« L’art de la politique n’est pas de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent » (Henri Queuille)
Dans un papier précédent, j’avais je crois écrit que notre premier ministre avait fondé sa carrière politique sur une technique fort peu morale, à savoir, le chantage. Loin des grands personnages de notre histoire, pour qui la politique était d’abord une manière de réaliser un projet, pour François Bayrou elle consiste surtout à faire peur à l’adversaire, à jouer de son pouvoir de nuisance pour soutirer postes et prébendes.
Les évènements de la semaine écoulée prouvent ce point au-delà de tout doute raisonnable. Habemus budget, pourrait-on se réjouir. Mais nous avons un budget bouche-trou, issu non pas de ce « compromis » sur la direction que la France devrait prendre qu’on nous vante tant, mais d’un chantage sur le mode « c’est moi ou le chaos ». François Bayrou a réussi à éviter la censure non parce qu’il a trouvé un projet équilibré qui séduit les différents groupes parlementaires, mais parce qu’il a réussi à leur faire peur d’une situation de paralysie, situation que le gouvernement a lui-même contribué à créer. Car sur ce point au moins, Eric Coquerel a raison : la « loi spéciale » passée en urgence à l’Assemblée permet parfaitement la continuité de l’Etat. C’est le gouvernement qui a choisi de donner à cette loi l’interprétation la plus restrictive, de restreindre la dépense au strict minimum, de ne pas utiliser les moyens que la « loi spéciale » accorde pour agir. Ce choix a permis de faire pression sur les parlementaires en expliquant aux électeurs que par leur faute les paysans, les mahorais, et toute une longue liste de catégories seraient privés de dessert. Et le chantage a parfaitement fonctionné : les socialistes ont eu peur de devoir s’expliquer devant leurs électeurs, d’autant plus que ceux-ci sont assez proches de la vision macroniste et ne recherchent pas nécessairement une rupture. Et, si l’on croit les langues vipérines, il y a une autre raison de poids pour encourager les socialistes à se montrer conciliants. Il se fait que les élus locaux socialistes avaient un besoin pressant de visibilité budgétaire : si vous voulez distribuer des douceurs et couper des rubans en mars 2026 en prévision des élections municipales, il faut engager les travaux maintenant.
A l’issue de ce vote, on se trouve dans la configuration que j’avais prédite juste après les élections. Le « bloc libéral » allant des libéraux de gauche aux libéraux de droite est aux affaires. Finis les faux-semblants qui ont vu le Parti socialiste apposer sa signature sur un programme « de rupture » avec les écologistes, les communistes et les gauchistes. On est revenus aux fondamentaux : le Parti socialiste est un parti « raisonnable », et la « raison » commande de continuer la « politique de l’offre », le démantèlement de l’Etat, l’abandon de toute ambition dans l’éducation et la recherche. Et ayant laissé passer ce programme, on se donnera bonne conscience en déposant une motion de censure bidon, permettant de rappeler que le Parti socialiste reste le parti des grands principes, motion qui n’a aucune chance d’être votée. Pour les socialistes, un gouvernement qui parle de « submersion migratoire » mérite qu’on le censure. Un gouvernement qui réduit de 500 millions les crédits de la recherche scientifique, non. Et il ne faut pas couper les cheveux en quatre : le Parti socialiste est désormais un soutien du gouvernement, qui ne tient que par lui. Parce que si on ne censure pas le gouvernement sur un point aussi fondamental que le budget, on ne va pas ensuite le censurer sur des aspects secondaires de sa politique.
Pour apprécier les contorsions des dirigeants socialistes pour expliquer leur ralliement à François Bayrou, il faut les écouter en ayant en mémoire ce qu’ils disaient pour soutenir leur vote de censure du gouvernement Barnier. Chacun des arguments aujourd’hui employés pour justifier le refus de voter la censure aurait pu être utilisé à l’identique à l’époque. Parce qu’il faut arrêter de parler, comme le font les socialistes, des concessions qu’ils auraient obtenues. En fait, ils n’ont obtenu rien ou presque. La meilleure illustration est celle des 4000 postes d’enseignants que le gouvernement aurait renoncé à supprimer. Oui, les postes sont toujours là… mais pas l’argent pour les payer. Ou plutôt, il est écrit que cet argent devra être prélevé sur d’autres crédits de l’Education nationale. Autrement dit, on déshabille Pierre pour habiller Paul. Les socialistes sont si désespérés de justifier leur soutien au gouvernement qu’ils se couvrent même des plumes de paon qui ne sont pas les leurs : ainsi, le non déremboursement des médicaments, vieille ligne rouge posée par le RN et déjà accepté par Michel Barnier devient une conquête socialiste.
En fait, sous ses dehors doucereux Bayrou n’est pas plus dans une logique de compromis que ne l’était Barnier. Il faut comprendre que pour les macronistes l’idée de « compromis » ne rime guère avec « concessions ». Un « compromis », cela veut dire que les autres acceptent leurs politiques sans changement – avec quelques « conclaves » ici, quelques ajustements symboliques là pour, pour faire passer la pilule. Les concessions, c’est aux autres de les faire. Les socialistes se sont imaginés négocier, ils ont posé des lignes rouges, puis les ont déplacées à chaque refus du gouvernement. Sur la réforme des retraites, ce fut d’abord l’abrogation, puis la suspension, pour finalement accepter des discussions dans un « conclave » qui ne sert qu’à noyer le poisson. Sur la censure, c’était la non-censure en échange de la renonciation à l’article 49.3, qui est devenue finalement une non-censure tout court.
Ceux qui suivent assidûment ce blog savent que je n’ai rien contre les « compromis ». Mais il faut s’entendre sur ce qu’on met sous ce terme. Une discussion entre partis qui ne sont pas d’accord sur tout mais qui peuvent s’entendre pour conduire une action cohérente à la tête de l’Etat en se mettant d’accord sur un certain nombre d’objectifs, c’est l’essence de la politique. En 1944, le programme du CNR était le résultat d’un tel accord. Il ne proposait pas le socialisme, comme l’auraient voulu les communistes, il ne se contentait pas des questions régaliennes, comme l’auraient voulu certains gaullistes, il ne revenait pas au libéralisme d’avant-guerre, comme l’aurait voulu le MRP. Mais ce programme constituait un tout cohérent. A l’opposé, il y a les négociations de marchands de tapis dans lesquelles chaque partenaire exige d’inscrire dans le projet ses « marqueurs », quitte à fabriquer un objet dont l’incohérence rend les objectifs illisibles. Le « compromis » tant vanté avec les socialistes, c’est la poursuite de la politique de l’offre ou son abandon ? Son objectif est-il une réduction au rabot de la dépense publique, ou au contraire la singularisation des domaines d’avenir qu’il faut protéger et des dépenses peu utiles dont on peut se passer ? Bien malin qui pourrait le dire…
Il a fallu six mois, mais on y arrive. Les élections de juillet 2024 ont vu la victoire du « front républicain ». Maintenant, le « front républicain » est au gouvernement. Et il faut rappeler qu’il n’y a qu’un objectif, un seul, qui unit le « front républicain » : éviter le « chaos », c’est-à-dire, l’arrivée aux affaires du Rassemblement national. En juillet dernier, on avait expliqué aux électeurs bienpensants que pour éviter le chaos, il fallait que la gauche, le centre et la droite votent pour Attal et Panot, pour Borne et Hollande, pour Bompard et Wauquiez. Maintenant, on nous explique que pour éviter le chaos, il faut que la gauche, le centre et la droite prolongent indéfiniment le bail de Bayrou à Matignon. Avec un peu de chance, en 2027 on nous expliquera que pour éviter le chaos, il faut remettre Hollande – ou peut-être même Attal – à l’Elysée. Je n’invente rien, on est déjà plusieurs fois passés par là.
Nous sommes revenus aux pires errements de la quatrième République, avec un personnel politique qui ne songe qu’à durer, et un premier ministre qui ferait passer Edgar Faure pour un révolutionnaire. Un premier ministre dont l’opportunisme ne connaît pas de limites, comme l’a bien montré sa prise de position favorable à un grand débat sur l’identité nationale. Il faut relire ce qu’il disait il y a quinze ans, lorsque Nicolas Sarkozy portait la même proposition. A l’époque, il déclarait que « l’identité nationale n’appartient pas aux politiques », et expliquait que « Rien n’est pire que d’en faire un sujet d’affrontement politique surtout quand, par ailleurs, on laisse abîmer l’image de la France. Et, encore pire, d’en faire une utilisation partisane ». Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, mais seuls les opportunistes changent en fonction des rapports de force électoraux.
Certains de mes lecteurs, qui connaissent ma bienveillance pour les personnalités politiques y compris lorsqu’elles ne sont pas de mon côté, seront peut-être surpris de me voir aussi intransigeant pour ce qui concerne notre premier ministre. C’est que pour moi, Bayrou illustre ce qu’il y a de pire dans la politique française. Bayrou, c’est la politique au ras du sol, sans hauteur, sans vision. C’est le type même de l’imbécile heureux qui est né quelque part. C’est l’homme sans principes, sans idées, sans projet autre que sa promotion personnelle. C’est le genre de politicien capable de commettre les pires crimes, les pires erreurs non pas parce qu’il leur dit « oui », mais parce qu’il est incapable de leur dire « non ». Le type parfait du politique prêt à n’importe quelle iniquité pourvu qu’elle caresse l’opinion dans le sens du poil. Quitte à dire aujourd’hui le contraire de ce qu’il disait la veille, et cela sans faire la moindre autocritique, le moindre retour en arrière. Et qui, après le désastre se justifiera par un « qu’est ce que vous auriez fait à ma place ? », ou bien « je ne savais pas », et bien sûr « mes intentions étaient bonnes ». Qu’un tel personnage ait pu devenir premier ministre met en évidence l’état de nos élites politiques. Et c’est là un problème qui ne se résout pas en changeant la Constitution : il n’existe pas d’institutions capables de prémunir un pays contre la trahison de ses clercs.
Les débats institutionnels sont de la poudre aux yeux, une manière de détourner le regard du citoyen du véritable problème, celui du décalage entre les rapports de force économiques, qui sont ceux qui déterminent en dernière instance ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, et les rapports de force électoraux, qui sont la source de légitimité des politiques mises en œuvre. Sur le plan économique, on a un bloc dominant toujours plus dominant et qui ne veut rien changer aux politiques néolibérales, et des couches populaires structurellement impuissantes puisque remplaçables par des travailleurs chinois ou bangladeshis. Sur le plan électoral, par contre, les couches populaires ont l’avantage du nombre, et ce nombre commence à peser sur les systèmes politiques, et pas seulement en France. Non pas comme dans les années 1950, en se canalisant à travers des partis politiques « ouvriers » proposant des projets cohérents de prise de pouvoir par les couches populaires, mais à travers des organisations et personnalités « populistes » qui fondent leur attractivité dans le rejet de l’existant.
Le décalage entre les rapports de force structurels et ceux qui se manifestent dans la superstructure démocratique conduisent, prévisiblement, à la dévalorisation de cette dernière. Puisqu’elle ne procure plus au bloc dominant la légitimation dont il a besoin, à quoi bon la conserver ? Il suffit d’écouter nos médias pour entendre la petite musique selon laquelle le système représentatif serait en crise, sur le besoin de « dépolitiser » les décisions – c’est-à-dire, de les rapprocher de la sphère économique. Prenez le discours d’un Bernard Arnault menaçant de délocalisation suite au vote parlementaire sur le budget. Il s’est trouvé même des politiques pour approuver cette affirmation brutale de la supériorité du pouvoir du capital sur la décision démocratique. Et la sortie de Bernard Arnault n’est pas isolée : partout, on est en train de changer de paradigme. Hier, c’était le vote et la décision démocratique qui permettait de légitimer la domination du capital – et le capital était prêt à faire quelques concessions pour préserver cette façade. Aujourd’hui, c’est l’argent qui légitime. Le pouvoir pris par un Elon Musk qui n’est jamais passé devant les électeurs, et qui n’a d’autre légitimité que celle d’avoir gagné beaucoup d’argent, illustre parfaitement ce nouveau paradigme. Bernard Arnault a plus de légitimité à parler d’économie que n’importe quel député, et d’ailleurs pas mal de députés le reconnaissent eux-mêmes. On en arrive même à proposer que toute nouvelle législation passe par un « test » auprès des entreprises, ce qui en pratique revient à reconnaître aux patrons un droit de véto législatif.
Beaucoup de commentateurs craignent l’instabilité politique. A mon avis, ils se trompent de problème. Ce qui pourrait nous tuer, c’est au contraire la stabilité. Parce que l’instabilité des personnes cache à peine la continuité des politiques, et je dirais même l’incapacité à concevoir que les choses puissent être différentes. Quelle est la différence fondamentale entre le budget qui vient d’être voté, celui sur lequel Michel Barnier a été renversé, celui élaboré par Attal-Le Maire et même, oserais-je le dire, ceux qu’on a connus sous François Hollande ? Rien qui constitue une véritable rupture, dans un sens ou dans l’autre. On rabote quelques dépenses par ci, on crée un petit impôt par-là, mais la structure du budget, les priorités sous-jacentes, la balance entre l’investissement et le fonctionnement, entre la dépense discrétionnaire et les subventions, entre ce qui relève du public et ce qu’on confie au privé, entre l’avenir et le présent ne changent pas vraiment. Le rejet de la motion de censure transmet un message clair : au-delà des palinodies sur la « rupture », au-delà de quelques postes à l’éducation nationale (4.000 sur 800.000, ce n’est pas ça qui changera fondamentalement les choses) il y a une majorité pour que tout continue comme avant. Après tout, le bloc dominant n’a aucune raison de se plaindre de son sort ces dix dernières années. Pourquoi remettre en cause le modèle qui lui a si bien réussi ?
Et pendant ce temps-là, nos usines ferment, nos laboratoires déménagent, nos infrastructures se dégradent, notre tissu social se délite, notre école se meurt, et le vaste monde change devant nos yeux. Et cela n’intéresse personne. Ce n’est pas de ces sujets qu’on débat entre militants dans les partis politiques, ce ne sont pas ces questions qui troublent le sommeil de leurs dirigeants, avec quelques rares et honorables exceptions. Ce n’est pas ce qui attire l’attention des pseudo-experts qui envahissent les chaînes d’information continue et les talk-shows de nos médias, pas plus que les échanges sur les réseaux sociaux. On consacre un après-midi complet de voyeurisme indécent aux obsèques du petit Emile ou au procès de Mazan, on consacre des heures aux inondations dans le nord, mais la fermeture de Vencorex, dernier producteur français d’un produit stratégique fait à peine trois lignes.
J’avoue que j’ai de plus en plus de mal à maintenir la posture de l’optimisme méthodologique. Hier, je me trouvais à combattre des idées que j’estimais fausses. Aujourd’hui, on se retrouve au contraire devant un vide. Hier, on se battait contre la monnaie unique, contre la constitutionnalisation de la construction européenne, contre la politique du « franc fort », contre la privatisation des services publics. Aujourd’hui, contre quoi se battre, exactement ? Plus rien de fondamental n’est sur la table. Personne, même pas le Rassemblement national, ne propose une rupture. Parce que soyons honnêtes : quelques milliers d’emplois de plus ou de moins dans l’éducation nationale, quelques années de plus ou de moins avant d’accéder à la retraite, quelques immigrés clandestins de plus ou de moins expulsés, ce n’est pas ça qui va changer fondamentalement la situation de la France.
Les Britanniques ont eu le courage de rompre avec l’Union européenne, les Américains celui de mettre à la Maison blanche un Donald Trump, à qui on peut reprocher beaucoup de choses mais pas de représenter la continuité. Les Russes ont eu le courage d’aller à la guerre pour défendre ce qu’ils estimaient être leurs intérêts vitaux. Chez nous, on tremble de peur à l’idée que le gouvernement puisse être renversé parce que, vous comprenez, le « chaos » nous guette. Sortir de l’ordinaire, c’est une prise de risque inacceptable. Agir est devenu dangereux, alors que l’inaction est synonyme de sécurité. Essayez de construire un ouvrage public, par exemple, un réservoir qui vous permettra de réguler un cours d’eau et éviter les inondations – comme on le fit pour la Seine, qui n’inonde plus Paris même les années pluvieuses. Vous verrez sortir de terre toutes sortes de groupuscules écologistes qui vous traineront dans la boue, et dont l’action sera utilisée par vos opposants pour vous faire battre. Mieux vaut rester au chaud sous les ors de la République, et quand l’inondation arrive maudire la fatalité et montrer sa solidarité avec les inondés.
Nous sommes sortis de l’histoire, non parce que nous faisons mal, mais parce que nous ne faisons rien. Parce que l’action politique se résume de plus en plus à prier pour que rien ne change. Quand l’idéal politique est la stabilité et le compromis, il y a de quoi s’inquiéter. Se fixer « le bruit et la fureur » comme un objectif est une erreur. Mais les craindre est une erreur tout aussi néfaste. La politique, pour reprendre la formule de Richelieu, c’est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire. Sans peur, et sans reproche.
Descartes
“les Russes ont eu le courage d’aller à la guerre pour défendre ce qu’ils estimaient être leurs intérêts vitaux. ”
Curieuse formule.
1- “le courage d’aller à la guerre ” ils ne sont pas entré en guerre, V Poutine a décidé d’envahir l’Ukraine, et il pensait que ce serait une simple formalité, comme en Crimée. Il n’y a aucun courage dans l’entreprise d’une “simple formalité” (je rappelle que les officiers avaient emmené avec eux leurs tenue de parade pour défiler à Kiev).
2- “courage” ce terme n’est pas en général associé à des actions que l’on réprouve. Ainsi on ne parle pas du courage des terroristes islamiques qui savent qu’ils vont mourir, du courage des narco-trafiquant, du courage de ceux qui tuent à l’arme blanche etc … En général, on dit bien à tort qu’ils sont “lâches”.
3- “les Russes ont décidé” Il me semble que ce ne sont pas “les Russes” qui ont décidé, mais V Poutine (et son entourage peut-être). Tout ce qu’on peut dire, c’est que même si il y a eu des oppositions, la population dans son ensemble ne s’est pas soulevée contre ce qui était au départ une simple “opération spéciale”. Comme dans tous les pays, il est bien rare que les peuples se soulèvent contre les décisions de paix et de guerre de leurs dirigeants, particulièrement dans les pays autocratiques.
4- “leur intérêts vitaux”. Expression dangereuse compte tenu de ce que l’on sait de la doctrine nucléaire russe. Vous allez au-delà de ce que dit Poutine lui-même. Et vous justifiez par avance un éventuel emploi de l’arme nucléaire russe. Ce n’est pas actuellement à l’ordre du jour, mais auriez-vous des espérances ?
Finalement, je suis bien satisfait que ce point de vue de la “5ème colonne” (1) ne soit pas celui de Bayrou. Au moins, il s’est sorti avec habileté d’une situation difficile. Lâchant fort peu aux socialistes pour obtenir leur “non censure”. Certes son budget n’est pas terrible, mais c’est celui de nos élites dirigeantes.
(1) Vous savez que le pouvoir russe nous déclaré à moult reprise son hostilité, qu’il a entrepris des cyber attaques contre nos institutions, hôpitaux … sans parler des “trolls” des réseaux sociaux. Cette phrase s’inscrit dans une longue suite de propos favorables, ou a minima indulgents, à l’invasion russe que vous tenez sur votre blog.
@ marc.malesherbes
[1- “le courage d’aller à la guerre ” ils ne sont pas entré en guerre, V Poutine a décidé d’envahir l’Ukraine, et il pensait que ce serait une simple formalité, comme en Crimée. Il n’y a aucun courage dans l’entreprise d’une “simple formalité” (je rappelle que les officiers avaient emmené avec eux leurs tenue de parade pour défiler à Kiev).]
Contrairement à vous, je n’ai pas le pouvoir de lire dans les pensées de V. Poutine, et par conséquent je ne sais pas s’il estimait qu’il s’agissait d’une « simple formalité » ou pas. Par ailleurs, j’aimerais avoir une référence pour cette histoire de « tenue de parade pour défiler à Kiev »… c’est le genre de légende qu’on trouve dans presque tous les conflits (je me souviens de l’avoir entendu à propos de l’attaque allemande en 1914).
Sur le fond maintenant : même s’il s’était agi d’une « formalité », la décision d’occuper un pays voisin n’est pas une décision simple pour un leader politique. A supposer même que les troupes russes aient réussi à défiler à Kiev en tenue de parade, les autorités russes savaient pertinemment que leur action allait leur valoir des sanctions économiques massives. Je pense que pour prendre une telle décision, il faut un certain courage.
[2- “courage” ce terme n’est pas en général associé à des actions que l’on réprouve.]
Et qui vous dit que je « reprouve » l’action de Poutine ? J’ai l’impression que vous universalisez vos propres opinions… Pourtant, je pense avoir été très clair : l’expansion permanente vers l’Est de l’OTAN constitue pour la Russie une menace très réelle. Tôt ou tard, cette expansion allait traverser la « ligne rouge » de ce que la Russie pouvait accepter. Et les dirigeants russes avaient clairement indiqué que l’entrée de l’Ukraine dans le système UE/OTAN était une ligne rouge. A partir du moment où cette ligne était franchie, il ne restait à la Russie que la voie militaire, sous peine de perdre toute crédibilité.
Après, on peut bien entendu regretter que le monde soit régi par les rapports de force, et qu’on soit quelquefois obligé de faire la guerre pour défendre ses intérêts vitaux. Mais il me semble difficile de « réprouver » celui qui le fait.
[Ainsi on ne parle pas du courage des terroristes islamiques qui savent qu’ils vont mourir, du courage des narco-trafiquant, du courage de ceux qui tuent à l’arme blanche etc … En général, on dit bien à tort qu’ils sont “lâches”.]
Personnellement, je trouve toujours ces discours qui visent à se donner une supériorité morale sur l’adversaire assez ridicules.
[3- “les Russes ont décidé” Il me semble que ce ne sont pas “les Russes” qui ont décidé, mais V Poutine (et son entourage peut-être).]
Vous voulez dire que ce ne sont pas les Américains qui ont décidé d’attaquer l’Irak, mais George Bush ? Que la France n’a jamais décidé de quitter le commandement intégré de l’OTAN ? Oui, ce sont les gouvernants qui prennent les décisions. Mais les gouvernants ne gouvernent que par le consentement des gouvernés – et cela est vrai même dans les régimes autoritaires : aucun dictateur n’a tenu sans un soutien de la population. Il est donc d’usage de confondre la décision d’un chef d’Etat avec celle de son pays.
[Tout ce qu’on peut dire, c’est que même si il y a eu des oppositions, la population dans son ensemble ne s’est pas soulevée contre ce qui était au départ une simple “opération spéciale”. Comme dans tous les pays, il est bien rare que les peuples se soulèvent contre les décisions de paix et de guerre de leurs dirigeants, particulièrement dans les pays autocratiques.]
Quand on se souvient de l’hystérie qui a accompagné l’invasion de l’Irak, on apprécie particulièrement l’ironie de votre remarque sur les « pays autocratiques »…
[4- “leur intérêts vitaux”. Expression dangereuse compte tenu de ce que l’on sait de la doctrine nucléaire russe. Vous allez au-delà de ce que dit Poutine lui-même. Et vous justifiez par avance un éventuel emploi de l’arme nucléaire russe. Ce n’est pas actuellement à l’ordre du jour, mais auriez-vous des espérances ?]
Je vous rappelle que l’utilisation de l’arme nucléaire pour la défense de ses « intérêts vitaux » est inscrite non seulement dans la doctrine nucléaire russe, mais aussi dans la doctrine nucléaire française. Et dans les deux cas, on laisse une saine ambigüité sur la définition des « intérêts » en question. Je crois me souvenir aussi que la Russie est signataire des traités qui l’engagent à ne pas utiliser l’arme nucléaire contre un pays qui ne dispose pas d’une telle arme. Ce qui n’est pas le cas de la France…
[Finalement, je suis bien satisfait que ce point de vue de la “5ème colonne” (1) ne soit pas celui de Bayrou.]
Je n’ai pas compris cette remarque.
[Au moins, il s’est sorti avec habileté d’une situation difficile. Lâchant fort peu aux socialistes pour obtenir leur “non censure”. Certes son budget n’est pas terrible, mais c’est celui de nos élites dirigeantes.]
Plus haut, vous remarquiez qu’habituellement on ne prête la vertu du « courage » à ceux qu’on reprouve. Est-ce que la vertu de « l’habilité » est soumise à la même règle ?
[(1) Vous savez que le pouvoir russe nous déclaré à moult reprise son hostilité,]
Pas avant que nous commencions à aider ses ennemis avec de l’argent, des armes, du matériel et en entraînant des combattants, sans compter les sanctions économiques. Je ne me souviens pas que le gouvernement russe ait manifesté la moindre hostilité envers la France avant le 24 février 2022. Et j’ajoute que dans le domaine nucléaire, où la France a une coopération solide et ancienne avec la Russie, tous les interlocuteurs russes ne perdent une occasion de manifester leur espoir qu’une fois la guerre finie les rapports chaleureux entre la France et la Russie soient restaurés.
[qu’il a entrepris des cyber attaques contre nos institutions, hôpitaux … sans parler des “trolls” des réseaux sociaux.]
Et alors ? Vous croyez qu’on peut sanctionner un pays et armer ses ennemis impunément ? Je trouve franchement bizarre votre position sur ce point. Comment devrait réagir la France à l’encontre d’un pays qui arme ses ennemis et sanctionne son économie ? Par des remerciements ?
[Cette phrase s’inscrit dans une longue suite de propos favorables, ou a minima indulgents, à l’invasion russe que vous tenez sur votre blog.]
Dois-je m’attendre à une descente de la police politique chez moi ?
Désolé si je ne m’inscris pas dans la vision manichéenne qui est la vôtre. Dans le monde réel, quand un pays est menacé, il fait ce qu’il estime nécessaire pour se protéger. Dans les années 1960, Cuba avait toutes les raisons du monde de craindre une invasion américaine, et donc de vouloir des missiles nucléaires sur son territoire. Les Américains ont considéré qu’il s’agissait là d’une menace inacceptable pour eux, au point qu’ils étaient prêts à aller à la guerre. L’URSS a eu l’intelligence de négocier, un accord de garanties a été trouvé, les missiles ont été retirés et Cuba n’a jamais été envahie.
En Ukraine, la situation était très similaire. L’entrée de l’Ukraine dans le système UE/OTAN était évaluée par la Russie comme une menace inacceptable, et ils ont eux aussi indiqué qu’ils étaient prêts à aller à la guerre. Mais l’OTAN n’a pas voulu négocier, préférant jouer la politique du fait accompli. A partir de là, la guerre était inévitable – comme elle l’aurait été à Cuba si l’URSS avait pris la même position…
Je serais curieux de savoir ce que vous auriez fait à la place de Poutine…
[Désolé si je ne m’inscris pas dans la vision manichéenne qui est la vôtre. Dans le monde réel, quand un pays est menacé, il fait ce qu’il estime nécessaire pour se protéger. Dans les années 1960, Cuba avait toutes les raisons du monde de craindre une invasion américaine, et donc de vouloir des missiles nucléaires sur son territoire. Les Américains ont considéré qu’il s’agissait là d’une menace inacceptable pour eux, au point qu’ils étaient prêts à aller à la guerre. L’URSS a eu l’intelligence de négocier, un accord de garanties a été trouvé, les missiles ont été retirés et Cuba n’a jamais été envahie.
En Ukraine, la situation était très similaire. L’entrée de l’Ukraine dans le système UE/OTAN était évaluée par la Russie comme une menace inacceptable, et ils ont eux aussi indiqué qu’ils étaient prêts à aller à la guerre. Mais l’OTAN n’a pas voulu négocier, préférant jouer la politique du fait accompli. A partir de là, la guerre était inévitable – comme elle l’aurait été à Cuba si l’URSS avait pris la même position…
Je serais curieux de savoir ce que vous auriez fait à la place de Poutine…]
La Russie de 2022 n’est pas l’URSS de 1962.
La Russie de 2022, c’est 143 millions d’habitants et un PIB de 2.000 milliards de dollars. Je sais qu’on a beaucoup glosé en 2022 sur le fait que oui mais non mais attention en PIB PPA c’est beaucoup plus, il n’en reste pas moins que la Russie est une puissance moyenne européenne. N’importe quelle coalition de puissances moyennes européennes (DE UK FR IT) fait jeu égal sur le plan démographique et la dépasse économiquement. Et oui, la Russie dispose d’un arsenal nucléaire pléthorique. Elle l’évoque tellement souvent qu’on en vient à oublier que la France et le Royaume-Uni aussi ont l’arme nucléaire…
Quant à savoir ce que Poutine aurait pu faire d’autre, j’ai bien quelques suggestions… A commencer, peut-être, par le fait de rendre économiquement attractif pour l’Ukraine le maintien dans le giron de la sphère russe. Sauf que… En 1990, la Pologne avait un PIB/habitant de 1731 dollars et la Russie 3.494. En 2023, c’est 22.056 pour la Pologne et 13.817 pour la Russie… Même la Roumanie a fini par dépasser la Russie…
@ Luc
[La Russie de 2022 n’est pas l’URSS de 1962. La Russie de 2022, c’est 143 millions d’habitants et un PIB de 2.000 milliards de dollars. Je sais qu’on a beaucoup glosé en 2022 sur le fait que oui mais non mais attention en PIB PPA c’est beaucoup plus, il n’en reste pas moins que la Russie est une puissance moyenne européenne. N’importe quelle coalition de puissances moyennes européennes (DE UK FR IT) fait jeu égal sur le plan démographique et la dépasse économiquement.]
Certes. Et alors ? J’ai du mal à voir en quoi cela répond à mon commentaire, et encore moins à ma question finale : qu’est ce que vous auriez fait à la place de Poutine. Par ailleurs, si la taille du PIB et la démographie sont importantes, elles ne disent pas tout. L’histoire, la géopolitique disent aussi des choses non négligeables. La Grande Bretagne a été une puissance mondiale, dominant des pays bien plus peuplés qu’elle – pensez à l’Inde.
[Et oui, la Russie dispose d’un arsenal nucléaire pléthorique. Elle l’évoque tellement souvent qu’on en vient à oublier que la France et le Royaume-Uni aussi ont l’arme nucléaire…]
Et alors ? La question n’est pas seulement d’avoir l’arme nucléaire, mais le contexte qui pourrait conduire à son utilisation. Ni la France ni la Grande Bretagne ne voient l’un de leurs voisins chercher à adhérer à une alliance offensive dirigée contre elles – et le fait que l’OTAN est une alliance offensive n’est plus en question depuis le bombardement de la Serbie en 1999. Les hypothèses dans lesquelles les intérêts vitaux de la France ou de la Grande Bretagne seraient menacés à leurs frontières sont toutes hautement théoriques. Ce n’est pas le cas de la Russie aujourd’hui. Et c’est pourquoi la comparaison avec la crise des missiles à Cuba est pertinente : dans les deux cas, il s’agit d’une menace directe aux frontières de l’Etat concerné. Et dans les deux cas, la réaction a été violente : dans le premier on est allé au bord de la guerre nucléaire, dans le second à une attaque conventionnelle. La grande différence est que dans le premier cas on a trouvé une solution de compromis qui sauvegardait l’intérêt des deux partis, et dans l’autre l’une des parties a refusé toute négociation.
[Quant à savoir ce que Poutine aurait pu faire d’autre, j’ai bien quelques suggestions…]
J’attends de les entendre…
[A commencer, peut-être, par le fait de rendre économiquement attractif pour l’Ukraine le maintien dans le giron de la sphère russe.]
En faisant quoi CONCRETEMENT ? Pensez-vous qu’à l’heure d’acheter les Ukrainiens – parce que c’est cela que vous proposez, n’ayons pas peur des mots – la Russie avait des moyens comparables à l’UE et les Etats-Unis réunis ? Et puis, même si elle avait réussi à rendre cette option « attractive » pour les citoyens ukrainiens, dois-je vous rappeler ce qui est arrivé au dernier gouvernement ukrainien démocratiquement élu qui a refusé l’association au système UE/OTAN ?
[Sauf que… En 1990, la Pologne avait un PIB/habitant de 1731 dollars et la Russie 3.494. En 2023, c’est 22.056 pour la Pologne et 13.817 pour la Russie… Même la Roumanie a fini par dépasser la Russie…]
Et donc ? Quelle serait votre conclusion ? Le Quatar a un PIB par habitant double de celui des Etats-Unis, et presque huit fois supérieur à celui de la Chine. Et pourtant à l’heure de conclure des accords sur l’avenir du monde, il reste un acteur de seconde zone. Si la puissance venait du PIB par habitant, le monde serait dirigé par le Quatar, le Luxembourg, Macao et Singapour.
[Certes. Et alors ? J’ai du mal à voir en quoi cela répond à mon commentaire, et encore moins à ma question finale : qu’est ce que vous auriez fait à la place de Poutine. Par ailleurs, si la taille du PIB et la démographie sont importantes, elles ne disent pas tout. L’histoire, la géopolitique disent aussi des choses non négligeables. La Grande Bretagne a été une puissance mondiale, dominant des pays bien plus peuplés qu’elle – pensez à l’Inde.]
C’est précisément ce que je veux souligner. Le réflexe impérial de la Russie de 2022 est en décalage complet avec la puissance réelle de ce pays, comme si le Royaume-Uni continuait à se comporter en 2022 comme la puissance impériale qu’il a été.
[Et alors ? La question n’est pas seulement d’avoir l’arme nucléaire, mais le contexte qui pourrait conduire à son utilisation. Ni la France ni la Grande Bretagne ne voient l’un de leurs voisins chercher à adhérer à une alliance offensive dirigée contre elles – et le fait que l’OTAN est une alliance offensive n’est plus en question depuis le bombardement de la Serbie en 1999. Les hypothèses dans lesquelles les intérêts vitaux de la France ou de la Grande Bretagne seraient menacés à leurs frontières sont toutes hautement théoriques. Ce n’est pas le cas de la Russie aujourd’hui. Et c’est pourquoi la comparaison avec la crise des missiles à Cuba est pertinente : dans les deux cas, il s’agit d’une menace directe aux frontières de l’Etat concerné. Et dans les deux cas, la réaction a été violente : dans le premier on est allé au bord de la guerre nucléaire, dans le second à une attaque conventionnelle. La grande différence est que dans le premier cas on a trouvé une solution de compromis qui sauvegardait l’intérêt des deux partis, et dans l’autre l’une des parties a refusé toute négociation.]
Je persiste : la comparaison n’est pas pertinente, parce que la Russie n’est pas l’URSS. La Russie de 2022, c’est la France et le Royaume-Uni de 1956 à Suez…
[En faisant quoi CONCRETEMENT ? Pensez-vous qu’à l’heure d’acheter les Ukrainiens – parce que c’est cela que vous proposez, n’ayons pas peur des mots – la Russie avait des moyens comparables à l’UE et les Etats-Unis réunis ? Et puis, même si elle avait réussi à rendre cette option « attractive » pour les citoyens ukrainiens, dois-je vous rappeler ce qui est arrivé au dernier gouvernement ukrainien démocratiquement élu qui a refusé l’association au système UE/OTAN ?]
Je ne parle pas d’acheter, je parle d’offrir une alternative attractive au modèle européen. Un minimum de soft power… A la chinoise…
[Et donc ? Quelle serait votre conclusion ? Le Quatar a un PIB par habitant double de celui des Etats-Unis, et presque huit fois supérieur à celui de la Chine. Et pourtant à l’heure de conclure des accords sur l’avenir du monde, il reste un acteur de seconde zone. Si la puissance venait du PIB par habitant, le monde serait dirigé par le Quatar, le Luxembourg, Macao et Singapour.]
Mon propos à ce niveau est simplement de souligner l’efficacité (et l’attractivité) du modèle européen en terme de développement et de prospérité.
@ Luc
[C’est précisément ce que je veux souligner. Le réflexe impérial de la Russie de 2022 (…)]
Mais de quel « réflexe impérial » parlez-vous ? Un pays se voit se profiler une menace à ses intérêts vitaux, il énonce publiquement ses « lignes rouges » à ne pas franchir, et lorsqu’il voit qu’elles vont être franchies, il utilise la force pour les faire respecter. Où voyez-vous un « réflexe impérial » là-dedans ?
[Je persiste : la comparaison n’est pas pertinente, parce que la Russie n’est pas l’URSS. La Russie de 2022, c’est la France et le Royaume-Uni de 1956 à Suez…]
Les faits ont prouvé le contraire. La France et le Royaume-Uni ont dû se retirer la queue basse en 1956, après seulement quelques jours de guerre. On n’a pas l’impression que la Russie, plus de deux ans après le début du conflit, soit dans la même situation. Encore une fois, vous vous trompez je pense sur la nature du conflit. Suez 1956, c’était une intervention extérieure. Lorsque la Russie attaque l’Ukraine, il s’agit d’une menace à ses frontières.
[Je ne parle pas d’acheter, je parle d’offrir une alternative attractive au modèle européen. Un minimum de soft power… A la chinoise…]
J’attends toujours que vous m’indiquiez ce que Poutine aurait pu faire CONCRETEMENT pour offrir une telle « alternative ».
[Mon propos à ce niveau est simplement de souligner l’efficacité (et l’attractivité) du modèle européen en termes de développement et de prospérité.]
Mais personne ne le discute. Un modèle qui distribue de l’argent est toujours fort attractif.
[dois-je vous rappeler ce qui est arrivé au dernier gouvernement ukrainien démocratiquement élu qui a refusé l’association au système UE/OTAN ?]
Vous parlez du « coup d’Etat fasciste » de Maïdan ?
Rétrospectivement, je trouve l’épisode assez révélateur. Ne suivant que de loin ces choses, j’ai à l’époque accordé quelque crédit au discours russe porté en France par les habituels relais (Berruyer, Sapir, etc), voulant que la population ukrainienne se veuille massivement dans la sphère d’influence russe et que les contestataires ne soient que des agents de l’Occident.
Le problème, c’est que le sang versé par les ukrainiens depuis 2022 contredit radicalement ce discours. Aucun peuple qui se rêverait dans le giron de la Russie ne se battrait contre la Russie comme ils l’ont fait depuis trois ans.
@ Luc
[« dois-je vous rappeler ce qui est arrivé au dernier gouvernement ukrainien démocratiquement élu qui a refusé l’association au système UE/OTAN ? » Vous parlez du « coup d’Etat fasciste » de Maïdan ?]
« Coup d’Etat fasciste » pour certains, « sursaut démocratique » pour les autres… moi je me méfie des étiquettes, et préfère m’attacher aux faits. Et le fait est que l’Ukraine avait un président élu démocratiquement, et que cette élection avait été jugée honnête par les observateurs de l’OSCE – qu’on peut difficilement considérer comme étant à la botte de la Russie. Que conformément aux pouvoirs que lui donne la constitution, il avait refusé de signer l’accord d’association avec l’Union européenne. Et que comme conséquence de ce refus, il fut renversé par un mouvement de rue soutenu et financé par l’Union européenne. Cela s’appelle en bon français un coup d’Etat et une ingérence étrangère. Vous pouvez voir dans ce processus du « fascisme », ou au contraire une grande avancée démocratique. Mais les faits sont les faits.
[Rétrospectivement, je trouve l’épisode assez révélateur. Ne suivant que de loin ces choses, j’ai à l’époque accordé quelque crédit au discours russe porté en France par les habituels relais (Berruyer, Sapir, etc), voulant que la population ukrainienne se veuille massivement dans la sphère d’influence russe et que les contestataires ne soient que des agents de l’Occident. Le problème, c’est que le sang versé par les ukrainiens depuis 2022 contredit radicalement ce discours. Aucun peuple qui se rêverait dans le giron de la Russie ne se battrait contre la Russie comme ils l’ont fait depuis trois ans.]
Ce raisonnement a plusieurs défauts logiques. D’abord, vous posez le problème comme si le choix était de rentrer dans le système UE/OTAN ou bien d’être « dans la sphère d’influence russe ». Mais d’autres choix sont possibles. La Suisse, par exemple, n’est ni dans l’UE ni dans l’OTAN, pas plus qu’elle n’est dans « la sphère d’influence russe ». Et cela ne semble pas lui poser beaucoup de problèmes.
Ensuite, il ne faudrait pas exagérer la combativité des ukrainiens. Nos médias aiment publier à longueur de pages – c’est une spécialité de « Le Monde » – des articles où l’on retrouve toute la panoplie du romantisme guerrier, celle-là même qu’on retrouvait dans les années 1980 dans les articles sur les « combattants de la liberté » afghans. Certains de ces articles font se font même l’écho bienveillant d’un discours nationaliste et patriotique que le même journal dénoncerait avec la dernière vigueur s’il était prononcé par un Français. Mais derrière cette publicité, il y a les faits : loin de se battre avec enthousiasme, les Ukrainiens ont largement évité d’aller au front. Il y a un élément qui ne trompe pas : l’Ukraine n’a eu recours à la mobilisation de masse. La conscription ne touche que les hommes, et l’âge de la conscription est resté très élevé. On n’a mobilisé qu’à partir de 27 ans pendant les deux premières années de la guerre, et toutes les tentatives pour abaisser ce seuil se sont heurtées à un rejet catégorique de la population. Ce seuil n’a été abaissé à 25 ans qu’en avril 2024, et il a fallu pour cela la pression occidentale. Aucune tentative n’a été faite de mobiliser les femmes. Et pour couronner le tout, on sait maintenant que le service chargé de la mobilisation était un nid de corruption, distribuant massivement des dispenses contre de l’argent. Cela sans compter les ukrainiens passés à l’étranger pour ne pas risquer l’incorporation. Tenir pour évidente la conclusion que « aucun peuple qui se rêverait dans le giron de la Russie ne se battrait contre la Russie comme ils l’ont fait depuis trois ans » me paraît pour le moins osé…
L’Ukraine est un pays divers, dont les frontières ont été largement déplacées par les vicissitudes de l’histoire. Il y a certainement des Ukrainiens, particulièrement à l’Est et au Sud, qui se sentent proches culturellement, politiquement et économiquement de la Russie, et d’autres, plus à l’Ouest, qui s’identifient avec les traditions polonaise ou roumaine. Le fait est que nous ne connaissons que très mal l’état de l’opinion ukrainienne, notamment dans les régions russophones.
[Mais de quel « réflexe impérial » parlez-vous ? Un pays se voit se profiler une menace à ses intérêts vitaux, il énonce publiquement ses « lignes rouges » à ne pas franchir, et lorsqu’il voit qu’elles vont être franchies, il utilise la force pour les faire respecter. Où voyez-vous un « réflexe impérial » là-dedans ?]
Non, effectivement, vous avez raison, il faut être prudent dans les qualifications. On ne peut pas nécessairement qualifier de réflexe impérial le fait d’envahir un pays pour le soumettre et remplacer ses dirigeants.
Ceci dit, je suis curieux : est-ce que ces nuances sémantiques s’appliquent également aux Etats-Unis et à leur relations avec, au choix, l’Afghanistan, l’Irak, le Vietnam, la Barbade ? Est-ce que ces épisodes, eux, relèvent du réflexe impérial ? Ou bien sont-ce aussi de simples lignes rouges qu’il ne fallait ne pas franchir et qu’ils ont juste fait respecter par la force ?
[Les faits ont prouvé le contraire. La France et le Royaume-Uni ont dû se retirer la queue basse en 1956, après seulement quelques jours de guerre. On n’a pas l’impression que la Russie, plus de deux ans après le début du conflit, soit dans la même situation. Encore une fois, vous vous trompez je pense sur la nature du conflit. Suez 1956, c’était une intervention extérieure. Lorsque la Russie attaque l’Ukraine, il s’agit d’une menace à ses frontières.]
Ma thèse est que la Russie est présentée à tort comme une superpuissance faisant jeu égal avec les USA et la Chine et que son statut réel est celui de puissance moyenne européenne.
Le fait que les événements de 2022 ne se déroulent pas comme en 1956 ne l’invalide pas. En 2022, il n’y a pas de consensus des deux grandes puissances (les USA et la Chine) pour mettre la Russie au pas.
[J’attends toujours que vous m’indiquiez ce que Poutine aurait pu faire CONCRETEMENT pour offrir une telle « alternative ».]
Vous ergotez. Vous me demandez quoi concrètement ? De vous dresser la liste des mesures constitutionnelles, législatives et administratives que la Russie (et non Poutine, ne cédons pas à la mode de la personnalisation du pouvoir) aurait pu prendre pour devenir une démocratie libérale européenne comme l’Allemagne, la France, la Pologne, le Royaume-Uni ?
Ou bien, peut-être que ce qui sous-tend cette demande est que la Russie ne pouvait concrètement rien faire, que tout est déterminisme, qu’elle est incapable de prendre la voie démocraties libérales européennes ?
Ou bien, peut-être plus fondamentalement, rejetez-vous la démocratie libérale européenne comme modèle de société ?
[Mais personne ne le discute. Un modèle qui distribue de l’argent est toujours fort attractif.]
Ce n’est pas ce que j’ai dit. Vous dévoyez mes propos en me caricaturant comme un explorateur européen qui distribue de la verroterie au fond de l’Afrique.
Je parle de proposer un modèle de société qui crée les conditions de la prospérité de sa population.
[D’abord, vous posez le problème comme si le choix était de rentrer dans le système UE/OTAN ou bien d’être « dans la sphère d’influence russe ». Mais d’autres choix sont possibles. La Suisse, par exemple, n’est ni dans l’UE ni dans l’OTAN, pas plus qu’elle n’est dans « la sphère d’influence russe ». Et cela ne semble pas lui poser beaucoup de problèmes.]
Relisez nos échanges. Je n’ai jamais parlé de « système EU/Otan ».Je parle uniquement de respecter le choix de l’Ukraine de ne pas rester dans le giron russe et de tenter la voie de la démocratie libérale européenne.
En réalité, c’est vous qui utilisez en permanence ce concept qui agrège votre antiaméricanisme et votre rejet de l’UE (et qui de surcroît est une fausse évidence, on peut être membre de l’UE sans être membre de l’Otan, et on peut être membre de l’OTAN sans être membre de l’UE et avoir une frontière commune avec la Russie)
Je n’ai aucun problème avec la critique des USA et de l’UE. Mais il faut être conscient des conséquences de ce que l’on souhaite. Si on enlève la couche intégrative (fût-elle à base de domination US), l’Europe, c’est un agglomérat de puissances moyennes : la Russie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Espagne, la Pologne… Si on commence avec les jeux d’annexion et la course à la puissance militaire, on s’arrête où ?
[Ensuite, il ne faudrait pas exagérer la combativité des ukrainiens. Nos médias aiment publier à longueur de pages – c’est une spécialité de « Le Monde » – des articles où l’on retrouve toute la panoplie du romantisme guerrier, celle-là même qu’on retrouvait dans les années 1980 dans les articles sur les « combattants de la liberté » afghans. Certains de ces articles font se font même l’écho bienveillant d’un discours nationaliste et patriotique que le même journal dénoncerait avec la dernière vigueur s’il était prononcé par un Français].
Vous évoquez Maïdan pour soutenir que l’Ukraine se voudrait-elle dans le giron russe, elle ne serait pas autorisée à le faire par ses maîtres euro-américains (et donc implicitement vous affirmez que la révolution de Maïdan était un coup d’état occidental).
Je vous réponds que le déroulement ultérieur des événements prouve que la population ukrainienne est suffisamment opposée la domination russe que pour se défendre et que, rétrospectivement, l’affirmation que Maïdan était un coup d’état porté par l’occident est sinon démentie, à tout le moins doit être prise avec beaucoup de pincettes.
Et vous me répondez que oui mais non en fait ils ne combattent pas vraiment (et une pique contre le Monde en passant)…
[L’Ukraine est un pays divers, dont les frontières ont été largement déplacées par les vicissitudes de l’histoire. Il y a certainement des Ukrainiens, particulièrement à l’Est et au Sud, qui se sentent proches culturellement, politiquement et économiquement de la Russie, et d’autres, plus à l’Ouest, qui s’identifient avec les traditions polonaise ou roumaine. Le fait est que nous ne connaissons que très mal l’état de l’opinion ukrainienne, notamment dans les régions russophones.]
Donc, après avoir déclaré en substance que l’avis des Ukrainiens on s’en fiche parce que c’est une ligne rouge de la Russie et que la Russie a le droit de fixer des lignes rouges et de soumettre ses voisins, vous me dites que oui mais peut-être que lesdits voisins ne demandent pas mieux que d’être des russes…
Décidez-vous : est-ce que l’avis des Ukrainiens compte ? Et si cet avis compte, est-ce que nous les prions de l’exprimer et est-ce que nous forçons la Russie à le respecter ?
@ Luc
[« Mais de quel « réflexe impérial » parlez-vous ? Un pays se voit se profiler une menace à ses intérêts vitaux, il énonce publiquement ses « lignes rouges » à ne pas franchir, et lorsqu’il voit qu’elles vont être franchies, il utilise la force pour les faire respecter. Où voyez-vous un « réflexe impérial » là-dedans ? » Non, effectivement, vous avez raison, il faut être prudent dans les qualifications. On ne peut pas nécessairement qualifier de réflexe impérial le fait d’envahir un pays pour le soumettre et remplacer ses dirigeants.]
Il n’est pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. L’invasion de l’Ukraine n’est pas le début de l’histoire : elle est la fin d’un long processus par lequel le système OTAN/UE a progressivement intégré les états qui faisaient naguère tampon entre les pays de l’OTAN et la Russie, jusqu’à encercler cette dernière. Mais bon, vous voulez retenir le geste et non sa motivation. Que voulez-vous que je vous dise ?
[Ceci dit, je suis curieux : est-ce que ces nuances sémantiques s’appliquent également aux Etats-Unis et à leur relations avec, au choix, l’Afghanistan, l’Irak, le Vietnam, la Barbade ? Est-ce que ces épisodes, eux, relèvent du réflexe impérial ? Ou bien sont-ce aussi de simples lignes rouges qu’il ne fallait ne pas franchir et qu’ils ont juste fait respecter par la force ?]
Je ne vois pas très bien ce que la Barbade vient faire dans cette liste, je ne me souviens pas que l’armée américaine soit intervenue à la Barbade. Peut-être confondez-vous avec la Grenade ?
Pour ce qui concerne l’Afghanistan, l’Irak ou le Vietnam, je vois mal en quoi ces trois pays pouvaient constituer une menace pour les intérêts vitaux des Etats-Unis. Aucun d’entre eux n’est proche de ses frontières. Aucun de ces pays n’envisageait d’entrer dans une alliance offensive contre les Etats-Unis, et dans aucun de ces cas les Etats-Unis n’avaient exprimé ex-ante les « lignes rouges ». Donc, je dirais que oui, il s’agit d’un « réflexe impérial ». Différent est le cas de la crise des missiles de Cuba, puisque dans ce cas Cuba était bien entré dans une alliance que les Etats-Unis pouvaient considérer comme hostile, et que l’installation des missiles était une menace directe pour les intérêts vitaux des Etats-Unis. Et dans ce cas particulier, on peut parler de « simples lignes rouges » et non de « réflexe impérial ». Pour moi, c’est le meilleur parallèle qu’on puisse trouver à la situation de l’Ukraine.
[Ma thèse est que la Russie est présentée à tort comme une superpuissance faisant jeu égal avec les USA et la Chine et que son statut réel est celui de puissance moyenne européenne.]
Mais les faits vous donnent tort. Les Etats-Unis ou la Chine négocient avec la Russie sur un pied d’égalité, ce qu’ils ne font pas d’habitude avec les « puissances moyennes ». Sans aller plus loin, cette semaine à Ryad les ministres des affaires étrangères russe et américain se réunissent pour discuter de l’avenir du monde. Ni la France, ni la Grande Bretagne, ni l’Allemagne n’ont eu droit à cet honneur. Pourquoi, à votre avis ?
[« J’attends toujours que vous m’indiquiez ce que Poutine aurait pu faire CONCRETEMENT pour offrir une telle « alternative ». » Vous ergotez.]
Parce que je je vous demande de préciser CONCRETEMENT votre affirmation ?
[Vous me demandez quoi concrètement ? De vous dresser la liste des mesures constitutionnelles, législatives et administratives que la Russie (et non Poutine, ne cédons pas à la mode de la personnalisation du pouvoir) aurait pu prendre pour devenir une démocratie libérale européenne comme l’Allemagne, la France, la Pologne, le Royaume-Uni ?]
Non. Il n’était pas question dans cet échange de « devenir une démocratie libérale européenne ». Je vous rappelle votre commentaire : « Quant à savoir ce que Poutine aurait pu faire d’autre, j’ai bien quelques suggestions… A commencer, peut-être, par le fait de rendre économiquement attractif pour l’Ukraine le maintien dans le giron de la sphère russe. ». Et bien, j’attends vos suggestions. Pas la peine de lister cent mesures, avec les trois mesures qui auraient « rendu économiquement attractif pour l’Ukraine le maintien dans le giron de la sphère russe », je me contente.
[Ou bien, peut-être que ce qui sous-tend cette demande est que la Russie ne pouvait concrètement rien faire, que tout est déterminisme, qu’elle est incapable de prendre la voie démocraties libérales européennes ?]
Encore une fois, la question posée n’avait rien à voir avec les « démocraties libérales européennes ». Le sujet que vous aviez abordé était l’attractivité ECONOMIQUE. N’essayez pas de détourner la conversation.
[Ou bien, peut-être plus fondamentalement, rejetez-vous la démocratie libérale européenne comme modèle de société ?]
Avant de vous répondre, j’aimerais savoir ce que vous appelez « démocratie libérale européenne ». Parlez-vous du système théorique, ou de son fonctionnement dans la pratique. Si vous entendez par « démocratie libérale européenne » le système par lequel on fait voter le peuple et ensuite, quel que soit le résultat, on fait la politique décidée par le « cercle de la raison » à Bruxelles, oui, je le rejette.
[« Mais personne ne le discute. Un modèle qui distribue de l’argent est toujours fort attractif. » Ce n’est pas ce que j’ai dit. Vous dévoyez mes propos en me caricaturant comme un explorateur européen qui distribue de la verroterie au fond de l’Afrique.]
La différence avec l’explorateur européen qui distribue des fonds structurels au fin fond de la Roumanie m’échappe.
{Je parle de proposer un modèle de société qui crée les conditions de la prospérité de sa population.]
Et vous pensez à quel « modèle », pour être précis ?
[Relisez nos échanges. Je n’ai jamais parlé de « système EU/Otan ». Je parle uniquement de respecter le choix de l’Ukraine de ne pas rester dans le giron russe et de tenter la voie de la démocratie libérale européenne.]
Me ne pensez-vous pas qu’il faudrait aussi « respecter le choix de l’Ukraine » de NE PAS s’associer avec l’UE prise par le président Viktor Ianoukovitch, choix pour lequel il fut renversé avec la complicité ouverte des états pratiquant la « démocratie libérale européenne » ? Curieusement, vous n’appelez pas à respecter ce « choix ». Doit-on comprendre que certains choix de l’Ukraine sont respectables, et d’autres pas ? Et qui décide ?
[En réalité, c’est vous qui utilisez en permanence ce concept qui agrège votre antiaméricanisme et votre rejet de l’UE (et qui de surcroît est une fausse évidence, on peut être membre de l’UE sans être membre de l’Otan, et on peut être membre de l’OTAN sans être membre de l’UE et avoir une frontière commune avec la Russie)]
Sauf que, si ma mémoire ne me trompe pas, le traité de Lisbonne mentionne explicitement l’OTAN comme faisant partie du système de sécurité européen. Il y a bien donc une intégration des deux structures, même si l’on peut marginalement être membre de l’une sans être membre de l’autre.
[Je n’ai aucun problème avec la critique des USA et de l’UE. Mais il faut être conscient des conséquences de ce que l’on souhaite. Si on enlève la couche intégrative (fût-elle à base de domination US), l’Europe, c’est un agglomérat de puissances moyennes : la Russie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Espagne, la Pologne… Si on commence avec les jeux d’annexion et la course à la puissance militaire, on s’arrête où ?]
Autrement dit, il nous faut un dominant extérieur qui nous discipline, sans quoi on se mettrait sur la gueule ? Soyons sérieux : la Russie a historiquement de bonnes raisons de craindre les invasions venues de l’ouest. De Napoléon à Hitler, on ne compte pas les expéditions dans ce sens, alors que les arrivées des Cosaques à Berlin ou Paris sont relativement rares. La principale motivation de la Russie n’est pas, historiquement, le gain territorial – elle a des territoires à ne plus savoir qu’en faire – mais plutôt la création d’un glacis d’états vassaux ou amis qui lui donnent une profondeur stratégique, et la protection de ses accès à la mer. Si dans les années 1990 l’OTAN s’était tenue aux promesses faites oralement à la Russie de « neutraliser » militairement les états de l’ancien Pacte de Varsovie, on n’en serait pas là. Je ne vois pas beaucoup « d’annexions » entre les différentes puissances européennes dans ce contexte, même sans « structure intégrative ».
[Vous évoquez Maïdan pour soutenir que l’Ukraine se voudrait-elle dans le giron russe, elle ne serait pas autorisée à le faire par ses maîtres euro-américains (et donc implicitement vous affirmez que la révolution de Maïdan était un coup d’état occidental).]
Je me contente de constater que Maïdan fut soutenue par l’Union européenne, que ce soit politiquement, médiatiquement et même financièrement. Au point que les ukrainiens eux-mêmes ont rebaptisé la chose « Euromaïdan ». Et que le mouvement a abouti au renversement d’un président démocratiquement élu. Je vous laisse appeler cela comme ça vous chante…
[Je vous réponds que le déroulement ultérieur des événements prouve que la population ukrainienne est suffisamment opposée la domination russe que pour se défendre et que, rétrospectivement, l’affirmation que Maïdan était un coup d’état porté par l’occident est sinon démentie, à tout le moins doit être prise avec beaucoup de pincettes.]
Je ne sais pas de quel « déroulement ultérieur des évènements » vous voulez parler. A ma connaissance, la population ukrainienne n’a jamais plus été consultée sur la question de l’adhésion à l’UE. Et je vous rappelle que Zelenski a été élu sur une plateforme de négociation avec la Russie.
[« L’Ukraine est un pays divers, dont les frontières ont été largement déplacées par les vicissitudes de l’histoire. Il y a certainement des Ukrainiens, particulièrement à l’Est et au Sud, qui se sentent proches culturellement, politiquement et économiquement de la Russie, et d’autres, plus à l’Ouest, qui s’identifient avec les traditions polonaise ou roumaine. Le fait est que nous ne connaissons que très mal l’état de l’opinion ukrainienne, notamment dans les régions russophones. » Donc, après avoir déclaré en substance que l’avis des Ukrainiens on s’en fiche parce que c’est une ligne rouge de la Russie et que la Russie a le droit de fixer des lignes rouges et de soumettre ses voisins, vous me dites que oui mais peut-être que lesdits voisins ne demandent pas mieux que d’être des russes…]
Je ne me souviens pas d’avoir dit « l’avis des Ukrainiens on s’en fiche ». Je ne sais d’ailleurs pas qui est ce « on » dont vous parlez. Mais il faut être réaliste : les rapports entre les nations sont régis par des rapports de force, et « le salut du peuple est la loi suprême ». Si un Etat se sent menacé, il utilisera la force pour se défendre, que cela vous paraisse juste ou injuste. En 1962, Cuba avait parfaitement le droit d’accueillir des missiles nucléaires sur son territoire. La décision du gouvernement cubain était en tout point conforme au droit international. Il n’empêche que les Etats-Unis ont jugé que cela violait une « ligne rouge », et ils étaient prêts à aller jusqu’à la guerre nucléaire pour la faire respecter. Vous pouvez leur donner tort, mais c’est ainsi que le monde fonctionne. Et de la même manière, en 2022 la Russie a estimé que l’intégration de l’Ukraine dans le système UE/OTAN violait une « ligne rouge », son avertissement n’a pas été entendu, et elle a usé la force. Je ne vous dis pas qu’elle a « le droit » de le faire, je vous dis qu’elle le fait, et que n’importe quel autre Etat ferait la même chose à sa place. Et que nous ferions de même si les circonstances l’exigeaient, ou du moins je l’espère !
[Décidez-vous : est-ce que l’avis des Ukrainiens compte ? Et si cet avis compte, est-ce que nous les prions de l’exprimer et est-ce que nous forçons la Russie à le respecter ?]
Mais cela veut dire quoi « leur avis compte » ? Est-ce que l’avis du gouvernement cubain aurait du « compter » en 1962 ? Pensez-vous que les soviétiques, au lieu de chercher un accord, auraient du chercher à forcer le gouvernement US à le respecter ? Pourquoi les droits souverains des Ukrainiens vous sont-ils plus précieux que les droits souverains des Cubains ?
[Il n’est pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre].
Exact.
Vous semblez regretter que le RN ne propose pas de changement radical… Pensez-vous que ce parti soit de nature à proposer autre chose que de la démagogie pour accéder au pouvoir et y mener une politique violement au service du Capital ? Vous semblez le mettre souvent en avant.
@ Claude DELOUME
[Vous semblez regretter que le RN ne propose pas de changement radical… Pensez-vous que ce parti soit de nature à proposer autre chose que de la démagogie pour accéder au pouvoir et y mener une politique violement au service du Capital ? Vous semblez le mettre souvent en avant.]
Dans mon raisonnement, je pars de l’hypothèse – largement confirmée par la réalité – que tout parti politique est l’otage de son électorat. Au-delà de la volonté de ses dirigeants et de ses militants, il est obligé de proposer et de mettre en œuvre des politiques qui plaisent à ses électeurs, sans quoi il prend un risque considérable de les perdre. Et c’est particulièrement vrai pour les partis dont l’électorat est volatile, et peut facilement basculer dans l’abstention ou changer de crémerie.
Le FN de Jean-Marie Le Pen s’appuyait sur un électorat traditionnel bien identifié, celui des catho traditionnalistes, les petits boutiquiers poujadistes, des nostalgiques de l’Algérie française ou de Vichy, à quoi pouvait s’ajoutait à l’occasion des électeurs voulant marquer leur rejet du système. Les premiers étaient en voie d’extinction, les derniers trop instables pour constituer une base solide. Le FN décolle vraiment en se convertissant au « social-souverainisme », qui lui permet de capter l’électorat populaire, les ouvriers, les fonctionnaires et les employés de la « France périphérique ». Mais ce faisant, il devient un peu leur otage. Pour les conquérir et les garder, il faut proposer des politiques qui ne sont en rien « violemment au service du Capital », tout au contraire. Sortie de l’Euro, affirmation de la souveraineté nationale face à l’UE, renforcement de l’Etat, protectionnisme… relisez ce que pouvait dire le FN en 2017, c’était le programme du PCF des années 1970. Etait-ce de la démagogie ? Peut-être. Mais si le FN était arrivé au pouvoir à ce moment-là, aurait-il pu se permettre de trahir complètement, de faire une politique totalement à l’opposée aux intérêts de son électorat sans prendre le risque de le perdre définitivement ? Je ne le pense pas.
Maintenant, je ne peux que constater que le RN de Bardella a mis beaucoup d’eau dans son vin par comparaison au FN de MLP-Philippot. Et c’est logique : après avoir fait un carton dans les couches populaires, les dirigeants du RN cherchent à « mordre » chez l’électorat des classes intermédiaires. Toute la difficulté est de plaire aux unes sans perdre les autres. Et c’est pour cela que le projet devient plus ambigu, et sur certaines questions plus contradictoires. On ne parle plus de sortie de l’Euro – ca fait peur aux classes intermédiaires – mais on ne promet plus de la faire. Il faut à la fois promettre de renforcer l’Etat et les services publics – c’est une revendication des couches populaires – et à le fois réduire les impôts. C’est d’ailleurs pour cela qu’à mon avis le RN se recentre sur son obsession, l’immigration, qui est un domaine sur lequel les intérêts des couches populaires et ceux d’une partie des classes intermédiaires ne sont pas contradictoires.
Voilà pourquoi je peux vous donner l’impression de regretter que le RN ne propose plus un changement radical. Etant aujourd’hui – c’est une constatation factuelle – le seul parti qui rassemble une part importante de l’électorat populaire, c’est le seul parti qui pouvait porter – et pourtait jusqu’à il n’y a pas si longtemps – un projet de rupture radicale avec la logique de dilution dans l’UE, rupture qui est pour moi la condition sine qua non de toute politique progressiste. Vous imaginez LFI, qui répond aux quatre volontés d’un mitterrandien impénitent, porter une politique de sortie de l’Euro ou de rupture avec l’UE ? Et je ne vous parle même pas des socialistes ou du PCF.
Je n’ai aucune illusion quant aux raisons pour lesquelles les dirigeants du RN auraient pu réaliser cette rupture, mais qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse…
“Essayez de construire un ouvrage public” vous auriez pu en guise d’exemple évoquer ainsi la durée anormale par rapport aux autres pays de construction d’une centrale nucléaire contre laquelle tous les lobbies de toutes sortes s’élèveront parfois violemment beaucoup de groupuscules comme à Notre Dame des Landes et le barrage de Sivens. Je me rappelle l’annulation de la construction de Chambon-Chard par la ministre écologiste Dominique Voynet du gouvernement de fauche plurielle. C’est toute une portion de la Creuse qui n’a pas pu avoir un développement économique. Et de sa trahison des consignes de Jospin lors d’une négociation au niveau européen. Mon peu de considération des Verts s’en est très largement accru pour ne pas dire plus.
Votre critique est largement fondée mais il y manque celle du RN pusillanime, timorée elle aussi. Quand on est dans l’opposition on vote contre l’acte majeur d’un gouvernement qu’est son budget.
@ Cording1
[“Essayez de construire un ouvrage public” vous auriez pu en guise d’exemple évoquer ainsi la durée anormale par rapport aux autres pays de construction d’une centrale nucléaire contre laquelle tous les lobbies de toutes sortes s’élèveront parfois violemment beaucoup de groupuscules comme à Notre Dame des Landes et le barrage de Sivens.]
Vous me rappelez un très bel article paru dans « The Economist » (je crois dans l’édition du 11 décembre dernier) ou l’on parlait de la tendance actuelle à multiplier à l’infini les études et les consultations qui dispensent le politique de prendre des décisions. L’article ironisait sur le fait qu’on avait remplacé le dogme de « l’immaculée conception » par le dogme de « l’immaculée consultation », c’est-à-dire, l’idée qu’en consultant on pouvait aboutir à une décision qui ne porte préjudice à personne. C’est bien entendu une illusion. Dans chaque décision publique il y a des perdants et des gagnants. On peut chercher la solution qui maximise les gagnants, on peut indemniser les perdants, mais perdre un temps infini en espérant contenter tout le monde ce n’est pas la bonne façon de faire
[Je me rappelle l’annulation de la construction de Chambon-Chard par la ministre écologiste Dominique Voynet du gouvernement de fauche plurielle.]
C’est drôle, je pensais justement à Chambonchard en écrivant ces lignes. Je n’ose imaginer qu’on arriverait à construire aujourd’hui des ouvrages comme Serre-Ponçon – qui a permis de réguler le débit de la Durance, autrefois connue comme « le fléau de Provence ». Au fait, je crois que j’ai déjà raconté cette anecdote, mais je ne résiste au plaisir de la re-raconter pour le bénéfice de mes nouveaux lecteurs. J’avais eu le privilège de participer en tant qu’expert aux débats publics pour la construction d’une installation d’entreposage de déchets nucléaires sur le centre de Cadarache, dans la vallée de la Durance. On organisait donc des réunions publiques dans les différents villages du coin. Dans l’un d’eux, on avait fait salle comble, trois cents personnes, des dizaines d’écologistes venus de toute la région pour tenir les discours traditionnels (« les camions de déchets passeront devant l’école de vos enfants ! »). Et puis, un petit vieux – il devait avoir 70 ans à l’époque, je vous parle des années 1990 – avait demandé la parole, et expliqué que lorsqu’il était jeune, la Durance était encore « le fléau de Provence » : deux fois par ans, ses crues emportaient tout sur leur passage, le bétail, les ponts, les fermes. Et puis, un jour dans les années 1950 les ingénieurs des Ponts et Chaussés sont venus, et ont dit « on va mettre un barrage là, un autre là, un autre encore là ». Et puis, la Durance, on en a plus entendu parler. Mais le plus drôle, c’était sa conclusion, qui m’avait marqué : « vous savez, si on nous avait demandé notre avis, on y serait encore… ». J’ai adoré cette réplique. Elle montre bien que la France profonde est très consciente de ses propres défauts, de ses propres limites, de son besoin d’une autorité forte et rationnelle qui arbitre les querelles locales.
[C’est toute une portion de la Creuse qui n’a pas pu avoir un développement économique. Et de sa trahison des consignes de Jospin lors d’une négociation au niveau européen. Mon peu de considération des Verts s’en est très largement accru pour ne pas dire plus.]
Tout à fait. Mais les Verts ne sont que la partie visible de l’iceberg. Le consensus pour ne rien faire va bien au-delà d’eux. C’est d’ailleurs frappant de comparer les réactions du politique aujourd’hui et il y a un demi-siècle. Hier, lorsqu’une difficulté arrivait, on réagissait en réalisant des ouvrages. On a réagi au choc pétrolier en réalisant le programme électronucléaire, on a réagi aux inondations en réalisant réservoirs et barrages. Aujourd’hui, après des inondations qui se répètent d’année en année on ne voit pas se pointer le moindre programme de travaux pour les prévenir. Les ministres se contentent d’aller pleurer sur place, et de faire pression sur les assureurs pour qu’ils payent les réparations, les maires ouvrent le parapluie en multipliant les zones inconstructibles. Mais construire des barrages ou des réservoirs ? Vous n’y songez pas, ce serait perturber la sacro-sainte nature. Et peu importe si les réservoirs en question, avec le temps, deviennent au contraire un facteur de biodiversité – il n’y a qu’à voir ce que sont devenus les réservoirs qui régulent la Seine.
[Votre critique est largement fondée mais il y manque celle du RN pusillanime, timorée elle aussi. Quand on est dans l’opposition on vote contre l’acte majeur d’un gouvernement qu’est son budget.]
Tout à fait, d’autant plus que ce budget est totalement incohérent. Je trouve personnellement que le RN se « normalise » dangereusement. Il prend le même chemin que naguère le PCF : sacrifier le rôle « tribunitien » pour s’approcher du pouvoir. A mon sens, c’est une erreur: le parti tribunitien n’entre pas au gouvernement, mais a un poids important sur les décisions. Le même parti, une fois “normalisé”, n’a guère de poids.
[Je trouve personnellement que le RN se « normalise » dangereusement.]
La campagne de 2eme tour n’a duré qu’une semaine, ce qui n’a sans doute pas laissé le temps à tout le monde de voir que Bardella lâchait tout au capital… Le RN est-il autre chose que la reconstitution d’un parti politique de droite ayant des électeurs, une base populaire (ayant capitalisé sur “le vote contre” et des prises de position sociétales), pour reconstituer la “façade” actuellement bien lézardée dont vous parlez ? Ce capital électoral une fois constitué est à vendre aux investisseurs, non ?
@ Musée de l’Europe
[La campagne de 2eme tour n’a duré qu’une semaine, ce qui n’a sans doute pas laissé le temps à tout le monde de voir que Bardella lâchait tout au capital…]
Oui. Il y en a apparemment qui croient qu’on peut aller chasser sur les électorats de la droite bourgeoise tout en conservant le soutien de l’électorat populaire. En d’autres temps, le PCF avait cru possible d’aller chercher les classes intermédiaires tout en gardant les ouvriers. Ça n’a pas marché, et ça ne pouvait pas marcher. Le RN est en train d’expérimenter le même problème. La difficulté est qu’en se contentant d’un rôle tribunicien, un parti peut exercer une réelle influence, mais ses dirigeants doivent se résigner au fait qu’ils ne seront jamais ministres. Ca pouvait marcher avec les anciennes générations : pour des hommes comme Georges Marchais ou Jean-Marie Le Pen, peser sur les réalités était plus important qu’avoir une voiture à gyrophare. Mais pour des gens comme Bardella, avoir de l’influence, cela ne suffit pas.
[Le RN est-il autre chose que la reconstitution d’un parti politique de droite ayant des électeurs, une base populaire (ayant capitalisé sur “le vote contre” et des prises de position sociétales), pour reconstituer la “façade” actuellement bien lézardée dont vous parlez ? Ce capital électoral une fois constitué est à vendre aux investisseurs, non ?]
Sauf que ce capital, comme vous dites, risque de fondre comme neige au soleil une fois arrivés au pouvoir, lorsque les contradictions inhérentes à cette tentative de servir deux maîtres aux intérêts opposés apparaîtra pour ce qu’elle est. En 1981, les socialistes ont réussi à maintenir l’illusion pendant deux ans. Aujourd’hui, les couches populaires sont bien plus sceptiques.
@ Descartes
[Quitte à dire aujourd’hui le contraire de ce qu’il disait la veille, et cela sans faire la moindre autocritique, le moindre retour en arrière.]
Cette description de Bayrou correspond, aussi, très bien à Macron…
[Qu’un tel personnage ait pu devenir premier ministre met en évidence l’état de nos élites politiques.]
La dégringolade n’est pas finie puisque Macron vient de nommer R. Ferrand président du Conseil Constitutionnel. Il faut dire que Fabius, président jusqu’alors, avait été condamné par la justice dans l’affaire du sang contaminé, et qu’y siégait déjà un repris de justice comme A. Juppé. Finalement, on est dans la continuité des choses. C’est sans doute ça la “République exemplaire ” de Macron. La femme de César ne doit pas être soupçonnée ; de nos jours, on en vient à se demander si des ennuis judiciaires ne sont pas la sésame qui vous donne le droit d’accéder aux plus hautes fonctions. Braun-Pivet fait partie des nommés aussi, ses compétences juridiques m’avaient échappé (mais elle en a tant…) autant que celles de Ferrand. La “République des copains” dont parlait Le Pen est en pleine forme.
[il y a une majorité pour que tout continue comme avant. ]
Au sein de la classe – caste ? – politique, certainement ; dans la population, c’est beaucoup moins sûr. Et cet écart est vertigineux il me semble.
@ Bob
[« Quitte à dire aujourd’hui le contraire de ce qu’il disait la veille, et cela sans faire la moindre autocritique, le moindre retour en arrière. » Cette description de Bayrou correspond, aussi, très bien à Macron…]
Oui et non. On peut penser ce qu’on veut de Macron, mais pas d’être un démagogue. Au contraire, il a fait preuve d’une constance qui frise l’entêtement dans des situations où son intérêt lui commandait plutôt la flexibilité. Macron est un homme persuadé d’avoir la vérité, et incapable de mettre de l’eau dans son vin. Bayrou est un homme qui se fout royalement lde la vérité, tout ce qui l’intéresse est sa carrière. Là où Macron rompt plutôt que plier, Bayrou fera l’inverse.
[« Qu’un tel personnage ait pu devenir premier ministre met en évidence l’état de nos élites politiques. » La dégringolade n’est pas finie puisque Macron vient de nommer R. Ferrand président du Conseil Constitutionnel.]
Ce ne sera pas la première crapule à s’asseoir dans ce fauteuil. Après Roland Dumas, difficile de faire pire, que ce soit en termes de corruption ou en termes de politisation de l’institution.
[Il faut dire que Fabius, président jusqu’alors, avait été condamné par la justice dans l’affaire du sang contaminé,]
Là, vous calomniez un innocent. Laurent Fabius a été relaxé par la Cour de justice de la République, qui au contraire a constaté que dans ses fonctions de premier ministre il avait au contraire pris les mesures qui s’imposaient compte tenu des connaissances de l’époque : « l’action de Laurent Fabius a contribué à accélérer les processus décisionnels », de manière à imposer le dépistage des dons de sang dans la plupart des centres de dons « sans retard, par comparaison avec le calendrier observé dans la plupart des autres pays du monde ». C’est une grande injustice de l’époque : Fabius a été le plus éclaboussé par cette affaire, alors qu’il n’avait commis aucune faute.
[Braun-Pivet fait partie des nommés aussi, ses compétences juridiques m’avaient échappé (mais elle en a tant…) autant que celles de Ferrand. La “République des copains” dont parlait Le Pen est en pleine forme.]
Braun-Pivet au Conseil constitutionnel ? Ca m’étonnerait.
[« il y a une majorité pour que tout continue comme avant. » Au sein de la classe – caste ? – politique, certainement ; dans la population, c’est beaucoup moins sûr. Et cet écart est vertigineux il me semble.]
Je n’aime pas trop parler de « caste politique », cela me paraît contraire à la réalité. Quant au fond de votre remarque, je m’interroge. S’il y avait une grosse majorité pour que les choses changent, les politiciens y seraient sensibles. En fait, s’il y a une majorité mécontente de l’état des choses, il y a aussi une majorité qui a peur de tout changement. C’est cette contradiction qui conduit à l’immobilisme morose que nous connaissons…
@ Descartes
[Après Roland Dumas, difficile de faire pire]
C’est vrai. Point de “progrès” notable de ce côté-ci en tout cas. Tous ces choix discutables – pour être gentil – contribuent, je pense, à décrédibiliser ce type d’institution aux yeux de beaucoup de gens.
[Là, vous calomniez un innocent. Laurent Fabius a été relaxé par la Cour de justice de la République]
Au temps pour moi.
Au passage, le fait qu’on a créé une juridiction “spéciale” pour juger les politiciens me laisse perplexe. Ne sommes-nous pas censés être tous égaux devant la justice ? (Bien sûr, en pratique, comme disait La Fontaine, selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements vous rendront innocents ou coupables.)
[Braun-Pivet au Conseil constitutionnel ? Ca m’étonnerait.]
“le président du Sénat, Gérard Larcher, a désigné le sénateur LR Philippe Bas et la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, l’ex-députée MoDem Laurence Vichnievsky comme membres de Conseil”. Source: FranceInfo ce matin.
[En fait, s’il y a une majorité mécontente de l’état des choses, il y a aussi une majorité qui a peur de tout changement. C’est cette contradiction qui conduit à l’immobilisme morose que nous connaissons…]
Sans doute. Les votes de rejets aux élections européennes et législatives ont pourtant dit qu’une majorité ne voulait plus de la politique de Macron, qui pourtant continue bel et bien comme si de rien n’était.
@ Bob
[« Après Roland Dumas, difficile de faire pire » C’est vrai. Point de “progrès” notable de ce côté-ci en tout cas. Tous ces choix discutables – pour être gentil – contribuent, je pense, à décrédibiliser ce type d’institution aux yeux de beaucoup de gens.]
Tout à fait. Au mieux, cela apparaît comme une façon de récompenser un fidèle avec un fauteuil chaud et bien payé. Au pire, de placer un ami qui pourra faire pencher la balance de la justice du bon côté. Dans les deux cas, c’est l’institution qui sort perdante. Cela étant dit, ce n’est pas forcément un mal. Un Conseil constitutionnel constitué de personnalités éminentes et incontestables aurait une autorité bien plus grande, qui lui permettrait de devenir une véritable « cour suprême » et nous rapprocherait du gouvernement des juges.
[Au passage, le fait qu’on a créé une juridiction “spéciale” pour juger les politiciens me laisse perplexe. Ne sommes-nous pas censés être tous égaux devant la justice ?]
Non. Les mineurs, par exemple, sont jugés par des juridictions « spéciales ». Je vous rappelle qu’en droit l’égalité implique que deux citoyens dans la même situation juridique reçoivent un traitement identique. Mais on peut sérieusement argumenter que les actes commis dans l’exercice des fonctions ministérielles ne sont pas de même nature que ceux que vous pouvez commettre dans la cour arrière de votre maison.
Personnellement, je suis très méfiant de toutes les structures qui aboutissent à organiser l’impuissance du pouvoir politique. Lorsqu’on dirige l’Etat, on est quelquefois obligé de faire des choses que la loi condamne et que la morale réprouve. Soumettre l’action du gouvernement au contrôle du juge ordinaire rendrait de tels actes impossibles. Le contrôle des actes politiques doit revenir au parlement, pas au juge.
[(Bien sûr, en pratique, comme disait La Fontaine, selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements vous rendront innocents ou coupables.)]
Au même procès, Edmond Hervé, qui était a l’époque des faits ministre de la santé et un vieil ami de Mitterrand, avait été déclaré coupable. La moralité de la fable en question ne s’applique pas aussi mécaniquement que vous le pensez.
[« Braun-Pivet au Conseil constitutionnel ? Ca m’étonnerait. » “le président du Sénat, Gérard Larcher, a désigné le sénateur LR Philippe Bas et la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, l’ex-députée MoDem Laurence Vichnievsky comme membres de Conseil”. Source: FranceInfo ce matin.]
Vous avez mal placé les virgules. Pour les trois fauteuils vacants, le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée proposent chacun un nom. Le président du Sénat a proposé le sénateur Philippe Bas, la présidente de l’Assemblée a proposé l’ex députée Laurence Vichnievsky. Et le président de la République proposera probablement Ferrand. Mais personne n’a proposé le nom de Yaël Braun-Pivet…
[Sans doute. Les votes de rejets aux élections européennes et législatives ont pourtant dit qu’une majorité ne voulait plus de la politique de Macron, qui pourtant continue bel et bien comme si de rien n’était.]
Une majorité ne voulait plus de la politique de Macron, mais on trouve aussi une majorité pour ne pas vouloir le pousser vers la sortie…
“Les débats institutionnels sont de la poudre aux yeux….légitimité des politiques mises en oeuvre ” C’est bien ce que rappelait encore ce matin le député Alexis Corbière avec sa marotte de la 6ème république censée résoudre les problèmes notamment institutionnels. C’est aussi ce que je ne cesse de rappeler à tout militant de la FI que c’est une perte de temps et d’énergie qui ne résoudra rien tant que cette gauche présumée radicale veut rester dans l’UE. Elle ne propose que finalement, au delà du bruit et de la fureur de son caudillo, qu’une politique sociale-démocrate de meilleure répartition des richesses, probablement incompatible avec les engagements européens de la France acceptés par la FI, sans s’attaquer au système qui crée cette situation. Autrefois du temps au moins du Programme commun il y avait une gauche plus radicale que celle-là.
@ Cording1
[“Les débats institutionnels sont de la poudre aux yeux….légitimité des politiques mises en oeuvre ” C’est bien ce que rappelait encore ce matin le député Alexis Corbière avec sa marotte de la 6ème république censée résoudre les problèmes notamment institutionnels.]
Mais quels sont aujourd’hui les « problèmes institutionnels » ? C’est cela qui m’énerve. En 1958, le problème était bien « institutionnel » : la Constitution de 1946 condamnait l’exécutif à l’impuissance et rendait impossible le traitement des problèmes du pays, au premier chef la guerre d’Algérie, mais pas que. Aujourd’hui, ce ne sont pas les institutions de la Vème qui posent problème. C’est le fait qu’une fois encore on s’est débrouillé pour organiser l’impuissance de l’exécutif, en modifiant l’équilibre institutionnel – notamment avec la suppression du septennat – et en transférant le pouvoir aux institutions européennes, aux « autorités indépendantes » et aux juges. C’est d’ailleurs une vieille tendance de nos élites, de vouloir réduire le pouvoir exécutif à l’impuissance. Parce qu’être puissant oblige à réfléchir, à prendre des décisions et donc des risques. L’impuissance, c’est la sécurité. C’est l’assurance que personne ne pourra rien vous reprocher. C’est d’ailleurs pourquoi, vous le remarquerez, toutes les propositions de « VIème République » qui sont sur la table veulent un retour à un régime d’impuissance de l’exécutif.
[Autrefois du temps au moins du Programme commun il y avait une gauche plus radicale que celle-là.]
Ca… quand on pense qu’un modéré comme Mitterrand pouvait proclamer du haut d’une tribune sans être contredit que ceux qui ne voulaient pas la rupture avec le capitalisme n’avaient pas leur place au Parti socialiste… vous imaginez Hollande, Vallaud ou Faure dire la même chose ?
@ Cording1
[“Les débats institutionnels sont de la poudre aux yeux….légitimité des politiques mises en oeuvre ” C’est bien ce que rappelait encore ce matin le député Alexis Corbière avec sa marotte de la 6ème république censée résoudre les problèmes notamment institutionnels.]
Mais quels sont aujourd’hui les « problèmes institutionnels » ? C’est cela qui m’énerve. En 1958, le problème était bien « institutionnel » : la Constitution de 1946 condamnait l’exécutif à l’impuissance et rendait impossible le traitement des problèmes du pays, au premier chef la guerre d’Algérie, mais pas que. Aujourd’hui, ce ne sont pas les institutions de la Vème qui posent problème. C’est le fait qu’une fois encore on s’est débrouillé pour organiser l’impuissance de l’exécutif, en modifiant l’équilibre institutionnel – notamment avec la suppression du septennat – et en transférant le pouvoir aux institutions européennes, aux « autorités indépendantes » et aux juges. C’est d’ailleurs une vieille tendance de nos élites, de vouloir réduire le pouvoir exécutif à l’impuissance. Parce qu’être puissant oblige à réfléchir, à prendre des décisions et donc des risques. L’impuissance, c’est la sécurité. C’est l’assurance que personne ne pourra rien vous reprocher. C’est d’ailleurs pourquoi, vous le remarquerez, toutes les propositions de « VIème République » qui sont sur la table veulent un retour à un régime d’impuissance de l’exécutif.
[Autrefois du temps au moins du Programme commun il y avait une gauche plus radicale que celle-là.]
Ca… quand on pense qu’un modéré comme Mitterrand pouvait proclamer du haut d’une tribune sans être contredit que ceux qui ne voulaient pas la rupture avec le capitalisme n’avaient pas leur place au Parti socialiste… vous imaginez Hollande, Vallaud ou Faure dire la même chose ?
Bonjour Descartes,
“C’est d’ailleurs une vieille tendance de nos élites, de vouloir réduire le pouvoir exécutif à l’impuissance. ”
Ca se discute. Comme l’explique très bien le sociologue italien Doménico Moro dans son ouvrage “Le carcan de l’Euro” (éditions Delga), la construction européenne peut se comprendre comme un formidable processus de dépossession des parlements nationaux au profit des exécutifs des pays membres. N’oublions pas que les commissaires sont désignés par le Conseil de l’UE, lui même composé des ministres des gouvernements de l’UE. Ce sont donc bien les représentants de la souveraineté nationale qui sont court-circuités. L’état catastrophique et burlesque de l’Assemblée Nationale française en est d’ailleurs la triste illustration.
@ Denis W.
[“C’est d’ailleurs une vieille tendance de nos élites, de vouloir réduire le pouvoir exécutif à l’impuissance. ” Ca se discute. Comme l’explique très bien le sociologue italien Doménico Moro dans son ouvrage “Le carcan de l’Euro” (éditions Delga), la construction européenne peut se comprendre comme un formidable processus de dépossession des parlements nationaux au profit des exécutifs des pays membres]
Je ne connais pas l’ouvrage, alors il m’est difficile de répondre à votre commentaire. Est-ce que Moro donne des exemples concrets et précis de ce processus ? Personnellement, mon expérience administrative me conduit à la conclusion inverse : si l’on considère les pouvoirs transférés aux collectivités par la décentralisation, ceux transférés aux autorités administratives indépendantes, le poids croissant des juges, et les contraintes introduites par les différentes directives, je dirais que l’exécutif est aujourd’hui très largement corseté, alors que le Parlement conserve l’essentiel de ses pouvoirs, et d’abord celui de voter le budget.
[N’oublions pas que les commissaires sont désignés par le Conseil de l’UE, lui-même composé des ministres des gouvernements de l’UE.]
Pas vraiment. La mésaventure arrivée à Thierry Breton montre que le pouvoir de nomination de l’exécutif est très limité.
@ Descartes
[Au même procès, Edmond Hervé, qui était a l’époque des faits ministre de la santé et un vieil ami de Mitterrand, avait été déclaré coupable. La moralité de la fable en question ne s’applique pas aussi mécaniquement que vous le pensez.]
Vous avez raison de me le faire remarquer, le cas de Edmond Hervé le prouve. J’ai malgré tout tendance à penser que la morale de la fable s’applique largement.
[Vous avez mal placé les virgules.[…] Mais personne n’a proposé le nom de Yaël Braun-Pivet…]
Tout à fait ! j’ai lu trop vite… Cela aurait été étonnant en effet, mais de nos jours, il faut s’attendre à tout.
Autrement dit, si je ne me trompe pas sur l’essentiel, rien ne change, l’élite poursuit avec application sa destruction de la société française et la population maintient fermement son acharnement à rester passive. La différence par rapport au passé est que nous sommes à l’os ou tout proche. Etes vous sûr qu’il fallait un long texte pour nous en informer?
@ Didier Bouss
[Autrement dit, si je ne me trompe pas sur l’essentiel, rien ne change, l’élite poursuit avec application sa destruction de la société française et la population maintient fermement son acharnement à rester passive. La différence par rapport au passé est que nous sommes à l’os ou tout proche. Etes vous sûr qu’il fallait un long texte pour nous en informer ?]
Je n’écris pas des textes pour « informer » qui que ce soit, mais pour lancer des débats. Il me semble quand même important de dissiper quelques illusions, et tout particulièrement cette illusion qui veut que ce qui manque à notre société est « l’esprit de compromis ». Parce qu’il y a « compromis » et « compromis ». Une chose est de trouver un compromis sur un PROJET – comme ce fut le cas lors de l’écriture du programme du CNR – et une autre de trouver un compromis pour trouver une majorité politique pour poursuivre le même projet. Dans le premier cas, on négocie pour s’accorder sur une vision d’avenir, dans le second on s’accorde sur des arrangements entre politiciens pour que chacun tire son épingle du jeu. La France n’a jamais eu de difficulté pour établir des « compromis » sur des projets – depuis 1958, les situations où un seul parti politique a eu à lui seul la majorité sont relativement peu nombreux. Mais notre système institutionnel rend beaucoup plus difficiles les « compromis » de la deuxième espèce… et c’est fort heureux.
Il y a une deuxième illusion qu’il faut dissiper, et c’est cette croyance qu’au centre on est plus « ouvert », plus « à l’écoute ». C’est exactement le contraire : c’est au centre qu’on trouve les gens les plus intransigeants, les plus fermés, les moins disposés à partager le pouvoir. Ce n’est pas chez les gaullistes que l’anticommunisme était le plus fervent, ce n’était pas chez les communistes que l’antigaullisme était le plus fort…
Enfin, on peut constater que le peuple est passif. Mais une fois qu’on l’a constaté, il n’est pas inutile de se demander le pourquoi de cette passivité. Pourquoi un peuple aussi « politique » que le peuple français, connu dans le monde entier pour ses réactions éruptives, laisse s’installer un régime politique dans lequel, tous les sondages le montrent, il n’a pas confiance…
Bonjour Descartes,
Je souscris au contenu du papier principal, mais j’ai été interpellé par certaines de vos réponses aux commentaires :
[on s’est débrouillé pour organiser l’impuissance de l’exécutif, en modifiant l’équilibre institutionnel – notamment avec la suppression du septennat – et en transférant le pouvoir aux institutions européennes, aux « autorités indépendantes » et aux juges].
Je suis d’accord en ce qui concerne les institutions européennes et les autorités indépendantes. Cependant je suis surpris par l’évocation du quinquennat, alors que jusqu’à l’année dernière on entendait plutôt le reproche inverse, à savoir que cela a contribué à faire du parlement une simple chambre d’enregistrement des choix de l’exécutif.
Par ailleurs il me semble qu’en France l’émancipation du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif, quoique réel, est assez relatif, et que l’exécutif français reste le plus puissant des pays occidentaux. Pouvez-vous svp me détromper en me donnant des exemples français où le « gouvernement des juges » est allé trop loin à votre goût ?
[Personnellement, je suis très méfiant de toutes les structures qui aboutissent à organiser l’impuissance du pouvoir politique. Lorsqu’on dirige l’Etat, on est quelquefois obligé de faire des choses que la loi condamne et que la morale réprouve. Soumettre l’action du gouvernement au contrôle du juge ordinaire rendrait de tels actes impossibles. Le contrôle des actes politiques doit revenir au parlement, pas au juge.]
Faut-il comprendre qu’il faut abandonner l’article 6 de la DDHC selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ?
Qu’il faut renoncer à tout mécanisme visant à garantir le respect des droits fondamentaux des personnes face à d’éventuels abus de l’exécutif ?
Que les responsables politiques doivent être affranchis toute responsabilité au titre de leurs illégalismes hors une hypothétique sanction électorale ?
Il me semble pour ma part que le seul contrôle par un parlement composés d’élus qui vous sont favorables (et qui ne sont souvent pas des professionnels du droit) n’est pas suffisant. Par ailleurs, si la loi est mauvaise, alors il vaut mieux demander au Parlement de la changer plutôt que de donner à l’exécutif un permis de la transgresser quand cela l’arrange, sinon où est la limite ?
En somme, dites moi si je me trompe mais j’ai l’impression que pour vous il est impossible d’aller trop loin dans le sens inverse, c’est à dire donner trop de pouvoir à l’exécutif. Dans ce cas un dictateur élu tous les 5 ou 7 ans ferait bien l’affaire.
A moins que vous ne souhaitiez les supprimer complètement, je serais intéressé pour que vous fassiez un jour un papier sur l’état de vos réflexions quant aux conditions et les modalités d’exercice du pouvoir des juges. Pour ma part je pense que la solution serait plutôt de trouver un moyen de placer les juges directement sous le contrôle du peuple au nom duquel la justice est rendue.
@ Spinoza
|Je suis d’accord en ce qui concerne les institutions européennes et les autorités indépendantes. Cependant je suis surpris par l’évocation du quinquennat, alors que jusqu’à l’année dernière on entendait plutôt le reproche inverse, à savoir que cela a contribué à faire du parlement une simple chambre d’enregistrement des choix de l’exécutif.]
J’ai écrit que le passage au quinquennat avait affaibli l’exécutif, je n’ai pas dit que cet affaiblissement ait profité au Parlement. En fait, la faiblesse du Parlement tient plus à la mentalité de nos élus bien plus qu’aux institutions. Le fait est que nos députés ont peur du peuple, au point que la menace d’une dissolution est suffisante pour les empêcher de censurer le gouvernement…
[Par ailleurs il me semble qu’en France l’émancipation du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif, quoique réel, est assez relatif, et que l’exécutif français reste le plus puissant des pays occidentaux. Pouvez-vous svp me détromper en me donnant des exemples français où le « gouvernement des juges » est allé trop loin à votre goût ?]
Exemple presque canonique : l’arrêt Rothmans, par lequel le Conseil d’Etat a décidé que le droit européen dérivé était supérieur à la loi française…
Pour des exemples moins dramatiques, prenez par exemple l’annulation par le juge administratif des opérations d’éradication des bidonvilles à Mayotte (opération « Wuambushu »). La récente interprétation par le Conseil constitutionnel du « principe de fraternité » est encore un bon exemple. Même chose avec l’interprétation extensive du « principe de précaution »…
[« Personnellement, je suis très méfiant de toutes les structures qui aboutissent à organiser l’impuissance du pouvoir politique. Lorsqu’on dirige l’Etat, on est quelquefois obligé de faire des choses que la loi condamne et que la morale réprouve. Soumettre l’action du gouvernement au contrôle du juge ordinaire rendrait de tels actes impossibles. Le contrôle des actes politiques doit revenir au parlement, pas au juge. » Faut-il comprendre qu’il faut abandonner l’article 6 de la DDHC selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ?]
Cela dépend du sens que vous donnez à « tous ». Il est clair par exemple que la loi pénale n’est pas la même pour les mineurs et pour les majeurs. Qu’elle autorise à enfermer les fous et pas ceux qui ne le sont pas. L’égalité devant la loi consiste, en reprenant la formule du Conseil d’Etat, à ce que deux situations juridiques identiques reçoivent la même solution. Mais rien n’empêche de donner des solutions différentes pour des situations juridiques différentes. Or, l’Etat se trouve dans une situation juridique unique, incomparable à celle de tout autre acteur. Pour ne prendre qu’un exemple, la loi lui donne le droit d’exproprier, ou bien celui d’utiliser la force pour faire appliquer la loi, ce qui n’est permis à aucune personne privée. Et de la même manière, ses agents bénéficient de droits et se voient imposer des contraintes qui ne sont pas ceux des personnes privées. Pensez-vous que les fonctionnaires de l’Etat devraient, dans l’exercice de leurs fonctions, être soumis au droit commun ?
[Qu’il faut renoncer à tout mécanisme visant à garantir le respect des droits fondamentaux des personnes face à d’éventuels abus de l’exécutif ?]
Non, pas à TOUT mécanisme. Mais il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, dans lequel le respect des droits fondamentaux des personnes empêche l’Etat de défendre correctement l’intérêt général. Curieusement, on trouve beaucoup plus d’intellectuels pour s’inquiéter de la toute-puissance de l’Etat que des gens pour s’inquiéter de son impuissance. Or, je soutiens que l’impuissance de l’Etat peut être aussi dangereuse pour les libertés individuelles que sa toute-puissance.
[Que les responsables politiques doivent être affranchis toute responsabilité au titre de leurs illégalismes hors une hypothétique sanction électorale ?]
Encore une fois, non pas de TOUTE responsabilité. Mais que leur responsabilité personnelle doit être appréciée à l’aune des intérêts publics qu’ils ont à défendre, oui. Ce qui suppose que leur responsabilité soit mise en jeu par des mécanismes spécifiques, et non par ceux du droit commun.
[Il me semble pour ma part que le seul contrôle par un parlement composés d’élus qui vous sont favorables (et qui ne sont souvent pas des professionnels du droit) n’est pas suffisant.]
D’abord, je répond à votre deuxième objection : le fait que les juges parlementaires ne soient pas « des professionnels du droit » ne me paraît être un problème. Le jugement des actes politiques est d’abord un jugement politique : il s’agit de déterminer si les actes en question étaient justifiés par la nécessité politique. S’ils l’étaient, alors le fait qu’ils ne soient pas conformes à la loi est une question secondaire. Par contre, la question du biais politique est une véritable question. Mais ne pensez-vous pas que ce problème touche aussi les magistrats ? L’affaire du « mur des cons » montre le contraire. Est-ce que les juges qui ont mis en place ce « mur » sont plus fiables que des parlementaires à l’heure de juger un homme politique ?
Personnellement, j’aime l’idée que « en démocratie le peuple français est le juge suprême ». Je pense que le procès d’un homme politique pour les actes commis dans l’exercice de leur fonction devraient être transparents, que le dossier d’instruction devrait être accessible au public et les débats transmis à la télévision. Cela permettrait au peuple de se faire sa propre conviction sur les actes commis en son nom. Et cela obligerait les juges parlementaires à tenir compte de l’opinion publique.
[Par ailleurs, si la loi est mauvaise, alors il vaut mieux demander au Parlement de la changer plutôt que de donner à l’exécutif un permis de la transgresser quand cela l’arrange, sinon où est la limite ?]
Vous voulez dire par exemple que la loi devrait formellement accorder au président de la République le droit de décider l’exécution extrajudiciaire de son choix sans avoir à y répondre ? Parce que c’est exactement ce que fait le service « action » de la DGSE de temps en temps… Personnellement, je préfère que la raison d’Etat s’exerce « dans le silence de la loi ». D’une part, parce que formaliser ce genre de choses rend plus difficile de demander des comptes aux auteurs des décisions, et d’autre part parce que cela suppose qu’on puisse prévoir à l’avance toutes les configurations.
Mais si vous insistez, je vous propose le projet de loi suivant : « Article unique : le président de la République et le Premier ministre peuvent ordonner tout acte contraire à la loi si l’intérêt public l’exige impérativement. Tout fonctionnaire est tenu à obéir ces ordres, sans pouvoir être mis en cause personnellement ». Ca vous va ?
[En somme, dites-moi si je me trompe mais j’ai l’impression que pour vous il est impossible d’aller trop loin dans le sens inverse, c’est à dire donner trop de pouvoir à l’exécutif.]
Vous vous trompez. Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit. Je me cite : « Personnellement, je suis très méfiant de toutes les structures qui aboutissent à organiser l’impuissance du pouvoir politique. » Je n’ai pas dit que ces structures ne soient pas quelquefois utiles, et dans certains cas indispensables. Ce que j’ai dit, c’est qu’il faut les traiter avec une saine méfiance, et éviter qu’elles deviennent des pouvoirs de blocage.
[Dans ce cas un dictateur élu tous les 5 ou 7 ans ferait bien l’affaire.]
C’est une idée. On pourrait avoir un « dictateur sacrificiel » : il détiendrait pendant son mandat le pouvoir absolu, et à la fin de son mandat on ferait voter les citoyens pour savoir s’il faut le mettre à mort et confisquer l’ensemble des biens et ceux de sa famille. Je me demande si un tel régime serait moins efficace que celui qu’on a…
[A moins que vous ne souhaitiez les supprimer complètement, je serais intéressé pour que vous fassiez un jour un papier sur l’état de vos réflexions quant aux conditions et les modalités d’exercice du pouvoir des juges.]
Je peux essayer. Mais pour vous donner les grandes lignes, je suis un réaliste. Le juge parfaitement impartial est un objet imaginaire. Le juge fait son travail à partir d’un bagage idéologique qui lui a été transmis par la classe sociale dont il est issu, par les études qu’il a fait, par son expérience. C’est déjà un problème quand le juge doit trancher un litige qui ne le concerne pas, mais ce biais a peu d’importance lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi à des situations qui ne touchent pas ses propres intérêts, parce que le biais du juge et celui du législateur sont les mêmes. Le problème est bien plus sérieux lorsque le juge a à trancher une question qui le touche – par exemple, une question politique.
[Pour ma part je pense que la solution serait plutôt de trouver un moyen de placer les juges directement sous le contrôle du peuple au nom duquel la justice est rendue.]
C’est-à-dire ? Comment se manifesterait ce « contrôle » ?
[Mais que leur responsabilité personnelle doit être appréciée à l’aune des intérêts publics qu’ils ont à défendre, oui. Ce qui suppose que leur responsabilité soit mise en jeu par des mécanismes spécifiques, et non par ceux du droit commun.]
En fait, je partage également le souci de défense de l’intérêt public face à l’intérêt individuel.
Mais la situation des fonctionnaires et responsables politiques est-elle si spécifique que cela ? Après tout, un simple citoyen peut également désobéir à la loi au nom d’un intérêt public.
[D’abord, je répond à votre deuxième objection : le fait que les juges parlementaires ne soient pas « des professionnels du droit » ne me paraît être un problème. Le jugement des actes politiques est d’abord un jugement politique : il s’agit de déterminer si les actes en question étaient justifiés par la nécessité politique. S’ils l’étaient, alors le fait qu’ils ne soient pas conformes à la loi est une question secondaire. Par contre, la question du biais politique est une véritable question. Mais ne pensez-vous pas que ce problème touche aussi les magistrats ? L’affaire du « mur des cons » montre le contraire. Est-ce que les juges qui ont mis en place ce « mur » sont plus fiables que des parlementaires à l’heure de juger un homme politique ?]
Sans doute que les magistrats ne sont pas dénués de biais politiques. Mais ils disposent au moins d’un statut qui protège leur carrière des conséquences des jugements qu’ils rendront, alors qu’un parlementaire qui rendrait un jugement défavorable à un dirigeant de son parti signe certainement son arrêt de mort politique.
[Vous voulez dire par exemple que la loi devrait formellement accorder au président de la République le droit de décider l’exécution extrajudiciaire de son choix sans avoir à y répondre ? Parce que c’est exactement ce que fait le service « action » de la DGSE de temps en temps… Personnellement, je préfère que la raison d’Etat s’exerce « dans le silence de la loi ». D’une part, parce que formaliser ce genre de choses rend plus difficile de demander des comptes aux auteurs des décisions, et d’autre part parce que cela suppose qu’on puisse prévoir à l’avance toutes les configurations.
Mais si vous insistez, je vous propose le projet de loi suivant : « Article unique : le président de la République et le Premier ministre peuvent ordonner tout acte contraire à la loi si l’intérêt public l’exige impérativement. Tout fonctionnaire est tenu à obéir ces ordres, sans pouvoir être mis en cause personnellement ». Ca vous va ?]
Je pense plutôt que celui qui enfreint une loi en vue de garantir un intérêt public a tout intérêt à soutenir qu’il n’a pas fait acte de désobéissance, mais qu’il a agi au nom d’un intérêt supérieur lui aussi garanti par la loi.
Ainsi, pour reprendre votre exemple, le président de la République peut soutenir qu’en ordonnant l’exécution extra-judiciaire d’un terroriste qui s’apprêtait à commettre un attentat et qu’on n’avait pas d’autre moyen de stopper, il a agi non pas en méconnaissance du droit à la vie, mais en défense de ce droit. Il faut noter d’ailleurs que l’article 2 de la CEDH qui garantit le droit à la vie, dispose également que « la mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
[C’est une idée. On pourrait avoir un « dictateur sacrificiel » : il détiendrait pendant son mandat le pouvoir absolu, et à la fin de son mandat on ferait voter les citoyens pour savoir s’il faut le mettre à mort et confisquer l’ensemble des biens et ceux de sa famille. Je me demande si un tel régime serait moins efficace que celui qu’on a…]
Le devenir d’un tel système semble assez prévisible : le dictateur profitera certainement de son pouvoir absolu pour mettre au pas tous les contre-pouvoirs qui auraient les moyens de lui faire respecter son obligation de rendre le pouvoir lorsque la fin du mandat arrivera. Et s’il s’agit d’un mauvais dirigeant on n’aura plus d’autre perspective qu’attendre la mort du caudillo, ou un coup d’Etat/révolution…
[C’est-à-dire ? Comment se manifesterait ce « contrôle » ?]
Je n’y ai pas vraiment réfléchi, mais j’aime assez votre idée de rendre accessible au public le dossier d’instruction du procès d’un homme politique pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions et les débats transmis à la télévision.
Et s’il est condamné, l’homme politique pourrait demander au peuple de confirmer ou de casser le jugement.
Enfin, puisque comme vous le dites le juge ne peut jamais être exempt de biais politiques, autant en tirer les conséquences si on est démocrate : les juges chargés de juger les hommes politiques pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions pourraient être élus au suffrage universel.
@ Spinoza
[En fait, je partage également le souci de défense de l’intérêt public face à l’intérêt individuel.
Mais la situation des fonctionnaires et responsables politiques est-elle si spécifique que cela ? Après tout, un simple citoyen peut également désobéir à la loi au nom d’un intérêt public.]
Non. Il arrive qu’un citoyen désobéisse à la loi au nom de CE QU’IL CONSIDERE ETRE L’INTERET PUBLIC. Ainsi, tel écologiste peut saboter un chantier pour protéger tel crapaud, parce qu’il pense que l’intérêt public l’exige. Tel militant anti-avortement peut assassiner un médecin pratiquant l’IVG parce qu’il estime que sauver la vie des enfants à naître est l’intérêt public. Et vous pouvez même trouver des gens qui assassinent une rédaction parce qu’ils estiment qu’empêcher le blasphème est d’intérêt public. Mais quelle légitimité ont-ils pour décider que LEUR conception de l’intérêt public passe au-dessus de la loi ?
L’homme politique, élu par le peuple, est dans une situation très différente. Il a, lui, une légitimité qui dérive de la confiance que ses concitoyens ont déposée en lui pour évaluer ce qu’est l’intérêt public. Le haut fonctionnaire placé en position d’autorité hérite, de par sa nomination, d’une partie de cette légitimité.
Prenons un exemple : pendant la deuxième guerre mondiale, le gouvernement anglais a commandité plusieurs missions pour chercher à assassiner Hitler. Pensez-vous que Churchill aurait du être traduit devant un tribunal ordinaire pour tentative d’assassinat en bande organisée ?
[Sans doute que les magistrats ne sont pas dénués de biais politiques. Mais ils disposent au moins d’un statut qui protège leur carrière des conséquences des jugements qu’ils rendront, alors qu’un parlementaire qui rendrait un jugement défavorable à un dirigeant de son parti signe certainement son arrêt de mort politique.]
Pour résoudre ce problème, il suffit que le jury soit assez nombreux et que les votes soient anonymes.
[Ainsi, pour reprendre votre exemple, le président de la République peut soutenir qu’en ordonnant l’exécution extra-judiciaire d’un terroriste qui s’apprêtait à commettre un attentat et qu’on n’avait pas d’autre moyen de stopper, il a agi non pas en méconnaissance du droit à la vie, mais en défense de ce droit.]
Je ne crois pas avoir fait référence au cas « d’un terroriste qui s’apprêtait à commettre un attentat et qu’on n’avait pas d’autre moyen de stopper ». La « raison d’Etat » s’applique généralement à des cas bien moins clairs, où la menace est bien moins explicite.
[Enfin, puisque comme vous le dites le juge ne peut jamais être exempt de biais politiques, autant en tirer les conséquences si on est démocrate : les juges chargés de juger les hommes politiques pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions pourraient être élus au suffrage universel.]
C’est là aussi une idée intéressante.
[Non. Il arrive qu’un citoyen désobéisse à la loi au nom de CE QU’IL CONSIDERE ETRE L’INTERET PUBLIC. Ainsi, tel écologiste peut saboter un chantier pour protéger tel crapaud, parce qu’il pense que l’intérêt public l’exige. Tel militant anti-avortement peut assassiner un médecin pratiquant l’IVG parce qu’il estime que sauver la vie des enfants à naître est l’intérêt public. Et vous pouvez même trouver des gens qui assassinent une rédaction parce qu’ils estiment qu’empêcher le blasphème est d’intérêt public. Mais quelle légitimité ont-ils pour décider que LEUR conception de l’intérêt public passe au-dessus de la loi ?
L’homme politique, élu par le peuple, est dans une situation très différente. Il a, lui, une légitimité qui dérive de la confiance que ses concitoyens ont déposée en lui pour évaluer ce qu’est l’intérêt public. Le haut fonctionnaire placé en position d’autorité hérite, de par sa nomination, d’une partie de cette légitimité.]
La légitimité n’a rien à faire là dedans. On ne peut pas considérer que l’homme politique ou le fonctionnaire, parce que « légitime », interprète nécessairement mieux la loi que le quidam. C’est à un juge de vérifier qu’une action est légale ou non.
[Prenons un exemple : pendant la deuxième guerre mondiale, le gouvernement anglais a commandité plusieurs missions pour chercher à assassiner Hitler. Pensez-vous que Churchill aurait du être traduit devant un tribunal ordinaire pour tentative d’assassinat en bande organisée ?]
En fait, il me semble que le « tribunal spécial » avec juges élus au suffrage universel mentionné ci-dessus devrait être réservé non pas aux seuls actes commis par les responsables politiques, mais également aux actes commis par les quidams lorsque ces derniers prétendent défendre un intérêt public. Un tribunal réservé aux affaires politiquement sensibles en quelque sorte.
[Pour résoudre ce problème, il suffit que le jury soit assez nombreux et que les votes soient anonymes.]
Même dans ce cas, un jury de parlementaires sera davantage sensible à des considérations qui n’ont rien à voir avec l’intérêt public qu’un jury de magistrats : priver le parti adverse d’un chef charismatique, éliminer un rival gênant ou au contraire soutenir un allié au sein de son parti… Comme dit plus haut, un juge placé sous le contrôle du peuple est préférable.
[Je ne crois pas avoir fait référence au cas « d’un terroriste qui s’apprêtait à commettre un attentat et qu’on n’avait pas d’autre moyen de stopper ». La « raison d’Etat » s’applique généralement à des cas bien moins clairs, où la menace est bien moins explicite.]
Et bien pour ma part je trouve sain qu’un dirigeant soit poussé à réfléchir sérieusement au caractère explicite de la menace avant d’ordonner une exécution extra-judiciaire, pas vous ?
@ Spinoza
[« L’homme politique, élu par le peuple, est dans une situation très différente. Il a, lui, une légitimité qui dérive de la confiance que ses concitoyens ont déposée en lui pour évaluer ce qu’est l’intérêt public. Le haut fonctionnaire placé en position d’autorité hérite, de par sa nomination, d’une partie de cette légitimité. » La légitimité n’a rien à faire là-dedans. On ne peut pas considérer que l’homme politique ou le fonctionnaire, parce que « légitime », interprète nécessairement mieux la loi que le quidam. C’est à un juge de vérifier qu’une action est légale ou non.]
Il ne s’agit pas ici « d’interpréter la loi », mais « d’interpréter l’intérêt public » (et de savoir si celui-ci est suffisamment impératif, suffisamment critique pour qu’on puisse s’autoriser à violer la loi). Et dans cette logique, la question de la « légitimité » est cruciale. Parce qu’il n’existe pas de « bonne » interprétation de l’intérêt public, au sens qu’il ne s’agit pas – comme c’est pour le cas du droit – d’appliquer une méthodologie ou de se conformer aux règles dégagées par la doctrine. Ce n’est pas une question technique, mais une question d’appréciation éminemment politique, et qui nécessite par conséquent un mandat du souverain.
[En fait, il me semble que le « tribunal spécial » avec juges élus au suffrage universel mentionné ci-dessus devrait être réservé non pas aux seuls actes commis par les responsables politiques, mais également aux actes commis par les quidams lorsque ces derniers prétendent défendre un intérêt public. Un tribunal réservé aux affaires politiquement sensibles en quelque sorte.]
Certainement pas. C’est le politique qui est le gardien de l’intérêt général. Et c’est pour cela qu’il peut, dans certaines conditions et toujours sous le contrôle du souverain, s’autoriser à mettre celui-ci au-dessus de la loi. Mais le quidam qui viole la loi a TOUJOURS tort. Il me semble éminemment dangereux d’établir le principe que chaque citoyen est juge de l’intérêt général, et peut s’affranchir de la loi en son nom. Dans les cas – rarissimes – où la question se pose, il appartient au politique de réagir et de soustraire éventuellement les personnes concernés au droit commun, par exemple par la voie de la grâce ou de l’amnistie.
[Même dans ce cas, un jury de parlementaires sera davantage sensible à des considérations qui n’ont rien à voir avec l’intérêt public qu’un jury de magistrats : priver le parti adverse d’un chef charismatique, éliminer un rival gênant ou au contraire soutenir un allié au sein de son parti… Comme dit plus haut, un juge placé sous le contrôle du peuple est préférable.]
Votre juge aurait le même problème. Parce que le juge est nécessairement humain…
[« Je ne crois pas avoir fait référence au cas « d’un terroriste qui s’apprêtait à commettre un attentat et qu’on n’avait pas d’autre moyen de stopper ». La « raison d’Etat » s’applique généralement à des cas bien moins clairs, où la menace est bien moins explicite. » Et bien pour ma part je trouve sain qu’un dirigeant soit poussé à réfléchir sérieusement au caractère explicite de la menace avant d’ordonner une exécution extra-judiciaire, pas vous ?]
Si, certainement. Je ne dis pas que la raison d’Etat doive dispenser celui qui l’invoque de tout contrôle. Ce que je dis, c’est que ce contrôle doit être politique, et non juridique. Car la question qui se pose n’est pas « l’acte était-il légal ? » mais « la situation justifiait-elle qu’on viole la loi ? ». Et cette question n’est pas de celles à laquelle un juge peut répondre.
@ Descartes
[ Or, je soutiens que l’impuissance de l’Etat peut être aussi dangereuse pour les libertés individuelles que sa toute-puissance. ]
Pourriez-vous développer ?
[ Je pense que le procès d’un homme politique pour les actes commis dans l’exercice de leur fonction devraient être transparents, que le dossier d’instruction devrait être accessible au public et les débats transmis à la télévision. Cela permettrait au peuple de se faire sa propre conviction sur les actes commis en son nom. Et cela obligerait les juges parlementaires à tenir compte de l’opinion publique.]
Oui. D’ailleurs, j’ai trouvé très intéressantes les récentes retransmissions en direct de la commission d’enquête sénatorial sur les choix économiques (Attal, LeMaire, …). Qu’il soit donné au citoyen de voir et d’entendre les justifications de leurs choix par ceux dont les décisions ont des conséquences sur le quotidien du peuple me semble très sain. Je regrette juste la tiédeur des questionnements, mais c’est un autre sujet.
@ Bob
[« Or, je soutiens que l’impuissance de l’Etat peut être aussi dangereuse pour les libertés individuelles que sa toute-puissance. » Pourriez-vous développer ?]
Vous devriez relire ou lire Hobbes. L’Etat apparaît comme l’instance qui nous permet d’échapper à « la guerre de tous contre tous ». En fait, le pouvoir qui lui permet potentiellement de nous opprimer est celui que nous lui donnons pour qu’il nous protège de nos voisins. Et si la toute-puissance de l’Etat peut faire craindre qu’il tombe du côté de l’oppression, son impuissance nous ramène à la possibilité de « la guerre de tous contre tous ».
Pensez par exemple à Charlie Hebdo. Du temps où l’Etat était fort et incontesté en France, ce qui pouvait leur arriver de pire est de voir les poulets débarquer pour saisir la publication. Avec un Etat affaibli et donc le monopole de la violence est contesté, ils risquent une descente des frères Kouachi. Laquelle des deux configurations vous parait-elle plus dangereuse ?
[Qu’il soit donné au citoyen de voir et d’entendre les justifications de leurs choix par ceux dont les décisions ont des conséquences sur le quotidien du peuple me semble très sain. Je regrette juste la tiédeur des questionnements, mais c’est un autre sujet.]
Mais si la qualité du questionnement est médiocre, c’est aussi la faute à nos parlementaires, qui ne travaillent pas leurs sujets. De ce point de vue, l’existence de « shadow cabinets » à la manière des britanniques, avec des députés spécialisés sur certains sujets, serait un grand progrès. J’ai suivi à une époque les questions parlementaires britanniques, c’est autre chose que l’exercice médiatique à la mode de chez nous.
[ Et le chantage a parfaitement fonctionné : les socialistes ont eu peur de devoir s’expliquer devant leurs électeurs, d’autant plus que ceux-ci sont assez proches de la vision macroniste et ne recherchent pas nécessairement une rupture. ]
Donc les honorables élus LFI-PC-VERTS n’ont pas peur de s’expliquer devant leurs électeurs et ont le courage de la censure et du renversement ad libitum de tout gouvernement qui ne serait pas issu de leur minorité parlementaire, alors que les SOCIALISTES, une fois de plus, manqueraient de courage, ce qui ne serait que conforme à leur tradition de trahisons et autres lâchetés…
Cependant on notera, à bien vous lire aussi, que le PS aurait plus que d’autres partis de gauche le souci d’être à l’écoute de ses électeurs (“qui ne cherchent pas nécessairement une rupture”).
Alors lesquels seraient finalement les plus démocrates ?
1 ceux qui n’écoutant que leur courage se font une louable obligation d’honorer un programme sur lequel ils se disent élus… alors que leur élection aura justement été le plus souvent permise par un ‘front républicain’ anti-RN regroupant, outre ceux de Gauche, des électeurs du Centre et de Droite
2 les élus qui reconnaissent, quelque dépit qu’ils en aient, que dans la distribution parlementaire actuelle aucun des tiers composant l’A.N. ne serait légitime à gouverner sans qu’une des composantes au moins d’un des tiers ne se rallie à un autre ?
Soit une partie du tiers Gauche se rallie au tiers du Centre-droit pour permettre l’existence d’un gouvernement (au moins provisoire), soit une partie du tiers Centre-droit se rallie au tiers Gauche pour permettre un gouvernement de gauche. Mais comme, dès le soir du second tour de ces élections, le mentor de gauche s’exprimant (d’ailleurs indûment au nom de tous) avant tout le monde, déclarait que “rien que le programme du NPF mais tout ce programme” serait mis en oeuvre, on voit bien que cela empêchait tout ralliement ou discussions avec des élus d’un autre tiers parlementaire. Et donc un blocage parlementaire que le pays ne pouvait supporter jusqu’à une possible dissolution l’été ou l’automne prochain.
Du coup, je ne suis pas aussi sûr que vous de savoir qui en ce dilemme mérite le plus de critiques. Et cela n’arrange pas le scepticisme de plus en plus désespéré que m’inspire non seulement notre vie politique, mais notre pays même, tant il se montre impuissant à se trouver des élus ou des partis politiques dignes d’une démocratie adulte.
@ Claustaire
[Donc les honorables élus LFI-PC-VERTS n’ont pas peur de s’expliquer devant leurs électeurs et ont le courage de la censure et du renversement ad libitum de tout gouvernement qui ne serait pas issu de leur minorité parlementaire, alors que les SOCIALISTES, une fois de plus, manqueraient de courage, ce qui ne serait que conforme à leur tradition de trahisons et autres lâchetés…]
Vous posez là une excellente question. Imaginons que les socialistes et le RN aient proclamé leur intention de voter la motion de censure. Quelle aurait été dans ce cas la réaction de LFI, du PC ou des Verts ? Auraient-ils pris la responsabilité devant leurs électeurs de renverser le gouvernement, avec le risque de « bordéliser » encore plus le fonctionnement de l’Etat, voire de provoquer une élection présidentielle anticipée ?
Pour ce qui concerne LFI, je ne doute pas de la réponse : ils auraient voté la censure. LFI répond avant tout à un électorat relativement jeune, de classe intermédiaire urbaine, qui n’a pas une conscience très claire des effets de la « bordélisation ». Un électorat qui valorise une forme de rébellion adolescente, c’est-à-dire une rébellion qu’on peut se permettre parce qu’au fond on est convaincu qu’elle ne menace pas réellement ce contre quoi on se rebelle. Un peu comme les soixante-huitards, qui se sont rebellés contre les institutions en s’imaginant que celles-ci étaient bien plus solides qu’elles ne le sont en réalité, et qui trente ans plus tard se retrouvent à pleurer dans les ruines.
Pour le PC, la situation est différente : leurs députés ne sont pas assez nombreux pour faire la différence, et du coup leur position ne pouvait qu’être symbolique. Leur électorat se partage entre les restes de leur électorat populaire, relativement âgé, qui veut surtout voir partir les macronistes et qui aurait approuvé probablement la censure, et un électorat plus urbain proche de celui de LFI.
C’est pour les écologistes que la chose aurait été la plus compliquée… eux se reposent sur un électorat qui n’est pas très loin de celui du PS. Au fond, je pense qu’ils sont très soulagés d’avoir pu voter la censure sans que celle-ci ait lieu, ce qui leur permet de rester dans le camp des « purs » tout en n’ayant pas à payer le prix.
[Cependant on notera, à bien vous lire aussi, que le PS aurait plus que d’autres partis de gauche le souci d’être à l’écoute de ses électeurs (“qui ne cherchent pas nécessairement une rupture”).]
Je ne pense avoir écrit ça. Je pense que tout parti est d’une certaine manière « otage de ses électeurs ». Seulement, tous les partis n’ont pas le même électorat et n’en ont pas besoin de la même manière. Le rendez-vous avec les électeurs pour les municipales de 2026 est absolument vital pour les socialistes et les communistes et dans une moindre mesure pour les écologistes, alors que LFI fait largement l’impasse sur ce genre d’élection. A l’inverse, pour les socialistes et LFI la question de l’élection présidentielle est critique, alors qu’elle est secondaire pour le PCF et les écologistes. Selon les partis on n’a pas besoin de contenter les mêmes électeurs, et aux mêmes échéances…
[Alors lesquels seraient finalement les plus démocrates ?]
Si la démocratie se mesurait à la capacité d’écouter les électeurs, le régime le plus démocratique possible serait celui qui instituerait le mandat impératif… Personnellement, je ne réduis pas le rôle « démocratique » des partis politiques à la simple écoute des électeurs. Je pense que si les partis doivent écouter les électeurs, ils doivent aussi leur parler. Les partis politiques ont une fonction pédagogique et intellectuelle que je pense aussi importante pour un fonctionnement démocratique sinon plus que leur fonction représentative. Et de ce point de vue, je pense que les socialistes sont ceux qui font pire. Expliquer au peuple que telle mesure est si désastreuse qu’elle constitue une « ligne rouge », pour ensuite déclarer que finalement on peut se contenter d’un simple débat sans garantie de résultat, cela dynamite le rapport de confiance qui permet à un parti politique d’expliquer ensuite à ses électeurs que telle mesure est certes difficile à prendre mais absolument nécessaire, rapport indispensable pour pouvoir gouverner en démocratie.
Je ne sais pas si je me fais bien comprendre. J’essaye de le dire autrement : pour moi, le peuple français est un peuple adulte et politique. Si des dirigeants qui méritent sa confiance lui expliquent qu’il faut faire des sacrifices pour construire un avenir plus brillant, ils sont prêts à l’accepter et à s’y mettre. Encore faut-il que les dirigeants créent cette confiance. Et pour cela, il faut que les dirigeants politiques, mais aussi les partis politiques, jouent leur rôle. Quand un Thorez dit qu’il faut savoir terminer une grève, ou bien que la bataille de la production est la bataille prioritaire, il est écouté parce qu’aucun électeur ne pouvait penser qu’il le disait avec l’espoir de devenir ministre ou de faire avancer sa carrière. Quand les socialistes déclarent que l’abrogation de la réforme des retraites est une « ligne rouge », puis décident qu’une suspension serait suffisante, et finalement se contentent d’un vague « débat », le peuple peut légitimement penser que ces changements obéissent plus à des considérations de carrière qu’aux intérêts de leurs mandants. Comment dans ces conditions leur faire confiance ?
[1 ceux qui n’écoutant que leur courage se font une louable obligation d’honorer un programme sur lequel ils se disent élus… alors que leur élection aura justement été le plus souvent permise par un ‘front républicain’ anti-RN regroupant, outre ceux de Gauche, des électeurs du Centre et de Droite]
C’est tout le problème. Les députés élus sous l’étiquette du « front républicain » n’ont d’autre mandat du peuple que d’empêcher le RN d’arriver aux affaires. Politiquement, ils ne sont pas légitimes à appliquer tel ou tel programme, puisque aucun programme n’a pas été soumis et approuvé par les électeurs. Les seules mesures qui ont une véritable légitimité, sont celles qui figurent dans les programmes de plusieurs partis ayant obtenu une majorité au premier tour… par exemple, l’abrogation de la réforme des retraites ! C’est-à-dire, exactement le genre de mesures dont le « bloc central » ne veut en entendre parler.
[2 les élus qui reconnaissent, quelque dépit qu’ils en aient, que dans la distribution parlementaire actuelle aucun des tiers composant l’A.N. ne serait légitime à gouverner sans qu’une des composantes au moins d’un des tiers ne se rallie à un autre ?]
Pardon, mais qu’appelez-vous « se rallier » ? Est-ce que cela veut dire apporter ses voix sans obtenir rien de substantiel en échange pour ses électeurs ? Si c’est le cas, je peux difficilement considérer cela comme un comportement « démocratique ». Pourquoi faudrait-il que les socialistes se « rallient » au bloc central, et non l’inverse ?
[Soit une partie du tiers Gauche se rallie au tiers du Centre-droit pour permettre l’existence d’un gouvernement (au moins provisoire), soit une partie du tiers Centre-droit se rallie au tiers Gauche pour permettre un gouvernement de gauche.]
Sauf que, cela ne vous aura pas échappé, aucune partie du « tiers Centre-droit » ne semble prêt à se « rallier » à qui que ce soit. Pourquoi le feraient-ils, d’ailleurs, puisque moyennant chantage on peut obtenir les voix socialistes pour continuer la même politique ?
[Mais comme, dès le soir du second tour de ces élections, le mentor de gauche s’exprimant (d’ailleurs indûment au nom de tous) avant tout le monde, déclarait que “rien que le programme du NPF mais tout ce programme” serait mis en oeuvre, on voit bien que cela empêchait tout ralliement ou discussions avec des élus d’un autre tiers parlementaire.]
J’ai suffisamment critiqué Mélenchon et sa secte sur ce blog pour qu’on ne puisse pas me suspecter d’avoir des sympathies pour LFI. Mais je voudrais signaler une curiosité de ce raisonnement : on reproche à Mélenchon d’avoir dit « rien que le programme du NFP mais tout ce programme », mais on oublie que le bloc central a dit exactement la même chose à propos du « programme macroniste », même s’il l’a dit en termes plus feutrés. Ok, Mélenchon n’accepte pas la remise en cause d’un seul point du programme du NFP. Mais quels sont les éléments du « programme macroniste » que le bloc central est prêt à remettre en cause ? La réforme des retraites ? Certainement pas. La politique de l’offre ? Encore moins. Les réformes de la fonction publique ? Hors de question. La politique européenne ? Le soutien à l’Ukraine ? Alors ?
Il faut être deux pour danser le tango, comme disent les anglais. L’intransigeance du « bloc central » n’est pas moindre que celle de Mélenchon. La preuve ? Lorsque les socialistes, les écologistes et les communistes acceptent d’aller discuter à Matignon, ils sortent sans la moindre proposition concrète, sans le moindre compromis. Les socialistes ont montré leur bonne volonté au-delà du raisonnable, en reculant à chaque fois les « lignes rouges », et même cette preuve de bonne volonté n’a pas suffi. Le « bloc central » ne leur a rien accordé. Seulement voilà, lorsque Mélenchon déclare qu’il ne cédera d’un pouce, c’est le grand méchant loup. Lorsqu’Attal ou Bayrou le font, cela prend la forme feutrée chère au « cercle de la raison », et on trouve ça parfaitement normal…
[Et donc un blocage parlementaire que le pays ne pouvait supporter jusqu’à une possible dissolution l’été ou l’automne prochain.]
Mais encore une fois, pourquoi pensez vous que pour rompre ce « blocage parlementaire quel e pays ne pouvait supporter », il fallait que la gauche « se rallie » au programme macroniste, et non l’inverse ? Pourquoi à votre avis le bloc macroniste a pu jouer le chantage au chaos, et pas les autres ?
@ Descartes
[Comment dans ces conditions leur faire confiance ?]
Je crois que les Français dans leur très grande majorité sont lucides et ne font désormais plus confiance à cette classe politique.
@ Bob
[Je crois que les Français dans leur très grande majorité sont lucides et ne font désormais plus confiance à cette classe politique.]
Oui, mais si la lucidité peut être un avantage, elle peut avoir un coût terrible. Je me souviens d’un petit bouquin publié du temps ou Ronald Reagan était président, sous le titre “Reagan’s reign of error” (jeu de mots intraduisible entre “reign of error” et “reign of terror”). Dans la préface de cet opuscule qui détaillait les erreurs, les mensonges et les approximations constantes du discours reaganien (et qui feraient sourire aujourd’hui, tant on a fait mieux depuis) l’auteur expliquait que la confiance dans nos élites – même lorsqu’on est en désaccord avec elles sur les chemins à prendre – est une valeur sociale. Il s’interrogeait sur ce que serait une société où l’annonce qu’un puits est empoisonné ou qu’une tempête approchait serait reçue avec méfiance, et ne serait prise en compte qu’en présence d’une vérification indépendante. Malheureusement, on en est là.
@ Descartes
Oui, je suis d’accord. Ce coût est terrible. Sa marque est celui d’un désenchantement général, d’un manque d’élan et d’entrain, de gens qui broient du noir et perdent leur audace, leur enthousiasme. Je pense qu’on le constate tous plus ou moins dans notre entourage.
Je ne voudrais pas ajouter à la morosité ambiante, mais cet “état d’esprit” défaitiste me semble avoir fortement infusé au sein de la société française. Et il me semble que nos politiciens, même si tous les malheurs du monde ne peuvent leur être attribués, ont une grande part de responsabilité dans cet état, par leur redditions diverses, leurs mensonges et trahisons accumulés au fil des ans, leur manque de courage, leurs petits arrangements (la période actuelle est fascinante à cet égard).
Il nous faut un sursaut, mais viendra-t-il ? et comment et par qui ?
@ Bob
[Oui, je suis d’accord. Ce coût est terrible. Sa marque est celui d’un désenchantement général, d’un manque d’élan et d’entrain, de gens qui broient du noir et perdent leur audace, leur enthousiasme. Je pense qu’on le constate tous plus ou moins dans notre entourage.]
Tout à fait d’accord. La confiance dans les élites c’est d’une certaine manière la confiance qu’on peut avoir dans la capacité d’une société à produire des gens aptes à la conduire vers un avenir radieux ou à minima de lui éviter de tomber dans l’ornière. Il n’y a pas loin entre la constatation que notre société n’est pas capable de promouvoir quelqu’un de mieux qu’un Bayrou au poste de Premier ministre, et la résignation au fait que notre avenir ne peut être meilleur que ce qu’un Bayrou peut construire.
[Je ne voudrais pas ajouter à la morosité ambiante, mais cet “état d’esprit” défaitiste me semble avoir fortement infusé au sein de la société française. Et il me semble que nos politiciens, même si tous les malheurs du monde ne peuvent leur être attribués, ont une grande part de responsabilité dans cet état, par leur redditions diverses, leurs mensonges et trahisons accumulés au fil des ans, leur manque de courage, leurs petits arrangements (la période actuelle est fascinante à cet égard).]
Tout à fait d’accord. Macron est certainement la cerise sur le gâteau, mais il serait injuste de lui attribuer toute la responsabilité. Sarkozy avait réussi à masquer la crise avec son volontarisme débordant, mais l’élection de François Hollande mettait déjà en évidence la baisse du niveau du personnel politique et l’incapacité du système remplacer la génération partante en promouvant aux postes de premier rang autre chose que des médiocres. Après, on peut toujours discuter de la responsabilité des hommes dans un mouvement qui est clairement un mouvement historique. Car cette baisse dans la qualité du personnel politique, ce n’est pas seulement une affaire française ni même européenne. On ne trouve pas non plus en Afrique un dirigeant de la taille d’un Mandela, d’un Nkrumah, d’un Senghor, aux Etats-Unis un Kennedy ou un Roosevelt. La révolution néolibérale est passée par là, et l’une de ses conséquences a été de vider de leur substance les Etats-nations et les institutions publiques. Certains hommes politiques ont cherché à résister – je pense à Chevènement, à Séguin, à Villepin, à Guaino – et ont été marginalisés.
[Il nous faut un sursaut, mais viendra-t-il ? et comment et par qui ?]
C’est difficile, pour ne pas dire impossible, à prévoir. Le mieux qu’on peut faire, c’est de fourbir les instruments qui nous permettront, le jour venu, d’y participer !
[ Pourquoi à votre avis le bloc macroniste a pu jouer le chantage au chaos, et pas les autres ? ]
Parce que nous savons (et les macronistes aussi) qu’au fil des dernières décennies, la Gauche (toutes forces ou partis confondus) est passée de 40% d’électeurs à environ 30%. Et donc que la Droite + ED est largement majoritaire dans le pays. Et quand on se sait électoralement plus représentatif qu’un autre, on n’a pas envie de lui céder le pas, ce qui peut être compréhensible. Même si, comme nos sondages le rappellent, c’est l’ensemble de la classe politique qui s’est déconsidérée aux yeux du pays (notamment Macron himself)
Pour justifier leur non censure, Olivier Faure a d’ailleurs rappelé qu’après avoir perdu un gouvernement Barnier, puis un gouvernement Bayrou, il n’était pas impossible que Macron laisse le champ à un gouvernement encore plus proche de l’ED, genre un gouvernement Retailleau. Ce à quoi le pays, et encore moins la gauche, aurait à gagner.
On peut aussi se douter que si, à force de censure systématique, un 2ème, puis 3ème gouvernement tombait, Macron pourrait se sentir obligé de démissionner lui-même, et dans ce cas le scénario rêvé par JLM et ses groupies pourrait opposer au second tour de présidentielles faites dans la précipitation un JLM et une MLP, avec dans ce cas une vraisemblable victoire de MLP. Or, je crois que tout politicien responsable devrait avoir souci d’éviter cela. Dans le souci d’éviter ce scénario catastrophe, le PS se montrerait donc simplement plus responsable et adulte que la Macronie ou les ‘gauchistes’ LFI.
En fait, la seule “majorité” (?) dont nous disposions encore un peu dans le pays (et je crains que ce soit même une majorité de plus en plus fragile), c’est celle qui reste opposée à un gouvernement d’ED. L’ennui, sinon le drame pour le pays, c’est que cette majorité composite n’est capable de s’unir que pour s’opposer à l’ED mais pas pour gouverner le pays. Et là les macronistes (électoralement un peu plus nombreux que le PS) sont, par leur intransigeance et refus de négociation ou de vrai dialogue, plus responsables que d’autres de la fragilisation politique de notre pays.
@ Claustaire
[« Pourquoi à votre avis le bloc macroniste a pu jouer le chantage au chaos, et pas les autres ? » Parce que nous savons (et les macronistes aussi) qu’au fil des dernières décennies, la Gauche (toutes forces ou partis confondus) est passée de 40% d’électeurs à environ 30%. Et donc que la Droite + ED est largement majoritaire dans le pays. Et quand on se sait électoralement plus représentatif qu’un autre, on n’a pas envie de lui céder le pas, ce qui peut être compréhensible.]
Mais même en admettant que « la Droite+ED » sont « largement majoritaires dans le pays » (ce qui supposerait de compter dans « la droite » les macronistes de tout poil et le Modem, ce qui me semble un peu abusif), elles ne le sont pas sur le même programme. Par exemple, sur la question des retraites le RN tient ferme sur l’abrogation, alors que la droite et les macronistes sont droits dans leurs bottes sur le maintien à l’identique.
Non, je pense que si le chantage macroniste marche, c’est parce que, comme le disait Sun Tzu, la victoire n’appartient pas à l’armée la plus nombreuse, mais à la plus décidée. La droite et le macronisme sont prêts à tout pour défendre leur bout de gras. Leur électorat préfère la paralysie de l’Etat plutôt qu’une augmentation de ses impôts ou une baisse de ses ressources. Le Parti socialiste n’a pas cet avantage, puisque son électorat est tiraillé entre son cœur qui bat à gauche, et son portefeuille qui penche à droite.
[Pour justifier leur non censure, Olivier Faure a d’ailleurs rappelé qu’après avoir perdu un gouvernement Barnier, puis un gouvernement Bayrou, il n’était pas impossible que Macron laisse le champ à un gouvernement encore plus proche de l’ED, genre un gouvernement Retailleau. Ce à quoi le pays, et encore moins la gauche, aurait à gagner.]
Avec ce genre d’argument, les centristes gagnent toujours, parce qu’ils peuvent toujours dire à la gauche comme à la droite qu’ils pourraient avoir pire. Quant au discours de Faure, c’est le degré zéro de la réflexion politique. En quoi un gouvernement Retailleau serait-il pire qu’un gouvernement Bayrou, même envisagé du point de vue des socialistes ?
[On peut aussi se douter que si, à force de censure systématique, un 2ème, puis 3ème gouvernement tombait, Macron pourrait se sentir obligé de démissionner lui-même, et dans ce cas le scénario rêvé par JLM et ses groupies pourrait opposer au second tour de présidentielles faites dans la précipitation un JLM et une MLP, avec dans ce cas une vraisemblable victoire de MLP. Or, je crois que tout politicien responsable devrait avoir souci d’éviter cela.]
Vous voulez dire que tout « politicien responsable » devrait laisser mettre en œuvre une politique que les électeurs ont rejeté plutôt que de prendre le risque de demander au peuple souverain de trancher par son vote la question ? Le rôle d’un « politicien responsable » serait donc de protéger le peuple contre lui-même ? Et vous vous étonnez que le peuple ait perdu confiance dans les « politiciens responsables » ?
Le jeu qui consiste à priver un parti sur tapis vert de la victoire que les électeurs lui auraient accordé dans les urnes est un jeu dangereux, qui ne peut durer qu’un temps. Il peut être légitime lorsqu’il s’agit d’un aveuglement conjoncturel de la société. Mais la progression de l’extrême droite n’est pas une question conjoncturelle. C’est un phénomène structurel, qui ne touche pas que la France, d’ailleurs. Imaginer qu’on pourra par d’obscures combines de couloir maintenir le RN dans son ghetto est aussi sensé que penser qu’on peut bloquer la marée avec des sacs de sable. Et si le RN doit arriver au pouvoir, il vaut mieux qu’il ait devant lui une opposition forte et légitime, et non un ramassis de politiciens qui se soient déconsidérés par leurs combines pour empêcher le choix des électeurs de se traduire en réalités.
[Dans le souci d’éviter ce scénario catastrophe, le PS se montrerait donc simplement plus responsable et adulte que la Macronie ou les ‘gauchistes’ LFI.]
Allons, soyons sérieux. La question pour le PS est moins d’empêcher Marine Le Pen que d’arriver au pouvoir, que d’empêcher Mélenchon d’arriver au deuxième tour. Ce qui effraye les socialistes, c’est que Macron démissionne rapidement, parce que LFI a un candidat et est en ordre de bataille pour en tirer profit, alors que les socialistes se diviseraient certainement à l’heure de choisir leur candidat et ne sont nullement préparés à une telle éventualité. Et Mélenchon au deuxième tour, même s’il perd devant Marine Le Pen, c’est une hégémonie durable de LFI sur la gauche et donc la mort du PS.
[En fait, la seule “majorité” (?) dont nous disposions encore un peu dans le pays (et je crains que ce soit même une majorité de plus en plus fragile), c’est celle qui reste opposée à un gouvernement d’ED. L’ennui, sinon le drame pour le pays, c’est que cette majorité composite n’est capable de s’unir que pour s’opposer à l’ED mais pas pour gouverner le pays.]
Pardon, mais les faits vous donnent tort. Cette « majorité composite » s’entend très bien pour gouverner le pays. Parce que le pays, ne vous en déplaise, est gouverné. Des ministres sont à leurs postes, un budget a été voté, des lois sont promulguées et des décrets signés. Que la politique mise en œuvre par ce gouvernement ne soit pas celle voulue par une majorité de citoyens, c’est un autre problème. Mais notre premier ministre a fait un discours de politique générale, il a exposé une ligne, et cette ligne est appliquée.
Bonjour et merci pour la qualité de votre blog et des échanges (je suis en train de presque tout relire, c’est vraiment très intéressant…)
Justement, je suis curieux d’avoir votre réponse… Si on accepte que ces deux blocs représentent les classes intermédiaires, je ne vois pas pourquoi ça se ferait dans ce sens… En revanche, si on postule que le bloc macroniste représente plus la bourgeoisie et « la gauche » les classes intermédiaires, pas étonnant que ce soit la bourgeoisie qui dirige en régime capitaliste…
@ никто
[Justement, je suis curieux d’avoir votre réponse… Si on accepte que ces deux blocs représentent les classes intermédiaires, je ne vois pas pourquoi ça se ferait dans ce sens… En revanche, si on postule que le bloc macroniste représente plus la bourgeoisie et « la gauche » les classes intermédiaires, pas étonnant que ce soit la bourgeoisie qui dirige en régime capitaliste…]
Je vous propose une autre explication. Paraphrasant la formule traditionnelle qui veut que “les classes intermédiaires ont le cœur à gauche et le portefeuille à droite”. Même si leurs intérêts convergent avec ceux de la bourgeoisie, leur imaginaire est historiquement associé à la défense de l’exploité et de l’opprimé. D’où la contradiction: alors que leur coeur les pousse à contester le programme macroniste, leur portefeuille les conduit à ne pas lui mettre des bâtons dans les roues. Et c’est bien connu, à la fin, c’est toujours le portefeuille qui gagne… d’où la difficulté des socialistes de tenir jusqu’au bout une ligne économique conforme à leurs principes.
Les calamités naturelles (inondations, épidémies…) sont (au sens le plus strict du terme) pain bénit pour une partie non négligeable des classes intermédiaires en train de s’ériger en nouvelle caste sacerdotale ; et le mouvement écologiste constitue l’outil de cette prise de pouvoir idéologique. On remplace le petit Jésus par la “Terre-Mère” (l’inénarrable “Pacha Mama”) ; le péché, par le “karma” ; la peur de l’enfer, par celle des cataclysmes climatiques de toute sorte : inondations, épidémies (désormais rebaptisées “pandémies”, ça fait plus chic). D’où l’hostilité envers les barrages et autres réservoirs, envers les vaccins, envers le progrès technique en général, lequel risquerait d’atténuer cette si saine peur d’être “rappelé à l’ordre” par une “planète” désormais hylozoïsée.
Les classes intermédiaires, par contre, sont fort friandes de régionalisme, et instinctivement hostiles à toute forme de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le “jacobinisme” (sic). On se demande bien pourquoi…
@ MJJB
[Les calamités naturelles (inondations, épidémies…) sont (au sens le plus strict du terme) pain bénit pour une partie non négligeable des classes intermédiaires en train de s’ériger en nouvelle caste sacerdotale ; (…)]
Jusqu’à un certain point. Les castes sacerdotales ont construit leur pouvoir historiquement sur leur capacité – réelle ou supposée – à communiquer avec la divinité et à obtenir sa bienveillance. Quand une caste sacerdotale se contente de regarder impuissante le châtiment divin sans pouvoir y apporter le moindre remède, en général ça se passe très mal pour elle.
[et le mouvement écologiste constitue l’outil de cette prise de pouvoir idéologique. On remplace le petit Jésus par la “Terre-Mère” (l’inénarrable “Pacha Mama”) ; le péché, par le “karma” ; la peur de l’enfer, par celle des cataclysmes climatiques de toute sorte : inondations, épidémies (désormais rebaptisées “pandémies”, ça fait plus chic).]
Sauf que le petit Jésus nous promettait la rémission des péchés et la vie éternelle en échange de notre obéissance, et c’est beaucoup plus que ce que peuvent promettre les adeptes de la Pachamama ou du « karma ». Ce qui a fait la force des monothéismes, c’est qu’ils offrent une relation personnelle avec la divinité, dans laquelle c’est votre comportement INDIVIDUEL qui vous assure le paradis ou l’enfer, la bienveillance ou le châtiment divin. Au contraire des cultes antiques, où le mauvais comportement de la collectivité amenait la punition sur l’ensemble de celle-ci, justes et pécheurs confondus. Vous pouvez voir la rupture entre ces deux conceptions dans la discussion figurée dans la Genèse entre Abraham et Yahvé à propos de la destruction de Sodome et Gomorrhe. Yahvé a la vision communautaire : les deux villes ont péché et leurs habitants doivent en souffrir les conséquences. Abraham, lui, porte la vision individualiste : s’il y a un seul juste parmi les habitants, il ne doit pas souffrir pour les péchés des autres. Et Abraham – Yahvé lui-même le reconnaît – a raison : si les justes sont punis pour les faits des pécheurs, alors quel intérêt à être juste ?
Si l’on considère le mouvement écologiste comme une sorte de religion, alors elle se rattache plutôt à la vision antique : les cataclysmes climatiques toucheront aussi durement les végans à vélo que les viandards en BMW…
[D’où l’hostilité envers les barrages et autres réservoirs, envers les vaccins, envers le progrès technique en général, lequel risquerait d’atténuer cette si saine peur d’être “rappelé à l’ordre” par une “planète” désormais hylozoïsée.]
En cela, l’écologie se rattache aussi aux perceptions familières aux cultures primitives, celle d’un âge d’or originel à partir duquel le monde ne peut que se dégrader. Comme l’idéal est un monde pré-technique – largement idéalisé, parce que la vie dans le monde pré-technique n’était pas vraiment jouasse – toute intervention de la technique paraît nous éloigner encore de ce paradis perdu.
[Les classes intermédiaires, par contre, sont fort friandes de régionalisme, et instinctivement hostiles à toute forme de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le “jacobinisme” (sic). On se demande bien pourquoi…]
L’explication est très simple. Le bloc dominant – et pas seulement les classes intermédiaires – ont très bien compris que l’Etat-nation est aujourd’hui la seule institution qui peut se mettre en travers de leurs intérêts. Plus il est centralisé, plus il est fort, et plus il est capable potentiellement de s’affranchir et de mettre des limites au pouvoir de l’argent. C’est cette potentialité qui leur fait peur. Et c’est pourquoi depuis cinquante ans le bloc dominant accueille avec satisfaction tout ce qui peut affaiblir l’Etat-nation, sont en l’appauvrissant, soit en transférant ses compétences vers le haut (construction européenne, traités internationaux) soit vers le bas (décentralisation).
@ Descartes
[les cataclysmes climatiques toucheront aussi durement les végans à vélo que les viandards en BMW…]
Notez qu’on peut être viandard à vélo ou rouler en BMW en étant végétarien.
Pas tout à fait. Ceux qui sont au cœur du réacteur de cette nouvelle religion sont absolument convaincus que eux (les “végans”) seront sauvés, tandis que les “viandards en BMW” seront précipités dans les ténèbres extérieures. Bien loin de se rattacher à une “vision antique”, il s’agit là de thèmes “New-Age” de type apocalyptique, qui ne reprennent qu’en apparence des thèmes anciens.
De manière plus générale, le but final des rituels que prône la nouvelle religion écologique n’est pas d’apaiser telle ou telle force supernaturelle, mais, du simple fait que ces rituels sont effectivement mis en œuvre par cette nouvelle caste sacerdotale, de démontrer pour ainsi dire “performativement” la légitimité de cette dernière.
Malgré tous les beuglements qui nous alertent à contre-temps sur le “fascisme”, la tactique actuelle, “libertarienne”, du bloc dominant, est à l’opposé des fascistes de la première moitié du siècle précédent, lesquels cherchaient avant tout à renforcer l’Etat, afin de le transformer en machine de guerre à leur service exclusif, contre le “bolchevisme” et, in fine, toute forme de revendication sociale.
Néanmoins, souvenons-nous que le fascisme des origines était fondamentalement biface. Il jouait simultanément sur les deux tableaux de l’ultra-étatisme et de l’anti-étatisme. Au congrès de Naples, Mussolini proclamait : “Nous voulons être l’État”. Quelques mois plus tard, il disait : “Il faut en finir avec l’État ferroviaire, avec l’État postier, avec l’État assureur.” On aurait tort de prendre trop au sérieux les déclarations tonitruantes des idéologues ou supposés tels, et il importe de se souvenir à quel point le bloc dominant, comme n’importe quel “Prince” à la Machiavel, ne peut, pour défendre ses intérêts, que jouer sur plusieurs tableaux à la fois, en fonction de ce qu’il estimera être le plus expédient.
@ MJJB
[« Si l’on considère le mouvement écologiste comme une sorte de religion, alors elle se rattache plutôt à la vision antique : les cataclysmes climatiques toucheront aussi durement les végans à vélo que les viandards en BMW… » Pas tout à fait. Ceux qui sont au cœur du réacteur de cette nouvelle religion sont absolument convaincus que eux (les “végans”) seront sauvés, tandis que les “viandards en BMW” seront précipités dans les ténèbres extérieures.]
Certainement pas. Je ne connais aucun écologiste, même le plus radical, qui s’imagine que la montée du niveau des océans épargnera les maisons des végans et ne noiera que celles des « viandards ». Que les canicules épargneront ceux qui roulent à vélo et que seuls ceux qui roulent en SUV seront touchés. Non, justement : la nouvelle religion écologiste prédit l’enfer pour TOUS, à moins que nous changions TOUS de comportement – pour émettre moins de CO2, pour trier nos déchets, etc. Autrement dit, les dieux de l’écologie punissent collectivement, sans tenir compte des vices et vertus individuels. En cela, ils se rattachent plus aux mythologies antiques qu’aux monothéismes.
@Descartes
[On ne trouve pas non plus en Afrique un dirigeant de la taille d’un Mandela, d’un Nkrumah, d’un Senghor, […]]Je me demande justement si les dirigeants de l’alliance des états du Sahel (jepense plus particulièrement à Traoré) ne s’approcheraient pas de cesdirigeants. J’ai vu passer des papiers (malheureusement, je me souviens plus dela source) qui parlaient de (re)lancer l’agriculture et l’industrie, avec déjàcertains succès… Certes, c’est le début du chemin, mais au moins ils marchent 😉
@ никто
[« On ne trouve pas non plus en Afrique un dirigeant de la taille d’un Mandela, d’un Nkrumah, d’un Senghor, […] » Je me demande justement si les dirigeants de l’alliance des états du Sahel (je pense plus particulièrement à Traoré) ne s’approcheraient pas de ces dirigeants. J’ai vu passer des papiers (malheureusement, je me souviens plus dela source) qui parlaient de (re)lancer l’agriculture et l’industrie, avec déjà certains succès… Certes, c’est le début du chemin, mais au moins ils marchent.]
Je ne connais pas trop la situation du Burkina Faso ou la personnalité de Traoré. J’évite donc de donner une opinion trop tranchée sur cette question. Mais il me semble que Mandela, Nkrumah ou Senghor ont chacun présidé à l’institutionnalisation de leurs pays respectifs. Je n’ai pas l’impression que Traoré s’inscrive vraiment dans une logique institutionnelle. Ce n’est pas forcément sa faute : les personnalités que j’ai cité arrivent au pouvoir au moment des indépendances, dans un contexte très favorable à une pensée institutionnelle, ou bien – pour ce qui concerne Mandela – alors que l’ordre institutionnel ancien s’est effondré. Je ne sais si Traoré a un contexte qui permet de penser à ces questions.
Hors-sujet, je ne sais pas si vous avez vu/lu le discours de JD Vance à Munich ?
Bien que le fait que le propos vienne des américains ne manque pas de sel, j’ai un certain sentiment de jouissance à voir nos chères élites et surtout la commission européenne se faire mettre les points sur les “i” de manière aussi frontale sur ses dérives anti-démocratiques. Son discours conforte aussi largement le sentiment que j’ai depuis longtemps que la guerre Ukraino-Russe n’est que le front “chaud” de l’affrontement entre néolibéraux “progressistes” (sociétalement) et protectionnistes conservateurs.
Cet extrait illustre tout à fait ma pensée:
“Je suis sûr que vous êtes tous venus dans cette conférence sur la sécurité pour parler des moyens d’accroître vos dépenses de défense dans les années à venir pour atteindre un nouvel objectif.(…) Permettez-moi aussi de vous poser la question : comment allez-vous pouvoir réfléchir à ces questions budgétaires si nous ne savons même pas ce que nous défendons en premier lieu ? J’ai beaucoup entendu parler, dans mes nombreuses et excellentes discussions avec les personnes réunies dans cette salle, de ce contre quoi vous devez vous défendre, et c’est évidemment important. Mais ce qui me paraît moins clair, et je pense que c’est aussi l’avis de nombreux citoyens en Europe, c’est la nature exacte de ce que vous défendez. Quelle est la vision positive qui anime ce pacte de sécurité, auquel nous accordons tous une si grande importance ?”
Sur la “démocratie” même (au sens “UE” du terme), il mets aussi le doigt où ça fait mal, au sujet de l’annulation des élections en Roumanie:
“Vous pouvez penser que la Russie ne devrait pas acheter de publicités sur les réseaux sociaux pour influencer vos élections. Nous le pensons aussi. Vous pouvez même le condamner sur la scène internationale. Mais si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très forte.”
Ce qui est fascinant, ce n’est pas tant que Vance exprime son aversion pour l’idéologie “progressiste” européenne, c’est qu’il “nous” la balance en pleine face de manière aussi peu diplomatique. Outre les quelques formules convenues sur l’amitié transatlantique, c’est un discours qui classe carrément l’Union européenne dans le camp des adversaires idéologiques. Le choc a dû être violent pour nos europhiles américano-soumis. A moins que des décennies d’endoctrinement ne leur aient ôté jusqu’à la possibilité d’entendre un tel discours, fût-il prononcé aussi frontalement que le fût celui-ci.
dernier extrait:
“Écoutez ce que votre peuple vous dit, même si cela vous surprend, même si vous n’êtes pas d’accord. Ainsi, vous pourrez affronter l’avenir avec certitude et confiance, en sachant que la nation vous soutient. Et c’est là d’où la démocratie tire pour moi sa magie. Pas dans ces édifices de pierre ou dans ces magnifiques hôtels. Pas même dans les grandes institutions que nous avons bâties ensemble en tant que société.
Croire en la démocratie, c’est comprendre que chacun de nos citoyens a de la sagesse et une voix. Et si nous refusons d’entendre cette voix, même nos combats les plus fructueux n’aboutiront pas à grand-chose. (…) Nous ne devrions pas craindre notre peuple, même quand il exprime des opinions différentes de celles de ses dirigeants.”
Dans tous les cas, nous ne sommes qu’au début de l’histoire !
@ P2R
[Hors-sujet, je ne sais pas si vous avez vu/lu le discours de JD Vance à Munich ?]
Oui, et je l’ai trouvé remarquable de cohérence.
[Bien que le fait que le propos vienne des américains ne manque pas de sel, j’ai un certain sentiment de jouissance à voir nos chères élites et surtout la commission européenne se faire mettre les points sur les “i” de manière aussi frontale sur ses dérives anti-démocratiques.]
Plus que cela, je pense que le discours de Vance attaque de front cette espèce de « bonne conscience » qui domine depuis vingt ou trente années le discours européen. Les élites européennes sont tellement persuadées d’être dans le vrai, qu’elles peuvent tout se permettre : contourner le résultat d’un référendum, annuler une élection, financer et soutenir un coup d’Etat, bombarder un pays pour le forcer à céder une de ses provinces, laisser l’un des ses alliés commettre des crimes de guerre…
Le discours de Trump – et celui de Vance qui en est une variation – est en fait un coup mortel porté à cette « bonne conscience ». Que nous dit ce discours en filigrane ? Que celui qui a la force a tous les droits, y compris celui de donner des leçons. Que les européens ne sont finalement pas meilleurs que les autres…
[“Je suis sûr que vous êtes tous venus dans cette conférence sur la sécurité pour parler des moyens d’accroître vos dépenses de défense dans les années à venir pour atteindre un nouvel objectif.(…) Permettez-moi aussi de vous poser la question : comment allez-vous pouvoir réfléchir à ces questions budgétaires si nous ne savons même pas ce que nous défendons en premier lieu ? J’ai beaucoup entendu parler, dans mes nombreuses et excellentes discussions avec les personnes réunies dans cette salle, de ce contre quoi vous devez vous défendre, et c’est évidemment important. Mais ce qui me paraît moins clair, et je pense que c’est aussi l’avis de nombreux citoyens en Europe, c’est la nature exacte de ce que vous défendez. Quelle est la vision positive qui anime ce pacte de sécurité, auquel nous accordons tous une si grande importance ?”]
On aurait aimé entendre un tel texte dans la bouche d’un président français…
[“Vous pouvez penser que la Russie ne devrait pas acheter de publicités sur les réseaux sociaux pour influencer vos élections. Nous le pensons aussi. Vous pouvez même le condamner sur la scène internationale. Mais si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très forte.” Ce qui est fascinant, ce n’est pas tant que Vance exprime son aversion pour l’idéologie “progressiste” européenne, c’est qu’il “nous” la balance en pleine face de manière aussi peu diplomatique.]
Mais pourquoi dites-vous que Vance « exprime son aversion pour l’idéologie progressiste européenne » ? Dans les paragraphes que vous citez, il n’y a pas de critique envers « l’idéologie progressiste » du tout. Ces deux paragraphes ne sont que des constatations de bon sens sur les contradictions du discours européen. Ce qui et notable, c’est que nous, européens, acceptions depuis des années des discours aussi contradictoires sans que personne ou presque ne tire les mêmes conclusions que JD Vance.
Ce que le « progressiste » que je suis regrette amèrement, c’est qu’il faille attendre qu’un libertarien, qui plus est américain, vienne nous dire ces quelques vérités à une tribune officielle. Il est vrai que les rares personnalités qui ont essayé de tenir un discours de bon sens sont rarement invitées à y prendre la parole…
[Outre les quelques formules convenues sur l’amitié transatlantique, c’est un discours qui classe carrément l’Union européenne dans le camp des adversaires idéologiques. Le choc a dû être violent pour nos europhiles américano-soumis. A moins que des décennies d’endoctrinement ne leur aient ôté jusqu’à la possibilité d’entendre un tel discours, fût-il prononcé aussi frontalement que le fût celui-ci.]
Je le crains, en effet. En tout cas, les premières réactions – je pense à celle d’Olaf Scholz – ne montrent la moindre remise en question.
[“Écoutez ce que votre peuple vous dit, même si cela vous surprend, même si vous n’êtes pas d’accord. Ainsi, vous pourrez affronter l’avenir avec certitude et confiance, en sachant que la nation vous soutient. Et c’est là d’où la démocratie tire pour moi sa magie. Pas dans ces édifices de pierre ou dans ces magnifiques hôtels. Pas même dans les grandes institutions que nous avons bâties ensemble en tant que société.
Croire en la démocratie, c’est comprendre que chacun de nos citoyens a de la sagesse et une voix. Et si nous refusons d’entendre cette voix, même nos combats les plus fructueux n’aboutiront pas à grand-chose. (…) Nous ne devrions pas craindre notre peuple, même quand il exprime des opinions différentes de celles de ses dirigeants.”]
On croirait entendre le Marchais des années 1970, ou le Chevènement de la fin des années 1980… ironie de l’histoire !
@ Descartes
[On aurait aimé entendre un tel texte dans la bouche d’un président français…]
Sans même parler d’un président, rien que dans celle d’un député, ça aurait déjà été pas mal. Mais à ma connaissance personne en France n’a jamais abordé ce sujet, qui est pourtant l’éléphant dans la pièce, et sur tous sujets, qu’il s’agisse de la dépense publique, de la politique internationale, des moeurs.. Je pense que les politiques français actuels sont en réalité terrorisés à l’idée de soulever cette question, parce qu’ils sentent bien combien la cohésion nationale est fragilisée par cette divergence d’intérêts au sein de la société. Lever le voile sur ce fait, c’est prendre le risque de précipiter la fracture ouverte et de se le voir reprocher. Alors on se tait, ça tiendra bien un mandat de plus..
[Mais pourquoi dites-vous que Vance « exprime son aversion pour l’idéologie progressiste européenne » ? Dans les paragraphes que vous citez, il n’y a pas de critique envers « l’idéologie progressiste » du tout. Ces deux paragraphes ne sont que des constatations de bon sens sur les contradictions du discours européen.]
Vous avez parfaitement raison. Le discours de la toute puissance individuelle, de l’individu-roi, entre frontalement en contradiction avec celui qui considère que les individus sont par essence perméables à la propagande et incapables de faire un choix rationnel et éclairé.
Mais ce problème sera vite résolu: l’autre jour, dans l’émission C dans l’air sur l’intelligence artificielle je crois, je suis tombé des nues en entendant un commentateur exprimer en termes à peine voilés le fait que l’IA permettra de compenser la chute du niveau intellectuel des citoyens. Sans un instant voir le problème à substituer un algorythme piloté par une oligarchie à la capacité de discernement et de libre arbitre des individus. On en est là: le projet néolibéral constate son echec et voit dans l’IA la bouée de secours providentielle qui lui permettra de se perpétuer en dépit des ravages qu’il a occasionné.. Ouf, tout va bien…
[Ce que le « progressiste » que je suis regrette amèrement, c’est qu’il faille attendre qu’un libertarien, qui plus est américain, vienne nous dire ces quelques vérités à une tribune officielle. ]
C’est étonnant en effet. Ceci dit je ne sais pas si Vance est libertarien, il faudrait que je me renseigne. J’avais cependant lû qu’il était un grand admirateur du personnage de DeGaulle, ce qui colle assez mal avec le libertarisme. Toujours est-il que je suis assez épaté de voir qu’un homme avec une telle “structure intellectuelle” ait été choisi pour non seulement prendre la vice-présidence, mais surtout pour incarner la succession à Trump. Quand on voit les potentiels présidents américains, on s’attend toujours à voir soit des acteurs, soit des pantins, soit des incarnations de l’establishment. Vance semble d’un autre bois.
[Je le crains, en effet. En tout cas, les premières réactions – je pense à celle d’Olaf Scholz – ne montrent la moindre remise en question.]
Cela ne doit pas nous étonner. Comme dit précédemment, malheur au premier qui révèlera publiquement les fractures qui traversent nos sociétés occidentales. Ceci dit Scholtz appartient déjà au passé. La réaction de Merz sera plus intéressante à analyser.
[On croirait entendre le Marchais des années 1970, ou le Chevènement de la fin des années 1980… ironie de l’histoire !]
Il y a aussi eu des personnalités de droite pour analyser les fractures de la société de manière rationnelle et réaliste… Quelle sera la réaction des LR face à ce discours ? Peut-être s’aligneront-ils sur l’indignation européiste, mais je pense que la ligne Retailleau/Bellamy est finalement assez proche du constat de Vance. Ce discours peut être l’occasion pour les politiques de se positionner clairement sur cette question, mais en prendront-ils le risque ?
@ P2R
[Sans même parler d’un président, rien que dans celle d’un député, ça aurait déjà été pas mal. Mais à ma connaissance personne en France n’a jamais abordé ce sujet, qui est pourtant l’éléphant dans la pièce, et sur tous sujets, qu’il s’agisse de la dépense publique, de la politique internationale, des mœurs… Je pense que les politiques français actuels sont en réalité terrorisés à l’idée de soulever cette question, parce qu’ils sentent bien combien la cohésion nationale est fragilisée par cette divergence d’intérêts au sein de la société. Lever le voile sur ce fait, c’est prendre le risque de précipiter la fracture ouverte et de se le voir reprocher.]
Je n’y avais pas pensé, et je trouve votre analyse très intéressante. Oui, la question au fond est celle de l’avenir que nous avons en commun. Est-ce que dans une société diverse on peut aujourd’hui trouver un projet, une vision d’avenir commune où chacun trouve suffisamment son compte pour se mobiliser pour la construire ? Hier, l’histoire nous le montre, c’était possible. La Révolution et l’Empire, la IIIème République, la Libération ont réussi à construire des « récits » communs où chaque classe, chaque région, chaque religion même pouvait se reconnaître globalement, sans pour autant que s’effacent les différences et les conflits. Aujourd’hui, cela paraît plus difficile. Non parce que la société est plus fracturée – les fractures étaient aussi importantes sinon plus dans les autres périodes historiques – mais parce qu’il y avait une conscience d’avoir besoin de l’autre. Chaque individu avait conscience non seulement de la « créance » qu’il détenait sur la société – le droit à ceci ou cela – mais aussi de la « dette » qu’il avait envers les autres. Chacun se savait utile aux autres et en même temps avoir besoin des autres. Ce système de créances réciproques faisait la solidité du lien social. C’est cette conscience qui a peut-être disparu, dans une société de l’individu-roi. Elle ressurgit de temps en temps (pensez aux applaudissements chaque soir adressés aux soignants pendant le COVID), mais globalement elle tend à disparaître. Le temps où l’on enseignait aux petits enfants qu’il fallait être respectueux envers le boulanger parce qu’il faisait notre pain est révolu, maintenant le rapport est purement commercial.
Je pense que vous voyez juste : c’est pour cette raison que les débats sur le projet commun – ou, pour utiliser le terme juste, sur « l’identité nationale », parce qu’au-delà du caractère polémique de cette expression, c’est de cela qu’il s’agit – font aussi peur à nos élites, pourquoi les programmes des partis politiques se réduisent à des listes de mesures pour contenter telle ou telle catégorie, mais ne décrivent jamais un projet, une vision de société. Ouvrir le débat, c’est prendre le risque d’aboutir à la conclusion que finalement rien ne nous unit plus, qu’il n’y a plus entre nous tous de solidarité inconditionnelle. Et donc de fondement solide sur lequel construire un fonctionnement démocratique.
[Mais ce problème sera vite résolu: l’autre jour, dans l’émission C dans l’air sur l’intelligence artificielle je crois, je suis tombé des nues en entendant un commentateur exprimer en termes à peine voilés le fait que l’IA permettra de compenser la chute du niveau intellectuel des citoyens. Sans un instant voir le problème à substituer un algorithme piloté par une oligarchie à la capacité de discernement et de libre arbitre des individus. On en est là: le projet néolibéral constate son échec et voit dans l’IA la bouée de secours providentielle qui lui permettra de se perpétuer en dépit des ravages qu’il a occasionné.. Ouf, tout va bien…]
Oui, ce genre de raisonnements fait froid dans le dos. D’autant plus qu’il faut toujours se souvenir que l’IA doit être entraînée. Si demain l’IA compense par sa production le faible niveau intellectuel des individus, cela veut dire qu’à terme l’IA sera entraînée soit par une production humaine médiocre, soit… par sa propre production ! Et on tomberait alors dans un cercle vicieux.
[« Ce que le « progressiste » que je suis regrette amèrement, c’est qu’il faille attendre qu’un libertarien, qui plus est américain, vienne nous dire ces quelques vérités à une tribune officielle. » C’est étonnant en effet. Ceci dit je ne sais pas si Vance est libertarien, il faudrait que je me renseigne.]
Je l’ai fait, et vous avez parfaitement raison de mettre en doute mon affirmation. C’est moi qui ai fait une confusion. J.D. Vance n’est en rien un « libertarien », au contraire. Il se rattache au courant « postlibéral », un courant qui estime que le néolibéralisme est allé trop loin dans le sens d’une société d’individus, et qu’il faut remettre en cause le dogme du libre marché pour chercher à reconstruire des fonctionnements plus collectifs. J’ai même eu la surprise de constater que cette doctrine est apparue en Europe plutôt à gauche, alors qu’aux Etats-Unis elle a été reprise plutôt par la droite.
[« On croirait entendre le Marchais des années 1970, ou le Chevènement de la fin des années 1980… ironie de l’histoire ! » Il y a aussi eu des personnalités de droite pour analyser les fractures de la société de manière rationnelle et réaliste…]
Enfin, elles sont rares. A part Guaino, j’ai du mal à voir…
[Quelle sera la réaction des LR face à ce discours ? Peut-être s’aligneront-ils sur l’indignation européiste, mais je pense que la ligne Retailleau/Bellamy est finalement assez proche du constat de Vance. Ce discours peut être l’occasion pour les politiques de se positionner clairement sur cette question, mais en prendront-ils le risque ?]
J’en doute. Ce qu’on entend dans la volaille qui fait l’opinion c’est plutôt « Vance attaque l’Europe ». Et le discours de Vance sera vite amalgamé avec les excès de toutes sortes des Trump Boys. Je suspecte que nos politiciens vont chercher à stimuler le réflexe de forteresse assiégée pour éviter de se poser des questions.
Descartes
#. Je suspecte que nos politiciens vont chercher à stimuler le réflexe de forteresse assiégée pour éviter de se poser des questions#
Je sens même comme un air de 1954, d’ici que nos amis fédérastes européens essayent de relancer une CED (cette fois ci sans les américains).
Je dis ça avec une certaine inquiétude ( nous n’avons plus ni députés communistes ni députés gaullistes pour empêcher cette ignominie)
@ Delendaesteu
[Je sens même comme un air de 1954, d’ici que nos amis fédérastes européens essayent de relancer une CED (cette fois ci sans les américains). Je dis ça avec une certaine inquiétude ( nous n’avons plus ni députés communistes ni députés gaullistes pour empêcher cette ignominie)]
Je n’y crois pas un instant. Oui, il n’y a pas de députés communistes et gaullistes assez nombreux pour s’opposer à ce genre de monstruosité. Mais en même temps, il n’y a pas non plus d’URSS pour motiver ceux qui ont le cordon de la bourse. Qui en Europe est aujourd’hui prêt à mettre la main à la poche et sortir les milliards qu’il faudrait mettre pour mettre sur pied une armée européenne ?
@ Descartes
[ C’est cette conscience qui a peut-être disparu, dans une société de l’individu-roi. Elle ressurgit de temps en temps (pensez aux applaudissements chaque soir adressés aux soignants pendant le COVID), mais globalement elle tend à disparaître. ]
Mon coté optimisme me porte à penser que dès que les temps redeviendrons durs, pour peu que la société ne se soit pas totalement disloquée auparavant, nous retrouverons un projet collectif: en 45, il fallait reconstruire, se nourrir, se loger… plus on est sur de l’essentiel, sur du vital, plus il est facile de se mettre collectivement d’accord sur les buts à atteindre. Mon coté pessimiste, c’est l’effondrement intellectuel des élites, et en particulier des jeunes professeurs. Là, nous sommes en train de perdre un bien commun qui prendra des siècles à reconstruire, si jamais nous parvenons à le reconstruire un jour.
[C’est pour cette raison que les débats sur le projet commun – ou, pour utiliser le terme juste, sur « l’identité nationale », parce qu’au-delà du caractère polémique de cette expression, c’est de cela qu’il s’agit – font aussi peur à nos élites, pourquoi les programmes des partis politiques se réduisent à des listes de mesures pour contenter telle ou telle catégorie, mais ne décrivent jamais un projet, une vision de société.]
On peut à ce sujet mettre face à face une citation de l’humoriste (sic) Merwane Benlazar et de Raphael Glucksmann.
L’un dit
L’autre dit
Le fait est que la société éclate par les deux bouts, dont l’un et l’autre se targuent de pouvoir vivre en France sans partager ni devoir quoi que ce soit avec la société Française…
[Oui, ce genre de raisonnements fait froid dans le dos. D’autant plus qu’il faut toujours se souvenir que l’IA doit être entraînée.]
Plus qu’entrainée, les algos de l’IA sont paramétrés et calibrés pour donner les “bonnes réponses”. J’ai fait l’expérience de livrer la citation de Belatar évoquée ci-dessus à ChatGPT et de lui demander de l’analyser: tous les axes d’interprétations reposent sur un manque d’inclusivité de la société française, l’idéologie décoloniale, la culture de l’excuse et le culte victimaire. Pas un mot sur le défaut de solidarité nationale, pas un mot sur le communautarisme, pas un mot sur ce que ces propos peuvent poser comme problèmes en terme de projet de société.
[C’est moi qui ai fait une confusion. J.D. Vance n’est en rien un « libertarien », au contraire. Il se rattache au courant « postlibéral », un courant qui estime que le néolibéralisme est allé trop loin dans le sens d’une société d’individus, et qu’il faut remettre en cause le dogme du libre marché pour chercher à reconstruire des fonctionnements plus collectifs. J’ai même eu la surprise de constater que cette doctrine est apparue en Europe plutôt à gauche, alors qu’aux Etats-Unis elle a été reprise plutôt par la droite. ]
Rien d’etonnant en réalité. Je pense que l’erreur des Français est de traduire l’opposition “Démocrates/Républicains” par une opposition “Gauche/Droite”, voir même “Progressistes/Conservateurs”, alors qu’il faut, pour bien comprendre la politique américaine, rester au plus proche des termes originaux. C’est un distinctions que j’ai mis longtemps à apprivoiser, et que le livre Res Publica (dirigé et coécrit par Chevènement) m’a aidé à comprendre: pour les Démocrates, la valeur suprême, c’est le pouvoir du peuple, et donc in extenso la volonté des individus, les droits et libertés individuels, et de facto la domination du groupe le plus nombreux sur la prise de décision. Pour les Républicains, la valeur suprême est la Chose Publique, le bien commun, ce qui va des infrastructures jusqu’aux institutions, de l’héritage culturel jusqu’aux structures sociales profondes, en gros ce qui rend la société fonctionnelle. Il y a des périodes de l’histoire où Démocratie et République marchent main dans la main, et d’autres (dans laquelle nous sommes) où elles sont en opposition frontale. Et dans cette situation, il n’y a rien d’étonnant, au fond, à ce que les Démocrates, soumis aux revendications individualistes d’une classe dominante, exige toujorus plus de droits et toujours moins de devoirs, quand les Républicains se montrent soucieux de conserver l’héritage et de perpétuer les structures sociales. Evidemment tout ceci est théorique, mais je crois que c’est un axe d’analyse pertinent en ce qui concerne une partie de l’axe républicain tant aux USA que chez nous.
[Enfin, elles sont rares. A part Guaino, j’ai du mal à voir…]
Villepin, Sarkozy, Seguin, pour ceux qui me viennent d’abord à l’esprit, me semblent ou me semblaient conscients de l’état de la société, même s’ils ne l’exprimaient peut-être pas de manière aussi abrupte.
[J’en doute. Ce qu’on entend dans la volaille qui fait l’opinion c’est plutôt « Vance attaque l’Europe ». Et le discours de Vance sera vite amalgamé avec les excès de toutes sortes des Trump Boys. Je suspecte que nos politiciens vont chercher à stimuler le réflexe de forteresse assiégée pour éviter de se poser des questions.]
Les réactions du centre gauche sont en effet unanimes. Mais le silence coté droite républicaine est total, ce qui cache forcément quelque chose.. (coté extrême droite ou assimilé, Maréchal et Ciotti ont salué le discours, mais je les tiens pour quantité négligeable en ce que je les suspecte de s’arrêter à deux punchlines sur l’immigration sans saisir la portée du texte. En quelque sorte, ils sont le reflet inversé des europhiles, prêtant plus d’attention aux foucades trumpistes qu’au fond des sujets)
@ P2R
[Mon coté optimisme me porte à penser que dès que les temps redeviendrons durs, pour peu que la société ne se soit pas totalement disloquée auparavant, nous retrouverons un projet collectif: en 45, il fallait reconstruire, se nourrir, se loger… plus on est sur de l’essentiel, sur du vital, plus il est facile de se mettre collectivement d’accord sur les buts à atteindre.]
Encore faut-il qu’on ait besoin les uns des autres, autrement dit, que pour « reconstruire, se nourrir, se loger », bref, pour avoir « l’essentiel », la collaboration de l’autre nous soit indispensable, et que cette nécessité soit réciproque. C’est en cela que votre optimisme pourrait être excessif. Jusqu’à quel point avons-nous besoin des autres, et particulièrement de ces « autres » qui ne sont pas de la même communauté, de la même classe sociale que nous ?
[Mon coté pessimiste, c’est l’effondrement intellectuel des élites, et en particulier des jeunes professeurs. Là, nous sommes en train de perdre un bien commun qui prendra des siècles à reconstruire, si jamais nous parvenons à le reconstruire un jour.]
Des siècles, peut-être pas. Mais deux générations, oui.
[On peut à ce sujet mettre face à face une citation de l’humoriste (sic) Merwane Benlazar et de Raphael Glucksmann. L’un dit « J’me sens pas Français, c’est sûr. Après j’me sens à 100% chez moi ici » (citation Le Figaro). L’autre dit : « Quand je vais à New-York ou à Berlin, je me sens plus chez moi culturellement que quand je reviens en Picardie » (emission 28 minutes, Arte) Le fait est que la société éclate par les deux bouts, dont l’un et l’autre se targuent de pouvoir vivre en France sans partager ni devoir quoi que ce soit avec la société Française…]
La question intéressante dans ces deux situations est de se demander pourquoi « on se sent plus chez soi » quelque part plutôt qu’ailleurs. Est-ce parce que la soupe est meilleure ? Parce que les gens sont plus gentils ? Parce qu’ils parlent la même langue que nous ? Parce qu’on est plongé dans une collectivité avec laquelle on se sent solidaire et qui se sent solidaire de nous ? C’est cette discussion-là qu’on devrait avoir.
[C’est un distinctions que j’ai mis longtemps à apprivoiser, et que le livre Res Publica (dirigé et coécrit par Chevènement) m’a aidé à comprendre: pour les Démocrates, la valeur suprême, c’est le pouvoir du peuple, et donc in extenso la volonté des individus, les droits et libertés individuels, et de facto la domination du groupe le plus nombreux sur la prise de décision. Pour les Républicains, la valeur suprême est la Chose Publique, le bien commun, ce qui va des infrastructures jusqu’aux institutions, de l’héritage culturel jusqu’aux structures sociales profondes, en gros ce qui rend la société fonctionnelle.]
Je partage votre réflexion. En fait, la partition entre Démocrates et Républicains aux Etats-Unis et de même nature que celle entre Jacobins et Girondins en France, même si pour des raisons historiques les points de clivage ne sont pas tout à fait les mêmes. Cette partition ne recoupe pas, comme vous le signalez, un clivage « gauche/droite », ni même pas « conservateur/transgressif ».
[« Enfin, elles sont rares. A part Guaino, j’ai du mal à voir… » Villepin, Sarkozy, Seguin, pour ceux qui me viennent d’abord à l’esprit, me semblent ou me semblaient conscients de l’état de la société, même s’ils ne l’exprimaient peut-être pas de manière aussi abrupte.]
Quelque soit la tendresse que je puisse avoir pour le personnage de Sarkozy, j’ai du mal à voir en lui un analyste aigu de l’Etat de la société. Même s’il faut reconnaître que l’homme a une intuition politique très fine, et qu’il connaît très bien le pays qu’il a gouverné – contrairement à un Macron – je ne pense pas qu’il ait vraiment formalisé une analyse de la situation. Villepin oui, surtout en matière de relations internationales, mais il est un peu hors-jeu. Séguin, quant à lui, et mort.
[Les réactions du centre gauche sont en effet unanimes. Mais le silence coté droite républicaine est total, ce qui cache forcément quelque chose…]
Au contraire, cela ne cache rien, et surtout pas l’incapacité de la droite républicaine à dépasser le niveau des calculs électoraux. Coincée entre une base électorale qui ne veut pas faire le deuil de l’Europe néolibérale, et le dynamisme d’une extrême droite prête à renverser la table, elle risque le destin de l’âne de Buridan.
A ce sujet, de manière plus générale, vous pourriez lire cet article. Vous ne le trouverez pas dénué d’intérêt, je pense.
@ Louis
[A ce sujet, de manière plus générale, vous pourriez lire cet article. Vous ne le trouverez pas dénué d’intérêt, je pense.]
Vous pensez juste! C’est un excellent article, et je regrette de ne pas savoir qui en est l’auteur. Il signe “Bizzar” sur le blog en question, mais je pense qu’il doit s’agir de quelqu’un de bien connu dans le milieu académique. Il a clairement bien lu non seulement les deux auteurs qu’il commente, mais il a aussi une formation marxiste… Et je retrouve dans son analyse pas mal d’éléments discutés ici, en particulier le concept développé par Castoriadis (que l’article cite) selon lequel le capitalisme fonctionne grâce à des structures anthropologiques qu’il a hérité mais qu’il n’a pas la capacité de renouveler, d’où son étouffement progressif. On pourrait d’ailleurs se demander si le fait que les succès économiques des pays d’extrême orient ou de l’Inde ne tiennent pas en partie au fait que ce sont des parties du monde où ces structures anthropologiques traditionnelles sont encore très présentes…
Bonjour Descartes,
Non seulement vous connaissez l’auteur, mais vous m’avez déjà croisé 😉 Et je suis donc hélas fort éloigné du milieu académique.
@ Dell Conagher
[Non seulement vous connaissez l’auteur, mais vous m’avez déjà croisé 😉 Et je suis donc hélas fort éloigné du milieu académique.]
En tout cas, si vous êtes l’auteur de ce papier, vous pouvez en être fier, il est excellent! J’ai lu d’autres papiers du même auteur dans le site en question – notamment celui sur le coût de la réindustrialisation – et je l’ai trouvé tout aussi bon!
Dommage que cette brillante illustration de populisme pseudodémocratique ne se soit pas accompagnée d’un vigoureux Heil ! tant gestuel qu’oral… Cela aurait été encore tellement plus parlant, et encore plus ‘musqué’…
Franchement, jusqu’où votre Schadenfreude UEphobe ne vous poussera-t-elle pas ?
En tout cas, on sent qu’avec ‘Trump’, elle se sera trouvé un vigoureux ‘Atout’
@ Claustaire
[Dommage que cette brillante illustration de populisme pseudodémocratique ne se soit pas accompagnée d’un vigoureux Heil ! tant gestuel qu’oral… Cela aurait été encore tellement plus parlant, et encore plus ‘musqué’…]
Déjà au point Goodwin ?
Allons, soyons sérieux. Comme l’a montré P2R dans sa contribution, Vance a appuyé sur un certain nombre de points qui font mal, mais qui sont parfaitement valables rationnellement. Les évacuer d’un revers de manche en faisant l’amalgame avec un « populisme pseudodémocrtique » ou pire, avec le nazisme, ce n’est pas raisonnable.
Prenons un exemple, si vous le voulez bien. Vance dit « Écoutez ce que votre peuple vous dit, même si cela vous surprend, même si vous n’êtes pas d’accord. Ainsi, vous pourrez affronter l’avenir avec certitude et confiance, en sachant que la nation vous soutient. Et c’est là d’où la démocratie tire pour moi sa magie. (…) Croire en la démocratie, c’est comprendre que chacun de nos citoyens a de la sagesse et une voix. Et si nous refusons d’entendre cette voix, même nos combats les plus fructueux n’aboutiront pas à grand-chose. (…) Nous ne devrions pas craindre notre peuple, même quand il exprime des opinions différentes de celles de ses dirigeants. » A quel moment de cette tirade pensez-vous qu’il aurait dû dégainer son « Heil ! » et faire le geste qui va bien ?
Et plus fondamentalement, êtes-vous en désaccord avec Vance sur ce point ? Ne pensez-vous pas qu’il a raison lorsqu’il dit que les dirigeants européens ont peur des peuples ? Contesteriez-vous la tendance chaque fois plus nette de l’Union européenne à ignorer ou à contourner l’expression populaire ? Ne pensez-vous pas qu’une partie de nos problèmes viennent du fait qu’on n’écoute pas le peuple dès lors « qu’il exprime des opinions différentes de celles de ses dirigeants » ? Pensez au traité de Lisbonne, ou plus récemment à la réforme des retraites…
Prenons un deuxième exemple. Je cite Vance : « Vous pouvez penser que la Russie ne devrait pas acheter de publicités sur les réseaux sociaux pour influencer vos élections. Nous le pensons aussi. Vous pouvez même le condamner sur la scène internationale. Mais si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très forte. ». Là encore, à quel moment aurait-il du tendre le bras ?
Pensez-vous vraiment que si nos démocraties étaient fortes, que si le débat public était ouvert, que les décisions étaient prises démocratiquement et ensuite mises en œuvre en respectant le vote des électeurs quelques publicités changeraient la donne ? Vraiment ? Non, Vance appuie ici là où ça fait mal : c’est parce que nos concitoyens ont perdu toute confiance dans le processus démocratique à force de voir toujours les mêmes politiques quel que soit le résultat du vote, qu’ils sont sensibles aux discours « populistes ». Et le fait de qualifier le messager de « nazi » ne changera rien.
[Franchement, jusqu’où votre Schadenfreude UEphobe ne vous poussera-t-elle pas ?]
Jusqu’à pousser un « vigoureux Heil ! tant gestuel qu’oral », puisque tous ceux qui osent remettre en doute le crédo eurolâtre sont nécessairement des nazis en puissance…
Je n’ai aucune tendresse particulière pour Vance, dont je ne connais pas la vie et l’œuvre. Mais quand il crie « l’empereur est nu », je ne peux que m’en réjouir, et espérer que mes concitoyens profiteront de l’occasion pour ouvrir leurs yeux et constater que, effectivement, le roi exhibe ses bijoux de famille aux quatre vents, plutôt que de crier « non, il porte les plus beaux habits » au motif que c’est Vance qui l’a crié.
[En tout cas, on sent qu’avec ‘Trump’, elle se sera trouvé un vigoureux ‘Atout’]
On trouve ses alliés ou l’on peut. « Si Hitler envahissait l’enfer, j’aurais beaucoup de bien a dire de Satan à la Chambre des Communes ».
Pour qui, comme moi, ne suit que de loin les provocations d’un Trump (ivre de se savoir l’élu à la fois de Dieu et de la ‘vraie’ Amérique) et de son équipe (je pense notamment au brelan d’As, Trump, et ses vice-présidents Musk et Vance), j’ai surtout été sensible, fort superficiellement, je l’avoue, tant cela me révolte, à certains gestes et phrases, évoqués par l’actualité récente :
Le salut hitlérien qu’un Musk, en transe victorieuse, s’est arraché du fond du coeur avant de le brandir avec énergie et rage à la face d’un monde qu’il se sent visiblement sûr de pouvoir conquérir (d’où mon allusion au ‘Heil musqué’ ).
Le discours de Vance expliquant aux Européens que leur problème n’était pas l’agression impérialiste russe en Ukraine, ni l’égoïste renversement d’alliances annoncé par Trump, ni l’impérialisme hégémonique mis en oeuvre par la Chine, mais le risque que la liberté d’expression soit mise à mal dans nos ‘cancelées’ démocraties européennes, régimes dans lesquels pourtant nous souffrons visiblement davantage d’abus de contre-pouvoirs se développant tous azimuts que d’abus de Pouvoirs censés être exécutifs mais devenant de plus en plus putatifs par leur soumission à la fois aux diverses Lois du Marché et aux Droits de l’Homme (réduit à l’individualisme voire à l’ipséisme le plus égocentré).
Il se trouve qu’en France, depuis la Révolution, la liberté d’expression est à la fois totale et légitimement encadrée par la loi, laquelle, ces dernières décennies a estimé nécessaire d’interdire certains négationnismes (génocide antisémite nazi, génocide antikurde turc) ou l’expression de haines racistes (Loi Pleven 1972). Seul le populisme le plus démagogique peut se flatter de “dire tout haut” ce que le peuple (censément) pense tout bas. Se voir flatter de ses basses pensées, le beau programme !
En tout cas, je ne comprends pas qu’une démocratie permette que participent à une élection des gens annonçant d’avance qu’elle serait obligatoirement faussée s’ils ne la gagnaient pas. Je ne souhaite en tout cas pas recevoir des leçons de démocratie de la part de telles personnes. Je ne jouerai jamais aux cartes avec quelqu’un qui me dirait d’avance que les ‘atouts’ (la traduction de ‘trump’) seront obligatoirement dans sa main, faute de quoi la table de jeu serait renversée.
Bref, je me suis juste permis de m’étonner de voir ce que j’appelle votre UEphobie vous faire trouver sympathiques des gens que notre plus élémentaire réalisme devrait nous faire trouver fort inquiétants.
Cela ne m’empêche pas de lire avec intérêt les échanges variés permis par votre blog.
@ Claustaire
[Le discours de Vance expliquant aux Européens que leur problème n’était pas l’agression impérialiste russe en Ukraine, ni l’égoïste renversement d’alliances annoncé par Trump, ni l’impérialisme hégémonique mis en oeuvre par la Chine, mais le risque que la liberté d’expression soit mise à mal dans nos ‘cancelées’ démocraties européennes,]
Ce n’est pas tout à fait ce qu’a dit Vance. Avant de réagir, il est important de revenir aux textes. Voici ce que dit Vance : « la menace qui me préoccupe le plus vis-à-vis de l’Europe n’est pas la Russie, ce n’est pas la Chine, ce n’est aucun autre acteur extérieur. Ce qui me préoccupe, c’est la menace qui vient de l’intérieur, l’abandon par l’Europe de ses valeurs les plus fondamentales (…) »
Et quelles sont ces « valeurs » ? Vance ne cite pas en premier la liberté d’expression, mais plutôt le respect du verdict des urnes, en donnant l’exemple de l’annulation de l’élection présidentielle en Roumanie. Voici ce qu’il dit :
« J’ai été frappé d’entendre un ancien commissaire européen à la télévision qui paraissait heureux que le gouvernement roumain ait annulé l’élection. Il a prevenu que si les choses ne se déroulent pas comme prévu, la même chose pourrait arriver en Allemagne. Ces déclarations cavalières sont choquantes pour les oreilles américaines. Pendant des années, nous avons entendu que tout ce que nous finançons et supportons se fait au nom des valeurs démocratiques partagées. Tout, depuis la politique envers l’Ukraine jusqu’à la censure digitale se fait au prétexte de la défense de la démocratie. Mais lorsqu’on voit des tribunaux annulant des élections et des dirigeants de premier niveau menaçant d’en annuler d’autres, nous devons nous interroger si nous appliquons vraiment nos principes (…). Nous devons faire plus que parler des valeurs démocratiques, nous devons les vivre ».
Ce n’est qu’ensuite qu’il parle de la liberté d’expression, et voici sa conclusion :
« En décembre, la Roumanie a annulé carrément les résultats de l’élection présidentielle en se basant sur les suspicions d’une agence d’intelligence et cédant à la pression de ses voisins continentaux. Maintenant, si je comprends bien, l’argument était que la désinformation russe avait infecté les élections roumaines, mais je demande à mes amis européens de regarder la chose en perspective. Vous pouvez penser qu’il n’est pas bon que la Russie puisse acheter de la publicité dans les réseaux sociaux pour influencer les élections. C’est certainement notre cas. Vous pouvez même le condamner sur la scène internationale. Mais si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité digitale venant d’un pays étranger, c’est qu’elle n’était pas très forte pour commencer. »
Vance n’a pas tort de signaler que le principal danger ne vient pas tant des facteurs extérieurs comme de l’affaiblissement des pays européens à l’intérieur. Une Europe avec une économie solide, une démocratie vraiment fonctionnelle, une industrie puissante, n’aurait pas grande chose à craindre d’une Russie trois fois moins peuplée et dont le PIB n’atteint pas le cinquième du sien.
[En tout cas, je ne comprends pas qu’une démocratie permette que participent à une élection des gens annonçant d’avance qu’elle serait obligatoirement faussée s’ils ne la gagnaient pas.]
Mais quid de ceux qui ne l’annoncent pas, mais agissent comme si c’était le cas ? Pensez par exemple à ceux qui ont soutenu que si le peuple français a rejeté par référendum le TCE, c’est qu’il avait été « trompé » et que par conséquent il n’y avait pas de faute morale à passer les mêmes dispositions par la voie législative ? Ou bien ces militants « Remain » qui affirmaient que le référendum sur le Brexit avait été « faussé » et qu’il fallait revoter ? Et plus près de nous, que pensez-vous d’un gouvernement qui prétend maintenir une réforme des retraites alors qu’une nette majorité s’est exprimé contre elle dans les urnes ? Je regrette, mais la remise en cause des résultats sortis des urnes devient une pratique de plus en plus courante… et pas seulement par les populistes.
[Je ne souhaite en tout cas pas recevoir des leçons de démocratie de la part de telles personnes.]
Il n’y a que la vérité qui blesse…
[Bref, je me suis juste permis de m’étonner de voir ce que j’appelle votre UEphobie vous faire trouver sympathiques des gens que notre plus élémentaire réalisme devrait nous faire trouver fort inquiétants.]
Mais je suis inquiet ! Mais contrairement à vous, je regarde la lune, et non le doigt. Ce qui m’inquiète, ce n’est pas celui qui crie que l’empereur est nu, mais que l’empereur se balade à poil. Je n’ai aucune amitié particulièrement pour Vance, mais bien des critiques qu’il a mis dans sa diatribe sont parfaitement justifiées – et c’est peut-être pour cela que les réactions à son discours ont été aussi violentes. Ce qui m’inquiète encore plus, c’est qu’il faut aujourd’hui un Vance pour dire ce genre de vérités, et que sans lui la conférence de Munich se serait contentée des poncifs habituels.
@ Claustaire
En tout cas, on sent qu’avec ‘Trump’, elle se sera trouvé un vigoureux ‘Atout’
Je pense que vous passez à coté d’un fait important, que est que Vance, Trump, Musk ne sont pas alignés idéologiquement. Ces personnages sont des alliés de circonstance pour parvenir à la victoire.
Trump fait la politique des pieds dans le plat sans pour autant faire rien de bien différent de Biden, et c’est très important d’en être conscient. Il le fait juste un peu plus vite et beaucoup plus bruyamment. Alors, oui, c’est un peu amusant à regarder, je l’avoue. Et surtout ça nous force à réagir, alors que la méthode Biden, par sa lethargie, était beaucoup plus sournoise et pernicieuse.
Musk est un olibrius, probablement le plus azimuté des trois, mais qui, je vous en fiche mon billet, rentrera à la niche dès que la fin de la récré sera sifflée. On en a déjà un peu discuté ici, mais Musk est pieds et point lié par la politique publique des Etats Unis. Le jour où l’administration Trump veut lui faire fermer son clapet, il lui suffit de menacer de taxer les importations de Teslas made in China ou de couper des crédits à SpaceX.
Quant à Vance, dont il est question ici, ce n’est ni un libertarien, ni un suprémaciste. C’est quelqu’un de cultivé, qui est authentiquement sorti des classes populaires pour mener une carrière brillante, et qui selon moi est un authentique Républicain, en ce qu’il a une vision de la société qui dépasse celle d’un agrégat d’individus. A aucun moment de son discours il ne menace l’Europe de la puissance des USA. Non, ce qu’il dit, en somme, c’est “soyons clairs sur ce que nous avons en commun, et ce qui nous sépare, ainsi nous pourrons avancer”. Il ne dit pas aux Européens que les USA viendront rétablir l’ordre juste par la force, il dit simplement que si les Européens souhaitent continuer dans la vision moralisatrice-mondialiste-woke, elle devra le faire seule, parce que les USA ont tourné cette page. Rien de tout ceci ne devrait nous surprendre, en réalité. Là peut-être où ça pique un peu, c’est quand il aborde le sujet de l’ingérence dans les élections… Mais sérieusement, réflechissez dux secondes.. L’Union Européenne toute entière à une ou deux exceptions près, n’a-t’elle pas fait, par le biais de ses responsables politiques, par ses médias, et même par ses institutions une ingérence massive dans la politique américaine en soutenant les Démocrates ? Comment s’émouvoir de la réponse du berger à la bergère ?
@ P2R
[Trump fait la politique des pieds dans le plat sans pour autant faire rien de bien différent de Biden, et c’est très important d’en être conscient. Il le fait juste un peu plus vite et beaucoup plus bruyamment. Alors, oui, c’est un peu amusant à regarder, je l’avoue. Et surtout ça nous force à réagir, alors que la méthode Biden, par sa lethargie, était beaucoup plus sournoise et pernicieuse.]
Jusqu’à un certain point. Même si au fond l’objectif est le même – la défense des intérêts des Etats-Unis – la logique est un peu différente. Les démocrates ont une certaine tendance à vouloir gouverner le monde dans leur intérêt, alors que les Républicains se contentent de le piller.
[Quant à Vance, dont il est question ici, ce n’est ni un libertarien, ni un suprémaciste. C’est quelqu’un de cultivé, qui est authentiquement sorti des classes populaires pour mener une carrière brillante, et qui selon moi est un authentique Républicain, en ce qu’il a une vision de la société qui dépasse celle d’un agrégat d’individus. A aucun moment de son discours il ne menace l’Europe de la puissance des USA.]
C’est cela le paradoxe. Pour la première fois depuis 1945, les USA ne nous menacent pas de leur tutelle, mais au contraire, de leur abandon. Jusqu’ici, ils nous traitaient comme des enfants, et maintenant ils nous disent « bon, maintenant t’est assez grand, t’as ton appartement, alors tu vas devoir régler tes factures, tu vas devoir t’entendre avec tes voisins, et tu vas devoir payer pour tes conneries. Et si t’as envie de revenir pour faire ton linge, tu payeras l’électricité ». En fait, nos dirigeants se sont tellement habitués à être traités en enfants, qu’ils sont surpris quand on les traite en adultes…
[Là peut-être où ça pique un peu, c’est quand il aborde le sujet de l’ingérence dans les élections… Mais sérieusement, réflechissez dux secondes.. L’Union Européenne toute entière à une ou deux exceptions près, n’a-t’elle pas fait, par le biais de ses responsables politiques, par ses médias, et même par ses institutions une ingérence massive dans la politique américaine en soutenant les Démocrates ? Comment s’émouvoir de la réponse du berger à la bergère ?]
Franchement, toutes ces histoires « d’ingérence dans les élections », ça me fait bien rigoler. Depuis 1945, « le monde libre » a pratiqué massivement l’ingérence non seulement dans les élections mais dans le gouvernement des autres. Je ne reviens pas sur la ribambelle de coups d’Etat organisés par les Américains en Amérique Latine ou en Asie chaque fois qu’un gouvernement vaguement anti-impérialiste se profilait à l’horizon, coups d’Etat qui ont été toujours reconnus par les « démocraties européennes ». Plus récemment, Bruxelles ne s’est pas gêné pour soutenir le coup d’Etat dit « euromaïdan » en Ukraine, pour expliquer aux britanniques comment ils devaient voter lors du référendum sur le Brexit, ou, comme vous le dites, pour soutenir les démocrates aux Etats-Unis.
@ P2R
[L’Union Européenne toute entière à une ou deux exceptions près, n’a-t’elle pas fait, par le biais de ses responsables politiques, par ses médias, et même par ses institutions une ingérence massive dans la politique américaine en soutenant les Démocrates ? Comment s’émouvoir de la réponse du berger à la bergère ?]
Tout à fait.
Sans oublier, par exemple, la tournée d’Obama en Angleterre pour expliquer aux Anglais à quel point voter pour le Brexit était une erreur. Apparemment, pour nos “élites” européennes, il y a les “bonnes” et les “mauvais” ingérences…
@ Descartes
[« bon, maintenant t’est assez grand, t’as ton appartement, alors tu vas devoir régler tes factures, tu vas devoir t’entendre avec tes voisins, et tu vas devoir payer pour tes conneries.]
La “brouille” avec nos voisins russes, ce sont quand même les ricains qui en sont en grande partie les instigateurs. Ils ont beau jeu de venir nous dire de payer la facture à présent… Et nous, nous sommes bien bêtes d’avoir foncé tête baisse pour défendre les “valeurs”.
@ Bob
[La “brouille” avec nos voisins russes, ce sont quand même les ricains qui en sont en grande partie les instigateurs. Ils ont beau jeu de venir nous dire de payer la facture à présent…]
Oui, enfin… pas tout à fait. Oui, les ricains ont joué leur rôle. Mais nous avons aussi suivi de façon acritique les tropismes de pays comme la Pologne, la Lettonie, l’Estonie ou la Lituanie, pour qui la Russie constitue une obsession qu’on peut raisonnablement qualifier de maladive. Dans les trente années qui ont suivi la chute du Mur, alors que le système UE/OTAN s’étendait toujours plus près des frontières russes, la Russie n’a menacé aucun de ses voisins. Elle a posé des lignes rouges concernant l’adhésion de l’Ukraine au système UE/OTAN, et si ces lignes rouges avaient été respectées on n’aurait probablement pas eu de guerre. Et pourtant on entend encore répéter sur tous les tons que « la Russie est une menace existentielle pour l’UE » (la phrase figure dans un article publié aujourd’hui dans « Le Monde ») sans qu’aucun élément factuel ne soit proposé à l’appui de cette thèse…
[Et nous, nous sommes bien bêtes d’avoir foncé tête baisse pour défendre les “valeurs”.]
Quelles « valeurs » ? Personne n’a jamais défendu des « valeurs » dans cette histoire. Si vous pensez à des « valeurs » comme la souveraineté des états ou l’intangibilité des frontières, il faut se souvenir qu’en 1999 la même coalition qui aujourd’hui soutient l’Ukraine avait bombardé Belgrade pour forcer la Serbie à accepter la sécession de l’une de ses provinces historiques, le Kossovo. A l’époque, la souveraineté des Etats et l’intangibilité des frontières avait été discrètement mise de côté.
Nous sommes allés à la guerre parce que les Américains la voulaient – une opportunité d’affaiblir à la fois l’Allemagne et la Russie, faut pas cracher dessus – et parce que certains pays d’Europe orientale y voyaient une opportunité de continuer leur guerre permanente contre la Russie.
@ Descartes
J’ai été peu clair, quand je disais que nous sommes allés défendre l’Ukraine pour nos “valeurs”. Je pensais exactement à ce que vous citez issu du Monde quand il écrit que « la Russie est une menace existentielle pour l’UE ». Je voulais dire, de manière ironique, qu’on a voulu faire croire aux bons peuples européens qu’il en allait de leur liberté, voire de leur survie, que nous étions “les prochains sur la liste” de l’ogre russe.
Votre référence au “voisin” est très juste. On a tendance à oublier que la Russie est le voisin de l’Europe, quand les États-Unis sont de l’autre côté de l’océan atlantique. La géographie est ce qu’elle est, rien n’y changera. On a toujours intérêt à avoir de bonnes relations avec ses voisins.
@ Bob
[Je pensais exactement à ce que vous citez issu du Monde quand il écrit que « la Russie est une menace existentielle pour l’UE ». Je voulais dire, de manière ironique, qu’on a voulu faire croire aux bons peuples européens qu’il en allait de leur liberté, voire de leur survie, que nous étions “les prochains sur la liste” de l’ogre russe.]
Et ce discours continue à faire des dégâts. Bruxelles parle maintenant de dépenser collectivement des dizaines, peut-être des centaines de milliards d’euros pour se “défendre” d’un pays qui a le PIB de l’Allemagne, qui est trois fois moins peuplé que l’UE. Et personne ne semble s’interroger sur la disproportion entre les termes… à moins que cette inquiétude tienne en fait aux doutes que chaque pays de l’UE (et tout particulièrement les plus proches de la Russie) quant à la solidarité qu’ils peuvent attendre des autres membres de l’Union. Comme le disait un commentateur dont j’ai oublié le nom, on découvre aujourd’hui que l’UE n’est qu’un club de commerçants. Exactement ce que les reprouvés eurosceptiques ont toujours dit…
[Votre référence au “voisin” est très juste. On a tendance à oublier que la Russie est le voisin de l’Europe, quand les États-Unis sont de l’autre côté de l’océan atlantique. La géographie est ce qu’elle est, rien n’y changera. On a toujours intérêt à avoir de bonnes relations avec ses voisins.]
D’autant plus que nos intérêts ne s’opposent pas, et dans beaucoup de cas sont complémentaires.
@ Descartes
[Bruxelles parle maintenant de dépenser collectivement des dizaines, peut-être des centaines de milliards d’euros pour se “défendre” d’un pays qui a le PIB de l’Allemagne]
Et ce à une période où les caisses des États européens sont vides…
Scholz a déclaré hier au sortir du conclave improvisé que ce n’était pas le moment de la paix, qu’on était “au milieu d’une guerre brutale”; Macron, dans une veine orwellienne remarquable, qu’il “fallait la paix par la force” (donc… la guerre).
Quand Trump, en maître boutiquier, s’apprête à négocier la paix, nos petits commerçants deviennent plus belliqueux que jamais et s’enhardissent jusqu’à proposer l’envoi de troupes (Angleterre, Suède) pour prolonger cette guerre (qui n’est pas la nôtre). Je ne dirais pas comme les ennemis de la réflexion qui accusent leur adversaire de folie qu’ils ont perdu la raison, je dirais que je ne comprends pas leur logique. Qu’est-ce que l’UE à à gagner en prolongeant l’affrontement (militaire et économique) avec la Russie ?
@ Bob
[« Bruxelles parle maintenant de dépenser collectivement des dizaines, peut-être des centaines de milliards d’euros pour se “défendre” d’un pays qui a le PIB de l’Allemagne » Et ce à une période où les caisses des États européens sont vides…]
Ne me dites pas que vous aussi vous vous laissez emporter par le discours « les caisses sont vides »… Les caisses sont vides parce qu’on a choisi de les vider. L’Europe s’est fixé comme objectif d’appauvrir les Etats et d’enrichir les particuliers. C’est pourquoi le déficit de l’Etat devient une obsession, alors qu’on continue à financer un niveau de consommation toujours croissante. Mais si les priorités des couches dominantes changent, vous verrez l’argent apparaître comme par miracle.
Prenez par exemple la proposition de la Commission de financer le réarmement par un « emprunt européen », ou bien de ne pas comptabiliser les dépenses militaires des limites maastrichiennes du déficit et de l’endettement. Quand il s’agit des services publics ou des infrastructures, la dette et le déficit c’est mal. Mais quand c’est pour suivre les lubies de la Commission… et c’est là d’ailleurs qu’on trouve l’explication à cette passion subite pour les dépenses de défense : les eurolâtres ont bien compris que le fait d’avoir un ennemi commun est un excellent argument pour transférer encore plus de pouvoirs – et notamment des pouvoirs régaliens – à Bruxelles. Financer la Défense par un « emprunt européen », c’est donner à la Commission le contrôle sur le choix des équipements, et donc in fine sur la stratégie de défense.
[Scholz a déclaré hier au sortir du conclave improvisé que ce n’était pas le moment de la paix, qu’on était “au milieu d’une guerre brutale”; Macron, dans une veine orwellienne remarquable, qu’il “fallait la paix par la force” (donc… la guerre).]
Exagérer la puissance de l’ennemi est une vieille technique politique pour stimuler le réflexe de forteresse assiégée chez les électeurs… souvenez-vous de Tony Blair expliquant que Saddam Hussein disposait d’armes capables de menacer l’existence même de l’humanité.
[Quand Trump, en maître boutiquier, s’apprête à négocier la paix, nos petits commerçants deviennent plus belliqueux que jamais et s’enhardissent jusqu’à proposer l’envoi de troupes (Angleterre, Suède) pour prolonger cette guerre (qui n’est pas la nôtre). Je ne dirais pas comme les ennemis de la réflexion qui accusent leur adversaire de folie qu’ils ont perdu la raison, je dirais que je ne comprends pas leur logique. Qu’est-ce que l’UE à à gagner en prolongeant l’affrontement (militaire et économique) avec la Russie ?]
Trump a exprimé très brutalement une vérité très désagréable : l’Europe est devenue une quantité négligeable. A force de diluer ses états membres dans un système de décision qui rappelle les diètes polonaises, elle est sortie de l’histoire. Elle ne représente qu’un tas d’or, mais pas de volonté. L’ordre du monde – dont la guéguérre d’Ukraine n’est qu’un élément, et pas le plus important pour les Américains – se discute entre grandes personnes. Personnes qui ne sont pas « grandes » parce qu’elles sont riches – rappelons que le PIB de la Russie est au niveau de celui de l’Allemagne – mais parce qu’elles sont capables de définir une ligne politique et s’y tenir, parce qu’elles gardent une vision globale de leur place dans le monde.
Nos roquets se mettent à aboyer, et leurs aboiements sont d’autant plus belliqueux que leur crainte qu’on les ignore ou qu’on les oublie est plus grande. C’est une manière de crier « nous sommes encore là, nous existons ». Je ne pense pas que cela trompe grand monde.
@ Bob & Descartes
[Qu’est-ce que l’UE à à gagner en prolongeant l’affrontement (militaire et économique) avec la Russie ?]
Contrairement à vous, je pense bel et bien que la Russie menace l’UE, j’ai bien dit l’UE, en tant qu’institution, pas l’Europe en tant que géographie ou en tant que population. Si la Russie gagne en Ukraine, la crédibilité de l’UE en prendra un sacré coup, et les fractures horizontales qui traversent nos sociétés entre tenants de l’idéologie “sociétale-progressiste” pro-UE et tenant d’un conservatisme/traditionalisme dont le tropisme est nettement plus national, et donc proche du logiciel Russe, ces fractures risquent fort de s’ouvrir.
Je l’ai déjà dit sur ce blog, mais je suis convaincu que nos “élites” mènent une guerre existentielle en Ukraine, bien plus qu’on ne le croit, et de surcroît avec l’arrivée de Trump au pouvoir. Le discours de Vance à ce sujet est parfaitement révélateur.
@ P2R
[Contrairement à vous, je pense bel et bien que la Russie menace l’UE, j’ai bien dit l’UE, en tant qu’institution, pas l’Europe en tant que géographie ou en tant que population. Si la Russie gagne en Ukraine, la crédibilité de l’UE en prendra un sacré coup, et les fractures horizontales qui traversent nos sociétés entre tenants de l’idéologie “sociétale-progressiste” pro-UE et tenant d’un conservatisme/traditionalisme dont le tropisme est nettement plus national, et donc proche du logiciel Russe, ces fractures risquent fort de s’ouvrir.]
C’est une interprétation intéressante. Je constat que vous voyez la confrontation en Ukraine comme un affrontement par Ukraine interposé entre les « sociétaux-progressistes » et les « nationaux-conservateurs ». La défaite des ukrainiens serait donc une défaite des premiers et une victoire des seconds. Je vous accorde que la configuration des deux camps recouvre assez largement cette division, et que le changement de pied entre l’administration Biden et celle de Trump accrédite votre thèse. Mais elle ne me convainc pas tout à fait. Je me demande s’il ne s’agit pas d’une coïncidence.
Mais je pense que vous avez raison sur un point : l’Union européenne a forcé une sorte d’unité et fait taire les voix dissidentes au nom de valeurs sacrés et incontestables – intangibilité des frontières, souveraineté des nations, etc. – incarnées dans l’Ukraine. Le retour de la Realpolitik mettrait en grande difficulté ce récit.
@ Descartes
[Il est vrai que les rares personnalités qui ont essayé de tenir un discours de bon sens sont rarement invitées à y prendre la parole…]
C’est aussi une des raisons qui expliquent la défiance du peuple vis-à-vis de notre “élite” politico-médiatique. On sent bien que tout est corseté, que les opinions “dissidentes” ne sont pas les bienvenues, qu’elles n’ont même pas droit de cité dans les médias “mainstream”. Je crois que in fine – comme le dit Vance en filigrane – cela affaiblit la démocratie.
Je partage “le sentiment de jouissance” de P2R à ce discours de Vance, au simple fait que les dirigeants des pays européens ont été obligés de l’écouter. Depuis le temps que le peuple se farcit leurs fadaises…
Toute la bien-pensance européenne exècre Trump, celui-ci le lui rend bien.
Scholz refuse d’accepter l’évidence que sont les propos de Vance, cela montre au fond son attitude profondément anti-démocratique. Le fait que c’est Trump qui leur fasse la leçon à ce sujet, c’est délicieux.
@ Bob
[« Il est vrai que les rares personnalités qui ont essayé de tenir un discours de bon sens sont rarement invitées à y prendre la parole… » C’est aussi une des raisons qui expliquent la défiance du peuple vis-à-vis de notre “élite” politico-médiatique. On sent bien que tout est corseté, que les opinions “dissidentes” ne sont pas les bienvenues, qu’elles n’ont même pas droit de cité dans les médias “mainstream”. Je crois que in fine – comme le dit Vance en filigrane – cela affaiblit la démocratie.]
Le « corsetage » des opinions et des débats, c’est la conséquence d’un affaiblissement de la démocratie, et non la cause. J’avais essayé de proposer une analyse dans mon papier. Pour moi, le processus démocratique fonctionne aussi longtemps que les rapports de force structurels – c’est-à-dire, ceux liés aux rapports économiques – ne sont pas trop décalés par rapport aux rapports de force électoraux. Autrement dit, le processus démocratique fonctionne aussi longtemps qu’aucun groupe ne sent qu’il pourrait obtenir beaucoup mieux en renversant la table. Or, il est clair que de ce point de vue l’équilibre qui a permis un fonctionnement démocratique jusqu’aux années 1980 s’est progressivement brisé. Aujourd’hui, les rapports de force structurels sont massivement défavorables aux couches populaires, mais le bloc dominant a de plus en plus de mal à traduire sa supériorité dans les urnes. D’où des épisodes de plus en plus nombreux où le bloc dominant à « renversé la table », soit en contournant le processus démocratique, comme ce fut le cas avec la ratification du traité de Lisbonne, et plus récemment avec l’utilisation par le macronisme de toutes les ruses constitutionnelles pour ignorer le verdict des urnes ; soit en l’interrompant, comme on l’a fait en Ukraine avec le renversement de Ianoukovitch, ou en Roumanie avec l’annulation d’une opération électorale au motif de vagues « suspicions ».
Ce « corsetage » est d’autant plus fort que nos élites prennent progressivement conscience de la fragilité de leur position. C’est cette fragilité qui fait qu’on ne peut se permettre de laisser se développer le moindre discours dissident. Quand le roi est véritablement nu… Vance a raison de signaler que si les institutions craignent l’effet de quelques centaines de milliers de dollars de publicité dans les réseaux sociaux, c’est qu’elles ont une véritable fragilité. Mais il a tort lorsqu’il utilise cet argument a contrario. Vance parle comme si les dirigeants européens avaient tort de craindre l’effondrement du système, alors qu’ils ont parfaitement raison de le faire.
[Je partage “le sentiment de jouissance” de P2R à ce discours de Vance, au simple fait que les dirigeants des pays européens ont été obligés de l’écouter. Depuis le temps que le peuple se farcit leurs fadaises…]
Ca a du leur faire drôle, eux qui ont l’habitude de donner des leçons au monde entier, qui se réservent le droit de dire ce qui est bien et ce qui est mal, de se voir dans le miroir…
[Scholz refuse d’accepter l’évidence que sont les propos de Vance, cela montre au fond son attitude profondément anti-démocratique. Le fait que c’est Trump qui leur fasse la leçon à ce sujet, c’est délicieux.]
Je n’irai pas jusque-là. Le raisonnement « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » a certaines limites, et Trump ne représente pas à mon sens la voie que j’aimerais voir triompher dans mon pays. Je dois dire qu’à côté de la Schadenfreude parfaitement légitime, j’éprouve une grande tristesse à penser que nous avons aujourd’hui besoin d’un Trump pour que la réalité nous apparaisse…
@ Descartes
[ Vance parle comme si les dirigeants européens avaient tort de craindre l’effondrement du système, alors qu’ils ont parfaitement raison de le faire.]
ça dépend pour qui. Pour leur avenir personnel, ils ont en effet raison de le craindre ; pour la revigoration de la démocratie en Europe, ils ont tort : celle-ci a tout à y gagner.
[Le raisonnement « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » a certaines limites, et Trump ne représente pas à mon sens la voie que j’aimerais voir triompher dans mon pays.]
Moi non plus. Cela dit, le fait que c’est celui que nos “élites” si “parfaites” du cercle de la raison, qui sont toujours les premiers de cordées à vanter les “bonnes valeurs”, voient comme un rustre qui vienne faire la leçon sur la démocratie, dans leur cour en plus, cela a quelque chose de délectable.
Les éternels donneurs de leçon tancés par un Yankee, je ne peux qu’apprécier cet épisode. Des années de prétendue supériorité morale qui sont moquées frontalement et sans détours, ça fait du bien.
Évidemment, c’est un petit plaisir, mais je vois ce message de Vance comme une mini revanche, par procuration, de tous ceux qui n’en peuvent plus de ne pouvoir que subir la “bonne parole”.
[j’éprouve une grande tristesse à penser que nous avons aujourd’hui besoin d’un Trump pour que la réalité nous apparaisse…]
Oui, également, mais je vois ça comme un moindre mal.
@ Bob
[« Vance parle comme si les dirigeants européens avaient tort de craindre l’effondrement du système, alors qu’ils ont parfaitement raison de le faire. » ça dépend pour qui. Pour leur avenir personnel, ils ont en effet raison de le craindre ; pour la revigoration de la démocratie en Europe, ils ont tort : celle-ci a tout à y gagner.]
Je ne sais pas. C’est peut-être une question d’âge, mais je suis devenu très prudent à l’heure de casser des choses que je ne suis pas sûr de pouvoir réparer. Je pense comme vous qu’à long terme poser clairement les problèmes sur la table ne peut qu’avoir un effet bénéfique. Mais dans le court terme, cela peut provoquer beaucoup de sang, de sueur et de larmes. Il faut faire attention à ce qu’on fait…
@ P2R
[Hors-sujet, je ne sais pas si vous avez vu/lu le discours de JD Vance à Munich ?]
Oui, et je l’ai trouvé remarquable de cohérence.
[Bien que le fait que le propos vienne des américains ne manque pas de sel, j’ai un certain sentiment de jouissance à voir nos chères élites et surtout la commission européenne se faire mettre les points sur les “i” de manière aussi frontale sur ses dérives anti-démocratiques.]
Plus que cela, je pense que le discours de Vance attaque de front cette espèce de « bonne conscience » qui domine depuis vingt ou trente années le discours européen. Les élites européennes sont tellement persuadées d’être dans le vrai, qu’elles peuvent tout se permettre : contourner le résultat d’un référendum, annuler une élection, financer et soutenir un coup d’Etat, bombarder un pays pour le forcer à céder une de ses provinces, laisser l’un des ses alliés commettre des crimes de guerre…
Le discours de Trump – et celui de Vance qui en est une variation – est en fait un coup mortel porté à cette « bonne conscience ». Que nous dit ce discours en filigrane ? Que celui qui a la force a tous les droits, y compris celui de donner des leçons. Que les européens ne sont finalement pas meilleurs que les autres…
[“Je suis sûr que vous êtes tous venus dans cette conférence sur la sécurité pour parler des moyens d’accroître vos dépenses de défense dans les années à venir pour atteindre un nouvel objectif.(…) Permettez-moi aussi de vous poser la question : comment allez-vous pouvoir réfléchir à ces questions budgétaires si nous ne savons même pas ce que nous défendons en premier lieu ? J’ai beaucoup entendu parler, dans mes nombreuses et excellentes discussions avec les personnes réunies dans cette salle, de ce contre quoi vous devez vous défendre, et c’est évidemment important. Mais ce qui me paraît moins clair, et je pense que c’est aussi l’avis de nombreux citoyens en Europe, c’est la nature exacte de ce que vous défendez. Quelle est la vision positive qui anime ce pacte de sécurité, auquel nous accordons tous une si grande importance ?”]
On aurait aimé entendre un tel texte dans la bouche d’un président français…
[“Vous pouvez penser que la Russie ne devrait pas acheter de publicités sur les réseaux sociaux pour influencer vos élections. Nous le pensons aussi. Vous pouvez même le condamner sur la scène internationale. Mais si votre démocratie peut être détruite avec quelques centaines de milliers de dollars de publicité numérique d’un pays étranger, alors c’est qu’elle n’était pas très forte.” Ce qui est fascinant, ce n’est pas tant que Vance exprime son aversion pour l’idéologie “progressiste” européenne, c’est qu’il “nous” la balance en pleine face de manière aussi peu diplomatique.]
Mais pourquoi dites-vous que Vance « exprime son aversion pour l’idéologie progressiste européenne » ? Dans les paragraphes que vous citez, il n’y a pas de critique envers « l’idéologie progressiste » du tout. Ces deux paragraphes ne sont que des constatations de bon sens sur les contradictions du discours européen. Ce qui et notable, c’est que nous, européens, acceptions depuis des années des discours aussi contradictoires sans que personne ou presque ne tire les mêmes conclusions que JD Vance.
Ce que le « progressiste » que je suis regrette amèrement, c’est qu’il faille attendre qu’un libertarien, qui plus est américain, vienne nous dire ces quelques vérités à une tribune officielle. Il est vrai que les rares personnalités qui ont essayé de tenir un discours de bon sens sont rarement invitées à y prendre la parole…
[Outre les quelques formules convenues sur l’amitié transatlantique, c’est un discours qui classe carrément l’Union européenne dans le camp des adversaires idéologiques. Le choc a dû être violent pour nos europhiles américano-soumis. A moins que des décennies d’endoctrinement ne leur aient ôté jusqu’à la possibilité d’entendre un tel discours, fût-il prononcé aussi frontalement que le fût celui-ci.]
Je le crains, en effet. En tout cas, les premières réactions – je pense à celle d’Olaf Scholz – ne montrent la moindre remise en question.
[“Écoutez ce que votre peuple vous dit, même si cela vous surprend, même si vous n’êtes pas d’accord. Ainsi, vous pourrez affronter l’avenir avec certitude et confiance, en sachant que la nation vous soutient. Et c’est là d’où la démocratie tire pour moi sa magie. Pas dans ces édifices de pierre ou dans ces magnifiques hôtels. Pas même dans les grandes institutions que nous avons bâties ensemble en tant que société.
Croire en la démocratie, c’est comprendre que chacun de nos citoyens a de la sagesse et une voix. Et si nous refusons d’entendre cette voix, même nos combats les plus fructueux n’aboutiront pas à grand-chose. (…) Nous ne devrions pas craindre notre peuple, même quand il exprime des opinions différentes de celles de ses dirigeants.”]
On croirait entendre le Marchais des années 1970, ou le Chevènement de la fin des années 1980… ironie de l’histoire !
Le défaut de votre raisonnement est que vous faites comme si la loi ou la Constitution n’étaient pas « politiques », comme si le Gouvernement était seul chargé de l’intérêt général. Je me rends compte que je n’ai pas été assez clair, je reprends.
Il est certes dangereux de permettre au quidam de violer la loi en invoquant l’intérêt général. Il est cependant au moins aussi dangereux de permettre aux dirigeants politiques et aux fonctionnaires de le faire, et d’autant plus qu’il serait facile pour eux d’invoquer l’intérêt public à chaque illégalisme si cela permet de passer devant une cour composée de parlementaires majoritairement de votre bord plutôt que de magistrats.
Vous dites que le pouvoir politique peut, « dans certaines conditions et toujours sous le contrôle du souverain », s’autoriser à mettre sa conception de l’intérêt général au-dessus de la loi. Sauf que la loi est l’expression de la volonté générale, ce qui signifie que la loi ne peut qu’être conforme à l’intérêt général, et donc que tout acte illégal est de ce fait contraire à l’intérêt général.
Dans ces conditions, quiconque considère justifié de violer une règle ayant valeur de loi – et de ce point de vue le statut de quidam ou de chef de gouvernement ne change rien – ne peut le faire qu’au nom d’une légalité supérieure. Il s’agit moins de faire valoir qu’il était justifier de violer la loi au nom de l’intérêt général que de réclamer le plein respect des droits et des libertés garantis par d’autres lois, par la Constitution ou encore par la CEDH. Le président de la République qui a ordonné une exécution extra-judiciaire, tout comme le militant anti-IVG qui a assassiné un médecin, ne peuvent jamais dire qu’ils ont violé la loi au nom de l’intérêt général, mais ils peuvent tenter de faire valoir que leur action a contribué à faire respecter le droit à la vie garanti par l’article 2 de la CEDH, ou qu’ils se trouvaient dans le cadre de l’article 122-7 du code pénal selon lequel « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. » La question qui se pose était donc bien « l’acte était-il légal ? », car si vous ne disposez d’aucun fondement juridique un minimum sérieux pour justifier votre acte, alors c’est que cet acte ne pouvait être en aucun cas conforme à l’intérêt général. Sur cette base, c’est bien à un juge qu’il revient de répondre à la question.
Néanmoins, au vu de la forte charge politique de jugements de cette sorte, et comme discuté plus haut, un tribunal spécial placé autant que possible sous le contrôle du peuple souverain devrait s’imposer en démocratie. Ainsi, on retrouve votre idée que le pouvoir politique doit pouvoir s’affranchir de certaines règles dans certaines circonstances, car ces circonstances peuvent conduire à reconsidérer ce qui est légal ou non. Il n’en reste pas moins que la légalité doit toujours être respectée, sous le contrôle du juge lui-même contrôlé par le souverain.
@ Spinoza
[Le défaut de votre raisonnement est que vous faites comme si la loi ou la Constitution n’étaient pas « politiques », comme si le Gouvernement était seul chargé de l’intérêt général. Je me rends compte que je n’ai pas été assez clair, je reprends.]
Mais le gouvernement est le seul CHARGE de l’intérêt général. Vous et moi, nous pouvons avoir nos idées – probablement différentes d’ailleurs – de ce qu’est l’intérêt général. Mais nous n’avons aucun mandat pour mettre en œuvre notre conception de la chose. La représentation nationale a, elle, un mandat collectif et elle exprime donc la « volonté générale » à travers de la loi. Mais c’est bien le gouvernement qui a le mandat pour la mettre en œuvre… et sous certaines conditions, de la violer.
[Il est certes dangereux de permettre au quidam de violer la loi en invoquant l’intérêt général. Il est cependant au moins aussi dangereux de permettre aux dirigeants politiques et aux fonctionnaires de le faire, et d’autant plus qu’il serait facile pour eux d’invoquer l’intérêt public à chaque illégalisme si cela permet de passer devant une cour composée de parlementaires majoritairement de votre bord plutôt que de magistrats.]
Mais vous oubliez la possibilité, tout aussi vraisemblable, d’avoir une cour de magistrats majoritairement de votre bord. Parce que, ne vous en déplaise, les magistrats sont eux aussi issus d’une classe sociale et sensibles à ses intérêts. Qu’est ce qui vous fait penser qu’une cour de magistrats appelée à décider de questions politiques serait moins « politique » dans ses décisions qu’une cour composée de parlementaires ? Cela se verrait moins, certes, et ses jugements seraient probablement mieux enveloppés dans un raisonnement juridique. Mais il ne reste pas moins qu’il sera politique. Pensez à la cour suprême des Etats-Unis…
[Vous dites que le pouvoir politique peut, « dans certaines conditions et toujours sous le contrôle du souverain », s’autoriser à mettre sa conception de l’intérêt général au-dessus de la loi. Sauf que la loi est l’expression de la volonté générale, ce qui signifie que la loi ne peut qu’être conforme à l’intérêt général, et donc que tout acte illégal est de ce fait contraire à l’intérêt général.]
La loi est l’expression de la volonté générale AU MOMENT OU ELLE EST VOTEE. Mais le reste-t-elle alors que les circonstances peuvent avoir changé ? Est-ce que le législateur, consulté au moment où un acte d’urgence est pris, quelquefois bien des années plus tard, aurait admis l’exception ? La conduite normale serait de lui demander, c’est-à-dire pour le gouvernement de demander la modification d’une loi devenue obsolète. Mais que se passe-t-il lorsqu’une urgence nécessite d’agir rapidement ?
Dans certains cas, des exceptions à la loi sont prévues. L’article 16 de la Constitution en est un bon exemple. Sa rédaction a toujours défrisé les légalistes. La question que cet article pose est la suivante : vaut-il mieux écrire noir sur blanc dans la loi que l’exécutif peut, dans des circonstances exceptionnelles, s’affranchir des lois ? Ou admettre qu’il pourrait être conduit à le faire sans texte quitte à en assumer la responsabilité devant le Parlement ? Les rédacteurs de l’article 16 ont préféré la première solution… et ont été très vertement critiqués pour cela. En général, on adopte la seconde…
[Dans ces conditions, quiconque considère justifié de violer une règle ayant valeur de loi – et de ce point de vue le statut de quidam ou de chef de gouvernement ne change rien – ne peut le faire qu’au nom d’une légalité supérieure.]
En général, ceux qui violent la loi invoquent plutôt un principe qu’une « légalité supérieure ». Un principe qui peut autant être un principe pratique (« on n’est pas tenu d’obéir une loi absurde », prétexte habituel chez les chauffards…) ou bien un principe politique (« le salut du peuple est la loi suprême »). Sans compter avec l’inévitable « tout le monde le fait ».
Mais contrairement à ce que vous supposez, « le statut de quidam ou ce chef de gouvernement » change beaucoup de choses. En tant que quidam, je défends mes opinions, mes intérêts, ma conception du monde. En tant que chef du gouvernement, j’agis non seulement pour moi mais pour autrui, dans le cadre d’un mandat qui m’a été confié et dont je dois rendre compte. Et le principe selon lequel « nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n’ordonne pas » ne peut être invoqué que très partiellement. Contrairement au quidam, le gouvernant ne peut s’exonérer de toute responsabilité en invoquant le fait qu’il respecté la loi, parce qu’on attend de lui qu’il fasse plus que ce que la loi ordonne. Pétain et Laval n’ont rien fait d’illégal… et cela n’a pas empêché l’un de finir sa vie à l’Ile d’Yeu, et l’autre devant le peloton d’exécution.
[Il s’agit moins de faire valoir qu’il était justifié de violer la loi au nom de l’intérêt général que de réclamer le plein respect des droits et des libertés garantis par d’autres lois, par la Constitution ou encore par la CEDH. Le président de la République qui a ordonné une exécution extra-judiciaire, tout comme le militant anti-IVG qui a assassiné un médecin, ne peuvent jamais dire qu’ils ont violé la loi au nom de l’intérêt général, mais ils peuvent tenter de faire valoir que leur action a contribué à faire respecter le droit à la vie garanti par l’article 2 de la CEDH,]
Cette argumentation est absurde. Les traités comme la CEDH ne se contentent pas de proclamer des droits, ils instituent aussi des mécanismes obligatoires pour les faire valoir, et ces deux éléments sont inséparables. L’idée qu’un texte qui institue un droit admet implicitement que tout moyen pour le faire prévaloir serait légitime est une absurdité. Si vous invoquez un « droit naturel (voire divin) à la vie », vous pouvez à la rigueur le mettre au-dessus de toute loi humaine. Mais vous ne pouvez pas invoquer une loi pour vous permettre de violer une autre située au même niveau de la hiérarchie des normes…
[ou qu’ils se trouvaient dans le cadre de l’article 122-7 du code pénal selon lequel « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »]
Ce serait absurde. Un fœtus n’est pas juridiquement une « personne », et on ne peut soutenir qu’assassiner un médecin pour sauvegarder un bien soit un acte proportionné à la menace. Et pour ce qui concerne les exécutions extra-judiciaires, il est très rare qu’elles soient ordonnés pour faire face à un danger « actuel ou imminent ».
[La question qui se pose était donc bien « l’acte était-il légal ? », car si vous ne disposez d’aucun fondement juridique un minimum sérieux pour justifier votre acte, alors c’est que cet acte ne pouvait être en aucun cas conforme à l’intérêt général.]
Je ne sais pas d’où vous sortez une telle idée. Vous avez l’air de croire qu’un acte contraire à la loi ne peut être conforme à l’intérêt général. C’est une erreur. Il ne faut pas confondre la « volonté générale » et « l’intérêt général ». La loi exprime la VOLONTE du souverain mais est-ce que le souverain sait toujours quel est son intérêt ?
[Sur cette base, c’est bien à un juge qu’il revient de répondre à la question. Néanmoins, au vu de la forte charge politique de jugements de cette sorte, et comme discuté plus haut, un tribunal spécial placé autant que possible sous le contrôle du peuple souverain devrait s’imposer en démocratie.]
Attendez… vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Si la question est celle de la légalité d’un acte, la question de la « démocratie » ne se pose pas. Tout souverain qu’il est, le peuple ne peut décider que le noir est blanc, pas plus qu’il ne peut décider qu’un meurtre n’en est pas un. Si on parle de démocratie ou de contrôle du peuple souverain, c’est qu’on est devant une décision politique, et non juridique.
[Ainsi, on retrouve votre idée que le pouvoir politique doit pouvoir s’affranchir de certaines règles dans certaines circonstances, car ces circonstances peuvent conduire à reconsidérer ce qui est légal ou non. Il n’en reste pas moins que la légalité doit toujours être respectée, sous le contrôle du juge lui-même contrôlé par le souverain.]
Vous m’avez l’air tellement terrorisé par l’idée qu’il puisse être, dans certaines circonstances, acceptable de violer la loi que vous cherchez à tout prix un moyen de raccrocher des actes qui sont illégaux DANS LEUR CONCEPTION à une disposition « légale », quitte à la détourner de son objet. Parce que, ne vous en déplaise, l’article 122-7 du code pénal a été écrit pour prendre en compte celui qui donnera un coup de poing dans la mâchoire à un ivrogne qui menace une personne avec un couteau, et non pour couvrir le meurtre d’un médecin pratiquant des avortements motivée par une conception idéologique qui fait du fœtus une personne et de l’avortement un meurtre – alors que la loi dit explicitement le contraire.
Vous noterez d’ailleurs que les gens qui accomplissent de tels actes – que ce soit les militants qui assassinent des médecins ou les gouvernants qui ordonnent des exécutions extra-judiciaires – ne contestent en général pas l’illégalité de leurs actes, qu’ils justifient non pas, comme vous le faites, en invoquant une légalité différente, mais en se fondant sur des principes qui, parce qu’ils sont sacralisés, ont une valeur supra-légale. Le gouvernant qui invoque Solon (« le salut du peuple est la loi suprême ») ou le militant pro-life qui invoque le « tu ne tueras point » ne cherchent nullement à rendre leurs actes « légaux ».