Le discours de la méthode (XI): du tragique en politique

Le tragique est un genre en décadence. Ce n’est pas moi qui le dit, mais George Steiner, qui dans un essai célèbre – et toujours d’actualité – intitulé “la mort de la tragédie” avait signé le certificat de décès du tragique en littérature. Quarante ans plus tard, nous ne pouvons que constater que la même chose est en train d’arriver en politique.

 

Il n’est pas inutile ici de rappeler ce qu’est exactement la tragédie, mot que l’on connait surtout par son utilisation constante – et abusive – par les journaux télévisés. Une tragédie n’est pas seulement un évènement avec beaucoup de morts. La tragédie est un genre théâtral apparu dans la Grèce antique. Peu pratiqué pendant le moyen-âge, il est redécouvert à la Renaissance et devient le genre “noble” par excellence – avec des changements stylistiques importants – jusqu’au XVIII siècle, pour tomber ensuite en désuétude – même si quelques rares auteurs s’y essayent par la suite. C’est un genre qui se caractérise par plusieurs éléments: le récit tragique concerne toujours des personnages exceptionnels (princes, rois, dieux, magiciens), prisonniers d’un destin qu’ils sont impuissants à contrôler et qui les entraîne généralement vers la mort. La quintessence du récit tragique est celui d’Oedipe, roi de Thèbes. Lors de sa naissance, l’oracle prédit à son père, Laïos, que son fils le tuera et épousera sa propre mère. Horrifié, Laïos ordonne à un serviteur d’abandonner l’enfant dans la forêt, mais Oedipe survit et par une ruse du destin retrouve par hasard son père et sans le reconnaître, le tue. Puis, se rendant dans sa ville natale sans le savoir, il tombe amoureux de sa mère et l’épouse. La vérité lui ayant été revelée par l’oracle, il se crève les yeux. On voit pourquoi ce récit est “tragique”: Laïos crée les conditions de sa chute en essayant de s’y soustraire – s’il avait gardé son fils auprès de lui, tout ça ne serait pas arrivé. Quant à Oedipe, il n’a commis aucune faute et pourtant il est puni.

 

A la lecture de cette description, on comprend pourquoi la politique a par essence une dimension tragique. La politique, pour reprendre la formule de Bismarck, c’est l’art du possible. Le politique se trouve en permanence confronté à des situations sur lesquelles il n’a souvent qu’un contrôle – et une compréhension – limitées, tout en étant soumis à une injonction pressante de “faire quelque chose”. Bien entendu, personne ne croit plus au “destin” aux “dieux”. Mais faire de la politique, c’est être le jouet de forces puissantes qu’on ne comprends pas toujours et qu’on ne contrôle pas d’avantage. Un hasard, une coïncidence, une intervention extérieure peut faire ou défaire une carrière, fabriquer la réussite ou l’échec d’une politique. En politique, ce ne sont pas les meilleurs qui gagnent, mais les plus forts et les plus chanceux, ceux qui savent conquérir – et acheter – les partisans et les adversaires. Le destin d’un Mendès-France compétent, honnête, moral et  mais qui n’aura gouverné en tout et pour tout que 8 mois (juin 1954-février 1955) alors que Mitterrand – qui était tout le contraire – a gouverné lui 14 longues années est l’expression de cette tragédie.

 

Il y a aussi tragédie en politique parce que, que ce soit en monarchie où en démocratie, le peuple a longtemps voulu croire qu’il était gouverné par des hommes exceptionnels, qui étaient au delà du vulgaire, qui ne sont pas comme nous. Et que cédant à cette demande, les hommes politiques se sont longtemps pliés à ce désir, qu’ils fussent vraiment exceptionnels – comme De Gaulle – ou qu’ils fissent semblant – comme Mitterrand.

 

Mais ce qui sans aucun doute est un élément fondamental dans la perception tragique de la politique est la guerre. Il ne faut pas d’ailleurs oublier que pendant très longtemps la guerre – et non pas la guerre lointaine, mais la guerre proche, celle qui crée des alternatives de vie ou de mort de la Nation elle même – a été l’horizon indépassable de la politique. Des guerres choisies quelquefois, des guerres subies le plus souvent. C’est la disparition progressive des générations qui en France ont connu la guerre qui a permis la disparition de la tragédie comme figure politique chez nous, contrairement à ce qui se passe dans un pays comme les Etats-Unis, ou le tragique reste symboliquement très présent.

 

La politique – au sens noble du terme – a donc une dimension tragique qui lui est inhérente. Mais que se passe-t-il lorsque les politiciens, les professionnels du métier, oublient ce fait essentiel voire refusent d’endosser et d’incarner cette dimension ? Car nous en sommes là, et les débats pour l’investiture à la primaire socialiste ou ceux du candidat du Front de Gauche illustrent à la perfection cette dérive.

 

D’abord, il y a le refus du “personnage exceptionnel”. Vous me direz que cela n’est pas nouveau à gauche. L’internationale ne dit-elle pas “il n’est pas de sauveur suprême/ni dieu, ni césar, ni tribun” ? Sauf qu’il y a la théorie, et puis il y a la pratique. Et en pratique, l’imaginaire de la gauche est un grand panthéon. On rougit de lire ce que l’on a pu écrire en son temps sur Lénine, Staline, Mao, Trotsky, Hodja ou Pol Pot. Ou plus près de nous sur Mitterrand. La gauche ne croit pas en un sauveur suprême, certes, mais elle croit en des hommes “exceptionnels” avec des destins “exceptionnels”. Mais aujourd’hui, tous ces hommes sont dans le passé. Hollande peut évoquer les mânes de Mitterrand dans son discours d’investiture, mais il ne se prend pas – et personne ne le prend pour – un nouveau Grand Homme susceptible de prendre sa place dans le panthéon. Non, Hollande, lui, est “normal”, “ordinaire”. Le processus même des primaires est celui d’un parti qui ne recherche plus l’exceptionnel, mais l’élection d’un “primum inter pares”, un candidat parmi beaucoup d’autres d’égal mérite.

 

Ensuite, il y a le choix du langage de campagne, qui est loin d’être innocent. Avez-vous entendu, lors des débats récents, une seule question posée comme une question existentielle, de vie ou de mort ? Pas une seule fois (1). Non seulement on évite soigneusement de poser les problématiques régaliennes, qui sont tragiques par essence (la guerre et la paix, la politique étrangère, la sécurité internationale) mais on pose tous les autres problèmes en termes de débat de conseil d’administration. Il n’y a nullement dans ce débat de la chair, du sang, des larmes. On ne sauve pas la Nation pas plus qu’on ne la perd (2). La composante collective se dissout devant l’injonction individuelle qui demande au politique de s’occuper des problèmes de chaque électeur (ou de chaque micro-catégorie d’électeurs). Les candidats parlent de ce qu’il faut faire pour les jeunes, pour les vieux, pour les femmes, pour les handicapés, pour les sans-papiers, pour les élèves, pour les professeurs… mais jamais de ce qu’il faudrait faire pour la France, conçue comme une collectivité unique et indivisible siège de l’intérêt général.

 

Le sens tragique du politique est oublié parce que le discours politique devient un discours de gens “normaux” s’adressant à d’autres gens “normaux”. Est-ce grave ? Oui, et cela pour au moins deux raisons. D’abord, parce que l’autorité du politique repose en grande partie sur sa dimension tragique. Si le président est un pekin comme un autre, au nom de quoi demanderait-il à être suivi ? De Gaulle l’avait bien compris: l’autorité de l’Etat nécessite une incarnation, et cette incarnation nécessite la création de toutes pièces d’un homme “exceptionnel” du seul fait d’être institué. Car c’est l’élection qui a fait de Mitterrand un Grand Homme. S’il avait échoué en 1981, il serait resté un politicard magouilleux et peu recommandable. En insistant sur la “normalité” du président on risque de faire exactement ce que l’idéologie soixante-huitarde (3) a fait avec le professeur: le banaliser.

 

Mais la deuxième raison est plus sérieuse encore. Le fait de grandir nos dirigeants nous grandit nous mêmes. Nos dirigeants sont en fait les dépositaires de nos propres ambitions. Nous les demandons “exceptionnels” lorsque nous avons l’ambition d’être un pays exceptionnel. Ils deviennent “normaux” lorsque nous limitons nos ambitions au pain quotidien. Avec le sens du tragique disparaît aussi le sens de la “grandeur”. Le tragique fait partie d’un système symbolique qui nous permet de sortir de nos petits intérêts quotidiens et penser dans la sphère de l’exceptionnel. La mort du tragique, c’est le repli frileux dans le “ça m’suffit”.

 

 

Descartes

 

 

(1) Seul le Front National continue à formuler son discours en termes “existentiels”, de vie ou de mort, ce qui le conduit à poser les alternatives sur un mode “tragique”. Ce choix n’est pas pour rien dans son succès de plus en plus large dans les couches populaires.

 

(2) Il serait injuste de ne pas noter que certains, dont Jean-Luc Mélenchon, essayent de donner à leur discours un ton qui va au délà de cette “normalisation”. Mais si son discours est “dramatique”, il n’est pas pour autant “tragique”.

 

(3) Il faut noter que la dimension “tragique” de la politique n’est pas contestée par mai 1968. Au contraire: la vision héroïque des guerres de libération, le culte du héros et du Grand Homme, la vision téléologique de l’Histoire fait que les gauchistes restent souvent les derniers à soutenir une vision “tragique”, alors que celle-ci disparaît pratiquement de la sphère idéologique des autres partis avec le retrait des affaires de la génération qui a connu les dernières guerres françaises (celle de 39-45, mais aussi celle d’Algérie).

 

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

21 réponses à Le discours de la méthode (XI): du tragique en politique

  1. “Sortir de nos petits intérêts quotidiens”: tout est dit. Qui nous mobilisera autour d’un grand projet collectif? Qui osera nous parler de grandeur?

    L’un de tes meilleurs textes (à mon humble avis). Rien à ajouter, rien à retirer.

    En un mot: bravo!

  2. Paul dit :

    Bien qu’en profond accord avec toi sur la dimension tragique que devrait avoir le dirigeant que la situation, elle-même marquée du tragique, nécessite, je m’interroge néanmoins: n’y a-t-il pas un
    sens à ce que les seuls “impétrants” soient des comiques? Molière en passait bien par la farce, Mozart par la facétie dans sa flûte. N’abordaient-ils pas pour autant des problématiques
    sociétales? Certes, ils n’étaient pas amenés à représenter le peuple, seulement à le mettre en scène. Nos représentants politiques ne sont-ils pas prisonniers de leurs rôles, ayant en définitive
    renoncé à ce que le politique soit le pouvoir du peuple face au pouvoir de l’argent?

    Je veux seulement dire que nos “impétrants” sont le reflet d’une démission du politique. D’un renoncement à une alternative culturelle.

    Ce qui m’inquiète bien sûr…

    • Descartes dit :

      Je veux seulement dire que nos “impétrants” sont le reflet d’une démission du politique.

      Tout à fait d’accord. La question, c’est de comprendre le pourquoi de cette démission.

  3. Paul dit :

    La peur?

    J’ai regardé, avec le plus d’attention possible, le débat lassant entre Hollande et Aubry. Il ne m’en reste rien, mais alors rien du tout ! J’ai vraiment le sentiiment d’un “comme si”
    complètement en dehors des enjeux. Je me retrouve à presque admirer l’agitation de Sarkozy quant aux échéances de ces jours-ci, me disant que lui au moins tente d’y être. Je ne suis pas certain
    que les deux impétrants veuillent y aller, aux affaires.

    Le jour de la primaire, je suis allé voir “habemus papam”, eh oui, bien sûr, la peur, c’est du réel, et cette primaire m’est apparue comme une comédie. On fait joujou, à gauche, mais on ne s’y
    voit pas, au pouvoir, et peut-être qu’on n’en veut pas du pouvoir. 

  4. Bannette dit :

    Bonjour et merci d’avoir répondu à notre demande sur le tragique en politique suite à des échanges précédents.

    J’ai juste un peu de mal avec le sens du tragique chez les états-uniens quand tu dis que “contrairement à ce qui se passe dans un pays comme les Etats-Unis, ou le tragique reste symboliquement
    très présent.” du fait que c’est un pays qui est toujours en guerre (et que tu évoques la disparition de la menace de la guerre chez nous).

    Le côté “pompes et circonstances” des célébrations de la soldatesque états-unienne a quelquechose de grossier et d’illusoire, ne serait-ce que dans les adversaires contre lesquels ils s’acharnent
    (Cuba, des illuminés barbus ? Quand ont-ils éfleuré la dimension tragique de Verdun ou Stalingrad où des nations étaient en jeu ?). La nation est chez eux représentée par des artefacts comme
    le billet vert ou la banière étoilée. Comme dirait l’un de nos plus grands tragédiens, à vaincre sans péril…

    Je veux juste dire qu’à mon sens, ni la population ni les dirigeants US sont sensibles à ce sens du tragique, ce qui ne veut pas dire que ce côté idéal de puissance mélé à une
    forme de candeur, d’inculpabilité et d’impossibilité de définir leur nation autrement que comme contre un ennemi* (le grand satan URSS, le grand satan islamiste, demain kesako ?) n’a pas un côté
    tragique. Quand ils abordent ce que tu nommes fort justement des thématiques régaliennes, c’est dans leur prétention universaliste autoritaire (l’idéal de puissance dont je parle) ; or l’art de
    la diplomatie, au sens noble du terme, c’est d’avoir une conscience aigüe des intérêts de la nation que l’on représente, mais aussi reconnaître que l’autre représente les intérêts de sa nation
    tous aussi légitimes, qualité totalement absente des secrétaires d’état US.

    Je m’excuse si je suis confuse, je ne fais que rebondir avec des idées qui me viennent dans le fil de la discussion.

    *Je pense à ce bon mot d’un diplomate russe aux états-uniens avant l’auto-démantèlement de l’union soviétique : “Nous allons vous faire quelquechose de terrible, nous allons vous priver d’un
    ennemi”.

    • Descartes dit :

      Le côté “pompes et circonstances” des célébrations de la soldatesque états-unienne a quelquechose de grossier et d’illusoire, ne serait-ce que dans les adversaires contre lesquels ils
      s’acharnent

      Là n’est pas la question. Que la menace soit réelle ou illusoire, son effet sur la psyché est la même. Lorsqu’on discute avec les américains, on est étonné à quel point la fonction politique est
      pour eux encore liée à un commandement militaire, avec cette composante du choix de vie ou de mort. Il y a là bas un rapport mystique avec “nos soldats” (les rubans jaunes, la priorité donnée aux
      familles de “vétérans”…) que l’on trouve partout, y compris dans la litérature et dans le cinéma: on ne compte pas les films ou les séries qui mettent en scène la vie militaire. Combien de
      cinéastes français de première ligne ont mis en scène ce sujet dans leurs films ? Or, ce qui caractérise la vie militaire, c’est bien son caractère tragique.

      Je veux juste dire qu’à mon sens, ni la population ni les dirigeants US sont sensibles à ce sens du tragique,

      Je crois que tu te trompes. Je ne suis pas un adorateur de la culture américaine, mais je dois avouer que la politique américaine – et la politique anglosaxonne en général – a conservé une
      référence au tragique qui a disparu chez nous. Peut-être parce que leur coté paranoïaque rend plus facile la représentation de la décision politique comme une décision vitale.

      Je pense à ce bon mot d’un diplomate russe aux états-uniens avant l’auto-démantèlement de l’union soviétique : “Nous allons vous faire quelquechose de terrible, nous allons vous priver d’un
      ennemi”.

      Mais… si tu réflechis bien, en France aussi les politiques qui ont eu le sens du tragique ont été élevés avec un ennemi en tête… dès que l’ennemi s’est évanoui, le sens du tragique a
      disparu…

       

  5. Bannette dit :

    Mais une identité nationale basée sur la paranoïa et la construction d’un ennemi est fragile. Et la crise est terrible si l’Ennemi frabiqué de toutes pièces refuse de jouer de jeu. Si on prend le
    cas russe : la Russie a touché le fonds plusieurs fois rien qu’au XXème siècle : Stalingrad, le système soviétique, la destructuration par Elstine, or elle est toujours là ! Parce que la nation
    russe existe, c’est même elle qui a permit au pays de se relever (avec des bosses, des pansements) ; leur identité nationale est solide.

    Tu dis : Mais… si tu réflechis bien, en France aussi les politiques qui ont eu le sens du tragique ont été élevés avec un ennemi en tête… dès que l’ennemi s’est évanoui, le
    sens du tragique a disparu…

    Tu penses à De Gaulle ? Or j’ai lu une superbe interprétation sur son action en 1940 qui défend le fait que la nation française (comme le cas russe oh combien tragique) n’a pas besoin d’un ennemi
    pour exister et que De Gaulle en est la plus belle illustration : il défendait l’idée que De Gaulle a restauré la légitimité et la souveraineté de la France en contestant l’hégémonie de ses
    alliés (anglo-saxons), et que l’idée d’ennemi (nazi, puis soviétique) était secondaire. Ce que Jacques Laurent reprochait à De Gaulle, à savoir passer son temps en Angleterre à lutter contre ses
    alliés au lieu de se focaliser sur son ennemi (l’Allemagne) était le signe de sa suprème intelligence. L’Ennemi ne fut pas la base de la reconstruction de la ‘France Eternelle’, ce fut son
    affirmation face aux alliés (et le lancement de son programme nucléaire en est une affirmation forte).
     

     

    • Descartes dit :

      Mais une identité nationale basée sur la paranoïa et la construction d’un ennemi est fragile.

      Certes. Mais l’identité nationale américaine n’est pas construite que sur cela. On parlait d’ailleurs ici du sens du tragique en politique, non de l’identité nationale.

      Tu penses à De Gaulle ? Or j’ai lu une superbe interprétation sur son action en 1940 qui défend le fait que la nation française (comme le cas russe oh combien tragique) n’a pas besoin d’un
      ennemi pour exister

      La nation peut-être… mais le sens du tragique ?

      Puisque tu parles de la nation, la question de l’ennemi fait aussi partie de notre identité nationale. Mais un ennemi peut être idéalisé. Ainsi, l’école républicaine de la IIIème soutenait une
      idéologie qui faisait de l’ignorance l’ennemi à abattre. L’anticléricalisme de la fin du XIXème prit aussi la forme d’une lutte à mort contre un ennemi. Il est difficile de mobiliser les peuples
      sur une idée purement positive, et De Gaulle fut le premier à le comprendre en 1946, lorsqu’il se rendit compte qu’une fois la libération du territoire achévée les partis politiques revenaient à
      leur petites magouilles parlementaires. Rebelote en 1958: dès que le spectre de la guerre d’Algérie s’est éloigné…

      L’Ennemi ne fut pas la base de la reconstruction de la ‘France Eternelle’, ce fut son affirmation face aux alliés (et le lancement de son programme nucléaire en est une affirmation
      forte).

      C’est l’une des grandes qualités de la République française: pour nous, l’ennemi est celui qui s’oppose à la souverainété populaire et à la “grandeur de la France”. De Gaulle a bien compris que
      le danger pour ces valeurs ne venait pas seulement des allemands…

       

  6. Bannette dit :

    Pardon si j’ai amené la question de la nation en mélangeant un peu avec le message principal du billet sur le sens du tragique, en fait c’est pour faire le lien avec le billet sur les “collabos”.
    Vous avez évoqué la notion de grandeur, qui est fortement liée au sens du tragique.

    Je ne résiste pas à l’envie de faire partager un mot de ce personnage contrasté et à la plume superbe qu’est Talleyrand :

    »La maison de Bourbon seule, pouvait noblement faire reprendre à la France les heureuses proportions indiquées par la politique et par la nature. Avec la maison de Bourbon, la France
    cessait d’être immense pour devenir Grande. Soulagée du poids de ses conquêtes, la maison de Bourbon seule, pouvait la replacer au rang élevé qu’elle doit occuper dans le système
    social ; seule, elle pouvait détourner les vengeances que vingt ans d’excès avaient amoncelées contre elle.

    En fait, il écrivit cela dans le cadre du Congrès de Vienne, et pourquoi il avait pris le parti des Bourbons qui selon lui représentaient la légitimité et la souveraineté de la
    France, après Napoléon. Talleyrand fait une sorte d’éloge de la défaite de Napoléon, mais ce qui était le plus important pour lui, c’était la stabilité du pays. J’apprécie particulièrement
    le jeu de mots superbe de Talleyrand sur l’immensité (du territoire) et la grandeur (historique), et l’importance qu’il donne à la seconde notion.

    Tu as évoqué la guerre d’Algérie, et on aurait tout autant pu paraphraser Talleyrand : “Avec les accords d’Evian, la France cessa d’être immense pour devenir Grande”.

  7. baruch dit :

    Bonjour,

    Petit texte, qui entre en résonnance avec le vôtre. Enfin… je crois.

    Notre route croise parfois les conquérants, qui travaillent avec acharnement à se
    doter des moyens de conquérir. Ceux-là conquièrent, effectivement. Peu importe le champ de bataille sur lequel ils ont choisi de croiser le fer, ou le verbe, ou les deux à la fois, puisque
    l’atteinte du but est cela seul qui compte. Tout se passe comme si les connaissances et  l’expérience acquises relevaient de cette arme sans laquelle le soldat n’est plus le soldat, arme
    dont il s’agit de polir la surface afin qu’elle soit ce miroir dans lequel les muscles, y compris celui du cerveau, viennent puiser leur fermeté, et le visage son impassibilité. Or, le soldat
    authentique n’est-il pas celui qui ne joue plus à l’être ? Sans nul doute mais, hélas, ce moment d’abandon de la posture, s’il permet la clairvoyance de celui qui s’abandonne, le plonge
    simultanément dans une nuit où plus personne ne le voit. Il faut donc aux hommes l’artifice, sans lequel leur puissance se résume à leur impuissance, ce qui s’avère tout de même un peu gênant
    quand il s’agit de viser la reconnaissance.

     

     

     

     

  8. baruch dit :

    bonjour,

    il me semble que ce texte parle aussi du tragique, plus précisément de la nécessité du masque: “Ôtez ses voiles au réel, il n’existe plus”. 

    • Descartes dit :

      Je ne vois pas tres bien le rapport entre “la necessite du masque” et la question du tragique. Par ailleurs, je suis totalement en désaccord avec votre dernière citation: “le réel, c’est ce qui
      demeure lorsqu’on a cessé d’y croire”.

  9. poncet dit :

    En Grèce antique, les acteurs qui jouaient les grand auteurs tragiques portaient un masque (prosopon) et un costume. Et l’acteur, derrière le masque, était absent. Tout va changer dans le théâtre
    romain. En écrivant cela, je ne puis m’empêcher de penser à Kadhafi qui, avant qu’il ne soit contraint à se terrer, se présentait aux caméras avec la volonté de ne rien laisser paraître et qui,
    dans son verbe aussi, maintenait le cap du défi. La citation de Nietzsche, quant à elle, renvoie à l’idée selon laquelle l’artifice nous protège de la vérité de notre condition de mortels. Il me
    paraît révoltant, par exemple, que les demandeurs d’asile soient contraints de “déballer” leurs souffrance pour espérer obtenir le droit d’asile. J’espère avoir éclairci mon point de vue.

    • Descartes dit :

      En Grèce antique, les acteurs qui jouaient les grand auteurs tragiques portaient un masque (prosopon) et un costume.

      Oui. Mais l’acteur de comedie, lui aussi, portait un masque. Le masque n’est pas caractéristique de la tragédie, c’est un élément du théatre grec en général. 

      Il me paraît révoltant, par exemple, que les demandeurs d’asile soient contraints de “déballer” leurs souffrance pour espérer obtenir le droit d’asile. J’espère avoir éclairci mon point de
      vue.

      Pas vraiment. Particulièrement avec cette dernière remarque sur les demandeurs d’asile. Que je sache, personne n’est “contraint” de déballer sa souffrance pour espérer obtenir le droit d’asile.
      Il y a des conditions pour obtenir le droit d’asile, et la souffrance n’est pas l’une d’elles. Que certains candidats à l’asile essayent d’utiliser leurs “souffrances” (réelles ou inventées) pour
      essayer d’émouvoir le fonctionnaire chargé du dossier (et les associations diverses et variées qui permettent aux classes moyennes de se donner bonne conscience) c’est un choix. Pas une
      obligation.

      D’ailleurs, je me demandes comment tu organiserais les choses si tu étais en charge d’organiser le droit d’asile. Le candidat arriverait, et tu lui donnerais l’asile sans rien lui demander ? Tu
      refuserais de l’entendre ? D’ailleurs, cela peut être étendu à toute une série de situations. Est-il juste qu’on doive montrer qu’on est handicapé pour recevoir une pension d’invalidité ? On
      devrait pouvoir se présenter au guichet, dire “j’ai droit”, et l’employé vous dirait “bien sur monsieur, vous n’avez rien à prouver, voici votre chèque”. C’est cela que tu proposes ?

  10. poncet dit :

    Oui pour la comédie en Grèce antique, mais cette dernière est consubstancielle à la tragédie. Il a toujours été question de parler des auteurs tragiques, qui, certes, ont pu écrire des comédies,
    mais qui sont d’abord et avant tout des auteurs tragiques. Par ailleurs, je maintiens ce que j’ai diit concernant la situation des demandeurs d’asile. Et j’ajoute que je prends position en toute
    connaissance de cause. Ceux qui vécurent l’horreur des camps de concentration et d’extermination ont mis des années, parfois, avant de pouvoir exprimer leur expérience. Et, quand bien même, parmi
    les demandeurs d’asile, il y en aurait quelques uns qui arrangent la réalité, ce qui, entre nous, est humain, ne vaut-il pas mieux ne pas décider, a priori, que celui qui est en face de toi est
    un menteur potentiel? Dernière chose: je crains fort que le droit de ne pas tout dire soit une nouvelle fois l’appanage des forts. N’oublions pas que le sens de l’honneur fut, pendant très
    longtemps, en France par exemple, le privilège de l’aristocratie.  

    • Descartes dit :

      Oui pour la comédie en Grèce antique, mais cette dernière est consubstancielle à la tragédie. Il a toujours été question de parler des auteurs tragiques, qui, certes, ont pu écrire des
      comédies, mais qui sont d’abord et avant tout des auteurs tragiques.

      Non. Il y a des auteurs de comédie qui n’ont écrit que ça. Aristophane est un exemple.

      Par ailleurs, je maintiens ce que j’ai diit concernant la situation des demandeurs d’asile. Et j’ajoute que je prends position en toute connaissance de cause. Ceux qui vécurent l’horreur des
      camps de concentration et d’extermination ont mis des années, parfois, avant de pouvoir exprimer leur expérience.

      J’avoue que je ne vois pas le rapport avec les camps de concentration et d’extermination. Franchement, l’utilisation à tout bout de champ des horreurs des persécutions nazies devient extrêmement
      fatigante.

      Et, quand bien même, parmi les demandeurs d’asile, il y en aurait quelques uns qui arrangent la réalité, ce qui, entre nous, est humain, ne vaut-il pas mieux ne pas décider, a priori, que
      celui qui est en face de toi est un menteur potentiel?

      Si tu décides de croire les demandeurs d’asile, pourquoi pas croire tous les autres ? Ceux qui te demandent un droit ou un bénéfice auquel ils n’ont pas le droit, par exemple ? Pourquoi contrôler
      la déclaration des revenus, par exemple ? Ne vaudrait-il pas mieux ne pas décider, à priori, que celui qui est en face est un menteur potentiel ?

      Il faut arrêter la sensiblerie: le droit d’asile n’est du qu’à ceux qui remplissent certaines conditions. Et il est sain de contrôler que ceux qui y prétendent les remplissent effectivement.
      Autrement, le statut de réfugié sera progressivement vidé de son sens, et ceux qui en subiront les conséquences sont ceux qui le demandent à juste titre.

      Dernière chose: je crains fort que le droit de ne pas tout dire soit une nouvelle fois l’appanage des forts. N’oublions pas que le sens de l’honneur fut, pendant très longtemps, en France par
      exemple, le privilège de l’aristocratie. 

      Je ne vois pas trop le rapport entre “l’honneur” et “le droit de ne pas tout dire”. Je crois que tu confonds “honneur” et “pudeur”.

  11. poncet dit :

    Aristophane est effectivement considéré comme un poète comique, mais qui produit des oeuvres satiriques à partir d’une critique de la tragédie. D’une certaine façon, il se tient résolument du
    côté de Dionysos. Il y a donc bien un lien étroit entre tragédie et comédie. Par ailleurs, si je fais référence aux camps de concentration et d’extermination, ce n’est certainement pas par
    “sensiblerie”, et tu me vois désolée de te “fatiguer” avec cela. En l’évoquant, je voulais mettre l’accent sur le fait qu’il participe d’un réflexe de protection tout humain que de taire ce à
    quoi nous-mêmes avons du mal à croire, et dont nous soupçonnons à juste titre que les autres le croiront encore moins. Que l’état s’autorise un contrôle sur les individus, rien n’est plus
    “naturel”, si je puis dire, puisqu’il détient le “monopole d la violence physique légitime”. Mais, ce contrôle ne saurait s’exercer au détriment des libertés. Quand c’est le cas, d’ailleurs, il
    devient contre-productif. Je ne vois pas que les politiques répressives en matière d’immigration, ces dernières années, brillent par leur efficacité. Enfin, je ne confonds pas “honneur” et
    “pudeur”, mais reconnais un lien entre ces deux substantifs. L’honneur n’a-t-il pas à voir, en effet, avec la dignité et l’estime de soi, condition sine qua non pour s’autoriser réserve ou
    retenue, c’est-à-dire la pudeur?

    • Descartes dit :

      En l’évoquant, je voulais mettre l’accent sur le fait qu’il participe d’un réflexe de protection tout humain que de taire ce à quoi nous-mêmes avons du mal à croire, et dont nous soupçonnons
      à juste titre que les autres le croiront encore moins.

      Je ne vois toujours pas ce que viennent faire ici les camps de concentration. Ceux qui en sont revenus se sont tus pour beaucoup de raisons, qui vont de la culpabilité d’avoir survécu là ou
      d’autres sont morts au désir de mettre tout ça derrière soi, en passant par la crainte de ne pas être crus. Mais ce n’est pas du tout le cas des demandeurs d’asile, qui en général racontent avec
      grand luxe de détail ce qui leur est arrivé… et quelquefois ce qui ne leur est pas arrivé.

      Que l’état s’autorise un contrôle sur les individus, rien n’est plus “naturel”, si je puis dire

      L’Etat ne “s’autorise” rien du tout. L’Etat agit dans le cadre du principe de légalité. Et c’est le peuple qui, directement ou par l’intermédiaire de ses représentants, fait les lois.

      Mais, ce contrôle ne saurait s’exercer au détriment des libertés.

      Je ne vois pas en quoi demander à un candidat à l’asile de justifier qu’il est dans la situation prévue par la loi pour lui accorder ce statut viole une quelconque “liberté”.

      Je ne vois pas que les politiques répressives en matière d’immigration, ces dernières années, brillent par leur efficacité.

      Pour affirmer cela, il faudrait savoir ce qui se passerait sans ces politiques. Dire que les politiques représsives sont inefficaces parce qu’elles ne réussissent pas à réduire à zéro
      l’immigration clandestine équivaut à dire que la répression du meurtre n’est pas efficace parce qu’il existe toujours des meurtriers…

      L’honneur n’a-t-il pas à voir, en effet, avec la dignité et l’estime de soi, condition sine qua non pour s’autoriser réserve ou retenue, c’est-à-dire la pudeur?

      Non. Cela n’a absolument rien à voir. Je vous rappelle qu’on parle ici d’honneur au sens de la “vertu aristocratique”. Et l’estime de soi n’a jamais été réservée à l’aristocratie, pas plusque la
      réserve ou la retenue.

  12. poncet dit :

    Je crains fort que nous ne réussissions pas à nous entendre. Est-ce que je le regrette? Non, car, au moins, avons-nous échangé. Et je t’en remercie.

Répondre à poncet Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *