Il est courant de voir les hommes politiques s’inquiéter lorsqu’il constate que ses politiques ont, en marge des effets attendus, des effets imprévus qui se révèlent négatifs. Ce qui est plus rare, c’est de voir un gouvernement inquiet de voir une politique qu’il a proposée, mise en œuvre et défendue atteindre ses objectifs.
Car, il faut le dire, ce gouvernement aura réussi au moins une chose : pousser la France vers la déflation. Et quand je dis « réussi », c’est parce qu’il ne s’agit pas d’un « dommage collatéral », d’une conséquence imprévue d’une politique dont l’objectif serait autre. Non : depuis 2012, notre gouvernement prône, sur le front interne mais aussi sur le front européen, la déflation. Bien sûr, le mot « déflation » n’a pas été utilisé, mais l’idée y est.
Déroulons le film. Depuis 2012 – et même avant – quel est le maître mot des politiciens qui ont gouverné la France et qui miment en cela le discours de la Commission européenne ? Et bien, le maître mot est « compétitivité ». La priorité absolue, en Grèce comme en France, c’est la « restauration de la compétitivité » par rapport à l’Allemagne. Toutes les « réformes », du CICE au « pacte de responsabilité », nous sont vendues au nom de la « compétitivité » avec force comparaison avec notre puissant voisin. Mais comment « restaurer la compétitivité » ? Et bien, il y a deux manières de gagner la course à l’échalotte : soit vendre un peu plus cher un produit de meilleure qualité, plus innovant, plus efficace que son compétiteur, soit vendre le même produit mais alors le vendre moins cher. La compétitivité est donc faite de deux facteurs : la compétitivité dite « hors prix » qui tient aux qualités intrinsèques du bien qu’on offre et qui sont supérieures à celles du bien proposé par votre compétiteur, et la compétitivité dite « prix », qui tient à la différence de prix entre vous et votre compétiteur. La préférence du client ira à l’un où à l’autre en fonction de la compétitivité de ces deux facteurs.
Les moyens d’améliorer la compétitivité ne sont pas les mêmes selon que je veux jouer sur l’un ou l’autre facteur. Si je veux augmenter la « compétitivité hors prix » de mes produits, il me faut investir dans la recherche et l’innovation, dans la qualification du personnel, dans de nouvelles machines plus performantes. Les produits compétitifs « hors prix » sont faits par des usines modernes, et sont conçus et fabriqués par du personnel qualifié et bien payé. Si je veux augmenter la « compétitivité prix », par contre, il me faut couper impitoyablement les coûts, réduire les frais de recherche, prendre du personnel peu qualifié que je peux payer au minimum, limiter les investissements dans des équipements modernes…
Maintenant, sur quel levier a choisi de jouer notre gouvernement pour accroître la compétitivité ? Depuis 2012 a-t-on lancé de grands programmes de recherche ? Augmenté massivement le nombre d’ingénieurs formés ? Stimulé les investissements dans des usines modernes ? Non. Avec le CICE puis le « pacte de responsabilité », on a cherché au contraire à stimuler l’embauche du personnel le moins qualifié, à imposer une forme d’austérité salariale, à réduire la fiscalité sur les entreprises. En un mot, notre gouvernement – et avec lui les institutions européennes – que le problème essentiel est la « compétitivité-prix », puisque tous les leviers mis en œuvre ne jouent que sur ce levier.
Mais si le but est bien d’améliorer la compétitivité-prix par rapport à l’Allemagne, alors il ne peut être atteint qu’en faisant baisser les prix. C’est l’effet évident de l’Euro : dans les temps anciens, quand nous avions la maîtrise de notre monnaie, on pouvait par le biais de la dévaluation déconnecter les prix internes et les prix externes des biens. Ainsi, les prix internes pouvaient continuer à augmenter exprimés en Francs tout en diminuant, par le biais de la dévaluation, lorsqu’ils étaient exprimés en Marks. Ce mécanisme permettait d’éviter que l’inflation structurelle, plus forte en France qu’en Allemagne, ne dégrade pas lentement notre compétitivité. Mais lorsque la dévaluation devient impossible, le seul mécanisme par lequel nous pourrions devenir plus compétitifs en termes de prix par rapport à l’Allemagne sans que les prix baissent exprimés en euros est que l’inflation allemande soit plus forte que la notre. Et cela, pour des raisons structurelles, ne se produira pas de sitôt. Améliorer notre compétitivité-prix par rapport à l’Allemagne implique donc nécessairement une baisse des prix internes, et donc une forme de déflation. Le premier ministre grec, Samaras, l’avait d’ailleurs reconnu en déclarant qu’il appliquait bien une politique de « déflation salariale » pour faire baisser prix et salaires. En France, on a la pudeur des mots, mais il est difficile d’échapper aux réalités. Depuis 2012 la France a adopté sans le dire explicitement les politiques déflationnistes – que certains en Europe avaient commencé à appliquer avant nous – imposées par l’Allemagne et implémentées servilement par les institutions européennes.
Aujourd’hui on y est : les prix commencent à baisser. On en est à -0,3% pour le dernier trimestre. Et au lieu de se réjouir bruyamment d’avoir atteint l’objectif d’amélioration de notre compétitivité, notre président sonne l’alarme en déclarant « Il y a un vrai risque déflationniste en Europe : en France, l’inflation n’a jamais été aussi basse » avec une tête de croque mort. Mais dites, Monsieur Hollande, l’inflation nulle, n’est-ce pas l’objectif fixé depuis le temps de Jacques Delors et poursuivi par tous les gouvernements socialistes depuis trente ans ? La baisse des prix et des salaires, n’est ce pas là la clé de la compétitivité retrouvée ? Pourquoi cette tête d’enterrement, alors qu’au contraire vous devriez convoquer la presse pour lui expliquer que notre compétitivité-prix d’est améliorée par rapport à l’Allemagne ? Mais faut-il croire que Goethe – un allemand, lui aussi – avait raison : « quand les dieux veulent nous punir, ils réalisent nos rêves ».
Est-ce grave, docteur ? Oui, c’est très grave. La déflation est un puissant frein à la demande, à l’investissement et à la croissance. Pourquoi ? Parce que les acteurs économiques prennent leurs décisions en fonction des anticipations qu’ils font, et l’anticipation la plus répandue – parce qu’elle est la plus raisonnable – c’est que demain ressemblerait à aujourd’hui. Imaginons une situation d’inflation importante, disons 5% par an. Les agents économiques anticiperont que les prix continueront à augmenter. Cela a plusieurs conséquences. D’abord, cela stimule la consommation, puisque le consommateur jugera qu’il a tout intérêt à acheter maintenant plutôt que de thésauriser pour acheter demain. Pour l’entrepreneur, c’est le moment d’investir, puisqu’il peut anticiper une demande plus forte des consommateurs, et qu’en plus il a tout intérêt à s’endetter pour investir, puisque l’inflation « liquéfiera » ses dettes : en effet, lorsque l’inflation est de l’ordre de 5%, les taux d’intérêt réels baissent parce que les emprunteurs se trouvent en position de force par rapport aux détenteurs de capital. En effet, ce dernier sait que son argent perd de sa valeur avec chaque jour qui passe, et il est donc sous pression pour trouver un investissement rémunérateur. Ceci le met en position de faiblesse par rapport à l’entrepreneur qui cherche du capital, et permet à ce dernier d’obtenir des taux de rémunération faibles – et même négatifs.
La déflation fonctionne à l’envers. Si j’anticipe que les prix des biens vont baisser de 5% par an, alors j’ai tout intérêt à retarder mes achats autant que possible. Si j’ai du capital, j’ai intérêt à le garder sous le matelas – il se valorisera de 5% par an sans risque – plutôt que de le risquer dans une entreprise sauf si celle-ci le rémunère à un taux très élevé. Si je suis entrepreneur, je suis en position de faiblesse puisque mes financeurs peuvent gagner 5% l’an sans rien faire…
L’inflation, comme la déflation, sont des « anticipations auto-réalisatrices », c'est-à-dire, la réaction des acteurs économiques tend à réaliser la situation qu’ils anticipent : si par peur de l’inflation je me précipite dans les magasins dépenser mon argent, je crée une demande supplémentaire qui pousse les prix vers le haut. Si anticipant une baisse de prix je laisse mes achats pour plus tard, je fais baisser la demande et donc les prix. Et comme toute anticipation auto-réalisatrice, il est très difficile d’en sortir une fois qu’on y est rentré puisque les agents économiques sont persuadés que cela va continuer… et que cette croyance fait que l’anticipation se réalise. Après la poussée inflationniste de la fin des années 1970, il a fallu deux décennies d’efforts pour ramener l’inflation à un niveau proche de zéro. L’histoire économique nous montre qu’il faut souvent une événement cataclysmique pour sortir d’une déflation : la déflation Laval des années 1930 est un bon exemple…
Nous sommes donc proches de la déflation. Et quelle est la réaction du gouvernement ? Eh bien, d’appeler la cavalerie. La cavalerie étrangère, pour être précis. De Gaulle dénonçait déjà dans les années 1960 la tendance des français à attendre leur salut des autres. Aujourd’hui, le président de la République appelle l’Allemagne à une politique de relance. Après avoir crié sur tous les tons que la clé de notre redressement était la « compétitivité », Hollande s’adresse à notre principal concurrent pour lui proposer de mettre en œuvre une politique… de réduction de sa propre compétitivité. Un peu comme si Carrefour allait voir Auchan pour lui demander d’augmenter ses prix afin de lui laisser quelques consommateurs. Comme c’était prévisible, l’Allemagne a rejeté la demande. Elle a parfaitement raison : les dirigeants allemands ont été élus pour se soucier des intérêts de leur pays, et non de cette vague notion qui s’appelle « l’Europe ». Il n’y a plus que nos dirigeants – eurolâtres un jour, eurolâtres toujours – pour croire qu’il y aura quelqu’un pour sacrifier sa prospérité au nom de l’intérêt européen.
Après avoir aggravé la crise, l’Euro nous conduit à rater le coche de la reprise. L’Angleterre en est à 3% de croissance, les Etats-Unis aussi, mais dans la zone euro c’est le calme plat. La croissance moyenne de la zone est nulle, et même les meilleurs élèves de la classe européenne, comme l’Italie, risquent la récession. Nos eurolâtres pourront se consoler en expliquant que l’Europe, c’est la paix. Et la paix n’a pas de prix. N’est ce pas ?
Descartes
>L’histoire économique nous montre qu’il faut souvent une événement cataclysmique pour sortir d’une déflation : la déflation Laval des années 1930 est un bon exemple…<
Ça me rappelle ce sketch de Chevallier et Laspalès, "Y’en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes"…
D’accord avec cet article.
Il faut désormais trouver des solutions.
J’ai mis un lien sur un article similaire d’un site communiste.
@ Gautier WEINMANN
Je n’ai pas trouvé le lien auquel vous faites référence. Quant aux solutions… on voit mal comment on pourrait en trouver aussi longtemps que l’Euro est là. La monnaie unique est, pour reprendre le mot d’un économiste "génétiquement déflationniste". Aux "dévaluations compétitives", elle substitue les "déflations compétitives". Le problème est que sans l’outil de la dévaluation et avec la libre circulation des marchandises et des capitaux, on ne peut plus gagner en compétitivité à l’extérieur sans baisser les prix à l’intérieur, c’est à dire, sans tomber dans la déflation.
Je crains que la zone Euro ne soit partie dans un scénario "à la japonaise", ou plus près de nous dans l’espace sinon dans le temps, dans un scénario du type "déflation Laval".
Votre orthographe du patronyme présidentiel signifie-t-elle que sa politique bat de l’L? 😉
@ Cécile ex63
Merci beaucoup de cette correction, que je me suis empressé de porter sur le texte. Je vois qu’il y en a qui suivent… 😉
Parfaite leçon d’économie, je signe des deux mains.
L’Europe s’enfonce dans un scénario à la japonaise, le Japon se sortant à peine de plus de vingt ans de croissance zéro.
L’UE, créée pour organiser un grand marché, réussit le tour de force d’assécher totalement la consommation et l’investissement sur le continent. La stratégie est basée sur le "tout export", suivant le fameux "modèle allemand". Or, les Allemands (qui ont effectivement asséché leur marché intérieur par une politique de déflation salariale) avait déjà une compétitivité hors-prix développée et une spécialisation dans les machines-outils, produits de haute gamme et à forte valeur ajoutée. Le succès allemand était aussi basé sur la politique expansionniste des autres pays européens qui achetaient les produits européens.
Vouloir imposer ce "modèle" à tous les pays européens n’a aucun sens puisque, optant tous pour la même stratégie, ils sont obligés de rechercher des débouchés hors du continent. Tous les pays ne peuvent pas devenir des plateformes de production vers les pays émergents. Ceci d’autant plus tous les efforts de compétitivité-prix sont anéantis par le niveau de l’euro qui pénalise nos exportations. Cette stratégie ne peut être favorable qu’à l’Allemagne qui bénéficie de sa compétitivité hors-prix avec des produits à haute valeur ajoutée qui se vendent quel que soit leur prix. Les chiffres de la croissance d’aujourd’hui montrent que ce modèle atteint ses limites aussi en Allemagne qui souffre aussi de la consommation atone en Europe.
@Kaddhafi
[L’Europe s’enfonce dans un scénario à la japonaise, le Japon se sortant à peine de plus de vingt ans de croissance zéro.]
Oui. Mais au délà du phénomène, je voulais souligner le manque de vision de nos « élites ». Le problème n’est pas seulement, comme le pensent certains, qu’elles soient vendues à la vision néolibérale. Le problème est surtout qu’elles n’ont pas de vision d’ensemble. Comment expliquer sinon qu’elles fassent de la « recherche de la compétitivité » leur maître mot, et qu’ensuite elles soient terrifiées lorsque les prix commencent à baisser ? N’est-ce pas là la seule manière – dans un système de monnaie unique – d’améliorer notre « compétitivité » par rapport à l’Allemagne ? Mais peut-être ces « élites » imaginaient-elles que l’Allemagne allait augmenter ses prix pour nous faire plaisir ?
Si ces élites avaient une vision globale, elles se seraient rendues compte que l’on ne peut pas, en temps de crise, réduire la dépense publique sans pousser vers la récession. Qu’on ne peut pas, dans un système de monnaie unique, chercher la « compétitivité » avec des concurrents à très faible inflation sans tomber dans la déflation. Le problème, c’est qu’au lieu d’avoir une vision globale, ces « élites » pensent chaque domaine séparément. Ainsi, on pense le domaine budgétaire en termes purement comptable, et on déduit que pour réduire le déficit il faut comprimer la dépense, sans se soucier des dégâts que cette décision produira par ailleurs. Lorsqu’on constate ces dégâts – par exemple parce que tel ou tel lobby commence à gueuler – on commence à distribuer des cadeaux qui compromettront l’objectif budgétaire. Et ainsi de suite. Il en sort une politique de gribouille qui mélange des mesures déflationnistes et des mesures expansionnistes, pour un résultat nul.
[L’UE, créée pour organiser un grand marché, réussit le tour de force d’assécher totalement la consommation et l’investissement sur le continent. (…) Le succès allemand était aussi basé sur la politique expansionniste des autres pays européens qui achetaient les produits européens.]
Le problème de l’UE est de ne pas avoir compris que le modèle exportateur ne peut fonctionner dans un pays que si ses partenaires commerciaux appliquent la politique inverse. On ne peut pas tous avoir des balances des échanges excédentaires. C’est une impossibilité mathématique. L’excédent de l’Allemagne doit se retrouver quelque part sous forme de déficit. Et dès lors que tout le monde se met à combattre les déficits, le modèle allemand est menacé. Le paradoxe, c’est justement que la « vertueuse Allemagne » ne peut être « vertueuse » qu’aussi longtemps que ses concurrents échouent dans leur combat pour l’équilibre. Le jour où l’ensemble des pays européens auront des échanges extérieurs équilibrés, c’en est fini du modèle.
L’heure est venue pour nos élites de relire Keynes…
Je ne pense pas que le problème soit que "nos élites" n’aient pas de "vision globale". Le problème est qu’ils ont tous la MÊME vision : ils ne sont pas "vendus" à la vision néolibérale mais ils sont (je pense) sincèrement convaincus qu’"il n’y a pas d’autre alternative" (comme le disait Thatcher). On peut parler de dogme au vue des résultats de cette politique partout en Europe et de l’acharnement avec laquelle on veut la faire appliquer.
Le problème est que ce dogme est partagé par l’ensemble des partis de gouvernement et ne laisse que des miettes dans le débat public à ceux qui proposent une alternative. J’évoque ce sujet sur mon blog (suite à l’annonce de la future candidature de Juppé) : http://kadhaffy.over-blog.com/2014/08/juppe-candidat-pour-quoi-faire.html#
@Kadhaffy
[Je ne pense pas que le problème soit que "nos élites" n’aient pas de "vision globale". Le problème est qu’ils ont tous la MÊME vision : ils ne sont pas "vendus" à la vision néolibérale mais ils sont (je pense) sincèrement convaincus qu’"il n’y a pas d’autre alternative" (comme le disait Thatcher).]
Je ne suis pas persuadé. J’ai l’occasion pour des raisons professionnelles de fréquenter pas mal de politiques et de hauts fonctionnaires, et ce qui me frappe aujourd’hui, c’est la ressemblance avec la stratégie de l’autruche : enfuir la tête dans le sable et attendre que le danger passe. Nos « élites », à quelques exceptions près, ne mettent pas en œuvre une politique globale à laquelle ils croient, même comme « seule alternative ». Au contraire, ils ont tendance à se réfugier sur un domaine très étroit avec un horizon de temps limité en cultivant l’illusion que c’est cela la politique. Pour ne donner qu’un exemple, pensez au projet de loi dite « de transition énergétique pour une économie verte », qui au final se réduit à un ramassis de mesurettes sectorielles (tant pour la voiture électrique, tant pour l’isolation du bâti…) sans la moindre cohérence d’ensemble. Et cela se retrouve dans tous les partis : prenez les programmes électoraux et que voyez-vous ? Un catalogue de mesures et propositions, chacune destinée à faire plaisir à un secteur délimité, et quelquefois très étroit. Mais de conception d’ensemble, de vision qui donnerait une cohérence à tout ça, point.
Il y a des pays où il y a une véritable tradition idéologique libérale. Ce n’est pas le cas en France. Nos politiques reprennent par endroits des bribes de discours libéraux parce qu’ils sont à la mode à Washington ou dans les couloirs de Bruxelles, mais dans leur immense majorité ils n’y croient pas vraiment.
[On peut parler de dogme au vue des résultats de cette politique partout en Europe et de l’acharnement avec laquelle on veut la faire appliquer.]
Pourquoi ? Vous oubliez que les « résultats » de cette politique sont fort bons lorsqu’on les regarde du point de vue de certains groupes sociaux. La bourgeoisie et les classes moyennes n’ont pas eu à souffrir – encore, diront certains – de la grande libéralisation des années 1980 et 1990. Pourquoi croyez-vous qu’ils votent ponctuellement pour les partis qui se proposent de continuer dans cette voie ?
[Le problème est que ce dogme est partagé par l’ensemble des partis de gouvernement et ne laisse que des miettes dans le débat public à ceux qui proposent une alternative.]
Je pense que vous vous trompez. Si ce « dogme » est partagé par l’ensemble des partis de gouvernement, c’est parce qu’il est partagé par les couches sociales qui font les élections. Et si ces couches – classes moyennes et supérieures – partagent ce « dogme », c’est parce que c’est leur intérêt. Si l’on ne comprend pas ça, on risque de partir dans les théories fumeuses et complotistes du genre « le monde est gouverné par Bilderberg » ou « le pouvoir est trusté par les juifs ». Il faut encore et encore rappeler une simple vérité : aucun groupe politique ne se maintient au pouvoir par la simple propagande. Il se maintient au pouvoir parce qu’il a la capacité de répondre aux attentes et aux exigences d’une section suffisante de la population pour pouvoir établir un rapport de force qui lui est favorable avec le reste de la société.
Ceux qui « proposent une alternative » n’ont pas que les « miettes dans le débat public ». Ils ont un accès aux médias qui dépasse très largement leur représentativité réelle. Grâce aux réseaux, vous pouvez vous procurer sans la moindre difficulté leurs textes et ils n’ont aucune difficulté pour ouvrir des forums de débat. Le problème, c’est que les « alternatives » proposées ne convainquent – à une exception près – presque personne. D’une manière générale, ces « alternatives » sont des utopies qu’on construit pour se faire plaisir, genre « tout le monde coopère avec tout le monde, tout le monde est beau et gentil, on vit dans l’abondance sans travailler et tout conflit a disparu », sans se laisser décourager par le principe de réalité. Ces « alternatives » ne sont pas des véritables projets politiques, elles servent seulement aux classes moyennes à effacer leur sentiment de culpabilité en se donnant l’illusion que, tout en profitant des bienfaits de ce monde, elles « luttent » pour autre chose.
[J’évoque ce sujet sur mon blog (suite à l’annonce de la future candidature de Juppé) : http://kadhaffy.over-blog.com/2014/08/juppe-candidat-pour-quoi-faire.html#%5D
Je partage ton analyse. Juppé n’est qu’un opportuniste. Il apparaît aujourd’hui parce que la droite étant un champ de ruines, chacun se dit « pourquoi pas moi » ? Et dans la médiocrité générale, Juppé devient un candidat vraisemblable.
@ Descartes
Tout cela est tellement nul, consternant, que cela dépasse mes facultés langagières habituelles. Cela ne m’inspire que ce petit poème, pour lequel je vous remercie d’avance de votre indulgence:
Maître Hollande, sur son budget perché,
tenait en son bec trente milliards.
Maître Gattaz, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce bobard :
"Hé ! Bonjour Monsieur du Hollande.
Que vous êtes mince ! que votre sveltesse est grande !
Sans mentir, si au même régime,
Vous mettiez vos tas de centimes,
Vous créeriez aussitôt plusieurs millions d’emploi."
A ces mots, le Hollande ne se sent pas de joie ;
Il laisse tomber sa belle proie,
Et constate que cela ne crée aucun emploi.
Le Gattaz s’en saisit et dit : "Mon bon Monsieur,
Sachez que tout déflateur
Vit au profit des patrons qu’il écoute :
Cette leçon vaut bien trente milliards sans doute."
Le Hollande s’excusa, confus :
"Quelle erreur ! J’aurais dû donner encore plus !"
@dsk
Je ne vous connaissais pas un âme de poète… une petite correction: c’est le patron qui vit au profit du déflateur qui l’écoute, et pas l’inverse… mais cette leçon vaut bien un fromage sans doute!
@ Descartes
["une petite correction: c’est le patron qui vit au profit du déflateur qui l’écoute, et pas l’inverse…"]
Dans ce cas, je dirais plutôt que le patron vit "aux dépens" du déflateur qui l’écoute, mais n’allons pas en faire tout un fromage…
Sinon, dans le genre discours libéral caricatural, je suis tombé là-dessus :
http://www.lefigaro.fr/vox/economie/2014/08/18/31007-20140818ARTFIG00275-si-m-valls-un-autre-cap-est-possible-5-pistes-pour-politiques-en-mal-d-imagination.php
Le contributeur, M. Eric Verhaeghe, ancien responsable du Medef, y explique qu’il est essentiel, bien entendu, de baisser les impôts. Toutefois, cela ne le prive pas de suggérer, par ailleurs, "la mise à disposition gratuite (pendant trois ans) de chercheurs publics auprès des entreprises qui en ont besoin", de même que : "une politique de puissance que la France doit assumer pour le bien-être de l’Europe dans son entier. Cette puissance n’est pas forcément l’ennemie de la prospérité. Au contraire, l’ajout d’un glaive à côté du bouclier dont nous disposons, c’est-à-dire d’une véritable force d’intervention, avec un autre porte-avions, mais aussi une capacité terrestre effective, stimulerait la croissance d’un grand nombre d’entreprises à fort potentiel technologique." Enfin, il appelle de ses vœux un "système éducatif de qualité". Où l’on apprendrait, par exemple, qu’il est difficile d’augmenter les dépenses tout en baissant les recettes ?
@ dsk
[Sinon, dans le genre discours libéral caricatural, je suis tombé là-dessus (…). Le contributeur, M. Eric Verhaeghe, ancien responsable du Medef, y explique qu’il est essentiel, bien entendu, de baisser les impôts.]
« Libéral caricatural » ? Allons, n’insultons pas les libéraux en les associant à Eric Verhaeghe. J’ai un très bon ami qui a été camarade de Verhaeghe à l’ENA – car il est énarque, chose qu’il se garde bien de dire dans sa présentation au « Figaro » – et qui le connaît bien. C’est lui faire bien trop d’honneur que de lui attribuer une idéologie, libérale ou pas. Le père Verhaeghe est surtout un expert dans la manipulation des réseaux, ce qui lui a permis de faire publier plusieurs bouquins qui ne sont que des catalogues de lieux communs, quand ce ne sont pas des règlements de comptes destinés a redonner à leur auteur une virginité politique. Son discours est toujours le même, rempli de fausses bonnes idées démagogiques. Et la démagogie prend une forme différente selon le public auquel il s’adresse. Dans l’article que tu cites, il s’adresse aux lecteurs du Figaro, et par conséquent il sort les poncifs habituels de la droite, genre « Cette ambition passe par un big bang scolaire (il est temps de licencier les 20% d’instituteurs dépressifs ou sous-qualifiés qui n’apprennent pas à lire ni à écrire à nos enfants, il est aussi temps de donner une vraie autonomie aux chefs d’établissement du second degré, à défaut de passer au chèque scolaire), et par un big bang universitaire (la sélection à l’entrée, vite, et avec une vraie politique de bourses). Cette ambition passe aussi par une stimulation de la recherche privée. Pourquoi ne pas permettre la mise à disposition gratuite (pendant trois ans) de chercheurs publics auprès des entreprises qui en ont besoin? L’article que tu cites contient d’ailleurs une qui vaut son pesant en cacahouètes ». C’est drôle, dans son bouquin-vengeance contre le MEDEF – écrit alors qu’après avoir servi pendant des années cette organisation, il venait d’être viré – il était nettement moins « libéral ». Mais bon, un acteur se doit à son public, non ?
Verhaeghe va d’ailleurs très loin dans le poujadisme anti-fonctionnaire. Après avoir licencié les « instituteurs dépressifs », il propose pour réduire la dépense publique de « Le cap des 50 à 60 milliards d’économies ne peut être franchi qu’en changeant de méthode: il faut responsabiliser les hauts fonctionnaires, en leur fixant des objectifs à atteindre dans les 18 mois en matière de réduction des dépenses, et en les licenciant purement et simplement s’ils ne les atteignent pas. Cette sortie temporaire du cadre statutaire de la fonction publique aura un bienfait majeur: supprimer les rentes de situation, et stériliser les nominations où des copains cireurs de pompe occupent des postes au-dessus de leurs capacités ». Le commentaire est intéressant à deux titres. La première, c’est qu’elle montre la méconnaissance totale du sujet : ce ne sont pas els « hauts fonctionnaires » qui décident les dépenses, ce sont les ministres. Pour un haut fonctionnaire, fermer des préfectures, des écoles ou des hôpitaux, cela ne pose aucun problème. Cela pose par contre des gros problèmes à son ministre, qui aura à faire face au mécontentement – et à terme à la sanction électorale – associée à ces fermetures. C’est pourquoi en général ce sont les ministres, et non les hauts fonctionnaires, qui poussent à la dépense. Il n’y a qu’à voir les « mesurettes » annoncées quotidiennement par les gouvernements de tout bord. Croyez-vous que ce soient les hauts fonctionnaires qui les poussent ?
Mais le deuxième élément intéressant dans la diatribe de Verhaeghe, c’est qu’dérape rapidement de l’objectif de réduction de la dépense publique à un autre objectif sans aucun rapport, celui de se débarrasser des « copains cireurs de pompe qui occupent des postes au dessus de leurs capacités ». Quand on sait les efforts que Verhaeghe a fait pour actionner ses « copains cireurs de pompes » pour se voir octroyer par l’actuel gouvernement un poste correspondant à la perception qu’il a de ses capacités – perception fort discutable, en effet – et l’échec de ses tentatives, on comprends mieux cette rancune…
Le père Verhaeghe – dont j’avais déjà eu l’opportunité de critiquer la campagne médiatique qui avait accompagné la publication de son bouquin – est l’exemple de ce qu’il dénonce : un type nul qui n’existe que grâce à son réseau de « copains cireurs de pompes ». Beurk.
@ Descartes
Si votre conclusion ("l’euro nous conduit à rater le coche de la reprise") est incontestable; le fil de votre argumentation ne me paraît guère convaincant.
1. Le but de la "politique de compétitivité" n’était pas la déflation ni même la désinflation, mais la reconstitution des marges des entreprises afin de favoriser l’investissement, la croissance, l’emploi… Que cette politique ait été un échec pour des raisons qui tiennent pour partie à l’action du gouvernement français et pour partie aux vices congénitaux de l’euro (que vous avez bien décrits), ne justifie pas d’appeler des vessies des lanternes. La baisse des prix en France vient, par ordre d’importance croissante, de la baisse des prix mondiaux des matières premières agricoles et métallurgiques, de la force de l’euro et de l’effet dépressif des politiques de réduction des déficits publics sur la demande interne; certainement pas d’une déflation salariale qui serait la conséquence directe de la mise en oeuvre du CICE ou du Pacte de Compétitivé. En effet, de déflation salariale, il n’y en a point (selon la DARES, les salaires ont augmenté de 1.4% sur un an à la fin du mois de juin, contre 0.3% pour l’inflation); notamment parce que la réduction des charges patronales n’a aucun impact sur les salaires nets versés et par conséquent sur le pouvoir d’achat des salariés.
2. Vous pointez la futilité de la démarche de Hollande auprès de l’Allemagne du fait de "l’égoïsme sacré" des Nations et l’opposez à celle du Général de Gaulle. Mais qu’a fait de Gaulle quand, en 1958, alors que la France était sous perfusion du FMI, il a négocié avec les américains et les allemands la dévaluation du Franc sinon leur demander (gentiment) de dégrader les termes de l’échange en leur défaveur? Et ils ont accepté! Comme ils l’accepteront à nouveau en 1969 (dévaluation Chaban), puis, pour les allemands, en 1981, 1982, 1983, 1986 et 1987. Etrange non? Qu’avaient donc ils fait de l’égoïsme sacré?
3. Sinon, pour la route, un peu de mise en perspective de la politique économique de Gaulle si souvent caricaturée, à leur profit bien évidemment (il est si facile de faire parler les morts), par les souverainistes. Provocateur: http://www.causeur.fr/devaluation-que-ferait-le-general-24590.html# ; plus sérieux: http://www.melchior.fr/fileadmin/fichiers/Revues/Societal/jmd_dossier_62.pdf.
@odp
[1. Le but de la "politique de compétitivité" n’était pas la déflation ni même la désinflation, mais la reconstitution des marges des entreprises afin de favoriser l’investissement, la croissance, l’emploi…]
Oui et non. On peut toujours dire que le « but ultime » de la politique économique est de rendre les gens riches et heureux. Mais plus concrètement, il faut regarder les objectifs intermédiaires avant d’atteindre le Nirvana. Dès le début du quinquennat, le gouvernement a mis l’accent dans ses discours sur la question de la « compétitivité » avec nos concurrents européens et tout spécialement avec l’Allemagne comme étant « le » grand problème. Mais de quelle « compétitivité » s’agissait-il ? S’il s’était agi d’améliorer notre compétitivité « hors prix » – par exemple, en soutenant l’innovation, la qualité des produits, etc. – le gouvernement aurait pris des mesures sectorielles ciblées sur les filières ou la compétitivité « hors prix » est importante, sanctuarisé les budgets de recherche, adapté la fiscalité pour favoriser l’investissement…
Mais qu’observe-t-on ? Exactement le contraire : les mesures économiques prises – comme le CICE ou le « pacte de responsabilité » sont globales et ne font aucune distinction entre les filières. Elles « reconstituent les marges » des filières qui vendent des produits indifférenciés ou seule compte la « compétitivité-prix » tout comme celles où l’on peut jouer sur la qualité d’un produit différentié. Dans l’idée du gouvernement, ces mesures visaient donc bien à améliorer les conditions de l’offre en permettant aux entreprises de baisser les prix des produits sans sacrifier leurs marges. C’est donc bien une politique déflationniste.
[Que cette politique ait été un échec pour des raisons qui tiennent pour partie à l’action du gouvernement français et pour partie aux vices congénitaux de l’euro (que vous avez bien décrits), ne justifie pas d’appeler des vessies des lanternes. La baisse des prix en France vient, par ordre d’importance croissante, de la baisse des prix mondiaux des matières premières agricoles et métallurgiques, de la force de l’euro et de l’effet dépressif des politiques de réduction des déficits publics sur la demande interne; certainement pas d’une déflation salariale qui serait la conséquence directe de la mise en oeuvre du CICE ou du Pacte de Compétitivé.]
Je n’ai jamais parlé de « déflation salariale » en France. Il y a des pays qui ont fait explicitement des politiques de déflation salariale. La Grèce est un bon exemple. En France, on s’est contenté d’une politique d’austérité salariale, avec le gel du point d’indice des fonctionnaires, la quasi-stabilité du SMIC, etc. La rigidité des salaires à la baisse fait d’ailleurs que la déflation des prix ne se traduise qu’avec un certain retard dans les salaires. Mais à terme, la déflation des prix se reporte fatalement sur les salaires.
Je n’ai pas par ailleurs abordé dans mon papier les mécanismes précis de la déflation. Quelque en soient les causes, le fait, c’est que nous sommes en déflation. Et un homme politique ne peut se dédouaner du fait en disant « c’est la faute à l’Euro fort » ou « c’est la faute à la baisse des prix des matières premières », et encore moins « c’est la faute de l’effet dépressif des politiques de réduction des déficits ». On l’a élu précisément pour mettre en œuvre les politiques adaptées à l’environnement économique, pas pour nous expliquer qu’on ne peur rien faire. L’Euro fort et la réduction des déficits sont des choix politiques. Quant à la baisse des prix des matières premières… c’est la première fois que j’entends dire que cela a un effet dépresseur sur une économie comme celle de la France, dépendante des matières premières importées…
[2. Vous pointez la futilité de la démarche de Hollande auprès de l’Allemagne du fait de "l’égoïsme sacré" des Nations et l’opposez à celle du Général de Gaulle. Mais qu’a fait de Gaulle quand, en 1958, alors que la France était sous perfusion du FMI, il a négocié avec les américains et les allemands la dévaluation du Franc sinon leur demander (gentiment) de dégrader les termes de l’échange en leur défaveur? Et ils ont accepté!]
Non, pas tout à fait. En 1958, De Gaulle n’a pas « demandé gentiment » d’autoriser une dévaluation. Il leur a donné le choix entre une dévaluation négociée, maîtrisée, et une sortie de la France du système de Bretton Woods. Une menace parfaitement crédible, puisque les américains connaissaient parfaitement le tempérament volcanique de mongénéral. Les américains ont considéré qu’il valait mieux sacrifier un peu les termes de l’échange plutôt que de voir voler en éclats le système de changes fixes.
Si Hollande voulait chausser les bottes de mongénéral, il lui faudrait annoncer aux allemands qu’à défaut d’une relance concertée, la France quitterait l’Euro et remettrait en cause certaines obligations des traités européens. Là, peut-être, nos voisins d’outre-Rhin agiraient. Mais une telle menace serait-elle crédible dans la bouche d’Hollande ?
[Comme ils l’accepteront à nouveau en 1969 (dévaluation Chaban), puis, pour les allemands, en 1981, 1982, 1983, 1986 et 1987. Etrange non? Qu’avaient donc ils fait de l’égoïsme sacré?]
Il était toujours aussi fort… en 1981, 82, 83, 86 et 87, le choix était entre « accepter » la dévaluation et la sortie de la France du SME. Les allemands ont jugé que la France dévaluerait de toute manière, qu’ils le veuillent ou non. Et qu’il était plus intéressant pour eux de la garder à l’intérieur du SME et soumise à ses disciplines que de la voir sortir. Les faits leur ont donné raison : le mark ne serait certainement pas devenu la monnaie européenne si le SME s’était effondré dans les années 80.
« L’égoïsme sacré » des nations est une question d’intérêts, pas de principes. Dans un contexte donné, chaque nation choisit, parmi les options possibles, celle qui va dans le sens de ses intérêts. En 1981, l’Allemagne avait à choisir entre accorder à la France la possibilité de dévaluer ou la voir sortir du SME. Elle a fait le choix qui lui dictaient ses intérêts. Aujourd’hui, quelles sont les options que Hollande offre à l’Allemagne ? Celle de continuer la politique qui a rendu l’Allemagne riche et puissante, ou bien de sacrifier un peu de sa prospérité pour être gentille avec la France. Vers laquelle de ces deux options, à votre avis, poussera « l’égoïsme sacré » des allemands ?
[3. Sinon, pour la route, un peu de mise en perspective de la politique économique de Gaulle si souvent caricaturée, à leur profit bien évidemment (il est si facile de faire parler les morts), par les souverainistes. Provocateur: http://www.causeur.fr/devaluation-que-ferait-le-general-24590.html# ; plus sérieux: http://www.melchior.fr/fileadmin/fichiers/Revues/Societal/jmd_dossier_62.pdf.%5D
Moi je sais ce que ferait Mongénéral aujourd’hui : il analyserait la situation et adopterait une vision pragmatique. C’est tout ce qu’on peut dire à mon avis sur ce sujet. Tout le monde essaye aujourd’hui d’annexer la figure gaullienne, devenue consensuelle, et il n’y a pas de raison que les libéraux ne cherchent pas, eux aussi, à démontrer que le général était, au fond de lui, libéral. Ces tentatives se font à travers de la figure de Rueff. Mais si De Gaulle fait sienne la vision « libérale » de Rueff en matière budgétaire quant à la gestion rigoureuse du déficit public, il ne le suit guère en matière économique. Le secteur bancaire reste nationalisé, les grands services publics restent dans les mains des monopoles publics.
Il faut par ailleurs se méfier des anachronismes. Il est évident que la vision qu’ont de l’eau un bédouin du désert et un inondé du Bangladesh n’est pas tout à fait la même : pour le premier, chaque goutte d’eau est une bénédiction, pour le second, c’est l’inverse. Le De Gaulle de 1958 était l’ennemi de la dévaluation non par principe, mais parce que l’économie était en surchauffe et le risque d’hyperinflation pointait son nez. Un De Gaulle de 2014, soumis au risque de déflation et de récession, aurait peut-être une vision très différente de la question…
"Le but de la "politique de compétitivité" n’était pas la déflation ni même la désinflation, mais la reconstitution des marges des entreprises afin de favoriser l’investissement, la croissance, l’emploi…"
Le théorème de Schmidt est une vaste fumisterie et il serait temps de passer à autre chose ODP !
Reconstituer les marges des entreprises ne garantit en rien qu’elles investissent derrière. Or quelle entreprise irait investir dans un marché atone voir "dépressif" ?
Dans un monde totalement ouvert rien empêche les entreprises d’investir leurs profits ailleurs qu’en France. Et elles peuvent utiliser ces profits pour autre chose que l’investissement : rachat d’actions, versements de dividendes, thésaurisation, etc.
@Trubli
[Reconstituer les marges des entreprises ne garantit en rien qu’elles investissent derrière. Or quelle entreprise irait investir dans un marché atone voir "dépressif" ? Dans un monde totalement ouvert rien empêche les entreprises d’investir leurs profits ailleurs qu’en France. Et elles peuvent utiliser ces profits pour autre chose que l’investissement : rachat d’actions, versements de dividendes, thésaurisation, etc.]
Exactement. Il est d’ailleurs étonnant de constater combien les réflexes économiques de nos dirigeants restent ancrés dans un monde « ancien » ou les frontières étaient relativement fermées et l’inflation était relativement importante. C’est l’inflation qui créait pour les détenteurs de capitaux une « ardente nécessité d’investir », puisque l’argent qui dort est de l’argent perdu. Et la relative fermeture des frontières assurait que l’investissement allait bien à l’économie. De la même manière, les politiques de relance permettaient d’augmenter la demande interne sans qu’il y ait « fuite » vers l’extérieur.
L’échec de la relance de 1981 annonçait déjà un monde nouveau où l’argent injecté par l’Etat dans l’économie « fuit » vers la destination ou les profits sont les plus importants et les prix les plus bas. Et pourtant, vous trouverez encore à gauche – et même dans la gauche radicale – des gens qui croient encore à la « relance par le pouvoir d’achat ». Quant à l’investissement, la politique du « franc fort » puis l’Euro ont libéré les détenteurs de capitaux de toute « ardente nécessité »…
@ Trubli
Peut-être que l’augmentation des marges n’entraîne pas mécaniquement celle des investissements; mais ce qui est sûr c’est qu’une entreprise en faillite licencie et n’investit plus. Il n’y a certes pas de baguette magique pour relancer/soutenir l’investissement privé; mais puisque l’on sait que l’accroissement des règles et normes ainsi que de la fiscalité sur le travail et/ou le capital productif constitue des freins évidents à celui-ci, l’idée de relâcher la pédale de frein pour favoriser l’accélération ne paraît pas si stupide que ça. Il existe par ailleurs une foultitude de travaux économétriques qui supportent cette thèse.
Par ailleurs, je crois me souvenir que l’hôte de ces lieux était partisan de la TVA sociale (mais peut-être était-ce un autre – si c’est le cas, mea culpa); c’est exactement ce que tente Hollande avec le CICE et le Pacte de Compétitivité: un transfert de charge du travail vers d’autres secteurs de l’économie (essentiellement les classes moyennes aisées et les classes supérieures).
@ odp
Votre réponse s’adresse à Trubli, mais je me permets de commenter :
[Peut-être que l’augmentation des marges n’entraîne pas mécaniquement celle des investissements; mais ce qui est sûr c’est qu’une entreprise en faillite licencie et n’investit plus. Il n’y a certes pas de baguette magique pour relancer/soutenir l’investissement privé; mais puisque l’on sait que l’accroissement des règles et normes ainsi que de la fiscalité sur le travail et/ou le capital productif constitue des freins évidents à celui-ci, l’idée de relâcher la pédale de frein pour favoriser l’accélération ne paraît pas si stupide que ça.]
Ce raisonnement me rappelle celui que m’avait raconté un ami. Son fils avait une plante verte, qui était morte d’une maladie non identifiée. Et bien, son fils continuait à l’arroser tous les jours avec le raisonnement « même si arroser ne garantit pas que la plante va revivre, comme une plante qu’on n’arrose pas meurt, l’idée de continuer à arroser n’est pas mauvaise ». Sauf que dans le cas de mon ami, cela se traduisait par un gâchis de quelques litres d’eau par mois. Dans le cas du CICE, cela se traduit par un gâchis de plusieurs milliards.
Au risque de me faire traiter de « libéral », je vous dirai que je ne connais qu’une « baguette magique » qui peut relancer l’investissement privé : c’est la demande solvable. Aucun patron ne construit des usines pour fabriquer des biens qui ne trouveront pas preneur.
[Il existe par ailleurs une foultitude de travaux économétriques qui supportent cette thèse.]
J’aimerais bien un ou deux exemples. Les travaux économétriques que je connais – ceux du commissariat à la prospective, par exemple – sont au contraire assez prudents lorsqu’il s’agit d’établir des liens entre les marges des entreprises et l’investissement. D’ailleurs l’histoire économique française montre combien ces liens sont contingents : ainsi les années 1960 voient une orgie d’investissement – public et privé – alors que les marges se réduisaient. Au début des années 1990, les marges s’étaient largement reconstituées… et l’investissement n’a pas décollé. Quelle était la différence entre les deux situations ? Dans les années 1960, la demande solvable était forte, et l’inflation poussait les rentiers à investir. Dans les années 1990, la demande n’était plus là et l’inflation faible…
[Par ailleurs, je crois me souvenir que l’hôte de ces lieux était partisan de la TVA sociale (mais peut-être était-ce un autre – si c’est le cas, mea culpa); c’est exactement ce que tente Hollande avec le CICE et le Pacte de Compétitivité: un transfert de charge du travail vers d’autres secteurs de l’économie (essentiellement les classes moyennes aisées et les classes supérieures).]
Non. L’hôte de ces lieux, vous avez raison sur ce point, était et est toujours partisan de la « TVA sociale », c’est-à-dire d’un transfert de charges sociales vers la TVA. Pourquoi ? Parce qu’alors que les charges sociales grèvent seulement les coûts de production des produits fabriqués en France, la TVA grève aussi les produits importés. Ce n’est donc pas ce que « tente de faire Hollande avec le CICE ou le Pacte de Compétitivité », qui sont tous deux financés par des ressources budgétaires, financés pour une partie par des impôts sur la consommation touchant l’ensemble des produits, mais pour l’essentiel par des ressources ne touchant que les conditions de production des produits français (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés…) ne touchent toujours que les produits français. Quand ce n’est pas par la dette…
@ Descartes
Sur la déflation rampante qui serait inscrite dans les politiques de réduction du coût du travail, franchement, c’est non. Et tout d’abord parce que les chiffres ne collent pas. Le CICE, en 2014, c’est 15 milliards d’euro, dont 7 milliards financés par une augmentation de la TVA, que, pour des raisons étranges, vous ne mentionnez pas. Au total, cela laisse donc un solde net à potentiel "déflationniste" de 8 milliards d’euro, représentant moins de 0,4% de PIB. Même en prenant l’hypothèse tout à fait farfelue que 100% des gains du dispositif soient répercutés sur les prix (comme si la baisse de 14 pts de TVA accordée par Sarkozy à la restauration s’était traduite par une baisse équivalente des prix… le dure, c’est en rire), ce n’est pas avec un "choc" de 0,4% de PIB que l’on commence une déflation, surtout dans un pays comme la France où, comme vous l’avez noté, les tendances inflationnistes sont plutôt forte (pour exemple, entre 2000 et 2012, la hausse moyenne du coût du travail dans le privé a représenté en moyenne 135% celle de l’inflation).
Bref, si possibilité de déflation modérée à horizon 2/3 ans il y a bien, le CICE et autres politiques d’abaissement des charges pesant sur le travail n’y sont pour rien ou si peu que c’est est anecdotique. L’essentiel est, de loin, ailleurs: à court terme, dans le couple contraction budgétaire/infirmité monétaire en Europe ; à plus long terme dans "l’armée de réserve" des travailleurs pauvres des pays émergents et, à un degré moindre, dans la chute des gains de productivité dans noter pays (et dans toute l’Europe du Sud) depuis le début des années 2000.
Vous avez milité, dans un autre papier, pour une utilisation immodéré du rasoir d’Ockham; il me semble qu’en cette matière vous en avez oublié les vertus. Nul besoin de chercher midi à 14h et les effets pervers du CICE là où il ne sont pas: le problème de déflation que vous pointez (et sur lequel je reviendrai dans un autre commentaire), c’est tout simplement le résultat d’une croissance économique quasi-nulle alimentant une crise de la demande dans une grade partie de l’Europe.
@ odp
[Sur la déflation rampante qui serait inscrite dans les politiques de réduction du coût du travail, franchement, c’est non. Et tout d’abord parce que les chiffres ne collent pas. Le CICE, en 2014, c’est 15 milliards d’euro, dont 7 milliards financés par une augmentation de la TVA,]
En d’autres termes, le CICE ne transfère que très partiellement les charges de la production vers la consommation. Moins de la moitié des charges créées par le CICE suivent ce mécanisme, le reste étant financé soit par la réduction des dépenses publiques, soit par l’augmentation des impôts, soit par la dette… les chiffres « collent » donc parfaitement. Le CICE n’opère que très partiellement le transfert qui était proposé par la « TVA sociale ».
[Au total, cela laisse donc un solde net à potentiel "déflationniste" de 8 milliards d’euro, représentant moins de 0,4% de PIB.]
Oui. Et si l’on va par là, le solde potentiel « non déflationniste » est lui de seulement 7 milliards d’euros, représentant encore moins que 0,4% du PIB. Un dispositif dont un peu moins de la moitié a un effet « inflationniste » et un peu plus de la moitié a un effet « déflationniste » peut être raisonnablement considéré comme globalement « déflationniste ». Si le CICE avait été financé en totalité par une hausse de la TVA, je l’aurais trouvé bien plus acceptable, puisqu’il aurait opéré un transfert des produits importés vers les produits nationaux. Mais tel qu’il est fait, il compense ce transfert par un transfert inverse. A la fin, il n’a donc pas d’effet. C’est d’ailleurs ce qu’on constate…
[Même en prenant l’hypothèse tout à fait farfelue que 100% des gains du dispositif soient répercutés sur les prix (comme si la baisse de 14 pts de TVA accordée par Sarkozy à la restauration s’était traduite par une baisse équivalente des prix… le dure, c’est en rire), ce n’est pas avec un "choc" de 0,4% de PIB que l’on commence une déflation, surtout dans un pays comme la France où, comme vous l’avez noté, les tendances inflationnistes sont plutôt forte (pour exemple, entre 2000 et 2012, la hausse moyenne du coût du travail dans le privé a représenté en moyenne 135% celle de l’inflation).]
Si votre point est que les montants relativement modestes engagés dans le CICE sont trop faibles pour avoir un effet significatif sur l’économie, nous sommes d’accord. Mais dans ce cas, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement et en déduire que cet effet sera insignifiant dans tous les sens. Si 0,4% est insuffisant pour pousser vers la déflation, il sera aussi insuffisant pour pousser vers la croissance. Parmi les mesures prises par le gouvernement, le CICE est bien moins déflationniste que la baisse des dépenses publiques de 50 milliards.
[Bref, si possibilité de déflation modérée à horizon 2/3 ans il y a bien, le CICE et autres politiques d’abaissement des charges pesant sur le travail n’y sont pour rien ou si peu que c’est est anecdotique.]
Je vous l’accorde. Et je ne pense pas avoir dit le contraire. Si j’ai cité le CICE, c’est pour montrer combien la vision gouvernementale de la compétitivité se réduit à la compétitivité-prix. Je n’ai pas exprimé de jugement sur l’efficacité du dispositif lui-même, ou sur ses effets déflationnistes.
[L’essentiel est, de loin, ailleurs: à court terme, dans le couple contraction budgétaire/infirmité monétaire en Europe ; à plus long terme dans "l’armée de réserve" des travailleurs pauvres des pays émergents et, à un degré moindre, dans la chute des gains de productivité dans noter pays (et dans toute l’Europe du Sud) depuis le début des années 2000.]
Tout a fait d’accord.
[Et bien, le maître mot est « compétitivité ». La priorité absolue, en Grèce comme en France, c’est la « restauration de la compétitivité » par rapport à l’Allemagne.]
Euh … oui ! sauf que Hollande s’est jusqu’à maintenant contenté d’affirmer, de parler, d’annoncer … mais jamais de faire.
Si bien qu’on ne sait pas très bien si nos problèmes viennent comme vous le dites d’un excès d’actions en faveur de la compétitivité ou ne viendraient pas plutôt d’un immobilisme absolu.
D’une trouille absolue des réformes, d’une trouille absolue de mécontenter encore plus l’opinion publique.
Hollande croit avoir à choisir entre les réformes et la popularité, il a choisit de ne pas faire de réformes et il aura en plus l’impopularité.
@ v2s
[« Et bien, le maître mot est « compétitivité ». La priorité absolue, en Grèce comme en France, c’est la « restauration de la compétitivité » par rapport à l’Allemagne ». Euh … oui ! sauf que Hollande s’est jusqu’à maintenant contenté d’affirmer, de parler, d’annoncer … mais jamais de faire.]
Hollande ne se contente pas de parler, il fait. Le CICE a été mis en œuvre, l’argent a été versé. Les coupes budgétaires ont été effectivement réalisées, et des pans entiers de l’investissement public – y compris les grands programmes de recherche – sont sinistrés. Il faut arrêter de croire que le gouvernement ne fait rien. Le gouvernement conduit une politique, des mesures sont mises en œuvre, de l’argent est versé, des services publics sont coupés.
[Si bien qu’on ne sait pas très bien si nos problèmes viennent comme vous le dites d’un excès d’actions en faveur de la compétitivité ou ne viendraient pas plutôt d’un immobilisme absolu.]
La question n’est pas là. Quelque soit la réponse, un fait demeure : Hollande, après nous avoir expliqué qu’il fallait à tout prix gagner en compétitivité-prix, tout à coup nous alerte sur le danger de déflation, c’est-à-dire, sur les dangers du seul processus qui nous permettrait de gagner en compétitivité. Vous ne trouvez pas cela curieux ?
[D’une trouille absolue des réformes, d’une trouille absolue de mécontenter encore plus l’opinion publique.]
Mais de quelles « réformes » parlez vous ? Il y a aujourd’hui une mystique de la réforme. Un peu comme si quelque part il y avait un manuel de la réforme dont il suffirait de suivre les prescriptions pour faire le bonheur du peuple français. Mais dans la réalité, c’est un peu plus compliqué. 90% des français sont pour « les réformes », mais ce chiffre est trompeur, parce qu’en fait chaque français veut une « réforme » différente. Les riches sont pour une « réforme » qui couperait radicalement la protection sociale. Les pauvres sont pour une « réforme » qui taxerait radicalement les biens des riches. Les enseignants sont pour une « réforme » qui augmenterait massivement leurs salaires, les salariés pour une « réforme » qui réduirait radicalement leurs impôts, et tous pour une réduction du déficit budgétaire. A partir de là, comment choisir « la reforme » à mettre en œuvre ?
Aujourd’hui, aucun « projet national » ne réunit un consensus suffisant pour pouvoir être mis en œuvre. Aucune « réforme » ne recueille l’assentiment d’une majorité suffisante. Cela tient, entre autres choses, au fait que depuis trente ans on a imposé à la population des « réformes » faites dans l’intérêt exclusif de certains secteurs au prétexte qu’elles étaient « inévitables », « nécessaires » et ainsi de suite. La « réforme » est donc devenue synonyme de dégradation des conditions de vie pour une grande partie de la société au bénéfice d’une autre. Aujourd’hui, un « réformateur », même bien intentionné, a un mur de méfiance devant lui.
[Hollande croit avoir à choisir entre les réformes et la popularité, il a choisit de ne pas faire de réformes et il aura en plus l’impopularité.]
Mais de quelle « réforme » parlez vous, précisément ? Quelle serait à votre avis la « réforme » qui le sauverait de l’impopularité ?
[Les riches sont pour une « réforme » qui couperait radicalement la protection sociale. Les pauvres sont pour une « réforme » qui taxerait radicalement les biens des riches. Les enseignants sont pour une « réforme » qui augmenterait massivement leurs salaires, les salariés pour une « réforme » qui réduirait radicalement leurs impôts, et tous pour une réduction du déficit budgétaire.]
Et bien vous vous trompez !
Bien sûr que chacun voudrait que les contraintes soient pour les autres, mais les français sont plus réalistes et plus raisonnables que vous le dites : une grande majorité comprend qu’il va falloir accepter de réduire son train de vie.
Par contre chacun exigera qu’il y ait des arbitrages équitables et que les efforts soient répartis de façon juste.
Malgré la stagnation du PIB, malgré les grands discours, les pleurs et les gémissements de l’extrême gauche, du PC, et des syndicats, le pouvoir d’achat des salariés a continué d’augmenter en France en 2013, les salaires ont augmenté plus que l’inflation.
Les français, dans leur grande sagesse, ont compris que personne ne peut éternellement vivre au dessus de ses moyens.
Quant aux réformes nécessaires, pourquoi m’en demandez vous la liste ? Vous, comme tout le monde, la connaissez la liste des réformes. Il suffit de lire les recommandations, tant de la cour des comptes, que celles des innombrables commissions qui ont travaillé depuis des années, voire des décennies, et remis des rapports sur les réformes à entreprendre.
Il n’y a pas que l’Allemagne de Schröder qui se soit réformée, la Grande Bretagne, l’Italie, les pays nordiques depuis longtemps, même l’Espagne s’est réformée.
Il n’y aura bientôt plus que vous, avec les communistes, l’extrême gauche et les amis de Mélenchon pour faire semblant de croire que nous serions les seuls au monde à échapper à la nécessité d’être plus efficace que nous ne le sommes dans toutes les activités dont se charge l’état, avec l’argent du budget.
@ v2s
[« Les riches sont pour une « réforme » qui couperait radicalement la protection sociale. Les pauvres sont pour une « réforme » qui taxerait radicalement les biens des riches. Les enseignants sont pour une « réforme » qui augmenterait massivement leurs salaires, les salariés pour une « réforme » qui réduirait radicalement leurs impôts, et tous pour une réduction du déficit budgétaire ». Et bien vous vous trompez ! Bien sûr que chacun voudrait que les contraintes soient pour les autres, mais les français sont plus réalistes et plus raisonnables que vous le dites : une grande majorité comprend qu’il va falloir accepter de réduire son train de vie.]
C’est vous qui vous trompez. Et votre erreur consiste en confondre deux ordres de pensée : celui de ce que les gens veulent, et celui de ce que les gens sont résignés à accepter. Les couches populaires, par exemple, « comprennent qu’il va falloir accepter de réduire son train de vie ». Elles le comprennent parce qu’elles savent que le rapport de forces leur est défavorable, et que dans ces conditions elles n’ont pas les moyens de résister à la pression d’autres couches sociales à l’heure de partager le gâteau. Mais cela n’implique nullement qu’ils soient « pour les réformes », simplement, qu’elles se résignent à elles, comme on se résigne à vieillir et à mourir. Et c’est pour cela que, tout en étant résigné, à l’heure de voter ces gens sont de plus en plus nombreux à déposer dans l’urne un bulletin FN, pour bien marquer leur rejet de ce qui pourtant ils « comprennent » comme inévitable. C’est pour cette raison aussi qu’un homme politique qui ferait les « réformes » en question n’obtiendra jamais leur voix, et qu’il n’y a donc aucune popularité à gagner à les faire.
Par contre, il y a une minorité de français qui « comprend » que grâce aux réformes son niveau de vie augmentera. Ces groupes-là soutiennent avec enthousiasme les « réformes »…
[Par contre chacun exigera qu’il y ait des arbitrages équitables et que les efforts soient répartis de façon juste.]
Ah bon ? J’ignorais que Mme Bettencourt, Mathieu Pigasse, Xavier Niel ou Alain Minc étaient en train d’exiger une juste répartition des efforts. Cela a du m’échapper…
Encore une fois, vous avez une vision fort idéaliste de l’économie. C’est le contraire qui se produit : chacun exige qu’il y ait des arbitrages inéquitables et que les efforts soient répartis chez les autres. Seulement, tous les groupes n’ont pas le même poids dans les rapports de force. Et c’est pourquoi toutes les réformes depuis trente ans vont toujours dans le même sens : augmenter le niveau de vie des riches et des classes moyennes, réduire celui des couches populaires. Quelle est la dernière « réforme » qui, à votre avis, « répartit de façon juste » les efforts ?
[Malgré la stagnation du PIB, malgré les grands discours, les pleurs et les gémissements de l’extrême gauche, du PC, et des syndicats, le pouvoir d’achat des salariés a continué d’augmenter en France en 2013, les salaires ont augmenté plus que l’inflation.]
De certains salariés, oui… par exemple, je crois savoir que les salaires des patrons des entreprises du CAC40 ont fait un bond considérable. Mais il faut bien se garder de tirer des conclusions hâtives. Une comparaison des salaires du dernier décile montre une histoire un peut différente de celle que vous racontez. J’ajoute que l’augmentation du chômage pousse les salaires statistiquement vers le haut : dans la mesure où le chômage touche préférentiellement les moins qualifiés, chaque fois que vous licenciez vous tendez à couper le bas de la pyramide salariale, ce qui fait augmenter la moyenne. Plus que comparer l’évolution des salaires, comparez l’évolution du revenu des actifs par décile. C’est nettement plus éclairant.
[Les français, dans leur grande sagesse, ont compris que personne ne peut éternellement vivre au dessus de ses moyens.]
Dans le genre formule creuse, celle-ci est le pompon. C’est qui, qui « vit au dessus de ses moyens » ? Ma concierge ? L’ouvrier métallurgiste du second ? Le chômeur du troisième ? Madame Bettencourt dans son hôtel particulier ? De quels « moyens » parlez-vous ?
[Quant aux réformes nécessaires, pourquoi m’en demandez vous la liste ?]
Je n’ai pas demandé la liste, je vous ai demandé quelques exemples.
[Vous, comme tout le monde, la connaissez la liste des réformes. Il suffit de lire les recommandations, tant de la cour des comptes, que celles des innombrables commissions qui ont travaillé depuis des années, voire des décennies, et remis des rapports sur les réformes à entreprendre.]
Non. Je connais tout au plus la liste des réformes qui me paraissent nécessaires A MOI, la liste des réformes qui paraissent nécessaires à tel ou tel comité Théodule, « réformes » qui d’ailleurs sont très souvent contradictoires en fonction de l’orientation du Théodule en question. Mais je ne connais pas la liste des « réformes nécessaires » dont la nécessité est universelle, évidente et incontestable. Comme vous me parlez en permanence de « réformes nécessaires » sans jamais expliciter « nécessaires pour qui », je croyais que vous pouviez me proposer quelques exemples. Je me suis de toute évidence trompé…
[Il n’y a pas que l’Allemagne de Schröder qui se soit réformée, la Grande Bretagne, l’Italie, les pays nordiques depuis longtemps, même l’Espagne s’est réformée.]
La France aussi s’est réformée. Comparez la France pré-81 et la France d’aujourd’hui. Pensez-vous que ce soit la même ? La décentralisation, ce n’est peut-être pas une réforme ? La privatisation massive des services publics ? L’Euro ? La constitutionnalisation de la Charte de l’Environnement ? L’abolition des prix réglementés ? La désindexation des salaires ? La formation des enseignants ? Ce n’est pas des « réformes », ça ? Depuis trente ans, on n’arrête pas de « réformer », au point qu’il est difficile d’évaluer un nouveau dispositif avant qu’il soit lui même « réformé ». Et quels sont les résultats ?
De la même manière que chez les eurolâtres on nous explique toujours que si la situation est catastrophique ce n’est pas la faute de l’Europe, mais au contraire c’est parce qu’il n’y a pas « assez d’Europe », la pensée unique cherche à cacher les effets désastreux des grandes « réformes » mises en œuvre depuis trente ans en nous expliquant que le problème c’est qu’on ne « réforme » pas assez. Et de nous ressortir à chaque fois « nos voisins ont réformé, qu’attendons nous gna gna gna ».
Je vous ai demandé un exemple de « réforme nécessaire ». Et si je vous l’ai demandé, c’est précisément parce que lorsqu’on quitte le discours général de la « réforme nécessaire » pour prendre des exemples concrets, on s’aperçoit assez vite que le discours est vide. Que les « réformes » dont on nous parle tant cachent en fait des transferts éhontés du revenu vers les classes moyennes et bourgeoise. Vous avez évité soigneusement de répondre à ma question avec un exemple concret, ce qui me fait penser que vous êtes, vous aussi, parfaitement conscient du fait.
[Il n’y aura bientôt plus que vous, avec les communistes]
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là. La solitude ne me fait pas peur, et j’aimerais croire qu’en 1940 j’aurai suivi le général qui était seul « avec les communistes », plutôt que le maréchal qui était, lui, fort soutenu…
[(…) l’extrême gauche et les amis de Mélenchon pour faire semblant de croire que nous serions les seuls au monde à échapper à la nécessité d’être plus efficace que nous ne le sommes dans toutes les activités dont se charge l’état, avec l’argent du budget.]
Vous dites n’importe quoi. Vous savez très bien que je suis un ardent partisan de l’efficacité dans l’utilisation de l’argent public. Mais vous ne m’avez toujours pas expliqué en quoi les « réformes nécessaires » dont vous parlez ont une chance d’atteindre cet objectif. Remarquez, comme vous ne proposez le moindre exemple de « réforme nécessaire », on voit mal comment il pourrait en aller autrement.
@ Descartes
Une question: c’est une antienne très récurrente que l’on trouve dans vos papiers par laquelle vous déplorez l’austérité barbare qui se seraient abattue sur la France depuis 2012. Dernier en date, dans une réponse à v2s, le couplet suivant: "les coupes budgétaires ont été effectivement réalisées, et des pans entiers de l’investissement public sont sinistrés". Mais de quelles coupes budgétaires parlez-vous donc? Ce que je vois moi, en m’appuyant sur les chiffres de l’INSEE c’est que la dépense publique a augmenté de 2.0% entre 2012 et 2013 malgré une baisse de 9% de la charge de la dette. Et ce n’est pas comme si l’année 2012 se distinguait par sa singularité: entre 2007 et 2012, les dépenses publiques ont augmentées de près de 19%, soit un rythme annuel moyen de 3.5%. Franchement, les coupes budgétaires, on a beau les chercher; en utilisant la statistique publique plutôt les arguments d’autorité, on ne les trouve guère. Mais peut-être saurez-vous éclairer ma lanterne.
@ odp
[Une question: c’est une antienne très récurrente que l’on trouve dans vos papiers par laquelle vous déplorez l’austérité barbare qui se seraient abattue sur la France depuis 2012.]
Je ne pense jamais avoir utilisé le terme « barbare » dans ce contexte. Vous devez confondre avec quelqu’un d’autre.
[Dernier en date, dans une réponse à v2s, le couplet suivant: "les coupes budgétaires ont été effectivement réalisées, et des pans entiers de l’investissement public sont sinistrés". Mais de quelles coupes budgétaires parlez-vous donc? Ce que je vois moi, en m’appuyant sur les chiffres de l’INSEE c’est que la dépense publique a augmenté de 2.0% entre 2012 et 2013 malgré une baisse de 9% de la charge de la dette.]
Il faut faire attention de ne pas tout confondre. Les « coupes budgétaires » ne concernent que les dépenses de l’Etat, puisque c’est du budget de l’Etat qu’il s’agit. Mais les dépenses budgétaires ne représentent en fait qu’une petite partie de l’ensemble des dépenses publiques, dont l’essentiel en fait est la dépense sociale. Si vous regardez le budget de l’Etat, vous constaterez qu’il représentait 20% du PIB en 1993, moins de 15% en 2011… Mais vous avez raison de signaler le paradoxe d’un système ou l’on dénonce en permanence « l’austérité » alors que la dépense publique continue à augmenter.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a une partie de la dépense publique qui a une dynamique propre, indépendante des décisions politiques. Ainsi, par exemple, en temps de crise les dépenses sociales ne peuvent qu’augmenter, puisque les capacités des citoyens à faire face eux-mêmes à certaines dépenses se réduit. Une politique d’austérité en temps de crise, comme celle qui est faite maintenant, repose donc essentiellement sur la dépense dite « discrétionnaire », c’est-à-dire, celle sur lesquelles le politique a le choix. C’est pourquoi les politiques d’austérité ont les effets désastreux que j’ai dénoncé dans mon article. Je vais vous donner un exemple : les grands organismes de recherche (CEA, CNRS, ONERA) se voient couper leurs crédits. Mais comme il est très difficile de réduire la dépense salariale, les économies se répercutent exclusivement sur les investissement en équipements et en matériel. Conséquence : vous avez des milliers de chercheurs qui se tournent les pouces, puisqu’il n’ont pas d’argent pour faire des expériences.
L’austérité ne réussit pas à diminuer la dépense publique – et c’est heureux, parce que si elle arrivait, on serait en récession/déflation – mais son effet néfaste est de transformer la répartition des dépenses. Telle qu’elle est mise en œuvre, elle est en train de tuer la dépense discrétionnaire et l’investissement, pour ne conserver que les dépenses de fonctionnement.
[Franchement, les coupes budgétaires, on a beau les chercher; en utilisant la statistique publique plutôt les arguments d’autorité, on ne les trouve guère. Mais peut-être saurez-vous éclairer ma lanterne.]
Regardez ce que deviennent les dépenses discrétionnaires de l’Etat. L’investissement dans les programmes de recherche et développement, les investissements en infrastructures… et vous verrez le problème. C’est d’ailleurs drôle : dans un contexte similaire, après la première crise pétrolière, le gouvernement – de droite, faut il insister – avait tout fait pour protéger les investissements de recherche et d’infrastructures, c’est-à-dire ceux qui préparent l’avenir, des coupes. Quitte à emprunter massivement en profitant des taux d’intérêts faibles. Ainsi, Pompidou lancera le programme électronucléaire (100 Md€, tout de même) et Giscard le programme TGV, tout en pratiquant des restrictions considérables dans la dépense de fonctionnement. Aujourd’hui, les taux d’intérêt auxquels l’Etat emprunte son extrêmement faibles. Un observateur pourrait penser que le gouvernement se précipiterait à emprunter pour investir dans les infrastructures dont nous aurons besoin demain… et bien non, jamais l’investissement public n’aura été aussi bas. Il est vrai que Maastricht est passé par là…
Bonjour Descartes
"En un mot, notre gouvernement – et avec lui les institutions européennes – que le problème essentiel est la « compétitivité-prix », puisque tous les leviers mis en œuvre ne jouent que sur ce levier."
J’ai comme l’impression qu’il manque un mot dans cette phrase…
Je vous rejoins en tous points sur le fond de l’affaire. L’euro – et l’UE de façon plus générale – nous force à devenir "compétitifs" et pour cela à baisser les salaires et à réduire les services publics. Mais encore, si ces "réformes" n’étaient qu’une souffrance nécessaire mais temporaire avant de retrouver notre place sur le marché mondial et de pouvoir exporter à nouveau, peut être pourrait-on mieux les supporter. Sauf que, comme vous le soulignez dans un commentaire, il est impossible de bâtir l’économie de chaque pays européen sur l’exportation – on n’aboutit qu’à une baisse générale du niveau de vie puisque chaque pays tente, chacun en même temps, de rogner un peu de compétitivité sur ses concurrents.
Vous évoquez la Grèce : le cas est intéressant, parce que la politique qui y a été mise en œuvre est d’une ampleur telle qu’elle devrait parvenir à satisfaire nos "réformateurs" en herbe du Nouvel Obs ou du Point. Or, au grand dam de la Troïka, on n’y constate pas d’amélioration des exportations. En vérité, si l’on met de côté le tourisme (qui dépend de bien plus de facteurs que le simple coût du service), les exports grecs diminuent ( http://img11.hostingpics.net/pics/328952Exports.jpg ; source : http://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2014/cr14151.pdf , page 38). Le FMI blâme la situation sur des "déficiences institutionnelles". Pourquoi pas. Après tout, la Grèce est grevée par une lourde corruption et une faiblesse institutionnelle que d’autres pays n’ont pas. Mais alors, pourquoi tenter à tout prix de transformer une économie pour qu’elle suive un modèle dont les fondamentaux sont si différents ?
Les institutions européennes nous contraignent à des changements que nous ne pouvons pas mettre en œuvre, ou alors sous peine de dégâts plus importants encore. En fait, on pourrait dire que la construction européenne renverse la maxime de Richelieu : elle rend nécessaire ce qui est impossible.
@ Dell Conagher
[« En un mot, notre gouvernement – et avec lui les institutions européennes – que le problème essentiel est la « compétitivité-prix », puisque tous les leviers mis en œuvre ne jouent que sur ce levier ». J’ai comme l’impression qu’il manque un mot dans cette phrase…]
Lequel ? Moi j’ai surtout l’impression qu’il y a un mot de trop : « levier » est utilisé deux fois dans la même phrase !
[Je vous rejoins en tous points sur le fond de l’affaire. L’euro – et l’UE de façon plus générale – nous force à devenir "compétitifs" et pour cela à baisser les salaires et à réduire les services publics.]
Là, je crois que vous faites un contresens. Vous avez l’air de dire que s’il n’y avait pas l’euro et l’UE, nous pourrions nous permettre d’avoir une économie qui produirait sans se soucier du prix des produits qu’elle fabrique. Non, non et non. La « compétition » en économie n’est pas apparue avec l’UE ou l’euro, ni même avec le capitalisme. Les commerçants grecs et phéniciens qui sillonnaient la méditerranée du temps d’Hérodote savaient déjà ce que « compétition » veut dire, et étaient des experts lorsqu’il s’agissait d’aller chercher les biens là où ils étaient le moins cher et de les vendre là où le pouvoir d’achat était le plus fort.
Je ne partage nullement l’allergie pour la « compétition » qui est la marque d’une certaine idéologie « de gauche ». La « compétition » est inévitable dès lors qu’il existe des biens rares, en d’autres termes, qu’il est impossible de satisfaire la demande de tous. Imaginer que demain on pourrait construire un monde sans compétition implique par exemple imaginer que demain on trouverait un moyen d’empêcher deux hommes d’aimer la même femme…
Encore faut-il organiser la compétition économique. Et la manière dont on l’organise est importante parce qu’elle joue sur la manière dont le revenu national est créé et distribué. Le problème de l’UE et de l’Euro n’est pas « qu’ils nous obligent à être compétitifs », mais qu’ils organisent la compétition de manière de transférer le revenu du producteur vers le consommateur. Un transfert qui bénéficie aux couches sociales qui consomment beaucoup et produisent peu, et qui à l’inverse désavantage ceux qui produisent beaucoup et consomment peu. Personnellement, ce n’est pas la « compétition » in abstracto que je refuse. La compétitivité de notre économie me paraît un but parfaitement légitime. C’est la façon dont la compétition est organisée que je rejette.
[Mais encore, si ces "réformes" n’étaient qu’une souffrance nécessaire mais temporaire avant de retrouver notre place sur le marché mondial et de pouvoir exporter à nouveau, peut être pourrait-on mieux les supporter. Sauf que, comme vous le soulignez dans un commentaire, il est impossible de bâtir l’économie de chaque pays européen sur l’exportation – on n’aboutit qu’à une baisse générale du niveau de vie puisque chaque pays tente, chacun en même temps, de rogner un peu de compétitivité sur ses concurrents.]
Oui. Pour le plus grand bénéfice des consommateurs. C’est pour cela que la lutte contre les politiques européennes est si difficile. La fin de la « concurrence libre et non faussée » implique pour les « classes consommantes » – c’est-à-dire essentiellement les classes moyennes – la fin de la fête de la consommation. Je pense qu’il ne faut pas négliger cet aspect, qui explique mieux que n’importe quel autre les ambiguïtés dans les positions de la « gauche radicale » sur la question européenne. Ce secteur est déchiré entre son idéologie antilibérale et les intérêts de sa base sociologique, qui réalise parfaitement que rapatrier la fabrication des écrans plats en France implique une augmentation de leur prix.
[Vous évoquez la Grèce : le cas est intéressant, parce que la politique qui y a été mise en œuvre est d’une ampleur telle qu’elle devrait parvenir à satisfaire nos "réformateurs" en herbe du Nouvel Obs ou du Point. Or, au grand dam de la Troïka, on n’y constate pas d’amélioration des exportations.]
Ce n’est pas tout à fait vrai. Les exportations de la Grèce – comme de l’Espagne – montrent un petit redressement, du moins si l’on calcule en part de PIB. Bien entendu, comme le PIB se contracte, ce redressement est difficile à voir en termes absolus. Mais la question là aussi est : a quel prix ?
Je crois que c’est cette question qu’il faut revaloriser dans le débat économique. Les libéraux ont raison lorsqu’ils disent que le libre échange permet d’optimiser la production en concentrant celle-ci là où elle est la plus efficiente. La théorie des avantages comparatifs de Ricardo est de ce point de vue difficilement contestable, et les « antilibéraux » ont tort de chercher à la contester. Pour moi, la véritable contestation de cette théorie ne peut se faire qu’en prenant en compte les coûts sociaux de cette « optimisation ». On peut vouloir vivre dans une société où les écrans plats sont bon marché et où il faut se promener dans les rues avec un garde du corps, ou bien une société où les écrans plats sont chers et l’on peut se promener en toute sécurité dans la rue. Et c’est au politique, et non à l’économie, de choisir entre ces options. Une économie « optimisée » n’est pas un objectif en soi, ce n’est que l’un des multiples objectifs possibles dans la gestion de la cité. A nous de lui donner sa juste place dans l’ordre des priorités.
[Le FMI blâme la situation sur des "déficiences institutionnelles". Pourquoi pas. Après tout, la Grèce est grevée par une lourde corruption et une faiblesse institutionnelle que d’autres pays n’ont pas. Mais alors, pourquoi tenter à tout prix de transformer une économie pour qu’elle suive un modèle dont les fondamentaux sont si différents ?]
En même temps, on ne peut pas tout vouloir en même temps. Des institutions faibles et une lourde corruption empêchent d’optimiser la machine économique. En d’autres termes, on ne peut pas vouloir garder le « modèle traditionnel » et en même temps une économie riche. Maintenant, si les grecs préfèrent être plus pauvres et garder leur modèle, le choix est parfaitement légitime. Mais on ne peut pas tout avoir.
La France, l’Angleterre, l’Allemagne étaient aussi des pays « lourdement corrompus » et faiblement institutionnalisés au XVIème siècle. C’est l’éthique bourgeoise qui, avec la révolution industrielle naissante, a progressivement modernisé les « fondamentaux » sociaux – quelquefois avec des méthodes fort brutales – pour aboutir aux économies hautement optimisées qui sont les notres au XXème siècle. Et encore, certaines régions – le sud-est, la Corse – ont conservé une partie de leurs structures claniques traditionnelles, et ce n’est pas par hasard si ce sont les régions les moins productives et si elles vivent en partie de la perfusion nationale. Si la Grèce veut devenir un pays riche, elle doit changer. Cela doit être un choix national, et non pas une imposition étrangère. Mais il ne faut pas se tromper en faisant des grecs des victimes, et en imaginant qu’on pouvait continuer à offrir un niveau de vie « européen » avec un niveau de productivité « méditerranéen ». En cela, les libéraux ont raison : les grecs ont vécu sur l’emprunt, et ce n’est pas viable.
[En fait, on pourrait dire que la construction européenne renverse la maxime de Richelieu : elle rend nécessaire ce qui est impossible.]
Très bonne observation ! Je garde l’expression pour usage futur.
>Lequel ?<
Dell Conagher a raison, il manque le verbe dans la principale. La parenthèse peut semer le trouble, en lisant :
> En un mot, notre gouvernement […] que le problème essentiel est la « compétitivité-prix »<
On se rend compte qu’il manque quelque chose. Tu as peut-être voulu écrire "semble estimer".
[Un transfert qui bénéficie aux couches sociales qui consomment beaucoup et produisent peu, et qui à l’inverse désavantage ceux qui produisent beaucoup et consomment peu.]
Une affirmation qui sert votre théorie récurrente « des classes moyennes coupables et responsables de tous les maux de la société ». En réalité, votre affirmation est fausse : les classes les plus pauvres consomment 100% de leurs revenus et [profitent], comme vous dites, en tout premier des baisses de prix. Penser par exemple aux ouvriers qui s’achètent désormais des « DACIA low cost » neuves, quand ils devaient jadis se contenter de Renault ou Peugeot d’occasion.
Les classes moyennes, elles, n’hésitent pas, au contraire, à consommer « chic » et à snober les produits low cost.
[La fin de la « concurrence libre et non faussée » implique pour les « classes consommantes » – c’est-à-dire essentiellement les classes moyennes – la fin de la fête de la consommation]
Voila, à nouveau, ces fameuses classes moyennes. Demander donc à Darty, à BUT et à Carrefour qui sont leurs acheteurs d’écran plats, et de téléphones à écrans tactiles. Croyez vous vraiment que les HLM de banlieue sont équipées de télés cathodiques et de vieux téléphones fixes ? Ne croyez-vous pas que les fils et filles d’ouvrier s’habillent précisément chez HetM, ESPRIT, GAP ou BENETON ?
[La fête de la consommation], tout le monde y participent et les classes populaires ne l’appellent pas non plus de leurs vœux.
[Mais il ne faut pas se tromper en faisant des grecs des victimes, et en imaginant qu’on pouvait continuer à offrir un niveau de vie « européen » avec un niveau de productivité « méditerranéen ». En cela, les libéraux ont raison : les grecs ont vécu sur l’emprunt, et ce n’est pas viable.]
Donc, les libéraux auraient raison d’affirmer que [les grecs ont vécu sur l’emprunt, et (que) ce n’est pas viable] et pourtant, si je vous suis bien, ces mêmes libéraux auraient tort de dire que notre dette à nous, de 1800 milliards qui enflent tous les jours, est quant à elle, tout à fait [viable]. Curieux non ?
Vous demandiez précédemment :
[Mais de quelle « réforme » parlez-vous, précisément ? Quelle serait à votre avis la « réforme » qui le sauverait de l’impopularité ?]
La réponse est simple : aucune réforme profonde ne rendra jamais un homme politique populaire. Schröder que tout le monde encense aujourd’hui, Schröder que l’on crédite du succès de la difficile réunification, Schröder a perdu les élections a la fin de son mandat. Réformer rend impopulaire, mais on ne gouverne pas pour être populaire.
Vous affirmez : [Vous savez très bien que je suis un ardent partisan de l’efficacité dans l’utilisation de l’argent public]. Oui, je vous l’accorde, vous êtes partisan de l’efficacité. Mais il faudrait alors clarifier une ambiguïté : Si l’administration des impôts, par exemple, s’informatise, regroupe et recoupe les fichiers disponibles, et au final, fait rentrer plus et mieux l’impôt que précédemment et même plus et mieux que d’autres grands pays, êtes vous prêts à dire que dans ces conditions, il est juste de baisser le nombre de fonctionnaires des finances ? Et ce qui est vrai pour les impôts, devrait l’être aussi pour l’administration de l’éducation nationale, des hôpitaux, et surtout des collectivités locales. Parce que si vous êtes partisan de l’efficacité, sans réduire le nombre d’agents de la fonction publique, ce n’est plus vraiment de l’efficacité.
Par contre, si vous êtes à la fois pour plus d’efficacité et pour accepter les réductions d’effectifs qui vont avec, alors nous sommes tout à fait d’accord. Mais il ne faudra pas vous étonnez que vos amis vous accusent d’être « libéral », voire pire.
@ v2s
[Une affirmation qui sert votre théorie récurrente « des classes moyennes coupables et responsables de tous les maux de la société ». En réalité, votre affirmation est fausse : les classes les plus pauvres consomment 100% de leurs revenus et [profitent], comme vous dites, en tout premier des baisses de prix.]
Non. Vous avez raison de dire que les classes populaires consomment une part de leur revenu supérieure à celle des autres couches sociales, mais vous faites abstraction de leur profil de consommation. Quels sont les chapitres essentiels du budget des couches populaires ? Le loyer d’abord, l’alimentation et l’énergie ensuite. Ces trois chapitres représentent, si j’en crois l’INSEE, le 75% des dépenses. Si l’on compte l’entretien du véhicule, on arrive à 80%. Vous m’accorderez que ce sont là des items ou, si l’effet prix de la concurrence internationale existe, il est relativement atténué. C’est évident pour le loyer et l’entretien du logement, totalement indépendants du marché international, c’est aussi vrai pour l’énergie, dont les prix sont soit indépendants du marché – cas de l’électricité – soit fixé par des cartels – cas du pétrole.
De ce point de vue, la comparaison avec le profil de consommation des classes moyennes est instructive. La part des « dépenses contraintes » peu liées au marché international passe de 80% à 50%, la part des « loisirs électroniques » devenant d’ailleurs importante…
[Penser par exemple aux ouvriers qui s’achètent désormais des « DACIA low cost » neuves, quand ils devaient jadis se contenter de Renault ou Peugeot d’occasion.]
Sans vouloir vous offenser, beaucoup d’ouvriers continuent à acheter de l’occasion, DACIA ou pas. Dans la cité ou j’habite, je peux vous assurer qu’on ne voit guère de voitures neuves.
[Les classes moyennes, elles, n’hésitent pas, au contraire, à consommer « chic » et à snober les produits low cost.]
Tout à fait. Mais vous faites ici un contresens. Le « chic » fabriqué par Samsung ou Apple bénéficie autant de l’ouverture des frontières que le « low cost ». Et parce que leur structure de consommation donne beaucoup plus de place à ce genre de produits, les classes moyennes sont les grandes bénéficiaires de l’ouverture des frontières. D’autant plus que, contrairement aux classes populaires, elles ont réussi à protéger leurs emplois de la délocalisation et de la concurrence « libre et non faussée »…
[Voila, à nouveau, ces fameuses classes moyennes. Demander donc à Darty, à BUT et à Carrefour qui sont leurs acheteurs d’écran plats, et de téléphones à écrans tactiles.]
Vous l’avez fait ?
[Croyez vous vraiment que les HLM de banlieue sont équipées de télés cathodiques et de vieux téléphones fixes ?]
Téléphones fixes ? Non, les ouvriers ont eux aussi des téléphones portables. Mais ce sont généralement des petits modèles, quelquefois achetés d’occasion, et pas des S5 ou des Iphone neufs. D’ailleurs, je vous fais remarquer que les petits voleurs de portables agissent généralement dans les quartiers bourgeois de la capitale, et rarement en banlieue. Apparamment, ils partagent donc mon diagnostic sur les équipements des uns et des autres. Et comme ils ont un intérêt dans l’affaire, je pense qu’on peut faire confiance à leur diagnostic. Pour ce qui concerne les télés, oui, dans les foyers ouvriers on trouve encore beaucoup de télés cathodiques, qu’on fait tourner jusqu’à ce qu’elles finissent par mourir de leur belle mort. Dans ma famille, pour ne donner qu’un exemple, on jette rarement des choses qui marchent encore.
[Ne croyez-vous pas que les fils et filles d’ouvrier s’habillent précisément chez HetM, ESPRIT, GAP ou BENETON ?]
Non, je ne le crois pas. Beaucoup s’habillent chez Casino ou Carrefour. Ou alors il faudra m’expliquer pourquoi la moitié de la surface de vente de ces supermarchés est consacrée aux vêtements à chaque rentrée scolaire. D’ailleurs, combien de magasins GAP ou Beneton connaissez vous qui soient installés près des cités ouvrières ?
Que les fils d’ouvrier aient envie de montrer la « marque » à leurs copains, oui, bien sur. Et souvent ils ont quelques vêtements « de marque » pour se montrer, tout comme mon grand-père avait un habit du dimanche. Mais il suffit de comparer les prix des vêtements « de marque » avec le reste-à-vivre d’un smicard pour s’aperçevoir qu’il est mathématiquement impossible pour lui d’habiller ses enfants chez Beneton. Accessoirement, comme je l’ai dit plus haut, l’habillement représente une petite partie de la consommation des couches populaires. Celles-ci profitent donc des prix poussés vers le bas par la concurrence, mais beaucoup moins que les couches sociales pour qui les dépenses contraintes sont plus faibles.
[[La fête de la consommation], tout le monde y participent et les classes populaires ne l’appellent pas non plus de leurs vœux.]
Bien entendu. Mais certains sont à la table d’honneur, ou l’on sert le homard et le caviar, et d’autres ont des strapontins aux tables du fond, ou l’on sert du saucisson. L’autre différence, c’est que ceux de la table d’honneur ne payent pas la note, puisque leurs emplois sont, eux, protégés, tandis qu’à la table du fond on paye cash avec la délocalisation des emplois et le chômage massif. C’est pourquoi certaines couches sociales souhaitent que la fête continue indéfiniment, alors que d’autres ont au contraire intérêt que la fête s’arrête.
[Donc, les libéraux auraient raison d’affirmer que [les grecs ont vécu sur l’emprunt, et (que) ce n’est pas viable] et pourtant, si je vous suis bien, ces mêmes libéraux auraient tort de dire que notre dette à nous, de 1800 milliards qui enflent tous les jours, est quant à elle, tout à fait [viable]. Curieux non ?]
Mais quand ais-je dit que les libéraux auraient tort de dire que notre dette à nous est « tout à fait viable » ? Je pense que vous ne me lisez pas avec assez d’attention. Je passe mon temps à dire qu’il faut serrer le quiqui aux classes moyennes, qu’il faut arrêter leur orgie de consommation pour pouvoir dégager les moyens d’investir et de financer correctement les services publics, et vous m’accusez de vouloir creuser la dette ? Ma position est très précise et n’a pas varié : en ce qui concerne la dette liée au fonctionnement de l’Etat, je suis pour une compensation keynésienne. Je pense qu’il faut s’endetter en bas du cycle pour soutenir la demande, et payer ses dettes en haut du cycle, quand les excédents dégagés par l’économie le permettent. Et pour ce qui concerne la dette liée à l’investissement, elle doit être régie par les mêmes considérations que n’importe quel projet d’investissement, c’est-à-dire, les revenus espérés doivent pouvoir payer les dettes contractées. Point à la ligne. Je n’ai jamais dit – et jamais pensé – qu’on pouvait s’endetter joyeusement comme s’il n’y avait pas de lendemain. Et je me souviens distinctement d’avoir critiqué sur ce même blog les gens qui pensent qu’on peut « annuler la dette » chaque fois que cela arrange quelqu’un. Alors, de grâce, ne me mettez pas dans le même panier que ces gens-là.
Mon désaccord avec les libéraux ne porte pas sur la nécessité de contrôler la dette – et de la réduire – mais sur les moyens de le faire. Pour les libéraux, la panacée se trouve du côté de la réduction de la dépense publique. Pour moi, c’est plutôt sur l’augmentation du rendement des prélèvements, notamment par le rapatriement et le développement de l’activité productive – ce qui suppose un « protectionnisme intelligent » – et par un transfert de richesse des classes bourgeoises et moyennes vers les couches populaires. Ce qui n’exclut pas bien entendu une recherche permanente de l’efficacité dans l’utilisation des deniers publics. Tiens, par exemple, en supprimant les subventions aux énergies renouvelables, qui n’apportent absolument rien en termes de qualité du service et qui sont un gouffre à hauteur de plusieurs milliards d’euros par an. Voilà une « réforme » intéressante, non ?
[Vous demandiez précédemment : « Mais de quelle « réforme » parlez-vous, précisément ? Quelle serait à votre avis la « réforme » qui le sauverait de l’impopularité ? ». La réponse est simple : aucune réforme profonde ne rendra jamais un homme politique populaire.]
Vraiment ? Diriez-vous par exemple qu’en 1945 la nationalisation des banques, de l’électricité et du gaz n’ont pas rendu le GPRA « populaire » ? Que la création de la sécurité sociale, la généralisation de l’assurance retraite n’ont pas contribué à la popularité du nouveau régime ? Je vous trouve bien pessimiste avec votre « jamais »… Mais bien entendu, on parle d’une époque où les « réformes » se faisaient dans l’intérêt du pays, et non pas d’une couche particulière. J’amenderais donc votre phrase sous la forme suivante : « aucune réforme profonde faite au bénéfice d’une minorité et au préjudice du reste de la société ne rendra jamais un homme politique populaire ». Le reste, sans changement…
[Schröder que tout le monde encense aujourd’hui, Schröder que l’on crédite du succès de la difficile réunification, Schröder a perdu les élections a la fin de son mandat. Réformer rend impopulaire, mais on ne gouverne pas pour être populaire.]
Mais comment a fait De Gaulle ? Comment ont fait Attlee et Bevan ? Comment a fait Roosevelt ? Tous ces gens-là sont devenus fort populaires et ont gagné des élections tout en faisant des « grandes réformes », bien plus « grandes » que n’importe quoi fait dans les trente dernières années, non ? Comment expliquer que la « réforme » fut si populaire à une époque, et si impopulaire aujourd’hui ?
Vous ne pouvez pas faire abstraction de la nature des « réformes » en question. Lorsqu’une « réforme » profite au plus grand nombre, elle n’a aucune raison d’être « impopulaire ». Lorsqu’une réforme n’est faite qu’au bénéfice de certains et au préjudice de la grande majorité, elle a beaucoup plus de chances de l’être. Quand le gouvernement de la Libération transfère massivement de la richesse vers les travailleurs en assassinant les rentiers, elle devient populaire entre les travailleurs – fort nombreux – et très impopulaire entre les rentiers, qui n’ont d’ailleurs pas eu cesse d’essayer de lui faire la peau. Quand dans les années 1980 on entreprend la « réforme » inverse, le gouvernement s’est rendu impopulaire dans les quartiers populaires, et très populaire dans les « poulaillers d’acajou » chantés autrefois par Souchon et parmi les classes moyennes. C’est aussi simple que ça.
Ce n’est donc pas « la réforme » qui rend impopulaire. Ce sont certaines réformes. Depuis trente ans, les rapports de force sont tels que chaque « réforme » consiste à transférer un peu de richesse des couches populaires vers la bourgeoisie et les classes moyennes. On a « réformé » l’enseignement de manière à arrêter l’ascenseur social et protéger les enfants des classes moyennes de toute compétition. On a « réformé » le code du travail de manière à flexibiliser l’emploi faiblement qualifié tout en protégeant les cadres. On a « réformé » l’administration territoriale pour donner le pouvoir aux « notables » locaux – et on sait d’où ils viennent. On a « réformé » les règles de concurrence pour permettre au capital d’aller chercher les profits ailleurs, tout en protégeant les emplois des classes moyennes, générant dans le processus une dégradation massive de l’emploi dans les quartiers populaires.
Ces réformes ne peuvent que rendre impopulaire. Dans les couches populaires, pour des raisons évidentes. Mais aussi, paradoxalement, chez les classes moyennes. Car les classes moyennes jouent sur les deux tableaux. Privilégiées et choyées, elles ne s’assument pas comme telles. Elles continuent donc à voter « libéral-libertaire », mais entretiennent un discours antilibéral dans les dîners en ville…
[Vous affirmez : « Vous savez très bien que je suis un ardent partisan de l’efficacité dans l’utilisation de l’argent public ». Oui, je vous l’accorde, vous êtes partisan de l’efficacité.]
Dont acte. Pourquoi me mettre alors dans le panier de ceux qui prennent une position contraire ?
[Mais il faudrait alors clarifier une ambiguïté : Si l’administration des impôts, par exemple, s’informatise, regroupe et recoupe les fichiers disponibles, et au final, fait rentrer plus et mieux l’impôt que précédemment et même plus et mieux que d’autres grands pays, êtes vous prêts à dire que dans ces conditions, il est juste de baisser le nombre de fonctionnaires des finances ?]
Non. Il serait juste de baisser le nombre de fonctionnaires consacrés à faire rentrer les impôts. Mais il y a peut-être d’autres domaines dans les « finances » qui nécessitent une plus grande attention et plus d’effectifs pour améliorer la qualité du service. Et si l’on arrive à la conclusion qu’il y a d’autres domaines de l’action publique qui sont prioritaires par rapport aux finances, on doit récupère les fonctionnaires libérés par l’informatisation de l’administration fiscale pour les utiliser dans ces domaines. Cela me paraît une évidence. Je n’ai jamais pensé qu’un fonctionnaire devait avoir une sorte de « droit acquis » à travailler toute sa vie dans le même domaine. Par contre, je détecte dans votre question une prémisse cachée : il ne s’agit pas de « baisser le nombre des fonctionnaires des finances », mais du nombre de fonctionnaires en général, non ?
[Et ce qui est vrai pour les impôts, devrait l’être aussi pour l’administration de l’éducation nationale, des hôpitaux, et surtout des collectivités locales. Parce que si vous êtes partisan de l’efficacité, sans réduire le nombre d’agents de la fonction publique, ce n’est plus vraiment de l’efficacité.]
Etrange raisonnement. L’efficacité est le rapport entre les moyens investis et les résultats obtenus. Si avec le même nombre de fonctionnaires j’obtiens plus de résultats, alors j’aurais amélioré l’efficacité. Vous raisonnez comme si les tâches que l’Etat doit accomplir étaient limitées. Dans cette hypothèse, bien entendu, toute augmentation d’efficacité se traduit par une baisse des ressources qu’on y consacre. Mais on peut aussi imaginer que l’Etat étende la panoplie des services qu’il offre. Dans cette hypothèse, on peut accroître l’efficacité tout en maintenant l’effectif et la dépense constante, voire en l’augmentant…
[Par contre, si vous êtes à la fois pour plus d’efficacité et pour accepter les réductions d’effectifs qui vont avec, alors nous sommes tout à fait d’accord.]
Et voilà le problème… Moi, je ne me place pas dans cette logique. Je veux bien « réformer » pour rendre les services plus efficaces. Mais contrairement à vous, je veux réutiliser les moyens ainsi dégagés pour offrir de nouveaux services ou pour améliorer le service existant. Si grâce à l’informatique je peux rendre plus efficiente l’administration de l’hôpital, alors je peux dégager des postes pour recruter plus de médecins et d’infirmières, ou libérer des ressources pour moderniser les équipements. Si je vends les billets de train sur Internet au lieu d’avoir des guichets, je peux récupérer des postes pour mieux informer les voyageurs sur les quais ou pour faire circuler plus de trains. Pourquoi voulez-vous qu’une plus grande efficacité se traduise par une « réduction d’effectifs » ?
Mais je pense que pour vous le raisonnement est l’inverse. Pour vous, l’objectif est la réduction des effectifs. L’efficacité n’est qu’un moyen pour l’atteindre. La question n’est pas le rapport qualité/prix du service public, mais l’injonction dogmatique de « rapetisser l’Etat ». Toute modernisation, toute « réforme » ne vise pas à améliorer le service, mais à réduire l’effectif et la dépense publics. Et vous vous étonnez après que la « réforme » soit impopulaire ?
[Mais il ne faudra pas vous étonnez que vos amis vous accusent d’être « libéral », voire pire.]
Oh… vous savez… les accusations…
@BolchoKek
Vous avez raison. Il est toujours difficile de relire ses propres textes… on sait tellement ce qu’on a envie de dire, qu’on ne remarque pas que des mots ont sauté.
@Descartes
‘Mais dites, Monsieur Hollande, l’inflation nulle, n’est-ce pas l’objectif fixé depuis le temps de Jacques Delors et poursuivi par tous les gouvernements’.
Dans cette phrase,Descartes exprime ce que je souhaite écrire.
Enfin,la logique de la politique Delorienne est mise en exergue!
Non la France n’est pas un bateau ivre .
Elle se dirige comme toute Nation,en fonction de la politique qui lui est administrée.
Et cette politique suivie par l’UMPS est Delorienne depuis longtemps.
Car depuis 30 ans,c’est cette politique Delorienne qui est mise en oeuvre avec les dégats prévus par jacques Delors lui même.
Puisque,Jacques Delors avait refusé de se présenter aux élections présidentielles de 2002 en raison disait il:’des bâtons dans les roues que ne manquerait pas de faire apparaître les effets de la politique qu’il voulait mettre en oeuvre’.
J.Delors pensait que grèves,manifestations et détestations populaires l’aurait chassé du pouvoir,si cette politique de couplage avec l’Euro/merkel était appliqué.
Que neni !
Aucune révolte populaire digne de ce nom!
Las,pourtant nous y sommes,au bord du gouffre ou de la déflation?
C’est même,l’enfant prodige de la ‘Delorie’,F.Hollande qui la réalise!
En effet F.Hollande est un trés proche du cercle familial de J.Delors depuis…50 ans!
A tel point que Martine.Aubry jalouse vivement F.Holland depuis trés longtemps et les années d’études avec FHollande..
Le paradoxe veut qu’aujourd’hui avec l’absence de concurrents sérieux (UMP,fdg,FN) seule la partie du PS hollandiste subsite dans le paysage politique dévasté.
Cette situation où un FN (non-crédible comme parti de gouvernement) est le premier parti de France laisse tout le champ libre à un F.Hollande qui peut mener une politique déflationniste de son choix.sans l’assumer,ce qui est consternant et pour aller où?.. ce qui est très inquiétant.
Reconnaissons au moins à F.Hollande de pratiquer le népotisme avec brio puisqu’après avoir exfiltré Désir vers un placard doré c’est Moscovici,son âme soeur récente qui a été nommé commissaire européen poste grassement rémunéré où il ne fera que mener des actions aggravant la situation en France.
[Mais comment a fait De Gaulle ? Comment ont fait Attlee et Bevan ? Comment a fait Roosevelt ? Tous ces gens-là sont devenus fort populaires et ont gagné des élections tout en faisant des « grandes réformes »]
Attlee ? Bevan ? Sincèrement, j’ignore tout des travaillistes du Pays de Galle de la fin du XIXème siècle.
Par contre je me souviens parfaitement des années De Gaulle, chez nous en France. J’avais 10 ans quand il est arrivé en 58 et j’en avais donc 21 ans quand il est parti en 69.
Comme beaucoup, je l’ai successivement apprécié ou détesté puis finalement regretté.
Mais souvenez vous, il a été écarté prématurément du pouvoir, lorsqu’il a mis lui-même en jeu l’interruption de son mandat en cas de « NON » au référendum. La collusion de tous ses opposants a alors fait gagner le « NON ».
De Gaulle était loin d’etre largement populaire, au contraire, il a eu contre lui des cohortes d’opposants, à gauche, du PC au PS, et à droite ou à l’extrême droite, avec les déçus (le mot est faible) de l’Algérie française.
Tout au long de ces 11 années il a été copieusement critiqué (et si ma mémoire ne me trahit pas, les communistes étaient à l’époque à la pointe de l’opposition à De Gaulle) et sa force, précisément, aura été de ne jamais céder à la tentation d’être simplement populaire.
C’est amusant, de voir aujourd’hui, tous ces gens qui se réclament du Gaullisme.
Ce qui rend, aujourd’hui, De Gaulle effectivement très populaire, auprès de tous, mais à postériori, c’est que, pour la dernière fois, mais pas l’ultime j’espère, un dirigeant politique aura satisfait notre profond désir de rester une grande nation unie et égalitaire, cultivée et humaniste.
Je souhaite qu’une ou plusieurs personnalités d’exception émergent aujourd’hui pour permettre à la France de relever ce défi. Il en a toujours été ainsi dans le passé. La France vacille, mais l’ère de la médiocrité politique pourrait toucher à sa fin. Je sais, c’est scandaleusement optimiste.
@ bovard
[J.Delors pensait que grèves,manifestations et détestations populaires l’aurait chassé du pouvoir,si cette politique de couplage avec l’Euro/merkel était appliqué.]
Je ne crois pas. Delors ne s’est pas présenté parce qu’il ne voulait pas faire de la politique. Delors était un technocrate, et est resté un technocrate. Son passage en politique a été comme celui de Barre, à l’ombre d’un « parrain » politique. On l’imagine mal plongeant dans le marigot des combines internes du PS et encore moins faisant une campagne présidentielle. Par ailleurs, la politique delorienne a été appliquée depuis trente ans par presque tous les gouvernements, et pourtant on ne voit pas les « grèves, manifestations et détestations populaires » chasser personne du pouvoir. Pourquoi en aurait-il été différent si Delors avait été président de la République ? Delors le savait parfaitement.
[Que neni ! Aucune révolte populaire digne de ce nom! Las, pourtant nous y sommes,au bord du gouffre ou de la déflation?]
Pour les couches populaires, la « révolte » c’est aujourd’hui voter pour le FN. Pour les classes moyennes… pourquoi se « révolter » contre une politique qui sert leurs intérêts ?
[Cette situation où un FN (non-crédible comme parti de gouvernement) est le premier parti de France laisse tout le champ libre à un F.Hollande qui peut mener une politique déflationniste de son choix.sans l’assumer,ce qui est consternant et pour aller où?.. ce qui est très inquiétant.]
Oui. Paradoxalement, en France c’est la « gauche » qui a mis les pieds dans les bottes de Laval, alors que la droite, elle, reste curieusement expansionniste. On l’a vu avec Sarkozy.
[Reconnaissons au moins à F.Hollande de pratiquer le népotisme avec brio puisqu’après avoir exfiltré Désir vers un placard doré c’est Moscovici,son âme soeur récente qui a été nommé commissaire européen poste grassement rémunéré où il ne fera que mener des actions aggravant la situation en France.]
Ou est le « népotisme » ? Ni Désir ni Moscovici ne sont membres de la famille de Hollande. On peut parler de clanisme, mais pas vraiment de népotisme.
@ v2s
[Attlee ? Bevan ? Sincèrement, j’ignore tout des travaillistes du Pays de Galle de la fin du XIXème siècle.]
Les bras m’en tombent. Attlee a été premier ministre et Bevan ministre de la santé après l’élection parlementaire de 1945. Un peu tard pour « la fin du XIXème siècle »…
[Par contre je me souviens parfaitement des années De Gaulle, chez nous en France. J’avais 10 ans quand il est arrivé en 58 et j’en avais donc 21 ans quand il est parti en 69.
Comme beaucoup, je l’ai successivement apprécié ou détesté puis finalement regretté.
Mais souvenez vous, il a été écarté prématurément du pouvoir, lorsqu’il a mis lui-même en jeu l’interruption de son mandat en cas de « NON » au référendum. La collusion de tous ses opposants a alors fait gagner le « NON ».]
Vous avez raison de souligner que si aujourd’hui le personnage est sanctifié, c’était loin d’être le cas lorsqu’il était encore vivant. Mais si on a reproché beaucoup de choses à De Gaulle, on ne lui a jamais vraiment reproché les très nombreuses réformes qu’il a accompli pendant son mandat. C’est le parfait contre-exemple contre votre théorie que personne ne devient populaire en réformant. Quand De Gaulle reforme la constitution, il obtient 70% dans un référendum.
[Ce qui rend, aujourd’hui, De Gaulle effectivement très populaire, auprès de tous, mais à postériori, c’est que, pour la dernière fois, mais pas l’ultime j’espère, un dirigeant politique aura satisfait notre profond désir de rester une grande nation unie et égalitaire, cultivée et humaniste.]
Certes. Mais vous m’accorderez que De Gaulle ne peut être considéré comme un immobiliste, un homme qui craignait la réforme. Au contraire, il a fait de la réforme un fonctionnement naturel de l’Etat. Pourquoi alors n’a-t-il pas été touché par la malédiction dont vous parliez qui devrait rendre « impopulaire » tous ceux qui réforment ? Je crois que la réponse se trouve dans la qualité des réformes entreprises. On peut dire beaucoup de choses sur les réformes gaulliennes, mais elles ne sont jamais faites au service d’un groupe social et au détriment de tous les autres. Il y avait chez les « grands commis » qui ont conduit ces réformes un véritable souci d’égalité et d’unité, comme vous le signalez. Ces commis ne cherchaient pas à imposer, mais à convaincre, et ils y arrivaient parce que les réformes avaient une véritable logique d’intérêt général. L’idée des « réformes nécessaires » qu’il fallait imposer à la société – en fait à certaines couches de la société – pour son bien, c’est venu plus tard, dans les années 1980.
[Je souhaite qu’une ou plusieurs personnalités d’exception émergent aujourd’hui pour permettre à la France de relever ce défi. Il en a toujours été ainsi dans le passé. La France vacille, mais l’ère de la médiocrité politique pourrait toucher à sa fin. Je sais, c’est scandaleusement optimiste.]
Je vous souhaite d’avoir raison… mais je suis plus réaliste que vous, pour mon malheur.