquement sur un problème. Mais pourquoi
      diable les penseurs iraient-ils s’engager dans des partis (car cela n’arrive pas malheureusement qu’au PG) qui vomissent les “experts” et qui prétendent qu’à l’heure d’élaborer des projets
      “toutes les paroles se valent” ?

      Si l’on veut bénéficier de l’apport des “intellectuels et scientifiques”, il faut leur donner une place. Ce qui suppose d’organiser sérieusement l’expertise au sein de l’organisation. Et cela
      suppose de revaloriser le rôle de l’expert -ou pour le dire plus directement – du technocrate. On n’en prend certainement pas ce chemin-là…

  3. Annette dit :

    Tu es sûr que JPC n’y est jamais allé ? J’étais à l’enregistrement de cette émission, et il y avait une immense photo de drucker avec ses anciens invités, et JPC (et Séguin d’ailleurs) y étaient
    -ce qui m’avait d’ailleurs étonnée sur le coup, mais je ne connaissais pas du tout l’émission.

    Sinon, le passage sur la Chine existe dans le livre de JLM, c’est en gros la phrase pour dire qu’il est en désaccord avec la politique menée par le gouvernement, mais qu’il pense qu’il est possible
    d’avoir des relations d’Etat à Etat. JLM cite même de Gaulle en rappelant qu’il a été le 1er à reconnaître la Chine de Mao, et que l’Histoire lui avait donné raison (l’idée de souveraineté
    nationale dans les relations internationales). Serillon est de mauvaise fois et cherche la petite bête, sur un livre qui parle de son projet pour la France, et non la Chine. JLM s’ennerve car il
    sent le procès d’intention.

    J’en profite pour te dire que ton article sur les droits de l’homme et wikileaks est très bien pensé, car dans l’esprit je te rejoins complèment sur ce point. Il est vrai que JLM aurait pu parler
    des droits de l’homme et des indignations sélectives en rappelant ce cas flagrand de preuves qui ne sont contestées par personne.

    • Descartes dit :

      Tu as tout à fait raison, j’avais une liste d’invités dans laquelle il manque des noms. Autant pour moi, j’aurais du vérifier. Chèvenement est passé chez Drucker en décembre 2001. Le seul homme
      politique de premier plan qui ait refusé de passer chez Drucker reste donc Lionel Jospin.

      Quant à la question de la Chine, JLM en parle mais ne fait aucune référence à la question des droits de l’homme. C’était donc Sérillon qui avait factuellement raison. Au lieu de s’énerver, JLM
      aurait mieux fait d’expliquer que son livre n’était pas un essai sur la Chine, et qu’il n’avait donc pas la prétension d’être complet et d’aborder tous les sujets qui concernent nos rapports avec
      ces pays. Faut arrêter de voir des complots partout et de rejeter la faute de nos erreurs sur les autres: Sérillon n’était pas “de mauvaise foi”, il faisait une remarque parfaitement valable, et
      à laquelle Jean-Luc aurait du répondre sans s’énerver. Jean-Luc a commis une erreur, voilà tout. Au lieu de le nier, mieux vaudrait l’admettre et en tirer les leçons pour la prochaine fois.

       

       

  4. cépajuste dit :

    Vous n’aviez pas regardé depuis 1995 une émission qui n’a commencé qu’en 1998…

    • Descartes dit :

      Vous avez tout à fait raison: Robert Hue est passé chez Drucker en 2001, et non en 1995. J’avais le souvenir que la première invitation du père UbHue avait suivi son élection comme secrétaire
      national du PCF en 1995, mais en fait elle était liée à sa candidature à l’élection présidentielle de 2002. J’ai bien entend corrigé mon article pour tenir compte de votre remarque.

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