De la difficulté d’être policier

Une affaire récente a remis sur les questions de police sur le devant de la scène. Résumons rapidement le dossier: un groupe de policiers essaye de contrôler un automobiliste. L’individu en question essaye de se soustraire au contrôle. Dans la confusion qui suit la course-poursuite, un véhicule de police “accroche” involontairement l’un des fonctionnaires présents. Jusque là, rien que de très banal. Mais c’est là que cela se corse: pour cacher cet incident, les policiers vont inventer une infraction imaginaire, en accusant l’individu contrôlé d’avoir accroché le policier avec sa voiture. Et ils coucheront cette falsification sur procès verbal officiel.

 

On ne saurait trop signaler la gravité des faits. Si la machination était allée jusqu’au bout, le malheureux automobiliste aurait pu se retrouver devant une cour d’assises, encourant une peine de réclusion à perpétuité. Heureusement, les “boeufs-carottes” ont rapidement mis à jour les contradictions dans l’histoire des policiers et révélé le pot aux roses. Les sept policiers ayant participé à l’affaire reconnaissent s’être concertés pour falsifier un procès verbal. Ils se retrouvent en correctionnelle, avec à la clé des condamnations à la prison ferme. Jusque là, encore une fois, rien que de très logique.

 

Mais là où l’affaire devient emblématique, c’est dans la réaction du corps policier. Ce seront les manifestations – normalement strictement interdites – de policiers en uniforme devant le tribunal de Bobigny lors du prononcé des condamnations, la réaction indigné contre les peines prononcées manifestée par les organisations syndicales, et finalement la “compréhension” manifestée devant toute cette émotion par le Ministre de l’Intérieur lui même.

 

Disons-le crûment: tout ceci est inacceptable. L’acte des policiers est infiniment grave. Il aurait pu briser la vie d’un innocent. Mais surtout – et cela semble avoir échappé aux policiers et à leurs défenseurs – c’est un attentant contre l’institution policière elle-même. Si les citoyens payent des fonctionnaires et admettent que ceux-ci soient “armés dans une société désarmée”, c’est dans l’exigence tacite que ces fonctionnaires soient différents des criminels qu’ils sont censés poursuivre. Lorsque des fonctionnaires sont prêts à commettre un faux pour accuser un innocent, ils rompent ce pacte fondamental, sans lequel il n’y a pas de véritable police, mais des bandes armées en uniforme. Et lorsque la hiérarchie ou les syndicats couvrent ou “comprennent” de tels actes, ils scient la branche sur laquelle la police est assise, celle de la confiance publique.

 

Car cette affaire ne sera pas oubliée de sitôt: que vaudra demain la parole d’un policier, lorsque l’avocat rappellera que cette parole peut être falsifiée ? Que même un policier assermenté, officier de police judiciaire, est capable de commettre un faux, avec la complicité de ses collègues ? On se serait attendu à ce que les policiers eux mêmes réagissent et condamnent ce qui est une véritable trahison de la part de leurs collègues. Or, cela n’a pas été le cas.

 

Il y a certainement le réflexe corporatiste à prendre en considération. Aucune corporation n’aime laver son linge sale en public, et nous ignorons quel traitement a été ou sera réservé aux fautifs par leur organisation. Mais le sentiment corporatif ne serait peut-être pas si fort s’il n’y avait pas une véritable crise dans les rapports entre la police et la société.

 

Cette crise – qui touche bien d’autres corps publics, en plus de la police – tient à l’attitude ambiguë que les classes moyennes, celles qui aujourd’hui font l’opinion, entretiennent avec l’Etat en général et avec les organes répressifs en particulier, et qui se résume dans une simple formule: on veut que quelqu’un fasse le sale boulot, mais on ne veut pas l’assumer. Les petits-bourgeois du marais vont expliquer à la police comment elle doit faire son travail (qui consiste bien entendu à prendre en charge tous les dégâts sociaux, sans exception), et ensuite rentreront dans leurs appartements confortables tandis que les policiers iront appliquer ces sages principes dans les cités de la Seine-Saint-Denis. Et bien entendu, s’il y avait un “accident”, si les sages principes ne marchent pas, cela ne peut être que la faute du policier.

 

Cette position permet aux classes moyennes de se donner le bon rôle (et une bonne conscience): de bénéficier de l’ordre sans avoir à assumer les actes qui, quotidiennement, permettent de le maintenir. Il est d’ailleurs révélateur de constater que dans les réflexions de la gauche (qui est le représentant sociologique des classes moyennes boboïsées sur terre) on ne retrouve rien ou presque sur la question de la police, et des moyens d’assurer son efficacité dans ses missions. La réflexion sur ces questions, comme souvent à gauche, est plutôt dirigée à corseter l’action de la police et à multiplier les contrôles et les restrictions qui pèsent sur son action qu’à organiser proprement la fonction répressive, dont personne pourtant ne propose de s’en passer…

 

Le travail du policier est souvent difficile. Mais il devient impossible lorsque le policier sent qu’il n’a à attendre de la société qu’un regard méfiant et toujours prompt à faire de lui un coupable, alors que celui qu’il essaye d’arrêter se trouve enjolivé de tous les parements de la victime. Lorsqu’un policier est tué en service, il n’a droit qu’à une cérémonie avec ses collègues dans la cour de la Préfecture de Police et quelquefois un entrefilet dans “Le Parisien”. Lorsqu’un “djeune” criminel est tué… il a droit à des pleines pages dans Libération, le Nouvel Obs et autres médias bienpensants, plus des “marches” dans les communes concernées et bien entendu les voitures brûlées et autres réjouissances (1).

 

Le policier ne peut être puni pour ses fautes que si la société lui manifeste son soutien lorsqu’il fait correctement son travail. Nous vivons dans une société à beaucoup  d’égards injuste. Mais la police – et la fonction publique en général – ne sont pas là pour réparer ces injustices de son propre chef. Elles sont là pour appliquer la loi telle qu’elle est faite par les représentants du peuple souverain. Si la société est injuste, ce n’est pas la faute du fonctionnaire. Et ce n’est pas à lui d’en assumer la responsabilité.

 

 

Descartes

 

 

(1) Prenons un petit exemple: un individu vole sous la menace un jeune. S’enfuyant en voiture, il fonce sur le premier barrage sans s’arrêter et “accroche” un gendarme qu’il traîne sur 500 m (il s’en sortira miraculeusement indemne). A un deuxième barrage, il fonce sur un deuxième gendarme. Celui-ci tire deux fois, une balle l’atteint. On constatera plus tard que la personne en question conduisait sans permis. Dans cette histoire, qui à votre avis est la “victime” ? L’individu décédé, bien entendu. Il paraît que tous les actes qu’il a commis sont parfaitement justifiés par son appartenance à une communauté “discriminée”.

 

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10 réponses à De la difficulté d’être policier

  1. marc malesherbes dit :

    bien que d’accord avec votre billet dans l’ensemble, je suis en désaccord avec la sentence du tribunal, à savoir des peines de prison ferme.

    Pour une raison de fond: la prison devrait pour moi être réservée à ceux qui sont dangereux pour la société. Les sanctions devraient viser à réparer “autant que possible” les dégâts commis. En
    l’occurrence, le tribunal aurait mieux fait de prononcer une peine d’intérêt général (stage de x mois dans un service de la justice), une amende, la radiation de la police …

    De plus, dans le cas particulier, je crains que les policiers en question ne soient mal traités en prison par les co-prisonniers, si ils effectuent la peine prononcée.

    En résumé je crois la justice de notre pays fait fausse route en “règle générale” en prononçant des peines de prison abusives (je citerai entre autres l’exemple de B Tapie qui a fait 10 mois de
    prison ferme, alors qu’il ne représentait aucun danger; une amende, des travaux d’intérêts généraux auraient été plus adaptés)

    • Descartes dit :

      Je ne partage pas votre avis sur la sentence. Il faut que la procédure pénale garde une certaine cohérence. Si un officier public qui comment froidement un faux en écritures publiques de nature à
      provoquer à une personne qui est sous sa protection des dommages graves et irréparables ne mérite pas la prison ferme, alors on se demande qui peut la mériter.

      Je pense que vous avez une vision erronnée de l’objectif des sanctions pénales. L’objectif de la prison n’est pas de séparer un homme “dangereux” du reste de la société. S’il était ainsi, les
      peines ne seraient pas “à temps” mais devraient être maintenues aussi longtemps que la personne est considérée “dangereuse” et prendre fin immédiatement si cette “dangerosité” cessait.

      Les sanctions pénales n’ont pas non plus pour fonction de “réparer un dommage”. La réparation est une question civile, puisqu’elle conncerne les rapports entre le délinquant et sa victime.

      Non. Les sanctions pénales ont une double fonction: retributive et dissuasive. Retributive, en ce qu’elle se substitue à la vengeance en assurant les victimes que la société a pris en compte le
      tort qui lui a été fait. Et dissuasive en ce qu’elle, vise à empêcher non seulement le délinquant, mais surtout ceux qui pourraient être tentés de l’imiter, de recommencer.
      Pensez vous vraiment que le fait de faire “un stage de x mois dans un service de la justice” (ce qui après tout est le boulot d’un policier !) serait de nature à dissuader un policier de
      commettre un faux en écritures publiques ? Je ne le pense pas.

      Les sanctions réparatrices ou éducatives ont un sens pour certains délits très particuliers, notamment dans les cas où les délinquants n’ont pas une claire notion de la gravité potentielle de
      leurs actes. Confronter un conducteur pris en état d’ivresse à des blessés dans un service des urgences a une vertu pédagogique. Obliger des adolscents “tagueurs” à repeindre les murs qu’ils ont
      sali aussi. Mais croyez-vous vraiment qu’un fraudeur comme Tapie puisse être dissuadé par des travaux d’intérêt général ?

  2. marc malesherbes dit :

    Bonjour,

    je ne veux pas encombrer votre blog pour un désaccord qui peut ouvrir à des discussion sans fin, et ou je représente sans doute une minorité négligeable

    1- dans le cadre de la législation actuelle, vous avez raison, la peine de prison est souvent indiquée dans le code pénal.

    2- vous écrivez:
    “L’objectif de la prison n’est pas de séparer un homme “dangereux” du reste de la société. S’il était ainsi, les peines ne seraient pas “à temps” mais devraient être maintenues aussi longtemps que
    la personne est considérée “dangereuse” et prendre fin immédiatement si cette “dangerosité” cessait”.
    en gros, c’est ce que je pense pour les cas graves. Je ne vois rien là d’autre qu’une sorte de prison à vie “conditionnelle”. Certes c’est pénible pour l’intéressé, mais son crime l’a été pour la
    victime, et surtout sa dangerosité pour d’autres qui ne sont pas encore victimes.

    3- vous écrivez:
    “Retributive, en ce qu’elle se substitue à la vengeance en assurant les victimes que la société a pris en compte le tort qui lui a été fait”
    Mais oui. La plupart des victimes demandent réparation du tort qui leur a été fait, dans la mesure du possible, et la mise hors de danger de l’individu “dangereux”. Il y a certes quelques victimes
    qui demandent en plus la “punition” du délinquant, mais c’est relativement rare, et la société ne doit pas les suivre (la logique d’une telle attitude, c’est la règle mosaïque du “oeil pour oeil,
    dent pour dent”; torture pour torture etc…) (1)

    4-vous écrivez:
    “Et dissuasive en ce qu’elle vise à empêcher non seulement le délinquant, mais surtout ceux qui pourraient être tentés de l’imiter, de recommencer”
    Je doute que quelque peine que ce soit soit totalement dissuasive. La peine de mort n’a pas arrêté les criminels, et, en France son abolition n’a pas arrêter la tendance à la baisse “historique” du
    taux d’homicide. Ceci dit, on aurait infligé à B Tapie une amende en rapport avec sa fortune, je suis sûr que cela ferait bien réfléchir les délinquants en col blanc. Que l’on radie les policiers
    en question de la police, qu’on leur inflige une amende en rapport avec leur fortune au profit de celui qu’ils ont injustement accusé, et qu’on leur inflige un travail d’un an pour la justice, je
    suis sûr que cela ferait réfléchir leurs collègues.

    (1) ma femme, et ma fille ont été victime d’un conducteur âgé et irresponsable, qui les a percuté de plein fouet ayant perdu le contrôle de son véhicule. Elles ont survécues à l’accident, mais se
    sont payées de l’hôpital, et ma femme a toujours des séquelles. J’aurai apprécié que son permis de conduire soit suspendu (pour éviter de recommencer avec d’autres), et qu’il soit condamné à verser
    une amende à la fois pour rembourser les frais d’hospitalisation et le precium doloris. Il n’en a rien été. Dossier classé sans suite par le procureur malgré des témoignages et un constat de police
    accablant. Ce devait être un notable local …

    • Descartes dit :

      N’hésite pas à “encombrer” mon blog, il est fait pour ça!

      Au (2), tu proposes une “sorte de prison à vie conditionnelle”. Mais tu devrais voir le problème que cela pose du point de vue des libertés individuelles. Cette idée suppose que quelqu’un (un
      expert, une commission, un juge…) décide qui est dangereux et qui ne l’est pas, et cela préventivement. Et si un tel jugement est possible parmi les délinquants, pourquoi ne serait-il
      extensible à tous les citoyens ? En fait, tu sembles confondre les mesures de sûreté avec les peines. Les premières ont pour but d’empêcher une personne dangereuse de faire du mal, les secondes
      sont des “punitions” ayant une fonction dissuasive et retributive.

      Pour ce qui concerne le (3), vous n’avez pas compris je crois le point principal, c’est à dire, la fonction retributive des peines. Qui n’est pas la même chose qu’une “punition”. Les victimes,
      même lorsqu’elles ne demandent pas de “punition” en tant que telles, attendent de la justice un acte qui rétablisse l’équilibre symbolique. C’est la fonction que joue la vengeance ou la loi du
      talion (oeil pour oeil…) dans les sociétés anciennes, et qui dans la notre a été remplacé par la notion de “retribution”.

      Si le seul but des peines était de “mettre hors danger la société” et de “réparer autant que possible le tort qui a été fait”, il faudrait m’expliquer à quoi peu servir de condamner de Maurice
      Papon ou celui d’Eichman, par exemple. Aucun des deux ne représentait le moindre danger à la date de leur condamnation, et celle ci ne “réparait” aucun tort. Mais elle gardait pleinement une
      fonction retributive, et une fonction dissuasive…

      Vous écrivez ensuite au (4) “Je doute que quelque peine que ce soit soit totalement dissuasive”. Moi aussi. Il est irréaliste de demander à une peine, quelqu’elle soit, d’être
      totalement efficace. Il faut se contenter de choisir le meilleur compromis entre le coût social de la peine et son efficacité. Et la prison reste tout de même assez dissuasive…

      Je suis aussi en désaccord avec votre commentaire sur B Tapie: “on aurait infligé à B Tapie une amende en rapport avec sa fortune, je suis sûr que cela ferait bien réfléchir les délinquants
      en col blanc”. Une telle position revient à transformer le délit en un risque financier comme un autre. On parie: si on ne se fait pas prendre, on gagne. Et si on se fait prendre, on paye.
      Et comme disait je ne sais plus qui, “plaie d’argent n’est pas mortelle”… La prison a un avantage en tant que sanction, c’est qu’elle nous prive du seul bien que l’argent ne peut acheter: le
      temps.

      Tu écris ensuite: “Que l’on radie les policiers en question de la police, qu’on leur inflige une amende en rapport avec leur fortune au profit de celui qu’ils ont injustement accusé”.
      Heureusement que tu n’est pas ministre de la justice ! Tu te rends compte qu’avec une telle logique on a tout intérêt à être “injustement accusé” ? Avec ton système, on verrait se multiplier des
      “injustement accusés” cherchant à tirer leur petit avantage…

  3. Bonjour,

    Je suis fonctionnaire de l’Education Nationale, et je suis également outré de la réaction des syndicats de police et du Ministre de l’Intérieur. Les représentants de l’Etat ont un devoir
    d’exemplarité, c’est précisé dans les statuts. Le corporatisme ne se justifie que pour défendre les acquis sociaux (qui ne sont pas des “privilèges” comme on l’entend trop souvent, ceux qui disent
    cela n’ont pas passé le CAPES), pas pour légitimer les actes des brebis galeuses. De la même façon, le professeur qui a fait récemment de la propagande anti-avortement devrait être purement et
    simplement viré.

    Pour ma part, je soutiens pleinement les forces de l’ordre. Je peux même comprendre que, dans le feu de l’action, confrontés à une violence que beaucoup d’entre nous n’imaginent pas, les policiers
    soient amenés à répliquer assez brutalement. Le stress, la peur, le fait de se heurter à une haine féroce (car c’est bien de la haine envers la France et la République) qui s’installe dans certains
    quartiers peuvent l’expliquer. Mais là, il s’agit d’une violation de la loi mûrement réfléchie. C’est injustifiable.

    D’un autre côté, que dire des réactions d’une certaine gauche face à l’insécurité? J’entendais dimanche dernier une certaine Najat Vallaud-Belkacem, élue socialiste de Lyon et conseillère de
    Ségolène Royal, qualifier de “fascistes” les discours de Nicolas Sarkozy concernant le rétablissement de l’ordre en France. Cette petite morveuse a fait Sciences Po, mais ne sait pas apparemment ce
    que veut dire le mot “fasciste”. Comparer la police nationale, comme trop le font, à la SS ou à la Gestapo de sinistre mémoire, c’est mensonger et inadmissible. Les policiers ne peuvent en effet
    que se crisper sur un corporatisme malsain dont la présente affaire est la triste conséquence.

    • Descartes dit :

      Je partage tout à fait ton observation. Défendre la République implique exiger de tout serviteur public une conduite exemplaire dans l’application des lois. Et si celui qui les viole doit être
      publiquement puni, cette punition ne sera comprehensible et acceptée que si on retrouve la contrepartie: le fonctionnaire qui fait appliquer la loi doit être soutenu par la société.

      Le problème, est que de ce point de vue rares sont les mouvement politiques qui ont là dessus une position claire. Lorsque la gauche conteste les sanctions à l’encontre des “désobeisseurs” de
      tout poil, elle scie la branche républicaine sur laquelle nous sommes tous assis. Après tout, si un enseignant peut choisir les lois qu’il applique sans être sanctionné, pourquoi le policier ne
      pourrait pas faire de même ?

      La question de la discipline des fonctionnaires est une question délicate. Il est de bon ton aujourd’hui de glorifier l’image des “désobéisseurs”, assimilés régulièrement à De Gaulle ou Jean
      Moulin. Mais il est dangereux (et De Gaulle était le premier à le dire…) de projeter sur le quotidien une situation exceptionnelle. La soumission avegule des fonctionnaires aux lois – qui pour
      être légitimes ne sont pas nécessairement justes – un danger, mais la situation où les fonctionnaires peuvent choisir librement les lois qu’ils décident d’appliquer au nom d’un “droit à la
      rébelion” est un danger bien plus grand.

  4. Un extrait de ce que vous dites m’interpelle: “les lois, pour être légitimes, n’en sont pas forcément justes”.

    Il y a là un problème, en effet. Qu’est-ce qu’une “loi juste”? Bien souvent la réponse à la question est très subjective. La justice se définit pour un individu dans le cadre de vagues références
    morales qu’un autre de ses concitoyens jugera nulles et non avenues. Qui est vraiment légitime (pour le coup) pour dire ce qui est juste ou pas?

    Un exemple polémique: l’expulsion des clandestins. Je ne pense pas seulement que c’est légitime, mais je crois que c’est juste, car une nation souveraine a le droit de décider qui peut rester sur
    son sol ou pas. Mais un militant de la gauche “compassionnelle” (je ne veux blesser personne, mais malgré tout il me semble que certains militants de gauche s’abandonnent aux voies du coeur et
    négligent celles de la raison) tiendra un autre discours, en expliquant que le sans-papier vient d’un pays où règne la misère, la dictature et que, s’il avait pu, il serait rester dans son pays,
    que le départ est un déchirement, etc… Problème: ce militant a raison à sa manière et j’entends ses arguments. Mais ce qui est “juste” pour moi, c’est l’intérêt supérieur de la nation (et je suis
    favorable à une forte limitation de l’immigration pour être clair), pour mon adversaire, c’est le strict respect de la dignité humaine et la fidélité à la “tradition d’accueil” (qui mériterait
    d’ailleurs d’être discutée…) de notre pays.

    Par conséquent, s’interroger sur le fait qu’une loi soit “juste” ou pas est un débat sans fin, inutile et stérile. En revanche, je fais remarquer que nous sommes dans un Etat de droit. Nos lois
    sont adoptées dans un cadre démocratique acceptable (bien que perfectible à mon avis), par les représentants élus de la nation. Nos lois sont validées par le Conseil Constitutionnel, gardien des
    valeurs de notre République. La France est par ailleurs signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, et notre législation respecte cette Convention. A partir du moment où une loi
    française a été votée et n’a pas été invalidée pour non-respect de la Constitution et des droits de l’homme, j’estime qu’aucun argument n’est recevable pour justifier qu’on refuse d’appliquer cette
    loi. Si on la conteste, la seule solution est de porter au pouvoir un parti qui la modifiera. Toute autre action de “désobéissance” ou de pression est parfaitement antidémocratique.

    • Descartes dit :

      La “justice” n’est pas seulement une question de “vagues références morales”. Il y a différentes théories de la justice. Certains te diront qu’une loi, dès lors quelle est légitime (c’est à dire,
      que c’est la volonté du peuple) est nécessairement juste. Personnellement, j’adhère à la vision exposée par Rawls dans sa “Théorie de la Justice”: est “juste” la décision du juge qui est
      acceptable par un individu rationnel qui ne saurait pas s’il est l’accusateur ou l’accusé.

      Ton exemple est de ce point de vue tres éclairant: l’expulsion des clandestins est certainement légitime du moins lorsqu’elle est faite par une autorité investie par la loi démocratiquement votée
      de cette fonction. La question de la “justice” est plus compliquée. Toi, tu affirmes que c’est juste “parce qu’une nation souveraine a le droit de décider”, ce qui revient à te placer dans une
      théorie de la justice positiviste: ce qui est conforme au droit est forcément juste. D’un point de vue Rawlsien, la question qui se pose est: la règle d’expulsion serait elle acceptable par un
      individu rationnel qui ne saurait pas s’il est résident légal ou si au contraire il est lui même clandestin ? La réponse est à mon avis positive, puisque la plupart des clandestins eux-mêmes ne
      jugent pas “injuste” leur expulsion (comme le montrent de nombreux témoignanges d’expulsés eux mêmes).

      Je ne souscrit pas à ton idée que “s’interroger sur le fait qu’une loi soit “juste” ou pas est un débat sans fin, inutile et stérile”. C’est au contraire un débat très utile dans le
      processus d’élaboration (ou de modification) des lois. Là où je suis d’accord avec toi, c’est que dans un Etat de droit cet débat ne devrait pas avoir d’incidence sur l’application des lois déjà
      votées. La logique de l’Etat de droit est justement que les lois régulièrement votées doivent s’appliquer, qu’elles soient justes ou pas.

      Par ailleurs, tu fais erreur lorsque tu écris que “nos lois sont validées par le Conseil Constitutionnel, gardien des valeurs de notre République”. Le Conseil n’est gardien que de la
      constitution. Pas des “valeurs”. La différence est très importante.

       

       

  5. Le Conseil Constitutionnel est certes le gardien de la Constitution, mais qu’est-ce qu’une Constitution? C’est un texte qui précise le fonctionnement de l’Etat et qui rappelle les valeurs de cet
    Etat. Lorsqu’il est écrit “la République est une, indivisible, laïque, sociale” etc… ou la République ne fait pas de distinction entre les citoyens du fait de leur race, leur sexe, leur opinion,
    etc, je suis désolé mais on est dans le domaine des valeurs (ici l’égalité, ailleurs la liberté). D’ailleurs toute Constitution présente les valeurs sur lesquelles se fonde l’Etat. En cela donc, je
    pense que le Conseil Constitutionnel est garant des valeurs de la République.

    Pour le reste, je me range de bonne grâce à votre/ton avis (je n’ai pas le tutoiement facile) de bonne grâce.

  6. Marcailloux dit :

    Commentaire spontané (la spontanéité devient une valeur rare),sincère et peut être dérisoire….
    La teneur des propos de ce blog(dans l’acception d’ALAIN)et leur hauteur sont un véritable rayon de soleil, ça ne réchauffe pas toujours mais ça éclaire tout le temps.
    Que des millions de citoyens aient la chance d’en bénéficier, c’est le meilleur voeu que je leur présente pour 2011.
    Excusez cet élan tardo-juvénil, mais celà fait du bien de le dire.Grand merci pour votre travail.

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