Macron et Philippe se crashent à Notre Dame des Landes

 

« j’ai cru qu’il était fait du marbre dont on fait les statues, mais il est fait de la faïence dont on fait les bidets » (Marie-France Garaud, à propos de Jacques Chirac)

 

 

Ainsi, le projet de l’aéroport « Grand Ouest » à Notre Dame des Landes est abandonné sur décision du gouvernement. La nouvelle annoncée par Edouard Philippe hier soir était en fait parfaitement prévisible. Il suffisait d’appliquer le raisonnement bien connu des météorologues : prédire pour demain le même temps qu’il fait aujourd’hui vous assure 65% de probabilité d’être dans le vrai. Cela fait bientôt dix ans qu’aucun gouvernement n’a fait le moindre effort pour lancer la construction de l’aéroport. Pourquoi changer ce qui a si bien réussi aux autres ?

 

S’il y a eu une incertitude sur la décision, largement entretenue par les médias, c’est parce qu’on nous vend depuis des mois l’idée que « cette fois-ci, c’est différent ». Que l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en mai 2017 marque une rupture entre un « avant » fait d’indécision et de pusillanimité, et un « après » fait de décisions courageuses. Jupiter était remonté sur son piédestal, et on allait voir ce qu’on allait voir. Et depuis, le pauvre Jupiter n’en finit pas de tomber. En fait de décisions courageuses, on n’a pas vu grande chose. On m’objectera qu’il y a bien eu décision, que sur l’aéroport le gouvernement a bien tranché. Mais dans les faits, il s’agit d’une pure apparence. La « décision » sur Notre Dame des Landes – tout comme la décision de reporter la date pour la réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production électrique, pour donner un autre exemple – n’a de décision que la forme. Dans les faits, elle ne change rien puisqu’elle ne fait qu’entériner un état de fait. Et le gouvernement est d’ailleurs le premier à le reconnaître. Voici ce que dit Edouard Philippe dans le discours où il annonce la décision :

 

« Instruit du dossier autant qu’il peut l’être (…) le gouvernement a pris sa décision.  Je constate aujourd'hui que les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Un tel projet d’aménagement qui structure un territoire pour un siècle ne peut se faire dans un contexte d’opposition exacerbée entre deux parties presque égales de la population. »

 

On notera le rapprochement des termes « pris sa décision » et « je constate ». Décider, pour nos politiques, c’est « constater ». Ou plutôt, on décide de constater. On ne fait pas un choix raisonné entre plusieurs possibles, on « constate » qu’il n’y a qu’une décision possible (1). On ne force pas le destin, on se plie à lui. On aurait voulu fournir une illustration à la « logique du chien crevé au fil de l’eau » qu’on n’aurait pas mieux réussi.

 

La lecture du discours du Premier ministre montre en fait une hésitation permanente entre la reconnaissance du fait que le projet est abandonné parce que « les conditions ne sont pas réunies » – comme le montre le paragraphe précédent – et la volonté de présenter la voie choisie comme étant la plus raisonnable du point de vue technique, par exemple en écrivant que :

 

« Il y a vingt ans, le projet a été redéfini pour réaliser une plateforme aéroportuaire régionale permettant de développer des vols internationaux. Ce projet ne répond plus aux objectifs actuels, aux réalités actuelles de l’organisation aéroportuaire qui réservent à quelques grands aéroports nationaux les vols long-courriers. »

 

Aldous Huxley notait que souvent l’accumulation de raisons est moins crédible qu’une raison toute seule. Si Edouard Philippe croyait vraiment que le projet « ne répond plus aux objectifs actuels », pourquoi ne pas avoir justifié l’abandon du projet sur ce seul argument amplement suffisant par lui-même ? Pourquoi avoir d’abord fondé la décision sur le fait que « les conditions n’étaient pas remplies » pour mener à bien le projet ? Doit-on comprendre que si les conditions avaient été remplies il aurait laissé construire un aéroport « qui ne répond plus aux objectifs actuels » ?

 

Il faut d’ailleurs noter que la déclaration du ministre pose un énorme problème. Si on suit Edouard Philippe dans l’idée que le projet d’aéroport « ne répons plus aux objectifs actuels », on aboutit à la conclusion que les processus démocratique qui d’une manière totalement cohérente à conclu à chaque fois à la nécessité de construire a abouti à la mauvaise décision, et que les opposants au projet ont eu raison de s’opposer y compris par des moyens illégaux puisque le processus légal aboutit à la mauvaise décision.

 

C’est là, à mon avis, que la décision du gouvernement construit un précédent dangereux. Si on laisse dire que les processus démocratiques aboutissent à la « mauvaise » décision et que seules les méthodes violentes permettent de redresser la balance et d’aboutir à la « bonne » conclusion, alors la démocratie est condamnée.  Parce que la démocratie repose sur le principe que la décision démocratique doit être respectée, non pas parce qu’elle est toujours correcte, mais parce qu’elle a moins de probabilité d’être incorrecte que les autres alternatives. Si l’on accrédite l’idée que chacun peut imposer sa vérité contre la décision démocratique par tous les moyens, on affaiblit décisivement nos institutions.

 

Le gouvernement l’a d’ailleurs bien compris. La preuve est qu’Edouard Philippe conclut son discours en expliquant que la décision dans cette affaire est « (…) une décision de raison et d’apaisement dans un contexte local tendu. Une décision exceptionnelle pour une situation locale exceptionnelle ». Le problème est qu’on voit mal en quoi la situation dans cette affaire serait « exceptionnelle », en quoi le raisonnement qui vaut aujourd’hui pour Notre Dame des Landes ne vaudra pas demain pour le centre de stockage de déchets nucléaires de Bure, pour la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, pour le canal Seine-Nord ou pour n’importe quelle autre infrastructure. Il suffira que le contexte local soit « tendu » pour que la jurisprudence Notre Dame des Landes s’applique.

 

Dans le contexte actuel, ceci condamne pratiquement tout projet d’une certaine importance. Parce que tout projet, même le plus inoffensif, peut aujourd’hui servir de point focal à des groupuscules qui se cherchent une cause dans une population où la tendance à croire n’importe quelle théorie complotiste est en hausse (2). Et une fois le contexte « tendu », il faudra bien que l’autorité politique cède, « constatant » que « les conditions ne sont pas remplies »…

 

Mais tout ça, ce n’est que rideau de fumée. Pour comprendre la véritable logique de la décision gouvernementale, il faut penser non pas à ce qui se passera dans dix ans, mais à ce qui passera au journal de TF1 ce soir. Le gouvernement n’a pas abandonné le projet d’aéroport parce qu’il pense que c’est un mauvais projet, mais parce qu’il a la trouille. Cette bonne vieille trouille qui conduit à toutes les capitulations. La trouille d’un nouveau Malik Oussekin 500 Internal Server Error

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