Le discours de la méthode (IV): le PCF et ses “rencontres nationales du projet”

Les travaux du Front de Gauche pour élaborer un projet continuent. Après la publication des “fiches” du PG que j’ai commenté sur ce blog, c’est au tour du PCF de s’y mettre en convoquant des “Rencontres nationales du projet”, qui se sont tenues dans une certaine discrétion à Fabien les 26, 27 et 28 novembre 2010.

 

L’initiative était heureuse et inattendue. Heureuse, parce que faire une réunion sans battage médiatique et en donnant aux gens le temps de discuter (on était loin des interventions limitées à 2 minutes des derniers congrès) ne peut que favoriser le véritable débat. Et inattendue, parce qu’après avoir transformé pendant vingt ans les congrès en “shows” destinés à mettre en scène le discours du grand chef et d’exhiber des “personnalités extérieures” aux égos surdimensionnées, il semblerait finalement qu’on revienne au PCF à une vision plus rationnelle du débat. C’est sans doute un bon point.

 

Ce qui est moins bon, c’est la méthodologie. Car au delà d’un échange entre des gens de bonne volonté, le but de c travail est de construire un projet crédible. Et malheureusement la méthode de travail choisie n’aboutit pas à ce résultat.

 

Un premier point de forme: ces derniers temps ont vu à gauche un lent dépérissement du texte et un retour à l’oralité. La “rencontre” n’échappe pas à cette règle: pas de texte d’orientation proposé, pas d’interventions publiés… Et le problème n’est pas qu’on chercherait à cacher quelque chose: les interventions sont disponibles sous forme d’enregistrement vidéo pour ceux qui voudraient les suivre. Le problème, c’est que dans la tête de certains il semblerait que le travail sur du texte n’est plus considéré comme nécessaire. Que “l’oralité” soutenue par les nouvelles technologies qui permettent son enregistrement peuvent le remplacer. Or, ce n’est pas le cas: l’homme est un animal textuel, et la réflexion passe nécessairement par le travail sur le texte. Car on peut souligner un texte, on peut l’amender, on peut le découper, on peut en extraire des morceaux pour faire d’autres textes. Le “document oral” n’a pas cette plasticité. On pense sur un texte, pas sur une vidéo.

 

Un autre point critique de méthode est la nature de l’analyse poursuivie. Lorsqu’on suit les interventions, on retrouve toujours le même mécanisme: la condamnation de ce qui est et l’expression d’un désir de changement voire d’une proposition, généralement dans un domaine étroit. Ce qu’on ne trouve pas, c’est des analyses. On ne se pose pas de questions pour savoir pourquoi ce qui est est, ni sur la possibilité de ce qu’on souhaite.

 

Les deux questions nous ramènent en fait au rapport avec le réel. Ce qui est a toujours une raison d’être, qu’il nous faut comprendre pour avoir l’espoir de changer quelque chose. La société ne fonctionne pas de manière aléatoire, mais à partir de rapports de force et de nécessité subtils qui se sont construits au cours de l’histoire. Se contenter de constater un état de fait avec condamnation à la clé (“cela va de plus en plus mal, c’est la faute du capitalisme”, pour faire court) ne vaut pas analyse. Une véritable analyse implique de trouver la logique qui conduit à cet état et surtout qui permet à cet état de se maintenir. Et cela vaut aussi pour la formulation de solutions. Chaque fois qu’on a une bonne idée sur ce qu’il faudrait faire, il faut se poser la question “pourquoi personne n’a eu cette idée avant ?” ou encore “pourquoi personne n’a mis cette idée en oeuvre ?”. En général, il y a d’excellentes raisons…

 

Le PCF (et le reste de la gauche radicale n’est pas en meilleur état) ont l’air de croire que la l’élaboration d’un programme revient à se mettre d’accord sur un catalogue de mesures et de souhaits. Et de préférence, un catalogue qui rencontre l’adhésion des électeurs. C’est pourquoi on organise des “forums” et des “débats publics” avec des “citoyens” de manière à ce que chacun puisse s’exprimer et qu’aucune revendication ne soit oubliée. Derrière ce schéma, se trouve la croyance que les “citoyens” ne peuvent qu’être tentés de voter pour des mesures qu’ils auraient “eux mêmes” demandé. Cette croyance est naïve: les gens comprennent bien la différence entre le souhaitable et le possible. Et si dans un “débat citoyen” ils expriment souvent le premier terme, à l’heure de voter, ils le font aussi en fonction de la crédibilité d’un projet global. Or, un projet ne peut être crédible que s’il hiérarchise les propositions. La procédure des “débats citoyens” est néfaste précisément parce qu’elle agrège sans hiérarchiser. Comment pourrait-on établir une hiérarchie entre les revendications exposées par des citoyens dont chacun est convaincu que son problème est le problème sans offenser personne ?

 

Sans hiérarchisation des revendications, on se retrouve avec des programmes qui ressemblent à des lettres au père Noël. Il suffit de lire les programmes présidentiels présentés par le PCF pour les dernières élections présidentielles. La hiérarchisation des propositions est une nécessité. On ne pourra pas tout faire (surtout quand il s’agit de faire des choses contradictoires). Il faut donc une analyse et un chiffrage – ne serais-ce qu’approximatif – pour évaluer la faisabilité et le coût de ce qu’on propose. Et cela, ce ne sont pas les “citoyens” réunis dans des “forums” qui pourront le faire. Il faut là un niveau d’expertise qu’il faut organiser. On ne peut pas se contenter de “rencontres”…

 

Descartes

 

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2 réponses à Le discours de la méthode (IV): le PCF et ses “rencontres nationales du projet”

  1. marc malesherbes dit :

    d’accord … et pas d’accord

    je vous suis entièrement sur l’inutilité de ces réunions; mais comme vous dites, il faut essayer de comprendre “pourquoi ce qui est est”. Il me semble que ces réunions ont pour rôle de flatter
    l’égo des “sous-dirigeants” qui n’ont pas l’accés aux grands médias, mais qui trouvent là un moyen de se faire entendre par quelques “dirigeants”, et ils en sont contents (en entreprise, c’est très
    caractéristique, c’est même vécu comme un moyen de se faire remarquer)

    quand à faire croire qu’une orientation, un projet, un programme puisse être issus d’un processus démocratique, c’est une illusion complète (voir le blabla participatif de S Royal, et ce qui en est
    sorti). Ce qui est démocratique, c’est l’approbation (l’amendement, le rejet), d’un programme, d’un projet “connu”.

    Mais, même cela on peut en discuter, car aussitôt élu, l’élu dit “je découvre une réalité plus difficile qu’on nous le disait alors …, des circonstances inattendues m’obligent à ..” “vous avez
    mal compris ce que j’avais dit ..”

    Finalement il ne reste qu’une chose “faites moi confiance pour faire au mieux dans le cadre de vos intérêts” A l’électeur d’essayer de deviner quels intérêts il va servir au mieux, compte tenu de
    la cible électoral de l’élu pour sa réélection (1), de ses soutiens.

    nb: il y a des cas aberrants: comment le PCF a-t-il pu rester au gouvernement après le tournant de la rigueur de 83 ? Il me semble qu’il l’a payé cher électoralement par la suite.

    (1) j’insiste, non pas en fonction de ceux qui ont voté pour lui, mais de ceux qu’il va essayer de séduire pour sa réélection. Ce peut-être les même, mais pas forcément (voir F Mitterrand II)

    • Descartes dit :

      Plusieurs choses:

      Sur l’utilité de ces réunions… je ne crois pas qu’elles soient “inutiles”, dans le même sens que la messe n’est pas inutile aux chrétiens. Ce sont des cérémonies qui servent à souder une
      communauté. Elles permettent aux convaincus de “communier” entre eux et d’écouter la bonne parole de leurs dirigeants. Ce dont je doute, ce n’est pas de leur utilité en général, mais de leur
      utilité dans l’élaboration d’un projet.

      Tout à fait d’accord par contre sur le fait qu’une orientation et un projet ne peuvent être issus d’un processus “démocratique” du moins à grande échelle. L’élaboration est toujours un processus
      dissimétrique: d’un côté, un groupe plus ou moins restreint de “spécialistes” qui tient la plume, de l’autre les militants. C’est aux premiers d’élaborer un projet en veillant à ce que les
      différents volets soient cohérents entre eux et que le tout soit réalisable. C’est ensuite aux militants d’en discuter, de dialoguer avec les rédacteurs, de l’infléchir éventuellement et
      finalement de le sanctionner par leur vote. Mais il faut tout au long du processus une instance qui valide la cohérence et la faisabilité du tout. Les blabla participatifs ne sont que des rideaux
      de fumée.

      Pour ce qui concerne l’élu… il faut abandonner la vision naïve qui fait des élus des robots qui n’auraient pour fonction que de jouer les porte-voix de leurs mandants. Si c’était aussi simple,
      on pourrait remplacer le politicien par un ordinateur. En fait, on élit un homme justement pour qu’il fasse usage de son libre arbitre. Ce qui suppose qu’il ait une marge de manoeuvre à l’heure
      de mettre en oeuvre le programme sur lequel il a été élu. Et pour lui laisser cette marge, il faut un rapport de confiance entre l’électeur et l’élu. D’où l’importance de proposer des hommes de
      confiance. Le mythe gauchiste selon lequel “les hommes n’ont pas d’importance” est un boulet qu’on traine. Oui, les hommes ont une importance, et c’est pourquoi il faut être exigeant avec eux.

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