Le lapsus de Marylise

Ce matin, je prenais tranquillement mon café en écoutant la radio. Le soleil brillait, les petits oiseaux chantaient, la jardinière sur ma fenêtre – j’aime beaucoup les plantes, il faudra que j’en parle un jour – laissait voir les clochettes du muguet, sorti un peu trop tôt de terre cette année. Et tout à coup, dans ce climat idyllique, j’entends Marylise Lebranchu dire, à propos de la suppression envisagée des départements qu'aujourd’hui le RSA est financé en partie – 3 milliards d’euros, ce n’est pas rien – par l’impôt local, et que si on « fait remonter cela vers l’Etat, c’est-à-dire, vers l’impôt sur le revenu », cela pose un problème. Car – tenez-vous bien – « l’impôt sur le revenu touche plus fortement les classes moyennes que l’impôt local qui est plus réparti ».

D’abord, on est étonné d’apprendre dans la bouche d’un ministre que si demain la dépense aujourd’hui financée par les taxes locales « remontait » vers l’Etat, elle le ferait sur un impôt particulier. Pourquoi les trois milliards « remonteraient-ils » sur l’impôt sur le revenu plutôt que sur la TVA ou l’impôt sur les sociétés, par exemple ? Marylise Lebranchu ignorerait-elle le principe budgétaire de non affectation des impôts ?

Mais le véritable lapsus se trouve, bien entendu, dans le commentaire sur la meilleure répartition des taxes locales. Et le ministre a raison : les taxes locales sont bien plus réparties… sur les plus modestes. Contrairement à l’impôt sur le revenu, dont le taux est progressif, ou la TVA, dont le taux est plat, les impôts locaux tendent à être au contraire dégressifs. La base cadastrale n’ayant pas été mise à jour depuis 1970, on paye plus cher aujourd’hui dans une HLM en ruine que dans un immeuble de centre ville rénové. Même chose pour la taxe foncière. Quant à la contribution économique territoriale, qui a remplacé la taxe professionnelle, les départements se battent à coups de réductions et dégrèvements pour attirer les entreprises.

Mais le lapsus de la ministre montre combien la stratégie du gouvernement est dominée par les intérêts des classes moyennes. Bien entendu, il ne faut jamais attendre de la reconnaissance, même celle du ventre, en politique. Mais cela fait tout de même mal au cœur de voir combien ceux qui sont arrivés là où ils sont par la grâce d’un système de redistribution qui a fait payer aux bourgeois et aux rentiers – « euthanasies » par les politiques keynésiennes – refusent aujourd’hui de payer pour les autres. « Après moi, le déluge ». Hors de question de faire payer le RSA par les classes moyennes. Mieux vaut le financer par un impôt « mieux reparti », en d’autres termes, par les plus modestes.

Alphonse Allais avait écrit : « il faut aller chercher l’argent là où il est : chez les pauvres ». Mais chez lui, c’était de l’humour.

Descartes

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

8 réponses à Le lapsus de Marylise

  1. bovard dit :

    Il me semble que les pauvres et les classes moyennes étant plus nombreux que les riches,nos financiers ont depuis longtemps décider d’appliquer la boutade d’Alphonse Allais « il faut aller chercher l’argent là où il est : chez les pauvres ».
    Or ,Hollande dans son discours du Bourget avait clairement dit que son ennemi était la finance.C’est aussi pour cela que nous avions voter pour lui.
    Retour à notre problématique celle qui nous rend très fâchés ,pas fachos..fâchés,ce qui exclut pour certains dont je suis, le vote FN.
    Mais une certaine inconnue de l’orient express a exprimé ce que beaucoup pense.
    Renversons la table,nous les fâchés !
    Pourtant,pour les prochaines européennes le vote blanc sera comptabilisé.
    Alors pourquoi les fâchés ne voteraient ils pas ‘blanc’.
    C’est mieux que s’abstenir car l’acte citoyen est marqué et en plus il est comptabilisé.

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Il me semble que les pauvres et les classes moyennes étant plus nombreux que les riches, nos financiers ont depuis longtemps décider d’appliquer la boutade d’Alphonse Allais « il faut aller chercher l’argent là où il est : chez les pauvres ».]

      Je n’imagine pas qu’on puisse classer les classes moyennes chez les « pauvres ». Pour Allais, qui écrivait à la fin du XIXème siècle, les classes moyennes – peu nombreuses à l’époque – étaient assimilées aux « riches » et non aux « pauvres ». Si Hollande allait chercher l’argent chez les classes moyennes, il aurait mon soutien…

      [Or, Hollande dans son discours du Bourget avait clairement dit que son ennemi était la finance. C’est aussi pour cela que nous avions vote pour lui.]

      Mais d’où sortez-vous que « la finance » soit seulement constituée des « riches » ? Les classes moyennes sont au contraire fort actives en matière financière… Les PEA, l’assurance-vie, les SICAV, c’est réservé aux « riches » pour vous ?

      [Renversons la table, nous les fâchés !]

      Et une fois que vous l’aurez renversé, qu’est ce qu’on fait ? On ramasse la vaisselle cassée ?

      [Pourtant, pour les prochaines européennes le vote blanc sera comptabilisé. Alors pourquoi les fâchés ne voteraient ils pas ‘blanc’.]

      S’ils votent « blanc », on ne saura jamais pourquoi ils sont « fâchés ». Ceux qui trouveront que l’Europe n’avance pas assez vite vers le fédéralisme se trouveront voter la même chose que ceux qui au contraire s’opposent à toute fédéralisation.

  2. BolchoKek dit :

    >j’aime beaucoup les plantes, il faudra que j’en parle un jour<
    Quoique tu dises, m’est avis que les gens vont penser que tu parles du FN, il suffit de voir ce que ça a donné avec la poésie…

    >Mais le véritable lapsus se trouve, bien entendu, dans le commentaire sur la meilleure répartition des taxes locales.<
    Est-ce un lapsus lorsque c’est conscient et assumé ? C’est l’idée la plus partagée au sein de la classe politique : les classes moyennes souffrent, principalement des impôts. Même le FN a fait campagne en partie là-dessus. Même au NPA, dire "ça touche aussi les classes moyennes" permet l’indignation. Et ces classes moyennes sont, naturellement, les oies sacrées, on n’oserait y toucher.
    Certes, cela confirme ta position ; mais en même temps, tu m’en avais convaincu depuis belle lurette, et je parle en tant que lecteur. Il n’est pas une réunion de section où, dans ce qui est une messe ordinaire de commisération, on ne revienne pas à ces pauvres classes moyennes…

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [« j’aime beaucoup les plantes, il faudra que j’en parle un jour ». Quoique tu dises, m’est avis que les gens vont penser que tu parles du FN, il suffit de voir ce que ça a donné avec la poésie…]

      Gnark gnark…

      [Est-ce un lapsus lorsque c’est conscient et assumé ? C’est l’idée la plus partagée au sein de la classe politique : les classes moyennes souffrent, principalement des impôts.]

      Oui, mais on n’assume pas tout de même l’idée qu’il faudrait transférer le poids de ces impôts sur les pauvres. C’est d’ailleurs le grand non-dit.

      [Et ces classes moyennes sont, naturellement, les oies sacrées, on n’oserait y toucher.]

      Normal, ce sont elles qui dominent le champ politique. Ce sont elles qui ont le temps de militer dans les partis, les associations, les lobbies. Et ce sont elles qui aboient – et mordent si nécessaire – chaque fois que quelqu’un s’approche de leur os. Os d’ailleurs bien garni de viande. Comment les politiques pourraient éviter la danse du ventre pour séduire ce groupe social, compte tenu de son pouvoir de nuisance ? Seul un parti qui aurait sa base sociologique chez les couches populaires pourrait prendre le risque de rompre avec elles… et encore. Avoir toute la meute médiatique contre soi, c’est loin d’être évident.

      [Certes, cela confirme ta position ; mais en même temps, tu m’en avais convaincu depuis belle lurette, et je parle en tant que lecteur. Il n’est pas une réunion de section où, dans ce qui est une messe ordinaire de commisération, on ne revienne pas à ces pauvres classes moyennes…]

      N’est ce pas ? Pour moi, ç’a a été la goutte qui a fait déborder le vase lorsque j’ai quitté le militantisme actif. Je me souviens de ma dernière réunion de section : une affreuse bonne femme a fait une intervention sur la scandaleuse tentative du gouvernement de toucher à l’épargne des classes populaires en taxant les SICAV. Ce jour là, je me suis dit « qu’est ce que je fous là ? ». Et je suis parti…

  3. dsk dit :

    @ Descartes & Bolchokek

    ["j’aime beaucoup les plantes, il faudra que j’en parle un jour"] ["Quoique tu dises, m’est avis que les gens vont penser que tu parles du FN,"]

    Personnellement, je vous avoue que j’ai planté récemment du Lepenus Marinus Philippotus sur mon balcon, et que j’en suis fort content. Il s’agit, figurez-vous, d’un croisement entre le très décrié pour son odeur Lepenus Frontus Diabolicus et le Marinus Republicanus Philippotus. Ce qui est tout à fait remarquable, c’est qu’il conjugue désormais la vigueur du premier avec l’odeur suave du second. Je songe, par conséquent, à me débarrasser très prochainement de mon Hollandus Vallsus Mitterrandius et même, un peu plus tard, de mon Copeius Sarkozius Chiracus, qui m’ont tous deux beaucoup déçus.

    • Descartes dit :

      @dsk

      Malheureusement, le Lepenus Marinus Plioppotus est une variété hybride relativement nouvelle. Comme il n’a pas encore donné des fruits, on ne sait pas encore s’ils seront comestibles ou vénéneux. Je vous conseille de le surveiller de près et de ne l’arroser qu’avec prudence en attendant de savoir plus.

      Quant à votre Hollandus et votre Copeius… je suis étonné qu’un homme de goût s’abaisse à cultiver ce genre de variété. Ils ont de belles feuilles, certes, mais leurs fleurs ont une odeur fétide et les fruits sont inutilisables quand ils ne sont pas toxiques.

  4. Badaboum dit :

    Ce qui me dérange, ce n’est pas tant qu’elle se fasse la garantie des "classes moyennes" (dont je dois faire partie, et au sujet duquel je devrai poster un jour ici), mais c’est qu’elle, ministre, parle au nom de l’intérêt de l’une ou l’autre "classe". Elle aurait dit "prolétaires" ou "bourgeois" que cela ne ne changerait rien. Ce que j’attends d’un ministre c’est de me convaincre que les sacrifices que je fais sont au bénéfice de tous, et donc, in fine, de moi et/ou mes enfants/amis/voisins/etc…mais elle découpe la société en tranches, en clientèle(s) même… Donc, fatalement, je deviens vigilant quant aux annonces du gouvernement: "si ils font ça dans l’intéret des uns ou des autres, suis-je les uns ou suis-je les autres ?" et là c’est cuit: fatalement, l’intéret collectif s’estompe, et l’impot est plus dur à porter…. beau socialisme…

    • Descartes dit :

      @Badaboum

      [Ce qui me dérange, ce n’est pas tant qu’elle se fasse la garantie des "classes moyennes" (dont je dois faire partie, et au sujet duquel je devrai poster un jour ici), mais c’est qu’elle, ministre, parle au nom de l’intérêt de l’une ou l’autre "classe". Elle aurait dit "prolétaires" ou "bourgeois" que cela ne ne changerait rien.]

      Oui et non. Bien entendu, un ministre de la République est censé défendre l’intérêt général, et non l’intérêt particulier de tel ou tel groupe. Cependant, un ministre est aussi censé gérer l’équilibre entre les groupes sociaux. Notre République ne peut ignorer le fait qu’elle s’appuie sur un mode de production qui est aujourd’hui le mode de production capitaliste, et que le fonctionnement républicain repose sur un arbitrage entre les intérêts antagoniques des différentes classes. L’Etat est le fléau de la balance qui mesure les rapports de force, et l’institution qui permet à ces rapports de force de s’exprimer pacifiquement.

      De ce point de vue, les classes sociales ne sont pas à égalité. Dans un contexte où le rapport de force est au niveau international très favorable au capital, un ministre peut valablement soutenir qu’il faut protéger le prolétariat. Ce faisant, elle ne prend pas la défense d’une classe particulière, mais d’un équilibre social, d’une vision républicaine qui ne peut fonctionner si l’on permet aux plus forts d’écraser sans limite les plus faibles. Par contre, prendre la défense des classes moyennes, qui sont celles qui vivent le plus au dessus de leurs moyens, cela a une signification différente, puisqu’on prend parti pour les plus forts contre les plus faibles. Or, pour défendre les plus forts, point n’est besoin de République, ils y arrivent très bien tout seuls…

      [Ce que j’attends d’un ministre c’est de me convaincre que les sacrifices que je fais sont au bénéfice de tous, et donc, in fine, de moi et/ou mes enfants/amis/voisins/etc…mais elle découpe la société en tranches, en clientèle(s) même…]

      Tout à fait. On peut se permettre de pressurer les ouvriers, après tout, ils ne votent pas ou bien ils votent Le Pen, et puis leur pouvoir de nuisance est quasi-nul. Mais les classes moyennes… non seulement elles font les élections, mais en plus elles dominent l’espace médiatique. Il n’y a qu’à voir l’affaire des « intermittents du spectacle ».

Répondre à Descartes Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *