Une boussole qui n’indique pas le Nord

Ainsi, en réponse à la ligne économique adoptée par Donald Trump, faisant siennes les préconisations du rapport Draghi, l’Union européenne a dévoilé sa « boussole de compétitivité », dont une phrase résume le programme : « la Boussole de Compétitivité établit la compétitivité comme l’un des principes fondamentaux d’action de l’Union européenne ». Rien de bien nouveau sous le soleil, me direz-vous. On retrouve des appels similaires dans les déclarations finales des différents sommets européens depuis plus de vingt ans. Si ces promesses s’étaient réalisées, l’UE serait la première économie mondiale de la connaissance, la première zone de prospérité du monde, et ainsi de suite. Le rapport Draghi – dont l’auteur ne peut être suspecté d’euroscepticisme – raconte, lui, comment malgré toutes ces belles promesses l’Union a manqué tous les trains, en évitant prudemment de se demander le pourquoi d’un tel ratage. Il ne faut pas plus, cependant, pour émoustiller nos eurolâtres. Ainsi, un grand quotidien du soir qui se voit encore en journal de référence des élites titre « L’Union européenne dévoile ses grands chantiers pour rétablir sa compétitivité » et son éditorialiste écrit « La stratégie présentée mercredi par la Commission européenne dans sa « boussole pour la compétitivité » montre que l’Union européenne a saisi les enjeux engendrés par le décrochage européen ».

Qu’on me permette d’être en total désaccord avec le vénérable journal. Rien qu’à voir le titre de la communication de la Commission on comprend que celle-ci n’a en rien « saisi les enjeux », au contraire. La Commission se contente de répéter sans réfléchir le mantra de la « compétitivité », comme elle le fait depuis des décennies, refusant de comprendre la réalité. Car le « décrochage européen » n’est en rien lié à un problème de « compétitivité ». A quoi nous servirait d’être « compétitifs » alors que les grandes puissances économiques pratiquent un protectionnisme de moins en moins déguisé ? A quoi servirait de chercher à diminuer nos coûts de production de 20% si le gouvernement du pays qui constitue notre principal marché met en place des droits de douane de 20%, si ce n’est à financer les dépenses publiques du pays en question ?

En faisant de la « compétitivité » l’alpha et l’oméga de ses objectifs de politique économique, la Commission se trompe de monde. Parce qu’il faut bien comprendre que pour être « compétitifs » face à la Chine, la Corée ou l’Inde, il va nous falloir payer les salaires et avoir la protection sociale qu’on a dans ces pays. Il fut un temps où l’on pouvait imaginer d’être « compétitifs » tout en bénéficiant d’un haut niveau de vie grâce à la matière grise, à la qualité de la main d’œuvre, à nos infrastructures. Cette époque est révolue : l’Inde et la Chine forment des ingénieurs qui n’ont rien à envier aux nôtres, ils investissent massivement dans les infrastructures et dans l’éducation. Les Américains ont d’ailleurs fort bien compris que la poursuite de la « compétitivité » était une chimère : s’ils s’inclinent de plus en plus vers le protectionnisme, c’est parce qu’ils sont convaincus qu’ils n’ont aucune chance – sauf à dégrader considérablement leur propre niveau de vie – de devenir « compétitifs » face au reste du monde. Une conviction, fait notable, partagée autant par les démocrates que par les républicains, même si les instruments utilisés diffèrent : chez Biden, c’est un programme massif d’aide réservée aux entreprises produisant aux Etats-Unis et un dollar faible, chez Trump c’est un programme de taxes aux frontières. Mais dans les deux cas, une conviction : pour rééquilibrer la balance extérieure américaine, pour empêcher la délocalisation de la production sans sacrifier le niveau de vie des citoyens, il n’y a qu’un seul moyen : le protectionnisme.

L’Union européenne, conduite par la Commission, veut prendre le départ d’une course qu’elle ne peut pas gagner. C’est quelque chose d’admirable dans une compétition sportive, où l’important est de participer, mais c’est une idiotie en matière économique, où l’honneur ne joue aucun rôle. Faire de la « compétitivité » la clé de tout fait oublier des paramètres essentiels : le besoin de constituer des acteurs économiques dépassant une taille critique, la nécessité de dégager des marges pour financer la recherche et le développement, la sécurité de pouvoir amortir ces investissements sur un marché captif, une politique monétaire qui ne pénalise pas les exportations. Tout ce que l’Union européenne s’est refusé systématiquement à prendre à son bord. Sortir de la spirale de l’échec suppose non pas de rechercher une « compétitivité » mythique sur un marché pur et parfait tout aussi mythique, mais au contraire de limiter intelligemment la concurrence en faisant appel à d’autres modes de régulation de l’économie que ceux fondés sur les marchés : protectionnisme, réservation des marchés publics, intervention publique dans les filières stratégiques, financement public de la recherche…

Le dogme de la concurrence « libre et non faussée », qui guide la politique européenne depuis plus de trente ans, a conduit l’Europe à décrocher dans tous les domaines : dans l’économie, dans la recherche, dans l’éducation, dans la formation. Persister dans cette voie, c’est approfondir encore la méfiance des citoyens envers des institutions et des élites qui semblent incapables de faire autre chose que de répéter la même expérience en attendant qu’elle donne aujourd’hui un résultat différent de celui d’hier – la définition même de la folie pour Albert Einstein. Tant qu’on continuera à voir le monde à travers du prisme de la « compétitivité », on continuera à couler.

Descartes

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43 réponses à Une boussole qui n’indique pas le Nord

  1. optimiste dit :

    Bonsoir Descartes,
    Je comprends bien votre raisonnement quant à l’économie. Mais dans le dernier paragraphe, vous faites un lien avec d’autres domaines, en écrivant que les mêmes causes expliquent le décrochage européen dans la recherche, la formation, l’éducation. Pourriez-vous développer ce point (qui ne va pas de soi me semble-t-il) ?

    • Descartes dit :

      @ optimiste

      [Je comprends bien votre raisonnement quant à l’économie. Mais dans le dernier paragraphe, vous faites un lien avec d’autres domaines, en écrivant que les mêmes causes expliquent le décrochage européen dans la recherche, la formation, l’éducation. Pourriez-vous développer ce point (qui ne va pas de soi me semble-t-il) ?]

      Effectivement, le raisonnement n’est pas trivial et demande une explication. La focalisation sur la concurrence et le retrait des Etats de la sphère économique – les deux piliers de la construction européenne – a un effet sur les horizons temporels des acteurs privés. Il y a un effet facile à comprendre, qui tient à l’incertitude. Plus un investissement se fait sur le temps long, et plus les incertitudes quant à sa rentabilité sont grandes. Investir à long terme, c’est donc prendre un risque d’autant plus grand que le terme est long, ce qui suppose que pour se couvrir l’investisseur exige une « prime de risque » de plus en plus importante pour ce qui concerne la rentabilité. Rapidement, cette prime de risque devient prohibitive. C’est particulièrement vrai là où les technologies sont matures, et la rentabilité est donc relativement modérée.

      Il y a un deuxième phénomène qui fait que l’Etat est mieux armé pour faire ce type d’investissement. L’investisseur privé agit dans un environnement imprévisible en partie parce que la réglementation ou le contexte fiscal peuvent changer. L’Etat, lui, n’a pas ce problème puisqu’il est lui-même maître de la réglementation et de la fiscalité. Le retrait de l’Etat et son remplacement par l’investissement privé oblige l’investisseur à se couvrir contre ce risque, ce qui complique encore l’investissement.

      Maintenant, venons-en à mon commentaire : la recherche, la formation, l’éducation sont des domaines d’investissement à long terme. La recherche peut prendre des décennies avant de se traduire par des applications industrielles qui rapportent de l’argent. Former un ingénieur, c’est un investissement social qui ne commence à rapporter qu’après vingt ans, et qui s’amortit sur une vie…

  2. Rémy dit :

    Excellente analyse qui laisse sans voix en fait. Comment les “élites” européennes peuvent elles être aussi dogmatiques et stupides ? Un vrai mystère

    • Descartes dit :

      @ Rémy

      |Comment les “élites” européennes peuvent elles être aussi dogmatiques et stupides ? Un vrai mystère]

      Rien de mystérieux là dedans. Les “élites” européennes ne font que suivre leurs intérêts, et construisent un “récit” qui justifie leur action dans ce sens. Pour celui qui travaille dans un domaine non-délocalisable, la “concurrence” est une bénédiction: en tant que consommateur, il bénéficie à plein de la baisse de prix que la concurrence provoque dans beaucoup de marchés, en tant que travailleur il n’en subit pas le contrecoup. Or, les membres des classes intermédiaires travaillent souvent dans des domaines non-délocalisables…

      • Cording1 dit :

        Je pense que la construction européenne est comme une religion, un acte de foi qui ne supporte pas de contradictions. Quand on verra un homme politique reconnaître qu’il s’est trompé, et nous a trompé depuis 1992 je crains que ça ne soit pas demain la veille. 

  3. bob dit :

    @ Descartes
     
    Un seul regret : que vous ne soyez pas sollicité pour publier une droit de réponse sans le pseudo journal de référence. Ce billet y ferait mouche et, on peut l’espérer, secouerait un peu nos “élites” figées dans leurs solutions vouées à l’échec.

    • Descartes dit :

      @ bob

      [Un seul regret : que vous ne soyez pas sollicité pour publier une droit de réponse sans le pseudo journal de référence. Ce billet y ferait mouche et, on peut l’espérer, secouerait un peu nos “élites” figées dans leurs solutions vouées à l’échec.]

      Votre deuxième phrase explique le fait que vous regrettez dans la première… je doute que le “journal de référence” ait envie de publier une tribune qui “fasse mouche” sur ce genre de sujets…

  4. Musée de l'Europe dit :

    Le mantra de la compétitivité promu inlassablement par Business Europe dont les rapports sont copies colles par la Commission n’est, en économie ouverte aux 4 vents et dans le carcan de l’euro, que le synonyme de la déflation salariale… Le programme de réformes structurelles adopté par le tout nouveau gouvernement belge en est une déclinaison particulièrement sadique. Ce n’est certainement pas comme çà qu’on mobilisera les énergies car il n’est de richesse que d’hommes. Pour cela il faudrait un projet… Quand le seul qui soit sur la table est de faire des économies et certainement pas de l’économie au service d’un avenir souhaitable et appropriable par tous. Les énergies à mobiliser sombrent dans le trou noir de l’aller nulle part (ou vers l’auto destruction). Le nihilisme, c’est pas bon pour la compétitivité ça, mes bons Messieurs !

    • Descartes dit :

      @ Musee de l’Europe

      [Le mantra de la compétitivité promu inlassablement par Business Europe dont les rapports sont copiés colles par la Commission n’est, en économie ouverte aux 4 vents et dans le carcan de l’euro, que le synonyme de la déflation salariale…]

      Tout à fait, parce que les salaires – et leurs annexes : protection sociale, éducation – sont devenues la seule variable d’ajustement. En d’autres temps, on pouvait rester « concurrentiels » tout en payant des salaires supérieurs à celui de nos concurrents parce que nous avions l’avantage compétitif que nous donnait la qualité de la main d’œuvre, l’écosystème de recherche, la qualité des infrastructures. Mais quand les pays comme la Chine investissent massivement dans l’éducation, la recherche ou les infrastructures, alors que nous laissons les nôtres se dégrader année après année par manque d’investissement, il devient difficile de soutenir ce modèle. Aujourd’hui, on assiste à une tiers-mondisation de l’Europe, où je retrouve les éléments qui m’avaient choqué lors de mes premières visites en Amérique Latine : multiplication des « petits boulots » faits par des « auto-entrepreneurs » mal payés et peu productifs (ou plutôt mal payés PARCE QUE peu productifs). Hypertrophie du commerce et de la distribution par rapport à la production, dépendance économique et culturelle envers la « métropole » américaine…

      [Ce n’est certainement pas comme çà qu’on mobilisera les énergies car il n’est de richesse que d’hommes. Pour cela il faudrait un projet… Quand le seul qui soit sur la table est de faire des économies et certainement pas de l’économie au service d’un avenir souhaitable et appropriable par tous.]

      Oui, et l’Union européenne est structurellement incapable de définir un tel projet. Parce qu’un projet de cette nature ne peut être fondé que sur un accord entre les différents groupes sociaux, et cet accord n’est rendu possible que par la solidarité inconditionnelle qui est l’armature des nations. Si en 1945 patrons et travailleurs ont pu se mettre d’accord sur la « bataille de la production » (avec des sacrifices de part et d’autre) c’est parce qu’ils voyaient à l’horizon un projet de reconstruction du pays qui devait profiter à tous. Imaginer un tel accord entre l’ouvrier polonais et le bourgeois portugais me parait totalement invraisemblable.

      [Les énergies à mobiliser sombrent dans le trou noir de l’aller nulle part (ou vers l’auto destruction). ]

      Je pense surtout qu’elles sombrent dans le trou noir de l’individualisme et du communautarisme, c’est-à-dire, que le seul horizon concevable, la seule motivation pour agir est son intérêt personnel et celui de sa « tribu ». Sans une solidarité inconditionnelle qui permet de dépasser le « et moi et moi et moi », difficile de construire un projet qui dépasse cette dimension.

  5. Cording1 dit :

    Il n’y a rien de bon à attendre de l’Union européenne sinon cela se serait vu depuis longtemps. Toutes les promesses faites en 1992 lors du traité de Maastricht n’ont été que viles et mensongères. Avec toujours la complicité active des médias et la faiblesse des souverainistes qui n’ont jamais su trouver depuis un chef sérieux doté d’un programme rigoureux, et cohérent, de ce fait ils n’existent pas dans les médias si ce n’est pour être ridicules ou ridiculisés. 
    L’UE est dirigée par des technocrates établissant des normes juridiques, économiques, sociales et environnementales qui se retournent contre les pays par exemple les constructeurs d’automobiles qui s’en inquiètent en voyant par là la mort de toute leur filière en Europe pour le plus grand profit des constructeurs chinois. Non seulement des technocrates mais aussi par des bureaucrates où l’Allemagne a le savoir-faire pour imposer ses vues à ses “partenaires” veules et consentants. Cette Allemagne soumise aux Etats-Unis notamment par le biais de la présidente Ursula von der Leyen qui va négocier à Washington la soumission européenne. Il y a aussi la patronne de la BCE Christine Lagarde qui souhaite que pour résister au protectionnisme américain, éviter des droits de douane nous achetions plus américain. Est-il besoin d’évoquer la totale soumission française à cet état des choses ?

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [L’UE est dirigée par des technocrates (…)]

      Même pas. Je pense que cette accusation est très injuste pour les technocrates. En fait, un régime technocratique est celui où les décisions sont prises par les experts. Et si ces décisions n’ont aucune raison de correspondre au souhait du peuple souverain, on a au moins la garantie qu’elles sont incontestables du point de vue technique. Or, qu’observe-t-on ? Que les politiques européennes sont non seulement antidémocratiques, mais souvent très mal faites techniquement. Pensez-vous que des vrais « technocrates », prenant leurs décisions en fonction de considérations techniques et rationnelles et non en fonction du dogme, auraient abouti à un désastre comme celui de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence ?

      Non, l’UE n’est pas dirigée par des technocrates qui, au moins, assureraient une direction rationnelle à défaut d’être démocratique. Elle est dirigée par une structure cléricale qui applique un dogme, sous l’influence de toutes sortes de lobbies. Ce n’est pas du tout la même chose. Au point où nous en sommes, une technocratie serait un moindre mal.

      [Cette Allemagne soumise aux Etats-Unis notamment par le biais de la présidente Ursula von der Leyen qui va négocier à Washington la soumission européenne. Il y a aussi la patronne de la BCE Christine Lagarde qui souhaite que pour résister au protectionnisme américain, éviter des droits de douane nous achetions plus américain.]

      On revient au problème de la solidarité inconditionnelle. L’Allemagne a désespérément besoin du marché américain, parce que le modèle économique qu’elle a adopté depuis trois décennies est fondé sur l’exportation – et d’abord l’exportation automobile. Et puis, elle est dépendante de par ses choix économiques du gaz américain, seule alternative au gaz russe. Son impératif est de garder de bons rapports avec les Etats-Unis. Et si pour cela il faut sacrifier les intérêts des autres européens, ainsi soit-il.

      [Est-il besoin d’évoquer la totale soumission française à cet état des choses ?]

      Malheureusement, non…

      • Cording1 dit :

        Si l’UE n’est pas dirigée par des technocrates comment expliquer cette usine à gaz qu’est le marché de l’électricité ?
        Le néolibéralisme initié par Ronald Reagan et Margaret Thatcher vise à remettre sur le marché la plupart des activités humaines où l’état est censé être un mauvais gestionnaire. Le premier disait que l’état est le problème et non la solution aux problèmes donc il fallait “starve the beast” donc priver les services publics de leurs moyens de fonctionnement ce qui les rendraient dysfonctionnels donc faire croire que le privé serait meilleur. De plus la dépolitisation de l’économie conduit à mettre en place bon nombre d’autorités dites indépendantes censées avoir une meilleure compétence des dossiers.

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [Si l’UE n’est pas dirigée par des technocrates comment expliquer cette usine à gaz qu’est le marché de l’électricité ?]

          Qu’est ce qui vous fait penser que les « technocrates » sont les seuls à pouvoir concevoir des usines à gaz ? J’aurais tendance à penser l’inverse : les technocrates tendent à simplifier le monde, pas à le compliquer. Ils sont d’ailleurs formés pour cela. Ce qu’on reproche aux ingénieurs, c’est de TROP simplifier, de ne pas voir la complexité des situations et notamment les contraintes qui échappent au champ technique. Ce sont au contraire les « non-techniciens » qui, parce qu’ils ignorent les réalités de la mise en œuvre, tendent à fabriquer des dispositifs qui sont simples en théorie mais très complexes dans leur mise en œuvre.

          Je le répète, on fait un mauvais procès aux « technocrates », d’ailleurs une espèce largement imaginaire. La technocratie, c’est un système dans lequel les décisions sont prises sur des critères purement techniques, et où par conséquence ceux qui détiennent le savoir technique détiennent le pouvoir. Pensez-vous que les modalités de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence aient été décidées pour des motivations techniques ? Bien sur que non. Ce sont les considérations idéologiques largement irrationnelles qui ont largement primé. La technocratie a suffisamment de défauts pour qu’on lui colle en plus des reproches qu’elle ne mérite pas.

      • jean girard dit :

        cela me fait penser a je ne sais plus quel commissaire européen qui disait a Sarkozy ” on ne va pas pénaliser l industrie de l automobile allemande pour quelques poulets français !

        • Descartes dit :

          @ jean girard

          [cela me fait penser a je ne sais plus quel commissaire européen qui disait a Sarkozy ” on ne va pas pénaliser l industrie de l automobile allemande pour quelques poulets français !]

          Un excellent exemple des limites de la “solidarité inconditionnelle” en Europe…

      • Vincent dit :

        [Pensez-vous que des vrais « technocrates », prenant leurs décisions en fonction de considérations techniques et rationnelles et non en fonction du dogme, auraient abouti à un désastre comme celui de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence ?]

        Oui. A  condition que ces technocrates soient allemands. Ce mécanisme permet à l’Allemagne de supprimer l’avantage concurrentiel qu’est le nucléaire pour la France.

        [Non, l’UE n’est pas dirigée par des technocrates qui, au moins, assureraient une direction rationnelle à défaut d’être démocratique. Elle est dirigée par une structure cléricale qui applique un dogme, sous l’influence de toutes sortes de lobbies.]

        Les allemands envoient à Bruxelles, à la Commission, des technocrates très compétents, qui étudient leurs dossiers, et sont capables de comprendre les conséquences de ce qu’ils décident, du moins dans le domaine économique.
        Mais ces technocrates allemands ont le défaut des technocrates : bons tacticiens, mais mauvais stratèges. Les détails pour assurer la suprématie de l’économie allemande sont parfaitement mis au point, mais la question de la direction dans laquelle va l’UE est le parent mort de cette construction…
         
        Nous, français, pour faire bonne figure, envoyons des idéologues, des littéraires, pour faire contrepoids aux technocrates allemands. Ce qui est pire. Mais ni l’un, ni l’autre, ne permettent de rendre quoi que ce soit viable à long terme.

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [« Pensez-vous que des vrais « technocrates », prenant leurs décisions en fonction de considérations techniques et rationnelles et non en fonction du dogme, auraient abouti à un désastre comme celui de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence ? » Oui. A condition que ces technocrates soient allemands. Ce mécanisme permet à l’Allemagne de supprimer l’avantage concurrentiel qu’est le nucléaire pour la France.]

          Ce genre de raisonnement n’est en rien un raisonnement technique, mais plutôt un raisonnement politique. En tout cas, je peux vous dire qu’en matière énergétique je n’ai pas trouvé beaucoup de « technocrates », qu’ils soient allemands ou pas, dans les services de la Commission.

          [« Non, l’UE n’est pas dirigée par des technocrates qui, au moins, assureraient une direction rationnelle à défaut d’être démocratique. Elle est dirigée par une structure cléricale qui applique un dogme, sous l’influence de toutes sortes de lobbies. » Les allemands envoient à Bruxelles, à la Commission, des technocrates très compétents, qui étudient leurs dossiers, et sont capables de comprendre les conséquences de ce qu’ils décident, du moins dans le domaine économique.]

          Je ne suis pas persuadé. D’ailleurs, la politique énergétique européenne s’est révélée désastreuse pour l’Allemagne, sans compter avec les erreurs commises par le gouvernement allemand lui-même. La dépendance excessive au gaz, le parc renouvelable surdimensionné à grands coups de subventions qui rend le pilotage du réseau très complexe et les marchés de gros dysfonctionnels, tout ça ne semble pas indiquer que la « technocratie » allemande soit si compétente que cela, ou capable d’anticiper les conséquences de ce qu’ils décident.

  6. tmn dit :

    [Il fut un temps où l’on pouvait imaginer d’être « compétitifs » tout en bénéficiant d’un haut niveau de vie grâce à la matière grise, à la qualité de la main d’œuvre, à nos infrastructures.]
     
    Je me souviens bien des ces discours dans les années 90 : on allait garder tous les ingénieurs, seules les viles tâches allaient être délocalisées chez les gueux. C’était déjà à l’époque totalement irréaliste, à part à court terme non ? A moins de prendre les chinois ou les indiens pour des imbéciles…

    • Vincent dit :

      [Il fut un temps où l’on pouvait imaginer d’être « compétitifs » tout en bénéficiant d’un haut niveau de vie grâce à la matière grise, à la qualité de la main d’œuvre, à nos infrastructures. Cette époque est révolue : l’Inde et la Chine forment des ingénieurs qui n’ont rien à envier aux nôtres]
       
      Et vous avez la courtoisie de ne pas mettre en parallèle l’effondrement du niveau scolaire en France… qui touche aussi les jeunes ingénieurs.
      Quand il s’agit de faire de l’ingénierie simple, ils restent bien formés. Mais dès qu’il faut partir sur des raisonnements un peu complexes, faire appel à des notions de maths / physique qui étaient normalement acquises au lycée ou en prépa, la chute de niveau est dramatique.
      Nous avions des ingénieurs d’excellent niveau. Je crains que ça ne soit plus le cas dans les générations qui forment la relève.
      Parallèlement, le mouvement de détournement des meilleurs ingénieurs vers les métiers du conseil, de la banque, de la direction générale, etc., qui était déjà largement amorcé il y a 20 ans, devient maintenant massif, pour ne pas dire total.
      Dans ma société d’ingénierie, je vois passer beaucoup de CV. Cette année, sur 80/100 CV, un seul était issu d’un cursus ingénieur après une classe préparatoire scientifique. Il s’agissait d’une ENSI (pas les centraliens ou normaliens qu’on recrutait il y a 20 ans).
      J’étais ravi de recevoir un tel CV, comme je n’en avais pas vu depuis plusieurs années (mais il a malheureusement décliné l’offre).

      • Descartes dit :

        @ Vincent

        [Et vous avez la courtoisie de ne pas mettre en parallèle l’effondrement du niveau scolaire en France… qui touche aussi les jeunes ingénieurs.]

        Vaste question… La question n’est pas simple, parce qu’il faut regarder en détail. Si on parle de niveau MOYEN des bacheliers ou des étudiants, la baisse paraît incontestable. Mais il faut aussi tenir compte de la massification, qui fait que la moyenne ne se calcule pas sur les mêmes populations. Pour le dire autrement, dans les années 1970 les bacheliers représentaient autour de 20% d’une classe d’âge. Si on compare la moyenne des bacheliers de l’époque avec les meilleurs 20% d’une classe d’âge aujourd’hui, quel serait le résultat ? Il semblerait – j’ai vu passer des articles sur la question mais je n’ai pas de référence précise en tête – que le résultat est moins désastreux que vous ne le pensez.

        Après, et c’est là une observation personnelle qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui rejoint la vôtre, il me semble que la formation de base est aujourd’hui moins solide, moins cohérente qu’elle ne l’était à notre époque. Les jeunes ingénieurs que j’ai en entretien ont probablement une culture technique plus large que n’était la nôtre, mais beaucoup plus superficielle, avec un niveau dans les matières fondamentales (mathématiques, physique, chimie, RdM) plus faible. Pour le dire autrement, on a l’impression d’une formation « impressionniste ». Mais là où l’on voit une énorme différence, c’est dans les méthodes de travail, avec une capacité de concentration et de systématisation beaucoup pus aléatoire.

        [Quand il s’agit de faire de l’ingénierie simple, ils restent bien formés. Mais dès qu’il faut partir sur des raisonnements un peu complexes, faire appel à des notions de maths / physique qui étaient normalement acquises au lycée ou en prépa, la chute de niveau est dramatique.]

        Tout à fait. C’est flagrant en chimie en particulier (potentiels chimiques, inconnu au bataillon), mais aussi en physique (conservation du moment cinétique, connais pas).

        [Nous avions des ingénieurs d’excellent niveau. Je crains que ça ne soit plus le cas dans les générations qui forment la relève. Parallèlement, le mouvement de détournement des meilleurs ingénieurs vers les métiers du conseil, de la banque, de la direction générale, etc., qui était déjà largement amorcé il y a 20 ans, devient maintenant massif, pour ne pas dire total.]

        Tout à fait. Et c’est logique : la technique, ça ne paye pas et surtout ça n’offre pas des évolutions de carrière sur le long terme, sauf dans certains domaines bien particuliers, où l’on conserve un tissu industriel consistant et des acteurs importants (le pétrole, les ouvrages d’art, le nucléaire, par exemple).

  7. Claustaire dit :

     
    En “protégeant” (nos producteurs) d’importations (taxées pour en maintenir le prix à peu près aussi élevé que celui des produits de chez nous), on ferait forcément  payer au CONSOMMATEUR de chez nous cette protection du PRODUCTEUR de chez nous.
    Depuis des décennies nos consommateurs ont gagné en pouvoir d’achat en se procurant des produits fabriqués moins cher ailleurs, mais aux dépens de nos propres producteurs peu à peu menacés de chômage et aux dépens, finalement, de toute notre économie (important  plus qu’elle n’exporte) et de notre industrie (délocalisée).
    Faute de disposer de 70% de l’énergie dont nous avons besoin (ou du moins que nous consommons) puisque l’électricité ne nous fournit que moins de 30% de ce que nous consommons (et encore moyennant de l’uranium importé), nous sommes bien obligés d’importer cet élément devenu essentiel à notre quotidien (le pétrole), et donc de trouver des produits à exporter afin d’avoir de quoi le payer. 
    Or,  pour pouvoir exporter ces produits, il nous faudrait bien être plus compétitifs que d’autres producteurs, soit en formant mieux les nôtres pour qu’ils soient plus efficaces, créatifs, ingénieux, etc.  soit en disposant d’aubaines primaires (énergétiques, agricoles, etc.) favorisant nos usines ou productions. Or, apparemment, les humains sont aussi éducables en processus scientifiques et technologiques les uns que les autres, qu’ils soient Coréens, Chinois ou Indiens, etc. (quoi qu’en pensent certains racistes sûrs de ne jamais pouvoir être distanciées par des ‘niakoués’) et disposent, parfois, de ressources énergétiques qui nous manquent (gaz, pétrole) ou que nous nous refusons (charbon).
    Ou alors, faute d’autres cordes à notre arc pour nous faire respecter, faudra-t-il, comme le nouveau Messie états-unien, tenter de nous la jouer “Make Europa at last great again”, et nous la jouer Europe Puissance en concurrence avouée et assumée avec d’autres impérialismes  ? Mais de quelles armes (intellectuelles, culturelles, économiques, énergétiques, militaires) disposerions-nous dont manqueraient les impérialismes concurrents (voire adversaires) ?
     
     

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [En “protégeant” (nos producteurs) d’importations (taxées pour en maintenir le prix à peu près aussi élevé que celui des produits de chez nous), on ferait forcément payer au CONSOMMATEUR de chez nous cette protection du PRODUCTEUR de chez nous.]

      Tout à fait. Pour le dire autrement, il faut choisir entre avoir des travailleurs qui achètent des chemisettes chères, ou bien des chômeurs qui achètent des chemisettes bon marché. Personnellement, je pense que la première solution est bien plus raisonnable…

      [Depuis des décennies nos consommateurs ont gagné en pouvoir d’achat en se procurant des produits fabriqués moins cher ailleurs, mais aux dépens de nos propres producteurs peu à peu menacés de chômage et aux dépens, finalement, de toute notre économie (important plus qu’elle n’exporte) et de notre industrie (délocalisée).]

      En fait, cette augmentation du pouvoir d’achat a été largement financé par l’emprunt. Quand on consomme chaque fois et qu’on produit chaque fois moins, il faut bien que la différence vienne de quelque part…

      [Faute de disposer de 70% de l’énergie dont nous avons besoin (ou du moins que nous consommons) puisque l’électricité ne nous fournit que moins de 30% de ce que nous consommons (et encore moyennant de l’uranium importé), nous sommes bien obligés d’importer cet élément devenu essentiel à notre quotidien (le pétrole), et donc de trouver des produits à exporter afin d’avoir de quoi le payer.]

      Tout à fait. Jusqu’ici, votre raisonnement est juste.

      [Or, pour pouvoir exporter ces produits, il nous faudrait bien être plus compétitifs que d’autres producteurs, soit en formant mieux les nôtres pour qu’ils soient plus efficaces, créatifs, ingénieux, etc. soit en disposant d’aubaines primaires (énergétiques, agricoles, etc.) favorisant nos usines ou productions.]

      Soit en subventionnant nos productions, par exemple, en utilisant ce que nous rapportent les taxes sur les produits importés – comme le font les Etats-Unis. J’ajoute que le protectionnisme vous rend plus compétitif, puisque vos entreprises peuvent investir avec l’assurance d’amortir leur investissement sur un marché intérieur captif.

      [Ou alors, faute d’autres cordes à notre arc pour nous faire respecter, faudra-t-il, comme le nouveau Messie états-unien, tenter de nous la jouer “Make Europa at last great again”, et nous la jouer Europe Puissance en concurrence avouée et assumée avec d’autres impérialismes ?]

      C’est ce que nous proposent les eurolâtres. Seulement voilà, cela supposerait que l’Europe soit une nation, autrement dit, qu’il y ait une forme de solidarité inconditionnelle entre les européens, sans quoi chacun cherchera à faire avancer ses propres intérêts au détriment des autres.

      [Mais de quelles armes (intellectuelles, culturelles, économiques, énergétiques, militaires) disposerions-nous dont manqueraient les impérialismes concurrents (voire adversaires) ?]

      D’une forme de capital social construit pendant des siècles de développement, fait d’institutions, de disciplines sociales, et qui font qu’un pays comme l’Allemagne, qui en 1945 était complètement détruit, soit redevenu une puissance industrielle de premier plan vingt ans plus tard, alors que des pays comme le Brésil ou l’Argentine, qui étaient en bien meilleure posture après la guerre, ne lui arrivent à la cheville.

      Mais à supposer que nous n’ayons pas d’avantage sur les « impérialismes concurrents », nous n’avons pas de désavantages essentiels par rapport à eux. Je ne demande pas à ce qu’on fasse mieux que les Américains, je demande qu’on fasse aussi bien…

      • Cording1 dit :

        Certes mais il ne faut pas être plombé par une monnaie surévaluée depuis l’euro et même avant par la politique du franc fort initiée par les socialistes dès 1983 et reprise par la droite.
        Il faudrait au moins rétablir une UE avec un tarif douanier commun extérieur et une préférence européenne. Bref ce que les Anglais et Allemands mercantilistes ont obtenu la disparition au profit d’une ouverture tous azimuts aux échanges extérieurs à l’UE. Pour ce faire au moins un rapport de forces par des politiques vraiment déterminés ce qui n’y a pas. Un chantage sur l’euro possible dans la mesure où la France est contributrice nette à l’UE.

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [Certes mais il ne faut pas être plombé par une monnaie surévaluée depuis l’euro et même avant par la politique du franc fort initiée par les socialistes dès 1983 et reprise par la droite.]

          Oui. En même temps, une monnaie faible rend nos exportations plus compétitives… à condition de ne pas trop dépendre de nos importations. Ce qui suppose par exemple de préférer le nucléaire plutôt que le gaz pour produire notre électricité…

          [Un chantage sur l’euro possible dans la mesure où la France est contributrice nette à l’UE.]

          Encore faudrait-il que ce « chantage » soit crédible. Or, comme pourrait-il l’être alors que nos élites ne conçoivent la France qu’inséré dans l’UE ? Personne ne prend au sérieux les menaces dont on sait qu’elles n’ont aucune chance d’être mises à exécution…

  8. Claustaire dit :

    [l’Allemagne, qui en 1945 était complètement détruite, est redevenue une puissance industrielle de premier plan vingt ans plus tard, alors que des pays comme le Brésil ou l’Argentine, qui étaient en bien meilleure posture après la guerre, ne lui arrivent pas à la cheville.]
     
    Outre son capital social et sa culture technique et scientifique, en effet, on se souviendra que l’Allemagne de 1945 a bénéficié, comme d’autres pays européens, du plan Marshall que les USA lui accordèrent, entre autres, pour qu’elle se redresse suffisamment vite pour ne pas tomber dans les bras d’une URSS vue par les Etats-Uniens comme un ennemi à évincer.
    Quant au Brésil, à l’Argentine (et d’autres pays d’Amérique du Sud), dès que les USA y craignirent une trop forte influence Communiste, à défaut de libéralités financières, ils les réduisirent à force coups d’Etat et de dictatures militaires.
     
    [Il faut une nation pour qu’il y ait une forme de solidarité inconditionnelle…]
    Des événements historiques (notamment des agressions) peuvent faire naître ou cristalliser ce genre de sentiment national qui préalablement pouvait ne guère exister, (voir ce qui s’est passé en Ukraine depuis février 2022, nous dit-on).
     
    Si demain l’UE se percevait comme une entité, non pas seulement concurrencée, mais provoquée ou menacée par l’Amérique trumpiste voire menacée ou agressée par l’impérialisme russe, il n’est pas impossible que ce sentiment d’une nation européenne menacée puisse évoluer vers un appel à une solidarité inconditionnelle entre Européens. C’est encore contre du “eux” que se fabrique le plus vite du “nous”. (Voir à quelle vitesse s’est constituée sur des provinces et peuples divers une puissante Nation française dans les années 1790).

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [« l’Allemagne, qui en 1945 était complètement détruite, est redevenue une puissance industrielle de premier plan vingt ans plus tard, alors que des pays comme le Brésil ou l’Argentine, qui étaient en bien meilleure posture après la guerre, ne lui arrivent pas à la cheville. » Outre son capital social et sa culture technique et scientifique, en effet, on se souviendra que l’Allemagne de 1945 a bénéficié, comme d’autres pays européens, du plan Marshall que les USA lui accordèrent, entre autres, pour qu’elle se redresse suffisamment vite pour ne pas tomber dans les bras d’une URSS vue par les Etats-Uniens comme un ennemi à évincer.]

      Enfin, il ne faut pas trop exagérer la portée du Plan Marshall, qui visait autant à redresser les pays européens qu’à offrir des débouchés à l’industrie américaine. L’Italie a elle aussi bénéficié du plan Marshall, et elle n’est pas pour autant devenue une puissance industrielle.

      [Quant au Brésil, à l’Argentine (et d’autres pays d’Amérique du Sud), dès que les USA y craignirent une trop forte influence Communiste, à défaut de libéralités financières, ils les réduisirent à force coups d’Etat et de dictatures militaires.]

      C’est inexact. L’Argentine ne connaît pas de coup d’Etat ou de dictature militaire dans les dix ans qui vont de 1945 à 1955.

      [« Il faut une nation pour qu’il y ait une forme de solidarité inconditionnelle… » Des événements historiques (notamment des agressions) peuvent faire naître ou cristalliser ce genre de sentiment national qui préalablement pouvait ne guère exister, (voir ce qui s’est passé en Ukraine depuis février 2022, nous dit-on).]

      Cristalliser, oui. Faire naître, non. Et ce qui s’est passé en Ukraine va tout à fait dans ce sens. Malgré l’invasion russe, le sentiment national ukrainien reste assez contradictoire. On le voit bien dans les problématiques de recrutement de l’armée ukrainienne : le gouvernement a le plus grand mal à mobiliser : non seulement les désertions et passe-droit pour ne pas aller au front se multiplient, mais l’idée même qu’on pourrait élargir la conscription aux femmes, par exemple, est tabou.

      [Si demain l’UE se percevait comme une entité, non pas seulement concurrencée, mais provoquée ou menacée par l’Amérique trumpiste voire menacée ou agressée par l’impérialisme russe, il n’est pas impossible que ce sentiment d’une nation européenne menacée puisse évoluer vers un appel à une solidarité inconditionnelle entre Européens.]

      Seulement voilà, ni la Russie ni « l’Amérique trumpiste » ne menace l’UE. Quand Trump menace d’envahir le Groenland, pensez-vous que les grecs ou les roumains se sentent « menacés » ? C’est là, voyez-vous, que le bât blesse. L’UE ne peut pas se sentir « concurrencée » ou « menacée » parce qu’elle n’existe pas comme sujet de concurrence ou de menace. L’Allemagne peut se sentir menacée par les droits de douane de Trump sur les voitures, la France par les restrictions sur le Champagne, le Danemark par les menaces sur le Groenland. Mais que faudrait-il que les Etats-Unis ou la Russie fassent pour que « l’UE se sente menacée », pour que les « citoyens européens » ressentent cela comme une menace collective ?

      [C’est encore contre du “eux” que se fabrique le plus vite du “nous”. (Voir à quelle vitesse s’est constituée sur des provinces et peuples divers une puissante Nation française dans les années 1790).]

      Non. La « nation française » s’est constituée bien avant. Certains vous diront qu’on en voit les premiers signes à Bouvines, d’autres situent la chose plutôt avec Louis XI ou François Ier et leurs tentatives d’unification administrative, d’autres encore vont jusqu’à Louis XIII. Mais il est clair que déjà au XVIIème siècle une forme de « solidarité inconditionnelle » entre les sujets du roi de France était apparue.

      L’existence d’un ennemi commun est bien entendu un facteur de développement du sentiment national, parce que le besoin de défense commune permet de donner une base solide à l’idée de « solidarité inconditionnelle ». Mais cela ne se fait pas en un jour, et ne suffit pas. Et surtout, il faut qu’il y ait quelque part un « ennemi commun », ce qui n’est pas le cas de l’UE. La Russie menace les intérêts de l’Ukraine, à la rigueur des Pays baltes ou de la Pologne, mais il faudrait m’expliquer en quoi elle menacerait les intérêts de l’Allemagne, la France, l’Italie ou l’Espagne. Et à l’inverse, Trump peut menacer l’Allemagne ou la France, mais se gardera bien de menacer la Pologne ou la Finlande. Alors, où est-il, votre « ennemi commun » ?

      • Claustaire dit :

        [ il faudra m’expliquer en quoi la Russie menacerait les intérêts de l’Allemagne]
        Il suffira de demander aux Allemands (et surtout à leurs industriels) où ils trouveront prochainement une énergie aussi peu chère (et aussi essentielle) que celle que leur fournissait (avant guerre et récente reglaciation poutinienne)  un gaz russe bon marché, surtout que dans la perspective de ces flux gaziers ils ont renoncé au nucléaire.

        • Descartes dit :

          @ Claustaire

          [Il suffira de demander aux Allemands (et surtout à leurs industriels) où ils trouveront prochainement une énergie aussi peu chère (et aussi essentielle) que celle que leur fournissait (avant guerre et récente reglaciation poutinienne) un gaz russe bon marché, surtout que dans la perspective de ces flux gaziers ils ont renoncé au nucléaire.]

          La question à laquelle vous étiez censé répondre était “en quoi la Russie menacerait les intérêts de l’Allemagne ?”… Vous expliquez au contraire que la Russie ne menace en rien les intérêts de l’Allemagne. Au fond, Berlin avait tout intérêt à ce que l’occident ne se mêle pas du conflit ukrainien…

  9. cdg dit :

    Trump vient de battre en retraite pour les droits de douanes contre le Mexique et le Canada. Comme quoi il a du se rendre compte que c etait pas une si bonne idee que ca.
    Le protectionnisme est seduisant a prime abord. On va proteger notre marche et conquerir en partie celui des autres. Le probleme c est qu a chaque fois la realite a montre que ca n a pas marche comme en theorie (pensez au Japon : conquerant dans les annees 80-90 en crise depuis)
    Par ex, si vous protegez votre marche par des barrieres, pourquoi les entreprises protegees de la concurrence vont faire des efforts pour ameliorer le produit ou le service ? elles ont une clientele captive ! Evidement comme ca elles ne peuvent pas exporter mais les marges sur le marche interieur leur suffisent
     
    PS:
    – dans tous le texte ici, on parle de competitvite prix. C est pas la seule. BMW est plus competitif que Peugeot alors que peugeot est bien moins cher. La competitivite peut se jouer sur la qualite, le design … Et meme sur le prix, vous pouvez etre moins cher car votre produit est mieux concu (et donc moins cher a fabriquer) ou votre production plus automatisee ou plus reactive (juste a temps invente par les constructeur japonais)
    – je pense comme vous que le plan europeen de competivite sera un echec comme celui de Lisbonne. Non pas parce qu on va pas faire de protectionnisme, mais parce que les ressources chez nous sont allouees au mauvais endroit. L UE depense la moitie de son budget dans des subventions a l agriculture (ben oui la FNSEA remplit de purin les sous prefectures mais c est pas un secteur d avenir). Le peu affecte a la recherche est soupoudre dans les differents pays (c est comme si les USA subventionnaient un obscur institut dans le Wyomig pour remplir les quotas). Et au niveau de la France, on a bien vu quelles sont les priorites de nos gouvernants : on augmente les retraites de 2.4 % mais on baisse le budget du CNRS … Notre modele social nous tire vers le bas mais le poids electoral de ses beneficiaires nous empeche de le reformer

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Trump vient de battre en retraite pour les droits de douanes contre le Mexique et le Canada.]

      Pas du tout. Il a encore montré au contraire l’efficacité de sa méthode pour faire des « deals ». Lorsqu’il veut que vous vous coupiez un doigt, il menace de vous couper un bras. Et pour ne pas perdre votre bras, vous finissez par lui donner ce qu’il demande. Le Mexique lui aura donné ce qu’il voulait, à savoir, une meilleure surveillance de sa frontière par l’armée. De la même manière que le Danemark lui propose un accès facilité aux ressources du Groenland et de nouvelles bases militaires.

      [Le protectionnisme est séduisant de prime abord.]

      De second abord aussi, faut croire. Les Etats-Unis ont systématiquement appliqué des mesures protectionnistes depuis l’indépendance, et cela ne les a pas empêchés de devenir une superpuissance. J’attends encore que quelqu’un me donne un exemple, un seul, d’un pays qui soit devenu une puissance mondiale en pratiquant le libre-échange intégral. Si je voulais être sarcastique, je dirais que le libre-échange est le meilleur système… pour les autres. Jamais pour soi.

      [On va protéger notre marche et conquérir en partie celui des autres. Le problème c’est qu’à chaque fois la réalité a montré que ça n’a pas marché comme en théorie (pensez au Japon : conquérant dans les années 80-90 en crise depuis)]

      Je ne suis pas sûr de comprendre votre raisonnement. La protection de notre marché n’implique pas l’autarcie, et les barrières douanières n’empêchent pas le commerce. La question est celle que Keynes avait posé lors des discussions qui ont précédé la Charte de La Havane : dans la mesure où les excédents extérieurs des uns sont les déficits des autres, un modèle qui repose sur la recherche systématique des excédents n’est pas généralisable. L’objectif à poursuivre au niveau global est l’équilibre des échanges de chaque pays, ce qui suppose d’introduire des barrières pour réguler les échanges et empêcher la formation d’excédents ici, de déficits là-bas.

      [Par ex, si vous protégez votre marche par des barrières, pourquoi les entreprises protégées de la concurrence vont faire des efforts pour améliorer le produit ou le service ?]

      Parce que sur le marché intérieur, elles sont en concurrence. Ou bien parce que l’Etat exerce une pression sur elles. On a déjà eu cette discussion : il y a des exemples d’entreprises en situation de monopole qui pourtant on fait des efforts dans l’innovation et le service (ex. EDF) et des entreprises privées sur des marchés concurrentiels qui se sont endormies sur leurs lauriers…

      [– dans tous le texte ici, on parle de compétitivité prix. Ce n’est pas la seule. BMW est plus compétitif que Peugeot alors que Peugeot est bien moins cher. La compétitivité peut se jouer sur la qualité, le design …]

      Pardon, mais cela veut dire quoi « BMW est plus compétitif que Peugeot » ? S’il s’agit de dire qu’une BMW fournit le MEME service qu’une Peugeot pour un PRIX INFERIEUR, on est dans la logique de la compétitivité-prix. Et si BMW fournit un service DIFFERENT, alors où est la « compétition » ? Oui, les gens continuent à acheter des voitures alors que les radis sont moins chers. Diriez-vous que le la voiture est « plus compétitive » que le radis ?

      Je vous avoue que je n’ai jamais très bien compris cette idée de « compétitivité » autrement que sur le prix. Pour qu’il y ait « compétition », il faut que les produits en course fournissent le MEME service. Autrement dit, qu’ils ne soient pas destinés à satisfaire des besoins différents. Entre un appartement et un radis, lequel est plus « compétitif » ?

      [Et même sur le prix, vous pouvez être moins cher car votre produit est mieux conçu (et donc moins cher a fabriquer) ou votre production plus automatisée ou plus réactive (juste a temps invente par les constructeur japonais)]

      Et alors ? Je ne vois pas très bien ce que vous voulez démontrer. Bien sûr, la compétitivité est liée à des éléments internes au processus de production. Le problème, c’est que ces éléments sont à la portée de tout le monde. Il n’y a pas d’automatisation qui soit possible chez nous et pas en Chine.

      [– je pense comme vous que le plan européen de compétitivité sera un échec comme celui de Lisbonne. Non pas parce qu’on va pas faire de protectionnisme, mais parce que les ressources chez nous sont allouées au mauvais endroit.]

      Mais imaginons qu’elles fussent allouées au bon endroit. Pensez-vous que dans ces conditions le programme pourrait réussir ? Qu’est ce qui vous conduit à penser qu’en mettant les ressources au bon endroit on pourrait fabriquer de l’électronique moins cher qu’en Chine, ou des algorithmes d’intelligence artificielle moins chers qu’aux Etats-Unis sans faire du “protectionnisme” ?

      • cdg dit :

        @descartes
         
        {[Trump vient de battre en retraite pour les droits de douanes contre le Mexique et le Canada.]
        Pas du tout. Il a encore montré au contraire l’efficacité de sa méthode pour faire des « deals ».}
        IL faut savoir déjà quel était l objectif. Si on reste sur un plan économique (maintenir/faire revenir l industrie US aux USA) Trump a fait machine arrière toute. Et si on se place sur le plan sécuritaire je suis même pas sur que Trump a réellement gagne quelque chose a part de vagues promesses (genre un tsar du fentanyl au canada alors que le Fentanyl arrive de chine et est transforme au Mexique)
         
        [J’attends encore que quelqu’un me donne un exemple, un seul, d’un pays qui soit devenu une puissance mondiale en pratiquant le libre-échange intégral. ]
        libéral a 100 % n existe pas mais la GB du XIX était quand même le pays dominant et très libéral
         
        {Pardon, mais cela veut dire quoi « BMW est plus compétitif que Peugeot » ? S’il s’agit de dire qu’une BMW fournit le MEME service qu’une Peugeot pour un PRIX INFERIEUR, on est dans la logique de la compétitivité-prix. Et si BMW fournit un service DIFFERENT, alors où est la « compétition » ? }
        Disons que la compétition est sur la fourniture de voitures qui sont utilisées couramment (donc pas de Bugatti ou Ferrari). BMW est donc un concurrent de PSA ou Fiat. Je pense que vous aurez pas la mauvaise fois pour dire que BMW n est pas plus compétitif que Peugeot
         
        [Je vous avoue que je n’ai jamais très bien compris cette idée de « compétitivité » autrement que sur le prix. Pour qu’il y ait « compétition », il faut que les produits en course fournissent le MEME service.]
        C est pourtant souvent le cas. Que ça soit pour les voitures (cf ci dessus) ou les habits (après tout Shein couvre le même besoin qu une autre marque de prêt a porter féminin bien plus chère) ou même l ordinateur que vous utilisez (même si vous n avez pas un Apple, vous avez peut être choisit votre PC a cause de son design, le fait qu il ne soit pas bruyant ou si vous êtes un adepte du gaming/tuning par le fait qu il est éclairé et multicolore)
         
        [ Je ne vois pas très bien ce que vous voulez démontrer. Bien sûr, la compétitivité est liée à des éléments internes au processus de production. Le problème, c’est que ces éléments sont à la portée de tout le monde. Il n’y a pas d’automatisation qui soit possible chez nous et pas en Chine.]
        Pas évident. Même si vous pouvez acheter le même matériel ici qu en chine vous allez pas avoir les mêmes résultats. Par exemple, TSMC construit une usine dans l Arizona mais ils ont du mal a trouver des ingénieurs de production et en plus ceux ci n ont pas la motivation de leurs homologues de Taïwan. Petite anecdote personnelle : sur un des projets auquel je travaillais, on a eut en présérie des boîtiers qui ont casse très rapidement. La raison : les gens affecte a la chaîne de montage mangeaient en travaillant et des débris tombaient dans les boîtiers. Votre production en volume et qualité ne dépend pas que de votre automatisation
        {
        [– je pense comme vous que le plan européen de compétitivité sera un échec comme celui de Lisbonne. Non pas parce qu’on va pas faire de protectionnisme, mais parce que les ressources chez nous sont allouées au mauvais endroit.]
        Mais imaginons qu’elles fussent allouées au bon endroit. Pensez-vous que dans ces conditions le programme pourrait réussir ? Qu’est ce qui vous conduit à penser qu’en mettant les ressources au bon endroit on pourrait fabriquer de l’électronique moins cher qu’en Chine, ou des algorithmes d’intelligence artificielle moins chers qu’aux États-Unis sans faire du “protectionnisme” ?
        }
        La France a réussit sans protectionnisme a faire des entreprises mondiales (Michelin, Valeo pour citer autre chose que luxe/aéronautique). Pour l IA c est juste le début, donc même si on a eut un peu de retard a l allumage, l exemple de deepSeek montre qu un outsider peut réussir (le chinois en question était même pas dans l élite de la recherche chinois, c était un financier a l origine)
        Pour l électronique le protectionnisme est clairement contre-productif. On est techniquement a la rue, le savoir de pointe est en extrême orient. La seule façon de revenir c est d attirer des investissement d entreprise comme NVIDIA ou TSMC. Et aucune entreprise etrangere ira implanter une usine en France juste pour le marche français (trop petit) sans compter le risque de se faire rançonner pour colmater les trous de budget
         
         
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [{[Trump vient de battre en retraite pour les droits de douanes contre le Mexique et le Canada.]
          Pas du tout. Il a encore montré au contraire l’efficacité de sa méthode pour faire des « deals ».}
          IL faut savoir déjà quel était l’objectif.]

          Qui peut sonder les cœurs et les reins ? Dans le cas du Mexique, Trump a suspendu leur application après que le gouvernement mexicain lui ait donné satisfaction sur la question du contrôle de l’immigration. On peut raisonnablement dire qu’il y a eu un « deal ». Je ne connais pas assez le cas du Canada pour commenter plus en avant, mais je constate que les droits sur l’acier et l’aluminium s’appliquent à ce pays.

          [Si on reste sur un plan économique (maintenir/faire revenir l industrie US aux USA) Trump a fait machine arrière toute.]

          Mais justement, la logique du « deal » n’est pas de se placer sur un objectif unique, mais d’avoir une panoplie d’objectifs et de sacrifier certains pour avancer sur d’autres…

          [« J’attends encore que quelqu’un me donne un exemple, un seul, d’un pays qui soit devenu une puissance mondiale en pratiquant le libre-échange intégral. » libéral a 100 % n’existe pas mais la GB du XIX était quand même le pays dominant et très libéral]

          Vous n’avez pas bien lu la question. D’abord, je ne vous demande pas un exemple de pays qui ait été à la fois libre-échangiste et une puissance, mais un pays qui soit DEVENU une puissance tout en pratiquant le libre-échange intégral. Bien entendu, lorsque vous êtes une puissance dominante, vous pouvez vous permettre quelques luxes en matière d’ouverture de vos marchés… Par ailleurs, votre exemple est très mal choisi. La Grande Bretagne au XIXème siècle ne pratique pas – et de loin – le libre-échange intégral. En fait, l’étau protectionniste ne se desserre qu’à partir des années 1850, quand la domination anglaise sur le commerce mondial est bien établie. En 1820, les droits de douane pour les produits manufacturés en Grande Bretagne vont de 45% à 55% (Ha-Joon Chang, « Bad Samaritans : The Myth of Free Trade and the Secret History of Capitalism », 2008), et les marchés agricoles ne sont pas mieux lotis : les « Corn Laws » continuent à fermer le marché britannique aux importations jusqu’à leur abolition en 1846. Les « navigation laws », édictées sous Cromwell et qui, entre autres mesures restrictives, réservaient le transport des biens de et vers la Grande Bretagne aux navires britanniques sont abolies en 1949.

          Vous noterez par ailleurs que la Grande Bretagne, qui était devenue libre-échangiste après être devenue puissance dominante, abandonne le libre échange en 1932, tirant la conclusion de la perte de sa domination sur les marchés internationaux…

          [{Pardon, mais cela veut dire quoi « BMW est plus compétitif que Peugeot » ? S’il s’agit de dire qu’une BMW fournit le MEME service qu’une Peugeot pour un PRIX INFERIEUR, on est dans la logique de la compétitivité-prix. Et si BMW fournit un service DIFFERENT, alors où est la « compétition » ? } Disons que la compétition est sur la fourniture de voitures qui sont utilisées couramment (donc pas de Bugatti ou Ferrari). BMW est donc un concurrent de PSA ou Fiat. Je pense que vous n’aurez pas la mauvaise fois pour dire que BMW n’est pas plus compétitif que Peugeot]

          Non, j’aurais la bonne foi de vous dire que je ne comprends toujours pas de quoi vous êtes en train de parler. BMW ne fabrique que des voitures de luxe, là où Peugeot fabrique la voiture de monsieur tout le monde. Les voitures Peugeot satisfont un besoin – celui d’aller à son boulot ou d’amener les enfants à l’école – alors que les voitures BMW en satisfont un autre – celui d’un certain plaisir de conduire, d’affirmer un statut social. Dans ces conditions, cela veut dire quoi que l’un est « plus compétitif » que l’autre ? C’est un peu comme dire qu’un fabriquant de chocolat est « plus compétitif » qu’un fabriquant de sucre.

          [« Je ne vois pas très bien ce que vous voulez démontrer. Bien sûr, la compétitivité est liée à des éléments internes au processus de production. Le problème, c’est que ces éléments sont à la portée de tout le monde. Il n’y a pas d’automatisation qui soit possible chez nous et pas en Chine. » Pas évident. Même si vous pouvez acheter le même matériel ici qu’en Chine vous n’allez pas avoir les mêmes résultats. Par exemple, TSMC construit une usine dans l’Arizona mais ils ont du mal a trouver des ingénieurs de production et en plus ceux-ci n’ont pas la motivation de leurs homologues de Taïwan.]

          Mais vous pensez qu’il s’agit d’un problème temporaire d’ajustement, ou d’un problème structurel ? Autrement dit, vous pensez que l’usine de TSMC en Arizona est condamnée per secula seculorum à être moins efficace que les usines à Taiwan parce que les Arizoniens sont impossibles à former et à motiver ?

          [Petite anecdote personnelle : sur un des projets auquel je travaillais, on a eut en présérie des boîtiers qui ont casse très rapidement. La raison : les gens affecte a la chaîne de montage mangeaient en travaillant et des débris tombaient dans les boîtiers. Votre production en volume et qualité ne dépend pas que de votre automatisation]

          Je n’ai pas dit le contraire. Ce que j’ai dit c’est que « éléments internes au processus de production » qui jouent sur la « compétitivité » sont réplicables partout. C’est tout…

          [« Mais imaginons qu’elles fussent allouées au bon endroit. Pensez-vous que dans ces conditions le programme pourrait réussir ? Qu’est ce qui vous conduit à penser qu’en mettant les ressources au bon endroit on pourrait fabriquer de l’électronique moins cher qu’en Chine, ou des algorithmes d’intelligence artificielle moins chers qu’aux États-Unis sans faire du “protectionnisme” ? » La France a réussit sans protectionnisme a faire des entreprises mondiales (Michelin, Valeo pour citer autre chose que luxe/aéronautique).]

          Ah bon ? Si ma mémoire ne me trompe pas, quand Michelin et Valéo sont devenues des entreprises mondiales, la France pratiquait encore un protectionnisme assez rigoureux. Sans aller plus loin, je me souviens encore qu’au début de ma carrière les administrations et entreprises publiques n’achetaient que chez les fournisseurs français. On n’aurait pas imaginé à l’époque La Poste ayant d’autres voitures que des Renault équipées d’autres pneus que Michelin…

          Encore une fois, je pense que vous confondez les conditions qui permettent à une entreprise de DEVENIR une « entreprise mondiale » des conditions dont elle a besoin une fois qu’elle l’est devenue. Si la France avait un géant de l’informatique comme Google ou des semiconducteurs comme TSMC, elle pourrait se permettre de ne pas pratiquer le protectionnisme. Mais en situation de libre-échange, jamais une entreprise française ne deviendra Google ou TSMC.

          C’est pourquoi j’avais proposé dans un papier maintenant ancien un « protectionnisme intelligent ». Le but n’est pas de tout taxer, mais de protéger les secteurs stratégiques.

          [Pour l’IA c’est juste le début, donc même si on a eu un peu de retard à l’allumage, l’exemple de DeepSeek montre qu’un outsider peut réussir (le chinois en question était même pas dans l’élite de la recherche chinois, c’était un financier a l’origine)]

          Mais dites-moi… DeepSeek se développe dans un pays qui pratique le libre-échange ? Ou bien dans un pays où une entreprise qui développe l’IA peut-être assurée que lorsqu’il s’agira de passer des commandes publiques les entreprises locales auront toujours la préférence ?

          [Pour l’électronique le protectionnisme est clairement contre-productif. On est techniquement à la rue, le savoir de pointe est en extrême orient. La seule façon de revenir c’est d’attirer des investissements d’entreprise comme NVIDIA ou TSMC.]

          De « revenir » à quoi ? Si le savoir de pointe se trouve en extrême orient, alors on a intérêt à apprendre d’eux. Mais ce n’est pas parce que NVIDIA ou TSMC installeront une usine en France et que des femmes de ménage françaises nettoieront les ateliers et des mécaniciens français entretiendront les machines qu’on récupérera ce « savoir de pointe ». Taiwan n’est pas devenu une puissance industrielle grâce aux investissements américains, mais grâce aux investissements taiwanais qui ont amené de la technologie américaine et l’ont « taiwanisé ». Nous avions fait la même chose en d’autres temps : pour le programme nucléaire, on a amené la filière américaine Westinghouse « eau préssurisée », et on l’a « francisée » avec des ingénieurs français et des investissements français. Si Westinghouse avait construit et exploité nos centrales, alors nous n’aurions jamais eu accès à cette technologie.

          [Et aucune entreprise étrangère ira implanter une usine en France juste pour le marché français (trop petit) sans compter le risque de se faire rançonner pour colmater les trous de budget]

          Pourtant, des usines s’implantent en Corée ou à Taiwan, qui ont des marchés de même taille que le nôtre, et qui pratiquent un protectionnisme sourcilleux…

  10. MJJB dit :

    Votre texte est fort éloquent (comme d’habitude), mais je crois pouvoir y déceler un petit oubli (oh, trois fois rien) : vous ne dites mot de la véritable raison pour laquelle les politiques que vous stigmatisez (à juste titre, est-il besoin de le préciser) ont été mises en œuvre : mater ce qu’en d’autres temps on eût appelé la “classe ouvrière” (“la Vertu ne peut venir que de la contrainte extérieure”, disait fort justement à ce propos Jean Monnet). Et il faut bien avouer que, de ce point de vue, les politiques en question ont donné, et continuent de donner, pleine et entière satisfaction. On comprend donc que personne ne souhaite réellement les remettre en cause…

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [Votre texte est fort éloquent (comme d’habitude), mais je crois pouvoir y déceler un petit oubli (oh, trois fois rien) : vous ne dites mot de la véritable raison pour laquelle les politiques que vous stigmatisez (à juste titre, est-il besoin de le préciser) ont été mises en œuvre : mater ce qu’en d’autres temps on eût appelé la “classe ouvrière” (“la Vertu ne peut venir que de la contrainte extérieure”, disait fort justement à ce propos Jean Monnet).]

      Ce n’est pas un oubli, mais un parti pris. Je ne fais pas de la lutte des classes un conflit moral. Les classes dominantes n’ont pas pour objectif de « mater la classe ouvrière ». Elles ont pour objectif de s’enrichir le plus possible. « Mater la classe ouvrière » n’est donc pas un but, mais un moyen, une condition nécessaire pour pouvoir extraire le plus de plus-value possible du travail. Pour donner un exemple, lorsque les actionnaires délocalisent, ils ne le font pas pour « mater la classe ouvrière », mais parce que les bénéfices sont plus copieux en investissant ailleurs. Il est clair qu’en mettant en concurrence ouvriers français et ouvriers bangladeshis on réduit les marges de lutte des premiers, et on les « mate » donc. Mais c’est une conséquence, et non un objectif en soi.

      Le point est à mon sens important : il faut sortir de la caricature du patron-vampire avide du sang des travailleurs. La contestation du capitalisme n’est pas une question morale : il y a des patrons qui sont à titre personnel parfaitement honorables et soucieux du bien-être de leurs employés. Certains vivent même comme une tragédie le conflit entre ce que leur dicte leur morale et « la règle du jeu » capitaliste qui les oblige à licencier, à délocaliser, sous peine de disparaître. Il faut bien comprendre que le problème n’est pas dans la moralité de tel ou tel groupe, mais dans l’organisation du système. Le dépassement du capitalisme serait désastreux pour les INTERETS de la classe dominante, mais pas pour sa position morale. C’est en ce sens que la révolution prolétarienne est censée « libérer l’ensemble de la société ».

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        [Je ne fais pas de la lutte des classes un conflit moral.]
        Pardon, mais considérer que l’exploitation de l’ouvrier par le bourgeois est une “injustice”, n’est-ce pas déjà adopter un point de vue “moral”? La question “morale” commence où pour vous?
         
        Et si on se place du côté de la raison, alors c’est la question de l’efficacité productive qui se pose. Et le fait est que le capitalisme a offert un cadre permettant une croissance spectaculaire de la production de biens…
         
        PS: je précise que je ne suis pas un partisan forcené du capitalisme. Mais je me dis que si partout il s’installe, il doit bien y avoir une raison, et que cette raison ne peut pas être uniquement le fait que les capitalistes ont fait sciemment échouer les expériences communistes (qui, d’un point de vue théorique et “moral”, paraissent plus séduisantes à première vue, je trouve).

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [« Je ne fais pas de la lutte des classes un conflit moral. » Pardon, mais considérer que l’exploitation de l’ouvrier par le bourgeois est une “injustice”, n’est-ce pas déjà adopter un point de vue “moral”? La question “morale” commence où pour vous ?]

          Cela dépend de ce que vous appelez « justice ». Personnellement, je tends à adopter le point de vue de John Rawls. Pour schématiser, pour Rawls la « juste » solution d’un litige est celle qu’adopterait un observateur qui ne saurait pas de quel côté il est placé. Autrement dit, dans le conflit de répartition entre le bourgeois et l’ouvrier, la solution « juste » est celle qu’adopterait un observateur qui ne sait pas s’il devra vivre sa vie comme ouvrier, ou au contraire jouir d’elle comme un bourgeois…

          Vous voyez qu’une telle conception ne laisse guère de place à un débat « moral ». La solution de Rawls aboutit finalement à une forme d’optimisation sociale qui n’a que faire de principes immatériels. L’observateur de Rawls aboutit à une solution qui équilibre le risque.

          [Et si on se place du côté de la raison, alors c’est la question de l’efficacité productive qui se pose. Et le fait est que le capitalisme a offert un cadre permettant une croissance spectaculaire de la production de biens…]

          C’est, si l’on suit le raisonnement de Marx, la raison qui lui a permis de s’imposer presque partout, remplaçant les modes de production plus anciens. C’est le mode de production le plus efficace – et non le plus moral ou le plus juste – qui, dans un contexte de développement scientifique, technique et social, s’impose aux autres. Contrairement aux films de Disney, les bons ne gagnent pas à la fin.

          [PS: je précise que je ne suis pas un partisan forcené du capitalisme. Mais je me dis que si partout il s’installe, il doit bien y avoir une raison, et que cette raison ne peut pas être uniquement le fait que les capitalistes ont fait sciemment échouer les expériences communistes (qui, d’un point de vue théorique et “moral”, paraissent plus séduisantes à première vue, je trouve).]

          Je vois avec satisfaction que vous adoptez un point de vue strictement matérialiste. Mais si ce point de vue est juste du point de vue global, il n’est pas forcément vrai du point de vue micro-social. Lorsque le rapport de forces lui est très défavorable, une expérience isolée peut être étouffée quand bien même elle serait très « efficace ». Les mouvements historiques sont d’ailleurs plus ambigus qu’on ne le croit généralement, et le dépassement du capitalisme ne passe pas forcément par le « grand soir ». Il me semble incontestable que le « capitalisme libéral » entre en crise au début du XXème siècle, crise qui conduit à la première guerre mondiale puis à la grande dépression. De cette crise surgissent différentes expériences « socialistes », celle de l’URSS bien entendu, mais aussi un basculement dans les pays capitalistes, où les partis ouvriers prennent une place de plus en plus grande et imposent des mesures « antilibérales ». La réaction de la bourgeoisie est violente : c’est la deuxième guerre mondiale. Mais la bataille est perdue pour les libéraux : l’après-guerre voit une forme de capitalisme nouvelle, avec un Etat-providence qui régule ce qui auparavant était laissé au privé. A ce moment-là de l’histoire, le « capitalisme d’Etat » (qui est pour moi un proto-socialisme) devient le mode de production le plus efficient, et il s’impose presque partout.

          C’est l’évolution technologique dans les communications et les transports qui change ce cadre. Avec la possibilité de mettre en concurrence les travailleurs du monde entier, le capitalisme libéral récupère en partie sa supériorité en termes d’efficacité. D’où le recul des expériences socialistes mais aussi des « capitalismes d’Etat ».

          • Carloman dit :

            @ Descartes,
             
            [Autrement dit, dans le conflit de répartition entre le bourgeois et l’ouvrier, la solution « juste » est celle qu’adopterait un observateur qui ne sait pas s’il devra vivre sa vie comme ouvrier, ou au contraire jouir d’elle comme un bourgeois…]
            Pardonnez-moi, mais j’ai un peu de mal à voir comment la question peut se résoudre de manière aussi simpliste. En effet, la question n’est pas seulement de savoir si l’observateur devra “vivre sa vie comme ouvrier ou comme bourgeois”, mais aussi dans quelle type de société on vit. Un ouvrier qui obtiendrait une “juste” répartition de la valeur produite, mais dans une société de misère et de pénurie où la bourgeoisie n’aurait pas accompli cette “révolution bourgeoise” qu’est le capitalisme, serait-il gagnant, par rapport à l’ouvrier qui vit dans une société capitaliste où les gains de production ont éloigné le spectre de la famine et de la pénurie?
             
            Il n’est pas impossible qu’au paléolithique et au début du néolithique, la “répartition de la valeur produite” fût plus “juste” que dans la société capitaliste moderne. Pourtant, nous sommes bien d’accord que vous ne souhaitez pas le retour à la préhistoire. A titre personnel, je pense que le progrès technique et intellectuel – je dirais même artistique – génère qu’on le veuille ou non des inégalités sociales et économiques. Il fallait un pharaon et une “technocratie” de scribes en Egypte pour construire les pyramides de Gizeh, Louxor, Karnak. Il fallait une classe de rentiers de la terre à Athènes pour que Socrate trouvât le temps de méditer ses maximes lumineuses, et que Platon les mît par écrit. Il fallait une noblesse et un clergé dans la France médiévale pour édifier les cathédrales romanes et gothiques. Il est possible – et sans doute souhaitable pour des raisons très prosaïques de paix sociale et d’ordre public – de réduire les inégalités, d’éviter qu’elles ne soient trop fortes, trop voyantes, trop scandaleuses. Mais les effacer? Est-ce possible dans une société dont l’organisation de la production devient relativement complexe? A part s’orienter vers une société de petits producteurs quasi-autarciques (le rêve extravagant de certains écolos…) qui verrait une forte baisse de la production, je ne vois pas.
             
            Je me permets d’ailleurs de vous poser – respectueusement – la question: souhaitez-vous la réduction des inégalités, ou leur abolition pure et simple? Personnellement, je fais mienne la belle formule de l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen: “les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune“. Si déjà on s’approchait d’un tel objectif!
             
            [Je vois avec satisfaction que vous adoptez un point de vue strictement matérialiste.]
            Sachez, Monsieur, que je suis allé à bonne école: je lis depuis de longues années un blogueur marxiste ayant une solide culture et beaucoup de hauteur de vue… 😉
             
            [Lorsque le rapport de forces lui est très défavorable, une expérience isolée peut être étouffée quand bien même elle serait très « efficace ».]
            Je suis d’accord avec vous. Mais à partir de 1949-1950, alors que se constitue le bloc de l’est en Europe, que la Chine tombe aux mains de Mao, que de nouveaux régimes communistes naissent en Asie (Corée du Nord, Viêtnam), que des expériences “socialisantes” voient le jour dans certains pays arabes, diriez-vous que l’expérience socialiste a été si “isolée” que cela? Vous et moi connaissons la suite, mais n’est-il pas exagéré de penser le communisme comme étant partout et de tout temps sur la défensive face à un monde capitaliste triomphant? Ne pourrait-on pas considérer qu’entre 1945 et la fin des années 70, il y a eu un véritable dynamisme du communisme, avec des expériences diverses?
             
            [Il me semble incontestable que le « capitalisme libéral » entre en crise au début du XXème siècle, crise qui conduit à la première guerre mondiale puis à la grande dépression. De cette crise surgissent différentes expériences « socialistes », celle de l’URSS bien entendu, mais aussi un basculement dans les pays capitalistes, où les partis ouvriers prennent une place de plus en plus grande et imposent des mesures « antilibérales ». La réaction de la bourgeoisie est violente : c’est la deuxième guerre mondiale.]
            Je vous le dis en toute franchise: j’aime chez vous cette hauteur de vue, cette vision globale de l’histoire que vous donne le matérialisme historique orthodoxe dont vous vous réclamez. Je ne saurais nier la profonde influence que vous exercez sur ma pensée, parfois à mon corps défendant. Mais la fulgurance de votre pensée m’impressionne autant qu’elle me donne parfois le vertige, et là je dois vous demander, si séduisant que paraisse votre thèse, de détailler un peu les choses. 
             
            Peut-on vraiment parler de “capitalisme libéral” au début du XX° siècle, avant 1914? Je vous pose la question parce que j’ai souvenir de mesures protectionnistes, comme les tarifs douaniers sur les produits agricoles, en France (le “tarif Méline” mis en place en 1892). Est-il pertinent de parler de “capitalisme libéral” dans un monde où les relations entre métropoles et colonies créent de réels déséquilibres? Dans un système de “capitalisme libéral”, qu’est-ce qui aurait empêché les industriels britanniques d’installer leurs usines dans l’Empire des Indes où la main-d’oeuvre, déjà abondante, était certainement bon marché, en tout cas moins chère qu’en Grande Bretagne? Derrière “capitalisme libéral”, je comprends – entre autres – libre-échange, réduction des droits de douane, etc. Mais peut-être que je me trompe?
             
            Ma deuxième question est: quels sont d’après vous les indices d’une “crise” du capitalisme à l’aube de la Grande Guerre? Et comment reliez-vous les éléments de cette crise à l’éclatement de la guerre? Vos arguments m’intéressent.
             
            Concernant la “réaction de la bourgeoisie” dans l’Entre-deux-guerres, je veux être sûr d’avoir bien compris votre raisonnement: je suis d’accord sur le fait que le nazisme et les mouvements fascistes en général constituent une forme de “bouclier anticommuniste” dont la, ou plutôt les bourgeoisies européennes se sont servies. Mais la guerre? Etait-elle l’aboutissement logique, évident, inéluctable de cela? Ou bien les bourgeoisies européennes ont-elles misé sur un protecteur qui les a bernées pour les mener au désastre? Les nazis par exemple, ont-ils servi la bourgeoisie allemande ou bien se sont-ils servis d’elle? Un peu des deux?
             
            Veuillez m’excuser de ces questions à foison, mais vous titillez ma curiosité. 

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« Autrement dit, dans le conflit de répartition entre le bourgeois et l’ouvrier, la solution « juste » est celle qu’adopterait un observateur qui ne sait pas s’il devra vivre sa vie comme ouvrier, ou au contraire jouir d’elle comme un bourgeois… » Pardonnez-moi, mais j’ai un peu de mal à voir comment la question peut se résoudre de manière aussi simpliste. En effet, la question n’est pas seulement de savoir si l’observateur devra “vivre sa vie comme ouvrier ou comme bourgeois”, mais aussi dans quelle type de société on vit. Un ouvrier qui obtiendrait une “juste” répartition de la valeur produite, mais dans une société de misère et de pénurie où la bourgeoisie n’aurait pas accompli cette “révolution bourgeoise” qu’est le capitalisme, serait-il gagnant, par rapport à l’ouvrier qui vit dans une société capitaliste où les gains de production ont éloigné le spectre de la famine et de la pénurie ?]

              Ici, vous confondez deux choses très différentes, celle de la justice et celle de l’intérêt. Une chose est de se demander si la répartition d’un gâteau donné est plus ou moins « juste », et une autre est celle de se demander quel est l’effet des modes de répartition sur la taille du gâteau. Au fond, votre questionnement souligne un point intéressant : le système le plus « juste » n’est pas forcément – lorsqu’on regarde la question globalement – le plus avantageux pour l’ensemble des parties. C’est pour cela que la question de la répartition ne peut pas être réduite à une question de « justice ».

              [Il n’est pas impossible qu’au paléolithique et au début du néolithique, la “répartition de la valeur produite” fût plus “juste” que dans la société capitaliste moderne. Pourtant, nous sommes bien d’accord que vous ne souhaitez pas le retour à la préhistoire.]

              Vous marchez sur les pas de Marx et Engels. Pour eux, le mode de production caractéristique des sociétés primitives est le « communisme primitif » : sans capacité d’accumulation, avec une faible division du travail, la répartition de la valeur produite était relativement égalitaire. Mais ce n’est pas pour autant qu’un retour au communisme primitif devenait désirable. La force du marxisme est justement d’avoir rejeté la vision idéaliste qui faisait de la recherche de la justice et de l’égalité le moteur de l’histoire, et d’avoir construit à sa place une vision matérialiste : le moteur de l’histoire, c’est la recherche d’une plus grande efficacité des forces productives.

              [A titre personnel, je pense que le progrès technique et intellectuel – je dirais même artistique – génère qu’on le veuille ou non des inégalités sociales et économiques. Il fallait un pharaon et une “technocratie” de scribes en Egypte pour construire les pyramides de Gizeh, Louxor, Karnak. Il fallait une classe de rentiers de la terre à Athènes pour que Socrate trouvât le temps de méditer ses maximes lumineuses, et que Platon les mît par écrit. Il fallait une noblesse et un clergé dans la France médiévale pour édifier les cathédrales romanes et gothiques. Il est possible – et sans doute souhaitable pour des raisons très prosaïques de paix sociale et d’ordre public – de réduire les inégalités, d’éviter qu’elles ne soient trop fortes, trop voyantes, trop scandaleuses. Mais les effacer ?]

              Il faudrait savoir de quelles « inégalités » on parle. Une société d’égaux est difficile à concevoir ne serait-ce que parce que la division du travail implique une hiérarchie, et qu’une société qui récompense de la même manière celui qui se consacre corps et âme à sa tâche et celui qui ne fait que le minimum ne peut que favoriser les passagers clandestins. C’est pourquoi je n’ai jamais trop cru à la possibilité réelle d’une société « communiste » (au sens que donnent à ce terme les communistes utopiques). Marx et Engels se sont d’ailleurs bien gardés de caractériser une société communiste : leur génie était essentiellement dans leur étude du capitalisme. En fait, la société communiste apparaît comme l’horizon ultime de l’histoire par le fait que si la lutte des classes est le moteur de l’histoire, le seul stade « stable » est celui d’une société sans classes. Ce qui suppose que tout le monde occupe la même situation dans le mode de production…

              Cela étant dit, toutes les inégalités ne se valent pas. On voit mal pourquoi une société qui offrirait une égalité des opportunités, mais qui continuerait à récompenser le travail et le mérite, ne pourrait construire des cathédrales – ou plutôt leur équivalent moderne. Vous l’aurez compris, je ne suis pas – et cela ne me conduit nullement à contredire Marx – partisan d’une société égalitariste. Je vois plutôt le socialisme comme une forme d’aristocratie méritocratique. Cela étant dit, il faut se méfier : les êtres humains ont du mal à concevoir des organisations sociales qui ne sont pas fondées sur les structures qu’ils connaissent…

              [Je me permets d’ailleurs de vous poser – respectueusement – la question : souhaitez-vous la réduction des inégalités, ou leur abolition pure et simple? Personnellement, je fais mienne la belle formule de l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : “les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune“. Si déjà on s’approchait d’un tel objectif !]

              Je vous répondrai – tout aussi respectueusement – que je ne mets pas toutes les « inégalités » dans le même panier. Certaines inégalités devraient être pure et simplement abolies : je pense aux inégalités liées à l’origine, qui réservent certaines opportunités aux gens nés dans la « bonne » classe sociale, la « bonne » communauté, la « bonne » famille, la « bonne » ethnie. D’autres, celles qui sont fondées sur le travail, l’effort, le mérite, le dévouement à la collectivité, devraient au contraire être maintenues et même encouragées.

              [« Lorsque le rapport de forces lui est très défavorable, une expérience isolée peut être étouffée quand bien même elle serait très « efficace ». » Je suis d’accord avec vous. Mais à partir de 1949-1950, alors que se constitue le bloc de l’est en Europe, que la Chine tombe aux mains de Mao, que de nouveaux régimes communistes naissent en Asie (Corée du Nord, Viêtnam), que des expériences “socialisantes” voient le jour dans certains pays arabes, diriez-vous que l’expérience socialiste a été si “isolée” que cela ?]

              Oui. L’ensemble de ces régimes ont quelque chose en commun : ils ont eu à soutenir une guerre avec le monde capitaliste, d’où les pays sont sortis exsangues. A la charge de faire fonctionner un mode de production nouveau – avec toutes les erreurs qu’une telle situation comporte – s’est ajoutée celle de relever le pays des destructions de guerre, dans un contexte où le monde capitaliste à tout fait pour gêner ce relèvement. Et pour compliquer le tout, ces régimes se sont développés essentiellement dans des pays pauvres, n’ayant qu’un très faible capital humain… Dans ces conditions, la réussite aurait été un miracle, et dans certains cas l’a été : les plans quinquennaux sous Staline ou les premières années sous Mao sont des réussites économiques incontestables, qui auraient été impossibles sous un régime capitaliste.

              Les révolutions socialistes ne sont pas les premières à avoir affronté ce genre de phénomène. La France révolutionnaire a aussi connu la guerre et le blocus, puis le rétablissement d’une forme d’ancien régime par la force des armes. Seulement, contrairement au capitalisme, le mode de production féodal n’a pas su se renouveler, il n’y a pas eu de « deuxième révolution féodale » comme il y a eu une « deuxième révolution industrielle ».

              [Vous et moi connaissons la suite, mais n’est-il pas exagéré de penser le communisme comme étant partout et de tout temps sur la défensive face à un monde capitaliste triomphant ? Ne pourrait-on pas considérer qu’entre 1945 et la fin des années 70, il y a eu un véritable dynamisme du communisme, avec des expériences diverses ?]

              En apparence, oui. Mais ces apparences cachent une réalité : en 1945 l’URSS est un pays dévasté. Il a perdu presque un cinquième de sa population (la France n’a perdu qu’un centième…) et parmi eux une grande partie de sa jeunesse éduquée et formée. Ses alliés ne sont pas en meilleur état – pensez à la Pologne, par exemple, ou à la RDA. Et pour couronner le tout, il lui faut soutenir une « guerre froide » qui s’accompagne d’un blocus économique qui ne dit pas son nom. C’est déjà un miracle que l’URSS ait réussi à se relever de cette épreuve. Mais le décalage était déjà trop grand avec un capitalisme qui partait dans une deuxième révolution industrielle. Pour moi, l’URSS en 1945 est blessée à mort. Qu’elle ait réussi à durer jusqu’à Gorbatchev, voilà le vrai miracle.

              [Peut-on vraiment parler de “capitalisme libéral” au début du XX° siècle, avant 1914? Je vous pose la question parce que j’ai souvenir de mesures protectionnistes, comme les tarifs douaniers sur les produits agricoles, en France (le “tarif Méline” mis en place en 1892). Est-il pertinent de parler de “capitalisme libéral” dans un monde où les relations entre métropoles et colonies créent de réels déséquilibres?]

              Il ne faut pas confondre « libéralisme » et « libre-échange ». Oui, on peut parler de « capitalisme liberal » au début du XXème siècle au moins intra-muros. Il est vrai qu’entre empires on maintient certaines barrières protectionnistes, mais à l’intérieur des ensembles impériaux, c’est le « laissez faire, laissez passer » qui prédomine. Et les premières crises cycliques du capitalisme sont d’ailleurs gérées dans cette logique. Lorsque la crise éclate en 1929, la position du gouvernement américain est de laisser les marchés se redresser d’eux-mêmes, et de ne pas intervenir. Devant les dégâts de la Grande Dépression, l’Etat interviendra pour la première fois dans l’économie américaine – s’attirant les cris d’orfraie de l’ensemble du monde financier – avec le « New Deal ».

              Le « capitalisme libéral », c’est-à-dire, le refus de voir intervenir l’Etat dans le domaine économique et la croyance que les marchés pouvaient s’auto-réguler, marque le début du XXème siècle au moins jusqu’à la guerre de 1914. Et si la guerre oblige les Etats à devenir des acteurs économiques de premier plan, la tentation après 1918 est de revenir aux douceurs financières de la Belle Epoque. En fait, ce « capitalisme libéral » subsiste dans les esprits jusqu’à la Grande Dépression. Ce n’est à partir de 1930 que la théorie économique dominante accepte – avec Keynes et quelques autres – l’idée que les marchés peuvent être défaillants.

              [Dans un système de “capitalisme libéral”, qu’est-ce qui aurait empêché les industriels britanniques d’installer leurs usines dans l’Empire des Indes où la main-d’œuvre, déjà abondante, était certainement bon marché, en tout cas moins chère qu’en Grande Bretagne ?]

              D’abord, la problématique du transport, qui était non seulement cher, mais aussi très long. Une usine en Angleterre pouvait répondre aux commandes en quelques semaines, alors qu’il lui aurait fallu des mois pour envoyer la commande en Inde, la faire exécuter puis rapatrier le produit en Grande Bretagne. Ensuite, la problématique de la protection de l’investissement : une usine en Grande Bretagne fonctionnait dans un environnement connu, où la bourgeoise contrôlait l’ensemble des organes répressifs, que ce soit ceux qui agissaient sur les corps – la police – ou sur les esprits – l’église.

              Le néolibéralisme a été rendu possible non seulement par les améliorations technologiques dans les transports et les communications, mais aussi par une uniformisation culturelle qui fait que le travailleur indien n’est finalement pas très différent du travailleur britannique.

              [Derrière “capitalisme libéral”, je comprends – entre autres – libre-échange, réduction des droits de douane, etc. Mais peut-être que je me trompe?]

              Oui. Vous pensez le « capitalisme libéral » dans sa dimension internationale, mais vous oubliez la dimension nationale, celle du « laissez faire, laissez aller » et de l’interdiction faite à l’Etat d’intervenir dans l’économie.

              [Ma deuxième question est: quels sont d’après vous les indices d’une “crise” du capitalisme à l’aube de la Grande Guerre? Et comment reliez-vous les éléments de cette crise à l’éclatement de la guerre? Vos arguments m’intéressent.]

              Conformément à la prédiction de Marx, les crises cycliques du capitalisme marquent la première moitié du XXème siècle. Quand je parle de la crise du capitalisme à l’aube de la Grande Guerre, je parle bien entendu de la crise de 1929 et de la Grande Dépression. Vous me direz qu’en 1939, on en est en grande partie sortis de cette crise. Ce n’est que partiellement vrai : si l’activité économique a repris, la crise a laissé des marques profondes sur la société, et en particulier dans la classe ouvrière qui voit dans l’URSS – qui a échappé à la Dépression et qui commence à toucher les dividendes des plans quinquennaux – un modèle attractif. La montée des régimes autoritaires et belliqueux en Europe centrale tiennent en grande partie à la volonté d’engager une guerre contre l’URSS.

              [Concernant la “réaction de la bourgeoisie” dans l’Entre-deux-guerres, je veux être sûr d’avoir bien compris votre raisonnement : je suis d’accord sur le fait que le nazisme et les mouvements fascistes en général constituent une forme de “bouclier anticommuniste” dont la, ou plutôt les bourgeoisies européennes se sont servies. Mais la guerre ? Etait-elle l’aboutissement logique, évident, inéluctable de cela ? Ou bien les bourgeoisies européennes ont-elles misé sur un protecteur qui les a bernées pour les mener au désastre ? Les nazis par exemple, ont-ils servi la bourgeoisie allemande ou bien se sont-ils servis d’elle ? Un peu des deux ?]

              Un peu de deux. Dans les mots de Chamberlain, « il faut chevaucher le tigre et l’envoyer vers l’est ». La bourgeoisie allemande voyait en Hitler un rempart contre le communisme à l’intérieur, et un gouvernement capable de soutenir l’expansion allemande à l’étranger. La bourgeoisie anglaise ou française imaginait que l’anticommunisme des nazis les conduirait à un conflit avec l’URSS, dont ils tireraient les résultats. Du côté des alliés, on s’est trompé en imaginant que les rivalités idéologiques primeraient sur les intérêts économiques et les rancunes historiques. Hitler a finalement préféré régler les comptes pendants de la première guerre mondiale avec la France – et d’occuper des territoires riches au passage. Une partie de la bourgeoisie française est d’ailleurs séduite par la promesse d’un « nouvel ordre européen » ou la France sera certes subordonnée, mais où l’on pourra faire des bonnes affaires sans craindre un nouvel Front Populaire.

              Du côté de la bourgeoisie allemande, l’erreur était très différente : elle a pensé que Hitler pouvait gagner la guerre. Et si cette bourgeoisie commence à avoir des doutes, ce n’est pas parce qu’on déporte les juifs à Auschwitz – au contraire, on s’empresse d’utiliser les déportés comme main d’œuvre taillable et corvéable à merci – mais lorsqu’il s’avère que la guerre est vraisemblablement perdue.

              Pour répondre à votre question, la guerre n’était en rien une conséquence inéluctable de la politique du « cordon sanitaire ». La guerre a été voulue par les dirigeants français et anglais. Seulement la guerre qu’ils ont voulu et celle qu’ils ont eu n’était pas tout à fait la même… Si en 1940 l’Allemagne, au lieu d’attaquer la France avait dirigé ses troupes contre l’URSS, elle aurait pu compter sur la neutralité bienveillante de l’ensemble des grandes puissances, qui auraient regardé les deux adversaires s’épuiser avant d’intervenir pour imposer leurs intérêts. Les Allemands et les Soviétiques l’ont bien compris, et d’une certaine manière le pacte de 1939 en est le résultat. C’est d’ailleurs pour cela qu’on n’a jamais pu vraiment pardonner aux Soviétiques de l’avoir signé.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              [C’est pour cela que la question de la répartition ne peut pas être réduite à une question de « justice ».]
              Si on demande à un observateur “neutre” d’arbitrer entre le bourgeois et l’ouvrier, sans autre élément de contexte, comme l’exemple que vous donniez, j’y vois une pure question de justice.
               
              [Vous marchez sur les pas de Marx et Engels.]
              Je le prends comme un compliment…
               
              [En fait, la société communiste apparaît comme l’horizon ultime de l’histoire par le fait que si la lutte des classes est le moteur de l’histoire, le seul stade « stable » est celui d’une société sans classes. Ce qui suppose que tout le monde occupe la même situation dans le mode de production…]
              Cela signifierait également, si je vous lis bien, que l’avènement de la société communiste marquerait la fin de l’histoire, puisque si l’on admet que la lutte des classes est le moteur de l’histoire, alors cette dernière n’aurait plus de moteur pour avancer.
               
               [On voit mal pourquoi une société qui offrirait une égalité des opportunités, mais qui continuerait à récompenser le travail et le mérite, ne pourrait construire des cathédrales – ou plutôt leur équivalent moderne.]
              J’entends. Vous me permettrez une première remarque: toutes les sociétés ou presque, à certains moments, ont connu des époques de mobilité sociale, des périodes où, suite à une mutation majeure ou à une crise, les cartes ont été – au moins en partie – rebattues, pour la bonne et simple raison qu’une société sclérosée finit par se condamner et péricliter (sauf à être complètement isolée, et encore). 
               
              [Certaines inégalités devraient être pure et simplement abolies : je pense aux inégalités liées à l’origine, qui réservent certaines opportunités aux gens nés dans la « bonne » classe sociale, la « bonne » communauté, la « bonne » famille, la « bonne » ethnie. D’autres, celles qui sont fondées sur le travail, l’effort, le mérite, le dévouement à la collectivité, devraient au contraire être maintenues et même encouragées.]
              Je vous trouve quand même bien idéaliste. Vous savez aussi bien que moi que dans certaines classes sociales, dans certaines communautés, dans certaines familles, on valorise davantage “le travail, l’effort, le mérite, le dévouement à la collectivité”, etc. Ou, pour vous le dire autrement, le capital immatériel, culturel et intellectuel, n’est pas uniformément réparti. Et vous pouvez difficilement empêcher les groupes qui assurent une bonne transmission du capital immatériel de “truster” certaines fonctions et certains postes. C’est vous même d’ailleurs qui m’aviez dit, si je me souviens bien, que la culture juive est particulièrement efficace pour la formation intellectuelle des individus.
              Mais cela ne s’arrête pas là, car vous savez aussi bien que moi que ces groupes mettent en place, tôt ou tard, des stratégies qui généralement assurent à leurs descendants les mêmes fonctions et postes, bref des stratégies de “reproduction sociale”, et cela semble très prégnant chez l’être humain. A partir de quel moment faut-il parler de “privilège”? A partir de quel moment la naissance commence-t-elle à se substituer au mérite? Je ne sais pas. Mais j’ai l’impression en effet – et vous avez développé cette idée me semble-t-il – que nous sommes dans une phase de “gel” (ou au moins de tentative de gel) des positions sociales, et qu’on s’achemine vers une sorte de sclérose… Jusqu’à la prochaine crise?
               
              D’ailleurs, comment vous positionnez-vous par rapport à la question de l’héritage? Sur le capital matériel, je me doute de ce qu’un communiste peut répondre: il estimera sans doute que la transmission de ce capital crée les conditions d’une société capitaliste inégalitaire. Mais si je vous disais par exemple que la volonté de transmettre son capital à sa descendance a été un facteur très puissant de création de grandes entreprises, d’empires industriels, de fortunes colossales, que me répondriez-vous?
               
              Quant au capital immatériel, vous ne pouvez pas empêcher des familles de le transmettre avec soin, ni en obliger d’autres à essayer de le développer. Je peux vous en parler en tant qu’enseignant: on voit la différence entre un élève vivant dans une famille où il y a des livres, et un élève vivant dans une famille où il n’y en a point. L’école peut corriger cela à la marge, mais combler le fossé paraît bien difficile. A moins de retirer tous les enfants à leurs familles et de tous les placer dans la même structure éducative.
               
              [Oui. L’ensemble de ces régimes ont quelque chose en commun : ils ont eu à soutenir une guerre avec le monde capitaliste, d’où les pays sont sortis exsangues.]
              Vous généralisez un peu vite. L’Irak n’avait pas connu de grande guerre avant 1979, et son développement économique est réel dans les années 70. L’Algérie sortait certes d’une guerre d’indépendance éprouvante, mais elle avait la manne pétrolière pour se reconstruire.
              Il ne faudrait pas négliger quand même l’incurie des dirigeants d’un certain nombre de pays socialistes ou socialisants, la corruption, les mentalités parfois encore archaïques. Je trouve que le monde capitaliste a bon dos.
               
              [Il ne faut pas confondre « libéralisme » et « libre-échange ».]
              Ah, je pensais que l’un allait nécessairement avec l’autre, autant pour moi. On peut donc être libéral et protectionniste, si je comprends bien.
               
              [Quand je parle de la crise du capitalisme à l’aube de la Grande Guerre, je parle bien entendu de la crise de 1929 et de la Grande Dépression.]
              Ma question ne porte pas sur le lien entre crise du capitalisme et déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, mais sur les indices de crise du capitalisme avant 1914 et le lien que vous faites avec l’éclatement de la Première Guerre Mondiale (j’emploie souvent “Grande Guerre”, expression que je préfère, pour parler de la Première Guerre Mondiale). C’est ce point qui m’intéresse.
               
              [La montée des régimes autoritaires et belliqueux en Europe centrale tiennent en grande partie à la volonté d’engager une guerre contre l’URSS.]
              Je suis sceptique. La guerre contre l’URSS, pardon, mais elle avait eu lieu en 1918-1920, dans un contexte de très grande fragilité du jeune régime bolchévique. Et cette guerre, les puissances capitalistes l’ont perdue. Dans les années 30, le régime soviétique se stabilise et, malgré la violence de la répression, les ratés (famines du début des années 30), Staline opère un développement industriel spectaculaire du pays. Bien sûr il reste des faiblesses, mais se frotter à l’URSS de la fin des années 30 paraît plus risqué. J’aurais tendance à penser qu’il y avait surtout une volonté d’empêcher la contagion communiste… Parce que, vous le savez bien, le communisme fait peur, très peur aux bourgeoisies européennes dans les années 30. 
               
              [Une partie de la bourgeoisie française est d’ailleurs séduite par la promesse d’un « nouvel ordre européen » ou la France sera certes subordonnée, mais où l’on pourra faire des bonnes affaires sans craindre un nouvel Front Populaire.]
               Ces bourgeois français me semblent avoir été très optimistes: dans le “nouvel ordre européen”, il n’est pas certain qu’il y aurait eu une France tout court… Hitler n’a jamais caché sa détestation de la France, qui apparaît déjà dans Mein Kampf.
               
              [La guerre a été voulue par les dirigeants français et anglais.]
              Je ne sais pas. Une Allemagne revigorée par une victoire sur l’URSS – parce qu’en cas de face-à-face entre le III° Reich concentrant toutes ses forces à l’est et un régime soviétique complètement isolé, une victoire allemande n’était pas complètement irréaliste – serait devenue bien dangereuse.
               
              [Si en 1940 l’Allemagne, au lieu d’attaquer la France avait dirigé ses troupes contre l’URSS, elle aurait pu compter sur la neutralité bienveillante de l’ensemble des grandes puissances, qui auraient regardé les deux adversaires s’épuiser avant d’intervenir pour imposer leurs intérêts.]
              Possible. J’avoue que j’ai bien du mal à épouser complètement votre vision purement matérialiste de l’histoire, bien qu’elle soit séduisante d’un point de vue théorique, elle me paraît faire fi de la complexité des relations internationales, de la pesanteur de l’histoire et des vieux projets impériaux. Derrière le III° Reich, derrière l’URSS, il me semble malgré tout voir l’Allemagne et la Russie, avec leurs très anciennes ambitions géopolitiques, datant parfois de l’ère pré-capitaliste: la Drang nach Osten (“Marche vers l’Est”) anime la nation germanique depuis l’époque médiévale, et c’est un puissant mouvement qui a porté des millions d’Allemands vers les villes et les campagnes de Prusse, de Pologne, des pays baltes, de Transylvanie, de Hongrie, d’Ukraine et jusqu’aux fameux Allemands de la Volga, ou l’Europe orientale comme terrain traditionnel de l’expansion germanique; pour la Russie, la volonté séculaire de repousser ses frontières à l’Ouest pour garantir autant que faire se peut la sécurité des immenses plaines de Russie européenne, dénuées de tout obstacle naturel permettant de stopper une invasion. Il y avait là me semble-t-il une forme de constante géopolitique. 

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [« C’est pour cela que la question de la répartition ne peut pas être réduite à une question de « justice ». » Si on demande à un observateur “neutre” d’arbitrer entre le bourgeois et l’ouvrier, sans autre élément de contexte, comme l’exemple que vous donniez, j’y vois une pure question de justice.]

              Je me suis mal fait comprendre. Bien sûr, si on applique la règle énoncée par Rawls, on réduit la répartition à une question de justice. Mais en faisant cela, on efface la problématique que vous avez évoqué vous-même, à savoir, qu’il vaut quelquefois mieux pour tout le monde la répartition injuste d’un gros gâteau plutôt que la répartition juste d’un petit.

              [« Vous marchez sur les pas de Marx et Engels. » Je le prends comme un compliment…]

              C’en était un. Plus banalement, je voulais signaler que vous reprenez le raisonnement de ces deux géants…

              [Cela signifierait également, si je vous lis bien, que l’avènement de la société communiste marquerait la fin de l’histoire, puisque si l’on admet que la lutte des classes est le moteur de l’histoire, alors cette dernière n’aurait plus de moteur pour avancer.]

              Exactement. C’est pourquoi je pense que le communisme est un peu comme l’horizon, qui s’éloigne à mesure qu’on s’en approche. C’est une sorte d’état imaginaire, un peu comme l’état de nature chez Hobbes, et non un objectif réel.

              [J’entends. Vous me permettrez une première remarque: toutes les sociétés ou presque, à certains moments, ont connu des époques de mobilité sociale, des périodes où, suite à une mutation majeure ou à une crise, les cartes ont été – au moins en partie – rebattues, pour la bonne et simple raison qu’une société sclérosée finit par se condamner et péricliter (sauf à être complètement isolée, et encore).]

              Vous noterez que ces époques-là, où la promotion au mérite prend le pas sur la reproduction des classes dominantes, qui sont les plus créatives dans tous les domaines.

              [« Certaines inégalités devraient être pure et simplement abolies : je pense aux inégalités liées à l’origine, qui réservent certaines opportunités aux gens nés dans la « bonne » classe sociale, la « bonne » communauté, la « bonne » famille, la « bonne » ethnie. D’autres, celles qui sont fondées sur le travail, l’effort, le mérite, le dévouement à la collectivité, devraient au contraire être maintenues et même encouragées. » Je vous trouve quand même bien idéaliste.]

              Bien entendu. Ce n’est pas parce que ces inégalités « devraient » être abolies que cela est possible matériellement. Je vous parle d’une société idéale, vers laquelle il faudrait chercher à tendre, et non d’une possibilité réelle. Pour les raisons que vous explicitez plus bas, et avec lesquelles je suis d’accord, on ne peut réaliser cette utopie.

              [Vous savez aussi bien que moi que dans certaines classes sociales, dans certaines communautés, dans certaines familles, on valorise davantage “le travail, l’effort, le mérite, le dévouement à la collectivité”, etc. Ou, pour vous le dire autrement, le capital immatériel, culturel et intellectuel, n’est pas uniformément réparti. Et vous pouvez difficilement empêcher les groupes qui assurent une bonne transmission du capital immatériel de “truster” certaines fonctions et certains postes.]

              Bien sur que si. Certains – je pense à certains kibbutzim des années cinquante et soixante – soutenaient que les enfants devaient être élevés non pas par leur famille, mais en commun, de manière justement à réduire le poids de la transmission familiale. Je pense que ce genre de solution n’est pas généralisable. Pour moi, c’est là le rôle de l’école et les médias publics. Et même si je vous accorde qu’il est impossible d’annuler totalement les effets du capital immatériel hérité, je reste convaincu qu’on peut l’atténuer largement.

              [Mais cela ne s’arrête pas là, car vous savez aussi bien que moi que ces groupes mettent en place, tôt ou tard, des stratégies qui généralement assurent à leurs descendants les mêmes fonctions et postes, bref des stratégies de “reproduction sociale”, et cela semble très prégnant chez l’être humain.]

              Bien sur. Sous l’ancien régime, les fonctions et postes étaient héréditaires. La République a très largement atténué cette hérédité par la logique de l’examen et du concours anonyme. Même si l’on ne peut pas réduire à néant les effets de ces stratégies, il existe des moyens d’en réduire la portée.

              [A partir de quel moment faut-il parler de “privilège” ? A partir de quel moment la naissance commence-t-elle à se substituer au mérite ? Je ne sais pas.]

              Je pense que le « privilège » est partout où un individu reçoit quelque chose que les autres n’ont pas sans rien avoir fait pour le mériter. Mais il y a des « privilèges » qui sont acceptables, d’autres qui sont inhérents à la nature humaine. La question est donc moins de savoir où commence le « privilège », mais où commence le privilège inacceptable, que la société doit soit combattre, soit compenser…

              [Mais j’ai l’impression en effet – et vous avez développé cette idée me semble-t-il – que nous sommes dans une phase de “gel” (ou au moins de tentative de gel) des positions sociales, et qu’on s’achemine vers une sorte de sclérose… Jusqu’à la prochaine crise ?]

              Tout à fait. Nous sommes dans une société où la promotion sociale est bloquée par une croissance faible et par le refus des classes installées à remettre leur place en jeu…

              [D’ailleurs, comment vous positionnez-vous par rapport à la question de l’héritage? Sur le capital matériel, je me doute de ce qu’un communiste peut répondre : il estimera sans doute que la transmission de ce capital crée les conditions d’une société capitaliste inégalitaire. Mais si je vous disais par exemple que la volonté de transmettre son capital à sa descendance a été un facteur très puissant de création de grandes entreprises, d’empires industriels, de fortunes colossales, que me répondriez-vous ?]

              Je vous répondrai que je n’y crois pas. Je veux bien que dans les sociétés féodales, où la notion de lignée était très importante – conséquence d’un rapport au temps différent – le désir de transmettre ait été un stimuli important pour bâtir des royaumes et des empires. Mais ce n’est pas le cas dans le capitalisme, et je ne connais pas un seul grand capitaine d’industrie qui cite le désir de transmettre à ses enfants comme le moteur de son engagement.

              Oui, en théorie je suis contre l’héritage matériel, qui me semble être une source d’inégalités dont l’utilité sociale me paraît inexistante. Mais d’un autre côté, l’héritage est une structure anthropologique qu’il me semble difficile d’annuler totalement. Si nous avons des enfants, si nous nous infligeons le travail de les élever, c’est en partie parce que nous espérons nous survivre à travers eux. Et l’héritage fait partie de ce processus. Je pencherais donc pour une solution pragmatique : oui à l’héritage, mais pas trop.

              [Quant au capital immatériel, vous ne pouvez pas empêcher des familles de le transmettre avec soin, ni en obliger d’autres à essayer de le développer. Je peux vous en parler en tant qu’enseignant: on voit la différence entre un élève vivant dans une famille où il y a des livres, et un élève vivant dans une famille où il n’y en a point. L’école peut corriger cela à la marge, mais combler le fossé paraît bien difficile. A moins de retirer tous les enfants à leurs familles et de tous les placer dans la même structure éducative.]

              Il y a eu des projets « communistes » qui allaient dans ce sens, et en général les expériences n’ont pas donné de bons résultats. Mais je suis moins sceptique que vous sur la capacité de l’école à corriger en partie l’effet d’héritage, à condition qu’il y ait une véritable volonté sociale et politique de lui voir jouer ce rôle. L’école de la IIIème République à mon sens en est un bon exemple.

              [« Oui. L’ensemble de ces régimes ont quelque chose en commun : ils ont eu à soutenir une guerre avec le monde capitaliste, d’où les pays sont sortis exsangues. » Vous généralisez un peu vite. L’Irak n’avait pas connu de grande guerre avant 1979, et son développement économique est réel dans les années 70. L’Algérie sortait certes d’une guerre d’indépendance éprouvante, mais elle avait la manne pétrolière pour se reconstruire.]

              Je répondais à votre commentaire qui citait, outre l’URSS, la Chine, le Vietnam et la Corée du Nord. Quant à l’Irak ou l’Algérie, les deux nations ont accédé à l’indépendance après des guerres qui ont détruit une large partie du capital humain par l’émigration.

              [Il ne faudrait pas négliger quand même l’incurie des dirigeants d’un certain nombre de pays socialistes ou socialisants, la corruption, les mentalités parfois encore archaïques. Je trouve que le monde capitaliste a bon dos.]

              Je ne vois pas en quoi l’incurie et la corruption de certains dirigeants des pays socialistes serait plus prononcée que l’incurie et la corruption de certains dirigeants des pays capitalistes. Et pourtant, il semblerait que si ce paramètre est fatal aux premiers, il n’est en rien un obstacle pour les autres…

              [Ma question ne porte pas sur le lien entre crise du capitalisme et déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, mais sur les indices de crise du capitalisme avant 1914 et le lien que vous faites avec l’éclatement de la Première Guerre Mondiale (j’emploie souvent “Grande Guerre”, expression que je préfère, pour parler de la Première Guerre Mondiale). C’est ce point qui m’intéresse.]

              Toutes mes excuses, j’ai mal compris votre question. Pour ce qui concerne la première guerre mondiale, la question se pose en termes différents. La crise précédente, celle de 1870-1895 dite « la grande déflation » est encore présente dans les esprits, mais l’économie est largement repartie et ce qui se profile c’est une crise de surproduction : l’industrie en pleine croissance peine à trouver des débouchés solvables (c’est particulièrement vrai pour l’Allemagne) en dehors de leurs empires respectifs. D’où les conflits coloniaux qui se multiplient. Par ailleurs, la faiblesse économique et démographique de la France face à l’Allemagne inquiète l’Angleterre, dont la politique constante est d’empêcher l’apparition d’une puissance dominante sur le continent.

              [« La montée des régimes autoritaires et belliqueux en Europe centrale tiennent en grande partie à la volonté d’engager une guerre contre l’URSS. » Je suis sceptique. La guerre contre l’URSS, pardon, mais elle avait eu lieu en 1918-1920, dans un contexte de très grande fragilité du jeune régime bolchévique. Et cette guerre, les puissances capitalistes l’ont perdue. Dans les années 30, le régime soviétique se stabilise et, malgré la violence de la répression, les ratés (famines du début des années 30), Staline opère un développement industriel spectaculaire du pays. Bien sûr il reste des faiblesses, mais se frotter à l’URSS de la fin des années 30 paraît plus risqué.]

              En même temps, la motivation pour conduire la guerre contre les bolchéviques jusqu’au bout était plus faible en 1918-20, où l’on pensait encore que le régime des soviets s’effondrerait de lui-même. Par ailleurs, l’ouverture de la NEP peut faire penser que finalement la Russie allait vers une forme de capitalisme. Enfin, je ne suis pas aussi convaincu que vous que les puissances occidentales aient eu la conscience d’avoir « perdu la guerre ». L’URSS sort de la guerre civile très affaiblie, avec des pertes territoriales considérables (la Finlande, les Etats baltes, une partie de la Lituanie et l’Ukraine, la Bessarabie. Les puissances occidentales pouvaient raisonnablement penser que la Russie était rayée de la carte des puissances. Ce n’est qu’avec le redressement spectaculaire des années 1930 que l’URSS redevient un danger présent.

              [J’aurais tendance à penser qu’il y avait surtout une volonté d’empêcher la contagion communiste…]

              Oui, et la meilleure manière d’empêcher la contagion, c’est de désinfecter le réservoir du virus…

              [« Une partie de la bourgeoisie française est d’ailleurs séduite par la promesse d’un « nouvel ordre européen » ou la France sera certes subordonnée, mais où l’on pourra faire des bonnes affaires sans craindre un nouvel Front Populaire. » Ces bourgeois français me semblent avoir été très optimistes: dans le “nouvel ordre européen”, il n’est pas certain qu’il y aurait eu une France tout court… Hitler n’a jamais caché sa détestation de la France, qui apparaît déjà dans Mein Kampf.]

              Nous écrivons avec l’avantage de la vision rétrospective. Mais je pense que les acteurs de l’époque n’étaient pas du tout conscients de la spécificité du régime nazi. Beaucoup de patrons français (et pas mal de bourgeois allemands d’ailleurs) voyaient en Hitler une marionnette, certes répugnant dans son extrémisme, mais parfaitement contrôlable et qui deviendrait « raisonnable » une fois au pouvoir.

              [« La guerre a été voulue par les dirigeants français et anglais. » Je ne sais pas. Une Allemagne revigorée par une victoire sur l’URSS – parce qu’en cas de face-à-face entre le III° Reich concentrant toutes ses forces à l’est et un régime soviétique complètement isolé, une victoire allemande n’était pas complètement irréaliste – serait devenue bien dangereuse.]

              Pas vraiment. Une victoire, même si on admet qu’elle aurait été possible, aurait été très coûteuse, surtout si les puissances occidentales avaient soutenu à chaque fois le plus faible pour faire durer la chose. Le vainqueur serait sorti exangue.

              [Possible. J’avoue que j’ai bien du mal à épouser complètement votre vision purement matérialiste de l’histoire, bien qu’elle soit séduisante d’un point de vue théorique, elle me paraît faire fi de la complexité des relations internationales, de la pesanteur de l’histoire et des vieux projets impériaux.]

              Ma vision n’est pas « purement matérialiste ». J’admets volontiers les « pesanteurs de l’histoire ». Mais en même temps, cette « histoire » est souvent un condensé d’intérêts matériels. Si l’Allemagne cherche son expansion vers l’Europe centrale et orientale, ce n’est pas par hasard.

  11. Paul dit :

    Il me semble que le protectionnisme était l’enjeu principal de la guerre de sécession: les états du nord, qui développaient alors une industrie, avaient besoin de ce protectionnisme, alors que les etats du Sud, cultivant notamment le coton, voulaient le libre-échange. La question de l’esclavage n’était pas la raison principale.

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Il me semble que le protectionnisme était l’enjeu principal de la guerre de sécession: les états du nord, qui développaient alors une industrie, avaient besoin de ce protectionnisme, alors que les états du Sud, cultivant notamment le coton, voulaient le libre-échange. La question de l’esclavage n’était pas la raison principale.]

      Je ne sais pas laquelle des deux questions a pesé plus lourd, mais vous avez raison de rappeler que la guerre de Sécession doit beaucoup à ce conflit d’intérêts. Les nordistes avaient bien compris que le développement de l’industrie n’était possible qu’en empêchant les produits européens de concurrencer leurs propres productions, et étaient donc protectionnistes. Le sud agricole, au contraire, était intégré au modèle européen importateur de matières premières et exportateur de produits manufacturés, et avait donc intérêt au libre-échange. Si l’UE pensait au développement de notre industrie, elle devrait faire le même raisonnement à l’envers…

      • xc dit :

        Je n’en sais, personnellement, pas davantage.
        Mais, d’après ce que j’ai pu en lire, la question économique aurait été la cause profonde de cette guerre, et l’esclavage, avec le fort impact du roman “La case de l’oncle Tom” d’Harriet Stowe (1852), sa justification.

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