Pourquoi la direction du PCF capitule en rase campagne (suite)

Le premier article de cette série a été écrit juste après la conférence nationale, alors que les textes soumis aux délégués et le compte-rendu analytique des débats n’avait pas encore été publié. Aujourd’hui, il l’est (consultable ici). On peut donc répondre à certaines des interrogations que j’avais exprimé dans mon papier précédent.

 

Tout d’abord, je m’étais interrogé sur le statut du “programme populaire partagé” tel qu’il a été proposé aux délégués. Les documents publiés répondent totalement à cette question. Voici ce que dit Jacques Chabalier dans son rapport introductif:

 

“Une dernière rencontre avec le PG et la GU s’est tenue mercredi. Des points de désaccord ou de nuances persistent bien sûr ,comme sur le nucléaire, mais l’ensemble du texte, son sens comme les propositions qu’il contient et qui émanent de chacune des formations font aujourd’hui l’objet d’un accord”.

 

Vous l’avouerez, c’est d’une clarté limpide: “des points de désaccord persistent” mais “l’ensemble du texte fait l’objet d’un accord”. En d’autres termes, en dehors des points sur lesquels on n’est pas d’accord, on est tous d’accord. Monsieur de La Palisse aurait été fier d’avoir de tels héritiers. Maintenant, appelons un chat un chat: le “programme populaire partagé” proposé aux délégués est en fait un document interne du PCF. Il n’a pas été approuvé par aucune autre organisation du Front de Gauche, et pour cause, puisque de l’aveu même du rapporteur il reste des points – et des points qui sont loin d’être anecdotiques, l’exemple du nucléaire le montre – sur lesquels il n’y a pas de compromis. Il faut d’ailleurs noter que ce “programme populaire partagé” ne figure ni dans le site du PG (sur lequel le seul document concernant cette affaire est la “première contribution du PG au programme partagé”, collection de fiches programmatiques dont le rapport au document du PCF est pour le moins lointain.

 

Tout cela rend curieuse la remarque de Chabalier concernant la valeur engageante du document:

 

“Dit autrement pour répondre à la préoccupation des communistes d’une section de l ’Ardèche qui affirment que, je
cite : « Le programme partagé doit constituer un véritable engagement pour les candidats et ceux qui les soutiennent », il est effectivement, officiellement à partir d’aujourd’hui, un véritable engagement pour nos candidats aux législatives et à la présidentielle, pour nos partenaires”.

 

Chabalier va un peu vite en besogne. Qu’est-ce qui lui permet d’affirmer que le texte présenté à la conférence engage le candidat présidentiel ? Comment d’ailleurs l’affirmer puisqu’il n’est toujours pas désigné ? Et comment un texte publié par le PCF, sur lequel il est admis que des désaccords avec ses partenaires du Front de Gauche subsistent pourrait-il être “engageant” pour ces derniers ? On nage en pleine confusion. D’autant plus que:

 

“La deuxième préoccupation qui s’est fait jour est de ne pas porter nous-mêmes une conception trop figée du pacte.
Les communistes de la S aône-et-Loire précisent, par exemple: « Le programme populaire partagé n’est pas un produit fini mais a vocation à être co-élaboré dans le cadre de la campagne(…)”.

 

En d’autres termes, voici un texte qui est censé être “engageant”, mais qui en même temps sera encore “co-élaboré dans le cadre de la campagne”. Comment un texte variable peut “engager” qui que ce soit ? Le candidat est censé changer son discours en fonction des progrès de la “co-élaboration” ? C’est vraiment n’importe quoi.

 

Tout ce charabia vide en fait de tout sens une partie de la consultation des communistes proposée pour le 16-18 juin prochain. En effet, le bulletin de vote qui leur sera proposé est très explicite: il leur laisse le choix entre quatre options, dont la première, celle proposée par la conférence nationale, est ainsi libellée:

 

“Pour les élections présidentielles et législatives, le PCF s’engage sur la base du contrat politique travaillé avec ses partenaires du Front de Gauche comportant: les orientations politiques et la conception de la campagne, le programme populaire et partagé et l’accord sur les législatives proposé par la conférence nationale. (…) Dans ce cadre, le PCF soutient la candidature de Jean-Luc Mélenchon comme représentant du Front de Gauche à l’élection présidentielle (…)”

 

Proposer une telle option au vote suppose que le texte du “programme populaire et partagé” soit figé à l’état où il se trouve le jour du vote. Autrement, ce serait demander aux militants d’approuver par avance un programme dont ils n’auront en fait la version définitive que plus tard. Il est vrai que la direction du PCF a fait déjà bien pire, mais ce genre de manipulations a un coût, et on peut parier que beaucoup de militants refuseront de faire campagne s’ils se sentent floués, par exemple si le programme est “co-élaboré” plus tard dans un sens qu’ils n’approuveraient pas. Or, figer le programme au jour du vote implique de savoir dès maintenant quelle serait la stratégie du PCF si le candidat présidentiel désigné refusait, de jure ou de facto, de se considérer lié par celui-ci.

 

Mais l’option N°1 du bulletin de vote recèle un autre piège, qui lui aussi pose d’intéressantes questions:

 

“Conformément à l’accord sur les législatives, qui prévoit de réserver environ 80% des circonscriptions pour le PCF et 20% pour nos partenaires, le PCF désignera ses candidates et ses candidats; et il soutiendra les candidats du Front de Gauche sur l’ensemble du territoire”

 

Cette option, là encore, fait référence à un “accord sur les législatives” inexistant. Il n’y a pas d’accord pour “réserver 80% des circonscriptions au PCF”, puisqu’un “point sur les discussions du front de gauche sur les législatives” publié hier sur le site du PG (consultable ici) réaffirme l’exigence du PG qui fixe la barre à 70%. Une lecture superficielle du texte du bulletin de vote pourrait faire penser que la direction du PCF s’est mise dans une situation impossible: dans le cas où le PG persisterait dans sa demande, il ne lui resterait plus qu’à retirer le soutien à la candidature Mélenchon (car jamais, au grand jamais, une direction du PCF n’irait contre un vote des militants, n’est ce pas ?). Mais lisons de plus près: “(…) prévoit de réserver environ 80% des circonscriptions pour le PCF”. Tout est dans le “environ”: la direction du PCF a fait voter par la conférence nationale un texte intransigeant en apparence, mais qui en fait lui laisse les mains libres pour capituler plus tard.

 

La lecture des textes publiés confirme la première impression, celle d’une direction du PCF frileuse et prête à toutes les capitulations pour éviter le risque de devoir affronter les électeurs. Les “conditions” exigées par le Comité National du 8 avril ont été vidées de tout contenu. Le programme ? Il n’existe que virtuellement et de toute façon il pourra être modifié (pardon, “co-élaboré”) si le besoin s’en fait sentir – ou si la pression du candidat désigné est suffisamment forte. L’accord législatif ? Il n’existe pas d’avantage, et il laisse la porte ouverte à toutes les dérives. Pour ne donner qu’un exemple, le PG se permet de faire planer la menace de présenter des candidats “dissidents” au cas où les candidats désignés par le PCF ne seraient pas suffisamment admiratifs de la stratégie du Front de Gauche. Cette menace n’est pas seulement virtuelle: voici ce qu’on peut lire sur un document public et officiel du PG:

 

“La proposition de candidature du PG sur la 14ème du Rhône [le député sortant est le communiste André Gérin] est mise “en réserve” en attendant de savoir si le candidat que proposera le PCF se revendiquera clairement du Front de Gauche”

 

Cette menace n’a jusqu’à aujourd’hui provoqué aucune réaction des dirigeants nationaux du PCF. Et si l’on se fie au compte rendu (mais il faut être conscient que certaines questions “délicates” sont toujours expurgées dans celui-ci) aucun délégué n’a cru nécessaire de s’y référer. Marie-George Buffet a oublié de la mentionner dans son compte rendu des négociations. Un oubli, sans doute. Mais un tel attaque d’amnésie collective illustre la situation inextricable dans laquelle la direction nationale du PCF s’est placé. Dès lors que le PCF n’a pas de stratégie alternative, son pouvoir de négociation est minime (1). C’est pourquoi le PG peut s’attendre à avoir dans la repartition une representativité sans rapport avec son poids électoral (2).

 

La consultation des 16-17-18 juin prochain est donc mal partie. Comme il est peu probable que des accords définitifs sur le programme pas plus que sur la configuration électorale ne soient trouvées d’ici là, on se demande quel sens aura exactement le vote des militants. Peut-on raisonnablement leur demander de se prononcer sur un programme qui n’existe pas encore et sur un accord électoral qui n’est pas conclu ?

 

 

Descartes

 

 

(1) Mais si le pouvoir de négociation de la direction nationale est minime, ce n’est pas forcément le cas du PCF en général. Car le PCF est devenu, comme naguère le Parti Radical, un parti essentiellement “local”. Un commentaire très révélateur de Marie-George Buffet (qui, rappelons-le, est en charge des négociations sur les législatives) le montre:

 

“Mais nos partenaires veulent aussi pouvoir disposer du même nombre de sortants et ne pas être cantonnés dans les seuls endroits à moins de 5 % ! Il faudrait donc que certaines fédérations, qui ne font pour l’instant aucune ouverture, en fassent désormais”.

 

Cette remarque montre où se trouve le seul levier du rapport de force qui pourrait obliger le PG à céder: si la direction nationale est terrifiée à l’idée d’une baffe à la présidentielle, les fédérations, dominées par les élus locaux, n’ont pas du tout cette crainte. Alors que la direction nationale est prête à céder à peu près sur tout, les fédérations semblent beaucoup plus réticentes. Or, de par les statuts, ce sont les fédérations qui ont le privilège de désigner les candidats aux législatives, et la direction nationale n’a dans cette matière aucun pouvoir coercitif. Autant dire que les fédérations n’ont aucune raison de céder, et pour peu qu’elles aient des “notables” puissant à leur tête, ont les moyens de faire de la résistance…

 

(2) Car les voix du Front de Gauche, ce sont en fait les voix du PCF, et si l’on croit le rapport de Jacques Chabalier, tout le mond en est conscient. Voici ce qu’il dit:

 

“Nous proposons que la Conférence nationale donne le mandat suivant à la commission : « L’accord législatif devra au
final réserver entre 20 et 22 % des circonscriptions à nos partenaires et entre 150 et 155 000 voix (…)”, (c’est moi qui souligne)

 

Qu’on puisse réserver à ses partenaires des circonscriptions, soit. Mais c’est quoi, cette histoire de “voix” ? Et bien, l’explication est simple: les partenaires n’exigent pas seulement des circonscriptions, mais ils veulent des circonscriptions dans lesquelles le score du PCF aux dernières élections ont été significatifs. Ils demandent donc au PCF non seulement des circonscriptions pour leurs candidats, mais un apport tarifé en “voix”. Il ne semble pas que la question réciproque, celle des “voix” apportées par le PG et la GU dans les circonscriptions accordées au PCF soit posée…

 

 

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4 réponses à Pourquoi la direction du PCF capitule en rase campagne (suite)

  1. argeles39 dit :

    #######La lecture des textes publiés confirme la première impression, celle d’une direction du PCF frileuse et prête à toutes les capitulations pour éviter le risque de devoir affronter les
    électeurs########

    C’est que le risque va au delà de la simple humiliation, il est aussi financier si la barre des 5 % n’est pas atteinte. Avec la crise du capitalisme financier, et compte tenu de l’indigence
    idéologique du PS, le PCF aurait un boulevard pour regagner son audience historique. Mais à mon sens il est déjà trop affaibli pour rebondir (carence de leaders d’envergure, carence d’intellectuels
    et scientifiques pour bâtir un programme et une stratégie…….).
    Le FdG tourne à la farce, prend des allures de bouffonnerie, mais, hélas, pour ralentir sa longue agonie et repousser dans le temps une issue tragique, le PCF n’a sans doute pas d’autre bouffée
    d’oxygène à sa portée.

    • Descartes dit :

      C’est que le risque va au delà de la simple humiliation, il est aussi financier si la barre des 5 % n’est pas atteinte.

      Effectivement, il ne faut pas oublier les affaires d’argent. Cela étant dit, le Front de Gauche avec Mélenchon pour candidat n’est nullement assuré de faire 5%. Il faut “calibrer” la campagne
      étant conscient qu’il existe un risque important que les dépenses ne soient pas remboursées.

      Avec la crise du capitalisme financier, et compte tenu de l’indigence idéologique du PS, le PCF aurait un boulevard pour regagner son audience historique. Mais à mon sens il est déjà trop
      affaibli pour rebondir (carence de leaders d’envergure, carence d’intellectuels et scientifiques pour bâtir un programme et une stratégie…….).

      Je ne suis pas loin de partager ce diagnostic. Avec une circonstance agravante: non seulement les dirigeants sont nuls, mais ils n’admettraient pas d’être remplacés par des gens plus compétents
      (entre autres choses, parce que c’est leur gagne-pain). Ce qui d’une certaine façon ferme la route à toute remise en cause de l’existant. Malheureusement, il faut se faire à l’idée que le PCF est
      un astre mort. Le peu de lumière qu’il donne vient de ce qu’il fut il y a vingt ans et plus.

       

  2. Nicolas 70 dit :

    Comment la direction peut appeler les adhérents du PCF à voter pour la proposition de la conférence nationale alors que tout est flou sinon le non de Jean-Luc MELENCHON ?

    Un participant à cette conférence m’a informé que peu de grands élus du PC étaient présents. Il se dit optimiste quant à un bon score des opposants au choix 1 sachant que les fédérations du Nord,
    du Pas de Calais, du Var ou du Val de Marne ne sont guère favorables à la candidature du camarade Méluch’. Certains qui disent vouloir voter pour JLM le feront par discipline mais disent ne pas
    vouloir faire la campagne. On verra alors ce que vaut une campagne menée par les partisans de la révolution citoyenne.

    En tous les cas, investi ou non, JLM est déjà carbonisé. 5% serait un score inespéré même si sur certains blogs des internautes évoquent encore une possible victoire.

    • Descartes dit :

      Comment la direction peut appeler les adhérents du PCF à voter pour la proposition de la conférence nationale alors que tout est flou sinon le non de Jean-Luc MELENCHON ?

      C’est un peu ce que j’ai essayé d’expliquer. La direction du PCF s’est embarquée dans le Front de Gauche sans penser un instant à une stratégie alternative. Le problème de ce type d’engagement,
      c’est que plus on avance, et plus en sortir devient coûteux. Et tes “partenaires” le savent. Il a suffit que le PG dise à Laurent que c’était Mélenchon ou la rupture pour que la direction prenne
      peur (la réponse que fit Laurent à Gérin lorsque celui a demandé que se passerait si Mélenchon n’était pas désigné le montre…). Le PG essaye le même coup pour les législatives, mais là ça à
      l’air de marcher moins bien, parce qu’il a devant lui non pas une direction incapable de penser une stratégie alternative, mais des élus de terrain qui connaissent bien leurs “clientèles” et
      savent comment gagner une élection sur leur propre nom.

      Un participant à cette conférence m’a informé que peu de grands élus du PC étaient présents.

      C’est une constante depuis un certain temps. Les élus, véritables notables, labourent “leur” terrain et ne perdent pas leur temps à se mêler du théatre d’ombres qu’est devenue la direction
      nationale du PCF.

      Il se dit optimiste quant à un bon score des opposants au choix 1 sachant que les fédérations du Nord, du Pas de Calais, du Var ou du Val de Marne ne sont guère favorables à la candidature du
      camarade Méluch’.

      Ca dépend de ce qu’on appelle “un bon score”. Je n’imagine pas que Chassagne puisse sortir vainqueur. Mais il fera à mon avis un score suffisant pour “carboniser” (comme tu dis) la candidature
      Mélenchon. On s’achemine à mon avis vers le scénario de 2002, où la direction nationale avait imposé aux militants la candidature de Robert Hue, pour se retrouver ensuite sans personne pour faire
      campagne.

      En tous les cas, investi ou non, JLM est déjà carbonisé. 5% serait un score inespéré même si sur certains blogs des internautes évoquent encore une possible victoire.

      Si dans le contexte actuel Mélenchon arrive à faire 7-8%, ce sera un grand succès. Mais j’ai du mal, vu le nombre de handicaps qu’il cumule. Et notamment dans son propre camp. Le PG est rempli de
      trotsko-socialistes qui ont retenu le pire de ces deux organisations. Si Coquerel pense qu’il sert la candidature Mélenchon en menaçant publiquement de faire battre Gérin dans sa circonscription,
      il se trompe lourdement.

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