On achève bien EDF

En avril dernier nous avons fêté les 70 ans de l’une des mesures les plus importantes prises à la Libération, une mesure qui a profondément influencé la France de l’après-guerre. En effet, le 8 avril 1946 était signée la « loi relative à la nationalisation du gaz et de l’électricité ». Il a suffit à l’époque de 53 petits articles – on savait écrire des lois, à l’époque – pour créer et régler le fonctionnement des deux établissements publics, Electricité de France et Gaz de France, qui allaient donner forme pendant plus d’un demi-siècle au paysage énergétique français.

Quand je dis « nous avons fêté », il s’agit bien entendu d’un abus de langage. Le président de la République n’a pas jugé nécessaire de se déplacer ou de faire un discours, et il n’y a pas eu de jogging entre les tombes ou de concert de Black M. Les fêtards ont été peu nombreux. Même à l’intérieur de d’EDF, les célébrations ont été fort discrètes. Ailleurs, elles ont été inexistantes. On nous rabat en permanence les oreilles du « devoir de mémoire », on fait en veux tu en voilà des lois mémorielles, on n’arrête pas de dévoiler des plaques et des monuments commémorant tel ou tel massacre, tel ou tel génocide, mais lorsqu’il s’agit de rappeler à nos mémoires une aventure positive, un acte de fondation, personne n’est intéressé.. Notre société ne peut commémorer que du point de vue de la victime. Comment dans ces conditions célébrer un évènement dont la figure de la victime est absente ? On commémore volontiers l’accident d’AZF ou celui de Malpasset, mais on est infoutu de célébrer comme il se doit la fondation de la Sécurité sociale, d’EDF ou du CNRS.

Il est tout de même révélateur que lorsque le ministre d’économie d’un gouvernement supposé « de gauche » cherche une commémoration pour prononcer un grand discours politique, il se batte pour récupérer l’image de la Pucelle d’Orléans et néglige le souvenir de ces pionniers, bien plus proches de nous, qui ont construit l’instrument qui a radicalement contribué à moderniser la France puis à assurer son indépendance énergétique, qui reste l’exemple le plus éclatant du fait qu’une entreprise publique peut être aussi bien gérée voire mieux que n’importe quelle entreprise privée tout en offrant à ses usagers et à la collectivité un service parmi les meilleurs du monde, à l’Etat actionnaire des bénéfices conséquents, et à son personnel un statut et une protection sociale de haut niveau. L’histoire d’EDF-GDF, c’est le récit du succès de tout ce pour quoi la « gauche » a fait profession de se battre. Et pourtant, la gauche – que ce soit la gauche sociale-libérale ou la gauche radicale – lui tourne le dos.

On peut comprendre la gêne de la gauche sociale-libérale, qui embarquée dans son mirage européiste a mis au début des années 2000 sa signature sur les directives qui ont amorcé le processus de démantèlement de EDF, établissement public devenu société anonyme au capital ouvert sous la direction d’un éminent technocrate socialiste, et la disparition de GDF absorbée par Suez. Après tout, qui à gauche est prêt à assumer les conclusions du sommet de Barcelone des 23 et 24 mars 2000, fixant comme objectif « d’accélérer la libéralisation dans des secteurs tels que le gaz et l’électricité », politique qui se matérialisera par la loi du 10 février 2000 ? On comprend moins bien ce silence de la part d’une « gauche radicale » qui ne jure que par le programme du CNR. Peut-être parce qu’ils ont omis de le lire ?

Le problème, c’est que si EDF a été un tel succès c’est en grande partie parce que c’est un une entreprise soviétique – « la seule entreprise soviétique qui ait réussi », selon la formule consacrée – construite par des gens de droite. D’une droite souverainiste, gaulliste, imprégnée d’intérêt général, mais droite tout de même. Alors que le gaullo-communisme s’effondrait partout après 1968, il a survécu dans cette entreprise dirigée par des ingénieurs des mines de droite et des syndicalistes communistes communiant dans la religion du service public et de l’excellence technique. Dans la France post-soixante-huitarde où le fric et les paillettes prenaient de plus en plus d’importance, EDF est une anomalie. Elle reste jusqu’à la fin des années 1990 une organisation méritocratique et puritaine. On y méprise l’argent et le paraître, on respecte le dévouement et la compétence. En d’autres termes, l’esprit EDF est exactement à l’opposé de ce qu’est devenu la gauche, autant dans son versant « social-libéral » que dans son versant « libéral-libertaire », le tout passé par le mitterrandisme. Même chez le PCF, longtemps resté en phase avec l’esprit de l’entreprise, on voit les effets de la « mutation » des années 1990 et les dérives « libertaires ».

On arrive ainsi à ce paradoxe : EDF, qui reste « l’entreprise préférée des français », dont le crédit auprès de la population lui permet d’emprunter à 100 ans, seule entreprise française à pouvoir se le permettre, est ignorée quand elle n’est pas mal aimée par les élites politiques et médiatiques – en dehors de quelques « gaullo-communistes » impénitents et marginaux. Et c’est particulièrement notable à gauche, ou ce symbole du service public à la française est surtout perçu comme une vache à lait – car EDF a toujours versé de copieuses redevances aux collectivités locales et de bénéfices à l’Etat. Et cela explique en grande partie les difficultés de l’entreprise aujourd’hui, qui annoncent des problèmes bien plus graves demain.

Il y a d’abord la question de l’ouverture du marché de l’électricité, lancée en 2000 par une loi sur laquelle Jospin – alors premier ministre – et Chirac apposèrent leur augustes signatures. Mais aussi des directives qui ont suivi, et qui contiennent en germe non seulement la privatisation des monopoles nationaux, mais surtout leur éclatement et leur atomisation pour permettre l’apparition d’un véritable marché “libre et non faussé”. Il aurait donc été logique que Jospin et Chirac nous annoncent d’une seule voix, en revenant du sommet de Barcelone, que EDF serait découpée en plusieurs tranches et ces tranches privatisées. Après tout, si on veut la fin il faut bien se donner les moyens. Mais comme souvent en matière européenne, on a signé d’abord – au nom de la « construction européenne » – et réfléchi ensuite aux conséquences. Et c’est ainsi qu’on s’est engagés à démanteler EDF tout en menant un combat d’arrière-garde pour éviter de le faire. Or tout le monde sait comment se terminent les combats d’arrière-garde. De « enquête approfondie » en « mise en demeure » de la Commission européenne, le gouvernement a progressivement démantelé notre électricien national, en détachant les réseaux (création de RTE pour le transport et de ERDF pour la distribution), en obligeant EDF à vendre une partie de sa production à prix coûtant à ses concurrents… et bientôt en remettant en concurrence les concessions hydrauliques dont la plupart, tonne la Commission européenne, devront échapper à EDF si la France ne veut pas d’ennuis à Bruxelles. Et cette pression ne s’arrêtera que le jour où EDF aura été réduite et démantelée. Tous ceux qui assistent aux réunions sur ces questions à Bruxelles vous le confirmeront : au-delà de sa position libérale, les services de la Commission ont une véritable haine pour notre électricien national, symbole de tout ce qu’ils exècrent.

Les difficultés d’EDF illustrent aussi les effets délétères du manque de vision globale – dans le temps et dans l’espace – de nos élites. Exemple éminent de cette caractéristique, la politique de développement des énergies renouvelables – que ce soit à l’échelle nationale ou européenne. Les élites politico-médiatiques ayant décidé que le développement des énergies renouvelables était en lui-même un « bien », on décide dans la joie et l’allégresse de se fixer des objectifs qui ne peuvent être que « ambitieux » de développement du solaire, de l’éolien, ou de la cogénération, subvention massive à la clé. Par ailleurs, on décide aussi que l’efficacité énergétique est un « bien », et on lance là encore des programmes de réduction de la consommation, là aussi lourdement subventionnés. D’un côté, nous subventionnons donc une augmentation de la production d’électricité, de l’autre nous subventionnons la diminution de la consommation. Et que fait-on lorsque la production dépasse la consommation ? Eh bien, comme en matière d’électricité la production doit être toujours égale à la consommation, on finit par payer des gens pour ne pas produire : ce sont les fameux « prix négatifs », qu’on observe depuis un certain temps sur le marché de gros allemand, et qui commencent à arriver sur le marché français.

Pour le dire autrement : la politique de développement massif des renouvelables conduit à subventionner massivement des capacités de production dont nous n’avons pas besoin. Notre parc hydroélectrique et nucléaire est très largement suffisant pour fournir la production de base dont la France a besoin, dans un contexte ou la consommation tend à baisser ou tout au plus à se maintenir. Ces subventions sont donc versées en pure perte. On ne peut même pas invoquer le bénéfice de la décarbonation de l’électricité, puisque le parc français est déjà à 95% décarbonné grâce au nucléaire et à l’hydroélectricité. Et ce ne sont pas des petites sommes : en 2016, cela représente une dépense annuelle de 5 Md€, et en tenant compte du fait que les contrats prévoient des subventions sur la durée de vie de l’installation – de 15 à 20 ans – la facture ne peut que croître. Pour donner une idée, on dépense chaque année en subventions aux énergies renouvelables – qui représentent 5% de l’électricité produite – le prix d’un demi-EPR, qui a une espérance de vie de 60 ans et produirait 3%.

Si on continue à ce rythme, ce sera une vingtaine de milliards chaque année à l’horizon 2025… et tout ça, je le répète, pour acheter quelque chose dont nous n’avons pas besoin. Mais sans attendre, cette politique a des effets délétères sur l’organisation du secteur électrique en général et sur EDF en particulier. Le déversement massif des renouvelables subventionnés sur un marché européen peu dynamique pousse les prix de gros de l’électricité vers le bas, d’autant plus d’ailleurs que les renouvelables ont un accès prioritaire au réseau et que leur rémunération est indépendante du prix du marché. Cela a deux effets : d’une part, les subventions augmentent mécaniquement, puisqu’elles doivent compenser la différence entre le coût réel de l’électricité renouvelable et les prix de marché. D’autre part, les prix sont tombés en dessous du coût marginal de production pour tous les moyens de production sauf pour le charbon et le nucléaire, et par conséquence aucun investissement dans la production d’électricité n’est rentable hors subvention. D’où la situation critique de l’ensemble des électriciens européens. Et encore, EDF avec son parc nucléaire amorti s’en sort plutôt bien, d’autres ont l’eau jusqu’au cou.

Et pour compliquer les choses, l’Etat a besoin d’argent. Il prélève donc depuis des années sur EDF un dividende royal tout en lui refusant, politique électorale oblige, les augmentations des tarifs conformes à l’évolution des coûts. Cel 500 Internal Server Error

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