Ce pays qu’ils ne comprennent pas…

Certains commentateurs ont vu dans l’incendie de Notre-Dame de Paris une métaphore de la situation politique. Ce n’est d’ailleurs pas la première métaphore incendiaire : on se souvient de Jacques Chirac et son « la maison brûle et nous regardons ailleurs ». Et il est vrai que notre système politique et institutionnel est à peu près dans l’état de la cathédrale : le toit qu’étaient les organisations politiques et syndicales, laissant derrière une structure fragilisée et ouverte à tous les vents. Et comme pour Notre-Dame, des « architectes » plus ou moins irresponsables proposent des solutions de restauration « modernes » sans tenir compte de la cohérence de l’édifice.

Nous savions que Macron avait été élu par accident. Des années « d’alternance » où les différents partis politiques qui se sont succédé au pouvoir – et tous y sont passés, avec l’exception du Front National – ont fait exactement les mêmes politiques, par conviction ou pour faire plaisir au « bloc dominant » dont elles sont issues ont profondément dégradé le système politique. Non seulement les politiciens ont été dispensés de réfléchir à autre chose que la communication – les affaires de fond étant réglées à Bruxelles – mais surtout ils pouvaient se permettre de ne pas tenir compte du peuple, puisqu’une petite cure d’opposition suffirait pour garantir leur retour à l’élection suivante. Ce fonctionnement a transformé les partis politiques en écuries électorales, et formé une génération de politiques qui ne sont que des petits ambitieux, sans vision, sans projet, qui vont là où le vent les porte : ministre de droite aujourd’hui, dirigeant d’un parti de gauche demain, député écologiste le surlendemain.

Le système était vermoulu, il suffisait d’un petit coup de pied pour qu’il s’effondre. C’est ce qu’ont compris les égo-politiciens, Macron et Mélenchon. Et il ne faut pas s’étonner que tous deux viennent formellement de la « gauche ». C’est logique : la « droite » a toujours été le parti du pouvoir, et c’est sur la « gauche » que le peuple a toujours compté pour porter ses idées et ses intérêts contre le pouvoir. Du jour où la « gauche » s’est mise à fonctionner comme une « droite-bis », le rideau de l’illusion a été déchiré et les gens ont compris qu’il n’y avait plus rien à tirer du système politique. Et si Sarkozy a réussi à maintenir un certain temps la fiction d’une politique « populaire » avec un discours populiste, la traduction de ce discours dans les faits a été trop brouillonne et incohérente pour que la fiction dure. Le désastreux quinquennat de François Hollande n’a fait qu’illustrer le vide abyssal de la réflexion politique, réduite à une simple question de communication.

Macron et Mélenchon ont donné un coup de pied, et l’édifice s’est effondré. L’un d’eux a récupéré tout ce qui va du centre gauche à la droite modérée, l’autre la plus grande partie de l’électorat de la gauche radicale. Le problème est que tous deux sont les enfants distingués du système qui les a produits, c’est-à-dire, du hollando-mitterrandisme. Maîtres es-communication, ils sont incapables – et indifférents – à l’idée d’une construction dans la durée. L’idéologie pour eux n’est pas un instrument d’élaboration, mais un instrument de communication. Et c’est pourquoi plutôt que de se référer à un corpus cohérent, ils se construisent par emprunts à droite et à gauche en fonction des besoins du moment. Chez Macron, cela va du libéralisme extrême des libertariens à une pensée organiciste qui fait penser à Maurras ou Maritain. Chez Mélenchon, on va d’un marxisme classique jusqu’au postmodernisme d’un Laclau.

Mais les élections de 2017 sont passées. Deux ans après l’incendie de la toiture de notre système politique, aucun effort de reconstruction ou de mise en sécurité de l’édifice ne semble être à l’ordre du jour, au contraire. Le « nouveau monde » – qu’il soit libéral ou insoumis – ressemble drôlement à l’ancien, en pire. Depuis que le pompier pyromane Benalla a joué avec les allumettes un 1er mai de 2018, le marques de défiance envers le gouvernement en particulier et le système politique en général se multiplient sans que le gouvernement trouve un moyen de rétablir son autorité et sa capacité à gouverner.

L’exemple le plus étonnant de cette paralysie est la conférence de presse du président de la République du jeudi 25 avril qui était censée clôturer la séquence politique ouverte le 15 janvier avec le début du « Grand débat ». Le chef de l’Etat – qui a beaucoup écouté nous disent ses thuriféraires et beaucoup parlé nous disent les statistiques – allait tirer les conclusions de cet exercice inédit de brainstorming national et dégager des centaines de milliers de contributions de toute sorte une « vision » capable de réconcilier les Français et la politique ou, plus banalement, avec son gouvernement. Après avoir écouté la prestation du chef de l’Etat, on était saisi d’une foule d’interrogations, qu’on peut résumer en une seule question lancinante : tout ça pour ça ? Des millions d’euros dépensés, la paralysie quasi-totale des institutions pendant des mois, des milliers d’heures gâchés par les français de toute condition à écrire des contributions que personne ne lira, à participer à des réunions dont les comptes rendus finiront aux archives, et tout ça pour que le président parle de lui pendant deux heures et conclue qu’il n’y a rien à changer dans la philosophie de son quinquennat ou dans sa manière d’exercer le pouvoir ? Pour qu’il nous explique avec ce ton de commisération qu’on adopte habituellement lorsqu’on s’adresse aux faibles d’esprit que nous n’avons rien compris, que nous sommes trop impatiens, que les mesures qui reviennent le plus dans les contributions au Grand débat – le RIC, le rétablissement de l’ISF – sont déraisonnables et qu’il a décidé de les ignorer ?

Que le mal nommé Grand débat n’allait servir à rien – sauf à gagner du temps – était une évidence dès le départ. Loin d’être un « débat » – qui suppose l’échange d’arguments et de contre-arguments – il s’agissait d’un exercice scolaire du type « écrivez votre liste au père noël ». Qu’est-ce qu’un exercice de ce type pouvait bien nous apprendre ? Même si les partis politiques et les élus de terrain étaient incapables de faire remonter l’état d’esprit des électeurs, nos gouvernants n’ont-ils suffisamment d’instruments statistiques pour étudier l’opinion, pour savoir ce que les gens demanderaient à l’homme au bonnet rouge sans avoir besoin de tout ce tintouin ?

Ceux qui parlent du Grand débat comme d’un exercice démocratique sont soit des cyniques, soit des naïfs. Laissons de côté les premiers, et pensons aux seconds, bien plus nombreux qu’on ne le croit. Ceux-ci sacrifient à une mythologie tenace dans ce pays, celui d’imaginer qu’en mettant beaucoup de gens dans une salle et en leur demandant leur avis on fera surgir par on ne sait quelle magie des idées brillantes, qui ne seraient jamais venues toutes seules aux géniaux ingénieurs, aux urbains urbanistes et aux pensifs penseurs qui nous gouvernent. Que madame Michu, dans un éclair de génie, pourrait proposer la martingale qui permettrait à la fois de faire baisser les impôts, réduire le déficit et étendre les services publics. Ceux qui ont participé à ce genre de « débat » – et croyez-moi, j’en suis un vieux routier – savent que l’exercice n’a d’autre intérêt que cathartique, que les discours qui se succèdent sans se répondre exposent au mieux les griefs personnels des intervenants, au pire reflètent les préjugés et les idées propagées par les médias. Si à cela on ajoute que les participants à ce type de débats ne constituent même pas un échantillon représentatif de la population, puisque les « classes intermédiaires », qui ont l’habitude de participer et le temps pour le faire, sont largement surreprésentées…

En fait, nous ne savons rien après le Grand débat que nous ne sussions avant qu’il ne commence. Pas la peine de regarder les entrailles des oiseaux ou d’organiser des Grands débats pour savoir que la taxe carbone ou la baisse à 80 km/h des vitesses limitées sur route passaient mal. Il suffisait de lire les rapports des préfets qui connaissent souvent mieux le terrain que les politiques et qui ont abondamment tiré les sonnettes d’alarme. Il est d’ailleurs amusant que ce soient les hauts-fonctionnaires, souvent énarques, dont on prétend à tout bout de champ qu’ils sont « coupés des réalités » qui aient été les premiers fait remonter le mécontentement alors que les élus et les personnalités « issus de la société civile » dont on nous vante au contraire l’implantation dans le réel se soient faits surprendre… On sait depuis des années que la France est coupée en deux, entre ceux qui profitent de la « mondialisation » et des politiques de l’UE, et ceux qui en sont les victimes, entre une France insérée et une France marginalisée. Il y a eu les travaux de Todd, de Le Bras, de Guilluy. Seulement voilà, nous avons une classe politico-médiatique qui méprise profondément les travaux académiques – sauf quand elle peut les utiliser pour appuyer ses préjugés. Ils méprisent tout autant les avertissements de l’administration – vécues au mieux comme manifestations de frilosité, au pire comme de l’obstruction – ou celles des militants, qui après tout sont là pour payer leur cotisation, coller les affiches et se taire. La logique de l’alternance a d’ailleurs éliminé toute pensée à long terme : plutôt que de résoudre les problèmes – ce dont profitera votre successeur qui a toutes chances d’être du camp adverse – on prend des mesures d’attente en priant pour que la cocotte n’explose pas pendant votre mandat.

Et le pire est que tout ce beau monde n’a rien appris de ses erreurs. Que de soit dans la majorité ou dans l’opposition, d’ailleurs. On se demande ce qui est pire, les bisbilles picrocholines autour de “l’unité d’une gauche” qui semble être toujours aussi peu intéressée de comprendre ce qui lui est arrivé, ou le discours d’Emmanuel Macron incapable d’apprendre, de tirer les conclusions d’une erreur, d’abandonner une idée qui ne fonctionne pas. C’est peut-être sa réponse sur l’affaire Benalla qui met le mieux en évidence ce travers. Encore aujourd’hui, il déclare n’avoir aucun regret d’avoir nommé Benalla à l’Elysée, au motif que « c’était la chose à faire à l’époque ». Comme s’il lui était impossible de réexaminer le passé à la lumière du présent, de comprendre que la méthode de recrutement suivie à l’époque, même si elle pouvait paraître la bonne, était viciée à la base et ne pouvait que conduire tôt ou tard à la catastrophe.

Le gouvernement aujourd’hui donne l’impression de ne pas connaître le pays qu’il est censé gouverner, d’être incapable d’interpréter les messages qu’il transmet, et n’avoir d’autre réflexion que celle du « on continue ». Et les moulinets de Macron ou sa fausse contrition n’y changeront rien. Son « recadrage » des ministres cette semaine était doublement ridicule. Il était ridicule parce que Macron semble reprocher à ses ministres le style décontracté qu’il a lui-même du temps de sa splendeur imposé et dont il a fait une marque de fabrique. Mais il était ridicule surtout dans la formule fuitée dans la presse : « J’ai dit que rien ne serait plus comme avant donc je veux que rien ne soit plus comme avant ». Au-delà du « je » omniprésent, cette formule contraste curieusement avec son exposé à la conférence de presse, où il avait indiqué au contraire que tout ou presque dans la politique gouvernementale resterait inchangé.

La seule chose qui permet à Macron et les siens de survivre politiquement, c’est l’absence d’une opposition qui puisse représenter une alternative. Ou plus généralement, d’un système politique capable de produire une alternative. Le mouvement des « Gilets jaunes » au sens large est de ce point de vue révélateur de tout ce qui dysfonctionne dans ce système. Six mois après le début du mouvement, nous ne disposons – que ce soit à droite ou à gauche – d’une analyse du mouvement qui ne soit pas une tentative, généralement fort grossière, d’annexer le mouvement en faisant de lui la démonstration des « marottes » de chacun. De Wauquiez qui veut en faire une révolte antifiscale, à Mélenchon qui en fait les prémisses de la « révolution citoyenne », tout le monde plaque sur le mouvement ses revendications, quelque chose d’autant plus facile qu’il s’agit d’un mouvement qui exprime un rejet sans pour autant proposer une alternative.

Qu’un mouvement qui mobilise finalement en fin de comptes assez peu de monde – avec quelque 30.000 manifestants les samedis, on est loin des mobilisations syndicales contre la loi El Khomri ou la réforme des retraites – puisse mettre le gouvernement en suspension et l’obliger à lâcher plusieurs dizaines de milliards d’euros (on en est à 27 milliards d’annonces…) donne une idée de la faiblesse politique du gouvernement. Un gouvernement faible mais qui survit simplement parce qu’il n’y a personne pour lui disputer la place au nom d’une alternative crédible. Le problème est que la conscience de cette faiblesse est arrivée tardivement, si tant est qu’elle soit une réalité. La puissance de nos institutions a en effet occulté à nos gouvernants la précarité de leur position, leur a donné l’illusion qu’ils pouvaient passer en force et sans écouter personne. Ils n’ont pas compris le subtil équilibre établi en France entre une Constitution qui semble instaurer une « dictature élective » et un peuple politisé et réactif qui agit comme contrepouvoir même si ce rôle est non-écrit. C’est cette dialectique qui explique pourquoi « le coup d’Etat permanent » n’a pas eu lieu, pourquoi la constitution dénoncée comme dictatoriale a fonctionné démocratiquement. Mais cela suppose que le gouvernement limite lui-même ses pouvoirs, qu’il donne sa place aux corps intermédiaires, partis et syndicats, qui organisaient ce « peuple réactif », négociaient en leur nom et pouvaient assurer la mise en œuvre des accords conclus. Séduits par une lecture littérale, les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ont oublié cette réalité, ils se sont réjouis de l’affaiblissement des corps intermédiaires quand ils n’ont pas contribué à les affaiblir eux-mêmes. Mais à force d’affaiblir le directeur du cirque, le gouvernement se trouve tout seul devant les lions, avec qui il est toujours plus compliqué de négocier.

La situation est tellement désastreuse que même le vieil argument « moi ou le chaos » ne marche plus. Dans le passé, la violence dans la rue assurait au gouvernement un retour d’une opinion qui craignait le chaos – prélude à la guerre civile – plus que tout. Ce n’est plus le cas : l’opinion, et notamment dans les couches populaires, semble au contraire s’accommoder d’un niveau de violence largement supérieur à celui accepté par le passé sans retirer sa sympathie au mouvement social. De nombreux syndicalistes regrettent publiquement l’action violente des « black blocs » et autres groupuscules, mais sotto voce ils soulignent que c’est essentiellement grâce à eux que des concessions ont été obtenues. L’expérience de ces dernières années conduit en effet à une conclusion dangereuse : pour se faire entendre aujourd’hui par le « bloc dominant » et peser sur la politique gouvernementale, la violence est le seul instrument efficace. Il faut dire que le gouvernement a donné dans cette affaire tous les mauvais signaux : tout ce qu’il a refusé aux syndicats lorsqu’ils ont manifesté bien sagement, aux « Gilets jaunes » lorsqu’ils ont occupé paisiblement les ronds-points, il l’a accordé après les violences qui ont abouti au saccage de l’Arc de Triomphe. Aujourd’hui – et les singeries de Castaner le montrent mieux que n’importe quelle analyse – le gouvernement n’a peur ni du Parlement, ni des électeurs, ni des syndicats. Il n’y a qu’une chose pour lui faire peur : la violence. Et c’est pour cette raison qu’une partie importante de notre peuple, et surtout des couches populaires, est prête à la tolérer.

Comment on sort de cette situation ? Très difficile à dire. Sans leader crédible, sans projet alternatif, on voit mal comment pourrait surgir un pôle d’opposition capable de disputer le pouvoir et de provoquer des élections législatives ou présidentielles anticipées. Le plus probable et donc qu’on traîne cette situation pendant les années qui viennent, avec une rue exaspérée et de plus en plus violente et un gouvernement paralysé de peur de provoquer une explosion. Une réédition de la période Juppé de 1995 à 1997. Un immobilisme qui favorisera les solutions molles et l’attentisme, y compris sur des sujets qui nécessitent des décisions urgentes, comme la politique industrielle ou celle des infrastructures. Avec le risque non négligeable de recommencer en 2022 à choisir entre « raisonnables » et « populistes ».

Descartes

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

197 réponses à Ce pays qu’ils ne comprennent pas…

  1. … et vous ne choisirez pas les “populistes” alors que c’est avec les corps intermédiaires, l’administration , qu’ils seraient obligés de négocier et donc de lisser leurs décisions.

    • Descartes dit :

      @ Gérard Couvert

      [… et vous ne choisirez pas les “populistes”]

      Je ne sais pas à qui vous vous adressez. Personnellement, je ne pense pas qu’une victoire des “populistes” serait une catastrophe – du moins pas plus que la victoire d’un Macron.

  2. Luc dit :

    Un texte de très bonne facture,merci Descartes,une fois encore,votre blog participé à notre bonheur en ce monde si rude..
    Oui,notre gouvernement n’aime pas notre peuple parce qu’il ne le connait pas.. Philippe fera un bon maire de Paris car Paris a perdu son côté populaire.
    Le populisme de Macron,jouant l’expert,le jupitérien,s’est déchiré.
    Ce sont des voyous qui nous gouvernent,ceux que vous êtes obligés,comme animateur au brio maintes fois démontrés, d’appeler des égo politiciens.
    Seules les institutions et la qualité de nos fonctionnaires permet à ces gens de rester au pouvoir alors que les conflits se maximalisent.
    L’arrivée des élections européennes,devrait calmer les choses.
    Cela ne montre t il pas que les réseaux macronistes ont de l’expérience ?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Oui, notre gouvernement n’aime pas notre peuple parce qu’il ne le connait pas…]

      C’est là une grande partie du problème. Il faut remonter très loin dans notre histoire – peut-être même à l’Ancien régime – pour retrouver un tel niveau de séparation sociale, culturelle, économique, géographique et même physique entre les différents groupes sociaux. Et cela pose moins la question de « l’amour » que celle de l’incompréhension. Ce que nous voyons depuis maintenant plus de six mois, c’est un gouvernement qui ne semble pas très bien comprendre ce qui lui arrive.

      [Le populisme de Macron, jouant l’expert, le jupitérien, s’est déchiré.]

      Macron avait eu une intuition juste à mon sens lorsqu’il avait parlé de « présidence jupitérienne ». Ce n’était ni plus ni moins qu’un retour à l’esprit originel de nos institutions : un président qui voit loin, qui oriente et arbitre, un gouvernement qui gère les affaires et la mise en œuvre. Le problème est que n’est pas Jupiter qui veut. D’abord, parce que la République a changé : avec le quinquennat, l’horizon du mandat ramène impitoyablement le président vers le quotidien. Mais le problème le plus sérieux est que Macron est un homme seul. De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac et même Sarkozy pouvaient compter sur des amis fidèles prêts à se faire couper en tranches pour eux, ayant une dimension intellectuelle et une expérience politique, et sur une structure partisane capable de former des cadres et de regrouper les militants. Le président pouvait s’occuper des grandes affaires en faisant confiance à son gouvernement pour se charger des petites. Et si un ministre n’était pas à la hauteur, on le vire et on met un autre. Imagine-t-on De Gaulle, Pompidou ou Mitterrand « recadrant » leur gouvernement avec des moulinets ?

      Macron est virtuellement un président de cohabitation, avec un Premier ministre qui n’est ni un homme de confiance, ni un camarade de parti. Il préside un gouvernement dont la moitié a passé une partie de sa vie à combattre l’autre moitié. Comment pourrait-il se retirer dans son Olympe pour réfléchir aux grandes questions en faisant confiance au gouvernement pour gérer les affaires ? Et cela sans compter avec la compulsion moderne à communiquer, communiquer, communiquer sans fin. Jupiter ne communique pas. Un dieu qui descend trop souvent parmi les hommes perd son aura.

      [Ce sont des voyous qui nous gouvernent ceux que vous êtes obligés, comme animateur au brio maintes fois démontrés, d’appeler des égo politiciens.]

      Des « voyous » ? Je dirais plutôt des professionnels. Et dans le terme « professionnel » il y a toujours un élément d’opportunisme. Vous viendrait-il à l’idée de reprocher au directeur-adjoint du marketing de l’entreprise X d’aller prendre un poste de directeur du marketing chez l’un de ses concurrents ? Bien sûr que non. D’un professionnel, on attend qu’il fasse le boulot pour lequel il est payé, et on trouve normal qu’il aille le faire ailleurs si la paye ou la carrière est meilleure. On ne lui demande pas de fidélité personnelle à l’institution qui l’emploie ou un attachement à ses intérêts. Ceux qui nous gouvernent sont des professionnels : quand la droite employait Le Maire, c’était un ministre de droite. Maintenant c’est Macron qui le paye, et il est devenu macroniste. Demain, on lui proposera peut-être une promotion brillante chez un gouvernement de gauche, et il la prendra avec enthousiasme. Fini le temps des attachements idéologiques, des « traversées du désert »…

      [Seules les institutions et la qualité de nos fonctionnaires permet à ces gens de rester au pouvoir alors que les conflits se maximalisent.]

      Il est clair que sans la légitimité institutionnelle et la loyauté de l’administration, ils seraient depuis longtemps partis.

      [L’arrivée des élections européennes devrait calmer les choses. Cela ne montre-t-il pas que les réseaux macronistes ont de l’expérience ?]

      On voit mal en quoi les élections européennes « calmeraient les choses ». S’il fallait choisir un mot pour qualifier l’attitude des français envers ces élections, ce serait « indifférence ». Si elles agitent le Landerneau politico-médiatique, je peux vous assurer que sur les marchés et dans les usines tout le monde s’en fout. Personne – en dehors des politicards placés en position éligible sur les différentes listes – n’en attend rien. Et cela malgré la campagne médiatique qui nous explique que selon que le RN arrive devant ou derrière LREM la face du monde changerait, ce qui est clairement une absurdité : en quoi le gouvernement Macron deviendrait par magie légitime parce que la liste qu’il soutient ferait 22% plutôt que 21% ?

      • Ovni de Mars dit :

        Peut-être que Macron craint que LREM ne passe derrière les Républicains aux élections. Le risque est faible mais la dynamique électorale si elle n’est pas modifiée va, pour moi, dans le sens d’un basculement d’électeurs de droite de Macron vers les Républicains. Jouer la “droite des valeurs” avec Bellamy est plutôt habile – même si on se doute bien que c’est du vent – car il aurait été plus difficile de contrer Macron sur l’économie. Si de surcroit, Loiseau continue sa non-campagne et que Macron n’arrive pas à donner assez de gages aux partisans du parti de l’ordre vis-à-vis des gilets jaunes …

        Que LREM ne devienne le 3ème mouvement politique serait tout de même désastreux pour Macron. Sa légitimité de faible passerait à quasi-inexistante. La droite redeviendrait sûre d’elle-même surtout par rapport au RN et à d’éventuelles négociations

        • Descartes dit :

          @ Ovni de Mars

          [Peut-être que Macron craint que LREM ne passe derrière les Républicains aux élections. Le risque est faible mais la dynamique électorale si elle n’est pas modifiée va, pour moi, dans le sens d’un basculement d’électeurs de droite de Macron vers les Républicains.]

          Le risque est quand même faible. Mais il est vrai que symboliquement ce serait une baffe pour le président de la République et pour l’ensemble des dirigeants de LREM. Dès lors qu’un parti d’opposition passe devant celui de la majorité, la question de la légitimité est posée.

          [Jouer la “droite des valeurs” avec Bellamy est plutôt habile – même si on se doute bien que c’est du vent – car il aurait été plus difficile de contrer Macron sur l’économie.]

          Effectivement. C’est un peu ce que je disais dans mon papier : dès lors qu’il n’y a pas de véritable différence sur les sujets de fond comme l’économie ou le social – et il ne peut y avoir des différences dans la mesure ou tout ce beau monde sert les intérêts des classes intermédiaires – le seul élément de différenciation, comme disent les experts marketing, c’est le sociétal.

      • Vincent dit :

        > Un dieu qui descend trop souvent parmi les hommes perd son aura.

        Pour le dire autrement : “L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement” (Charles de Gaulle)

        • Claustaire dit :

          [Un dieu qui descend trop souvent parmi les hommes perd son aura]

          Une des principales erreurs (tactiques, médiatiques) de Macron aura effectivement été d’avoir cru utile de prendre des bains de foule et de parler en direct (pour, dans l’improvisation, dire des conneries… et révéler son fond d’inhumanité) aux gens, devant micros et caméras qui ne manquent plus nulle part. Et ensuite les réseaux ont pu faire mousser et faker cela à leur guise.

          • Descartes dit :

            @ Claustaire

            [Une des principales erreurs (tactiques, médiatiques) de Macron aura effectivement été d’avoir cru utile de prendre des bains de foule et de parler en direct (pour, dans l’improvisation, dire des conneries… et révéler son fond d’inhumanité) aux gens,]

            Le paradoxe, c’est qu’il avait eu au départ la bonne intuition: il avait perçu combien la banalisation de la fonction par le “président normal” à travers une excessive familiarité avait eu des résultats désastreux. Pourtant, il n’a pas pu se retenir. C’est un peu le problème de notre système politico-médiatique: il fonctionne de plus en plus en termes affectifs. Nos leaders ont besoin d’être aimés. Il paraît même que Macron a été très affecté, le pauvre chou, en apprenant qu’il avait été guillotiné en effigie…. Quel politique reprendrait aujourd’hui la devise des princes italiens “qu’ils me détestent, pourvu qu’ils me craignent” ?

  3. Jopari dit :

    Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion de lire Présidentielles, de la monarchie tempérée de Pierre Seince, publié en 1988 avant les élections présidentielles.

    La thèse de l’auteur était que le Président avait acquis plus de pouvoir que prévu par la Constitution de 1958 et s’était associé à un parti en particulier au lieu de demeurer au-dessus de la mêlée et de se présenter comme celui prêt à gouverner avec tous les partis en tant que président de tous les Français, se contentant de fixer les grandes orientations et de rappeler à tous que les intérêts du pays passent avant les querelles partisanes. L’auteur décrit une bureaucratie dépendent de plus en plus des conseillers de l’Élysée, court-circuitant les ministres qui ne sont plus menacés d’une motion de censure des Chambres et, partant, inspirent moins de peur à leurs administrations.

    Pour Seince, l’une des conséquences ce cet état de fait est que les députés se définissent par rapport au président et non plus à leurs électeurs (Seince cite le cas, entre autres, d’un député ayant provoqué une élection partielle pour protester contre la politique algérienne de De Gaulle et qu’il a perdu), réduisant d’autant leur capacité à répercuter en haut les attentes du bas ainsi que, plus généralement, l’isolement relatif du Président par rapport au bas.

    Cet affaiblissement du Parlement se traduit, entre autres, par une tolérance accrue pour la violence et par l’illégalité comme moyen de se faire entendre, thèses présentées aux chapitres “L’opposition de la rue ” et “La responsabilité des partis”.

    Même si l’on peut reprocher à Seince une certaine nostalgie pour la IVe République (un chapitre est même nommé “De l’utilité des crises ministérielles “!) et même si on n’est pas obligé d’être d’accord avec certaines des solutions qu’il propose, on ne peut que constater que, dans les grandes lignes, certains des problèmes qu’il dénonce sont toujours d’actualité, voire même que le quinquennat ait renforcé le lien entre le Président et les députés qu’il aide à faire élire, culminant dans les “égo-candidats” qui se font élire sur leur image.

    Ce livre est disponible sur Gallica.

    • Descartes dit :

      @ Jopari

      [La thèse de l’auteur était que le Président avait acquis plus de pouvoir que prévu par la Constitution de 1958 et s’était associé à un parti en particulier au lieu de demeurer au-dessus de la mêlée et de se présenter comme celui prêt à gouverner avec tous les partis en tant que président de tous les Français, se contentant de fixer les grandes orientations et de rappeler à tous que les intérêts du pays passent avant les querelles partisanes.]

      En fait, dans le texte de Seince on retrouve le mythe unanimiste d’un régime politique débarrassé des divisions – décrites avec mépris comme des « querelles partisanes » – entre les partis ; l’illusion que si seulement on laissant de côté les ambitions et l’esprit de chapelle, les Français arriveraient à se mettre d’accord sur une politique qui serait profitable à tous. Un raisonnement qui aboutit rapidement à l’idée de parti unique…

      Je pense qu’il y a dans cette lecture de la Constitution de 1958 une erreur fondamentale. De Gaulle n’a jamais voulu un président qui soit purement « symbolique », qui se contente d’inaugurer les chrysanthèmes. Dès lors que le président « fixe les grandes orientations », il fait des choix. Et ces choix seront portés par certains partis, rejetés par d’autres. Est-il concevable de « gouverner » avec les partis qui ont rejeté les « grandes orientations » fixées par le président ? Non, bien sûr que non. La diarchie voulue par De Gaulle ne fait pas du président un eunuque politique. Elle sépare simplement le permanent du temporaire, le long terme du court terme. Le président, protégé par son statut, peut prendre de la hauteur et même dire « merde » au Parti qui l’a porté au pouvoir. Mais il n’est pas, et il ne peut pas être, neutre.

      [L’auteur décrit une bureaucratie dépendent de plus en plus des conseillers de l’Élysée, court-circuitant les ministres qui ne sont plus menacés d’une motion de censure des Chambres et, partant, inspirent moins de peur à leurs administrations.]

      Là, j’ai du mal à comprendre. Un ministre soumis à l’instabilité permanente ferait-il plus « peur » à son administration qu’un ministre assuré d’une stabilité sur le temps long ?

      [Pour Seince, l’une des conséquences ce cet état de fait est que les députés se définissent par rapport au président et non plus à leurs électeurs (Seince cite le cas, entre autres, d’un député ayant provoqué une élection partielle pour protester contre la politique algérienne de De Gaulle et qu’il a perdu), réduisant d’autant leur capacité à répercuter en haut les attentes du bas ainsi que, plus généralement, l’isolement relatif du Président par rapport au bas.]

      Là encore, je saisis mal le raisonnement. Il y a toujours eu dans notre beau pays deux types de députés : les « notables », qui étaient élus sur leur nom, et les « apparatchiks », dont l’élection dépendait du soutien d’un parti ayant un électorat discipliné. Les premiers étaient d’abord dépendants de leurs électeurs, les autres des autorités de leur parti. On voit mal en quoi le passage de la IVème à la Vème république a changé quelque chose.

      [Cet affaiblissement du Parlement se traduit, entre autres, par une tolérance accrue pour la violence et par l’illégalité comme moyen de se faire entendre, thèses présentées aux chapitres “L’opposition de la rue ” et “La responsabilité des partis”.]

      Sauf que sa conclusion n’est pas supportée par les faits. La violence et l’illégalité comme moyen de se faire entendre étaient bien plus répandues sous la IIIème et la IVème Républiques, alors que le Parlement état quasi-souverain. La violence devient acceptable pour un groupe social lorsque celui-ci s’aperçoit que le système politique « légal » ne reflète pas le rapport de forces réel, et que le recours à la violence lui permettrait donc d’obtenir un meilleur résultat. Et cela indépendamment des institutions.

      En fait, le rêve de Seince… c’est le gouvernement Macron. Un président qui « (n’étant plus) impliqué dans la mêlée politicienne peut faire naître, occasionnellement, la combinaison la plus apte à régler le problème du moment. Ces majorités « à géométrie variable » assurent l’unité nationale, elles permettent de faire participer au pouvoir les hommes auxquels les courants de pensée s’identifient, sans qu’une dérive idéologique soit possible, car le pouvoir est la seule école de réalisme ».

      [on ne peut que constater que, dans les grandes lignes, certains des problèmes qu’il dénonce sont toujours d’actualité,]

      Les « problèmes » en question sont éternels : comment on fait, alors que les intérêts dans la société sont divers et souvent antagoniques, pour dégager un « intérêt général » ? Ce qu’on pourrait reprocher à Seince, c’est de croire que cette diversité est artificielle et peut être effacée d’un coup de baguette magique, pour peu qu’on renonce aux « querelles partisanes »…

      [voire même que le quinquennat ait renforcé le lien entre le Président et les députés qu’il aide à faire élire, culminant dans les “égo-candidats” qui se font élire sur leur image.]

      Je ne crois pas que les deux soient liés. Si les égo-candidats prospèrent, c’est qu’il est difficile aujourd’hui à des candidats de se distinguer autrement que par leur « égo ». Ces trente dernières années ont largement montré qu’ils font tous les mêmes promesses, et qu’arrivés au pouvoir ils font tous les mêmes politiques…

      • F68.10 dit :

        “Il y a toujours eu dans notre beau pays deux types de députés : les « notables », qui étaient élus sur leur nom, et les « apparatchiks », dont l’élection dépendait du soutien d’un parti ayant un électorat discipliné.”

        Oui, et c’est à nous, Français de base, de commencer à valoriser publiquement des gens qui pensent un peu correctement et sont plus indépendants intellectuellement que les “notables” et les “apparatchiks”. Si on se satisfait des réseaux de pouvoirs comme instruments de légitimation, on n’aura que ce qu’on mérite.

        • Descartes dit :

          @ F68.10

          [« Il y a toujours eu dans notre beau pays deux types de députés : les « notables », qui étaient élus sur leur nom, et les « apparatchiks », dont l’élection dépendait du soutien d’un parti ayant un électorat discipliné. » Oui, et c’est à nous, Français de base, de commencer à valoriser publiquement des gens qui pensent un peu correctement et sont plus indépendants intellectuellement que les “notables” et les “apparatchiks”.]

          Je ne suis pas totalement persuadé. En fait, dans ma bouche les termes « notable » et « apparatchik » ne sont pas forcément péjoratifs. Je sais bien que notre vision de la démocratie repose sur la vision idéale de représentants totalement désintéressés, ne poursuivant que l’intérêt public. Mais soyons réalistes : être conseiller municipal, conseiller général, maire d’une petite commune, député ou sénateur, c’est un effort considérable. Cela implique faire des sacrifices sur son temps libre, sur sa vie de famille, sur sa vie professionnelle. Pourquoi le ferait-on s’il n’y a aucune compensation matérielle ou symbolique ? Si cet effort n’entraîne pas le respect de vos concitoyens, s’il ne fait pas de vous un « notable », si votre parole ne pèse pas plus que celle de n’importe qui, alors à quoi bon ? Sauf à croire que dieu vous le rendra dans l’au-delà, pourquoi feriez-vous cet effort ?

          On ne peut pas construire un système politique sur des moines-soldats. Il y en a, certainement, mais ils sont toujours une minorité. C’est pourquoi l’apparatchik ou le notable sont des figures nécessaires de tout système politique. Le premier tire sa légitimité du dévouement au Parti, le second de son dévouement aux gens.

          • F68.10 dit :

            Je suis entièrement d’accord avec vous. Mais ayant fait un tour du côté de la Suisse, j’ai y quand même trouvé un système politique avec des notables, certes, mais: 1. plus proche du peuple 2. plus ancré dans les structures universitaires 3. dans des considérations pragmatiques et délibératives assez nuancées 4. très loin des grands moulinets verbaux d’un Emmanuel Valls par exemple.

            Et il ne s’agit pas de moines soldats. Mais de gens que vous croisez relativement souvent dans la rue. J’ai croisé pas mal de personnalités politiques dans la rue en Suisse et je leur ai tapé la discute. Plusieurs conseillers fédéraux, d’ailleurs. Cela ne m’est jamais arrivé en France.

            Attention, je dis pas que c’est un système parfait là-bas, hein…

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [Je suis entièrement d’accord avec vous. Mais ayant fait un tour du côté de la Suisse, j’ai y quand même trouvé un système politique avec des notables, certes, mais: 1. plus proche du peuple 2. plus ancré dans les structures universitaires 3. dans des considérations pragmatiques et délibératives assez nuancées 4. très loin des grands moulinets verbaux d’un Emmanuel Valls par exemple.]

              On rentre là dans une question passionnante, qui est celle du projet national dont le système politique est l’instrument. Le système politique d’une nation qui considère que la finalité de la politique est d’enrichir les citoyens et de leur permettre de jouir de la vie aussi paisiblement que possible est-il adapté à une nation qui considère que son but est de conquérir de nouveaux espaces – géographiques mais aussi intellectuels, scientifiques ou politiques – et de transmettre un message au monde ? Et de façon concomitante, les hommes qui font fonctionner le système politique en question ne reçoivent pas le même type de récompense pour leurs peines.

              [Et il ne s’agit pas de moines soldats. Mais de gens que vous croisez relativement souvent dans la rue. J’ai croisé pas mal de personnalités politiques dans la rue en Suisse et je leur ai tapé la discute. Plusieurs conseillers fédéraux, d’ailleurs. Cela ne m’est jamais arrivé en France.]

              Encore heureux ! Franchement, je ne trouve pas que ce soit le rôle des ministres (l’équivalent des conseillers fédéraux) de « taper la discute » avec les gens dans la rue. Ce qu’on demande aux ministres, c’est de bosser leurs dossiers, de réfléchir, de discuter avec les experts, de porter des politiques. Discuter avec les citoyens dans la rue et faire remonter les problèmes c’est le boulot des représentants, députés, sénateurs, conseillers régionaux, départementaux, municipaux. Si un conseiller fédéral suisse a le temps de « taper la discute », cela veut dire qu’il n’a pas assez de travail !

              J’avoue que je ne suis pas un très grand partisan de la « proximité » dans l’exercice du pouvoir exécutif – proximité qui d’ailleurs est inséparable du système notabiliaire. Sans aller jusqu’à reprendre la formule anglaise « familiarity breeds contempt » (« la familiarité est le terreau du mépris »), je pense qu’il faut à celui qui détient le pouvoir un éloignement par rapport au citoyen qui lui permette de penser en termes d’intérêt général et non d’addition d’intérêts particuliers.

            • F68.10 dit :

              “Est-il adapté à une nation qui considère que son but est de conquérir de nouveaux espaces – géographiques mais aussi intellectuels, scientifiques ou politiques – et de transmettre un message au monde ?”

              Je rejette complètement les délires de grandiosité de la structure méta-politique française. On a effectivement une place à prendre dans le monde, mais franchement, on en fait trop. Sur le coup, j’ai été convaincu par le modèle suisse.

              “Encore heureux ! Franchement, je ne trouve pas que ce soit le rôle des ministres (l’équivalent des conseillers fédéraux) de « taper la discute » avec les gens dans la rue.”

              À voir. Intéressez vous à la “Bataille du Gripen” et à la façon dont les politiques sont contraints de s’impliquer dans le débat public.

              Le film est hilarant pour un français. Genre “vol au dessus d’un nid de coucou” version “politique suisse”, avec l’armée suisse qui finit par subir une lobotomie de la part du peuple à la fin. J’exagère, bien sûr.

              https://www.letemps.ch/suisse/bataille-gripen-chronique-dune-campagne-extraordinaire

              “Si un conseiller fédéral suisse a le temps de « taper la discute », cela veut dire qu’il n’a pas assez de travail !”

              J’ai plutôt croisé des ex-conseillers fédéraux que des conseillers fédéraux en exercice. Mais mon point reste valable.

              Ils bossent, rassurez-vous. Mais la façon avec laquelle ils sont contraints de verrouiller la communication politique officielle est assez hallucinant (et les empêche effectivement un peu de bosser). C’est compensé par la nécessité de pratiquer beaucoup de communication politique interpersonnelle ou via de multiples petits débats publics pour que les débats puissent avoir lieu. C’est plutôt cela, le problème.

              “Je pense qu’il faut à celui qui détient le pouvoir un éloignement par rapport au citoyen qui lui permette de penser en termes d’intérêt général et non d’addition d’intérêts particuliers.”

              Je pense que c’est un faux dilemme.

              Mais, bon, on a le droit de ne pas être d’accord…

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [Je rejette complètement les délires de grandiosité de la structure méta-politique française.]

              Parce que vous trouvez que notre structure méta-politique a des rêves de « grandiosité » ? J’ai franchement beaucoup de mal à voir la « grandiosité » chez Hollande ou Macron, pour être honnête.

              Sur le fond, je persiste et signe. Si les hommes s’étaient contentés de jouir de leur petit bonheur dans leur petit coin, nous n’aurions pas d’Homère, de Shakespeare, de Corneille. Pour que nous puissions lire les aventures d’Ulysse, de Macbeth ou des Horaces, il faut bien qu’il y ait des Ulysse, des Macbeth ou des Horaces pour de vrai, des gens avec des « délires de grandiosité ». Comment pouvez-vous aimer ces personnages de fiction et les « rejeter complètement » lorsqu’ils s’incarnent dans la réalité ?

              Ce sont les grandes choses, celles auxquelles nous participons mais aussi celles qui sont faites par d’autres, qui font que la vie mérité d’être vécue.

              [On a effectivement une place à prendre dans le monde, mais franchement, on en fait trop.]

              Moi je trouve qu’on ne fait pas assez.

              [“Encore heureux ! Franchement, je ne trouve pas que ce soit le rôle des ministres (l’équivalent des conseillers fédéraux) de « taper la discute » avec les gens dans la rue.” À voir. Intéressez vous à la “Bataille du Gripen” et à la façon dont les politiques sont contraints de s’impliquer dans le débat public.]

              J’avoue que je ne vois pas le rapport entre « s’impliquer dans le débat public » et « taper la discute dans la rue ». Bien entendu, un ministre peut et doit s’impliquer dans le débat public, et c’est d’ailleurs ce que font – jusqu’à l’excès, à mon avis – les ministres en France. Mais ce n’était pas de cela qu’on parlait. Vous, vous faisiez référence à vos rencontres dans la rue avec des « conseillers fédéraux » qui vous avaient permis de « taper la discute ».

              [Le film est hilarant pour un français. Genre “vol au dessus d’un nid de coucou” version “politique suisse”, avec l’armée suisse qui finit par subir une lobotomie de la part du peuple à la fin. J’exagère, bien sûr.]

              Je regarderai le film quand j’aurais un moment. Mais ce que je lis dans l’article ne me semble en rien particulièrement remarquable. Souvenez-vous du référendum local sur l’aéroport Notre-Dame des Landes. Où est la différence ?

              [“Si un conseiller fédéral suisse a le temps de « taper la discute », cela veut dire qu’il n’a pas assez de travail !” J’ai plutôt croisé des ex-conseillers fédéraux que des conseillers fédéraux en exercice. Mais mon point reste valable.]

              Pas vraiment. En France aussi vous pouvez sans trop de mal rencontrer des ex-ministres et « taper la discute » avec eux.

              [Ils bossent, rassurez-vous. Mais la façon avec laquelle ils sont contraints de verrouiller la communication politique officielle est assez hallucinant (et les empêche effectivement un peu de bosser). C’est compensé par la nécessité de pratiquer beaucoup de communication politique interpersonnelle ou via de multiples petits débats publics pour que les débats puissent avoir lieu. C’est plutôt cela, le problème.]

              Mais alors quelle est la différence avec la France, sauf pour la question de la taille ? Du point de vue de sa base électorale, un conseiller fédéral est l’équivalent d’un vice-président de conseil régional chez nous. Et franchement, si vous voulez voir un vice-président dans un « petit débat public », vous n’avez que l’embarras du choix…

              [“Je pense qu’il faut à celui qui détient le pouvoir un éloignement par rapport au citoyen qui lui permette de penser en termes d’intérêt général et non d’addition d’intérêts particuliers.”
              Je pense que c’est un faux dilemme. Mais, bon, on a le droit de ne pas être d’accord…]

              Oui, mais à condition d’expliquer pourquoi. Pourquoi serait-ce un « faux dilemme » ? Le dilemme est assez « vrai », puisque dans certains pays on a un modèle plutôt de proximité, et dans d’autres on favorise un certain éloignement…

            • F68.10 dit :

              “Parce que vous trouvez que notre structure méta-politique a des rêves de « grandiosité » ? J’ai franchement beaucoup de mal à voir la « grandiosité » chez Hollande ou Macron, pour être honnête.”

              Macron se prend tout de même pour Jupiter. Mais c’est plutôt le discours de la-Place-de-la-France-dans-le-Monde qui m’insupporte par son irréalisme.

              “Comment pouvez-vous aimer ces personnages de fiction et les « rejeter complètement » lorsqu’ils s’incarnent dans la réalité ?”

              Je pense que beaucoup de ces choses apparaissent par hasard, statistiquement, dans un contexte qui le permet et qu’il faut entretenir. C’est bien quand ça apparaît, mais en rien une Rupture avec la Loi de la Causalité Universelle.

              Et je préfère quand les gens font de grandes choses discrètement. “Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire” que je voyais tous les jours lors de mes études supérieures, ça m’a toujours chiffonné. Surtout “Patrie” et “Gloire”. “Sciences”, ça va encore.

              “Ce sont les grandes choses, celles auxquelles nous participons mais aussi celles qui sont faites par d’autres, qui font que la vie mérité d’être vécue.”

              Nietzschéen?

              “J’avoue que je ne vois pas le rapport entre « s’impliquer dans le débat public » et « taper la discute dans la rue ».”

              Vous m’en reparlerez quand vous aurez vu le film.

              “Mais alors quelle est la différence avec la France, sauf pour la question de la taille ?”

              Le contrôle de la communication est beaucoup plus précis et a pour but de ne pas faire de vagues. C’est tout l’inverse de la France. Les “ballons d’essais”, c’est pas vraiment une spécialité suisse.

              “Oui, mais à condition d’expliquer pourquoi. Pourquoi serait-ce un « faux dilemme » ?”

              Parce que le concept d’intérêt général est tellement décentralisé que même les électeurs sont forcés de penser en ces termes à force de voter continuellement. Ils votent tellement, que sur un sujet donné il votent selon un clivage, sur un autre ils voteront selon un autre clivage ou dans un autre sens. On n’est pas vraiment à gauche ou à droite, en Suisse. On est sur tout un échiquier de sensibilités, et voter seulement selon ses convictions personnelles, ça peut assez souvent se retourner contre soi.

              Les revendications catégorielles ou partisanes sont pas mal effacées au profit de beaucoup d’autres clivages qu’on aurait du mal à comprendre en France. Par exemple le Röstigraben structure lourdement les débats politiques, plus que le clivage gauche/droite.

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Röstigraben

              Pour comprendre la politique suisse, il faut se rendre compte à quel point le type d’événement suivant a été vécu comme un Coup d’Etat en 2007.

              https://en.wikipedia.org/wiki/2007_Swiss_Federal_Council_election
              https://www.rts.ch/play/tv/infrarouge/video/laffaire-eveline-widmer-schlumpf?id=507293

              Ce type de débat byzantin consécutif au Coup d’Etat empêche complètement que les électeurs suisses ait des comportements panurgiques quand ils votent.

              Yvan Perrin, ex-inspecteur de police, UDC (“extrême”-droite) est un des protagonistes du débat était un homme politique “influent”.

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Yvan_Perrin

              “Le 19 mai 2013, il est élu au Conseil d’État du canton de Neuchâtel, en dépit de problèmes psychiques, qui l’ont amené à consommer, à outrance, alcool et autres « drogues » jusqu’au coma. Il hérite du département du développement territorial, où il succède à Claude Nicati. Transparent en ce qui concerne son état psychique, il admet connaître des problèmes de dépression et de burn-out. Son siège au conseil national est repris par Raymond Clottu. Il rechute le 1er mars 2014, lors d’une manifestation publique où il a de la peine à terminer son discours. Il se mettra en congé maladie les jours suivants. En juin 2014, il donne sa démission après une nouvelle rechute. Incapable de tenir ses fonctions, il renonce et reçoit les messages de sympathie de ses collègues du gouvernement qui reconnaissent en lui un homme loyal et collégial”.

              Et des élus qui picolent, qui prennent des drogues, qui ont des problèmes de violences conjugales, etc… il y en a quelques uns quand même… Pourtant ils sont bien coiffés, responsable, etc…

              C’est une personne comme une autre, Yvan Perrin, et elle est vue comme cela par le peuple. On a une fusion beaucoup plus forte entre “citoyen de base” et “intérêt général” et l'”éloignement” s’avère assez peu nécessaire dans ce type de contexte. C’est pour cela que je trouve que c’est un “faux dilemme”.

              J’imagine que ce type de vie politique est assez lunaire vue de France.

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [“Parce que vous trouvez que notre structure méta-politique a des rêves de « grandiosité » ? J’ai franchement beaucoup de mal à voir la « grandiosité » chez Hollande ou Macron, pour être honnête.” Macron se prend tout de même pour Jupiter.]

              N’exagérons rien. Parler d’une « présidence jupitérienne » par opposition à la « présidence normale » de Hollande ne revient pas à « se prendre pour Jupiter ». Au demeurant, la formule fait plus référence à l’éloignement du président qui se cantonnerait dans son Olympe et ne descendrait que rarement qu’à une véritable toute-puissance.

              [Mais c’est plutôt le discours de la-Place-de-la-France-dans-le-Monde qui m’insupporte par son irréalisme.]

              Vous trouvez ? Si je me réfère à Hollande ou Macron, le discours serait plutôt du genre pédagogie de l’impuissance. Regardez cette campagne européenne : le thème est plutôt « la France par elle-même n’est plus rien », « notre seule chance de peser dans le monde c’est l’Europe »… ou voyez-vous un discours « de la Place de la France dans le Monde » ? Je trouve très intéressant qu’on continue à reprocher à nos dirigeants non pas le discours qu’ils tiennent, mais celui qu’ils ont abandonné.

              [“Comment pouvez-vous aimer ces personnages de fiction et les « rejeter complètement » lorsqu’ils s’incarnent dans la réalité ?” Je pense que beaucoup de ces choses apparaissent par hasard, statistiquement, dans un contexte qui le permet et qu’il faut entretenir.]

              Pourtant, si ces choses « apparaissaient par hasard », on devrait les retrouver également distribuées suivant les époques et les lieux. Or, ce n’est pas du tout le cas… certains peuples ont pensé en termes universels alors que d’autres à la même époque se sont cantonnés dans leurs frontières physiques ou mentales. Non, je ne crois pas que ce soit « par hasard » si l’on trouve une logique de « grandeur » dans les peuples qui sont sortis de leurs frontières, et une logique « provinciale » chez ceux qui ont vécu leur histoire à l’intérieur de celles-ci.

              [Et je préfère quand les gens font de grandes choses discrètement.]

              Pouvez-vous me donner un ou deux exemples ?

              [“Ce sont les grandes choses, celles auxquelles nous participons mais aussi celles qui sont faites par d’autres, qui font que la vie mérité d’être vécue.” Nietzschéen?]

              Oui, mais non-pratiquant.

              [“J’avoue que je ne vois pas le rapport entre « s’impliquer dans le débat public » et « taper la discute dans la rue ».” Vous m’en reparlerez quand vous aurez vu le film.]

              Si vous voulez, mais ça risque de prendre du temps. Je suis bon lecteur, mais regarder des vidéos me gonfle.

              [Parce que le concept d’intérêt général est tellement décentralisé que même les électeurs sont forcés de penser en ces termes à force de voter continuellement. Ils votent tellement, que sur un sujet donné ils votent selon un clivage, sur un autre ils voteront selon un autre clivage ou dans un autre sens. On n’est pas vraiment à gauche ou à droite, en Suisse.]

              Justement : on n’est ni de gauche ni de droite, on est du côté de ses intérêts. Je pense que votre argument va dans le sens contraire de ce que vous voulez démontrer. Plus un débat est « idéologique », et plus il y a des chances que les participants pensent en termes des intérêts généraux et non simplement en fonction de leurs intérêts particuliers. Les partis politiques existent précisément pour sortir les gens de leur petit intérêt et les confronter à des visions plus globales. Ce n’est pas que l’intérêt général est « décentralisé », c’est qu’il n’existe tout simplement pas : le résultat du vote est le produit de l’agrégation d’intérêts individuels. D’ailleurs, en quoi le fait de « voter souvent » vous obligerait-il à penser en termes d’intérêt général ? Je peux voter tous les jours et défendre quand même mes intérêts particuliers…

              [On est sur tout un échiquier de sensibilités, et voter seulement selon ses convictions personnelles, ça peut assez souvent se retourner contre soi.]

              Là encore, j’aimerais un exemple. Mon expérience est que les gens ont rarement des « convictions » qui vont contre leurs intérêts…

              [Pour comprendre la politique suisse, il faut se rendre compte à quel point le type d’événement suivant a été vécu comme un Coup d’Etat en 2007. Ce type de débat byzantin consécutif au Coup d’Etat empêche complètement que les électeurs suisses ait des comportements panurgiques quand ils votent.]

              Je ne comprends pas le rapport de causalité. C’est un complot de palais, comme on trouve des centaines dans les mairies françaises. En quoi cela empêcherait des « comportements panurgiques » ?

              [Et des élus qui picolent, qui prennent des drogues, qui ont des problèmes de violences conjugales, etc… il y en a quelques uns quand même… Pourtant ils sont bien coiffés, responsable, etc… C’est une personne comme une autre, Yvan Perrin, et elle est vue comme cela par le peuple. On a une fusion beaucoup plus forte entre “citoyen de base” et “intérêt général” et l’”éloignement” s’avère assez peu nécessaire dans ce type de contexte. C’est pour cela que je trouve que c’est un “faux dilemme”.]

              Je n’arrive pas à comprendre ce qui vous permet de conclure à la « fusion entre le citoyen de base et l’intérêt général ». Je n’ai pas l’impression que les électeurs suisses votent plus souvent que les électeurs français contre leur intérêt individuel. Encore une fois, on peut se satisfaire du fait qu’un pays soit gouverné en fonction des intérêts particuliers. Mais en faisant ce choix il devient difficile de faire de grandes choses…

              [J’imagine que ce type de vie politique est assez lunaire vue de France.]

              Ne croyez pas ça. On a exactement ce type de vie politique au niveau municipal.

            • F68.10 dit :

              “Au demeurant, la formule fait plus référence à l’éloignement du président qui se cantonnerait dans son Olympe et ne descendrait que rarement qu’à une véritable toute-puissance.”

              OK. Mais même là, j’ai le plus grand mal. Je pense qu’on rentrerait dans une discussion assez intriquée sur ce point, ce qui n’est peut-être pas l’object de ce blog.

              “Je trouve très intéressant qu’on continue à reprocher à nos dirigeants non pas le discours qu’ils tiennent, mais celui qu’ils ont abandonné.”

              Je concède que le ton a évolué. Même si je pense qu’il y a encore du boulot à faire dans les représentations politiques générales du concept de la place de la France dans Monde. Et aussi de vrais défis à relever (les relations entre la France et l’Afrique vont redevenir de lourds enjeux mondiaux, à mon avis).

              “Non, je ne crois pas que ce soit « par hasard » si l’on trouve une logique de « grandeur » dans les peuples qui sont sortis de leurs frontières, et une logique « provinciale » chez ceux qui ont vécu leur histoire à l’intérieur de celles-ci.”

              Pour moi, la Chine est un contre-exemple à cette assertion.

              “Pouvez-vous me donner un ou deux exemples ?”

              Spinoza est le premier qui me vienne à l’esprit. Jack Preger en est un autre.

              https://www.drjack.world/jackhomme

              “Oui, mais non-pratiquant.”

              J’aime bien les nietzschéens.

              “Si vous voulez, mais ça risque de prendre du temps. Je suis bon lecteur, mais regarder des vidéos me gonfle.”

              Ah! Mais prenez tout votre temps! Et rien ne vous y oblige non plus, hein…

              “Plus un débat est « idéologique », et plus il y a des chances que les participants pensent en termes des intérêts généraux et non simplement en fonction de leurs intérêts particuliers.”

              Oui. Mais moins ils se préoccupent des faits concrets. Les électeurs se prononcent sur des lignes idéologiques et délèguent le boulot de gérer les faits et leurs conséquences à leurs représentants. Les représentants ont donc à charge d’à la fois gérer les faits et de continuer à jouer les matamores idéologiques en public. Et ils délèguent donc la gestion des faits à une technocratie qui a le cul coincé entre deux chaises: les contraintes idéologiques et les faits, la science, la rationalité, et les cultures administratives.

              On organise donc ainsi le couple populisme/technocratie par effet mécanique, et on se tape alors des Gilets Jaunes, puis on se fout de leur gueule en les traitant de complotistes, et au final: TINA.

              Passions tristes, quand tu nous tiens…

              “D’ailleurs, en quoi le fait de « voter souvent » vous obligerait-il à penser en termes d’intérêt général ?”

              À force de voter (très) souvent, vous créez vous-même votre petit cortège de faits: vous ne pouvez pas nier que vous avez voter A sur le sujet B et C sur le sujet D. Ce sont des sujets précis, et pas exclusivement idéologiques.

              https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/vab_2_2_4_1_gesamt.html

              Le résultat, c’est que quand deux Suisses se rencontrent et discutent politiques, ils ont tellement de sujets où ils ont voté sur la même ligne, et tellement de sujets où ils ont voté sur des lignes différents, que la discussion prend une tournure très spéciale. Les clivages statistiquement significatifs au niveau global éclatent en mille morceaux au niveau de la discussion individuelle entre deux ou plusieurs individus.

              https://journals.openedition.org/rga/1868

              Et ce sont alors des considérations beaucoup plus nuancées qui apparaissent, y compris chez les Suisses les plus idiots.

              En France, quel que soit le sujet, je serais terrifié à l’idée de voter plus à droite que Macron. En Suisse, selon le but que je veux atteindre, je peux me permettre de votre POP ou UDC sans trop de problèmes avec ma conscience personnelle. Et comme je sais d’avance que le système est trop lourd pour avancer une cause personnelle (c’est beaucoup plus évident en Suisse qu’en France, cf. droit de vote des femmes…), et bien je n’ai plus d’autres choix que de penser en termes d’intérêt général.

              Voter selon mes convictions trop personnelles dans un canton particulier aurait beaucoup trop de repercussions négatives sur le jeu politique global au niveau intercantonal. Le financement des hôpitaux ou les thématiques d’assurance maladie sont des points où ce phénomène est assez évident.

              “Je peux voter tous les jours et défendre quand même mes intérêts particuliers…”

              Ah oui? Alors pourquoi les Suisses ont voté ça?

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_populaire_«_6_semaines_de_vacances_pour_tous_»

              “Là encore, j’aimerais un exemple. Mon expérience est que les gens ont rarement des « convictions » qui vont contre leurs intérêts…”

              Nul part plus évident que la thématique des salles de shoot. Et généralement sur le thème de la drogue, on voit que la multiplicité des points de vue est beaucoup plus explicitée en Suisse qu’en France. Une personnalité comme Olivier Guéniat a jouer un rôle central dans ce décloisonnement entre intérêt particulier et intérêt général.

              Autre exemple: vu comme la question de la votation suivante est posée, comment est-il possible de ne pas prendre de recul sur ses propres convictions personnelles quand vous avez une telle patate chaude entre les mains?

              https://www.tdg.ch/suisse/Tout-comprendre-sur-l-initiative-Monnaie-pleine/story/13891079

              “Je ne comprends pas le rapport de causalité. C’est un complot de palais, comme on trouve des centaines dans les mairies françaises. En quoi cela empêcherait des « comportements panurgiques » ?”

              Si c’est simplement un complot de palais comme on en voit dans des centaines de mairies en France, pourquoi est-ce que tous les Gnomes de Zürich avec qui je bossais se sont tous mis à courir dans tous les sens, interloqués, éberlués, en état de choc, hurlant tous à moitié au Coup d’Etat? Ils étaient plus sereins le jour où Bear Sterns et Lehman Brothers sont partis en quenouille. Et là, aucune exagération…

              Ces jours là, j’ai tout entendu, que ce soit de la part de gauchistes ou de fachos. Personne n’était d’accord, y compris avec eux-mêmes. Le panurgisme ne pouvait pas avoir lieu. L’hystérie, par contre, oui…

              D’ailleurs, les Suisses en sont toujours pas sortis de l’épisode Widmer Schlumpf / Blocher:

              “Je n’ai pas l’impression que les électeurs suisses votent plus souvent que les électeurs français contre leur intérêt individuel.”

              Si. Clairement. Y a pas photo. Mes amis gauchos s’en plaignaient tout le temps, de ne pas arriver à voter selon leurs convictions personnelles. Ils regardaient la France avec envie à chaque élection présidentielle, envieux de la castagne médiatique qu’ils n’arrivent désespérément pas à avoir chez eux. Et après les élections présidentielles, à chaque fois, ils soupirent et se lamentent ainsi: “Heureusement qu’on est pas en France”. C’en est tellement mécanique que c’en est lassant.

              L’expression populaire romande typique de cet état d’esprit: “je suis déçu en bien”. Faut s’habituer à l’entendre souvent, celle-là…

              Bon, on va le faire à la vaudoise

              “Mais en faisant ce choix il devient difficile de faire de grandes choses…”

              La domination mondiale, comme dans Cortex et Minus, n’est effectivement pas au programme. Mais avoir un système politique qui fonctionne, du pognon, un système éducatif et universitaire performant, ne pas avoir perdu tout contrôle sur les banques cantonales et la banque centrale, moi, j’appelle cela plutôt une réussite. Et question innovation et sciences, le résultat n’est pas moche non plus:

              https://www.letemps.ch/suisse/health-valley-romande-un-corps-pleine-sante-garrotte

              Sans parler des personnalités liées à la Suisse. Rousseau, Jaspers, Einstein, Benjamin Constant, Fritjhof Schuon (si on aime, moi pas), Jung, Piaget, Bernouilli, de Rham, de Saussure, Euler, Le Corbusier, de Staël, Fritz Zorn, Caraco, Albert Hoffman, Jean-Paul Marat, Necker, Lénine, etc… Ils ont pas à rougir sur ce point précis.

              “Ne croyez pas ça. On a exactement ce type de vie politique au niveau municipal.”

              Peut-être, mais c’est caché. Le linge sale est lavé entre politiciens sans que les électeurs puissent mettre leur nez dedans.

              J’aime pas.

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [« Au demeurant, la formule fait plus référence à l’éloignement du président qui se cantonnerait dans son Olympe et ne descendrait que rarement qu’à une véritable toute-puissance. » OK. Mais même là, j’ai le plus grand mal. Je pense qu’on rentrerait dans une discussion assez intriquée sur ce point, ce qui n’est peut-être pas l’objet de ce blog.]

              Si, si. Ici, on aime les discussions intriquées, et c’est bien l’objet de ce blog.

              [« Non, je ne crois pas que ce soit « par hasard » si l’on trouve une logique de « grandeur » dans les peuples qui sont sortis de leurs frontières, et une logique « provinciale » chez ceux qui ont vécu leur histoire à l’intérieur de celles-ci. » Pour moi, la Chine est un contre-exemple à cette assertion.]

              Pourriez-vous développer ? La Chine me semble au contraire un exemple parfait de mon raisonnement. La Chine, pays qui a vécu son histoire à l’intérieur de ses frontières, n’a jamais cherché à proclamer son modèle comme universel. La Chine ressemble plus à l’Allemagne qu’à la France, l’Angleterre, les Etats Unis…

              [“Pouvez-vous me donner un ou deux exemples ?” Spinoza est le premier qui me vienne à l’esprit. Jack Preger en est un autre.]

              Pour ce qui concerne Spinoza, on peut difficilement considérer qu’il ait fait des choses « discrètement ». Il a toujours cherché à publier et diffuser ses idées, et son activité était suffisamment peu « discrète » pour lui valoir diverses persécutions pour athéisme et hérésie.

              Quant à Preger qu’à-t-il fait de « grand » ? Soigner des gens dans la rue est une tâches très utile, qui méritent certainement la reconnaissance de la société. Mais on a du mal à voir la « grandeur » dans cette activité. En quoi l’histoire de l’humanité serait différente si Preger n’avait jamais existé ? Ou si au lieu de soigner les misérables à Calcutta il les avait soignés à Budapest ?

              [« Plus un débat est « idéologique », et plus il y a des chances que les participants pensent en termes des intérêts généraux et non simplement en fonction de leurs intérêts particuliers. » Oui. Mais moins ils se préoccupent des faits concrets. Les électeurs se prononcent sur des lignes idéologiques et délèguent le boulot de gérer les faits et leurs conséquences à leurs représentants.]

              Je ne suis pas très sûr de bien comprendre ce que vous appelez « faits concrets ». Je ne connais pas de « faits abstraits », et j’ai du mal donc à comprendre la distinction. J’ai l’impression que par « faits concrets » vous faites allusion aux faits qui relèvent de l’expérience directe des citoyens. Si c’est le cas, je dois dire que je suis tout à fait favorable à ce que nos politiques s’occupent le moins possible des « faits concrets ». Parce que se concentrer sur les « faits concrets » implique se concentrer sur les intérêts de chaque citoyen, et non pas sur l’intérêt général.

              [Les représentants ont donc à charge d’à la fois gérer les faits et de continuer à jouer les matamores idéologiques en public. Et ils délèguent donc la gestion des faits à une technocratie qui a le cul coincé entre deux chaises: les contraintes idéologiques et les faits, la science, la rationalité, et les cultures administratives.]

              Et alors ? Quel est le problème ? Cela me semble assez logique comme organisation : un niveau politique qui pense en termes d’intérêt général et fait des règles, une administration chargée de les appliquer aux cas concrets.

              [On organise donc ainsi le couple populisme/technocratie par effet mécanique, et on se tape alors des Gilets Jaunes, puis on se fout de leur gueule en les traitant de complotistes, et au final: TINA.]

              Encore une fois, je pense que vous partez en croisade contre les moulins à vent. Trouvez-vous vraiment que nos hommes politiques aujourd’hui soient dans l’idéologie ? C’est exactement le contraire qui se produit : depuis les années 2000, nos hommes politiques sont de plus en plus à l’écoute des « faits concrets », ce qui les conduit à traiter les problèmes au cas par cas, sans ligne directrice cohérente et durable. Pensez à la gestion des services publics : qu’est ce qui guide les réformes qui s’accumulent depuis vingt ans ? Une réflexion « idéologique » sur ce que devrait être le service public ? Ou la contrainte du « fait concret » de réduire la dépense ?

              Ce dont nous souffrons aujourd’hui, ce n’est pas d’un excès d’idéologie, mais d’un défaut d’idéologie. Les populistes comblent en fait ce vide, proposant une vision générale là où les dirigeants des partis « raisonnables » promettent de s’occuper des crottes de chien.

              [« D’ailleurs, en quoi le fait de « voter souvent » vous obligerait-il à penser en termes d’intérêt général ? » À force de voter (très) souvent, vous créez vous-même votre petit cortège de faits: vous ne pouvez pas nier que vous avez voté A sur le sujet B et C sur le sujet D. Ce sont des sujets précis, et pas exclusivement idéologiques.]

              Je n’ai rien compris. D’abord, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas « nier » avoir voté telle ou telle chose. Le vote est secret, que je sache, et il n’y a aucune sanction prévue pour celui qui ne voterait pas de façon cohérente. Et je ne vois pas très bien le lien avec « l’intérêt général ».

              [En France, quel que soit le sujet, je serais terrifié à l’idée de voter plus à droite que Macron. En Suisse, selon le but que je veux atteindre, je peux me permettre de votre POP ou UDC sans trop de problèmes avec ma conscience personnelle. Et comme je sais d’avance que le système est trop lourd pour avancer une cause personnelle (c’est beaucoup plus évident en Suisse qu’en France, cf. droit de vote des femmes…), et bien je n’ai plus d’autres choix que de penser en termes d’intérêt général.]

              Si je comprends bien, vous seriez terrifié de voter en France parce que votre vote peut changer quelque chose, alors qu’en Suisse vous pouvez voter pour les extrêmes en sachant que cela ne changera rien. Finalement, on a l’impression que pour vous le meilleur système est celui ou votre vote ne change rien. Comme ça, on peut voter ce qu’on veut sans crainte de se tromper. Mais je ne saisis toujours pas le rapport avec « l’intérêt général »…

              [« Je peux voter tous les jours et défendre quand même mes intérêts particuliers… » Ah oui? Alors pourquoi les Suisses ont voté ça?]

              D’abord, « les Suisses » n’ont pas tout à fait voté ça. La participation a été de 45%, ce qui implique que la moitié des Suisses n’ont pas voté. Ensuite, il n’est nullement évident que ce soit dans l’intérêt particulier des travailleurs d’avoir plus de vacances. En effet, qui dit plus de vacances dit moins d’heures travaillées, et qui dit moins d’heures travaillées dit moins de salaires. La question de la longueur des congés payés a toujours été un compromis entre le salaire et le repos. On a d’ailleurs eu ce débat en France avec la limitation de la semaine de travail à 35 heures, et on a bien vu que la valeur du congé n’est pas la même pour le cadre dont le salaire confortable permet de profiter du loisir et celui de l’ouvrier qui peine à joindre les deux bouts et qui préfère « travailler plus pour gagner plus ». Le vote des suisses dans cet exemple est donc parfaitement explicable en termes d’intérêt individuel.

              [« Là encore, j’aimerais un exemple. Mon expérience est que les gens ont rarement des « convictions » qui vont contre leurs intérêts… » Nul part plus évident que la thématique des salles de shoot. Et généralement sur le thème de la drogue, on voit que la multiplicité des points de vue est beaucoup plus explicitée en Suisse qu’en France.]

              Je ne vois pas d’où vous tirez cette conclusion. Sur le thème de la drogue, il y a en France des débats passionnés entre ceux qui veulent légaliser – sous diverses formes – la consommation et ceux qui défendent une position de fermeté. Je en vois pas en quoi les positions seraient moins « explicitées » qu’en Suisse.

              [Une personnalité comme Olivier Guéniat a jouer un rôle central dans ce décloisonnement entre intérêt particulier et intérêt général.]

              Encore une fois, je ne vois pas le rapport.

              [Autre exemple: vu comme la question de la votation suivante est posée, comment est-il possible de ne pas prendre de recul sur ses propres convictions personnelles quand vous avez une telle patate chaude entre les mains?]

              Je ne vois pas très bien en quoi cela vous obligerait à « prendre du recul sur ses convictions personnelles ». Surtout que sur une question comme celle-là, il y a de grandes chances que l’électeur n’aille aucune « conviction personnelle » à faire valoir, et qu’il suivra l’avis des partis politiques ou des commentateurs en qui il a confiance. Et on verra quelle sera la participation sur cette votation.

              [« Je ne comprends pas le rapport de causalité. C’est un complot de palais, comme on trouve des centaines dans les mairies françaises. En quoi cela empêcherait des « comportements panurgiques » ? » Si c’est simplement un complot de palais comme on en voit dans des centaines de mairies en France, pourquoi est-ce que tous les Gnomes de Zürich avec qui je bossais se sont tous mis à courir dans tous les sens, interloqués, éberlués, en état de choc, hurlant tous à moitié au Coup d’Etat?]

              Parce que cela donnait un peu de piment à leurs vies grises, je suppose. Cela leur donnait l’impression qu’enfin il se passait quelque chose dans un système ultra-prévisible… et je peux vous assurer que c’est la même chose dans les mairies françaises. Sauf que, contrairement aux Suisses, les français sont des cyniques, et ne se font guère d’illusions sur ce qui se passe sous les apparences policées du système politique…

              [« Je n’ai pas l’impression que les électeurs suisses votent plus souvent que les électeurs français contre leur intérêt individuel. » Si. Clairement. Y a pas photo. Mes amis gauchos s’en plaignaient tout le temps, de ne pas arriver à voter selon leurs convictions personnelles.]

              Mais se plaignent-ils de ne pas pouvoir voter selon leurs intérêts individuels ? Votre argument apporte plutôt de l’eau à mon moulin, en suggérant que même vos amis gauchos se plaignent de devoir voter en fonction de leurs intérêts plutôt que de leurs convictions…

              [La domination mondiale, comme dans Cortex et Minus, n’est effectivement pas au programme. Mais avoir un système politique qui fonctionne, du pognon, un système éducatif et universitaire performant, ne pas avoir perdu tout contrôle sur les banques cantonales et la banque centrale, moi, j’appelle cela plutôt une réussite.]

              Moi j’appelle ça se contenter de peu. Mais ce n’est que mon opinion…

              [Sans parler des personnalités liées à la Suisse. Rousseau, Jaspers, Einstein, Benjamin Constant, Fritjhof Schuon (si on aime, moi pas), Jung, Piaget, Bernouilli, de Rham, de Saussure, Euler, Le Corbusier, de Staël, Fritz Zorn, Caraco, Albert Hoffman, Jean-Paul Marat, Necker, Lénine, etc… Ils ont pas à rougir sur ce point précis.]

              Oui, enfin, on notera que la plupart d’entre eux ont fait leur grand œuvre hors de Suisse… peut-être que c’est un grand pays à condition d’en sortir ?

              [« Ne croyez pas ça. On a exactement ce type de vie politique au niveau municipal. » Peut-être, mais c’est caché. Le linge sale est lavé entre politiciens sans que les électeurs puissent mettre leur nez dedans.]

              « Caché » ? Vous trouvez que les turpitudes de Balkany sont « cachées », par exemple ?

            • F68.10 dit :

              Dites-moi si vous souhaitez interrompre la discussion, à votre convenance. Car il me paraît douteux que je ne répondrais pas si vous ne m’invitez pas à passer à autre chose…

              [Si, si. Ici, on aime les discussions intriquées, et c’est bien l’objet de ce blog.]

              Alors pour faire simple, du point de vue moral, j’ai fortement tendance à être un conséquentialiste (sous une forme particulière).

              Je vais donc essayer d’aborder la question du concept du président olympien en retrait de la vie politique partisane. De mon côté, mon problème était plutôt initialement la personnalisation du pouvoir exécutif.

              Ce sont deux choses différentes, deux axes différents. Et on peut essayer d’imaginer les conséquences d’un perturbation de l’ordre actuel selon ces deux axes.

              Si on perturbe l’aspect olympien du pouvoir exécutif français, cela signifierait coupler bien davantage les pratiques de l’exécutif avec l’agenda parlementaire. Un des risques que j’imagine est effectivement une impuissance organisée sur des thématiques de long terme , comme les questions de politique étrangère, et un marchandage beaucoup plus serré entre l’action de l’état et les considérations électorales des députés. En France, cela me paraîtrait mauvais et dangereux. Cet écueil me semble éviter en Suisse à cause du feuilletage extrême du pouvoir qui place de facto l’intégralité du niveau fédéral dans un statut olympien. Dans ce contexte, peu importe que l’exécutif soit olympien: la chambre parlementaire l’est déjà.

              On peut conserver l’aspect olympien, et briser la personnalisation du pouvoir et imaginer les conséquences aussi. Par exemple, imaginons un système électoral identique au système français, à la seule différence que l’élection désignerait (selon des modalités à débattre) 7 co-présidents qui seraient contraints de s’entendre comme en Suisse. Il y aurait une neutralité de l’exécutif accrue, donc davantage de séparation des pouvoirs, ainsi qu’un ralentissement du temps de prise de décision. Ce n’est probablement pas adéquat pour une puissance politique qui souhaite avoir une politique étrangère relativement dynamique et potentiellement militarisée. Mais cela pourrait apporter plus de consistance et de cohérence dans les rapports avec nos voisins immédiats. L’arbitrage moral conséquentialiste moral n’est pas évident, mais il n’est pas forcément mauvais.

              Voilà comment je vois la question.

              [Pourriez-vous développer ? La Chine me semble au contraire un exemple parfait de mon raisonnement. La Chine, pays qui a vécu son histoire à l’intérieur de ses frontières, n’a jamais cherché à proclamer son modèle comme universel. La Chine ressemble plus à l’Allemagne qu’à la France, l’Angleterre, les Etats Unis…]

              La Chine n’a pas de logique d’universalité. C’est un fait. Même, probablement moins que l’Allemagne (même s’il y a des similitudes).

              Par contre, il me semble indéniable qu’elle ait une logique de grandeur, à l’heure actuelle et dans l’histoire. À l’heure actuelle, l’importance dingue que prend la science et la technologisation de la vie économique et publique en témoigne. Programme spatial exubérant, triomphalisme économique, autoritarisme relativement bien accepté de la part de la population. Et même du pur délire comme cela:

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Pensée_de_Xi_Jinping

              Avec un zeste d'”universalisme” à la chinoise: “Promouvoir la construction d’une Communauté de destin pour l’humanité.”

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Communauté_de_destin_pour_l%27humanité

              Dans la vie de tous les jours là-bas, ça donne ça:

              https://www.mgtv.com/b/326460/4604805.html

              C’est un jeu télévisé délirant dédié à tester les connaissances des participants sur le marxisme et la “pensée Jinping”. L’hubris techno-étatique à mourrir de rire montre bien l’aspiration à de la grandeur.

              La grandeur n’a rien à voir avec l’universalisme. C’est pourquoi je pense que la Chine est bien un contre-exemple à votre assertion.

              [Pour ce qui concerne Spinoza, on peut difficilement considérer qu’il ait fait des choses « discrètement ». Il a toujours cherché à publier et diffuser ses idées, et son activité était suffisamment peu « discrète » pour lui valoir diverses persécutions pour athéisme et hérésie.]

              Il a quand même tout fait pour se cacher au maximum et publier ses ouvrages le plus anonymement possible. Sa modestie pécuniaire était également légendaire. Après son herem et avoir ainsi initialement fait du bruit, il a quand même tout fait pour être discret.

              Dans la même logique, on pourrait aussi citer Darwin. Garder son ouvrage 20 ans dans les tiroirs pour ne pas faire de vagues, c’est quand même de la discrétion.

              [Quant à Preger qu’à-t-il fait de « grand » ? Soigner des gens dans la rue est une tâches très utile, qui méritent certainement la reconnaissance de la société. Mais on a du mal à voir la « grandeur » dans cette activité. En quoi l’histoire de l’humanité serait différente si Preger n’avait jamais existé ? Ou si au lieu de soigner les misérables à Calcutta il les avait soignés à Budapest ?]

              Parce que le mouvement qu’il a lancé, la “street medicine” n’existait pas avant lui. Le mouvement essaime. Ca change quand même sérieusement le monde dans la capacité d’accès à la médecine des exclus. À mon avis, ce mouvement n’est pas du tout fini et va avoir pas mal d’impact à moyen terme.

              [Je ne suis pas très sûr de bien comprendre ce que vous appelez « faits concrets ». Je ne connais pas de « faits abstraits », et j’ai du mal donc à comprendre la distinction.]

              Fait concret: “telle personne dort dehors”.

              Fait abstrait: “tout entier est une somme de quatre carrés”.

              [J’ai l’impression que par « faits concrets » vous faites allusion aux faits qui relèvent de l’expérience directe des citoyens.]

              Des citoyens, ou des non-citoyens aussi, mais oui, essentiellement, c’est ça.

              [Si c’est le cas, je dois dire que je suis tout à fait favorable à ce que nos politiques s’occupent le moins possible des « faits concrets ». Parce que se concentrer sur les « faits concrets » implique se concentrer sur les intérêts de chaque citoyen, et non pas sur l’intérêt général.]

              Donc pour vous, l’état des prisons, les problèmes d’accès à l’administration, le logement, l’accès aux soins, la suffisance alimentaire, la présence policière, tout cela, vous souhaitez que l’Etat s’en occupe le moins possible? Cela ne me paraît pas très raisonnable.

              Personnellement, je vous avoue que lors du “débat” Macron/Le Pen, le moment où j’ai été intégralement convaincu par Macron a été lorsque je l’ai entendu parler de sa vision de la problématique des autistes et de leurs familles lors de la question bonus de fin de débat. Il connaissait son sujet plus qu’il ne le laissait paraître, et il n’a pu le faire que parce qu’il a croisé les “faits concrets” avec les considérations d’intérêt général. Marine Le Pen, elle, proposait de continuer de jeter de l’argent par les fenêtres sur le handicap parce qu’elle n’a pas pris la mesure du débat sur l’autisme.

              Donc, je continue à penser qu’on ne peut pas penser l’intérêt général en faisant fi des faits concrets.

              [Et alors ? Quel est le problème ?]

              Le débat sur l’autisme est illustratif du problème. On peut en trouver plein d’autres: les obstacles qu’EDF a mis en place qui ont freiné l’essor de la méthanisation. L’état du système éducatif, qui ne pourra pas se résoudre par des grands débats et moulinets idéologiques sur la place du “pédagogisme”. Et ceterae…

              [Cela me semble assez logique comme organisation : un niveau politique qui pense en termes d’intérêt général et fait des règles, une administration chargée de les appliquer aux cas concrets.]

              Le mouvement top-down que vous décrivez est nécessaire. Mais pour déterminer quelles règles sont intelligentes et quelles règles ne le sont pas, on a besoin d’un mouvement bottom-up. À l’heure actuelle, seule le parlementarisme le permet. C’est insuffisant.

              [Encore une fois, je pense que vous partez en croisade contre les moulins à vent. Trouvez-vous vraiment que nos hommes politiques aujourd’hui soient dans l’idéologie ?]

              RN et FI? Oui, absolument. Les “républicains”? Le Retour Discret de la Théocratie. Les “socialistes”? L’Humanisme Mou. LREM? Le pseudo-spinozisme technocratique à tendance strauss-kahnienne.

              Pour moi, on est dans l’idéologie.

              [C’est exactement le contraire qui se produit : depuis les années 2000, nos hommes politiques sont de plus en plus à l’écoute des « faits concrets », ce qui les conduit à traiter les problèmes au cas par cas, sans ligne directrice cohérente et durable. Pensez à la gestion des services publics : qu’est ce qui guide les réformes qui s’accumulent depuis vingt ans ? Une réflexion « idéologique » sur ce que devrait être le service public ?]

              Absolument. Un manque de réalisme total couplé à des considérations idéologiques.

              En Suisse, le train, la poste, et mêmes les banques cantonales sont quand mêmes encore liées à des prérogatives étatiques, car l’idéologie n’a pas exactement primé.

              Et ne me parlez même pas des autoroutes en France ou je vais faire un anévrisme.

              [Ou la contrainte du « fait concret » de réduire la dépense ?]

              Elle a eu bon dos, la dictature de la réduction de la dépense. Beau prétexte pour enfler les Français idéologiquement.

              [Ce dont nous souffrons aujourd’hui, ce n’est pas d’un excès d’idéologie, mais d’un défaut d’idéologie.]

              De vision, oui. D’idéologie, non.

              [Les populistes comblent en fait ce vide, proposant une vision générale là où les dirigeants des partis « raisonnables » promettent de s’occuper des crottes de chien.]

              J’ai l’impression de parler à Schopenhauer quand il parle des femmes.

              Vous imaginez vraiment qu’à l’heure actuelle, avec la présence d’Internet qui fait complètement éclater les formes de verrouillage médiatique de l’information qui existait auparavant, les Gilets Jaunes se satisferaient de considérations idéologiques qui les mobiliseraient vers des lendemains qui chantent? Je crois au contraire qu’aucune forme d’idéologie ne pourra plus jamais combler l’expression publique de gens qui n’en ont fondamentalement pas et qui surtout, à l’heure actuelle, se rendent compte qu’ils n’en ont jamais vraiment eu.

              Le modèle de l’avant-garde éclairée guidant la masse des aveugles me semble bel et bien mort.

              [Je n’ai rien compris. D’abord, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas « nier » avoir voté telle ou telle chose. Le vote est secret, que je sache, et il n’y a aucune sanction prévue pour celui qui ne voterait pas de façon cohérente.]

              Ah! Ce n’est pas une question de sanction ou de secret du vote! C’est simplement que tout le monde est à peu près conscient que les lignes idéologiques sont des outils à faire bouger, et non pas des critères politiques avec lesquelles on s’identifie individuellement.

              Les Suisses ne vous dirons pas toujours pour quoi ou qui ils ont voté. Il arrive même qu’ils fassent semblant d’avoir voter dans un autre sens simplement pour verser dans l’art de la contradiction polie.

              Je ne connais pas le vote de chacune des personnes avec qui j’ai conversé. Mais je connais tous leurs arguments sur chaque sujet sur lequel ils votent. Ils ne pensent quasiment jamais “parti politique” mais quasiment toujours “votation”. Les discussions politiques sont donc très ouvertes.

              Et dans certains cantons, on ne peut même pas prétendre que le vote soit secret en aucune manière…

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Landsgemeinde

              “Une fois par an, généralement un dimanche de printemps, l’assemblée procède, sur la place principale du chef-lieu, à l’élection à main levée du président de la Landsgemeinde, puis du Landammann (président du gouvernement), de ses collègues du gouvernement, des représentants du canton au Conseil des États, des juges et de certains fonctionnaires. Les votations s’y déroulent également. Le résultat du vote est le fruit d’une estimation plutôt que d’un calcul précis.”

              Quand on vote à main levée, ce n’est pas secret du tout du tout.

              [Et je ne vois pas très bien le lien avec « l’intérêt général ».]

              Impensable d’avoir des discussions politiques en Suisse si vous ne pensez pas en terme d’intérêt général. Simplement inconcevable. Que vous soyez banquier genevois ou paysan d’Uri.

              Prenez l’exemple de la question des forfaits fiscaux accordés au riches étrangers qui s’installent dans le canton de Vaud, par exemple. (Déjà, pour savoir comment les expats fiscaux sont perçus, voir la vidéo suivante).

              François Hollande président : qu’adviendra-t-il des nantis en France ?

              Les argumentations dans les journaux sur la manière de fixer les critères permettant aux étrangers de venir demander des “forfaits fiscaux” dans le canton de Vaud suivent exactement cette logique (je n’exagère pas):

              Si on ne fait pas de forfaits fiscaux, on n’attire pas de fortunes taxables. Donc pas de revenus.

              Si on fait des forfaits fiscaux mais qu’on ne taxe rien sur les exilés fiscaux, on n’a pas de revenus non plus.

              Il existe donc un optimum sur le niveau de taxation des exilés fiscaux qui maximise les rentrées fiscales qu’on peut en extraire.

              La question n’est donc plus “idéologique”. Elle relève d’un exercice mathématique permettant d’optimiser les rentrées fiscales extraites des exilés fiscaux.

              L’argument se retrouve noir sur blanc dans les journaux, et qu’on soit POP ou UDC, la discussion politique gravite autour de cette position “rationnelle”. Il devient très difficile de prendre une position idéologique à ce sujet, car la gauche et la droite veulent toutes deux maximiser les rentrées fiscales des exilés fiscaux. Reste la discussion morale qui ne peut modifier l’arbitrage qu’à la marge.

              Très difficile d’argumenter à ce sujet sans prendre en compte “l’intérêt général”.

              La façon dont de tels arbitrages s’effectuent canton par canton, et la “concurrence fiscale” induite par ces fiscalités disparates font effectivement l’objet de débats, par contre. Mais l’attention portée aux équilibres intercantonaux empêche la discussion d’être un simple débat “taxons les riches” vs. optimisme béat sur les vertus de la concurrence fiscale.

              Quand vous votez sur un sujet pareil, votre seul intérêt personnel, c’est la maximisation des rentrées fiscales. Et c’est aussi “l’intérêt général”.

              Voilà la structure de ce genre de débats.

              [Si je comprends bien, vous seriez terrifié de voter en France parce que votre vote peut changer quelque chose, alors qu’en Suisse vous pouvez voter pour les extrêmes en sachant que cela ne changera rien.]

              Non. En France, je sais que mon vote ne changera rien. Je n’arriverais à faire bouger aucun clivage par mon petit vote noyé dans la masse.

              En Suisse, j’ai plus de pouvoir individuel par la simple discussion que je n’en ai en France par le vote.

              En Suisse, je ne voterais pas selon les lignes idéologiques d’un parti. Je voterais sur une votation, ou pour un parti, ou pour un autre parti, de manière à faire bouger les clivages politiques sujet par sujet. C’est d’autant plus facile que le canton est une petite structure en terme de population.

              Les partis politiques et leur lignes idéologiques sont complètement à la merci du vote populaire à cause de ce type de mécanisme.

              En France, on a des grandes lignes idéologiques dans lesquelles on est contraint d’essayer de se reconnaître. C’est juste complètement l’inverse. On ne contrôle pas par le vote l’évolution de ces lignes idéologiques.

              [Finalement, on a l’impression que pour vous le meilleur système est celui ou votre vote ne change rien.]

              Je viens d’expliquer que c’était le contraire. D’ailleurs, je n’ai même pas besoin du vote pour avoir un impact sur la politique suisse ou cantonale.

              [Comme ça, on peut voter ce qu’on veut sans crainte de se tromper.]

              Pas du tout. À chaque fois qu’on vote on peut se tromper sur l’effet qu’on attendait de notre vote.

              [Mais je ne saisis toujours pas le rapport avec « l’intérêt général »…]

              L’histoire de la Suisse a donné naissance à une structure et une culture politique qui pousse les Suisses à adopter une culture où l’intérêt général prime. C’est un phénomène culturel, qui ne s’explique pas seulement en terme de jeu institutionnel.

              C’est vraiment culturel. Et ça se retrouve à tous les niveaux de la vie sociale. Cela peut même devenir assez oppressant (je ne pense d’ailleurs pas que les Gilets Jaunes ont idée d’à quel point la Suisse peut être une “dictature populaire”).

              Les histoires de Français qui traversent en Suisse alémanique en dehors des passages piétons et qui reçoive une amende ou une visite de la police sur dénonciation anonyme, ce ne sont pas des légendes. Cela résulte d’une vision de l’intérêt général.

              [D’abord, « les Suisses » n’ont pas tout à fait voté ça. La participation a été de 45%, ce qui implique que la moitié des Suisses n’ont pas voté.]

              Ce type de point est assez peu pertinent. Si on veut rentrer dans une discussion sur la participation démocratique, faut déjà se taper ce papier:

              https://www.jstor.org/stable/2952255

              Et ensuite se demander si le Brexit avec 48% des gens qui n’ont pas voté est légitime… Ne rentrons pas dans ce débat là maintenant.

              [Ensuite, il n’est nullement évident que ce soit dans l’intérêt particulier des travailleurs d’avoir plus de vacances. En effet, qui dit plus de vacances dit moins d’heures travaillées, et qui dit moins d’heures travaillées dit moins de salaires.]

              En tout cas, ce n’était pas l’argumentaire du tout. Je pense que sur ce point, ils auraient voté pour des vacances. Toute la campagne et les discussions étaient axées sur le thème de la compétitivité.

              [La question de la longueur des congés payés a toujours été un compromis entre le salaire et le repos. On a d’ailleurs eu ce débat en France avec la limitation de la semaine de travail à 35 heures, et on a bien vu que la valeur du congé n’est pas la même pour le cadre dont le salaire confortable permet de profiter du loisir et celui de l’ouvrier qui peine à joindre les deux bouts et qui préfère « travailler plus pour gagner plus ». Le vote des suisses dans cet exemple est donc parfaitement explicable en termes d’intérêt individuel.]

              Je pense que la discussion n’avait rien à voir avec ce type d’arbitrage personnel. Ils ne voulaient surtout pas toucher à la compétitivité de l’économie suisse.

              [Je ne vois pas d’où vous tirez cette conclusion. Sur le thème de la drogue, il y a en France des débats passionnés entre ceux qui veulent légaliser – sous diverses formes – la consommation et ceux qui défendent une position de fermeté. Je en vois pas en quoi les positions seraient moins « explicitées » qu’en Suisse.]

              On n’a pas le même sens d'”explicitées”. En France, les positions sont tranchées. On a d’un côté les pro-tox et de l’autre les autorités de santé. Je simplifie.

              En Suisse, le discours est généralement antichanvre, avec des disparités assez marquées selon les cantons (le canton le plus sévère étant celui du Tessin). La position actuelle est celle de la contravention pour consommation permettant l’abandon de poursuites pénales.

              Mais la proposition fondamentale qui a été formulée par Olivier Guéniat et autour de laquelle tourne les débats est plutôt devenu celle-ci: autorisation, dans le cadre d’une légalisation contrôlée, potentiellement à l’Uruguyenne, de consommer uniquement dans un lieu privé et interdiction pénale de fumer un joint en public.

              Dans la culture du compromis suisse, même un antichanvre est contraint de se positionner sur cette proposition. En France c’est inimaginable compte tenu des positions officielles sur le sujet (notamment l’académie de médecine). En Suisse, la médecine a déjà dû faire de sérieuses concessions sur le suicide assisté, et elle est nettement moins dans sa tour d’ivoire qu’en France.

              Et puis, en pratique: Prenez l’histoire de Bernard Rappaz. (saisie de 50 TONNES des chanvres, tout de même…)

              On a là un débat sociétal, en Valais, qui implique pas mal les agriculteurs. Evidemment l’exemple de Rappaz ne les incite pas à se lancer dans le même type d’aventure, mais la culture du chanvre est considérée par certains agriculteurs valaisans comme une culture comme une autre, et ces gens là ont un poids politique non-négligeable du fait des structures de démocratie semi-directe. Il n’est pas possible de se cantonner à un strict discours de santé publique comme en France.

              [Encore une fois, je ne vois pas le rapport.] (au sujet d’Olivier Guéniat).

              Olivier Guéniat était un superflic de la brigade des stups neuchâteloise. Il avait des qualifications universitaires en criminologie. Etait une figure médiatique incontournable sur l’angle policier de la question des drogues.

              Du fait de la structuration politique suisse, il avait une liberté de ton assez inimaginable vu de France (où il se serait fait limoger extrêmement rapidement). En conséquence, il a permis au débat sur le volet sécuritaire et à la réflexion sur l’articulation entre liberté publique et sécurité d’évoluer.

              Trouvez-moi un seul responsable de la police en France qui soit en position de tenir un discours posé de criminologue sur le sujet. Alain Bauer?

              https://www.ladepeche.fr/article/2016/04/13/2324183-l-economie-clandestine-s-adaptera.html

              Il n’y a simplement pas photo entre le discours d’Olivier Guéniat et celui d’Alain Bauer. Et cela est dû au décalage entre la structure politique suisse et la structure politique française.

              [Je ne vois pas très bien en quoi cela vous obligerait à « prendre du recul sur ses convictions personnelles ». Surtout que sur une question comme celle-là, il y a de grandes chances que l’électeur n’aille aucune « conviction personnelle » à faire valoir, et qu’il suivra l’avis des partis politiques ou des commentateurs en qui il a confiance. Et on verra quelle sera la participation sur cette votation.]

              Et bien cela ne se passe pas exactement comme cela. Effectivement, sur ce sujet, les Suisses ont effectivement suivi les recommandations des experts.

              Mais j’ai fréquenté quelques personnes, de l’extérieur, qui ont mené la campagne pour “Monnaie pleine” (je passais mon temps à leur dire que leurs idées étaient simplistes). Pour faire simple, je me suis retrouvé dans un petit groupe très disparate (aide-soignante extrême-gauche, ancien prof d’université d’économie catholique traditionnaliste, étudiants plutôt indécis, artistes populo, ex-financier dissident, etc…). Ils savaient tous qu’ils allaient perdre. Le but était de faire campagne et de faire monter le débat dans la population. Et une des personnes que je connaissais qui était parmi les plus impliquées dans cette campagne (notamment par une activité frénétique de micro-trottoirs) a voté en privé contre la position qu’il défendait en public. C’est un exemple de comment les gens, y compris ceux qui mènent campagne, prennent du recul par rapport à leur convictions.

              [Parce que cela donnait un peu de piment à leurs vies grises, je suppose.]

              Obsédés qu’ils étaient par leur boulot, clairement pas. Le choc dans la population était général.

              [Cela leur donnait l’impression qu’enfin il se passait quelque chose dans un système ultra-prévisible…]

              Alors, oui, le système était ultra-prévisible. La montée de l’UDC était prévisible. La façon dont Blocher attaquait les institutions était prévisible.

              Ce qui était moins prévisible, c’est que les hommes politiques ont fait le choix, pour préserver les institutions et surtout le fonctionnement collégial du conseil fédéral, de:

              1. Affaiblir les institutions en brisant la “formule magique” de répartition des sièges au conseil fédéral.

              2. Briser la culture du consensus en faisant émerger pour la première fois un parti qui se déclare être une opposition. (Il n’y avait pas de partis d’opposition avant)

              Vu de Suisse, c’est un coup d’état. Si j’avais à comparer avec la France, je dirais que le choc institutionnel équivalent serait la suppression du Sénat.

              [Je peux vous assurer que c’est la même chose dans les mairies françaises. Sauf que, contrairement aux Suisses, les français sont des cyniques, et ne se font guère d’illusions sur ce qui se passe sous les apparences policées du système politique…]

              Apparence policées? En France? C’est une foire d’empoigne!

              [Mais se plaignent-ils de ne pas pouvoir voter selon leurs intérêts individuels ?]

              Oui. Assez fréquemment.

              J’en connais un, bouffeur de curé de gauche universaliste, qui n’a pas supporté certains discours complaisants de la gauche locale face aux discrets islamistes locaux. (Ramadan est suisse, et ce n’est absolument pas un hasard à mon avis s’il est capable de tenir le discours multi-facettes qu’il tient…) Vote UDC. But? Faire revenir la gauche à des positions plus universalistes et moins complaisantes face à la religion. Intérêt personnel à voter UDC? Tout à perdre. Convictions UDC? Aucune (mis à part le côté “peuple” de l’UDC, mais même cela c’est à géométrie variable). Intérêt général? Recul de la religion dans les affaires publiques. (Pas de véritable séparation de l’Eglise et de l’Etat en Suisse.)

              [Votre argument apporte plutôt de l’eau à mon moulin, en suggérant que même vos amis gauchos se plaignent de devoir voter en fonction de leurs intérêts plutôt que de leurs convictions…]

              Il a voté contre ses intérêts et ses convictions pour défendre sa conviction / intérêt général en faisant un calcul plus ou moins inconscient visant à faire bouger les clivages politiques existants.

              J’ai eu l’occasion de discuter un peu avec Oskar Freysinger. C’est un cas assez différent (il est quand même assez “mystique” comme bonhomme), mais c’est le même type de logique qui est à l’oeuvre dans son parcours.

              [Moi j’appelle ça se contenter de peu. Mais ce n’est que mon opinion…]

              Pour vous, il faudrait rajouter une “mission civilisatrice”?

              [Oui, enfin, on notera que la plupart d’entre eux ont fait leur grand œuvre hors de Suisse…]

              Exact. C’est une caractéristique incontournable de la Suisse. Si vous êtes une personne normale, vous pouvez tout à fait faire quelque chose d’honorable rien qu’en Suisse. Si vous voulez faire quelque chose d’assez grand, la Suisse est trop petite. 7 millions d’habitants, c’est peu. Toutes les villes (sauf Zürich) sont aux frontières et interagissent constamment avec les pays limitrophes. C’est d’ailleurs un des grands enjeux des bilatérales avec l’Union Européenne et notamment dans le domaine de la recherche et l’enseignement supérieur.

              [peut-être que c’est un grand pays à condition d’en sortir ?]

              C’est dangereux de ne pas en sortir, en effet. Pour caricaturer, à un extrême, vous pouvez être un paysan d’Obwald qui ne sort jamais de son canton et qui apprécie l’apport financier de riches qui viennent de l’étranger. À l’autre extrême, vous avez le bonhomme qui travaille dans ou pour les organisations onusiennes.

              [« Caché » ? Vous trouvez que les turpitudes de Balkany sont « cachées », par exemple ?]

              Vous avez vu le temps que ça a mis pour le fumer hors de son terrier? La complexité des montages financiers? La honte que lui tapait Elise Lucet? Le niveau de protection qu’il avait?

              Comparez avec l’affaire Pierre Maudet à Genève. Lui, il a pas fait un pli! Pour peanuts… (Il s’accroche quand même au pouvoir, mais ils l’ont pas loupé.)

              Maintenant, si vous voulez des cachotteries en Suisse, ne regardez pas (directement) les politiciens. Regardez plutôt du côté des Ports Francs par exemple. (Les Suisses n’ont aucune illusion sur le niveau de cachotterie qui a lieu dans leur pays.)

              Et plus que Balkany, je serais beaucoup plus intéressé de l’histoire d’Alexis Kohler avec MSC. Ca bouge pas très vite non plus, cette affaire, par rapport à l’affaire Maudet!

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [Dites-moi si vous souhaitez interrompre la discussion, à votre convenance. Car il me paraît douteux que je ne répondrais pas si vous ne m’invitez pas à passer à autre chose…]

              Je ne vois pas de raison d’interrompre, mais je vous conseillerais d’être plus synthétique…

              [On peut conserver l’aspect olympien, et briser la personnalisation du pouvoir et imaginer les conséquences aussi. Par exemple, imaginons un système électoral identique au système français, à la seule différence que l’élection désignerait (selon des modalités à débattre) 7 co-présidents qui seraient contraints de s’entendre comme en Suisse.]

              Pardon, « contraints » par quoi ? Que se passerait-il s’ils ne se mettent pas d’accord ? Encore une fois, le système suisse est très bien adapté à un pays fédéral et provincial. Je vois mal comment il pourrait fonctionner dans un pays unitaire et qui se conçoit lui-même comme une puissance. Au moment d’appuyer sur le bouton nucléaire, qui décide ?

              [Par contre, il me semble indéniable qu’elle ait une logique de grandeur, à l’heure actuelle et dans l’histoire. À l’heure actuelle, l’importance dingue que prend la science et la technologisation de la vie économique et publique en témoigne. Programme spatial exubérant, triomphalisme économique, autoritarisme relativement bien accepté de la part de la population.]

              Je ne vois pas très bien ou est là-dedans la « logique de grandeur ». Les chinois voient dans la science et la technologie plus un moyens de tenir tête à l’occident qu’un instrument pour propager leurs idées, leur vision du monde, leur « way of life ».

              [C’est un jeu télévisé délirant dédié à tester les connaissances des participants sur le marxisme et la “pensée Jinping”. L’hubris techno-étatique à mourrir de rire montre bien l’aspiration à de la grandeur.]

              Encore une fois, tout ça est à usage interne. Il n’y a rien d’universel là dedans.

              [Il a quand même tout fait pour se cacher au maximum et publier ses ouvrages le plus anonymement possible. Sa modestie pécuniaire était également légendaire. Après son herem et avoir ainsi initialement fait du bruit, il a quand même tout fait pour être discret.]

              Vous confondez « discrétion » et « anonymat » (et accessoirement, « discrétion » et « frugalité », parce que je ne sais pas ce que veut dire « modestie pécuniaire »). Spinoza a tout fait pour se cacher non pas par « discrétion », mais pour éviter les persécutions, qu’elle viennent de sa propre communauté ou du gouvernement. Rien de « discret » là dedans.

              [Dans la même logique, on pourrait aussi citer Darwin. Garder son ouvrage 20 ans dans les tiroirs pour ne pas faire de vagues, c’est quand même de la discrétion.]

              Là, vous confondez « discrétion » et « prudence »…

              [« Quant à Preger qu’à-t-il fait de « grand » ? Soigner des gens dans la rue est une tâches très utile, qui méritent certainement la reconnaissance de la société. Mais on a du mal à voir la « grandeur » dans cette activité. En quoi l’histoire de l’humanité serait différente si Preger n’avait jamais existé ? Ou si au lieu de soigner les misérables à Calcutta il les avait soignés à Budapest ? » Parce que le mouvement qu’il a lancé, la “street medicine” n’existait pas avant lui. Le mouvement essaime. Ca change quand même sérieusement le monde dans la capacité d’accès à la médecine des exclus. À mon avis, ce mouvement n’est pas du tout fini et va avoir pas mal d’impact à moyen terme.]

              Avec ce genre de considération, l’inventeur de la trotinette est encore plus grand…

              [Fait abstrait: “tout entier est une somme de quatre carrés”.]

              Vous êtes sérieux ? Vous pensez vraiment qu’une propriété mathématique est un « fait » ?

              [« Si c’est le cas, je dois dire que je suis tout à fait favorable à ce que nos politiques s’occupent le moins possible des « faits concrets ». Parce que se concentrer sur les « faits concrets » implique se concentrer sur les intérêts de chaque citoyen, et non pas sur l’intérêt général. » Donc pour vous, l’état des prisons, les problèmes d’accès à l’administration, le logement, l’accès aux soins, la suffisance alimentaire, la présence policière, tout cela, vous souhaitez que l’Etat s’en occupe le moins possible? Cela ne me paraît pas très raisonnable.]

              Si je m’en tiens à votre définition, « l’état des prisons » n’est pas un « fait concret ». L’état de telle cellule dans telle prison est un fait concret, mais « l’état des prisons » est aussi général que « tout nombre est la somme de quatre carrés ». Et le même raisonnement peut être fait pour « l’accès à l’administration », « le logement », etc. Pouvez vous m’expliquer en quoi la « suffisance alimentaire » est un « fait concret » ?

              [Personnellement, je vous avoue que lors du “débat” Macron/Le Pen, le moment où j’ai été intégralement convaincu par Macron a été lorsque je l’ai entendu parler de sa vision de la problématique des autistes et de leurs familles lors de la question bonus de fin de débat. Il connaissait son sujet plus qu’il ne le laissait paraître, et il n’a pu le faire que parce qu’il a croisé les “faits concrets” avec les considérations d’intérêt général.]

              Franchement, je n’élis pas un président de la République pour qu’il s’occupe de l’autisme. Et je ne vois pas très bien en quoi cela a un rapport avec « l’intérêt général ». La réponse de Macron dans le cas d’espèce est l’exemple de la traditionnelle intervention à faire pleurer dans les chaumières pour montrer qu’on a un cœur.

              [Donc, je continue à penser qu’on ne peut pas penser l’intérêt général en faisant fi des faits concrets.]

              La répétition ne constitue pas un argument.

              [Le débat sur l’autisme est illustratif du problème. On peut en trouver plein d’autres: les obstacles qu’EDF a mis en place qui ont freiné l’essor de la méthanisation. L’état du système éducatif, qui ne pourra pas se résoudre par des grands débats et moulinets idéologiques sur la place du “pédagogisme”. Et ceterae…]

              Je me rends compte que la différence entre nous sur ce point vient du fait que vous pensez que le politique est là pour « résoudre les problèmes », et moi pas. Pour moi, c’est l’administration qui résout les problèmes. Le politique est là pour donner à l’administration les directions dans lesquelles les problèmes doivent être résolus. Les grands débats sur le pédagogisme ne règleront peut-être pas les problèmes de l’école, mais ceux dont a mission est de résoudre ces problèmes ont besoin d’une direction : doit-on aller vers une école « pédagogiste » ou pas ? Quant à la question de la « méthanisation », je ne vois pas très bien de quels « obstacles » vous voulez parler.

              [Le mouvement top-down que vous décrivez est nécessaire. Mais pour déterminer quelles règles sont intelligentes et quelles règles ne le sont pas, on a besoin d’un mouvement bottom-up. À l’heure actuelle, seule le parlementarisme le permet. C’est insuffisant.]

              Si vous comptez sur les parlementaires pour vous dire quelles règles sont intelligentes, vous êtes mal barré. Ca, c’est le rôle de l’administration, des corps techniques, des académies…

              [« Encore une fois, je pense que vous partez en croisade contre les moulins à vent. Trouvez-vous vraiment que nos hommes politiques aujourd’hui soient dans l’idéologie ? » RN et FI? Oui, absolument. Les “républicains”? Le Retour Discret de la Théocratie. Les “socialistes”? L’Humanisme Mou. LREM? Le pseudo-spinozisme technocratique à tendance strauss-kahnienne.]

              Mais où voyez-vous de « l’idéologie » ? Chacune des organisations que vous citez « colle » aux désirs supposés de l’électorat, changeant de position comme de chemise dès qu’il détecte un mouvement de l’opinion. Le RN était pour la sortie de l’Euro, il ne l’est plus. LFI était contre la supranationalité, maintenant elle propose un « règlement européen » imposant la « règle verte », contrainte de nature constitutionnelle. LR et le PS ont voté toutes les privatisations passées, maintenant ils demandent un référendum contre la privatisation d’ADP. Et vous me parlez « d’idéologie » ? Le problème, justement, est qu’il n’y a plus d’idéologie. Tous les partis sont devenus des machines électorales, et c’est donc le pragmatisme qui prime tout.

              [« Pensez à la gestion des services publics : qu’est ce qui guide les réformes qui s’accumulent depuis vingt ans ? Une réflexion « idéologique » sur ce que devrait être le service public ? » Absolument. Un manque de réalisme total couplé à des considérations idéologiques.]

              Mais QUELLE considération idéologique, bon dieu ! Non, toutes les réformes qui s’accumulent depuis vingt ans ont le même objectif : réduire les coûts, réduire les déficits. Difficile de trouver une considération plus pragmatique. Ou voyez-vous une réflexion « idéologique » sur ce que devrait être le service public ?

              [Et ne me parlez même pas des autoroutes en France ou je vais faire un anévrisme.]

              Parce que vous croyez vraiment qu’on a privatisé les autoroutes par « idéologie » ? Ne serait-ce plutôt parce que dans une logique d’alternance les gouvernements ont compris qu’il vaut mieux vendre les bijoux de famille plutôt que de les laisser vendre par son successeur ? Ce n’est pas l’idéologie qui nous tue, mais exactement son contraire : le pragmatisme à courte vue, qui prétend résoudre les « problèmes concrets » du moment.

              [Vous imaginez vraiment qu’à l’heure actuelle, avec la présence d’Internet qui fait complètement éclater les formes de verrouillage médiatique de l’information qui existait auparavant, les Gilets Jaunes se satisferaient de considérations idéologiques qui les mobiliseraient vers des lendemains qui chantent?]

              Oui. Vous noterez que les « gilets jaunes » ne sont pas les couches les plus misérables de la population. Leur mouvement n’est pas une émeute de la faim. C’est un mouvement qui traduit l’angoisse d’une partie de la population plongée dans des transformations qu’elle ne comprend pas par rapport à son avenir. Le rôle de l’idéologie, c’est de donner une cohérence à notre expérience du monde et, partant, de permettre une action cohérente pour peser sur lui. Oui, je suis profondément convaincu que ce contre quoi les « gilets jaunes » se révoltent, c’est contre le vide idéologique qui permet au système politique de dire le lendemain le contraire de ce qu’il a dit la veille.

              Je constate que pour vous le mot « idéologie » est un gros mot, synonyme de « bavardage inutile » alors que les « faits concrets » attendent. C’est à mon avis tout le contraire : l’idéologie est un mot noble. L’idéologie, c’est la capacité de l’homme de donner une cohérence aux faits épars qu’il observe, et d’y donner une réponse elle-même cohérente. Sans idéologie, la politique se réduit à un travail de pompier pyromane.

              [Le modèle de l’avant-garde éclairée guidant la masse des aveugles me semble bel et bien mort.

              J’espère pour vous et pour moi que non. Parce que l’alternative, c’est la masse des aveugles tournant en rond sans personne pour les guider.

              [« Et je ne vois pas très bien le lien avec « l’intérêt général » » Impensable d’avoir des discussions politiques en Suisse si vous ne pensez pas en terme d’intérêt général. Simplement inconcevable. Que vous soyez banquier genevois ou paysan d’Uri.]

              Vous vous foutez de moi ? Je veux bien admettre qu’il soit impensable d’avoir des discussions politiques en Suisse sans PRETENDRE penser en termes d’intérêt général. Mais vous croyez vraiment que les suisses, lorsqu’ils réfléchissent dans le secret de leurs pensées, ne voient jamais leurs pensées souillées par leurs intérêts personnels ? Quel merveilleux pays que le vôtre, peuplé de saints qui ne pensent jamais qu’aux autres…

              [Il existe donc un optimum sur le niveau de taxation des exilés fiscaux qui maximise les rentrées fiscales qu’on peut en extraire.]

              Quel est le rapport avec l’intérêt général ? La maximisation des rentrées fiscales prélevées sur les étrangers n’implique aucun conflit entre l’intérêt général et l’intérêt particulier de l’électeur suisse. Les deux coïncident parfaitement.

              [La question n’est donc plus “idéologique”. Elle relève d’un exercice mathématique permettant d’optimiser les rentrées fiscales extraites des exilés fiscaux.]

              Mais vous noterez que le choix idéologique – celui de s’enrichir sur le dos des autres pays en favorisant l’exil fiscal – a été fait en amont. Votre exemple illustre parfaitement ce que je disais plus haut : c’est au politique de faire le choix idéologique, ensuite pour résoudre le cas « concret » l’administration a tout ce qu’il faut.

              [« Si je comprends bien, vous seriez terrifié de voter en France parce que votre vote peut changer quelque chose, alors qu’en Suisse vous pouvez voter pour les extrêmes en sachant que cela ne changera rien. » Non. En France, je sais que mon vote ne changera rien. Je n’arriverais à faire bouger aucun clivage par mon petit vote noyé dans la masse.]

              Et en Suisse « votre petit vote » peut faire bouger quelque chose ? Soyez sérieux…

              [En Suisse, j’ai plus de pouvoir individuel par la simple discussion que je n’en ai en France par le vote.]

              Pourriez-vous donner un exemple ou votre « pouvoir individuel » ait changé quelque chose ? Vous nagez en plein idéalisme…

              [En Suisse, je ne voterais pas selon les lignes idéologiques d’un parti. Je voterais sur une votation, ou pour un parti, ou pour un autre parti, de manière à faire bouger les clivages politiques sujet par sujet.]

              Parce que vous croyez vraiment qu’en France on vote « selon les lignes idéologiques d’un parti » ? A votre avis, comment à fait Emmanuel Macron pour gagner une élection présidentielle alors qu’il n’avait pas de parti à sa disposition ? Finalement, j’ai l’impression que vous connaissez mal le monde extérieur à la Suisse. Vous savez, dans les autres pays aussi les électeurs votent en fonction des programmes, de la personnalité des candidats, du temps qu’il fait. Prenez le référendum de 2005 : alors que pratiquement tous les partis politiques s’étaient prononcés pour le « oui », c’est le « non » qui l’emporte.

              [« Mais je ne saisis toujours pas le rapport avec « l’intérêt général »… » L’histoire de la Suisse a donné naissance à une structure et une culture politique qui pousse les Suisses à adopter une culture où l’intérêt général prime. C’est un phénomène culturel, qui ne s’explique pas seulement en terme de jeu institutionnel.]

              Vous répétez cette affirmation comme un disque rayé, mais j’attends toujours un exemple. Pour le moment, à chaque fois vous me proposez des situations ou l’intérêt général et les intérêts particuliers coïncident. Pouvez-vous me donner un exemple ou les suisses aient fait primer l’intérêt général sur leurs intérêts particuliers ?

              [Les histoires de Français qui traversent en Suisse alémanique en dehors des passages piétons et qui reçoive une amende ou une visite de la police sur dénonciation anonyme, ce ne sont pas des légendes. Cela résulte d’une vision de l’intérêt général.]

              Pas du tout. Cela résulte d’un légalisme exacerbé, qui suppose que toute règle – même la plus absurde – doit être strictement observée simplement parce que c’est la loi. Cela n’a aucun rapport avec « l’intérêt général ». C’est plutôt la marque de sociétés où les forces centrifuges sont puissantes, et où le moindre écart à la règle est vécu comme une menace de tomber dans le chaos.

              [« D’abord, « les Suisses » n’ont pas tout à fait voté ça. La participation a été de 45%, ce qui implique que la moitié des Suisses n’ont pas voté. » Ce type de point est assez peu pertinent. Si on veut rentrer dans une discussion sur la participation démocratique, faut déjà se taper ce papier:]

              Le point est parfaitement pertinent. Vous avez affirmé que « les Suisses ont voté ça », et votre affirmation est inexacte dans la mesure ou la participation était particulièrement faible. Point n’est donc besoin de rentrer dans un débat sur la participation électorale.

              [Et ensuite se demander si le Brexit avec 48% des gens qui n’ont pas voté est légitime…]

              Là encore, révisez vos chiffres : la participation au référendum pour le Brexit a été de 72%. Ensuite, la question ici n’est pas de savoir si le résultat de la votation suisse était « légitime », mais si on peut dire que « les Suisses » ont voté telle ou telle chose alors que la moitié d’entre eux n’a pas voté.

              [« Ensuite, il n’est nullement évident que ce soit dans l’intérêt particulier des travailleurs d’avoir plus de vacances. En effet, qui dit plus de vacances dit moins d’heures travaillées, et qui dit moins d’heures travaillées dit moins de salaires. » En tout cas, ce n’était pas l’argumentaire du tout. Je pense que sur ce point, ils auraient voté pour des vacances. Toute la campagne et les discussions étaient axées sur le thème de la compétitivité.]

              Je me fous de l’argumentaire, de ce que les politiques peuvent dire sur les plateaux de télévision ou de ce que les électeurs eux-mêmes peuvent dire pour déguiser leurs intérêts particuliers. Le « fait concret », pour utiliser votre terminologie, est que ce n’est pas nécessairement dans l’intérêt des gens d’avoir plus de vacances.

              [Je pense que la discussion n’avait rien à voir avec ce type d’arbitrage personnel. Ils ne voulaient surtout pas toucher à la compétitivité de l’économie suisse.]

              A supposer même que la question de la compétitivité fut la question essentielle chez les électeurs, pensez-vous que leurs intérêts individuels auraient été mieux servis en portant atteinte à la compétitivité suisse ? Encore une fois, vous me donnez un exemple ou l’intérêt général et l’intérêt particulier se confondent. Dans ce genre de cas, il est très facile de prétendre qu’on défend l’intérêt général…

              [« Je ne vois pas d’où vous tirez cette conclusion. Sur le thème de la drogue, il y a en France des débats passionnés entre ceux qui veulent légaliser – sous diverses formes – la consommation et ceux qui défendent une position de fermeté. Je en vois pas en quoi les positions seraient moins « explicitées » qu’en Suisse. » On n’a pas le même sens d’”explicitées”.]

              Moi je prends celui du dictionnaire. Quel est le votre ?

              [Mais la proposition fondamentale qui a été formulée par Olivier Guéniat et autour de laquelle tourne les débats est plutôt devenu celle-ci: autorisation, dans le cadre d’une légalisation contrôlée, potentiellement à l’Uruguyenne, de consommer uniquement dans un lieu privé et interdiction pénale de fumer un joint en public. Dans la culture du compromis suisse, même un antichanvre est contraint de se positionner sur cette proposition. En France c’est inimaginable compte tenu des positions officielles sur le sujet (notamment l’académie de médecine).]

              J’ai l’impression que vous vivez dans une bulle. D’où tirez-vous que « en France c’est inimaginable » pour un antichanvre de se positionner sur une telle proposition ? Il se positionnera, et la position sera bien entendu négative. Point à la ligne.

              [En Suisse, la médecine a déjà dû faire de sérieuses concessions sur le suicide assisté, et elle est nettement moins dans sa tour d’ivoire qu’en France.]

              Des concessions à qui ?

              [On a là un débat sociétal, en Valais, qui implique pas mal les agriculteurs. Evidemment l’exemple de Rappaz ne les incite pas à se lancer dans le même type d’aventure, mais la culture du chanvre est considérée par certains agriculteurs valaisans comme une culture comme une autre, et ces gens là ont un poids politique non-négligeable du fait des structures de démocratie semi-directe. Il n’est pas possible de se cantonner à un strict discours de santé publique comme en France.]

              Vous voulez dire qu’en France la politique concernant les drogues est faite en fonction de considérations de santé publique, alors qu’en Suisse elle est faite en fonction du poids politique des producteurs des drogues ? Tout à coup, je me sens mieux d’être Français…

              [Olivier Guéniat était un superflic de la brigade des stups neuchâteloise. Il avait des qualifications universitaires en criminologie. Etait une figure médiatique incontournable sur l’angle policier de la question des drogues. Du fait de la structuration politique suisse, il avait une liberté de ton assez inimaginable vu de France (où il se serait fait limoger extrêmement rapidement). En conséquence, il a permis au débat sur le volet sécuritaire et à la réflexion sur l’articulation entre liberté publique et sécurité d’évoluer.]

              Personnellement, je suis très heureux de vivre dans un pays où les débats sont conduits par les élus, les partis politiques, les scientifiques, et non par les superflics médiatiques. Mais c’est une opinion personnelle…

              [Trouvez-moi un seul responsable de la police en France qui soit en position de tenir un discours posé de criminologue sur le sujet. Alain Bauer?]

              Il n’y en a pas, et c’est très heureux. Les responsables policiers sont là pour obéir aux ordres et appliquer les lois, et non pour les faire.

              [Et bien cela ne se passe pas exactement comme cela. Effectivement, sur ce sujet, les Suisses ont effectivement suivi les recommandations des experts.]

              Donc, on aurait pu économiser la votation et confié l’affaire aux experts.

              [Et une des personnes que je connaissais qui était parmi les plus impliquées dans cette campagne (notamment par une activité frénétique de micro-trottoirs) a voté en privé contre la position qu’il défendait en public. C’est un exemple de comment les gens, y compris ceux qui mènent campagne, prennent du recul par rapport à leur convictions.]

              Vous appelez ça « prendre du recul par rapport à ses convictions » ? Franchement, j’hésite entre « hypocrisie » et « schizophrénie ».

              [« Votre argument apporte plutôt de l’eau à mon moulin, en suggérant que même vos amis gauchos se plaignent de devoir voter en fonction de leurs intérêts plutôt que de leurs convictions… » Il a voté contre ses intérêts et ses convictions pour défendre sa conviction / intérêt général en faisant un calcul plus ou moins inconscient visant à faire bouger les clivages politiques existants.]

              Vite, un rasoir d’Occam pour la 12…

              [« Moi j’appelle ça se contenter de peu. Mais ce n’est que mon opinion… » Pour vous, il faudrait rajouter une “mission civilisatrice”?]

              Oui, et l’assumer.

              [Exact. C’est une caractéristique incontournable de la Suisse. Si vous êtes une personne normale, vous pouvez tout à fait faire quelque chose d’honorable rien qu’en Suisse. Si vous voulez faire quelque chose d’assez grand, la Suisse est trop petite. 7 millions d’habitants, c’est peu.]

              Je ne saisis pas très bien en quoi la population est un paramètre. Einstein aurait pu parfaitement développer la théorie de la relativité en Suisse. Je pense que le problème n’est pas tant la petitesse physique que la petitesse mentale. La Suisse est mentalement un petit pays. C’est une société ultra-conservatrice, assise sur son tas d’or et regardant avec méfiance tout ce qui vient d’ailleurs. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Jean Ziegler, qui la connait bien…

              [« « Caché » ? Vous trouvez que les turpitudes de Balkany sont « cachées », par exemple ? » Vous avez vu le temps que ça a mis pour le fumer hors de son terrier? La complexité des montages financiers? La honte que lui tapait Elise Lucet? Le niveau de protection qu’il avait?]

              Ne changez pas de sujet : la question ici était si les turpitudes étaient « cachées », et non si elles étaient sanctionnées. Dans le cas de Balkany, les turpitudes sont connues depuis deux décennies, et Balkany a d’ailleurs déjà été condamné une fois pour cela. Bien sur, la sanction est différente selon les pays. En France, tout le monde sait que ces choses-là arrivent, et les électeurs tendent à garder un maire efficace même s’il met la main dans la caisse, parce qu’ils n’ont guère d’illusions sur ce qui pourrait venir à sa place. En pays protestant, les turpitudes sont tolérées à condition de rester cachées. Dès qu’elles sont connues, elles doivent être punies.

            • F68.10 dit :

              [Je ne vois pas de raison d’interrompre, mais je vous conseillerais d’être plus synthétique…]

              J’ai essayé de faire synthétique, mais je n’y suis pas arrivé.

              [Pardon, « contraints » par quoi ?]

              Cela faisait partie des conditions que je demandais à cette expérience de pensée de remplir pour l’effectuer. Donc à priori, il ne s’agit pas d’un item à justifier.

              Mais on pourrait trouver plusieurs mécanismes de contraintes. En Suisse, c’est la tradition du fonctionnement des institutions et la pression populaire essentiellement. Dans un système plus français, on pourrait exiger des décisions prises à la majorité des deux tiers, pour faire simple. Si cela déclenche un blocage institutionnel, tous les journaux en parlerait. Et rien n’empêche d’imaginer un mécanisme institutionnel qui ferait un remplacement partiel d’un des membres tous les ans pour éviter que les blocages persistent.

              [Que se passerait-il s’ils ne se mettent pas d’accord ? Encore une fois, le système suisse est très bien adapté à un pays fédéral et provincial. Je vois mal comment il pourrait fonctionner dans un pays unitaire et qui se conçoit lui-même comme une puissance. Au moment d’appuyer sur le bouton nucléaire, qui décide ?]

              Pour les situations d’urgence, les Suisses ont un mécanisme un peu spécial. Ils élisent un général qui ne répond plus vraiment devant l’exécutif tant qu’il est en fonction.

              Wikipedia sur le général Guisan: “Le 30 août 1939, l’Assemblée fédérale le désigne comme Général de l’armée suisse (grade existant uniquement en cas de risque de guerre) soit commandant en chef de l’armée suisse par 204 voix contre 21, responsabilité qu’il assume durant toute la Seconde Guerre mondiale (1939-1945).”

              Plus généralement, un tel système de 7 co-présidents sembleraient effectivement inadapté à un pays comme la France. Mais je ne vois pas pourquoi cette appréciation ne serait pas intrinsèquement illusoire.

              Ce n’est pas à mon avis une question de grand ou de petit pays. Ni même une question une question de vouloir projeter sa puissance sur l’étranger. C’est plutôt une opposition entre mentalité confédérale et mentalité relative à un état unitaire qui a mené à cet état de fait.

              Et si ça vous fait peur au niveau national, pourquoi pas repenser cette expérience de pensée au niveau régional plutôt que national? Cela semblerait moins choquant.

              [Je ne vois pas très bien ou est là-dedans la « logique de grandeur ». Les chinois voient dans la science et la technologie plus un moyens de tenir tête à l’occident qu’un instrument pour propager leurs idées, leur vision du monde, leur « way of life ».]

              Je ne pense pas que cela soit le cas. L’obsession technologique de la Chine ne me semble pas dirigée vers l’Occident, mais bien plus à vocation interne. Une façon de donner une vision de l’avenir à son peuple. Ce n’est que coïncidence historique que cela se fasse dans un contexte de rivalité avec l’Occident et de revanche à prendre sur l’humiliation de l’épisode “colonial”.

              [Encore une fois, tout ça est à usage interne. Il n’y a rien d’universel là dedans.]

              Vous me semblez clairement confondre grandeur et aspiration à l’universel.

              Je passe la discussion sur la discrétion de différents grands hommes, car on a manifestement un désaccord sur le sens des mots et sur le niveau de preuve qu’il y a apporter à cette assertion. On rentrerait dans du pilpoul peu productif.

              [Vous êtes sérieux ? Vous pensez vraiment qu’une propriété mathématique est un « fait » ?]

              Je ne vois pas comment cela pourrait en être autrement. C’est autant un fait que la loi de la gravitation est un fait. Dans les deux cas, c’est une loi “abstraite” qui se matérialise concrètement dans toute une série d’implémentation concrète. N’importe quel fait mathématique, y compris le plus abstrait, peut se ramener in fine à des considérations toutes empiriques, ou matérielles, si vous voulez.

              [Si je m’en tiens à votre définition, « l’état des prisons » n’est pas un « fait concret ». L’état de telle cellule dans telle prison est un fait concret, mais « l’état des prisons » est aussi général que « tout nombre est la somme de quatre carrés ».]

              Pas faux. Un peu excessif, mais pas faux. Maintenant, c’est comme tout, c’est en s’intéressant aux faits concrets qu’on tire des règles générales pertinentes. C’est aussi une question de perspective: soit on donne la priorité aux règles et on fantasme que le terrain s’y conforme, soit on part du terrain et on fait en sorte que les règles collent le plus possible à la réalité à gérer.

              [Franchement, je n’élis pas un président de la République pour qu’il s’occupe de l’autisme.]

              Mais pour qu’il s’occupe de la question de la rationalité dans l’implémentation et l’évaluation des politiques publiques, oui. Et c’est justement ce que ce point illustrait.

              [Et je ne vois pas très bien en quoi cela a un rapport avec « l’intérêt général ». La réponse de Macron dans le cas d’espèce est l’exemple de la traditionnelle intervention à faire pleurer dans les chaumières pour montrer qu’on a un cœur.]

              Ah non… Quand on vois la volée de bois vert que les psychiatres se prennent sur ce sujet depuis qu’il est au pouvoir… C’est plutôt dans les chaumières des psychiatres qu’on pleure parce qu’il n’a pas de coeur.

              [La répétition ne constitue pas un argument.]

              Alors voilà ce que j’ai en tête quand je parle de faire le plus possible attention aux faits concrets:

              https://www.pc.gov.au/__data/assets/pdf_file/0003/85836/cs20090204.pdf

              [Pour moi, c’est l’administration qui résout les problèmes. Le politique est là pour donner à l’administration les directions dans lesquelles les problèmes doivent être résolus. Les grands débats sur le pédagogisme ne règleront peut-être pas les problèmes de l’école, mais ceux dont a mission est de résoudre ces problèmes ont besoin d’une direction : doit-on aller vers une école « pédagogiste » ou pas ?]

              C’est effectivement là que je ne suis absolument pas d’accord avec vous. Le choix d’aller vers une école “pédagogiste” ou pas n’est absolument pas une question d’opinion politique. C’est une question portant des états factuels du monde selon le choix qui est fait. Et comme tout, cela s’évalue rationnellement.

              Effectivement, je concède que le politique a pour vocation de donner des lignes directrices là où de toutes façons il faut effectivement faire des choix, y compris irrationnels. Je concède aussi au politique le droit et même le devoir de remettre l’administration à sa place d’exécutant si tel est son bon vouloir. Mais la structure administrative et tout son mode de pensée ne devrait pas être une question d’opinion sauf indication contraire de l’exécutif. Et le premier pas qui me semble nécessaire pour implémenter cela, c’est la suppression du Conseil d’Etat et le basculement des juridictions administratives vers des juridictions civiles. (Là je sais que suis tout seul et que personne n’ose me suivre…)

              [Quant à la question de la « méthanisation », je ne vois pas très bien de quels « obstacles » vous voulez parler.]

              Les conditions tarifaires de rachat de l’électricité qui nous ont fait prendre 15 ans de retard (j’exagère il me semble) par rapport à l’Allemagne. Et il y a tout de même deux ou trois considérations idéologiques dans EDF et autour d’EDF qui ont nous ont handicapé dans ces politiques tarifaires.

              [Si vous comptez sur les parlementaires pour vous dire quelles règles sont intelligentes, vous êtes mal barré. Ca, c’est le rôle de l’administration, des corps techniques, des académies…]

              Ben non. C’est aux députés de faire aussi ce boulot. Ou en tout cas de contrôler comment ce boulot est fait. Là, on a des notables, des idéologues et des experts du légalisme institutionnels. Des fois, ça donne des résultats intéressants, comme l’audition de Benalla par le Sénat. Mais franchement, quand je lis le travail des commissions parlementaires, surtout dans le domaine médical, j’ai envie de m’arracher les cheveux.

              Alors qu’une petite nana comme Rebecca Ruiz, qui n’a quelques diplômes universitaires (sciences sociales et sciences criminelles) et un engagement associatif dans le monde de la santé accomplit un boulot remarquable. C’est probablement un effet du fait qu’un canton est de petite taille et essentiellement régalien que cela est possible. La responsabilité administrative lui retombe plus rapidement sur les épaules que dans un pays avec une population 100 fois plus grande que son canton. Le découplage entre politique et administration est d’autant plus fort qu’une structure est grande, et d’autant plus faible qu’une structure est petite. La caricature, c’est l’Union Européenne.

              Plus c’est petit, plus les parlementaires ou membres de l’exécutif sont contraints de gérer les dossiers au plus près de l’administration.

              [Mais où voyez-vous de « l’idéologie » ? Chacune des organisations que vous citez « colle » aux désirs supposés de l’électorat, changeant de position comme de chemise dès qu’il détecte un mouvement de l’opinion.]

              L’idéologie pour moi, c’est le fait de donner comme seul repère à l’électeur un but général à travers son vote. Pour vous, l’idéologie semble recouvrir l’idée d’une orientation forte et constante d’une homme politique au service d’une vision du monde. Traduit en terme de choix électoral pour le péquin moyen, c’est très pauvre comme moyen d’expression.

              Le résultat, c’est les discussions au bistrot, où les plus grandes généralités et simplismes sont assénés entre gens qui vont finir par se haïr.

              J’oppose à l’idéologie l’idée de créer l’opinion non pas autour de grandes idées (sur lesquels ils n’ont pas d’autres choix que de changer d’opinion comme de chemises) mais autour de questions plus isolées. Fragmenter le grand choix idéologique en de multiples questions nettement plus pratiques.

              Cela changerait la pratique de la discussion politique au bistrot du coin. Et aussi la façon de voter. Et in fine les relations entre les partis.

              [Le RN était pour la sortie de l’Euro, il ne l’est plus. LFI était contre la supranationalité, maintenant elle propose un « règlement européen » imposant la « règle verte », contrainte de nature constitutionnelle. LR et le PS ont voté toutes les privatisations passées, maintenant ils demandent un référendum contre la privatisation d’ADP. Et vous me parlez « d’idéologie » ? Le problème, justement, est qu’il n’y a plus d’idéologie. Tous les partis sont devenus des machines électorales, et c’est donc le pragmatisme qui prime tout.]

              On a vraiment une définition inversée des mots. Quand vous parlez de “pragmatisme”, vous semblez faire référence au pragmatisme dans l’opportunisme politique. C’est pour moi très différent du pragmatisme qui consiste à traiter les questions une à une sous le regard d’électeurs qui ne toléreraient pas les crispations idéologiques (ce que Sarkozy appelait “cliver”).

              [Mais QUELLE considération idéologique, bon dieu ! Non, toutes les réformes qui s’accumulent depuis vingt ans ont le même objectif : réduire les coûts, réduire les déficits. Difficile de trouver une considération plus pragmatique. Ou voyez-vous une réflexion « idéologique » sur ce que devrait être le service public ?]

              Ben exactement là! Qu’est-ce qui a justifié ce démantèlement du service public? La réduction des déficits et des coûts? Je n’y crois pas un seul instant. Il y a eu une idéologie: “la réduction des coûts passe par la privatisation et les mécanismes de marché”. C’est pas complètement faux, mais c’est simpliste. Et c’est justement parce que c’est simpliste que c’est devenu une idéologie et que tout y est passé!

              [Parce que vous croyez vraiment qu’on a privatisé les autoroutes par « idéologie » ? Ne serait-ce plutôt parce que dans une logique d’alternance les gouvernements ont compris qu’il vaut mieux vendre les bijoux de famille plutôt que de les laisser vendre par son successeur ?]

              Moi j’y ai vu effectivement de l’idéologie dans les discours autour de cette privatisation. Maintenant j’y ai aussi vu ce que vous dites, mais pas dans les mêmes proportions.

              La Suisse a une vignette générale pour les autoroutes. Pas de péages crétins. Pas cette logique de rentabilité qui consiste à prendre l’automobiliste pour une vache à lait. Ce que j’appelle l’idéologie… Au contraire, une politique publique de financement à long terme, avec une lisibilité sur la fiscalité associée aux transports, qui fait l’objet de votations de temps en temps. Au final les autorités gèrent les aménagement et les projets concrets, mais n’ont pas le dernier mot sur un petit délire qu’ils pourraient se taper entre potes, comme la privatisation des autoroutes… Celui ou celle qui ose tenter cela se ramasse illico une votation à gérer…

              [Ce n’est pas l’idéologie qui nous tue, mais exactement son contraire : le pragmatisme à courte vue, qui prétend résoudre les « problèmes concrets » du moment.]

              Le pragmatisme, c’est à long terme qu’il se pratique. Nous n’avons visiblement pas la même caractérisation du pragmatisme.

              [Oui. Vous noterez que les « gilets jaunes » ne sont pas les couches les plus misérables de la population. Leur mouvement n’est pas une émeute de la faim.]

              Effectivement.

              [C’est un mouvement qui traduit l’angoisse d’une partie de la population plongée dans des transformations qu’elle ne comprend pas par rapport à son avenir.]

              En large partie, oui.

              [Le rôle de l’idéologie, c’est de donner une cohérence à notre expérience du monde et, partant, de permettre une action cohérente pour peser sur lui.]

              Et c’est justement là que je n’arrive pas à suivre. Je vois ce que vous voulez dire par l’idéologie. Mais je reste fondamentalement sur le sentiment que ce type d’idéologie, au final, c’est leurrer les gens pour les faire avancer. Je crois vraiment quand dans le monde actuel, les idées circulent trop vite et se percutent trop vite. Les gens ne toléreront que de plus en plus difficilement de se faire guider. Il n’y a rien qu’à voir comment l’utilisation du mot “pédagogie” par les politiques est perçue par cette frange de l’opinion.

              [Oui, je suis profondément convaincu que ce contre quoi les « gilets jaunes » se révoltent, c’est contre le vide idéologique qui permet au système politique de dire le lendemain le contraire de ce qu’il a dit la veille.]

              J’ai perçu que sur votre blog, vous faites un éloge constant de la constance. C’est tout à votre honneur.

              Mais je pense que le phénomène Chouard montre aussi que les français veulent se ressaisir de l’objet politique de manière beaucoup plus forte. Je constate aussi que dans les chicaneries partisanes politiques au niveau local qui ont lieu en ce moment où la “droite nationale” et le “rassemblement national” se disputent l’interprétation du score aux européennes, pas mal de militants de petits partis de droite veulent de plus en plus casser les verrous de la logique majoritaire et deviennent de plus en plus “chouardiens” ou chouardo-compatibles. Ils tiennent encore à l'”idéologie”, mais en voulant de plus en plus rompre avec la logique majoritaire, il se coupent aussi des conditions par lesquelles l'”idéologie” peut arriver au pouvoir.

              Je pense que nous faisons un contresens partiel sur le terme idéologie. J’ai le sentiment que vous l’entendez en tant que choix de philosophie politique, qui engage l’élu au sens noble du terme. Je l’entends en tant que fixation sur une téléologie morale qui prend le pas sur les considérations pratiques, et empêche les débats nuancés d’avoir lieu au profit de coups de menton.

              [Je constate que pour vous le mot « idéologie » est un gros mot, synonyme de « bavardage inutile » alors que les « faits concrets » attendent.]

              Ben pas tout à fait. Je pense que le temps de l’idéologie, ou plutôt de la philosophie politique, n’est pas le temps de la politique politicienne, et que c’est une erreur de catégorie que de calquer l’une sur l’autre. La philosophie politique est absolument essentielle.

              Mais croire qu’il est possible de “géométriser” la réalité politique à partir d’une philosophie/idéologie, et espérer que le réel suivra l’ordre qu’on voudrait philosophiquement ou idéologiquement lui imposer me paraît un danger très sérieux. C’est en ce sens que je m’oppose à la pratique de l’idéologie bien que je reconnaisse absolument la nécessité d’une conception philosophique de la politique.

              [C’est à mon avis tout le contraire : l’idéologie est un mot noble. L’idéologie, c’est la capacité de l’homme de donner une cohérence aux faits épars qu’il observe, et d’y donner une réponse elle-même cohérente. Sans idéologie, la politique se réduit à un travail de pompier pyromane.]

              C’est effectivement une caractérisation de l’idéologie que j’ai déjà rencontré dans mes lectures: la capacité au-delà des faits bruts de les hiérarchiser pour leur donner un sens qu’ils n’ont pas à priori pris isolément (mais là on retombe sur le débat que nous avons sur la construction “sociale” de l’interprétation des faits bruts).

              Mais l’idéologie dont vous parlez, de mon point de vue, doit être une idéologie négociée entre tous les partis pour qu’elle s’inscrive dans la durée, la constance, et évite la tentation du pompier pyromane. La logique de parti et la logique majoritaire de l’élection induisent aussi un mouvement de balancier qui brouille la lisibilité de l’idéologie d’un Etat sur le moyen terme et brisent aussi la constance de l’action publique.

              [J’espère pour vous et pour moi que non. Parce que l’alternative, c’est la masse des aveugles tournant en rond sans personne pour les guider.]

              Vu ce que j’ai vécu personnellement, je préfère mille fois qu’on arrête d’essayer de me guider. Mais au delà de mon cas particulier, votre assertion fait sens. Malheureusement, je ne suis pas vraiment convaincu que l’élite éclairée sache vraiment où elle veut guider la masse des aveugles, ni qu’elle soit réellement éclairée. Elle a sacrément tendance à se cogner violemment contre les parois de la caverne de Platon.

              [Vous vous foutez de moi ? Je veux bien admettre qu’il soit impensable d’avoir des discussions politiques en Suisse sans PRETENDRE penser en termes d’intérêt général. Mais vous croyez vraiment que les suisses, lorsqu’ils réfléchissent dans le secret de leurs pensées, ne voient jamais leurs pensées souillées par leurs intérêts personnels ?]

              Bien sûr que non! Je me satisfais que les gens discutent ouvertement de l’intérêt général. Ensuite, qu’ils s’engagent personnellement dans des Crimes de la Pensée, ce n’est pas vraiment mon affaire.

              Mais ils ont tendance à être assez ouverts sur leurs convictions politiques, et au moins on peut en discuter assez facilement. J’ai beaucoup plus de mal en France à arriver à décoincer suffisamment mon interlocuteur pour arriver à le faire parler de sujets tabous, comparativement.

              [Quel merveilleux pays que le vôtre, peuplé de saints qui ne pensent jamais qu’aux autres…]

              Si c’était le cas, je ne voudrais pas y vivre. L’idée du Paradis correspond dans mon esprit à celle de la Corée du Nord. J’ai besoin de l’égoïsme des autres pour arriver à le prendre en compte dans mes évaluations politiques et morales.

              [Quel est le rapport avec l’intérêt général ? La maximisation des rentrées fiscales prélevées sur les étrangers n’implique aucun conflit entre l’intérêt général et l’intérêt particulier de l’électeur suisse. Les deux coïncident parfaitement.]

              Exactement. (Enfin presque, faut pas non plus exagérer).

              [Mais vous noterez que le choix idéologique – celui de s’enrichir sur le dos des autres pays en favorisant l’exil fiscal – a été fait en amont. Votre exemple illustre parfaitement ce que je disais plus haut : c’est au politique de faire le choix idéologique, ensuite pour résoudre le cas « concret » l’administration a tout ce qu’il faut.]

              C’est plutôt l’histoire qui a fait ce choix plus qu’il ne résulte d’un véritable choix politique. Dans la catégorie “petit pays”, je crois qu’il n’y ait guère que San-Marin qui a démocratiquement fait le choix d’un truc comme le “communisme”. Les cantons suisses se contentent, assez lâchement parfois, de gérer un choix que, majoritairement, l’histoire a fait à leur place.

              Ce que je voulais illustrer, c’est à quel point le système suisse rend futiles les oppositions idéologiques sur de tels sujets. D’un côté, on peut affirmer que le système contraint les électeurs à ce que leur intérêt particulier soit aligné sur l’intérêt général, et en un sens les aliène. De l’autre côté, on a des votes fréquents qui donnent le sentiments à l’électeur de toujours faire un choix personnel, aussi progressif et petit soit-il.

              L’électeur suisse a effectivement tendance à avaliser un consensus qui se créé dans le discours public (aussi bien ses cercles personnels que les media). La question est donc moins celle de son vote que celle de la création du consensus sociétal, auquel son vote, entre autres, participe.

              [Et en Suisse « votre petit vote » peut faire bouger quelque chose ? Soyez sérieux…]

              Plus facilement, oui. Quand on a un ratio de 1 a 100 en termes de taille pour qu’une voix influence le principal échelon législatif, effectivement, on a plus le sentiment de pouvoir faire bouger les choses par le vote qu’en France. Mais le vote est effectivement un seul des éléments d’influence.

              [Pourriez-vous donner un exemple ou votre « pouvoir individuel » ait changé quelque chose ? Vous nagez en plein idéalisme…]

              Je ne vais pas vous faire la liste de tous les gens que j’ai réussi ou échoué à convaincre. Mais encore, une personne de convaincue à une thèse qui m’est propre a un poids électoral pour impacter l’échelon législatif équivalent à 100 français. C’est quand même un chouilla plus productif.

              [Parce que vous croyez vraiment qu’en France on vote « selon les lignes idéologiques d’un parti » ? A votre avis, comment a fait Emmanuel Macron pour gagner une élection présidentielle alors qu’il n’avait pas de parti à sa disposition ?]

              Il a eu une femme plus âgée qui lui a expliqué deux ou trois choses sur la vie, un parcours pas idiot, de la gouaille, et il s’est trouvé toute une collection d’appuis, certains recommandables, d’autres moins. Parmi lesquels l’inénarrable Alain Minc. Et ensuite, l’équipe à Macron s’est fait un magnifique petit travail d’analyse pseudo-statistique de l’opinion, qui ferait pâlir un Karl Rove, et a réussi à casser en deux un PS dont l’aile droite rêvait de réforme, et qui était incapable de monter une machine électorale personnelle comme l’a fait le petit roquet.

              Mais effectivement Macron a vendu du “progressisme” depuis le début. Peut-être que les français se sont fait inconsciemment manipulés, mais l’instinct progressiste-libéral des électeurs de Macron les a effectivement fait voter selon une ligne idéologique non-avouée.

              [Finalement, j’ai l’impression que vous connaissez mal le monde extérieur à la Suisse. Vous savez, dans les autres pays aussi les électeurs votent en fonction des programmes, de la personnalité des candidats, du temps qu’il fait. Prenez le référendum de 2005 : alors que pratiquement tous les partis politiques s’étaient prononcés pour le « oui », c’est le « non » qui l’emporte.]

              Grand moment. Mais où voulez-vous en venir sur ce point précis?

              [Vous répétez cette affirmation comme un disque rayé, mais j’attends toujours un exemple. Pour le moment, à chaque fois vous me proposez des situations ou l’intérêt général et les intérêts particuliers coïncident.]

              Oui, ben effectivement, c’est plutôt cela mon propos. Maintenant, j’ai l’impression que pour vous, n’importe qui ne peut pas faire autrement que suivre son intérêt particulier, car ce serait psychologiquement inconcevable. Je trouve cette vision “freudo-hobbesienne” assez triste et plutôt infondée, mais bon…

              [Pouvez-vous me donner un exemple ou les suisses aient fait primer l’intérêt général sur leurs intérêts particuliers ?]

              Des suisses individuels, oui, je connais des cas, même si vous me semblez pas avoir la même conception de l’intérêt individuel que moi. Je vous ai donné aussi l’exemple du refus de l’augmentation des vacances, mais il ne vous convient pas. En tant que boutade, j’ai envie de vous dire que sur l’initiative sur les vaches à cornes, c’était le simple fait de voter qui en soit était contre l’intérêt de tout votant.

              https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/va/20181125/det623.html

              Sinon:

              https://www.swissinfo.ch/fre/democratiedirecte/garde-fous-nécessaires_-la-démocratie-directe-n-est-pas-une-religion-/41124676

              “De nombreuses initiatives – par exemple sur l’introduction du salaire minimum ou de deux semaines de vacances supplémentaires – ont été refusées en Suisse, alors qu’elles auraient largement été acceptées dans d’autres pays. Les citoyens votent contre leur intérêt personnel immédiat, ce qui peut étonner à l’étranger.”

              En tout cas, mon opinion semble pas mal partagé.

              [Pas du tout. Cela résulte d’un légalisme exacerbé, qui suppose que toute règle – même la plus absurde – doit être strictement observée simplement parce que c’est la loi. Cela n’a aucun rapport avec « l’intérêt général ». C’est plutôt la marque de sociétés où les forces centrifuges sont puissantes, et où le moindre écart à la règle est vécu comme une menace de tomber dans le chaos.]

              Vous exagérez. Le légalisme existe en Suisse, mais plutôt au niveau des institutions et des entreprises. C’est beaucoup moins le cas dans la vie de tous les jours, mais cela dépend beaucoup du canton. Le Tessin n’est pas légaliste pour un sou, je doute que le Jura le soit. Zürich est nettement plus légaliste. Les cantons cathos le sont un peu plus que les cantons protestants qui sont paradoxalement plus permissifs.

              [Le point est parfaitement pertinent. Vous avez affirmé que « les Suisses ont voté ça », et votre affirmation est inexacte dans la mesure ou la participation était particulièrement faible. Point n’est donc besoin de rentrer dans un débat sur la participation électorale.]

              Je n’arrive vraiment pas à comprendre le point de crispation que j’ai touché.

              https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/politique/votations/participation.html

              Les participations sont toujours de cet ordre. Si je vous suis, on ne devrait jamais dire que les Suisses aient voté quoique ce soit compte tenus des taux de participation aux votations. Et je ne pense pas que cela viendrait à l’esprit des Suisses de se mettre à rejeter une votation au motif du taux de participation dans le même style qu’on entend parfois en France la légitimité d’un président se faire attaquer au motif de la participation aux présidentielles.

              Vraiment, je ne comprends pas votre position.

              [Là encore, révisez vos chiffres : la participation au référendum pour le Brexit a été de 72%.]

              71.2% de personnes pouvant voter par rapport à la population totale.
              72% de participation.
              Donc 51.3% de la population qui ont effectivement voté.
              51.9% de “leave”. Ce qui fait 26.6% de la population totale.
              48.1% de “remain”. Ce qui fait 24.7% de la population totale.

              Effectivement, mon 48% n’avait pas la bonne interprétation. Mais bon, pareil: avec 26.6% de “leave” par rapport à toute la population britannique, on ne peut pas dire que “les Britanniques aient voté le Brexit” au sens strict du terme.

              Mais bon, je ne vois toujours pas l’intérêt de cette discussion.

              [Ensuite, la question ici n’est pas de savoir si le résultat de la votation suisse était « légitime », mais si on peut dire que « les Suisses » ont voté telle ou telle chose alors que la moitié d’entre eux n’a pas voté.]

              Mouais. Quelle différence de fond? Une tournure langagière? C’est comme ça à chaque votation, en terme de participation.

              [Je me fous de l’argumentaire, de ce que les politiques peuvent dire sur les plateaux de télévision ou de ce que les électeurs eux-mêmes peuvent dire pour déguiser leurs intérêts particuliers.]

              Je trouve que c’est un gros biais psychanalytique/télépathique tout ça: “tu ne sais pas ce que tu penses inconsciemment, mais moi, je peux disséquer ton âme”. Vous avez quelle autre type de données pour vous faire une opinion à ce sujet? Personnellement, je n’ai pas trop l’impression qu’ils avaient quoique ce soit à cacher. Ils étaient quand même assez nombreux à expliquer qu’ils auraient bien aimé voter dans un sens mais qu’ils ne pouvaient pas le faire.

              [A supposer même que la question de la compétitivité fut la question essentielle chez les électeurs, pensez-vous que leurs intérêts individuels auraient été mieux servis en portant atteinte à la compétitivité suisse ?]

              Ben non. Mais effectivement, là on adopte une définition de l’intérêt particulier qui devient tellement extensive qu’elle perd son sens. Est-ce que Jésus, à supposer qu’il ait existé, n’avait pas un intérêt personnel à se faire crucifier car son intérêt personnel coïncidait avec l’intérêt général de faire advenir les temps messianiques par son sacrifice humain et sa résurrection? Est-ce que le bonhomme qui a tenté d’assassiner Hitler pensait à son intérêt personnel quand il a pris le risque de son acte?

              J’ai l’impression que vous avez un parti pris idéologique sur la nature du psychisme humain qui vous contraint à refuser la possibilité du concept d’un geste altruiste. Alors que le concept d’un geste égoïste vous est probablement acceptable. Que les humains soient plus souvent égoïstes qu’altruistes, je le veux bien (encore que…), mais en faire une généralité absolue, je ne peux m’y résoudre. Je ne sais pas quelle est votre réelle position sur la définition de l’intérêt personnel. Pour moi, c’est “ce qui bénéficie à la personne” indépendamment d’autres considérations que l’intérêt général. En ce sens, je maintiens qu’en ce qui concerne la votation sur les vacances, les suisses ont voté contre leur intérêt personnel.

              [Encore une fois, vous me donnez un exemple ou l’intérêt général et l’intérêt particulier se confondent. Dans ce genre de cas, il est très facile de prétendre qu’on défend l’intérêt général…]

              Que l’intérêt personnel et l’intérêt général se confonde, ça me convient comme caractérisation, si on adopte votre compréhension de l’intérêt personnel. Que cela rende plus facile de défendre l’intérêt général me convient aussi. Si en plus on prétend qu’on n’a pas besoin d’héroïsme pour y arriver, alors je suis aussi preneur.

              [Moi je prends celui du dictionnaire. Quel est le votre ?]

              Les positions dogmatiques sont explicites et donc explicitées. Par contre la nature réelles des arguments et du débat sur le chanvre restent dissimulés par la rhétorique et les tentatives de désinformation. L’articulation du débat entre les deux positions n’est donc pas explicitées.

              [J’ai l’impression que vous vivez dans une bulle. D’où tirez-vous que « en France c’est inimaginable » pour un antichanvre de se positionner sur une telle proposition ? Il se positionnera, et la position sera bien entendu négative. Point à la ligne.]

              Et bien c’est toute la différence entre le “positionnement” de l’anti-avortement qui fait des attentats à la bombe contre une clinique, et un opposant à l’avortement qui est forcé de se “positionner” en défendant ses arguments dans un débat contradictoire au sein d’une société qui lui demande de moralement prendre en compte les arguments de la partie adverse.

              Dans le premier cas, il y a un “positionnement” qui consiste à ne pas débattre honnêtement et ne pas participer à la création d’un consensus social. Il s’agit d’imposer par la force sa propre vision dans le consensus social.

              Dans le deuxième cas, le “positionnement” consiste à débattre honnêtement et participer à la création d’un consensus social, en utilisant les votations pour trancher le débat.

              Je n’appelle pas le premier cas un “positionnement”. C’est exactement la différence que je fais entre “idéologie” et “pragmatisme”.

              [Des concessions à qui ?]

              Et bien des concessions aux personnes sur lesquelles elle (la médecine) exerce un pouvoir moral. Comme les gens qui demandent le suicide assisté ou l’euthanasie. Comme ils sont forcés de débattre en public plutôt que de rester dans leur tour d’ivoire et de jouer les médecins-victimes assaillies par une horde de complotistes, ils sont forcés de débattre. Et ça donne ça:

              https://www.youtube.com/watch?v=RaKeFWvY5Ew

              En France, Jean-Luc Roméro continue de faire des ronds dans l’eau tout seul avec son association. Parce que la société française n’a pas les moyens de forcer le débat de société à se faire publiquement.

              Je peux donner d’autres exemples.

              [Vous voulez dire qu’en France la politique concernant les drogues est faite en fonction de considérations de santé publique, alors qu’en Suisse elle est faite en fonction du poids politique des producteurs des drogues ? Tout à coup, je me sens mieux d’être Français…]

              Et bien prenez la question inverse. Quand l’épidémie de SIDA a débarqué, en France, on a fait la sourde oreille comme des demeurés. Parce que les décisions étaient prises selon des critères de “santé public” que seuls les médecins déterminaient, en qui ont eu pour conséquence l’enfer pour ces gens. En Suisse, à Zürich, je crois, on a eu des études faites beaucoup plus rapidement, le SIDA a été épidémiologiquement comptabilisé avant qu’en France, et les politiques de distributions de seringues propres ont débutées dans la foulée pour juguler la bête immonde.

              Beaucoup plus difficile de garder la merde sous le tapis sous prétexte d’expertise en santé publique quand vous avez des moyens de pression démocratique de ce style.

              C’est le même type de situation qui a eu lieu au sujet des salles de shoot. En France, toutes les rationalisations délirantes sont possibles au motif de la santé publique. En attendant, en Suisse, l’héroïne médicalisée est effectivement délivrée aux patients.

              (Heureusement qu’on a Buzyn de nos jours pour distribuer deux ou trois baffes bien méritées à certains médecins délirants…)

              Quand au “poids politique des producteurs de drogue”, n’exagérons rien, il s’agit de paysans valaisans. Ils ne sont pas seuls dans le canton, et si jamais ils se mettent à produire de la drogue no strings attached, une ou deux votations et puis la régulation est vite mise en place. C’est pas comme si c’était le cartel des Zetas ou les FARCs, les paysans valaisans…

              [Personnellement, je suis très heureux de vivre dans un pays où les débats sont conduits par les élus, les partis politiques, les scientifiques, et non par les superflics médiatiques. Mais c’est une opinion personnelle…]

              Ben en Suisse, ils sont conduits par les élus, les partis politiques, les scientifiques, et aussi les superflics médiatiques qui ont de plus des diplômes universitaires et pas un simple concours de la fonction publique à leur actif. Ca ne m’a pas l’air d’être franchement plus la foire aux idées louches et suspectes.

              [Il n’y en a pas, et c’est très heureux. Les responsables policiers sont là pour obéir aux ordres et appliquer les lois, et non pour les faire.]

              Et on ne peut pas faire les deux? D’un côté obéir aux ordres et appliquer la loi, et de l’autre intervenir dans le débat public sur des thèmes de société? Effectivement, quand on connaît un peu le fonctionnement de choses telles que l’IGPN, on a assez peu confiance sur la liberté de ton possible des officiers de police. Résultat, on n’a que des syndicats de policiers qui ont le droit de l’ouvrir et dont le seul droit est de jouer les pleureuses au sujet des suicides dans la police.

              [Donc, on aurait pu économiser la votation et confié l’affaire aux experts.]

              Non. Parce qu’une fois que les gens ont voté, la décision, c’est la leur. Ce n’est plus les experts qui ont décidé à leur place. Si jamais ils veulent râler, leur connaissances sociales leur feront gentiment remarquer que ce ne sont pas les experts qui ont décidé, mais eux-mêmes lors de la votation. Résultat: les experts sont à leurs places, en tant qu’experts, et pas décideurs suprêmes. Et vous cassez ainsi dans l’oeuf une bonne partie du complotisme.

              [Vous appelez ça « prendre du recul par rapport à ses convictions » ? Franchement, j’hésite entre « hypocrisie » et « schizophrénie ».]

              Et bien oui. Car on prend conscience assez vite que l’acte mener une campagne, et l’acte de voter, ce n’est pas pareil et ça n’a pas le même but. On ne mène pas nécessairement une campagne pour gagner. On mène une campagne pour lever un sujet de société, faire parler, faire progresser une idée, quitte à attendre la prochaine votation dans 5 ans.

              [Vite, un rasoir d’Occam pour la 12…]

              J’ai pas saisi la référence. Mais oui, cela peut paraître surprenant à priori qu’on puisse voter en pensant comme cela, mais c’est plus ou moins inévitable.

              [Oui, et l’assumer.]

              Assumer une mission civilisatrice? Moi, je veux bien, mais en quel sens? Que veux-t’on apporter au reste du monde? On va civiliser qui et comment?

              Moi, je commencerais bien par civiliser l’Arabie Saoudite, mais je sens que ça va pas être très consensuel, cette histoire.

              Quand à la Suisse, il est faux de dire qu’il n’y a pas de “mission civilisatrice” dans la tête des gens y vivent. Par contre, il est vrai que l’Etat n’a absolument pas ce rôle, qui relève plutôt de l’initiative privée (diplomatie, finance, fondations, recherche, et volonté quand même affichée d’exporter leur modèle démocratique).

              [Je ne saisis pas très bien en quoi la population est un paramètre. Einstein aurait pu parfaitement développer la théorie de la relativité en Suisse. Je pense que le problème n’est pas tant la petitesse physique que la petitesse mentale. La Suisse est mentalement un petit pays. C’est une société ultra-conservatrice, assise sur son tas d’or et regardant avec méfiance tout ce qui vient d’ailleurs. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Jean Ziegler, qui la connait bien…]

              Il y a une petitesse mentale qui coexiste avec l’inverse complet. Des structures de recherche existent maintenant et sont performantes et attirent les chercheurs étrangers. Mais je pense effectivement que la recherche à très haut niveau ne peut se faire que là où une concentration de personnes existent (c’est moins vrai avec Internet de nos jours). D’ailleurs Einstein a effectivement développé la relativité quand il était en Suisse. De nos jours, des institutions comme l’EPFL ont l’ambition sûrement un peu excessives de devenir une forme de Princeton européen. Pas sûr que cela prenne.

              Ce n’est pas une société ultra-conservatrice. C’est une société qui évolue lentement, avec une frange très conservatrice. Mais je préfère mille fois ces conservateurs aux Versaillais. Pas mal de progressistes ou de gens de gauche, tout de même…

              La finance est assise sur un tas d’or. Le Suisse moyen, pas tellement. Il a des salaires élevés, mais des charges élevées aussi. Le chiffre parlant est celui de la propriété immobilière privée. Seulement 20% des Suisses, à la louche, sont propriétaires. Ce sont des gens qui vivent dans un pays riche mais qui ne roulent pas sur l’or pour autant.

              [Ne changez pas de sujet : la question ici était si les turpitudes étaient « cachées », et non si elles étaient sanctionnées. Dans le cas de Balkany, les turpitudes sont connues depuis deux décennies, et Balkany a d’ailleurs déjà été condamné une fois pour cela. Bien sur, la sanction est différente selon les pays. En France, tout le monde sait que ces choses-là arrivent, et les électeurs tendent à garder un maire efficace même s’il met la main dans la caisse, parce qu’ils n’ont guère d’illusions sur ce qui pourrait venir à sa place. En pays protestant, les turpitudes sont tolérées à condition de rester cachées. Dès qu’elles sont connues, elles doivent être punies.]

              Je n’ai pas ce sentiment. Déjà la Suisse n’est pas un pays protestant au sens strict. C’est tout autant catholique (38.82%) que protestant (30.9%).

              J’ai quand même l’impression que mal de turpitudes sont cachées en France. Le temps que les affaires prennent pour sortir est effroyable. J’en vois beaucoup moins en Suisse, mais les choses sont assez peu comparables, je trouve: par exemple, il n’y a pas de législation sur le financement des partis politiques en Suisse. Donc, par exemple, pas d’affaire Pénéloppe Fillon possible. La culture du secret est forte, et aucune votation ou initiative de votation pour plus de transparence n’a abouti jusqu’ici.

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [« Je ne vois pas de raison d’interrompre, mais je vous conseillerais d’être plus synthétique… » J’ai essayé de faire synthétique, mais je n’y suis pas arrivé.]

              Je ne vous le fais pas dire…

              [Mais on pourrait trouver plusieurs mécanismes de contraintes. En Suisse, c’est la tradition du fonctionnement des institutions et la pression populaire essentiellement. Dans un système plus français, on pourrait exiger des décisions prises à la majorité des deux tiers, pour faire simple. Si cela déclenche un blocage institutionnel, tous les journaux en parleraient. Et rien n’empêche d’imaginer un mécanisme institutionnel qui ferait un remplacement partiel d’un des membres tous les ans pour éviter que les blocages persistent.]

              En d’autres termes, lorsqu’un blocage surgit, on attendrait un an avant de faire quelque chose ? Non, franchement, je me méfie toujours des gens qui proposent des systèmes politiques ou l’on donne la préférence au frein plutôt qu’au moteur. Le but du système politique, c’est de faire, pas d’empêcher de faire…

              En vous lisant, il me vient une réflexion que je trouve intéressante. Dans la plupart des pays, les citoyens ont d’abord investi les pouvoirs locaux, et c’est pourquoi le pouvoir central s’est constitué contre les citoyens. Du coup, les gens voient dans le pouvoir central un danger qu’il faut conjurer en l’entourant de mécanismes de contrôle et de révision pour l’empêcher d’agir. En France, c’est l’inverse : le pouvoir central s’est construit comme garant devant des pouvoirs locaux corrompus et tyranniques. Et c’est pourquoi les français veulent un pouvoir central capable d’agir. La demande de décentralisation en France est une demande des élites, pas des gens.

              [Pour les situations d’urgence, les Suisses ont un mécanisme un peu spécial. Ils élisent un général qui ne répond plus vraiment devant l’exécutif tant qu’il est en fonction.]

              Mais ce général ne fait que commander les troupes. Qui gouverne le pays pendant ce temps-là ?

              [Et si ça vous fait peur au niveau national, pourquoi pas repenser cette expérience de pensée au niveau régional plutôt que national? Cela semblerait moins choquant.]

              Mais quel est l’intérêt, à part de diluer les responsabilités et de réduire les administrations locales à l’impuissance ?

              [« Encore une fois, tout ça est à usage interne. Il n’y a rien d’universel là-dedans. » Vous me semblez clairement confondre grandeur et aspiration à l’universel.]

              Sans les confondre, l’aspiration à l’universel est l’un des éléments marquants de l’esprit de grandeur. Difficile d’être « grand » si vous ne pensez pas avoir quelque chose à donner au monde.

              [« Vous êtes sérieux ? Vous pensez vraiment qu’une propriété mathématique est un « fait » ? » Je ne vois pas comment cela pourrait en être autrement. C’est autant un fait que la loi de la gravitation est un fait. Dans les deux cas, c’est une loi “abstraite” qui se matérialise concrètement dans toute une série d’implémentation concrète. N’importe quel fait mathématique, y compris le plus abstrait, peut se ramener in fine à des considérations toutes empiriques, ou matérielles, si vous voulez.]

              Non, justement. Les sciences physiques décrivent le comportement d’un monde qui nous est extérieur, dont les objets existent indépendamment de nous. Les pommes ont commencé à tomber de haut en bas bien avant qu’il y ait un homme sur terre pour les observer. Les objets mathématiques sont de pures créations humaines. C’est nous qui, par axiome, décidons qu’il existe une infinité de points, des droites, des plans, et que par un point extérieur à une droite il passe une et une seule droite parallèle à la première. Si nous postulons qu’au lieu d’une il y en a deux – ce que fit Lobatchevski, on construit des objets mathématiques différents, avec des propriétés différentes.

              C’est pourquoi on peut parler de « fait » en physique, parce que les objets physiques et leurs propriétés existent objectivement, mais pas en mathématiques parce que les objets mathématiques sont subjectifs. Et c’est pourquoi il ne peut pas y avoir d’empirie en mathématiques, tout au plus des représentations ou des analogies à but pédagogique. Certains objets mathématiques ne sont pas représentables (pensez à un espace vectoriel de dimension infinie, par exemple) et vous aurez du mal à trouver une « analogie » pour eux…

              [Pas faux. Un peu excessif, mais pas faux. Maintenant, c’est comme tout, c’est en s’intéressant aux faits concrets qu’on tire des règles générales pertinentes.]

              Ou pas. Ce n’est pas parce qu’on s’intéresse aux « faits concrets » qu’on tire des règles générales pertinentes. Pendant des siècles, on a tiré des « faits concrets » l’idée que la terre était plate et que le soleil tournait autour. Il a fallu justement sortir des « faits concrets » pour aller plus loin.

              [« Franchement, je n’élis pas un président de la République pour qu’il s’occupe de l’autisme. » Mais pour qu’il s’occupe de la question de la rationalité dans l’implémentation et l’évaluation des politiques publiques, oui. Et c’est justement ce que ce point illustrait.]

              Et bien je ne l’élis pas non plus pour qu’il s’occupe de cette question. Pour examiner la rationnalité dans l’implémentation et l’évaluation des politiques, il y a des experts qui font ça très bien. Si j’élis un président de la République, c’est pour qu’il fasse des choix POLITIQUES sur les grandes questions qui concernent la vie du pays. Pour décider de la meilleure façon de guérir le cancer, il y a les oncologues.

              [« Et je ne vois pas très bien en quoi cela a un rapport avec « l’intérêt général ». La réponse de Macron dans le cas d’espèce est l’exemple de la traditionnelle intervention à faire pleurer dans les chaumières pour montrer qu’on a un cœur. » Ah non… Quand on vois la volée de bois vert que les psychiatres se prennent sur ce sujet depuis qu’il est au pouvoir… C’est plutôt dans les chaumières des psychiatres qu’on pleure parce qu’il n’a pas de coeur.]

              En tout cas, je ne vois pas le rapport avec l’intérêt général.

              [Alors voilà ce que j’ai en tête quand je parle de faire le plus possible attention aux faits concrets: (…)]

              L’exemple que vous donnez n’a rien à voir avec les « faits concrets ». Il s’agit d’un article sur « l’evidence-based policy-making », terme barbare qu’on pourrait traduire par « la définition des politiques publiques fondée sur des preuves ». Nulle part l’auteur de l’article considère que ces « preuves » doivent ou même puissent être des « faits concrets ». Au contraire : il signale bien que la plupart des politiques publiques « sont des expériences », et comme telles ne peuvent être évaluées ex-ante. En fait, la logique de « l’évidence-based policy making » est celle du « cercle de la raison » d’Alain Minc : il faut chasser la politique de la politique, et laisser gouverner les techniciens et les experts, les seuls à même d’apprécier « l’évidence »…

              [C’est effectivement là que je ne suis absolument pas d’accord avec vous. Le choix d’aller vers une école “pédagogiste” ou pas n’est absolument pas une question d’opinion politique. C’est une question portant des états factuels du monde selon le choix qui est fait. Et comme tout, cela s’évalue rationnellement.]

              Alors, à quoi bon voter – ou confier aux élus, ce qui revient au même – cette décision ? Laissons les techniciens décider quelle est la meilleure école pour nous enfants…

              Non, le choix entre une école « pédagogiste » ou pas est bien un choix politique. Parce que ce qui se joue dans ce choix n’est pas de savoir si le pédagogisme est meilleur que la méthode traditionnelle à l’heure de transmettre certains contenus, mais bien la nature des contenus qu’on souhaite transmettre. Selon que l’école sera « pédagogiste » ou pas, les résultats seront de nature – et pas seulement de degré – différents.

              [Et le premier pas qui me semble nécessaire pour implémenter cela, c’est la suppression du Conseil d’Etat et le basculement des juridictions administratives vers des juridictions civiles. (Là je sais que suis tout seul et que personne n’ose me suivre…)]

              Et à juste titre. La juridiction administrative a été créée justement pour empêcher la juridiction judiciaire de s’ériger en pouvoir et de réduire à néant le vote des citoyens. C’est une question de démocratie pure. Je n’ai pas envie qu’un juge inamovible et « indépendant » puisse décider que les électeurs ont tort.

              [« Quant à la question de la « méthanisation », je ne vois pas très bien de quels « obstacles » vous voulez parler. » Les conditions tarifaires de rachat de l’électricité qui nous ont fait prendre 15 ans de retard (j’exagère il me semble) par rapport à l’Allemagne.]

              Je suis toujours fasciné par cette idée selon laquelle on « serait en retard » par rapport à l’Allemagne parce qu’on refuse de jeter l’argent par les fenêtres comme elle l’a fait. D’ailleurs, je trouve curieux qu’après avoir défendu l’idée qu’il fallait prendre en compte les « faits concrets » et évaluer les politiques vous proposiez dans ce domaine de suivre une politique purement idéologique qui consiste à subventionner à fonds perdus une source d’énergie qui ne nous fait rien gagner en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Regardons les « faits concrets » si vous le voulez bien : on a engagé plus de cent milliards d’euros dans le développement d’énergies renouvelables qui représentent aujourd’hui 5% de la production totale et qui ne nous ont fait gagner pas un gramme de CO2. En Allemagne, le développement massif des énergies renouvelables et l’abandon du nucléaire s’accompagne d’une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Avec ces « faits concrets » en main, pensez-vous que le développement des énergies renouvelables à coups de subventions ait été une politique « rationnelle » ? Ou diriez-vous qu’elle est purement « idéologique » ?

              [« Si vous comptez sur les parlementaires pour vous dire quelles règles sont intelligentes, vous êtes mal barré. Ca, c’est le rôle de l’administration, des corps techniques, des académies… » Ben non. C’est aux députés de faire aussi ce boulot.]

              Pas du tout. Le rôle des députés, c’est de dire quelle est la règle qui doit s’appliquer. Pas de juger si elle est « intelligente » ou pas. Les députés ne sont pas qualifiés pour juger de « l’intelligence », et ne sont pas élus pour ça.

              [Plus c’est petit, plus les parlementaires ou membres de l’exécutif sont contraints de gérer les dossiers au plus près de l’administration.]

              Oui, et moins ils sont capables de prendre de la hauteur et de penser les problèmes globalement…

              [L’idéologie pour moi, c’est le fait de donner comme seul repère à l’électeur un but général à travers son vote. Pour vous, l’idéologie semble recouvrir l’idée d’une orientation forte et constante d’une homme politique au service d’une vision du monde.]

              Si vous voulez comme Humpty-Dumpty changer le sens des mots selon votre bon plaisir, c’est votre problème. Mais je me tiens au sens du mot idéologie tel que tout le monde l’utilise, c’est-à-dire, comme un ensemble de principes, de postulats, d’idées qui constituent un prisme permettant de donner aux observations et aux expériences un sens. L’idéologie n’est pas une « orientation », c’est une « grille de lecture ». Et oui, elle est relativement constante, au sens qu’elle fait partie de nous.

              [J’oppose à l’idéologie l’idée de créer l’opinion non pas autour de grandes idées (sur lesquels ils n’ont pas d’autres choix que de changer d’opinion comme de chemises) mais autour de questions plus isolées. Fragmenter le grand choix idéologique en de multiples questions nettement plus pratiques.]

              Vous tendez toujours vers la même idée : sortir la politique de la politique. Pour vous, ce sont les idéologies qui créent les conflits. Si seulement on pouvait les mettre de côté et s’occuper des « questions pratiques », tout le monde serait d’accord – ou du moins, on arriverait forcément à un consensus. Ce que vous ne voulez pas voir, c’est que les idéologies sont en fait la manifestation des conflits d’intérêts qui traversent la société, conflits qui se manifesteront aussi sur les questions « nettement plus pratiques ». La seule différence, est que le débat idéologique permet de réfléchir au niveau global et produire une cohérence d’ensemble, là où le débat « sur les questions plus pratiques » fabriquera une galaxie de décisions qui ne seront pas nécessairement cohérentes les unes avec les autres.

              [On a vraiment une définition inversée des mots. Quand vous parlez de “pragmatisme”, vous semblez faire référence au pragmatisme dans l’opportunisme politique. C’est pour moi très différent du pragmatisme qui consiste à traiter les questions une à une sous le regard d’électeurs qui ne toléreraient pas les crispations idéologiques (ce que Sarkozy appelait “cliver”).]

              Mais qui a parlé d’opportunisme politique ? Non, je parle précisément de ce que vous entendez par « pragmatisme ». Aujourd’hui, les politiques traitent les questions « une à une » en regardant à chaque fois les réactions de l’électorat. Ceux qui hier étaient pour les privatisations constatent aujourd’hui que l’électorat a changé de camp, qu’il rejette la privatisation, et changent donc d’avis « sous le regard des électeurs ». N’est-ce pas ce que vous appelez « pragmatisme » ?

              Je vous mets au défi de me trouver aujourd’hui un homme politique au pouvoir qui défend une « idéologie ». Vous aurez du mal : ils suivent tous « le regard des électeurs », et changent de politique dès lors qu’ils perçoivent un frémissement chez eux. Vos vitupérations contre le poids de « l’idéologie » dans les choix politiques visent une cible qui est morte et enterrée depuis longtemps. La seule « idéologie » qui survit aujourd’hui, c’est l’idéologie opportuniste.

              [« Ou voyez-vous une réflexion « idéologique » sur ce que devrait être le service public ? » Ben exactement là! Qu’est-ce qui a justifié ce démantèlement du service public?]

              Rien, justement. Personne n’a fait la moindre tentative pour « justifier » le démantèlement du service public. On l’a fait tout en niant la réalité de ce démantèlement. C’est là ou vous voyez la disparition de l’idéologie. Une Thatcher pouvait tenir un discours « idéologique ». Pour elle, le démantèlement des services publics était un objectif, parce qu’il était censé réduire la dépendance des gens envers l’Etat et par le jeu de la concurrence améliorer l’offre. Ce discours, les politiques du XXIème siècle ne le tiendront jamais. Sarkozy, Hollande ou Macron affirmeront au contraire qu’il n’est pas dans leurs objectif de démanteler le service public, qu’au contraire, ils cherchent à l’étendre… tout en faisant l’inverse. Il ne peut y avoir une réflexion « idéologique » sur un phénomène dont on nie l’existence.

              [Moi j’y ai vu effectivement de l’idéologie dans les discours autour de cette privatisation.]

              Pourriez-vous donner un exemple ?

              [La Suisse a une vignette générale pour les autoroutes. Pas de péages crétins.]

              Oui, on le sait. La Suisse est le paradis sur terre, et tout y est fait de la façon la plus intelligente qui soit. Bien sûr, on peut toujours s’interroger sur « l’intelligence » d’un système qui oblige celui qui prend l’autoroute suisse une fois par an à acheter une vignette annuelle au même titre que celui qui la prend tous les jours. Mais bon…

              [Pas cette logique de rentabilité qui consiste à prendre l’automobiliste pour une vache à lait. Ce que j’appelle l’idéologie…]

              Et pourquoi pas « soufflé aux noix » ? Puisque vous vous accordez le droit de changer le sens des mots, autant y aller à fond… Non, il n’y a rien « d’idéologique » là-dedans. Au contraire, vous qui prêchez la prise en compte des « faits concrets », vous devriez soutenir la vision française, bien moins « idéologique » que la vision suisse : l’Etat a besoin d’argent, les automobilistes acceptent de payer, le pragmatisme – et non l’idéologie – commandent de profiter de l’occasion, non ?

              [Au contraire, une politique publique de financement à long terme, avec une lisibilité sur la fiscalité associée aux transports, qui fait l’objet de votations de temps en temps.]

              Vous oubliez un peu vite que le système suisse fait des étrangers et des visiteurs les « vaches à lait » du système, puisqu’ils payent plein pot une vignette qu’ils n’utilisent que quelques fois par an quand ce n’est pas une seule. Mais là, tout à coup, ce n’est pas de « l’idéologie », n’est-ce pas ?

              [Le pragmatisme, c’est à long terme qu’il se pratique.]

              Je vois mal comment. A long terme, on est tous morts, comme disait Keynes. Une réflexion « pragmatique » ne peut donc oublier ce fait. C’est pour cette raison que le pragmatisme conduit pratiquement toujours à des choix de court terme. Pour penser le long terme, vous avez besoin d’une vision du monde dans laquelle votre propre fin disparaît… et pour cela, il vous faut vous laisser conduire par une idéologie.

              [« Le rôle de l’idéologie, c’est de donner une cohérence à notre expérience du monde et, partant, de permettre une action cohérente pour peser sur lui. » Et c’est justement là que je n’arrive pas à suivre. Je vois ce que vous voulez dire par l’idéologie.]

              Prenez un dictionnaire. J’ai l’impression que vous vous laissez porter par l’utilisation médiatique – qui est largement péjorative – du mot « idéologie », et qui en fait un mélange d’irrationalité et de fanatisme. Ce n’est pas le cas. L’idéologie, c’est le prisme à travers lequel nous percevons les phénomènes que nous pouvons observer, et qui nous permet de leur donner une cohérence. L’homme qui observe le lever du soleil peut l’interpréter comme un cadeau des dieux, ou comme un phénomène purement naturel. Derrière ces deux interprétations, il y a deux idéologies, l’une faisant du monde un ensemble régulé par l’intervention de forces surnaturelles dont les motivations nous dépassent, l’autre par des phénomènes physiques sans volonté. Stricto sensu, l’opposition entre « pragmatisme » et « idéologie » est absurde, le pragmatisme étant lui-même une idéologie.

              [Mais je pense que le phénomène Chouard montre aussi que les français veulent se ressaisir de l’objet politique de manière beaucoup plus forte.]

              De quel « phénomène Chouard » parlez-vous ? Chouard est un intellectuel qui a un certain succès dans la « gauche radicale », et c’est tout. Son influence sur les « gilets jaunes » – les vrais, ceux qui ont occupé les ronds-points – est nulle. Le « RIC » n’était même pas parmi les revendications originelles du mouvement, et a été injecté de force lorsque la « gauche radicale » s’est jointe au mouvement. La demande la plus forte des Français est moins de se « ressaisir de l’objet politique » à travers la démocratie directe, que d’obliger leurs élus à faire leur boulot.

              [pas mal de militants de petits partis de droite veulent de plus en plus casser les verrous de la logique majoritaire et deviennent de plus en plus “chouardiens” ou chouardo-compatibles.]

              Je pense que vous donnez une importance disproportionnée à ces tempêtes dans un verre d’eau…

              [Je pense que nous faisons un contresens partiel sur le terme idéologie. J’ai le sentiment que vous l’entendez en tant que choix de philosophie politique, qui engage l’élu au sens noble du terme. Je l’entends en tant que fixation sur une téléologie morale qui prend le pas sur les considérations pratiques, et empêche les débats nuancés d’avoir lieu au profit de coups de menton.]

              Encore une fois, l’idéologie n’est ni un « choix de philosophie politique », ni une « téléologie morale ». C’est un prisme d’analyse, une grille d’interprétation. L’idéologie, c’est ce qui nous permet de donner un sens à ce que nous observons. Une idéologie produit des conclusions morales, politiques, philosophiques, mais elle ne se confond pas avec elles.

              [Mais l’idéologie dont vous parlez, de mon point de vue, doit être une idéologie négociée entre tous les partis pour qu’elle s’inscrive dans la durée, la constance, et évite la tentation du pompier pyromane.]

              Une idéologie ne peut pas être « négociée ». Imaginez-vous un parti dont l’idéologie explique que dieu a créé le ciel et la terre, et que tout ce que nous voyons vient de lui. Et un parti dont l’idéologie explique que l’univers est une machine qui est apparu par hasard. Comment imaginez-vous ces deux partis « négociant » une voie moyenne ? On peut négocier un projet, un programme, une mesure. On ne peut pas négocier une vision du monde.

              [La logique de parti et la logique majoritaire de l’élection induisent aussi un mouvement de balancier qui brouille la lisibilité de l’idéologie d’un Etat sur le moyen terme et brisent aussi la constance de l’action publique.]

              D’abord, le « mouvement de balancier » auquel vous faires référence est inhérent à toute démocratie. Dès lors que vous acceptez que les électeurs peuvent à chaque élection changer de politique, vous êtes condamné à cette « inconstance »…

              [Malheureusement, je ne suis pas vraiment convaincu que l’élite éclairée sache vraiment où elle veut guider la masse des aveugles,]

              Peut-être pas. Mais elle sera toujours mieux armée pour le faire que la masse des aveugles.

              [Bien sûr que non! Je me satisfais que les gens discutent ouvertement de l’intérêt général. Ensuite, qu’ils s’engagent personnellement dans des Crimes de la Pensée, ce n’est pas vraiment mon affaire.]

              En d’autres termes, ce qui vous importe c’est l’apparence. Que les décisions soient prises en fonction des intérêts particuliers ne vous gêne pas, tant que ce fait reste caché et que « ouvertement » les gens font semblant d’être vertueux.

              [« Mais vous noterez que le choix idéologique – celui de s’enrichir sur le dos des autres pays en favorisant l’exil fiscal – a été fait en amont. Votre exemple illustre parfaitement ce que je disais plus haut : c’est au politique de faire le choix idéologique, ensuite pour résoudre le cas « concret » l’administration a tout ce qu’il faut. » C’est plutôt l’histoire qui a fait ce choix plus qu’il ne résulte d’un véritable choix politique.]

              L’histoire a bon dos. Ce n’est pas l’histoire qui a fait les lois sur le secret bancaire, ou qui a refusé les traités d’échange de données fiscales proposés par les pays voisins. Ce sont des décisions politiques.

              [Ce que je voulais illustrer, c’est à quel point le système suisse rend futiles les oppositions idéologiques sur de tels sujets. D’un côté, on peut affirmer que le système contraint les électeurs à ce que leur intérêt particulier soit aligné sur l’intérêt général, et en un sens les aliène.]

              Pour le moment, vous n’avez donné aucun exemple ou l’intérêt particulier et l’intérêt général entrent en conflit. La situation que vous décrivez est celle d’une société très riche et ou tout le monde a intérêt à ce que cela continue. Dans une telle société, il est clair que les conflits idéologiques sont très feutrés, parce que l’idéologie dominante correspond à l’intérêt général. Mais ce n’est pas le système politique qui fait ça, c’est la communauté d’intérêts. Si demain les Suisses copiaient le système français de scrutin majoritaire et de monarchie élective, il y a fort à parier que le résultat serait exactement le même : on élirait une personnalité consensuelle dont le seul mandat serait de préserver ce qui fait la richesse de tous…

              [« Et en Suisse « votre petit vote » peut faire bouger quelque chose ? Soyez sérieux… » Plus facilement, oui. Quand on a un ratio de 1 a 100 en termes de taille pour qu’une voix influence le principal échelon législatif, effectivement, on a plus le sentiment de pouvoir faire bouger les choses par le vote qu’en France.]

              A tout hasard, je vous signale que les formules « mon vote peut faire bouger les choses » et « j’ai le sentiment que mon vote peut faire bouger les choses » ne sont pas équivalentes.

              [« Parce que vous croyez vraiment qu’en France on vote « selon les lignes idéologiques d’un parti » ? A votre avis, comment a fait Emmanuel Macron pour gagner une élection présidentielle alors qu’il n’avait pas de parti à sa disposition ? » Il a eu une femme plus âgée qui lui a expliqué deux ou trois choses sur la vie, un parcours pas idiot, de la gouaille, et il s’est trouvé toute une collection d’appuis, certains recommandables, d’autres moins. Parmi lesquels l’inénarrable Alain Minc. Et ensuite, l’équipe à Macron s’est fait un magnifique petit travail d’analyse pseudo-statistique de l’opinion, qui ferait pâlir un Karl Rove, et a réussi à casser en deux un PS dont l’aile droite rêvait de réforme, et qui était incapable de monter une machine électorale personnelle comme l’a fait le petit roquet.]

              Donc, Macron a gagné pour beaucoup de raisons… mais surtout parce que les gens N’ONT PAS VOTE SUIVANT LES LIGNES IDEOLOGIQUES D’UN PARTI. Vous faites vous-même la démonstration que l’idéologie n’a joué aucun rôle dans la victoire de Macron, après avoir affirmé qu’en France « on vote suivant les lignes idéologiques d’un parti ». Faudrait vous décider…

              [Mais effectivement Macron a vendu du “progressisme” depuis le début. Peut-être que les français se sont fait inconsciemment manipulés, mais l’instinct progressiste-libéral des électeurs de Macron les a effectivement fait voter selon une ligne idéologique non-avouée.]

              Vous n’êtes pas sérieux. Vous parliez de la « ligne idéologique d’un parti », et là vous me sortez qu’ils voteraient selon « une ligne idéologique non-avouée »…

              [« Prenez le référendum de 2005 : alors que pratiquement tous les partis politiques s’étaient prononcés pour le « oui », c’est le « non » qui l’emporte. » Grand moment. Mais où voulez-vous en venir sur ce point précis?]

              Au fait que votre idée selon laquelle les électeurs français voteraient « suivant la ligne idéologique des partis » n’a aucune base dans la réalité. Ce qui caractérise la politique française aujourd’hui, c’est précisément que les électeurs NE VOTENT PAS pour des partis, mais pour des personnes. Et qu’ils se méfient des candidats qui mettent en avant une idéologie trop marquée. Macron a été élu non pas parce qu’il s’est fait héraut du « progressisme », mais au contraire parce qu’il a tenu le discours que vous proposez, celui du « pragmatisme » qui permet de « dépasser les idéologies ».

              [Oui, ben effectivement, c’est plutôt cela mon propos. Maintenant, j’ai l’impression que pour vous, n’importe qui ne peut pas faire autrement que suivre son intérêt particulier, car ce serait psychologiquement inconcevable. Je trouve cette vision “freudo-hobbesienne” assez triste et plutôt infondée, mais bon…]

              Je ne m’intéresse pas ici aux individus. Je veux bien admettre qu’il existe des gens qui s’enferment dans des monastères pour prier pour les autres sans aucun regard pour leur intérêt particulier. Mais ces individus sont des cas particuliers et ultra-minoritaires. La grande masse de nos concitoyens regarde d’abord, et avant tout leur intérêt. Et la seule force qui peut les en écarter, c’est précisément l’idéologie, puisqu’elle seule peut donner un sens à un geste qui ne serait conforme à l’intérêt de celui qui l’examine. Il n’est pas besoin d’idéologie pour voler son argent à une petite vieille dans la rue, il faut une idéologie pour nous empêcher de le faire.

              [« Pouvez-vous me donner un exemple ou les suisses aient fait primer l’intérêt général sur leurs intérêts particuliers ? » Des suisses individuels, oui, je connais des cas,]

              Ma question visait LES Suisses et non DES Suisses. Ce n’est pas un cas individuel auquel je fais référence, mais une décision collective.

              [“De nombreuses initiatives – par exemple sur l’introduction du salaire minimum ou de deux semaines de vacances supplémentaires – ont été refusées en Suisse, alors qu’elles auraient largement été acceptées dans d’autres pays. Les citoyens votent contre leur intérêt personnel immédiat, ce qui peut étonner à l’étranger.”]

              Vous noterez la formule « intérêt personnel IMMEDIAT ». L’auteur de ce paragraphe admet donc que dans cette affaire les Suisses ont fait primer leur « intérêt personnel », seulement il ne s’agit pas de leur intérêt « immédiat », mais celui à plus long terme…

              [Vous exagérez. Le légalisme existe en Suisse, mais plutôt au niveau des institutions et des entreprises. C’est beaucoup moins le cas dans la vie de tous les jours, mais cela dépend beaucoup du canton.]

              Je n’exagère pas. En Suisse alémanique, on retrouve le même légalisme obsessionnel qu’en Allemagne, avec des piétons qui à un croisement totalement vide à une heure du matin attendent que le petit bonhomme passe au vert pour traverser. Lors d’une conférence à Bâle, on interdisait aux gens d’entrer dans la salle avec une tasse de café, mais on les laissait rentrer si le café était dans un verre. Pourquoi ? Parce que les signes d’interdiction montraient une tasse barrée… Mais il est vrai qu’à Genève ou Lausanne on est plus proche de la mentalité française.

              [« Ensuite, la question ici n’est pas de savoir si le résultat de la votation suisse était « légitime », mais si on peut dire que « les Suisses » ont voté telle ou telle chose alors que la moitié d’entre eux n’a pas voté. » Mouais. Quelle différence de fond? Une tournure langagière? C’est comme ça à chaque votation, en terme de participation.]

              Le langage n’est pas neutre en politique. Tout le monde porte aux nues les « votations » comme étant un exemple de démocratie, oubliant que la participation y est particulièrement faible. Répéter qu’au cours de ces votations « les Suisses ont décidé que » tend à cacher ce paramètre, qui me semble pourtant fondamental. Après, on peut discuter sur le fait de savoir à partir de quelle participation un référendum reflète véritablement la volonté du peuple.

              [Je trouve que c’est un gros biais psychanalytique/télépathique tout ça: “tu ne sais pas ce que tu penses inconsciemment, mais moi, je peux disséquer ton âme”. Vous avez quelle autre type de données pour vous faire une opinion à ce sujet?]

              Sans aller jusqu’à l’âme, on peut quand même regarder comment les gens agissent et comparer leurs actes à leurs discours. Ainsi, par exemple, prenons le type qui vous dit qu’il faut tout faire pour sauver la planète et qui ensuite s’achète un 4×4 pour rouler en ville. A votre avis, pense-t-il vraiment ce qu’il dit ?

              [« A supposer même que la question de la compétitivité fut la question essentielle chez les électeurs, pensez-vous que leurs intérêts individuels auraient été mieux servis en portant atteinte à la compétitivité suisse ? » Ben non.]

              QED

              [Mais effectivement, là on adopte une définition de l’intérêt particulier qui devient tellement extensive qu’elle perd son sens.]

              C’est vous qui avez choisi la définition. Je vous ai posé la question de savoir si les intérêts individuels des Suisses auraient été mieux servis par une mesure qui porte atteinte à la compétitivité globale de l’industrie suisse, et vous m’avez répondu « non ». C’est donc votre définition que vous avez appliqué, et non la mienne.

              [Est-ce que Jésus, à supposer qu’il ait existé, n’avait pas un intérêt personnel à se faire crucifier car son intérêt personnel coïncidait avec l’intérêt général de faire advenir les temps messianiques par son sacrifice humain et sa résurrection?]

              Cela dépend du fait de savoir s’il avait vraiment le pouvoir de ressusciter ou pas. S’il l’avait, son intérêt était clairement de se faire crucifier (et d’ailleurs il a tout fait pour). S’il ne l’avait pas, de toute évidence, non. Vous voyez, nous revenons à la question de l’idéologie…

              [J’ai l’impression que vous avez un parti pris idéologique sur la nature du psychisme humain qui vous contraint à refuser la possibilité du concept d’un geste altruiste.]

              Pas tout à fait. Je pense, oui, que la motivation de l’individu est toujours à chercher dans la vision qu’il a de son intérêt individuel. Mais cette vision est idéologique, en d’autres termes, une idéologie peut donner à un acte altruiste un sens tel qu’il apparaît comme conforme à l’intérêt individuel. Le poilu qui meurt dans les tranchées ne sert aucun intérêt personnel, mais il partage une idéologie qui fait apparaître ce sacrifice en apparence altruiste comme conforme à son intérêt individuel.

              [« Encore une fois, vous me donnez un exemple ou l’intérêt général et l’intérêt particulier se confondent. Dans ce genre de cas, il est très facile de prétendre qu’on défend l’intérêt général… » Que l’intérêt personnel et l’intérêt général se confonde, ça me convient comme caractérisation, si on adopte votre compréhension de l’intérêt personnel. Que cela rende plus facile de défendre l’intérêt général me convient aussi.]

              Mais il y a des sujets sur lesquels l’intérêt individuel entre en conflit avec l’intérêt général. Comment sont arbitrés ces conflits ? C’est cette question à laquelle vous refusez de répondre…

              [« J’ai l’impression que vous vivez dans une bulle. D’où tirez-vous que « en France c’est inimaginable » pour un antichanvre de se positionner sur une telle proposition ? Il se positionnera, et la position sera bien entendu négative. Point à la ligne. » Et bien c’est toute la différence entre le “positionnement” de l’anti-avortement qui fait des attentats à la bombe contre une clinique, et un opposant à l’avortement qui est forcé de se “positionner” en défendant ses arguments dans un débat contradictoire au sein d’une société qui lui demande de moralement prendre en compte les arguments de la partie adverse.]

              Je ne vois pas les « anti-chanvre » en France posant des bombes contre qui que ce soit. Encore une fois, j’ai l’impression que vous n’avez pas la moindre idée de comment ce genre d’affaires sont discutées en France. Cette semaine, une proposition de loi a été déposée pour légaliser le cannabis. Eh bien, les partisans et les adversaires de ce projet ont pu s’exprimer et débattre sur les ondes, et personne pour le moment n’a été blessé… et c’est le Parlement qui tranchera in fine.

              [Des concessions à qui ?]

              [En France, Jean-Luc Roméro continue de faire des ronds dans l’eau tout seul avec son association. Parce que la société française n’a pas les moyens de forcer le débat de société à se faire publiquement.]

              Vous semblez ignorer le débat tout à fait public qui a précédé le vote de la loi Leonetti. Ce n’est pas la faute du système politique si Roméro « fait des ronds dans l’eau tout seul ». Le fait est que le débat a eu lieu, et que la position de Roméro est ultra-minoritaire.

              [« Vous voulez dire qu’en France la politique concernant les drogues est faite en fonction de considérations de santé publique, alors qu’en Suisse elle est faite en fonction du poids politique des producteurs des drogues ? Tout à coup, je me sens mieux d’être Français… » Et bien prenez la question inverse.]

              Avant de changer de sujet, pouvez-vous me confirmer le point ?

              [Quand l’épidémie de SIDA a débarqué, en France, on a fait la sourde oreille comme des demeurés.]

              Je ne vois pas en quoi on aurait fait « la sourde oreille ». Pourriez-vous citer des faits précis ?

              [Beaucoup plus difficile de garder la merde sous le tapis sous prétexte d’expertise en santé publique quand vous avez des moyens de pression démocratique de ce style.]

              Ne croyez pas ça. En matière de secret bancaire et de blanchiment d’argent sale, par exemple, on ne peut pas dire que la Suisse n’ait pas « gardé la merde sous le tapis sous prétexte d’expertise » pendant très longtemps – et ça continue, d’ailleurs. Il faut croire que la « pression démocratique » n’a pas été très efficace…

              [C’est le même type de situation qui a eu lieu au sujet des salles de shoot. En France, toutes les rationalisations délirantes sont possibles au motif de la santé publique. En attendant, en Suisse, l’héroïne médicalisée est effectivement délivrée aux patients.]

              Et alors ? Les Suisses ont un avis sur cette question, les Français une autre. Votre raisonnement contient une prémisse cachée : il n’existe qu’une seule politique rationnelle, et tout bon système démocratique aboutit nécessairement à ce résultat. Mais c’est faux. Il est parfaitement possible pour les Suisses de décider démocratiquement qu’ils veulent des salles de shoot, et aux français de décider tout aussi démocratiquement qu’il n’en faut pas.

              [Quand au “poids politique des producteurs de drogue”, n’exagérons rien, il s’agit de paysans valaisans. Ils ne sont pas seuls dans le canton, et si jamais ils se mettent à produire de la drogue no strings attached, une ou deux votations et puis la régulation est vite mise en place. C’est pas comme si c’était le cartel des Zetas ou les FARCs, les paysans valaisans…]

              Mais non, mais non, endormez-vous braves gens, tout ira bien…

              [« Il n’y en a pas, et c’est très heureux. Les responsables policiers sont là pour obéir aux ordres et appliquer les lois, et non pour les faire. » Et on ne peut pas faire les deux? D’un côté obéir aux ordres et appliquer la loi, et de l’autre intervenir dans le débat public sur des thèmes de société?]

              Non, on ne peut pas. Parce que lorsqu’on le fait, il y a de grandes chances que les « interventions » en question aillent dans le sens des lois que la police a envie d’appliquer, et non de celles qui sont les meilleures pour la société.

              [Effectivement, quand on connaît un peu le fonctionnement de choses telles que l’IGPN, on a assez peu confiance sur la liberté de ton possible des officiers de police. Résultat, on n’a que des syndicats de policiers qui ont le droit de l’ouvrir et dont le seul droit est de jouer les pleureuses au sujet des suicides dans la police.]

              Je crois que certains pays en voie de développement ont essayé des systèmes ou ce sont les policiers qui font la loi. Il ne me semble pas que le résultat soit probant.

              {La finance est assise sur un tas d’or. Le Suisse moyen, pas tellement. Il a des salaires élevés, mais des charges élevées aussi. Le chiffre parlant est celui de la propriété immobilière privée. Seulement 20% des Suisses, à la louche, sont propriétaires. Ce sont des gens qui vivent dans un pays riche mais qui ne roulent pas sur l’or pour autant.]

              La propriété immobilière ne veut rien dire. Il y a des pays ou les gens sont relativement pauvres mais la tradition de propriété foncière est tenace (comme l’Angleterre, ou les propriétaires sont majoritaires) et des pays ou la location est habituelle même chez les riches. Pourriez-vous me rappeler le salaire médian en Suisse ?

              [Je n’ai pas ce sentiment. Déjà la Suisse n’est pas un pays protestant au sens strict. C’est tout autant catholique (38.82%) que protestant (30.9%).]

              Même si les catholiques sont nombreux, la tradition protestante est dominante.

              [J’ai quand même l’impression que mal de turpitudes sont cachées en France. Le temps que les affaires prennent pour sortir est effroyable.]

              Encore une fois, le temps qu’elles mettent à être connues, ou à être jugées ? Je ne trouve pas qu’en France les turpitudes soient si « cachées » que ça. C’est d’ailleurs vous-même qui soulignez la culture du secret de la Suisse…

            • Paul dit :

              Bonjour,

              Votre conversation m’a rappelé un passage de l’excellent film le Troisième Homme. Le voici.

              “L’Italie sous les Borgia a connu 30 ans de terreur, de meurtres, de carnage… Mais ça a donné Michel-Ange, de Vinci et la Renaissance. En Suisse, ils ont eu l’amour fraternel, cinq siècles de paix et de démocratie. Et qu’est-ce que cela a donné ? L’horloge coucou !”

            • Descartes dit :

              @ Paul

              [Votre conversation m’a rappelé un passage de l’excellent film le Troisième Homme.]

              En écrivant ma réponse, j’avais cette référence en tête…

            • F68.10 dit :

              Euh… non. Les aspects négatifs du système suisse, il y en a des tonnes. Je peux être intarissable là-dessus aussi.

              Mais votre critique précise est injustifiée.

              D’autant plus que l’horlogerie, ça vient de Franche-Comté. Les suisses n’ont fait que reprendre l’idée et la tradition. On peut en dire autant de la pharmacie à Bâle. Si vous voulez que je casse du sucre sur le canton de Genève, d’Appenzell, que je vous raconte le “terrorisme” jurassien, je peux aussi. Et le nombre de suisses qui pètent les plombs à cause de leur système est assez sidérant. La prostitution de mineurs à Zürich qui est, je crois, toujours légale, on peut aussi. La compromission avec les nazis aussi.

              Non, des problèmes plus ou moins délirants en Suisse, il y en a plus que plein. Pas la peine de le nier.

            • Bannette dit :

              Descartes quand tu dis : “Sur le fond, je persiste et signe. Si les hommes s’étaient contentés de jouir de leur petit bonheur dans leur petit coin, nous n’aurions pas d’Homère, de Shakespeare, de Corneille. Pour que nous puissions lire les aventures d’Ulysse, de Macbeth ou des Horaces, il faut bien qu’il y ait des Ulysse, des Macbeth ou des Horaces pour de vrai, des gens avec des « délires de grandiosité ». Comment pouvez-vous aimer ces personnages de fiction et les « rejeter complètement » lorsqu’ils s’incarnent dans la réalité ?”

              en réponse aux louanges vis-à-vis du système suisse, tu me rappelles le dialogue d’Orson Welles resté célèbre dans le film “Le Troisième Homme” de Carol Reed :

              “En Italie, durant 30 ans ils ont eu les Borgia, la guerre civile et la terreur. On vous tuait pour un rien mais ils ont produit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. Tandis qu’en Suisse, ils ont pratiqué la fraternité, ils ont connu durant 500 ans la démocratie et la paix et ils ont inventé le… coucou.”

              Welles qui était un personnage éminemment shakesperien hors et sur écran avait un goût prononcé pour les personnages et les pays qui avaient une prétention de grandeur.

            • Descartes dit :

              @ Bannette

              [Welles qui était un personnage éminemment shakesperien hors et sur écran avait un goût prononcé pour les personnages et les pays qui avaient une prétention de grandeur.]

              On revient comme souvent à la question du tragique. La tragédie implique quelque part la démesure. Dès lors qu’on devient “raisonnable”, la tragédie devient drame bourgeois…

  4. Welston dit :

    “Macron et Mélenchon ont donné un coup de pied, et l’édifice s’est effondré. L’un d’eux a récupéré tout ce qui va du centre gauche à la droite modérée, l’autre la plus grande partie de l’électorat de la gauche radicale. Le problème est que tous deux sont les enfants distingués du système qui les a produits, c’est-à-dire, du hollando-mitterrandisme. Maîtres es-communication, ils sont incapables – et indifférents – à l’idée d’une construction dans la durée. L’idéologie pour eux n’est pas un instrument d’élaboration, mais un instrument de communication. Et c’est pourquoi plutôt que de se référer à un corpus cohérent, ils se construisent par emprunts à droite et à gauche en fonction des besoins du moment. Chez Macron, cela va du libéralisme extrême des libertariens à une pensée organiciste qui fait penser à Maurras ou Maritain. Chez Mélenchon, on va d’un marxisme classique jusqu’au postmodernisme d’un Laclau.”

    …??!

    C’est la partie théorique ça camarade !!!???

    • Descartes dit :

      @ Welston

      [C’est la partie théorique ça camarade !!!???]

      Ce serait la partie empirique, plutôt.

      • Welston dit :

        @Descartes

        Tu ne trouves pas Macron légèrement…bête !

        Je veux dire…je sais pas ce que veut dire”organiciste” ni lu ni Mauras ni Maritain, ce qui fait de moi quelqu’un d’ignare à la limite de l’illettrisme …mais Macron est tout simplement quelqu’un de bête.

        le corps social structurant ce système peut se suffire d’une chèvre à l’Élysée pour maintenir l’état des choses…jusqu’à un certain point.

        Todd (ou dieu): <>

        • Welston dit :

          Mince apparemment ma citation de todd a sauté !

          Pas grave !!

          Disons que Macron c’est l’union ultime et indépassable : celle des inconnue et France Le Page

          • Descartes dit :

            @ Welston

            [Disons que Macron c’est l’union ultime et indépassable : celle des inconnue et France Le Page (…)]

            Excellent!

        • Descartes dit :

          @ Welston

          [Tu ne trouves pas Macron légèrement…bête !]

          Non, pas vraiment. Il a ses limitations comme n’importe lequel d’entre nous. Personnellement, le plus grand reproche que je ferais à son caractère est son manque de culture et surtout de curiosité. C’est quelqu’un qui ne semble pas s’intéresser au monde qui l’entoure sauf lorsque celui-ci peut lui servir à quelque chose. Pour paraphraser le politique britannique, plutôt qu’aborder les questions avec l’esprit ouvert, il les aborde avec la bouche ouverte. Ce manque de curiosité associé au fait qu’il a vécu toute sa vie dans un petit milieu protégé et fortuné fait qu’il connait finalement assez mal les choses et les gens. L’affaire Benalla illustre à la perfection ce défaut : un minimum de culture ou d’expérience aurait dû lui dicter la prudence : les gens « capables de tout » sont utiles pour la conquête du pouvoir, mais sont dangereux une fois le pouvoir conquis. C’est d’ailleurs pourquoi ils finissent assez vite devant le peloton d’exécution. Pensez à Falstaff…

          [Je veux dire…je ne sais pas ce que veut dire ”organiciste” ni lu ni Mauras ni Maritain, ce qui fait de moi quelqu’un d’ignare à la limite de l’illettrisme …mais Macron est tout simplement quelqu’un de bête.]

          Un ignare peut toujours apprendre… et ce blog est aussi ici pour ça. Les théories « organicistes » sont celles qui conçoivent les sociétés comme des « organismes » tels un corps humain, chaque individu, chaque groupe social étant un « organe » et ayant donc un rôle défini, le fonctionnement du tout dépendant du bon fonctionnement de chaque organe. Ainsi, par exemple, sous l’ancien régime le royaume était conçu comme un corps humain dont le roi et la noblesse étaient la tête, les manants étant le muscle et ainsi de suite. Le problème des théories organicistes est qu’elles conçoivent les sociétés comme des structures figées : le foie ne peut devenir cerveau… Maurras et Maritain sont deux penseurs réactionnaires de la fin du XIXème et début du XXème siècles. Tous deux sont des « organicistes ».

          • Weston dit :

            Un gars en short de bain au bras de sa pouffiasse en une de paris match pour dessiper des rumeurs d homosexualite !!!!

            La page wikipedia de machiavel est inutil pour parler du cas macron…un episode des anges sur nrj 12 serait plus approprie.

            • Descartes dit :

              @ Weston

              [Un gars en short de bain au bras de sa pouffiasse en une de paris match pour dessiper des rumeurs d homosexualite !!!!]

              “Poufiasse” ? Je vous en prie, restons corrects…

  5. Françoise dit :

    “Pour qu’il nous explique avec ce ton de commisération qu’on adopte habituellement lorsqu’on s’adresse aux faibles d’esprit que nous n’avons rien compris, que nous sommes trop impatiens, que les mesures qui reviennent le plus dans les contributions au Grand débat – le RIC, le rétablissement de l’ISF – sont déraisonnables et qu’il a décidé de les ignorer ?”
    pourriez vous citer vos sources du grand débat où ces deux marottes reviendraient ‘le plus”?
    Opinionway donne 10% au rétablissement de l’ISF et 2% au RIC

    • Descartes dit :

      [pourriez vous citer vos sources du grand débat où ces deux marottes reviendraient ‘le plus”?
      Opinionway donne 10% au rétablissement de l’ISF et 2% au RIC]

      Je tire cette conclusion de l’analyse d’un millier de contributions tirées au hasard. La différence avec les chiffres que vous citez est d’ailleurs fort bien expliquée notamment par l’analyse du JDD. La façon dont les réponses ont été analysées tend en effet à noyer les revendications précises au sein de revendications plus générales. Ainsi, celui qui écrira spécifiquement « RIC » sera compté dans cette catégorie (7,5% selon Sébastien Lecornu). Mais celui qui ne parlerait que de « référendum », même si le contexte pointe vers un RIC, sera classé dans la catégorie plus générale de « référendum » (25% des contributions). De même, celui qui écrira explicitement « ISF » sera classé dans cette catégorie, mais celui qui écrira « justice fiscale en faisant payer les plus riches » sera lui classé dans la catégorie « justice fiscale »…

      J’ajoute qu’il ne faut pas confondre le fait qu’une revendication revienne “le plus souvent” et qu’elle soit majoritaire. En effet, étant donnée l’effet de dilution il est difficile pour une revendication donnée de prendre plus d’un quart des voix…

      • Françoise dit :

        Même en dehors d’OpinionWay qui analysait les contributions sur la plateforme en ligne (commentaire que vous avez censuré), je ne vois rien de tel dans l’analyse des contributions libres qui soulignent 25 000 contributions pour l’ISF et autres taxations du capital (4,5%) et 9 800 pour le RIC et autres idées de referendum (1,8%), soit des chiffres ridiculement bas. https://granddebat.fr/media/default/0001/01/348c4fb516a63c82873ab1685ef3b2dd5d071f9d.pdf
        alors, où sont vos sources?
        Pourquoi votre papier ne porte-t-il pas sur les sujets les plus ressortis du débat, à savoir les retraites, le paiement par tous de l’impôt sur le revenu (34%!) la suppression des niches fiscales, la réduction des dépenses publiques (aides sociales, augmentation du temps de travail, limitation du budget défense)

        bref, il y a plein d’autres thèmes plus intéressants plutôt que ressasser votre haine de l’éternel perdant en essayant le coup de la “Constitution qui semble instaurer une « dictature élective » et un peuple politisé et réactif qui agit comme contre pouvoir même si ce rôle est non-écrit. “De la part d’un marxiste, cette remarque est plutôt drôle!

        • Descartes dit :

          @ Françoise

          [Même en dehors d’OpinionWay qui analysait les contributions sur la plateforme en ligne (commentaire que vous avez censuré),]

          Je n’ai rien « censuré » de tel. Mais puisque je suis condamné quand même, autant commettre le crime. Sauf excuses formelles de votre part, toutes vos futures contributions seront censurées. Quitte à encourir votre rage, autant que ce soit pour quelque chose.

          [je ne vois rien de tel dans l’analyse des contributions libres qui soulignent 25 000 contributions pour l’ISF et autres taxations du capital (4,5%) et 9 800 pour le RIC et autres idées de referendum (1,8%), soit des chiffres ridiculement bas.]

          Le cinquième transparent du document que vous citez dit pourtant clairement « rétablir l’ISF : 17% ». Faudrait savoir. Je trouve qu’une mesure qui remporte l’adhésion d’un contributeur sur cinq n’est pas « ridiculement bas »…

          [alors, où sont vos sources?]

          Je vous les ai déjà données. J’ai pris la peine avec quelques amis de dépouiller un peu plus d’un millier de contributions prises au hasard.

          [Pourquoi votre papier ne porte-t-il pas sur les sujets les plus ressortis du débat, à savoir les retraites, le paiement par tous de l’impôt sur le revenu (34%!) la suppression des niches fiscales, la réduction des dépenses publiques (aides sociales, augmentation du temps de travail, limitation du budget défense)]

          J’aurais pu signaler l’ensemble des propositions que Macron a décidé de ne pas mettre en œuvre, je me suis contenté de souligner les deux qui me paraissaient les plus emblématiques, mais aussi les plus faciles à mettre en œuvre.

          [bref, il y a plein d’autres thèmes plus intéressants plutôt que ressasser votre haine de l’éternel perdant]

          Vous avez raison… il y a tellement de sujets plus intéressants… par exemple de ressasser votre haine de moi, comme vous le faites à chacune de vos contributions… Cela fait des années que vous venez sur ce blog, et à chaque fois, c’est la même chose : tout est bon pour montrer votre mépris olympien de tout ce qui est dit ici. Et pas seulement par moi, vous avez montré le même type d’agressivité envers les autres commentateurs.

          Je reste curieux de comprendre quel est ce besoin psychologique qui vous amène à revenir constamment à ce blog dont vous méprisez ouvertement le contenu. Du masochisme, peut-être ?

          [en essayant le coup de la “Constitution qui semble instaurer une « dictature élective » et un peuple politisé et réactif qui agit comme contre pouvoir même si ce rôle est non-écrit. “De la part d’un marxiste, cette remarque est plutôt drôle!]

          Ah bon ? En quoi est elle plus « drôle » de la part d’un marxiste que d’un libéral ou d’un monarchiste ?

  6. Axelzzz dit :

    Bonsoir Descartes,
    merci pour cet article – mon commentaire pour voue encourager à étoffer encore cette analyse des temps Macronien.
    Il me semble que nous vivons un moment particulier où beaucoup des blocages politiques qui couvent depuis les années 80 se révèlent. C’est au sens étymologique l’époque de l’obscénité (et du côté de l’opposition comme du gouvernement d’ailleurs): ce qu’Hollande a détruit c’est surtout une forme d’hypocrisie de l’alternance gauche-droite (Macron l’ayant évidemment aidé dans cete tâche). La représentation politiques des intérêts antagonistes est si défaillante que ceux-ci resurgissent dans la violence et le grotesque.

    Je ne suis même pas sûr que Macron lui même ne les découvre pas au fur et à mesure. Toujours est-il que comme vous le laissez entendre dans votre conclusion personne ne détient le début d’une solution. Je crois, contrairement à vous sans doute, que Macron aurait pu reprendre la main au moins symboliquement. Mais lisant les analyses qui ont suivi le grand débat, je crois de plus en plus qu’il a raté cette opportunité. J’avoue que devant cette situation, je ne peux m’empêcher de souhaiter que cette fin de quinquennat ne soit pas perdue et que la politique française puisse utiliser ce temps pour se recomposer sur un clivage mieux assumé. A ce propos, j’entendais P Meyer évoquer un ‘coup de théâtre’ visant à reprendre la main – Macron promettant de ne pas se représenter en 2022 pour calmer le jeu de massacre sur sa personne. Cela ne fait pas une politique, mais croyez-vous que cela aurait pu relancer une dynamique politique plus constructive?

    A mon humble avis, le pays ne donnera pas le pouvoir aux populistes: il a plusieurs fois eu cette occasion et a repoussé cette option. Le cœur du problème est que les classes populaires sont très divisées et “l’égo politique” pour reprendre vos catégories leur interdit toute alliance. Les intérêts de ceux que vous appelez désormais les “classes intermédiaires” représentent entre 20 et 30% de l’électorat et les classes populaires sont scindées entre la périphérie RN et les précaires métropolitains plutôt LFI qui eux adhèrent à beaucoup d’aspects de la mondialisation.

    Au plaisir de vous lire,
    Axelzzz

    • Descartes dit :

      @ Axelzzz

      [Il me semble que nous vivons un moment particulier où beaucoup des blocages politiques qui couvent depuis les années 80 se révèlent.]

      Tout à fait. Les deux guerres mondiales avaient mis à bas un univers mental et créé un autre. Cet univers est entré en crise dans les années 1980 et arrive aujourd’hui à son épuisement final. La véritable difficulté est de penser en politique sans l’aide des cadres de référence dans lesquels nous avons tous été plus ou moins formés.

      [C’est au sens étymologique l’époque de l’obscénité (et du côté de l’opposition comme du gouvernement d’ailleurs): ce qu’Hollande a détruit c’est surtout une forme d’hypocrisie de l’alternance gauche-droite (Macron l’ayant évidemment aidé dans cette tâche).]

      Je ne crois pas qu’on puisse dire que « Hollande a détruit ». La réalité est que le système s’est épuisé de lui-même : à chaque alternance, l’écart entre les politiques de la nouvelle majorité et celles de l’ancienne était plus faible, leur filiation commune plus perceptible, l’impuissance organisée du politique plus flagrante. Macron, c’est la conclusion logique de cette logique : celle de « l’alternance interne », ou au lieu de se succéder au pouvoir gauche et droite coexistent dans le même gouvernement.

      [La représentation politique des intérêts antagonistes est si défaillante que ceux-ci resurgissent dans la violence et le grotesque.]

      Je ne l’analyse pas ainsi. La « violence » à laquelle on assiste n’est pas le fait d’une masse qui réagirait à sa marginalisation politique. C’est plutôt le fait de groupuscules issus en grande partie des « classes intermédiaires » – comme le montrent pas mal de travaux sur la sociologie des « black blocs » – qui y voient une opportunité d’avoir leur dose d’adrénaline. C’est cela qui fait du mouvement des « gilets jaunes » un mouvement paradoxal : c’est un mouvement de gens qui se révoltent tout en étant conscients que le rapport de forces leur est défavorable. C’est le baroud d’honneur d’une population convaincue qu’il n’y a pas d’issue politique possible à leur mouvement. C’est pourquoi ils ne veulent pas de leaders, pas de parti ou de syndicat : l’expérience des trente dernières années leur a montré que tout ce qui pourrait venir d’eux serait impitoyablement récupéré pour aboutir exactement au contraire de ce qu’ils cherchent.

      [Je ne suis même pas sûr que Macron lui même ne les découvre pas au fur et à mesure. Toujours est-il que comme vous le laissez entendre dans votre conclusion personne ne détient le début d’une solution. Je crois, contrairement à vous sans doute, que Macron aurait pu reprendre la main au moins symboliquement. Mais lisant les analyses qui ont suivi le grand débat, je crois de plus en plus qu’il a raté cette opportunité.]

      Je pense qu’il a raté son discours… mais rétrospectivement je me demande comment il aurait pu le réussir. Il ne faudrait pas oublier que cet homme a des dettes. Il y a des gens qui ont mis à sa disposition des médias, de l’argent, des réseaux, et ces gens-là entendent être payés de retour. Macron ne peut pas faire demi-tour et déclarer que finalement les « premiers de cordée » doivent eux aussi payer leur écot. Les « premiers de cordée » ne lui pardonneraient pas. Ses marges de manœuvre sont donc très étroites.

      Le problème fondamental de Macron, c’est que le mouvement en cours rejette autant ce qu’il fait que ce qu’il est. Et si on peut toujours modifier une politique, on peut très difficilement se changer soi-même.

      [J’avoue que devant cette situation, je ne peux m’empêcher de souhaiter que cette fin de quinquennat ne soit pas perdue et que la politique française puisse utiliser ce temps pour se recomposer sur un clivage mieux assumé. A ce propos, j’entendais P Meyer évoquer un ‘coup de théâtre’ visant à reprendre la main – Macron promettant de ne pas se représenter en 2022 pour calmer le jeu de massacre sur sa personne. Cela ne fait pas une politique, mais croyez-vous que cela aurait pu relancer une dynamique politique plus constructive?]

      Je ne crois pas que cela aurait « calmé » quoi que ce soit, au contraire. L’argument « supportez moi encore trois ans et je vous promets de vous laisser en paix après » est intenable de quelque angle qu’on puisse l’imaginer. Six mois avant l’élection cela pourrait marcher, trois ans avant c’est tout à fait ridicule. Non, je crains qu’on soit parti pour trois ans d’impuissance, car je ne crois pas un instant que Macron soit capable – comme le fit De Gaulle plus d’une fois – de remettre son mandat en jeu en demandant un vote de confiance du peuple, et de partir au cas où il ne l’obtiendrait pas. A mon sens, un tel vote est la seule façon de sortir de l’impasse…

      [A mon humble avis, le pays ne donnera pas le pouvoir aux populistes: il a plusieurs fois eu cette occasion et a repoussé cette option.]

      Oui, mais avec des majorités chaque fois plus faibles. Chirac avait réuni plus de 80% des voix, Macron a dû se contenter de 65%. Chirac avait d’ailleurs été élu sur une illusion, celle d’une politique d’union nationale destinée à effacer la « fracture sociale ». Macron a été élu par défaut. Si seulement nos « populistes » n’étaient pas aussi incapables…

      [Le cœur du problème est que les classes populaires sont très divisées et “l’égo politique” pour reprendre vos catégories leur interdit toute alliance. Les intérêts de ceux que vous appelez désormais les “classes intermédiaires” représentent entre 20 et 30% de l’électorat et les classes populaires sont scindées entre la périphérie RN et les précaires métropolitains plutôt LFI qui eux adhèrent à beaucoup d’aspects de la mondialisation.]

      Le vrai problème est que nos « populistes » sont des populistes en peau de lapin. Au FN, ils chargent toujours avec l’héritage d’un leader grande gueule mais qui à l’heure d’exercer le pouvoir a toujours reculé, une admission implicite de ses propres limitations. Et même si la nouvelle génération veut le pouvoir et sait l’exercer – les expériences de gestion municipale à Hénin-Beaumont et ailleurs n’ont rien à voir avec l’incompétence et le sectarisme dont avait fait preuve la génération précédente lors de ses rares victoires et qui avait conduit à des désastres comme celui de Vitrolles – ils le font dans la bonne vieille logique notabiliaire. A LFI, difficile d’imaginer le mitterrandien de toujours qu’est Mélenchon, l’homme du « compromis de gauche » de Maastricht, faisant le quart du tiers de ce qu’il promet dans ses discours enflammés. Avec lui, ce serait comme en 1981 : quelques mois d’agitation puis un retour à la normale.

      La meilleure preuve est que nos « populistes » à nous ne font peur à personne dans les couches dominantes. Oui, Marine Le Pen faisait peur quand elle avait un Philippot à ses côtés et qu’elle parlait de sortie de l’Euro. Mais depuis qu’elle s’est « normalisée », tout le monde – ou devrais-je dire tout « Le Monde » – est devenu très gentil avec elle. Mélenchon, quant à lui, n’a jamais fait vraiment peur à personne…

      • BJ dit :

        @ Descartes

        En fin « Observateur » vous écrivez :

        [Mais depuis qu’elle s’est « normalisée », tout le monde – ou devrais-je dire tout « Le Monde »]

        Quelle « Libération » de lire ça !

        Ok, pas drôle-drôle, mais j’ai eu envie…

      • Manchego dit :

        (Mélenchon, quant à lui, n’a jamais fait vraiment peur à personne…).
        Son problème c’est un manque de cohérence, un manque de crédibilité :
        – Quand on a voté pour Maastricht c’est difficile de critiquer l’ultra libéralisme de l’Europe….
        – Il ne le fait plus maintenant, mais à une époque il soutenait mordicus qu’on pouvait rapidement sortir du nucléaire avec la géothermie, ce qui est une “connerie” évidente au yeux de quelqu’un ayant quelques notions de physique….)
        -…….
        et que dire de sa prestation lorsque son domicile a été perquisitionné.
        Mais les autres formations “de gauche” sont aussi en manque de crédibilité.
        Le PC ne représente plus grand chose (et ceux qui se rappellent des prestations de MG. Buffet et JC. Gayssot dans le gouvernement Jospin, ou bien de l’évolution de R. Hue, ne sont pas nostalgiques je crois).
        Le PS est à l’agonie, son ennemi c’était la finance, mais avec des énnemis de ce type la finance n’a pas besoin d’amis… Je me demande encore comment Macron a pu passer de la banque Rotchild au gouvernement Hollande?
        Les écologistes, on ne sait plus trop où ils sont sur le plan idéologique (Après Hulot, on ne voit pas trop ce que vient faire P. Canfin au sein de la Macronie?) Si la survie de l’espèce est vraiment menacée par la pollution et le changement climatique, ce n’est pas dans le cadre du capitalisme vérolé d’ultra libéralisme qu’on va changer le cours des choses….. Mais visiblement les écolos ne veulent pas sortir du cadre!
        La droite LR est aussi en panne de crédibilité et le FN se heurte toujours a son plafond de verre, Macron peut donc être réélu en 2022 s’il parvient encore à agréger le centre droit et le centre gauche comme en 2017 (ce qui me semble très probable).
        En effet, comment ne pas voir dans l’incendie de Notre-Dame de Paris une métaphore de la situation politique?

        • Descartes dit :

          @ Manchego

          [Son problème c’est un manque de cohérence, un manque de crédibilité :
          – Quand on a voté pour Maastricht c’est difficile de critiquer l’ultra libéralisme de l’Europe….
          – Il ne le fait plus maintenant, mais à une époque il soutenait mordicus qu’on pouvait rapidement sortir du nucléaire avec la géothermie, ce qui est une “connerie” évidente au yeux de quelqu’un ayant quelques notions de physique….)]

          Au fond de lui, Mélenchon reste un gauchiste des années 1970, persuadé encore que la volonté prime sur la réalité, que si on y croit suffisamment fort à quelque chose, elle deviendra réelle. Encore aujourd’hui, il est persuadé que Maastricht était un « compromis de gauche » qui aurait permis à une « Europe sociale » parée de toutes les vertus de s’épanouir si seulement les dirigeants de la gauche européenne « y avaient cru » profondément. Et s’il ne le dit pas, je suis convaincu qu’il croit encore qu’on peut remplacer le nucléaire par la géothermie (ou le solaire, ou l’éolien) à condition d’avoir la foi.

          C’est cela qui explique que son mouvement se construise avec une logique sectaire, que les adeptes aient le choix entre la foi absolue ou l’expulsion, que le doute, le regard critique soit regardé comme une trahison. Du temps ou je participais encore au blog de Mélenchon, je me souviens d’une commentatrice qui avait appelé les autres participants à ne pas lire mes commentaires en m’accusant de « porter atteinte à leur croyance ». Cela vous donne une idée de l’organisation mentale des militants mélenchoniens. Et c’est logique : si vous croyez à la toute-puissance de la foi, vous ne pouvez tolérer l’hérétique.

          Le problème, c’est que dans cette logique Mélenchon est « crédible » pour tous ceux qui partagent la foi, mais totalement in-crédible pour ceux, de plus en plus nombreux, qui ne communient pas dans les églises « insoumises »…

          [et que dire de sa prestation lorsque son domicile a été perquisitionné.]

          Là, j’hésite. S’agit-il d’une erreur de communication, ou tout simplement de la colère d’un vieux grincheux qui n’a pas envie que ses petites affaires sortent au grand jour ? Je pense surtout qu’il s’est laissé emporter par ses réflexes gauchistes et par son besoin d’affirmer son autorité sur ses troupes.

          [Mais les autres formations “de gauche” sont aussi en manque de crédibilité.]

          Oui, mais pour des raisons très différentes. On peut reprocher beaucoup de choses au PS ou au PCF de nos jours, mais pas de fonctionner comme des sectes. Plus que la foi, ce serait le cynisme qui y domine, particulièrement entre les dirigeants.

          [Le PC ne représente plus grand chose (et ceux qui se rappellent des prestations de MG. Buffet et JC. Gayssot dans le gouvernement Jospin, ou bien de l’évolution de R. Hue, ne sont pas nostalgiques je crois).]

          Le PCF est une coquille vide, et ne survit politiquement – en perdant des positions à chaque élection – que parce qu’il peut compter sur l’énorme capital politique, financier et militant dont il a hérité. Il me rappelle la remarque de Gibbons sur la décadence de l’empire Romain, parlant de gens vivant dans des palais qu’ils auraient été incapables de bâtir et les voyant tomber en ruine. Avec l’Humanité en redressement judiciaire, le siège de la Place du Colonel Fabien à moitié loué et tout le patrimoine immobilier du national vendu, avec un nombre de permanents réduit au stricte minimum…

          [Le PS est à l’agonie, son ennemi c’était la finance, mais avec des énnemis de ce type la finance n’a pas besoin d’amis… Je me demande encore comment Macron a pu passer de la banque Rotchild au gouvernement Hollande?]

          N’enterrez pas trop vite le PS. Il a beau avoir une mauvaise passe, il ne faudrait pas oublier qu’il représente les intérêts d’un secteur sociologique qui reste très puissant. En 1969, la SFIO était à peu près dans le même état, et dix ans plus tard le PS prenait le pouvoir…

          [Les écologistes, on ne sait plus trop où ils sont sur le plan idéologique (Après Hulot, on ne voit pas trop ce que vient faire P. Canfin au sein de la Macronie?) Si la survie de l’espèce est vraiment menacée par la pollution et le changement climatique, ce n’est pas dans le cadre du capitalisme vérolé d’ultra libéralisme qu’on va changer le cours des choses….. Mais visiblement les écolos ne veulent pas sortir du cadre!]

          Les écolos sont là où ils ont toujours été : prêts à aller à la soupe. Et comme l’écologie a été incorporée à la pensée dominante, de nombreuses assiettes leur sont offertes !

          [La droite LR est aussi en panne de crédibilité et le FN se heurte toujours a son plafond de verre, Macron peut donc être réélu en 2022 s’il parvient encore à agréger le centre droit et le centre gauche comme en 2017 (ce qui me semble très probable).]

          Plus qu’une panne de crédibilité, LR se trouve devant une panne de chefs. La tradition bonapartiste de la droite française s’accommode très mal de la polycéphalie actuelle. La droite est aujourd’hui fractionnée en multiples chapelles, sans qu’apparaisse une personnalité capable de les fédérer derrière elle. En fait, alors qu’à gauche le facteur unificateur était l’idéologie, à droite ce sont les personnes qui jouent ce rôle.

      • Claustaire dit :

        Si Macron a des dettes à l’égard des puissances qui lui auraient payé et organisé son élection, il en a tout autant à l’égard de ceux qui l’ont élu, non ? Et à satisfaire les uns il ne peut que fâcher les autres.

        Et donc question : pourquoi satisfaire plutôt ses souteneurs que ses électeurs ? Puisque ceux-là (souteneurs) ne devaient lui servir qu’à séduire ceux-ci (électeurs).

        Or se faire élire pour ensuite décevoir délibérément ses électeurs, cela revient à ne chasser qu’avec un fusil à un coup. On est vite bredouille avec ce genre d’embrouilles.

        Mais on rappellera que les puissants et occultes souteneurs sauront trouver un autre candidat à faire élire la prochaine fois. Et que le fusil à répétition, c’est eux qui l’ont.

        Pauvres bambis que nous sommes !

        • Descartes dit :

          @ Claustaire

          [Si Macron a des dettes à l’égard des puissances qui lui auraient payé et organisé son élection, il en a tout autant à l’égard de ceux qui l’ont élu, non ? Et à satisfaire les uns il ne peut que fâcher les autres. Et donc question : pourquoi satisfaire plutôt ses souteneurs que ses électeurs ?]

          Parce que ses souteneurs ont un poids considérable en tant que prescripteurs auprès des électeurs. Et parce que beaucoup d’électeurs de Macron voteront pour lui même s’ils ne sont pas satisfaits, tout simplement parce qu’ils n’ont pas d’alternative crédible. En fait, c’est un exercice d’optimisation : aujourd’hui, Macron semble vouloir pousser le curseur un peu plus en faveur de son électorat, en allégeant la fiscalité sur les classes intermédiaires et transférant la charge sur les « niches fiscales » des entreprises. Demain, qui sait ?

  7. Vincent dit :

    > je ne crois pas un instant que Macron soit capable – comme le fit De Gaulle plus d’une
    > fois – de remettre son mandat en jeu en demandant un vote de confiance du peuple, et
    > de partir au cas où il ne l’obtiendrait pas. A mon sens, un tel vote est la seule façon de
    > sortir de l’impasse…

    J’ai la même analyse que vous : il a 3 solutions pour relancer son quinquennat :
    – démissionner et se représenter,
    – faire un référendum en annonçant qu’il partira s’il n’obtient pas satisfaction,
    – dissoudre l’assemblée nationale pour voir s’il retrouve une majorité.

    Je ne comprends pas qu’il ne choisisse pas la 1ère ou la 3ème solution : vu l’état actuel de décomposition de l’opposition, il est à peu près certain, tant pour la présidentielle, que pour des législatives d’une configuration REM / FN au second tour. Ce qui lui redonnerait -du moins en façade- une légitimité démocratique.
    Même s’il y a un risque, il a quand même de très fortes chances de gagner aujourd’hui, ce qui ne sera -j’ose l’espérer- plus le cas dans 3 ans.
    Entre un risque faible de devoir laisser la main ou d’avoir une cohabitation, et avoir 3 années de blocage sans rien pouvoir faire, je ne comprends vraiment pas qu’il ne choisisse pas de démissionner et de se représenter, ou de dissoudre l’Assemblée Nationale…
    En plus, s’il avait fait ça il y a quelques mois, ça se serait télescopé avec les européennes, permettant de gagner celles ci du même coup…

    • Vincent dit :

      Mon commentaire me fait (de nouveau) penser à un mot de de Gaulle :
      « Ils auraient voulu continuer à jouer tranquillement à la belote, mais je les ai obligés à jouer au poker, et là, je suis le plus fort ».

      Si Macron raisonnait comme lui, je pense qu’il aurait fait selon mon idée… Il faut croire qu’il préfère la belote…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je ne comprends pas qu’il ne choisisse pas la 1ère ou la 3ème solution : vu l’état actuel de décomposition de l’opposition, il est à peu près certain, tant pour la présidentielle, que pour des législatives d’une configuration REM / FN au second tour. Ce qui lui redonnerait -du moins en façade- une légitimité démocratique.]

      Les deux solutions que vous proposez (démission ou dissolution pour aller chercher une légitimité) impliquent une énorme prise de risque. Le risque ne vient pas tant du FN (dans une confrontation avec Marine Le Pen il est pratiquement sûr de gagner) que d’un autre égo-politicien chassant sur les mêmes terres et qui choisirait de le défier. Ce que Macron a fait à Hollande, un autre peut le faire à Macron.

      [Même s’il y a un risque, il a quand même de très fortes chances de gagner aujourd’hui, ce qui ne sera -j’ose l’espérer- plus le cas dans 3 ans.]

      Peut-être. Mais ces trois ans…

      • Vincent dit :

        > Les deux solutions que vous proposez (démission ou dissolution pour
        > aller chercher une légitimité) impliquent une énorme prise de risque.

        Une prise de risque, oui, mais que je pense très modérée (cf. ci dessous). Et à la place de Macron, entre avoir encore 3 années à tirer avec un blocage politique, ou avoir 80% de chances de débloquer la situation, pour seulement 20% de chances de devoir avoir une cohabitation, je n’hésiterais pas !

        > Le risque ne vient pas tant du FN (dans une confrontation avec
        > Marine Le Pen il est pratiquement sûr de gagner) que d’un autre
        > égo-politicien chassant sur les mêmes terres et qui choisirait de
        > le défier. Ce que Macron a fait à Hollande, un autre peut le faire
        > à Macron.

        Je suis totalement d’accord. Il y a un gros risque pour Macron de voir émerger quelqu’un d’ici 2022, qui lui referait le coup qu’il a fait à Hollande. Je ne vois pas du tout qui pour l’instant. Si je devais faire un pari, je dirais Amélie de Montchalin…

        Mais en cas de démission du Président ou de dissolution, le délai entre la décision et l’organisation de l’élection est de 1 mois à 1 mois 1/2. Ce qui ne laisse pas une fenêtre de temps suffisante à un nouvel égo politicien pour apparaitre. Du coup, aucun risque de ce coté là, et seuls les partis établis peuvent être une menace.

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [Une prise de risque, oui, mais que je pense très modérée (cf. ci dessous). Et à la place de Macron, entre avoir encore 3 années à tirer avec un blocage politique, ou avoir 80% de chances de débloquer la situation, pour seulement 20% de chances de devoir avoir une cohabitation, je n’hésiterais pas !]

          Pour avoir une cohabitation, il faut être deux. Je ne suis pas persuadé qu’on trouverait beaucoup de leaders dans l’opposition – à supposer qu’il y en ait un qui puisse commander une majorité – qui accepterait une cohabitation sous Macron. Le risque n’est pas tant de devoir « avoir une cohabitation » mais de devoir quitter l’Elysée.

          [Je suis totalement d’accord. Il y a un gros risque pour Macron de voir émerger quelqu’un d’ici 2022, qui lui referait le coup qu’il a fait à Hollande. Je ne vois pas du tout qui pour l’instant. Si je devais faire un pari, je dirais Amélie de Montchalin…]

          Je vous trouve bien sarcastique… Je doute que dans le climat actuel le côté « Versailles-Neuilly-Passy » soit très porteur!

          • Vincent dit :

            > Je vous trouve bien sarcastique… Je doute que dans le climat
            > actuel le côté « Versailles-Neuilly-Passy » soit très porteur!

            Je ne suis pas ironique.
            Pour avoir une chance de passer, il faudra qu’il réussisse à mobiliser les électorats Macron + Fillon.
            Pour séduire l’électorat Macron elle a :
            – économiste, et donc réputée compétente,
            – jeune et qui présente bien, comme Macron la dernière fois,
            – une femme, ce qui apporte le changement, et sans doute de l’électorat féministe, voire LGBT, tant les “minorités” sont souvent solidaires l’une de l’autre,
            – les gages donnés à l’UE, avec son poste actuel.

            Pour séduire l’électorat Fillon, elle a le côté que vous mentionnez…

            Avec tout ça, ça pourrait permettre de passer le 1er tour facilement. Et donc de gagner…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Avec tout ça, ça pourrait permettre de passer le 1er tour facilement. Et donc de gagner…]

              Après 2017, il est difficile de dire “jamais”… mais j’ai tout de même beaucoup de mal à y croire…

    • Claustaire dit :

      Avec une dissolution de l’AN sans préalable modification du code électoral instaurant la proportionnelle la plus large (sinon intégrale) avant de nouvelles élections, quel que soit le résultat des nouvelles législatives, on pourrait toujours faire au pouvoir un procès en (il)légitimité. Et la situation politique de notre pays ne serait en rien stabilisée.

      • xc dit :

        @Claustaire
        Vous imaginez une Assemblée où les sièges seraient répartis conformément à ce que laissent prévoir les sondages pour les européennes ?
        Un parmi d’autres: https://www.bfmtv.com/politique/sondage-bfmtv-europeennes-larem-et-le-rn-au-coude-a-coude-a-22percent-d-intentions-de-vote-1686879.html
        Certes, tout le monde pourrait s’estimer justement représenté. Mais pour la plupart, cela ne serait que de la figuration.

        • Descartes dit :

          @ xc

          [Certes, tout le monde pourrait s’estimer justement représenté. Mais pour la plupart, cela ne serait que de la figuration.]

          La question de fond est celle de la fonction des institutions. Voulons nous des institutions efficaces, capables de prendre des décisions et de conduire des politiques, ou voulons nous des institutions ou tout le monde soit représente, quitte à les rendre impuissantes ? Une proportionnelle intégrale sans seuil – ou avec un seuil relativement bas – conduit à un morcellement politique et à une “communautarisation” de la politique, chaque parti représentant un secteur précis de la société. Ce morcellement rend impossible toute politique globale, puisque les majorités résultent de concessions aux marottes de chaque groupe avec un pouvoir disproportionné aux petits partis “charnière” des majorités. Regardez comment cela se passe dans les pays à proportionnelle intégrale…

  8. Ian Brossage dit :

    Bonjour Descartes,

    Je ne sais pas si vous suivez les péripéties du Brexit. Cela part de plus en plus en quenouille…
    May cherche à négocier un accord de compromis avec le Labour. Selon les fuites, cet accord incluerait la participation temporaire à une union douanière avec l’UE, sur le modèle de la Turquie. Il me semble que cela serait un compromis acceptable, qui préserverait l’essentiel (sortie de l’UE, récupération de la plupart des leviers de la décision politique) et n’insulterait pas l’avenir (une union douanière, c’est plus facile d’en sortir que de sortir de l’UE).

    Mais de nombreux parlementaires des deux camps sont vent debout contre cette initiative de May. À mon avis, les Brexiteurs purs et durs auraient intérêt à mettre un peu d’eau dans leur vin, car l’échec de cette tentative de compromis présenterait de grands risques pour le Brexit. Du côté du Labour, il semble que les représentants du parti aimeraient plutôt que May échoue, quitte à enliser le processus pendant 6 mois de plus : bref, ils négocient avec elle, mais peut-être avec le but de faire échouer les négociations.

    Par ailleurs, le Brexit Party de Farage caracole en tête des sondages pour les prochaines européennes, mais je ne suis pas sûr qu’affaiblir les conservateurs soit une bonne chose actuellement pour le Brexit. Je pense que cela montre les limites de quelqu’un comme Farage : c’est un tribun impressionnant, mais il n’est pas prêt à accepter les responsabilités et les compromis qu’impliquent la participation au champ politique.

    Les extrêmistes de l’autre camp (Lib Dem…) ont également le vent en poupe, ce qui n’arrangera pas les choses.

    • Descartes dit :

      @ Ian Brossage

      [Je ne sais pas si vous suivez les péripéties du Brexit. Cela part de plus en plus en quenouille…
      May cherche à négocier un accord de compromis avec le Labour. Selon les fuites, cet accord inclurait la participation temporaire à une union douanière avec l’UE, sur le modèle de la Turquie. Il me semble que cela serait un compromis acceptable, qui préserverait l’essentiel (sortie de l’UE, récupération de la plupart des leviers de la décision politique) et n’insulterait pas l’avenir (une union douanière, c’est plus facile d’en sortir que de sortir de l’UE).]

      Je ne crois pas que ce soit un « compromis acceptable ». Aussi longtemps qu’un pays appartient à l’union douanière, sa politique économique reste soumise aux règles européennes. C’est « acceptable » s’il s’agit d’un arrangement provisoire avec une date limite. Si c’est du provisoire qui dure… ce n’est pas acceptable.

      Personnellement, je ne partage pas l’idée que les « brexitters » devraient accepter un « Brexit » à tout prix. Inutile d’accepter un Brexit qui se ferait dans de telles conditions que cela ne peut être qu’un échec économique, et qui permettrait aux anti-Brexit de dire plus tard « vous voyez bien que c’était une mauvaise idée ». Mieux vaut pas de Brexit qu’un mauvais Brexit.

      • Yoann dit :

        [ Mieux vaut pas de Brexit qu’un mauvais Brexit.]

        Tient je n’aurais jamais pensé lire cela, ou alors je l’ai mal compris. Principalement car l’UE ne voudra jamais d’un bon Brexit, non ?

        • Descartes dit :

          @ Yoann

          [Tient je n’aurais jamais pensé lire cela, ou alors je l’ai mal compris. Principalement car l’UE ne voudra jamais d’un bon Brexit, non ?]

          Tout à fait. Mais on n’est pas obligé de faire ce que veut l’UE, si ?

      • Ian Brossage dit :

        @Descartes

        > C’est « acceptable » s’il s’agit d’un arrangement provisoire avec une date limite.

        C’était un peu le principe de ce projet de compromis, à ce que j’en ai compris :
        https://infacts.org/temporary-customs-union-is-mays-latest-con/

        > Si c’est du provisoire qui dure… ce n’est pas acceptable.

        Cela, on ne peut pas le prévoir. Cela dépendra des forces politiques en jeu (et aussi de l’état économique de l’UE, certainement) lorsqu’il sera temps de renouveler ou de défaire le « provisoire ». Mais pourquoi insulter l’avenir ?

        > Inutile d’accepter un Brexit qui se ferait dans de telles conditions que cela ne peut être qu’un échec économique, et qui permettrait aux anti-Brexit de dire plus tard « vous voyez bien que c’était une mauvaise idée ».

        Je dirais : et alors ? Même si le Brexit n’a pas de bonnes conséquences économiques, je doute que le RU décide d’adhérer de nouveau à l’UE. Le Brexit, s’il se réalise vraiment, a de grandes chances d’être définitif.

        Il faut garder à l’esprit que la puissance d’attraction de l’UE est désormais très faible : sa santé économique est médiocre, sa dynamique politique et institutionnelle est totalement enrayée, les désaccords et le divergences sont de plus en plus rudes entre les différents pays, et cela n’ira qu’en s’aggravant.

        Une fois le RE sorti de l’UE, le débat, dans quelques années, n’y sera pas « on y retourne ou on reste dehors ? » mais « on reste dans l’union douanière ou on en sort ? ». Les pro-Brexit auront sécurisé une position très avantageuse.

        Par contre, si le Brexit ne se fait pas après un tel psychodrame politico-institutionnel, il sera sûrement impossible de refaire l’expérience avant 10 ou 20 ans, et le souvenir du processus actuel représentera un lourd handicap pour convaincre les électeurs de revoter pour une sortie.

        • Descartes dit :

          @ Ian Brossage

          [« C’est « acceptable » s’il s’agit d’un arrangement provisoire avec une date limite. » C’était un peu le principe de ce projet de compromis, à ce que j’en ai compris : (…)]

          Vous avez mal compris, du moins si l’on s’en tient à l’article que vous citez. Celui-ci montre que la logique du « backstop » fait que même à l’issue de la période « temporaire », l’union douanière deviendrait permanente aussi longtemps qu’un accord entre l’UE et le Royaume-Uni n’a pas été conclu – ce qui revient à donner à l’UE un droit de véto.

          [« Si c’est du provisoire qui dure… ce n’est pas acceptable. » Cela, on ne peut pas le prévoir.]

          Oh que si. Si le texte prévoit que l’union douanière durera jusqu’à ce que les deux parties trouvent un accord, on peut prévoir qu’elle sera éternelle : dans la logique punitive qui est la sienne, l’UE ne signera jamais un accord acceptable par l’autre partie.

          [Cela dépendra des forces politiques en jeu (et aussi de l’état économique de l’UE, certainement) lorsqu’il sera temps de renouveler ou de défaire le « provisoire ». Mais pourquoi insulter l’avenir ?]

          Je n’aime pas cette expression, qui d’ailleurs était une favorite d’un certain François Mitterrand : elle implique qu’on doive se laisser toutes les options ouvertes, quitte à ne jamais choisir ou faire un acte fort. Quand De Gaulle quitte l’OTAN, n’insulte-t-il pas l’avenir ? Personnellement, je dirais plutôt « il ne faut pas insulter INUTILEMENT l’avenir »…

          [Je dirais : et alors ? Même si le Brexit n’a pas de bonnes conséquences économiques, je doute que le RU décide d’adhérer de nouveau à l’UE. Le Brexit, s’il se réalise vraiment, a de grandes chances d’être définitif.]

          Probablement. Mais si c’est un succès économique, cela donnera des idées aux autres !

          [Par contre, si le Brexit ne se fait pas après un tel psychodrame politico-institutionnel, il sera sûrement impossible de refaire l’expérience avant 10 ou 20 ans, et le souvenir du processus actuel représentera un lourd handicap pour convaincre les électeurs de revoter pour une sortie.]

          Curieusement – et j’en suis étonné moi-même – les britanniques dans leur grande majorité ne semblent pas particulièrement traumatisés par le processus actuel, et n’en voient en tout cas pas une raison pour changer d’avis. On a l’impression qu’en Grande Bretagne comme en France il y a une séparation quasi complète entre les élites politico-médiatiques et le « peuple des ronds-points ». Les députés et les commentateurs à Westminster parlent comme si le ciel leur tombait sur la tête, mais on a l’impression que dans les pubs de Manchester ou de Liverpool la tonique n’est pas la même.

          • Ian Brossage dit :

            @Descartes

            > Quand De Gaulle quitte l’OTAN, n’insulte-t-il pas l’avenir ?

            Je ne suis pas sûr de comprendre votre phrase. De Gaulle a-t-il quitté l’OTAN ? À ma connaissance, De Gaulle (ou plutôt la France) n’a quitté que le commandement intégré… Ce qui, si on veut vraiment tracer une analogie avec la question du Brexit « dur », irait plutôt dans mon sens.

            > Personnellement, je dirais plutôt « il ne faut pas insulter INUTILEMENT l’avenir »…

            Certes. Mais à quoi est-il utile de refuser un Brexit « mou » pour rester dans l’UE ?

            > Curieusement – et j’en suis étonné moi-même – les britanniques dans leur grande majorité ne semblent pas particulièrement traumatisés par le processus actuel, et n’en voient en tout cas pas une raison pour changer d’avis.

            Je ne connais pas les Britanniques personnellement. Les sondages semblent incertains. Il y a des tables intéressantes ici :
            https://www.opinium.co.uk/political-polling-8th-may-2019/

            À la table “V401 (summary)”, on voit que la seule alternative qui semble acceptable à une fraction importante de l’échantillon (plus de 40%) est un Brexit « mou » (“A Brexit where the UK is closely aligned with the UE”).

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [« Quand De Gaulle quitte l’OTAN, n’insulte-t-il pas l’avenir ? » Je ne suis pas sûr de comprendre votre phrase. De Gaulle a-t-il quitté l’OTAN ? À ma connaissance, De Gaulle (ou plutôt la France) n’a quitté que le commandement intégré… Ce qui, si on veut vraiment tracer une analogie avec la question du Brexit « dur », irait plutôt dans mon sens.]

              Vous avez raison de rappeler que De Gaulle n’a pas quitté l’OTAN mais simplement le commandement intégré et – on l’oublie souvent – exigé et obtenu le départ de l’ensemble des troupes de l’OTAN basées en France et la fermeture des bases de l’OTAN sur notre territoire.

              Mais ce que je voulais dire est que toute décision tranchée « insulte l’avenir », puisqu’elle ferme des portes. Qu’il ne faille pas insulter l’avenir lorsqu’on n’a pas d’intérêt particulier à le faire, je suis d’accord. Mais en faire un principe de gouvernement – comme le faisait Mitterrand – me semble le pire des opportunismes.

              [Certes. Mais à quoi est-il utile de refuser un Brexit « mou » pour rester dans l’UE ?]

              Parce que le Brexit qu’on accepte sera jugé par l’opinion. Le pire désastre serait que les gens se disent « c’est ça le Brexit ? Ce n’était vraiment pas la peine de sortir pour se trouver dans cette situation ». Accepter un Brexit « mou » qui aurait tous les inconvénients de rester dans l’UE et aucun des avantages d’en sortir, c’est prendre le risque que les gens voient leur situation se dégrader « par la faute du Brexit ».

              [« Curieusement – et j’en suis étonné moi-même – les britanniques dans leur grande majorité ne semblent pas particulièrement traumatisés par le processus actuel, et n’en voient en tout cas pas une raison pour changer d’avis. » Je ne connais pas les Britanniques personnellement. Les sondages semblent incertains. Il y a des tables intéressantes ici : (…)]

              Pas si incertains. Le « parti du Brexit » caracole en tête des projections de vote pour les européennes, avec treize points d’avance sur les travaillistes.

              [À la table “V401 (summary)”, on voit que la seule alternative qui semble acceptable à une fraction importante de l’échantillon (plus de 40%) est un Brexit « mou » (“A Brexit where the UK is closely aligned with the UE”).]

              C’est logique : telle que la question est posée, le Brexit « mou » accumule les réponses des pro-brexit qui veulent une sortie en douceur avec les voix des anti-brexit qui des deux maux choisissent le moindre.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Pas si incertains. Le « parti du Brexit » caracole en tête des projections de vote pour les européennes, avec treize points d’avance sur les travaillistes.

              C’est incertain parce que l’estimation varie selon qu’on formule la question. Si l’on prend les intentions de vote pour le Brexit Party comme indicateur de l’acceptation d’un Brexit dur, alors on obtient un taux de l’ordre de 35%.

              Si l’on prend d’autres manières de poser la question, on obtient d’autre chiffres. Par exemple :

              > C’est logique : telle que la question est posée, le Brexit « mou » accumule les réponses des pro-brexit qui veulent une sortie en douceur avec les voix des anti-brexit qui des deux maux choisissent le moindre.

              Ce n’est pas comme ça que je lis le « V401 Summary ». À chaque alternative, les répondants doivent dire s’ils la trouvent acceptable. Il n’y a donc pas d’exclusive. L’alternative « A Brexit where the UK has a clear break from the EU » a un taux d’acceptation de 27%.

              Cependant il y a un problème que je n’avais pas vu : l’échantillon à qui on pose la question est « Base: all respondents who did not select this as a preference ». C’est-à-dire que cela fait référence à une autre question où les répondants désignent leur alternative préférée…. C’est le tableau V400.

              Si je reprends les calculs :
              – nombre de répondants total : 2004
              – nombre de répondants qui préfèrent un Brexit dur (V400) : 792
              – nombre de répondants ne préférant pas un Brexit dur, mais l’acceptant tout de même (V401 Summary) : 322
              – donc, taux d’acceptation total du Brexit dur : 55%

              On peut faire le même calcul pour les deux autres alternatives et on aboutit à :
              – taux d’acceptation total du Brexit mou : 50%
              – taux d’acceptation total du Remain : 50%

              Le Brexit dur est donc (je dois dire que cela me surprend) l’option la plus acceptable.

              Il est dommage qu’il n’y ait pas de table croisée montrant quelle est l’acceptabilité de chaque alternative en fonction de l’alternative préférée. En d’autres termes, il serait intéressant de savoir si l’acceptation du Brexit mou se retrouve plutôt que les Remainers ou chez les Hard Brexiters, ou les deux à parts égales.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [C’est incertain parce que l’estimation varie selon qu’on formule la question. Si l’on prend les intentions de vote pour le Brexit Party comme indicateur de l’acceptation d’un Brexit dur, alors on obtient un taux de l’ordre de 35%.]

              Je ne crois pas que ce soit une interprétation juste. Je pense surtout que l’avance du Brexit Party traduit une exaspération des électeurs – qu’ils soient conservateurs, travaillistes ou autres – qui ont voté « leave » lors du référendum et qui trouvent que la classe politique ne fait pas ce qu’il faut pour traduire ce vote dans les faits. Il est probable que dans les 35% du Brexit Party on trouve les « brexitters » les plus durs. Mais il y a probablement aussi des « durs » qui votent conservateur ou travailliste…

              [Le Brexit dur est donc (je dois dire que cela me surprend) l’option la plus acceptable.]

              C’est surprenant en effet, du moins vu du point de vue de notre histoire politique. Je me demande si en France la guerre d’usure menée par l’UE avec la complicité d’une grande partie de la classe politique locale n’aurait déjà eu raison de la détermination populaire. Mais les britanniques ont la tête dure…

  9. Vincent dit :

    > tout ça pour ça ? (…) Pour qu’il nous explique (…) que les mesures qui
    > reviennent le plus dans les contributions au Grand débat – le RIC, le
    > rétablissement de l’ISF – sont déraisonnables et qu’il a décidé de les ignorer ?

    Je vais me faire l’avocat du diable, mais je pense que sur ce point, vous êtes d’accord avec lui, n’est ce pas ?
    N’est il pas après tout légitime que le Président puisse décider que certaines mesures populaires sont en réalité contre productives ? Telle le RIC qui pourrait empêcher la France d’être gouvernée, ou l’ISF pour des raisons économiques et de fuite des capitaux ?
    Vous me répondrez sans doute que le Président ne devrait pas avoir besoin de demander aux français quelles sont les solutions à apporter, puisque c’est à lui et au Gouvernement de les trouver.
    Mais dans ce cas, c’est l’organisation du débat qu’il faut critiquer. Comme vous ne vous êtes d’ailleurs pas privé de le faire ; mais pas le fait qu’il ne suive pas les recommandations de celui ci… Ce qui devrait au contraire plutôt vous rassurer ?

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je vais me faire l’avocat du diable, mais je pense que sur ce point, vous êtes d’accord avec lui, n’est-ce pas ?]

      Si vous voulez dire que si j’étais à la place de Macron je n’aurais pas non plus retenu le RIC ou le rétablissement de l’ISF, vous avez parfaitement raison. Mais je n’aurais pas non plus organisé un « grand débat ». Lorsque vous posez une question au peuple, vous vous engagez implicitement à tenir compte de sa réponse. Si vous ne considérez pas ce genre de consultation comme ayant un caractère engageant, vous ne posez pas la question. C’est une question de cohérence.

      [N’est il pas après tout légitime que le Président puisse décider que certaines mesures populaires sont en réalité contre productives ? Telle le RIC qui pourrait empêcher la France d’être gouvernée, ou l’ISF pour des raisons économiques et de fuite des capitaux ?]

      Tout à fait. Mais alors, il ne faut pas poser la question. Pensez par exemple le débat qui a précédé le Grenelle de l’Environnement en 2007. Sarkozy avait dès le départ décidé qu’on pouvait discuter de tout, sauf du nucléaire, précisément parce qu’il avait sur cette question une position personnelle et qu’il pensait qu’un débat sur cette question n’avait aucun intérêt. Que penseriez-vous d’une personne qui vous invite à manger chez elle et qui vous demande « vous aimez le poisson ? » et qui après une réponse négative vous servirait du poisson quand même ?

      [Vous me répondrez sans doute que le Président ne devrait pas avoir besoin de demander aux français quelles sont les solutions à apporter, puisque c’est à lui et au Gouvernement de les trouver. Mais dans ce cas, c’est l’organisation du débat qu’il faut critiquer. Comme vous ne vous êtes d’ailleurs pas privé de le faire ; mais pas le fait qu’il ne suive pas les recommandations de celui ci… Ce qui devrait au contraire plutôt vous rassurer ?]

      Ca ne me « rassure » pas parce qu’un président qui pose une question et décide ensuite que la réponse ne lui convient pas affaiblit encore le pacte démocratique sur lequel repose notre République. Lorsque De Gaulle pose une question et devant une réponse négative décide de se retirer, il dit aux citoyens « c’est vous qui avez le pouvoir, et puisque vous ne voulez pas de moi, je ne peux rester ». Lorsque Macron pose une question et ignore ensuite la réponse, il dit aux citoyens « quoi que vous disiez, je fais ce que je veux ».

      Le passage du traité de Lisbonne – et qui plus est, grâce aux voix de la droite et de la gauche réunies – après un référendum qui avait rejeté un texte similaire (même si du point juridique les deux textes étaient fondamentalement différents du fait du statut constitutionnel du TCE qui n’était pas repris dans le traité de Lisbonne) – a fait, on se rend compte aujourd’hui – des dommages irréparables à nos institutions. Et Macron réédite un peu le même message…

  10. Claustaire dit :

    Tout me semble, politiquement et sociologiquement, fort juste dans votre intéressante contribution, cher Descartes.

    Sauf (modeste contribution de prof de français) le “les gouvernements qui se sont succédés ces dernières années” : en effet les verbes pronominaux transitifs indirects (succéder à qqn, sourire à qqn, parler à qqn, etc.) sont invariables. Donc : “Les gouvernements se sont succédé…”

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [Sauf (modeste contribution de prof de français) le “les gouvernements qui se sont succédés ces dernières années” : en effet les verbes pronominaux transitifs indirects (succéder à qqn, sourire à qqn, parler à qqn, etc.) sont invariables. Donc : “Les gouvernements se sont succédé…”]

      Merci, professeur. J’adore le français… même si le mien n’est pas à la hauteur.

  11. Vincent dit :

    > L’idéologie pour eux n’est pas un instrument d’élaboration, mais un instrument de communication.

    Cette phrase est assez bien trouvée. Mais elle s’applique parfaitement aussi à Sarkozy. Quelques citations du livre de Buisson, à propos de Sarkozy, sur ce thème :
    “Nicolas Sarkozy était un trader de la politique, un court-termiste qui avait le goût des allers et retours spéculatifs. Pour parler le langage des marchés, il ne se déterminait qu’au vu d’un possible retour sur investissement et d’une rapide prise de bénéfices.”
    “son sens de l’opportunité politique le prédisposait à toutes les volte-face”
    “Comme toujours chez lui, les idées s’éprouvaient à l’aune de leur capacité de télécharger à peu de frais quelque valeur électorale ajoutée.”

    > Chez Macron, cela va du libéralisme extrême des libertariens à une pensée
    > organiciste qui fait penser à Maurras ou Maritain

    Où voyez vous une pensée organiciste chez Macron ? J’ai beau y repenser, je ne vois pas…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [« L’idéologie pour eux n’est pas un instrument d’élaboration, mais un instrument de communication. » Cette phrase est assez bien trouvée. Mais elle s’applique parfaitement aussi à Sarkozy. Quelques citations du livre de Buisson, à propos de Sarkozy, sur ce thème : (…)]

      Je ne suis pas tout à fait d’accord avec Buisson. Il est vrai que sur les sujets qui relèvent de la politicaillerie électorale, le commentaire de Buisson est justifié. Mais sur un certain nombre de sujets de fonds, ce n’est pas le cas. Le nucléaire fut un : il ne faudrait pas oublier que Sarkozy a refusé toute fermeture de réacteur, a poussé les feux sur les projets de construction d’EPR à l’étranger (dont les deux EPR de Taishan), mais aussi sur Flamanville et fait avancer à marche forcé le dossier d’un deuxième EPR à Penly. On peut difficilement voir dans cette position du « court-termisme » (il n’avait aucune chance de couper le ruban même en faisant un deuxième mandat). Sur les sujets énergétiques, que je connais bien, le mandat de Sarkozy fut un âge d’or, avec une véritable impulsion politique pour réfléchir à long terme. Et je pense que sur d’autres sujets de même nature, c’était pareil.

      [Où voyez-vous une pensée organiciste chez Macron ? J’ai beau y repenser, je ne vois pas…]

      Pensez à l’expression « premiers de cordée », ou à « les gens qui ont réussi croissent ceux qui ne sont rien »… Ne révèlent-elles pas une vision de la société figée, ou chacun aurait sa place et sa fonction ?

      • Vincent dit :

        > Pensez à l’expression « premiers de cordée », ou à « les gens qui
        > ont réussi croissent ceux qui ne sont rien »… Ne révèlent-elles pas
        > une vision de la société figée, ou chacun aurait sa place et sa fonction ?

        J’y vois exactement le contraire : une vision janséniste (ou calviniste) dans laquelle certains, les élus, touchés par la grâce, et peuvent s’extraire de leurs conditions, là où d’autres ne sont rien, car ils n’ont pas été touchés par la grâce.
        Dans la vision janséniste, il s’agit d’une grâce divine, qui peut toucher n’importe quelle strate de la société.
        De ce que j’ai compris, “L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme” (qui est toujours sur ma liste de livres à lire) avance que cette vision a favorisé un esprit capitaliste, en rendant acceptable pour des petits artisans de sortir de leur condition et de faire fortune (s’ils y arrivent, c’est qu’ils sont des élus, et ils ne le doivent donc à personne).

        Ici aussi, avec les premiers de cordées, il peut s’agir de personnes qui n’ont pas forcément hérité (financièrement, culturellement…), mais qui sont touchées par la grâce actuelle, qui consiste à être un “leader”, à avoir l’esprit d’un “entrepreneur”, le sens du business, etc.

        Benalla n’est pas le symbole d’une société figée, mais au contraire d’une société où on peut grimper très haut très vite… Pour les quelques élus…

        Voilà comment j’ai compris les phrases de Macron. Même si je sais qu’il a été chez les jésuites, je crois qu’il s’est depuis largement imprégné d’une manière de pensée anglo-saxonne, et je ne pense pas être totalement dans le faux.

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [J’y vois exactement le contraire : une vision janséniste (ou calviniste) dans laquelle certains, les élus, touchés par la grâce, et peuvent s’extraire de leurs conditions, là où d’autres ne sont rien, car ils n’ont pas été touchés par la grâce.]

          La différence réside dans le fait que pour les jansénistes ou les calvinistes la grâce est prospective, alors que pour Macron elle est rétrospective. Pour Calvin la grâce peut toucher un pauvre qui deviendra alors riche. Pour Macron, ceux touches par la grâce sont DEJA riches. Calvin appellerait à protéger toute la cordée, parce que le dernier pourrait, grâce aidant, devenir le premier. Pour Macron, il faut protéger le premier de cordée, puisque le fait qu’il occupe la tête prouve qu’il a la grâce, et que les autres ne l’ont pas. Autrement dit, les riches sont riches parce qu’ils ont la grâce, les pauvres sont pauvres parce qu’ils ne l’ont pas. Et à rien ne sert de chercher à promouvoir le mérite et l’effort, à rechercher la promotion sociale. Chacun doit se contenter de son lot, et remercier le « premier de cordée » qui permet à quelques miettes de tomber de sa table…

          [De ce que j’ai compris, “L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme” (qui est toujours sur ma liste de livres à lire) avance que cette vision a favorisé un esprit capitaliste, en rendant acceptable pour des petits artisans de sortir de leur condition et de faire fortune (s’ils y arrivent, c’est qu’ils sont des élus, et ils ne le doivent donc à personne).]

          Tout à fait, parce que la « grâce » était prospective. Chacun devait essayer de se dépasser, parce que ce serait un péché de ne pas profiter de la grâce donnée par dieu. L’interprétation rétrospective de la grâce, elle, est réactionnaire et favorise une société immobile.

          [Benalla n’est pas le symbole d’une société figée, mais au contraire d’une société où on peut grimper très haut très vite… Pour les quelques élus…]

          Non, justement. Benalla est le symbole d’une société figée : si quelques élus peuvent « grimper très vite » et accéder aux postes et aux prébendes, cette accession est frappée d’illégitimité. Al Capone n’a jamais été un exemple de promotion sociale : la promotion sociale n’implique pas seulement qu’on puisse devenir riche et puissant, mais que la société légitime cette richesse et cette puissance.

          • Vincent dit :

            Je ne suis pas certain que la différence soit si réelle que cela…

            >> “L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme” (…) avance
            >> que cette vision a favorisé un esprit capitaliste, en rendant
            >> acceptable pour des petits artisans de sortir de leur condition
            >> et de faire fortune (s’ils y arrivent, c’est qu’ils sont des élus,
            >> et ils ne le doivent donc à personne).]

            > Tout à fait, parce que la « grâce » était prospective. Chacun
            > devait essayer de se dépasser, parce que ce serait un péché
            > de ne pas profiter de la grâce donnée par dieu. L’interprétation
            > rétrospective de la grâce, elle, est réactionnaire et favorise une
            > société immobile.

            La grâce était peut être prospective, mais on ne pouvait la voir que rétrospectivement.
            Et de même, si on considère le cas de Benalla, il a été identifié comme un élu alors qu’il n’était rien, et a été propulsé…

            > Benalla est le symbole d’une société figée : si quelques
            > élus peuvent « grimper très vite » et accéder aux postes
            > et aux prébendes, cette accession est frappée d’illégitimité.
            > Al Capone n’a jamais été un exemple de promotion sociale :
            > la promotion sociale n’implique pas seulement qu’on puisse
            > devenir riche et puissant, mais que la société légitime cette
            > richesse et cette puissance.

            En gros, vous reprochez le fait que la société française n’accepte pas des promotions rapides et qui semblent illégitimes. De même que la société française considère que l’ascension de beaucoup de grands patrons est illégitime.
            Est ce que ça n’est pas simplement le marqueur que la société française est imprégnée de catholicisme, et refuse la vision calviniste ? Est ce qu’un Benalla, aux USA, n’aurait pas été vu comme légitime, ce qui ferait tomber votre objection ?

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [La grâce était peut être prospective, mais on ne pouvait la voir que rétrospectivement.]

              Tout à fait. Mais en étant prospective, chacun pouvait croire/espérer qu’elle lui serait accordée, et cela poussait à l’effort. Dans la vision macronienne, du moins telle que je la perçois, si « vous n’êtes rien », ce n’est pas la peine de faire un effort. Si vous aviez la « grâce », vous auriez déjà réussi.

              [Et de même, si on considère le cas de Benalla, il a été identifié comme un élu alors qu’il n’était rien, et a été propulsé…]

              Pas vraiment. Macron l’a peut-être fait prendre comme un supplétif à l’Elysée, mais il n’en a pas fait chef de cabinet, ministre ou préfet. Le cas Benalla illustre le fait que derrière son vernis libéral, Macron est finalement bien plus attaché à une vision « aristocratique » qu’on ne le croit. A ses yeux, Benalla et Kohler n’appartiennent pas et n’appartiendront jamais au même monde. Il peut adopter l’un comme préposé aux basses œuvres, mais pas plus.

              [En gros, vous reprochez le fait que la société française n’accepte pas des promotions rapides et qui semblent illégitimes. De même que la société française considère que l’ascension de beaucoup de grands patrons est illégitime.]

              Je ne « reproche » pas, je constate. Et mon commentaire ne concerne pas « la société française », mais la vision macronienne. La société française jusqu’aux années 1970 était imprégnée des valeurs qu’on pourrait qualifier d’aristocratiques, mais la Révolution étant passé par là, on a transféré sur le mérite ce qui autrefois était attribué au sang. C’est la reconnaissance du mérite (reconnu par le concours, par l’appartenance à des corps ou des institutions prestigieuses, par la légion d’honneur…) qui donne la légitimité, et non le montant du salaire ou du patrimoine. Un professeur au Collège de France est bien moins payé qu’un PDG, mais son prestige social est incomparable.

              La question n’est donc pas de savoir si la promotion est « rapide ». Le fils d’ouvrier passé par l’ENA qui devient préfet est reconnu à part entière, et personne ne songerait à contester sa légitimité sociale, alors même que sa promotion est « rapide ». Pensez à un Bourdieu, fils de paysan et professeur au Collège de France… qui mettait en doute sa « légitimité » ?

              [Est ce que ça n’est pas simplement le marqueur que la société française est imprégnée de catholicisme, et refuse la vision calviniste ? Est ce qu’un Benalla, aux USA, n’aurait pas été vu comme légitime, ce qui ferait tomber votre objection ?]

              Je ne le crois pas. Aux USA, c’est l’argent qui fait la légitimité. Benalla a eu une voiture avec gyrophare, un permis de port d’arme, un passeport diplomatique et un pouvoir – somme toute limité – de donner des ordres aux policiers et gendarmes. Mais il n’a pas gagné d’argent, il n’a pas fait fortune.

            • Vincent dit :

              Je constate, ce qui ne m’étonne guère, que nous sommes en réalité d’accord sur le fond.

              > La société française jusqu’aux années 1970 était
              > imprégnée des valeurs qu’on pourrait qualifier
              > d’aristocratiques, mais la Révolution étant passé
              > par là, on a transféré sur le mérite ce qui autrefois
              > était attribué au sang.

              Et là dessus est venu Mai 68, que je ne sais plus qui appelait quelques années après “une contre révolution réussie”, où ces valeurs aristocratiques sont tombées ; c’était l’époque de la déconstruction.

              Et du coup, en déconstruisant la légitimité du mérite républicain, on déconstruit la notion même d’élite légitime, et donc d’autorité légitime, donc d’autorité. Ce qui peut contribuer à expliquer le sentiment de plus en plus partagé d’une loi de la jungle actuelle, où le plus fort gagne.

              Mais en supprimant les élites légitimes, supprime-t-on les élites ?

              Naturellement, cela permet à d’autres élites d’apparaitre. Elles n’auront pas de légitimité, mais n’auront pas la prétention d’en avoir, et, surtout, n’accepteront pas leur statut d’élite, avec les devoirs que cela implique (je pense notamment aux journalistes).
              Parallèlement, on voit de plus en plus souvent sorti la légitimation directe par le peuple. Ainsi, le nombre de “followers”, le nombre d’auditeurs, etc. devient un substitut de légitimité, donc d’autorité. Si 80% des français pensent que le glyphosate est dangereux, ça devient une forme de “négationnisme” (pour reprendre, sauf erreur, un mot de José Bové, lui aussi 68-ard) que de vouloir affirmer que sa dangerosité reste hypothétique.

              > C’est la reconnaissance du mérite (reconnu par le
              > concours, par l’appartenance à des corps ou des
              > institutions prestigieuses, par la légion d’honneur…)
              > qui donne la légitimité, et non le montant du salaire
              > ou du patrimoine. Un professeur au Collège de
              > France est bien moins payé qu’un PDG, mais son
              > prestige social est incomparable.

              Il faut bien reconnaitre que c’est quelque chose qui demeure, et tant mieux.
              Il suffit de voir à quel point certains guignols qui prêchent des médecines alternatives insistent pendant la moitié de leurs interventions sur leur pedigree académique…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Je constate, ce qui ne m’étonne guère, que nous sommes en réalité d’accord sur le fond.]

              C’est grave, docteur ? 😉

              [Mais en supprimant les élites légitimes, supprime-t-on les élites ?]

              D’une certaine façon, oui. Etymologiquement, « élite » a la même origine que « élu ». L’élite implique une forme de reconnaissance, donc de légitimité. Mais la légitimité peut être fondée sur beaucoup de choses : la compétence, l’argent, la célébrité…

              Ce qu’on voit depuis 1968, c’est le lent passage d’une légitimité à une autre. Avant 1968, on croyait qu’une substance était dangereuse lorsqu’un professeur de toxicologie – c’est-à-dire une personne compétente – nous le disait. Aujourd’hui, on le croit lorsqu’une actrice célèbre ou une adolescente médiatisée nous le disent. On est passé de la légitimité de la compétence à la légitimité par la célébrité.

              [Il faut bien reconnaitre que c’est quelque chose qui demeure, et tant mieux.]

              Cela demeure… mais à peine.

            • Vincent dit :

              >>> Un professeur au Collège de
              >>> France est bien moins payé qu’un
              >>> PDG, mais son prestige social est
              >>> incomparable.
              >> Il faut bien reconnaitre que c’est
              >> quelque chose qui demeure, et tant
              >> mieux.
              > Cela demeure… mais à peine.

              Je pense que cela reste bien ancré. Certes, on trouve des contre-exemples, qui auraient sans doute été durs à trouver autrefois. Mais quand on va en province, auprès des gens peu éduqués, la parole d’un médecin, d’un ingénieur, ou d’un avocat reste quand même quelque chose d’écouté.

              Du côté des CSP++, il suffit de voir que les carrières les plus prestigieuses n’ont pas de mal à recruter : la recherche publique et l’enseignement supérieur, en France, dont on ne peut pas dire qu’ils payent à millions, ont encore des viviers de candidats chez nos jeunes les plus brillants largement supérieurs à leurs capacités de recrutement. Je crois que souvenir qu’un tiers des diplomés de l’X allaient vers l’enseignement supérieur ou la recherche en sortie d’école ; ce n’est pas par amour de l’argent, mais bien pour le prestige intellectuel.
              De la même manière, les postes de médecins fonctionnaire dans les CHU s’arrachent dans presque toutes les spécialités (certes de moins en moins vu l’évolution de l’hôpital public) ; de nombreux jeunes médecins sont prêts à enchainer 5 ans de contrats précaires et peu payés dans l’espoir d’un poste en CHU, et, quand ils ont fini par ne pas avoir leur poste, et par devoir aller en clinique, ils ont comme “consolation” d’avoir un triplement de leur salaire…

              Bref, le “sens de l’honneur” au sens de Philippe d’Iribarne n’est pas mort en France, Dieu merci !

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Je pense que cela reste bien ancré. Certes, on trouve des contre-exemples, qui auraient sans doute été durs à trouver autrefois. Mais quand on va en province, auprès des gens peu éduqués, la parole d’un médecin, d’un ingénieur, ou d’un avocat reste quand même quelque chose d’écouté.]

              In fine, comme l’avait prédit Marx dans le « manifeste », la réduction par le capitalisme de tous les rapports sociaux à des rapports marchands érode la notion même d’une élite fondée sur la compétence, puisqu’une telle élite s’appuyé d’abord sur l’autorité que donne la compétence – et sur des devoirs rattachés à cette autorité. J’ai un ami médecin de campagne qui me racontait comment il avait vu le rapport à ses patients changer dès lors que le patient est devenu un « client ». Et cela dysfonctionne des deux côtés : l’expert est poussé à dire ce que son « client » veut entendre – puisque c’est de sa satisfaction que dépend son salaire, et le « client » reproche à long terme à l’expert de lui dire ce qu’il veut entendre plutôt que la vérité. Un PDG américain avait magnifiquement résumé cette contradiction : « je veux des collaborateurs qui me disent la vérité, même si cela doit leur coûter leur poste »…

              Lorsqu’on s’éloigne des couches sociales et des espaces géographiques « mondialisés », on retrouve des réflexes anciens, et tout particulièrement le respect de l’autorité, celle des « sachants », mais aussi celle des institutions. Mais combien de temps cette attitude tiendra-t-elle face à un message diffusé urbi et orbi par les médias et par les institutions elles-mêmes qui met en avant un comportement de « client » dans tous les domaines ?

              [Du côté des CSP++, il suffit de voir que les carrières les plus prestigieuses n’ont pas de mal à recruter : la recherche publique et l’enseignement supérieur, en France, dont on ne peut pas dire qu’ils payent à millions, ont encore des viviers de candidats chez nos jeunes les plus brillants largement supérieurs à leurs capacités de recrutement.]

              A voir. Oui, il y a encore plus de candidats que des postes – notamment parce que les postes se sont réduits comme peau de chagrin. Mais je ne suis pas persuadé que la qualité soit toujours au rendez-vous. On trouve de plus en plus de normaliens ou de polytechniciens dans la banque et la finance, et de moins en moins dans la recherche…

              [Je crois que souvenir qu’un tiers des diplomés de l’X allaient vers l’enseignement supérieur ou la recherche en sortie d’école]

              Je ne crois pas que ce soit le cas aujourd’hui.

              [Bref, le “sens de l’honneur” au sens de Philippe d’Iribarne n’est pas mort en France, Dieu merci !]

              Non, il n’est pas mort, mais il ne se porte pas très bien non plus…

            • Vincent dit :

              > Je crois que souvenir qu’un
              > tiers des diplomés de l’X
              > allaient vers l’enseignement
              > supérieur ou la recherche en
              > sortie d’école

              > Je ne crois pas que ce soit
              > le cas aujourd’hui.

              Je viens de chercher ; je suis tombé sur un article de 2014, donc pas si vieux, qui donnait 30% de ceux qui ne rejoignent pas les corps qui vont vers la recherche. Certes, beaucoup d’entre eux ne continueront pas après leur thèse. Mais déjà, s’engager sur une thèse, cela montre une appétence pour des valeurs nobles…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Je viens de chercher ; je suis tombé sur un article de 2014, donc pas si vieux, qui donnait 30% de ceux qui ne rejoignent pas les corps qui vont vers la recherche. Certes, beaucoup d’entre eux ne continueront pas après leur thèse. Mais déjà, s’engager sur une thèse, cela montre une appétence pour des valeurs nobles…]

              “30% de ceux qui ne rejoignent les corps” c’est déjà beaucoup moins que “30% des polytechniciens”. Mais même ainsi, c’est un pourcentage qui réchauffe le coeur…

  12. Jacques de Lyon dit :

    Analyse fouillée de fond en comble …
    Mais on reste toujours, essentiellement, sur le plan franco-franchouillard.
    Hé ! ho ! la France n’est plus : ou plutôt, elle est au rebut. C’est le système financier américaniste et européiste (la filiale) qui tient les rennes.
    Les GJ sont nombreux à l’avoir compris. Assez de blabla : il faut tout faire pour sortir de cette Ue de (…).
    Allons nous continuer à écouter l’orchestre pendant que le France sombre ? Je n’ai pas envie de me/nous noyer !
    La bouée c’est la sortie de l’union européenne, peu importe la voie. (pas d’eau…).

    • Descartes dit :

      @ Jacques de Lyon

      [Hé ! ho ! la France n’est plus : ou plutôt, elle est au rebut.]

      La France a perdu une bataille !
      Mais la France n’a pas perdu la guerre !

      Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l’honneur, livrant le pays à la servitude. Cependant, rien n’est perdu !

      Rien n’est perdu, parce que cette guerre est une guerre mondiale. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné. Un jour ces forces écraseront l’ennemi. Il faut que la France, ce jour-la, soit présente à la victoire. Alors, elle retrouvera sa liberté et sa grandeur. Tel est mon but, mon seul but !

      • Ian Brossage dit :

        @Descartes

        Quelles seraient aujourd’hui ces « forces immenses » qui « n’ont pas encore donné » ?

        C’est vrai qu’il y a les 30000 adhérents revendiqués de l’UPR…

        • Descartes dit :

          @ Ian Brossage

          [Quelles seraient aujourd’hui ces « forces immenses » qui « n’ont pas encore donné » ?]

          Celles du peuple français endormi…

        • Raskolnikov dit :

          La Chine et la Russie. Avec eux l’Iran, la Syrie, le Vénézuela, etc… Quoi qu’on pense d’eux, on ne peut nier qu’ils résistent à leur façon dans cette guerre mondiale.

          • morel dit :

            « La Chine et la Russie. Avec eux l’Iran, la Syrie, le Vénézuela, etc… Quoi qu’on pense d’eux, on ne peut nier qu’ils résistent à leur façon dans cette guerre mondiale. »

            Il faut arrêter de croire que ceux qui, pour des raisons qui leur sont propres, divergent du bloc dominant sont nécessairement des alliés ou des modèles.
            Ce qu’on désigne sous le vocable « gauche radicale » n’a jamais été avare de ce type de pays qui, pour le grand nombre, serait plutôt un repoussoir en raison de graves manquements aux droits démocratiques.
            C’est aussi pourquoi elle n’a jamais été en position de prendre le pouvoir.

            Si l’on veut être crédible, on constate leur position et l’on recherche quels accords qui nous seraient profitables avec eux ; ce qui, de fait, est différent de leur accorder d’office une position de « résistants » qui regarde plutôt leurs intérêts propres.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Il faut arrêter de croire que ceux qui, pour des raisons qui leur sont propres, divergent du bloc dominant sont nécessairement des alliés ou des modèles.]

              Ou même qu’ils méritent d’être soutenus. C’est en appliquant à tort et à travers le principe selon lequel « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » que la gauche radicale s’est trouvée à soutenir Pol Pot ou les Talibans – par anti-américanisme autant que par anti-soviétisme d’ailleurs. La position mélenchonienne par rapport à Maduro est d’ailleurs une caricature. Il est aujourd’hui évident que le régime « bolivarien » sombre dans l’inefficacité économique et la corruption, et cela ne tient pas seulement – ni même principalement – à l’action des méchants impérialistes. On ne demande à personne de renier ses sympathies chavistes : tout le monde peut se tromper. Mais à minima il faudrait se poser des questions : comment on est arrivés là ? Pourquoi le régime bolivarien a sombré dans la corruption ? Etait-ce une bonne idée de confier la compagnie pétrolière nationale aux idéologues plutôt qu’au’ ingénieurs ?

              [Ce qu’on désigne sous le vocable « gauche radicale » n’a jamais été avare de ce type de pays qui, pour le grand nombre, serait plutôt un repoussoir en raison de graves manquements aux droits démocratiques.]

              Droits démocratiques, mon œil. La Corée, l’Indonésie ou Singapour s’asseyent allègrement sur les droits de l’homme, et à ma connaissance elles ne « repoussent » personne. Si le Venezuela est devenu un repoussoir, si même Mélenchon garde un silence prudent là-dessus, c’est surtout à cause du désastre économique.

            • morel dit :

              « Droits démocratiques, mon œil. La Corée, l’Indonésie ou Singapour s’asseyent allègrement sur les droits de l’homme, et à ma connaissance elles ne « repoussent » personne. »

              Parce qu’elles laissent le citoyen indifférent dans la mesure où elles ne sont pas érigées en « exemple » contrairement aux « passions exotiques » de la gauche radicale laquelle suggère en passant à quelle type de société elle aspire.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Parce qu’elles laissent le citoyen indifférent dans la mesure où elles ne sont pas érigées en « exemple » contrairement aux « passions exotiques » de la gauche radicale laquelle suggère en passant à quelle type de société elle aspire.]

              Pardon, pardon. On érige bien en « exemple » la Corée ou Singapour. Et le maccarthysme ou Guantanamo n’ont pas empêché les thuriféraires des Etats-Unis d’en faire un exemple. Le discours sur les droits de l’homme a toujours été un discours à géométrie variable, un outil de propagande qu’on sort lorsqu’il s’agit de diaboliser les ennemis du Bien. Pensez par exemple aux régimes de Pinochet ou de Videla, organisés, soutenus et protégés par les services américains. Tous ceux qui aujourd’hui dénoncent à cor et à cri les « ingérences » supposés de Poutine et proposent de le sanctionner, ont-ils proposé à l’époque des sanctions contre les Etats-Unis ? Bien sûr que non. Parce que Poutine est du côté du Mal, et que les Etats-Unis sont du côté du Bien. Et quand vous êtes du côté du Bien, tout vous est pardonné par avance…

            • morel dit :

              Ce n’est pas parce que les Etats-Unis l’on utilisé à des fins d’intérêts propres que le critère de liberté est caduc, il figure d’ailleurs en bonne place dans notre devise Républicaine.
              Notez bien que je parle de libertés démocratiques et non de droits de l’homme dont on connaît les dérives.

              Aurait-on à choisir entre l’égalité et la liberté définitivement incompatibles ?
              On peut, tout à fois, récuser pour notre pays le « modèle » américain que le « modèle » soviétique et ce, au-delà du « bien » et du « mal » 😄

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Ce n’est pas parce que les Etats-Unis l’on utilisé à des fins d’intérêts propres que le critère de liberté est caduc, il figure d’ailleurs en bonne place dans notre devise Républicaine.]

              Je n’ai pas dit que le « critère de liberté » soit caduc. Ce que je vous dis, c’est que le « critère de liberté » n’a jamais été déterminant lorsqu’il s’agit de mettre tel ou tel pays en « exemple ». Vous signaliez que la gauche radicale a tendance à mettre en exemple des régimes dictatoriaux au seul prétexte qu’ils « résistent » aux américains. Je vous fais simplement noter que la droite a pratiqué le même sport.

              [Aurait-on à choisir entre l’égalité et la liberté définitivement incompatibles ?]

              Non, du moins si l’on se tient à la définition de « liberté » héritée des lumières… La liberté ne consiste pas à pouvoir faire tout ce qu’on veut, mais à pouvoir faire tout ce qui « ne nuit pas à autrui ». On peut raisonnablement soutenir que l’exploitation du travail humain, par exemple, « nuit à autrui »…

              [On peut, tout à fois, récuser pour notre pays le « modèle » américain que le « modèle » soviétique et ce, au-delà du « bien » et du « mal »]

              On peut et on doit récuser l’idée de « modèle ». A nous de trouver notre voie, sans copier ce qui se fait chez les autres. Et cela vaut pour les admirateurs de l’Amérique, ceux de l’Union soviétique… et ceux de l’Allemagne !

  13. CVT dit :

    @Descartes,
    un poste bien troussé quoique triste mais hélas réaliste, qui vient surtout accompagné de ce baiser de Judas: les artistes soutiennent désormais les Gilets Jaunes! C’est vraiment la fin des haricots 😩😤🤬:
    https://www.liberation.fr/debats/2019/05/05/gilets-jaunes-nous-ne-sommes-pas-dupes_1725126

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [qui vient surtout accompagné de ce baiser de Judas: les artistes soutiennent désormais les Gilets Jaunes!]

      Macron, t’est foutu! Les écrivain·e·s, musicien·ne·s, réalisa·teur·trice·s, édit·eur·rice·s, sculpt·eur·rice·s sont dans la rue!

  14. dudu87 dit :

    Bonjour à vous,

    Peut-être hors sujet, mais le congrès de la CGT va avoir lieu? Que peut-on en attendre? @Descartes, peut-être un papier?
    En introduction, je vous soumet cet interview de JP Page qui résume bien la situation de notre CGT:
    http://www.frontsyndical-classe.org/2019/05/entretien-avec-jean-pierre-page-a-la-veille-du-52e-congres-de-la-cgt.html

    • Descartes dit :

      @ dudu87

      Le lien que vous avez proposé ne fonctionne pas…

      Pour répondre à votre question, je pense que ce congrès ne donnera pas grande chose. Le rapport de forces étant ce qu’il est, les organisations syndicales ont le choix entre défendre les intérêts des couches populaires et être marginalisés, ou entrer dans la logique de collaboration de classe et ramasser quelques miettes – des miettes d’ailleurs de plus en plus petites, regardez ce qui arrive à la CFDT.

  15. Paul dit :

    Peut-on espérer que ces élections européennes éclairent l’absurdité de l’émiettement des « souverainistes » ? On peut penser à l’heure actuelle que le RN, malgré son abandon de l’idée de sortie de l’UE et de l’Euro, vienne encore une fois, après les présidentielles, représenter (le mot n’est pas juste) le rejet de l’institution européenne ou de la soumission de nos élites à celle-ci. DLF a quelques chances d’être représenté, mais tout aussi ambigü que le RN. Filippot est dans la chasse au poste , et Asselineau toujours dans son enfermement juridique quant à l’article 50. Et je ne sais plus classer LFI avec ses illusions de plan A/B ou autre sortie des traités…
    Tous les jours ou presque naît une nouvelle formation souverainiste, mais on ne voit rien venir d’un projet commun autour de l’indépendance nationale.

    Les commentaires des media tourneront donc autour des scores respectifs des listes Macron et Le Pen, du delta entre les deux listes, au mieux de l’addition des votes anti-macron. E voga la nava…

    Je pense donc comme toi sur le fait que l’immobilité l’emportera pendant les trois ans à venir. Et aussi que la violence sera de plus en plus présente. Je suis peut-être plus inquiet que toi sur le développement de la violence. Cette régression du verbe à l’acte, ne l’avons-nous pas déjà vue dans les années 30 ? La montée des populismes ne risque-t-elle pas d’offrir une alternative basée sur le rejet de l’autre dans nos sociétés ? C’est là que j’attribue une lourde responsabilité aux partisans de la Nation. S’ils ne peuvent présenter un projet crédible ayant pour objet l’appartenance du citoyen à un destin commun et à une solidarité entre les citoyens, ils laissent la voie libre à l’égoïsme et au morcellement : le néo-libéralisme, en bout de course certes, ou l’extrémisme s’appuyant sur les fractures.

    Je doute que l’unité et la dynamique puissent naitre des petits groupes centrés sur des individualités egotistes, tout comme je doute de la capacité des mouvements sociaux à faire émerger un projet crédible. Je constate que de nombreux intellectuels (Todd, Sapir, Guaino, Onfray…) vont dans ce sens, mais où est le point de jonction possible ?

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Peut-on espérer que ces élections européennes éclairent l’absurdité de l’émiettement des « souverainistes » ? On peut penser à l’heure actuelle que le RN, malgré son abandon de l’idée de sortie de l’UE et de l’Euro, vienne encore une fois, après les présidentielles, représenter (le mot n’est pas juste) le rejet de l’institution européenne ou de la soumission de nos élites à celle-ci. DLF a quelques chances d’être représenté, mais tout aussi ambigü que le RN. Philippot est dans la chasse au poste, et Asselineau toujours dans son enfermement juridique quant à l’article 50. Et je ne sais plus classer LFI avec ses illusions de plan A/B ou autre sortie des traités…]

      Comme disait Bonaparte, en politique une absurdité n’est pas une impossibilité. Je doute que les élections européennes provoquent un électrochoc sur ces questions. Peut-être au RN des questions seront posées si le « RN du nord » perd beaucoup de voix. Mais pour le reste, je ne me fais pas beaucoup d’illusions.

      Il ne faut pas se voiler la face : les « souverainistes » sont groupusculaires parce que dans notre société le seul groupe social qui a intérêt à la récupération de la souveraineté est marginalisé dans un rapport de forces éminemment défavorable. Tant que le rapport de forces ne sera pas renversé ou que la mondialisation n’affectera pas les classes intermédiaires…

      [Je pense donc comme toi sur le fait que l’immobilité l’emportera pendant les trois ans à venir. Et aussi que la violence sera de plus en plus présente. Je suis peut-être plus inquiet que toi sur le développement de la violence. Cette régression du verbe à l’acte, ne l’avons-nous pas déjà vue dans les années 30 ?]

      Non, pas vraiment. La situation dans les années 1930 tient à une double violence : celle de la guerre de 1914-18, encore très présente dans les millions de citoyens-soldats qui avaient été au front, et celle de la crise de 1929, que les travailleurs avaient dû affronter sans protection sociale. Faire un parallèle entre la situation d’aujourd’hui et celle de 1930 est absurde.

      [La montée des populismes ne risque-t-elle pas d’offrir une alternative basée sur le rejet de l’autre dans nos sociétés ?]

      Mais c’est quoi « l’autre » dans « nos sociétés » ? Là encore, il faut arrêter d’agiter des épouvantails. Nos sociétés n’ont jamais été aussi tolérantes « de l’autre ». Au point que nous ne savons plus qui exactement est le « nous » et qui est « l’autre »…

      • Paul dit :

        Peut-être le terme de “rejet de l’autre” est-il inadéquat. Nous constatons plusieurs phénomènes: la sécession des classes supérieures , l’entre-soi des classes moyennes, l’archipellisation du territoire, diverses formes de communautarisme, la non-représentation des classes populaires. Comment faire un “Nous” actuellement ? Un “Nous” qui suppose un lien commun (culturel, historique, devenir) indifférent aux différences. Or actuellement, il y a une fabrique “d’autres” ( racialisation des gauchistes, néo-féminisme, …) sur le mode accusatoire de qui n’est pas semblable et forcément oppresseur.

        Par ailleurs, ok, comparaison n’est pas raison en ce qui concerne les années 30, cependant François Lenglet s’inquiète du croisement à venir entre la fin du néo-libéralisme et la montée des populismes, et des formes violentes qui peuvent en résulter. Non seulement une crise économique mondiale dûe à l’explosion de multiples bulles financières, mais aussi la violence de ceux qui souffriront de ses conséquences.

        Je ne veux en aucun cas agiter d’épouvantail (ceux-ci ont leur utilité pour certains).

        • Descartes dit :

          @ Paul

          [Nous constatons plusieurs phénomènes: la sécession des classes supérieures, l’entre-soi des classes moyennes, l’archipellisation du territoire, diverses formes de communautarisme, la non-représentation des classes populaires. Comment faire un “Nous” actuellement ? Un “Nous” qui suppose un lien commun (culturel, historique, devenir) indifférent aux différences. Or actuellement, il y a une fabrique “d’autres” ( racialisation des gauchistes, néo-féminisme, …) sur le mode accusatoire de qui n’est pas semblable et forcément oppresseur.]

          Mon commentaire voulait précisément soulever ce point. Nous vivons un moment de l’histoire où la figure même de « l’autre » cesse d’exister. Dans une société construite autour de références culturelles communes, il y avait le « nous » – ce qui partageaient ces références – et le « eux », qui regroupait le reste du monde. Mais dans une société « multiculturelle », qui est le « nous » ? Si l’on peut être français sans parler un mot de notre langue, sans connaître une ligne de notre histoire, sans partager quoi que ce soit de notre culture, comment qualifier cette personne ? Est-elle un « nous » ou un « eux » ?

          [Par ailleurs, ok, comparaison n’est pas raison en ce qui concerne les années 30, cependant François Lenglet s’inquiète du croisement à venir entre la fin du néo-libéralisme et la montée des populismes, et des formes violentes qui peuvent en résulter.]

          Désolé, mais sans vouloir vous offenser Lenglet n’est pour moi une référence ni en économie, ni en sociologie, ni en histoire. Lenglet est un libéral, et on peut comprendre qu’il soit inquiet lorsque les discours fatalistes qui ont si bien servi à tenir les gens tranquilles en les persuadant « qu’il n’y a pas d’alternative » cessent d’être efficaces. Mais de là à y voir un retour aux années 1930…

    • Gugus69 dit :

      Pour apporter une petite précision utile, je crois : Asselineau a dit récemment très clairement et très explicitement qu’au vu de l’imbroglio britannique, au cas où il serait mandaté par le peuple pour lancer le frexit par l’article 50, il s’engagerait résolument vers un “no deal”…
      Ça ne lèvera pas toutes vos questions, mais c’est une évolution notable.

      • Descartes dit :

        @ Gugus69

        [Asselineau a dit récemment très clairement et très explicitement qu’au vu de l’imbroglio britannique, au cas où il serait mandaté par le peuple pour lancer le frexit par l’article 50, il s’engagerait résolument vers un “no deal”…]

        Mais dans ce cas, à quoi sert d’attendre les deux années prévues par l’article 50 ? Vous vous rendez compte ? Vous donnez deux ans à vos adversaires pour préparer leur riposte, pour saper votre volonté, pour se trouver des alliés, pour faire campagne contre vous…

        • Gugus69 dit :

          Paragraphe 3 : “Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.”
          La durée de deux ans n’est donc pas obligatoire…
          Il y a des moyens “budgétaires” d’imposer un accord, arme que theresa May a refusé d’utiliser. Elle a négocié à reculons. Si elle avait assuré dès le début des négociations qu’en cas de “no deal”, le Royaume Uni ne verserait pas le reste de sa contribution pluri-annuelle au budget de l’UE (de mémoire 80 milliards !), Barnier se serait peut-être montré moins intransigeant. Mais la Commission savait dès l’origine que la Prime minister serait un “tigre de papier”…
          Et de toute façon, il vaut infiniment mieux sortir de l’UE qu’y rester.

          • Descartes dit :

            @ Gugus69

            [Paragraphe 3 : “Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.”
            La durée de deux ans n’est donc pas obligatoire…]

            Non, mais elle ne peut être raccourcie qu’avec l’accord de l’UE, puisqu’il faut cet accord pour que « l’accord de retrait » puisse être signé et donc entrer en vigueur. Et l’UE n’a aucune raison de raccourcir les négociations, puisque le temps joue pour elle…

            [Il y a des moyens “budgétaires” d’imposer un accord, arme que theresa May a refusé d’utiliser.]

            Lesquels ?

            [Elle a négocié à reculons. Si elle avait assuré dès le début des négociations qu’en cas de “no deal”, le Royaume Uni ne verserait pas le reste de sa contribution pluri-annuelle au budget de l’UE (de mémoire 80 milliards !), Barnier se serait peut-être montré moins intransigeant.]

            Elle l’a dit, et cela n’a eu aucun effet. Entre autres choses, parce qu’il n’est pas évident qu’en cas de « no deal », elle aurait pu refuser. N’oubliez pas que la Grande Bretagne est un état de droit, et que l’Etat ne peut donc pas refuser de payer ses dettes aussi simplement que ça.

            • Gugus69 dit :

              Précisément, le “reste à devoir” n’est pas une dette, mais fait l’objet d’une négociation. Rien dans les traités n’indique qu’un État qui se retire reste redevable, après son départ, du reliquat de sa contribution jusqu’à la fin de la mandature.
              D’ailleurs à ma connaissance, la contribution des États fait l’objet d’un versement hebdomadaire. On peut donc y mettre un terme presque immédiatement.
              Pouvez-vous m’indiquer quand et à quelle occasion, Theresa May avait évoqué une éventuelle cessation des paiements britanniques en cas de no deal ? J’avoue que cela m’avait échappé…

            • Descartes dit :

              @ Gugus69

              [Précisément, le “reste à devoir” n’est pas une dette, mais fait l’objet d’une négociation. Rien dans les traités n’indique qu’un État qui se retire reste redevable, après son départ, du reliquat de sa contribution jusqu’à la fin de la mandature.]

              En même temps, on peut soutenir qu’un pays qui au moment du vote du budget s’est engagé reste lié par cet engagement. Imaginez que dans ce budget on avait prévu de construire un certain nombre de bâtiments. Les contrats sont passés, la construction commencée… et les entreprises ne seraient plus payées du fait qu’un pays s’est retiré ? Si l’UE allait devant les tribunaux nationaux pour exiger le payement, aurait-elle gain de cause ? Difficile à dire…

              [Pouvez-vous m’indiquer quand et à quelle occasion, Theresa May avait évoqué une éventuelle cessation des paiements britanniques en cas de no deal ? J’avoue que cela m’avait échappé…]

              « Britain’s new Brexit Secretary Dominic Raab has warned that London will not pay its £39 billion ($51.2 billion) divorce bill to the European Union if Brussels does not agree to a trade deal, The Telegraph wrote on Friday. » (« le nouveau ministre du Brexit, Dominic Raab, a prévenu que Londres ne payerait pas les 39 milliards de livres de la facture du divorce si Bruxelles n’accepte pas un accord de commerce, peut-on lire dans le Daily Telegraph de vendredi »). La déclaration est du 22/7/2018. Je me souviens avoir entendu dans la bouche de May la même menace, mais je n’ai pas réussi à retrouver un article.

            • VIO59 dit :

              Asselineau a été plus loin que cela (mais je ne retrouve plus la vidéo, il en a fait beaucoup ces derniers temps) Il a envisagé l’hypothèse où le négociateur côté UE utilise le délai de 2 ans uniquement pour retarder le Frexit sans intention d’aboutir à un deal acceptable pour la France.

              Comme on s’en apercevrait bien avant les 2 ans, on pourrait d’abord mettre sous séquestre la contribution nette de la France au budget de l’UE, un atout que les anglais avaient aussi dans leurs mains mais qui n’intéressait pas T. May.

              Et si cela ne marche toujours pas, Asselineau a dit qu’il faudrait inverser l’ordre et d’abord sortir pour négocier un deal éventuel ensuite.

              Pour moi il a tiré lucidement les premières leçons des déconvenues de nos amis Brexiters.

            • Descartes dit :

              @ VIO59

              [Et si cela ne marche toujours pas, Asselineau a dit qu’il faudrait inverser l’ordre et d’abord sortir pour négocier un deal éventuel ensuite.]

              En d’autres termes, oublier l’article 50. Si Asselineau a vraiment tiré cette conclusion, je lui tire mon chapeau.

            • VIO59 dit :

              Préparez votre chapeau.

              à partir de 1:12:44 :

            • Descartes dit :

              @VIO59

              [Préparez votre chapeau.]

              Ce serait prématuré. Dans la vidéo que vous proposez, Asselineau insiste sur le “souci du droit” d’utiliser l’article 50. Il concède à la rigueur que “si après six mois on traine les pieds, on dénonce le traité”. On donne donc six mois à l’ennemi… C’est Chouard, au contraire, qui parle de dénoncer le traité et sortir tout de suite!

            • Gugus69 dit :

              On est passés de deux ans à six mois !
              Cher ami et camarade, la négociation est en bonne voie : je sens qu’on va se mettre d’accord sur un modus operandi, pour le Frexit qui nous permettra de sauver la patrie…
              Votre travail militant, politique, économique, idéologique est précieux pour cet objectif crucial !

  16. Paul dit :

    J’ai une question: je n’arrive pas à comprendre l’apport de Mouffe et Laclau sur la question du populisme. Ils font référence chez LFI pourtant. Pourriez-vous m’éclairer ?

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [J’ai une question: je n’arrive pas à comprendre l’apport de Mouffe et Laclau sur la question du populisme. Ils font référence chez LFI pourtant. Pourriez-vous m’éclairer ?]

      L’évolution intellectuelle de Laclau est liée à l’expérience péroniste en Argentine. Peron fut un leader “populiste” dans la droite ligne de Mussolini. Il avait compris que pour sauver le capitalisme il fallait partager – au moins un petit peu – la richesse de façon a gagner le soutien des couches populaires et les faire échapper à l’influence des socialistes et des communistes. En Argentine, les classes dominantes ont mal compris cette logique: Peron a affronté une hostilité franche de la bourgeoisie mais aussi des classes moyennes, à gauche comme à droite. Communistes et socialistes ont fait front commun avec la droite la plus réactionnaire contre Peron.

      Après la chute de Peron en 1955, une partie des jeunes “classe moyenne” argentins se sont – c’était de leur âge – rebellés contre leurs parents. Et comme leurs parents étaient antipéronistes, ils sont devenus péronistes. A gauche, cela a donné toutes sortes de théories “post-marxistes” prétendant récupérer le populisme péroniste et le parer de vertus révolutionnaires. Laclau appartient à ce mouvement théorique, dont les conclusions ont été reprises par les populistes argentins, mais aussi par des leaders comme Chavez ou Morales. Mélenchon ne fait que reprendre ces idées en les assaisonnant à la sauce européenne.

  17. cdg dit :

    En effet, nos gouvernants ne comprennent plus les francais. Comme vous le soulignez aucun dirigeant ou parti politique majeur (PS/LR/LaREM) n a une ideologie et attende simplement leur tour pour gouverner vu que les elections revenaient a virer les sortants.
    Je suis par contre pas d accord sur 2 de vos affirmations:
    – “Qu’un mouvement qui mobilise finalement en fin de comptes assez peu de monde – avec quelque 30.000 manifestants les samedis, on est loin des mobilisations syndicales contre la loi El Khomri ou la réforme des retraites” : les GJ sont en effet peu nombreux actuellement mais c etait pas le cas au debut du mouvement. Et ils jouissaient d un soutient massif de la population. L erreur de Macron/Philippe etait justement de ne pas avoir cédé tout de suite sur les 80 km/h et les taxes sur le carburant. Ils ont du du coup lacher bien plus de lest

    – Si des prefets (enarques) ont fait remonter le mecontentement, ce sont aussi des enarques qui l ont ignoré: les directeur de cabinets (quasiment tous enarques je suppose). Parmi les ministres concerne par les GJ, seul le ministre de l interieur n est pas enarque: notre president / premier ministre /ministre des finances sont tous enarques

    Pour aller plus loin, je crains qu il y ait un divorce entre les classes sociales. Il y a certes toujours eut des antagonisme mais disons qu en 1960 un gaulliste ou un communiste se sentait francais et avait le sentiment d appartenir a quelque chose de commun (bon j en suis pas sur , j etais pas né). Par contre je pense qu en 2019 les CSP++ francais se sentent plus proche des CSP++ allemands ou americains que d un CSP- (les commentaires des abonnes du monde.fr sont edifiants).
    Pour les couches populaires, on a aussi un divorce : avant celles ci avaient tendance a singer la classe superieure maintenant elles developpent leur propre culture/monde (par ex rap, tuning ou tatouage par ex). A ca vous ajoutez un partie de la population immigree qui vit en france mais dont l horizon mental est resté au moyen orient (peu nombreux mais avec une natalite forte qui rend le groupe de plus en plus present). Tout ca risque de faire un melange detonnant. Surtout si une recession ou une crise grave fait tanguer le bateau et par exemple tari les ressources de l etat providence

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Je suis par contre pas d accord sur 2 de vos affirmations:
      – “Qu’un mouvement qui mobilise finalement en fin de comptes assez peu de monde – avec quelque 30.000 manifestants les samedis, on est loin des mobilisations syndicales contre la loi El Khomri ou la réforme des retraites” : les GJ sont en effet peu nombreux actuellement mais ce n’etait pas le cas au début du mouvement. Et ils jouissaient d’un soutien massif de la population.]

      Certes. Mais on n’est pas au début du mouvement. Il ne reste que quelques milliers de manifestants dans la rue, le soutien même majoritaire n’est plus « massif », et pourtant le gouvernement n’arrive pas à s’en sortir. Pourquoi, à votre avis ?

      [– Si des préfets (énarques) ont fait remonter le mécontentement, ce sont aussi des énarques qui l ont ignoré: les directeur de cabinets (quasiment tous énarques je suppose). Parmi les ministres concerne par les GJ, seul le ministre de l’intérieur n’est pas énarque: notre président / premier ministre /ministre des finances sont tous énarques]

      C’était bien mon point. Il y a ici deux types d’énarques. Il y a l’énarque qui bosse toute sa vie dans l’administration au service de l’Etat, et il y a l’énarque qui fait de la politique. Les premiers sont bien plus nombreux que les seconds, et mon exemple tend à montrer qu’ils ne sont guère « déconnectés » des Français. Et pourtant, lorsqu’on parle des énarques déconnectés et arrogants, c’est des seconds qu’on parle…

      Au fond, l’ENA a raté sa communication. Le public croit qu’un énarque, ça fait ministre ou président, alors que l’immense majorité des énarques font des juges administratifs, des cadres des administrations, des préfets…

      [Pour aller plus loin, je crains qu’il y ait un divorce entre les classes sociales. Il y a certes toujours eut des antagonisme mais disons qu’en 1960 un gaulliste ou un communiste se sentaient français et avaient le sentiment d’appartenir a quelque chose de commun (bon j’en suis pas sur, je n’etais pas né). Par contre je pense qu’en 2019 les CSP++ français se sentent plus proche des CSP++ allemands ou américains que d un CSP- (les commentaires des abonnes du monde.fr sont edifiants).]

      Je partage tout à fait cette intuition. Le « bloc dominant », classes intermédiaires et bourgeoisie se sont « mondialisées ». Elles ne partagent plus avec les couches populaires un destin commun. Et partant de là, plus besoin de partager une culture, des références, un langage…

      [Pour les couches populaires, on a aussi un divorce : avant celles-ci avaient tendance à singer la classe supérieure maintenant elles développent leur propre culture/monde (par ex rap, tuning ou tatouage par ex).]

      Je ne pense pas que ce soit le cas. Ce qui se passe à mon avis, c’est que jusqu’aux années 1960 la culture – la vraie, celle des élites – était donnée en modèle. L’idéal de l’école, des institutions éducatives et culturelles était de donner accès à tous à cette culture. Aujourd’hui, cette vision – inséparable de l’ascenseur social – a été remplacée par la vision d’une société figée : chaque couche sociale doit avoir « sa » culture, garantie que personne ne pourra sortir de sa condition.

      • Vincent dit :

        >> Pour les couches populaires, on a aussi un divorce : avant
        >> celles-ci avaient tendance à singer la classe supérieure maintenant
        >> elles développent leur propre culture/monde (par ex rap, tuning
        >> ou tatouage par ex).]

        > Je ne pense pas que ce soit le cas.

        Je n’y avais jamais pensé, mais je pense qu’il y a du vrai.

        Mais j’ajouterais quand même une subtilité : le rap n’est pour moi pas la même chose que le tatouage, par exemple, même si les deux “font” peuple

        Si on va regarder la sortie des collèges et lycées des quartiers chics de Paris, on ne verra plus tant de différence que cela, au niveau vestimentaire / style de musique, etc. par rapport aux banlieues : Celles ci ont en effet l’image du dynamisme et de la modernité, et c’est être “in” que de les singer. Dans les zones reculées de province, c’est la même chose.
        La différence est que, par derrière, dans les banlieues, il n’y a rien d’autre, dans la France profonde, ils auront entendu du Johnny à la maison, et à qu’Paris, ils auront eu des cours de piano ou de violon, pour caricaturer.

        Bref, le rap et la (sous)culture qui y est associée est très largement diffusée, et n’est pas, je pense, un marqueur de classe ou d’appartenance.

        Le tatouage, lui, me semble un exemple bien mieux trouvé. Etant dans un milieu CSP+, je contate que preque personne dans mon entourage n’est tatoué. Les seuls exemples que je connaisse sont des personnes qui affichent très profondément leur refus de s’assimiler à une catégorie CSP+, quand bien même ils sont mariés à des chercheurs, médecins, ou ont fini par réussir à grimper en entreprise au point de ne fréquenter plus que des CSP+…
        Je pense que, psychologiquement, le tatouage est pour eux un moyen de s’engager pour l’avenir à ne pas tomber dans cette catégorie…
        [J’essaye toujours de rechercher les biais dans mes échantillons. Ici, il y en a un : ceux qui se sont tatoués sont -pour les hommes- aussi des fans affichés de foot. Peut être une autre explication ?]

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [« « Pour les couches populaires, on a aussi un divorce : avant celles-ci avaient tendance à singer la classe supérieure maintenant elles développent leur propre culture/monde (par ex rap, tuning ou tatouage par ex). » ». « Je ne pense pas que ce soit le cas ». Je n’y avais jamais pensé, mais je pense qu’il y a du vrai.]

          En fait, il faut s’entendre sur ce que veut dire aujourd’hui « la classe supérieure ». Car il faut tenir compte qu’elles incluent aujourd’huil es « classes intermédiaires », dont on ne peut que constater qu’aujourd’hui elles aussi se sont converties au rap et au tatouage. C’est par elles – comme ce fut toujours le cas – que les modes venues d’outre-Atlantique s’installent dans les couches populaires. Difficile donc de parler d’un « divorce », ou d’imaginer que les couches populaires « développent leur propre culture/monde ».

          [Si on va regarder la sortie des collèges et lycées des quartiers chics de Paris, on ne verra plus tant de différence que cela, au niveau vestimentaire / style de musique, etc. par rapport aux banlieues : Celles ci ont en effet l’image du dynamisme et de la modernité, et c’est être “in” que de les singer. Dans les zones reculées de province, c’est la même chose.]

          Vrai. Mais plus profondément, je m’interroge : doit on dire que les lycéens des quartiers chic de la capitale « singent » les jeunes de banlieue, ou que l’ensemble des jeunes « singe » une image venue des Etats-Unis à travers les films, les séries et les clips ? Personnellement, je ne crois pas à une « culture des banlieues » qu’on pourrait singer. Une « culture » ne se fabrique pas comme ça, d’un coup de baguette magique.

          [Le tatouage, lui, me semble un exemple bien mieux trouvé. Etant dans un milieu CSP+, je constate que presque personne dans mon entourage n’est tatoué.]

          Je pense que c’est d’abord une question d’âge. Fréquentant un milieu professionnel avec de nombreux CSP+, je trouve une nette différence entre les « jeunes » et les « vieux », et tout particulièrement chez les jeunes femmes. En fait, le tatouage plus qu’un marqueur de niveau social est celui de certains milieux. Dans la mode, dans le cinéma, dans la publicité il n’est pas rare de trouver des CSP+ tatoués. Chez les ingénieurs ou les hauts-fonctionnaires, c’est rarissime. J’aurais tendance à dire que c’est lié au rapport à l’apparence qu’ont les personnes d’un milieu donné. Alors qu’elle est décomplexé chez les publicitaires ou dans la mode, les écarts à la norme sont regardés avec méfiance par les ingénieurs…

          • morel dit :

            « Personnellement, je ne crois pas à une « culture des banlieues » qu’on pourrait singer. Une « culture » ne se fabrique pas comme ça, d’un coup de baguette magique. »

            J’ai, pour ma part, tendance à penser qu’il s’agit plutôt d’une « anti », la « culture » n’ayant pas grand-chose à voir avec tout cela.
            Par ex, le « ben » en bas des fesses trouve son origine chez les délinquants noirs américains (pas de ceinture en prison).
            Le milieu ouvrier dans lequel j’ai « baigné » manquait cruellement de culture mais n’épousait pas – loin s’en faut – les codes et valeurs des couches peu reluisantes marginalisées d’alors où le tatouage et le piercing étaient à l’honneur.

            Il ne faut sans doute pas trop essentialiser ces «modes » mais ces changements me semblent assez parlant dans le renversement des « valeurs ».

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Le milieu ouvrier dans lequel j’ai « baigné » manquait cruellement de culture mais n’épousait pas – loin s’en faut – les codes et valeurs des couches peu reluisantes marginalisées d’alors où le tatouage et le piercing étaient à l’honneur.]

              Je ne partage pas votre souvenir. Le milieu ouvrier n’avait qu’un accès très limité à ce qui constituait la culture des élites, mais avait sa propre culture. Chez les ouvriers on lisait certes peu, mais on chantait beaucoup. Ceux qui venaient de la campagne – et ils étaient nombreux – amenaient avec eux des jeux, des habitudes alimentaires, une sociabilité, des pratiques religieuses, un patois quelquefois. Des traditions corporatives plus ou moins anciennes étaient fortes, comme c’était le cas par exemple chez les mineurs du Nord ou de l’Est de la France, chez les cheminots ou les électriciens-gaziers. Sans compter bien entendu avec l’importante culture des luttes cultivée et développée par les organisations ouvrières, syndicales et politiques. Je pense qu’on peut parler d’une véritable « culture » des couches populaires. Une culture imprégnée de ce qu’Orwell nommait la « common decency » et qui poussait comme vous le dites à éviter toute confusion avec le monde des voyous. Et puis il y avait dans le milieu ouvrier la figure – pas si rare que ça, et très respectée – de l’autodidacte. Mes deux grand-pères appartiennent à cette catégorie.

              Par beaucoup de côtés, notre société est une société de l’acculturation. Nos pratiques, notre sociabilité, nos valeurs sont moins ancrées dans une vision collective que dans notre « bon plaisir » individuel. Or, la culture ne peut être quelque chose d’individuel. La culture, c’est un ensemble de valeurs éthiques et esthétiques partagés. La formule « ça ne se fait pas », qui était sous-entendue par les générations précédentes n’a plus aucun sens aujourd’hui : dès lors que l’individu a envie de le faire, cela se fait, et cela même lorsque la loi l’interdit. Pensez à ce personnage médiatique qui a expliqué publiquement comment il avait contourné l’interdiction de la GPA…

            • Luc dit :

              Cette acculturation est aussi ressentie par moi
              Mes enfants ont grandi dans cette idéologie du look,de l’egopromotion,Sarko macronistes et sont logiquement devenus ‘Autoentrepreneurs’ c.a.d qu’ils sont soumis au précariat,au tacheronnat et à la misère
              Un fine,nous les progressives ne devrions-nous pas
              reconnaître notre défaite et adopter cet abject populisme qu’est le macronistes chantre de l’illusoire bonheur personnel,où ‘vaincre l’état social, ‘est le nirvana final ?

            • Descartes dit :

              @ Luc

              [In fine, nous les progressistes ne devrions-nous pas reconnaître notre défaite et adopter cet abject populisme qu’est le macronistes chantre de l’illusoire bonheur personnel, où ‘vaincre l’état social, ‘est le nirvana final ?]

              Il faut certainement reconnaître nos défaites – ne serait-ce que parce qu’on apprend souvent plus de ses défaites que de ses victoires. Oui, il faut reconnaitre que le projet ambitieux de « l’élitisme pour tous » porté par la Libération n’est plus d’actualité. Que le projet d’un capitalisme « civilisé » par l’intervention d’un Etat gardien de l’intérêt général et de la redistribution est lui aussi mort et enterré. Mais reconnaître la défaite n’implique pas d’adopter les idées du vainqueur ou de renoncer aux siennes. Pensez à Bloch et à son « Etrange défaite »…

            • morel dit :

              « Le milieu ouvrier n’avait qu’un accès très limité à ce qui constituait la culture des élites, mais avait sa propre culture »

              Le problème avec ce mot « culture » est qu’on entend trop de choses à travers lui.
              Je l’ai employé dans le sens « avoir de la culture » et c’est pourquoi j’écris pour souligner la seconde signification « codes et valeurs ».

              Pour être honnête, il faut aussi souligner que la « common decency » que vous évoquez était assez largement partagée dans les couches de la société.

              « dès lors que l’individu a envie de le faire, cela se fait, et cela même lorsque la loi l’interdit. Pensez à ce personnage médiatique qui a expliqué publiquement comment il avait contourné l’interdiction de la GPA… »

              Oui, mais là très souvent, l’exemple est venu de certaines catégories sociales devenues suffisamment riches pour revendiquer leur « autonomie » à la face du monde sans souci du reste de la société donc de ses règles.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Pour être honnête, il faut aussi souligner que la « common decency » que vous évoquez était assez largement partagée dans les couches de la société.]

              Oui, et c’est pour cela qu’elle était « common ».

  18. dudu87 dit :

    @Descartes,

    Pour moi, le lien s’ouvre normalement sous Linux.

  19. Pierre dit :

    @ Descartes
    Hors sujet sur une actualité qui je crois n’a pas encore été commentée de votre part:

    Que pensez-vous du projet de nationalisation de la branche nucléaire d’EDF ?

    Au passage, je me suis mis de coté un récent article du spiegel qui enfonce des portes ouvertes, mais qui a le mérite d’exister. Voici sa version traduite en anglais (pas trouvé de traduction française)
    https://docs.google.com/document/d/148Lym3a487S8lha50QXGJfjQ1HmlNyj3QfLqAt0k0ng/edit

    cordialement

    • Descartes dit :

      @ Pierre

      [Que pensez-vous du projet de nationalisation de la branche nucléaire d’EDF ?]

      C’est une mauvaise chose. EDF a été tout au long de son histoire un opérateur intégré, contrôlant à la fois un parc de production diversifié, le réseau de transport et de distribution, et la politique tarifaire. Ce qui lui permettait d’optimiser l’ensemble du système. Défaire l’opérateur intégré, cela veut dire que le système ne sera plus optimisé, puisqu’on a vu abondamment que la « main invisible du marché » n’arrive pas à réguler un marché comme celui de l’électricité. Pourquoi les gestionnaires des barrages iraient gérer la réserve d’eau en fonction des besoins du nucléaire ?

      Le problème, c’est que sauf à sortir des règles de l’UE, cette mauvaise solution risque d’être la moins pire des alternatives…

  20. Vincent dit :

    Un petit message qui n’a rien à voir avec le sujet, pour vous parler un peu de politique belge. Je ne vais pas parler des bisbilles dont sont coutumiers les wallons et flamands, des des écologistes locaux, le parti “ecolo”, ou “verts”, ou “ecolo-groen”.

    Je me demande si, en matière de partis écologistes, les belges de réussissent pas à faire pire que nous. Voici 2 liens récents (2019) :
    https://www.lesoir.be/201748/article/2019-01-21/les-verts-remettent-en-question-les-projets-de-metro-bruxelles
    ==> On y voit que les verts remettent en cause et bloquent un projet de métro à Bruxelles, qui réussit pourtant à faire l’unanimité de tous les autres partis politiques. Si on creuse un peu, leur principal argument qu’ils opposent est que le chantier durera trop longtemps, et qu’on a besoin de quelque chose plus rapidement. Ce qui est un argument assez comique, quand on se rend compte :
    1°) Qu’ils sont en train de bloquer le projet, donc de le ralentir,
    2°) Que c’est en grande partie de leur faute s’il n’a pas été lancé il y a plusieurs années
    3°) Que les écologistes devraient être plus que les autres politiques, ceux qui voient le long terme, et ne devraient donc pas être à 1 ou 2 années près sur la mise en service d’une infrastructure.
    On le devine, la vraie raison de leur opposition est que le métro ne va pas créer d’embouteillages, et ne va donc pas gêner les voitures, ce qui est leur vrai objectif, plutôt que de développer des transports rapides, efficaces, et non polluants.

    ==> Un trac distribué très récemment :
    https://twitter.com/michelhenrion/status/1128608268400713731/photo/1

    Ou ils vont jusqu’à plaider POUR l’abattage sans étourdissement des animaux, alors même qu’une partie des écolos est en train de virer vegan au nom de la souffrance animale… Là encore, pas la moindre contradiction…

    C’est quand même rigolo quand on se dit que là zone où ils sont le plus forts (région Bruxelles capitale, où ils ont 3 bourgmestres) est justement la capitale de l’UE 🙂

  21. dudu87 dit :

    Bonjour,

    “Ce pays qu’ils ne comprennent pas”
    Pourquoi voulez-vous qu’ils comprennent notre pays?
    Ce sont tous des gens qui font parti de la mondialisation, le parti des “mondialistes”, ils n’ont plus de carte d’identité nationale mais un passeport! Vous savez les “je suis citoyen du monde”, tout un programme…
    Nos “gouvernants” sont pour la plupart issus de l’entreprise.
    Et toute cette situation me ramène à 30 ans plus jeune lorsque j’étais en activité. Nous sommes passés à des ingénieurs “techniques” qui savaient parler “technique” et qui nous transmettaient leur savoir à des “gestionnaires” qui ne connaissaient que les statistiques, “le combien ça coûte et combien ça rapporte”.
    Nous sommes passer du “savoir-faire” au “savoir-être”. J’ai même entendu un patron qui nous présentaient un plan social de 400 suppressions en France nous dire: “Vous ne nous demandez pas combien nous avons créé d’emplois en Tchéquie”!!! Histoire de faire vibrer notre fibre “internationaliste”!!!
    Ou encore ce “directeur des sites industriels” nous dire; “Nous devons satisfaire nos clients” A la réponse d’un collègue, ” y compris et surtout l’actionnaire”, sans sourcilier, ce directeur nous répond: “oui et il faudra, Monsieur, que vous soignez votre savoir-être”!!! Comme quoi, nous pouvons être marqué à l’encre rouge pour longtemps.
    Alors comprendre le pays…. Nos dirigeants politiques, nos gouvernants, nos élites ont un “job”, comme ils disent à faire: Appliquer les directives de Bruxelles, point à la ligne!!!

    • Descartes dit :

      @ dudu87

      [« Ce pays qu’ils ne comprennent pas » Pourquoi voulez-vous qu’ils comprennent notre pays?]

      Moi je ne veux rien… je constate, simplement. On l’oublie maintenant mais il fut un temps où un royaume pouvait se trouver gouverné par un prince étranger. Pensez par exemple à la « glorious revolution » britannique de 1688, qui amène au trône britannique Guillaume d’Orange, un prince des pays bas, ou George II de Grande Bretagne, né et grandi dans le Hanovre. A l’époque, on ne trouvait pas étonnant qu’un roi puisse ne pas parler la même langue que son peuple…

      Avec l’avènement de la souveraineté populaire et l’apparition des états-nations, une telle situation était devenue incongrue. Dès lors que le gouvernant n’est plus qu’un représentant du souverain, comment pourrait-il ne pas parler la même langue que lui, ne pas le connaître ? On dit beaucoup qu’on est en train de revenir aux années 30. Mais ce serait plutôt 1630 que 1930, avec une élite mondialisée et interchangeable, et un peuple prier de travailler et de se contenter des miettes qui tombent de la table des plus riches.

      [Ce sont tous des gens qui font parti de la mondialisation, le parti des “mondialistes”, ils n’ont plus de carte d’identité nationale mais un passeport! Vous savez les “je suis citoyen du monde”, tout un programme…]

      Il n’y a qu’à voir la multiplication des « double-nationaux » dans les fonctions politiques. Comme si la question de l’engagement ne se posait plus.

      [Nos “gouvernants” sont pour la plupart issus de l’entreprise.]

      Là, il ne faut pas exagérer. Non, nos gouvernants ne sont pas issus « pour la plupart » de l’entreprise, et cela pour une raison simple : on fait beaucoup plus d’argent lorsqu’on travaille en entreprise. Pourquoi un directeur général dans une grande entreprise, qui émarge à plusieurs centaines de milliers d’euros par an, irait prendre un poste de ministre pour une rémunération deux ou trois fois moindre ?

  22. F68.10 dit :

    “Seulement voilà, nous avons une classe politico-médiatique qui méprise profondément les travaux académiques – sauf quand elle peut les utiliser pour appuyer ses préjugés.”

    Effectivement. Maintenant, je trouve que l’implication des universitaires dans les questions politiques et sociétales est généralement très faiblarde en France. S’il n’ont pas accès à des journaux en jouant les intellectuels médiatiques (et irrationnels), peu ont le courage de publier des papiers importants sur leurs blogs à destination du public (papiers que j’aimerais à la fois rationnels et simples d’accès pour le péquin moyen).

    En somme, les universitaires et intellectuels français sont très doués pour rationaliser émotivement leurs convictions, mais très peu doués pour argumenter rationnellement ce qui est à la frontière de leurs convictions et de leurs oppositions. Le débat démocratique s’en ressent dramatiquement.

    Honnêtement, je regarde l’Angleterre et les Etats-Unis (malgré toute l’irrationalité et l’émotivité “populiste” qui ne les épargne pas), et j’avoue que je suis envieux de la qualité de certains segments de leurs débats intellectuels grand public.

    Plus de philosophie analytique des questions politiques et sociétales, et moins de verbiage, s’il vous plaît. (Et non, ce n’est pas pour autant que je n’aime pas Deleuze, bien au contraire…)

    • Descartes dit :

      @ F68.10

      [Effectivement. Maintenant, je trouve que l’implication des universitaires dans les questions politiques et sociétales est généralement très faiblarde en France. S’ils n’ont pas accès à des journaux en jouant les intellectuels médiatiques (et irrationnels), peu ont le courage de publier des papiers importants sur leurs blogs à destination du public (papiers que j’aimerais à la fois rationnels et simples d’accès pour le péquin moyen).]

      Cela dépend. Prenez un Finkielkraut, par exemple. On peut lui reprocher beaucoup de choses, on peut ne pas être d’accord avec lui, mais on ne peut lui reprocher de « jouer les intellectuels médiatiques et irrationnels ». Il a le courage de publier des choses sérieuses et rationnelles, quitte à aller à contre-courant. Je mets aussi dans ce groupe un Jacques Sapir, dont les papiers sont toujours sérieux et bien documentés.

      [En somme, les universitaires et intellectuels français sont très doués pour rationaliser émotivement leurs convictions, mais très peu doués pour argumenter rationnellement ce qui est à la frontière de leurs convictions et de leurs oppositions. Le débat démocratique s’en ressent dramatiquement.]

      Je suis moins pessimiste que vous. Le problème n’est pas tant que les universitaires ou les intellectuels n’argumentent pas rationnellement, mais que la figure de « l’intellectuel médiatique » couvre de son bruit l’expression de tous les autres. Jacques Bouveresse est infiniment plus sérieux et plus intéressant que Michel Onfray… et infiniment moins connu !

      [Honnêtement, je regarde l’Angleterre et les Etats-Unis (malgré toute l’irrationalité et l’émotivité “populiste” qui ne les épargne pas), et j’avoue que je suis envieux de la qualité de certains segments de leurs débats intellectuels grand public.]

      Paradoxalement, cela tient au fait que chez eux « l’intellectuel médiatique » n’existe pas. Dans les pays anglosaxons, le débat s’organise sur le modèle des débats théologiques, chaque camp suivant ses « gourous ». Mais comme les intellectuels s’adressent non pas au peuple mais à d’autres intellectuels, le niveau est plus élevé.

      [Plus de philosophie analytique des questions politiques et sociétales, et moins de verbiage, s’il vous plaît. (Et non, ce n’est pas pour autant que je n’aime pas Deleuze, bien au contraire…)]

      Ca dépend de l’église que vous fréquentez. Si vous fréquentez les post-modernes, c’est pire que chez nous…

      • F68.10 dit :

        “Prenez un Finkielkraut, par exemple. On peut lui reprocher beaucoup de choses, on peut ne pas être d’accord avec lui, mais on ne peut lui reprocher de « jouer les intellectuels médiatiques et irrationnels »”

        Je le trouve tout de même un peu irrationnel dans ses jugements éthiques et moraux. Mais je comprends votre point de vue; ne nous appesantissons pas sur ce point.

        “Il a le courage de publier des choses sérieuses et rationnelles, quitte à aller à contre-courant.”

        OK. Idem pour Sapir.

        ” La figure de « l’intellectuel médiatique » couvre de son bruit l’expression de tous les autres. Jacques Bouveresse est infiniment plus sérieux et plus intéressant que Michel Onfray… et infiniment moins connu !”

        Je vous accorde ce point. Je trouve tout de même que Bouveresse ne cherche pas trop à rompre le brouhaha médiatique non plus…

        Mais même Onfray, qui à l’avantage de faire s’intéresser les français à la philosophie, au delà de son caractère parfois franchement simpliste, pourrait de temps en temps faire l’effort d’argumenter ses points en limitant ses biais cognitifs. C’est pas parce que Bouveresse existe qu’Onfray peut se permettre les simplismes qu’il se permet sans aucun contradicteur sur le plan rationnel mais seulement des contradicteurs sur le plan émotif. Cf. “débat” sur la psychanalyse.

        “Dans les pays anglosaxons, le débat s’organise sur le modèle des débats théologiques, chaque camp suivant ses « gourous ».”

        Vrai. J’ai l’impression qu’ils sont toujours à l’époque de John Milton.

        “Mais comme les intellectuels s’adressent non pas au peuple mais à d’autres intellectuels, le niveau est plus élevé.”

        Effectivement, et c’est là où je trouve que les intellectuels français n’ont pas trop le courage de s’affronter publiquement. Chacun vit de son côté, et les vaches sont bien gardées. Le milieu de la sociologie fait peut être légèrement exception à ce tableau général compte tenu qu’ils n’ont pas vraiment d’autres choix que de s’affronter plus ou moins publiquement compte tenu de la structuration du champ disciplinaire.

        Et les intellectuels anglo-saxons, pas toujours philosophes mais imbibés de philosophie ont quand même le courage de s’adresser au grand publique. Je trouve que Oxford fait tout de même un meilleur boulot pour former des gens qui ont une structuration multiple philosophie/journalisme/écrivain/politique que des structures comme Polytechnique, l’ENS, ou Sciences Po (je connais un petit peu ce petit monde là).

        “Ca dépend de l’église que vous fréquentez. Si vous fréquentez les post-modernes, c’est pire que chez nous…”

        L’Eglise que je fréquente, c’est plutôt l’Union Rationaliste. Et je trouve qu’ils crachent quand même trop facilement sur les post-modernes. Ils ont des critiques justifiées, et d’autres qui ne sont ni plus ni moins que de la bigoterie.

        • Descartes dit :

          @ F68.10

          [Mais même Onfray, qui à l’avantage de faire s’intéresser les français à la philosophie, au delà de son caractère parfois franchement simpliste, pourrait de temps en temps faire l’effort d’argumenter ses points en limitant ses biais cognitifs.]

          Dire qu’Onfray a beaucoup contribué à « faire s’intéresser les français à la philosophie » c’est un peu comme dire que donner aux gens à boire de la piquette contribue à ce que les français s’intéressent à l’œnologie. Je n’ai rien contre la vulgarisation, la vraie, c’est-à-dire celle qui cherche à expliquer en termes simples les découvertes d’une discipline tout en montrant que cette simplicité n’est qu’apparente, et qu’elle occulte une complexité à laquelle il faut se plier si l’on veut vraiment avancer. Je déteste par contre la fausse vulgarisation, cette démagogie qui consiste à dire que « tout le monde peut faire de la philosophie ». Oui, tout le monde peut comprendre quelques points fondamentaux de la pensée de Marx ou de Descartes s’ils sont bien expliqués, mais il faut être très savant pour discuter avec eux.

          [“Mais comme les intellectuels s’adressent non pas au peuple mais à d’autres intellectuels, le niveau est plus élevé.” Effectivement, et c’est là où je trouve que les intellectuels français n’ont pas trop le courage de s’affronter publiquement. Chacun vit de son côté, et les vaches sont bien gardées.]

          Tout à fait. Le système intellectuel/universitaire fonctionne aujourd’hui sur une logique de partage de territoire et de minimisation du risque. Et puis, comme personne n’a véritablement le cul propre, tout le monde hésite à monter au cocotier… Tout cela tient en grande partie à la disparition du mandarinat. Avant 1968, la logique de chaire faisait que les grands professeurs avaient autour d’eux une équipe qu’ils avaient formée et sur laquelle ils pouvaient s’appuyer dans les controverses. Aujourd’hui, le monde universitaire est totalement atomisé. Les controverses se font non pas entre écoles, mais entre individus.

          [Le milieu de la sociologie fait peut être légèrement exception à ce tableau général compte tenu qu’ils n’ont pas vraiment d’autres choix que de s’affronter plus ou moins publiquement compte tenu de la structuration du champ disciplinaire.]

          Surtout, parce que la sociologie est une discipline jeune et intellectuellement peu structurée, ce qui permet à ceux qui la pratiquent de dire à peu près n’importe quoi sans risquer le ridicule.

          [Et les intellectuels anglo-saxons, pas toujours philosophes mais imbibés de philosophie ont quand même le courage de s’adresser au grand publique. Je trouve que Oxford fait tout de même un meilleur boulot pour former des gens qui ont une structuration multiple philosophie/journalisme/écrivain/politique que des structures comme Polytechnique, l’ENS, ou Sciences Po (je connais un petit peu ce petit monde là).]

          Oui, mais notez qu’Oxford a conservé le système des chaires… Je serais moins sévère que vous par rapport à Polytechnique ou l’ENS. Par contre, la place pré-éminente prise par Sciences Po dans la formation des élites médiatiques devrait nous interroger. Pour moi, cette prééminente illustre l’importance prise par l’apparence sur la substance.

          [L’Eglise que je fréquente, c’est plutôt l’Union Rationaliste. Et je trouve qu’ils crachent quand même trop facilement sur les post-modernes. Ils ont des critiques justifiées, et d’autres qui ne sont ni plus ni moins que de la bigoterie.]

          J’ai du mal à imaginer une critique des post-modernes qui ne soit pas justifiée… 😉

          • F68.10 dit :

            Je vais pas répondre à tout, car je pense qu’on est assez grand pour ne pas se mener de pseudo-guerres picrocholines sans grand intérêt.

            Je vais donc rebondir sur un seul point précis:

            “J’ai du mal à imaginer une critique des post-modernes qui ne soit pas justifiée…”

            Cela dépend beaucoup de ce que vous appelez le “postmodernisme”. Mais, par exemple, ce qui s’appelle la critique de McCloskey me paraît assez peu contestable. La Science, en effet, par certains aspects est une construction sociale.

            https://en.wikipedia.org/wiki/McCloskey_critique
            http://www.business.illinois.edu/josephm/BA504_Fall%202008/Session%207/McCloskey%20(1983).pdf

            Maintenant, effectivement, sur ce genre de sujet, faut y aller un peu mollo, et ne pas raconter n’importe quoi, ce que pas mal de postmodernes ont fait, parfois à raison, parfois à tort, mais souvent avec des arguments assez délirants.

            Toutefois la réfutation de John Searle me semble tomber particulièrement à plat. Je ne rejette donc pas par principe le “postmodernisme”. Je le prends juste avec beaucoup de pincettes.

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [Cela dépend beaucoup de ce que vous appelez le “postmodernisme”. Mais, par exemple, ce qui s’appelle la critique de McCloskey me paraît assez peu contestable. La Science, en effet, par certains aspects est une construction sociale.]

              D’abord, McCloskey ne parle pas de « la science » en général, mais de l’économie. Discipline dont le caractère scientifique – au sens poppérien du terme – est pour le moins embryonnaire. Par ailleurs, j’attire votre attention sur le fait que le postulat que vous énoncez est auto-contradictoire. En effet, si « la science est une construction sociale », alors l’affirmation selon laquelle « la science est une construction sociale » doit elle-même être regardée comme une « construction sociale »… et du coup son caractère universel ne peut être affirmé.

              Personnellement, j’en reste à l’argument de Sokal : quiconque pense que les lois de la gravitation sont une « construction sociale » ne devrait pas craindre de sauter par la fenêtre du vingtième étage. Le fait est pourtant que même les postmodernes les plus endurcis répugnent à faire cette simple expérience… Personne ne conteste que la FORME sous laquelle on exprime les lois physiques puisse changer en fonction de conditions sociales, économiques, historiques. Mais cela n’implique nullement que ces lois soient arbitraires, et que leur CONTENU puisse changer d’une société à l’autre. Il n’existe pas de société dans laquelle les gens qui sautent du vingtième étage ne s’écrasent pas en bas, quelque soit le moyen qu’on utilise pour décrire ce fait.

              Le postulat « post-moderne » est que tout énoncé – scientifique ou pas d’ailleurs – est une pure construction sociale, et qu’il ne reflète donc pas une réalité objective. Ce qui conduit les plus extrémistes – certains diront méchamment les plus cohérents – à postuler que la réalité objective n’existe tout simplement pas. C’est la position de Feyerabend, par exemple.

              [Maintenant, effectivement, sur ce genre de sujet, faut y aller un peu mollo, et ne pas raconter n’importe quoi, ce que pas mal de postmodernes ont fait, parfois à raison, parfois à tort, mais souvent avec des arguments assez délirants.]

              Partant d’un postulat délirant, on ne peut qu’aboutir à des arguments délirants. Les sciences humaines ont toujours eu un complexe d’infériorité par rapport aux sciences physiques et naturelles. Cela tient au fait que ces dernières ont développé des outils de formalisation très puissants qui leur permettent justement de refléter avec un remarquable degré de précision une réalité objective. Mais alors que les « modernes » ont cherché à résoudre ce complexe en dotant les sciences humaines d’instruments de formalisation (par exemple, en développant des outils mathématiques) les « post-modernes » ont choisi plutôt de débiner les « sciences dures » en affirmant que leurs outils de formalisation étaient des leurres – quand ce n’étaient pas des falsifications. Derrière le « post-modernisme » se cache en fait une prise de pouvoir, celle des charlatans, sur le monde académique.

              [Toutefois la réfutation de John Searle me semble tomber particulièrement à plat. Je ne rejette donc pas par principe le “postmodernisme”. Je le prends juste avec beaucoup de pincettes.]

              Je ne connais pas la « réfutation » à laquelle vous faites référence.

            • F68.10 dit :

              “D’abord, McCloskey ne parle pas de « la science » en général, mais de l’économie. Discipline dont le caractère scientifique – au sens poppérien du terme – est pour le moins embryonnaire.”

              J’ai une conception plus extensive du concept de science. Pour moi, la science, c’est quand la philosophie commence à bosser avec des données empiriques.

              Le sens poppérien du terme de science, standard admirable, est malheureusement mis en défaut par des disciplines comme la médecine qui subissent des contraintes techniques et éthiques les empêchant d’être intégralement poppériennes.

              Pourtant, officiellement, il s’agit bien de science. D’où ma “définition”. (J’irais même jusqu’à effacer la distinction entre science et philosophie au seul profit du seul concept de rationalité, mais je pense que je vais être un peu seul dans ce “combat”).

              McCloskey parle effectivement d’économie. J’ai cherché le fait le plus clair montrant la nécessité de considérer certaines pratiques scientifiques comme relevant d’une construction sociale. Il s’agit donc bien ici d’un exemple bien précis, illustratif.

              “En effet, si « la science est une construction sociale », alors l’affirmation selon laquelle « la science est une construction sociale » doit elle-même être regardée comme une « construction sociale »… et du coup son caractère universel ne peut être affirmé.”

              Aucune contradiction interne de mon point de vue. Mais je pense que vous interprétez le sens de “construction sociale” dans un sens un peu trop extensif à mon goût, et que votre conclusion flirte avec le non sequitur.

              “Personnellement, j’en reste à l’argument de Sokal : quiconque pense que les lois de la gravitation sont une « construction sociale » ne devrait pas craindre de sauter par la fenêtre du vingtième étage.”

              Certaines parties de la science sont effectivement universelles. La physique des particules, par exemple. D’autres le sont beaucoup moins. La sociologie, par exemple.

              Pour moi, voilà l’absurdité où a conduit ce débat absurde:

              https://www.nytimes.com/2018/10/25/magazine/bruno-latour-post-truth-philosopher-science.html

              Et bien sûr, je me suis beaucoup marré quand j’ai vu les canulars de Sokal. Je n’ai pas le sentiment de me contredire du tout.

              “Le postulat « post-moderne » est que tout énoncé – scientifique ou pas d’ailleurs – est une pure construction sociale, et qu’il ne reflète donc pas une réalité objective.”

              Bien sûr, cela je le rejette. Presque aussi ridicule que les thèses de Berkeley. Les biais cognitifs en science peuvent venir de multiples endroits: des limites concrètes de la pratique de la science, par exemple; ou, autre exemple, du fait de la composante “construction sociale” de la science. Cela ne signifie aucunement que les données et les faits n’existent pas.

              “Derrière le « post-modernisme » se cache en fait une prise de pouvoir, celle des charlatans, sur le monde académique.”

              Effectivement, et c’est dommage, car l’argument de fond est valable, et je pense même nécessaire pour avancer sur certains domaines. Je pense qu’il y a un “postmodernisme” rationnel et un “postmodernisme” irrationnel. Ce dernier est le domaine des charlatans.

              “Je ne connais pas la « réfutation » à laquelle vous faites référence.”

              Vous l’avez essentiellement résumée vous-même:

              “Personne ne conteste que la FORME sous laquelle on exprime les lois physiques puisse changer en fonction de conditions sociales, économiques, historiques. Mais cela n’implique nullement que ces lois soient arbitraires, et que leur CONTENU puisse changer d’une société à l’autre.”

              Je trouve qu’il enfonce un peu des portes ouvertes.

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [J’ai une conception plus extensive du concept de science. Pour moi, la science, c’est quand la philosophie commence à bosser avec des données empiriques.]

              Tout ça est un peu vague. L’astrologie serait donc une « science » ? Même sans aller jusqu’à la rigueur de la définition poppérienne, il me semble difficile de séparer la notion de science de l’idée de méthode, et notamment de réfutation par l’expérience.

              [Le sens poppérien du terme de science, standard admirable, est malheureusement mis en défaut par des disciplines comme la médecine qui subissent des contraintes techniques et éthiques les empêchant d’être intégralement poppériennes.]

              J’ai l’impression que vous raisonnez à l’envers : vous définissez un ensemble de disciplines que vous voudriez qualifier de « science », et ensuite vous construisez une définition ad hoc. Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de faire. Je trouve que la définition poppérienne crée des catégories opérationnelles en séparant les disciplines dont les énoncés sont soumis à réfutation et les autres. Et si cette définition laisse la médecine du côté des quasi-sciences voire des non-sciences, quel est le problème ? Ce n’est pas parce qu’une pratique n’est pas scientifique qu’elle est déshonorante…

              [Pourtant, officiellement, il s’agit bien de science.]

              Ca veut dire quoi, « officiellement » ? Il y a un « répertoire officiel » des sciences ? Non, la médecine n’est pas une science : c’est une pratique (certains diront un art) fondé sur des connaissances scientifiques. La biologie, la toxicologie, la physique, la chimie sont des sciences. Mais la chirurgie n’est pas une science, c’est un artisanat…

              [McCloskey parle effectivement d’économie. J’ai cherché le fait le plus clair montrant la nécessité de considérer certaines pratiques scientifiques comme relevant d’une construction sociale. Il s’agit donc bien ici d’un exemple bien précis, illustratif.]

              Mais je ne vois toujours pas de quelles « pratiques scientifiques » parlez vous. Pourriez-vous donner un exemple de « pratique scientifique » qui soit une « construction sociale » ? De préférence en physique…

              [“En effet, si « la science est une construction sociale », alors l’affirmation selon laquelle « la science est une construction sociale » doit elle-même être regardée comme une « construction sociale »… et du coup son caractère universel ne peut être affirmé.” Aucune contradiction interne de mon point de vue. Mais je pense que vous interprétez le sens de “construction sociale” dans un sens un peu trop extensif à mon goût, et que votre conclusion flirte avec le non sequitur.]

              Et je pense le contraire. Si vous n’avancez pas un argument pour soutenir votre opinion, l’échange s’arrête là…
              La contradiction est assez évidente. Si « la science est une construction sociale », cela veut dire que les lois et énoncés scientifiques sont dépendants non pas d’une réalité objective et universelle, mais de l’état des forces sociales dans un contexte donné. Mais dans ce cas-là, l’énoncé « la science est une construction sociale » ne peut être considéré comme universel, et il pourrait y avoir des sociétés dans lesquels l’énoncé « la science N’EST PAS une construction sociale » pourrait être « scientifiquement » vrai…

              Nous avons ici un paradoxe du même type que celui posé par l’énoncé « il n’y a pas de vérité universelle » ou « l’histoire nous enseigne qu’on ne peut rien apprendre de l’histoire ». En d’autres termes, un énoncé qui nie l’existence de la catégorie à laquelle il appartient lui-même…

              [“Personnellement, j’en reste à l’argument de Sokal : quiconque pense que les lois de la gravitation sont une « construction sociale » ne devrait pas craindre de sauter par la fenêtre du vingtième étage.” Certaines parties de la science sont effectivement universelles.]

              Et donc indépendantes du contexte social. Ergo, la science ne peut être une « construction sociale ». Tout au plus, vous pourriez dire que « certaines parties de la science sont une construction sociale ».

              [La physique des particules, par exemple. D’autres le sont beaucoup moins. La sociologie, par exemple.]

              Si la sociologie est une science, je ne vois pas ce qui permet de refuser le même statut à l’astrologie.

              [Pour moi, voilà l’absurdité où a conduit ce débat absurde: (…)]

              Franchement, un article qui commence en qualifiant Latour de « France’s most famous and misunderstood philosopher » ne me semble pas très sérieux. Latour – il le dit d’ailleurs dans l’article – est le prototype de l’intellectuel qui a cru pouvoir jouer à casser l’institution avec la conviction que l’institution est trop solide pour en souffrir. On se donne ainsi le beau rôle de franc-tireur sans que le monde en souffre. Seulement voilà, il s’aperçoit maintenant à la fin de sa vie que les institutions qu’il croyait immuables ont été emportées, et que son action a contribué à ouvrir en grand les portes au flot de l’irrationnel, aux « réalités alternatives » et autres fléaux de notre temps. Alors, il joue le thème traditionnel du « j’ai été mal compris », « je ne voulais pas ça » (tout sauf « je me suis trompé »). Il me fait penser au professeur de « La Corde » d’Hitchcock.

              Le débat n’a rien d’absurde, il a été posé il y a près de deux siècles par Lewis Carroll à travers le personnage de Humpty-Dumpty, ou dans l’opposition du principe de plaisir et du principe de réalité. La vraie question est celle de savoir si nous sommes contraints par une réalité objective qui est hors de notre contrôle, ou si nous vivons dans un monde ou le désir est tout-puissant. La société de consommation massive est une société du désir, et le post-modernisme est l’idéologie qui la justifie.

              [“Le postulat « post-moderne » est que tout énoncé – scientifique ou pas d’ailleurs – est une pure construction sociale, et qu’il ne reflète donc pas une réalité objective.” Bien sûr, cela je le rejette.]

              Va falloir vous décider. Vous ne pouvez pas en même temps considérer que le post-modernisme a raison sur beaucoup de choses, et rejeter son postulat fondamental.

              [Presque aussi ridicule que les thèses de Berkeley. Les biais cognitifs en science peuvent venir de multiples endroits: des limites concrètes de la pratique de la science, par exemple; ou, autre exemple, du fait de la composante “construction sociale” de la science. Cela ne signifie aucunement que les données et les faits n’existent pas.]

              Je pense que vous manquez une distinction pourtant fondamentale entre la question des « biais cognitifs » (dont parle déjà Descartes) et la logique postmoderne qui fait des énoncés scientifiques une « construction sociale ». Dans le premier cas, il s’agit d’erreurs ou de limitations dans la mise en œuvre de la méthode scientifique. Dans le second, il s’agit de remettre en cause la structure même de la pensée scientifique. Une erreur de calcul ne remet pas en cause le caractère scientifique de la physique, l’idée que les lois de la gravitation sont une « construction sociale » – et qu’elles pourraient donc être différentes dans une autre société – si.

              [“Derrière le « post-modernisme » se cache en fait une prise de pouvoir, celle des charlatans, sur le monde académique.” Effectivement, et c’est dommage, car l’argument de fond est valable,]

              Encore une fois, décidez-vous. Vous avez plus haut « rejeté » le postulat de base du post-modernisme. Et vous me dites maintenant que « l’argument de fond est valable » ?

              [et je pense même nécessaire pour avancer sur certains domaines. Je pense qu’il y a un “postmodernisme” rationnel et un “postmodernisme” irrationnel. Ce dernier est le domaine des charlatans.]

              Pourriez-vous m’expliquer quels seraient les postulats de base d’un « postmodernisme rationnel » ?

            • F68.10 dit :

              Tout d’abord, veuillez m’excuser du temps de réponse, ainsi que me dire si je commente trop. Je ne veux pas polluer inutilement votre blog. Alors dites moi si quelque chose ne vous convient pas.

              “Tout ça est un peu vague.”

              Ma définition de la science est: Tout processus qu’emprunte un organisme cognitif (un individu ou une société) dans le but de s’approcher autant que possible de l’objectivité (à tout sujet, que ce soit sur des choses réelles, imaginaires, irréelles ou même irrationnelles).

              C’est très général, donc. Pour coller au sens commun, je dirais plutôt: Tout processus qu’emprunte un groupe social dans le but de s’approcher autant que possible de l’objectivité sur les choses réelles.

              Paradoxalement cette deuxième définition pose plus de problème qu’il n’apparaît à première vue.

              “L’astrologie serait donc une « science » ?”

              Historiquement, oui. Et même à l’époque de Nostradamus, elle était vivement critiquée, ce qui prouve que son statut tenait beaucoup à ses “applications” médicales.

              Elle est aujourd’hui complètement dépassée, pour le dire plus que poliment.

              “Même sans aller jusqu’à la rigueur de la définition poppérienne, il me semble difficile de séparer la notion de science de l’idée de méthode, et notamment de réfutation par l’expérience.”

              L’élaboration et la pratique d’une “méthode” fait effectivement partie intégrante du “processus” en question que j’ai explicité dans ma définition.

              L’élaboration et la pratique d’une méthode pour élaborer la “méthode scientifique elle-même” fait officiellement partie de la philosophie (de moins en moins…) mais est aussi l’objet d’un tel “processus”. Cela fait donc aussi partie de la science.

              La question de la réfutation par l’expérience est assez récente. Il n’y a pas de telles considérations dans la méthode scientifique telle que la concevait Bacon. Et le vérificationisme, à l’opposé de la méthode poppérienne, n’a été que très tardivement à l’ordre du jour, et est toujours pratiqué, quoiqu’on en dise.

              “J’ai l’impression que vous raisonnez à l’envers : vous définissez un ensemble de disciplines que vous voudriez qualifier de « science », et ensuite vous construisez une définition ad hoc.”

              À votre place, je dirais plutôt “post-hoc”. J’ai donné ci-dessus une définition “ante-hoc”.

              “Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de faire.”

              Le post-hoc est effectivement une mauvaise façon de faire. J’en conviens.

              “Je trouve que la définition poppérienne crée des catégories opérationnelles en séparant les disciplines dont les énoncés sont soumis à réfutation et les autres.”

              Complètement d’accord avec vous.

              “Et si cette définition laisse la médecine du côté des quasi-sciences voire des non-sciences, quel est le problème ? Ce n’est pas parce qu’une pratique n’est pas scientifique qu’elle est déshonorante…”

              Ce n’est pas un problème philosophique en soi. C’est un problème social et pratique.

              La médecine, en soi est une technique, car son but n’est pas l’objectivité. Elle doit être tempérée par la science au sens où je l’entends. C’est une technique basée sur la science, comme l’ingénierie.

              Si elle n’était pas basée sur la science, elle serait déshonorante. C’est tout le débat au sujet du charlatanisme.

              “Ca veut dire quoi, « officiellement » ? Il y a un « répertoire officiel » des sciences ?”

              Ah ben oui! Vous n’étiez pas au courant?

              https://debunkingdenialism.com

              Il y a quand même une sacré pression sociale à considerer tel ou tel domaine du savoir comme un science. Cela me paraît assez indéniable.

              “Non, la médecine n’est pas une science : c’est une pratique (certains diront un art) fondé sur des connaissances scientifiques.”

              Oui. J’ai expliqué cela en me basant sur le critère différenciateur de la finalité entre pratique scientifique (l’objectivité) et pratique médicale (la santé).

              Il n’empêche qu’une fois qu’on accepte le basculement de la valeur épistémique fondamentale de l’objectivité vers celle de santé, on peut arguer en société (peut-être pas chez les philosophes) que la médecine est une science. Si on opère un autre type de basculement de valeur épistémique, on peut aussi arguer que la morale puisse être considérer comme une science de la même manière que la médecine.

              “La biologie, la toxicologie, la physique, la chimie sont des sciences. Mais la chirurgie n’est pas une science, c’est un artisanat…”

              Déjà, sur la toxicologie, vous commencer à vous avancer, car on opère déjà le basculement de valeurs épistémiques de l’objectivité vers la santé.

              Mais prenons le cas de la chirurgie.

              Do angioplasties and coronary stenting improve symptoms in patients with angina?

              Ce type de science poppérienne (refutabilité incluse) commence à sérieusement objectiver et standardiser les pratiques médicales. On s’éloigne de plus en plus de l’artisanat.

              “Mais je ne vois toujours pas de quelles « pratiques scientifiques » parlez vous. Pourriez-vous donner un exemple de « pratique scientifique » qui soit une « construction sociale » ? De préférence en physique…”

              La pratique scientifique à laquelle je faisais référence est celle de la construction du savoir économique.

              Maintenant, je vais essayer de donner deux exemples en physique. Un historiquement daté, et un tout à fait présent dans la physique fondamentale moderne.

              Le premier exemple historiquement daté est celui de la preuve de Galilée comme quoi la Terre tourne autour du soleil. Cette preuve s’effectue en deux temps.

              Le premier temps, c’est l’observation baconnienne des phases de Venus. Wikipedia: “Les phases de la planète Vénus sont les variations de la partie éclairée de sa surface visible depuis la Terre, similaires aux phases de la Lune.” C’est comme cela que Galilée a prouvé que Vénus tournait autour du Soleil. Jusque là, pas de problèmes.

              Le deuxième temps, c’est celui de l’analogie. La Terre est une planète comme Vénus. Vénus tourne autour du Soleil. Donc la Terre tourne autour du Soleil. Mais le problème des arguments analogiques est bien connu…

              Conclusion: Au sens strict de la science de son époque, Galiléé infirmait le modèle géocentrique définitivement, mais laissait la porte ouverte à deux modèles concurrents: le modèle héliocentrique, et le modèle géo-heliocentrique (qui est quand même vachement proche du modèle géocentrique).

              En soi, le départage du modèle héliocentrique du modèle géo-héliocentrique dépendait intégralement de la validité du raisonnement par analogie entre la Terre et Vénus.

              Et devant la difficulté à argumenter rationnellement en faveur de l’analogie ou contre l’analogie, ce qui est observable, c’est que ce sont les biais sociétaux qui ont pris le dessus.

              En ce sens, le résultat final du débat de Galilée montre bien que la résolution de cette question relevait d’une construction sociale, bien que le seul point mis en défaut par les pressions sociales fut la validité de l’analogie entre Vénus et la Terre.

              Maintenant, un point de physique fondamentale moderne.

              L’interprétation dominante de la physique quantique est [1] celle de l’Ecole de Copenhague. Il y en a deux autres: les [2] “many-world interpretation” et [3] la “pilote wave theory”.

              [1] https://www.youtube.com/watch?v=p-MNSLsjjdo
              [2] https://www.youtube.com/watch?v=dzKWfw68M5U
              [3] https://www.youtube.com/watch?v=RlXdsyctD50

              Oublions [2] et concentrons-nous sur la distinction entre [1] et [3]. Tout d’abord, partons du constat que la théorie de la “pilot-wave theory”, est la théorie considérée la moins orthodoxe. Si on ne peut trouver de critères objectifs permettant de trancher entre la “pilot-wave theory” et l’interprétation de Copenhague, la seule conclusion logique serait que l’orthodoxie de l’interprétation de Copenhague est sous une forme ou une autre une construction sociale.

              Et la réalité objective est que la seule différenciation objective entre ces deux théories repose sur l’application du rasoir d’Ockham. À priori, le rasoir d’Ockham s’applique en faveur de l’interprétation de Copenhague, car la “pilot-wave theory” fait le postulat de particules naviguant sur un flot d’ondes. Ce postulat semble superflu, d’où l’application du rasoir d’Ockham en faveur de l’interprétation de Copenhague. Cela étant, du point de vue mathématique, les règles mathématiques décrivant la mécanique des particules en question se dérivent axiomatiquement de la mécanique ondulatoire “classique” de la mécanique quantique. Cela rend l’application du rasoir d’Ockham potentiellement fallacieuse.

              Mais la “pilot-wave theory” a l’immense avantage de ne pas briser les principes de réalisme et de déterminisme, ce que fait l’interprétation probabiliste de l’interprétation de Copenhague.

              Devant ce constat (simplifié), la seule conclusion logique est le primat de l’interprétation de Copenhague est dû à l’aspect “construction sociale” de cette théorie scientifique.

              (Et je peux faire encore bien pire que cela en termes de “construction sociale”: si vous voulez que j'”attaque” le concept de réalité ou de logique, je peux aussi le faire.)

              “Et je pense le contraire. Si vous n’avancez pas un argument pour soutenir votre opinion, l’échange s’arrête là…”

              Ben, il me semble qu’il faille qu’on se mette d’accord sur le sens des mots. Il y a une différence entre (1) dire que les biais cognitifs d’origine sociétales influent sur la science, et peuvent la faire dévier de l’objectivité, que ce soit au niveau du jugement d’énoncés individuels (cf. Galilée), ou que ce soit dans l’angle métaphorique que prend la science sur un sujet donné (cf. interprétation de Copenhague) et (2) croire que simplement parce qu’on a identifié un effet de la “construction sociale” de la science, on peut se permettre de tout rejeter parce qu’on est contre, toujours contre.

              (1) est rationnel. (2) est irrationnel.

              “La contradiction est assez évidente. Si « la science est une construction sociale », cela veut dire que les lois et énoncés scientifiques sont dépendants non pas d’une réalité objective et universelle, mais de l’état des forces sociales dans un contexte donné.”

              Pas du tout! Je ne vois pas absolument pas ce qui vous permet de dire ça!

              C’est tout aussi absurde que de dire que c’est parce que tout ce que nous pouvons observer ne peut se faire que par nos sens, que tout n’est au final qu’illusions sensorielles, et que nous pouvons nier qu’une réalité objective extérieure existe.

              C’est un point de vue extrémiste que je considère avec aussi peu de respect que les thèses de Berkeley.

              “Mais dans ce cas-là, l’énoncé « la science est une construction sociale » ne peut être considéré comme universel”

              La science est effectivement un processus au niveau d’organismes cognitifs dans ma définition. Selon la façon dont on délimite l’organisme cognitif (l’humanité ou seulement une culture), effectivement, on a une conception universelle ou pas.

              “et il pourrait y avoir des sociétés dans lesquels l’énoncé « la science N’EST PAS une construction sociale » pourrait être « scientifiquement » vrai…”

              Ben, c’est bien le cas chez nous, à l’heure actuelle, non? Je me trompe?

              “Nous avons ici un paradoxe du même type que celui posé par l’énoncé « il n’y a pas de vérité universelle » ou « l’histoire nous enseigne qu’on ne peut rien apprendre de l’histoire ». En d’autres termes, un énoncé qui nie l’existence de la catégorie à laquelle il appartient lui-même…”

              Ce genre d’énoncé ne me gêne absolument pas. Ayant quelques diplômes assez sérieux touchant d’assez près à des sujets touchy en logique mathématique, ce genre d’énoncé, quand ils sont “vrais” ont souvent un sens très intéressant. Je peux vous fournir de tels énoncés à la pelle, et vous expliquer en détail en quoi ils sont intéressants et ne sont qu’apparents. Mon préféré est le paradoxe de Richard.

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Richard

              “Certaines parties de la science sont effectivement universelles.”

              “Et donc indépendantes du contexte social.”

              Mais résultant néanmoins d’une construction sociale. Maintenant, des sociétés peuvent complètement se planter sur des sujets fondamentalement universels. Un exemple en est le concept du hasard. C’est un concept complètement universel. Mais avant que Kolmogorov commence à démêler la pelote de laine, on était complètement dans le noir. Et je pense qu’il y a encore des cultures sociales, dans lequel ce genre de choses n’est pas admis.

              “Ergo, la science ne peut être une « construction sociale ». Tout au plus, vous pourriez dire que « certaines parties de la science sont une construction sociale ».”

              L’intégralité de la science est, par définition même, une construction sociale, y compris la méthode scientifique. Cela ne contredit en rien le fait que la réalité ne dépend pas de ce que la science en dit.

              “Si la sociologie est une science, je ne vois pas ce qui permet de refuser le même statut à l’astrologie.”

              Vous êtes sérieux, là? Moi, je vois typiquement dans ce type de propos l’expression d’une “construction sociale”… Mais passons. “Le Suicide” de Durkheim est une description baconnienne de la société. C’est à mille lieux de l’auto-illusionnisme de l’astrologie!

              “Franchement, un article qui commence en qualifiant Latour de « France’s most famous and misunderstood philosopher » ne me semble pas très sérieux.”

              Oui, et bien cela, c’est “putaclic”, comme on dit de nos jours.

              “Latour – il le dit d’ailleurs dans l’article – est le prototype de l’intellectuel qui a cru pouvoir jouer à casser l’institution avec la conviction que l’institution est trop solide pour en souffrir.”

              Je ne l’ai pas lu dire cela dans l’article.

              “On se donne ainsi le beau rôle de franc-tireur sans que le monde en souffre. Seulement voilà, il s’aperçoit maintenant à la fin de sa vie que les institutions qu’il croyait immuables ont été emportées, et que son action a contribué à ouvrir en grand les portes au flot de l’irrationnel, aux « réalités alternatives » et autres fléaux de notre temps. Alors, il joue le thème traditionnel du « j’ai été mal compris », « je ne voulais pas ça » (tout sauf « je me suis trompé »).”

              Je ne sais pas s’il joue cela. J’en suis même pas certain. Mais même s’il jouait ce thème précis, il serait en bonne compagnie. C’est exactement le même type de réaction qu’un médecin qui a fait une Grosse Connerie en suivant un protocole, ou que Noam Chomsky expliquant que, oui, il a soutenu Pol Pot, mais qu’à l’époque, vu les faits qu’il avait à sa disposition, il ne pouvait que soutenir Pol Pot. Ben oui, mais non… Mais cela reste humain.

              “Le débat n’a rien d’absurde, il a été posé il y a près de deux siècles par Lewis Carroll à travers le personnage de Humpty-Dumpty, ou dans l’opposition du principe de plaisir et du principe de réalité.”

              Je suis allergique aux conceptions psychanalysantes. Pas vraiment pour moi la meilleure manière d’atteindre l’objectivité.

              Non. Le vrai problème de fond, c’est que la Volonté au sens de Schopenhauer et effectivement ontologiquement toute puissante. Sans aucun doute. Le “désir” n’est qu’une instantiation psychologique de la Volonté. Le seul mécanisme de fond permettant de dompter la Volonté, c’est la recherche de la connaissance. C’est tout le programme spinoziste.

              La réalité, c’est que la Volonté, ou le désir déformant les faits, on le retrouve chez une pelletée d’opposants à la science (et surtout aux gouvernements), mais qu’on la retrouve aussi à l’oeuvre dans l’entreprise scientifique elle-même. Des fois c’est négligeable, et des fois, c’est grave. Très grave.

              “La vraie question est celle de savoir si nous sommes contraints par une réalité objective qui est hors de notre contrôle”

              Ca, c’est un fait. Personne ne le nie.

              “ou si nous vivons dans un monde ou le désir est tout-puissant.”

              Je crois que vous vous leurrez sur les mécanismes psychologiques des opposants à la vérité scientifique institutionnelle. C’est beaucoup plus complexe que cela. Je me suis “battu” tout récemment avec une personne qui compte tenu de son histoire, en arrivait à remettre en cause l’idée même de la valeur épistémologique de l’argument d’autorité. Et je vous garantis que ce n’est pas qu’une question de “désir”.

              “La société de consommation massive est une société du désir, et le post-modernisme est l’idéologie qui la justifie.”

              Alors, là, je ne vous suis sur aucun des points que vous venez d’énoncé.

              “Va falloir vous décider. Vous ne pouvez pas en même temps considérer que le post-modernisme a raison sur beaucoup de choses, et rejeter son postulat fondamental.”

              Je rejette cela:

              ““Tout énoncé – scientifique ou pas d’ailleurs – est une pure construction sociale, et qu’il ne reflète donc pas une réalité objective.””

              J’acquiesce à cela:

              “Tout énoncé – scientifique ou pas d’ailleurs – est entre autres une construction sociale, et qu’il ne reflète donc pas nécessairement à ce titre une réalité objective.””

              Ce qui me paraît parfaitement factuel.

              “Je pense que vous manquez une distinction pourtant fondamentale entre la question des « biais cognitifs » (dont parle déjà Descartes) et la logique postmoderne qui fait des énoncés scientifiques une « construction sociale ».”

              La question des biais cognitifs d’origine sociale me paraît prioritaire (cf. Galilée). Mais la question des biais dans la mise en oeuvre globale d’un champ scientifique peut effectivement poser problème et donner lieu à toute un collection de métaphores inadéquates (cf. interprétation de Copenhague).

              “Dans le premier cas, il s’agit d’erreurs ou de limitations dans la mise en œuvre de la méthode scientifique. Dans le second, il s’agit de remettre en cause la structure même de la pensée scientifique.”

              Et il se trouve que sur le fond, c’est exactement la même chose.

              La méthode scientifique elle-même n’est pas un objet figé dans le marbre. Le champ de la méta-science a vocation à la corriger. Le postmodernisme aussi.

              Ca fait au moins 2600 ans qu’on réfléchit sérieusement à l’épistémologie et aux moyens de l’améliorer. La méta-science et le postmodernisme n’en sont que les derniers avatars.

              “Une erreur de calcul ne remet pas en cause le caractère scientifique de la physique, l’idée que les lois de la gravitation sont une « construction sociale » – et qu’elles pourraient donc être différentes dans une autre société – si.”

              Encore une fois. Ce n’est pas parce qu’on a construit socialement un énoncé portant sur les lois de la gravitation que les lois de la gravitation s’appliqueraient différemment dans une autre culture. J’ai vraiment l’impression d’enfoncer des portes ouvertes.

              “Encore une fois, décidez-vous. Vous avez plus haut « rejeté » le postulat de base du post-modernisme. Et vous me dites maintenant que « l’argument de fond est valable » ?”

              Je vous expliqué la forme de l’argument post-moderne que je rejette et la forme que j’accepte.

              “Pourriez-vous m’expliquer quels seraient les postulats de base d’un « postmodernisme rationnel » ?”

              Commençons par deux exemples.

              Ca, c’est la réalité, c’est un constat, c’est rationnel:

              http://www.slate.fr/story/175530/histoire-m-premiere-personne-intersexe-plainte-mutilations

              Ca, c’est l’extrapolation, le délire, l’irrationnel:

              (Et encore, comme je me suis un peu penché sur le sujet, j’ai quand même un peu de compassion pour le monsieur…)

              Maintenant, ma caractérisation du postmodernisme rationnel et du postmodernisme irrational est la suivante, comme je l’ai déjà écrit. Gardez les deux exemples ci-dessus en tête en lisant ce qui suit.

              “Ben, il me semble qu’il faille qu’on se mette d’accord sur le sens des mots. Il y a une différence entre (1) dire que les biais cognitifs d’origine sociétales influent sur la science, et peuvent la faire dévier de l’objectivité, que ce soit au niveau du jugement d’énoncés individuels (cf. Galilée), ou que ce soit dans l’angle métaphorique que prend la science sur un sujet donné (cf. interprétation de Copenhague) et (2) croire que simplement parce qu’on a identifié un effet de la “construction sociale” de la science, on peut se permettre de tout rejeter parce qu’on est contre, toujours contre.

              (1) est rationnel. (2) est irrationnel.”

              Voilà, voilà, voilà… Pfiou! Un peu long tout ça!

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [Ma définition de la science est: Tout processus qu’emprunte un organisme cognitif (un individu ou une société) dans le but de s’approcher autant que possible de l’objectivité (à tout sujet, que ce soit sur des choses réelles, imaginaires, irréelles ou même irrationnelles).]

              En d’autres termes, pour vous la question de savoir si une démarche est ou non scientifique est une question téléologique. Si je me fixe comme « but » d’approcher autant que possible l’objectivité, et que pour ce faire je choisis de lire dans les entrailles des oiseaux ou dans le marc de café, j’ai une démarche scientifique. Pensez-vous que ce soit raisonnable ?

              [« L’astrologie serait donc une « science » ? » Historiquement, oui.]

              Ça veut dire quoi, « historiquement » ? Ou bien l’astrologie rentre dans votre définition, et elle est une science, ou bien elle ne rentre pas, et c’en est pas une. L’histoire ne joue là-dedans aucun rôle. Et accessoirement, si pour vous l’astrologie est une science, je crains que cette discussion n’ait pas grand sens. De toute évidence, on est en train de désigner par un même mot des concepts très différents.

              [Elle (l’astrologie) est aujourd’hui complètement dépassée, pour le dire plus que poliment.]

              En quoi l’horoscope était plus proche de la vérité du temps de Nostradamus qu’aujourd’hui ?

              [L’élaboration et la pratique d’une “méthode” fait effectivement partie intégrante du “processus” en question que j’ai explicité dans ma définition.]

              Mais si je suis votre définition, toutes les méthodes se valent dès lors que le « but » est sauf. La méthode expérimentale ou la lecture des entrailles des oiseaux, c’est du pareil au même du moment où le « but » de celui qui la pratique est l’objectivité. Vous le dites vous-même : l’astrologie est une science…

              [La question de la réfutation par l’expérience est assez récente.]

              Je ne sais pas si Descartes peut être considéré « récent ». Mais récente ou pas, c’est ce qui différentie la science des autres démarches cognitives.

              [« Ca veut dire quoi, « officiellement » ? Il y a un « répertoire officiel » des sciences ? » Ah ben oui! Vous n’étiez pas au courant? (…) Il y a quand même une sacré pression sociale à considerer tel ou tel domaine du savoir comme un science. Cela me paraît assez indéniable.]

              Peut-être, je ne vois pas le rapport avec la question de l’existence d’une « liste officielle » des sciences.

              [Il n’empêche qu’une fois qu’on accepte le basculement de la valeur épistémique fondamentale de l’objectivité vers celle de santé, on peut arguer en société (peut-être pas chez les philosophes) que la médecine est une science.]

              On peut « arguer » à peu près n’importe quoi. Surtout en utilisant des mots difficiles dont on ne connait pas la signification… ca veut dire quoi « le basculement de la valeur épistémique » ?

              [Déjà, sur la toxicologie, vous commencer à vous avancer, car on opère déjà le basculement de valeurs épistémiques de l’objectivité vers la santé.]

              Absolument pas. La toxicologie examine l’effet des substances sur les êtres vivants. La santé n’a rien à voir là dedans.

              [La pratique scientifique à laquelle je faisais référence est celle de la construction du savoir économique.]

              Mais qui a dit que l’économie est une science ?

              [Maintenant, je vais essayer de donner deux exemples en physique. Un historiquement daté, et un tout à fait présent dans la physique fondamentale moderne. Le premier exemple historiquement daté est celui de la preuve de Galilée comme quoi la Terre tourne autour du soleil. Cette preuve s’effectue en deux temps.]

              Galilée n’a jamais « prouvé » pareille chose. Et d’une façon générale, il est impossible de « prouver » quoi que ce soit en physique. On peut « réfuter » une théorie en exhibant une expérience qui la contredit, mais il est impossible de « prouver » qu’une théorie est vraie : le fait que cent mille expériences la confirment permet d’établir une présomption de vérité, mais pas une preuve.

              [Le premier temps, c’est l’observation baconnienne des phases de Venus. Wikipedia: “Les phases de la planète Vénus sont les variations de la partie éclairée de sa surface visible depuis la Terre, similaires aux phases de la Lune.” C’est comme cela que Galilée a prouvé que Vénus tournait autour du Soleil. Jusque là, pas de problèmes. Le deuxième temps, c’est celui de l’analogie. La Terre est une planète comme Vénus. Vénus tourne autour du Soleil. Donc la Terre tourne autour du Soleil. Mais le problème des arguments analogiques est bien connu…]

              Ici, vous confondez tout. Dans la première phase, Galilée réfute la théorie géocentrique, en montrant une expérience qui la contredit. Ensuite, il propose une théorie qui explique ce phénomène, en postulant que vénus tourne autour du soleil. Et finalement, il émet l’hypothèse que la terre pourrait se comporter comme Vénus. Mais il ne faut pas confondre une hypothèse et une démonstration.

              [En ce sens, le résultat final du débat de Galilée montre bien que la résolution de cette question relevait d’une construction sociale,]

              Vous voulez dire que si la société avait été différente, le soleil aurait tourné autour de la terre ?
              Je pense que vous faites une énorme confusion entre ce qui est vrai, ce qui est scientifique et ce qui est une « construction sociale ». Le fait qu’un énoncé soit scientifique n’implique nullement qu’il soit vrai. Seulement qu’il est soumis à la possibilité d’être réfuté par l’expérience. L’affirmation « la terre tourne autour du soleil » et l’affirmation « le soleil tourne autour de la terre » sont toutes deux « scientifiques » aussi longtemps qu’ils n’ont pas été refutés. L’hypothèse de Galilée comme quoi la terre tourne autour du soleil par analogie avec venus n’est qu’une hypothèse. C’est un énoncé scientifique dès lors qu’il est soumis à réfutation. Mais la « résolution de cette question » n’est pas sociale. Si une expérience venait à réfuter l’hypothèse, elle serait fausse quoi que la « société » en dise.

              [Oublions [2] et concentrons-nous sur la distinction entre [1] et [3]. Tout d’abord, partons du constat que la théorie de la “pilot-wave theory”, est la théorie considérée la moins orthodoxe. Si on ne peut trouver de critères objectifs permettant de trancher entre la “pilot-wave theory” et l’interprétation de Copenhague, la seule conclusion logique serait que l’orthodoxie de l’interprétation de Copenhague est sous une forme ou une autre une construction sociale.]

              L’interprétation de Copenhague n’est pas un énoncé scientifique, puisqu’il est par essence impossible à réfuter. C’est une question philosophique. C’est bien une construction sociale, mais pas un énoncé scientifique.

              [« La contradiction est assez évidente. Si « la science est une construction sociale », cela veut dire que les lois et énoncés scientifiques sont dépendants non pas d’une réalité objective et universelle, mais de l’état des forces sociales dans un contexte donné. » Pas du tout! Je ne vois pas absolument pas ce qui vous permet de dire ça!]

              Eh bien, c’est la définition même de « construction sociale ».

              [« Nous avons ici un paradoxe du même type que celui posé par l’énoncé « il n’y a pas de vérité universelle » ou « l’histoire nous enseigne qu’on ne peut rien apprendre de l’histoire ». En d’autres termes, un énoncé qui nie l’existence de la catégorie à laquelle il appartient lui-même… » Ce genre d’énoncé ne me gêne absolument pas. Ayant quelques diplômes assez sérieux touchant d’assez près à des sujets touchy en logique mathématique, ce genre d’énoncé, quand ils sont “vrais” ont souvent un sens très intéressant.]

              Je n’accepte jamais l’argument d’autorité.

              [« Certaines parties de la science sont effectivement universelles. » « Et donc indépendantes du contexte social. » Mais résultant néanmoins d’une construction sociale.]

              En d’autres termes, il y a des « constructions sociales » indépendantes de la société qui les construit ?

              [Maintenant, des sociétés peuvent complètement se planter sur des sujets fondamentalement universels. Un exemple en est le concept du hasard. C’est un concept complètement universel. Mais avant que Kolmogorov commence à démêler la pelote de laine, on était complètement dans le noir. Et je pense qu’il y a encore des cultures sociales, dans lequel ce genre de choses n’est pas admis.]

              C’est quoi un « sujet fondamentalement universel » et « un concept complètement universel » ? Vous savez, ce n’est pas parce que vous mélangez Kolmogorov à ce salmigondis que cela rend la chose plus claire… Et par ailleurs, je me demande quelles sont les « cultures sociales » ou le hasard ne serait pas « admis »…

              [L’intégralité de la science est, par définition même, une construction sociale, y compris la méthode scientifique. Cela ne contredit en rien le fait que la réalité ne dépend pas de ce que la science en dit.]

              Mais la science dépend-t-elle de ce que la réalité en dit ? Parce que si la science reflète – ne serait-ce qu’imparfaitement la réalité, alors elle n’est pas une « construction sociale »…

              [« Si la sociologie est une science, je ne vois pas ce qui permet de refuser le même statut à l’astrologie. » Vous êtes sérieux, là?]

              Tout à fait. Et j’ajoute que vous êtes d’accord avec moi, puisque vous avez déclaré plus haut que l’astrologie était « historiquement » une science. Par ailleurs, pouvez-vous me donner un exemple de théorie sociologique qui soit soumise à une réfutation ?

              [Je suis allergique aux conceptions psychanalysantes. Pas vraiment pour moi la meilleure manière d’atteindre l’objectivité.]

              Soyez sérieux : si vous reconnaissez le statut de « science » à l’astrologie et à la sociologie, vous aurez du mal à la refuser à la psychanalyse.

              [« La vraie question est celle de savoir si nous sommes contraints par une réalité objective qui est hors de notre contrôle » Ca, c’est un fait. Personne ne le nie.]

              Pardon, mais beaucoup de gens le « nient ». Feyerabend, pour n’en donner qu’un exemple. Et plus près de nous, vous trouverez pas mal de partisans de la « théorie du genre » qui vous expliqueront que le genre n’est pas une réalité objective hors de notre contrôle, mais au contraire un choix de chaque individu…

              [Encore une fois. Ce n’est pas parce qu’on a construit socialement un énoncé portant sur les lois de la gravitation que les lois de la gravitation s’appliqueraient différemment dans une autre culture. J’ai vraiment l’impression d’enfoncer des portes ouvertes.]

              Peut-être parce que vous vous contentez de répéter votre affirmation sans chercher à comprendre ce que dit votre interlocuteur. Si vous admettez qu’on puisse « construire socialement un énoncé portant sur les lois de la gravitation », alors vous admettez que dans deux cultures différentes on puisse construire deux énoncés différents – sur le fond, non sur la forme, bien entendu – qui aboutissent donc à des conclusions différentes. Que se passe-t-il lorsqu’on les confronte à l’expérience ? Si les deux énoncés aboutissent à des conclusions différentes, l’un au moins sera réfuté par l’expérience et cessera donc d’être « scientifique ». La seule possibilité de voir coexister deux énoncés scientifiques, c’est d’imaginer que les lois physiques soient différentes…

              Maintenant, ma caractérisation du postmodernisme rationnel et du postmodernisme irrational est la suivante, comme je l’ai déjà écrit. Gardez les deux exemples ci-dessus en tête en lisant ce qui suit.

              “Ben, il me semble qu’il faille qu’on se mette d’accord sur le sens des mots. Il y a une différence entre (1) dire que les biais cognitifs d’origine sociétales influent sur la science, et peuvent la faire dévier de l’objectivité, que ce soit au niveau du jugement d’énoncés individuels (cf. Galilée), ou que ce soit dans l’angle métaphorique que prend la science sur un sujet donné (cf. interprétation de Copenhague) et (2) croire que simplement parce qu’on a identifié un effet de la “construction sociale” de la science, on peut se permettre de tout rejeter parce qu’on est contre, toujours contre.

              (1) est rationnel. (2) est irrationnel.”
              Je dirais plutôt que (1) est trivial (et ne veut au fond pas dire grande chose).

            • F68.10 dit :

              [En d’autres termes, pour vous la question de savoir si une démarche est ou non scientifique est une question téléologique.]

              Pas tout à fait, le processus scientifique est téléologique, effectivement: le but final est l’objectivité.

              Tout processus de ce style suit nécessairement une “méthode” aussi inadéquate, imprécise, et irrationnelle soit elle.

              Plus une méthode et parfaite, précise et rationnelle, plus on peut considérer les résultats du processus scientifique qui l’applique comme scientifique.

              [Si je me fixe comme « but » d’approcher autant que possible l’objectivité, et que pour ce faire je choisis de lire dans les entrailles des oiseaux ou dans le marc de café, j’ai une démarche scientifique. Pensez-vous que ce soit raisonnable ?]

              Si vous lisez dans les entrailles des oiseaux ou le marc de café, votre résultat (qui peut éventuellement par chance être parfaitement valable: tout horloge cassée donne l’heure exacte deux fois par jour) n’est pas plus scientifique que la méthode n’est adéquate, précise et rationnelle.

              Je confirme donc que les haruspices sont de piètres scientifiques. Il n’empêche que cela fait partie d’un processus scientifique, assez lamentable.

              Cicéron ne s’y est pas trompé, et ce faisant à porter une critique sévère sur la “méthode”. Plus près de nous, Fontenelle l’a aussi fait assez magistralement.

              Cicéron et Fontenelle ont donc participé à faire sortir la divination du processus scientifique, en réfutant cette “méthode”.

              [Ça veut dire quoi, « historiquement » ? Ou bien l’astrologie rentre dans votre définition, et elle est une science, ou bien elle ne rentre pas, et c’en est pas une. L’histoire ne joue là-dedans aucun rôle.]

              Si vous définissez la science comme un processus, l’histoire a un rôle à jouer.

              Si pour vous, la science est uniquement l’application d’une méthode abstraite descendu tout droit du Ciel, cela se juge selon cette méthode.

              Selon ma définition, elle fut une science et elle ne l’est plus.

              Selon votre définition, post-hoc, puisque la méthode que vous prônez n’existait pas du temps des chaldéens, cela n’a jamais été une science. Mais les astrologues n’avaient (presque) aucun moyen de le savoir.

              [Et accessoirement, si pour vous l’astrologie est une science, je crains que cette discussion n’ait pas grand sens.]

              À l’heure actuelle, l’astrologie n’est absolument pas une science et heureusement.

              [De toute évidence, on est en train de désigner par un même mot des concepts très différents.]

              Exactement. J’ai fait cette distinction le plus explicitement possible plus haut.

              [En quoi l’horoscope était plus proche de la vérité du temps de Nostradamus qu’aujourd’hui ?]

              Si les astrologues appliquent la même méthode à l’époque de Nostradamus que maintenant, il est mécanique qu’ils n’ont ni plus ni moins que le même niveau de preuve. C’est-a-dire aucun.

              [Mais si je suis votre définition, toutes les méthodes se valent dès lors que le « but » est sauf.]

              Pas du tout. Il y a, à défaut d’un meilleur terme, une hiérarchie entre les différentes méthodes utilisées au cours du temps et des cultures. Elles se jugent par le niveau d’adéquation à la réalité.

              À l’heure actuelle, la théorie la plus scientifique qui existe est l’électrodynamique quantique. Le niveau de précision entre théorie et observation au sujet du moment magnétique de l’électron est ce que nous avons fait de mieux à l’heure actuelle dans l’histoire de l’humanité. Aucun doute à ce sujet.

              Cette adéquation est un élément probant très fort de l’adéquation de la méthode scientifique contemporaine sur des thèmes de sciences physique.

              Cela donne une prééminence claire de la méthode scientifique contemporaine sur les autres méthodes historiquement et culturellement situées. Cela me paraît quasi-parfaitement indéniable.

              [La méthode expérimentale ou la lecture des entrailles des oiseaux, c’est du pareil au même du moment où le « but » de celui qui la pratique est l’objectivité.]

              Le but importe. La méthode pour atteindre le but aussi. Sans but, aucun besoin de méthode. Donc, non, les haruspices, de nos jours aucun besoin. À l’époque, un besoin social, qui se dissimulait derrière la prétention à l’objectivité. Ce qui ne trompait pas tout le monde.

              [Vous le dites vous-même : l’astrologie est une science…]

              Ni plus ni moins que les haruspices. Ce qui est étonnant, ce sont les conditions sociales qui ont permis qu’elle perdure… son alliance avec la religion et la médecine.

              C’est aussi un fait historique que les astrologues basaient leurs pratiques sur l’astronomie. Les deux furent indistinguables pour l’oeil non-averti avec le 17ème siècle.

              Vous vouliez être uniquement astronome? Il fallait que vous deveniez astrologue. La structure sociale de l’époque empêchait de distinguer les deux champs.

              Il est donc faux de dire qu’il n’y avait pas de science dans l’astrologie. Il y en avait: l’astronomie.

              C’est le même processus que pour l’alchimie. La découverte du phosphore en l’extrayant de l’urine fut effectué par un alchimiste. On a là la combinaison d’un fait scientifique (isolation d’un nouvel élément chimique) avec un délire alchimiste (il croyait avoir découvert la pierre philosophale à cause de la luminescence du phosphore).

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Hennig_Brand

              L’alchimie et la chimie ont suivi le même processus de séparation méthodologique que l’astrologie et l’astronomie ont suivi. Ce fut même beaucoup plus intriqué et douloureux. Parce qu’il y avait pas mal de science dans l’alchimie…

              C’est un exemple typique ou le but téléologique de la science (objectivité) doit fatalement se compromettre avec le délire et les faussetés pour se permettre de progresser. Pour aboutir par raffiner la “méthode” du champ de la chimie, et aboutir in fine au tableau de Mandeleïev.

              [Je ne sais pas si Descartes peut être considéré « récent ». Mais récente ou pas, c’est ce qui différentie la science des autres démarches cognitives.]

              Si on veut faire encore un effort pour dater le concept de réfutation par l’expérience, on peut remonter jusqu’aux écoles philosophiques hindoues. Ils ont une tradition énumérative des différentes méthodes d’acquisition de connaissance, et des mécanismes d’infirmation qui permettent l’élaboration d’une “méthode” et de réfutation par l’expérience. J’ai du mal à trouver un lien où tout cela est bien explicité. Le mieux que je peux faire est le suivant:

              Epistemology in the Hindu World

              Donc, “méthode” et “réfutation par l’expérience”, c’est loin d’être neuf.

              Il demeure que l’intégration de la réfutation par l’expérience dans la “méthode” scientifique est actuellement à son paroxysme chez Popper, et que cela c’est relativement récent. D’où l’assertion que vous trouviez excessive (en ne la faisant pas remonter à Descartes).

              Et bien, effectivement “méthode” et “réfutation par l’expérience”, c’est cela qui caractérise la science. La philosophie hindoue antique rentre donc tout de même dans la catégorie de la pratique scientifique. Ainsi que l’alchimie qui s’est battue pendant des siècles avec la “méthode” et la “réfutation par l’expérience” (ils n’ont fait que cela, et avec le plus grand mal…).

              [Peut-être, je ne vois pas le rapport avec la question de l’existence d’une « liste officielle » des sciences.]

              Si vous ne voyez pas le rapport entre debunking denialism et l’existence d’une liste officielle des sciences, c’est que vous vivez sur une autre planète.

              https://www.academie-sciences.fr/fr/

              Ca, c’est assez officiel. Et bien que je ne trouve pas explicitement de liste officielle des sciences sur le site de l’académie des sciences, il me semble qu’on peut prendre leur “pédagogie” au pied de la lettre pour déterminer ce qu’on est censé considérer comme science.

              [On peut « arguer » à peu près n’importe quoi. Surtout en utilisant des mots difficiles dont on ne connait pas la signification… ca veut dire quoi « le basculement de la valeur épistémique » ?]

              Le terme valeur épistémique est assez bien exposé dans ce texte.

              https://samharris.org/the-moral-landscape-challenge/

              “Every science must presuppose evaluative judgments. Science requires epistemic values—e.g., truth, logical consistency, empirical evidence. Science cannot defend these values, at least not without presupposing them in that very defense. After all, a compelling empirical case for the three values just named must show that they are truly values by using a logically consistent argument that employs empirical evidence. So when you speak of science as “self-justifying,” you appear to refer to the reflexive justification of certain epistemic values that all sciences share. But then you also note that the science of medicine requires a non-epistemic value—health. Science cannot show empirically that health is good. But nor, I would add, can science appeal to health to defend health’s value, as it would appeal to logic to defend logic’s value. Still, by definition, the science of medicine seeks to promote health (or else combat disease, which in turn promotes health). Insofar as you take the science of medicine to be “self-justifying,” you appear to hold that the very meaning of the science of medicine entails its non-epistemic evaluative foundation. From these two analogies (one to epistemic values, the other to medicine), you conclude that your proposed science of morality, in pulling itself up by the evaluative bootstraps, does no different from the science of medicine or science as a whole.”

              Et effectivement, j’ai utilisé le mauvais terme, si je veux suivre la terminologie de ce papier (ce que j’avais en tête).

              La médecine, au-delà des valeurs épistémiques caractéristique d’un champ scientifique (comme il est écrit dans l’essai: vérité, cohérence logique, données factuelles) a une valeur fondatrice de ce champ disciplinaire qui est non-épistémique (la santé).

              Ce que je voulais dire par basculement de la valeur épistémique est la chose suivante: Contrairement à la biologie, les sciences cognitives, la sociologie des comportements de soin ou des comportements médicaux, qui sont des domaines qui téléologiquement tendent à l’objectivité, la médecine se distingue dans le sens ou téléologiquement, elle tend vers la promotion de la santé (individuelle et publique).

              Ce ce que j’appelle le basculement de la valeur épistémique de l’objectivité vers la santé.

              Si la science ne tend qu’à l’objectivité, il n’y a aucun intérêt à évaluer scientifiquement des thérapies. Cela ne nous renseigne pas objectivement sur le monde tel qu’il est.

              Si on rajoute une finalité autre que l’objectivité, en l’occurence la santé, alors certains diront que c’est de l'”art”, une “technique”. Mais rien n’empêche d’appliquer la méthode scientifique dans ce but précis: la santé. Auquel cas la médecine ne devient pas uniquement une technique basée sur la science, mais une science à part entière dont la finalité n’est plus la pure objectivité mais devient la santé. Encore une fois ce que j’ai appelé (à tort) “le basculement de la valeur épistémique” d’un champ disciplinaire de celle de l’objectivité vers celle de la santé.

              La “vérité” d’un énoncé peut alors prendre un sens différent selon que l’on se place dans telle finalité (objectivité) ou telle autre (santé).

              Prenons un exemple actuel très polémique. Une discipline objective (l’immunologie) et une discipline visant à la santé (la science des vaccins).

              Le concept de “sécurité d’un vaccin” peut se concevoir selon un angle objectif (effet d’un vaccin sur un individu), ou sous l’angle de la santé publique (sécurité suffisante en vue d’un but défini de santé publique).

              Le public comprend le terme “sécurité d’un vaccin” dans le sens d’une considération relative à l’objectivité. Les autorités de santé le comprenne dans le sens de la santé publique. Il y a une tension entre ces deux sens.

              Et à chaque fois qu’un argument d’autorité est effectué, les antivaccionalistes vont systématiquement sentir, parfois à l’excès, qu’on essaye de les enfler et leur faisant passer les vessies (la santé publique) pour des lanternes (l’objectivité).

              En ce sens là, le discours scientifique relève bien de rapport entre groupes sociaux. L’aspect “construction sociale”… Qui résulte de la confusion entre ces deux “valeurs épistémiques” (objectivité et santé).

              [Absolument pas. La toxicologie examine l’effet des substances sur les êtres vivants. La santé n’a rien à voir là dedans.]

              https://www.ata-journal.org/articles/ata/abs/2008/05/ata09012/ata09012.html

              Affirmation toxicologique: “Des études épidémiologiques ont montré que le risque de développer une schizophrénie à l’âge adulte était augmenté pour les consommateurs de cannabis et ceci d’autant plus que l’âge de début de consommation était précoce.” (Le débat classique).

              Si on parle de schizophrénie on parle d'”effet des substances”, ou de “santé”?

              Parce que personne ne nie que le chanvre ait des effets. C’est parfaitement objectif.

              Mais le concept de schizophrénie est-il lié à une notion d’objectivité (si oui, comment objectivez-vous ce concept?) ou est-il lié à une notion de santé (auquel cas votre position comme quoi la toxicologie n’est qu’objectivité et pas liée à la notion “utilitaire” de santé tombe à plat).

              [Mais qui a dit que l’économie est une science ?]

              http://gregmankiw.blogspot.com/2006/05/is-economics-science.html

              Gregory Mankiw, par exemple.

              “Il est actuellement professeur d’économie à l’Université Harvard, où il enseigne la macroéconomie. Au-delà de l’enseignement, il dirige le programme d’économie monétaire du National Bureau of Economic Research et est conseiller de la réserve fédérale des États-Unis de Boston et du Congressional Budget Office. Il a été nommé par le président George W. Bush à la présidence du Council of Economic Advisers le 29 mai 2003 (et ce jusqu’au 18 février 2005).”

              [Galilée n’a jamais « prouvé » pareille chose. Et d’une façon générale, il est impossible de « prouver » quoi que ce soit en physique. On peut « réfuter » une théorie en exhibant une expérience qui la contredit, mais il est impossible de « prouver » qu’une théorie est vraie : le fait que cent mille expériences la confirment permet d’établir une présomption de vérité, mais pas une preuve.]

              Oui, oui, oui, entièrement coupable. Je plaide coupable de language approximatif.

              [Ici, vous confondez tout.]

              Je vérifie.

              [Dans la première phase, Galilée réfute la théorie géocentrique, en montrant une expérience qui la contredit.]

              « En outre, nous tenons un argument excellent et lumineux pour ôter tout scrupule à ceux qui, tout en acceptant tranquillement la révolution des Planètes autour du Soleil dans le système copernicien, sont tellement perturbés par le tour que fait la seule Lune autour de la Terre –tandis que ces planètes accomplissent toutes deux une révolution annuelle autour du Soleil-, qu’ils jugent que cette organisation du monde doit être rejetée comme une impossibilité. Maintenant, en effet, nous n’avons plus une seule Planète tournant autour d’une autre pendant que deux parcourent un grand orbe autour du Soleil, mais notre perception nous offre quatre Etoiles errantes, tandis que toutes poursuivent ensemble avec Jupiter, en l’espace de douze ans un grand orbe autour du Soleil ».

              Galilée, Sidereus Nuncius, trad. de E. Namer, Paris : Gauthier-Villars, p. 164.

              “I therefore concluded and decided unhesitatingly, that there are three stars in the heavens moving about Jupiter, as Venus and Mercury round the Sun; which at length was established as clear as daylight by numerous subsequent observations. These observations also established that there are not only three, but four, erratic sidereal bodies performing their revolutions round Jupiter…the revolutions are so swift that an observer may generally get differences of position every hour.”

              https://archive.org/stream/siderealmessenge80gali#page/48/mode/2up

              C’est le début de l’argumentaire historique basé sur des faits observables en faveur de l’héliocentrique.

              Le modèle géocentrique prédit que les planètes tournent autour de la Terre comme la Lune le fait de toute évidence. En grande partie, cela relève, à l’époque, d’un argument par analogie entre la Lune et les autres planètes.

              L’observation des lunes de Jupiter brise l’argument par analogie: si Jupiter a des lunes, et tourne, soit autour du Soleil ou de la Terre, il devient concevable que la Lune ne soit qu’un tel satellite qui tourne autour de la Terre qui elle-même tournerait autour d’autre chose de la même manière que les lunes de Jupiter tournent autour de Jupiter qui tourne autour de quelque chose d’autre (Soleil ou Terre).

              Il ne s’agit pas d’une observation qui contredit le égocentrisme. Il s’agit d’une observation qui brise l’argument par analogie qui voudrait que les planètes tournent autour de la Terre de manière analogue à la Lune.

              On n’est pas encore dans la réfutation par l’expérience, mais dans la déconstruction d’une trame narrative.

              Je continue mes recherches, et je retombe sur les phases de Vénus.

              Wikipedia: “From September 1610, Galileo observed that Venus exhibited a full set of phases similar to that of the Moon. The heliocentric model of the Solar System developed by Nicolaus Copernicus predicted that all phases would be visible since the orbit of Venus around the Sun would cause its illuminated hemisphere to face the Earth when it was on the opposite side of the Sun and to face away from the Earth when it was on the Earth-side of the Sun. On the other hand, in Ptolemy’s geocentric model it was impossible for any of the planets’ orbits to intersect the spherical shell carrying the Sun. Traditionally, the orbit of Venus was placed entirely on the near side of the Sun, where it could exhibit only crescent and new phases. It was, however, also possible to place it entirely on the far side of the Sun, where it could exhibit only gibbous and full phases. After Galileo’s telescopic observations of the crescent, gibbous and full phases of Venus, the Ptolemaic model became untenable.”

              Vous avez écrit: “Dans la première phase, Galilée réfute la théorie géocentrique, en montrant une expérience qui la contredit.” Et vous avez raison.

              Et j’ai écrit: “Le premier temps, c’est l’observation baconnienne des phases de Venus. Wikipedia: “Les phases de la planète Vénus sont les variations de la partie éclairée de sa surface visible depuis la Terre, similaires aux phases de la Lune.” C’est comme cela que Galilée a prouvé que Vénus tournait autour du Soleil. ” Ce qui correspond exactement à ce que vous avez dit: l’orbite de Venus autour du Soleil était justement la réfutation du système géocentrique. Nous avons juste formulé le même argument différemment. Là où je me suis trompé, c’est sur le terme baronnie, parce que c’est effectivement poppérien: une réfutation. Vous m’avez corrigé sur ce point précis, mais pas le reste.

              Nous sommes donc fondamentalement en accord avec la première phase. (À moins que vous n’ayez une objection?)

              [Ensuite, il propose une théorie qui explique ce phénomène, en postulant que vénus tourne autour du soleil.]

              Euh… non. Ca c’est Copernic qui l’avait proposé cette théorie. Galilée n’a rien eu à avancer du tout. Il avait déjà deux modèles concurrents (égocentrisme et héliocentrisme) au moins. Il n’a pas eu à avancer un modèle.

              [Et finalement, il émet l’hypothèse que la terre pourrait se comporter comme Vénus. Mais il ne faut pas confondre une hypothèse et une démonstration.]

              Bon, bon, bon… Vous dites qu’il a réfuté le modèle géocentrique, et qu’il a laissé en concurrence le modèle héliocentrique et le modèle géo-héliocentrique. Et vous dites que Galilée s’est alors contenté de proposer une hypothèse géocentrique et s’est refuser à toute conclusion hâtive? C’est à vérifier.

              En fait l’argumentaire que j’ai proposé était simplifié. Dans la réalité, il existait d’autres données sur lesquelles Galilée aurait dû s’appuyer pour trancher en héliocentrisme et géo-héliocentrisme.

              https://www.nature.com/news/2010/100305/full/news.2010.105.html

              “”Galileo was strongly committed to Copernicanism. That he chose not to include arguments against it is not very surprising, although according to modern scientific standards he probably should have done so,” says Rienk Vermij, a historian of science from the University of Oklahoma in Norman.”

              Pour résumer: (1) le dogmatisme social de l’époque mettait ses oeufs dans le panier du égocentrisme. (2) Si Galilée ne s’était appuyer que sur les données, il aurait dû pencher pour le géo-héliocentrisme. (3) Si Galilée a penché pour l’héliocentrisme, c’était par idéologie ou aveuglement (improbable).

              Ce qui ne laisse qu’une supposition logique possible: Galilée avait dans sa tête justifié l’analogie Terre/Venus que j’ai décrite dans mon “deuxième temps”.

              Il faudrait maintenant que je prenne plus de temps pour regarder s’il a vraiment argumenté l’analogie en public pour en avoir le coeur net. Mais comme mon commentaire est déjà très long, je vais m’arrêter. Je traiterais les autres points que vous avez soulevé dans votre commentaire dans un prochain commentaire (seulement si c’est le bienvenu.)

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [Pas tout à fait, le processus scientifique est téléologique, effectivement: le but final est l’objectivité. Tout processus de ce style suit nécessairement une “méthode” aussi inadéquate, imprécise, et irrationnelle soit elle.]

              En d’autres termes, un processus dont « le but final est l’objectivité » mais qui emprunte comme méthode la lecture des entrailles des oiseaux est « scientifique » ? Franchement, je trouve votre position intenable.

              [Plus une méthode et parfaite, précise et rationnelle, plus on peut considérer les résultats du processus scientifique qui l’applique comme scientifique.]

              Donc il y a des « degrés de scientificité », certains résultats étant plus « scientifiques » que d’autres ? Là encore, sans vouloir vous offenser, je pense que vous êtes en plein délire. La « scientificité » définie comme vous les faites est un concept parfaitement inutile.

              [Si vous lisez dans les entrailles des oiseaux ou le marc de café, votre résultat (qui peut éventuellement par chance être parfaitement valable: tout horloge cassée donne l’heure exacte deux fois par jour) n’est pas plus scientifique que la méthode n’est adéquate, précise et rationnelle.]

              Décidez vous. Vous avez écrit qu’il suffit que l’objectif soit la recherche de l’objectivité pour que le processus soit scientifique, et cela « aussi irrationnelle » que soit la méthode utilisée. Ici vous dites le contraire. De grâce, relisez vous…

              [Je confirme donc que les haruspices sont de piètres scientifiques. Il n’empêche que cela fait partie d’un processus scientifique, assez lamentable.]

              Je vous le répète : ainsi défini, le concept de « scientifique » n’a plus aucun intérêt, puisque tout ou presque est scientifique.

              [« Ça veut dire quoi, « historiquement » ? Ou bien l’astrologie rentre dans votre définition, et elle est une science, ou bien elle ne rentre pas, et c’en est pas une. L’histoire ne joue là-dedans aucun rôle. » Si vous définissez la science comme un processus, l’histoire a un rôle à jouer.]

              Mais ni vous ni moi ne définissons la science comme un « processus ».

              [Si pour vous, la science est uniquement l’application d’une méthode abstraite descendu tout droit du Ciel, cela se juge selon cette méthode.]

              Non. Personnellement, je me tiens à la définition poppérienne. Une science est un ensemble d’énoncés scientifiques, un énoncé est scientifique s’il est soumis à la réfutation par l’expérience. Implicitement, cela lie la science avec une méthode, la méthode expérimentale.

              [Selon ma définition, elle fut une science et elle ne l’est plus.]

              De mieux en mieux… et pourquoi a-t-elle cessé d’être une science ? Est-ce qu’elle recherche moins aujourd’hui qu’hier l’objectivité ? Je vous rappelle que vous avez donné cette condition téléologique comme nécessaire et suffisante pour être une « science »…

              [Selon votre définition, post-hoc, puisque la méthode que vous prônez n’existait pas du temps des chaldéens, cela n’a jamais été une science. Mais les astrologues n’avaient (presque) aucun moyen de le savoir.]

              Cela n’a aucune importance. Le fait qu’ils ne sussent pas qu’ils mouraient de cancer ne les empêchait pas de mourir de cancer quand même.

              [« En quoi l’horoscope était plus proche de la vérité du temps de Nostradamus qu’aujourd’hui ? » Si les astrologues appliquent la même méthode à l’époque de Nostradamus que maintenant, il est mécanique qu’ils n’ont ni plus ni moins que le même niveau de preuve. C’est-a-dire aucun.]

              En d’autres termes, le niveau de scientificité des prédictions des astrologues est exactement le même aujourd’hui que du temps de Nostradamus. Et pourtant, vous avez écrit que l’astrologie « était » une science et ne l’est plus. Votre discours contient tellement de contradictions évidentes que je finis par me demandes si vous ne vous moquez pas de moi.

              [À l’heure actuelle, la théorie la plus scientifique qui existe est l’électrodynamique quantique. Le niveau de précision entre théorie et observation au sujet du moment magnétique de l’électron est ce que nous avons fait de mieux à l’heure actuelle dans l’histoire de l’humanité. Aucun doute à ce sujet.]

              Mais pas du tout ! Le théorème de Pythagore prédit la longueur de l’hypoténuse d’un triangle rectangle avec une précision infiniment supérieure. Je dirais même que l’exactitude de cette prédiction sera TOUJOURS la plus précise, puisque nous savons qu’elle est exacte. (j’ajoute par honnêteté que les mathématiques ne sont pas une science au sens poppérien du terme, mais si je prends votre définition elles le sont, puisqu’elles visent incontestablement l’objectivité).

              [Cette adéquation est un élément probant très fort de l’adéquation de la méthode scientifique contemporaine sur des thèmes de sciences physique.]

              Pourquoi dites-vous « LA méthode scientifique » ? Si je suis votre définition, il y a à chaque instant beaucoup de « méthodes scientifiques », puisque ce qui caractérise la science est la recherche de l’objectivité, et non la nature de la méthode utilisée…

              [« La méthode expérimentale ou la lecture des entrailles des oiseaux, c’est du pareil au même du moment où le « but » de celui qui la pratique est l’objectivité. » Le but importe. La méthode pour atteindre le but aussi.]

              Ah… ça change. Donc, une activité qui vise l’objectivité peut NE PAS être une science, si la méthode utilisée n’est pas casher. Maintenant, qu’est ce qui fait qu’une méthode est « scientifique » et une autre ne l’est pas ?

              [« Vous le dites vous-même : l’astrologie est une science… » Ni plus ni moins que les haruspices.]

              J’en déduis donc que pour vous les haruspices étaient des scientifiques. C’était précisément mon point. Vous voyez bien que votre définition de « scientifique » est inopérante, puisqu’elle définit une catégorie qui contient un peu tout et n’importe quoi.

              [Il est donc faux de dire qu’il n’y avait pas de science dans l’astrologie. Il y en avait: l’astronomie.]

              Non. L’astronomie – au sens de la simple observation des astres – n’est pas une science, c’est une discipline d’observation. La science commence lorsqu’on énonce des lois de mouvement des astres et qu’on cherche à les réfuter par l’observation, ce que les astrologues (et les astronomes de l’époque) ne faisaient pas.

              [C’est le même processus que pour l’alchimie. La découverte du phosphore en l’extrayant de l’urine fut effectuée par un alchimiste. On a là la combinaison d’un fait scientifique (isolation d’un nouvel élément chimique) avec un délire alchimiste (il croyait avoir découvert la pierre philosophale à cause de la luminescence du phosphore).]

              Je pense que vous confondez « observation » et « science ». Le premier homme qui a cuit une pièce d’argile faisait-il de la « science » ? Certainement pas. Il a observé un phénomène, qu’il a pu reproduire, mais il ne l’a pas COMPRIS, il ne l’a pas inséré dans une systématique. Même chose pour a découverte du phosphore : en faisant une calcination au hasard, Henig Brand a observé un phénomène. Mais il ne l’a pas COMPRIS.

              [« Je ne sais pas si Descartes peut être considéré « récent ». Mais récente ou pas, c’est ce qui différentie la science des autres démarches cognitives. » Si on veut faire encore un effort pour dater le concept de réfutation par l’expérience, on peut remonter jusqu’aux écoles philosophiques hindoues.]

              Je sais qu’il y a une tendance à vouloir trouver dans les sagesses orientales les sources de tout, mais il ne faut pas exagérer. Les « écoles philosophiques hindoues » (les guillemets sont obligatoires, parce que les hindous n’ont pas de « philosophie » au sens grec du terme) n’avaient pas le concept de réfutation par l’expérience au sens cartésien du terme, et il est facile de comprendre pourquoi : une société fondée sur la tradition ne peut admettre qu’une expérience puisse nier la sagesse des âges passés. C’est d’ailleurs pourquoi Descartes a été prié d’aller se faire voir à La Haye.

              D’ailleurs, à votre avis, si les hindous étaient arrivés à l’idée de réfutation par l’expérience – c’est-à-dire à l’idée qu’une seule expérience peut invalider définitivement une théorie – pourquoi les sciences ne se sont pas développées en Inde ?

              [Il demeure que l’intégration de la réfutation par l’expérience dans la “méthode” scientifique est actuellement à son paroxysme chez Popper, et que cela c’est relativement récent. D’où l’assertion que vous trouviez excessive (en ne la faisant pas remonter à Descartes).]

              Popper n’a pas inventé la méthode scientifique. Il n’a fait que systématiser une définition. Le mérite revient donc bien à Descartes.

              [Et bien, effectivement “méthode” et “réfutation par l’expérience”, c’est cela qui caractérise la science.]

              Attendez… dois-je entendre que vous abandonnez votre définition « téléologique » pour vous rallier à la définition poppérienne ? Parce que dans votre définition, il n’y a aucune place pour une « méthode » qui « caractériserait » la science.

              [« Peut-être, je ne vois pas le rapport avec la question de l’existence d’une « liste officielle » des sciences. » Si vous ne voyez pas le rapport entre debunking denialism et l’existence d’une liste officielle des sciences, c’est que vous vivez sur une autre planète.]

              Mon « bullshit detector » vient de biper. En général il fait ça quand quelqu’un prétend utiliser ce type d’argument.

              [https://www.academie-sciences.fr/fr/ Ca, c’est assez officiel.]

              C’est un site officiel, mais il n’y a là aucune « liste officielle des sciences ». Donc, je vis bien dans la bonne planète, et vous essayez de dissimuler le fait que la liste en question n’existe tout simplement pas.

              [Et bien que je ne trouve pas explicitement de liste officielle des sciences sur le site de l’académie des sciences, il me semble qu’on peut prendre leur “pédagogie” au pied de la lettre pour déterminer ce qu’on est censé considérer comme science.]

              On est passé donc d’une « liste officielle » à « il me semble ». On progresse…

              [« On peut « arguer » à peu près n’importe quoi. Surtout en utilisant des mots difficiles dont on ne connait pas la signification… ca veut dire quoi « le basculement de la valeur épistémique » ? » Le terme valeur épistémique est assez bien exposé dans ce texte.]

              Oui. Mais dans ce texte, les exemples de ces « valeurs » (au pluriel) sont la vérité, la cohérence logique, la preuve empirique. Pouvez-vous m’expliquer comment la vérité a pu « basculer » ?

              [La médecine, au-delà des valeurs épistémiques caractéristique d’un champ scientifique (comme il est écrit dans l’essai: vérité, cohérence logique, données factuelles) a une valeur fondatrice de ce champ disciplinaire qui est non-épistémique (la santé).]

              Sauf que le but de la médecine n’est pas d’atteindre l’objectivité, et donc selon votre propre définition ce n’est pas une science…

              [Ce ce que j’appelle le basculement de la valeur épistémique de l’objectivité vers la santé.]

              En d’autres termes, il y a pour vous des sciences qui ne recherchent PAS l’objectivité ? A ce point de l’échange, je suis obligé de vous demander de formaliser précisément votre définition, parce que chaque fois que cela vous arrange vous établissez des exceptions…

              [Mais rien n’empêche d’appliquer la méthode scientifique dans ce but précis: la santé.]

              Pardon, mais encore une fois pourquoi parlez-vous de « LA méthode scientifique » comme s’il n’y avait qu’une, alors que vous avez plus haut admis que la science pouvait passer par plusieurs méthodes, rationnelles ou irrationnelles d’ailleurs ? Je pense que vous auriez intérêt à ordonner vos idées…

              [La “vérité” d’un énoncé peut alors prendre un sens différent selon que l’on se place dans telle finalité (objectivité) ou telle autre (santé).]

              En d’autres termes la « vérité » d’un énoncé scientifique est pour vous purement subjective ?

              [Prenons un exemple actuel très polémique. Une discipline objective (l’immunologie) et une discipline visant à la santé (la science des vaccins). Le concept de “sécurité d’un vaccin” peut se concevoir selon un angle objectif (effet d’un vaccin sur un individu), ou sous l’angle de la santé publique (sécurité suffisante en vue d’un but défini de santé publique).]

              Vous jouez ici sur les mots. En désignant deux concepts différents par la même expression, vous donnez l’illusion qu’il pourrait y avoir deux « vérités » différentes. Mais cet état des choses tient à une erreur logique : dans les deux disciplines, la « sécurité d’un vaccin » désigne deux concepts différents.

              [Le public comprend le terme “sécurité d’un vaccin” dans le sens d’une considération relative à l’objectivité. Les autorités de santé le comprenne dans le sens de la santé publique. Il y a une tension entre ces deux sens.]

              Tout ça n’a aucun rapport avec notre échange. La question n’était pas ce que les gens « comprennent », mais ce que les choses sont.

              [En ce sens là, le discours scientifique relève bien de rapport entre groupes sociaux. L’aspect “construction sociale”… Qui résulte de la confusion entre ces deux “valeurs épistémiques” (objectivité et santé).]

              Je ne sais pas ici par où commencer… D’abord il n’y a dans cet exemple aucun « discours scientifique » (car tout discours tenu par un scientifique n’est pas nécessairement un « discours scientifique ». Ensuite, une confusion terminologie n’a rien à voir avec une confusion des « valeurs épistémiques ». Soyez un peu rigoureux…

              [Si on parle de schizophrénie on parle d’”effet des substances”, ou de “santé”?]

              D’effet des substances, indubitablement. Dans ce texte on met « schizophrénie » comme on pourrait dire « rire ». L’article fait le lien entre une cause et un effet, il ne s’interroge pas sur la nature sociale de cet effet.

              [Parce que personne ne nie que le chanvre ait des effets. C’est parfaitement objectif.]

              Ce n’est pas parce que personne ne le nie que quelque chose est « objectif ». Il y a plein de choses que personne ne nie, et qui sont pourtant fausses.

              [Mais le concept de schizophrénie est-il lié à une notion d’objectivité (si oui, comment objectivez-vous ce concept?) ou est-il lié à une notion de santé (auquel cas votre position comme quoi la toxicologie n’est qu’objectivité et pas liée à la notion “utilitaire” de santé tombe à plat).]

              Dans cette question il y a encore un quantité de confusions. D’abord, la schizophrénie a une définition clinique, fondée sur un certain nombre de symptômes objectivement constatables. Vous pouvez dire que cette définition est « arbitraire », comme toute définition, mais elle n’est pas pour autant « subjective ». Ensuite, le « concept » se schizophrénie n’a rien à voir avec la santé. Ce sont les effets de la schizophrénie – le fait qu’elle cause une souffrance – qui la font entrer dans le domaine de la santé.

              [« Mais qui a dit que l’économie est une science ? » Gregory Mankiw, par exemple.]

              Je ne comprends pas. Après m’avoir proposé une définition de « science », vous me proposez un article qui essaye de montrer que l’économie est une science… mais en utilisant une définition qui n’est pas la votre (et qui en pratique rejoint la vision poppérienne…) ! Soyez cohérent… si vous voulez me montrer que l’économie est une science, vous devez utiliser la définition que vous proposez, et pas celle que vous avez rejeté !

              [Le modèle géocentrique prédit que les planètes tournent autour de la Terre comme la Lune le fait de toute évidence. En grande partie, cela relève, à l’époque, d’un argument par analogie entre la Lune et les autres planètes. L’observation des lunes de Jupiter brise l’argument par analogie: si Jupiter a des lunes, et tourne, soit autour du Soleil ou de la Terre, il devient concevable que la Lune ne soit qu’un tel satellite qui tourne autour de la Terre qui elle-même tournerait autour d’autre chose de la même manière que les lunes de Jupiter tournent autour de Jupiter qui tourne autour de quelque chose d’autre (Soleil ou Terre).]

              Pas du tout. L’observation des lunes de Jupiter refute l’idée que TOUS les objets célestes tournent autour de la terre (puisqu’on peut montrer des objets qui tournent autour de quelque chose d’autre). Mais il ne réfute nullement l’idée que Jupiter – ou les autres planètes – tournent autour de la terre. Le fait que Jupiter ait lui-même des satellites n’infirme nullement l’analogie entre Jupiter et la Lune. L’observation des phases de Venus, au contraire, réfute l’idée que Venus pourrait tourner autour de la terre. Mais ne prouve pas – parce qu’en physique aucune observation ne « prouve » une théorie – que Venus tourne autour du soleil.

              [Nous sommes donc fondamentalement en accord avec la première phase. (À moins que vous n’ayez une objection?]

              Oui.

              [« Ensuite, il propose une théorie qui explique ce phénomène, en postulant que vénus tourne autour du soleil. » Euh… non. Ca c’est Copernic qui l’avait proposé cette théorie. Galilée n’a rien eu à avancer du tout. Il avait déjà deux modèles concurrents (géocentrisme et héliocentrisme) au moins. Il n’a pas eu à avancer un modèle.]

              Je n’ai pas dit que Galilée ait inventé cette théorie, je dis qu’il la « propose » (c’est-à-dire, qu’il la considère comme pouvant expliquer les observations qu’il a faites).

              [« Et finalement, il émet l’hypothèse que la terre pourrait se comporter comme Vénus. Mais il ne faut pas confondre une hypothèse et une démonstration. » Bon, bon, bon… Vous dites qu’il a réfuté le modèle géocentrique, et qu’il a laissé en concurrence le modèle héliocentrique et le modèle géo-héliocentrique. Et vous dites que Galilée s’est alors contenté de proposer une hypothèse géocentrique et s’est refuser à toute conclusion hâtive? C’est à vérifier.]

              Il n’y a rien à « vérifier ». C’est une question logique : Galilée ne pouvait pas « démontrer » que l’hypothèse qu’il avait retenue était vraie. Tout ce qu’il pouvait montrer, c’est que cette théorie était conforme aux faits connus, et qu’à ce titre elle bénéficiait d’une présomption de vérité, mais rien de plus. Encore une fois, en matière scientifique on peut démontrer qu’une théorie est fausse, mais on ne peut jamais démontrer qu’elle est vraie.

              [Pour résumer: (1) le dogmatisme social de l’époque mettait ses oeufs dans le panier du égocentrisme. (2) Si Galilée ne s’était appuyer que sur les données, il aurait dû pencher pour le géo-héliocentrisme. (3) Si Galilée a penché pour l’héliocentrisme, c’était par idéologie ou aveuglement (improbable).]

              NON ! Galilée avait déjà des données qui réfutaient le géo-héliocentrisme. Il avait en particulier connaissance des travaux de Kepler.

            • F68.10 dit :

              [Vous voulez dire que si la société avait été différente, le soleil aurait tourné autour de la terre ?]

              Non. Seulement que le jugement par analogie entre la Terre et Vénus (que vous rejetez) pouvait ne pas être le même. Le modèle géocentrique aurait été rejeté, mais la société aurait pu penché vers un modèle héliocentrique ou géo-héliocentrique (vous avez mentionné que Galilée pouvait rejeter le modèle géo-héliocentrique à partir de Kepler, ce qu’il faudrait que je vérifie).

              La Terre aurait continué à tourner autour du Soleil. Mais la société aurait pu mettre encore un siècle pour sortir du modèle géo-héliocentrique avec un Robert Hooke.

              [Je pense que vous faites une énorme confusion entre ce qui est vrai, ce qui est scientifique et ce qui est une « construction sociale ».]

              Je fais une différence claire entre ce qui est vrai et ce que la science affirme. Et ce décalage entre ce qui est vrai et ce qu’on peut savoir (ce qui à ma connaissance remonte à Xénophon, à vérifier) peut être dû à des sources d’erreurs qui se situe dans la nature, dans la mauvaise application de le méthode scientifique, et dans des biais d’origine sociale.

              [Le fait qu’un énoncé soit scientifique n’implique nullement qu’il soit vrai.]

              Entièrement d’accord. Je suis un peu vexé que vous semblez nécessaire de le préciser. J’imaginais que nous n’en étions tout de même pas là.

              [Seulement qu’il est soumis à la possibilité d’être réfuté par l’expérience.]

              Ce n’est pas toujours techniquement possible. Il faut bien trouver des moyens scientifiques de se prononcer sur ce qui n’est pas présenté sous forme d’hypothèses réfutables.

              Mais sinon, oui.

              [L’affirmation « la terre tourne autour du soleil » et l’affirmation « le soleil tourne autour de la terre » sont toutes deux « scientifiques » aussi longtemps qu’ils n’ont pas été refutés.]

              Ce sont deux hypothèses. Tant que l’expérience ne tranche pas, l’une est vraie et l’autre est fausse, mais on ne peut pas dire laquelle (à moins de spéculer le plus rationnellement possible, mais c’est casse-gueule).

              [L’hypothèse de Galilée comme quoi la terre tourne autour du soleil par analogie avec venus n’est qu’une hypothèse.]

              Mais elle n’était pas réfutable par l’expérience à cette époque. Donc non-scientifique au sens de Popper.

              [C’est un énoncé scientifique dès lors qu’il est soumis à réfutation.]

              Donc la question de l’analogie entre la Terre et Vénus ne pouvait pas être considéré comme relevant d’un énoncé scientifique, selon vos termes.

              [Mais la « résolution de cette question » n’est pas sociale.]

              Elle n’était pas réfutable. Donc pas accessible par la science au sens où vous l’entendez. Elle ne pouvait l’être que par la raison, et la question de la discussion de la validité de l’analogie. Et dans cette discussion se sont nichées des considérations d’origines sociales (et Galilée a trancher seul contre la société).

              [Si une expérience venait à réfuter l’hypothèse, elle serait fausse quoi que la « société » en dise.]

              Tout à fait. Mais à l’époque, il n’y avait pas d’expérience disponible.

              [L’interprétation de Copenhague n’est pas un énoncé scientifique, puisqu’il est par essence impossible à réfuter. C’est une question philosophique. C’est bien une construction sociale, mais pas un énoncé scientifique.]

              Ah! Ben nous y sommes! Exactement comme l’analogie entre la Terre et Vénus.

              À l’heure actuelle, ce n’est pas réfutable.

              Mais… il y a trois théories en concurrence. Elles font toutes trois des prédictions différentes, sur deux points, entre autres. On peut les différencier selon qu’on arrive à trancher en faveur ou contre l’existence du phénomène de déshérence. On peut aussi les trancher selon qu’on arrive à prouver que la physique brise ou pas le déterminisme (pour faire simple).

              Donc il y a tout de même des critères par lesquelles ont pourrait les réfuter. Mais ce n’est pas encore accessible techniquement (probablement encore moins que pour la théorie des cordes).

              Le fait que vous considériez ces interprétations philosophiques et non pas scientifiques repose sur un situation sociale.

              C’est encore plus clair pour la théorie des cordes, qui je crois est testable à condition de faire un accélérateur de particule de la taille de l’orbite de Neptune. “Réfutable” en un sens assez généreux du terme…

              [Eh bien, c’est la définition même de « construction sociale ».]

              La structure des énoncés scientifiques est en effet contingent de contraintes sociales.

              Les lois scientifiques ne le sont pas. (Même si dès qu’on touche à la médecine, cela devient un peu plus subtil… les résultats, ou lois, de l’EBM – la médecine basée sur des preuves – sont quand même dépendants de pas mal de choses socialement construites: par exemple l’état global de l’infrastructure médicale et hospitalière dans un pays.)

              [Je n’accepte jamais l’argument d’autorité.]

              Les énoncés auto-référentiels sont rarement véritablement contradictoires. Je vous avez cité le paradoxe de Richard sur ce fil. C’est l’exemple type d’un énoncé auto-référentiel.

              https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Richard

              “Le plus souvent, on résout ce paradoxe en distinguant deux niveaux de langage, celui de la théorie que l’on décrit, appelé parfois langage objet, et le langage, le plus souvent non formalisé, que l’on utilise pour décrire cette théorie, le métalangage.”

              Voilà un exemple de résolution de tel énoncé qui semble paradoxalement autoréférentiel.

              “Il n’y a pas de vérité universelle” est clairement faux. Faites l’exercice: ne dites rien… Voilà, vous avez prononcé une vérité universelle. Vide de sens, certes, mais absolument vraie.

              “l’histoire nous enseigne qu’on ne peut rien apprendre de l’histoire”. Trop métaphorique à mon goût, mais cela prend position sur la capacité d’un système cognitif a avoir une représentation adéquate de son passé et une représentation adéquate de ses probables futurs. Je ne vois aucun réel paradoxe, si ce n’est une assertion non-prouvée.

              [En d’autres termes, il y a des « constructions sociales » indépendantes de la société qui les construit ?]

              Les énoncés sont des constructions sociales qui peuvent prendre position sur des lois universelles. Et se tromper ou tomber juste par inadvertance, selon de multiples biais, y compris sociaux.

              [Maintenant, des sociétés peuvent complètement se planter sur des sujets fondamentalement universels. Un exemple en est le concept du hasard. C’est un concept complètement universel. Mais avant que Kolmogorov commence à démêler la pelote de laine, on était complètement dans le noir. Et je pense qu’il y a encore des cultures sociales, dans lequel ce genre de choses n’est pas admis.]

              [C’est quoi un « sujet fondamentalement universel » et « un concept complètement universel » ?]

              Il me paraît assez peu discutable que la nature du hasard est en soi un sujet/concept parfaitement universel. Vous le contestez?

              [Vous savez, ce n’est pas parce que vous mélangez Kolmogorov à ce salmigondis que cela rend la chose plus claire…]

              Peut-être pas plus clair, mais si je prends des exemples, il faut bien que je les prenne quelque part.

              https://en.wikipedia.org/wiki/Kolmogorov_complexity#Kolmogorov_randomness

              La quantification du hasard et de la régularité a été défini/découvert à ce moment là par Kolmogorov.

              Socialement, je ne pense pas que soit universellement accepté comme caractérisation du hasard et de la régularité.

              Culturellement, je ne pense pas que ce soit universellement partagé comme conception du hasard et de la régularité. Pourtant, la méthode scientifique (et vous allez probablement le nier) a justement pour but d’identifier le hasard et la régularité dans chacune des observations faites.

              Et si la complexité de Kolmogorov est une construction sociale, la méthode scientifique aussi l’est ipso facto.

              [Et par ailleurs, je me demande quelles sont les « cultures sociales » ou le hasard ne serait pas « admis »…]

              Je parlais non pas du hasard au sens strict mais de l’énoncé affirmant que la complexité de Kolmogorov est une mesure du hasard et de la régularité.

              Prenez n’importe quel scientifique que vous croisez dans vos activités sociales. Demandez lui quel est sa caractérisation du hasard. Vous verrez.

              Mais le plus simple, c’est de prendre vous et moi. Moi, j’adhère aux implications de la complexité de Kolmogorov telles que décrite dans ce papier:

              https://www.researchgate.net/publication/311486382_Kolmogorov_Randomness_Complexity_and_the_Laws_of_Nature

              Vu les positions que vous avez tenu jusqu’ici, il m’est quasiment certain que vous ne pouvez que rejeter le résumé de ce papier.

              C’est bien parce que la complexité de Kolmogorov n’est pas universellement admise que la conception même de la méthode scientifique ne l’est pas non plus.

              [Mais la science dépend-t-elle de ce que la réalité en dit ? Parce que si la science reflète – ne serait-ce qu’imparfaitement la réalité, alors elle n’est pas une « construction sociale »…]

              La science reflète effectivement chaque donnée résultante de chaque observation qu’elle a pu faire au cours de son histoire. Donc, bien sûr, la science dépend de ces observations et donc de la réalité.

              Il n’empêche qu’il y a une composante sociale dans l’histoire de la science, la façon dont les expériences sont choisies, qui les effectue, l’établissement des niveaux de preuve nécessaires à l’acceptation d’une hypothèse, la construction même des cadres de pensé philosophique permettant de ne serait-ce que seulement proposer une hypothèse. Et ceterae.

              [Tout à fait. Et j’ajoute que vous êtes d’accord avec moi, puisque vous avez déclaré plus haut que l’astrologie était « historiquement » une science.]

              Elle a perdu ce statut. À raison. Elle le fut. Elle ne l’est plus.

              Ce n’est pas le cas de la sociologie.

              [Par ailleurs, pouvez-vous me donner un exemple de théorie sociologique qui soit soumise à une réfutation ?]

              Je trouve que c’est de la sociologie. Peut-être pas vous. Mais ce papier, c’est effectivement du poppérien malgré tout:

              http://www.law.harvard.edu/faculty/mstephenson/2015PDFs/Publications/Stephenson%20-%20Corruption%20and%20Democratic%20Institutions.pdf

              Ca, c’est vraiment de la sociologie expérimentale.

              https://www.pnas.org/content/pnas/early/2017/09/11/1706255114.full.pdf

              [Soyez sérieux : si vous reconnaissez le statut de « science » à l’astrologie et à la sociologie, vous aurez du mal à la refuser à la psychanalyse.]

              L’astrologie n’a plus de statut scientifique à l’heure actuelle. La sociologie l’a, comme montré par le dernier papier que j’ai mis en lien. La psychanalyse ne peut l’avoir que dans des cas très restreints (et qui ne ressemblent plus du tout à la psychanalyse) que je ne voit en tout cas pas en France.

              Par exemple, ce type de bonhomme:

              http://westminsterextra.com/article/childrens-brains-hijacked-by-phones-and-apps-warns-leading-psychotherapist

              Citation 1: “You can actually predict Facebook use in a child by looking at a brain scan”

              Citation 2: “Dr Music, whose description as the world’s most deep-thinking psychotherapist came from the Anna Freud Centre’s chief executive”

              Je vais me taire pour rester poli.

              [Pardon, mais beaucoup de gens le « nient ». Feyerabend, pour n’en donner qu’un exemple.]

              Je ne connais pas bien Feyerabend. Je viens de lire sa page Wikipedia. Je n’y vois pas cette position. Vous auriez des références plus précises?

              [Et plus près de nous, vous trouverez pas mal de partisans de la « théorie du genre » qui vous expliqueront que le genre n’est pas une réalité objective hors de notre contrôle, mais au contraire un choix de chaque individu…]

              Dans l’ensemble, ils ont plutôt tendance à dire justement l’inverse il me semble. Que le fait qu’on soit homo (et donc d’un genre différent du sexe) est une donnée de la nature et non pas un choix. Même pour les transsexuels, il y en a quand même pas mal qui le vivent comme une donnée extérieure et pas un choix.

              Maintenant, il y a un discours un peu différent qui défend le “choix” de s’identifier trans ou je sais pas quoi. Mais ce n’est pas vraiment une question de donnée extérieure objective à soi, mais plutôt une question de nature épistémologique (bizarrement).

              L’argument typique se trouve ici `4:19 et plus précisément à 10:59:

              [Peut-être parce que vous vous contentez de répéter votre affirmation sans chercher à comprendre ce que dit votre interlocuteur.]

              Je n’ai pas l’impression de faire cela.

              [Si vous admettez qu’on puisse « construire socialement un énoncé portant sur les lois de la gravitation », alors vous admettez que dans deux cultures différentes on puisse construire deux énoncés différents – sur le fond, non sur la forme, bien entendu – qui aboutissent donc à des conclusions différentes.]

              Oui. On peut parfaitement se tromper.

              [Que se passe-t-il lorsqu’on les confronte à l’expérience ? Si les deux énoncés aboutissent à des conclusions différentes, l’un au moins sera réfuté par l’expérience et cessera donc d’être « scientifique ».]

              Une culture peut parfaitement se tromper sur la nature même de la méthode scientifique. À partir de là, il n’y a aucune raison qu’une réfutation par l’expérience soit considérée comme telle.

              Sur le coup, Feyerabend (avec qui j’ai pas mal de désaccords de ce que j’en ai lu) me semble être dans le vrai quand il discute de la question de est-ce que la Terre tourne sur elle-même.

              Wikipedia: “Feyerabend was critical of any guideline that aimed to judge the quality of scientific theories by comparing them to known facts. He thought that previous theory might influence natural interpretations of observed phenomena. Scientists necessarily make implicit assumptions when comparing scientific theories to facts that they observe. Such assumptions need to be changed in order to make the new theory compatible with observations. The main example of the influence of natural interpretations that Feyerabend provided was the tower argument. The tower argument was one of the main objections against the theory of a moving earth. Aristotelians assumed that the fact that a stone which is dropped from a tower lands directly beneath it shows that the earth is stationary. They thought that, if the earth moved while the stone was falling, the stone would have been “left behind”. Objects would fall diagonally instead of vertically. Since this does not happen, Aristotelians thought that it was evident that the earth did not move. If one uses ancient theories of impulse and relative motion, the Copernican theory indeed appears to be falsified by the fact that objects fall vertically on earth. This observation required a new interpretation to make it compatible with Copernican theory. Galileo was able to make such a change about the nature of impulse and relative motion. Before such theories were articulated, Galileo had to make use of ad hoc methods and proceed counterinductively.”

              Et ce n’est pas qu’une question théorique. On y est encore (ce qui est assez effrayant…):

              https://www.youtube.com/watch?v=RqGt0YV1AMQ

              (Et on oublie que ce n’est pas vraiment Galileo qui est venu avec le cadre théorique adéquat pour prouver “la Terre tourne sur elle-même” mais plutôt Giordano Bruno).

              [La seule possibilité de voir coexister deux énoncés scientifiques, c’est d’imaginer que les lois physiques soient différentes…]

              Non. Feyerabend explique les cadres interprétatifs précédents permettent de ne pas percevoir qu’une réfutation est effectivement une réfutation.

              [(1) est rationnel. (2) est irrationnel.”
              Je dirais plutôt que (1) est trivial (et ne veut au fond pas dire grande chose).]

              (1) n’est pas trivial. Quand le contexte culturel empêche les hypothèses concurrentes à un savoir établi d’émerger, ce n’est absolument pas une mince affaire. Dans le domaine de la psychologie scientifique et de la psychologie clinique, le problème est massif, et les conséquences sont concrètes et impactent énormément de gens.

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [La Terre aurait continué à tourner autour du Soleil. Mais la société aurait pu mettre encore un siècle pour sortir du modèle géo-héliocentrique avec un Robert Hooke.]

              Donc, vous rejetez l’idée de base du post-modernisme, à savoir, que toutes les descriptions de la réalité n’étant que des constructions sociales, elles se valent toutes, ce qui revient à nier l’existence d’une réalité objective derrière la description. Si je suis votre raisonnement, les descriptions héliocentriques et les descriptions géocentriques ne se valent pas : l’une reflète une réalité objective, l’autre est une construction sociale.

              [« Seulement qu’il est soumis à la possibilité d’être réfuté par l’expérience. » Ce n’est pas toujours techniquement possible. Il faut bien trouver des moyens scientifiques de se prononcer sur ce qui n’est pas présenté sous forme d’hypothèses réfutables.]

              Il n’est pas toujours techniquement possible de réaliser l’expérience qui réfuterait une théorie, mais une théorie n’est scientifique que si cette expérience est imaginable. Il n’est pas possible d’imaginer une expérience qui permettrait de réfuter l’affirmation « dieu a créé le ciel et la terre en sept jours ». Et c’est pour cela que cette affirmation n’est pas « scientifique », indépendamment du fait de savoir si elle est vraie ou pas.

              [« L’hypothèse de Galilée comme quoi la terre tourne autour du soleil par analogie avec venus n’est qu’une hypothèse. » Mais elle n’était pas réfutable par l’expérience à cette époque. Donc non-scientifique au sens de Popper.]

              Non. La réfutabilité au sens de Popper n’implique pas qu’on puisse EFFECTIVEMENT réaliser une expérience susceptible de réfuter une théorie, mais que cette expérience soit CONCEVABLE. L’hypothèse de Galilée était donc scientifique parce qu’il est possible d’imaginer une expérience qui la réfuterait.

              [« L’interprétation de Copenhague n’est pas un énoncé scientifique, puisqu’il est par essence impossible à réfuter. C’est une question philosophique. C’est bien une construction sociale, mais pas un énoncé scientifique. » Ah! Ben nous y sommes! Exactement comme l’analogie entre la Terre et Vénus. À l’heure actuelle, ce n’est pas réfutable.]

              Ni à l’heure actuelle, ni à aucune autre. Je pense que vous ne comprenez pas le sens de la réfutabilité au sens poppérien. Popper ne demande pas l’existence d’une expérience REALISABLE. Une expérience même IMAGINAIRE suffit. Ce que Popper mettait en évidence, c’est qu’il y a des énoncés qui ne peuvent être réfutés PAR CONSTRUCTION. L’énoncé « le père, le fils et le saint esprit sont un et trois à la fois » est irréfutable, non pas « à l’heure actuelle », mais à toute heure. La réfutabilité d’un énoncé n’est pas une question historique, est une question de la structure même de l’énoncé.

              L’interprétation de Copenhague est une question philosophique, et non scientifique, précisément parce qu’elle touche non pas la structure du monde, mais le sens qu’on lui donne. L’analogie entre la Terre et Venus est une hypothèse sur la réalité des choses, que l’expérience – même si cette expérience était irréalisable à l’époque – peut réfuter.

              [On peut aussi les trancher selon qu’on arrive à prouver que la physique brise ou pas le déterminisme (pour faire simple).]

              Le déterminisme fait partie des postulats fondamentaux de l’ensemble de l’activité scientifique. Sans déterminisme, il n’y a aucune garantie que la même expérience répétée dans les mêmes conditions donne les mêmes résultats, et l’idée même de science s’effondre. Un modèle peut donc ne pas être déterministe (c’est le cas de la mécanique quantique) mais supposer que ce non-déterminisme reflète un non-déterminisme du réel implique qu’on arrête la science.

              [Donc il y a tout de même des critères par lesquelles ont pourrait les réfuter. Mais ce n’est pas encore accessible techniquement (probablement encore moins que pour la théorie des cordes).]

              Ni techniquement, ni autrement. Pourriez-vous me décrire une expérience imaginaire qui permettrait de réfuter l’interprétation de Copenhague ?

              [Le fait que vous considériez ces interprétations philosophiques et non pas scientifiques repose sur une situation sociale.]

              Pas du tout : elle repose sur la structure même de ces « interprétations », qui les rend immunes à toute réfutation.

              [C’est encore plus clair pour la théorie des cordes, qui je crois est testable à condition de faire un accélérateur de particule de la taille de l’orbite de Neptune. “Réfutable” en un sens assez généreux du terme…]

              Dans la sens stricte du terme, au contraire. Une fois encore : la réfutabilité est contenue dans la structure de l’énoncé, et non dans la technique disponible pour la réaliser effectivement. On peut supposer que, étant donné les moyens techniques nécessaires, la théorie des cordes ne sera jamais réfutée, mais cela ne la rend pas moins scientifique pour autant. Ce n’est d’ailleurs pas trop grave : une théorie dont les prédictions ne seront jamais testables par l’expérience n’a pas vraiment de conséquences sur le réel.

              [« Eh bien, c’est la définition même de « construction sociale ». » La structure des énoncés scientifiques est en effet contingent de contraintes sociales. Les lois scientifiques ne le sont pas.]

              Quelle est pour vous la différence entre une « loi » et un « énoncé » ?

              [“Il n’y a pas de vérité universelle” est clairement faux. Faites l’exercice: ne dites rien… Voilà, vous avez prononcé une vérité universelle. Vide de sens, certes, mais absolument vraie.]

              Comment aurais-je pu « prononcer » si je n’ai rien dit ? Vous continuez à jouer sur les mots, mais vous voyez bien que les paradoxes que vous citez tiennent aux imperfections du langage, et non à un véritable défaut de compréhension de la réalité. En termes formels, vous faites ici de l’ensemble vide un ensemble, alors que cet ensemble n’existe pas, c’est une simple commodité de langage.

              [« En d’autres termes, il y a des « constructions sociales » indépendantes de la société qui les construit ? » Les énoncés sont des constructions sociales qui peuvent prendre position sur des lois universelles. Et se tromper ou tomber juste par inadvertance, selon de multiples biais, y compris sociaux.]

              Vous ne répondez pas à la question.

              [Il me paraît assez peu discutable que la nature du hasard est en soi un sujet/concept parfaitement universel. Vous le contestez?]

              Avant de contester, j’aimerais comprendre ce qu’est un « sujet/concept parfaitement universel ». Y aurait-il des « concepts imparfaitement universels » ? J’ajoute que vous changez ici les termes de la question. Elle portait sur les expressions « sujet fondamentalement universel » et « concept complètement universel ». Ce qui laissait imaginer des « sujets conjoncturellement universels » ou des « concepts incomplètement universels ».

              Non, la « nature du hasard » n’est pas un concept universel, ni parfaitement, ni autrement. Pour beaucoup de civilisations, le hasard n’existe pas et tout ce qui semble provenir du hasard est en fait l’œuvre de volontés surnaturelles. C’est d’ailleurs l’attitude la plus « naturelle », comme le montrent les superstitions qui entourent les jeux de hasard. On ne s’est débarrassé de Dame Fortune que très tard, et pas tout à fait complètement.

              [La quantification du hasard et de la régularité a été défini/découvert à ce moment-là par Kolmogorov.]

              Kolmogorov n’a fait qu’axiomatiser la théorie des probabilités, c’est-à-dire, il a donné une cohérence et une rigueur à un ensemble de résultats préexistants.

              [Socialement, je ne pense pas que soit universellement accepté comme caractérisation du hasard et de la régularité.]

              Que vient faire ici ce « socialement » ? Que la société n’accepte pas les théories de Darwin ne change rien à leur caractère scientifique ou à leur véracité.

              [Culturellement, je ne pense pas que ce soit universellement partagé comme conception du hasard et de la régularité. Pourtant, la méthode scientifique (et vous allez probablement le nier) a justement pour but d’identifier le hasard et la régularité dans chacune des observations faites.]

              Je vais le nier parce que c’est une absurdité. La méthode scientifique ne vise nullement à « identifier le hasard et la régularité dans chacune des observations faites ». Elle vise à établir des lois générales à partir d’observations.

              [Et si la complexité de Kolmogorov est une construction sociale, la méthode scientifique aussi l’est ipso facto.]

              La méthode scientifique est certainement une « construction sociale » (au sens que c’est bien un choix social de considérer que la « vérité » sort d’une démarche de confrontation avec l’expérience plutôt que l’exégèse d’un texte sacré, par exemple). Mais une fois la méthode adoptée, les lois qu’elle produit NE SONT PAS DES CONSTRUCTIONS SOCIALES. En effet, une loi qui dirait que les masses se repoussent au lieu de s’attirer serait réfutée par l’expérience, et cela quel que soit la société qu’on considère. Pour le dire autrement, le choix de la méthode est un choix social, le choix des conclusions de la méthode ne l’est pas.

              [C’est bien parce que la complexité de Kolmogorov n’est pas universellement admise que la conception même de la méthode scientifique ne l’est pas non plus.]

              Je ne comprends rien à votre argument. La complexité dont parle Kolmogorov est un concept avant tout mathématique, et les mathématiques ne sont pas au sens poppérien une science. Ensuite, je ne comprends pas très bien comment une théorie mathématique pourrait ne pas être « universellement admise ». C’est comme si vous me disiez que le théorème de Pythagore n’est pas « universellement admis ». Une théorie mathématique est une construction logique, et par conséquent universelle par essence, qu’elle soit « admise » ou pas. Dans un espace euclidien, la somme des carrés des côtés d’un triangle rectangle est égale au carré de l’hypoténuse, et cela est vrai ici, en Chine et sur Mars.

              [Il n’empêche qu’il y a une composante sociale dans l’histoire de la science, la façon dont les expériences sont choisies, qui les effectue, l’établissement des niveaux de preuve nécessaires à l’acceptation d’une hypothèse, la construction même des cadres de pensé philosophique permettant de ne serait-ce que seulement proposer une hypothèse. Et ceterae.]

              Encore une fois, il faut être rigoureux. La question ici n’est pas de savoir si la manière dont les scientifiques travaillent est construite socialement, mais si les LOIS SCIENTIFIQUES sont des constructions sociales. Ce n’est pas du tout la même chose. Ce que les postmodernes soutiennent, ce n’est pas que la manière de travailler dans les laboratoires dépende de la société qui les entoure, mais que les lois scientifiques qui y sont élaborées en dépendent. En d’autres termes, ils contestent à la méthode scientifique la capacité de dégager des vérités universelles, détachées du contexte social dans lequel elles sont produites. Ainsi, par exemple, ils soutiennent qu’un laboratoire ou ne travailleraient que des femmes pourrait produire une « physique féministe » dont les lois seraient différentes de la « physique masculine » à laquelle nous sommes habitués. Voire à ce propos le papier de B.L. Whitten « “(Baby) Steps Toward Feminist Physics”.

              [« Tout à fait. Et j’ajoute que vous êtes d’accord avec moi, puisque vous avez déclaré plus haut que l’astrologie était « historiquement » une science. » Elle a perdu ce statut. À raison. Elle le fut. Elle ne l’est plus.]

              Mais elle l’a été ? A quel moment diriez-vous que l’astrologie était une « science » ?

              J’ai du mal à voir ce que vous appelez une « science ». Ce n’est de toute évidence pas pour vous une question de méthode, puisque dans le cas contraire une pratique ne pourrait pas être « scientifique » à un moment donné de l’histoire et pas à un autre. Alors c’est quoi, exactement ? L’oracle de Delphes était-il à son époque « scientifique » dans ses prédictions ? Les aruspices aussi ? Pourquoi serait-il plus « scientifique » de chercher à prédire l’avenir en regardant les astres que le marc de café ou les entrailles des oiseaux ?

              [« Par ailleurs, pouvez-vous me donner un exemple de théorie sociologique qui soit soumise à une réfutation ? » Je trouve que c’est de la sociologie. Peut-être pas vous. Mais ce papier, c’est effectivement du poppérien malgré tout: (…)]

              Sauf que l’auteur même de l’article semble penser le contraire. En commençant son papier il pose la question suivante : « Est-ce que les élections démocratiques aident à réduire la corruption ? Beaucoup de réformateurs – qu’ils soient des militants anti-corruption ou qu’ils cherchent à promouvoir la démocratie – espèrent et croient que la réponse est positive. Est-ce que les observations vont dans ce sens ? ». Imaginons un instant que la réponse soit négative, que les observations « n’aillent pas dans ce sens ». Est-ce que cela infirmerait la théorie ? Non, semble penser l’auteur. La question n’est pas tant si l’énonce est faux ou vrai, si l’expérience réfute ou non l’hypothèse, mais si les observations vont dans ce sens. Comme si l’affirmation pouvait rester vraie alors même que ce ne serait pas le cas.

              [« Soyez sérieux : si vous reconnaissez le statut de « science » à l’astrologie et à la sociologie, vous aurez du mal à la refuser à la psychanalyse. » L’astrologie n’a plus de statut scientifique à l’heure actuelle. La sociologie l’a, comme montré par le dernier papier que j’ai mis en lien. La psychanalyse ne peut l’avoir que dans des cas très restreints (et qui ne ressemblent plus du tout à la psychanalyse) que je ne vois en tout cas pas en France.]

              Encore une fois, si vous reconnaissez à la sociologie le statut de « science », vous ne pouvez pas le refuser à la psychanalyse. Les thèses sociologiques ne sont pas plus « réfutables » par l’expérience que les thèses psychanalytiques. Quant à l’astrologie, je vous ai montré abondamment pourquoi cette idée qu’une pratique puisse être « scientifique » ou non selon les époques est une absurdité.

              [Par exemple, ce type de bonhomme: Citation 1: “You can actually predict Facebook use in a child by looking at a brain scan” Citation 2: “Dr Music, whose description as the world’s most deep-thinking psychotherapist came from the Anna Freud Centre’s chief executive”]

              Je ne saisis pas le rapport avec la psychanalyse. Et si vous cherchez des affirmations absurdes, vous en trouverez certainement dans la bouche de sociologues sans aucune difficulté.

              [« Pardon, mais beaucoup de gens le « nient ». Feyerabend, pour n’en donner qu’un exemple. » Je ne connais pas bien Feyerabend. Je viens de lire sa page Wikipedia. Je n’y vois pas cette position. Vous auriez des références plus précises?]

              Vous devriez lire « Contre la méthode »…

              [« Et plus près de nous, vous trouverez pas mal de partisans de la « théorie du genre » qui vous expliqueront que le genre n’est pas une réalité objective hors de notre contrôle, mais au contraire un choix de chaque individu… » Dans l’ensemble, ils ont plutôt tendance à dire justement l’inverse il me semble. Que le fait qu’on soit homo (et donc d’un genre différent du sexe) est une donnée de la nature et non pas un choix. Même pour les transsexuels, il y en a quand même pas mal qui le vivent comme une donnée extérieure et pas un choix.]

              « Homo » est une préférence sexuelle, pas un « genre ». Pour les partisans de la théorie du genre, le fait d’être masculin ou féminin n’est pas dicté par la nature, mais par la société. Il est parfaitement possible d’être « féminin » tout en ayant des organes masculins, et vice-versa. Certains pays, suivant cette théorie, permettent à une personne d’inscrire dans leur état civil le « genre » de leur choix.

              [« Que se passe-t-il lorsqu’on les confronte à l’expérience ? Si les deux énoncés aboutissent à des conclusions différentes, l’un au moins sera réfuté par l’expérience et cessera donc d’être « scientifique » » Une culture peut parfaitement se tromper sur la nature même de la méthode scientifique. À partir de là, il n’y a aucune raison qu’une réfutation par l’expérience soit considérée comme telle.]

              La méthode scientifique est une et une seule : c’est celle qui a été construite par Descartes. Une culture ne peut pas « se tromper sur la nature même de la méthode scientifique ». Tout au plus elle peut appeler « scientifique » quelque chose qui ne l’est pas.

              Je viens de comprendre que vous êtes nominaliste. Pour vous, c’est le mot qui importe, et non la chose. Si une culture décide d’appeler « scientifique » tout ce qui concerne le chant et la danse, alors l’opéra et le ballet pourront être considérées comme des activités scientifiques. Dans ce contexte, vous avez raison : effectivement, deux théories « scientifiques » contradictoires peuvent parfaitement être vraies à la fois, il suffit que la culture en question donne au terme « scientifique » un sens qui le permette.

              [Sur le coup, Feyerabend (avec qui j’ai pas mal de désaccords de ce que j’en ai lu) me semble être dans le vrai quand il discute de la question est-ce que la Terre tourne sur elle-même.]

              Je ne vois pas très bien en quoi en quoi le paragraphe que vous citez donnerait raison à Feyerabend. Le raisonnement aristotélicien postule – sans aucune démonstration – que « si la terre bougeait, la pierre lancée d’une tour devrait tomber en diagonale et non pas verticalement ». Mais ce postulat est faux : si vous laissez tomber un objet dans un TGV, il tombe verticalement, et pas diagonalement. Et cette expérience pouvait être réalisée dans un chariot du temps d’Aristote. L’exemple proposé par Feyerabend montre que dès lors qu’on accepte une prémisse cachée fausse, une expérience peut sembler réfuter une loi vraie. Mais cela est une évidence.

              [« La seule possibilité de voir coexister deux énoncés scientifiques, c’est d’imaginer que les lois physiques soient différentes… » Non. Feyerabend explique les cadres interprétatifs précédents permettent de ne pas percevoir qu’une réfutation est effectivement une réfutation.]

              En d’autres termes, que la seule possibilité de voir coexister deus énoncés scientifiques contradictoires est une erreur de méthode. Mais dans ce cas, sa théorie est une banalité. Si l’appareil de mesure est mal calibré, une expérience peut donner l’impression de confirmer une théorie alors qu’elle la réfute. Mais on n’est pas là dans un obstacle méthodologique, mais dans le domaine de l’accident. Rejeter la méthode scientifique au prétexte qu’un instrument peut être mal calibré est absurde. L’objection de Feyerabend va bien plus loin que ça.

              [(1) n’est pas trivial. Quand le contexte culturel empêche les hypothèses concurrentes à un savoir établi d’émerger, ce n’est absolument pas une mince affaire.]

              C’est trivial quand même – « trivial » veut dire que cela ne demande pas une démonstration, que c’est une évidence.

            • BJ dit :

              @ Ian Brossage et ses commentateurs

              Sur le sujet de science et relativisme, cette conférence d’Étienne Klein :

            • Ian Brossage dit :

              @BJ

              Merci pour le lien !

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Personnellement, j’en reste à l’argument de Sokal : quiconque pense que les lois de la gravitation sont une « construction sociale » ne devrait pas craindre de sauter par la fenêtre du vingtième étage.

              Pardon, mais l’argument me semble bien faible. On n’a pas attendu la science pour savoir qu’il est fort dangereux de sauter du vingtième étage. La science a permis d’*expliquer* ce qui produit l’attraction terrestre et selon quelle loi mathématique évolue la vitesse d’un corps en chute libre. Ce n’est pas elle qui nous a fait *découvrir* qu’on pouvait se faire mal en sautant de haut.

              Bref, affirmer que les *lois* de la gravitation (en tant qu’énoncé) sont une construction sociale n’infirme pas l’existence de l’attraction terrestre, et la simple observation qu’il est hasardeux de tenter de s’y dérober.

              In fine, le problème ne me semble pas être tant d’affirmer que la science est une construction sociale (par définition, en tant qu’activité humaine collective, il est difficile de prétendre qu’elle ne serait pas une construction d’origine sociale). Le problème est les conséquences que certains prétendent en tirer. Ce n’est pas parce que la science est une construction sociale qu’elle est incapable d’énoncés rigoureux permettant d’expliquer le réel. C’est là, AMHA, que pêchent Latour et compagnie, en s’imaginant que parce que des discours sont situés socialement ils se valent tous dans leur valeur explicative.

              Et si certains pensent que le réel n’existe pas, c’est un autre problème et on peut se demander quel but ils peuvent bien donner à leur existence sans sombrer dans l’absurdité…

            • Descartes dit :

              @ Jean-François

              [« Personnellement, j’en reste à l’argument de Sokal : quiconque pense que les lois de la gravitation sont une « construction sociale » ne devrait pas craindre de sauter par la fenêtre du vingtième étage. » Pardon, mais l’argument me semble bien faible. On n’a pas attendu la science pour savoir qu’il est fort dangereux de sauter du vingtième étage.]

              Non, mais on a attendu la science pour savoir que ce danger était UNIVERSEL. Auparavant, certains croyaient qu’en prenant certaines herbes, qu’en prononçant certains mots, qu’en portant certains objets il était parfaitement possible de sauter par la fenêtre et d’arriver en bas en parfaite condition. C’est la science qui a brisé cette illusion, qui a montré que TOUT homme qui saute par la fenêtre s’écrase en bas, sans exceptions.

              L’argument de Sokal tient : si les énoncés scientifiques (et non « la science » en général) sont des « constructions sociales », alors ils devraient pouvoir être différents dans des sociétés différentes. En d’autres termes, il se pourrait que dans une société donnée un énoncé scientifique – c’est-à-dire soumis à la réfutation de l’expérience – admette qu’on peut sauter du vingtième étage et ne pas s’écraser en bas. Ce qui est, de toute évidence, contradictoire.

              [La science a permis d’*expliquer* ce qui produit l’attraction terrestre et selon quelle loi mathématique évolue la vitesse d’un corps en chute libre. Ce n’est pas elle qui nous a fait *découvrir* qu’on pouvait se faire mal en sautant de haut.]

              Avant la science, on savait qu’on POUVAIT se faire mal en sautant de haut. Après, on sait que cela est INEVITABLE. En d’autres termes, qu’il n’y a pas d’exceptions aux lois physiques, que cellles-ci sont UNIVERSELLES. Ce n’est pas un petit pas, que cela. L’idée que la loi de la gravitation est vraie ici et en Chine, qu’elle affecte l’empereur et le gueux également n’est en rien une évidence.

              [Bref, affirmer que les *lois* de la gravitation (en tant qu’énoncé) sont une construction sociale n’infirme pas l’existence de l’attraction terrestre, et la simple observation qu’il est hasardeux de tenter de s’y dérober.]

              Si vous vous en tenez à la FORME de l’énoncé, le postulat post-moderne est une banalité. En effet, la loi de la gravitation est énoncée en français en France et en chinois en Chine. Ce que les post-modernes visent n’est pas la FORME sous laquelle les lois sont énoncées, mais les lois elles-mêmes.
              Ainsi, un intellectuel américain a estimé que la genèse telle qu’elle est décrite dans les légendes du peuple Zuni et la théorie du Big Bang pouvaient être « également vraies », puisque chacune est « vraie » dans son contexte social. En d’autres termes, ce à quoi le post-modernisme aboutit est à la relativité des lois scientifiques, et donc à la négation de l’existence d’une réalité objective. Parce que s’il existe une réalité objective, alors les légendes des Zuni et le Big Bang ne peuvent être « également » vraies.

              [In fine, le problème ne me semble pas être tant d’affirmer que la science est une construction sociale (par définition, en tant qu’activité humaine collective, il est difficile de prétendre qu’elle ne serait pas une construction d’origine sociale).]

              Ce que les post-modernes disent n’est pas que « la science » comme activité est une construction sociale, mais que les « énoncés scientifiques » sont une construction sociale. Ce n’est pas tout à fait la même chose…

              [Le problème est les conséquences que certains prétendent en tirer. Ce n’est pas parce que la science est une construction sociale qu’elle est incapable d’énoncés rigoureux permettant d’expliquer le réel.]

              La question est moins celle de la « rigueur » mais de l’universalité. Le but des post-modernes c’est cela : en finir avec l’universalité, cet héritage détesté des Lumières. Il faut bien comprendre que le post-modernisme est l’idéologie de justification d’une société communautarisée, éclatée, ou chacun est prié d’être « fier » de ce qu’il est et accessoirement de le rester. Et si l’on pousse ce raisonnement jusqu’au bout, chaque communauté doit avoir non seulement sa culture et son droit, mais aussi sa science. Il faut sortir de la science « universelle » qu’on descendra comme étant « eurocentriste », « blanche », « machiste » pour produire une « science féministe », une « science noire », une « science native-american ». Il faut expliquer qu’il y des « différentes manières de savoir », que les femmes ne pensent pas comme les hommes, les blancs comme les noirs.

              Le post-modernisme n’est pas une lubie intellectuelle. C’est une machine de guerre idéologique, au nom de laquelle un groupe social se réserve la science, la vraie, et convainc les autres groupes qu’ils n’en ont pas besoin puisqu’ils ont leurs traditions qui sont tout aussi valables. Il n’y a qu’à voir les dégâts que ce genre d’idéologie fait dans l’enseignement pour s’en apercevoir. Quand des élèves refusent l’enseignement de l’histoire ou de la biologie au prétexte que ce n’est pas « leur » histoire ou « leur » biologie, on est dans cette démarche.

              [C’est là, AMHA, que pêchent Latour et compagnie, en s’imaginant que parce que des discours sont situés socialement ils se valent tous dans leur valeur explicative.]

              C’est la conclusion logique. Si TOUT énoncé scientifique est une construction sociale, vous ne pouvez pas établir une hiérarchie entre les uns et les autres. Car admettre que certains de ces énoncés sont universels revient à admettre qu’ils ne sont pas une pure « construction sociale »…

              [Et si certains pensent que le réel n’existe pas, c’est un autre problème et on peut se demander quel but ils peuvent bien donner à leur existence sans sombrer dans l’absurdité…]

              Non, c’est le même problème. Ce qui permet effectivement de hiérarchiser les énoncés – et c’est ce qui fait que certains sont « scientifiques » et d’autres pas – est la confrontation avec l’expérience. Mais cette confrontation n’a de sens que si vous pensez qu’il y a une réalité objective, qui est la même ici et en Chine. Car c’est cette réalité qui permet de postuler que la même expérience donnera le même résultat. Si l’énoncé scientifique est une « construction sociale », un simple discours, alors vous n’avez plus besoin d’une réalité objective, puisque nous vivons dans un monde ou la réalité elle-même est socialement construite.

            • Antoine dit :

              @Descartes

              > L’argument de Sokal tient : si les énoncés scientifiques (et non « la science » en général) sont des « constructions sociales », alors ils devraient pouvoir être différents dans des sociétés différentes.

              Mais bien sûr qu’ils le peuvent. Voici un exemple : la théorie de la gravitation newtonienne a été remplacée par la théorie de la relative générale. Ce sont des énoncés différents conçus par des sociétés différentes.

              > L’argument de Sokal tient

              Non, désolé, toujours pas. Sokal prétend que si on ne croit pas que la science est universelle, alors on devrait sauter du vingtième sans crainte. C’est totalement absurde, et la preuve c’est que presque personne (à part quelques illuminés que vous évoquez) ne sautait sans crainte du vingtième étage avant même que Newton ne formule sa théorie. Donc Sokal se trompe : sans la science (universelle ou pas), il y a bien quelque chose d’autre qui pousse les gens à ne pas mettre leur vie en danger ainsi.

              > La question est moins celle de la « rigueur » mais de l’universalité. Le but des post-modernes c’est cela : en finir avec l’universalité, cet héritage détesté des Lumières.

              Vous me parlez de l’objectif des post-modernes, je dis simplement ce qui me semble clocher dans le *raisonnement* utilisé par les post-modernes pour parvenir à cet objectif.

              > C’est la conclusion logique. Si TOUT énoncé scientifique est une construction sociale, vous ne pouvez pas établir une hiérarchie entre les uns et les autres.

              Pourquoi donc ? Vous n’argumentez pas. Pourquoi ne pourrait-on pas établir une hiérarchie entre différentes constructions sociales ? En quoi est-ce une impossibilité ?

              Je vais vous donner un exemple hors de la science : si la Sécurité Sociale (qui est une construction sociale) permet *objectivement* d’améliorer l’état de santé de la population, pourquoi ne pourrait-on pas la placer plus haut, dans une hiérarchie des systèmes de santé, que d’autres systèmes donnant de moins bons résultats en santé publique ?

              Le fait que la science soit une construction sociale n’empêche pas de dire qu’elle est objectivement meilleure, lorsqu’il s’agit de décrire et de modéliser les lois du monde physique, que la religion ou diverses croyances pré-modernes.

            • Descartes dit :

              @ Antoine

              [L’argument de Sokal tient : si les énoncés scientifiques (et non « la science » en général) sont des « constructions sociales », alors ils devraient pouvoir être différents dans des sociétés différentes. Mais bien sûr qu’ils le peuvent. Voici un exemple : la théorie de la gravitation newtonienne a été remplacée par la théorie de la relative générale. Ce sont des énoncés différents conçus par des sociétés différentes.]

              Non. Sur la question abordée par la théorie de la gravitation newtonienne, la théorie de la rélativité et la théorie newtonienne coïncident : les corps s’attirent à proportion de leur masse et à proportion inverse du carré de leur distance. Le fait qu’on interprète cette force comme une déformation de l’espace-temps ou comme une pure force ne change rien au fait que du point de vue de la loi qu’elles énoncent, les deux théories sont équivalentes. Et il ne peut pas en être autrement : deux théories scientifiques qui prédisent un résultat contradictoire ne peuvent pas toutes deux passer le test de l’expérience. Un même énoncé scientifique peut prendre des FORMES différentes, mais elles sont nécessairement équivalentes.

              [« L’argument de Sokal tient ». Non, désolé, toujours pas. Sokal prétend que si on ne croit pas que la science est universelle, alors on devrait sauter du vingtième sans crainte.]

              Pas tout à fait. L’argument de Sokal est que si les théories scientifiques sont des « constructions sociales », alors les prédictions des physiciens ne devraient pas nous empêcher de sauter par la fenêtre. Comme disait Althusser, « le concept de chien ne mord pas ».

              [C’est totalement absurde, et la preuve c’est que presque personne (à part quelques illuminés que vous évoquez) ne sautait sans crainte du vingtième étage avant même que Newton ne formule sa théorie.]

              Pas tout à fait. Avant que Newton énonce sa théorie, d’autres avaient énoncé d’autres théories scientifiques qui aboutissaient quand même à la chute des corps. Mais avant que la science existe, oui, il y avait des gens qui sautaient. Comme il y a encore aujourd’hui des peuplades primitives ou les guerriers sont convaincus que certains onguents ou amulettes les rendent invulnérables aux balles ou aux flèches. Pour nous, l’universalité des lois physiques paraît une évidence, mais pendant longtemps les hommes ont vécu convaincus que ce n’était pas le cas…

              [Donc Sokal se trompe : sans la science (universelle ou pas), il y a bien quelque chose d’autre qui pousse les gens à ne pas mettre leur vie en danger ainsi.]

              Jusqu’à un certain point, oui. Bien avant que l’idée d’universalité des lois physiques soit établie, les hommes ont quand même constaté empiriquement que les exceptions n’étaient pas très fréquentes et surtout n’étaient pas spontanées. Mais l’idée qu’on peut magiquement faire exception aux lois physiques a été admise comme évidence pendant très, très longtemps. Y compris lorsqu’il s’agit de mettre sa vie en danger. Il y a encore des peuplades qui croient qu’une amulette peut vous protéger des balles…

              [« C’est la conclusion logique. Si TOUT énoncé scientifique est une construction sociale, vous ne pouvez pas établir une hiérarchie entre les uns et les autres. » Pourquoi donc ? Vous n’argumentez pas. Pourquoi ne pourrait-on pas établir une hiérarchie entre différentes constructions sociales ? En quoi est-ce une impossibilité ?]

              Dans le contexte de cet échange, la « hiérarchie » dont on parle est une hiérarchie de vérité. Etablir une hiérarchie de vérité implique établir quelles sont les « constructions sociales » qui s’approchent plus de la vérité que les autres. Ce qui implique d’avoir un étalon de ce qui est la vérité. Or, si vous soutenez que TOUS les énoncés scientifiques sont des constructions sociales, vous ne pouvez pas construire un tel étalon, puisque l’énoncé que vous prenez pour étalon est lui-même une « construction sociale »…

              Prenons un exemple : on peut établir une hiérarchie entre les théories scientifiques parce que la réalité sert d’étalon : plus une théorie s’approche des phénomènes réels, et plus elle sera en haut de la hiérarchie. Mais peut-on établir une hiérarchie des religions ? Non, parce que les religions sont des pures « constructions sociales ». Chacune est également vraie dans son contexte, et aucune ne peut servir d’étalon pour classer les autres…

              [Je vais vous donner un exemple hors de la science : si la Sécurité Sociale (qui est une construction sociale) permet *objectivement* d’améliorer l’état de santé de la population, pourquoi ne pourrait-on pas la placer plus haut, dans une hiérarchie des systèmes de santé, que d’autres systèmes donnant de moins bons résultats en santé publique ?]

              Votre exemple me permet de clarifier un point. Il est trivial de dire qu’on peut TOUJOURS hiérarchiser un ensemble dénombrable (et donc à fortiori un ensemble fini). Stricto sensu, on peut donc hiérarchiser les « constructions sociales » : il suffit de les mettre dans l’ordre alphabétique de leur nom, par exemple. Ce dont on parlait ici, c’était d’une hiérarchisation qui soit universelle. Comparer implique mesurer, et mesurer implique de choisir un étalon. Or, comment choisiriez-vous votre « système de sécurité sociale » étalon, auquel tous les autres se comparent ?

              [Le fait que la science soit une construction sociale n’empêche pas de dire qu’elle est objectivement meilleure, lorsqu’il s’agit de décrire et de modéliser les lois du monde physique, que la religion ou diverses croyances pré-modernes.]

              Mais pour dire ça, il vous faut au préalable accepter qu’il existe un monde physique dont les « lois » sont connaissables, et que l’objectif de la science est de les révéler. Et une fois que vous avez admis cela, vous avez admis que les énoncés scientifiques sont soumis à la réfutation par ce « monde physique » sont l’existence est indépendante des sociétés. Et donc qu’ils ne sont pas des « constructions sociales ».

              Cette discussion est complexe parce que nous avons du mal à nous débarrasser des « prémisses cachées » de notre formation rationaliste pour nous placer dans la logique des post-modernes. Pour eux, la réalité physique n’existe pas – ou si elle existe, elle n’est pas connaissable. Les énoncés de la physique ne reflètent donc pas une réalité physique, mais les rapports de force sociaux.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              (d’abord je m’excuse pour le cafouillage de pseudonyme)

              > Sur la question abordée par la théorie de la gravitation newtonienne, la théorie de la rélativité et la théorie newtonienne coïncident […]

              Effectivement. Mais il y a d’autres points sur lesquels des énoncés incompatibles, donc éminemment différents, se sont succédés (par exemple sur la propagation de la lumière, ou sur la dérive des continents).

              > Comme il y a encore aujourd’hui des peuplades primitives ou les guerriers sont convaincus que certains onguents ou amulettes les rendent invulnérables aux balles ou aux flèches.

              En général, cela ne les empêche pas d’utiliser des boucliers ou d’autres moyens de protection, ce qui montre que ces croyances ne les rend pas imperméables à l’observation du réel. Quelqu’un qui saute de très haut en pensant en sortir indemne est aussi fou ou inconscient au Moyen-Âge qu’aujourd’hui (mais peut-être qu’il y avait plus de fous ou d’inconscients à l’époque, vu les conditions sanitaires et sociales).

              J’aime cette anecdote rapportée par Paul Veyne, sur le statut assez flou de la croyance, à propos d’une peuplade éthiopienne :

              « Aux yeux de ces Éthiopiens, nous dit Dan Sperber, “le léopard est un animal chrétien, qui respecte les jeûnes de l’Église copte, observance qui, en Éthiopie, est le test principal de la religion ; un Dorzé n’en est pas pour autant moins soucieux de protéger son bétail le mercredi et le vendredi, jours de jeûne, que les autres jours de la semaine ; il tient pour vrai, et que les léopards jeûnent, et qu’ils mangent tous les jours ; les léopards sont dangereux tous les jours : il le sait d’expérience ; ils sont chrétiens : la tradition le lui garantit. »

              > Or, si vous soutenez que TOUS les énoncés scientifiques sont des constructions sociales, vous ne pouvez pas construire un tel étalon, puisque l’énoncé que vous prenez pour étalon est lui-même une « construction sociale »…

              Je ne vois pas pourquoi on prendrait un énoncé comme étalon d’un autre énoncé. L’étalon de la science, ce serait plutôt sa capacité à expliquer le fonctionnement du réel. Les différentes théories de la gravitation sont jugées à l’aune de leur capacité à prédire ou expliquer la chute des corps, le mouvement des astres…

              Bien sûr, les informations sur le réel nous sont fournies par des observations, elles-mêmes imparfaites. On *peut* donc décider de considérer ces observations comme des énoncés. Mais alors, on tombe tout à fait dans le relativisme, puisqu’on justifie des énoncés par d’autres énoncés, ceci récursivement à l’infini : la science devient un « système fermé » comme un autre, au même titre que la superstition ou la religion.

              Si l’on veut être capable de dire rigoureusement que la science est meilleure à connaître et expliquer le monde que la religion ou la superstition, alors il faut admettre l’existence d’un juge de paix extérieur (le réel). Mais si ce juge de paix extérieur existe, alors on peut aussi juger des constructions sociales grâce à lui.

              Bien sûr, on peut aussi penser que les énoncés nous préexistent, qu’ils existent objectivement dans la nature, mais je n’en vois pas la trace (et cela me paraît par ailleurs assez idéaliste). Ce qui existe dans la nature, ce sont les phénomènes expliqués par les énoncés scientifiques, pas les énoncés eux-mêmes.

              Et la preuve, à mon avis définitive, que les énoncés scientifiques sont des productions humaines (donc sociales), c’est qu’on finit toujours par découvrir qu’ils se trompent : d’où proviendrait l’erreur sinon ?

              > Mais peut-on établir une hiérarchie des religions ?

              Cela dépend ce que l’on attend des religions. Si, comme de la science, on attend des religions qu’elles expliquent correctement le réel, alors je suis sûr que certaines sont moins absurdes que d’autres (par exemple une religion qui aurait annoncé que l’être humain ne serait jamais capable de voyager au milieu des oiseaux se tromperait plus qu’une religion dont le dogme laisse ouverte la possibilité de l’aéronautique).

              Mais la croyance religieuse tient en général à d’autres choses que leur simple capacité à expliquer le réel…

              > Or, comment choisiriez-vous votre « système de sécurité sociale » étalon, auquel tous les autres se comparent ?

              Même réponse qu’au sujet des énoncés scientifiques : il ne s’agit pas de comparer les systèmes de SS à un système de SS étalon, mais de les évaluer à l’aune d’un juge de paix extérieur (par exemple le taux de mortalité ou l’espérance de vie).

              > Et une fois que vous avez admis cela, vous avez admis que les énoncés scientifiques sont soumis à la réfutation par ce « monde physique » sont l’existence est indépendante des sociétés. Et donc qu’ils ne sont pas des « constructions sociales ».

              Je ne comprends pas comment vous passez d’une phrase à la suivante. Ce n’est pas parce qu’un énoncé décrit ou explique (plus ou moins) fidèlement le réel, qu’il n’est pas une construction sociale.

              Votre argument semble présupposer que le monde social a un statut différent du monde physique, et que ce qui est produit par l’un ne peut pas se rapporter à l’autre. Il faut quand même rappeler que, in fine, les sociétés humaines sont un sous-ensemble du monde physique (ce qui justifie, d’ailleurs, que la sociologie puisse être un jour une science, même si elle ne l’est pas ou a du mal à l’être aujourd’hui).

              Je crois que c’est là le coeur de notre désaccord.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Effectivement. Mais il y a d’autres points sur lesquels des énoncés incompatibles, donc éminemment différents, se sont succédés (par exemple sur la propagation de la lumière, ou sur la dérive des continents).]

              Oui, ils se sont SUCCEDE. Ce qui veut dire qu’à chaque instant il n’y avait QU’UN SEUL qui était reconnu comme vrai. Cette évolution traduit le fait que notre connaissance de la réalité s’affine avec le temps, que des énoncés tenus pour vrais finissent par être réfutés par l’expérience et sont substitués par d’autres. Mais ce que le post-modernisme soutient est que cette évolution ne traduit pas une meilleure connaissance d’une réalité sous-jacente, mais une évolution dans les rapports de force sociaux.

              [« Comme il y a encore aujourd’hui des peuplades primitives ou les guerriers sont convaincus que certains onguents ou amulettes les rendent invulnérables aux balles ou aux flèches. » En général, cela ne les empêche pas d’utiliser des boucliers ou d’autres moyens de protection, ce qui montre que ces croyances ne les rend pas imperméables à l’observation du réel.]

              Ou que deux protections valent mieux qu’une, et qu’il y a une possibilité que le sorcier du camp d’en face ait trouvé un antidote contre votre invulnérabilité. Achille, pourtant réputé invulnérable (sauf au talon) est représenté portant lui aussi bouclier et casque… Je connais des gens qui vont prier pour leurs malades, mais les amènent quand même à l’hôpital, on ne sait jamais…

              [Quelqu’un qui saute de très haut en pensant en sortir indemne est aussi fou ou inconscient au Moyen-Âge qu’aujourd’hui (mais peut-être qu’il y avait plus de fous ou d’inconscients à l’époque, vu les conditions sanitaires et sociales).]

              Je pense que vous vous trompez. Pensez aux gens qui se font exploser dans la foule en imaginant que leur acte leur vaudra le Paradis. Pensez aux ordalies. Pensez à ceux qui vont chez le guérisseur plutôt que chez le médecin. Pensez à ceux qui croient à l’homéopathie. Pendant des siècles, les hommes ont fait – et certains continuent à le faire – des choses qui nous paraissent aujourd’hui « folie ou inconscience » parce qu’ils croyaient que les lois physiques n’avaient pas de caractère universel. Y compris lorsque leur vie était en jeu.

              [J’aime cette anecdote rapportée par Paul Veyne, sur le statut assez flou de la croyance, à propos d’une peuplade éthiopienne : (…)]

              Certes. Mais on peut interpréter cette anecdote différemment : nos voisins sont chrétiens, et donc censés respecter le commandement « tu ne voleras point ». Et pourtant, nous mettons un verrou à la porte. Pourquoi ? Parce qu’il existe de « mauvais chrétiens », et même les bons chrétiens sont des pêcheurs. Et de la même manière, les léopards de votre histoire sont chrétiens et jeûnent les mercredis et les vendredis… mais il y aura toujours un léopard « mauvais chrétien » qui violera le jeûne. Alors, mieux vaut mettre le verrou…

              Encore une fois, ce que la science apporte par rapport à l’expérience c’est l’universalité. Les éthiopiens de l’anecdote peuvent croire qu’il existe des léopards chrétiens – même si certains sont des « mauvais chrétiens ». Le scientifique, lui, sait qu’AUCUN léopard n’est chrétien.

              [« Or, si vous soutenez que TOUS les énoncés scientifiques sont des constructions sociales, vous ne pouvez pas construire un tel étalon, puisque l’énoncé que vous prenez pour étalon est lui-même une « construction sociale »… » Je ne vois pas pourquoi on prendrait un énoncé comme étalon d’un autre énoncé. L’étalon de la science, ce serait plutôt sa capacité à expliquer le fonctionnement du réel.]

              Sauf que nous n’avons pas accès au « réel » directement. Le « réel » n’est pris en compte qu’à travers l’énoncé. Lorsque je dis que le soleil se lève ou que la pomme tombe, j’énonce ce que je pense être une « réalité », mais on voit bien que l’énoncé et la « réalité » ne sont pas la même chose. D’ailleurs, nous savons – par l’interprétation – que le soleil ne se lève pas (c’est la terre qui tourne) et que la pomme ne tombe pas (elle se rapproche au contraire du centre de gravité du système terre/pomme, tout comme la terre d’ailleurs).

              En matière scientifique, ce sont les énoncés d’observation qui sont l’étalon des théories. En d’autre terme, un énoncé scientifique est d’autant plus vrai que ses conséquences correspondent aux énoncés d’observation. Mais si vous soutenez, comme le font les post-modernes, que les énoncés d’observation sont eux-mêmes des « constructions sociales »… quel pourrait être votre étalon ?

              [Bien sûr, les informations sur le réel nous sont fournies par des observations, elles-mêmes imparfaites. On *peut* donc décider de considérer ces observations comme des énoncés. Mais alors, on tombe tout à fait dans le relativisme, puisqu’on justifie des énoncés par d’autres énoncés, ceci récursivement à l’infini : la science devient un « système fermé » comme un autre, au même titre que la superstition ou la religion.]

              Non, justement. La méthode scientifique consiste à placer les énoncés d’observation en haut de la hiérarchie. Bien sûr, ils sont imparfaits, parce que nos sens et nos instruments peuvent nous tromper. Mais ils ne sont pas arbitraires, contrairement aux dogmes religieux. On peut se tromper sur une expérience, mais on ne peut pas lui faire dire n’importe quoi. La science n’est donc jamais un système « fermé », parce qu’elle est tenue de prendre en compte chaque nouvelle observation, là où la religion ou la superstition peuvent ignorer les observations qui les dérangent.

              [Si l’on veut être capable de dire rigoureusement que la science est meilleure à connaître et expliquer le monde que la religion ou la superstition, alors il faut admettre l’existence d’un juge de paix extérieur (le réel). Mais si ce juge de paix extérieur existe, alors on peut aussi juger des constructions sociales grâce à lui.]

              Exactement ce que je dis. Lorsque vous parlez d’un « juge extérieur », vous le voulez « extérieur » par rapport à quoi ? Et bien, il doit être « extérieur » aux rapports de force sociaux. En d’autres termes, vous appelez à un juge dont les énoncés ne soient pas une « construction sociale ». A cette condition, bien entendu, vous pouvez lui confier le soin de juger les « constructions sociales » elles mêmes. Mais que se passe-t-il lorsque vous postulez que TOUT énoncé scientifique est une « construction sociale » ? Vous postulez implicitement qu’il n’existe pas de juge « extérieur », que tout juge est nécessairement « intérieur », soumis aux rapports sociaux. Et une fois ce principe admis, votre juge ne pourra plus hiérarchiser les « constructions sociales »…

              [Et la preuve, à mon avis définitive, que les énoncés scientifiques sont des productions humaines (donc sociales), c’est qu’on finit toujours par découvrir qu’ils se trompent : d’où proviendrait l’erreur sinon ?]

              Je crois qu’il y a ici un problème de vocabulaire. Que les énoncés scientifiques soient une fabrication humaine me semble difficile de contester. Mais ce n’est pas parce que c’est une fabrication humaine que c’est une « construction sociale ». Lorsque les post-modernes disent des énoncés scientifiques qu’ils sont une « construction sociale », ils entendent par là qu’ils sont le produit des rapports sociaux et qu’ils reflètent ces rapports. En d’autres termes, que les énoncés scientifiques ne sont pas construits dans le but de modéliser le « réel » mais de justifier un ordre social donné. Pour le dire autrement, que les énoncés scientifiques sont purement idéologiques.

              C’est ainsi que certains post-modernes soutiennent que la physique quantique, la théorie de la relativité ou les mathématiques modernes sont la manifestation de la domination du mâle blanc, et qu’une physique ou une mathématique développée par des femmes ou par des « minorités » serait totalement différente. Un petit exemple :

              « L’équation E=mc2 est-elle une équation sexuée ? Peut-être que oui. Faisons l’hypothèse que oui dans la mesure où elle privilégie la vitesse de la lumière par rapport à d’autres vitesses dont nous avons vitalement besoin. Ce qui me semble une possibilité de la signature sexuée de l’équation ce n’est pas directement ses utilisations par les armements nucléaires, c’est d’avoir privilégié ce qui va le plus vite » (Luce Irigaray, « sujet de la science, sujet sexué », 1987).

              [« Mais peut-on établir une hiérarchie des religions ? » Cela dépend ce que l’on attend des religions.]

              En d’autres termes, de l’étalon que vous prenez. Mais vous êtes obligé d’aller prendre cet étalon EN DEHORS de la religion. Vous voyez bien le problème : pour pouvoir hiérarchiser objectivement des « constructions sociales » il vous faut un étalon qui ne soit pas lui-même une « construction sociale »…

              [Même réponse qu’au sujet des énoncés scientifiques : il ne s’agit pas de comparer les systèmes de SS à un système de SS étalon, mais de les évaluer à l’aune d’un juge de paix extérieur (par exemple le taux de mortalité ou l’espérance de vie).]

              Imaginons une société A dont les individus sont obsédés par la mort et font de la longueur de la vie une priorité absolue. Et une société B où la priorité n’est pas de prolonger la vie, mais de jouir à fond des biens matériels pendant qu’il est temps. Vous voyez bien qu’une hiérarchie établie sur les critères que vous proposez est adaptée à la société A, mais que cette hiérarchie conduirait aux mauvais choix pour la société B. Cet exemple vous montre qu’il n’existe pas de critère UNIVERSEL pour classer les systèmes de sécurité sociale. Etant des « constructions sociales », un système de sécurité sociale ne peut s’évaluer que dans un contexte social donné. Et de la même manière, considérer que les énoncés scientifiques sont des « constructions sociales » conduit à la même conclusion : un énoncé peut être « vrai » dans une société donnée, et « faux » dans une autre.

              [Je ne comprends pas comment vous passez d’une phrase à la suivante. Ce n’est pas parce qu’un énoncé décrit ou explique (plus ou moins) fidèlement le réel, qu’il n’est pas une construction sociale.]

              Si, justement. Dire qu’un énoncé est une « construction sociale » c’est dire qu’il traduit les rapports sociaux dans une société donnée. Ainsi, par exemple, le dogme religieux traduit et justifie une stratification sociale et une distribution du pouvoir économique et politique. Une telle construction n’a aucune raison de refléter une réalité physique (même s’il peut y avoir des coïncidences).

              [Votre argument semble présupposer que le monde social a un statut différent du monde physique, et que ce qui est produit par l’un ne peut pas se rapporter à l’autre. Il faut quand même rappeler que, in fine, les sociétés humaines sont un sous-ensemble du monde physique (ce qui justifie, d’ailleurs, que la sociologie puisse être un jour une science, même si elle ne l’est pas ou a du mal à l’être aujourd’hui).]

              Pas du tout. Ce que mon argument suppose, c’est que notre rapport au monde social a un statut différent de notre rapport au monde physique. Nous pouvons changer la Constitution, nous ne pouvons pas changer la gravitation.

            • BolchoKek dit :

              @ Antoine et Descartes

              [En général, cela ne les empêche pas d’utiliser des boucliers ou d’autres moyens de protection, ce qui montre que ces croyances ne les rend pas imperméables à l’observation du réel.]

              En général oui, mais il y a toutefois des exemples historiques de guerriers se battant sans aucune forme de protection, nus, voire sans aucune arme. Je pense notamment à la première guerre ottomano-persane et à la bataille de Tchaldiran, où des zélotes chiites, persuadés d’avoir la protection du quasi-divinisé Shah Ismaïl, chargèrent torse-nu et pour certains désarmés les janissaires Turcs armés de mousquets, d’artillerie, de hallebardes…

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Que les énoncés scientifiques soient une fabrication humaine me semble difficile de contester. Mais ce n’est pas parce que c’est une fabrication humaine que c’est une « construction sociale ». Lorsque les post-modernes disent des énoncés scientifiques qu’ils sont une « construction sociale », ils entendent par là qu’ils sont le produit des rapports sociaux et qu’ils reflètent ces rapports.

              Je ne sais pas ce que disent exactement les postmodernes. Je pense qu’il faut distinguer entre deux types de proposition. D’une part, « les rapports sociaux ne sont pas sans influence dans la formation des énoncés scientifiques », d’autre part, « les rapports sociaux sont le seul ou principal facteur déterminant les énoncés scientifiques ». La première proposition me semble a priori défendable ; la seconde, pas du tout (sauf à imaginer que la perception sensible humaine relève entièrement des rapports sociaux).

              > En matière scientifique, ce sont les énoncés d’observation qui sont l’étalon des théories. En d’autre terme, un énoncé scientifique est d’autant plus vrai que ses conséquences correspondent aux énoncés d’observation. Mais si vous soutenez, comme le font les post-modernes, que les énoncés d’observation sont eux-mêmes des « constructions sociales »… quel pourrait être votre étalon ?

              Il y a un problème de circularité ici : si les énoncés d’observation du réel sont l’étalon, mais que le réel n’est pas observable directement, quel est l’étalon des énoncés d’observation ? Cela ne peut pas être le réel…

              Je pense que la confiance accordée à la science procède *in fine* d’un acte de foi. Mais c’est un acte de foi rationnel, car il s’accorde à l’*expérience* sensible de tout un chacun, du profane qui constate que « ça fonctionne » jusqu’au plus pointu des scientifiques qui vérifie que les équations de la relativité générale sont en accord avec les dernières observations astronomiques.

              On peut voir cela comme un pari de type pascalien : je ne peux pas être sûr que nos observations sur le réel sont crédibles, mais si elles nous mentent totalement alors nous ne pouvons plus aspirer à aucune connaissance, tandis que si nous leur donnons crédit alors nous avons une chance d’arriver à une connaissance de plus en plus fine du monde.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Je ne sais pas ce que disent exactement les postmodernes. Je pense qu’il faut distinguer entre deux types de proposition. D’une part, « les rapports sociaux ne sont pas sans influence dans la formation des énoncés scientifiques », d’autre part, « les rapports sociaux sont le seul ou principal facteur déterminant les énoncés scientifiques ».]

              Là encore, il est important de distinguer la forme et le fond. Que les rapports sociaux aient une influence sur la FORME des énoncés scientifiques, est presque une banalité : rien que le choix de la langue dans laquelle ces énoncés sont rédigés est lié à des rapports sociaux. Par contre, si l’on parle du CONTENU des énoncés, l’affaire se corse. Quelle peut être l’influence des « rapports sociaux » sur l’énoncé « deux masses s’attirent à proportion inverse du carré de la distance qui les sépare » ?

              J’ajoute que dans la logique postmoderne – voir par exemple chez Feyerabend – les énoncés scientifiques ne sont que des « récits » qui ne reflètent rien d’autre que des rapports sociaux, puisque Feyerabend nie l’existence de toute réalité objective. Ce qui d’ailleurs, comme le signale Sokal, conduit à une contradiction interne : si « tout énoncé scientifique est un récit », alors l’énoncé qui prétend que « tout énoncé scientifique est un récit » est lui-même un récit…

              [La première proposition me semble a priori défendable ; la seconde, pas du tout (sauf à imaginer que la perception sensible humaine relève entièrement des rapports sociaux).]

              Encore une fois, je vous mets au défi de m’indiquer en quoi les « rapports sociaux » ont une influence, aussi petite soit-elle, dans l’énoncé du second principe de la thermodynamique. Attention, il ne faut pas ici confondre deux choses : le deuxième principe a été énoncé dans un contexte social donné, et le fait qu’il ait été énoncé est bien entendu lié à ce contexte. Mais il ne s’agit pas ici du fait historique, mais de la substance même de l’énoncé. Imagine-t-on que dans un contexte social différent l’entropie de l’univers pourrait ne pas être toujours croissante ?

              [Il y a un problème de circularité ici : si les énoncés d’observation du réel sont l’étalon, mais que le réel n’est pas observable directement, quel est l’étalon des énoncés d’observation ? Cela ne peut pas être le réel…]

              Si. Mais il faut faire l’hypothèse cartésienne que nos sens, s’ils peuvent occasionnellement nous tromper, ne nous trompent pas systématiquement. Nous pouvons donc considérer que, à quelques erreurs près, l’information que nous donnent nos sens coïncide avec la réalité. Mais c’est la réalité, et non nos sens, qui sert d’étalon ultime. Si nous constatons dans un cas particulier que nos sens nous trompent, c’est la réalité telle que nous arrivons à la reconstruire qui prime sur la perception.

              [Je pense que la confiance accordée à la science procède *in fine* d’un acte de foi. Mais c’est un acte de foi rationnel, car il s’accorde à l’*expérience* sensible de tout un chacun, du profane qui constate que « ça fonctionne » jusqu’au plus pointu des scientifiques qui vérifie que les équations de la relativité générale sont en accord avec les dernières observations astronomiques.]

              Plus que de foi, on peut parler ici de statistique. L’homme a constaté pendant des siècles que si les scientifiques peuvent se tromper, ils se trompent beaucoup moins souvent et de beaucoup moins que les autres. Il y a un deuxième argument pour préférer la méthode scientifique à toutes les autres : c’est la seule méthode qui contienne un mécanisme pour corriger ses propres erreurs.

              [On peut voir cela comme un pari de type pascalien : je ne peux pas être sûr que nos observations sur le réel sont crédibles, mais si elles nous mentent totalement alors nous ne pouvons plus aspirer à aucune connaissance, tandis que si nous leur donnons crédit alors nous avons une chance d’arriver à une connaissance de plus en plus fine du monde.]

              C’est justement ce « pari » que les post-modernes refusent. Pour eux, nos observations et nos théories nous mentent systématiquement, car elles sont déterminées par des rapports sociaux. Inutile donc de chercher une « connaissance plus fine du monde », elle est par hypothèse impossible. La seule connaissance possible, est celle des rapports sociaux.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Ce qui d’ailleurs, comme le signale Sokal, conduit à une contradiction interne : si « tout énoncé scientifique est un récit », alors l’énoncé qui prétend que « tout énoncé scientifique est un récit » est lui-même un récit…

              Honnêtement, ce n’est une « contradiction interne » que si les postmodernistes prétendent énoncer une vérité absolue. Un postmoderniste conséquent considérerait que sa théorie est un récit comme un autre…

              Vous me direz : quel est alors l’intérêt ? Le même que celui d’écrire un roman. Je pense que ce n’est pas un hasard si le postmodernisme se manifeste souvent chez des tempéraments plutôt littéraires pour qui la facture esthétique est aussi, voire plus, importante que la rigueur analytique.

              > Mais il ne s’agit pas ici du fait historique, mais de la substance même de l’énoncé. Imagine-t-on que dans un contexte social différent l’entropie de l’univers pourrait ne pas être toujours croissante ?

              Ce n’est pas « l’entropie de l’univers » qui est en question, mais les énoncés par lesquels nous essayons d’approcher le réel (y compris ce que nous interprétons comme « entropie »). Comme vous l’avez dit : le réel ne nous est pas accessible directement. Donc la croissance irrémédiable de l’entropie n’est pas une vérité absolue et définitive sur le réel, et inversement un énoncé pourrait très bien être scientifique tout en contredisant le postulat d’une entropie irrémédiablement croissante…

              Je répondrai à votre question ainsi : je pense qu’une société différente aurait très bien pu ne pas découvrir la deuxième loi de la thermodynamique, aurait peut-être découvert une autre loi de l’entropie, peut-être même une loi qui envisage la possibilité d’une entropie décroissante (de façon juste ou fausse, peu importe). Peut-être aurait-elle défini ses quantités fondamentales différemment, sans qu’elles soient forcément en désaccord avec ses propres observations du réel (du *même* réel)…

              > Mais c’est la réalité, et non nos sens, qui sert d’étalon ultime. Si nous constatons dans un cas particulier que nos sens nous trompent, c’est la réalité telle que nous arrivons à la reconstruire qui prime sur la perception.

              Mais la « réalité telle que nous arrivons à la reconstruire » n’est rien d’autre que le produit de l’application de la raison aux perceptions de nos sens. Ce n’est pas a priori « la réalité », mais bien quelque chose d’issu de nos sens. Nous espérons connaître l’étalon ultime, nous ne sommes pas sûrs de le connaître de façon juste et précise.

              Même, dans certains cas, nous ne découvrons les manifestation de l’étalon qu’après avoir émis des théories à son sujet, par exemple le boson de Higgs.

              > Il y a un deuxième argument pour préférer la méthode scientifique à toutes les autres : c’est la seule méthode qui contienne un mécanisme pour corriger ses propres erreurs.

              C’est un argument très pertinent. Sur le plan évolutionniste, c’est bien cela qui assure la domination de la science, car on évolue bien plus efficacement si des heuristiques nous évitent d’itérer au hasard.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage
              [« Ce qui d’ailleurs, comme le signale Sokal, conduit à une contradiction interne : si « tout énoncé scientifique est un récit », alors l’énoncé qui prétend que « tout énoncé scientifique est un récit » est lui-même un récit… » Honnêtement, ce n’est une « contradiction interne » que si les postmodernistes prétendent énoncer une vérité absolue.]

              Un énoncé qui commence par « tout » énonce une vérité absolue.

              [Un postmoderniste conséquent considérerait que sa théorie est un récit comme un autre…]

              En d’autres termes, qu’il existe des théories qui ne sont pas des récits ?

              [Vous me direz : quel est alors l’intérêt ? Le même que celui d’écrire un roman.]

              Même pas. Un roman – je veux dire un bon roman – ça a du style, une esthétique, cela induit une émotion. Il construit des personnages qui sont des paradigmes. A la rigueur, vous pouvez comparer le post-modernisme à un mauvais roman…

              [Je pense que ce n’est pas un hasard si le postmodernisme se manifeste souvent chez des tempéraments plutôt littéraires pour qui la facture esthétique est aussi, voire plus, importante que la rigueur analytique.]

              Bof. Je pense surtout que ca se manifeste souvent chez des « tempéraments littéraires » parce qu’en matière scientifique il est bien plus difficile de raconter n’importe quoi sans se ridiculiser. La science a un langage précis, une méthode rigoureuse qui empêche qu’on puisse prendre au sérieux un délire.

              [« Mais il ne s’agit pas ici du fait historique, mais de la substance même de l’énoncé. Imagine-t-on que dans un contexte social différent l’entropie de l’univers pourrait ne pas être toujours croissante ? » Ce n’est pas « l’entropie de l’univers » qui est en question, mais les énoncés par lesquels nous essayons d’approcher le réel (y compris ce que nous interprétons comme « entropie »).]

              Pouvez-vous me donner un exemple précis de deux énoncés contradictoires, tous deux scientifiquement vrais dans deux sociétés différentes ?

              [Comme vous l’avez dit : le réel ne nous est pas accessible directement. Donc la croissance irrémédiable de l’entropie n’est pas une vérité absolue et définitive sur le réel, et inversement un énoncé pourrait très bien être scientifique tout en contredisant le postulat d’une entropie irrémédiablement croissante…]

              Non. Même si le deuxième principe n’est pas une « vérité absolue et définitive » sur le réel, il y a un réel derrière. Et dans ce réel, ce principe est soit vrai, soit faux. Il ne peut être vrai EN MEME TEMPS que son contraire…

              [Je répondrai à votre question ainsi : je pense qu’une société différente aurait très bien pu ne pas découvrir la deuxième loi de la thermodynamique, aurait peut-être découvert une autre loi de l’entropie, peut-être même une loi qui envisage la possibilité d’une entropie décroissante (de façon juste ou fausse, peu importe).]

              Mais bien sûr que cela importe ! Un énoncé une fois réfuté n’existe plus en tant que tel. Et une civilisation qui aurait énoncé « la possibilité d’une entropie décroissante » aurait vu cet énoncé réfuté par l’expérience.

              Prenons un exemple : certaines civilisations considèrent que le monde a été créé en sept jours il y a 6000 ans. D’autres pensent qu’il est né dans un big bang il y a plusieurs millions d’années. Pour vous, les deux énoncés sont « scientifiques » ? Sont-ils équivalents ?

              [Peut-être aurait-elle défini ses quantités fondamentales différemment, sans qu’elles soient forcément en désaccord avec ses propres observations du réel (du *même* réel)…]

              Je vous rappelle qu’on parle de la substance de l’énoncé, et non de sa forme. Il est clair qu’en changeant les définitions on peut rendre vrai n’importe quel énoncé qui ne soit auto-contradictoire. Ainsi, si je définis « plat » comme « qui a la forme d’un sphéroide », l’énoncé « la terre est plate » devient vrai… Il est vrai que si on définit « décroissante » par « qui devient de plus en plus grand », l’entropie de l’univers sera « décroissante »…

              [« Mais c’est la réalité, et non nos sens, qui sert d’étalon ultime. Si nous constatons dans un cas particulier que nos sens nous trompent, c’est la réalité telle que nous arrivons à la reconstruire qui prime sur la perception » Mais la « réalité telle que nous arrivons à la reconstruire » n’est rien d’autre que le produit de l’application de la raison aux perceptions de nos sens.]

              Prenez un deuxième cas, celui d’une illusion optique qui me fait croire que deux segments sont différents alors qu’en fait ils sont de même longueur. Lorsque je les regarde, je les vois différent. Lorsque je les regarde à côté d’une règle, je constate qu’ils sont identiques. Dans les deux cas, c’est ma vue qui m’informe. Mais dans le deuxième cas j’utilise un artifice pour « reconstruire » une réalité pervertie par mes sens.

              [Ce n’est pas a priori « la réalité », mais bien quelque chose d’issu de nos sens. Nous espérons connaître l’étalon ultime, nous ne sommes pas sûrs de le connaître de façon juste et précise.]

              Tout à fait, l’étalon ultime ne nous est pas accessible. Mais la méthode scientifique revient à admettre a) qu’il existe objectivement, c’est-à-dire indépendamment de nous et b) que si nous ne pouvons pas le connaître directement, nous pouvons l’approcher à travers de l’interprétation des informations fournies par nos sens.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              Cette discussion me lasse, ce sera donc ma dernière réponse.

              > A la rigueur, vous pouvez comparer le post-modernisme à un mauvais roman…

              Votre réponse est étrange. Un mauvais roman est un roman.

              > Non. Même si le deuxième principe n’est pas une « vérité absolue et définitive » sur le réel, il y a un réel derrière. Et dans ce réel, ce principe est soit vrai, soit faux. Il ne peut être vrai EN MEME TEMPS que son contraire…

              Je ne vois pas où j’aurais dit qu’un principe ou un énoncé pourrait être « en même temps » vrai et faux. Simplement, nous ne sommes jamais définitivement certains de la valeur de vérité d’un énoncé sur le réel.

              > Mais la méthode scientifique revient à admettre a) qu’il existe objectivement, c’est-à-dire indépendamment de nous et b) que si nous ne pouvons pas le connaître directement, nous pouvons l’approcher à travers de l’interprétation des informations fournies par nos sens.

              a) Oui
              b) On peut *espérer* l’approcher. Il est impossible d’avoir l’ultime certitude que nous nous en approchons.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Cette discussion me lasse, ce sera donc ma dernière réponse.]

              Chacun est maître de ses silences et esclave de ses paroles…

              [Je ne vois pas où j’aurais dit qu’un principe ou un énoncé pourrait être « en même temps » vrai et faux.]

              Je vous cite : « Comme vous l’avez dit : le réel ne nous est pas accessible directement. Donc la croissance irrémédiable de l’entropie n’est pas une vérité absolue et définitive sur le réel, et inversement un énoncé pourrait très bien être scientifique tout en contredisant le postulat d’une entropie irrémédiablement croissante… »

              En d’autres termes, vous pensez que deux énoncés, tous deux « scientifiques » peuvent coexister malgré le fait qu’ils sont contradictoires. Ce qui implique que chacun d’eux soit à la fois vrai et faux.

  23. ux actuels ? dit :

    C’est en 1982,qu’à Dreux, Le Pen et son organisation a surgi sur la scène publique.
    Mitterrand,venait d’arriver en 1981,au pouvoir,ce n’est pas un hasard,le sociétal succédait au social.
    La réaction au programme du CNR et la la défaite des travailleurs commençait au profit du Kapital .
    Le rapport de forces s’inversait avec le revirement des classes moyennes vers ce Capital autrefois combattu en alliance avec les classes populaires,dont l’apex fut les 30 glorieuses et l’état social français tel que les plus de 45 ans se souviennent.
    Ce 26 Mai ,Le Pen sert encore de faire valoir à Macron,comme il servait de récolteur de voix pour le PS il y a 37 ans,est ce un hasard?
    Macron n’est il pas certain de rester au pouvoir temps qu’un LePen sera le chef de facto de son opposition ?
    Ne pensez vous pas qu’il y a de quoi à être découragé devant cette farce de 2 égopoliticiens qui s’affrontent au profit de l’ordre établi depuis presque un demi siècle?
    Comment un président de la république et des commentateurs inféodés peuvent ils pérorer sur le bilan Le Pen , uniquement pour rabattre des voix à leur profit (dont la mienne) tout en esquivant les véritables sujets cruci
    Qu’en retiendront les historiens,qu’une famille,les LePen ont constitués l’alpha et l’oméga de la politique française parceque la menace du grand remplacement a poussé au paroxysme l’identitarisme hexagonal ?

    • Descartes dit :

      @ ux actuels

      [C’est en 1982, qu’à Dreux, Le Pen et son organisation a surgi sur la scène publique.
      Mitterrand, venait d’arriver en 1981 au pouvoir, ce n’est pas un hasard, le sociétal succédait au social.]

      Pas tout à fait. En 1982, le sociétal restait marginal et les socialistes au pouvoir n’avaient pas tout à fait abandonné le projet de « changer la vie ». Ce n’est que plus tard, avec le tournant de la rigueur de 1983 que les socialistes vont se réfugier dans le « sociétal » pour occulter leur capitulation en rase campagne devant les forces du capital… et c’est alors que le FN va percer, aidé par la crise de confiance qui traverse une bonne partie de l’électorat populaire mais aussi par une politique de promotion systématique voulue par Mitterrand pour affaiblir la droite classique : visibilité médiatique inconnue jusqu’à alors dans un paysage audiovisuel largement dominé par les médias publics, introduction de la proportionnelle pour les législatives de 1986, campagnes de SOS-Racisme faisant du FN le seul adversaire du pouvoir… En fait, un peu ce que fait Macron aujourd’hui !

      [Ce 26 Mai Le Pen sert encore de faire valoir à Macron, comme il servait de récolteur de voix pour le PS il y a 37 ans, est ce un hasard?]

      Non, c’est dans la logique même de la politique. Comme Mitterrand après 1983, Macron poursuit un projet dont les Français dans leur majorité ne veulent pas. Sa seule chance de l’imposer est donc de prétendre que les alternatives sont pires. Il nous a déjà fait le coup en 2017, et il recommence aujourd’hui. C’est « moi ou le chaos » version modernisée.

      [Macron n’est il pas certain de rester au pouvoir temps qu’un Le Pen sera le chef de facto de son opposition ?]

      Posez la question à Mateo Renzi, qui a voulu jouer le même jeu. Le problème avec les menaces de croquemitaines, c’est qu’elles finissent par s’user. A la dernière présidentielle, un électeur sur trois a voté pour Marine Le Pen…

      [Ne pensez vous pas qu’il y a de quoi à être découragé devant cette farce de 2 égopoliticiens qui s’affrontent au profit de l’ordre établi depuis presque un demi siècle?]

      Ce n’est pas ça qui est décourageant. Ce qui met le moral dans les chaussettes, c’est que ceux qui étaient censés porter les bannières du progressisme n’aient pas été capables d’articuler un discours véritablement politique qui fasse échec à ce manichéisme. Qu’ils aient préféré se perdre dans des bisbilles sur des micro-sujets sociétaux.

      [Comment un président de la république et des commentateurs inféodés peuvent ils pérorer sur le bilan Le Pen , uniquement pour rabattre des voix à leur profit (dont la mienne) tout en esquivant les véritables sujets cruciaux ?]

      Aussi longtemps que ça marche, ils auraient tort de se gêner…

      • BolchoKek dit :

        [[Comment un président de la république et des commentateurs inféodés peuvent ils pérorer sur le bilan Le Pen , uniquement pour rabattre des voix à leur profit (dont la mienne) tout en esquivant les véritables sujets cruciaux ?]

        Aussi longtemps que ça marche, ils auraient tort de se gêner…]

        Comme tu l’as rappelé, il y a tout de même un énorme risque inhérent à cette stratégie du pâtre qui crie au loup… C’est faire le pari que l’offre politique du “bloc dominant” sera toujours crédible dans la posture des gardiens de la stabilité et de la continuité, à défaut d’emporter les convictions. Mais une ou deux crises importantes peuvent assez vite ébranler tout l’édifice, comme en Grèce, en Italie… Et une fois cet argument du “sérieux” défait, difficile de remonter la pente.

        • Descartes dit :

          @ BolchKek

          [Comme tu l’as rappelé, il y a tout de même un énorme risque inhérent à cette stratégie du pâtre qui crie au loup… C’est faire le pari que l’offre politique du “bloc dominant” sera toujours crédible dans la posture des gardiens de la stabilité et de la continuité, à défaut d’emporter les convictions.]

          C’est surtout un pari sur le fait que quoi qu’on fasse, les électeurs seront toujours prêts à croire que l’autre sera pire. Or, il arrive un moment ou les électeurs finissent par rejeter ce type de discours, surtout en France ou l’on aime essayer la nouveauté. Aujourd’hui il y a en France des députés, des sénateurs, des maires FN, et ma foi ils ne sont ni plus inefficaces, ni plus corrompus, ni plus coupés des réalités que les autres. Plus ces expériences se multiplient, et plus le discours « terroriste » y perd de sa force.

          Finalement, cette campagne fait ressortir ce qu’il y a de pire dans la confrontation politique. Impossible d’allumer la radio sans entendre au moins une fois tous les cinq minutes le nom de Steve Bannon – un type qui n’est finalement rien d’autre qu’une sorte de Séguéla américain. Le plus drôle, c’est que ce sont les mondialistes, ceux-là même qui nous expliquent que les nations ne sont qu’une relique du passé et qui se prévalaient des appels d’Obama à voter pour leur candidat qui agitent aujourd’hui l’épouvantail du « parti de l’étranger »…

      • Alain Brachet dit :

        J’approuve tout à fait vos commentaires (ux et Descartes): pour comprendre l’évolution du monde actuel, il faut, au minimum, en revenir à 1981. C’est le début de la mise en place, et en grand, par Mitterand de la “3ème classe”, la “classe moyenne”, “classe” au sens de Marx (la “classe intermédiaire”, telle que Descartes la nomme). Macron et le Capital ultra libéral qui le soutient (qui l’a même inventé!) ont désormais le dessus, à moins (c’est beaucoup demander aujourd’hui) que le PC, ne retrouve sa vocation (être le parti de la classe ouvrière ou de la classe populaire) allié à la fraction de classe moyenne qui redécouvre ou redécouvrira sous peu (parce que les temps lui deviennent moins favorables ) la nécessité, pour elle, d’une union avec la classe populaire ou ouvrière. C’est pour cela que je crois utile une union entre PC et Insoumis, en un Front de Gauche par exemple, pour débuter le processus. Les trois acteurs de cette union sont loin d’être dans cet état d’esprit… mais connait-on d’autre hypothèse de travail, même embryonnaire, qui pointe le nez aujourd’hui?

        • Descartes dit :

          @ Alain Brachet

          [ J’approuve tout à fait vos commentaires (ux et Descartes): pour comprendre l’évolution du monde actuel, il faut, au minimum, en revenir à 1981.]

          Personnellement, je pense qu’il faut revenir en fait à la fin des années 1960, quand la croissance de rattrapage des « trente glorieuses » s’est arrêtée. C’est à ce moment là que les « classes intermédiaires » commencent à changer de camp. Mai 1968, mais aussi la victoire des libéraux en 1974 sont à la fois un symptôme et une illustration de cette transformation. L’illusion de 1981 et le « tournant » de 1983 complètent la transformation. A partir du milieu des années 1980, les jeux étaient faits.

          [Macron et le Capital ultra libéral qui le soutient (qui l’a même inventé!) ont désormais le dessus, à moins (c’est beaucoup demander aujourd’hui) que le PC, ne retrouve sa vocation (être le parti de la classe ouvrière ou de la classe populaire) allié à la fraction de classe moyenne qui redécouvre ou redécouvrira sous peu (parce que les temps lui deviennent moins favorables) la nécessité, pour elle, d’une union avec la classe populaire ou ouvrière.]

          Ce n’est pas pour tout de suite. Les classes intermédiaires bénéficient encore d’avantages trop importants pour aller les compromettre dans une alliance avec les couches populaires.

          [C’est pour cela que je crois utile une union entre PC et Insoumis, en un Front de Gauche par exemple, pour débuter le processus.]

          Je ne vois pas très bien ce qu’une telle « union » apporterait. Les Insoumis n’existent que par l’autorité et le charisme de Mélenchon, et seulement aussi longtemps que celui-ci arrive à contrôler les conflits entre les différentes tribus de son empire. On voit bien que ce contrôle longtemps absolu s’affaiblit, au point que la tribu « souverainiste » se voit chassée par la tribu « gauchiste » des positions qu’elle occupait sans que le Petit Timonier bouge le petit doigt. Qu’est ce que le PC viendrait faire dans cette foire d’empoigne ? Par ailleurs, ni LFI ni le PC n’ont aujourd’hui l’oreille de l’électorat populaire.

  24. delienne dit :

    Bonjour le slogan PC pour les européennes fait a la fois sourire et en même temps fidèle a l’ambiance actuelle au sein de la gauche radicale a savoir des objectifs sans les leviers pour les intérêts des Gens d’une imaginaire nation européenne < L'Europe des gens contre l'Europe de l'Argent <

    • Descartes dit :

      @ delienne

      [Bonjour le slogan PC pour les européennes fait a la fois sourire et en même temps fidèle a l’ambiance actuelle au sein de la gauche radicale a savoir des objectifs sans les leviers pour les intérêts des Gens]

      Surtout que l’utilisation du mot “gens” est très connotée. Ce mot fait irruption au PCF avec l’arrivée au secrétariat général de Robert Hue. Auparavant, le langage communiste utilisait des catégories bien précises ayant un fondement économique : on parlait des ouvriers, des paysans, des travailleurs, des exploités. Le terme “gens”, répété de manière obsessionnelle par les partisans de la “mutation” à partir de 1994, était censé être un marqueur d’un Parti communiste qui sortait de sa matrice jugée trop “ouvriériste” pour s’adresser finalement à toutes les catégories et tout particulièrement aux classes intermédiaires.

      L’utilisation du mot “argent” suit un chemin parallèle. Avant les années 1990, on ne parlait pas au PCF “d’argent” mais plutôt de “capital”. Car l’argent en lui même est un objet mort. C’est Marx lui-même qui parlait à son propos de “fétiche”. L’argent ne devient vivant que lorsqu’il entre dans un processus de production, c’est à dire, lorsqu’il devient capital. C’est là aussi Robert Hue qui utilisera des expressions telles que “argent roi” ou “argent pour l’argent” (elles y figurent au moins une fois par page dans ses livres, par exemple).

      Que le PCF reprenne ces termes n’est donc pas neutre. S’agit-il d’un retour en grâce des motifs huistes ? Ou plus banalement – et c’est ce que je pense – le fait que ceux qui gouvernent le PCF aujourd’hui s’adressent aux mêmes couches sociales que Robert Hue et les siens hier ?

      • Yoann dit :

        [S’agit-il d’un retour en grâce des motifs huistes ? Ou plus banalement – et c’est ce que je pense – le fait que ceux qui gouvernent le PCF aujourd’hui s’adressent aux mêmes couches sociales que Robert Hue et les siens hier ?]

        De l’intérieur, mais je peux me tromper, je dirais un peu un problème de couche sociale. Et beaucoup plus : la campagne a été lancé avant le congrès, donc pas un mélange de Huiste & co.

  25. Vincent dit :

    Bonjour,

    Je suis étonné de voir que, malgré une actualité qui me semble très florissante, vous avez ralenti votre rythme de publication… Peut être l’excès de commentaires à traiter (mea culpa) en est il partiellement la cause ?

    J’étais convaincu de lire quelque chose de votre part concernant :

    – L’annonce de la suppression de l’ENA / la fin des grands corps / la possibilité d’avoir des contractuels y compris pour les postes les plus importants de l’administration. Que, j’en suis sûr, vous n’auriez pas manqués de rapprocher de Benalla d’une part, de la volonté de Macron il y a 2 ans d’un spoil system à la française d’autre part, voir même du départ du Gal de Villiers, et du Parlement croupion…

    – la fin de campagne des européennes / le rôle de Macron et la focalisation sur le Pen / que devient la “droite” avec Bellamy… et la gauche avec Gluksmann (ancien candidat pressenti d’Alternative Libérale)

    – les ballons d’essais lancés sur l’éclatement d’EDF.

    Mais je n’aurais pas été étonné de voir également quelque chose sur :
    – L’accident du 737 Max, et ce que cela révèle de la compromission entre les administrations américaines soit disant indépendantes et leurs champions nationaux (qui était déjà dénoncée par les spécialistes de l’intelligence économique dans les années 90, mais qui apparait au grand jour). Un parallèle avec l’actuel conflit avec Huawei pourrait être fait.
    Lire à ce sujet https://observationdeck.kinja.com/gregory-travis-on-the-boeing-737-max-8-in-ieee-spectrum-1834178782
    Il y dresse un parallèle très intéressant avec l’explosion d’une navette spatiale en 2003, qui avait résulté d’un arbitrage entre sécurité et coût politique d’un report, là où, ici, il y a eu un arbitrage entre sécurité et coût financier

    – La privatisation d’ADP : et surtout le “pourquoi” : malgré les explications confuses, expliquant que cela permettra à la fois de désendetter l’état et de fournir des sous à l’innovation technologique, il s’agit en fait de profiter de l’opération pour faire des manoeuvres complexes permettant d’aller cacher du “hors bilan”. En effet, si on rembouse la dette avec le produit de la vente, il n’y a logiquement plus de rente à distribuer pour les investissements…

    – Comment le gouvernement se retrouve à devoir prêter le flanc à des critiques tous azimuts dans 3 domaines presque simultanément, alors qu’il ne fait que la seule politique possible et conforme aux conclusions que l’on peut tirer des connaissances scientifiques : la mission parlementaire sur les pesticides qui a été envoyée pour déminer le futur maintien du glyphosate / le déremboursement de l’homéopathie / ventes d’armes au Yémen. Où on se rend compte que, bien plus que les lobbies, les gouvernements sont pieds et poings liés à des ONG pétries de bons sentiments…

    PS : naturellement, je ne vous reprocherais pas de prendre des vacances, et j’espère que ce moindre rythme ne résulte pas d’un ennui de votre côté…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je suis étonné de voir que, malgré une actualité qui me semble très florissante, vous avez ralenti votre rythme de publication… Peut être l’excès de commentaires à traiter (mea culpa) en est il partiellement la cause ?]

      Non, pas du tout. C’est plutôt l’excès de travail qui en est la cause… mais rassurez-vous, je compte me soigner !

      [J’étais convaincu de lire quelque chose de votre part concernant : – L’annonce de la suppression de l’ENA / la fin des grands corps / la possibilité d’avoir des contractuels y compris pour les postes les plus importants de l’administration. Que, j’en suis sûr, vous n’auriez pas manqués de rapprocher de Benalla d’une part, de la volonté de Macron il y a 2 ans d’un spoil system à la française d’autre part, voir même du départ du Gal de Villiers, et du Parlement croupion…]

      Le sujet est intéressant et je compte le traiter dans un papier. Mais j’attends un peu de voir ce que devient la loi sur la fonction publique en cours d’examen devant le parlement… Mais pour répondre rapidement à votre propos, il est difficile de reprocher à Macron ce qui en fait résulte d’une lente érosion du statut de la fonction publique et les tentatives constantes de politisation auxquelles on assiste depuis les années 1980. Comme dans beaucoup d’autres domaines, Macron par son franc parler ne fait que rendre visible la détérioration d’un système auquel on n’a pas arrêté de donner des coups de canif depuis des années.

      Pour le reste, merci de vos suggestions !

  26. Jean-François dit :

    Bonjour Descartes,

    Je stipule un article sur ce débat 🙂

    On y voit quatre économistes (dont Jacques Généreux et David Cayla) s’entendre pour dire que l’euro est condamné par construction (et que tous les économistes le savent depuis sa création), et personne pour contredire Généreux quand il dit qu’un éclatement prochain de la zone euro est plus que probable. (Et donc sa conclusion est… qu’il ne faut pas sortir proprement de l’euro dès que possible pour diminuer les dégâts, mais qu’il faut que la France impose de force à toute l’UE la “coopération fiscale et sociale”.)

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [On y voit quatre économistes (dont Jacques Généreux et David Cayla) s’entendre pour dire que l’euro est condamné par construction (et que tous les économistes le savent depuis sa création), et personne pour contredire Généreux quand il dit qu’un éclatement prochain de la zone euro est plus que probable.]

      Oui mais ces gens-là ne vont pas au fond de la question. Si vous écoutez bien, la critique de l’Euro est plus une critique de la politique monétaire de la BCE, de son mandat, de l’interdiction d’agir sur la politique budgétaire qu’une critique structurelle d’une monnaie supranationale. Remarquez ce n’est pas illogique, dans la mesure où les quatre économistes en question sont soucieux de « sauver l’Europe » supranationale (c’est le titre du livre de Deidieu).

      Généreux pense à un éclatement probable… si l’on ne fait rien. C’est là le consensus de ces économistes : il faut faire quelque chose pour sauver l’Euro. Et on ressort les vieilles lunes d’une « monnaie unique » avec des dévaluations contrôlées…

  27. Bonjour,

    Je lis attentivement tous les échanges et les trouve extrêmement intéressants, surtout sur la question de ce qu’est la science, peut-être parce que cela rejoint certaines de mes préoccupations.

    Mais je voudrais revenir sur cette remarque que vous faites, Descartes:
    “La Chine, pays qui a vécu son histoire à l’intérieur de ses frontières, n’a jamais cherché à proclamer son modèle comme universel. La Chine ressemble plus à l’Allemagne qu’à la France, l’Angleterre, les Etats Unis…”
    Je ne suis pas tout à fait d’accord pour qualifier la Chine et l’Allemagne de pays “provinciaux”, confinés dans leurs frontières.

    Parlons d’abord de l’Allemagne. L’Allemagne est issue du Saint Empire Germanique, et ce rêve impérial a longtemps irrigué la politique allemande. De mon point de vue, il y a une “grandeur allemande”: l’Allemagne est le berceau de la réforme protestante avec Luther, l’Allemagne a produit au XIX° et au début du XX° siècle de grands scientifiques, de grands historiens et de grands philosophes. Du point de vue de la philosophie, je vois mal comment on pourrait accuser des penseurs comme Kant, Hegel ou Nietzsche de ne pas viser l’universel.
    Au tournant du XX° siècle, l’Allemagne a cherché à vassaliser une partie de l’Europe, à étendre son influence sur l’empire ottoman (chemin de fer Berlin-Bagdad). Quoique timidement, l’Allemagne s’est doté d’un empire colonial, et l’architecture de certaines bourgades de Namibie ou de Tsingtao en Chine en témoigne encore aujourd’hui. Il y a selon moi un rêve impérial allemand, comme il y a un rêve impérial britannique ou français, même si bien sûr il existe des différences.

    De mon point de vue, l’Allemagne n’est devenue un pays “provincial” qu’après la Seconde Guerre Mondiale, quand on lui a fait comprendre (en l’écrasant militairement), que sa vocation était désormais d’être au mieux une “Grande Suisse”. Mais alors que la Suisse a fait historiquement le choix de n’être rien au point de vue géopolitique (et ce n’est pas une question de taille: les Provinces-Unies plus tard Pays-Bas ont eu un destin “mondial”), je pense que l’Allemagne a été contrainte de renoncer à ses rêves de grandeur. Mais je me demande si ces rêves de grandeur ne finiront pas par refaire surface.

    Je connais moins la Chine, mais il me paraît difficile de nier qu’il y a une “grandeur chinoise”. Les empereurs de Chine ont régulièrement cherché à dominer l’Asie de l’est et une partie de l’Asie centrale, le Vietnam, la Corée, le Japon même ont été durablement marqués par l’influence culturelle et religieuse de la Chine. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la Chine aspire à accroître son rôle dans le monde. L’Inde, pour le coup, me paraît beaucoup plus “provinciale”.

    Pour moi, la distinction se situerait plutôt entre puissances maritimes et puissances continentales, c’est le vieux clivage Athènes/Sparte, Carthage/Rome. La Grande-Bretagne se conçoit comme une puissance maritime, alors que la Chine est une puissance continentale. La France a, je crois, cette particularité d’avoir fait longtemps de gros efforts pour être les deux (là où la Chine, dès le XV° siècle, renonce aux grandes expéditions maritimes qu’elle avait initiées dans l’océan Indien). En Allemagne, il y a eu certains dirigeants plutôt favorables à une conception “puissance continentale” (Bismarck, Hitler) mais d’autres ont voulu faire du pays une grande puissance maritime (Guillaume II). Au début du XX° siècle, la flotte de guerre allemande est l’une des plus puissantes du monde. Quant aux Etats-Unis, je pense que l’absence de réelles menaces terrestres après le tracé définitif des frontières avec le Mexique et le rôle joué dans les Guerres Mondiales a contraint cette puissance continentale tentée par l’isolationnisme à devenir une grande puissance maritime. Il n’y a qu’à voir le prestige de la Navy, aussi bien en Grande-Bretagne qu’aux Etats-Unis, alors que l’armée de Terre a davantage de prestige en France et en Allemagne.

    Voilà quelques idées, comme ça, en passant.

    • Descartes dit :

      @ nationaliste-ethniciste

      [Parlons d’abord de l’Allemagne. L’Allemagne est issue du Saint Empire Germanique, et ce rêve impérial a longtemps irrigué la politique allemande.]

      Avec l’Allemagne, rien n’est simple. On peut dire que l’Allemagne est issue du Saint Empire… mais on peut aussi dire que l’Allemagne s’est construite CONTRE le Saint Empire. Les rapports entre les différentes unités politiques qui constituent ce qu’on appelle aujourd’hui l’Allemagne ont eu des rapports conflictuels pendant la plus grande partie de leur histoire. Chaque prince allemand était trop occupé à se battre avec ses voisins immédiats pour partager avec eux un « rêve », impérial ou pas. On peut dire à la rigueur que la Prusse a eu un « rêve impérial ». Mais l’Allemagne ? Non, je ne le crois pas.

      Ce qui a fait de la France, l’Angleterre, l’Espagne ou le Portugal des puissances « universelles », c’est qu’à un moment de l’histoire elles ont cessé de consacrer l’essentiel de leurs ressources à se battre avec les voisins pour le tracé d’une frontière, et qu’elles sont sorties conquérir le monde. Cela les a obligé à se frotter à d’autres peuples et à se confronter à de nouveaux problèmes juridiques, politiques, économiques. D’autres pays n’ont pas fait le saut, et lorsqu’on regarde plus attentivement on se rend compte que c’est le morcellement qui fait ça. Les pays « provinciaux » sont souvent des pays avec des cités, des communes, des régions puissantes dont les luttes incessantes ont empêché l’apparition d’une volonté commune.

      [De mon point de vue, il y a une “grandeur allemande”: l’Allemagne est le berceau de la réforme protestante avec Luther, l’Allemagne a produit au XIX° et au début du XX° siècle de grands scientifiques, de grands historiens et de grands philosophes. Du point de vue de la philosophie, je vois mal comment on pourrait accuser des penseurs comme Kant, Hegel ou Nietzsche de ne pas viser l’universel.]

      Pour ce qui concerne la réforme protestante, on ne peut dire qu’il y eut une vocation de grandeur là-dedans. Contrairement au protestantisme anglais – qui n’est en fait qu’un catholicisme soumis à l’autorité politique – qui fut un instrument d’unité et de conquête, le protestantisme allemand a favorisé encore le morcellement d’une société qui l’était déjà fortement. La réforme protestante a peut-être enrichi les villes allemandes, mais elle n’a certainement pas une vocation « universelle », au contraire : elle apparaît comme une contestation de « l’universalité » de l’église catholique.

      Pour ce qui concerne la vie intellectuelle allemande, personne ne conteste je pense qu’elle a été intense au XIXème et XXème siècle. Mais elle est aussi beaucoup plus « provinciale ». Voltaire ou Diderot ont voyagé à travers l’Europe, l’encyclopédie a été lue – et interdite – partout. Les penseurs allemands sont restés chez eux (Kant, pour ne donner qu’un exemple, n’a jamais quitté sa ville natale…) et se sont peu souciés de voir leurs travaux diffusés ailleurs que chez eux.

      [Au tournant du XX° siècle, l’Allemagne a cherché à vassaliser une partie de l’Europe, à étendre son influence sur l’empire ottoman (chemin de fer Berlin-Bagdad). Quoique timidement, l’Allemagne s’est doté d’un empire colonial, et l’architecture de certaines bourgades de Namibie ou de Tsingtao en Chine en témoigne encore aujourd’hui. Il y a selon moi un rêve impérial allemand, comme il y a un rêve impérial britannique ou français, même si bien sûr il existe des différences.]

      Plus que de « rêve », je parlerais d’imitation. L’Allemagne de la fin du XIXème s’est lancé dans la conquête coloniale parce que les pays qu’elle considérait ses ennemis – mais aussi ses références – avaient des empires. De la même façon, l’Allemagne est devenue puissance maritime en réaction à la supériorité navale britannique. On ne trouve pas dans la pensée allemande du trace d’une « idéologie coloniale » comme on la trouve en France, en Angleterre ou en Espagne.

      [De mon point de vue, l’Allemagne n’est devenue un pays “provincial” qu’après la Seconde Guerre Mondiale, quand on lui a fait comprendre (en l’écrasant militairement), que sa vocation était désormais d’être au mieux une “Grande Suisse”.]

      Oui et non. Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer le complexe d’infériorité de l’Allemagne, puissance jeune arrivée au concert des nations au moment où toutes les places étaient déjà occupées. D’où ce phénomène d’imitation : la France avait un empire, donc il fallait que l’Allemagne en ait un. L’Angleterre avait une flotte, donc il fallait que l’Allemagne en ait une. Alors que les grands pays européens avaient renoncé à se faire la guerre sur le continent et ne s’affrontaient que dans leurs zones d’influence, l’Allemagne en était encore à laver l’affront du Congrès de Vienne. Il a fallu une défaite totale suivie d’une fédéralisation très poussée pour sortir de cette logique d’émulation.

      [Je connais moins la Chine, mais il me paraît difficile de nier qu’il y a une “grandeur chinoise”. Les empereurs de Chine ont régulièrement cherché à dominer l’Asie de l’est et une partie de l’Asie centrale, le Vietnam, la Corée, le Japon même ont été durablement marqués par l’influence culturelle et religieuse de la Chine.]

      Je ne suis pas d’accord avec vous. Si la Chine a dominé de fait certaines parties de l’Asie par son poids économique et démographique, les empereurs de Chine n’ont certainement pas cherché des aventures coloniales, au contraire : leur obsession, c’était de s’enfermer derrière des frontières infranchissables et de maintenir les voisins éloignés. Le contact avec l’étranger était vu comme dangereux, pouvant « polluer » une société chinoise vue comme parfaite avec des idées ou des coutumes « barbares ».

      [Aujourd’hui, j’ai l’impression que la Chine aspire à accroître son rôle dans le monde. L’Inde, pour le coup, me paraît beaucoup plus “provinciale”.]

      Sa puissance, oui. Son rôle… non. La Chine ne prétend pas diffuser dans le monde le « chinese way of life », loin de là. La Chine veut s’enrichir, et se protéger de ses ennemis. Mais elle ne cherche pas à diffuser sa langue, sa culture, ses coutumes, son droit ou ses institutions comme ont pu le faire les Anglais, les Français, les Américains ou les Espagnols. Vous aurez du mal à trouver un pays du monde ou la Chine ait organisé un coup d’Etat…

      [Pour moi, la distinction se situerait plutôt entre puissances maritimes et puissances continentales, c’est le vieux clivage Athènes/Sparte, Carthage/Rome. La Grande-Bretagne se conçoit comme une puissance maritime, alors que la Chine est une puissance continentale.]

      Je pense que ce sont deux clivages différents. Certaines puissances maritimes avaient une conception universelle, cherchant à exporter leurs valeurs, leurs modes de vie, leur droit, leurs institutions, d’autres pas. La République de Venise ou les Provinces Unies ont été des puissances maritimes, mais on ne trouve pas chez elles la trace d’une « mission civilisatrice ».

      • BolchoKek dit :

        @ Descartes et n-e

        [Je ne suis pas d’accord avec vous. Si la Chine a dominé de fait certaines parties de l’Asie par son poids économique et démographique, les empereurs de Chine n’ont certainement pas cherché des aventures coloniales, au contraire : leur obsession, c’était de s’enfermer derrière des frontières infranchissables et de maintenir les voisins éloignés. Le contact avec l’étranger était vu comme dangereux, pouvant « polluer » une société chinoise vue comme parfaite avec des idées ou des coutumes « barbares ».]

        Je suis tout à fait d’accord. La politique extérieure chinoise est d’ailleurs d’une extraordinaire constance depuis plusieurs millénaires : chercher à sécuriser les frontières en maintenant soit des sujets soumis par la force (c’est le but de la quasi-totalité des guerres offensives chinoises) soit en établissant des états-clients diplomatiquement avec comme outil l’alignement des intérêts commerciaux et économiques.

        [[Pour moi, la distinction se situerait plutôt entre puissances maritimes et puissances continentales, c’est le vieux clivage Athènes/Sparte, Carthage/Rome. La Grande-Bretagne se conçoit comme une puissance maritime, alors que la Chine est une puissance continentale.]
        Je pense que ce sont deux clivages différents. Certaines puissances maritimes avaient une conception universelle, cherchant à exporter leurs valeurs, leurs modes de vie, leur droit, leurs institutions, d’autres pas.]

        Je suis d’accord avec Descartes, et j’ajoute que l’idée de Carthage comme une puissance mercantile complètement centrée sur une cité dotée d’institutions ad hoc, c’est à dire dépourvue d’un véritable État, et ne s’étendant que via la sujétion d’autres peuples de façon contractuelle est fortement discutable. Déjà, car l’historiographie traditionnelle a eu tendance à prendre les sources romaines de façon acritique, et à établir une typologie de la civilisation Carthaginoise à partir de celles-ci. Ce qui pose un problème méthodologique : en effet, on a très peu de sources Carthaginoises, mais ce n’est pas une raison pour prendre les sources romaines pour argent comptant. Il est assez plausible que ces sources romaines, qui décrivent les carthaginois comme des marins, au gouvernement oligarchique fondé sur le commerce, plus intéressés par les débouchés commerciaux que par la constitution d’une société assimilatrice, soient en grande partie de la propagande. Si demain le monde disparait et que les seules sources restantes quant à la civilisation États-unienne sont les sources iraniennes, je ne pense pas que les archéologues du futur auront une vision probante.
        Au contraire, l’archéologie semble indiquer que les Carthaginois étaient un empire certes maritime, mais bien plus semblable par de nombreux aspects à Rome qu’on ne le pensait – je pense notamment aux fouilles ces dernières décennies dans le sud-est de l’Espagne, qui mettent en lumière une assez profonde “punicisation” de la culture matérielle, et ce assez loin dans les terres et loin des ports. Ce qui tendrait à contredire l’image traditionnelle d’un cœur de la civilisation punique établi autour d’un archipel de cités portuaires, qui n’a aucun intérêt dans son arrière-pays.
        Et cela n’a en fait rien de surprenant : comme les Romains considéraient que les qualités de leur civilisation étaient à la fois ce qui les séparait des autres, et avaient une valeur même religieuse, comment s’étonner que leur ennemi juré fut dépeint par eux comme leur exact inverse ? Aux citoyens-soldats de Rome s’opposaient les mercenaires barbares levés par milliers des Carthaginois… C’est très parlant comme image, mais étant donné qu’on n’a pour ainsi dire qu’une seule source pour corroborer cette vision, l’honnêteté méthodologique consisterait à considérer que l’on ne sait pas vraiment – et que la réalité était probablement bien moins contrastée..

        • @ Bolchokek,

          ” j’ajoute que l’idée de Carthage comme une puissance mercantile complètement centrée sur une cité dotée d’institutions ad hoc, c’est à dire dépourvue d’un véritable État, et ne s’étendant que via la sujétion d’autres peuples de façon contractuelle est fortement discutable. Déjà, car l’historiographie traditionnelle a eu tendance à prendre les sources romaines de façon acritique, et à établir une typologie de la civilisation Carthaginoise à partir de celles-ci.”
          Je n’ai pas abordé ce thème mais on peut en parler. Il est évident que les sources romaines et grecques de Sicile étaient anti-carthaginoises, et déforment une réalité que peut-être elles connaissent mal. Les Grecs écrivant au service des Barcides (il y en avait) avaient certainement une autre vision des choses, mais leurs œuvres sont perdues. Comme dans toute cité antique, les citoyens de Carthage étaient astreints au service militaire, et il faut rappeler que, du côté romain, la moitié des armées était composée… de contingents alliés fournis en vertu des traités de sujétion imposés à tous les peuples et cités d’Italie!

          Cela étant, ne soyons pas obsédé par le “déconstructivisme historique”: Carthage est bel et bien née dans le cadre de l’expansion maritime et commerciale de la Phénicie. Les Carthaginois étaient de grands marins et de grands commerçants, leurs échanges avec les Étrusques entre autres en témoignent. Je ne dis pas qu’ils n’étaient que cela, mais le fait est qu’ils étaient ça aussi. Si les Carthaginois n’ont jamais négligé leur arrière-pays (après tout, les princes numides devaient fournir des troupes selon un système comparable à celui qui obligeait les peuplades italiques à envoyer des contingents dans l’armée romaine), il n’en demeure pas moins que leur politique et leurs activités étaient davantage tournées vers la mer que les Romains. De même, l’importance du recours au mercenariat par les Carthaginois est peu contestable, et ce faisant, ils étaient dans la tradition hellénistique. C’est plutôt Rome, avec ses armées “nationales” (et encore, à moitié) qui apparaît comme l’exception.

          Il faut avoir un regard critique sur les sources, mais je pense que l’école hyper-critique (qui finit inévitablement par nier toute valeur aux textes anciens sous prétexte qu’ils sont des “constructions idéologiques pétries de préjugés” et on rejoint là un peu le débat que Descartes mène en ce moment sur la définition de la science dans les commentaires de l’article précédent) va trop loin. Les auteurs antiques sont subjectifs, c’est évident, ils sont partiels et partials, mais la subjectivité, et même la partialité, n’exclut pas totalement l’honnêteté intellectuelle.

      • Vincent dit :

        @Descartes

        @Descartes

        > Pour ce qui concerne la vie intellectuelle allemande, (…) elle est aussi
        > beaucoup plus « provinciale ». Voltaire ou Diderot ont voyagé à travers
        > l’Europe, l’encyclopédie a été lue – et interdite – partout. Les penseurs
        > allemands sont restés chez eux

        Vous prenez l’exemple de Kant. Mais celui de Goethe aurait été un contre-exemple. Aussi, Goethe était avant tout un rhénan, plus imprégné de culture française. Comme vous disiez, en Allemagne, rien n’est simple…

        > Sa puissance, oui. Son rôle… non. La Chine ne prétend pas diffuser dans
        > le monde le « chinese way of life », loin de là.

        J’ai appris qu’en Chine, un débat avait eu lieu sur l’introduction du pinyin, c’est à dire d’une manière d’écrire le chinois avec des caractères latin. Ce pinyin est d’autant plus utilisé que c’est avec ces caractères qu’on écrit le chinois sur des claviers d’ordinateur ou de téléphone portable. Du coup, tous les chinois le maitrisent.
        L’apprentissage du chinois serait nettement plus facile avec le pinyin. Et le choix a été fait de combattre la prolifération du pinyin dans la société chinoises, de manière à maintenir l’écriture normale. S’il y avait eu une volonté hégémonique, d’imposer sa langue à la planète, clairement, ils auraient fait le choix de passer une une écriture plus simple à apprendre…

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [Vous prenez l’exemple de Kant. Mais celui de Goethe aurait été un contre-exemple. Aussi, Goethe était avant tout un rhénan, plus imprégné de culture française. Comme vous disiez, en Allemagne, rien n’est simple…]

          Goethe était certainement beaucoup plus cosmopolite que Kant, mais il était bien plus influencé par l’illuminisme français. Et même ainsi, je crois qu’il n’a jamais travaillé en dehors de l’Allemagne.

          [S’il y avait eu une volonté hégémonique, d’imposer sa langue à la planète, clairement, ils auraient fait le choix de passer une une écriture plus simple à apprendre…]

          Je ne suis pas sûr que ce soit le bon raisonnement. Les américains n’ont pas simplifié l’anglais pour le rendre plus simple à apprendre, que je sache… mais il me semble clair que la Chine ne recherche nullement une hégémonie culturelle en dehors de ses frontières.

    • Vincent dit :

      @nationaliste-ethniciste

      J’ai hésité entre vous répondre, où à notre hôte. Je vais faire les deux, et vous donner mon point de vue. Et tant pis s’il y a des redites.

      > Parlons d’abord de l’Allemagne. L’Allemagne est issue du Saint Empire
      > Germanique, et ce rêve impérial a longtemps irrigué la politique allemande.

      On pourrait discuter votre affirmation. Selon moi, l’Allemagne est issue de la bataille de Sadowa, qui a bien fait comprendre à tous les états allemands qui était le chef (la Prusse), puis de la guerre de 1870, qui a obligé les états Allemands à s’allier avec la Prusse.
      Du coup, l’Allemagne est pour moi davantage issue de la main-mise de la Prusse sur les Etats Allemands qu’un prolongement naturel du Saint Empire.

      > De mon point de vue, il y a une “grandeur allemande”:

      On pourrait aussi dire qu’il y a une grandeur Suisse. La grandeur suisse est de savoir rester neutre et continuer à faire des affaires avec tout le monde. Je vous taquine, mais ce terme a comme avantage que chacun peut mettre ce qu’il veut dedans.

      > Au tournant du XX° siècle, l’Allemagne a cherché à vassaliser une partie
      > de l’Europe, à étendre son influence sur l’empire ottoman (chemin de fer
      > Berlin-Bagdad).

      Il me semble qu’il s’agit d’une réaction à l’hégémonie maritime britannique. Après la guerre de 1870, les 2 grandes puissances du continent deviennent clairement l’Allemagne et la GB. L’une continentale, et l’autre maritime.
      Quand on est coincé sur le continent, on essaie de se décoincer :
      – assurer des liaisons terrestres, qui ne peuvent pas se faire menacer par la puissance maritime, d’où le chemin de fer,
      – essayer de concurrencer la puissance maritime sur son propre terrain pour pouvoir lui imposer sa loi. D’où la consctuction d’une flotte de guerre, pour tenir tête à la Royal Navy (c’était le seul objectif).

      > Quoique timidement, l’Allemagne s’est doté d’un empire colonial, et
      > l’architecture de certaines bourgades de Namibie ou de Tsingtao en
      > Chine en témoigne encore aujourd’hui.

      Ainsi que les noms de certains bourgs au Cameroun. Mais il faut voir qu’à l’époque, la France et la GB, les deux grands rivaux, s’étaient lancés dans une conquête du monde. Ils se sons sentis obligés de chercher à avoir aussi leur part du gateau. Mais ça ne prouve rien.

      > Il y a selon moi un rêve impérial allemand, comme il y a un rêve
      > impérial britannique ou français, même si bien sûr il existe des
      > différences.

      Je ne suis pas certain que le mot “impérial” soit adapté. Le rêve allemand au début du XXème siècle était de dominer toutes les zones où habitait une partie de population germanophone (ou parlant un dialecte voisin). L’Europe était, pour une large partie, un patchwork de nationalités, avec des langues différentes. Et le sens du “Deutschland über alles” était que, là où des allemands habitaient, c’était à eux de diriger. Du moins c’est mon interprétation.
      Et ça fait un gros morceau. Pour faire simple, quasiment ce qui est entre la Russie actuelle à l’Est (hors bien sûr Kaliningrad), la Meuse à l’Ouest, les Alpes au Sud, et la Baltique au Nord.
      Est ce que ça en fait une nation impériale ? Selon moi, non.
      Mais le lien avec la Chine est pertinent, puique la Chine, elle aussi, a son “hinterland” qu’elle considère comme étant chez elle. Je ne pense pas non plus que ça en fasse une puissance impériale.

      > je pense que l’Allemagne a été contrainte de renoncer à ses rêves
      > de grandeur. Mais je me demande si ces rêves de grandeur ne
      > finiront pas par refaire surface.

      Je crois que c’est en train de se produire. L’extension de l’UE à l’Est en est pour moi le symptome.

      > Aujourd’hui, j’ai l’impression que la Chine aspire à accroître
      > son rôle dans le monde.

      La comparaison avec l’Allemagne d’il y a un siècle me semble très pertinente. Il s’agit dans les deux cas :
      – de pays qui ont culturellement un hinterland à défendre,
      – de pays qui ont connu un très fort développement industriel,
      – de pays dont les ambitions mercantiles risquent de heurter l’hégémonie anglo-saxonne,
      – de pays qui ne veulent pas se laisser dicter leur politique par la puissance hégémonique.

      Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, et je suis ici d’accord avec Descartes, je ne pense pas qu’il y ait de volonté d’empire mondial. Mais simplement d’être maitre dans son pré carré.

      > Pour moi, la distinction se situerait plutôt entre puissances maritimes
      > et puissances continentales, c’est le vieux clivage Athènes/Sparte,
      > Carthage/Rome.

      Tout à fait. Et selon moi, l’Allemagne de 1900 comme la Chine d’aujourd’hui sont dans la position de Sparte.

      > En Allemagne, il y a eu certains dirigeants plutôt favorables à une conception “puissance
      > continentale” (Bismarck, Hitler) mais d’autres ont voulu faire du pays une grande puissance
      > maritime (Guillaume II). Au début du XX° siècle, la flotte de guerre allemande est l’une
      > des plus puissantes du monde.

      Je ne sais pas dans quelle mesure Guillaume II avait réellement une volonté impériale universelle. Mais, comme je l’ai écris plus haut, la flotte allemande était, selon moi, construite pour pouvoir assurer la liberté de mouvement face à la GB.
      Au passage, il me semble que ce que vous affirmez (flotte allemande qui peut se comparer avec la flotte anglaise) était vrai en 1914, mais j’ai des doutes sur la période 1900…

      • Descartes dit :

        @ Vincent

        [On pourrait aussi dire qu’il y a une grandeur Suisse. La grandeur suisse est de savoir rester neutre et continuer à faire des affaires avec tout le monde. Je vous taquine, mais ce terme a comme avantage que chacun peut mettre ce qu’il veut dedans.]

        Vous avez un peu raison de dire que la grandeur est un mot-valise, ou chacun met un peu ce qu’il veut. Personnellement, j’aurais tendance à associer la « grandeur » à un projet qui dépasse dans l’espace et dans le temps celui qui le porte. Ce dépassement se traduit par le sacrifice de l’intérêt personnel au nom d’une idée d’éternité.

        Oui, je sais que cela peut paraître un peu fumeux, alors je pense à quelques exemples : celui de Louis XIV disant sur son lit de mort « je m’en vais, mais l’Etat (que j’ai créé) demeurera toujours ». Ou Napoléon établissant les « masses de granit » que sont le Code civil et le Code pénal. Ou De Gaulle partant à Londres.

      • @ Vincent (et Descartes puisque vos objections se rejoignent),

        “On pourrait discuter votre affirmation. Selon moi, l’Allemagne est issue de la bataille de Sadowa, qui a bien fait comprendre à tous les états allemands qui était le chef (la Prusse), puis de la guerre de 1870, qui a obligé les états Allemands à s’allier avec la Prusse.”
        Je pense que vous confondez deux choses: l’Allemagne en tant que nation moderne, et l’Allemagne en tant que civilisation. Pour ce qui est de la naissance de l’Allemagne moderne, unifiée et fédérale, vous avez raison. Mais cette Allemagne n’est pas tombée du ciel. Elle est en partie l’héritière du Saint Empire. L’historien Francis Rapp le montre: aux XIV°-XV° siècles, la “nation” allemande se voit comme celle à qui a été confiée la direction du Saint Empire (et donc de la chrétienté). Par “Saint Empire Romain Germanique”, il faut comprendre “Saint Empire Romain de la nation germanique”. L’aigle du Saint-Empire est toujours un symbole allemand…

        “Du coup, l’Allemagne est pour moi davantage issue de la main-mise de la Prusse sur les Etats Allemands qu’un prolongement naturel du Saint Empire.”
        La Prusse fonde le II° Reich. A votre avis, qu’appelle-t-on le 1er Reich? Croyez-vous que le choix des dénominations soit le fruit du hasard?

        “Ils se sons sentis obligés de chercher à avoir aussi leur part du gateau.”
        Comment ça “ils se sont sentis obligés”? Par qui? Par quoi? Peut-être par l’envie de peser dans les affaires du monde…

        “Mais le lien avec la Chine est pertinent, puique la Chine, elle aussi, a son “hinterland” qu’elle considère comme étant chez elle. Je ne pense pas non plus que ça en fasse une puissance impériale.”
        Au XVIII° siècle, la Chine a vassalisé la Corée et le Vietnam, elle a conquis toute la Mongolie (intérieure et extérieure), le Turkestan (l’actuel Xinjiang) et le Tibet, pour dominer au final un territoire faisant plus du double de la surface des terres peuplées uniquement de Han. Pardon de vous poser cette question, mais à partir de quand peut-on parler d’empire selon vous?

        Je pense que Descartes et vous-mêmes avez en tête la Grande Muraille qui nourrit le mythe d’une Chine claquemurée sur son pré carré. Mais dans ce cas, les Romains avec leur mur d’Hadrien et leur “limes” des Champs Décumates, ou Louis XIV avec la ceinture des forteresses de Vauban sont dans le même cas. L’expression “pré carré” est d’ailleurs utilisée pour la politique de Louis XIV…

        “On pourrait aussi dire qu’il y a une grandeur Suisse. La grandeur suisse est de savoir rester neutre et continuer à faire des affaires avec tout le monde. Je vous taquine, mais ce terme a comme avantage que chacun peut mettre ce qu’il veut dedans.”
        Eh bien précisons le terme de “grandeur”. La grandeur revêt selon moi plusieurs aspects: puissance politique et militaire, dynamisme économique et rayonnement culturel. L’Allemagne du début du XX° siècle est une grande puissance militaire. Son industrie est dynamique. Ses archéologues (je pense à Schliemann découvreur de Troie et Mycènes), ses historiens (le grand Théodor Mommsen reste un des maîtres de l’histoire romaine), ses philosophes, ses scientifiques ont assuré un rayonnement à la culture allemande. Que faut-il de plus?

        “Je ne sais pas dans quelle mesure Guillaume II avait réellement une volonté impériale universelle.”
        Guillaume II avait un problème: il était à moitié anglais…

        • Descartes dit :

          @ nationaliste-ethniciste

          [Pour ce qui est de la naissance de l’Allemagne moderne, unifiée et fédérale, vous avez raison. Mais cette Allemagne n’est pas tombée du ciel. Elle est en partie l’héritière du Saint Empire. L’historien Francis Rapp le montre: aux XIV°-XV° siècles, la “nation” allemande se voit comme celle à qui a été confiée la direction du Saint Empire (et donc de la chrétienté). Par “Saint Empire Romain Germanique”, il faut comprendre “Saint Empire Romain de la nation germanique”. L’aigle du Saint-Empire est toujours un symbole allemand…]

          Je pense qu’on fait erreur lorsqu’on parle d’une « nation germanique » (et on pourrait dire même lorsqu’on parle de « nation allemande »). L’espace germanique est un espace morcelé, et on peut se demander si les habitants de telle ou telle principauté ou ville libre allemande se sont considérés, à quelque moment de l’histoire que ce soit, liés aux habitants des autres par un lien de solidarité impersonnelle et inconditionnelle, qui reste pour moi la meilleure définition de la nation. Le fédéralisme poussé de l’Allemagne d’aujourd’hui illustre à mon sens cette difficulté, toujours présente.

          [Au XVIII° siècle, la Chine a vassalisé la Corée et le Vietnam, elle a conquis toute la Mongolie (intérieure et extérieure), le Turkestan (l’actuel Xinjiang) et le Tibet, pour dominer au final un territoire faisant plus du double de la surface des terres peuplées uniquement de Han. Pardon de vous poser cette question, mais à partir de quand peut-on parler d’empire selon vous?]

          C’est une question subjective : lorsque la Chine vassalise la Corée et le Vietnam et conquiert la Mongolie, le Turkestan ou le Tibet, est-ce avec l’intention d’agrandir son territoire en imposant à ces territoires son droit, son mode de vie, ses institutions politiques, sa langue ? Ou est-ce plutôt dans le but de neutraliser des éventuelles menaces sur son territoire, de constituer autour de celui-ci un glacis de protection ? Nous avons un exemple qui illustre cette différence tout près de chez nous : lorsque l’URSS après 1945 « vassalise » l’Europe de l’Est, elle n’impose pas le russe comme langue obligatoire, elle n’uniformise pas le droit pour imposer le droit soviétique. La question pour Staline est surtout de se doter d’une profondeur stratégique, de ne pas avoir de pays hostile à ses frontières. Les soviétiques n’interviendront d’ailleurs dans la vie des « pays frères » que lorsqu’ils verront ce principe menacé.

          [Je pense que Descartes et vous-mêmes avez en tête la Grande Muraille qui nourrit le mythe d’une Chine claquemurée sur son pré carré.]

          Non, pas vraiment. J’avais en tête les exemples que vous citez, et je ne vois donc pas dans la construction de cet ouvrage un argument dans ce sens. De ce point de vue, je trouve que la volonté d’enfermement des chinois est beaucoup mieux illustré par le fait qu’ils se sont désintéressés de l’exploration du monde.

          • @ Descartes,

            Je vous prie d’excuser ma réponse tardive, mais il me fallait quelques munitions pour vous porter la contradiction.

            “Je pense qu’on fait erreur lorsqu’on parle d’une « nation germanique » (et on pourrait dire même lorsqu’on parle de « nation allemande »).”
            Je pense que c’est vous qui faites erreur. Le terme de “nation” n’a pas un sens unique. J’ai l’impression que vous êtes enfermé dans la signification “française” du terme: une communauté de citoyens unis par des liens de solidarité inconditionnels. C’est ce que nous pouvons appeler la définition “contractuelle” de la nation. Mais il y a d’autres définitions.

            Dès le Moyen Âge, le terme de “natio” est employé pour désigner des personnes originaires du même espace géographique et parlant la même langue. Le terme de “langue” est d’ailleurs parfois utilisé comme synonyme: ainsi, dans l’ordre de Saint-Jean, on appartient à “la langue de France”, “la langue de Provence”, etc en fonction de son origine. Parler la même langue ne crée pas nécessairement des solidarités, mais pose déjà un premier point commun fondamental: la possibilité de communiquer, de se comprendre facilement.

            Dès la fin du Moyen Âge, la population de langue allemande commence à prendre conscience de sa spécificité. Les Allemands commencent même à se distinguer du reste de la “natio germanica”: “afin d’éviter toute confusion, […] Sigismond (de Luxembourg, empereur germanique du début du XV° siècle), dans une lettre au concile en 1438, parlait de la “theutonica pars nationis germanicae” (partie allemande de la nation germanique); dix ans plus tard, le concordat signé par l’empereur Frédéric III concernait l’ “Alemanica natio”. Le trait qui déterminait l’appartenance à cette nation, c’était la langue maternelle; les statuts de la “natio Teutonicorum” de Bologne étaient explicites sur ce point […]. L’Allemagne est le pays de ceux qui appartiennent à la nation germanique et qui depuis leur enfance n’ont parlé que l’allemand. Cette nation germanique a pour vocation politique la direction de l’Empire. […] Pour la première fois en 1474, en allemand comme en latin, un génitif marquant la possession fut utilisé, “heilig römisches Reich der deutschen Nation”, disait l’administrateur de l’archevêché de Cologne; “Romanorum Imperium nationis germanicae” avaient choisi d’écrire les traducteurs d’une décision que la diète de 1471 avait rédigée en allemand et qui juxtaposait le Reich et la Nation. Enfin, en 1486, l’édit général de paix adoptait la titulature qui devait devenir classique, “Heiliges Römisches Reich deutscher Nation”. Ces mots ne désignaient pas la partie de l’empire qu’habitaient les Allemands; ils proclamaient que l’empire appartenait aux Allemands.” Francis Rapp, “Les origines médiévales de l’Allemagne moderne. De Charles IV à Charles Quint”, pp. 122-123.

            “L’espace germanique est un espace morcelé, et on peut se demander si les habitants de telle ou telle principauté ou ville libre allemande se sont considérés, à quelque moment de l’histoire que ce soit, liés aux habitants des autres par un lien de solidarité impersonnelle et inconditionnelle”
            Un espace morcelé, où règnent les particularismes, certes. Mais cela n’exclut pas un espace politique commun, dont l’empereur est la clé de voûte, et dont la diète est l’organe “représentatif”. A la fin du Moyen Âge, et, en réalité jusqu’à la Guerre de Trente Ans, le pouvoir de l’empereur n’est pas seulement nominal. Il y a d’ailleurs plusieurs tentatives des empereurs de réformer le fonctionnement administratif de l’empire pour le rendre plus efficace. Certes, les empereurs ont échoué, car les princes ont été suffisamment puissants pour empêcher la création d’un état fort et centralisé, et la Réforme de Luther a été sans doute exploitée par certains princes allemands pour obtenir davantage d’autonomie (et augmenter leurs revenus en s’emparant des biens de l’Eglise…). Le problème est que dans la civilisation germanique, la “liberté” (comprise au Moyen Âge comme la liberté d’une communauté, ville, ligue, ou d’un seigneur féodal) a un poids très important. Et, comme le fait remarquer F. Rapp, “la faiblesse était le prix de la liberté”. Il n’en demeure pas moins qu’à plusieurs reprises, les empereurs obtiennent des contingents des villes et princes allemands, preuve que l’idée d’appartenance à l’Empire existait.

            “C’est une question subjective : lorsque la Chine vassalise la Corée et le Vietnam et conquiert la Mongolie, le Turkestan ou le Tibet, est-ce avec l’intention d’agrandir son territoire en imposant à ces territoires son droit, son mode de vie, ses institutions politiques, sa langue ?”
            Donc, si je comprends bien, un état “impérial” est nécessairement “assimilateur”? Personnellement, je trouve que c’est une vision très réductrice de ce qu’est un empire. Justement, une structure impériale facilite souvent la cohabitation d’ethnies, de religions, de peuples différents. Est-ce que l’empire ottoman ou l’Autriche-Hongrie étaient moins “impériaux” parce qu’ils n’ont pas imposé un seul mode de vie, une seule langue? De tout temps, les grands empires ont été multiethniques, pluriconfessionnels, etc. De ce point de vue, l’ “empire napoléonien” n’en est pas vraiment un: c’est un état-nation en expansion gouverné par un empereur. Même l’empire romain n’a jamais réussi à imposer partout le latin et le panthéon gréco-romain, les historiens ont ainsi montré qu’en Afrique du nord, on parlait encore le punique dans les campagnes au temps de Saint Augustin. Et derrière le “Saturne africain” adoré par les habitants de l’Afrique romaine, il n’y a pas beaucoup à gratter pour retrouver le Baal Hammon des Carthaginois.

            “lorsque l’URSS après 1945 « vassalise » l’Europe de l’Est, elle n’impose pas le russe comme langue obligatoire, elle n’uniformise pas le droit pour imposer le droit soviétique”
            Elle impose tout de même des régimes politiques dominés par les partis communistes locaux, tous liés au parti communiste d’URSS. Mais vous avez raison: il n’y a pas eu “russification” de l’Europe de l’est. N’est-ce pas la preuve qu’une domination impériale peut prendre diverses formes, notamment celle du protectorat (connue de facto sinon de jure depuis l’Antiquité)?

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Je vous prie d’excuser ma réponse tardive, mais il me fallait quelques munitions pour vous porter la contradiction.]

              Croyez que j’apprécie le soin que vous prenez à me répondre. Vous apportez à ces échanges des éléments de culture historique qui me manquent.

              [« Je pense qu’on fait erreur lorsqu’on parle d’une « nation germanique » (et on pourrait dire même lorsqu’on parle de « nation allemande »). » Je pense que c’est vous qui faites erreur. Le terme de “nation” n’a pas un sens unique.]

              Non, bien sûr que non. Mais ce qui importe pour moi, c’est le concept et non le terme qu’on utilise pour le désigner. Je veux bien admettre que le mot « nation » puisse être employé à propos de l’espace germanique ou de l’Allemagne si l’on donne à ce mot un sens différent. Mais au sens où je l’emploie (qui est le sens « français », comme vous l’avez bien compris), je pense que la question n’est pas tranchée. Ce point est à mon sens important : pour que l’échange soit fructueux, il faut s’assurer que derrière le même mot nous mettons les mêmes choses. C’est pourquoi je rappelle très souvent les définitions des mots que j’utilise quand je ne les utilise pas dans les sens habituel.

              [Dès le Moyen Âge, le terme de “natio” est employé pour désigner des personnes originaires du même espace géographique et parlant la même langue. Le terme de “langue” est d’ailleurs parfois utilisé comme synonyme: ainsi, dans l’ordre de Saint-Jean, on appartient à “la langue de France”, “la langue de Provence”, etc en fonction de son origine. Parler la même langue ne crée pas nécessairement des solidarités, mais pose déjà un premier point commun fondamental: la possibilité de communiquer, de se comprendre facilement.]

              D’accord. Mais vous voyez bien que ce concept de nation n’est pas un concept politique. En effet, la communauté de langue ne préjuge en rien des liens politiques. Il faut noter à ce propos que pratiquement aucune unité politique à la fin du moyen-âge n’est unitaire en termes linguistiques. Cette origine est donc intéressante en termes étymologiques, parce qu’il suggère que ceux qui l’ont repris pour lui donner un sens politique faisaient de l’unité linguistique un élément important. Mais elle n’a pas d’autre rapport avec l’idée moderne de nation.

              [Certes, les empereurs ont échoué, car les princes ont été suffisamment puissants pour empêcher la création d’un état fort et centralisé, et la Réforme de Luther a été sans doute exploitée par certains princes allemands pour obtenir davantage d’autonomie (et augmenter leurs revenus en s’emparant des biens de l’Eglise…).]

              Mais on peut interpréter cet échec comme la preuve qu’il n’existait pas suffisamment de « solidarités inconditionnelles » dans l’espace allemand pour permettre à un pouvoir central d’affronter avec succès les « particularismes » locaux. Les grands états-nations européens (France, Espagne, Grande-Bretagne, Russie) ses sont construits à partir de la capacité du pouvoir central de construire une logique de solidarité inconditionnelle interne. Pourquoi les empereurs germaniques n’y sont pas arrivés, à votre avis ? La même question pourrait être posée à propos de l’Italie, là encore un pays morcelé où aucun pouvoir central n’a été à même de mettre au pas les particularismes.

              [Le problème est que dans la civilisation germanique, la “liberté” (comprise au Moyen Âge comme la liberté d’une communauté, ville, ligue, ou d’un seigneur féodal) a un poids très important. Et, comme le fait remarquer F. Rapp, “la faiblesse était le prix de la liberté”.]

              Oui, mais vous remarquerez que cette « liberté », c’est aussi la liberté de ne pas apporter son concours à une autre communauté, ville ou seigneur. En d’autres termes, la défense de cette « liberté » équivaut au refus d’être lié aux autres par une solidarité inconditionnelle. C’est en ce sens qu’on peut s’interroger sur la construction « nationale » (au sens moderne du terme) de l’Allemagne.

              [Il n’en demeure pas moins qu’à plusieurs reprises, les empereurs obtiennent des contingents des villes et princes allemands, preuve que l’idée d’appartenance à l’Empire existait.]

              Ou que les princes et villes en question avaient la trouille de ce qui aurait pu leur arriver s’ils avaient refusé. Il faudrait regarder les exemples pour voir jusqu’à quel point il s’agit d’une véritable solidarité liée au sentiment d’un avenir commun, ou une simple question de rapport de forces.

              [Donc, si je comprends bien, un état “impérial” est nécessairement “assimilateur”?]

              Non, mais à minima, « intégrateur ». Un état qui vassalise ses voisins avec la simple intention de se donner une profondeur stratégique ou de ne pas avoir de gens hostiles à sa frontière n’est pas à mon avis un « état impérial ». Un tel état porte un projet impérial, c’est-à-dire, vise la constitution d’un ensemble articulé économiquement, politiquement, juridiquement même dans le cas où il n’y a pas uniformisation complète. Ainsi, l’empire britannique fut « intégrateur » plutôt que « assimilateur ». Il laissa subsister le droit, les institutions, les élites locales chaque fois que c’était possible tout en les subordonnant au pouvoir britannique. Mais à côté il y avait une volonté d’intégrer l’économie locale dans la machine économique britannique.

              [Est-ce que l’empire ottoman ou l’Autriche-Hongrie étaient moins “impériaux” parce qu’ils n’ont pas imposé un seul mode de vie, une seule langue?]

              L’empire ottoman n’a peut-être pas imposé une seule langue, mais il a imposé une religion, un droit et des institutions politiques. Mais il y a plusieurs types d’empires. L’empire austro-hongrois ou le Saint-Empire sont des empires « à l’ancienne », assemblage de territoires qui ont en commun le fait d’avoir le même souverain, et pas grande chose d’autre. Je ne crois pas qu’on puisse les confondre avec les empires Allemand, Britannique ou Français constitués au XIXème siècle, qui découlent d’un projet impérial économique et politique beaucoup plus global.

              [Mais vous avez raison: il n’y a pas eu “russification” de l’Europe de l’est. N’est-ce pas la preuve qu’une domination impériale peut prendre diverses formes, notamment celle du protectorat (connue de facto sinon de jure depuis l’Antiquité)?]

              Non. Je pense surtout que c’est la « preuve » que l’objectif de l’URSS en se constituant un « empire » était de se donner une « profondeur stratégique », de ne pas avoir d’état hostile à ses frontières, beaucoup plus que de créer une structure intégrée. C’est un projet purement défensif, sans aucune velléité « impériale ».

            • @ Descartes et BolchoKek,

              “Croyez que j’apprécie le soin que vous prenez à me répondre”
              Croyez que j’ai plaisir à échanger avec vous deux. Sans vouloir nous tresser des lauriers, je pense que nos échanges sont d’une bonne tenue intellectuelle, et pour ma part, j’ai rarement l’occasion de mener des discussions aussi stimulantes.

              “Mais on peut interpréter cet échec comme la preuve qu’il n’existait pas suffisamment de « solidarités inconditionnelles » dans l’espace allemand pour permettre à un pouvoir central d’affronter avec succès les « particularismes » locaux.”
              Vous avez raison, mais, à la lumière de nos échanges et de ce que je lis dans la bouquin de Rapp, je pense que nous pouvons au final réconcilier nos deux thèses, et rejoindre ce qu’écrit BolchoKek. En fait, de ce que je comprends, il y a en Allemagne, à la fin du Moyen Âge et durant la Renaissance, un véritable clivage au sein des élites germaniques: d’un côté, des juristes de l’entourage impérial et certains ecclésiastiques (l’idée impériale a longtemps eu des soutiens dans le clergé) qui défendent une conception unitaire et plutôt centralisée du Saint-Empire; de l’autre, des élites “localistes”, les princes territoriaux et les bourgeoisies des villes, avides d’autonomie. En même temps, on voit bien que les bourgeois allemands sont tiraillés: d’un côté, ils veulent la liberté, de l’autre, ils voient bien que l’anarchie féodale entraîne une insécurité qui nuit à leurs affaires, d’où une attente d’ordre et de sécurité vis-à-vis du pouvoir impérial. Mais il est clair que les élites “pro-unité” ont perdu, d’où une forme de frustration qu’on trouve dans ces élites jusqu’au XIX° siècle, avec l’idée qu’il y a bien un “peuple” allemand (laissons peut-être de côté le terme “nation”) mais que ce dernier, divisé, n’a pas le destin qu’il devrait avoir. La littérature allemande est remplie de ce que j’appellerai cette “frustration de l’unité”. Quand Luther dit en 1532: “es ist kein verachter Nation denn die Deutsch” (il n’est pas de nation plus méprisée que la nation allemande), ce n’est pas pour s’en réjouir.

              Mais je rejoins BolchoKek pour dire que tout n’était pas joué d’avance, et je suis d’accord avec lui sur le fait que le grand interrègne qui suit la chute des Hohenstaufen au XIII° siècle a certainement ruiné le pouvoir central. Vers l’an mil cependant, la situation était bien différente: alors que les derniers Carolingiens et les premiers Capétiens devaient composer avec une féodalité toute-puissante, les Ottoniens tenaient plutôt bien leurs féodaux, confiaient les charges comtales aux évêques (limitant le risque de transmission héréditaire des charges) et faisaient appel à des “ministériaux” pris dans la population des serfs pour remplir parfois des offices très importants (j’y vois une forme de méritocratie visant à limiter le pouvoir de la haute aristocratie).

              Ce qui a peut-être joué quand même au final, c’est le rapport à la romanité: en France, le souvenir de Rome a pu jouer en faveur de l’option “centralisatrice”. L’Allemagne, bien que devenue le cœur du Saint Empire Romain Germanique, restait finalement plus germanique que romaine. Et le monde germanique, c’était historiquement le monde des confédérations tribales aux liens lâches. Peut-être que les empereurs n’ont pas réussi au final à imposer le modèle romain à ce monde germanique. Mais ils ont essayé, et il y a eu des périodes de relative réussite.

              “Mais à côté il y avait une volonté d’intégrer l’économie locale dans la machine économique britannique.”
              La plupart des empires exigent de leurs vassaux un tribut. Lorsqu’il n’est pas purement symbolique, on peut y voir une forme d’intégration économique. Il faudrait regarder en détail les modalités de la vassalité imposée par la Chine des Qing à ses voisins. J’avoue mon ignorance.

              “L’empire ottoman n’a peut-être pas imposé une seule langue, mais il a imposé une religion, un droit et des institutions politiques.”
              Non, l’empire ottoman n’a pas imposé sa religion et son droit. L’empire ottoman fonctionne sur le principe de la communauté religieuse, le “millet”. Le “millet des Rum”, c’est-à-dire des orthodoxes, a conservé sa religion et les peuples des Balkans ont continué à pratiquer leurs langues (grec, bulgare, serbe, roumain…). Même les Albanais convertis à l’islam ont continué à parler l’albanais (bien qu’intégrant le millet des sunnites). Le “millet des Rum” était placé sous la direction du patriarche de Constantinople. Si certains orthodoxes d’Anatolie sont passés à la langue turque, d’autres ont continué à parler un dialecte grec (c’est le cas des Pontiques de la côte nord). Chaque millet avait ses propres tribunaux. De ce point de vue, la politique ottomane ne change qu’au XIX° siècle, avec une tentative de modernisation administrative qui amène les persécutions contre certaines communautés chrétiennes. Mais le temps de la splendeur ottomane était déjà loin…

              “Je pense surtout que c’est la « preuve » que l’objectif de l’URSS en se constituant un « empire » était de se donner une « profondeur stratégique », de ne pas avoir d’état hostile à ses frontières, beaucoup plus que de créer une structure intégrée.”
              Avec tout de même une alliance militaire (le Pacte de Varsovie), le stationnement de troupes soviétiques dans certains états, et, je suppose, des accords commerciaux, non? Je suis d’accord avec vous pour dire que les pays d’Europe de l’est formait un “glacis protecteur” de l’URSS. Mais outre que l’URSS est en elle-même une structure impériale multiethnique (qui a poursuivi la politique de russification des tsars, brassant les populations, envoyant des Russes ethniques en Asie centrale, dans les pays baltes, etc), la question du glacis protecteur s’est posée pour toutes les marges des empires: les principautés danubiennes et la Transylvanie pour les Ottomans, l’Arménie disputée entre Romains et Perses, etc. Je dirais même que se constituer un glacis protecteur est typique d’une politique impériale!

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Mais il est clair que les élites “pro-unité” ont perdu, d’où une forme de frustration qu’on trouve dans ces élites jusqu’au XIX° siècle, avec l’idée qu’il y a bien un “peuple” allemand (laissons peut-être de côté le terme “nation”) mais que ce dernier, divisé, n’a pas le destin qu’il devrait avoir. La littérature allemande est remplie de ce que j’appellerai cette “frustration de l’unité”.]

              Tout à fait d’accord. Mais cela apporte de l’eau à mon moulin : plus qu’une « nation » allemande, il y a un espace germanique qui regarde ses voisins – et notamment la France – et qui se demande « pourquoi eux ils arrivent et nous non » ? La question est de comprendre précisément pourquoi les courants centralisateurs et unificateurs se sont imposés en France, en Grande Bretagne, en Espagne, alors qu’ils ont échoué en Italie ou en Allemagne. En bon matérialiste, je tends à rechercher la cause dans les contraintes économiques.

              [Mais je rejoins BolchoKek pour dire que tout n’était pas joué d’avance, et je suis d’accord avec lui sur le fait que le grand interrègne qui suit la chute des Hohenstaufen au XIII° siècle a certainement ruiné le pouvoir central.]

              Mais cela veut dire quoi « tout n’était pas joué d’avance » ? Là, il y a bien une différence selon qu’on adopte l’approche matérialiste ou idéaliste. Soit on pense que cette « ruine du pouvoir central » tient au fait qu’on a eu les mauvais hommes aux mauvais endroits (comme disait un célèbre historien, « si le nez de Cléopatre avait été plus court, l’histoire aurait été changée »), soit on pense que cette « ruine » a des causes profondes dans la structure politique et économique de l’espace germanique de l’époque. Dans la seconde approche, d’une certaine façon le morcellement de l’espace germanique était, d’une certaine façon, « écrite »…

              [Vers l’an mil cependant, la situation était bien différente: alors que les derniers Carolingiens et les premiers Capétiens devaient composer avec une féodalité toute-puissante, les Ottoniens tenaient plutôt bien leurs féodaux, confiaient les charges comtales aux évêques (limitant le risque de transmission héréditaire des charges) et faisaient appel à des “ministériaux” pris dans la population des serfs pour remplir parfois des offices très importants (j’y vois une forme de méritocratie visant à limiter le pouvoir de la haute aristocratie).]

              J’avoue mon ignorance sur la société allemande de l’an 1000. Je ne songerai donc pas à vous contredire. Mais même si l’Allemagne actuelle est héritière de celle du XIème siècle, il s’est quand même passé pas mal de choses depuis…

              [Ce qui a peut-être joué quand même au final, c’est le rapport à la romanité: en France, le souvenir de Rome a pu jouer en faveur de l’option “centralisatrice”. L’Allemagne, bien que devenue le cœur du Saint Empire Romain Germanique, restait finalement plus germanique que romaine. Et le monde germanique, c’était historiquement le monde des confédérations tribales aux liens lâches.]

              Effectivement, on voit une différence nette entre les régions européennes « romanisées » et les autres. La différence est nette en Grande Bretagne : d’un côté l’Angleterre – qui correspond à la région occupée par les romains, de l’autre l’Ecosse et l’Irlande, qui conservent – et cela jusqu’à une période très récente – un fonctionnement tribal. Et cela alors que ces peuples partagent une île et ont une histoire commune. Est-ce une coïncidence si les trois grandes puissances centralisées (Espagne, France, Angleterre) sont des régions « romanisées » ? Il y a cependant une exception curieuse : alors que l’Italie est marquée comme aucun autre pays par la romanité, son évolution politique ressemble plus à celle de l’Allemagne que de la France.

              [« Mais à côté il y avait une volonté d’intégrer l’économie locale dans la machine économique britannique. » La plupart des empires exigent de leurs vassaux un tribut.]

              C’est vrai des empires antiques, pas des empires modernes. Les empires antiques se contentaient de prélever sur les états vassalisés un tribut – c’est-à-dire, un prélèvement de leur richesse. Les empires modernes vont beaucoup plus loin, établissant une véritable division du travail entre les états vassalisés et la métropole.

              [« L’empire ottoman n’a peut-être pas imposé une seule langue, mais il a imposé une religion, un droit et des institutions politiques. » Non, l’empire ottoman n’a pas imposé sa religion et son droit. L’empire ottoman fonctionne sur le principe de la communauté religieuse, le “millet”. Le “millet des Rum”, c’est-à-dire des orthodoxes, a conservé sa religion et les peuples des Balkans ont continué à pratiquer leurs langues (grec, bulgare, serbe, roumain…).]

              Certes. C’est la logique du « statut personnel », commune à presque tous les empires. On tolère le maintien de pratiques religieuses autres que celles de la religion d’Etat, ainsi que la survivance de droits traditionnels qui ne s’appliquent qu’aux rapports internes aux différentes communautés. Mais pour ce qui concerne les rapports à l’Etat ou entre les personnes de communautés différentes, c’est un droit unique – le droit ottoman – qui s’applique.

              [« Je pense surtout que c’est la « preuve » que l’objectif de l’URSS en se constituant un « empire » était de se donner une « profondeur stratégique », de ne pas avoir d’état hostile à ses frontières, beaucoup plus que de créer une structure intégrée. » Avec tout de même une alliance militaire (le Pacte de Varsovie), le stationnement de troupes soviétiques dans certains états, et, je suppose, des accords commerciaux, non?]

              Pour ce qui concerne les question militaires, cela fait partie du « glacis ». Pour ce qui concerne les questions économiques, les soviétiques mettent en place le CAEM (conseil d’aide économique mutuelle) qui encadrait le commerce et organise une véritable division du travail plutôt favorable aux pays d’Europe orientale, qui se trouvent dépositaires des industries de pointe (électronique en Hongrie, mécanique de précision en Tchécoslovaquie, instrumentation en RDA) alors que la Russie est plutôt un fournisseur de matières premières. Si on parle d’impérialisme économique, il faudrait ici parler d’impérialisme « à l’envers » : l’organisation économique de l’espace soviétique était plus favorable aux satellites qu’au centre – qui d’ailleurs avaient un meilleur niveau de vie !

              [Mais outre que l’URSS est en elle-même une structure impériale multiethnique (qui a poursuivi la politique de russification des tsars, brassant les populations, envoyant des Russes ethniques en Asie centrale, dans les pays baltes, etc),]

              Un peu comme la France ?

              [la question du glacis protecteur s’est posée pour toutes les marges des empires: les principautés danubiennes et la Transylvanie pour les Ottomans, l’Arménie disputée entre Romains et Perses, etc. Je dirais même que se constituer un glacis protecteur est typique d’une politique impériale!]

              Ou voyez-vous cette politique du « glacis » dans la politique « impériale » Britannique, Espagnole, Française ou Américaine ?

            • @ Descartes,

              “Là, il y a bien une différence selon qu’on adopte l’approche matérialiste ou idéaliste. Soit on pense que cette « ruine du pouvoir central » tient au fait qu’on a eu les mauvais hommes aux mauvais endroits (comme disait un célèbre historien, « si le nez de Cléopatre avait été plus court, l’histoire aurait été changée »), soit on pense que cette « ruine » a des causes profondes dans la structure politique et économique de l’espace germanique de l’époque.”
              De mon point de vue, l’un n’exclut pas totalement l’autre. Il y avait naturellement des tendances centrifuges dans le Saint Empire. En même temps, on constate qu’elles ont été un temps jugulées. La preuve en est que les empereurs germaniques ont pu se payer le luxe des “descentes” en Italie du X° au XII° siècle parce que l’assise de leur pouvoir en Germanie était solide. Du jour où le pouvoir impérial s’est affaibli en Allemagne, les descentes se sont faites plus rares… Je pense que les “grands hommes” ne peuvent pas tout, mais leur rôle n’est pas négligeable. Chaque nation a ses contradictions, ses faiblesses, et parfois un “grand homme” parvient à les surmonter.

              “Est-ce une coïncidence si les trois grandes puissances centralisées (Espagne, France, Angleterre) sont des régions « romanisées » ?”
              Remarquons tout de même que la Russie est centralisée alors qu’elle n’a pas été romanisée… A moins de considérer que l’influence byzantine équivaut à une forme de romanisation.

              Quant à l’Espagne, je ne suis pas sûr qu’il faille la considérer comme un Etat centralisé. Les Bourbons ont cherché à centraliser le pays à partir du XVIII° siècle seulement, mais on voit bien aujourd’hui que les forces centrifuges sont très puissantes en Espagne. Même un système quasi-fédéral ne suffit plus à les juguler…

              “alors que l’Italie est marquée comme aucun autre pays par la romanité, son évolution politique ressemble plus à celle de l’Allemagne que de la France.”
              A ça, il y a plusieurs explications: d’abord, la coupure très nette, politique et même culturelle (et inévitablement économique), dès le Moyen Âge entre le Sud et le Nord de la péninsule; ensuite la présence du pape, cet aspirant à une forme de monarchie universelle théocratique, qui je pense, a bouleversé l’organisation politique et territoriale de la péninsule ; enfin, je pense que la vision matérialiste s’applique bien aux villes d’Italie septentrionale: des cités riches, opulentes, jalouses de leurs “libertés”. Un peu comme les villes allemandes de la fin du Moyen Âge.

              “l’organisation économique de l’espace soviétique était plus favorable aux satellites qu’au centre – qui d’ailleurs avaient un meilleur niveau de vie !”
              Vous avez raison, et je dois dire que c’est un mystère pour moi que les Soviétiques aient laissé leurs satellites être plus prospères qu’eux-mêmes… En tout cas, on ne peut reprocher à l’URSS d’avoir pillé ses vassaux, contrairement au III° Reich.

              “Un peu comme la France ?”
              Mais oui. Je fais partie des gens qui pensent que nous avons plus en commun avec la Russie et l’URSS qu’on le croit généralement. Je n’ai rien lu là-dessus, mais je pense qu’il faudrait se pencher sur le rapport des élites russes au “modèle” français. J’aurais tendance à croire que les élites russes se sont beaucoup intéressées au fonctionnement de la France.

              “Ou voyez-vous cette politique du « glacis » dans la politique « impériale » Britannique, Espagnole, Française ou Américaine ?”
              Attendez! Il faut parfois raisonner en géographe: l’Espagne est “coupée” du reste de l’Europe par l’isthme pyrénéen; la Grande-Bretagne est une île; les Etats-Unis sont un état-continent. Mais la France, oui, a pratiqué la politique du “glacis”: la Confédération du Rhin créée par Napoléon est une sorte de glacis face à l’Autriche et la Prusse.

              Evidemment, la logique du glacis a un intérêt dans le cadre d’un empire continental, mais pour un empire colonial ultra-marin, la problématique est différente.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [De mon point de vue, l’un n’exclut pas totalement l’autre.]

              Si l’on suit Marx, on peut même parler d’une dialectique entre les deux, même si en dernière instance ce sont les rapports matériels, et non la longueur du nez de Cléopâtre, qui sont déterminants.

              [Je pense que les “grands hommes” ne peuvent pas tout, mais leur rôle n’est pas négligeable. Chaque nation a ses contradictions, ses faiblesses, et parfois un “grand homme” parvient à les surmonter.]

              Disons que ce sont les accoucheurs de l’Histoire… mais pas les géniteurs !

              [« Est-ce une coïncidence si les trois grandes puissances centralisées (Espagne, France, Angleterre) sont des régions « romanisées » ? » Remarquons tout de même que la Russie est centralisée alors qu’elle n’a pas été romanisée… A moins de considérer que l’influence byzantine équivaut à une forme de romanisation.]

              La Russie a en effet emprunté son idéologie impériale à Bizance, certainement, mais aussi à des formes impériales différentes venues de l’espace sino-mogol. Il est d’ailleurs notable combien la vision russe et la vision chinoise de l’empire conçu plutôt dans une logique de sécurité que d’intégration économique, culturelle et juridique se ressemblent…

              [Quant à l’Espagne, je ne suis pas sûr qu’il faille la considérer comme un Etat centralisé. Les Bourbons ont cherché à centraliser le pays à partir du XVIII° siècle seulement, mais on voit bien aujourd’hui que les forces centrifuges sont très puissantes en Espagne. Même un système quasi-fédéral ne suffit plus à les juguler…]

              Je pensais plutôt à l’unité de la couronne espagnole à partir du XVème siècle et à la constitution d’un empire relativement centralisé dans les Amériques. Mais l’Espagne ne prendra pas le tournant de la modernité – aidée en cela par l’or facile qui vient des Amériques – ce qui entraînera l’affaiblissement économique et politique de l’Espagne au cours du XVIIIème siècle. Contrairement à la France ou l’Angleterre, aucun effort n’est fait pour uniformiser le droit, la langue, ou brasser les populations, et l’Espagne devient de moins en moins « centralisée » à partir du XIXème siècle.

              [« l’organisation économique de l’espace soviétique était plus favorable aux satellites qu’au centre – qui d’ailleurs avaient un meilleur niveau de vie ! » Vous avez raison, et je dois dire que c’est un mystère pour moi que les Soviétiques aient laissé leurs satellites être plus prospères qu’eux-mêmes…]

              Cela se comprend très bien dans la logique soviétique, qui était de s’entourer d’états amicaux plus que d’en tirer profit. La fameuse « amitié entre les peuples » n’était pas qu’une figure de propagande. Après les énormes souffrances de la seconde guerre mondiale – mais on l’oublie aussi, des conflits avec la Pologne ou la Roumanie dans les années 1930 – le mot d’ordre était la paix aux frontières. Si vous ajoutez à cela le fait que certains de ces pays étaient avant la guerre bien plus développés que la Russie avec des traditions industrielles anciennes (je pense notamment à la Tchécoslovaquie et à la RDA)…

              [« Un peu comme la France ? » Mais oui. Je fais partie des gens qui pensent que nous avons plus en commun avec la Russie et l’URSS qu’on le croit généralement. Je n’ai rien lu là-dessus, mais je pense qu’il faudrait se pencher sur le rapport des élites russes au “modèle” français. J’aurais tendance à croire que les élites russes se sont beaucoup intéressées au fonctionnement de la France.]

              Je suis tout à fait d’accord, et ma remarque n’était qu’à moitié ironique. Pour une France qui aurait une politique internationale indépendante, la Russie est un ami naturel, sinon un allié. Non seulement parce que nous avons beaucoup en commun en termes culturels, mais parce que nous avons des intérêts communs – à savoir, l’affaiblissement de l’Allemagne !

              [« Ou voyez-vous cette politique du « glacis » dans la politique « impériale » Britannique, Espagnole, Française ou Américaine ? » Attendez! Il faut parfois raisonner en géographe: l’Espagne est “coupée” du reste de l’Europe par l’isthme pyrénéen; la Grande-Bretagne est une île; les Etats-Unis sont un état-continent. Mais la France, oui, a pratiqué la politique du “glacis”: la Confédération du Rhin créée par Napoléon est une sorte de glacis face à l’Autriche et la Prusse.]

              La Grande Bretagne est une île, mais le continent n’est pas loin. L’Angleterre aurait pu stimuler l’apparition d’une Bretagne ou d’une Normandie indépendantes qui fasse tampon entre elle-même et la France. Même chose pour l’Espagne : elle aurait pu favoriser l’apparition d’un Languedoc, d’un Roussillon ou d’un Béarn indépendants, elle ne l’a pas fait… Quant à la France, il faut aller au XIXème siècle pour trouver un exemple… isolé !

              [Evidemment, la logique du glacis a un intérêt dans le cadre d’un empire continental, mais pour un empire colonial ultra-marin, la problématique est différente.]

              Ce n’est pas faux. C’est pourquoi on trouve la logique de « glacis » chez des états continentaux comme la Chine ou la Russie, qui ont des frontières très étendues et pas faciles à défendre. Pour ces états, l’aventure impériale a un caractère plus défensif qu’offensif. L’intention est plus de protéger la métropole que de créer un système économique intégré. On peut se demander d’ailleurs si ces états se seraient lancés dans une aventure impériale s’ils avaient eu des frontières sûres. L’exemple japonais est de ce point de vue assez éclairant.

            • BolchoKek dit :

              @ N-E et Descartes

              [[Certes, les empereurs ont échoué, car les princes ont été suffisamment puissants pour empêcher la création d’un état fort et centralisé, et la Réforme de Luther a été sans doute exploitée par certains princes allemands pour obtenir davantage d’autonomie (et augmenter leurs revenus en s’emparant des biens de l’Eglise…).]
              Mais on peut interpréter cet échec comme la preuve qu’il n’existait pas suffisamment de « solidarités inconditionnelles » dans l’espace allemand pour permettre à un pouvoir central d’affronter avec succès les « particularismes » locaux. ]

              Je vois qu’on est de retour sur la place de la décentralisation dans l’histoire et la culture politique germaniques… Et je dois dire que dans cet échange, je suis d’accord avec nationaliste-ethniciste. Ce que Descartes voit finalement comme une prédestination de la civilisation allemande au fédéralisme, j’y verrais plutôt une évolution de la féodalité assez semblable à celle qu’a connu la France, sauf qu’en France, le roi a gagné, alors que dans le Saint-Empire, l’empereur a perdu, à mon avis de façon quasi-irréversible avec la fin des Hohenstaufen. L’histoire allemande est donc marquée par des princes plus ou moins puissants et indépendants de fait, avec lesquels même l’empire allemand unifié avait dû composer. On a l’impression, en effet, que cette constante de décentralisation en Allemagne doit résulter d’une tradition politique quelconque. Je pense toutefois qu’il s’agit surtout d’une habitude et d’une accommodation plutôt que d’un choix : comme en France, on ne se souvient pas des souverains décentralisateurs à part pour leur faiblesse, mais ceux que l’Histoire considère de grands hommes d’état ont tous été des centralisateurs dans leurs états : Marie-Thérèse, Frédéric Barberousse, Metternich, Bismarck… Il est d’ailleurs à noter que ce dernier, le plus fin politicien de son époque, sera finalement mis en échec par les puissants princes du nouvel empire allemand dans ses projets de réduire leurs prérogatives. Il faudra attendre Hitler pour voir une réelle centralisation politique, administrative et militaire en Allemagne.
              Bien sûr, on pourrait se demander s’il n’y a pas quand même un certain mouvement sous-jacent propre à l’Allemagne. Je dirais que si on compare avec la France, ce n’est pas si évident, tout s’est joué à très peu de choses : après tout, Barberousse aurait bien pu ne pas mourir d’hydrocution, et la “ligue du bien public” aurait très bien pu gagner militairement…

              [[Il n’en demeure pas moins qu’à plusieurs reprises, les empereurs obtiennent des contingents des villes et princes allemands, preuve que l’idée d’appartenance à l’Empire existait.]
              Ou que les princes et villes en question avaient la trouille de ce qui aurait pu leur arriver s’ils avaient refusé. Il faudrait regarder les exemples pour voir jusqu’à quel point il s’agit d’une véritable solidarité liée au sentiment d’un avenir commun, ou une simple question de rapport de forces.]

              On peut retourner la question : qu’est-ce qui nous dit que la relative obéissance des vassaux du roi de France n’était pas qu’une simple question de rapport de forces ? On ne peut pas dire que pendant la guerre de cent ans la majorité d’entre eux ait fait grand cas de leur “solidarité” ou de leur “avenir commun”.

              [L’empire ottoman n’a peut-être pas imposé une seule langue, mais il a imposé une religion, un droit et des institutions politiques. ]

              Exact, d’ailleurs dans Le Prince, Machiavel fait de “l’Empire du Turc” dans sa typologie l’exemple d’un état centralisé. Cela peut paraître étrange, mais à son époque, c’était en effet à des lieues des états européens encore assez féodaux.

            • Descartes dit :

              @ BolchoKek

              [Je vois qu’on est de retour sur la place de la décentralisation dans l’histoire et la culture politique germaniques… Et je dois dire que dans cet échange, je suis d’accord avec nationaliste-ethniciste. Ce que Descartes voit finalement comme une prédestination de la civilisation allemande au fédéralisme, j’y verrais plutôt une évolution de la féodalité assez semblable à celle qu’a connu la France, sauf qu’en France, le roi a gagné, alors que dans le Saint-Empire, l’empereur a perdu, à mon avis de façon quasi-irréversible avec la fin des Hohenstaufen.]

              Oui mais… pourquoi cette différence ? Qu’est ce qui a fait qu’en France « le roi a gagné » alors que dans l’espace germanique « l’empereur a perdu » ? La personnalité des acteurs a certainement pesé, mais pour un marxiste comme vous ou moi, l’explication déterminante doit se trouver du côté des structures économiques et sociales. Ce n’est donc pas une question de « prédestination », pas plus que des erreurs politiques qu’ont pu commettre les successeurs des Hohenstaufen, mais d’une différence dans l’histoire économique des différentes nations.

              Prenons le cas de la Grande Bretagne, qui est le plus simple puisqu’il n’y a pas d’intervention étrangère sur son territoire depuis 1066. Ce sont les Tudor, au XVIème siècle, qui mettent fin aux guerres entre les « barons » et établissent un régime centralisé. Mais s’ils peuvent créer une « solidarité inconditionnelle » entre leurs sujets c’est aussi parce que tout le monde a intérêt à l’expansion maritime, et que l’expansion maritime suppose une division du travail avec une interdépendance forte entre les différents territoires : les artisans et les paysans ont besoin des ports et des marins qui amènent les matières premières et exportent les produits finis. Cette interdépendance, on ne la trouve pas dans l’espace germanique ou en Italie, ou chaque unité aspire à l’autonomie économique, trouvant ce qui lui manque par le jeu du libre commerce.

              [On peut retourner la question : qu’est-ce qui nous dit que la relative obéissance des vassaux du roi de France n’était pas qu’une simple question de rapport de forces ? On ne peut pas dire que pendant la guerre de cent ans la majorité d’entre eux ait fait grand cas de leur “solidarité” ou de leur “avenir commun”.]

              C’est pourquoi, contrairement à N-E, je ne fais pas des alliances seigneuriales un exemple pour montrer un quelconque « sentiment national ». Ni en France, ni ailleurs. Ce qui a permis au pouvoir central de s’imposer en France, ce n’est pas le “sentiment national” des nobles – qui ont résisté jusqu’au bout – mais l’efficacité de l’Etat central, qui a permis au roi de jouer le peuple et les bourgeois contre la noblesse. Lorsque la justice du roi est rapide et équilibrée et la justice seigneuriale lente et corrompue, les gens finissent par choisir…

  28. dsk dit :

    @ Descartes @ F68.10

    [J’ai croisé pas mal de personnalités politiques dans la rue en Suisse et je leur ai tapé la discute. Plusieurs conseillers fédéraux, d’ailleurs. Cela ne m’est jamais arrivé en France.] [Encore heureux ! Franchement, je ne trouve pas que ce soit le rôle des ministres (l’équivalent des conseillers fédéraux) de « taper la discute » avec les gens dans la rue.]

    Si je peux me permettre, j’ajouterais qu’un ministre, même dans la rue, ne “tapera” sans doute pas la “discute” avec n’importe qui, ne serait-ce que parce qu’il aura plus de chances de marcher dans celle d’un beau quartier de Paris qu’à Henin Beaumont, par exemple, de sorte que ce serait alors une façon d’admettre une inégalité entre un certain type de piétons, qui auraient ainsi l’occasion de mieux faire valoir leurs points de vue auprès des gouvernants, et les autres.

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Si je peux me permettre, j’ajouterais qu’un ministre, même dans la rue, ne “tapera” sans doute pas la “discute” avec n’importe qui, ne serait-ce que parce qu’il aura plus de chances de marcher dans celle d’un beau quartier de Paris qu’à Henin Beaumont, par exemple,]

      J’y avais pas pensé, mais vous avez raison: si les ministres “tapaient la discute” dans la rue, cela donnerait un avantage certain aux couches sociales qui habitent dans les mêmes quartiers que les ministres, et qui auraient donc un accès facilité à ceux-ci…

Répondre à Françoise Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *