Défendre l’olympisme

Les jeux olympiques de Londres sont maintenant terminés. Ce fut une belle fête. Je sais que les esprits chagrins ou aigris broderont interminablement sur la fête commerciale, sur les dérives nationalistes, sur la corruption du monde olympique, sur l’utilisation des jeux pour cacher les “véritables problèmes” (le réchauffement climatique, la faim au Mali, les expulsions de Roms, le chômage de masse, la disparition des baleines… à vous de choisir). Et bien, je ne partage pas cette vision.

 

Commençons par le dernier argument: si l’on attendait pour faire la fête que toues les injustices/catastrophes/problèmes soient résolus, le monde serait bien triste. On ne va pas se promener en tenue de deuil en attendant l’arrivée du messie ou la révolution socialiste (là aussi, on a le choix).

 

L’objection qui veut que le monde olympique soit corrompu et pourri par le fric est déjà plus consistante. C’est vrai, le monde olympique est un nid de corruption. Le CIO sous Samaranch est devenu une entreprise commerciale et plusieurs de ses amis ont encaissé des bénéfices fort considérables. Sous Rogge c’est un peu moins pire, mais on se souvient aussi des scandales d’achat de voix, par exemple. Mais sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, il faut savoir faire la différence: il y a les institutions, et puis il y a les hommes.

 

Les hommes sont certes corrompus, mais l’olympisme ne se réduit pas aux hommes. L’olympisme est une institution qui mérite d’être défendue parce qu’elle est – malgré les évolutions désastreuses des dernières années, et notamment l’admission des sportifs professionnels – chargée de valeurs positives. Des valeurs esthétiques, des valeurs éthiques, des valeurs politiques.

 

Tout d’abord, il y a les valeurs esthétiques. Et dans un monde où l’art et la communication cherchent à choquer l’observateur en mettant en scène la laideur, la perversion, la maladie, l’argent, il n’est pas mauvais qu’il reste quelque part un lieu où l’on exalte encore la beauté du geste et du corps, la santé, la compétition pacifique dont la seule récompense est symbolique. Il est vrai que certains athlètes reçoivent pour prix de leurs efforts des espèces sonnantes et trébuchantes en grande quantité. Mais ces athlètes sont une infime minorité. Pour l’immense majorité des participants – qui restent des amateurs – le seul paiement pour des heures et des heures d’entraînement et de travail aura été, justement, de participer. C’est là que l’esprit olympique mérite d’être défendu: le sport a cela de particulier que c’est une activité dont l’immense majorité des pratiquants – et des organisateurs – est non-professionnelle. Le sport professionnel, qui tient d’ailleurs chaque fois moins du sport et chaque fois plus du spectacle, n’est qu’une infime partie de la pratique sportive. Une partie très visible, certes, mais infiniment minoritaire. Pour un Teddy Rinner qui aura de juteux contrats publicitaires, il y a des millions de judokas en France qui s’amusent à monter sur le tatami deux fois par semaine, sans compter ceux qui en plus animent les clubs, emmènent les jeunes aux compétitions les week-ends, se payent les assemblées générales des ligues et fédérations… et croyez-moi, je sais de quoi je parle.

 

Et c’est là qu’interviennent les valeurs politiques. Les jeux olympiques restent – pour combien de temps – un rituel dont la liturgie rappelle à chaque pas que l’exploit, s’il est individuel, n’est rendu possible que par le collectif. Le sportif qui rentre dans la compétition fait partie d’une délégation, avec laquelle il défile lors des cérémonies d’ouverture et de clôture. S’il monte sur un podium, c’est son drapeau qu’on lèvera (1), et s’il en occupe la plus haute marche c’est l’hymne national de son pays qui retentira. Ces cérémonies sont souvent attaquées par les soi-disant internationalistes, qui ne se rendent compte qu’elles constituent un rempart symbolique contre l’individualisme. Ce que ces cérémonies nous disent est que l’athlète a accompli sans doute une performance personnelle, mais que cette performance n’est rendue possible que parce qu’il a derrière lui une collectivité. Et c’est vrai: ce n’est pas pour rien si les pays tendent à briller dans les disciplines où la pratique est largement répandue au niveau national. On trouve plus facilement des sportifs exceptionnels lorsqu’on les sélectionne sur une large base de pratiquants, puis on donne aux athlètes sélectionnés des moyens de s’entraîner correctement. Sans diminuer les qualités individuelles de Rinner, il ne serait pas là où il est s’il n’y avait pas des gens pour faire fonctionner les innombrables clubs de quartier, un système de compétitions de ligue pour détecter les talents, un INSEP pour s’occuper des meilleurs… et des contribuables prêts à payer le fonctionnement de toutes ces institutions.

 

Les jeux olympiques sont l’opportunité de rappeller tout ça. Bien entendu, on peut être déçu – et je l’ai été – par des cérémonies d’ouverture et de fermeture qui deviennent chaque fois plus des concerts rock sans le moindre contenu institutionnel. On est déçu par la vente d’image à laquelle se livrent certains athlètes (2) sans compter ceux qui déclarent ne pas vouloir payer leurs impôts, oubliant que ce sont précisement les impôts payés par tous qui ont rendu possible leur réussite. Mais ce n’est pas une raison de jeter le bébé avec l’eau du bain. J’ai bien de fois évoqué sur ce blog l’idée des “fictions nécessaires”. Nous savons tous que les hommes sont faillibles, et que ceux qui ont failli doivent être écartés et punis. Mais nous avons besoin de croire aussi qu’on peut faire les choses bien. Et c’est pourquoi il faut défendre les institutions olympiques (3).

 

Il faut aussi souligner l’excellent travail du CNOSF à Londres. Et non seulement pour la “maison de France” au coeur de Londres, qui fut une excellente idée.Il est clair aussi que les athlètes avaient été sérieusement chapitrés pour éviter les comportements d’enfant gâté qui ont terni l’image des footballeurs professionnels. Et il faut dire que tout le monde a joué le jeu…

 

 

 

Descartes

 

 

 

(1) Les jeux olympiques restent l’un des rares événements au cours desquels un civil a l’opportunité de voir lever notre drapeau… cela devrait nous faire réfléchir.

 

(2) Car c’est bien de la vente d’image qu’il s’agit. Lorsque Usain Bolt fait la publicité d’un instrument de paiement, c’est une pure question d’image, car on voit mal en quoi être “l’homme plus rapide du monde” est un avantage à l’heure de juger la qualité d’un instrument financier.

 

(3) De ce point de vue, on ne peut que noter les tentatives d’instrumentaliser l’institution. Ainsi, les insinuations de dopage qui, curieusement, ne sont relayées que lorsqu’il s’agit de sportifs des pays de l’est hier, de la Chine aujourd’hui. Qu’une nageuse est-allemande ou chinoise fasse une performance exceptionnelle, et tout le monde parlera de dopage. Qu’un nageur américain (Mark Spitz, Michael Phelps) fassent la même chose, et tout le monde saluera le sportif d’exception…

 

 

 

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3 réponses à Défendre l’olympisme

  1. Trubli dit :

    Bonjour Descartes,

    Je suis à 200% d’accord avec votre premier paragraphe. Souvent l’argument dédaigneux avancé est celui “du pain et des jeux”. Je n’aime pas cette condescendance car le pauvre qui s’extasie devant
    les JO sait très bien que cela ne changera pas son sort. Mais il a droit de festoyer. Il ne faut pas sous-estimer la sagesse populaire. D’ailleurs je suggère aux aigris de ne plus fêter les
    anniversaires de leurs enfants ou de célébrer un mariage. 

    Plusieurs choses m’ont gêné lors de cette édition des JO.

    1) Les britanniques ne savent pas ce qu’est le fair play. Il y a eu trois cas de figure où pour moi ils ont été limite avec l’esprit olympique. Le cycliste sur piste Philip Hindes qui fait exprès
    de tomber pour pouvoir obtenir un nouveau départ. En aviron le deux sans barreur homme qui recommencer sa course à cause d’un supposé problème mécanique. Le problème c’est que les 100 premiers
    mètres étaient déjà franchi. Ou encore le plongeur qui demande à recommencer un saut parce qu’il a été gêné par les flashs.

    2) le nombre de médailles gagné par les britanniques. Je suis certain que le nombre de médailles d’une nation augmente lorsqu’elle est à domicile. Hélas, pour un pays qui fait habituellement
    entre 25 et 30 médailles dont 10 en or, ils ont sacrément fait exploser leurs chiffres. Depuis qu’ils ont obtenu les Jeux en 2005 ils sont donc passés à 47 médailles à Pekin et maintenant 65 dont
    29 en or. J’ai donc quelques soupçons. On verra bien ce qu’ils feront dans 4 ans puis dans 8.

    3) Je n’ai pas aimé les cérémonies d’ouverture et de fermeture car cela sentait le “nombrilisme” anglais. Je ne vois pas trop l’intérêt de cérémonies où on nous ferait écouter Johnny Halliday,
    Sheila, et consors. Je trouve que les Anglais se masturbent trop avec les Beatles et autres Rolling stones. Faire écouter des musiques que l’on entend tous les jours, Danny Boyle ne s’est pas
    trop foulé. La musique pop anglaise est-elle mondialement reconnue parce qu’il y a une base d’anglophones conséquente ou parce qu’elle est réellement la meilleure ? ?

    J’ai plusieurs satisfactions :

    Les britanniques ont très bien organisé l’événement. Cela il faut leur reconnaitre.

    Côté français, ma plus grande satisfaction a été dans les sports collectifs. Les équipes sont allées loin dans leurs tournois respectifs. Et notre équipe de handball est entrée au panthéon des
    plus grandes équipes de sports collectifs : le Brésil a eu la génération Pelé en football, les Etats-Unis ont eu la dream team de 1992, nous nous aurons eu en handball l’âge d’or 2008 -2012.

    Enfin je me demande si cela vaut réellement le coup pour Paris de candidater pour les JO 2024. Les JO coûtent très cher (10 à 12 milliards d’Euros) pour un gain uniquement en terme de prestige du
    pays et l’affront de 2005 me reste encore en travers de la gorge. 

     

    PS : il y a une petite faute. Vous avez oublié le h d’éthique.

    • Descartes dit :

      2) le nombre de médailles gagné par les britanniques. Je suis certain que le nombre de médailles d’une nation augmente lorsqu’elle est à domicile. Hélas, pour un pays qui fait habituellement
      entre 25 et 30 médailles dont 10 en or, ils ont sacrément fait exploser leurs chiffres.

      Oui, enfin, on pourrait nous retourner le compliment avec la coupe du monde 1998… il ne faut pas sous-estimer le poids d’un public acquis sur le moral des athlètes…

      3) Je n’ai pas aimé les cérémonies d’ouverture et de fermeture car cela sentait le “nombrilisme” anglais.

      Moi non plus, mais ayant vécu en Angleterre pendant quelques années, je ne peux pas dire que cela m’ait beaucoup surpris. Les anglais restent un peuple très “provincial”, là ou les français
      tendent – jusqu’à l’excès – à l’universel. On peut imaginer qu’en France on se serait senti obligés de célébrer “les cultures du monde”, “le mélange”, “le métissage” en gommant tout ce qui fait
      précisement notre spécificité. Les anglais tombent dans l’excès inverse.

      Enfin je me demande si cela vaut réellement le coup pour Paris de candidater pour les JO 2024. Les JO coûtent très cher (10 à 12 milliards d’Euros) pour un gain uniquement en terme de
      prestige du pays et l’affront de 2005 me reste encore en travers de la gorge. 

      Les JO coutent cher, mais une bonne partie de la dépense – si elle est faite intelligemment – va à des infrastructures qui peuvent ensuite être utiles (pense au Stade de France) et une partie est
      aussi récupérée dans les taxes sur les dépenses des touristes. D’ailleurs, des Jeux à Paris coûteraient probablement moins cher parce que notre capitale est déjà très bien équipée en
      infrastructures.

      PS : il y a une petite faute. Vous avez oublié le h d’éthique.

      Merci, je m’empresse de corriger…

       

  2. Guilhem dit :

    Bonjour Descartes,

    Tout d’abord merci à vous pour susciter la réflexion de vos lecteurs dans des domaines aussi variés que les faits de société, la politique ou aujourd’hui les évènements sportifs.

    Je me permets deux remarques: il est vrai qu’un grand champion ne nait pas de nulle part. Je me souviens d’une interview du responsable de la natation française interrogé à la fin des JO de
    Sydney où la délégation française revenait une nouvelle fois bredouille (le dernier titre datait de Jean Boiteu en 1956 je crois) et qui disait que la fédération allait investir des moyens pour
    de nouvelles infrastructures et dans la recherche de nouveaux talents pour remporter des médailles dès les prochains JO. Ce fut fait à Athènes avec Manaudou puis à Pékin et à Londres où la
    natation a été la discipline la plus prolifique en termes de médailles. Comme quoi, une décision politique peut être suffisante…

    A l’inverse, on a l’impression que l’escrime s’est endormi sur ses lauriers. Les meilleurs entraineurs sont partis à l’étranger à qui ils ramènent des médailles (Christian Bauer en est l’exemple
    le plus flagrant). Sans l’entraîneur ad hoc, l’athlète même dans une grande fédération ne peut pas briller.

    A propos de votre (3), je vous rappelle que le Royaume-Uni a été ouvertement soupçonné de dopage suite à ses multiples titres olympiques sur piste. A tel point, que le premier minstre britannique
    a dû s’en défendre. Et dans de nombreux sports (cyclisme, aviron, boxe) les juges ont été ouvertement critiqués pour avoir favorisé les athlètes britanniques. 

     

     

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