Pour qui sonne le glas ?

“Plutôt que de la droite, parlons des Républicains. Ce parti paie le fait d’être devenu une structure partisane sans enracinement dans une famille de pensée. Ce délitement a commencé dans les années 1990, quand un certain nombre de gens ont voulu évacuer le gaullisme du RPR. Pasqua et Séguin contre Juppé et Balladur. Ces derniers n’ont pas gagné dans les urnes mais ont gagné dans les appareils. Chirac a été élu avec la fracture sociale contre ce qu’Alain Minc appelait “le cercle de la raison”. Mais les tenants de la pensée unique ont atteint leur but en créant l’UMP, qui a dissous ce qui restait du parti gaulliste, avec une base populaire très large dans un parti de notables” (H. Guaino, entretien paru dans “Le Monde” du 21/6/2019)

Parmi les phénomènes qu’on peut observer après le vote du 26 mai dernier, l’effondrement de la droite « de gouvernement » est certainement le plus remarquable. Avec un score à un chiffre (8,5%) et moins de deux millions de voix, cette famille politique fait ce qui est probablement le pire score de son histoire. Un résultat qu’il faut comparer à celui de la « gauche de gouvernement », elle aussi autour de 8,5% si l’on additionne les scores des socialistes et des hamonistes. En quelques années, les deux secteurs groupes qui se sont partagés le pouvoir pendant un demi-siècle se sont effondrés jusqu’à n’exister que de façon résiduelle.

L’élection du 26 mai dernier montre que loin d’être un accident, la reconfiguration politique commencée en 2017 correspond à une transformation profonde de notre système politique. Pendant les vingt-cinq ans qui séparent 1958 et 1981, on avait vécu avec une droite qui semblait inamovible au pouvoir, et une gauche forte dans la rue. Une droite majoritairement gaulliste et une gauche majoritairement communiste. C’était le temps ou le projet de la droite – ou plutôt les projets, car la droite est diverse – s’opposait aux projets de la gauche. Et puis, pendant les trente ans qui ont suivi 1981, nous avons vécu l’alternance de deux familles politiques qui ont épousé au fond une même vision politique, économique et sociale, pour ne différer finalement que sur les questions sociétales. Qu’est ce qui a changé entre les deux, qu’est ce qui a provoqué cette dérive ? Et bien, on est passé d’une période ou les couches populaires et les classes intermédiaires qui en étaient issues formaient encore un bloc qui s’opposait aux “possédants”, à une logique ou classes intermédiaires et bourgeoisie forment un bloc qui s’oppose aux “gueux”.

Le processus fut lent: pendant une génération les classes intermédiaires ont été divisées, et cette division se traduisait par une multiplicité d’idéologies. On trouvait des membres des classes intermédiaires dirigistes ou libéraux, révolutionnaires ou conservateurs. Aujourd’hui, les classes intermédiaires ont retrouvé leur unité, et cela se traduit par l’unification de la pensée derrière une vision unique plus ou moins mâtinée d’adaptations “sociétales”.

Il fallait bien qu’à un moment donné cette pensée unique donne naissance à un parti unique. En effet, pourquoi continuer à se disputer le pouvoir au nom de projets différents alors que ces projets ont convergé jusqu’à devenir, à quelques détails d’habillage près, le même ? Pourquoi se disputer les postes devant les électeurs alors qu’on peut se les distribuer entre des gens de bonne compagnie ? Pourquoi alterner cinq ans au pouvoir et cinq ans dans l’opposition, alors qu’on peut être du côté du manche tout le temps ?

Le siècle qui va de 1870 à 1970 peut être qualifié à juste titre de siècle politique. L’accession définitive au suffrage universel, l’accession au pouvoir des radicaux puis des socialistes, les exemples de l’Allemagne nazie ou de la Russie soviétique ont montré que les choix politiques pouvaient effectivement changer radicalement la réalité. Que l’histoire était façonnée par la volonté humaine, et non pas soumis à la fatalité de mécanismes impersonnels comme celui des marchés. L’arène  politique était le lieu où se confrontaient des projets fondamentalement différents, et le choix de tel ou tel projet était important parce qu’il avait un effet sur la réalité.

Cette primauté de la politique a toujours fait peur aux couches dominantes. Parce qu’elles n’ont pas le nombre avec elles, elles savent que la confrontation électorale leur est à priori plus défavorable que le rapport de forces économique. C’est pourquoi elles ont toujours cherché à mettre des limites étroites à ce que la volonté populaire pouvait faire. En d’autres termes, il fallait organiser l’impuissance du politique. Ce fut fait par l’ouverture des marchés, par la privatisation de l’économie, par l’affaiblissement du bras armé du politique qu’est l’Etat, par le transfert du pouvoir à Bruxelles, à des autorités administratives indépendantes, aux juges où par son atomisation dans une décentralisation qui met les territoires en concurrence. Mais aussi dialectiquement par la mise en place d’une idéologie « libérale-libertaire » qui emprunte au libéralisme classique la vision économique tout en évitant sa vision morale, et aux idéologies libertaires l’individualisme forcené.

Il ne faut pas être grand prêtre pour comprendre que l’hégémonie d’une telle vision ne peut aboutir qu’à une pensée unique. Si la politique se réduit à laisser faire le marché, alors cela ne sert à rien de construire ou de confronter des projets politiques différents, puisqu’in fine c’est le marché qui décide. On ne peut pas organiser l’impuissance du politique et ensuite s’étonner que les électeurs – et les hommes politiques eux-mêmes –  s’en désintéressent. Car il ne faut pas se tromper : si le désintérêt touche les électeurs, et les chiffres de l’abstention parlent d’elles-mêmes, il touche aussi les militants et les dirigeants politiques eux-mêmes. En témoigne la baisse continue de la qualité du personnel politique, et le détachement avec lequel il passe d’un parti politique à un autre, et de la politique au monde des affaires et vice-versa.

Et s’il n’y a plus de projets différents, pourquoi avoir des partis différents ? Depuis la fin des années 1980, des hommes politiques qui étaient d’accord sur l’essentiel ont essayé de nous faire croire qu’ils étaient différents. Et dans ce rôle, ils étaient de moins en moins crédibles. On peut reconnaître à Macron le mérite d’avoir déchiré ce voile de l’hypocrisie, en montrant que des hommes « de gauche » et des hommes « de droite » pouvaient communier dans le même projet, assumer les mêmes décisions et les mettre en œuvre ensemble. D’anciens élus blanchis sous le harnois  du Parti socialiste et des anciens élus ayant fait leur carrière sous la bannière de l’UMP se retrouvent tous les mercredis autour de la table du Conseil des ministres pour régler en bonne intelligence les affaires de l’Etat. Devant cette situation, ce qui reste de la gauche et de la droite de gouvernement essayent désespérément de montrer qu’elles ont quelque chose de différent à proposer. Mais cela ne trompe plus personne. Bellamy peut crier très fort qu’il faut une Europe chrétienne, alors que Glucksmann proclame qu’il faut une Europe sociale, trente ans de politique ont montré qu’une fois au pouvoir les beaux discours sont oubliés. Tout le monde a compris depuis longtemps que « gauche » et « droite » de gouvernement ne sont que deux coteries, et que la seule chose qui les sépare est la compétition pour savoir quel groupe se réservera les postes et les prébendes. Macron, en proposant une paisible répartition de ces avantages plutôt qu’un combat ou chacun peut gagner tout ou perdre tout, continue à attirer les politiciens des deux bords, et donc leurs clientèles électorales (1).

Nous sommes donc passés d’un système politique multipolaire qui confrontait des projets à un système bipolaire qui confronte deux non-projets. Le premier, celui du « bloc dominant » incarné aujourd’hui par Macron, est celui de la continuité dans la politique du chien crevé au fil de l’eau, c’est-à-dire, celui de la soumission aux contraintes extérieures imposées par les marchés ou par Bruxelles. Le second, est celui des partis populaires, qui manifestent leur rejet de cette logique sans avoir une idée claire de ce qu’on pourrait mettre à la place. Parce que ce populisme se nourrit du rejet des changements de ces trente dernières années, il a tendance à se situer plutôt du côté des conservateurs, c’est-à-dire, à droite. En temps troublés, la référence à un passé – fut il idéalisé – est infiniment plus rassurante que la référence à un futur forcement imprécis. C’est pourquoi en matière de populisme l’extrême droite part avec une longueur d’avance sur la gauche radicale, d’autant plus que cette dernière a déjà participé aux affaires et donné de ce fait sa caution aux politiques « libérales-libertaires ».

Bien entendu, cette configuration traduit une polarisation de la lutte des classes, entre un bloc dominant constitué des gagnants de la mondialisation « libérale-libertaire » – c’est-à-dire, la bourgeoisie et les classes intermédiaires métropolitaines – et les perdants de cette même mondialisation, c’est-à-dire les couches populaires et une petite fraction des classes intermédiaires vivant dans la « France périphérique ». Les premiers ont compris que le parti unique « central » assure bien mieux leurs intérêts que des partis de « gauche » ou de « droite » de gouvernement. En effet, la « gauche » de gouvernement était obligée d’aller chercher des voix chez la « gauche radicale », la « droite » de gouvernement de faire de même avec les électeurs d’extrême droite. Et pour avoir des voix, il fallait faire des concessions à leur électorat, souvent un électorat populaire. Avec le parti « central », le bloc dominant est finalement maître chez lui et n’a plus besoin d’aller chercher des alliances au détriment de ses intérêts.

C’est pourquoi je ne parierais pas sur le redressement des partis de gouvernement traditionnels. Leur fonction, qui était de négocier des accords entre les différents groupes sociaux, n’a plus de raison d’être puisque le rapport de forces permet à un groupe, le bloc dominant, d’imposer seul sa volonté. Les “gagnants” de la mondialisation n’ont pas besoin de plusieurs partis, un seul leur suffit. Quant aux couches populaires, elles en sont réduites à une protestation impuissante, que ce soit sur les ronds-points ou dans les urnes, puisque personne ne propose un projet alternatif crédible.

Descartes

(1) Giscard, dans les années 1970, avait peut-être le premier compris ce mouvement lorsqu’il appelait à la constitution d’un grand parti « central », qui réunirait les gens « raisonnables » – c’est-à-dire, la bourgeoisie et les classes intermédiaires – pour faire la pièce au populisme gaulliste ou communiste. Il a eu raison trop tôt : à l’époque, communistes et gaullistes étaient encore trop nombreux et trop puissants pour faire avancer une logique de « troisième force » qui les aurait réuni dans l’opposition. Macron, derrière son discours moderniste, n’est que le continuateur de Giscard et de son « deux Français sur trois ».   

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231 réponses à Pour qui sonne le glas ?

  1. Luc dit :

    Bonjour,cher Descartes ,Un grand Merci pour cet article de
    Fond.
    Ne sont ce pas les techniques numériques qui ont remplacé les partis?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Ne sont ce pas les techniques numériques qui ont remplacé les partis?]

      “Remplacé” dans quelle fonction ? Les partis politiques tels qu’ils ont existé au long du XXème siècle étaient des organisations constitués pour organiser les citoyens en vue d’un combat politique. Ce qui supposait une élaboration idéologique d’abord, un travail d’éducation ensuite. Je ne vois pas que les “techniques numériques” aient pris en charge ces fonctions…

  2. Lejeun dit :

    Bonjour Descartes, je ne peux que vous conseillez le roman de mon ami David Desgouilles leurs guerres perdues relate les 30 dernières années de la vie politique française et l’échec des souverainistes.

    • Descartes dit :

      @ Lejeun

      [Bonjour Descartes, je ne peux que vous conseillez le roman de mon ami David Desgouilles]

      Je le mets sur ma liste “à lire”…

  3. luc dit :

    Pour qui sonne le glas ?
    …mais en cette fin Juin , pour les pauvres lycéens ,impétrants aux épreuves de français du Bac 2019, confrontés à une Libanaise,qu’ils ont pris pour un homme ,’petit-blanc’ franchouillard et souverainiste,INSUPPORTABLE ,Non ?
    Que serait une édition du baccalauréat sans sa traditionnelle pétition en ligne pour protester contre la difficulté de telle ou telle épreuve? Comme l’année dernière, l’année précédente et celle d’avant, les candidats ont créé une pétition sur le site Change.org. Cette année, ce sont les premières S et ES qui s’y sont collés. Adressée au ministère de l’Éducation nationale et signée par plus de 20.500 internautes à ce jour, la lettre affirme que le sujet de français était «trop difficile» et réclame un assouplissement «des critères de notation sur la session 2019 du baccalauréat de Français pour la série S/ES»
    Le sujet du bac de français distribué aux élèves de première S et ES proposait d’étudier le rapport à la nature entretenu dans quatre poèmes (d’Alphonse de Lamartine, Anna de Noailles, Andrée Chedid, et Yves Bonnefoy). Ils devaient ensuite plancher, au choix, sur une dissertation, un texte d’invention, ou un commentaire de texte. Ce dernier exercice portait sur le poème d’Andrée Chedid intitulé «Destination: arbre» (1991). De nombreux lycéens se sont d’ailleurs aperçus en sortant de l’épreuve qu’Andrée Chedid était une femme, et non un homme comme ils l’avaient écrit sur leur copie.
    Selon les auteurs de la pétition, le poème d’Andrée Chedid s’apparenterait à un ovni littéraire vis-à-vis de ce qu’ils ont étudié durant l’année. «Le poème était en vers libres, d’une auteure contemporaine et donc sans mouvement littéraire en particulier qui est étudié au fur et à mesure de l’année. Les cours de français travaillent sur des poètes anciens et leur mouvement littéraire connus de tous (La Pléiade, la Parnasse, le Romantisme…)», dénoncent-ils.
    De fait, «la difficulté de l’épreuve était extrêmement élevée par rapport à la capacité des élèves à raisonner et à connaître des notions sur la poésie», poursuit la pétition. Et de conclure «on ne peut pas rester les bras croisés devant cette humiliation que subissent les élèves de première S et ES».
    Cette pétition ne sera pas non plus la dernière à naître des déceptions des lycéens au baccalauréat: sur Twitter, des candidats en filière ES parlent de lancer à leur tour une pétition pour protester contre le sujet d’histoire-géographie.
    En S,les impétrants ont aussi signés une pétition contre le sujet de Physique,jugé’trop difficile’,parcequ’innatendu.
    Il en est de même en ES et L,au sujet des SVT,au sujet trop ‘Zerbi’…
    N’est ce pas ça la politique ,telle que celle conçue par la LREM,une série de faux débats ?
    Que pensez vous de la mise en examen pour corruption de Mr Sarkozy ,au vu des nombreux éloges que vous en avez fait il y a quelques années?

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Adressée au ministère de l’Éducation nationale et signée par plus de 20.500 internautes à ce jour, la lettre affirme que le sujet de français était «trop difficile» et réclame un assouplissement «des critères de notation sur la session 2019 du baccalauréat de Français pour la série S/ES»]

      Ce qui me gêne le plus, ce n’est pas tant qu’ils fassent une pétition – c’est de leur âge. Ce qui me gêne, c’est que la pétition en question soit bourrée de fautes d’orthographe, de grammaire et de syntaxe. Inquiétant lorsqu’on pense qu’elle est issue d’élèves qui passent leur bac de français… franchement, si j’étais le ministre de l’éducation je répondrais à cette pétition en diffusant un corrigé !

      Après, on peut discuter le choix des auteurs proposés. Je trouve le choix d’Andrée Chedid inapproprié, non pas qu’il soit « difficile », mais parce que je doute fort que l’œuvre de cette poétesse soit destinée à marquer la culture française. Si l’on enseigne à l’école les œuvres classiques, c’est justement parce que le fait qu’elles soient devenues classiques montre qu’elles ont quelque chose qui fait qu’elles se sont inscrites dans le patrimoine commun des Français. Je n’imagine pas un instant que dans deux siècles les gens réciteront du Chedid. Mais ce n’est pas sur ce point que les lycéens dénoncent le sujet : si au lieu d’Andrée Chedid on avait mis du Mathieu Chedid, ils seraient ravis.

      [De nombreux lycéens se sont d’ailleurs aperçus en sortant de l’épreuve qu’Andrée Chedid était une femme, et non un homme comme ils l’avaient écrit sur leur copie.]

      Pourtant, la terminaison « -ée » aurait dû les mettre sur la voie…

      [Selon les auteurs de la pétition, le poème d’Andrée Chedid s’apparenterait à un ovni littéraire vis-à-vis de ce qu’ils ont étudié durant l’année. «Le poème était en vers libres, d’une auteure contemporaine et donc sans mouvement littéraire en particulier qui est étudié au fur et à mesure de l’année. Les cours de français travaillent sur des poètes anciens et leur mouvement littéraire connus de tous (La Pléiade, la Parnasse, le Romantisme…)», dénoncent-ils.]

      Ils n’ont pas tout à fait tort. Au fond, il faut se demander ce qu’on veut évaluer au baccalauréat. S’il s’agit d’évaluer les connaissances acquises et la capacité à les mobiliser, donner un sujet qui n’a aucun rapport avec elles pose effectivement un problème. Si l’on veut évaluer la capacité des élèves à parler d’un sujet dont ils ne connaissent rien, alors il faut introduire cette discipline dans le cursus !

      [De fait, «la difficulté de l’épreuve était extrêmement élevée par rapport à la capacité des élèves à raisonner et à connaître des notions sur la poésie», poursuit la pétition.]

      Eh oui, c’est aux épreuves de s’adapter au niveau des élèves, et pas l’inverse. Finalement, les élèves ont bien internalisé le comportement de l’Education nationale ces vingt ou trente dernières années. Pour avoir 80% des bacheliers, il suffit de baisser le niveau de l’épreuve.

      [Et de conclure «on ne peut pas rester les bras croisés devant cette humiliation que subissent les élèves de première S et ES».]

      Si jeunes est déjà « victimes »…

      [N’est-ce pas ça la politique, telle que celle conçue par la LREM, une série de faux débats ?]

      Vous savez, ce n’est pas Macron qui a créé le monde… et toutes les fautes ne sont pas les siennes. Ces pétitions sont conformes à transformation de la société française sous l’effet des idéologies « victimistes » et droitdel’hommistes. Avoir le bac est devenu un droit sacré, et en posant un sujet difficile on porte atteinte aux droits des candidats, pire, on les « humilie ». L’étape suivante, c’est l’action collective devant les tribunaux pour exiger que l’Education nationale dédommage les candidats du traumatisme provoqué par une mauvaise note, et qui demandera certainement un traitement psychologique à vie. Mais tout ça, ce n’est pas Macron qui l’a inventé. Ca vient de beaucoup plus loin…

      [Que pensez-vous de la mise en examen pour corruption de Mr Sarkozy, au vu des nombreux éloges que vous en avez fait il y a quelques années?]

      Je n’en pense rien tant que les juges ne se sont pas prononcés. Jusqu’ici, toutes les « affaires » judiciaires concernant Sarkozy se sont dégonflées les unes après les autres. On verra si celle-ci arrive à une condamnation. Quoi qu’il en soit, vous noterez que quelque soient les qualités que j’ai reconnu – et que je reconnais toujours – à Nicolas Sarkozy, l’honnêteté n’en fait pas partie. Vous noterez aussi que dans cette affaire l’ancien président n’est pas accusé d’être lui-même CORROMPU mais d’avoir été le CORRUPTEUR. Ce qui, avouez-le, est plutôt rare pour un homme politique. Si l’on faisait défiler au prétoire tous les politiques qui ont promis un poste, une promotion ou une légion d’honneur en échange d’un service…

      • BJ dit :

        @ luc

        [d’une auteure contemporaine]

        Beurk, je m’y fais pas.

        Pour nos amies féministes :
        « je me rassure en constatant que l’auteuse des cris ne les émet pas par souffrance, mais par indicible bonheur »
        « La pute enchantée » de San-Antonio.
        Leur auteur préféré, je n’en doute pas.
        Quoique, à la réflexion, ça doit pas être leur genre, la célèbre flûte de Mozart !

  4. Ian Brossage dit :

    Bonjour Descartes,

    Excellent article. Je ne sais pas si vous aviez lu ce texte d’Edouard Husson, qui signalait déjà la filiation du giscardisme il y a deux ans :
    https://www.edouardhusson.com/Macron-le-dernier-giscardien_a355.html

    Rien à voir : que pensez-vous la pétition pour un référendum sur la privatisation d’ADP ?

    • Descartes dit :

      @ Ian Brossage

      [Excellent article. Je ne sais pas si vous aviez lu ce texte d’Edouard Husson, qui signalait déjà la filiation du giscardisme il y a deux ans : (…)]

      Non, je ne l’avais pas lu mais je pense que c’est une analyse très pertinente. La prise de pouvoir des « classes intermédiaires » associées à la bourgeoisie commence avec l’élection de Giscard, et se poursuit avec ses successeurs. Macron est l’aboutissement de ce processus.

      [Rien à voir : que pensez-vous la pétition pour un référendum sur la privatisation d’ADP ?]

      Du point de vue du principe, je ne suis pas favorable aux logiques d’obstruction. Alors que le politique a passé trente ans à organiser sa propre impuissance, aller dans la voie du référendum d’initiative populaire – sous des formes plus ou moins différentes – c’est multiplier les opportunités de bloquer les décisions. Mais en même temps, le fonctionnement de nos institutions a été tellement faussé qu’il ne reste au peuple aucune autre manière d’exprimer son rejet. C’est pourquoi je compte signer pour le référendum et j’appelle les autres à le faire.

  5. Jean-François dit :

    Cet article respire la déprime… Où est passé votre optimisme méthodologique ?

    Le nombre de votes pour des candidats souverainistes a fortement augmenté entre 2012 et 2017, et représente la majorité.

    Les couches populaires françaises sont toujours capables de réagir, comme l’ont montré les premiers actes des gilets jaunes.

    Depuis le départ du FN de Philippot, le souverainisme n’est plus parasité par ce parti.

    Depuis les élections européennes, le souverainisme n’est plus parasité par Mélenchon.

    Le dernier parasite restant est l’Union Européenne. C’est un parasite de taille, mais le Royaume-Uni et l’Italie semblent avoir commencé de déclencher sa fin. Et même sans cela, l’effondrement prochain de l’euro est inévitable, et avec lui, la fin de l’Union Européenne.

    • Descartes dit :

      @ Jean-François

      [Cet article respire la déprime… Où est passé votre optimisme méthodologique ?]

      Je dois avouer que j’ai du mal, parce que la situation apparaît totalement bloquée. Je n’ai pas de doute que sur le long terme elle devrait se débloquer, d’une façon ou d’une autre. Mais pour le serviteur public que je suis, l’idée que je consacrerai le reste de ma carrière à mettre en œuvre cette politique dans un contexte où aucune alternative n’est même discutée me sape le moral.

      [Le nombre de votes pour des candidats souverainistes a fortement augmenté entre 2012 et 2017, et représente la majorité.]

      Si vous laissez de côté le FN, cela n’a rien d’évident…

      [Les couches populaires françaises sont toujours capables de réagir, comme l’ont montré les premiers actes des gilets jaunes.]

      Réagir pour s’exprimer, oui. Mais réagir pour changer quelque chose, non. Parce que le rapport de forces leur est terriblement défavorable, et qu’ils n’ont aucun support idéologique, aucun projet alternatif à faire leur. Le phénomène des « gilets jaunes » l’a abondamment montré : il était fort lorsqu’il s’est agi de dire « on en a marre », il s’est étiolé lorsqu’il s’est agi d’aller un peu plus loin.

      [Depuis le départ du FN de Philippot, le souverainisme n’est plus parasité par ce parti. Depuis les élections européennes, le souverainisme n’est plus parasité par Mélenchon.]

      Oui. Il fait 3% mais il est « pur ». Ce n’est pas comme cela qu’on va faire avancer les choses.

      • Jean-François dit :

        [[Le nombre de votes pour des candidats souverainistes a fortement augmenté entre 2012 et 2017, et représente la majorité.]

        Si vous laissez de côté le FN, cela n’a rien d’évident…]

        Pourquoi le laisser de côté ? L’électorat de 2007 de Jean-Marie Le Pen représente moins de la moitié de celui de Marine Le Pen de 2017, et la principale différence était l’orientation clairement souverainiste portée par Philippot.

        [Réagir pour s’exprimer, oui. Mais réagir pour changer quelque chose, non. Parce que le rapport de forces leur est terriblement défavorable, et qu’ils n’ont aucun support idéologique, aucun projet alternatif à faire leur. Le phénomène des « gilets jaunes » l’a abondamment montré : il était fort lorsqu’il s’est agi de dire « on en a marre », il s’est étiolé lorsqu’il s’est agi d’aller un peu plus loin.]

        Bien sûr, mais je pense que cela devrait changer, car deux énormes sources de parasitage ont disparu. Le FN était un parti fortement souverainiste qui n’avait aucune chance d’accéder au pouvoir. Le FDG et la LFI avaient une chance, mais étaient des partis faussement souverainistes. Ces deux choses qui n’avaient aucun avenir et auxquelles tant de souverainistes se sont accrochés ont maintenant disparu (le RN n’est pas souverainiste et LFI est morte), et la nature a horreur du vide.

        [Oui. Il fait 3% mais il est « pur ». Ce n’est pas comme cela qu’on va faire avancer les choses.]

        Il fait 3% pour l’instant, le vide vient juste d’apparaître. Plutôt que de pureté, je parlerais de lignes rouges. En les plaçant au bon endroit, il est possible de constituer quelque chose de tout à fait impur qui soit satisfaisant pour une majorité des électeurs.

        Un ancien membre de Debout la République m’a récemment décrit sa mauvaise expérience avec ce parti. Il avait rejoint un mouvement souverainiste, et s’en est éloigné en constatant les tactiques électoralistes de Dupont-Aignan, qui ont selon lui mené au changement de nom du parti en Debout La France.

        On peut constater que ce même phénomène s’est produit plusieurs fois ces dernières décennies. Par exemple, le PCF, qui était fortement souverainiste, a changé de cap sous la présidence de Hue, suite à ses tactiques électoralistes. On peut aussi dire la même chose du Front de Gauche et de la France Insoumise. En 2012, Mélenchon tenait un discours plutôt souverainiste (même si cela était déjà particulièrement ambigu) puis a presque complètement abandonné cela en 2017, là encore pour des raisons tactiques.

        Il semble que c’est un schéma qui se répète : (1) les souverainistes rejoignent des mouvements souverainistes, (2) les leaders de ces mouvements changent de cap pour des raisons tactiques, (3) les souverainistes quittent le mouvement.

        Je pense que c’est ce phénomène qu’il faut essayer d’empêcher en priorité, en définissant aussi précisément que possible des lignes rouges, et en insistant dessus à la moindre occasion. Ces lignes correspondent aux tactiques utilisées et peuvent à mon sens être classées en deux catégories : celles pour draguer l’électorat du FN/RN, et celles pour draguer l’électorat supranationaliste.

        • Descartes dit :

          @ Jean-François

          [« Si vous laissez de côté le FN, cela n’a rien d’évident… » Pourquoi le laisser de côté ? L’électorat de 2007 de Jean-Marie Le Pen représente moins de la moitié de celui de Marine Le Pen de 2017, et la principale différence était l’orientation clairement souverainiste portée par Philippot.]

          Certes. Mais il ne vous aura pas échappé que Philippot s’est fait virer, et que le FN s’est recentré sur son discours traditionnel. Et que cela a cassé la dynamique ascendante.

          [Je pense que c’est ce phénomène qu’il faut essayer d’empêcher en priorité, en définissant aussi précisément que possible des lignes rouges, et en insistant dessus à la moindre occasion. Ces lignes correspondent aux tactiques utilisées et peuvent à mon sens être classées en deux catégories : celles pour draguer l’électorat du FN/RN, et celles pour draguer l’électorat supranationaliste.]

          L’idée est intéressante, mais je crains qu’elle soit difficilement praticable aussi longtemps que la domination des classes intermédiaires sur le champ politique sera complète.

          • Jean-François dit :

            [Certes. Mais il ne vous aura pas échappé que Philippot s’est fait virer, et que le FN s’est recentré sur son discours traditionnel. Et que cela a cassé la dynamique ascendante.]

            Ce n’est pas tout à fait mon propos. Bien sûr, la progression du vote souverainiste ne continuera pas forcément maintenant que le FN est redevenu ce qu’il était avant l’épisode Philippot. Mon propos est plutôt qu’on sait deux choses : (1) il est possible de conquérir cet électorat malgré la « domination des classes intermédiaires sur le champ politique », et (2) cet électorat est clairement majoritaire, là encore, malgré la « domination des classes intermédiaires sur le champ politique ».

            [L’idée est intéressante, mais je crains qu’elle soit difficilement praticable aussi longtemps que la domination des classes intermédiaires sur le champ politique sera complète.]

            Elle est probablement difficilement praticable, mais largement moins qu’avec des parasites aussi nuisibles que le FN et LFI. Comme me disait un ami de la fac quand j’étais pris de pessimisme aigu à l’approche des partiels : « il faut au moins y croire ».

            • Descartes dit :

              @ Jean-François

              [Mon propos est plutôt qu’on sait deux choses : (1) il est possible de conquérir cet électorat malgré la « domination des classes intermédiaires sur le champ politique », et (2) cet électorat est clairement majoritaire, là encore, malgré la « domination des classes intermédiaires sur le champ politique ».]

              Les faits montrent tout au plus qu’il est possible de conquérir UNE PARTIE de cet électorat. Même si le discours « social-souverainiste » a permis au FN de capter une partie du vote populaire, il faut bien admettre que cette partie reste minoritaire. L’abstention reste massive, et cette abstention n’est pas sans rapport avec la domination des classes intermédiaires sur le champ politique ». Par contre, je vous accorde que cet électorat reste majoritaire et que si on trouvait un moyen de le mobiliser, il deviendrait un obstacle sérieux aux visées du bloc dominant.

  6. VIO59 dit :

    “Quant aux couches populaires, elles en sont réduites à une protestation impuissante, que ce soit sur les ronds-points ou dans les urnes, puisque personne ne propose un projet alternatif crédible.”

    Je proteste ! L’UPR propose un projet alternatif crédible, c’est même la raison pour laquelle elle est censurée.

    • Descartes dit :

      @ VIO59

      [« Quant aux couches populaires, elles en sont réduites à une protestation impuissante, que ce soit sur les ronds-points ou dans les urnes, puisque personne ne propose un projet alternatif crédible. » Je proteste ! L’UPR propose un projet alternatif crédible, c’est même la raison pour laquelle elle est censurée.]

      Où voyez-vous chez l’UPR un « projet crédible » ? Pouvez-vous indiquer au moins dans ses grandes lignes quel est le projet de société que l’UPR propose ? Non, l’UPR propose tout au plus un programme, limité à un seul item qui est la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN. Mais ce qui se passe après reste assez vague.

      Quant à l’idée que l’UPR serait « censurée »… arrêtons la paranoïa. Je doute fort que la Grande Konspiration Médiatique, lorsqu’elle se réunit au Grand Orient de France, prenne beaucoup de temps à discuter du danger que représente l’UPR…

      • Gugus69 dit :

        Bonjour ami et camarade.
        Si, l’UPR a un projet “crédible” : la sortie de l’euro, de l’UE et de l’OTAN.
        C’est une organisation transpartisane dont il est clairement affirmé qu’elle a vocation à se dissoudre, une fois ce triple but atteint.
        Dès qu’ils auront récupéré les attributs de leur souveraineté, les Gaulois de gauche et les Gaulois de droite pourront recommencer à se foutre sur la gueule ! En attendant, ils cohabitent (s’ils le souhaitent…) dans l’oppidum d’Asselinorix.
        Quant à la censure, plus que l’UPR ce sont les idées du Frexit qui la subissent à l’évidence, alors que la “construction européenne” fait l’objet à travers les médias majeurs (je ne veux plus dire “mainstream”), d’une promotion, d’une propagande éhontée ! Je ne peux plus regarder Arte, ça me fout des boutons…
        Je crois qu’il ne faut rien attendre de plus de l’UPR. Elle ne propose pas de modèle social.

        • Descartes dit :

          @ Gugus69

          [Si, l’UPR a un projet “crédible” : la sortie de l’euro, de l’UE et de l’OTAN.]

          Un « projet » c’est un peu plus que trois mesures. C’est une vision cohérente et globale de la manière dont la société doit fonctionner. L’UPR a un programme, elle n’exprime pas véritablement de projet.

          [Dès qu’ils auront récupéré les attributs de leur souveraineté, les Gaulois de gauche et les Gaulois de droite pourront recommencer à se foutre sur la gueule ! En attendant, ils cohabitent (s’ils le souhaitent…) dans l’oppidum d’Asselinorix.]

          Ce serait satisfaisant si Asselinorix accueillait dans son oppidum tous ceux qui proposent de bouter les Romains dehors sans exclusives. Le problème, c’est que Asselinorix n’accueille que ceux qui acceptent de se soumettre à son autorité, et passe son temps à prononcer des anathèmes contre les autres…

          • Gugus69 dit :

            Je ne suis pas d’accord avec vous, cher camarade.
            Un projet, pour le Larousse, c’est un but, un objectif, qu’on se fixe à atteindre.
            Le triple “exit” est un but “crédible”. J’ajouterais que non seulement on peut l’atteindre, mais qu’il faut l’atteindre ! Il faut que ce soit possible parce que c’est nécessaire.
            Là où je vous suis sans doute, c’est que de Gaulle a serré la main de Giraud en 1943 devant les caméras à Casablanca. Asselineau ne serrera probablement aucune main. C’est un tort. Mais aussi, reconnaissez qu’il y a bien peu de “mains à serrer”…

            • Descartes dit :

              @ Gugus69

              [Je ne suis pas d’accord avec vous, cher camarade. Un projet, pour le Larousse, c’est un but, un objectif, qu’on se fixe à atteindre.]

              Quand je sors du boulot, je prends le bus pour rentrer chez moi. Rentrer chez moi est donc mon « objectif », mon « but ». Diriez-vous que c’est un « projet » ? Non, en politique un objectif simple ne suffit pas pour constituer un « projet de société ».

              [Mais aussi, reconnaissez qu’il y a bien peu de “mains à serrer”…]

              Il pourrait commencer par celle de Philippot…

            • Gugus69 dit :

              Oui… Cela pose un sérieux problème.
              Vous dîtes : Philippot “pour commencer” … et ensuite ?
              Personne !
              Quant à Philippot, il a été mis en avant pendant la campagne des européennes par de nombreux médias dont on a bien compris l’objectif : accréditer l’idée que le frexit est une option d’extrême droite. Eh oui, Philippot vient du FN.
              Or Asselineau combat comme un furieux cette image qu’on essaie évidemment de lui coller.
              Par ailleurs, après sa sortie du FN, le leader des “Patriotes” se présentait partout comme le seul tenant du frexit. Il semble que ça ait crispé du monde à l’UPR, qui rame depuis 12 ans à contre-courant.
              Enfin de toute façon, Philippot + Asselineau, dans les urnes ça pèse 1,9%. Mais je suis convaincu que sur une liste d’union, ils auraient obtenu… moins. Une part du petit électorat UPR vient de la gauche et est assez réfractaire à l’ancien numéro deux du FN.
              Mais tout cela sent la cuisine électorale. La question aujourd’hui, c’est comment sortir l’idée du frexit de son ghetto. L’UPR avec ses maigres moyens continue de ramer.
              Je crains que ça ne suffise pas, mais je leur reconnais cette constance.

            • Descartes dit :

              @ Gugus69

              [Vous dîtes : Philippot “pour commencer” … et ensuite ? Personne !]

              Comment ça, « personne » ? Vous savez, il y a plein de gens plus ou moins connus qui se placent sur une logique souverainiste. Des anciens de LFI, du PCF, des élus en poste à LR, des militants du FN… Moi-même, s’il y avait une structure ouverte, je viendrais faire un tour…

              [Quant à Philippot, il a été mis en avant pendant la campagne des européennes par de nombreux médias dont on a bien compris l’objectif : accréditer l’idée que le frexit est une option d’extrême droite. Eh oui, Philippot vient du FN.]

              On s’en fout. Régler une stratégie politique en fonction de ce que disent les commères médiatiques, à long terme, ça ne paye pas. C’est d’ailleurs une illusion de croire que parce qu’on crache sur Philippot les « nombreux médias » seront plus sympathiques.

              [Par ailleurs, après sa sortie du FN, le leader des “Patriotes” se présentait partout comme le seul tenant du frexit. Il semble que ça ait crispé du monde à l’UPR, qui rame depuis 12 ans à contre-courant.]

              Je ne me souviens pas d’avoir entendu Philippot se présenter comme « seul tenant du Frexit ». Pourriez-vous m’indiquer une référence ?

              [Enfin de toute façon, Philippot + Asselineau, dans les urnes ça pèse 1,9%. Mais je suis convaincu que sur une liste d’union, ils auraient obtenu… moins. Une part du petit électorat UPR vient de la gauche et est assez réfractaire à l’ancien numéro deux du FN.]

              Donc, si je comprends bien, « atomisés nous sommes plus forts… » ?

              [La question aujourd’hui, c’est comment sortir l’idée du frexit de son ghetto.]

              Je ne suis pas persuadé que l’objectif d’Asselineau soit sortir de son ghetto. Parce que dans son ghetto, il est le roi. Pour sortir, il lui faudrait partager l’affiche…

            • Gugus69 dit :

              [Moi-même, s’il y avait une structure ouverte, je viendrais faire un tour…]
              Mais… moi aussi ! Je ne suis pas adhérent de l’UPR !
              Mais s’il faut cohabiter avec de ces “souverainistes” qui veulent “renégocier les traités”, on n’ira pas très loin…

              [Je ne me souviens pas d’avoir entendu Philippot se présenter comme « seul tenant du Frexit ». Pourriez-vous m’indiquer une référence ?]
              ://www.youtube.com/watch?v=VSdwZeqqBhg

              [Donc, si je comprends bien, « atomisés nous sommes plus forts… » ?]
              Non, je constate simplement que la représentation politique des défenseurs de la souveraineté nationale est très déficiente en France, alors qu’elle est puissante en Grande Bretagne, par exemple.
              Oui, je le regrette, les militants du Frexit sont groupusculaires. Ça ne signifie pas qu’il n’y a pas de nombreux patriotes dans notre pays.

              [Je ne suis pas persuadé que l’objectif d’Asselineau soit sortir de son ghetto.]
              Vous m’avez mal lu, ami et camarade : c’est “l’idée du Frexit” que j’aimerais voir sortir de son ghetto. Je ne suis pas ici l’avocat de François Asselineau. Mais je lui suis reconnaissant du travail opiniâtre d’éducation populaire qu’il conduit sur ces questions.

            • Descartes dit :

              @ Gugus69

              [Je ne me souviens pas d’avoir entendu Philippot se présenter comme « seul tenant du Frexit ». Pourriez-vous m’indiquer une référence ?(…)]

              La référence que vous m’indiquez est très bizarre. Elle date de décembre 2017, soit plus d’un an avant l’élection européenne. Dans cette intervention il parle de sa liste comme étant « la seule qui défendra la souveraineté et l’indépendance de la France, le Frexit organisé ». A l’époque, il ne pouvait avoir qu’une vision très partielle des listes en présence… j’aurais bien aimé connaître la question exacte qui lui était posée.

            • matérialiste-patriote dit :

              Il y a un psittacisme chez les militants de l’UPR qui me laisse pantois, en particulier concernant Philippot… D’abord en accusant Philippot d’avoir “volé” les idées de l’UPR comme si en politique il y avait une quelconque propriété intellectuelle des idées… Ensuite en imaginant que Philippot a été invité sur les plateaux pour faire passer l’idée que le Frexit est d’extrême-droite. Pour les Asselinistes, ce n’est sûrement pas parce qu’il est (était) député européen, ou parce que le programme de son parti lui permet de s’exprimer sur la plupart des sujets, quand Asselineau n’est capable que de sauter sur sa chaise comme un cabri en répondant “Frexit, Frexit, Frexit!” à tout.

              Quant à l’idée qu’il faut surtout éviter de se faire taxer d’extrême-droite, je ne la comprends pas. D’abord parce que ça consiste à se présenter comme un parti “anti-système” tout en demandant son approbation audit système. Et surtout parce que les scores du FN montrent qu’une bonne partie des citoyens se contrefiche de cette étiquette, voire s’en satisfait pour exprimer un vote de colère… Quant à ceux qui refusent l’extrême-droite du haut de leur posture morale, ce n’est certainement pas le cœur de cible d’un parti comme l’UPR…

            • Descartes dit :

              @ materialiste-patriote

              [Il y a un psittacisme chez les militants de l’UPR qui me laisse pantois, en particulier concernant Philippot… D’abord en accusant Philippot d’avoir “volé” les idées de l’UPR comme si en politique il y avait une quelconque propriété intellectuelle des idées… Ensuite en imaginant que Philippot a été invité sur les plateaux pour faire passer l’idée que le Frexit est d’extrême-droite.]

              L’UPR fonctionne comme une secte – quelque chose qu’on trouve de plus en plus en politique, il faudrait se demander pourquoi. Le fonctionnement sectaire est rendu possible d’abord par la une logique paranoïaque : tout ce qui vient de l’extérieur est suspect, parce que tout le monde nous veut du mal. Ce mécanisme permet au gourou d’évacuer tout discours qui pourrait menacer sa mainmise sur l’organisation. Philippot est un concurrent autrement plus dangereux pour Asselineau que Macron ou Mélenchon, parce qu’il chasse dans le même marigot. Il ne faut pas grande chose pour qu’un partisan de l’UPR « migre » vers « Les patriotes » ou vice-versa. On peut se dire d’ailleurs que le fait qu’Asselineau attaque Philippot alors que ce dernier ignore le premier montre que c’est Asselineau qui se sent en position de faiblesse…

              Quant à l’argument « il a piqué mes idées… », je le trouve toujours aussi extraordinaire. Utiliser ce genre d’arguments montre qu’on est plus attaché à la victoire de sa personne qu’à la victoire de ses idées. Franchement, si quelqu’un d’autre prenait mes idées et les porte à l’Elysée, je serais le plus heureux des hommes ! Il ne me viendrait pas à l’idée de lui demande des royalties…

              [Quant à l’idée qu’il faut surtout éviter de se faire taxer d’extrême-droite, je ne la comprends pas.]

              Moi non plus. Je ne vois en général pas trop l’intérêt de s’aliéner en cherchant à donner des gages à vos adversaires.

      • Ian Brossage dit :

        @Descartes

        > Où voyez-vous chez l’UPR un « projet crédible » ? Pouvez-vous indiquer au moins dans ses grandes lignes quel est le projet de société que l’UPR propose ? Non, l’UPR propose tout au plus un programme, limité à un seul item qui est la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN.

        Le pire, c’est que l’UPR en fait un point de doctrine, en prétendant ne pas se mêler de ce qu’elle appelle les « sujets clivants ».

        Le problème, c’est qu’il n’y a qu’en politique à peu près que des « sujets clivants ». Si un sujet n’est pas clivant, s’il fait consensus, alors il n’y a tout simplement pas de débat politique à avoir à son sujet. Par exemple, la criminalisation du meutre fait consensus et c’est pour cela qu’on ne voit pas de débat politique à son sujet…

        Le rôle d’un parti politique, c’est précisément de faire valoir des choix dûment argumentés sur les « sujets clivants » qui se présentent au débat… pas de se défausser en disant « on refuse d’en parler ». L’UPR finit d’ailleurs parfois par s’y résoudre, malgré elle (par exemple les récentes « lois Travail » ont fait l’objet de diverses palinodies avant que la direction de l’UPR décide de s’engager contre).

        Par ailleurs, vers la fin 2017, Asselineau avait annoncé la mise en place d’une commission sur l’immigration, destinée à construire ou au moins esquisser la doctrine du parti en la matière. Depuis, on n’en a plus entendu parler…

        • Descartes dit :

          @ Ian Brossage

          [« Où voyez-vous chez l’UPR un « projet crédible » ? Pouvez-vous indiquer au moins dans ses grandes lignes quel est le projet de société que l’UPR propose ? Non, l’UPR propose tout au plus un programme, limité à un seul item qui est la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN. » Le pire, c’est que l’UPR en fait un point de doctrine, en prétendant ne pas se mêler de ce qu’elle appelle les « sujets clivants ».]

          C’était bien mon point. Au demeurant, ce n’est pas une critique : je proposais moi-même qu’on bâtisse une organisation ouverte à tous les souverainistes et qui n’assumerai qu’un seul combat, celui pour la récupération des instruments de souveraineté sans aborder aucun autre sujet. Le problème de l’UPR, c’est que l’attitude groupusculaire d’Asselineau, qui aboie dès que quelqu’un s’approche de son pré carré, ne lui permet pas de jouer ce rôle…

          • Marcailloux dit :

            @ Descartes

            Bonjour,

            [Au demeurant, ce n’est pas une critique : je proposais moi-même qu’on bâtisse une organisation ouverte à tous les souverainistes et qui n’assumerai qu’un seul combat, celui pour la récupération des instruments de souveraineté sans aborder aucun autre sujet. Le problème de l’UPR, c’est que l’attitude groupusculaire d’Asselineau, qui aboie dès que quelqu’un s’approche de son pré carré, ne lui permet pas de jouer ce rôle…]

            Je suis désolé d’intervenir ici dans ce grand lacrimosa anti européen avec quelques notes dissonantes propres tout de même à contribuer à l’harmonie du débat.

            La « récupération des instruments de souveraineté » ne signifie pas grand-chose pour le citoyen lambda. Ce qui est susceptible de l’intéresser, c’est « pour faire précisément quoi, et quand ?».
            Et en réponse à cette question AUCUN des partis, groupuscules, leader ou même patron de blog n’est en mesure de présenter un schéma crédible, compréhensible par le plus grand nombre, et séduisant pour une majorité hypothétique.

            L’Union européenne avance. Mal probablement, avec de nombreuses distensions, des frustrations et aussi des alibis pour les politiques nationaux, mais elle avance.

            Son allure est chaotique, brinquebalante, implacable aux yeux de beaucoup de ceux qui cependant devinent ou simplement espèrent l’avènement d’un progrès socioéconomique sensible et le maintien d’une relative paisibilité du continent européen.

            Il ne suffit pas de réagir à un besoin juvénile d’indépendance, comme ces jeunes adultes qui veulent tout de suite, leur « appart », leur « bagnole », leur paie confortable, leur indépendance, sans être capable d’en mesurer les implications.

            Comme le coq sur son tas de fumier, on peut dire merde au monde entier. Encore faut-il en assumer les conséquences. Les Français, les Européens en sont-ils capables ? Y ont-ils un intérêt évident ? Que peuvent-ils en espérer en dehors de la vanité satisfaite du caprice exhaussé ?

            Je ne suis pas vraiment satisfait de ce que l’Union européenne nous propose mais je considère d’autre part que l’on est respecté que lorsqu’on est fort (ou très faible comme Monaco , Malte, le Liechtenstein, la Suisse à la rigueur, mais avec des avantages comparatifs hors de notre portée).

            Les grands de la planète font leur la devise « Diviser pour régner » et un pays en déclin comme le notre serait probablement la proie idéale pour être vassalisé par un plus fort. Et puis, dans de nombreux domaines, un pays de 70 millions d’habitants ne peut rivaliser industriellement et technologiquement dans de très nombreux domaines. Il lui faut atteindre une masse critique que nous ne pouvons atteindre.

            Et l’Europe constitue une voie d’espérance qui ne peut être balayée d’un revers de manche. C’est pourquoi la plupart des européens ne souhaitent pas quitter un bateau qui ne les satisfait, certes, pas entièrement, mais les rassure à minima. Le discours des Asselineau et consorts c’est : « Saute dans le vide, tais-toi et nage, on verra bien où on arrive ». Entre deux maux il faut choisir le moindre.

            L’histoire nous enseigne sur les très longues pérégrinations des grands pays au cours de leur développement. L’Europe en est probablement au début de sa construction.
            À ce jour, j’attends, avec un intérêt bienveillant, un développement argumentaire convaincant associé à un projet charpenté, crédible et surtout acceptable dans son rapport risques/opportunités susceptible de faire basculer mon opinion. Je pense ne pas être le seul, en France et en Europe, dans ce cas.

            • Descartes dit :

              @ Marcailloux

              [Je suis désolé d’intervenir ici dans ce grand lacrimosa anti européen avec quelques notes dissonantes propres tout de même à contribuer à l’harmonie du débat.]

              Mais… pourquoi êtes-vous « désolé » ? Les notes dissonantes, c’est ce qui donne de la saveur au débat…

              [La « récupération des instruments de souveraineté » ne signifie pas grand-chose pour le citoyen lambda. Ce qui est susceptible de l’intéresser, c’est « pour faire précisément quoi, et quand ?».]

              Je ne sais pas. Avez-vous vu une quelconque étude qui permette de connaître la position du « citoyen lambda » sur les instruments de souveraineté ? Moi, en tout cas, je n’en connais pas. Et je pense qu’il ne faut pas sous-estimer nos concitoyens. L’homme vit certes de pain, mais pas que. Et ne je peux que constater que lorsque nos concitoyens ont été appelés à se prononcer sur cette question, en 1992 et en 2005, ils ont non seulement répondu présent, avec un taux d’abstention relativement faible, mais que les couches populaires ont voté très majoritairement du côté de la souveraineté, sans qu’il soit nécessaire pour autant de leur expliquer « pour faire précisément quoi, et quand ».

              [Et en réponse à cette question AUCUN des partis, groupuscules, leader ou même patron de blog n’est en mesure de présenter un schéma crédible, compréhensible par le plus grand nombre, et séduisant pour une majorité hypothétique.]

              C’est possible. Mais il vous faut admettre que les partisans de la construction européenne n’offrent pas, eux non plus, de schéma « crédible, compréhensible par le plus grand nombre, et séduisant pour une majorité hypothétique »…

              [L’Union européenne avance. Mal probablement, avec de nombreuses distensions, des frustrations et aussi des alibis pour les politiques nationaux, mais elle avance.]

              Elle avance, certainement. Mais vers quoi ? C’est là toute la question. Ce que n’importe qui peut constater, c’est que son « avance » se traduit par la confiscation d’une parcelle de pouvoir chaque fois plus grande au bénéficie d’institutions qui l’utilisent pour faire une politique qui, pour nous concitoyens des couches populaires se traduit par toujours moins de services publics, d’emplois, de perspectives, et je dirais même de sens. Alors, continuer à « avancer », est-ce une bonne chose ?

              [Il ne suffit pas de réagir à un besoin juvénile d’indépendance, comme ces jeunes adultes qui veulent tout de suite, leur « appart », leur « bagnole », leur paie confortable, leur indépendance, sans être capable d’en mesurer les implications.]

              Je préfère ceux qui cèdent au « besoin juvénile d’indépendance » plutôt que les Tanguy frileux qui restent bien au chaud chez papa-maman parce que cela les dispense de prendre la moindre responsabilité. Parce que le premier, même s’il ne « mesure pas les implications » au départ, finira à coups de tartes que lui filera la réalité à comprendre le monde où il vit. Et le second, non. Vous savez, si à notre naissance nous pouvions « mesurer les implications », nous resterions bien au chaud dans le ventre de notre mère.

              Oui, je suis d’accord, l’indépendance est une aventure. Et j’espère que notre nation restera une nation d’aventuriers, et non pas une nation de vieux pantouflards qui n’osent bouger le petit doigt de peur des conséquences, et qui préfèrent que d’autres décident pour eux.

              [Comme le coq sur son tas de fumier, on peut dire merde au monde entier. Encore faut-il en assumer les conséquences.]

              Oui. On peut aussi NE PAS DIRE merde au monde entier, et là aussi il faut en assumer les conséquences. Ce que je trouve curieux dans votre raisonnement, c’est que vous ne vous posez jamais la question symétrique. Oui, sortir de l’UE aurait un coût. Mais rester aussi.

              Personnellement, je ne propose pas de dire merde au monde entier. Ce que je propose, c’est de garder le pouvoir de choisir à quelle partie du monde je dis merde.

              [Je ne suis pas vraiment satisfait de ce que l’Union européenne nous propose mais je considère d’autre part que l’on est respecté que lorsqu’on est fort (ou très faible comme Monaco , Malte, le Liechtenstein, la Suisse à la rigueur, mais avec des avantages comparatifs hors de notre portée).]

              Tout à fait d’accord. Mais il vous reste encore à démontrer que l’UE est « forte ». Pensez-vous que ce soit le cas ? Pourriez-vous donner un exemple, un seul, où cette « force » se soit manifestée et ait forcé le « respect » dont vous parlez ? J’attends votre exemple avec impatience…

              Oui, on est respecté quand on est fort. Mais ce n’est pas le nombre ou l’extension qui vous rend fort, c’est la nature des liens qui vous unissent. Au risque de me répéter : ce ne sont pas les armées les plus nombreuses qui gagnent les guerres, ce sont les plus décidées et les mieux commandées. Les 500 millions de consommateurs que compte l’UE ne pèseront jamais plus que les 70 millions de citoyens sur lesquels peut compter la France. Et ce n’est pas une question conjoncturelle, c’est une question structurelle. Les 500 millions de consommateurs européens ne sont prêts à la moindre solidarité inconditionnelle envers leurs con-consommateurs. Les citoyens français, eux, sont prêts pour leurs concitoyens.

              [Les grands de la planète font leur la devise « Diviser pour régner » et un pays en déclin comme le nôtre serait probablement la proie idéale pour être vassalisé par un plus fort.]

              L’Allemagne, par exemple ? Mais c’est déjà fait… vous n’avez pas remarqué que vous avez des marks dans votre portefeuille ? Bon, d’accord, ils sont déguisés. Et pourtant…

              Je trouve très curieux ce raisonnement, selon lequel il faudrait se vassaliser volontairement à l’UE de peur d’être vassalisé par « un plus fort » indéterminé. Franchement, s’il s’agit d’avoir un maître qui décide pour nous, en quoi les bonzes de Bruxelles seraient-ils un maître plus doux que les américains ou les chinois ?

              [Et puis, dans de nombreux domaines, un pays de 70 millions d’habitants ne peut rivaliser industriellement et technologiquement dans de très nombreux domaines. Il lui faut atteindre une masse critique que nous ne pouvons atteindre.]

              Vous affirmez votre opinion mais vous ne faites jamais une démonstration. Pourriez-vous donner un exemple d’un de ces domaines où un pays de 70 millions d’habitants ne pourrait pas atteindre la « masse critique » ? Personnellement, je ne vois pas. La Corée du Sud, par exemple, n’a que 50 millions d’habitants. Cela ne l’empêche pas d’avoir une industrie électronique de pointe qui rivalise avec les plus grands, d’exporter des réacteurs nucléaires, de produire des armes de dernière génération. Bien sûr, une puissance moyenne ne peut exceller dans TOUS les domaines, et c’est pourquoi il faut se concentrer sur ceux qui sont stratégiques. Mais imaginer qu’on trouvera dans l’UE la « masse critique » qui nous manque en France, alors que le fondement de l’UE est justement d’empêcher l’apparition de champions industriels européens…

              [Et l’Europe constitue une voie d’espérance qui ne peut être balayée d’un revers de manche.]

              Vous avez tout à fait raison : elle doit être exterminée à la mitraillette…

              Là encore vous affirmez sans démontrer. En quoi et pourquoi l’Europe constituerait-elle une « voie d’espérance » ? Il est clair qu’elle n’est pas aujourd’hui perçue ainsi : la majorité des européens reste attachée à l’UE plus par la peur que par le désir. Mais sur le fond, quel est « l’espérance » que nous offre l’Europe ?

              [C’est pourquoi la plupart des européens ne souhaitent pas quitter un bateau qui ne les satisfait, certes, pas entièrement, mais les rassure à minima.]

              Tout à fait d’accord. « Ce n’est pas l’amour qui nous unit, mais l’épouvante » (Borges). Ce n’est pas l’espérance qui tient les européens amarrés à l’UE, c’est la peur. Le plus fort ciment de l’UE, c’est l’aversion aux risques de ses citoyens. Exactement le même mécanisme qui a fait les « quarante millions de pétainistes ».

              [Le discours des Asselineau et consorts c’est : « Saute dans le vide, tais-toi et nage, on verra bien où on arrive ». Entre deux maux il faut choisir le moindre.]

              Encore une fois, vous ne faites pas un raisonnement symétrique. Oui, Asselineau et consorts disent « saute dans le vide, et on verra ou on arrive ». Mais le discours des eurolâtres est « continuons comme ça, et on verra ou on arrive ». Je me demande des deux maux lequel est « le moindre »… mais subjectivement, vous avez raison : il est toujours plus rassurant de suivre le courant que de nager contre elle…

              [L’histoire nous enseigne sur les très longues pérégrinations des grands pays au cours de leur développement. L’Europe en est probablement au début de sa construction.]

              J’avoue que je ne vois pas très bien le sens de cette remarque.

              [À ce jour, j’attends, avec un intérêt bienveillant, un développement argumentaire convaincant associé à un projet charpenté, crédible et surtout acceptable dans son rapport risques/opportunités susceptible de faire basculer mon opinion. Je pense ne pas être le seul, en France et en Europe, dans ce cas.]

              Votre attente est très légitime. Mais il faut aussi voir la difficulté du problème : celui qui propose quelque chose de nouveau est toujours en difficulté par rapport à celui qui prétend continuer comme avant. Connaissez-vous beaucoup de révolutions qui aient pu proposer dès le départ un rapport risque/opportunité ?

            • @ Marcailloux,

              Content de vous revoir.

              Vous dites:
              “un pays en déclin comme le notre serait probablement la proie idéale pour être vassalisé par un plus fort. Et puis, dans de nombreux domaines, un pays de 70 millions d’habitants ne peut rivaliser industriellement et technologiquement dans de très nombreux domaines.”
              Je voudrais attirer votre attention sur quelques points qui me semblent importants.
              D’abord sur la démographie. Savez-vous quel est le rang de la France? 20ème. Oui, nous sommes le 20ème pays le plus peuplé du monde (sur environ 200 pays), donc nous sommes dans les 10 % des pays les plus peuplés. Contrairement à une idée reçue, la France fait bien partie des pays dont le poids démographique n’est pas du tout négligeable. A noter que des pays comme le Nigeria, le Bangladesh ou les Philippines, bien plus peuplés que nous, sont des puissances secondaires.
              https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_population

              Concernant la superficie, la France est le 41ème état le plus vaste (là aussi sur 200) en comptant les territoires ultramarins. La France n’est pas un “petit pays” comme on l’entend souvent, mais un pays de taille moyenne. C’est l’état le plus vaste de l’UE et le 3ème en Europe derrière la Russie et l’Ukraine. Ce n’est pas si mal.
              https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_et_territoires_par_superficie

              Quant à la question de la masse critique nécessaire pour le développement industriel et technologique, je vous donnerai un seul exemple, celui des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin. La France est l’un des très rares pays du monde (il y en a cinq ou six en tout) capable de fabriquer intégralement et d’assembler des sous-marins de ce type, ce qui est une prouesse qu’on ne souligne pas assez.

              Enfin selon les années, la France est 5ème, 6ème ou 7ème puissance économique du monde… sur 200! Vous serez d’accord avec moi pour dire que pas mal de pays dans le monde rêveraient de posséder de tels atouts. Alors quand on m’explique que “on ne peut plus rien faire seul”… Mais alors, que peuvent faire les 180 pays moins peuplés et moins riches que nous?

              Non, le problème concerne davantage la cohésion: nous faisons de moins en moins France. La société est devenue trop hétérogène, elle se divise, se communautarise, se fragmente. Le patriotisme s’étiole. Voilà la cause de notre déclin. Mais la construction européenne ne peut rien contre cela: votre Europe mourra des mêmes divisions qui minent ses états membres…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Enfin selon les années, la France est 5ème, 6ème ou 7ème puissance économique du monde… sur 200! Vous serez d’accord avec moi pour dire que pas mal de pays dans le monde rêveraient de posséder de tels atouts. Alors quand on m’explique que “on ne peut plus rien faire seul”… Mais alors, que peuvent faire les 180 pays moins peuplés et moins riches que nous?]

              Mais… adhérer à l’Union européenne, pardi… 😉

              [Non, le problème concerne davantage la cohésion: nous faisons de moins en moins France. La société est devenue trop hétérogène, elle se divise, se communautarise, se fragmente. Le patriotisme s’étiole. Voilà la cause de notre déclin. Mais la construction européenne ne peut rien contre cela: votre Europe mourra des mêmes divisions qui minent ses états membres…]

              Tout à fait. La France est une puissance intermédiaire. Mais cela n’est pas nouveau : elle l’est depuis 1870…

            • Marcailloux dit :

              @Descartes et nationaliste-ethniciste

              Bonjour,

              Comme je pouvais m’y attendre, mon commentaire est la cible d’un tir croisé, c’est pourquoi je me permets de faire une réponse groupée. Je vous sais gré cependant du soin que vous apportez dans vos commentaires.

              Aucune illusion ne me guide sur la capacité de mes arguments à vous convaincre de l’intérêt pour la France de persévérer dans la construction européenne. La raison en est que je n’ ai pas un niveau de conviction du bien-fondé de l’Union qui égale le votre dans la certitude que c’est un mal. Je me bornerai donc à décrire ce que sont, selon mon opinion, les forces et les faiblesses de notre pays dans le concert international et particulièrement sa position potentielle dans l’Union européenne.

              Nous serons sans doute d’accord pour reconnaître à notre pays une valeur dans de très nombreux domaines qui le place parmi les nations qui comptent et ont de l’influence. (La culture, l’histoire, l’économie, les sciences, les arts, la position géographique, etc . . .)
              Nous avons l’alternative entre faire cavalier seul ou l’agrégation de puissances complémentaires. Vous préférez la première hypothèse. Elle me paraît, dans le contexte actuel plus porteuse de risques que vecteur d’opportunités.

              Quand vous prenez l’exemple, Descartes, de la Corée du Sud, vous ne tenez pas compte de la particularité comparée de sa population. Vous connaissez beaucoup de Français désireux de travailler deux fois plus, dans des conditions socio-économiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec celle des salariés français. Malgré une activité de forçat, ce pays présente un PIB par habitant de 10% inférieur à celui des Français et une inégalité des revenus très supérieure. Et encore, ils ont bénéficié et bénéficient largement de fonds américains qui fait qu’ils sont largement dépendants du bon vouloir de monsieur Trump.

              C’est ça que vous proposez aux Français comme projet de société ?

              Pour ce qui est de la France dans l’Union européenne, à conditions surtout que les comportements oisifs d’une partie de la population soit altérés, il est possible d’imaginer un scénario inspiré du combat des Horace et des Curiace.
              – Dans un premier temps le pays doit rétablir une partie de son indépendance financière et renverser le déséquilibre de sa balance des paiements. Cela passe par une répartition plus équilibrée du binôme activité productive/ressources allouées. En un mot, il faut augmenter significativement le nombre des actifs réels, pas des actifs virtuels.
              – Dans un second temps, son poids politique restauré, il peut entrainer des alliés dans sa conception des valeurs économiques (des réalisations comme Airbus) sociales et culturelles qui actuellement sont irrités de constater et subir les effets du cas particulier français.
              – Dans un troisième temps, le différentiel démographique produisant ses effets – pour peu qu’une politique de la famille s’y emploie – elle peut prendre toute sa part du leadership dans l’union européenne en réduisant l’influence de chacun des pays réfractaires à sa politique et en imprimant la sienne.

              Être le premier en Europe sur les plans économiques et sociaux n’est pas une utopie à terme de 15 ou 20 ans. Mais chacun doit y prendre sa part non pas, comme on le constate dans la plupart des partis ou mouvements pour défendre sa chapelle, tirer dans les pattes de ceux dont on veut prendre la place, mais pour propulser le pays.

              La Chine se construit depuis maintenant plus de 25 siècles avec des hauts et des bas. Les USA ont fait plus vite mais cela dure depuis 250 ans. Pourquoi une Europe solide devrait mettre moins de 100 ans ?

              Il n’y a aucune gloire ni légitimité à nager contre le courant, par principe. Car ce courant a fait que la France, si l’on prend la peine de s’extraire des vicissitudes du quotidien et prendre un peu de hauteur, reste un pays plus qu’attractif et une chance pour ses habitants d’en être citoyens. Si tout allait mal comme on pourrait le penser en écoutant certains, cela justifierait d’accepter de renverser la table.

              Pour reprendre à mon compte l’exemple des sous-marins, c’est en effet parmi bien d’autres secteurs – les avions, l’agroalimentaire, la pharmacie, le nucléaire, le cinéma, le tourisme, etc . . . – des domaines où la France se distingue, ou plutôt se distinguait. Sa compétitivité est actuellement érodée car, parmi d’autres facteurs, l’industrie française n’attire pas.
              C’est mal de se salir les mains dans un atelier même bien rémunéré. Combien d’employeurs refusent des marchés parce qu’ils ne trouvent pas de main d’œuvre qualifiée, notamment dans les domaines de la construction mécanique.

              Nous souffrons d’une inégalité colossale entre une partie de la population qui peut vivre sans rien faire et une partie de la population qui trime comme quatre.
              Nous souffrons d’une fracture entre ceux qui sont respectueux des règles éthiques, des lois et comportements civiques et ceux qui s’en affranchissent allègrement sans crainte de sanction.
              Nous souffrons de l’égotisme du personnel politique incapable, avec le consentement implicite des citoyens, de partager un tronc commun propice au progrès du pays.

              Alors ceux qui promettent de régler ces problèmes sans auparavant entrepris de changer les comportements, à tous niveaux, sont soit des inconscients soit des malhonnêtes.

            • Descartes dit :

              @ Marcailloux

              [Comme je pouvais m’y attendre, mon commentaire est la cible d’un tir croisé,]

              Pourquoi utiliser la métaphore militaire ? Personne ne vous « tire » dessus. Vous avez exposé votre opinion – « tirant », si je reprends votre terme – sur d’autres commentateurs, et votre commentaire a suscité des réponses argumentées. Rien que le jeu d’argument et contre arguments…

              [Nous avons l’alternative entre faire cavalier seul ou l’agrégation de puissances complémentaires.]

              Pourquoi réduire nos options à une simple alternative entre « faire cavalier seul » ou « l’agrégation » dans un ensemble supranational ? Pourtant, beaucoup d’autres alternatives existent : la coopération bilatérale entre états, les projets communs… En posant la question en termes manichéens, en vous imposant de choisir entre la supranationalité et l’autarcie, vous ne pouvez bien entendu qu’aboutir à la conclusion que l’UE est le moindre mal dans un choix biaisé.

              [Quand vous prenez l’exemple, Descartes, de la Corée du Sud, vous ne tenez pas compte de la particularité comparée de sa population. Vous connaissez beaucoup de Français désireux de travailler deux fois plus, dans des conditions socio-économiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec celle des salariés français.]

              Ne changez pas de sujet. Vous affirmiez que la France était trop petite pour avoir à elle seule un premier rôle en matière industrielle et scientifique. L’exemple de la Corée vous montre qu’un pays de taille moyenne peut parfaitement avoir une industrie de pointe puissante jouant les premiers rôles dans la compétition mondiale. C’était ça le point en discussion, et mon exemple est donc parfaitement pertinent. Si maintenant votre argument est que les travailleurs français sont trop fainéants pour que la France puisse occuper une place, c’est une autre affaire. Et je vois mal d’ailleurs ce que l’appartenance à l’UE pourrait y changer.

              [Malgré une activité de forçat, ce pays présente un PIB par habitant de 10% inférieur à celui des Français et une inégalité des revenus très supérieure.]

              Faudrait vous décider. Vous commencez par dire qu’en Corée du sud les gens travaillent deux fois plus, et que le PIB par habitant est 10% inférieur à celui des Français. Avec un tel avantage en termes de productivité, on devrait sans difficulté pouvoir damer le pion aux coréens, non ? Et cela sans avoir besoin de nous agréger à l’UE… Quant à « l’inégalité de revenus très supérieure », pourriez-vous donner vos sources ? Si je prends l’indice de Gini, il était pour la Corée du Sud de 31,6 en 2012, alors que pour la France il était de 32,7 en 2015 (chiffres de la Banque Mondiale). La différence est donc minime… et c’est la Corée qui serait plus égalitaire !

              [Et encore, ils ont bénéficié et bénéficient largement de fonds américains qui fait qu’ils sont largement dépendants du bon vouloir de monsieur Trump.]

              Pour la défense, certainement. Mais ce n’est pas grâce à Trump que Samsung est l’une des premières sociétés de haute technologie de la planète. Ce serait plutôt le contraire…

              [C’est ça que vous proposez aux Français comme projet de société ?]

              Non, pas vraiment. Je vous proposais juste cet exemple pour vous montrer que l’argument selon lequel la France serait « trop petite » ne supporte pas la confrontation avec la réalité. Il y a peut-être beaucoup de bonnes raisons pour s’intégrer dans une structure supranationale, mais celle de la taille n’en est pas une.

              [– Dans un premier temps le pays doit rétablir une partie de son indépendance financière et renverser le déséquilibre de sa balance des paiements. Cela passe par une répartition plus équilibrée du binôme activité productive/ressources allouées. En un mot, il faut augmenter significativement le nombre des actifs réels, pas des actifs virtuels.]

              Cela suppose, avant de toucher à l’âge de la retraite, de remettre au travail les 5 millions de chômeurs et sous-employés. Comment arrivez-vous à faire cela dans le contexte de l’UE ? Je vous rappelle que vous n’avez ni l’instrument monétaire, qui est géré par la BCE, ni l’instrument budgétaire, contraint par le pacte de stabilité, ni la politique douanière, gérée par l’Union, ni la politique industrielle, strictement limitée par la « concurrence libre et non faussée ». Alors, expliquez-moi quel instrument vous reste pour achever votre « répartition équilibrée »…

              [– Dans un second temps, son poids politique restauré, il peut entrainer des alliés dans sa conception des valeurs économiques (des réalisations comme Airbus) sociales et culturelles qui actuellement sont irrités de constater et subir les effets du cas particulier français.]

              D’abord, faut arrêter de donner Airbus en exemple de réalisation supranationale. Airbus est un projet résultant strictement d’accords entre nations, qui se partagent les pouvoirs, les coûts et les bénéfices. Le projet ne doit rien à l’UE, si ce n’est l’interdiction de réserver à Airbus le marché européen… Par ailleurs, il est à noter qu’Airbus s’est fait ans que pour autant la France ait « renversé l’équilibre de sa balance de paiements »…

              Vous semblez être sous l’illusion que c’est en rétablissant sa balance de paiements que la France « restaurera son poids politique ». Comme si l’équilibre des budgets faisait au poids politique des Etats. Vous noterez que les Etats-Unis entretiennent un déficit abyssal… et que cela ne semble pas affecter leur poids politique. Croire comme Macron que l’Allemagne sera plus aimable à notre égard si nous avons un budget en équilibre est pour moi une naïveté inexcusable.

              [– Dans un troisième temps, le différentiel démographique produisant ses effets – pour peu qu’une politique de la famille s’y emploie – elle peut prendre toute sa part du leadership dans l’union européenne en réduisant l’influence de chacun des pays réfractaires à sa politique et en imprimant la sienne.]

              Je pense que vous vous êtes trompé de siècle. Cela fait bien longtemps que la démographie n’est plus un facteur de puissance. Il faudra m’expliquer en quoi notre « influence » augmenterait du fait de notre démographie. Par exemple, en quoi une France de 80 millions d’habitants pourrait faire accepter par l’Allemagne une Europe des transferts plus facilement qu’à 70…

              [Être le premier en Europe sur les plans économiques et sociaux n’est pas une utopie à terme de 15 ou 20 ans.]

              Si l’on reste dans le carcan supranational, c’est pire qu’une utopie, c’est un non-sens.

              [La Chine se construit depuis maintenant plus de 25 siècles avec des hauts et des bas. Les USA ont fait plus vite mais cela dure depuis 250 ans. Pourquoi une Europe solide devrait mettre moins de 100 ans ?]

              Les USA se sont construits comme nation dès avant la déclaration d’indépendance. Les treize colonies partageaient dès avant la déclaration une même langue, un même droit, et tous leurs membres étaient formés la même matrice politique, économique, culturelle, et avaient partagé une expérience commune. Les états qui ont rejoint l’Union plus tard se sont vus imposer l’adhésion à cette matrice. Comparer à l’UE, dont les citoyens ne partagent aucune expérience commune, sont formés dans des matrices politiques, économiques et culturelles différentes et ne parlent pas la même langue est absurde.

              Oui, l’Europe aurait peut-être pu se construire rapidement comme nation en suivant la voie chinoise. C’eut été le cas si en 1945 l’Allemagne avait gagné la guerre… curieusement, non ne trouve pas beaucoup d’eurolâtres pour regretter cette occasion perdue.

              [Il n’y a aucune gloire ni légitimité à nager contre le courant, par principe. Car ce courant a fait que la France, si l’on prend la peine de s’extraire des vicissitudes du quotidien et prendre un peu de hauteur, reste un pays plus qu’attractif et une chance pour ses habitants d’en être citoyens. Si tout allait mal comme on pourrait le penser en écoutant certains, cela justifierait d’accepter de renverser la table.]

              Oui, la France reste – notez bien ce mot – attractive. Mais cette attractivité tient plus à un héritage qu’à une récréation quotidienne. On vient visiter nos musées, mais on ne recherche guère nos ordinateurs et nos téléphones portables. Alors, tout ne va pas mal, mais tout va en empirant. C’est ce que cela justifie de « renverser la table » ? Ou faut-il attendre que tout aille VRAIMENT mal pour le faire ?

              [Pour reprendre à mon compte l’exemple des sous-marins, c’est en effet parmi bien d’autres secteurs – les avions, l’agroalimentaire, la pharmacie, le nucléaire, le cinéma, le tourisme, etc . . . – des domaines où la France se distingue, ou plutôt se distinguait. Sa compétitivité est actuellement érodée car, parmi d’autres facteurs, l’industrie française n’attire pas.]

              Oh mon dieu ! Elle n’attire pas ? Et c’est pourquoi, à votre avis ? La perte des leviers monétaires, budgétaires, douaniers qui permettraient de faire une vrai politique industrielle ne serait-elle pour quelque chose ?

              [C’est mal de se salir les mains dans un atelier même bien rémunéré. Combien d’employeurs refusent des marchés parce qu’ils ne trouvent pas de main d’œuvre qualifiée, notamment dans les domaines de la construction mécanique.]

              Aucun, à ma connaissance. Je connais des employeurs qui refusent des marchés parce qu’ils ne sont pas prêts de payer la main d’œuvre à son juste prix. Mais lorsqu’on offre le bon salaire, on trouve. Il faut arrêter de répéter ce que le cœur des pleureuses chante depuis des années sur le mode « les jeunes ne veulent plus bosser ». C’est vrai, les jeunes ne veulent pas bosser POUR LES SALAIRES DE MISERE QU’OFFRE L’INDUSTRIE. D’ailleurs, si l’on se tient au raisonnement libéral, une rareté de l’offre par rapport à la demande devrait faire grimper les prix. Or, je ne vois pas les salaires augmenter dans la construction mécanique…

              Et pourquoi l’industrie offre des salaires de misère ? Et bien, parce que l’activité industrielle est par nature délocalisable, et que les règles européennes rendent cette délocalisation indolore. Un employeur qui voudrait payer un tourneur, un fraiseur, un soudeur au prix qui lui permettrait de recruter des Français perdrait ses marchés devant ses concurrents chinois, roumains ou indiens. Or, tous les leviers qui permettraient de lutter contre les délocalisations ont été abandonnés à Bruxelles. Il ne reste qu’une possibilité : que les jeunes acceptent de travailler pour des salaires équivalents à ceux des Chinois, des Roumains ou des Indiens. Autrement dit, la déflation salariale. Belle perspective, n’est-ce pas ? Et aussi longtemps que nous serons soumis aux règles européennes, c’est la seule possible.

              [Alors ceux qui promettent de régler ces problèmes sans auparavant entrepris de changer les comportements, à tous niveaux, sont soit des inconscients soit des malhonnêtes.]

              Si vous attendez que les Français soient devenus des saints pour essayer de changer quelque chose, vous risquez d’attendre longtemps…

            • VIO59 dit :

              Pour la Coré du Sud, les français que je connais qui y sont allés disent que les travailleurs turbinent chaque jour 2 fois plus longtemps mais 2 fois moins vite.

              Ceux qui reviennent du Japon n’en rapportent pas une opinion très différente.

              La Norvège, la Suisse ou l’Islande sont tout aussi compétitives que la Corée ou le Japon, tout en mesurant le temps de travail d’une manière très proche de la notre.

              Non, nous n’avons aucun besoin de l’UE, elle ne nous apporte rien, et l’Euro nous plombe.

            • Marcailloux dit :

              @ Descartes,
              Bonjour,
              [Personne ne vous « tire » dessus.]
              Non, en effet, mais je parlais de mon commentaire 🙂

              [ . . . En posant la question en termes manichéens, en vous imposant de choisir entre la supranationalité et l’autarcie . . . ]
              Là est en toute réalité la question. Des accords binationaux, coopération bi ou multilatérale entre états, les projets communs sont sans doute souhaitables. Mais ils n’engagent pas autant qu’une constitution et peuvent être dissous ou dénoncés selon les circonstances qui favorisent l’un ou l’autre des partenaires. La supranationalité « oblige » les nations les unes envers les autres, base même de la solidarité.
              Je conviens tout a fait que ce ne soit pas évident, comme il n’est pas évident que l’on ait à gagner des immiscions de grandes puissances dans l’économie ou la défense de pays membres de l’union. Comme il est dans l’intérêt de ces puissances de diviser les membres de l’union pour imposer ensuite des conditions favorables à leur avantage, c’est une règle vieille comme le monde, l’isolement rend les pays de taille moyenne bien plus vulnérables.

              [Avec un tel avantage en termes de productivité, on devrait sans difficulté pouvoir damer le pion aux coréens, non ?]
              Où est le rapport ?. Si celui qui est hyper productif est lourdement chargé par une masse énorme d’improductifs, sa position concurrentielle en sera d’autant affaiblie.

              [Quant à « l’inégalité de revenus très supérieure », pourriez-vous donner vos sources ? Si je prends l’indice de Gini, il était pour la Corée du Sud de 31,6 en 2012, alors que pour la France il était de 32,7 en 2015 (chiffres de la Banque Mondiale). La différence est donc minime… et c’est la Corée qui serait plus égalitaire !]
              Nous n’avons pas les même sources ? Si, probablement, sauf que je construis mon opinion sur des valeurs tout aussi incontestables que les vôtres et qui présentent l’avantage d’être exploitables dans un débat politique, ce qui n’est pas tout à fait le cas de l’indice de Gini relativement abscons pour le citoyen lambda. Il existe, et vous ne l’ignorez sans doute pas, le ratio de Palma, utilisé par l’OCDE ainsi que la Banque mondiale. Il mesure l’écart entre les revenus des 10% les plus favorisés et celui des 40% les moins favorisés. Cet écart, aux arrondis près est dans le rapport de 1 à 3 entre la France et la Corée (0,34 contre 0,11), c’est à dire que la classe populaire – classe que de manière tout à fait honorable vous défendez avec ardeur – a des revenus comparatifs trois fois moindres en Corée qu’en France. Mais comparaison n’est pas raison, la situation de ces deux pays est trop différente, ce qui me fait dire que peu de Français ne doivent avoir envie de devenir Coréen !
              Vous constaterez, sinon reconnaitrez que l’on peut, à partir de chiffres exacts, dire tout et son contraire et je reconnais humblement que dans le domaine de la rhétorique et la jonglerie avec les données, je ne vous arrive pas à la cheville.
              Ce n’est pas pour autant que l’opinion que l’on en tire est plus valable. D’ailleurs, le ratio de Palma me semble plus opérant dans votre argumentation sur les différentes classes en France.

              [D’abord, faut arrêter de donner Airbus en exemple de réalisation supranationale.]
              Pour « arrêter », il faudrait d’abord commencer. Où avez vous lu qu’il est écrit qu’il s’agisse d’une construction de l’Union européenne ? Une telle assertion sert votre dialectique, pas la vérité. Ce que je dis c’est que la multiplication de ce type de grandes réalisations, outre l’effet de masse critique dont elles bénéficient, pourraient donner à la France – à la condition absolue d’une volonté politique déterminée de l’ensemble des partis de gouvernement – un poids lui permettant de peser lourdement sur les dispositions d’une Europe unifiée.

              [Vous semblez être sous l’illusion que c’est en rétablissant sa balance de paiements que la France « restaurera son poids politique ». Comme si l’équilibre des budgets faisait au poids politique des Etats. Vous noterez que les Etats-Unis entretiennent un déficit abyssal… et que cela ne semble pas affecter leur poids politique. Croire comme Macron que l’Allemagne sera plus aimable à notre égard si nous avons un budget en équilibre est pour moi une naïveté inexcusable.]
              Un seul pays au monde a les moyens de faire tourner la planche à billet comme il l’entend sans avoir à rendre de compte au reste de la planète, c’est les USA, vous le savez bien. Mais ce n’est possible – provisoirement – parce qu’il est le plus puissant. Et sa puissance politique lui vient moins de son économie que de sa force militaire. Concernant monsieur le Président Emmanuel Macron, c’est lui faire un mauvais procès d’intention que de l’imaginer assez benêt pour se faire des illusions sur le sujet. Mais lorsque l’on est obligé de tendre la main, on est d’autant plus faible dans son rapport à l’autre.

              [Je pense que vous vous êtes trompé de siècle. Cela fait bien longtemps que la démographie n’est plus un facteur de puissance. Il faudra m’expliquer en quoi notre « influence » augmenterait du fait de notre démographie. Par exemple, en quoi une France de 80 millions d’habitants pourrait faire accepter par l’Allemagne une Europe des transferts plus facilement qu’à 70…]
              Il faudra m’expliquer alors, comment il se fait que le Liechtenstein, le Qatar, Monaco, Macao, le Luxembourg, les Malouines, six premiers du classement mondial en terme de PIB par habitant selon le CIA Word Factbook, donc apparemment très performants soient des nains par rapport à l’Inde 156ème, le Brésil 107ème, la Chine 106ème, la Turquie 75ème, la Russie 71ème, le Japon 41ème. A niveau de performance égal, on peut logiquement considérer que l’effectif a une incidence sur la puissance économique d’un pays. Simple multiplication du niveau du ce2. Votre argument n’est relativement valable qu’en situation de guerre, et encore car on imagine les USA déclarer la guerre à l’Iran, et à moins de les vitrifier, ils ont toutes les « chances » d’ «afghaniser » leur situation.

              [Si l’on reste dans le carcan supranational, c’est pire qu’une utopie, c’est un non-sens.]
              Ça c’est votre opinion, ce n’est pas une démonstration. Votre argumentation « génétique » est profondément imbibée d’une farouche opposition à l’idée européenne et tout ce que vous écrivez, avec grand talent j’en conviens, l’est à l’aulne de cette détestation au point d’en devenir – à l’exception de vos thuriféraires lecteurs qu’il n’est pas difficile de convaincre, bien sûr – contreproductif.
              J’ai le sentiment – forcément subjectif – que plus les adversaires de cette idée européenne dont les contours restent encore mal définis s’acharnent à débiner une organisation qui soit dit en passant leur apporte de confortables subsides, plus les Français et les Européens, sans pour autant devenir eurolatres, maintiennent leurs positions tant l’argumentation qui leur est présentée est indigente. D’ailleurs, ce ne sont pas des arguments mais des anathèmes dont ils sont arrosés, mais rien ni fait, la majorité ne souhaite pas quitter ni l’euro ni l’union.

              [Oui, l’Europe aurait peut-être pu se construire rapidement comme nation en suivant la voie chinoise. C’eut été le cas si en 1945 l’Allemagne avait gagné la guerre… curieusement, non ne trouve pas beaucoup d’eurolâtres pour regretter cette occasion perdue.]
              Vous semblez croire qu’il n’y a qu’un chemin qui mène à Rome. Et, concernant la langue commune je vous donne mon billet que dans moins de 50 ans ce sera chose faite à la vitesse où l’on est envahis par l’anglicisme ambiant. On peut le regretter ! . . .

              [Alors, tout ne va pas mal, mais tout va en empirant. C’est ce que cela justifie de « renverser la table »? Ou faut-il attendre que tout aille VRAIMENT mal pour le faire ?]
              Là encore, c’est votre opinion, un peu la même que les vieux – en général – ergotent en permanence : « c’était mieux avant, tout fout le camp, on va au désastre ». Ça me fait penser à ce fameux sketch de R. Devos : « . . . Oui ! la catastrophe, nous le pensions, était pour demain ! C’est-a dire qu’en fait elle devrait être pour aujourd’hui . . . Si mes calculs sont justes ! Or, que voyons nous aujourd’hui ? Quelle est toujours pour demain ! . . . » Et pourtant, les comparaisons internationales ne confirment pas vraiment cette analyse alarmiste et subjective. De même que les « gilets jaunes » ont bénéficié d’une audience à cause de la violence qui a été associée à leur manifestation, le discours alarmiste constitue le capteur de l’intérêt d’une partie du public dont on excite les bas instincts.

              [. . . . C’est vrai, les jeunes ne veulent pas bosser POUR LES SALAIRES DE MISERE QU’OFFRE L’INDUSTRIE. . . .]
              Je vois que vous adoptez la fâcheuse méthode des falk news. Comme ça marche, pourquoi ne pas essayer !
              En fait, et sans m’étendre sur une étude comparative exhaustive sur les salaires en France, j’extrais deux situations, sur internet qu’il est facile de vérifier, ici ou là. Le salaire brut moyen d’un fraiseur est de 33292€ par an. On peut estimer que cela est faible. Cela nécessite au départ un CAP pour les anciens et un Bac pro pour les jeunes. Si je recherche celui d’un ingénieur territorial, échelon 7 sur 10 possibles (15 années d’expérience) sont salaire indiciaire est de 2647 € x 12 = 31764€ brut.
              Sans aucun doute, ces derniers sont mal rémunérés, mais si les institutions en emploient c’est qu’elles recrutent des candidats qui y trouvent leur compte et pourtant nous ne sommes pas dans ce cas sous la pression d’un marché délocalisable. On pourrait aussi augmenter tous les salaires de 50%. Riche idée que ne réfuterait pas Besancenot et consorts.

              [Si vous attendez que les Français soient devenus des saints pour essayer de changer quelque chose, vous risquez d’attendre longtemps…]
              Ni j’attends qu’ils deviennent des saints, d’ailleurs je ne vois pas ce qu’une quelconque sainteté à de rapport avec la politique socio-économique d’un pays, ni je les soupçonne d’être imperméable à une argumentation honnête et sincère qui leur permettrait de faire des choix éclairés. Simplement il est nécessaire de faire l’effort suffisant pour se donner les moyens de comprendre et de comparer lucidement et objectivement les argumentations qui leurs sont présentées. Mais, et c’est vous même qui l’affirmez dans vos lignes depuis des années, le besoin de CROIRE est le moteur le plus puissant qui anime les hommes (j’espère ne pas trop déformer votre formule).
              Mais croire ne demande aucun effort, c’est la situation la plus confortable et la plus propice à la prolifération de bobards diffusés ici et là par ceux-là même qui se présentent comme des dragons de vertu.
              En conclusion, la seule conviction dans ces domaines que j’ai est que si l’on veut, collectivement, bénéficier des bienfaits du progrès économique et social et par conséquent consommer ce que la planète offre de meilleur, il nous faut admettre de participer à la compétition universelle qui ne fait pas que se sont toujours les même qui sont gagnants. La rente historique des occidentaux est en train de s’altérer et sans prise de conscience de cette réalité, donc d’adaptation ou de renoncement, les lendemains radieux ne sont pas garantis. La construction européenne constitue pour moi, non pas une finalité en soi mais une potentialité à explorer, à construire, à contrôler, à adapter, à améliorer par les efforts biens répartis de chacun de ses membres, qu’ils soient individuels ou collectifs.
              Pastichant le « pari de Pascal » je considère avoir intérêt à « croire » dans le projet européen. En effet s’il échoue je ne perds pas grand-chose à ma situation actuelle au point où nous sommes engagés, mais ce qui suivra est chargé d’hypothétiques menaces car rien n’est garanti ni démontré. S’il réussit, nous sommes gagnants et comblés d’avoir favorisé, par notre foi, un projet ambitieux enfanté dans la douleur.
              Ceux qui n’y croient pas ne disposent pas des assurances valables qui leur garantit une amélioration de la situation générale en cas d’effondrement de l’union. Et si elle réussit, ils porteront à jamais le poids moral d’une erreur funeste.

            • Descartes dit :

              @ Marcailloux

              [ « . . . En posant la question en termes manichéens, en vous imposant de choisir entre la supranationalité et l’autarcie . . . » Là est en toute réalité la question. Des accords binationaux, coopération bi ou multilatérale entre états, les projets communs sont sans doute souhaitables. Mais ils n’engagent pas autant qu’une constitution et peuvent être dissous ou dénoncés selon les circonstances qui favorisent l’un ou l’autre des partenaires. La supranationalité « oblige » les nations les unes envers les autres, base même de la solidarité.]

              La pratique montre plutôt le contraire. Les projets de coopération internationale tendent à être bien plus solides que ceux poussés par une logique supranationale : Concorde, Airbus, CERN en sont de bons exemples. La raison est que les projets de coopération internationale ne voient le jour que s’ils sont avantageux pour chacun des partenaires. Une fois qu’un tel équilibre est trouvé, personne n’a donc intérêt à quitter le projet. Les projets « supranationaux », parce qu’ils peuvent être imposés à un pays sans qu’il lui profite, sont bien plus susceptibles d’être sabotés par les états qui n’en profitent pas…

              [Comme il est dans l’intérêt de ces puissances de diviser les membres de l’union pour imposer ensuite des conditions favorables à leur avantage, c’est une règle vieille comme le monde, l’isolement rend les pays de taille moyenne bien plus vulnérables.]

              Là encore, l’expérience démontre que cette vision est erronée. Les « puissances » n’ont aucun intérêt de dissoudre une union supranationale, au contraire : ils arrivent à négocier avec cette union des traités fort favorables, à charge à la structure supranationale de l’imposer ensuite à ses membres. Au lieu de négocier le traité de libre-échange avec la France, l’Allemagne, l’Italie etc. en devant chaque fois tenir compte des intérêts de l’interlocuteur, on négocie avec l’UE (c’est-à-dire, en pratique, avec l’Allemagne) qui se chargera ensuite d’imposer l’accord aux pays membres).

              [« Avec un tel avantage en termes de productivité, on devrait sans difficulté pouvoir damer le pion aux coréens, non ? » Où est le rapport ?. Si celui qui est hyper productif est lourdement chargé par une masse énorme d’improductifs, sa position concurrentielle en sera d’autant affaiblie.]

              Quelle « masse d’improductifs » ? Pour votre information, les sociétés asiatiques vieillissent aussi vite sinon plus que les sociétés européennes.

              [Si, probablement, sauf que je construis mon opinion sur des valeurs tout aussi incontestables que les vôtres et qui présentent l’avantage d’être exploitables dans un débat politique, ce qui n’est pas tout à fait le cas de l’indice de Gini relativement abscons pour le citoyen lambda. Il existe, et vous ne l’ignorez sans doute pas, le ratio de Palma, utilisé par l’OCDE ainsi que la Banque mondiale. Il mesure l’écart entre les revenus des 10% les plus favorisés et celui des 40% les moins favorisés. Cet écart, aux arrondis près est dans le rapport de 1 à 3 entre la France et la Corée (0,34 contre 0,11),]

              Même si je prends le ratio de Palma (peut-être moins abscons que l’indice de Gini, mais bien moins exhaustif dans la mesure où il est totalement neutre vis-à-vis du milieu de la distribution) je ne retrouve pas vos chiffres. Si je prends les statistiques de l’OCDE, le ratio de Palma pour la France est de 1,1 et celui de la Corée de 1,4, au même niveau que l’Italie d’ailleurs (chiffres de 2017, https://data.oecd.org/fr/inequality/inegalite-de-revenu.htm). Une différence qui n’est guère significative…

              [« D’abord, faut arrêter de donner Airbus en exemple de réalisation supranationale. » Pour « arrêter », il faudrait d’abord commencer. Où avez vous lu qu’il est écrit qu’il s’agisse d’une construction de l’Union européenne ?]

              Dans l’ensemble des discours des eurolâtres lors de la dernière campagne européenne. En particulier, la tête de liste LREM n’a pas arrêté de donner Airbus en exemple de réalisation de l’UE.

              [Concernant monsieur le Président Emmanuel Macron, c’est lui faire un mauvais procès d’intention que de l’imaginer assez benêt pour se faire des illusions sur le sujet.]

              Pourtant, sa stratégie européenne est fondée sur cette croyance, qu’il avait d’ailleurs expliqué pendant la campagne présidentielle : montrons à l’Allemagne que nous pouvons gérer aussi rigoureusement qu’elle, et elle sera prête à nous faire des concessions.

              [Mais lorsque l’on est obligé de tendre la main, on est d’autant plus faible dans son rapport à l’autre.]

              Personne ne nous « oblige » à tendre la main. Nous nous obligeons nous-mêmes.

              [« Je pense que vous vous êtes trompé de siècle. Cela fait bien longtemps que la démographie n’est plus un facteur de puissance. Il faudra m’expliquer en quoi notre « influence » augmenterait du fait de notre démographie. Par exemple, en quoi une France de 80 millions d’habitants pourrait faire accepter par l’Allemagne une Europe des transferts plus facilement qu’à 70… » Il faudra m’expliquer alors, comment il se fait que le Liechtenstein, le Qatar, Monaco, Macao, le Luxembourg, les Malouines, six premiers du classement mondial en terme de PIB par habitant selon le CIA Word Factbook, donc apparemment très performants soient des nains par rapport à l’Inde 156ème, le Brésil 107ème, la Chine 106ème, la Turquie 75ème, la Russie 71ème, le Japon 41ème.]

              Peut-être parce que leurs armées et leurs institutions ne leur permettent pas une projection équivalente à celles de la France ou de la Grande Bretagne. Je ne vois pas très bien le rapport avec la démographie. Le Vatican a une démographie désastreuse, et pèse bien plus lourd dans les affaires du monde que le Nigeria.

              [A niveau de performance égal, on peut logiquement considérer que l’effectif a une incidence sur la puissance économique d’un pays.]

              Le rapport entre la démographie et la puissance est beaucoup plus complexe que vous ne le pensez. L’Inde est un nain politique comparé à la Russie, pourtant beaucoup moins peuplée et dont le niveau de performance économique est assez proche. Si on peut accepter qu’il faut une certaine « taille critique », il semblerait que des pays comme la France ont largement dépassé cette taille.

              [Votre argumentation « génétique » est profondément imbibée d’une farouche opposition à l’idée européenne et tout ce que vous écrivez, avec grand talent j’en conviens, l’est à l’aulne de cette détestation au point d’en devenir – à l’exception de vos thuriféraires lecteurs qu’il n’est pas difficile de convaincre, bien sûr – contreproductif.]

              Ça c’est votre opinion, ce n’est pas une argumentation… je constate qu’au lieu de répondre à mon « argumentation génétique », vous déviez ver un jugement de valeur sur les motifs derrière elle…
              [J’ai le sentiment – forcément subjectif – que plus les adversaires de cette idée européenne dont les contours restent encore mal définis]

              Je ne vois pas ce qui vous permet de dire que les contours de l’idée européenne seraient « mal définis ». Relisez les traités de Maastricht ou de Lisbonne. Je trouve qu’ils définissent parfaitement les contours de l’idée européenne.

              [Vous semblez croire qu’il n’y a qu’un chemin qui mène à Rome. Et, concernant la langue commune je vous donne mon billet que dans moins de 50 ans ce sera chose faite à la vitesse où l’on est envahis par l’anglicisme ambiant. On peut le regretter ! . . .]

              Vous ne prenez pas beaucoup de risques : dans cinquante ans, je ne serais pas là pour venir vous le réclamer, votre billet… Depuis 1945, on remarque périodiquement « l’anglicisme ambiant » pour s’en désoler. Mais les français ne se mettent pas à parler anglais pour autant. Vous noterez par exemple que les films à la télévision passent toujours doublés, ce qui serait inutile si une proportion importante de la population parlait anglais. Non, on parsème les publicités d’anglicismes jusqu’au ridicule par simple snobisme. Mais le nombre de Français capables de comprendre une conversation en anglais reste très faible. Et c’est bien pire en Allemagne !

              [« Alors, tout ne va pas mal, mais tout va en empirant. C’est ce que cela justifie de « renverser la table »? Ou faut-il attendre que tout aille VRAIMENT mal pour le faire ? » Là encore, c’est votre opinion]

              Je vois mal comment une question pourrait exprimer une « opinion ».

              [Et pourtant, les comparaisons internationales ne confirment pas vraiment cette analyse alarmiste et subjective.]

              Quelles « comparaisons internationales » ? J’avoue que je vois mal comment une « comparaison internationale » pourrait avoir le moindre intérêt à l’heure de savoir si les choses « vont en empirant » ou pas. La seule façon de le savoir, c’est de comparer la situation actuelle et celle d’il y a quelques années. Mais si vous pensez que la situation du pays est aujourd’hui meilleure qu’il y a trente ans, que la jeunesse a plus de perspectives, que les travailleurs sont mieux protégés, que les inégalités diminuent… que voulez-vous que je vous dise.

              [« . . . . C’est vrai, les jeunes ne veulent pas bosser POUR LES SALAIRES DE MISERE QU’OFFRE L’INDUSTRIE. . . . » Je vois que vous adoptez la fâcheuse méthode des falk news. Comme ça marche, pourquoi ne pas essayer !]

              Je vois que vous adoptez la fâcheuse méthode de dévaloriser le discours de votre contradicteur avec une attaque ad hominem en préalable. Cela ne m’intéresse pas de continuer le dialogue dans ces conditions, et j’arrêterai donc l’échange la prochaine fois que je trouverai ce type de remarque.

              [En fait, et sans m’étendre sur une étude comparative exhaustive sur les salaires en France, j’extrais deux situations, sur internet qu’il est facile de vérifier, ici ou là. Le salaire brut moyen d’un fraiseur est de 33292€ par an. On peut estimer que cela est faible. Cela nécessite au départ un CAP pour les anciens et un Bac pro pour les jeunes.]

              Pourrait-on savoir d’où sortent ces chiffres ? Pourriez-vous donner une référence ? Lorsque je regarde les offres d’emploi, je trouve plutôt des salaires autour de 25.000€ par an… Vous noterez par ailleurs que l’important n’est pas le salaire « moyen », mais le salaire débutant, parce que pour avoir des vieux fraiseurs un jour il faut attirer les jeunes fraiseurs d’abord…

              [Si je recherche celui d’un ingénieur territorial, échelon 7 sur 10 possibles (15 années d’expérience) sont salaire indiciaire est de 2647 € x 12 = 31764€ brut. Sans aucun doute, ces derniers sont mal rémunérés, mais si les institutions en emploient c’est qu’elles recrutent des candidats qui y trouvent leur compte et pourtant nous ne sommes pas dans ce cas sous la pression d’un marché délocalisable.]

              Je ne comprends pas très bien le raisonnement. Qu’est-ce que vous voulez démontrer avec ces deux exemples ? La comparaison est absurde parce que pour pouvoir comparer il faudrait ajouter au salaire indiciaire les primes, mais aussi la valeur monétaire de la sécurité de l’emploi que procure le statut de fonctionnaire. Et même si on comparait, à quelle conclusion arriveriez-vous ?

              [On pourrait aussi augmenter tous les salaires de 50%. Riche idée que ne réfuterait pas Besancenot et consorts.]

              Ah… après l’attaque ad hominem, l’amalgame…
              Moi je ne dis pas ce qu’il faudrait faire. Je constate simplement qu’alors que les salaires sont fixés par un marché et qu’on affirme par ailleurs qu’il y aurait pénurie de candidats, les salaires n’augmentent pas. Or, n’importe quel étudiant en économie sait que sur un marché la pénurie d’offre provoque l’augmentation des prix.

              [Ni j’attends qu’ils deviennent des saints,]

              C’est pourtant vous qui proposez d’attendre que les gens « aient changé de comportement » pour devenir vertueux avant de faire quoi que ce soit…

              [Mais, et c’est vous même qui l’affirmez dans vos lignes depuis des années, le besoin de CROIRE est le moteur le plus puissant qui anime les hommes (j’espère ne pas trop déformer votre formule).]

              Je n’ai pas parlé de « besoin de croire », mais de « envie de croire », ce n’est pas tout à fait la même chose.

              [Mais croire ne demande aucun effort, c’est la situation la plus confortable et la plus propice à la prolifération de bobards diffusés ici et là par ceux-là même qui se présentent comme des dragons de vertu.]

              Cela dépend en quoi vous croyez. Si vous croyez qu’il est indispensable pour gagner le paradis de porter chaque matin à cinq heures le petit déjeuner aux sans-abris, cela peut vous coûter un effort considérable.

              [En conclusion, la seule conviction dans ces domaines que j’ai est que si l’on veut, collectivement, bénéficier des bienfaits du progrès économique et social et par conséquent consommer ce que la planète offre de meilleur, il nous faut admettre de participer à la compétition universelle qui ne fait pas que se sont toujours les même qui sont gagnants.]

              Parce que vous trouvez que ce ne sont pas toujours les mêmes qui sont gagnants ?

              [La construction européenne constitue pour moi, non pas une finalité en soi mais une potentialité à explorer, à construire, à contrôler, à adapter, à améliorer par les efforts biens répartis de chacun de ses membres, qu’ils soient individuels ou collectifs.]

              Oui, vous avez plusieurs fois répété cette profession de foi. Mais cela reste au niveau de la foi, puisque vous n’apportez aucun argument à l’appui de cette affirmation. J’ajoute que plus bas vous la qualifiez de « pari de Pascal », ce qui montre qu’aucun argument factuel ne se présente à votre esprit.

              [Pastichant le « pari de Pascal » je considère avoir intérêt à « croire » dans le projet européen. En effet s’il échoue je ne perds pas grand-chose à ma situation actuelle]

              Ah bon ? Vous aurez sacrifié votre liberté, votre droit de décider collectivement avec vos concitoyens des affaires qui vous concernent… vous appelez cela « ne pas perdre grande chose » ?

        • VIO59 dit :

          Je suis d’accord avec FA sur le fait que de Gaulle en 1940 n’a pas appelé à le rejoindre les partisans ou les opposants au nucléaire, aux moulins à vent, à l’immigration ou au mariage gay, mais tous ceux qui étaient prêts à se battre ensemble pour sauver la patrie sans perdre de temps à se disputer sur des sujets secondaires clivants.

          On a des royalistes à l’UPR (comme de Gaulle en avait avec lui) et ils ne se permettent pas d’exiger que l’UPR se prononce officiellement sur l’agenda monarchiste.

          • Descartes dit :

            @ VIO59

            [Je suis d’accord avec FA sur le fait que de Gaulle en 1940 n’a pas appelé à le rejoindre les partisans ou les opposants au nucléaire, aux moulins à vent, à l’immigration ou au mariage gay, mais tous ceux qui étaient prêts à se battre ensemble pour sauver la patrie sans perdre de temps à se disputer sur des sujets secondaires clivants.]

            Oui. Mais De Gaulle ne prétendait pas faire de la France Libre un parti politique, ou se présenter en son nom aux élections. Il était admis que les différents mouvements et personnes qui participaient à la France Libre gardaient leurs convictions, leurs projets, et qu’ils étaient même susceptibles de s’affronter dans la compétition électorale. C’est bien là le problème: l’UPR prétend rassembler des gens venant d’horizons divers et ayant des projets politiques différents, tout en leur demandant de se soumettre à la discipline d’un parti politique avec la perspective de gagner une élection. C’est pourquoi elle perd sur les deux tableaux.

      • VIO59 dit :

        @Descartes

        “Où voyez-vous chez l’UPR un « projet crédible » ? Pouvez-vous indiquer au moins dans ses grandes lignes quel est le projet de société que l’UPR propose ? Non, l’UPR propose tout au plus un programme, limité à un seul item qui est la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN. Mais ce qui se passe après reste assez vague.”

        C’est vrai que l’UPR se garde de préempter tout “projet de société” qui pourrait émerger des retrouvailles entre la démocratie et le peuple français. Si on raisonne en terme de projet de société le notre se borne à rendre aux français le dernier mot en la matière.

        Cela n’empêche pas l’UPR de présenter un programme présidentiel aux présidentielles et un programme législatif aux législatives, une distinction dont les autres peuvent se passer parce que pour eux le programme c’est encore de la com vu qu’ils refusent de se donner les moyens de faire, à tout les niveaux, autre chose que ce que Bruxelles leur ordonnera.

        https://www.upr.fr/programme-elections-presidentielles-france/

        “Quant à l’idée que l’UPR serait « censurée »… arrêtons la paranoïa. Je doute fort que la Grande Konspiration Médiatique, lorsqu’elle se réunit au Grand Orient de France, prenne beaucoup de temps à discuter du danger que représente l’UPR…”

        Pour les européennes c’était pire que la censure habituelle, il y a eu des choses plus graves. L’UPR est en train de préparer un dossier là-dessus. Je vous tiendrai au courant.

        • Descartes dit :

          @ VIO59

          [Cela n’empêche pas l’UPR de présenter un programme présidentiel aux présidentielles et un programme législatif aux législatives,]

          Un programme, s’il n’est pas fondé sur un projet de société, n’est qu’une liste de courses, une lettre au père noël. Cela n’a aucune crédibilité, parce que les électeurs ont bien compris comment ces programmes sont faits : en rassemblant des « briques » qui correspondent chacune à ce que souhaite une section de l’électorat. Tout ça ne sert à rien.

          [Pour les européennes c’était pire que la censure habituelle, il y a eu des choses plus graves. L’UPR est en train de préparer un dossier là-dessus. Je vous tiendrai au courant.]

          J’attends avec impatience…

  7. Francis Ponge dit :

    C’est du Guilluy !

  8. xc dit :

    Juste une petite remarque: “Le second, est celui des partis populaires, …. Parce que ce populisme…”
    Ne seraient-ce pas plutôt les “partis populistes” (RN et LFI, pour ne pas les nommer) ?

    • Descartes dit :

      @ xc

      [Ne seraient-ce pas plutôt les “partis populistes” (RN et LFI, pour ne pas les nommer) ?]

      Le populisme est une idéologie. Ni RN ni LFI n’adhèrent explicitement à cette idéologie, et sur beaucoup d’aspects ils s’en éloignent dans la pratique. Les qualifier de “populistes” me semble donc trompeur.

      • Dafdesade dit :

        Alain de Benoist et Chantal Mouffe pensent que ce n’est pas une idéologie mais une maniere de faire de la politique, un “style” populiste.

        • Descartes dit :

          @ Dafdesade

          [Alain de Benoist et Chantal Mouffe pensent que ce n’est pas une idéologie mais une maniere de faire de la politique, un “style” populiste.]

          Ce n’est pas tout à fait ce qu’ils disent… C’est quand même désolant de constater que Alain de Benoist, homme de droite, raisonne en marxiste, alors que Mouffe est dans un trip postmoderne.

  9. Zeugma dit :

    Que pensez-vous du feuilleton Zemmour 2022 que les médias (et Buisson) tâchent de faire démarrer ? Je crois pour ma part tout à fait plausible psychologiquement qu’un Éric Zemmour, galvanisé par l’appel de Rebatet dans les dernières pages des Décombres (un “très grand livre”, dixit Zemmour lui-même il y a une semaine ou deux), tâche en effet bientôt de construire une alternative gaullo-bonapartiste au macronisme en place.

    • Descartes dit :

      @ Zeugma

      [Que pensez-vous du feuilleton Zemmour 2022 que les médias (et Buisson) tâchent de faire démarrer ?]

      Comme disait Pompidou, une fois les bornes franchies il n’y a plus de limites. Il y a quelques années, une telle initiative aurait parue loufoque, après Hollande et Macron elle parait presque raisonnable…

      Une candidature Zemmour me paraît tout à fait possible. Elle s’inscrirait pour moi dans la droite ligne des mouvements « expressifs » dont celui des « gilets jaunes » est la dernière illustration. Ce qu’on appelait autrefois une « candidature de témoignage ». Du point de vue des équilibres électoraux, l’effet le plus probable d’une telle candidature serait de diviser l’électorat du Front national, ouvrant ainsi une possibilité d’un deuxième tour sans le RN…

      [Je crois pour ma part tout à fait plausible psychologiquement qu’un Éric Zemmour, galvanisé par l’appel de Rebatet dans les dernières pages des Décombres (un “très grand livre”, dixit Zemmour lui-même il y a une semaine ou deux), tâche en effet bientôt de construire une alternative gaullo-bonapartiste au macronisme en place.]

      Soyons sérieux : Zemmour est un excellent polémiste, mais il n’a rien d’un dirigeant politique ou d’un homme d’Etat. Il peut à la rigueur devenir une conscience, il n’a ni les moyens, ni même je pense le désir, de gouverner. Imaginer qu’il pourrait construire une alternative POLITIQUE au macronisme me semble relever de l’utopie, sinon du délire.

      Certains s’imaginent aujourd’hui qu’au vu de l’impopularité des politiques, le temps est venu de les remplacer par des intellectuels médiatiques ou des personnalités de la « société civile ». LR a choisi Bellamy, le PS Glucksman, LFI Marion Aubry. Tous se sont plantés. C’est qu’à mon sens ils ont fait une erreur d’analyse. Les gens rejettent les politiques TELS QU’ILS SONT, et non pas la fonction politique. Les gens savent très bien que gouverner l’Etat est une affaire de professionnels, et non d’amateurs fussent-ils sympas.

      • Vincent dit :

        Je n’avais jamais entendu parler de cette hypothèse, mais elle est intéressante conceptuellement…

        > Les gens rejettent les politiques TELS QU’ILS SONT, et non pas la fonction
        > politique. Les gens savent très bien que gouverner l’Etat est une affaire de
        > professionnels, et non d’amateurs fussent-ils sympas.

        On peut dire que Zemmour, qui a fait toute sa carrière comme journaliste politique et est féru d’histoire politique peut rentrer dans la catégorie des professionnels de la politique, même s’il n’a jamais été élu. De Gaulle ou Macron (et me semble-t-il Pompidou), s’ils avaient côtoyé les cercles de pouvoirs, n’avaient jamais été élus avant d’être présidents. Donc l’argument du professionnalisme me semble peu valable.
        En matière de culture géopolitique, il arrive, je pense, avec un bagage bien plus costaud que nos derniers présidents lors de leur élection.
        Ce qui me gène chez Zemmour président est qu’il sera une sorte de Trump français, ne pouvant pas s’empêcher d’être dans l’outrance et la provocation.

        Ce qui lui manque est, je pense :
        1°) Qu’il a une parole sans filtre, qui ne convient pas à un Président. Même s’il réussit à évoluer, il sera rattrapé par son passé…
        2°) Même s’il partage ces défauts avec beaucoup d’autres, c’est profondément un littéraire, qui ne comprend pas les choses qui ne relèvent pas d’une compréhension purement qualitative.

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [On peut dire que Zemmour, qui a fait toute sa carrière comme journaliste politique et est féru d’histoire politique peut rentrer dans la catégorie des professionnels de la politique, même s’il n’a jamais été élu.]

          Non, pas vraiment. Ce n’est pas seulement une question d’être élu, mais de penser et d’agir en politique. Zemmour fonctionne dans un monde d’idées, pas dans un monde de réalités. La politique, comme la guerre, est un art tout d’exécution.

          [De Gaulle ou Macron (et me semble-t-il Pompidou), s’ils avaient côtoyé les cercles de pouvoirs, n’avaient jamais été élus avant d’être présidents. Donc l’argument du professionnalisme me semble peu valable.]

          Encore une fois, la question n’est pas d’être élu. De Gaulle ne s’est présenté pour la première fois au suffrage universel en 1962 à l’âge de 72 ans. Mais toute sa vie d’adulte, il a pensé en politique. Lorsqu’il commande son régiment, il donne à ses commandements un sens politique. Quand il écrit avant 1940 sur l’armée de métier ou sur l’arme mécanique, il ne se place pas sur le plan des idées mais sur celui de l’action. Ni De Gaulle, ni Pompidou, ni Macron d’ailleurs ne sont des idéologues.

          [Ce qui me gène chez Zemmour président est qu’il sera une sorte de Trump français, ne pouvant pas s’empêcher d’être dans l’outrance et la provocation.]

          C’est un peu la conséquence de ce que j’écrivais plus haut : lorsqu’on est un idéologue, qu’on travaille avec des idées, on peut pousser les raisonnements jusqu’au bout, être dans l’outrance et la provocation. On ne peut pas se permettre la même chose lorsqu’on fait de la politique, qu’on a le pouvoir de traduire ses paroles en actes. C’est un peu le dilemme exposé dans le film « la corde » d’Hitchcock. Une chose est de discourir en chaire sur le droit des surhommes de liquider les faibles, et une autre c’est de le dire dans une tribune politique.

          La comparaison avec Trump n’est pas pertinente. Trump est un politique jusqu’au bout des ongles. Il ne vise aucune cohérence dans la pensée, il réagit en fonction des souhaits de son électorat qu’il connaît très bien.

    • Barbey dit :

      Et sur quoi se présenterait Zemmour ?

      Sur l´union des droites si chère à messieurs Couteaux et Buisson. Réaffirmation que la France est un « pays latin de culture chrétienne » et que son mode de vie est à préserver et non efferver. Que l´immigration est une chance à condition d´être choisie et non subie. Mettre le capitaliste à la papa en citant les 30 glorieuses, et ne pas dire que le capitaliste ne peut plus être tenu au niveau national.
      Les troupes : la droite, le centre droite ayant déserté à l´ennemi et l´extrême droite.
      La difficulté : pas trop libéral, pas trop conservateur, pas trop européenne. Un sacré numéro d´équilibriste en perspective !

      L´union populiste, les perdants de la mondialisation. Fin de la moraline et plus d´adrénaline. Refus du déclin collectif causalité directe – espérons que c´est compris- de leur déclassement individuel. Volonté officieuse que le politique fasse son devoir principal : protéger les faibles. Passage « de l´univers de la communication à l´espace de la souveraineté ».
      Troupes : Les extrêmes et les souverainistes
      La difficulté : l´unité n´est pas un tempérament gaulois – spécialement réfractaires. Pourquoi avoir une cathédrale quand chacun a sa chapelle ?

      D ´ailleurs, si on lit l´intéressé : il est pour une union de droite en rassemblant les perdants de la mondialisation. Le meilleur des deux mondes. Pas bête !
      « il faut faire l’inverse de ce qu’a fait Macron. Lui a rassemblé les métropoles au sens large, c’est-à-dire les bourgeois et les immigrés. Il faut donc rassembler la France périphérique ». Selon lui, ce rassemblement doit se faire « avec une partie de la bourgeoisie des métropoles, car il faut bien une tête dans la lutte des classes ». (cf : https://www.lepoint.fr/politique/presidentielle-2022-eric-zemmour-assure-n-etre-candidat-a-rien-25-06-2019-2320823_20.php)

      Sa dernière phrase est intéressante car il suppose -comme Descartes- que l´union des perdants de la mondialisation ne fera qu´avec « une tête » -bien faite. D´où l´union de la droite qu´il lui paraît plus crédible car en prenant une petite partie de la bourgeoisie, on se retire une épine du pied.

      Cet exercice a ces limites. Je sais bien que la sociologie électorale et son addition des multitudes ne forment pas les résultats définitifs et encore moins le peuple. Mais la question se pose. Les grands structurants qu´on était l´Église catholique et le parti communiste ne sont plus. Qu´est ce qui fait du lien? Qu´est ce qui forme le corps social ? On ne trouve que des groupements d´individus liés par des intérêts n´éprouve une appartenance – je n´ose pas dire le mot responsabilité- passagère. Autre problème : comment interagir avec nos concitoyens si plus rien ne les lie ?

  10. frédéric durand dit :

    J.C. Michéa avait déjà anticipée la réconciliation des deux libéralismes dans son livre “l’empire du moindre mal” (le versant économique “de droite”, le marché et le versant culturel “de gauche”, les droits de l’homme abstrait). Il n’y pas deux libéralismes, un bon et un mauvais, mais une même matrice idéologique dont la gauche a embrassé les postulats émancipateurs et utilitaristes, enfin si l’on considère l’atomisation des individus en monade comme réellement émancipateur. Vous avez raison, l’abandon du concept de lutte des classes aura été fatale à “la gauche de gouvernement”. Encore faut-il s’entendre. Si il s’agit de reproduire le compromis fordiste en mobilisant les classes populaires derrière des promesses petites-bourgeoises, c’est insoutenable, laissons ces fausses promesses à Mélenchon, qui s’est toujours réfugié derrière l’étendard du “progrès” pour échapper aux réalités. Ce progrès-ci se résume désormais à la déconstruction de toute structure normative et à la technologique comme fin en soi. Internet n’a pourtant jamais révolutionné la démocratie.
    Il y a une anthropologie du socialisme et une ethos, s’appuyant sur une sociologie qui, selon moi, permet de se passer des apories de l’homo œconomicus. Une science pratique qui va de “l’entraide” de Kropotkine, passe par la “common decency” d’Orwell et aboutit à la sociologie du don (Mauss et Caillé), certainement beaucoup plus révélatrice de la réalité humaine que ces “robinsonnades” de Smith ou de Mandeville que dénonçaient déjà Marx.
    Macron a réconcilié les deux bourgeoisies, vous l’avez parfaitement résumé. Il faut reconstruire, un défi qui, à mon sens, ne peut se passer d’une critique radicale du capitalisme et de son idéologie pessimiste.

    • Descartes dit :

      @ frédéric durand

      [J.C. Michéa avait déjà anticipée la réconciliation des deux libéralismes dans son livre “l’empire du moindre mal” (le versant économique “de droite”, le marché et le versant culturel “de gauche”, les droits de l’homme abstrait). Il n’y pas deux libéralismes, un bon et un mauvais, mais une même matrice idéologique dont la gauche a embrassé les postulats émancipateurs et utilitaristes, enfin si l’on considère l’atomisation des individus en monade comme réellement émancipateur.]

      Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Il y a un libéralisme classique, qui est au fondement des lumières. C’est ce libéralisme classique qui a organisé idéologiquement le combat contre le pouvoir des églises, et qui est à la base de la logique républicaine de la séparation des sphères publique et privée. Loin d’une vision qui réduit l’homme à « l’homo oeconomicus », ce libéralisme contient une très profonde vision éthique des rapports humains. Ni Smith, ni Ricardo, ni Locke n’ont suggéré qu’il fallait livrer l’éducation aux forces du marché. Le néo-libéralisme revendique les principes du libéralisme classique mais les trahit, en introduisant une logique de darwinisme social qui ferait se retourner dans sa tombe les libéraux du XVIIIème siècle.

      [Vous avez raison, l’abandon du concept de lutte des classes aura été fatale à “la gauche de gouvernement”. Encore faut-il s’entendre. Si il s’agit de reproduire le compromis fordiste en mobilisant les classes populaires derrière des promesses petites-bourgeoises, c’est insoutenable, laissons ces fausses promesses à Mélenchon, qui s’est toujours réfugié derrière l’étendard du “progrès” pour échapper aux réalités.]

      Mais quelles « fausses promesses » ? Il faut reconnaître que le compromis fordiste ou plus tard le gaullo-communisme ont permis une amélioration considérable, qu’elle soit matérielle, culturelle ou politique, de la position des couches populaires dans la société. Faudrait-il rejeter le compromis qui permet ce type d’avancées ? Pensez-vous que les couches populaires vous suivront dans cette voie ?

      On ne fait de la politique qu’avec des réalités (c’est De Gaulle qui l’a dit, mais je suis persuadé que Lénine aurait été d’accord). Aussi longtemps que le capitalisme est capable de proposer un compromis fordiste, les conditions objectives d’une révolution ne seront pas réunies. Et il est inutile de se faire l’avocat d’une révolution alors que les conditions ne sont pas réunies. C’est ce que fait l’extrême gauche depuis un demi-siècle, avec les résultats que l’on sait.

      [Il y a une anthropologie du socialisme et une ethos, s’appuyant sur une sociologie qui, selon moi, permet de se passer des apories de l’homo œconomicus. Une science pratique qui va de “l’entraide” de Kropotkine, passe par la “common decency” d’Orwell et aboutit à la sociologie du don (Mauss et Caillé), certainement beaucoup plus révélatrice de la réalité humaine que ces “robinsonnades” de Smith ou de Mandeville que dénonçaient déjà Marx.]

      Je doute que Marx eut trouvé très convaincantes les perspectives fondées sur l’entraide de Kropotkine, qui est purement idéaliste, ou la sociologie du don qui ne fonctionne que dans des sociétés très primitives. Et je ne me souviens pas de Marx dénonçant les « robinsonades » de Smith, qu’il admirait par ailleurs… avez-vous la référence ?

      [Macron a réconcilié les deux bourgeoisies, vous l’avez parfaitement résumé. Il faut reconstruire, un défi qui, à mon sens, ne peut se passer d’une critique radicale du capitalisme et de son idéologie pessimiste.]

      Mais ça veut dire quoi, une « critique radicale » ? Tout ce qui peut être dit sur ce sujet a déjà été dit, tout ce qui peut être écrit à ce sujet a déjà été écrit. Qu’est-ce que vous auriez à ajouter de nouveau ? Plus qu’une « critique radicale », il nous faudrait une « compréhension radicale » des phénomènes sociaux en cours, des mutations du capitalisme. Car il n’y a pas UN capitalisme, mais DES capitalismes, et aussi longtemps qu’on mettra tout dans le même sac, on ne comprendra rien.

      • F68.10 dit :

        “Il y a un libéralisme classique, qui est au fondement des lumières. C’est ce libéralisme classique qui a organisé idéologiquement le combat contre le pouvoir des églises, et qui est à la base de la logique républicaine de la séparation des sphères publique et privée.”

        Exact.

        “Ni Smith, ni Ricardo, ni Locke n’ont suggéré qu’il fallait livrer l’éducation aux forces du marché.”

        Exact.

        “Le néo-libéralisme revendique les principes du libéralisme classique mais les trahit, en introduisant une logique de darwinisme social qui ferait se retourner dans sa tombe les libéraux du XVIIIème siècle.”

        Je vois quelques menues différences entre “néo-libéralisme” et darwinisme social, qui sont, au niveau théorique, orthogonaux. Mais un gros point commun: ce sont deux scientismes délirants.

        “Faudrait-il rejeter le compromis qui permet ce type d’avancées ?”

        Peut-être rejeter le compromis fordiste, mais surtout ne pas rejeter le concept même du compromis en matière d’avancées sociales (qu’on ne reverra pas avant longtemps de toutes façons…)

        “Aussi longtemps que le capitalisme est capable de proposer un compromis fordiste, les conditions objectives d’une révolution ne seront pas réunies. Et il est inutile de se faire l’avocat d’une révolution alors que les conditions ne sont pas réunies. C’est ce que fait l’extrême gauche depuis un demi-siècle, avec les résultats que l’on sait.”

        Exact. J’adore discuter avec les bonhommes de Lutte Ouvrière… extrêmement distrayant. Mon tonton par alliance qui avait enterré sa kalache sous un arbre dans l’attente du grand soir était aussi extrêmement distrayant.

        “Plus qu’une « critique radicale », il nous faudrait une « compréhension radicale » des phénomènes sociaux en cours, des mutations du capitalisme. Car il n’y a pas UN capitalisme, mais DES capitalismes, et aussi longtemps qu’on mettra tout dans le même sac, on ne comprendra rien.”

        Exact.

        Merci. Quel discours rafraîchissant!

        • Descartes dit :

          @ F68.10

          [« Le néo-libéralisme revendique les principes du libéralisme classique mais les trahit, en introduisant une logique de darwinisme social qui ferait se retourner dans sa tombe les libéraux du XVIIIème siècle. » Je vois quelques menues différences entre “néo-libéralisme” et darwinisme social, qui sont, au niveau théorique, orthogonaux.]

          Je ne vois pas en quoi ils seraient « au niveau théorique orthogonaux ». Le néo-libéralisme transpose à la logique du marché l’idée de sélection naturelle, avec l’idée que le mécanisme de marché permet dans tous les domaines la sélection de plus forts, des plus intelligents, des plus adaptables, des plus travailleurs.

          [Mais un gros point commun: ce sont deux scientismes délirants.]

          Le néo-libéralisme est certainement un matérialisme, mais pas particulièrement scientiste à la base.

          [Exact. J’adore discuter avec les bonhommes de Lutte Ouvrière… extrêmement distrayant.]

          Oui, un peu comme le bruit d’une cascade… c’est toujours la même chose.

          • F68.10 dit :

            “Je ne vois pas en quoi ils seraient « au niveau théorique orthogonaux ». Le néo-libéralisme transpose à la logique du marché l’idée de sélection naturelle, avec l’idée que le mécanisme de marché permet dans tous les domaines la sélection de plus forts, des plus intelligents, des plus adaptables, des plus travailleurs.”

            C’est toujours le problème avec des concepts comme le néo-libéralisme. Les gens se battent sur un problème de définition.

            https://en.wikipedia.org/wiki/Neoliberalism

            “Scholars now tended to associate it with the theories of Mont Pelerin Society economists Friedrich Hayek, Milton Friedman, and James M. Buchanan, along with politicians and policy-makers such as Margaret Thatcher, Ronald Reagan and Alan Greenspan.”

            De mon point de vue, si on adopte cette définition, on pourrait “caricaturer” ou “illustrer” le concept du néolibéralisme en discutant des “interprétations” d’un célèbre théorème. Le théorème d’Arrow-Debreu.

            https://en.wikipedia.org/wiki/Arrow–Debreu_model

            Il s’agit d’un théorème mathématique. (Une application du théorème du point fixe de Kakutani, pour être exact).

            Au sens strict, c’est un théorème mathématique. Donc absolument vrai en ce sens.

            La question scientifique véritable est une discussion de l’applicabilité des hypothèses. Et là, la discussion devient assez vite “complexe”.

            Point 1: Même si les hypothèses ne sont pas parfaitement vérifiées, il est factuel que le théorème d’Arrow-Debreu a des choses à dire, car toutes déviations des hypothèses peut être discutée comme impactant sa signification. (Ce type de discussion a constamment lieu dans le domaine de l’économie universitaire, particulièrement en micro-économie). En d’autres termes: ce n’est pas parce qu’un outil n’est pas parfait qu’il n’a aucune utilité.

            Point 2: L’autre point de vue consiste à se laisser “séduire” par ce théorème et à se dire “Tant pis: si les hypothèses ne sont pas réalisées, il n’y a qu’à créer les conditions politiques permettant d’inscrire dans la loi des implémentations des politiques publiques qui forceront les hypothèses à être réalisées. Ce qui nous permettra de bénéficier des bienfaits de ce théorème”.

            Et quand on connaît ce théorème, on se rend assez vite compte que cette approche (point 2) donne quelque chose d’extrêmement proche de l’idéologie néolibérale.

            L’approche du point 1 reste une approche scientifique de description de réalité, dans un souci d’une quête de l’objectivité. Le point 2, par contre, part du principe qu’il y a une nécessité politique ou morale d’adopter des mesures. Ce faisant, sous couvert de science, il prétend passer outre la guillotine de Hume, et ce faisant devient un scientisme.

            https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Hume

            Je n’ai pas à priori d’opposition au scientisme. Il y a les bons scientistes et les mauvais scientistes. Un peu comme il y a les bons chasseurs et les mauvais chasseurs, pour reprendre les termes d’un sketch bien connu. Mais, bon, j’ai, comme qui dirait, quelques items qui me font dire qu’il s’agit d’un scientisme délirant.

            Dans cette discussion, je n’ai pas adopté votre caractérisation du néolibéralisme. En adoptant la mienne, en effet, il me semble bien qu’il s’agisse d’un mouvement basé sur un scientisme délirant, qui est orthogonal au concept du darwinisme social.

            Ensuite, si les gens ont des idées malsaines derrière la tête qui les font adopter le néolibéralisme et le darwinisme social comme “idéologies” connexes guidant leur éthique de vie, que voulez-vous que j’y fasse?

            Je préconise la lobotomie comme thérapeutique, mais encore une fois, je pense que je vais me retrouver tout seul sur ce point précis…

            • Descartes dit :

              @ F68.10

              [C’est toujours le problème avec des concepts comme le néo-libéralisme. Les gens se battent sur un problème de définition.]

              Je ne vois pas grand monde se « battre ». Pratiquement tous les historiens de l’économie font de la Société du Mont Pélérin la matrice du renouveau de l’idéologie libérale, dont le théoricien le plus signalé fut Friedrich Hayek. Ensuite, comme dans n’importe quel autre courant idéologique il y a des variations et des chapelles. L’école libertarienne ou celle du choix public ne sont pas dans la même interprétation que l’école monétariste. Mais tous se reconnaissent dans la même matrice idéologique.

              [De mon point de vue, si on adopte cette définition, on pourrait “caricaturer” ou “illustrer” le concept du néolibéralisme en discutant des “interprétations” d’un célèbre théorème. Le théorème d’Arrow-Debreu.]

              Je ne vois pas très bien le rapport. Le mal nommé « théorème » d’Arrow-Debreu est en fait l’application d’un résultat mathématique très simple à une situation économique idéalisée.

              [Il s’agit d’un théorème mathématique. (Une application du théorème du point fixe de Kakutani, pour être exact). Au sens strict, c’est un théorème mathématique. Donc absolument vrai en ce sens.]

              Non. Un théorème n’est ni « vrai » ni « faux ». Un thèorème prouve que, dans un certain cadre axiomatique, un énoncé est vrai si un certain nombre d’hypothèses est rempli. Par exemple, le thèorème de Pythagore énonce que, dans un cadre axiomatique euclidien, si l’hypothèse qu’un triangle est rectangle est remplie, alors la somme des carrés des cotés est égale au carré de l’hypoténuse.

              Le théorème de Kakutani énonce que dans un certain cadre axiomatique, une fonction continue d’un ensemble compact et convexe sur lui-même a toujours un point fixe. Ce que fait Arrow, c’est de modéliser le système économique dans ce cadre axiomatique, puis d’appliquer le théorème, et enfin de postuler que le résultat mathématique qu’il obtient peut être transposé du modèle à la réalité.

              [La question scientifique véritable est une discussion de l’applicabilité des hypothèses. Et là, la discussion devient assez vite “complexe”.]

              Pas seulement. Il y a aussi le cadre axiomatique dans lequel on construit un modèle mathématique censé représenter le monde réel.

              [Point 1: Même si les hypothèses ne sont pas parfaitement vérifiées, il est factuel que le théorème d’Arrow-Debreu a des choses à dire, car toutes déviations des hypothèses peut être discutée comme impactant sa signification.]

              Je ne vois pas ce qu’il aurait à nous dire. Qu’est-ce que le théorème de Pythagore a « à nous dire » au sujet des triangles isocèles ? Rien du tout. Ou bien le triangle est rectangle et le théorème nous donne un rapport entre les côtés et l’hypoténuse, ou bien le triangle n’est pas rectangle et le théorème n’a rien à nous dire. Si le soi-disant « théorème » d’Arrow-Debreu est censé nous « dire » quelque chose même quand les hypothèses ne sont pas vérifiées, c’est justement parce que ce n’est pas un vrai « théorème » au sens mathématique du terme.

              [(Ce type de discussion a constamment lieu dans le domaine de l’économie universitaire, particulièrement en micro-économie). En d’autres termes: ce n’est pas parce qu’un outil n’est pas parfait qu’il n’a aucune utilité.]

              C’est justement toute la différence entre les mathématiques et les autres sciences. En mathématiques, les seuls « outils » qui vaillent sont les outils parfaits. Il n’y a pas d’approximation en mathématiques : un énoncé est vrai ou faux, il ne peut pas être « approximativement » vrai. Les économistes ont un peu trop tendance à vouloir se couvrir des plumes de paon des sciences dures, en parlant de « théorèmes »…

              [Point 2: L’autre point de vue consiste à se laisser “séduire” par ce théorème et à se dire “Tant pis: si les hypothèses ne sont pas réalisées, il n’y a qu’à créer les conditions politiques permettant d’inscrire dans la loi des implémentations des politiques publiques qui forceront les hypothèses à être réalisées. Ce qui nous permettra de bénéficier des bienfaits de ce théorème”.]

              C’est quoi les « bienfaits » d’un théorème ? Vous avez l’air de croire qu’un théorème est une machine à faire des saucisses. Si l’on met la viande d’un côté, on « bénéficie » des saucisses de l’autre. Quel est l’intérêt de rectifier tous les triangles pour « bénéficier des bienfaits » du théorème de Pythagore ?

              [Et quand on connaît ce théorème, on se rend assez vite compte que cette approche (point 2) donne quelque chose d’extrêmement proche de l’idéologie néolibérale.]

              Pas vraiment. Le « théorème » d’Arrow-Debreu prétend démontrer que sous certaines hypothèses (très restrictives, d’ailleurs) il existe un ensemble de prix des biens tels que pour tout bien l’offre et la demande s’équilibrent. C’est ce qu’on appelle « l’équilibre général ». Mais le « théorème » en question n’a aucun contenu idéologique. Il n’affirme pas que cette situation idéale rende les gens plus riches ou plus heureux.

              [L’approche du point 1 reste une approche scientifique de description de réalité, dans un souci d’une quête de l’objectivité. Le point 2, par contre, part du principe qu’il y a une nécessité politique ou morale d’adopter des mesures.]

              Votre exemple est inopérant. Personne n’adopte la logique du point 2. Vous connaissez beaucoup de gens qui soit disposé à changer le monde juste pour voir un théorème s’appliquer ? Ce que vous décrivez n’est pas de « scientisme », c’est de la folie pure.

              [Dans cette discussion, je n’ai pas adopté votre caractérisation du néolibéralisme. En adoptant la mienne, en effet, il me semble bien qu’il s’agisse d’un mouvement basé sur un scientisme délirant, qui est orthogonal au concept du darwinisme social.]

              Sauf que le « néolibéralisme » que vous décrivez n’existe tout simplement pas. Aucun économiste à ma connaissance prétend qu’il faut changer les choses juste pour que le théorème d’Arrow-Debreu (ou aucun autre, d’ailleurs) s’applique, et qu’on puisse « bénéficier de ses bienfaits ». Je vous mets au défi de me nommer un seul économiste qui ait écrit pareille absurdité.

  11. marc.malesherbes dit :

    Peut-on exprimer un avis dissonant ?

    Sur l’analyse de la situation politique actuelle, je vous rejoins, mais fort peu sur l’évolution à venir. Comme le dit Luc Ferry, la situation actuelle est très inconfortable pour le bloc dominant. En réunissant droite-gauche sous la bannière macroniste, il ne permet plus la bonne vieille alternance qui était un leurre parfait au mécontentement populaire (1).
    D’autre part si effectivement “deux français sur trois” sont contents de leur sort, pour quoi diable changer de politique ? Car politique il y a pour moi. Le bloc dominant adopte et met en œuvre avec persévérance l’idéologie “néo libérale-américaine”, même en faisant face aux obstacles, voir Hollande et le début de Macron que nous vivons.

    Bien que les alternatives actuelles (Mélenchon, le Pen) soient fort peu appétissantes, avec les tensions grandissantes à venir, elles paraîtront mieux que le statu quo.
    En ce qui concerne JLM, en cas de succès, ses orientations assurent déjà sont échec à venir rapide, et donc le retour rapide au “macronisme”.
    Pour le RN, en cas de succès, son échec rapide est moins sûr. Je suis frappé de la manière dont les Kaczyński, Orban, Salvini, Trump, réussissent à garder leur soutien populaire une fois au pouvoir. Autrement dit, en cas d’accès au pouvoir, le RN pourrait peut-être s’y maintenir un certain temps, à condition qu’il donne satisfaction à certaines aspirations populaires, ne serait-ce que la limitation de l’immigration, une politique d’assimilation …

    Sur le moyen terme vaut-il mieux l’essai du RN plutôt que la poursuite du macronisme ? Pour l’instant, je préfère encore le macronisme … mais je laisserai le “peuple” décider, en m’abstenant, chose impensable pour moi autrefois, mais que je commence à pratiquer depuis deux élections.

    (1) Face aux gilets jaunes le macronisme a du céder quelques milliards, chose que n’a jamais faite Hollande. C’est un exemple de la faiblesse du macronisme: faute d’alternative pour le bloc dominant, il ne peut rester “droit dans ses bottes”.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Peut-on exprimer un avis dissonant ?]

      Quelle question… Mais bien sûr ! Tous les avis sont les bienvenus.

      [Comme le dit Luc Ferry, la situation actuelle est très inconfortable pour le bloc dominant. En réunissant droite-gauche sous la bannière macroniste, il ne permet plus la bonne vieille alternance qui était un leurre parfait au mécontentement populaire (1).]

      Oui et non. D’un côté, vous avez raison, le leurre qui constituait l’opposition artificielle entre deux blocs qui faisaient la même politique a disparu. Le voile qui occultait le pouvoir du bloc dominant s’est déchiré. Mais d’un autre côté, la logique d’alternance obligeait l’opposition du jour à pratiquer une opposition réelle, qui empêchait les gouvernements de passer leurs « réformes » sans frais. Le gouvernement Philippe a pu vandaliser le code du travail, supprimer le statut des cheminots, préparer la privatisation de la SNCF là où les gouvernements précédents auraient dû affronter une véritable fronde parlementaire et politique qui aurait donné plus de force aux mouvements de protestation.

      [D’autre part si effectivement “deux français sur trois” sont contents de leur sort, pour quoi diable changer de politique ? Car politique il y a pour moi. Le bloc dominant adopte et met en œuvre avec persévérance l’idéologie “néo libérale-américaine”, même en faisant face aux obstacles, voir Hollande et le début de Macron que nous vivons.]

      D’abord, parce que contrairement aux espoirs de Giscard, les politiques libérales ne contentent pas « deux français sur trois ». On serait plus proche de « un français sur trois », voire un français sur quatre. Et d’autre part, parce que la politique est censée être faite en fonction de l’intérêt général, et non de la majorité, fut-elle des deux tiers.

      [Bien que les alternatives actuelles (Mélenchon, le Pen) soient fort peu appétissantes, avec les tensions grandissantes à venir, elles paraîtront mieux que le statu quo.]

      A un certain moment, ce n’est pas impossible. Mais je ne pense pas que ce soit pour tout de suite. Les Français sont trop terrorisés à l’idée de perdre ce qu’ils ont – même quand ce n’est pas beaucoup – pour accepter de s’embarquer dans une aventure en confiant le pouvoir à ceux dont on ne sait pas très bien ce qu’ils en feraient. Macron, avec tous ses défauts, apparaît comme l’option la plus rassurante. Et dans une société gouvernée par la peur, c’est un avantage décisif.

      [En ce qui concerne JLM, en cas de succès, ses orientations assurent déjà sont échec à venir rapide, et donc le retour rapide au “macronisme”.]

      JLM, c’est Mitterrand : un discours très « à gauche », une politique conformiste. Contrairement à Marine Le Pen, JLM a déjà gouverné. Et on ne peut pas dire que son passage au gouvernement ait été marqué par un anticonformisme particulier. Ne le sous-estimez pas : arrivé au pouvoir, il pourrait parfaitement « réussir » au sens ou Mitterrand a « reussi ». Une fois que le bloc dominant aura compris qu’il n’a rien à craindre, il fera un président très présentable.

      [Pour le RN, en cas de succès, son échec rapide est moins sûr. Je suis frappé de la manière dont les Kaczyński, Orban, Salvini, Trump, réussissent à garder leur soutien populaire une fois au pouvoir. Autrement dit, en cas d’accès au pouvoir, le RN pourrait peut-être s’y maintenir un certain temps, à condition qu’il donne satisfaction à certaines aspirations populaires, ne serait-ce que la limitation de l’immigration, une politique d’assimilation …]

      Il est difficile de faire des comparaisons. Kaczynski et Orban sont des produits de la vaste opération d’expérimentation sociale que les néolibéraux ont lancée après la chute du mur. Trump, il ne faut pas l’oublier, est l’élu de l’un des deux partis politiques qui se partage le pouvoir aux Etats-Unis depuis l’indépendance. Salvini vient d’un mouvement politique régionaliste qui a participé plusieurs fois au pouvoir avant d’en prendre un rôle prépondérant dans sa direction. La particularité du RN – qui tient au système électoral français – est qu’il s’agit d’un parti qui, ayant réussi à prendre un vote sur quatre, n’a jamais participé à l’exercice du pouvoir central, et n’a accédé à l’exercice de pouvoirs locaux que très récemment.

      [Sur le moyen terme vaut-il mieux l’essai du RN plutôt que la poursuite du macronisme ?]

      La question reste posée… et je vous avoue que je n’ai pas de réponse simple à vous offrir.

      • morel dit :

        @ Descartes
        « JLM, c’est Mitterrand : un discours très « à gauche », une politique conformiste. Contrairement à Marine Le Pen, JLM a déjà gouverné. Et on ne peut pas dire que son passage au gouvernement ait été marqué par un anticonformisme particulier. Ne le sous-estimez pas : arrivé au pouvoir, il pourrait parfaitement « réussir » au sens ou Mitterrand a « réussi ». Une fois que le bloc dominant aura compris qu’il n’a rien à craindre, il fera un président très présentable. »

        Oui, da mais je crois qu’il faut appliquer le même tarif à Le Pen, Tout cela n’étant qu’affaire de circonstances, La bourgeoisie est bien plus plastique que l’on ne pouvait imaginer et Mme Le Pen a entamé depuis longtemps le glissement vers un parti « de droite » traditionnel (comparez avec le magistère de son père), Le Pen chef omnipotent de ce parti est foncièrement politiquement et socialement une bourgeoise qui pourrait bien aller plus loin encore. Réalisme, c’est tout.

        @ marc.malesherbes

        « Autrement dit, en cas d’accès au pouvoir, le RN pourrait peut-être s’y maintenir un certain temps, à condition qu’il donne satisfaction à certaines aspirations populaires, ne serait-ce que la limitation de l’immigration, une politique d’assimilation … »

        A mon humble avis,’un soutien durable des forces populaires nécessite des contre-parties bien plus matérielles dans l’amélioration de leur sort, d’où l’on retombe inévitablement à ce qu’est le RN, son histoire, ses chefs…
        Personnellement je n’y crois pas mais je suis un mécréant 😁

        • morel dit :

          L’idée fondamentale que je crois important de souligner, c’est que l’on peut toujours s’agiter « s’agiter » avec des « idées » les plus géniales possibles, la bourgeoisie, elle, est solidement matérialiste, guidée par l’intérêt de la réalisatoin de la plus-value,
          Son histoire, notre histoire montre son extrême plasticité : donnant ici les moyens aux fascistes d’accéder au pouvoir, là aux « socialistes » ; lâchant ce que était impensable la veille : accords Matignon, conquêtes d’après guerre (sécu, statuts…) et ce n’est pas fini.
          C’est aussi pourquoi le débat réformisme/révolutionnaire me semble un peu vain ; ce qui importe c’est ce qui renforce le prolétariat et lui donne confiance et résistance.

          • Descartes dit :

            @ morel

            [L’idée fondamentale que je crois important de souligner, c’est que l’on peut toujours s’agiter « s’agiter » avec des « idées » les plus géniales possibles, la bourgeoisie, elle, est solidement matérialiste, guidée par l’intérêt de la réalisatoin de la plus-value.]

            Oui, mais je ne mépriserait pas les « idées » quand même. La bourgeoisie a bon être matérialiste, elle est tout de même obligée de fabriquer une idéologie pour légitimer sa domination (ou de la sous-traiter aux classes intermédiaires…). Combattre la bourgeoisie, c’est aussi combattre cette idéologie, ce qui suppose une capacité à produire une idéologie alternative.

            [C’est aussi pourquoi le débat réformisme/révolutionnaire me semble un peu vain ; ce qui importe c’est ce qui renforce le prolétariat et lui donne confiance et résistance.]

            Je ne suis pas d’accord avec vous. Le débat « réformistes vs. révolutionnaires » est important. En effet, on ne combat pas de la même façon le capitalisme si l’on pense qu’on peut changer sa nature profonde par une accumulation de reformes, ou si l’on estime que ce changement n’est possible qu’avec une rupture. Mais ce débat est intéressant lorsqu’on estime être dans une situation révolutionnaire. Or, ce n’est pas à mon avis le cas aujourd’hui. La question à se poser est donc qu’est ce qu’on fait en attendant qu’une situation révolutionnaire apparaisse. Et dans ce contexte, lutter pour des réformes qui améliorent les conditions de vie du prolétariat en attendant le grand soir paraît la voie la plus logique. Non seulement elle permet aux prolétaires de vivre mieux, mais elle leur permet de prendre conscience des limites d’une lutte « réformiste ». Et l’expérience montre que ceux qui ont refusé ce combat au nom de « la révolution tout de suite » se sont systématiquement plantés.

            • morel dit :

              @ Descartes

              « Oui, mais je ne mépriserait pas les « idées » quand même. »

              Ce n’était pas mon propos. Je déplorais le trop grand nombre de « verbeux » chez ceux qui se réclament du camp salarial.
              Un rappel ferme de la réalité matérialiste me semble trop souvent s’imposer.

              « Je ne suis pas d’accord avec vous. Le débat « réformistes vs. révolutionnaires » est important. »

              Vous semblez vous même admettre plus bas que c’est beaucoup plus compliqué.
              Pour ma part, dans la situation présente, je serais non pas « pragmatique » mais matérialiste : tout ce qui conforte le prolétariat est bon à prendre.
              Comment rassembler pour aller vers ce but ?
              Inutile de préciser que je n’ai pas d’amitié pour les tenants de votre dernière phrase.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [« Je ne suis pas d’accord avec vous. Le débat « réformistes vs. révolutionnaires » est important. » Vous semblez vous même admettre plus bas que c’est beaucoup plus compliqué.]

              Bien sur que c’est compliqué. Au-delà de la vision manichéenne, on trouve une grande diversité entre les réformistes mais aussi entre les révolutionnaires. Je me rangerais plutôt du côté des « révolutionnaires », en ce que je pense que la fin du capitalisme ne peut résulter que d’une rupture, et non d’une accumulation de réformes. Mais d’un autre côté, je suis en conflit avec beaucoup de « révolutionnaires » en ce que je rejette tout ensemble la vision volontariste qui pense que la « révolution » est possible dans n’importe quel contexte pourvu que la volonté soit là, et l’idée qu’une « révolution » peut faire table rase du passé.

              Et dès lors qu’on considère que la « révolution » n’est pas possible dans n’importe quel contexte, la question de ce qu’on fait en attendant qu’elle devienne possible se pose. C’est là que je rejoins ce que vous appelez le « pragmatisme » : en attendant tout ce qui conforte le prolétariat, matériellement et intellectuellement, est bon à prendre.

              [Comment rassembler pour aller vers ce but ?]

              Aujourd’hui, la principale difficulté pour rassembler tient à mon avis au scepticisme – fondé sur l’expérience, malheureusement – de l’opinion quant aux résultats de l’action collective. Ces trente dernières années est en effet une longe litanie de luttes engagées et perdues par les couches populaires. Pendant cette période, les victoires se comptent sur les doigts d’une main, alors que les défaites remplissent des livres entiers. Dans le contexte d’un rapport de forces aussi défavorable au niveau collectif, la tentation du salut individuel est irrésistible. A cela s’ajoute le fait que les luttes collectives ont souvent été récupérées par des organisations ou des leaders qui n’ont pas hésité, une fois élus, à les renier.

        • Descartes dit :

          @ morel

          [« JLM, c’est Mitterrand : un discours très « à gauche », une politique conformiste. Contrairement à Marine Le Pen, JLM a déjà gouverné (…) ». Oui, da mais je crois qu’il faut appliquer le même tarif à Le Pen,]

          On ne peut pas, puisqu’il n’a jamais gouverné. Nous savons ce que vaut Mélenchon comme ministre, nous ne savons pas ce que vaut Marine Le Pen dans la même position… On peut bien entendu spéculer sur ce que cela donnerait, mais l’incertitude est bien plus grande.

          • morel dit :

            @ Descartes

            « On ne peut pas, puisqu’il n’a jamais gouverné. Nous savons ce que vaut Mélenchon comme ministre, nous ne savons pas ce que vaut Marine Le Pen dans la même position… On peut bien entendu spéculer sur ce que cela donnerait, mais l’incertitude est bien plus grande. »

            Si l’on vous suit sur ce propos, cela signifierait que l’on accorde tout crédit à tout groupe n’ayant jamais gouverné même partiellement.
            Ce n’est pas aussi que raisonnent nos concitoyens et aussi nous-mêmes.
            Celui qui me chanterait que le RN au pouvoir couperait avec l’UE, réaliserait le renversement de la distribution des revenus en faveur du salariat, etc. nous prend pour des enfants et je ne suis pas seul à le penser.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [« On ne peut pas, puisqu’il n’a jamais gouverné. Nous savons ce que vaut Mélenchon comme ministre, nous ne savons pas ce que vaut Marine Le Pen dans la même position… On peut bien entendu spéculer sur ce que cela donnerait, mais l’incertitude est bien plus grande. » Si l’on vous suit sur ce propos, cela signifierait que l’on accorde tout crédit à tout groupe n’ayant jamais gouverné même partiellement.]

              Pas du tout. Si on suit mon propos, on se dit que ceux que la manière de gouverner de ceux qui ont longuement gouverné est prévisibles, alors que celle de ceux n’ont jamais exercé le pouvoir est une inconnue. Cela ne suppose pas qu’on doive leur accorder plus ou moins de crédit. Juste se dire qu’on ne sait pas. Pour revenir au sujet de notre échange, on peut prédire que si Mélenchon arriverait au pouvoir il se rangerait assez vite aux logiques de la Vème République telle qu’elle est aujourd’hui. Pour Marine Le Pen, nous n’en savons rien.

              [Celui qui me chanterait que le RN au pouvoir couperait avec l’UE, réaliserait le renversement de la distribution des revenus en faveur du salariat, etc. nous prend pour des enfants et je ne suis pas seul à le penser.]

              Admettons. Mais pour penser cela, vous ne pouvez vous fonder sur aucune véritable expérience de gouvernement. Vous pouvez analyser l’histoire du RN, la sociologie de ses militants, de ses dirigeants, de son électorat et arriver à cette conclusion. Mais il reste une grosse inconnue quand même…

      • Vincent dit :

        > D’abord, parce que contrairement aux espoirs de Giscard, les politiques
        > libérales ne contentent pas « deux français sur trois ». On serait plus
        > proche de « un français sur trois », voire un français sur quatre. Et
        > d’autre part, parce que la politique est censée être faite en fonction
        > de l’intérêt général, et non de la majorité, fut-elle des deux tiers.

        Je rebondis pour vous donner l’occasion d’une précision sur ce que vous appelez l’intérêt général…
        Vous critiquez ci dessus la politique actuelle parcequ’elle ne convient qu’à 1/4 ou 1/3 des français. Mais vous écrivez juste en dessous

        >> Sur le moyen terme vaut-il mieux l’essai du RN plutôt
        >> que la poursuite du macronisme ?
        > La question reste posée… et je vous avoue que je n’ai pas
        > de réponse simple à vous offrir.

        Voici mon avis personnel (j’avoue avoir évolué depuis 2017 sur ce sujet). Si jamais MLP ou une ersatz était élue à l’Elysée, elle se retrouverait sans doute minoritaire à l’assemblée, ce qui ferait qu’on aurait un nouveau gouvernement type Macron, mais dans une situation de cohabitation…
        Si jamais elle avait une majorité à l’assemblée nationale, elle ne l’aurait jamais au Sénat, ce qui l’empêcherait de changer la constitution. Et permettrait aux parlementaires de lancer des référendums (referenda si vous voulez chipoter grammaticalement)
        Enfin, et c’est selon moi là que son pouvoir de nuisance serait le plus limité : elle aurait une opposition des médias (comme Trump aux USA), ce qui constitue quand même une sacrée pression pour un exécutif.

        En cas de réélection de Macron (ou un de ses ersatz), il n’y aura aucun de ces contre-pouvoirs contre lui…

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [« Et d’autre part, parce que la politique est censée être faite en fonction de l’intérêt général, et non de la majorité, fut-elle des deux tiers. » Je rebondis pour vous donner l’occasion d’une précision sur ce que vous appelez l’intérêt général…]

          L’intérêt général est une notion complexe. C’est, pour résumer, l’intérêt de la nation prise en tant que collectivité constituée et non pas en tant qu’addition d’individus. Et l’intérêt général n’est pas nécessairement celui de la majorité des citoyens. C’est pourquoi un système politique censé dégager l’intérêt général de la gangue des intérêts particuliers ne peut pas être un système livré à la tyrannie de la majorité. C’est pourquoi le vote de la loi est un vote indirect, confié à des représentants réunis loin – au plan symbolique mais aussi réel – de leurs électeurs. C’est pourquoi la Constitution garantit des droits aux opinions minoritaires, y compris pour faire obstacle à l’application de la volonté majoritaire. C’est l’ensemble de ce dispositif qui permet d’assurer que la loi soit véritablement l’expression de la volonté générale, et non pas de la simple volonté majoritaire.

          [Voici mon avis personnel (j’avoue avoir évolué depuis 2017 sur ce sujet). Si jamais MLP ou une ersatz était élue à l’Elysée, elle se retrouverait sans doute minoritaire à l’assemblée, ce qui ferait qu’on aurait un nouveau gouvernement type Macron, mais dans une situation de cohabitation…]

          Je ne suis pas persuadé. D’abord, parce que les Français cherchent à être cohérents, et après avoir confié la présidence à une personne tendent à lui donner une majorité pour gouverner. Mais surtout, parce qu’à supposer que MLP gagne les élections présidentielles, il n’y a aucune raison de penser que les élections législatives donneraient une majorité « centrale »…

          [Si jamais elle avait une majorité à l’assemblée nationale, elle ne l’aurait jamais au Sénat, ce qui l’empêcherait de changer la constitution.]

          Jusqu’à un certain point seulement, puisqu’il reste toujours le référendum. Mais surtout, je ne vois pas l’intérêt de changer la Constitution. L’ordre institutionnel de la Vème République est assez flexible pour permettre de faire beaucoup de choses sans passer par la réforme constitutionnelle.

          [Et permettrait aux parlementaires de lancer des référendums (referenda si vous voulez chipoter grammaticalement)]

          Je ne vois pas en quoi cela pourrait gêner un gouvernement MLP, au contraire. L’obstruction – surtout lorsqu’elle s’applique à des textes jugés nécessaires par l’opinion – se retourne généralement contre celui qui la pratique. Et en plus, cela donnerait au gouvernement un excellent prétexte pour ne rien faire, faisant retomber toutes les fautes sur l’opposition…

          [Enfin, et c’est selon moi là que son pouvoir de nuisance serait le plus limité : elle aurait une opposition des médias (comme Trump aux USA), ce qui constitue quand même une sacrée pression pour un exécutif.]

          Seulement pour un exécutif qui a été élu avec le soutien des médias. Quand on est élu contre les médias, on peut se payer le luxe de les ignorer, comme Trump aux USA.

          • Yoann dit :

            [Et l’intérêt général n’est pas nécessairement celui de la majorité des citoyens. C’est pourquoi un système politique censé dégager l’intérêt général de la gangue des intérêts particuliers ne peut pas être un système livré à la tyrannie de la majorité]

            Et c’est pour ça que le RIC vient de la droite, non ?

            • Descartes dit :

              @ Yoann

              [« Et l’intérêt général n’est pas nécessairement celui de la majorité des citoyens. C’est pourquoi un système politique censé dégager l’intérêt général de la gangue des intérêts particuliers ne peut pas être un système livré à la tyrannie de la majorité » Et c’est pour ça que le RIC vient de la droite, non ?]

              Je ne comprends pas très bien la question, qui semble suggérer que la question de l’intérêt général serait perçue différemment à droite et à gauche…

            • Yoann dit :

              [qui semble suggérer que la question de l’intérêt général serait perçue différemment à droite et à gauche]

              Pardon, je reformule.

              Une partie de la droite (qui a son agenda a base de “pas de droits nouveaux” et “pas de migrants”) a mit en avant le RIC pour que l’intérêt majoritaire puisse servir a devancer l’intérêt générale.

              De même dans les entreprises ont retrouve cette idée de faire passer le referendum par les salariés pour outre-passer les représentants du salarier. Si le MEDEF ne bronche pas j’imagine très bien ce qu’ils espèrent…

            • Descartes dit :

              @ Yoann

              [Une partie de la droite (qui a son agenda a base de “pas de droits nouveaux” et “pas de migrants”) a mis en avant le RIC pour que l’intérêt majoritaire puisse servir à devancer l’intérêt générale.]

              Je ne suis pas persuadé que les premiers partisans du RIC se trouvent à droite, bien au contraire !

              Mais à droite comme à gauche, il n’y a pas une véritable réflexion sur l’intérêt général. La réflexion institutionnelle se limite à la question de la participation (« comment faire pour que les gens participent plus aux élections ») et de la légitimité (« comment faire pour que les décisions politiques soient reconnues comme légitimes »). La question de savoir comment construire des institutions qui mettent l’intérêt général avant les intérêts particuliers – fussent-ils majoritaires – ne semble préoccuper personne…

              [De même dans les entreprises ont retrouve cette idée de faire passer le referendum par les salariés pour outre-passer les représentants du salarié.]

              La situation est très différente. Le patronat sait très bien que le chantage au licenciement est bien plus efficace sur les salariés que sur leurs représentants. Le référendum d’entreprise permet donc de contourner l’opposition des syndicats.

  12. marc.malesherbes dit :

    Comment comprendre la tribune d’ex-Insoumis (1) ?

    Leur tribune se termine ainsi:
    “Refusant la concurrence entre différentes initiatives existantes, nous en appelons à établir un ample mouvement citoyen mû par une même idée fédératrice : rendre au peuple et à la Nation la souveraineté de sa décision pour retrouver sa liberté républicaine, celle qui fait du bonheur commun l’essence de toute association politique.”
    Implicitement cela voudrait dire que renoncer à rester dans l’UE fait partie de leurs fondamentaux. Mais n’est-ce pas qu’un “enfumage” ? Nulle part ailleurs dans leur texte ils n’évoquent même l’UE.

    Merci de vos éclaircissements.

    (1) “Face à la crise démocratique, c’est au peuple de tracer un chemin”
    https://www.lejdd.fr/Politique/anciens-et-proches-des-insoumis-denoncent-leffondrement-de-lespoir-porte-par-lfi-3905235

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Comment comprendre la tribune d’ex-Insoumis (…)]

      A vrai dire, elle me paraît incompréhensible. Elle me rappelle la formule britannique selon laquelle un chameau n’est qu’un cheval dont la conception aurait été confiée à un comité. A défaut d’avoir les idées claires, cette tribune cherche à faire plaisir à tout le monde en mélangeant les antiennes gauchistes ou écologistes et en ajoutant un « souveraineté » ou « souverain » par-ci, par-là, pour faire plaisir aux autres. Les auteurs de cette tribune cherchent à attirer à la fois souverainistes et écolo-gauchistes, et le résultat est désolant.

      Prenez cette formule : « Ce qu’il faut rechercher, c’est l’élévation du niveau de conscience populaire acquise non seulement à l’identification claire d’une oligarchie qui est dangereuse pour soi socialement et écologiquement ; mais aussi à l’idée qu’un rôle politique légitime incombe souverainement à soi en tant que peuple ». Une oligarchie « dangereuse pour soi » ? Un rôle politique qui « incombe à soi » (et « souverainement », en plus) ? Ca veut dire quoi, tout ça ? Pas grande chose, mais dans cette phrase on trouve tous les « marqueurs » correspondant aux différentes chapelles de la gauche radicale : le « niveau de conscience » et « l’oligarchie » chère aux gauchistes, l’écologie, le « soi » des soixante-huitards, la « souveraineté » des souverainistes.

      Je ne serais pas étonné si toutes ces « tribunes » et « lettres ouvertes » autour des anciens de LFI n’annonçait pas la construction d’une nouvelle secte plus ou moins parallèle à celle du gourou JLM.

  13. Drweski dit :

    Redonner une dynamique c est créer une nouvelle union de classe des salariés et de tous les périphériques du système…France provinciale, banlieues, chômeurs, précaires sur une base territoriale. Ceux dont l avenir est sur le territoire français contre les élites bourgeoises et bobos nomades et sans attaches. Cela nécessite la construction de bases révolutionnaires organisées.

    • Descartes dit :

      @ Drweski

      [Redonner une dynamique c’est créer une nouvelle union de classe des salariés et de tous les périphériques du système…France provinciale, banlieues, chômeurs, précaires sur une base territoriale.]

      Et le raton laveur ? Il n’était pas disponible ?
      Comment voulez-vous que les « salariés » et « tous les périphériques du système » s’unissent alors qu’ils ont des intérêts différents, voire contradictoires ? Quel est l’intérêt commun qui réunit par exemple le trader d’une grande banque parisienne – qui jusqu’à nouvel ordre est un « salarié » – et le métallurgiste licencié de Florange ? Quel est le projet qui peut les « unir » ?

      [Ceux dont l avenir est sur le territoire français contre les élites bourgeoises et bobos nomades et sans attaches. Cela nécessite la construction de bases révolutionnaires organisées.]

      Pourriez-vous développer ce que vous appelez « bases révolutionnaires organisées » ? En quoi consisterait la « révolution » que ces « bases » sont censées faire ?

  14. @Descartes
    ” Et je ne me souviens pas de Marx dénonçant les « robinsonades » de Smith, qu’il admirait par ailleurs… avez-vous la référence ?”

    Il y a un passage intéressant de Marx dans lequel il historicise l’individualisme du 18ème / début 19ème siècle. On dirait presque du Nietzsche (à la grille de lecture “rapports de production / classes sociales” près):

    « [Introduction dite de 1857] Le point de départ, évidemment, ce sont des individus produisant en société –donc une production des individus qui est socialement déterminée. Le chasseur et le pêcheur singulier et singularisé, par lequel commencent Smith et Ricardo, ressortit aux plates illusions des robinsonades du 18ème siècle, lesquelles n’expriment nullement, comme se l’imaginent certains historiens de la civilisation, une simple réaction contre des excès de raffinement et un retour à l’état de nature mal compris. Pas plus que le Contrat social de Rousseau, qui établit par contrat des rapports et des liens entre des sujets indépendants par nature, ne repose sur un tel naturalisme. C’est une apparence, la simple apparence esthétique des petites et grandes robinsonades. Il s’agit en réalité d’une anticipation de la « société civile-bourgeoise » qui se préparait depuis le 16ème siècle et qui, au 18ème, fit des pas de géant vers sa maturité. Dans cette société où règne la libre concurrence, l’individu apparaît détaché des liens naturels, etc, qui font de lui à des époques historiques antérieures un accessoire d’un conglomérat humain déterminé et délimité. Pour les prophètes du 18ème siècle –sur les épaules de qui reposent encore entièrement Smith et Ricardo- cet individu du 18ème siècle, produit, d’une part, de la décomposition des formes de sociétés féodales, d’autre part, des forces productives nouvelles qui se sont développées depuis le 16ème siècle, apparaît comme un idéal dont l’existence remonterait au passé non comme un résultat historique, mais comme le point de départ de l’histoire, parce qu’ils le considèrent comme un individu naturel, conforme à leur représentation de la nature humaine, qui n’aurait pas sa source dans l’histoire, mais qui serait posé par la nature. Cette illusion a été jusqu’à maintenant partagée par toute époque nouvelle. » (p.39-40)

    « Plus on remonte dans le cours de l’histoire, plus l’individu, et par suite l’individu producteur lui aussi, apparaît dans un état de dépendance, membre d’un ensemble plus grand : cet état se manifeste d’abord de façon tout à fait naturelle dans la famille, et dans la famille élargie à la tribu ; puis dans les différentes formes de la communauté issue de l’opposition et de la fusion des tribus. Ce n’est qu’au 18ème siècle, dans la « société civile-bourgeoise », que les différentes formes de l’interdépendance sociale se présentent à l’individu comme un simple moyen de réaliser ses buts particuliers, comme une nécessité extérieure. Mais l’époque qui engendre ce point de vue, celui de l’individu singulier singularisé, est précisément celle où les rapports sociaux (et, de ce point de vue, universels) ont atteint le plus grand développement qu’ils aient connu. » (p.40)
    -Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », Les éditions sociales, 2011 (1980 pour la première édition), 929 pages.

    On pourrait toutefois se demander pourquoi, si les fictions contractualistes doivent être compris comme des représentations liées à l’émergence de la société bourgeoise-moderne, elles ont rapidement été dénoncées comme des affabulations (qu’elles sont) dès le début du 19ème, non seulement par l’anti-individualisme réactionnaire (Maistre, Maurras, etc) ou socialiste (Pierre Leroux, Proudhon, Bakounine, etc.), mais aussi par des penseurs modernes (comme Hegel, ou bien dans le libéralisme utilitariste de Bentham et L. v. Mises, ou dans l’anarchisme de marché d’Anselme Bellegarrigue, ou encore chez Tocqueville où elles sont inexistantes, etc.).

    • Descartes dit :

      @ Johnathan R. Razorback

      [« [Introduction dite de 1857] Le point de départ, évidemment, ce sont des individus produisant en société –donc une production des individus qui est socialement déterminée. Le chasseur et le pêcheur singulier et singularisé, par lequel commencent Smith et Ricardo, ressortit aux plates illusions des robinsonades du 18ème siècle,]

      Ah, je suis rassuré. Ce ne sont pas les « robinsonades de Smith » dont parle Marx, mais les « robinsonades du 18ème siècle » auxquelles certains exemples pris par Smith se rattachent.

      [On pourrait toutefois se demander pourquoi, si les fictions contractualistes doivent être compris comme des représentations liées à l’émergence de la société bourgeoise-moderne, elles ont rapidement été dénoncées comme des affabulations (qu’elles sont) dès le début du 19ème, non seulement par l’anti-individualisme réactionnaire (Maistre, Maurras, etc) ou socialiste (Pierre Leroux, Proudhon, Bakounine, etc.), mais aussi par des penseurs modernes (comme Hegel, ou bien dans le libéralisme utilitariste de Bentham et L. v. Mises, ou dans l’anarchisme de marché d’Anselme Bellegarrigue, ou encore chez Tocqueville où elles sont inexistantes, etc.).]

      La vision contractualiste (qui pour moi est loin d’être une simple « affabulation ») défend l’idée d’un individu dont la soumission à la norme sociale est volontaire. Et une telle vision gêne beaucoup de monde. Elle incommode les libertaires de droite comme de gauche parce qu’elle retourne leur argument contre eux, en faisant du consentement de l’individu le fondement du pouvoir de l’Etat. Elle incommode les réactionnaires parce qu’elle conteste les légitimités fondées sur la tradition, la religion ou la nature.

  15. Vincent dit :

    J’aime bien ce résumé historique simplifié :

    > Le siècle qui va de 1870 à 1970 peut être qualifié à juste titre
    > de siècle politique. (…) les choix politiques pouvaient effectivement
    > changer radicalement la réalité.

    Vous m’accorderez qu’il y a eu une exception entre 1940 et 1944, certes dans des circonstances particulières. De même entre 1914 et 1918, l’union sacrée a un peu modifié cette donne. Ceci n’invalide naturellement pas votre résumé.

    Mais si on remonte un peu plus loin en arrière : On ne parlera pas de l’ancien régime, puisque naturellement il n’y avait pas de possibilité pour les citoyens d’influer. Sous le 1er empire, non plus, et sous la restauration, pas beaucoup mieux.

    Mais si on regarde à partir de 1830, que constate-t-on ?
    – 1830-1848 : régime orléaniste macronien.
    – 1848 : les gilets jaunes mettent les Orléans par terre, et amène une nouvelle république
    – dès 1848, le parti de l’ordre macronien gagne les élections contre les partis de gilets jaunes un peu dispersés et diabolisés (robespierristes, lepenistes…)
    – 1848 – 1870 : pendant 22 ans, 2 régimes “ni droite ni gauche, bien au contraire” se succèdent.
    Là dessus, en 1970, défaite, nouvelle chute de régime, et nouvelles élections… On retrouve la chambre introuvable, et les macroniens se retrouvent débordés sur leur droite. Heureusement, à droite, on comprend bien que le portefeuille vaut tous les principes, et on laisse le pouvoir à Macron/Thiers.
    Et il faut attendre 1976 pour que la politique soit autre chose que la stabilité dans la continuité.

    Du coup, on arrive à :
    – avant 1790, pendant des siècles : pas de rôle pour la politique dans les affaires de l’Etat
    – 1790-1815 : pendant 25 ans : le politique peut réellement agir
    – 1830-1876 : pendant 46 ans : le politique s’est paralysé pour servir la classe dominante (on pourrait même ajouter la période 1815-1830, ce qui ferait 61 ans)
    – 1876-1970, avec 9 années d’interruption : pendant 85 ans, le politique pouvait agir
    – 1970- aujourd’hui : depuis 49 ans le politique s’est paralysé de nouveau.

    Présenté comme cela, malheureusement, la situation est moins anormale qu’elle ne semble avec votre présentation.
    Et quand le politique organise son impuissance, il y a des gilets jaunes. En 1830, en 1848, en 1870, en 2018. Mais aucune de ces 4 fois ils n’ont réussi à changer vraiment les choses. Pourtant, en 1830 comme en 1848, ils on réussi à faire tomber le régime. Mais ça ne suffit pas…

    Réjouissons nous tout de même : la répression de 2019 est quand même plus soft que celle de 1871 !!!

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [« Le siècle qui va de 1870 à 1970 peut être qualifié à juste titre de siècle politique. (…) les choix politiques pouvaient effectivement changer radicalement la réalité. » Vous m’accorderez qu’il y a eu une exception entre 1940 et 1944, certes dans des circonstances particulières. De même entre 1914 et 1918, l’union sacrée a un peu modifié cette donne. Ceci n’invalide naturellement pas votre résumé.]

      Je ne vous l’accorde certainement pas. Je pense que vous confondez « élections » et « politique ». Entre 1940 et 1944 il n’y a pas eu d’élections, mais on a continué à faire de la politique. Et chacun a cru – à juste titre – que ses choix pouvaient changer le monde. C’est incontestable chez le gaullistes ou les communistes, mais c’était aussi vrai pour beaucoup de pétainistes : il y avait ceux qui « préparaient la revanche », ceux qui croyaient sincèrement à une « révolution nationale » qui allait redresser la France… sans compter avec les collaborationnistes sincères qui pensaient – déjà – la construction européenne sous la férule d’un couple franco-allemand.

      [Mais si on remonte un peu plus loin en arrière : On ne parlera pas de l’ancien régime, puisque naturellement il n’y avait pas de possibilité pour les citoyens d’influer. Sous le 1er empire, non plus, et sous la restauration, pas beaucoup mieux.]

      Ce n’est pas tout à fait vrai. On faisant de la politique sous l’ancien régime, sous le premier empire ou sous la restauration. Bien sûr, les formes étaient différentes. On n’élisait pas le roi ou ses ministres. Mais on faisait de la politique dans les guildes professionnelles, dans les Parlements, on adressait au roi et à ses ministres des pétitions et des « remontrances »… C’est une erreur de croire que le peuple n’a commencé à faire de la politique qu’avec le suffrage. Si j’ai parlé d’un « siècle politique » pour qualifier la période 1870-1970, c’est parce que c’est la période pendant laquelle la participation politique a été la plus universelle. Alors qu’avant la participation du petit peuple était marginale et ne se manifestait vraiment que dans les « grandes colères », jacqueries ou barricades, après 1870 cette participation se normalise. Avoir un parti politique qui porte vos intérêts cesse d’être le privilège des classes possédantes ou instruites avec l’apparition des partis ouvriers. Au fond, si on regarde bien, l’âge d’or du politique correspond au développement de la représentation des couches populaires, et la décadence de l’un correspond à l’étiolement de l’autre…

      [Et quand le politique organise son impuissance, il y a des gilets jaunes. En 1830, en 1848, en 1870, en 2018. Mais aucune de ces 4 fois ils n’ont réussi à changer vraiment les choses. Pourtant, en 1830 comme en 1848, ils on réussi à faire tomber le régime. Mais ça ne suffit pas…]

      Je pense que votre interprétation est erronée. Les barricades de 1830, 1848, 1870 ou 2018 sont le résultat moins de la paralysie d’un gouvernement que de l’absence de représentation des couches populaires, qui dans une situation n’ont plus que l’instrument de la violence pour se faire entendre. Vous noterez qu’en 1958 le régime était paralysé… et pourtant il n’y a pas eu de « gilets jaunes ». Parce qu’à l’époque il y avait un Parti communiste puissant qui assurait une représentation aux intérêts ouvriers.

      [Réjouissons nous tout de même : la répression de 2019 est quand même plus soft que celle de 1871 !!!]

      Le prix de la vie humaine n’est plus le même…

  16. cdg dit :

    “les exemples de l’Allemagne nazie ou de la Russie soviétique ont montré que les choix politiques pouvaient effectivement changer radicalement la réalité”
    En effet ils ont changé la realité, mit le monde a feu et a sang et fait des dizaines de millions de morts (dont certains avait juste le tort d etre dans la mauvaise case comme les koulaks ou les juifs) …
    Et le pire c est qu ils n ont meme pas ameliore le sort de ceux qu ils pensaient privilegier (etre allemand en 40-45 etait pas un cadeau. Pour les russes, c est plus difficiel a juger, mais il n est pas evident que la population n ait pas ete gagnante si la revolution d octobre ait ete un fiasco et que la russie soit devenue une democratie comme la france)

    Ces repoussoirs totalitaires justement justifient le liberalisme actuel ou l etat n est plus en mesure de dicter sa loi et d opprimer ceux qui ne rentrent pas dans les bonnes cases (les proletaires pour les uns, les aryens pour les autres)

    Quant a “la politique du chien crevé au fil de l’eau”, je pense que vous vous trompez. Il y a une ideologie coherente derriere, Macron ne subit pas un diktat de Bruxelles ou d ailleurs: le liberalisme suppose que l etat s occupe d un minimum de chose et laisse les gens decider par eux meme de ce qu ils veulent. Et que c est l interet bien compris des gens qui les poussent a faire le bien (d apres A Smith si un boulanger fait du bon pain, c est pas pour me faire plaisir mais pour que ces clients n aillent pas ailleurs)

    Evidement comme toute theorie, il y a des ratés: le capitalisme de connivence (pour rester en France, pensez aux promoteurs immobiliers qui pleurent pour avoir des dispositifs de défiscalisation de type Scellier, Pinel ). Les “too big to fail” qui a permi aux banques de se faire renflouer par les etats en 2008.

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [« les exemples de l’Allemagne nazie ou de la Russie soviétique ont montré que les choix politiques pouvaient effectivement changer radicalement la réalité » En effet ils ont changé la realité, mit le monde a feu et a sang (…)]

      Je ne me souviens pas que la Russie soviétique ait « mis le monde à feu et à sang ». Pourriez-vous donner quelques exemples précis ?

      [(…) et fait des dizaines de millions de morts (dont certains avait juste le tort d’être dans la mauvaise case comme les koulaks ou les juifs) …]

      Je me méfie toujours des récits qui examinent l’histoire en termes nécro-comptables. Si l’on va par-là, les « choix politiques » des régimes démocratiques/capitalistes européens ou américains ont fait là aussi des millions de morts : pensez à tous ces mineurs mort de la silicose, à tous ces travailleurs à la chaîne morts de maladies professionnelles, sans compter bien entendu les aventures coloniales ou les guerres de conquête…

      [Et le pire c’est qu’ils n’ont même pas amélioré le sort de ceux qu’ils pensaient privilégier (être allemand en 40-45 était pas un cadeau. Pour les russes, c’est plus difficile a juger, mais il n’est pas évident que la population n’ait pas été gagnante si la révolution d’octobre avait été un fiasco et que la Russie soit devenue une démocratie comme la France)]

      Il est très difficile d’établir ce type de bilans. Bien sûr, si la révolution d’octobre avait échoué et que comme conséquence la Russie était devenue une démocratie « comme la France » (ou pourquoi pas comme les Etats-Unis, c’est encore mieux du point de vue économique), la question serait pertinente. Mais si on regarde dans le temps long, la révolution d’octobre a effectivement échoué (bien des années plus tard, mais échoué quand même), et la Russie n’a pas l’air de vouloir devenir une « démocratie comme la France ». La Russie a son histoire institutionnelle, politique et économique. Imaginer que seule la révolution d’octobre a empêché la Russie de devenir une autre France ou une autre Allemagne, c’est ignorer l’histoire.

      Sans entrer dans un bilan, on ne peut nier le fait que le régime issu de la révolution d’octobre a transformé un pays institutionnellement, socialement, politiquement et économiquement arriéré en une puissance industrielle et scientifique. Si le stalinisme et ses héritiers ont échoué à offrir à leur peuple un niveau de vie équivalent à celui de l’occident développé qui semble être votre pied de comparaison, il leur a donné tout de même un niveau de vie très largement supérieur à celui des pays qui en 1917 étaient à peu près au même niveau que la Russie. Ce n’est pas là une petite réussite.

      Il ne faudrait non plus oublier que la révolution d’octobre a eu un effet au-delà des frontières, lorsqu’il s’est agi d’améliorer le niveau de vie des ouvriers dans le reste du monde. Pensez-vous que les conquêtes ouvrières des années 1930 et de l’après-guerre ne doivent rien à la peur que la révolution d’octobre et l’existence d’un « paradis socialiste » avec qui se comparer avaient instillé dans la bourgeoisie ?

      [Ces repoussoirs totalitaires justement justifient le libéralisme actuel ou l’état n’est plus en mesure de dicter sa loi et d’opprimer ceux qui ne rentrent pas dans les bonnes cases (les prolétaires pour les uns, les aryens pour les autres)]

      Je n’ai jamais bien compris ce raisonnement. En quoi est-on plus heureux lorsqu’on est « opprimé », qu’on se fait « dicter sa loi » par le marché plutôt que par l’Etat ? Dans notre beau pays, des gens sont quotidiennement licenciés parce qu’ils « ne rentre pas dans les bonnes cases » et croupissent au chômage pendant des années sans la moindre intervention de l’Etat. En quoi seraient-ils plus malheureux si leur chômage était le résultat d’une décision autoritaire ?

      [Quant à “la politique du chien crevé au fil de l’eau”, je pense que vous vous trompez. Il y a une idéologie cohérente derrière. Macron ne subit pas un diktat de Bruxelles ou d’ailleurs: le libéralisme suppose que l’état s’occupe d’un minimum de choses et laisse les gens décider par eux mêmes de ce qu’ils veulent.]

      Oui, mais Macron – comme d’ailleurs la grande majorité des dirigeants français – n’est pas un vrai libéral. C’est le grand paradoxe chez nous : même les dirigeants qui se disent « libéraux » en pratique ne font pas confiance au marché. Nos dirigeants politiques proclament leur confiance dans les forces du marché, mais chaque fois qu’une entreprise bat de l’aile et risque de laisser des chômeurs sur le carreau, ils se rendent sur place pour ils affirment haut et fort que « l’Etat fera – ou doit faire, s’ils sont dans l’opposition – tout ce qu’il faut pour sauver l’activité ». Thatcher, elle, laissait crever les « canards boiteux » en expliquant qu’il fallait laisser mourir les activités non rentables, et qu’il fallait faire confiance au marché pour créer à leur place des activités rentables qui donneraient du travail aux chômeurs. Très rares sont les dirigeants français qui se risqueraient à tenir ce discours – à part Madelin et ses amis, je ne vois pas grand monde – et pas seulement par opportunisme. L’interventionnisme public est très profondément implanté dans la psyché politique française, même chez ceux qui se disent « libéraux ».

      C’est pourquoi je parle de « politique du chien crevé au fil de l’eau ». Nos politiques laissent faire les libéraux de Bruxelles, mais n’assument pas formellement les politiques qu’ils mettent en œuvre. Oui, il est vrai, Macron est plus proche d’une telle admission que n’importe lequel de ses prédécesseurs depuis Giscard. Mais il n’y est pas tout à fait.

      [Et que c’est l’intérêt bien compris des gens qui les poussent à faire le bien (d’après A Smith si un boulanger fait du bon pain, ce n’est pas pour me faire plaisir mais pour que ces clients n’aillent pas ailleurs)]

      Ce qui suppose qu’ils aient un « ailleurs » où aller. Et c’est pourquoi la théorie de Smith, qui marche si bien pour ce qui concerne la boulangerie, ne marche pas vraiment lorsqu’il s’agit de produire de l’électricité. Personnellement, je suis un pragmatique. Le marché est un mécanisme de régulation parmi d’autres. Il y a des domaines où il fonctionne bien, et d’autres où il aboutit à des désastres. La question est donc d’utiliser dans chaque domaine le mécanisme approprié. Et je trouve aussi absurde de rejeter le marché par principe comme le fait la « gauche radicale » que d’en faire l’alpha et l’oméga de toute régulation comme le font les libéraux.

      • cdg dit :

        Pour a feu et a sang, je pensais en effet plus aux nazis qu a l URSS. Mais celle ci n etait quand meme pas toute blanche. Elle a mene une guerre en 1922 en pologne, puis s est allie a Hitler pour envahir la pologne et les pays baltes. Elle a aussi attaque en 1939 la finlande (le cocktail molotov vient de la).

        Apres 1945 ca c est en effet calmé (meme si par ex les nord coreen ont eut le feu vert de Staline pour l attaque du sud) mais c est aussi qu un affrontement risquait de degenerer en guerre nucleaire

        ” il leur a donné tout de même un niveau de vie très largement supérieur à celui des pays qui en 1917 étaient à peu près au même niveau que la Russie”
        Quel pays par exemple ?
        La russie etait certes arrieree il y a 100 ans mais elle etait en voie de rattrapage (en partie avec l argent des francais, les fameux emprunts russes)
        Si on prend des pays europeens arrieres en 1900 comme l irlande, le portugal ou l espagne, ils ont aujourd hui un niveau de vie nettement superieur aux russes

        Il est evidement difficile de savoir ce qu aurait pu faire une russie capitaliste en 100 ans.
        cependant avec la RDA/RFA on peut quand meme voir l effet du communisme.
        Avant 1945 c etait le meme pays, avec la meme culture, le meme peuple et partant grosso modo du meme etat (tout rasé)
        En 1990 il n y a pas photo entre le sort d un allemand de l est et de l ouest sur le plan materiel (de facon interessante, on notera que la RDA etait le pays le plus riche du bloc de l est alors qu ils sont parti du plus bas).

        “des régimes démocratiques/capitalistes européens ou américains ont fait là aussi des millions de morts : pensez à tous ces mineurs mort de la silicose, à tous ces travailleurs à la chaîne morts de maladies professionnelles”
        On peut mettre au debit des regime democratique par ex les victimes du Mc Cartisme mais si vous ajoutez les victimes de maladies pro, vous devez les ajouter aussi a l est. A ma connaissance les condition de travail n etaient pas tres reluisante et souvent pire qu a l ouest (stakannovisme, risque d etre considere comme saboteur/dissident en cas de plainte).

        “En quoi est-on plus heureux lorsqu’on est « opprimé », qu’on se fait « dicter sa loi » par le marché plutôt que par l’Etat”
        disons que le marche peut vous licencier mais n a pas les moyens coercitif de l etat. GE par ex peut mettre ses employes a la porte mais ne peux les mettre en prison ou envoyer les meneurs en siberie
        De facon plus generale, le marche n est pas une personne qui decide. Par ex si Ford decide de ne plus faire de voiture, il se peut qu un autre pense que c est une mauvaise decision et reprenne l activite (partiellement ou sous une autre forme). Si un etat detype totalitaire decide quelque chose, s y opposer signifie chercher de gros ennui.
        Evidement si la decision est bonne vous avez un gain de temps, par contre si c est une erreur personne n osera rien dire (et on tentera de masquer l echec final. un bel exemple est le grand bond en avant de Mao)

        Pour le reste je suis d accord avec vous Macron et co ne sont pas des liberaux (faire l ena quand vous etes liberal est quand meme un contre sens vu que l ena est justement ce que vous devez considerer comme uen heresie).
        Et je pense aussi que le marche n est pas la solution a tout. Les entreprises privees ont d ailleurs tendance a vouloir se constituer en monopoles afin d eliminer la concurrence et pouvoir augmenter leurs marges

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Pour a feu et a sang, je pensais en effet plus aux nazis qu’a l’URSS. Mais celle-ci n était quand même pas toute blanche. Elle a mène une guerre en 1922 en Pologne, puis s’est alliée à Hitler pour envahir la Pologne et les Pays baltes. Elle a aussi attaque en 1939 la Finlande (le cocktail Molotov vient de la).]

          Là, vous faites preuve de mauvaise foi. Ce n’est pas l’URSS qui « mène une guerre en Pologne », c’est la Pologne de Pilsudski qui après 1918 profite de la faiblesse de la jeune république des soviets pour réaliser son rêve de « grande Pologne » en occupant des territoires biélorusses, ukrainiens et lituaniens. Les troupes polonaises occupent Vilnius, Minsk et Kiev, villes qu’on ne peut pas considérer comme « polonaises ». A la paix de Riga, la Pologne obtiendra d’ailleurs une bonne partie de la Lituanie y compris sa capitale, et un certain nombre de territoires biélorusses et ukrainiens. Ce sont ces territoires que l’URSS récupérera en 1939 en vertu du protocole secret du pacte de non-agression (car il n’y a pas eu « alliance » avec l’Allemagne, contrairement à ce que pas mal de gens essayent de faire croire).

          Quant à la Finlande, l’objectif de la guerre était de récupérer un petit territoire et des bases militaires autour du golfe de Finlande, considérés comme indispensables pour la défense de Leningrad. Vous noterez qu’alors même que la Finlande a été vaincue, elle n’a été ni occupée ni dépecée, et l’URSS s’est contentée de sa demande originale. L’histoire a d’ailleurs donné raison à Staline : sans cette préparation, Leningrad n’aurait pas pu être défendue.

          [Apres 1945 ca c’est en effet calmé (même si par ex les nord-coréens ont eu le feu vert de Staline pour l’attaque du sud) mais c’est aussi qu’un affrontement risquait de dégénérer en guerre nucléaire.]

          Pourtant, le risque de guerre nucléaire ne semble pas avoir dissuadé les Américains, dont les armées sont intervenues sans pause un peu partout dans le monde. Si quelqu’un a mis après 1945 le monde « à feu et à sang », ce serait plutôt eux, non ?

          [”il leur a donné tout de même un niveau de vie très largement supérieur à celui des pays qui en 1917 étaient à peu près au même niveau que la Russie” Quel pays par exemple ?]

          Vous pouvez comparer la Turquie orientale ou la Mongolie à l’Asie centrale soviétique, par exemple.

          [La Russie était certes arriérée il y a 100 ans mais elle était en voie de rattrapage (en partie avec l’argent des français, les fameux emprunts russes) Si on prend des pays européens arriérés en 1900 comme l’Irlande, le Portugal ou l’Espagne, ils ont aujourd’hui un niveau de vie nettement supérieur aux russes]

          Juger de l’œuvre de la révolution de 1917 en comparant les niveaux de vie de la Russie d’aujourd’hui c’est un peu comme juger l’œuvre du nazisme en comparant la situation économique de l’Allemagne en 2019. Le niveau de vie des soviétiques est resté sur beaucoup de points supérieur à celui de l’Irlande, du Portugal ou de l’Espagne jusqu’aux années 1980… et sur certains points, il était même supérieur au niveau français.

          [Il est évidement difficile de savoir ce qu’aurait pu faire une Russie capitaliste en 100 ans. Cependant avec la RDA/RFA on peut quand même voir l’effet du communisme.]

          Même là, la comparaison est osée. D’abord parce que l’Allemagne de l’Est a été constituée à partir des régions les plus pauvres de l’Allemagne. Ensuite, parce qu’en 1945 l’économie de l’Allemagne était presque totalement détruite, et qu’elle a été reconstruite à l’Ouest avec une injection massive d’argent et des moyens américains, alors que de l’autre côté les Allemands de l’Est ont dû reconstruire leur pays sans aucune aide extérieure.

          [« En quoi est-on plus heureux lorsqu’on est « opprimé », qu’on se fait « dicter sa loi » par le marché plutôt que par l’Etat » disons que le marché peut vous licencier mais n’a pas les moyens coercitifs de l’état. GE par ex peut mettre ses employés a la porte mais ne peux les mettre en prison ou envoyer les meneurs en Sibérie]

          On ne parle pas de GE, mais du « marché ». Et le marché peut bien plus que vous ne le croyez : il peut vous priver d’attention médicale, d’éducation, d’eau, de nourriture… et contrairement à l’Etat, étant un simple mécanisme dépourvu de volonté, il n’a de comptes à rendre à personne. Vous pouvez demander à un juge de réexaminer une décision de l’Etat, vous n’avez aucun recours contre les effets du marché.

          [De façon plus générale, le marché n’est pas une personne qui décide.]

          Non, c’est un mécanisme qui impose ses conséquences. Mais l’effet est le même : que la clinique ferme parce que l’état le décide, ou qu’elle ferme parce qu’elle n’est plus rentable, l’effet sur les usagers est exactement le même. La différence, est que la décision de l’Etat est appelable devant un juge, et la décision du marché (en fait, la décision du propriétaire de la clinique poussé par le marché) est inappelable.

          • cdg dit :

            Vous avez raison pour la pologne en 1922 (j aurai du verifier) mais vous passez un peu vite sur les consequences du pacte Ribbentropp/Molotov. Meme si on admet une forme de revanche sur la pologne, envahir les 3 pays baltes peut difficilement passer pour un acte pacifique.
            La protection de Leningrad est aussi un argument specieux: les suisses pourraient nous attaqur pour proteger geneve (qui fait un saillant en France) 😉

            “car il n’y a pas eu « alliance » avec l’Allemagne, contrairement à ce que pas mal de gens essayent de faire croire”
            La pas du tout d accord !
            L URSS a non seulement donné les mains libre a Hitler pour une guerre a l ouest mais elle lui a aussi fourni les matieres premieres indispensable (cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Pacte_germano-soviétique) et la gestapo a collabore avec le NKVD (https://en.wikipedia.org/wiki/Gestapo–NKVD_conferences). Ironie de l histoire, le gros des matieres premieres livrees par l URSS aux nazi seront utilisé par les allemands contre les russes.

            “le risque de guerre nucléaire ne semble pas avoir dissuadé les Américains”
            Les turpitudes des uns ne peuvent justifier les autres. De plus, les USA (comme l URSS) ont toujours fait attention a ne pas verser dans la confrontation frontale (cf cuba ou Berlin). Les confrontations etaient toujours via un intermediaire (comme en afghanistan ou Vietnam : pas de troupes US aux cotes des afghans rebelles ni russes avec le Vietcong)

            “D’abord parce que l’Allemagne de l’Est a été constituée à partir des régions les plus pauvres de l’Allemagne. Ensuite, parce qu’en 1945 l’économie de l’Allemagne était presque totalement détruite, et qu’elle a été reconstruite à l’Ouest avec une injection massive d’argent et des moyens américains, alors que de l’autre côté les Allemands de l’Est ont dû reconstruire leur pays sans aucune aide extérieure”
            Dresde etait connu comme la venise allemande et l une des region les plus pauvre avant guerre etait la baviere (tres agricole, elle fut subventionnée par le contribuable de RFA jusqu aux annees 60).
            Je suis pas sur que la Saxe ou la prusse etaient plus pauvre que la baviere avant 45
            En tout cas, la Baviere est maintenant la partie la plus opulente du pays

            A l origine le plan Marshall etait a destination de toute l europe et pas uniquement de l ouest (la tchecoslovaquie avait tentee d accepter).
            C est sous pression de Staline que les pays dominés par l URSS ont décliné l offre. On ne peut donc pas accepter l absence de plan marshall comme excuse pour le retard des pays communistes, vu qu ils l ont refusé volontairement

            “Vous pouvez demander à un juge de réexaminer une décision de l’Etat, vous n’avez aucun recours contre les effets du marché”
            C est assez logique car vous jouez pas dans la meme dimension
            Si vous avez l etat, vous avez une loi et vous pouvez faire appel a un juge (bon la on suppose evidement qu il y ait separation des pouvoirs. sinon le juge ne fera qu obeir aux directives de l etat et vous n aurez aucun recours. Faire un proces contre l Etat en chine par ex a 100 % de chance d aller a l echec)
            Dans le cas du marché qui est en effet un simple mecanisme, vous ne pouvez pas vous plaindre a qui que ce soit puisqu il n y a pas de centre qui dirige et qui peut infirmer l ordre
            Cen est pas portant que vous avez aucun recours. Par ex si personne n achete plus votre production (disons de machine a ecrire) vous pouvez vous reconvertir et fabriquer autre chose (disons des ordinateurs (IBM fabriquait a l origine des machine a ecrire)). C est le rpincipe de la destruction creatrice

            S il y a une demande le marche va permettre de la satisfaire (c est pas toujours noble. par ex il y a une demande pour de la drogue et le marché fait qu il y a des dealers)

            “la clinique ferme parce que l’état le décide, ou qu’elle ferme parce qu’elle n’est plus rentable, l’effet sur les usagers est exactement le même. La différence, est que la décision de l’Etat est appelable devant un juge, et la décision du marché (en fait, la décision du propriétaire de la clinique poussé par le marché) est inappelable.”
            La santé est pas forcement un bon exemple d application du marché (par ex il y a une asymetrie entre l offreur de soin (qui peu attendre) et le patient (qui lui souffre et va donc pas discuter le prix ou la prestation)
            Mais dans une optique purement liberale (je ne soutiens pas la sante comme une chose ou le marche doit s applique mais pour la discussion faisons comme si) la solution serait que la clinique ne ferme pas car les patients (ou les habitants) soient pret a payer plus. Un peu comme vous payez plus pour votre poulet car il a ete eleve en france et pas au bresil

            De toute facon, la gestion par l etat n est pas non plus parfaite : L hopital sera fermé par l etat pas forcement pour des consideration sanitaire/finanicere mais electoralistes (on va epargner la ville du depute maire bien en cour mais comme il faut bien faire des economies a quelque part on va fermer a un autre endroit
            Et si on considere qu on ne doit pas fermer pour faire des economies, il faut accepter d en payer le prix : des impots plus elevés. Et ne pas croire que ca ne concerne que les impots du voisin : deja avec l arrivee de la generation du baby boom au papy boom, les depenses medicales vont exploser

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [mais vous passez un peu vite sur les consequences du pacte Ribbentropp/Molotov. Meme si on admet une forme de revanche sur la pologne, envahir les 3 pays baltes peut difficilement passer pour un acte pacifique.]

              Vous noterez que les trois pays baltes faisaient partie de l’Empire russe, et qu’ils y ont été détachés a l’instigation des grandes puissances et de la Pologne. « L’envahissement » des 3 pays baltes me semble analogue à « l’envahissement » de l’Alsace-Moselle par la France à la fin de la 1ère guerre mondiale.

              [La protection de Leningrad est aussi un argument spécieux: les suisses pourraient nous attaquer pour protéger Genève (qui fait un saillant en France)]

              Certes. Mais un attaque de la France contre Genève, l’histoire l’a montré, est très improbable. Alors que l’expérience a montré que Staline avait raison de penser que Leningrad pouvait être assiégée…

              [« car il n’y a pas eu « alliance » avec l’Allemagne, contrairement à ce que pas mal de gens essayent de faire croire » La pas du tout d’accord ! L’URSS a non seulement donné les mains libre à Hitler pour une guerre a l’ouest mais elle lui a aussi fourni les matieres premieres indispensable]

              Possible. Mais un traité de commerce ne fait pas une « alliance ». Dans le langage des relations internationales, une « alliance » suppose une action militaire commune. L’accord Molotov-Ribbentrop ne prévoyait aucune action de cette sorte.

              [“le risque de guerre nucléaire ne semble pas avoir dissuadé les Américains” Les turpitudes des uns ne peuvent justifier les autres.]

              La question n’est pas de « justifier » quoi que ce soit. Vous affirmiez que si les soviétiques ont « calmé » leurs ardeurs conquérantes, c’est parce qu’il existait le risque de confrontation nucléaire. L’exemple américain montre qu’un tel « risque » n’est pas suffisant pour dissuader ce type d’ardeurs…

              [Dresde etait connu comme la Venise allemande et l’une des régions les plus pauvre avant-guerre était la Bavière (tres agricole, elle fut subventionnée par le contribuable de RFA jusqu’aux années 60).]

              La Bavière était une région agricole. Mais « agricole » et « pauvre » ne sont pas synonymes, et la Bavière était une région relativement riche comparée aux plaines sablonneuses de l’Est. Quant à Dresde, j’ignore comment elle était connue avant la guerre, mais en 1945 c’était un amas de ruines.

              [A l’origine le plan Marshall était à destination de toute l’Europe et pas uniquement de l’ouest (la Tchécoslovaquie avait tentée d’accepter).]

              Tout à fait. Il fallait simplement accepter la mainmise américaine sur l’économie. Une broutille, quand on y pense…

              [“Vous pouvez demander à un juge de réexaminer une décision de l’Etat, vous n’avez aucun recours contre les effets du marché” C’est assez logique car vous ne jouez pas dans la même dimension.]

              C’est peut-être logique, mais c’est un fait. Je préfère personnellement être soumis à une décision humaine qui peut être sensible à un discours de justice que d’être soumis à un mécanisme aveugle.

              [Ce est pas portant que vous avez aucun recours. Par ex si personne n’achète plus votre production (disons de machine a écrire) vous pouvez vous reconvertir et fabriquer autre chose (disons des ordinateurs (IBM fabriquait a l’origine des machines à écrire)).]

              Je crains que les ouvriers d’Alstom ou ceux de Ford Blanquefort n’aient pas vraiment le choix de « fabriquer autre chose ». Leur seule option, c’est d’aller pointer à Pôle Emploi.

              [Mais dans une optique purement libérale (je ne soutiens pas la sante comme une chose ou le marché doit s’appliquer mais pour la discussion faisons comme si) la solution serait que la clinique ne ferme pas car les patients (ou les habitants) soient prêts à payer plus.]

              Mais que se passet-il si les habitants ne peuvent pas payer plus ?

              [Et si on considère qu’on ne doit pas fermer pour faire des économies, il faut accepter d’en payer le prix : des impôts plus élevés.]

              Sauf que celui qui paye l’impôt et celui qui est soigné ne sont pas forcément les mêmes : on peut faire payer les riches pour soigner les pauvres, par exemple… mais ça ne marche que si c’est l’Etat qui s’en occupe.

            • cdg dit :

              “« L’envahissement » des 3 pays baltes me semble analogue à « l’envahissement » de l’Alsace-Moselle par la France à la fin de la 1ère guerre mondiale”
              Comparaison assez audacieuse. A ma connaissance les alsaciens voulaient redevenir francais et il y avait en 1918 pas de mouvement independantiste. Ce qui etait pas le cas des pays baltes.
              De toute facon si tout pays qui a fait parti d un empire (ici tsariste) devrait ne jamais le quitter, on devrait recreer l autriche-hongrie voire le saint empire romain germanique ….

              une « alliance » suppose une action militaire commune
              L attaque sur la pologne n est pas une action militaire commune ?
              Il y a forcement eut coordination afin d eviter que les confrontations “accidentelles” entre troupes russes et allemandes
              Et sur le plan moral, que dire de la collaboration NKVD-Gestapo que j evoquai ?

              Quant a la distinction commerciale/militaire elle est assez hypocrite, croyez vous que les russes ignoraient ce que les allemands allaient faire avec leur essence ou minerais ?
              Il est vrfai qu a l epoque Staline pensait que les obus fabriques avec les ressources sovietiques allaient pleuvoir a l ouest. Pas de chance, l effondrement de la france a fait qu une bonne partie a servi contre lui

              Si vous fournissez du materiel, des informations ou des matieres premieres voire simplement la possibilite de concertrer toute votre armee sur un autre front vous ne pouvez pas vous laver les mains et dire “c est pas moi”
              Ca s applique aussi bien a l URSS en 1939 qu a la France au yemen aujourd hui (on fourni du materiel aux saoudiens. je ne dis pas qu il ne faut pas le faire, mais dire qu on vend des armes et quelles ne doivent pas servir est le comble du ridicule)

              “La Bavière était une région agricole. Mais « agricole » et « pauvre » ne sont pas synonymes”
              Un peu quand meme. La richesse est rarement liee a la production agricole (a part certains produits tres specifique comme le champagne)
              Dans le cas de la baviere, c etait agricole ET pauvre vu qu ils recevaient les subsides des autres land (ils etaient donc plus pauvres que les autres)

              “plan marshall” : Il fallait simplement accepter la mainmise américaine sur l’économie
              Que les USA aient eu des arrieres pensee c est sur. de la a dire que c etait une main mise sur l economie locale c est tres exagere
              Vous pensez que la france la hollande ou la RFA ont une economie dirigee par les USA ?

              “Je crains que les ouvriers d’Alstom ou ceux de Ford Blanquefort n’aient pas vraiment le choix de « fabriquer autre chose ». Leur seule option, c’est d’aller pointer à Pôle Emploi.”
              C est le principe de la destruction creatrice. Les gens qui fabriquaient des boites de vitesse pour Ford sont maintenant dispo pour faire autre chose
              Par ex ils pourraient fabriquer des pieces pour Airbus, travailler dans un garage ou demenager et aller travailler pour PSA
              Le probleme est que l economie francaise est en declin et donc si vous perdez votre travail vous avez du mal a en retrouver un autre
              Mais la question n est elle pas plutot de faire qu il y aient de nouvelles activites qui emergent plutot que de maintenir coute que coute des activites en bout de course (dans le cas des boites de vitesses elles risques d etre condamnnes par la voiture electrique) ?
              De toute facon peut on vraiment bloquer/geler le marche ?
              Supposons que dans les annees 80 l etat francais ait decide de sauver l industrie textile du nord de la france (de type Boussac). Je prend un exemple assez lointain car on a assez de recul
              Les employes des filatures auraient certes gardé leur emploi (mais aurait on du aussi autoriser des gens a se faire embaucher dans une activite condamnee ?)
              Mais il aurait forcement fallu que certains paient: on aurait du payer nos vetement nettement plus cher et cet argent n aurait pas ete depense ailleurs (par ex moisn d achat de voiture ou d ordinateurs)
              Pire l ecart de cout entre la production francaise et la production etrangere a augmente (maintenant on aurait comme concurrent le bengladesh ou les gens travaillent 6 jours sur 7 pour 100 €/mois) on aurait donc vu de la contrebande ou du tourisme textile (des francais iraient a l etranger et reviendraient avec les valises pleines d habits)
              Je suis persuade que la situation serait devenu intenable et qu a un moment l etat aurait du abandonner le secteur (mais il aura englouti une fortune qui aurait ete mieux utilisee ailleurs. par ex en investissant dans la R&D ou en formant les gens)

              Je ne suis pas naif, la destruction creatrice ne fait pas que des gagnants. Elle peut detruire ici et recreer la bas (une employee textile de valencienne perd son travail et l argent economise sur les vetements est depense dans un smartphone -> le gagnant est un employe d apple aux USA)

              Je pense que se barricader derriere des frontieres, des reglements … est une erreur qui se paie tot ou tard
              Regardez ce qui c est passe avec la chine au XIX sciecle
              La chine etait un pays assez avancé (ils ont invente par ex la poudre, le papier ou l imprimerie)
              Mais ils etaient suffisant, persuade d etre les meilleurs et se sont isole du reste.
              Le reveil fut difficile et le XIX sciecle fut le sciecle du naufrage chinois
              Je crains qu on est un peu dans la meme situation ajourd hui. Des etrangers frappent a notre porte: on les regarde de haut (les chinois sont juste bon a copier nos produits) mais on commence a subir des defaites (deficit commercial mais aussi deficit techno (la 5G c est Huawei, pas alcatel)

              “Mais que se passet-il si les habitants ne peuvent pas payer plus ?”
              Il y a forcement un ajustement. Par exemple les gens paieraient plus pour leur soins medicaux et depenseraient moins ailleurs (par ex via une baisse du cout des logements) ou des hausses de salaires
              (en suisse par ex les soins medicaux sont tres cher et les salaires nettement plus eleves qu en france)
              Apres il peut aussi y avoir des choix dans le domaine medical. Doit on rembourser l homeopathie ou les cures ?
              Qui doit payer si on maintient en vie artificiellement un legume comme Vincent Lambert (je suis pas sur que sa mere deploirait tant d energie si elle devait payer de sa poche)

              “Sauf que celui qui paye l’impôt et celui qui est soigné ne sont pas forcément les mêmes : on peut faire payer les riches pour soigner les pauvres, par exemple… mais ça ne marche que si c’est l’Etat qui s’en occupe.”
              Le clivage ici est pas tant entre riche et pauvre qu entre jeune et vieux
              Un vieux riche voudra probablement depenser plus pour la santé car il sait qu il en profitera assez vite
              Au contraire un jeune se dira qu il paie beaucoup trop (meme si c est peu en valeur absolue) et preferera par ex que l argent soit investie pour l ecole de ses enfants (ou pour un stade de foot ;-( )
              Et pourquoi ca ne pourrait marcher que si l etat s en occupe ?
              De nombreux pays ont des systeme de santé qui ne sont pas gere par l etat (par ex la Suisse ou la RFA). Meme en france, vous avez une partie non etatique (les mutuelles)
              On pourrait tres bien imaginer un systeme similaire a l assurance auto : l etat vous demande d avoir une assurance de base et vous etes libre de la prendre ou vous voulez

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« « L’envahissement » des 3 pays baltes me semble analogue à « l’envahissement » de l’Alsace-Moselle par la France à la fin de la 1ère guerre mondiale » Comparaison assez audacieuse. A ma connaissance les alsaciens voulaient redevenir français et il y n’y avait pas en 1918 pas de mouvement indépendantiste. Ce qui n’était pas le cas des pays baltes.]

              Vous faites erreur. Il y avait un fort mouvement autonomiste en Alsace, et aussi une partie de l’opinion alsacienne qui ne rejetait pas le rattachement à l’Allemagne. Quoi qu’il en soit, on n’a pas demandé aux Alsaciens leur avis : pour la France, l’Alsace faisait partie de son territoire historique quelque fut l’avis de ses habitants. Vous noterez en tout cas qu’aucun référendum n’a été organisé sur la question – pas plus qu’il n’y eut de référendum dans les pays baltes pour se séparer de l’empire russe : c’est par le traité de Brest-Litovsk que la Russie bolchévique se voit imposer la cession des états baltes à l’Allemagne. C’est la défaite de l’Allemagne et la volonté des puissances occidentales de créer un « cordon sanitaire » autour de la Russie qui permet à ces états de devenir indépendants… sous la férule de régimes dictatoriaux d’ailleurs.

              [De toute façon si tout pays qui a fait partie d’un empire (ici tsariste) devrait ne jamais le quitter, on devrait recréer l’Autriche Hongrie voire le saint empire romain germanique ….]

              Ce raisonnement s’applique aussi à l’Alsace-Lorraine ? Pensez-vous qu’il ne fallait pas la réintégrer en 1918 ?

              [« une « alliance » suppose une action militaire commune » L’attaque sur la Pologne n’est pas une action militaire commune ?]

              Non, pas vraiment. Les armées allemandes et soviétiques n’ont jamais combattu sous une direction unifiée, et leurs buts de guerre n’étaient pas les mêmes. Pour les allemands, il s’agissait de faire disparaître l’état polonais et d’incorporer son territoire au Reich, pour l’URSS de récupérer les territoires perdus après la guerre russo-polonaise de 1920.

              [Il y a forcément eu coordination afin d’éviter que les confrontations “accidentelles” entre troupes russes et allemandes]

              Je ne crois pas. Le protocole secret annexé au pacte de 1939 précisait les nouvelles limites territoriales entre le Reich et l’URSS. Il n’y avait donc rien à « coordonner ».

              [Et sur le plan moral, que dire de la collaboration NKVD-Gestapo que j’évoquai ?]

              Vous savez, si on commence à regarder la « morale », personne ne sort grandi de cette période… Les américains ont vendu à l’Allemagne le matériel mécanographique qui servira au fichage des opposants et à la constitution des fichiers juifs et cela ne les empêche pas de rester les paladins de la liberté…

              Vous oubliez je pense un peu vite que le pacte de non-agression entre l’Union soviétique et l’Allemagne est aussi le résultat des atermoiements des puissances occidentales et notamment la France, qui a saboté le traité franco-soviétique d’assistance mutuelle de 1935. L’Etat-major, obsédé par l’anticommunisme, n’en voulait pas et aucun gouvernement n’a osé aller contre lui pour négocier les protocoles nécessaires à la mise en œuvre du traité. Lorsque le gouvernement français essaye de le réactiver en 1939, il est trop tard. Crémieux-Brilhac dans son magistral ouvrage sur la défaite de 1940 montre bien comment les soviétiques ont négocié avec la France jusqu’à la dernière minute, alors même que l’affaire de Munich avait montré que les puissances occidentales étaient prêtes à tout céder à Hitler pour l’envoyer vers l’Est (à ce propos, c’est Churchill qui écrit dans ses mémoires : « l’offre des Soviétiques fut ignorée dans les faits. Ils ne furent pas consultés face à la menace hitlérienne et furent traités avec une indifférence, pour ne pas dire un dédain, qui marqua l’esprit de Staline. Les événements se déroulèrent comme si la Russie soviétique n’existait pas. Nous avons après-coup terriblement payé pour cela »). Les soviétiques ne se sont résignés à la signature du pacte avec l’Allemagne que devant l’obstruction anglo-française à toutes ses tentatives d’action collective.

              [Quant a la distinction commerciale/militaire elle est assez hypocrite, croyez-vous que les russes ignoraient ce que les allemands allaient faire avec leur essence ou minerais ?]

              Croyez-vous que les américains ignoraient ce que les Allemands allaient faire des machines IBM qu’ils ont vendu à l’Allemagne ?

              [Si vous fournissez du matériel, des informations ou des matières premières voire simplement la possibilité de concerter toute votre armée sur un autre front vous ne pouvez pas vous laver les mains et dire “c’est pas moi”]

              C’est exactement ce que les puissances occidentales ont essayé de faire en 1938, en essayant d’envoyer Hitler vers l’Est. Staline a tiré plus vite… c’est cela que beaucoup de gens n’arrivent pas à avaler : on a essayé de l’avoir, et il nous a eus…

              [« “plan Marshall” : Il fallait simplement accepter la mainmise américaine sur l’économie » Que les USA aient eu des arrières pensée c’est sûr. De la a dire que c’était une main mise sur l’économie locale c’est très exagéré.]

              Pourquoi parlez-vous « d’arrière-pensées » ? Les pensées en question étaient au contraire mises clairement en avant : le fait que le Plan Marshall s’inscrivait dans la politique du « containment » n’a jamais été occultée. Et oui, le Plan Marshall impliquait une mise sous tutelle des économies européennes, puisque l’argent prêté (j’insiste, c’était un prêt et non un don) ne pouvait servir qu’à acheter des produits américains, empêchant ainsi la reconstruction des industries locales. La dette constituée par ces prêts servira plus tard comme instrument de pression fort commode pour obtenir des politiques conformes à la volonté américaine…

              [Vous pensez que la France, la Hollande ou la RFA ont une économie dirigée par les USA ?]

              Après la guerre ? Pour la Hollande et la RFA oui, sans hésiter. Pour la France c’est le poids du PCF qui a empêché une mise sous tutelle complète : les américains ont fini par comprendre que dans un pays ou les communistes concentraient un électeur sur quatre une mainmise trop évidente aurait des effets contre-productifs (souvenez-vous du projet d’instaurer l’AMGOT…).

              [« Je crains que les ouvriers d’Alstom ou ceux de Ford Blanquefort n’aient pas vraiment le choix de « fabriquer autre chose ». Leur seule option, c’est d’aller pointer à Pôle Emploi. » C’est le principe de la destruction créatrice. Les gens qui fabriquaient des boites de vitesse pour Ford sont maintenant dispo pour faire autre chose.]

              Par exemple, pour pointer à Pôle Emploi. Schumpeter a décrit le principe de « destruction créatrice », mais même un libéral comme lui n’a jamais prétendu que toute destruction fut forcément créatrice. L’expérience a largement montré ces trente dernières années que loin d’être « créatrice », la destruction de notre appareil industrielle s’est traduit par l’apparition d’un chômage de masse qui touche bon an mal un actif sur dix. Dans ces conditions, parler de « destruction créatrice » me semble relever d’une ironie de mauvais goût.

              [Par ex ils pourraient fabriquer des pièces pour Airbus, travailler dans un garage ou déménager et aller travailler pour PSA]

              Ah bon ? PSA embauche ?
              Je vois en tout cas que vous partagez la vision de notre président : pour trouver du travail, il suffit de traverser la rue…

              [Le problème est que l’économie française est en déclin et donc si vous perdez votre travail vous avez du mal à en retrouver un autre]

              Effectivement, si chaque fois qu’on perdait son travail on en trouvait immédiatement un autre mieux payé, il n’y aurait aucun problème… malheureusement, de nos jours cela n’arrive que dans le pays des bisounours.

              [Mais la question n’est-elle pas plutôt de faire qu’il y ait de nouvelles activités qui émergent plutôt que de maintenir coute que coute des activités en bout de course (dans le cas des boites de vitesses elles risques d’être condamnées par la voiture électrique) ?]

              Personne qui ait un minimum de culture économique ne vous contredira sur ce point. La difficulté, c’est qu’on voit très mal comment on fait, dans un contexte de libre-échange, pour faire émerger de « nouvelles activités » dont la productivité soit suffisante pour permettre à ceux qui les réalisent d’avoir des salaires décents. Pour le moment, les « nouvelles activités » vous les voyez devant n’importe quel McDonalds, sous la forme d’une dizaine de cyclistes avec des sacs « Deliveroo » sur le dos.

              [De toute façon peut-on vraiment bloquer/geler le marché ?]

              Bien sûr que si. D’autres que nous le font : les Américains, les Brésiliens, les Chinois… même les Allemands !

              [Supposons que dans les années 80 l’Etat français ait décidé de sauver l’industrie textile du nord de la france (de type Boussac). Je prends un exemple assez lointain car on a assez de recul. Les employés des filatures auraient certes gardé leur emploi (mais aurait-on dû aussi autoriser des gens à se faire embaucher dans une activité condamnée ?)]

              Mais pourquoi « condamnée » ? Depuis trente ans, assiste-t-on à une baisse de la demande de textiles dans le monde ? Non, bien sûr que non. Au contraire, on n’a jamais fabriqué autant de textiles dans l’histoire de l’humanité. Comment une activité qui est en hausse pourrait être « condamnée » ? L’activité textile n’est nullement condamnée. Si elle a disparu en France, ce n’est pas parce que les gens consomment moins de textiles, mais parce qu’on peut les produire meilleur marché ailleurs. C’est là ou me semble-t-il votre raisonnement est erroné. La fabrication de carrosses ou de lampes à huile est une activité « condamnée », parce que la demande pour les carrosses et les lampes à huile ne peut que disparaître, étant données les alternatives disponibles. Mais l’industrie textile n’est nullement « condamnée », puisque ses produits n’ont pas de substitut plus avantageux. Demander à l’Etat de sauver les fabriques de lampes à huile est une absurdité : pourquoi utiliser des ressources publiques pour produire quelque chose dont personne n’a besoin ? Demander à l’Etat de sauver les fabriques textiles… ce n’est pas forcément déraisonnable.

              [Mais il aurait forcement fallu que certains paient: on aurait dû payer nos vêtements nettement plus chers et cet argent n’aurait pas été dépensé ailleurs (par ex moins d’achat de voiture ou d’ordinateurs)]

              Votre raisonnement contient une erreur : si nous avions fait le choix de conserver le textile, nous aurions payé nos vêtements plus cher, cet argent serait allé à des ouvriers français, qui auraient dépensé cet argent dans nos magasins par exemple pour acheter des voitures ou des ordinateurs. Maintenant, nous payons nos vêtements moins chers, mais cet argent sert à payer des ouvriers chinois, qui le dépensent dans les supermarchés en Chine. Et notre gain se trouve diminué par le fait qu’il faut payer des cotisations chômage plus lourdes… sans compter les coûts cachés du chômage.

              Le raisonnement libéral des « avantages comparatifs » fonctionne très bien… à condition d’être dans une économie de plein emploi (ce qui était entre parenthèses la situation à l’époque de Ricardo quand il a énoncé sa fameuse théorie). Mais avec le chômage de masse, il peut être rentable pour un pays de subventionner des productions peu rentables plutôt que d’entretenir des chômeurs.

              [Pire l’écart de cout entre la production française et la production étrangère a augmenté (maintenant on aurait comme concurrent le Bengladesh ou les gens travaillent 6 jours sur 7 pour 100 €/mois) on aurait donc vu de la contrebande ou du tourisme textile (des français iraient à l’étranger et reviendraient avec les valises pleines d’habits)]

              Probablement. Mais vous savez bien que ce type de contrebande « fourmi » n’a des conséquences économiques significatives que lorsqu’il touche des produits concentrant une valeur très importante dans un petit volume/poids. Cela marche pour les drogues, les pierres précieuses, les cigarettes. Mais on voit mal des touristes arriver avec les valises pleines de jerricans d’essence, et cela malgré les différences de prix à la pompe. Le textile est trop pondéreux pour pouvoir faire l’objet d’une véritable contrebande par cette voie…

              [Je ne suis pas naïf, la destruction créatrice ne fait pas que des gagnants. Elle peut détruire ici et recréer là-bas (une employée textile de Valenciennes perd son travail et l’argent économisé sur les vêtements est dépensé dans un smartphone -> le gagnant est un employé d’Apple aux USA)]

              Et qu’est-ce que vous faites pour résoudre ce problème ? Vous offrez un mouchoir à l’employée du textile pour qu’elle puisse pleurer tranquillement sur sa situation ?

              [Je pense que se barricader derrière des frontières, des règlements … est une erreur qui se paie tôt ou tard]
              Pourtant, l’histoire tend à montrer le contraire. Les grandes puissances ont de tout temps été protectionnistes.

              [Regardez ce qui c est passe avec la chine au XIX siècle. La chine était un pays assez avancé (ils ont inventé par ex la poudre, le papier ou l’imprimerie)]

              Oui, au XIIème siècle. Mais pas au XIXème.

              [Mais ils étaient suffisants, persuade d’être les meilleurs et se sont isolés du reste. Le réveil fut difficile et le XIX siècle fut le siècle du naufrage chinois. Je crains qu on est un peu dans la même situation aujourd’hui.]

              Je ne crois pas. Vous oubliez un peu vite que la Chine était bien plus que protectionniste : elle refusait le contact avec l’extérieur. Il ne faut pas confondre le protectionnisme et l’autarcie, et je ne crois pas avoir jamais défendu l’idée qu’il fallait cesser de commercer avec les autres nations. La seule chose que je dis, c’est que ce commerce doit être régulé et dans l’idéal aboutir à ce que chaque nation ait un commerce extérieur équilibré. C’est d’ailleurs la logique de la Charte de La Havane, dont le principal artisan fut un économiste libéral appelé Keynes. Et son raisonnement est simple : comme l’économie internationale est un ensemble fermé, les excédents des uns ne peuvent être que les déficits des autres. Un système qui produit des excédents produit forcément des déficits, et appauvrit donc certains pays. Il faut donc aboutir à des barrières qui permettent à chaque pays d’équilibrer ses échanges.

              [« Mais que se passet-il si les habitants ne peuvent pas payer plus ? » Il y a forcément un ajustement. Par exemple les gens paieraient plus pour leurs soins médicaux et dépenseraient moins ailleurs (par ex via une baisse du cout des logements) ou des hausses de salaires (en suisse par ex les soins médicaux sont très cher et les salaires nettement plus élevés qu’en France)]

              Je suis admiratif devant votre mission magique de l’économie. Si je suis votre raisonnement, le système s’ajuste magiquement de façon à permettre à chacun d’accéder aux biens dont il a besoin. Ce n’est pas grave si le coût des soins – ou de la nourriture, ou de l’éducation, ou de… – puisqu’il y aura « forcément un ajustement » permettant à chacun d’y accéder. Vous y croyez vraiment ?

              Non, dans le monde réel, quand les habitants ne peuvent pas payer leurs soins, ILS CREVENT. C’est aussi simple que ça. L’ajustement dont vous parlez n’a rien d’évident.

              [Qui doit payer si on maintient en vie artificiellement un légume comme Vincent Lambert (je ne suis pas sûr que sa mère déploierait tant d’énergie si elle devait payer de sa poche)]

              Mais si vous posez la question pour « un légume pour Vincent Lambert », pourquoi ne pas la poser pour n’importe quelle autre personne ? Qui décide quelles sont les personnes dignes qu’on paye pour les maintenir en vie, et celles qu’on peut laisser mourir ? Dans votre logique, ce qui décide, c’est l’argent : si je suis un légume argenté, je peux rester en vie. Mais si j’ai un ongle incarné et que je ne peux pas « payer de ma poche », je crève.

              [« Sauf que celui qui paye l’impôt et celui qui est soigné ne sont pas forcément les mêmes : on peut faire payer les riches pour soigner les pauvres, par exemple… mais ça ne marche que si c’est l’Etat qui s’en occupe. » Le clivage ici est pas tant entre riche et pauvre qu’entre jeune et vieux.]

              Non. Pour moi le clivage fondamental reste celui entre riches et pauvres. Le clivage entre jeunes et vieux est un clivage artificiel : nous avons tous été jeunes, nous serons tous vieux. Quel que soit l’intérêt que nous choisissons de privilégier, nous serons du mauvais côté à un moment donné, du bon côté à un autre. Tandis que le clivage entre riches et pauvres est un clivage définitif. Seule une toute petite minorité aura la possibilité d’être des deux côtés au cours de sa vie…

              [De nombreux pays ont des systèmes de santé qui ne sont pas gérés par l’Etat (par ex la Suisse ou la RFA). Même en France, vous avez une partie non étatique (les mutuelles)]

              Vous avez des cliniques privées aussi. Mais il ne faut pas confondre le fait de manipuler les fonds ou d’assurer les soins avec la « gestion du système ». Les mutuelles prélèvent des cotisations et assurent des prestations, mais c’est l’Etat qui fixe les règles et tout particulièrement celles qui assurent la péréquation. Si on laisse le système à la régulation du marché, on se retrouve avec un système non seulement beaucoup plus coûteux, mais beaucoup plus inégalitaire. Les Etats-Unis sont un bon exemple.

              [On pourrait très bien imaginer un système similaire à l’assurance auto : l’Etat vous demande d’avoir une assurance de base et vous êtes libre de la prendre ou vous voulez]

              La différence est que tout le monde est prêt à admettre qu’on envoie la voiture à la casse si le coût de réparation dépasse la valeur argus et que le propriétaire ne peut pas payer la différence, alors qu’on n’est pas prêt à admettre qu’on laisse mourir un être humain dans les mêmes conditions. Il n’y a pas de « valeur argus » pour les êtres humains, et cela change considérablement le panorama…

              Une assurance obligatoire à prix fixe laisserait une partie non négligeable de la population sans couverture santé, parce que son prix dépasserait ses possibilités. Pour permettre à tout le monde d’être couvert, il vous faut une péréquation qui n’existe pas dans l’assurance automobile… en d’autres termes, une assurance automobile qui serait calculée non pas sur le prix de la voiture, mais sur les ressources de l’assuré.

            • morel dit :

              « Vous faites erreur. Il y avait un fort mouvement autonomiste en Alsace, et aussi une partie de l’opinion alsacienne qui ne rejetait pas le rattachement à l’Allemagne. »

              Le « fort mouvement autonomiste » n’a touché l’Alsace que suite à l’imbécilité de l’administration militaire au sortir de la guerre 14-18. J’ai déjà longuement énoncé les raisons dans un post à ce sujet, il y a quelques années. Quant à « une partie…rattachement à l’Allemagne », ils ne devaient pas être bien nombreux puisqu’ils n’ont guère laissé de trace sauf peut-être parmi les 100 000 Allemands qui ont rejoint leur pays.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Le « fort mouvement autonomiste » n’a touché l’Alsace que suite à l’imbécilité de l’administration militaire au sortir de la guerre 14-18.]

              Pourquoi croyez-vous qu’on a laissé subsister le régime juridique particulier de l’Alsace-Moselle au lieu d’aligner le droit des territoires revenus dans la République sur le droit commun ? C’est parce que les politiques avaient conscience de la puissance du sentiment autonomiste et ne souhaitaient pas lui donner des prétextes pour une action violente qui jouerait d’ailleurs en faveur des prétentions allemandes…

              [Quant à « une partie…rattachement à l’Allemagne », ils ne devaient pas être bien nombreux puisqu’ils n’ont guère laissé de trace sauf peut-être parmi les 100 000 Allemands qui ont rejoint leur pays.]

              Après 1945, ils se sont fait très discrets, c’est vrai…

            • morel dit :

              “Tout ce qui est excessif est insignifiant”
              Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [“Tout ce qui est excessif est insignifiant”]

              Et réciproquement ?

            • morel dit :

              “Après 1945, ils se sont fait très discrets, c’est vrai…”

              Tiens le retour de “tous des boches” !
              Je n’aurais pas cru ça de vous.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Tiens le retour de “tous des boches” !]

              Pourquoi dites-vous ça ? Je ne crois pas avoir dit que c’étaient “tous des boches”. Mais on ne peut pas ignorer qu’un certain nombre d’Alsaciens adhéraient à l’idée que l’Alsace était une province allemande, ou plus banalement qu’elle se trouverait mieux économiquement, socialement et politiquement, en tant que Länd allemand qu’en tant que départements français. Je dirais même plus: le vernis “européen” pris par la revendication autonomiste avec la création d’une “collectivité européenne d’Alsace” qui fonctionne de facto comme un Länd et qui pourra s’intégrer en douce à l’Allemagne au nom des “relations transfrontalières” est une manifestation éclatante à mon avis de la vitalité de cette école de pensée.

          • morel dit :

            « si on regarde dans le temps long, la révolution d’octobre a effectivement échoué (bien des années plus tard, mais échoué quand même), et la Russie n’a pas l’air de vouloir devenir une « démocratie comme la France ». La Russie a son histoire institutionnelle, politique et économique. Imaginer que seule la révolution d’octobre a empêché la Russie de devenir une autre France ou une autre Allemagne, c’est ignorer l’histoire. »

            Ce que vous écrivez est fort intéressant. L’histoire est assurément une réalité incontournable et il est toujours bien difficile de dire ce qu’il serait si elle s’était déroulée différemment. Tout au plus, pouvons nous interroger sur ce qui est inhérents à l’humanité : la satisfaction des besoins, objet historique et la nécessaire liberté acte objectif
            permettant y compris la solution de ces besoins (pensez par ex au Lyssenkisme pour cette occurrence non exclusive).

            Je crois très simplement que la révolution d’octobre était inévitable à ce degré de rapport entre les classes notamment la poursuite de la guerre et le maintien de la grande propriété foncière aristocratique et qu’ont valu nos « démocrates » y compris « socialistes » à soutenir cet état de fait ?

            Ceci dit, je ne suis pas et n’ai jamais été communiste, Lénine a trop été le théoricien des minorités agissantes avec les conséquences connues aujourd’hui.
            C’est pourquoi ma référence historique serait plutôt Jaurès.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Ce que vous écrivez est fort intéressant. L’histoire est assurément une réalité incontournable et il est toujours bien difficile de dire ce qu’il serait si elle s’était déroulée différemment.]

              C’est tout le problème de la « science » historique. Devant l’impossibilité de faire des « expériences », on ne peut qu’accumuler des observations et essayer d’en tirer des conclusions. Quand on regarde les grandes révolutions de l’histoire – la révolution anglaise du milieu des années 1650, la Révolution française, la révolution russe de 1917, on est frappé par le fait que la volonté de faire « table rase » est à chaque fois limitée. Cela ne veut pas dire que l’apport de ces révolutions soit négligeable. Mais autant elles permettent des avancées considérables sur les plans politique, juridique, social ou économique, autant elles ont peu d’influence sur le plan culturel. La culture administrative et politique français doit plus à Louis XIV qu’à Robespierre, et celle de la Russie – comme celle de l’URSS d’ailleurs – doit encore beaucoup à Ivan le Terrible.

              On peut toujours dire que la révolution de 1917 a « échoué ». Mais dans ce cas, il faut admettre aussi que la révolution « libérale » des années 1990 a elle aussi connu l’échec, et beaucoup plus rapidement ! Que ce soit avec Staline ou avec Poutine, la Russie revient sur sa trajectoire historique quelque soient les efforts qu’on fasse pour l’en écarter. Et si on regarde l’histoire, c’est vrai presque partout. Que reste-t-il du projet laïc d’Ataturk en Turquie, du projet moderniste de Nasser en Egypte ? Attention, je ne dis pas que ces projets soient inutiles. Mais ceux qui les poussent doivent savoir qu’ils sont en train de planter des graines qui deviendront des arbres… des siècles plus tard !

              [Tout au plus, pouvons-nous interroger sur ce qui est inhérents à l’humanité : la satisfaction des besoins, objet historique et la nécessaire liberté acte objectif permettant y compris la solution de ces besoins (pensez par ex au Lyssenkisme pour cette occurrence non exclusive).]

              Je ne suis pas sûr d’avoir compris ce paragraphe. La recherche de la satisfaction des besoins n’est pas quelque chose d’inhérent à l’humanité : vous trouvez le même comportement chez les animaux. Ce qui distinguerait l’homme, c’est le fait que ses besoins ne sont pas seulement de nature matérielle, mais qu’ils peuvent être symboliques. Et qu’un besoin symbolique peut passer avant un besoin matériel. On a vu des hommes jeûner volontairement, aucun lion affamé n’a jamais refusé le repas qui s’offre à lui.

              [Ceci dit, je ne suis pas et n’ai jamais été communiste, Lénine a trop été le théoricien des minorités agissantes avec les conséquences connues aujourd’hui. C’est pourquoi ma référence historique serait plutôt Jaurès.]

              Le problème est que si Jaurès avait raison – et cela reste à voir – il n’a tout de même pas changé grande chose. Il est facile d’avoir les mains propres quand on n’a pas de mains. Qu’est-ce que cela aurait donné si Jaurès avait gouverné ? Nous ne le savons pas et ne le saurons jamais. Par contre, je trouve sévère votre qualification de Lénine. Loin d’être le « théoricien des minorités agissantes », il s’est au contraire opposé à tous les mouvements « gauchistes », qu’ils soient trotskystes, social-révolutionnaires ou anarchistes dont le cadre théorique était justement l’action d’une minorité agissante. La conception du Parti comme une « avant-garde éclairé » qui était celle de Lénine faisait de la masse l’acteur essentiel de tout changement politique : une « avant-garde » n’a pas grand sens s’il n’y a pas le gros de l’armée derrière. Cette opposition entre léninisme et gauchisme a d’ailleurs duré jusqu’à nos jours : ainsi, les partis de tradition léniniste se sont toujours opposés aux visions « foquistes » du guévarisme ou à la pensée groupusculaire du trotskysme…

            • @ Descartes,

              “Mais autant elles permettent des avancées considérables sur les plans politique, juridique, social ou économique, autant elles ont peu d’influence sur le plan culturel.”
              Si, mais leur influence culturelle est lente et se fait sentir à long terme. La Révolution française a déclenché un phénomène de déchristianisation, qui s’est accéléré dans la 2ème moitié du XX° siècle. La perte de la matrice catholique (contre et avec laquelle s’est construite la matrice républicaine) est un changement culturel majeur, qui pourrait bien signer la fin de la France en tant que nation historique.

              C’est en tout cas la thèse de Fourquet dans son ouvrage “L’archipel français” dont je viens de commencer la lecture. Lui ne parle pas de mort de la nation, ça ferait trop zemmourien, mais de la “naissance d’une nation multiple et divisée”, ce qui est une façon douce de dire “plus de nation du tout”…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Si, mais leur influence culturelle est lente et se fait sentir à long terme. La Révolution française a déclenché un phénomène de déchristianisation, qui s’est accéléré dans la 2ème moitié du XX° siècle. La perte de la matrice catholique (contre et avec laquelle s’est construite la matrice républicaine) est un changement culturel majeur, qui pourrait bien signer la fin de la France en tant que nation historique.]

              Je ne vous surprendrai pas en vous disant que cette logique, qui me rappelle celle de « il n’est pas d’autre France que catholique » n’est pas la mienne. Oui, la Révolution a accompagné – et non déclenché – un mouvement de déchristianisation qui aboutit à la laïcisation de l’Etat et des rapports sociaux. Mais ce mouvement s’accompagne du remplacement d’une église par une autre. L’idéologie républicaine, avec ses mythes et ses rites remplace le christianisme. Et ce remplacement est efficace : les poilus de 1914-18 sont allés dans les tranchées pour défendre la France et reconquérir les provinces perdues, et l’ont fait poussés non pas par des prêtres mais par des instituteurs laïques. Et ils se sont battus aussi bien sinon mieux que leurs ancêtres du XVIIIème siècle. Cette idéologie républicaine et ses institutions sont aussi fonctionnelles à la nation française que l’était l’idéologie chrétienne d’avant la Révolution. Il est donc faux à mon avis de voir dans le remplacement de l’une par l’autre une menace pour la France, un risque de « fin de la France en tant que nation historique »…

              La menace de dissolution de la France comme nation ne vient pas de la Révolution française, comme voudraient le voir les réactionnaires, mais de la révolution néo-libérale commencée à la fin des années 1960, qui s’est attaqué à l’idéologie et aux institutions républicaines. Parce que là où la Révolution française avait cherché à remplacer un type d’institution par un autre dans un cadre collectif, la révolution néo-libérale cherche à remplacer les institutions par la toute-puissance de l’individu. Et cette toute-puissance ne laisse aucune place à l’idée même de nation.

            • @ Descartes,

              “Je ne vous surprendrai pas en vous disant que cette logique, qui me rappelle celle de « il n’est pas d’autre France que catholique » n’est pas la mienne.”
              Je ne vous surprendrai pas en vous disant que je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Mais je ne dirai pas “il n’est pas d’autre France que catholique”, je dirai plutôt “il n’est pas de France sans la matrice catholique”, ce qui n’est pas exactement la même chose.

              Ce que l’on observe depuis quelques décennies maintenant, ce n’est pas seulement l’érosion continue et impressionnante de la pratique religieuse catholique (encore qu’il y ait un lien entre les deux), c’est qu’une partie importante de la population (et je parle là des “Gaulois”) tourne le dos à la culture catholique, et finit par tout en ignorer. Ces Français “de souche” deviennent presque étranger à l’histoire de leur pays, et c’est une tragédie.

              Me permettez-vous de vous donner un exemple? Cela se passe dans un petit village de l’Indre. L’instituteur de l’école communale, fatigué que des élèves lui demandent “mais, c’est qui le monsieur qui fait des acrobaties sur une croix près de la salle des fêtes?”, décident de remédier à leur ignorance (n’est-ce pas le noble métier de l’instruction?). Sur une période de trois semaines, il propose donc une étude littéraire d’un choix de textes pris dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Il étudie en classe, ces textes fondateurs comme des mythes, comme on étudierait l’Iliade ou l’Enéide.

              L’inspection reçoit peu après une lettre anonyme dénonçant “le prosélythisme” (je laisse la faute, elle est d’origine) de l’enseignant. Dans les deux jours, un inspecteur débarque, interroge les élèves et le professeur. A la fin des entretiens, il renouvelle sa confiance à l’enseignant. Mais, au-dessus de l’inspecteur, des gens de l’ “institution” en décident autrement, et diligentent une enquête, tandis qu’élus et certains parents d’élèves commencent à se mobiliser en faveur de l’enseignant. L’enquête n’aboutit à rien: le prosélytisme n’est pas avéré, l’enseignant n’appartient à aucun groupe “politico-religieux” et depuis son entrée dans le métier, les avis sont dans l’ensemble favorables sur son travail. Bilan: une sanction sous la forme d’une mutation d’office. Voilà où on en est.

              “L’idéologie républicaine, avec ses mythes et ses rites remplace le christianisme.”
              Et comment se porte l’Eglise républicaine? Très mal à mon avis. Parce que le mouvement qui a entraîné la déchristianisation, et que certains républicains ont cru intelligent de favoriser, va également emporter la religion civique. La religion républicaine a partiellement et incomplètement remplacé le christianisme, et elle est en échec. En fait, pour moi, la bonne formule est une religion patriotique mêlant catholicisme et républicanisme. Quelque chose que n’auraient pas renié un Péguy ou un de Gaulle, je pense. Mais la déchristianisation avancée rend aujourd’hui impossible une telle synthèse.

              “les poilus de 1914-18 sont allés dans les tranchées pour défendre la France et reconquérir les provinces perdues, et l’ont fait poussés non pas par des prêtres mais par des instituteurs laïques.”
              Je ne suis pas d’accord. Une partie des poilus était passée par les écoles privées confessionnelles, où le patriotisme était tout autant inculqué que dans les écoles publiques. C’est l’un des rares points sur lesquels catholiques et anticléricaux pouvaient se rejoindre à l’époque: l’amour de la France, qu’on la voit comme la Fille aînée de l’Eglise ou la Grande Nation issue de la Révolution, tous partageaient l’idée que la France avait une mission et que lui rendre sa grandeur était un devoir. J’oserai même parler d’une saine émulation patriotique entre catholiques et républicains anticléricaux.

              “Il est donc faux à mon avis de voir dans le remplacement de l’une par l’autre une menace pour la France, un risque de « fin de la France en tant que nation historique »…”
              Ce n’est pas le problème. Il était fécond et je crois nécessaire que les deux cohabitent. La France contemporaine était en quelque sorte le produit de cet affrontement et de cette coexistence entre héritage catholique et héritage révolutionnaire. Le problème est qu’aujourd’hui les deux sont remplacées par une idéologie individualiste, communautariste et anti-nationale. L’Eglise et la République, en réalité, sont dans le même bateau, et ce bateau est en train de sombrer…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Je ne vous surprendrai pas en vous disant que je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Mais je ne dirai pas “il n’est pas d’autre France que catholique”, je dirai plutôt “il n’est pas de France sans la matrice catholique”, ce qui n’est pas exactement la même chose.]

              Oui mais dans ce cas, je ne comprends pas votre idée selon laquelle la Révolution aurait préparé la fin de la « matrice catholique ». La République issue de la Révolution reprend très largement la thématique catholique, que ce soit dans ses institutions ou dans sa liturgie… prenez par exemple le mariage républicain…

              [Ce que l’on observe depuis quelques décennies maintenant, ce n’est pas seulement l’érosion continue et impressionnante de la pratique religieuse catholique (encore qu’il y ait un lien entre les deux), c’est qu’une partie importante de la population (et je parle là des “Gaulois”) tourne le dos à la culture catholique, et finit par tout en ignorer. Ces Français “de souche” deviennent presque étrangers à l’histoire de leur pays, et c’est une tragédie.]

              Je ne dis pas le contraire. Mais pourquoi accuser la Révolution ou la République d’être la cause de cet oubli ? Ceux qui comme vous le dites « tournent le dos à la culture catholique » affichent la même indifférence – quand ce n’est pas de la détestation – envers la culture républicaine. C’est en cela que votre position me paraît incompréhensible. La République s’est peut-être construite contre l’église catholique – ce qui n’est pas tout à fait la même chose que « construite contre le catholicisme » – mais elle ne s’est certainement pas construite contre l’histoire, au contraire. En France, le projet intellectuel de la République est d’abord un projet historiciste, je dirais même plus, un projet qui aspire à récupérer l’ensemble de l’histoire de France depuis l’époque romaine. L’école de la République n’a jamais enseigné que la France commençait en 1789, au contraire : la République se présente comme l’accomplissement d’une histoire, et non comme une rupture avec celle-ci.

              Le capitalisme néolibéral n’a que faire des structures symboliques, puisque son objectif est de réduire tous les rapports à des rapports monétaires. Et c’est pourquoi il s’attaque autant à la symbolique catholique qu’à la symbolique républicaine. Les réactionnaires qui veulent faire de la République la cause de la décadence de la France se trompent d’ennemi.

              [Me permettez-vous de vous donner un exemple? (…)]

              Je ne connais pas le cas en détail, il m’est donc difficile de commenter. Mais la question qui se pose est évidemment celle du statut qu’il a donné au texte biblique. A-t-il affirmé clairement son caractère « mythique » ? Je suis surpris dans ce cas que les parents catholiques n’aient pas protesté, l’église étant très attentive à ces questions.

              [Et comment se porte l’Eglise républicaine? Très mal à mon avis. Parce que le mouvement qui a entraîné la déchristianisation, et que certains républicains ont cru intelligent de favoriser, va également emporter la religion civique.]

              Je ne le crois pas. Ce n’est pas le « mouvement qui a entraîné la déchristianisation » qui risque d’emporter la religion civique, mais le capitalisme néolibéral.

              [La religion républicaine a partiellement et incomplètement remplacé le christianisme, et elle est en échec.]

              Aucune croyance ne remplace totalement celles qui l’ont précédé, et le christianisme n’a pas réussi à éliminer l’arbre de noël et autres traditions païennes bien plus anciennes. Mais son « échec » est la conséquence du développement du capitalisme. Marx l’avait déjà prédit en 1848, dans le « manifeste »…

              [En fait, pour moi, la bonne formule est une religion patriotique mêlant catholicisme et républicanisme. Quelque chose que n’auraient pas renié un Péguy ou un de Gaulle, je pense.]

              Mais qu’aurait renié un Marc Bloch ou un Albert Dreyfus… Il n’y a pas de mélange possible entre catholicisme et républicanisme, parce qu’il n’y a pas de synthèse possible entre le rationalisme et la souveraineté populaire d’un côté, la vérité révélée et la soumission au pouvoir clérical de l’autre. Au mieux, on peut envisager un rapport respectueux entre ces deux idéologies, et cela seulement dans la mesure ou le catholicisme a renoncé à exercer un pouvoir dans la sphère publique. Je pense par contre que les catholiques devraient comprendre qu’aujourd’hui la préservation de la France comme nation passe par un soutien sans faille au modèle républicain. S’ils s’imaginent que la déconfiture de ce dernier sous les coups du néolibéralisme ouvre une fenêtre d’opportunité à leur retour aux affaires, ils font une erreur tragique.

              [“les poilus de 1914-18 sont allés dans les tranchées pour défendre la France et reconquérir les provinces perdues, et l’ont fait poussés non pas par des prêtres mais par des instituteurs laïques.”
              Je ne suis pas d’accord. Une partie des poilus était passée par les écoles privées confessionnelles, où le patriotisme était tout autant inculqué que dans les écoles publiques.]

              Possible, mais le rôle des « hussards noirs de la République » dans le développement de l’idéologie patriotique et de la volonté de récupérer les « provinces perdues » a été très largement étudié et c’est une question sur laquelle le consensus des historiens est massif. L’immense majorité des paysans qui sont allés dans les tranchées ont bénéficié de l’instruction publique, laïque et obligatoire.

              [“Il est donc faux à mon avis de voir dans le remplacement de l’une par l’autre une menace pour la France, un risque de « fin de la France en tant que nation historique »…”
              Ce n’est pas le problème. Il était fécond et je crois nécessaire que les deux cohabitent. La France contemporaine était en quelque sorte le produit de cet affrontement et de cette coexistence entre héritage catholique et héritage révolutionnaire. Le problème est qu’aujourd’hui les deux sont remplacées par une idéologie individualiste, communautariste et anti-nationale. L’Eglise et la République, en réalité, sont dans le même bateau, et ce bateau est en train de sombrer…]

              Je crois que c’est sur cette vision que nous pouvons tomber d’accord. La spiritualité religieuse et la spiritualité républicaine reposent sur la même idée de transcendance, c’est-à-dire, que ce qui nous rend humain est la possibilité de donner de l’importance à des choses qui vont au-delà de nos petits intérêts individuels. Et si les deux sont en crise, c’est parce que le capitalisme réduit progressivement tous les rapports humains à ces petits intérêts, précisément…

            • @ Descartes,

              “Oui mais dans ce cas, je ne comprends pas votre idée selon laquelle la Révolution aurait préparé la fin de la « matrice catholique ».”
              Je vous concède qu’avec moi, tout est toujours complexe. Je n’accuse pas la Révolution, et d’ailleurs, je ne suis pas anti-révolutionnaire. Pour moi, la France reste “fille aînée de l’Eglise et de la Convention” comme le chante Sardou.

              La Révolution française n’est pas tombée du ciel. Elle s’inscrit dans un mouvement de transformation sociale et idéologique, celui des Lumières: progrès scientifique et technique, montée en puissance de la bourgeoisie. Certains révolutionnaires ont poussé jusqu’au bout la logique antichrétienne des philosophes des Lumières Voltaire ou Diderot, en se livrant à des campagnes et même des exactions antireligieuses. Pas tous les révolutionnaires: Robespierre est resté très réservé sur les campagnes antichrétiennes, et Bonaparte a signé le Concordat qui redonne une place importante – mais moins hégémonique qu’avant – au catholicisme.

              Ce que je ne comprends pas, c’est que vous semblez ne pas voir qu’il y a un rapport entre les Lumières d’un côté, et le capitalisme, le néolibéralisme et l’individualisme de l’autre. Or la Révolution française a été portée par la bourgeoisie des Lumières. La société – ou plutôt la ruine sociale – qui s’offre aujourd’hui à nos yeux est une des options découlant de la pensée des Lumières. Une option qui convient à la bourgeoisie contemporaine comme la Révolution et la République convenaient à la bourgeoisie de la fin du XVIII° et du XIX° siècle.

              Alors, vous allez me dire: “mais les philosophes des Lumières n’avaient certainement pas pour projet la société fragmentée, communautarisée et individualiste que l’on a aujourd’hui”. Le problème, c’est que la Révolution a brisé des carcans multiséculaires et la République a en effet tenté de remplacer ces carcans par un cadre… qui trouve cependant ses limites dans le principe de liberté, lequel offre une certaine latitude pour rejeter ledit cadre. J’ajoute qu’une fois qu’on a brisé un ordre, on peut en briser un autre. Le cadre républicain a tenu tant que la France avait des ennemis puissants et dangereux qui obligeaient les Français à une solidarité martiale (c’est un peu la signification de “Fraternité”, au sens de “fraternité d’armes”).
              Disons qu’on s’est débarrassé de Dieu et du roi pour mettre la nation à la place. Pourquoi ne pas aujourd’hui se débarrasser de la nation pour mettre l’individu ou les “communautés d’élection” à la place? Est-ce qu’une révolution ne finit pas tôt ou tard par en appeler une autre? Les changements d’aujourd’hui ne sont-ils pas une forme de continuité des changements du passé depuis la Révolution? On a émancipé les hommes, d’abord les blancs, puis les noirs, puis les femmes, demain pourquoi pas les enfants, les chevaux, les chiens et les géraniums? Ce qui me gêne dans le principe de révolution, c’est le risque de perpétuelle fuite en avant. On pourra toujours inventer de nouveaux droits, définir de nouvelles catégories à émanciper, défendre (après les homosexuels, les bixexuels, on a maintenant les transsexuels, les transgenres, les asexués…). Comment mettre des limites une fois qu’on a entamé le mouvement?

              “La République issue de la Révolution reprend très largement la thématique catholique, que ce soit dans ses institutions ou dans sa liturgie… prenez par exemple le mariage républicain…”
              Elle les reprend, mais elle les affaiblit, même sans le vouloir. Le mariage religieux est un engagement définitif, indissoluble. Le mariage civil n’est déjà plus qu’un contrat, qu’on peut rompre. Le libéralisme pointe son groin…

              “Mais pourquoi accuser la Révolution ou la République d’être la cause de cet oubli ?”
              Rien n’est simple, bien sûr. Mais les libéraux et les libertaires responsables du désastre sont aussi des héritiers des Lumières et de la Révolution. Il y a dans les idées des Lumières des tendances latentes qui pouvaient mener à ce que l’on déplore aujourd’hui, comme j’ai essayé de vous l’expliquer ci-dessus.

              “Ceux qui comme vous le dites « tournent le dos à la culture catholique » affichent la même indifférence – quand ce n’est pas de la détestation – envers la culture républicaine.”
              Bien sûr. J’ai envie de vous dire qu’on est toujours puni par là où on a péché… Pensez aux membres de Charlie Hebdo: ils ont craché pendant des années sur la nation, la police, l’armée, l’Eglise tandis qu’ils défendaient les immigrés, le pluralisme confessionnel et ethnique. Et qui les a massacrés? Pas des skinheads, des cathos intégristes ou d’anciens paras, non, deux individus issus de cette jeunesse basanée que Charlie affectionnait tant.

              “la République se présente comme l’accomplissement d’une histoire, et non comme une rupture avec celle-ci.”
              Ce que vous dites est vrai de ceux qu’on pourrait appeler les “républicains conservateurs”, mais une autre frange des républicains a parfois été tentée par la “table rase”. L’anticléricalisme s’est parfois associé à un athéisme violemment antichrétien. Et les anticléricaux et les athées vont le regretter: le catholicisme était un ennemi commode parce qu’il possède une hiérarchie et un fonctionnement institutionnel quasi-étatique; ce n’est pas le cas des musulmans ou des évangélistes… Je ne reproche pas à Combes d’avoir fait la loi de 1905. Je reproche à une certaine gauche d’avoir tiré sur l’ambulance catholique après Vatican II et Mai 68.

              “Il n’y a pas de mélange possible entre catholicisme et républicanisme, parce qu’il n’y a pas de synthèse possible entre le rationalisme et la souveraineté populaire d’un côté, la vérité révélée et la soumission au pouvoir clérical de l’autre.”
              Il n’y a pas de synthèse harmonieuse possible, j’en conviens. Mais la France est le produit de ces deux héritages contradictoires. Rejeter totalement le catholicisme, c’est se priver de la symbolique du baptême de Clovis, du sacre des rois, de l’art sacré et même de larges pans de la littérature française des XIX° et XX° siècles; rejeter totalement la République, c’est se priver de l’héritage révolutionnaire et napoléonien, de l’oeuvre de la III° République, etc. Personnellement, je me réclame des deux traditions. La III° République anticléricale a laissé les missionnaires catholiques français se répandre en Afrique, en Asie, dans le Pacifique, parce qu’elle comprenait que cela participait au rayonnement de la civilisation française. Et il ne fallait pas laisser le terrain aux missionnaires protestants. Aujourd’hui, il y a une grande puissance qui se réclame du protestantisme (les Etats-Unis), une grande puissance qui se réclame de l’orthodoxie (la Russie). Quelle grande puissance représente le catholicisme? Aucune.

              “Je pense par contre que les catholiques devraient comprendre qu’aujourd’hui la préservation de la France comme nation passe par un soutien sans faille au modèle républicain. S’ils s’imaginent que la déconfiture de ce dernier sous les coups du néolibéralisme ouvre une fenêtre d’opportunité à leur retour aux affaires, ils font une erreur tragique.”
              Je suis d’accord avec vous sur ce point. Mais les catholiques n’ont pas compris la situation, ou bien leur attachement au catholicisme tend à s’effacer devant d’autres intérêts. Je lisais une étude récemment qui montre que les bastions cathos votent beaucoup pour Macron (un homme qui va légaliser la PMA pour les lesbiennes et peut-être même la GPA, un homme qui a déclaré: “il y a des cultures en France, mais il n’y a pas de culture française”, des propos qui devraient faire bondir des gens attachés à l’identité chrétienne de la France), et si Fillon conservait des positions fortes dans cet électorat en 2017, Bellamy a été laminé aux européennes de 2019. Par ailleurs, des sondages montrent que les catholiques pratiquants, dans l’ensemble, se sentent plutôt à l’aise dans la société multiculturelle. Et pour cause: ils appartiennent pour l’essentiel au bloc dominant… Il faut ajouter à cela que beaucoup de catholiques pratiquants ont de la sympathie pour la construction européenne, une idée chrétienne paraît-il. Comme me disait un ami, lui-même catholique pratiquant: “le problème de ces gens, c’est qu’à l’heure de voter, les valeurs s’effacent devant la défense du portefeuille”.

              Je me demande si le catholicisme n’est pas en train de devenir un simple marqueur culturel dans quelques secteurs du “bloc dominant”. Aujourd’hui, on est catho comme d’autres sont vegans ou bouddhistes. Mais en fait, ces gens professent les mêmes idées.

              “L’immense majorité des paysans qui sont allés dans les tranchées ont bénéficié de l’instruction publique, laïque et obligatoire.”
              Oui, mais beaucoup de leurs officiers, issus de l’aristocratie ou de la bourgeoisie, étaient passés par l’enseignement catholique. Non seulement eux aussi ont payé le prix du sang, mais ils l’ont fait alors que la République n’était pas forcément le régime qui leur tenait à cœur.

              “Et si les deux sont en crise, c’est parce que le capitalisme réduit progressivement tous les rapports humains à ces petits intérêts, précisément…”
              Je suis d’accord. Mais je me pose des questions, dont je vous fais part, même si peut-être vous n’avez pas de réponse. D’abord, que faire? Vous allez me répondre: “faire de son mieux, à son niveau, au boulot, dans ce qu’on transmet à ses enfants, etc”. J’ai cependant la désagréable impression que c’est aussi utile que de remplir le tonneau des Danaïdes. Vous le savez, je suis porté au désespoir depuis quelques temps déjà. J’ai le sentiment que nous sommes pris dans un engrenage: la société s’est engagée sur une voie, portée par l’idéologie du “bloc dominant”, et je ne vois pas comment dévier de cette voie. Pire, il me semble que les jeunes générations adhèrent de plus en plus à ce nouveau modèle de société, et même si l’adhésion peut être tiède, il y a du moins l’idée que “de toute façon, c’est comme ça, faisons avec”. Il est vrai qu’on peut constater que pas grand-monde ne propose autre chose.

              Mais ce qui est terrible, c’est que l’individualisme fait surtout que les gens se foutent de ce qui ne les concerne pas, et du coup, c’est le règne du relativisme. Difficile dans ces conditions d’organiser des combats collectifs. Par exemple, je ne suis pas homosexuel, mais je me sens concerné quand on touche à l’institution du mariage; je ne suis pas une femme, mais la question de la GPA m’interpelle (j’ai d’ailleurs entendu que des féministes américaines soutenaient la légalisation de la GPA en estimant que c’était la reconnaissance du “travail de procréation”, un travail qui mérite salaire et que les femmes auraient accompli durant des millénaires sous l’effet de l’oppression patriarcale… Vous me direz que c’est risible, mais savoir que ce discours est produit, et relayé en France par des professeurs d’université, ça me coupe l’envie de rire). Eh bien, les autres me disent: “du moment que ça ne change rien pour nous, pourquoi nous en préoccuper?”.

              Deuxième question que je me pose, mais qui est liée à la précédente: est-il vraiment envisageable que la vapeur s’inverse sans une crise majeure, un effondrement généralisé? Notre société offre tellement de dérivatifs que finalement, j’ai l’impression que même les “perdants”, les potentiels révolutionnaires, pourront encore longtemps se contenter de ce qu’ils ont. Tant qu’on peut faire une partie de FIFA sur la console, regarder Hanouna à la télé et écouter son rap sur iPhone, la vie est belle…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Ce que je ne comprends pas, c’est que vous semblez ne pas voir qu’il y a un rapport entre les Lumières d’un côté, et le capitalisme, le néolibéralisme et l’individualisme de l’autre. Or la Révolution française a été portée par la bourgeoisie des Lumières. La société – ou plutôt la ruine sociale – qui s’offre aujourd’hui à nos yeux est une des options découlant de la pensée des Lumières.]

              Je crois avoir saisi finalement votre raisonnement. Mais je pense qu’il repose sur une prémisse très discutable : ne suis pas persuadé que les Lumières soient aussi « capitalistes, néolibérales et individualistes » que vous semblez le croire. Les capitalistes s’en sont d’ailleurs très vite méfiés, lui préférant de très loin la logique communautaire et moraliste du protestantisme, comme le notait Weber. Le capitalisme triomphant du XIXème siècle est très vite revenu vers un romantisme qui est la négation des Lumières. La bourgeoisie a eu peur d’un monde sans dieu, soumis au primat de la Raison, comme elle a eu peur de l’idée que les hommes puissent naître libres et égaux en droits.

              Il faut se méfier de certains mots. Les Lumières sont « individualistes » au sens qu’elles font de l’individu le seul sujet de droit. Mais il s’agit d’un individu inséré dans la société et qui a des responsabilités envers elle, et non l’individu-île des romantiques ou des « libéraux-libertaires », à la fois tout-puissant et irresponsable. Prenez par exemple la Déclaration de 1789. A chaque fois les droits y sont limités par les besoins de la société – au point que certains libéraux, on a eu la discussion sur ce blog, refusent de considérer le texte comme véritablement « libéral ». Les déclarations de droits anglo-saxonnes, conçues dans une logique plus proche de l’éthique du capitalisme, proclament au contraire des droits absolus de l’individu, auxquels aucune atteinte ne saurait être portée quelle qu’en soit la justification.

              Ce n’est pas par hasard si les Lumières et la Révolution française ont été rejetées par la bourgeoisie mais sont restées une référence pour le mouvement ouvrier partout dans le monde. C’est parce que l’idéologie des Lumières est fondamentalement émancipatrice.

              [Le problème, c’est que la Révolution a brisé des carcans multiséculaires et la République a en effet tenté de remplacer ces carcans par un cadre… qui trouve cependant ses limites dans le principe de liberté, lequel offre une certaine latitude pour rejeter ledit cadre.]

              Mais voudriez-vous vraiment vivre sous ce « carcan multiséculaire » ? Moi, pas. Si l’alternative consiste à choisir entre le carcan en question est celui d’une société néolibérale, alors mon choix est évidement fait, et en toute honnêteté je pense que le vôtre aussi. Le carcan multiséculaire de l’ancien régime était devenu un frein à toute avancée, que ce soit intellectuelle ou matérielle. Sa destruction est du domaine de l’inévitable.

              [J’ajoute qu’une fois qu’on a brisé un ordre, on peut en briser un autre. Le cadre républicain a tenu tant que la France avait des ennemis puissants et dangereux qui obligeaient les Français à une solidarité martiale (c’est un peu la signification de “Fraternité”, au sens de “fraternité d’armes”).]

              Je suis plus nuancé que vous. Je dirais que le cadre républicain a tenu aussi longtemps que les français de classes sociales différentes ont eu besoin les uns des autres. Si la matrice républicaine est aujourd’hui en crise, ce n’est pas parce que nous manquons d’ennemis puissants, mais parce que les couches sociales dominantes n’ont plus besoin des autres pour y faire face.

              [Disons qu’on s’est débarrassé de Dieu et du roi pour mettre la nation à la place. Pourquoi ne pas aujourd’hui se débarrasser de la nation pour mettre l’individu ou les “communautés d’élection” à la place?]

              L’histoire n’est pas le règne du « pourquoi pas ». Si on ne s’est pas débarrassé de dieu et du roi plus tôt, c’est parce qu’ils remplissaient une fonction sociale indispensable. Du jour ou cette fonction n’a plus été nécessaire, ils ont été déplacés. La nation a pris leur place parce que les citoyens avaient besoin d’une institution qui fonde une solidarité inconditionnelle entre eux. Du jour où cette solidarité n’apparaît plus nécessaire à certaines couches sociales, la nation se trouve contestée.

              Ce que j’essaye de vous dire, c’est qu’en dernière instance ce sont les rapports matériels qui commandent à l’idéologie, et non l’inverse. Si les institutions « multiséculaires » sont aujourd’hui en échec, c’est parce que les transformations économiques les rendent dispensables, et non parce que les Lumières auraient détruit la confiance en Dieu et dans le Roi…

              [Est-ce qu’une révolution ne finit pas tôt ou tard par en appeler une autre? Les changements d’aujourd’hui ne sont-ils pas une forme de continuité des changements du passé depuis la Révolution? On a émancipé les hommes, d’abord les blancs, puis les noirs, puis les femmes, demain pourquoi pas les enfants, les chevaux, les chiens et les géraniums?]

              C’est curieux comment vous voyez une continuité là où je vois une rupture. L’émancipation des blancs, puis des noirs, puis des femmes tient sa continuité du principe d’un Homme abstrait, siège des droits et des devoirs indépendamment de son origine, sa couleur de peau, son sexe. C’est là bien un grand principe des Lumières. Mais lorsqu’on commence à vouloir émanciper les chevaux, les chiens ou les géraniums, on va contre les Lumières, puisque l’illuminisme est fondé sur la singularité absolue de l’homme, seul animal pensant. C’est un retour en arrière vers la pensée archaïque et « multiséculaire » qui au moyen âge considérait possible d’organiser des procès contre des animaux ou des choses.

              Non, les révolutions n’appellent pas nécessairement des révolutions. Quelquefois, elles appelleraient plutôt des contre-révolutions.

              [Ce qui me gêne dans le principe de révolution, c’est le risque de perpétuelle fuite en avant.]

              Mais l’histoire prouve en général le contraire : derrière une révolution vient généralement une période de stabilisation, ou les excès des plus extrémistes se trouvent modérés. Après Robespierre il y a Napoléon, après Lénine il y a Staline, après Cromwell il y a Charles II. Je trouve très bizarre votre idée qui ferait des « libéraux-libertaires » des continuateurs de la Révolution française ou les Lumières, alors qu’il s’agit d’un mouvement anti-scientifique, antirationaliste, anti-institutionnel…

              [« La République issue de la Révolution reprend très largement la thématique catholique, que ce soit dans ses institutions ou dans sa liturgie… prenez par exemple le mariage républicain… » Elle les reprend, mais elle les affaiblit, même sans le vouloir. Le mariage religieux est un engagement définitif, indissoluble. Le mariage civil n’est déjà plus qu’un contrat, qu’on peut rompre. Le libéralisme pointe son groin…]

              Non, le mariage n’est pas un contrat. Il ne peut être dissous que par un juge, et la dissolution n’est pas un droit. De ce point de vue, le Code civil a toujours été très clair : le mariage est un rapport d’ordre public, et non un contrat entre personnes privées. D’ailleurs le mariage catholique n’était pas aussi « définitif » que vous le pensez. Il n’y a qu’à voir la longue liste de rois et seigneurs qui ont obtenu la nullité de leur mariage à Rome. C’était cher, certes, mais pas impossible…

              [« Mais pourquoi accuser la Révolution ou la République d’être la cause de cet oubli ? » Rien n’est simple, bien sûr. Mais les libéraux et les libertaires responsables du désastre sont aussi des héritiers des Lumières et de la Révolution. Il y a dans les idées des Lumières des tendances latentes qui pouvaient mener à ce que l’on déplore aujourd’hui, comme j’ai essayé de vous l’expliquer ci-dessus.]

              Franchement, je vois les « libéraux libertaires » comme des héritiers du romantisme plutôt que des lumières. Ils sont bien plus proches du Doktor Faustus de Goethe que de la confiance dans la science et la raison d’un Diderot.

              [« la République se présente comme l’accomplissement d’une histoire, et non comme une rupture avec celle-ci. » Ce que vous dites est vrai de ceux qu’on pourrait appeler les “républicains conservateurs”, mais une autre frange des républicains a parfois été tentée par la “table rase”. L’anticléricalisme s’est parfois associé à un athéisme violemment antichrétien.]

              Je ne connais pas de républicains qui aient été tentés par une « table rase » vis-à-vis de l’histoire de France. Même les plus anticléricaux n’ont essayé d’effacer la mémoire de César, de Jeanne d’Arc, de Philippe Auguste, de Louis XIV ou de Napoléon. Il est vrai que les républicains ont été violemment anticléricaux… mais cela n’a duré qu’aussi longtemps que les catholiques ont été violemment antirépublicains. Cet anticléricalisme a été nécessaire pour permettre de chasser l’église de l’espace public et mettre des limites à son pouvoir. Mais une fois la séparation entre l’Eglise et l’Etat acquise, les relations se sont progressivement améliorées. Aujourd’hui, la plupart des républicains que je connais sont plutôt respectueux de l’héritage chrétien, tout en étant intransigeants chaque fois que l’église essaye de se mêler de politique.

              [Je ne reproche pas à Combes d’avoir fait la loi de 1905. Je reproche à une certaine gauche d’avoir tiré sur l’ambulance catholique après Vatican II et Mai 68.]

              L’Eglise a commis l’erreur de ne pas accepter le sage compromis de 1905, et a voulu continuer à se mêler de politique, allant jusqu’à soutenir le régime de Vichy. Mais après 1945, elle s’est résigné à la séparation. A partir de là, je vous accorde que tirer sur les catholiques n’avait plus trop de sens.

              [Il n’y a pas de synthèse harmonieuse possible, j’en conviens. Mais la France est le produit de ces deux héritages contradictoires. Rejeter totalement le catholicisme, c’est se priver de la symbolique du baptême de Clovis, du sacre des rois, de l’art sacré et même de larges pans de la littérature française des XIX° et XX° siècles; rejeter totalement la République, c’est se priver de l’héritage révolutionnaire et napoléonien, de l’oeuvre de la III° République, etc. Personnellement, je me réclame des deux traditions.]

              Sur ce sujet, nous sommes je pense en accord parfait. Alors même que je ne suis pas catholique ni même chrétien, je pense que je manquerais quelque chose si je n’avais pas pris le temps d’étudier l’imaginaire chrétien. Comment comprendre notre histoire sans essayer de comprendre comment les gens qui l’ont faite – et qui sont très majoritairement chrétiens – pensaient ? Je suis anticlérical au sens que je ne souhaite pas voir le clergé – quel que soit la religion d’ailleurs – se mêler des affaires politiques. Je pense que nous devons vivre avec notre héritage contradictoire, et que cette contradiction nous enrichit.

              [La III° République anticléricale a laissé les missionnaires catholiques français se répandre en Afrique, en Asie, dans le Pacifique, parce qu’elle comprenait que cela participait au rayonnement de la civilisation française. Et il ne fallait pas laisser le terrain aux missionnaires protestants. Aujourd’hui, il y a une grande puissance qui se réclame du protestantisme (les Etats-Unis), une grande puissance qui se réclame de l’orthodoxie (la Russie). Quelle grande puissance représente le catholicisme? Aucune.]

              Peut-être parce que le catholicisme, contrairement au protestantisme ou à l’orthodoxie, n’a pas eu l’intelligence d’accepter la primauté du pouvoir civil. Les protestants ou les orthodoxes n’ont jamais songé à s’opposer au pouvoir dans leurs pays respectifs, au contraire : la reine d’Angleterre est le chef de l’église anglicane, et Poutine – Staline aussi – ont pu compter sur l’orthodoxie. Dans les nations « catholiques », l’Eglise a voulu au contraire contrer le pouvoir civil et imposer sa vision. Elle a forcé ainsi le pouvoir civil à se constituer contre elle.

              [Je me demande si le catholicisme n’est pas en train de devenir un simple marqueur culturel dans quelques secteurs du “bloc dominant”. Aujourd’hui, on est catho comme d’autres sont vegans ou bouddhistes. Mais en fait, ces gens professent les mêmes idées.]

              Il y a toujours eu un catholicisme des riches et un catholicisme des pauvres, avec d’un côté des abbés « à la mode » et de l’autre la véritable foi du charbonnier. J’avoue que je ne connais pas la France catholique « d’en bas ».

              [« L’immense majorité des paysans qui sont allés dans les tranchées ont bénéficié de l’instruction publique, laïque et obligatoire. » Oui, mais beaucoup de leurs officiers, issus de l’aristocratie ou de la bourgeoisie, étaient passés par l’enseignement catholique. Non seulement eux aussi ont payé le prix du sang, mais ils l’ont fait alors que la République n’était pas forcément le régime qui leur tenait à cœur.]

              Oui, mais pour eux, c’était aussi une sorte de suicide social. Votre commentaire me fait penser à « la grande illusion » de Jean Renoir…

              [Vous le savez, je suis porté au désespoir depuis quelques temps déjà. J’ai le sentiment que nous sommes pris dans un engrenage: la société s’est engagée sur une voie, portée par l’idéologie du “bloc dominant”, et je ne vois pas comment dévier de cette voie. Pire, il me semble que les jeunes générations adhèrent de plus en plus à ce nouveau modèle de société, et même si l’adhésion peut être tiède, il y a du moins l’idée que “de toute façon, c’est comme ça, faisons avec”. Il est vrai qu’on peut constater que pas grand-monde ne propose autre chose.]

              Je suis d’accord, même si je suis moins porté au désespoir que vous, peut-être parce que ma formation m’a donné une vision optimiste de l’être humain. L’époque est ce qu’elle est, et elle est assez noire. Mais ce n’est pas la première fois : il faut lire ce qu’on écrivait sur l’état de la France nos prédécesseurs en 1939 ou en 1958… Au risque de me répéter, je me réfère toujours aux « gardiens des livres » de Farenheit 451. Notre devoir est de conserver la flamme et de la transmettre, envers et contre tous. Je ne sais pas si vous réussirez à entraîner avec vous tous vous élèves, mais si vous arrivez à transmettre à un sur mille parmi eux, vous aurez fait œuvre utile.

              [Mais ce qui est terrible, c’est que l’individualisme fait surtout que les gens se foutent de ce qui ne les concerne pas, et du coup, c’est le règne du relativisme. Difficile dans ces conditions d’organiser des combats collectifs.]

              Oui. C’est en ce sens que je soutiens que ce que nous avons devant nous n’est pas la continuation des Lumières, mais leur négation. Pour l’homme des Lumières, « rien de ce qui était humain ne lui était étranger ».

              [Vous me direz que c’est risible, mais savoir que ce discours est produit, et relayé en France par des professeurs d’université, ça me coupe l’envie de rire). Eh bien, les autres me disent: “du moment que ça ne change rien pour nous, pourquoi nous en préoccuper?”.]

              En fait, c’est plus paradoxal que vous ne le dites. Oui, les gens ne se préoccupent vraiment que de ce qui les touche. Mais ils n’arrivent pas vraiment – surtout en France – à assumer cet égoïsme. Ils s’investissent donc symboliquement dans des causes – l’écologie, les migrants, le véganisme, le bien-être animal. En fait, on observe des comportements qui rappellent la vision moyenâgeuse des « orantes », cette couche de la population censée racheter les péchés du reste par la mortification et le sacrifice des plaisirs terrestres…

              [Deuxième question que je me pose, mais qui est liée à la précédente: est-il vraiment envisageable que la vapeur s’inverse sans une crise majeure, un effondrement généralisé?]

              Sans un effondrement généralisé, j’en suis convaincu. Sans une « crise majeure »… non. Le conflit entre les intérêts du « bloc dominant » et ceux des couches populaires est trop grand, trop antagonique pour imaginer un compromis. Il y aura affrontement et donc crise.

              [Notre société offre tellement de dérivatifs que finalement, j’ai l’impression que même les “perdants”, les potentiels révolutionnaires, pourront encore longtemps se contenter de ce qu’ils ont. Tant qu’on peut faire une partie de FIFA sur la console, regarder Hanouna à la télé et écouter son rap sur iPhone, la vie est belle…]

              Oui mais… l’évolution sociale va rapidement commencer à toucher un certain nombre de possibilités qui font au « bien vivre » des couches populaires. Le cas des transports est emblématique : voiture, train et avion pas trop chers ont permis aux couches populaires de sortir de leur trou, de voir autres horizons et connaître d’autres gens. On glose à longueur de journées sur les premiers congés payés de 1936 qui ont permis à tant de gens de voir pour la première fois la mer. Mais ce mouvement a été rendu possible aussi par les transports denses et bon marché, le train d’abord, la voiture ensuite. Or, on voit que l’évolution de la société va dans le sens de priver les plus pauvres de mobilité : les petites lignes ferroviaires ferment, la voiture est de plus en plus chassée de l’espace public et lorsqu’elle est tolérée il faut avoir une voiture relativement récente pour pouvoir circuler, de plus en plus lentement et de plus en plus cher. Et on s’apprête à taxer le voyage aérien après avoir culpabilisé ceux qui prennent l’avion.

              Ce n’est pas par hasard si la révolte des « gilets jaunes » est partie sur des questions de mobilité. Ce qu’on est en train de faire, c’est de parquer les couches populaires. Et même avec Hanouna et la console pour consolation, cela risque de ne pas passer.

            • morel dit :

              @ nationaliste-ethniciste
              « Est-ce qu’une révolution ne finit pas tôt ou tard par en appeler une autre? Les changements d’aujourd’hui ne sont-ils pas une forme de continuité des changements du passé depuis la Révolution »
              Si vous me permettez, la révolution démocratique dont la révolution française n’est pas le premier bouleversement que le monde ait connu. L’avènement du christianisme est lui-même lié à une autre révolution remettant en cause le mode de production basé sur l’esclavage, Le christianisme a été en son temps, révolutionnaire. Et si l’on pousse au bout votre raisonnement, il faudrait condamner les révolutions antérieures. Et si l’on peut déplorer les comportements de certains révolutionnaires de 89, on ne peut pas dire non plus que les chrétiens au pouvoir aient beaucoup pratiqué l’amour à l’encontre des polythéistes, Marc Bloch : « Durant l’ère féodale, la foi la plus vive dans les mystères du christianisme s’associa sans difficulté apparente avec le goût de la violence ».
              « Le mariage religieux est un engagement définitif, indissoluble. Le mariage civil n’est déjà plus qu’un contrat, qu’on peut rompre. Le libéralisme pointe son groin… »
              Indissolubilité du mariage : en théorie ; pratiquement autre chose..Bien sûr les très puissants pouvaient toujours bénéficier des autorités religieuses pour dissoudre un mariage mais d’autres puissants « s’en accommodaient » et vivaient comme..des païens voire des paillards, Au bout, on tombait surtout sur les faibles qui auraient l’audace de les imiter.
              L’ancien régime était aussi le lieu des différentiations provinciales actuellement très à la mode bobo et s’il n’était question de droits différentiés pour « la différence » sexuelle, ces derniers avaient doit de cité pour les « Sang-Bleu ».

            • Descartes dit :

              @ morel

              [« Le mariage religieux est un engagement définitif, indissoluble. Le mariage civil n’est déjà plus qu’un contrat, qu’on peut rompre. Le libéralisme pointe son groin… »
              Indissolubilité du mariage : en théorie ; pratiquement autre chose… Bien sûr les très puissants pouvaient toujours bénéficier des autorités religieuses pour dissoudre un mariage mais d’autres puissants « s’en accommodaient » et vivaient comme..des païens voire des paillards, Au bout, on tombait surtout sur les faibles qui auraient l’audace de les imiter.]

              En fait, beaucoup de gens croient que le mariage était l’état ordinaire des couples au cours de l’histoire. Mais pendant le haut moyen-âge seuls ceux qui avaient du bien à transmettre se mariaient. Les paysans serviles vivaient souvent « dans le péché ». Le mariage tel qu’il se pratiquait au cours du XXème siècle est en fait une invention très récente, liée à la montée en puissance de la bourgeoisie. Cela commence dans les villes à la Renaissance, et dans les campagnes au XVIIIème siècle.

              L’institution du mariage est d’abord une institution destinée à protéger la filiation et l’héritage. Ceux qui n’avaient pas de filiation illustre ou d’héritage à protéger n’en avaient cure…

            • @ Descartes,

              “je ne suis pas persuadé que les Lumières soient aussi « capitalistes, néolibérales et individualistes » que vous semblez le croire. Les capitalistes s’en sont d’ailleurs très vite méfiés, lui préférant de très loin la logique communautaire et moraliste du protestantisme, comme le notait Weber.”
              Peut-être, mais là où à mon avis vous vous trompez, c’est lorsque vous ne voulez pas voir que les éléments “positifs” des Lumières sont circonstanciels et non essentiels. Les philosophes du XVIII° siècle combattent l’Eglise, défendent la science et la raison parce que ces éléments leur sont utiles pour détruire l’ordre ancien (qui, vous avez raison, avait fait son temps) et donc permettre l’avènement de la bourgeoisie et la “libération des forces productives”. Du jour où la bourgeoisie n’a plus eu besoin des Lumières, elle les a rejetées, ne gardant que ce qui lui était utile pour poursuivre son ascension et augmenter son profit, et faisant même alliance avec l’Eglise pour pérenniser sa domination.

              Aujourd’hui, l’idéologie libérale-libertaire, si elle tourne le dos à certains principes des Lumières, joue le même rôle: être un instrument intellectuel au service des intérêts d’une bourgeoisie qui a compris que le cadre européen et mondial offrait des profits bien plus grands que l’échelle nationale. Pour moi, la philosophie des Lumières est conjoncturelle: elle correspondait aux intérêts de la bourgeoisie du moment. Aujourd’hui, Diderot et Voltaire tiendraient le même discours que les universitaires progressistes américains et émargeraient au Monde ou à Libé.

              “le catholicisme des pauvres”
              Justement, il n’y a plus de catholicisme des pauvres aujourd’hui en France, sauf parmi les Subsahariens immigrés.

              “il faut lire ce qu’on écrivait sur l’état de la France nos prédécesseurs en 1939 ou en 1958…”
              Je ne suis pas convaincu de cela. Dans les années 30 et 50, des institutions comme la famille, l’Eglise, le parti étaient encore solides, et partant de là, il était possible de restaurer l’Etat et l’unité nationale. Demain, au milieu d’ “individus-îles”, qu’espérez-vous rebâtir?

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Peut-être, mais là où à mon avis vous vous trompez, c’est lorsque vous ne voulez pas voir que les éléments “positifs” des Lumières sont circonstanciels et non essentiels. Les philosophes du XVIII° siècle combattent l’Eglise, défendent la science et la raison parce que ces éléments leur sont utiles pour détruire l’ordre ancien (qui, vous avez raison, avait fait son temps) et donc permettre l’avènement de la bourgeoisie et la “libération des forces productives”. Du jour où la bourgeoisie n’a plus eu besoin des Lumières, elle les a rejetées, ne gardant que ce qui lui était utile pour poursuivre son ascension et augmenter son profit, et faisant même alliance avec l’Eglise pour pérenniser sa domination.]

              Nous sommes d’accord sur le fait que l’idéologie dominante change selon les intérêts de la classe qui les porte. La bourgeoisie « dominée » de l’Ancien régime n’avait pas la même vision de l’égalité que la bourgeoisie « dominante » de l’époque de Napoléon III. Mais il ne faut pas pousser ce raisonnement trop loin. Le remplacement de Dieu comme source de légitimité politique et sociale et son remplacement par la Raison humaine, qui était un principe fondamental des Lumières, est « essentiel » au régime bourgeois. Personne ne considère que Steve Jobs ou François Pinault dirigent leur entreprise par la volonté de Dieu et qu’ils ne rendent compte qu’à lui, ou que les machines tombent en panne par punition divine. Quand bien même la bourgeoisie a utilisé l’Eglise comme instrument de contrôle social, elle n’en a jamais fait un instrument de légitimation.

              J’aurais tendance à dire que, comme cela arrive souvent, la victoire de la bourgeoisie s’est traduite comme toujours par un dédoublement idéologique. La bourgeoisie a gardé pour elle les éléments « positifs » dont vous parlez, mais sans les universaliser. Et c’est d’ailleurs ce qui se passe un peu aujourd’hui, ou le « bloc dominant » diffuse par exemple une doctrine « libérale-libertaire » de l’éducation tout en envoyant ses propres enfants à des institutions ou la rigueur pédagogique est de mise.

              [Justement, il n’y a plus de catholicisme des pauvres aujourd’hui en France, sauf parmi les Subsahariens immigrés.]

              Il est arrivé à l’église la même chose qu’au PCF : la hiérarchie a abandonné les pauvres pour se concentrer sur les « classes intermédiaires » et la bourgeoisie. Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans beaucoup de régions – c’est flagrant dans le Nord – la disparition des organisations catholiques « populaires » et des cellules du PCF suit une courbe assez proche…

              [« il faut lire ce qu’on écrivait sur l’état de la France nos prédécesseurs en 1939 ou en 1958… » Je ne suis pas convaincu de cela. Dans les années 30 et 50, des institutions comme la famille, l’Eglise, le parti étaient encore solides, et partant de là, il était possible de restaurer l’Etat et l’unité nationale. Demain, au milieu d’ “individus-îles”, qu’espérez-vous rebâtir?]

              Je pense que vous souffrez de presbytie historique : vous êtes trop proche du phénomène pour pouvoir le voir correctement. Dans les années 1930 ou 1950, les gens qui écrivaient avaient eux aussi l’impression que tout partait à vau l’eau, que les institutions étaient sur le point de disparaître. Si je suis optimiste sur ces questions – outre l’optimisme méthodologique – c’est parce que je suis profondément convaincu que l’Etat ou la nation sont des institutions éminemment nécessaires au fonctionnement des sociétés modernes. Elles se portent d’ailleurs fort bien dans la plupart des pays du monde : l’Amérique de Trump et la Chine de Xi Jinping en sont la meilleure illustration. En Europe, elles sont affaiblies parce qu’elles sont des obstacles sur le chemin du « bloc dominant » du jour. Mais pour moi cette situation est conjoncturelle. Dans le monde dangereux qu’est le nôtre, il n’y a pas de « fin de l’histoire », et le tragique revient à grand pas.

            • morel dit :

              @Descartes

              « Mais autant elles permettent des avancées considérables sur les plans politique, juridique, social ou économique, autant elles ont peu d’influence sur le plan culturel. La culture administrative et politique français doit plus à Louis XIV qu’à Robespierre, et celle de la Russie – comme celle de l’URSS d’ailleurs – doit encore beaucoup à Ivan le Terrible. »

              Il y a le temps long et le temps court, bien entendu, les pesanteurs de l’histoire propre (indiquant au passage l’absurdité de la négation des nations). En ayant ceci présent à l’esprit, on est beaucoup moins surpris de l’évolution de certains pays : au-delà de la « révolution » kémaliste, le paysans anatolien n’a jamais quitté la mosquée et son iman, la Lybie de Khadafi était loin d’avoir évolué de sa société tribale etc, mais je ne suis pas sûr qu’on puisse distinguer les « plans » ainsi que vous le faites.

              « La recherche de la satisfaction des besoins n’est pas quelque chose d’inhérent à l’humanité : vous trouvez le même comportement chez les animaux. »

              Oui, mais pour être plus précis, tant que les besoins premiers ne sont pas satisfaits…de plus, ma remarque s’appliquait à la mobilisation des ressources intellectuelles humaines pour cette satisfaction d’où l’allusion au lyssenkisme, érigé en credo par l’État soviétique.

              Je reconnais avoir cédé trop facilement à l’emporte-pièce mais que dire de :
              « Le problème est que si Jaurès avait raison – et cela reste à voir – il n’a tout de même pas changé grande chose. Il est facile d’avoir les mains propres quand on n’a pas de mains. »

              Assez injuste relativement à ce combattant socialiste.

              « Par contre, je trouve sévère votre qualification de Lénine. Loin d’être le « théoricien des minorités agissantes », il s’est au contraire opposé à tous les mouvements « gauchistes », 

              Lénine est quelqu’un de fort intelligent et cultivé (je ne suis pas sûr que cela puisse s’appliquer à Staline) mais sa conception de parti de révolutionnaires professionnels soumis à « une discipline de fer » joint à l’extrême centralisation.
              Le problème est qu’arrivé au pouvoir, ce parti s’est emparé de tous les leviers, excluant d’autres partis non seulement du pouvoir mais de la société ; restant seul sur la scène politique.

              « La conception du Parti comme une « avant-garde éclairé » qui était celle de Lénine faisait de la masse l’acteur essentiel de tout changement politique : une « avant-garde » n’a pas grand sens s’il n’y a pas le gros de l’armée derrière. »

              Effectivement, c’est là tout le génie de Lénine, il me semble avoir lu chez lui (de mémoire) que masses, chefs et partis ne « fusionnent » qu’en d’exceptionnelles occasions. Cette souplesse d’esprit lui permet d’envisager « le bon moment » mais aussi les autres et la suite .

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Il y a le temps long et le temps court, bien entendu, les pesanteurs de l’histoire propre (indiquant au passage l’absurdité de la négation des nations). En ayant ceci présent à l’esprit, on est beaucoup moins surpris de l’évolution de certains pays : au-delà de la « révolution » kémaliste, le paysans anatolien n’a jamais quitté la mosquée et son iman, la Lybie de Khadafi était loin d’avoir évolué de sa société tribale etc, mais je ne suis pas sûr qu’on puisse distinguer les « plans » ainsi que vous le faites.]

              Pourtant, cela paraît assez clair : la Lybie de Khadafi était une société tribale, mais qui utilisait des armes modernes. Le paysan anatolien n’a peut-être pas quitté sa mosquée, mais il a bénéficié d’un état civil laïc.

              [« La recherche de la satisfaction des besoins n’est pas quelque chose d’inhérent à l’humanité : vous trouvez le même comportement chez les animaux. » Oui, mais pour être plus précis, tant que les besoins premiers ne sont pas satisfaits…]

              Même pour ce qui concerne les « besoins premiers ». Vous trouverez des explorateurs humains qui sont allez mourir de faim dans des expéditions au Pôle Nord, alors que leurs « besoins premiers » auraient été beaucoup mieux satisfaits s’ils étaient restés chez eux.

              [de plus, ma remarque s’appliquait à la mobilisation des ressources intellectuelles humaines pour cette satisfaction d’où l’allusion au lyssenkisme, érigé en credo par l’État soviétique.]

              Je ne comprends toujours pas ce que vient faire le « lyssenkisme » dans cette affaire. Par ailleurs, beaucoup d’Etats ont érigé en crédo des idées bien plus absurdes : par exemple, que le pain et le vin se transforment en chair humaine. Et ceux qui niaient ce crédo étaient traités de manière bien plus rude que ceux qui refusaient d’adhérer aux idées de Lyssenko. Je trouve toujours très amusant la manière dont le « lyssenkisme » est mis en exergue, alors que le dogmatisme est partout autour de nous… peut-être une tendance à mieux voir la paille dans l’œil du prochain ?

              [Je reconnais avoir cédé trop facilement à l’emporte-pièce mais que dire de : « Le problème est que si Jaurès avait raison – et cela reste à voir – il n’a tout de même pas changé grande chose. Il est facile d’avoir les mains propres quand on n’a pas de mains. » Assez injuste relativement à ce combattant socialiste.]

              Je ne vois pas où est l’injustice. C’est un fait : Jaurès n’a jamais gouverné. On n’a donc jamais pu soumettre son projet au seul test qui vaille, celui du réel.

              [Lénine est quelqu’un de fort intelligent et cultivé (je ne suis pas sûr que cela puisse s’appliquer à Staline) mais sa conception de parti de révolutionnaires professionnels soumis à « une discipline de fer » joint à l’extrême centralisation.]

              Certes. Mais ce parti est un instrument pour mettre en mouvement les masses. Ce sont elles pour Lénine qui font la révolution, et non pas une quelconque « minorité agissante ». C’est pourquoi il condamnera la politique de violence individuelle des socialistes-révolutionnaires.

              [Le problème est qu’arrivé au pouvoir, ce parti s’est emparé de tous les leviers, excluant d’autres partis non seulement du pouvoir mais de la société ; restant seul sur la scène politique.]

              Oui. Il faut dire à sa décharge qu’aucun autre parti n’était disposé à jouer le jeu politique. Vous croyez que dans la Russie de 1917 il y avait beaucoup d’organisations politiques prêtes à jouer loyalement un jeu démocratique avec les bolcheviques ? Toutes les révolutions aboutissent à une logique de « parti unique », tout simplement parce qu’en temps troublés personne n’est prêt à jouer le jeu et à obéir aux règles. Il faut de longues années et surtout un Napoléon ou un Staline qui mette en place les « masses de granit » pour que l’Etat récupère le monopole de la force légitime. Et encore, ce n’est pas immédiat : il a fallu un siècle après la Révolution française pour qu’un régime multipartiste se mette en place.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Le paysan anatolien n’a peut-être pas quitté sa mosquée, mais il a bénéficié d’un état civil laïc.

              En a-t-il vraiment bénéficié ? Il semble qu’aujourd’hui le paysan anatolien vote AKP.
              On a le même phénomène en Iran, où les partisans d’une société « ouverte » (éventuellement laïque) se recrutent essentiellement dans les couches aisées et urbaines, alors que les pauvres et les ruraux sont typiquement attirés par un Ahmadinejad.

              > Je ne comprends toujours pas ce que vient faire le « lyssenkisme » dans cette affaire. Par ailleurs, beaucoup d’Etats ont érigé en crédo des idées bien plus absurdes : par exemple, que le pain et le vin se transforment en chair humaine.

              À ma connaissance, ils ne sont pas allés jusqu’à concevoir un programme de recherche scientifique visant à reproduire en laboratoire la transformation du pain et du vin en chair humaine (ou l’inverse).

              On retrouve la discussion sur la notion de croyance et ce que peut signifier « croire ».

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [« Le paysan anatolien n’a peut-être pas quitté sa mosquée, mais il a bénéficié d’un état civil laïc ». En a-t-il vraiment bénéficié ? Il semble qu’aujourd’hui le paysan anatolien vote AKP.
              On a le même phénomène en Iran, où les partisans d’une société « ouverte » (éventuellement laïque) se recrutent essentiellement dans les couches aisées et urbaines, alors que les pauvres et les ruraux sont typiquement attirés par un Ahmadinejad.]

              Les plus pauvres sont généralement conservateurs, parce qu’ayant peu de moyens pour s’adapter aux changements, ils comprennent très bien qu’un bon « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras ». Le changement est généralement voulu et poussé par les couches sociales qui ont les moyens intellectuels et matériels pour s’adapter au changement et en tirer les avantages. C’est une constante historique. La Révolution française, c’est un mouvement essentiellement poussé par la petite bourgeoisie urbaine. Les paysans les plus pauvres ont continué à se soumettre à leur seigneur et à leur curé, et il a fallu la politique volontariste de la IIIème République pour les sortir de cet état.

              Cela étant dit, et même s’ils n’en étaient pas tout à fait conscience, on peut dire que les paysans français ont bénéficié des progrès scientifiques et administratifs que la Révolution puis l’Empire ont amené avec eux…

              [« Je ne comprends toujours pas ce que vient faire le « lyssenkisme » dans cette affaire. Par ailleurs, beaucoup d’Etats ont érigé en crédo des idées bien plus absurdes : par exemple, que le pain et le vin se transforment en chair humaine ». À ma connaissance, ils ne sont pas allés jusqu’à concevoir un programme de recherche scientifique visant à reproduire en laboratoire la transformation du pain et du vin en chair humaine (ou l’inverse).]

              Bien sûr que si. Bon, il ne s’agissait pas de « recherche scientifique », vu que la méthode scientifique ne s’était pas imposée à l’époque. A chaque époque ses méthodes de légitimation. Mais on a conçu des programmes de recherche théologique, on a construit des facultés et des instituts, et on a écrit pas mal d’ouvrages destinés à « prouver » la chose…

            • morel dit :

              « Pourtant, cela paraît assez clair : la Lybie de Khadafi était une société tribale, mais qui utilisait des armes modernes. Le paysan anatolien n’a peut-être pas quitté sa mosquée, mais il a bénéficié d’un état civil laïc. »

              Ceci me fait irrésistiblement penser à un problème qui se pose à la transformation sociale : la petite bourgeoisie intellectuelle est, parfois même par profession, en position de force pour le maniement « d’idées », pas le prolétariat, Il y a potentiellement à partir de là, le danger de faire le « bonheur » de celui-ci sans son approbation. N’en déduisez pas pour autant une condamnation d’Atatürk mais la conscience qu’un travail de fond nécessaire, par ex, du type de notre bel acquis : l’instauration de l’école publique, laïque et obligatoire, une des institutions qui ont permis d’enraciner la République. Les élites qui ont mis en place le kémalisme sont socialement étrangères au peuple turc : elles sont l’élite, elles décident et imposent (l’interdiction du port du fez en est un exemple mineur).
              Il y a du De Gaulle en Atatürk et, comme lui, une négation de la question des classes.

              Ceci pour souligner que la meilleure réponse à la pesanteur du temps long est l’avancée, la consolidation par des mesures concrètes (j’ai cité l’école mais ce n’est pas la seule) de la nouvelle donne sociale. L’étoffement de la législation du travail a plus sûrement attelé l’ouvrier à la République que tous les discours.

              Ce qui nous fait revenir à Jaurès :
              « On n’a donc jamais pu soumettre son projet au seul test qui vaille, celui du réel. »

              Jaurès aurait vécu sans jamais se confronter au réel en somme ?

              « Oui. Il faut dire à sa décharge qu’aucun autre parti n’était disposé à jouer le jeu politique. Vous croyez que dans la Russie de 1917 il y avait beaucoup d’organisations politiques prêtes à jouer loyalement un jeu démocratique avec les bolcheviques ? « 

              Il n’y a aucun témoignage, aucun écrit ou parole disant qu’ils étaient prêts à laisser une place à une opposition même socialiste ; par contre, il y eut interdictions et proscriptions.

            • Descartes dit :

              @ morel

              [Ceci me fait irrésistiblement penser à un problème qui se pose à la transformation sociale : la petite bourgeoisie intellectuelle est, parfois même par profession, en position de force pour le maniement « d’idées », pas le prolétariat, Il y a potentiellement à partir de là, le danger de faire le « bonheur » de celui-ci sans son approbation.]

              Effectivement, vous posez un problème fondamental – qui par certains côtés rappelle la question soulevée par Weber à propos de la couche bureaucratique. Les rapports dialectiques entre la couche sociale qui détient les instruments intellectuels nécessaires pour penser une révolution et pour gouverner l’Etat et la couche « révolutionnaire » sont souvent complexes. La Révolution française a reposé sur une alliance entre une partie de l’aristocratie adhérant aux principes des Lumières, une petite couche intellectuelle (avocats, prêtres…), et la masse de la bourgeoisie urbaine et de la paysannerie aisée. La Révolution russe, sur une alliance entre la masse paysanne et ouvrière et une petite bourgeoisie intellectuelle. Dans les deux cas, s’est posée rapidement la question du pouvoir. La couche intellectuelle prétendant logiquement conduire la masse dans une direction dictée par la « raison » – mais en fait correspondant à ses propres intérêts, la masse ayant une conscience plus ou moins avancée de ce fait. Souvent cette confrontation dialectique s’est posée en deux phases : une première phase « progressiste » ou les couches intellectuelles poussent leur avantage, une deuxième « conservatrice » ou l’on revient en arrière pour consolider les acquis de la révolution. Pensez au foisonnement intellectuel des premières années de la révolution française ou russe, puis le relatif retour en arrière avec Napoléon ou Staline. C’est à tort à mon avis qu’on parle d’une « trahison de la révolution » par ces deux leaders. Leur œuvre est profondément inscrit dans la dialectique des révolutions : une première phase où l’on casse tout, une deuxième ou l’on reconstruit en continuité avec le passé. La révolution dévore ses enfants parce que ceux qui ont fait la première phase doivent disparaître pour que la deuxième phase soit possible.

              [N’en déduisez pas pour autant une condamnation d’Atatürk mais la conscience qu’un travail de fond nécessaire, par ex, du type de notre bel acquis : l’instauration de l’école publique, laïque et obligatoire, une des institutions qui ont permis d’enraciner la République. Les élites qui ont mis en place le kémalisme sont socialement étrangères au peuple turc : elles sont l’élite, elles décident et imposent (l’interdiction du port du fez en est un exemple mineur).]

              Les élites de la IIIème République qui ont imposé l’école publique, laïque et obligatoire étaient elles aussi « étrangères au peuple ». Je pense que la différence essentielle est que la modernité apportée par Atatürk est une modernité importée, définie en fonction d’un exemple pris à l’étranger. C’est tout le contraire au processus historique introduit par la Révolution française, qui est une modernité endogène, dont l’épine dorsale, les Lumières, sont une production locale. Atatürk est la figure paradoxale d’un nationaliste qui impose à son pays une organisation, une culture administrative, des usages venus de l’étranger. C’est là un élément de fragilité évident.

              [Il y a du De Gaulle en Atatürk et, comme lui, une négation de la question des classes.]

              Non, justement. De Gaulle, c’est la conviction qu’il faut des solutions françaises aux problèmes français. De Gaulle a toujours eu des mots très durs pour ceux qui pensaient que l’avenir de la France était de copier tel ou tel exemple étranger. Par ailleurs, de Gaulle était moins imperméable à la question des classes qu’on le pense généralement, même s’il croyait possible de dépasser les intérêts de classe dans une mystique nationale… pour constater ensuite que la bourgeoisie ne le suivait pas !

              [Ceci pour souligner que la meilleure réponse à la pesanteur du temps long est l’avancée, la consolidation par des mesures concrètes (j’ai cité l’école mais ce n’est pas la seule) de la nouvelle donne sociale. L’étoffement de la législation du travail a plus sûrement attelé l’ouvrier à la République que tous les discours.]

              L’intérêt partagé est certainement le meilleur ciment pour une société. Un régime ou les classes dominantes acceptent de partager un minimum les fruits au lieu de garder tout pour elles est souvent beaucoup plus stable qu’un régime ou les classes dominantes n’ont pas de frein à leur rapacité. Les politiques européens l’ont bien compris en 1945 : le meilleur vaccin contre l’avancée du communisme, c’était l’Etat providence. Et les patrons ont accepté de payer, même si c’était très cher. Depuis que la menace communiste n’est plus, la bourgeoisie reprend ce qu’elle avait cédé. Cet exemple montre que la sagesse de partager ne vient pas naturellement aux couches dominantes, elle est le résultat d’un rapport de forces. Je ne sais pas si dans la Turquie de 1918 le rapport de forces était de nature à permettre un tel partage…

              [« On n’a donc jamais pu soumettre son projet au seul test qui vaille, celui du réel. » Jaurès aurait vécu sans jamais se confronter au réel en somme ?]

              Je le pense, oui. Et c’est d’ailleurs ce qui lui permet d’être une sorte de figure tutélaire de la gauche, acceptable autant pour les social-libéraux que pour les communistes ou pour les gauchistes. Imaginez ce qui se serait passé si Jaurès n’avait pas été tué au Café du Croissant : il lui aurait fallu prendre position sur « l’union sacrée » de 1914-18, sur le schisme du Congrès de Tours… aurait-il comme Blum voté la mise hors la loi du PCF en 1939 ? Aurait-il comme beaucoup de socialistes voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940 ?

              [« Oui. Il faut dire à sa décharge qu’aucun autre parti n’était disposé à jouer le jeu politique. Vous croyez que dans la Russie de 1917 il y avait beaucoup d’organisations politiques prêtes à jouer loyalement un jeu démocratique avec les bolcheviques ? » Il n’y a aucun témoignage, aucun écrit ou parole disant qu’ils étaient prêts à laisser une place à une opposition même socialiste ; par contre, il y eut interdictions et proscriptions.]

              Pardon. Vous oubliez que les socialistes-révolutionnaires et les anarchistes continuent à participer à la vie politique jusqu’en juillet 1918. Au départ alliés des bolcheviques, les SR sont dans l’opposition depuis la signature du traité de Brest-Litovsk le 3 mars 2018. Au Vème congrès des soviets qui s’ouvre le 5 juillet 1918, ils ont encore 30% des délégués. S’ils sont « interdits et proscrits », c’est parce que le 6 juillet ils font assassiner l’ambassadeur d’Allemagne (pensant ainsi provoquer une réaction qui mettrait fin au traité de Brest-Litovsk) suivi le 7 juillet d’une tentative de coup d’Etat contre le Congrès. Un bon exemple pour illustrer mon idée qu’aucun groupe était prêt à jouer le rôle d’opposition loyale, vous ne trouvez pas ?

              Lénine n’était peut-être pas un grand démocrate… mais il n’était pas le seul dans ce cas. La plupart des mouvements politiques russes de l’époque n’éprouvaient la moindre hésitation à utiliser la violence et le meurtre pour s’approprier le pouvoir ou simplement pour faire avancer leurs revendications. Pensez-vous qu’on peut « laisser place à une opposition » prête à l’assassinat pour saboter votre politique ?

  17. Jordi dit :

    Un bel article. La droite est souvent mieux analysée vu de la gauche, et vice-versa.

    Quitte à faire vieux con, j’avais senti dès le début que l’UMP était une enculade. Dans cette “synthèse” de l’UDF et du RPR, on prend les voix et les électeur du RPR, mais le programme de l’UDF. Quinze ns plus tard, la supercherie est démasquée et les républicains partent à la poubelle.

    Concernant le souverainisme, je ne partagerais pas votre pessimisme. En cette ère mondialisée, des exemples existent et montrent un espoir : Trump, Salvini, Orban, Kaczynski, … . Tous ont un coté “gaulliste” : un poltique de droite sociale, dans un cadre national, avec des arbitrages mesures en faveur des couches populaires. Leur exemple montre que “c’est possible”, dans de spays pas si différents de la France.

    • Descartes dit :

      @ Jordi

      [Concernant le souverainisme, je ne partagerais pas votre pessimisme. En cette ère mondialisée, des exemples existent et montrent un espoir : Trump, Salvini, Orban, Kaczynski, … . Tous ont un coté “gaulliste” : un politique de droite sociale, dans un cadre national, avec des arbitrages mesures en faveur des couches populaires.]

      Je ne suis pas persuadé par cette comparaison. De Gaulle se méfiait des communistes mais détestait les bourgeois et d’une façon générale le monde de l’argent. Ce n’est certainement pas le cas des gens que vous citez… Le problème du souverainisme, c’est que sa représentation politique est d’une nullité intellectuelle remarquable. Normal, si l’on pense que les « classes intermédiaires » dominent presque totalement le champ intellectuel. Les rares intellectuels « souverainistes » sont ostracisés.

  18. Alain Brachet dit :

    1) Je vous suis sur beaucoup de vos commentaires, notamment sur celui-ci qui résume l’essentiel : « On est passé d’une période où les couches populaires et les classes intermédiaires qui en étaient issues formaient encore un bloc qui s’opposait aux possédants, à une logique où classes intermédiaires et bourgeoisie forment un bloc qui s’opposent aux « gueux ». Mais comment sortir de cette situation ?
    2) Une question en dehors (?) de ce sujet, mais pour laquelle j’aimerais avoir votre interprétation, car j’ai pu apprécier dans le passé vos idées, proches des miennes : le nucléaire. Il s’agit d’une courte interview d’un ex cadre dirigeant d’EDF (Lionel Taccoen) publiée le 21/06/2019 à 17h15 par Frédéric de Monicault sur le Figaro -internet. Sa conclusion, sans doute non officielle aujourd’hui (non émise par un cadre dirigeant en activité d’EDF) est pour le moins inquiétante : « La question aujourd’hui est de savoir si notre pays est capable de construire une centrale nucléaire » !

    • Descartes dit :

      @ Alain Brachet

      [« On est passé d’une période où les couches populaires et les classes intermédiaires qui en étaient issues formaient encore un bloc qui s’opposait aux possédants, à une logique où classes intermédiaires et bourgeoisie forment un bloc qui s’opposent aux « gueux ». Mais comment sortir de cette situation ?]

      Si je savais comment on fait, je serais en train de le faire !
      Plus sérieusement. Je ne crois pas qu’on puisse forcer l’histoire. La situation ou nous sommes est liée à des évolutions du mode de production et donc du rapport de forces entre classes. Aussi longtemps que ce processus ne se sera épuisé, le combat sera difficile. L’important, c’est d’affuter les armes intellectuelles, de convaincre autant de gens que possible, pour que le jour ou le processus s’épuisera on soit prêts à prendre le gouvernail. Et en attendant, essayer de lutter pour emporter les combats là où c’est possible.

      [Sa conclusion, sans doute non officielle aujourd’hui (non émise par un cadre dirigeant en activité d’EDF) est pour le moins inquiétante : « La question aujourd’hui est de savoir si notre pays est capable de construire une centrale nucléaire » !]

      Taccoen a parfaitement raison. Pour citer Chateaubriand : « De petits hommes inconnus se promènent comme des pygmées sous les hauts portiques des monuments d’un autre âge ». C’est bien ça le problème : sommes-nous encore capables d’égaler les exploits de nos parents, ou sommes-nous diminués comme ces romains vivant dans les ruines des monuments qu’ils n’étaient plus capables ni d’entretenir, ni de construire ?

      Il faut regarder la réalité en face. En trente ans la génération des soixante-huitards a dilapidé une bonne partie de l’héritage des trente glorieuses. Et je ne parle pas seulement des infrastructures qu’on a laissé vieillir sans rien faire. Je parle aussi de la destruction de notre système éducatif qui ne forme plus les ingénieurs et les scientifiques dont le pays a besoin, de la lente attrition de notre système de recherche. Pendant trente ans, on a vidé l’Etat et ses établissements de leurs compétences techniques, on a poussé les meilleurs vers la finance, on s’est moqué de ceux qui voulaient servir leur pays. On a du mal à croire aujourd’hui qu’on ait pu trouver en quelques années des techniciens et des ingénieurs pour construire en seulement 15 ans un parc de 58 réacteurs REP plus Superphénix, alors qu’il nous faut aujourd’hui plus de dix ans pour construire un EPR. Et à côté de ça, nous avons une autorité de contrôle dont les effectifs sont vingt fois plus nombreux qu’à l’époque, comme si le contrôle était plus noble et plus utile que la réalisation.

      C’est la question essentielle : saurions nous construire un réacteur ? développer un nouveau TGV ? une Caravelle ou un Concorde ? Je vous avoue que j’ai peur de la réponse. Elle est à mon avis négative. La situation n’est pas pour autant désespérée: le potentiel existe. Encore faut-il l’utiliser. Arrêter de former des avocats et des professeurs de sport, et former plus d’ingénieurs et de techniciens et lancer des grands programmes publics qui leur assurent une carrière. Investir dans la recherche et le développement…

      • Alain Brachet dit :

        Votre réponse concernant le nucléaire, va dans le sens de l’opinion émise par l’ex cadre EDF dirigeant (Taccoen). Mais n’aborde pas une préoccupation qui motivait plus spécialement mon interrogation, et que je préciserais ainsi :
        Qu’un cadre EDF autrefois dirigeant, probablement à la retraite désormais, exprime le doute sur la capacité de la France à construire (donc aussi à entretenir) les réacteurs français, est en soi inquiétant. Mais n’a pas une incidence importante sur l’opinion publique (l’opinion de ce cadre peut être désavouée sans difficulté par les dirigeants en activité, dont la parole est « officielle »).
        Je me pose alors une question : pourquoi cette position critique, d’un ancien cadre EDF ?
        Je vois deux possibilités, d’ailleurs plus ou moins entremêlées.
        Ce cadre, connaissant encore bien la « maison », rend public un sentiment qui est en train d’y mûrir. Il se comporte un peu en « lanceur d’alerte », à la place d’un actif de la maison, qui, au stade actuel et encore préliminaire du problème, a peu de chance de se manifester. Cela devient plus inquiétant…
        Tenant compte de la propension du gouvernement Macron (après d’autres) à détruire les grandes entreprises nationalisées qui ont porté dans le passé ces grandes réalisations techniques que sont, par exemple, le TGV, les 58 réacteurs en fonctionnement sans gros incidents pendant 40 ans. Réacteurs qui fournissent une électricité à bas coût (en témoigne – loi Nome – l’obligation faite à EDF de céder à coût bradée une part de sa production nucléaire à ses concurrents). Tenant compte en outre du fait que ce pouvoir macronien laisse se détruire toute une infrastructure industrielle qui supportait ces développements, on peut être encore bien davantage inquiet. Et on peut se demander si « l’alerte » émise par cet ex cadre EDF, et d’autres qui ne manqueront pas de suivre si les choses continuent à évoluer sur cette lancée, ne va pas être utilisée par le pouvoir macronien lui-même a contrario (c’est un procédé qu’il utilise à foison) pour dire : « Halte-là ! Il faut stopper chez nous le nucléaire : c’est trop dangereux, on ne sait plus faire, un gouvernement français qui se respecte, a le devoir de tout arrêter !… Et ce n’est pas nous les responsables : les techniciens d’EDF eux-mêmes nous le disent… ». Certains pensent (chez les Verts, par exemple) que Macron fait partie du « lobby nucléaire » : ce contexte de mise en doute de l’aptitude de la France à maîtriser désormais la technique va plutôt en sens inverse. Macron et le capitalisme français ultra libéral, mondialisé et financiarisé qui l’a propulsé là où il est, ne misent plus sur le nucléaire civil (1) : c’est trop difficile de faire des profits plantureux à court terme avec cette technique… Mais s’en débarrasser n’est pas commode (58 réacteurs, un EPR difficile à vendre, toute une infrastructure pour le cycle du combustible, etc…). Il est de plus en plus légitime d’être inquiet…
        (1) Voir l’alarmisme du rapport parlementaire sur la sécurité et la sûreté nucléaire dit « rapport Pompili ».

        • Descartes dit :

          @ Alain Brachet

          [Qu’un cadre EDF autrefois dirigeant, probablement à la retraite désormais, exprime le doute sur la capacité de la France à construire (donc aussi à entretenir) les réacteurs français, est en soi inquiétant.]

          Pourquoi « inquiétant » ? Je serais beaucoup plus inquiet si la filière nucléaire se réfugiait dans le déni, si elle était incapable d’admettre qu’il y a un problème. Que les cadres dirigeants du nucléaire s’interrogent sur notre capacité à construire – et à exploiter, même si ce n’est pas le même métier – des réacteurs me semble une très bonne prise de conscience. C’est en admettant qu’il y a des problèmes qu’on peut chercher à les résoudre, et pas en se cachant derrière son petit doigt.

          Oui, si l’on veut continuer à faire du nucléaire il faut s’en donner les moyens, renouveler les compétences, former des ingénieurs, des techniciens, des ouvriers qualifiés. Taccoen ne dit pas autre chose.

          [Mais n’a pas une incidence importante sur l’opinion publique (l’opinion de ce cadre peut être désavouée sans difficulté par les dirigeants en activité, dont la parole est « officielle »). Je me pose alors une question : pourquoi cette position critique, d’un ancien cadre EDF ?]

          Mais les cadres en activité à EDF ne disent pas autre chose. Les difficultés pour la filière à renouveler les compétences sont bien connues, et EDF a mis en œuvre plusieurs programmes pour s’attaquer à cette difficulté. Des programmes qui n’ont pas donné les résultats espérés, car il n’est pas à la portée d’une entreprise, fut-ce la meilleure, de lutter contre le mépris ambiant pour les métiers de l’industrie. Aller chercher derrière l’expression de Taccoen un quelconque « complot du silence » me paraît pour le moins aventureux.

          [Et on peut se demander si « l’alerte » émise par cet ex cadre EDF, et d’autres qui ne manqueront pas de suivre si les choses continuent à évoluer sur cette lancée, ne va pas être utilisée par le pouvoir macronien lui-même a contrario (c’est un procédé qu’il utilise à foison) pour dire : « Halte-là ! Il faut stopper chez nous le nucléaire : c’est trop dangereux, on ne sait plus faire, un gouvernement français qui se respecte, a le devoir de tout arrêter !…]

          C’est un risque. Devant le problème posé, il y a deux solutions : abandonner l’activité ou investir pour renouveler les compétences. C’est un choix éminemment politique. Cela étant dit, faire le premier choix nous conduit à devenir un pays musée, qui abandonnerait une à une les technologies les plus avancées.

  19. frédéric durand dit :

    @ Descartes
    Merci de votre réponse détaillée,

    Sur le libéralisme : vous avez très justement rappelé le rôle du libéralisme “classique”. Cependant, l’individu libéral occidental, une fois libéré des liens traditionnels de la société d’ancien régime, l’a été pour le meilleur et pour le pire. Ce que Michéa rappelle à juste titre selon moi, c’est le rôle fondateur du traumatisme des guerres de religion dans l’élaboration d’un modèle qui se voulait en dehors de tout jugement de valeur, selon les lois du marché libre et du droit abstrait pour régir les relations entre personnes. Une espèce d’idéal newtonnien sans sujet, une simple mécanique sociale dont l’éthique utilitariste ne peut qu’aboutir à cette guerre de “tous contre tous” qui gangrène de plus en plus notre société, que l’on songe à la judiciarisation accrue des rapports sociaux, à l’atomisation des individus, aux rôles calamiteux de tous ces entrepreneurs de conscience qui pourrissent le débat public.
    Songez à ceci : autant les droits sociétaux ne sont jamais remis en cause par les politiques, autant les droits sociaux, acquis de longues luttes par les mouvements ouvriers et leurs représentants politiques sont systématiquement attaqués. C’est donc que l’extension indéfinis des droits est loin de remettre en cause le règne du capital. Il n’y a qu’à voir, par exemple, les angles d’attaques contre la laïcité, invoquant le relativisme moral et la liberté de conscience. Aucun darwinisme social là-dedans, mais l’aboutissement d’une logique.

    Sur les trente glorieuses : encore une fois vous avez raison de rappeler la hausse du niveau de vie des milieux populaires pendant cette période, cette “moyennisation” est indéniable. Mais elle s’est accompagnée d’une « américanisation » du mode de vie. On peut se rappeler de la lutte du PCF contre le coca-cola par exemple. L’idéal consumériste, narcissique, égoïste était très loin d’un idéal républicain ou socialiste et de ses vertus, réelles ou supposées. Et puis, cette époque est révolue. Le compromis ne tenait que dans le contexte de la guerre froide. Il a éclaté avec la mondialisation, la révolution libérale et la faillite du modèle soviétique. Un tel compromis est-il encore possible ? Vous le croyez nécessaire afin de construire une alternative politique viable, au nom d’un réalisme politique. Mais justement, la bourgeoisie a bien compris qu’elle n’avait plus besoin de la France périphérique et que celle-ci ne dispose plus de véritables relais politiques. La France insoumise a tenté une campagne populiste qui a marché en partie mais l’a aussitôt abandonné, comme si elle craignait de trop bien réussir ou de soulever des questions dont elles n’aimeraient pas les réponses. Quant au RN, même s’il parvenait au pouvoir, il n’aurait pas le pragmatisme d’un Trump, je pense. Je pense pourtant que c’est ce sillon du populisme qu’il faudrait creuser.

    Un dernier point, car ma réponse est déjà beaucoup trop longue, concernant le capitalisme.
    Orwell parlait de capitalisme de laisser-faire. Braudel opposait économie de marché et capitalisme. Quant à Marx, il ne faisait aucune distinction dans ce qu’il considérait avant tout comme un mode de production spécifique et une transformation des rapports humains en abstraction médiatisée par les rapports marchands. Il ne différenciait guère les différentes variantes qu’a la bourgeoisie d’extorquer en tout bonne conscience la plus-value.

    Sur les « robisonnades » justement, vous trouverez tout ce qu’il vous faut dans « INTRODUCTION À LA CRITIQUE DE L’ÉCONOMIE POLITIQUE ». Je mets le lien au cas où…
    https://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/critique.pdf
    En tout cas, merci pour votre blog dont les articles (et les réponses) sont toujours très stimulants.

    • Descartes dit :

      @ frédéric durand

      [Cependant, l’individu libéral occidental, une fois libéré des liens traditionnels de la société d’ancien régime, l’a été pour le meilleur et pour le pire.]

      Tout à fait d’accord. On ne tue pas dieu impunément. En s’affranchissent des liens traditionnels et avant tout du lien religieux, l’homme est devenu adulte. Pour le meilleur et pour le pire.

      [Une espèce d’idéal newtonnien sans sujet, une simple mécanique sociale dont l’éthique utilitariste ne peut qu’aboutir à cette guerre de “tous contre tous” qui gangrène de plus en plus notre société, que l’on songe à la judiciarisation accrue des rapports sociaux, à l’atomisation des individus, aux rôles calamiteux de tous ces entrepreneurs de conscience qui pourrissent le débat public.]

      Pas une « guerre de tous contre tous ». Cette logique aboutit au contraire à des sociétés qu’on peut dire « pacifiées », et où l’usage de la violence est relativement exceptionnel. Plus qu’un retour à l’état de nature hobbésien, on arrive au contraire à une logique d’individu-île, dont l’idéal est la disparition de l’autre, c’est-à-dire, de celui qui ne vous ressemble pas. Il s’agit moins d’aller se battre avec l’autre que de se protéger derrière des murs d’une possible irruption de l’autre.

      [Songez à ceci : autant les droits sociétaux ne sont jamais remis en cause par les politiques, autant les droits sociaux, acquis de longues luttes par les mouvements ouvriers et leurs représentants politiques sont systématiquement attaqués. C’est donc que l’extension indéfinis des droits est loin de remettre en cause le règne du capital.]

      Tout à fait. Les droits « sociétaux » sont censés ne coûter rien à personne. On le voit dans l’argument utilisé par Christiane Taubira pour défendre le soi-disant « mariage pour tous ». Puisque autoriser le mariage homosexuel ne change en rien la situation de ceux qui ne le sont pas, ces derniers ne sont pas légitimes à s’y opposer. En d’autres termes, les droits sociétaux sont légitimes parce qu’ils augmentent – du moins en théorie – le bonheur des uns sans diminuer le bonheur des autres. Au contraire, les droits sociaux sont fondamentalement des droits économiques, qui changent la répartition de la richesse produite. Et c’est là où les ennuis avec le capital commencent…

      Les droits sociétaux sont le « truc » que le bloc dominant a trouvé pour donner l’impression que la société progresse.

      [Sur les trente glorieuses : encore une fois vous avez raison de rappeler la hausse du niveau de vie des milieux populaires pendant cette période, cette “moyennisation” est indéniable. Mais elle s’est accompagnée d’une « américanisation » du mode de vie. On peut se rappeler de la lutte du PCF contre le coca-cola par exemple.]

      Ce n’est pas parce qu’on boit du coca-cola qu’on « s’américanise ». Les britanniques boivent depuis des siècles du porto, et ils ne sont pas devenus portugais pour autant. La France des « trente glorieuses » s’est américanisée dans la mesure ou les Etats-Unis étaient la puissance dominante du point de vue économique. Mais cela n’a rien à voir à mon avis avec la hausse du niveau de vie des couches populaires – qui sont d’ailleurs celles qui se sont le moins « américanisées »…

      [Et puis, cette époque est révolue. Le compromis ne tenait que dans le contexte de la guerre froide. Il a éclaté avec la mondialisation, la révolution libérale et la faillite du modèle soviétique. Un tel compromis est-il encore possible ?]

      De toute évidence, pas dans l’état actuel des choses. Mais je ne crois pas que cet état soit la fin de l’histoire…

      [Vous le croyez nécessaire afin de construire une alternative politique viable, au nom d’un réalisme politique. Mais justement, la bourgeoisie a bien compris qu’elle n’avait plus besoin de la France périphérique et que celle-ci ne dispose plus de véritables relais politiques. La France insoumise a tenté une campagne populiste qui a marché en partie mais l’a aussitôt abandonné, comme si elle craignait de trop bien réussir ou de soulever des questions dont elles n’aimeraient pas les réponses.]

      La France Insoumise cherche à faire exactement ce que Mitterrand a fait dans les années 1970 : capter l’électorat populaire pour le mettre au service des « classes intermédiaires ». Je ne pense pas que LFI ait « abandonné » sa campagne populiste, contrairement à ce qu’affirment certains déçus de l’insoumission. Le discours de Mélenchon n’a pas changé depuis 2017. Mais à l’époque, les Kuzmanovic et autres étaient trop aveuglés par les bons résultats électoraux et l’expansion de la base militante pour s’en apercevoir.

  20. Vincent dit :

    > Et à côté de ça, nous avons une autorité de contrôle dont
    > les effectifs sont vingt fois plus nombreux qu’à l’époque,
    > comme si le contrôle était plus noble et plus utile que la
    > réalisation.

    N’y voyez vous pas un lien de cause à effet ? Je n’en sais strictement rien, mais une de mes hypothèses pour expliquer ces difficultés est que la superposition des couches de contrôles (*) à différents niveaux fait que l’essentiel de l’énergie productive est gaspillée dans le “contrôle qualité” et dans des procédures qui empêchent ceux qui le devraient de se concentrer sur le cœur de métier, à savoir comment construire le machin ?
    Ma 2ème hypothèse est le principe de la sécurité cumulative : à chaque fois que quelqu’un trouve, à n’importe quel niveau, une idée qui pourrait améliorer la sécurité, on le fait, et l’exigence reste pour l’éternité. Et chacun voulant avoir son heure de gloire, chacun trouve sa petite idée. Ce qui fait qu’au début du programme, les exigences étaient raisonnables, mais que 50 ans après, les superpositions de demandes (parfois contradictoires) aboutissent à rendre les réacteurs difficilement constructibles (par exemple, on en impose toujours plus en cas de charges pour les structures en béton armé, ce qui fait qu’il faut mettre toujours plus d’armatures. Et en parallèle, on impose toujours plus en durabilité, ce qui fait qu’il faut réduire le diamètre des armatures, ou augmenter encore leur section. Et aussi toujours plus en dispositions constructives, ce qui fait qu’à un moment, il n’y a plus assez de place pour caser toutes les armatures tout en remplissant les dispositions constructives…)
    Une 3ème hypothèse est qu’à trop chercher à contrôler les coûts à tous les niveaux, chaque entreprise (notamment les prestataires et sous-traitants en charge de l’ingénierie) ne conserve que les compétences qui permettent de ne pas avoir de sureffectif en période de vaches maigres. Et quand un projet nucléaire sort, avec en plus toutes les exigences de contrôle qualité, il faut embaucher à tours de bras des prestataires extérieurs (intérim) pour satisfaire la demande. Et ce n’est généralement pas chez les intérimaires qu’on trouve l’expertise. Et à force d’avoir des équipes trop nombreuses et trop diverses dans leurs statuts, cela fait qu’il y a en plus besoin de grosses équipes de gestion, etc.
    Une 4ème explication est qu’il y a peut être eu une dérive vers une contractualisation des rapports avec les prestataires et sous-traitants, qui cherchent avant tout à respecter leur contrat et à trouver un sujet de “claim”, plutôt qu’à faire avancer le bidule d’ensemble…

    (*) on parle beaucoup des contrôles de l’ASN, mais il ne faut pas négliger les cascades de sous traitants, entre EDF/Sofinel/les prestataires/les STT des prestataires… Qui à chaque fois exercent leur propre contrôle avec leurs propres exigences.

    Ne travaillant pas dans le nucléaire, mais m’intéressant au sujet, je serais ravi d’avoir votre opinion (je ne sais pas si vous travaillez dans le nucléaire, mais vous semblez en tout cas être très au courant…)

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [« Et à côté de ça, nous avons une autorité de contrôle dont les effectifs sont vingt fois plus nombreux qu’à l’époque, comme si le contrôle était plus noble et plus utile que la réalisation. » N’y voyez vous pas un lien de cause à effet ?]

      Non, pas tout à fait. Je le prends surtout comme un symptôme d’une dérive sociale. Nous sommes dans une société peureuse, qui fait de la minimisation du risque l’alpha et l’oméga des politiques publiques. Jamais comme aujourd’hui le rapport coût/avantage de la prise de risque n’a été aussi défavorable. Si la prise de risque s’avère payante, vous aurez au mieux quelques félicitations du bout des lèvres. Si le risque se réalise, vous serez pendu en place publique. Regardez l’affaire du prélèvement à la source. Malgré les vaticinations des pleureuses diverses, le basculement s’est bien fait. Avez-vous vu beaucoup d’articles de presse élogieux vis-à-vis du directeur général des finances publiques et de son équipe ? Pas moi. Maintenant, imaginez ce qui se serait passé si la bascule s’était mal passée…

      C’est Foch je crois qui avait dit « je ne sais pas qui a gagné cette bataille, mais je sais qui l’aurait perdue ». Et aujourd’hui, c’est infiniment pire. Vous n’imaginez pas les efforts qui sont dépensés par le politique en pure perte pour ouvrir des parapluies au cas où. On multiplie les consultations et des contrôles de toutes sortes pour diluer les responsabilités, on se refuse à faire des choix pour laisser toutes les options ouvertes au cas où, on ne fixe des objectifs qu’à très long terme, sachant qu’on ne sera plus là lorsqu’il s’agira de rendre des comptes… Tout cela a un coût énorme, souvent bien plus grand que le coût de l’erreur toujours possible, mais que l’opinion ne supporte pas.

      L’hypertrophie du contrôle puise sa source dans cette logique. Une présidente du jury de l’ENA avait remarqué dans son rapport que tous les candidats manifestaient vouloir se consacrer « à l’évaluation des politiques publiques » sans se rendre compte qu’avant d’évaluer, il faut faire. Le tropisme vers les fonctions de contrôle de nos jeunes hauts fonctionnaires – mais aussi de nos ingénieurs – est aussi une minimisation du risque : il est bien moins dangereux d’être celui qui contrôle que d’être celui qui fait.

      [Je n’en sais strictement rien, mais une de mes hypothèses pour expliquer ces difficultés est que la superposition des couches de contrôles (*) à différents niveaux fait que l’essentiel de l’énergie productive est gaspillée dans le “contrôle qualité” et dans des procédures qui empêchent ceux qui le devraient de se concentrer sur le cœur de métier, à savoir comment construire le machin ?]

      Vous avez raison de souligner combien la multiplication des contrôles (dont un bon nombre sont parfaitement inutiles) alourdit les procédures et consomme une énergie qu’on pourrait mieux utiliser pour faire les choses. Il faut aussi noter qu’au-delà d’un certain niveau, le contrôle dégrade la réalisation. En effet, sachant qu’il y aura un contrôleur pour redresser le tir si quelque chose ne va pas, les gens finissent par ne plus se sentir responsables des résultats de leur travail. J’ai pu moi-même constater combien les « procédures qualité », lorsqu’elles rentrent trop dans le détail, déresponsabilisent totalement les gens dont le seul souci devient de pouvoir cocher les cases.

      [Ma 2ème hypothèse est le principe de la sécurité cumulative : à chaque fois que quelqu’un trouve, à n’importe quel niveau, une idée qui pourrait améliorer la sécurité, on le fait, et l’exigence reste pour l’éternité. Et chacun voulant avoir son heure de gloire, chacun trouve sa petite idée.]

      Vous avez tout à fait raison. Chaque fois qu’il y a un incident de sûreté – et des incidents mineurs il y a plusieurs dizaines par an et par réacteur, on rajoute une couche de vérification et une signature au plan qualité. Et comme personne n’ose jamais en retirer, parce que le faire c’est prendre le risque qu’on vous le reproche si un jour il y a un incident, il y a un effet de sédimentation qui rend le système de moins en moins efficace.

      [Une 3ème hypothèse est qu’à trop chercher à contrôler les coûts à tous les niveaux, chaque entreprise (notamment les prestataires et sous-traitants en charge de l’ingénierie) ne conserve que les compétences qui permettent de ne pas avoir de sureffectif en période de vaches maigres. Et quand un projet nucléaire sort, avec en plus toutes les exigences de contrôle qualité, il faut embaucher à tours de bras des prestataires extérieurs (intérim) pour satisfaire la demande.]

      Tout à fait. En plus, il y a le phénomène déjà dénoncé par Vauban à Louvois dans sa célèbre lettre de 1683 – ça ne date pas d’hier – dont je ne résiste pas à la tentation de citer un paragraphe : (http://www.sos-marches-publics.com/critique-de-la-notion-de-moins-disant-par-rapport-au-mieux-disant-dans-les-marches-publics-en-1683-vauban-deja/)

      « Je dis de plus qu’elles retardent et renchérissent considérablement les ouvrages qui n’en sont que plus mauvais, car ces rabais et bons marchés tant recherchés sont imaginaires, d’autant qu’il est d’un entrepreneur qui perd comme d’un homme qui se noie, qui se pend à tout ce qui peut ; or, se pendre à tout ce qu’on peut en matière d’entrepreneur, est ne payer les marchands chez qui il prend les matériaux, mal payer les ouvriers qu’il emploie, friponner ceux qu’il peut, n’avoir que les plus mauvais parce qu’ils se donnent à meilleur marché que les autres, n’employer que les plus méchants matériaux qu’il peut, tirer toujours le cul en arrière sur tout ce à quoi il est obligé, tromper sur les façons, chicaner sur toutes choses et toujours crier miséricorde contre celui-ci et celui-là, notamment contre tous ceux qui le veulent obliger à faire son devoir. »

      L’ouverture du capital et la libéralisation du marché produisent une pression à la baisse qui contribue à vider l’industrie de ses compétences en favorisant le recours à du personnel faiblement qualifié et à l’intérim, mais aussi à « n’avoir que les plus mauvais »…

      • Vincent dit :

        Je constate avec satisfaction que vos analyse des causes de nos problèmes industriels ne diffèrent pas fondamentalement…

        > On multiplie les consultations et des contrôles de toutes sortes pour diluer les
        > responsabilités, on se refuse à faire des choix pour laisser toutes les options
        > ouvertes au cas où, on ne fixe des objectifs qu’à très long terme, sachant qu’on
        > ne sera plus là lorsqu’il s’agira de rendre des comptes…

        C’est un vrai problème de notre administration : la peur de décider de quoi que ce soit, si bien qu’il y a des jeux de ping-pong éprouvants et stériles entre les membres de ces administrations.
        Je connais un exemple réel bien plus convainquant que ce que vous évoquez (j’ai simplifié et un peu modifié pour préserver l’anonymat) :
        Une maître d’ouvrage public qui devait faire des travaux sur un barrage. L’agence régionale de santé a imposé la construction d’un petit barrage à l’amont pour garantir qu’il y aurait toujours une exploitation en période sèche. La Direction des Territoires a demandé que l’assèchement du barrage ne puisse pas se faire avant le mois de Décembre, soit juste avant la période humide. Ce qui devait arriver arriva : il a fallu construire le petit barrage pendant que tout le chantier était inondé… ce qui est naturellement impossible. L’entreprise a du faire les travaux en 1 mois au lieu de 4… Ce qui a forcément un coût.
        Le maître d’ouvrage a écrit à qui voulait l’entendre qu’il était hors de question qu’il y ait un dépassement des délais, pour obéir à l’administration. Mais aussi qu’il était hors de question qu’il y ait un dépassement des coûts. L’entreprise a fait savoir qu’elle ne pouvait pas engager de moyens sans l’assurance d’être payée. Le Maître d’Ouvrage lui a fait suivre une mise en demeure du préfet (qui lui était adressée). Et l’entreprise s’est donc sentie obligée d’engager les moyens sans avoir de garanties d’être payée.

        Une fois les travaux finis, le Maître d’Ouvrage s’est trouvé face à la facture. Mais personne ne voulait prendre la responsabilité de la valider, car il aurait fallu justifier les surcoûts auprès du Conseil d’Administration, et chacun préférait laisser la place aux autres.
        Du coup, le dossier est allé au contentieux. Le Maitre d’Ouvrage a perdu, ce qui a permis à tous ceux qui étaient en place d’être mutés avant que la facture ne soit à payer. Et les successeurs ont pu se justifier auprès de leur conseil d’administration en disant : “on a perdu un arbitrage juridique, ce n’est pas de notre faute”…
        Ou comment se défausser d’une décision qui était pourant évidente sur l’entreprise dans un premier temps, et sur les avocats dans un second….

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [C’est un vrai problème de notre administration : la peur de décider de quoi que ce soit, si bien qu’il y a des jeux de ping-pong éprouvants et stériles entre les membres de ces administrations.]

          « Notre administration » ? Que vient faire « l’administration » dans cette galère ? Ce n’est pas « l’administration » qui sont censés prendre les décisions jusqu’à nouvel ordre, ce sont les politiques. Ce n’est pas « l’administration » qui a hésité à Notre-Dame des Landes. Mon expérience m’indique exactement le contraire : l’administration est parfaitement capable de proposer des décisions courageuses, et une fois la décision prise par le politique, de les mettre en œuvre.

          [Je connais un exemple réel bien plus convainquant que ce que vous évoquez (j’ai simplifié et un peu modifié pour préserver l’anonymat) :]

          Désolé, mais je n’ai rien compris à votre exemple. Le code des marchés publics est d’ailleurs formel : aucune entreprise n’est tenue de commencer des travaux avant d’avoir en main une commande (qui lui garantit d’être payé le prix accordé) ou une réquisition (qui lui garantit d’être payé un prix accordé à posteriori, sous le contrôle du juge). L’exemple que vous donnez peut s’interpréter comme une indécision au niveau du maître d’ouvrage, mais aussi comme une mise devant le fait accompli d’un fournisseur qui a commencé les travaux avant d’avoir accordé le prix !

          • Vincent dit :

            > « Notre administration » ? Que vient faire « l’administration »
            > dans cette galère ? Ce n’est pas « l’administration » qui sont
            > censés prendre les décisions jusqu’à nouvel ordre,

            Je pensais en écrivant ces lignes aux maîtres d’ouvrages publics que j’ai côtoyés.

            > Désolé, mais je n’ai rien compris à votre exemple.
            > Le code des marchés publics est d’ailleurs formel :
            > aucune entreprise n’est tenue de commencer des
            > travaux avant d’avoir en main une commande (…)

            J’ai donc dû être tellement imprécis que ça en était incompréhensible.
            Je parle de marchés publics de travaux, qui sont un type particulier de marchés publics, souvent réalisés au bordereau (le montant contractuel est un prix unitaire, et le montant qui sera réglé dépendra des variations de quantités).
            Un article du code des marchés publics dit qu’en cas de variation d’un montant supérieur à 25%, un avenant est obligatoire pour pouvoir continuer les travaux.
            Le Maître d’ouvrage a voulu forcer l’entreprise à continuer les travaux au delà de ces 25% sans être prêt à lui signer une autorisation de dépasser ce montant, sous forme d’un avenant partiel, qui est pourtant parfaitement légal et même assez courant.
            Et effectivement, la réaction initiale de l’entreprise était de demander une réquisition en cas d’absence d’avenant, ce que le maître d’ouvrage n’a pas voulu demander au préfet.
            L’entreprise a accepté en faisant l’hypothèse, après avoir consulté des avocats, que le fait que le maître d’ouvrage transmette par ordre de service exécutoire une mise en demeure préfectorale qui lui était faite pouvait être considéré, devant les tribunaux, comme une demande quasiment identique à une réquisition.

            J’espère que c’est plus clair pour vous ; j’oublie toujours que les marchés publics de travaux ont une mise en oeuvre assez particulière par rapport aux marchés publics habituels, ce qui peut effectivement à priori choquer.

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [L’entreprise a accepté en faisant l’hypothèse, après avoir consulté des avocats, que le fait que le maître d’ouvrage transmette par ordre de service exécutoire une mise en demeure préfectorale qui lui était faite pouvait être considéré, devant les tribunaux, comme une demande quasiment identique à une réquisition.]

              Un bon conseil pour votre entreprise : changez d’avocat ! Parce qu’un avocat qui confond mise en demeure avec réquisition, et qui en plus suppose qu’une réquisition pourrait permettre à celui qui la reçoit de s’affranchir vis-à-vis de ses sous-traitants des dispositions du code des marchés publics n’est pas à recommander…

              Tel que vous exposez le cas, c’est l’entreprise qui est en tort, et non le gestionnaire public. Ce n’est pas parce que l’entreprise a interprété les faits à son avantage que le comptable public doit adopter cette interprétation…

            • Vincent dit :

              > Un bon conseil pour votre entreprise :
              > changez d’avocat !

              Ca n’est pas mon entreprise ; j’étais spectateur. Je ne me souviens plus exactement comment étaient rédigés les courriers, d’une part, ce qui avait été dit et écrit d’autre part (je crois que la réquisition avait été seulement mentionnée par oral), mais force est de constater qu’ils ont fini par avoir gain de cause. Et qu’il n’y a eu aucune enrichissement indu de l’entreprise, qui n’a pas eu plus que ce qu’elle aurait eu avec un avenant négocié honnêtement (en gros, ils ont simplement eu le paiement des quantités réellement mises en œuvre…)

              L’entreprise s’est peut-être placée un peu en tort juridiquement ; mais si j’ai bien compris, ils avaient peur de l’image que ça pouvait donner : ils ne voulait pas être médiatiquement tenus pour responsable d’avoir planté le chantier en démobilisant alors qu’il était impératif que les délais soient tenus pour pas mal de raisons d’ordre public.

              Au passage, s’ils avaient fait cela, non seulement, ils auraient planté le maitre d’ouvrage, mais ils auraient eu le droit, lors de la reprise du travail, de facturer une démobilisation / remobilisation supplémentaire, ce qui aurait coûté au gestionnaire public ; celui ci peut donc quelque part les remercier d’avoir eu ce courage.

              En fait, ce qui s’est passé est que le maitre d’ouvrage a voulu jouer au plus malin en se disant qu’il n’avait pas le droit d’aller au delà de 125% du montant initial, et que tous les travaux supplémentaires qui allaient être faits ne seraient pas réglés, et que l’entreprise allait les lui faire gratuitement.
              Et c’est pour ça qu’ils ont refusé de répondre à toutes les demandes de discussions sur ce sujet. Jusqu’à ce qu’ils se rendent compte, au dernier moment, que l’entreprise menaçait réellement de démobiliser… D’où les courriers pour leur intimer l’ordre de continuer les travaux, avec à l’appui la mise en demeure, etc.

      • Vincent dit :

        > J’ai pu moi-même constater combien les « procédures qualité », lorsqu’elles
        > rentrent trop dans le détail, déresponsabilisent totalement les gens dont le
        > seul souci devient de pouvoir cocher les cases.

        Toute cette démarche qualité provenant d’outre Atlantique, où ils sont beaucoup plus avancé que nous en la matière, il est intéressant de voir les conséquences de cette démarche et de cette organisation.

        1er exemple : le 737 MAX. une explication simpliste qui plait bien aux antiaméricains anticapitalistes est de dire qu’on a privilégié des enjeux commerciaux et financiers à la sécurité. Ce n’est pas à 100% faux, mais ce n’est pas une explication satisfaisante. J’invite les personnes intéressées à lire (en anglais) :
        https://www.nytimes.com/2019/06/01/business/boeing-737-max-crash.html
        Il apparaît, et cette version me semble très crédible, que la cause est dans un compartimentage de la conception de l’appareil, entre celui qui fait les tests en vol, celui qui fait le logiciel, celui qui fait les notices, celui qui fait les analyses de sécurité, etc. Et chacun ne s’intéressant qu’à sa tache précise, sans se préoccuper trop de comprendre le fonctionnement d’ensemble et comment sa tache s’articule avec le reste.
        C’est malheureusement une conséquence logique du remplacement des métiers (avec la noblesse qui va avec ce mot) par des liste de compétences et de taches à accomplir, de manière un peu bébête.

        Connaissant les américains, je doute qu’ils ne remettent en cause leurs principes, et je pense qu’il y aura chez Boeing un retour d’expérience qui imposera, dorénavant, encore une couche de procédures supplémentaires, qui les feront encore perdre en compétitivité. C’est au moins autant pour cette raison que pour des questions d’image commerciale que je pense que ces accidents seront catastrophiques à long terme pour l’entreprise.

        Un autre exemple est le barrage d’Oroville, dont on a craint la rupture d’une digue, qui a nécessité il y a 2 ans l’évacuation de presque 200 000 personnes.

        La crainte d’oublier la moindre cause d’accident possible / la nécessité de normaliser les inspections de sécurité / l’application des procédures de vérification des barrages ont conduit les ingénieurs à remplir un tableau comprenant plusieurs centaines (milliers ?) de causes d’accidents potentiels. Le problème qui est survenu était bel et bien identifié. Mais comme on demande juste de cocher quelques cases à chaque fois pour évaluer sommairement le risque et la probabilité, le problème n’avait pas été vu. Alors que pour n’importe quel ingénieur compétent, à qui on demande une analyse de sécurité du barrage à faire en quelques heures sans lui imposer de grille, mais en lui racontant l’historique de construction et de vie du barrage, on puvait en venir assez rapidement à dire que, si les caractéristiques du rocher de fondation de l’évacuateur de crues était insuffisantes, le barrage perdait tous ses moyens d’évacuation des crues…

        Là encore, des procédures trop précises et trop longues empêchent de se poser les bonnes questions, et conduisent à des catastrophes…

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [Toute cette démarche qualité provenant d’outre Atlantique, où ils sont beaucoup plus avancé que nous en la matière, il est intéressant de voir les conséquences de cette démarche et de cette organisation.]

          En fait, l’insistance sur la procédure vient souvent de pays où la main d’œuvre est faiblement qualifiée. Lorsque vous disposez d’une main d’œuvre hautement qualifiée, les « règles de l’art » que le travailleur connaît et pratique ne nécessitent pas d’être explicitées dans la procédure.

          [Il apparaît, et cette version me semble très crédible, que la cause est dans un compartimentage de la conception de l’appareil, entre celui qui fait les tests en vol, celui qui fait le logiciel, celui qui fait les notices, celui qui fait les analyses de sécurité, etc. Et chacun ne s’intéressant qu’à sa tache précise, sans se préoccuper trop de comprendre le fonctionnement d’ensemble et comment sa tache s’articule avec le reste.]

          Votre explication ne contredit pas celle que vous avez rejetée, à savoir, qu’on a sacrifié la sécurité à la rentabilité. En effet, ce « compartimentage » n’arrive pas par hasard, par erreur d’un organisateur. Il est la conséquence d’une pression vers la rentabilité, qui pousse à une parcellisation des tâches et à une spécialisation des intervenants.

          • Ian Brossage dit :

            Bonjour,

            Un article allant dans le sens de la course à la rentabilité (par Bloomberg, a priori pas vraiment des antiaméricains anticapitalistes) :
            https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-06-28/boeing-s-737-max-software-outsourced-to-9-an-hour-engineers

            « The Max software — plagued by issues that could keep the planes grounded months longer after U.S. regulators this week revealed a new flaw — was developed at a time Boeing was laying off experienced engineers and pressing suppliers to cut costs.

            Increasingly, the iconic American planemaker and its subcontractors have relied on temporary workers making as little as $9 an hour to develop and test software, often from countries lacking a deep background in aerospace — notably India.

            […]

            Rabin, the former software engineer, recalled one manager saying at an all-hands meeting that Boeing didn’t need senior engineers because its products were mature. “I was shocked that in a room full of a couple hundred mostly senior engineers we were being told that we weren’t needed,” said Rabin, who was laid off in 2015. »

            On voit aussi ici un problème inhérent au système américain. Il est risqué de faire entendre efficacement des critiques quand on peut être viré du jour au lendemain sans la moindre contrainte. Cela encourage plutôt l’obséquiosité, à laquelle sont déjà inclinés culturellement les anglo-saxons…

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Un article allant dans le sens de la course à la rentabilité (par Bloomberg, a priori pas vraiment des antiaméricains anticapitalistes) :]

              Je crois que c’est là un excellent exemple de la manière dont le capitalisme repose sur des structures qu’il n’est pas en mesure de reproduire. La concurrence « libre et non faussée » conduit à parcelliser et externaliser. Mais du coup, parce qu’on ne peut plus compter sur le dévouement et l’engagement des gens qui font le travail, tout repose sur la capacité à spécifier exactement ce qu’on veut pour en faire un engagement contractuel. Et on a alors le choix : soit la spécification est incomplète, et les résultats sont désastreux, soit elle est complète, et alors son coût est tel que cela annule les gains…

              [On voit aussi ici un problème inhérent au système américain. Il est risqué de faire entendre efficacement des critiques quand on peut être viré du jour au lendemain sans la moindre contrainte. Cela encourage plutôt l’obséquiosité, à laquelle sont déjà inclinés culturellement les anglo-saxons…]

              C’est le paradoxe posé par un célèbre PDG américain : « je voudrais que mes collaborateurs me disent la vérité, même si cela doit leur coûter leur poste »… c’est toute l’utilité des « statuts » à la française…

          • Vincent dit :

            > Votre explication ne contredit pas celle que vous avez rejetée, à
            > savoir, qu’on a sacrifié la sécurité à la rentabilité.

            Je me suis fait la même réflexion juste après l’avoir écrit. Le principal argument pour défendre le fait qu’on a sacrifié la sécurité à la rentabilité, est le fait que les avions n’ont pas été arrêtés suite au 1er accident, alors qu’à ce moment, le problème du système MSCA était clairement connu de tous…

        • Ian Brossage dit :

          @Vincent

          > Il apparaît, et cette version me semble très crédible, que la cause est dans un compartimentage de la conception de l’appareil, entre celui qui fait les tests en vol, celui qui fait le logiciel, celui qui fait les notices, celui qui fait les analyses de sécurité, etc.

          Vu la complexité d’un avion de ligne moderne, il semble tout de même qu’un compartimentage est difficilement évitable. La « vision globale » que peut avoir chaque participant est une vue de l’esprit, elle ne peut être que très simplifiée et permet difficilement de prévoir les conséquences d’un changement local. Ce n’est pas pour rien que dans l’aéronautique civile (mais aussi d’autres activités très complexes comme la conception de microprocesseurs), on fait tourner des tests de validation extrêmement poussés avant la finalisation et la mise sur le marché.

          Le problème du 737 Max paraît plutôt lié à une défaillance du pilotage global, combiné à une pression commerciale visant à mettre sur le marché au plus vite. On a fait des modifications de dernière minute sur un sous-système dans l’espoir de satisfaire rapidement les demandes de l’autorité de certification (la FAA), ce qui a conduit à donner un sous-système une importance et des responsabilités qui ne cadraient pas avec sa conception. Le résultat est que le sous-système n’était pas alimenté par des capteurs redondants, et qu’il n’était ni correctement documenté ni facilement débrayable, alors qu’il avait désormais droit de vie et de mort sur l’appareil et ses passagers…

          > C’est malheureusement une conséquence logique du remplacement des métiers (avec la noblesse qui va avec ce mot) par des liste de compétences et de taches à accomplir, de manière un peu bébête.

          Je pense qu’il y a aussi un facteur culturel. Aux États-Unis, dès qu’une entreprise dépasse la centaine d’employés, commencent à apparaître une myriade de Vice-Presidents et autres Chief Machin Officers. Cela ne veut pas dire que les exécutants (y compris les ingénieurs) sont incompétents.

          > Alors que pour n’importe quel ingénieur compétent, à qui on demande une analyse de sécurité du barrage à faire en quelques heures sans lui imposer de grille, mais en lui racontant l’historique de construction et de vie du barrage, on puvait en venir assez rapidement à dire que, si les caractéristiques du rocher de fondation de l’évacuateur de crues était insuffisantes, le barrage perdait tous ses moyens d’évacuation des crues…

          Je ne connais pas votre domaine d’activité, mais je me méfie des tentatives de trivialisation a posteriori d’incidents compliqués. C’est toujours facile de se dire, une fois la cause trouvée, qu’elle était évidemment facile à découvrir, et qu’il suffisait de laisser parler « le métier » de « n’importe quel ingénieur compétent ». (les Anglais disent « Hindsight 20/20 » : quand on regarde derrière soi, on a toujours une vue parfaite…)

          Le métier est un facteur humain, forcément imparfait et inconstant, qui peut se trouver pris en défaut y compris chez la personne la plus compétente. L’industrialisation consiste à maîtriser le facteur humain. Et l’aéronautique est l’une des activités où ce processus d’industrialisation de la conception est le plus poussé. Avec des résultats de fiabilité généralement excellents.

          • Descartes dit :

            @ Ian Brossage

            [Je pense qu’il y a aussi un facteur culturel. Aux États-Unis, dès qu’une entreprise dépasse la centaine d’employés, commencent à apparaître une myriade de Vice-Presidents et autres Chief Machin Officers. Cela ne veut pas dire que les exécutants (y compris les ingénieurs) sont incompétents.]

            Oui et non. L’obsession des américains et des anglo-saxons en général avec le respect des procédures est très liée à mon avis avec le faible niveau de formation de la main d’œuvre – et je pense moins à la formation technique qu’à la formation générale. Dans ces contextes, l’organisation fait moins confiance à la capacité des gens à résoudre par eux-mêmes les problèmes qu’en France. Il y a aussi une deuxième problématique, est c’est que les anglo-saxons ne font pas confiance aux contrats implicites : tout ce qui est exigible doit être explicité. Là où un contrat français se contentera de dire que le travail doit être fait « dans les règles de l’art », le contrat américain prendra deux cents pages pour expliciter ce qu’on entend par là.

      • Vincent dit :

        Moi :
        “il y a peut être eu une dérive vers une contractualisation des rapports avec les prestataires et sous-traitants, qui cherchent avant tout à respecter leur contrat et à trouver un sujet de “claim”, plutôt qu’à faire avancer le bidule d’ensemble…”

        Vauban :
        “tirer toujours le cul en arrière sur tout ce à quoi il est obligé, tromper sur les façons, chicaner sur toutes choses et toujours crier miséricorde contre celui-ci et celui-là, notamment contre tous ceux qui le veulent obliger à faire son devoir.”

        Je dois reconnaître que Vauban avait plus de style que moi. Et je déduis de cette citation que la “dérive” dont je parlais en point n°4 n’a rien de si récent…

        Je vais essayer, à mon travail, d’introduire le mot de “chicaner” au lieu de “réclamer” (voire “claimer” , mais je ne suis pas certain du résultat 😉

  21. Vincent dit :

    > C’est la question essentielle : saurions nous construire un réacteur ?
    > développer un nouveau TGV ? une Caravelle ou un Concorde ? Je
    > vous avoue que j’ai peur de la réponse. Elle est à mon avis négative.

    Où est votre optimisme méthodologique ? Force est de constater que nous avons pu faire des TGV, le Rafale, de nouveaux Airbus, etc.
    Dixit un de mes amis, qui avait travaillé en ingénierie chez Eurocopter et chez Areva : il y a un monde de complexité entre un hélicoptère et une centrale nucléaire (dans le sens, bien sûr, qu’une centrale nucléaire est beaucoup plus complexe).
    Peut être ne pas trop généraliser ce qui ne va pas ?

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Où est votre optimisme méthodologique ? Force est de constater que nous avons pu faire des TGV, le Rafale, de nouveaux Airbus, etc.]

      Mon optimisme méthodologique réside dans le fait que je suis convaincu qu’on peut reconstituer ces compétences si nous nous donnons les moyens. Mais dans l’état actuel des choses, il faut le reconnaître, nous n’avons plus la base industrielle ni les compétences nécessaires pour construire un réacteur nucléaire, pour développer un nouveau TGV. Pour ce qui concerne l’aéronautique, c’est un peu différent: c’est l’un des rares secteurs ou l’on a su garder une continuité.

      [Peut être ne pas trop généraliser ce qui ne va pas ?]

      Il ne faut pas exagérer le pessimisme, mais on peut difficilement éviter d’admettre la réalité. Notre base industrielle – notamment dans les industries lourdes – a foutu le camp, et avec elle les compétences et les savoir-faire qui vont avec. Les services d’ingénierie d’EDF ou de la SNCF ont été “dégraissés” suivant des critères de rentabilité – c’est à dire, en se concentrant sur l’exploitation des investissements existants. Ceux d’Alstom, d’Alcatel, de Thomson-CSF, de l’Aérospatiale, de la SNECMA ou de la CII-Bull ont disparu au gré des dépècements et des fusions. Oui, on arrive encore à construire des Rafale, des TGV ou des Airbus. Mais c’est une queue de comète…

      • Jopari dit :

        Bonsoir,

        pensez-vous que notre système scolaire soit encore capable de former les ouvriers, techniciens et ingénieurs nécessaires pour regagner ces compétences?

        La dernière réforme du lycée général risque de réduire encore plus le niveau en mathématiques et en sciences, avec une option mathématiques conçue pour être utilisée à la fois par les ex-ES et les ex-S – il me semble que certaines écoles d’ingénieur sont déjà en train de tenir compte de ce facteur.

        • Descartes dit :

          @ Jopari

          [pensez-vous que notre système scolaire soit encore capable de former les ouvriers, techniciens et ingénieurs nécessaires pour regagner ces compétences?]

          Certainement pas. Une politique industrielle implique nécessairement un volet éducation et formation, qui devrait aller exactement à l’opposé de ce qui est proposé aujourd’hui. Il faut renforcer l’enseignement en mathématiques et en sciences expérimentales. Côté humanités, l’accent devrait être mis sur le français, l’histoire, les langues avec une place pour les langues anciennes. Les fumisteries du genre “histoire de l’art”, au pilon.

          • Françoise dit :

            @pseudo D
            pourquoi avoir supprimé mon message? Il était offensant? Il n’y a que vous qui ayez le droit d’écrire des attaques, de plus non réglées?

            (…)

            • Descartes dit :

              @ Françoise

              [pourquoi avoir supprimé mon message? Il était offensant?]

              Voici la première phrase du message que vous aviez envoyé: “n’importe quoi cette réponse, critique minable et gratuite!”. Je laisse les lecteurs juger si une telle formule s’ajuste aux règles de ce blog qui, je vous le rappelle, interdisent les injures et les attaques ad hominem, et exigent un minimum de courtoisie dans les interventions. Je vous l’ai déjà indiqué mille fois, mais vous semblez avoir du mal à comprendre. Alors, je vous le répète une fois de plus: si vous voulez participer au débat, respectez les règles – au demeurant fort libérales. Mais si vous aimez vous livrer aux attaques personnelles ou des injures, allez ailleurs, les lieux ou l’on peut échanger des noms d’oiseau ne manquent pas sur la toile.

              [Il n’y a que vous qui ayez le droit d’écrire des attaques, de plus non réglées?]

              La réponse à votre question est oui, il n’y a que moi qui ait des “droits” ici. Parce que au cas où vous l’auriez oublié, ceci est MON blog, et non le votre. Vous êtes ici chez moi, et chez moi, c’est moi qui fait les règles. Et soit vous les respectez, soit vous restez à la porte. J’ai même le droit de jeter à la poubelle vos commentaires sans avoir à vous donner des explications si cela me chante. Capisce ?

              Cela étant dit, je me suis astreint – non pas parce que mes lecteurs ont des “droits”, mais parce que je le veux bien – à publier tous ceux qui respectent les règles, et je me suis imposé les mêmes règles que j’impose aux autres. Vous aurez du mal à trouver des cas ou j’aurais injurié un intervenant, ou j’aurais traité quelqu’un de “minable” comme vous le faites. Et si je l’ai fait, je présente à l’intéressé mes excuses, mes mots ayant dépassé ma pensée. Peut-être souhaiteriez-vous faire de même… ?

              [(…)]

              Ces points de suspension remplacent d’autres injures. Mon temps est trop précieux pour le perdre dans un échange de noms d’oiseau avec vous. Je considère donc cet échange comme terminé. Tout autre message de votre part contenant des insultes sera envoyé à la poubelle sans autre forme de procès ni explication.

        • Vincent dit :

          Je ne suis pas certain que la réforme actuelle soit ce que vous craignez. Si vous regardez attentivement, il y a une option facultative “mathématiques expertes”, en plus de la spécialité commune S / ES, qui, en tant qu’option facultative, ne sera pas évaluée au Bac, et est donc précisément destinée à préparer au supérieur. On peut supposer que cela est fait pour montrer aux potentiels candidats à l’enseignement supérieur scientifique ce qu’on attendra d’eux si ils y vont. Sans qu’il soit nécessaire de baisser le niveau pour ratrapper tout le monde, puisqu’il s’agit d’une option facultative ne faisant pas l’objet d’évaluation.

          Bref, une bonne idée pour moi.

          Ce que je regrette est qu’il semble qu’il soit impossible de prendre plusieurs options facultatives, et que cette option de maths “expertes” est incompatible avec :
          – une langue morte,
          – une LV3,
          – l’initiation au droit en Tale, qui ne me semble pas idiote…

          Après, ce que je reprocherais est qu’il faut quand même nettement se spécialiser, surtout pour les scientifiques. En Tale, en dehors des maths, on doit choisir une seule matière parmi biologie / sciences physique, et informatique.

          Accessoirement, si on couple cette réforme du bac avec ParcourSup, cela veut dire qu’il faut faire ses choix de spécialités et d’option dès la 1ère / Tale en fonction du l’orientation choisie après le bac, ce qui oblige à avancer un peu les choix. Je ne saurais pas trop dire si c’est bien, me souvent que moi même, à l’époque, il m’avait été très difficile de choisir en Tale…

          • Descartes dit :

            @ Vincent

            [Je ne suis pas certain que la réforme actuelle soit ce que vous craignez. Si vous regardez attentivement, il y a une option facultative “mathématiques expertes”, en plus de la spécialité commune S / ES, qui, en tant qu’option facultative, ne sera pas évaluée au Bac, et est donc précisément destinée à préparer au supérieur.]

            Et cette option, je suis prêt à parier, ne sera prise au sérieux – et encore – que par les enfants des classes intermédiaires et bourgeoises. Pourquoi ? Parce que n’étant pas évaluée au bac, son « rapport » est nul. Les élèves venant des couches populaires préfèreront consacrer leurs efforts aux matières qui sont évaluées au bac. Et du coup, il y a fort à parier que l’option en question ne sera pas proposée dans les lycées de banlieue ou périphériques.

            [On peut supposer que cela est fait pour montrer aux potentiels candidats à l’enseignement supérieur scientifique ce qu’on attendra d’eux s’ils y vont.]

            Vraiment ? Vous croyez-vraiment que des adolescents vont choisir une option et la travailler sérieusement simplement pour « voir ce qu’on attendra d’eux dans le supérieur s’ils y vont » ? Bien sûr que non. Les adolescents choisiront cette option seulement s’ils sont bien conseillés par des parents qui savent déjà « ce qu’on attendra » de leurs enfants dans le supérieur.

            [Sans qu’il soit nécessaire de baisser le niveau pour rattraper tout le monde, puisqu’il s’agit d’une option facultative ne faisant pas l’objet d’évaluation.]

            Mais le but de l’éducation nationale n’est-il pas justement de « rattraper » tout le monde, ou du moins d’offrir à tout le monde l’accès à un socle de base solide ? L’option « mathématiques expertes » est en fait un alibi pour saccager l’enseignement mathématique offert à tout le monde. On pourra toujours dire « si vous voulez faire des mathématiques expertes, vous pouvez », sachant pertinemment que seule une certaine classe fera ce choix.

            [Ce que je regrette est qu’il semble qu’il soit impossible de prendre plusieurs options facultatives, et que cette option de maths “expertes” est incompatible avec :
            – une langue morte,
            – une LV3,
            – l’initiation au droit en Tale, qui ne me semble pas idiote…]

            Il ne peut pas en être autrement sauf à disposer d’un nombre d’enseignants quasi-infinis pour dédoubler les classes.

            [Accessoirement, si on couple cette réforme du bac avec ParcourSup, cela veut dire qu’il faut faire ses choix de spécialités et d’option dès la 1ère / Tale en fonction du l’orientation choisie après le bac, ce qui oblige à avancer un peu les choix.]

            Une prime considérable aux classes intermédiaires, qui connaissent par cœur le système et peuvent faire à l’avance les choix les plus pertinents pour protéger leur progéniture…

            • Vincent dit :

              Ma réponse ne portait pas sur l’aspect égalitaire ou inégalitaire de la réforme, mais sur le fait que le niveau des futurs étudiants scientifiques n’allait pas forcément s’effondre.
              Mais, soit dit en passant, j’ai la même analyse que vous sur le fait que cette réforme sera un bonus pour les bon élèves… et les bons quartiers.
              A modérer toutefois. Par le passé, il n’y avait pas de limitation des options qui pouvaient être suivies au bac. On pouvait faire la filière S Spé Maths, plus une LV3, et du latin, par exemple. Et naturellement, ce n’était pas les élèves défavorisés qui se retrouvaient dans une telle situation.

              > Une prime considérable aux classes intermédiaires, qui
              > connaissent par cœur le système et peuvent faire à l’avance
              > les choix les plus pertinents pour protéger leur progéniture…

              Vous projetez sur le système futur des caractéristiques du système actuel, où les bonnes informations (sur les lycées, options… à choisir) peuvent être déterminantes. Je pense qu’avec ce système, il sera tellement gros comme le nez au milieu du visage qu’il faut prendre telle spécialité pour faire telle orientation, etc. que les choses seront présentées très clairement aux élèves dès la 2nde sur le mode :
              – si vous voulez faire prépa commerce, il faut prendre ça,
              – si vous voulez faire prépa scientifique, il faut prendre ça,
              – si vous voulez faire médecine, …
              – si vous voulez faire du droit…
              – si vous voulez faire STAPS…

              Il n’y aura pas, je pense, de déficit d’information.
              Mais je vous concède qu’il y aura sans doute plus d’enfants de classe défavorisées qui orienteront leur cursus pour faire STAPS, et d’enfants de classes favorisées, qui prendront l’orientation Sciences Po ou prépa HEC…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Ma réponse ne portait pas sur l’aspect égalitaire ou inégalitaire de la réforme, mais sur le fait que le niveau des futurs étudiants scientifiques n’allait pas forcément s’effondre.]

              J’avais mal saisi votre point. Sur la question du niveau, je crains que la réforme soit moins neutre que vous ne le pensez. Les bons élèves des quartiers privilégiés sont eux aussi tentés par les comportements opportunistes, même si les parents et les professeurs sont là pour corriger le tir avec leurs bons conseils…

              [Mais, soit dit en passant, j’ai la même analyse que vous sur le fait que cette réforme sera un bonus pour les bon élèves… et les bons quartiers.]

              C’est le but caché de cette réforme, à mon avis…

              [A modérer toutefois. Par le passé, il n’y avait pas de limitation des options qui pouvaient être suivies au bac. On pouvait faire la filière S Spé Maths, plus une LV3, et du latin, par exemple. Et naturellement, ce n’était pas les élèves défavorisés qui se retrouvaient dans une telle situation.]

              A condition que les horaires concordent et que votre lycée – ou un lycée géographiquement proche – propose les options envisagées. Ce qui est bien plus courant dans le Vème arrondissement de Paris qu’à Villemomble ou Grigny. Je ne comprends pas votre « il faut modérer toutefois », puisque votre conclusion renforce le point au lieu de l’affaiblir…

              [Vous projetez sur le système futur des caractéristiques du système actuel, où les bonnes informations (sur les lycées, options… à choisir) peuvent être déterminantes. Je pense qu’avec ce système, il sera tellement gros comme le nez au milieu du visage qu’il faut prendre telle spécialité pour faire telle orientation, etc. que les choses seront présentées très clairement aux élèves dès la 2nde sur le mode : (…)]

              Ne croyez pas ça. Les ressources des couches intermédiaires à l’heure de cacher les bonnes filières pour les réserver à leurs propres enfants sont quasi-illimitées. Vous verrez fleurir au contraire les discours faussement égalitaires du genre « prenez les options qui vous plaisent, de toute façon le recrutement se fera sur vos « compétences » et non sur ce que vous aurez appris » (c’est déjà commencé à sciences-po…). Parce que le deuxième étage de la réforme, c’est ça : le recrutement sur « entretient », qui permet aux jurys – ou les classes intermédiaires règnent en maîtres – de sélectionner les candidats qui leur ressemblent…

              [Il n’y aura pas, je pense, de déficit d’information.]

              Vous voulez parier ?

            • Vincent dit :

              > A condition que les horaires concordent et
              > que votre lycée – ou un lycée
              > géographiquement proche – propose les
              > options envisagées. (etc.)

              J’ai du mal m’exprimer. Aujourd’hui, on peut faire plein d’options quand on est dans un grand lycée de zone favorisée.
              Ce ne sera plus le cas avec la réforme, car le nombre d’options est plafonné à 1.
              C’est le seul aspect de la réforme qui ne procure pas d’avantage par rapport à la situation actuelle pour les zones aisées.

              >> Il n’y aura pas, je pense, de
              >> déficit d’information.
              > Vous voulez parier ?

              En regardant bien, j’ai effectivement vu que toutes les filières post bac restaient accessibles quels que soient les choix de spécialité. Ce qui est une violente hypocrisie.
              Mais c’était déjà le cas par le passé, où, sur le papier, un élève de Tale L pouvait aller en Maths Sup…

              Nous verrons bien ; mais internet aidant, j’ai du mal à imaginer que des lycéens pourront ne pas être informés qu’en faisant “Sciences de l’ingénieur” et “Écologie, agronomie et territoires”, ils auront du mal à avoir toutes les portes ouvertes après le Bac…

              A noter la nouvelle spécialité :
              “Numérique et sciences informatiques”. Qui a l’air de n’être disponible que dans peu de lycées, mais qui existe au lycée Henri IV.

              Peut être une future filière d’excellence ?

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [J’ai du mal m’exprimer. Aujourd’hui, on peut faire plein d’options quand on est dans un grand lycée de zone favorisée. Ce ne sera plus le cas avec la réforme, car le nombre d’options est plafonné à 1.]

              Je ne sais pas comment cela se passera en pratique. Dans la mesure où ce n’est pas évalué, rien n’empêchera un élève passionné par une deuxième option de demander au professeur d’assister à son cours. Et j’imagine que peu de professeurs refuseront une telle demande…

              [En regardant bien, j’ai effectivement vu que toutes les filières post bac restaient accessibles quels que soient les choix de spécialité. Ce qui est une violente hypocrisie. Mais c’était déjà le cas par le passé, où, sur le papier, un élève de Tale L pouvait aller en Maths Sup…]

              Justement. C’est ce « en théorie » très différent du « en pratique » qui permet à ceux qui sont les mieux informés de trouver les bonnes filières. N’oubliez pas que l’information officielle est toujours celle du « en théorie »…

              [Nous verrons bien ; mais internet aidant, j’ai du mal à imaginer que des lycéens pourront ne pas être informés qu’en faisant “Sciences de l’ingénieur” et “Écologie, agronomie et territoires”, ils auront du mal à avoir toutes les portes ouvertes après le Bac…]

              Vous avez tort… internet aidant, on peut s’imaginer d’ores et déjà voir circuler toutes sortes de bobards…

              [A noter la nouvelle spécialité : “Numérique et sciences informatiques”. Qui a l’air de n’être disponible que dans peu de lycées, mais qui existe au lycée Henri IV.]

              Il faudrait regarder les programmes. J’ai toujours regretté qu’on n’ait pas introduit dans l’enseignement des mathématiques l’analyse numérique, discipline très noble et qui aurait pu passionner les élèves (j’en étais un passionné quand j’étais en terminale, et pourtant dieu sait que les moyens de calcul dont je pouvais disposer n’étaient pas grande chose comparés à ceux d’aujourd’hui). J’avais la chance d’avoir un professeur – un normalien passionné par l’enseignement – qui avait introduit les problématiques d’algorithme dans l’enseignement de l’algèbre matricielle, et c’était magique !

            • Vincent dit :

              > Dans la mesure où ce n’est
              > pas évalué, rien
              > n’empêchera un élève
              > passionné par une deuxième
              > option de demander au
              > professeur d’assister à son
              > cours. Et j’imagine que peu
              > de professeurs refuseront
              > une telle demande…

              Je me suis fait la même réflexion. Reste à voir, effectivement, comment ce sera organisé. Mais :
              – même dans des classes favorisées, je pense qu’il est difficile de motiver un adolescent à suivre sérieusement une matière qui ne sera pas évaluée ni reportée sur le bulletin,
              – il risque d’y avoir des incompatibilités d’emplois du temps…
              [En regardant bien, j’ai effectivement vu que toutes les filières post bac restaient accessibles quels que soient les choix de spécialité. Ce qui est une violente hypocrisie. Mais c’était déjà le cas par le passé, où, sur le papier, un élève de Tale L pouvait aller en Maths Sup…]

              > Il faudrait regarder les
              > programmes
              Voilà pour l’informatique ; c’est de l’algorithmique et de la programmation :
              https://euler.ac-versailles.fr/IMG/pdf/progr_1re_num_et_sciences_informatiques_2019_01.pdf

              Il y aura dans le programme de “mathématiques expertes” un volet : “graphes et matrices” qui permettrait pour une classe où tout le monde prend informatique et maths experte, de faire d’assez jolis développements dans le sens que vous mentionnez…

              Maths Expertes

              Je serais intéressé de savoir plus précisément ce que vous aviez vu en Tale (et si ce n’est pas trop indiscret, à quelle époque c’était…)

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Voilà pour l’informatique ; c’est de l’algorithmique et de la programmation :]

              Franchement, je trouve ce programme absolument délirant. Dans son architecture d’abord : est-il concevable de parler des réseaux avant de parler des machines… ? Mais surtout, on a l’impression qu’on a mélangé sans la moindre cohérence des connaissances « pratiques » (la partie « web » est dans ce registre) avec des connaissances « fondamentales » pour rendre la chose plus « sexy ».

              [Il y aura dans le programme de “mathématiques expertes” un volet : “graphes et matrices” qui permettrait pour une classe où tout le monde prend informatique et maths experte, de faire d’assez jolis développements dans le sens que vous mentionnez…]

              La programme de « mathématiques expertes » est vraiment très pauvre. Je passe sur l’introduction, qui contient des assertions tellement stupides qu’on se demande si les rédacteurs savent ce que c’est les mathématiques. Juste un exemple pour rigoler : « Comme toutes les disciplines, les mathématiques contribuent au développement de compétences orales, notamment à travers de la pratique de l’argumentation. Celle-ci conduit à préciser sa pensée et à expliciter son raisonnement de manière à convaincre ». Quelqu’un pourrait-il expliquer au rédacteur de cet opuscule qu’en mathématiques il n’y a pas de place pour « l’argumentation », et que le fait de « convaincre » n’y a aucun sens ? En mathématiques, une propriété se DEMONTRE, elle ne « s’argumente » pas. Et une démonstration s’évalue à sa cohérence logique, et non pas au fait qu’elle soit « convaincante ».

              Mais ce qui me gêne le plus, c’est qu’on perçoit dans ce programme une véritable volonté de bouter hors de l’école tout ce qui ressemble à l’abstraction, toute volonté constructiviste. Les notions de structure (algébrique, topologique) ont disparu (le préambule précise qu’elles ne seront pas introduites explicitement).

              [Je serais intéressé de savoir plus précisément ce que vous aviez vu en Tale (et si ce n’est pas trop indiscret, à quelle époque c’était…)]

              Je n’ai pas très bien compris ce que vous appelez « Tale ». De mon temps, c’était la bonne vieille section « C ». J’avais un excellent professeur, qui allait je pense au-delà du programme surtout sur les sujets qui l’intéressaient (comme par exemple l’algèbre ou la topologie) et qui était un constructiviste de stricte obédience. En première et terminale, nous avons eu droit aux structures (groupe, anneau, corps, espace vectoriel, espace affine), la construction complète à partir des axiomes de Peano de l’ensemble des nombres naturels, et à partir de lui du groupe des entiers, du corps des rationnels et des réels (avec la méthode brutale des suites de Cauchy, mais aussi avec la très amusante construction des coupures de Dedekind), y compris la démonstration (magnifique d’élégance) du théorème de Cantor. On avait vu aussi l’algèbre matricielle (et la construction du corps des nombres complexes à partir de l’ensemble des combinaisons linéaires de la matrice unité et la matrice anti-unité, beaucoup plus amusante que celle proposée en général). On avait un peu de théorie des nombres (groupes cycliques…). En analyse, on avait les fonctions continues, la notion de limite, les séries et les suites avec la notion de convergence, la dérivation, l’intégrale de Riemann, l’introduction aux équations différentielles… j’en garde vous l’aurez compris un souvenir absolument émerveillé, et je suis encore capable de ressortir la plupart des démonstrations que j’y ai apprises ! Et je pleure de rage quand je vois ce qu’on enseigne aujourd’hui…

            • Vincent dit :

              > le recrutement sur « entretien », qui
              > permet aux jurys – ou les classes
              > intermédiaires règnent en maîtres – de
              > sélectionner les candidats qui leur
              > ressemblent…

              Je n’ai jamais entendu parler de ça. Vous avez des sources ?
              Effectivement, cela permettrait d’exclure les fils de gilets jaunes, mais de maintenir plus facilement un quota de “minorités visibles”, qui permettront d’afficher que c’est bien l’école républicaine, et que tout le monde est représenté…

              Au delà de cette question, la question du recrutement sur entretien aura tendance à favoriser ceux qui ont une expression aisée, qui sont à l’aise en société, etc. Bref, qui maitrisent le savoir-être (qui est surtout un savoir-paraitre)
              A une époque où ce savoir-paraitre devient un critère de plus important en matière professionnelle, est il normal que les recrutements accompagnent le mouvement, ou est ce qu’ils devraient au contraire se recentrer sur leurs fondamentaux ?
              L’avantage de la 1ère solution est que les anciens élèves recrutés sur ces critères auront une meilleure carrière, ce qui améliorera le “classement” de l’école, et la puissance de son réseau d’ancien.
              L’avantage de la 2ème solution est de permettre à des personnes brillantes de se hisser à des fonctions à la hauteur de leurs capacités, même si elles ont un peu de mal à se vendre. Ce qui est bon pour la société dans son ensemble…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [« le recrutement sur « entretien », qui permet aux jurys – ou les classes intermédiaires règnent en maîtres – de sélectionner les candidats qui leur ressemblent… » Je n’ai jamais entendu parler de ça. Vous avez des sources ?]

              Qu’est-ce que vous appelez « des sources » ? Le fait que le recrutement sur entretien est bien plus discriminant en termes sociaux que celui sur examen écrit est une évidence admise aujourd’hui par tous les sociologues, y compris curieusement par ceux qui ne perdent l’opportunité pour cracher sur les concours « anonymes » (Dubet par exemple). Et on comprend bien pourquoi : alors que l’expression et le savoir-être écrits s’apprennent surtout dans l’institution scolaire (il est rare qu’on communique par écrit au sein de la famille), le langage et le savoir-être oraux s’apprennent au sein de la famille. C’est pourquoi l’oral est bien plus marquant socialement que l’écrit.

              Quant au fait qu’on ait tendance à sélectionner les gens qui nous ressemblent… là encore, c’est une réalité bien connue des recruteurs. Nous aimons les gens qui parlent le même langage que nous, qui savent – et ignorent – les mêmes choses que nous, qui aiment – et détestent – ce que nous aimons ou détestons.

              [Au-delà de cette question, la question du recrutement sur entretien aura tendance à favoriser ceux qui ont une expression aisée, qui sont à l’aise en société, etc. Bref, qui maitrisent le savoir-être (qui est surtout un savoir-paraitre)]

              Il y a aussi un « savoir-être » à l’écrit. Pour moi, le problème n’est pas qu’on sélectionne sur le savoir-être. C’est important, le savoir-être. La question, c’est de savoir comment ce savoir-être est défini, et comment il est transmis. Parce que si le seul savoir-être valorisé est le savoir-être des classes intermédiaires, et que le savoir-être se transmet d’abord dans la famille, alors recruter sur le savoir-être aboutit à la reproduction sociale.

            • Vincent dit :

              >> Je n’ai jamais entendu
              >> parler de ça. Vous avez
              >> des sources ?]

              > Qu’est-ce que vous appelez
              > « des sources » ? Le fait que
              > le recrutement sur entretien
              > est bien plus discriminant
              > (…)) l’oral est bien plus
              > marquant socialement que
              > l’écrit.

              Il ne me serait pas venu à l’esprit de vous demander de sources pour me convaincre que l’oral est plus discriminant que l’écrit.

              Ma demande portait sur votre sous-entendu que les recrutements ParcourSup pourraient potentiellement à l’avenir se faire sur entretien…

              A propos de discriminations, il y a aussi des matières qui sont plus discriminantes que d’autres. Les langues vivantes en particulier.
              Mais il faut bien reconnaitre d’un autre coté que c’est quelque chose de bien utile professionnellement. Alors, sélection sur les langues : bonne ou mauvaise idée ?

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Ma demande portait sur votre sous-entendu que les recrutements ParcourSup pourraient potentiellement à l’avenir se faire sur entretien…]

              Je ne crois pas avoir « sous-entendu » pareille chose. Les recrutements sur entretien se répandent de plus en plus dans le supérieur. Par exemple, Sciences-po Paris vient de décider d’abolir le concours écrit et le remplacer par un entretien. On voit aussi cette tendance dans l’introduction d’un « grand oral » au bac qui, tel qu’il est décrit aujourd’hui, ressemble bien plus à un entretien qu’à un examen oral. Mais à ma connaissance il n’y a aucun projet précis d’inclure un entretien dans la procédure ParcourSup.

              [A propos de discriminations, il y a aussi des matières qui sont plus discriminantes que d’autres. Les langues vivantes en particulier.]

              Concernant les langues vivantes, l’effet est paradoxal. Dans la mesure où les langues maternelles de beaucoup de nos immigrés sont maintenant admises aux examens, ces épreuves représentent un bonus non négligeable pour les candidats d’origine étrangère qui parlent en général correctement la langue de leurs parents ou grands-parents. Par contre, pour les enfants de « gaulois », le marqueur social est évident.

              [Mais il faut bien reconnaitre d’un autre coté que c’est quelque chose de bien utile professionnellement. Alors, sélection sur les langues : bonne ou mauvaise idée ?]

              Cela dépend des « langues ». L’anglais est certainement « bien utile » dans la plupart des professions, et en version dégradée – le fameux « globish » – devient la langue dominante des échanges et des publications internationales. Les autres langues ne sont « utiles professionnellement » que dans des niches plus ou moins importantes.

              Mais la question de la sélection ne devrait pas se jouer sur « l’utilité » d’une matière, mais sur sa capacité à développer des méthodes de travail et des structures de la pensée. Et de ce point de vue, la sélection sur les langues mortes ou sur la langue vivante écrite me paraît intéressante.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Qu’est-ce que vous appelez « des sources » ? Le fait que le recrutement sur entretien est bien plus discriminant en termes sociaux que celui sur examen écrit est une évidence admise aujourd’hui par tous les sociologues

              À ce sujet, que pensez-vous des oraux des concours de fonctionnaires, notamment les épreuves visant à évaluer cette « culture générale » à laquelle on donne tant d’importance en France ? (épreuves qui à ce que j’en ai entendu rapporter peuvent ressembler parfois à une sorte de Trivial Poursuit)

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [À ce sujet, que pensez-vous des oraux des concours de fonctionnaires, notamment les épreuves visant à évaluer cette « culture générale » à laquelle on donne tant d’importance en France ? (épreuves qui à ce que j’en ai entendu rapporter peuvent ressembler parfois à une sorte de Trivial Poursuit)]

              La ressemblance est trompeuse. En fait, ce sont d’abord des épreuves de méthode, bien plus que des épreuves de connaissance. Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, ce que le jury évalue est moins le fait que la réponse soit juste ou pas, mais la capacité du candidat à mobiliser des connaissances éparses et forcément superficielles pour fabriquer en temps réel une réponse cohérente. Lorsque le jury de l’ENA demande à Laurent Fabius « quelle est la profondeur du Danube à Budapest », il ne s’attend pas à ce que le candidat connaisse la réponse. Ce qu’il veut voir, c’est comment le candidat va résoudre le problème qui est posé à lui : construire avec les connaissances qu’il a la meilleure réponse possible à la question. Et dans cet exercice vous voyez tout de suite les candidats qui dominent la méthode et ceux qui font cela un peu au hasard… Si vous voulez vérifier, je vous conseille d’aller voir les « grands oraux » de l’ENA (qui sont publics, il suffit de s’inscrire pour pouvoir y assister).

              Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas, pour aborder ce type d’épreuve, d’avoir une culture générale relativement étendue. Mais celle d’une personne curieuse qui lit tous les jours le journal (ou qui suit ce blog, gnark gnark) suffit en général. L’essentiel, c’est la capacité à organiser et à le faire sous stress, deux qualités indispensables pour un haut fonctionnaire.

              Personnellement, si le « grand oral » du bac était organisé dans cet esprit, j’y serais presque favorable. Cela obligerait d’ailleurs l’enseignement, pour préparer à cette épreuve, à se concentrer sur la méthode. Mais un tel oral serait très cher. D’abord, parce qu’il faudrait qu’il soit relativement long – il est difficile de se « mettre dans l’ambiance » en un quart d’heure. Ensuite, parce qu’il demande un jury relativement nombreux pour éviter l’effet de séduction (il est relativement aisé de séduire un examinateur, il est très difficile d’en séduire cinq ou sept d’un coup).

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > Lorsque le jury de l’ENA demande à Laurent Fabius « quelle est la profondeur du Danube à Budapest », il ne s’attend pas à ce que le candidat connaisse la réponse. Ce qu’il veut voir, c’est comment le candidat va résoudre le problème qui est posé à lui : construire avec les connaissances qu’il a la meilleure réponse possible à la question.

              Je serais curieux de la « meilleure réponse possible » selon vous. A priori, on peut observer que le Danube est forcément plus profond que le tirant d’eau des navires qui le parcourent. Mais à part ça, je ne vois pas quelles « connaissances » mobiliser pour une « meilleure réponse possible »…

              Honnêtement, je pense que la seule réponse raisonnable serait de renvoyer à une source d’autorité, par exemple une encyclopédie ou les services de l’État hongrois chargés des voies fluviales. Mais je doute que ce soit la réponse acceptée…

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Je serais curieux de la « meilleure réponse possible » selon vous. A priori, on peut observer que le Danube est forcément plus profond que le tirant d’eau des navires qui le parcourent. Mais à part ça, je ne vois pas quelles « connaissances » mobiliser pour une « meilleure réponse possible »…]

              La réponse de Laurent Fabius – c’est lui qui la raconte, donc prudence – a été “sous quel pont, monsieur ?”. Mais vous pouvez imaginer plein de réponses. Vous pouvez comparer à d’autres rivières du même type dont vous connaissez les profondeurs, vous pouvez déduire du fait que le Danube est bleu ou du fait qu’il est navigable le fait que sa profondeur est relativement importante…

              Honnêtement, je pense que la seule réponse raisonnable serait de renvoyer à une source d’autorité, par exemple une encyclopédie ou les services de l’État hongrois chargés des voies fluviales. Mais je doute que ce soit la réponse acceptée…

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > La réponse de Laurent Fabius – c’est lui qui la raconte, donc prudence – a été “sous quel pont, monsieur ?”.

              Fabius a donc fait preuve de sens de la répartie. Mais je ne vois pas en quoi sa réponse illustre les qualités qu’on peut attendre d’un haut fonctionnaire (à ma connaissance on ne paie pas les hauts fonctionnaires à gagner des joutes verbales ou à briller dans les salons).

              > Mais vous pouvez imaginer plein de réponses. Vous pouvez comparer à d’autres rivières du même type dont vous connaissez les profondeurs, vous pouvez déduire du fait que le Danube est bleu ou du fait qu’il est navigable le fait que sa profondeur est relativement importante…

              Autant dire qu’on peut faire diverses réponses farfelues dont la méthode sous-jacente n’est pas fiable. Si c’est l’attitude attendue d’un haut fonctionnaire face à une question purement factuelle, plutôt que de décider de consulter une source d’autorité, je trouve cela à la fois inquiétant et assez fidèle aux stéréotypes que l’on colle à cette profession, à savoir d’être déconnectés de la réalité. Si ce n’est pas l’attitude attendue, alors je ne comprends pas pourquoi vous avez mentionné cette question posée à Fabius.

              Ça me rappelle le genre de colle idiote que m’avait posée une prof de français à un oral d’école d’ingénieur, et à l’issue duquel elle m’a mis une note fort mauvaise. Heureusement cela n’a pas entravé ma réussite à ce concours. Mais j’en garde l’impression tenace que certains types d’épreuves ou de questions sont plus destinés à sélectionner un capital culturel que des aptitudes concrètement utiles.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Fabius a donc fait preuve de sens de la répartie. Mais je ne vois pas en quoi sa réponse illustre les qualités qu’on peut attendre d’un haut fonctionnaire (à ma connaissance on ne paie pas les hauts fonctionnaires à gagner des joutes verbales ou à briller dans les salons).]

              De repartie, oui. Mais aussi de rapidité mentale, de courage (parce qu’il faut du courage pour répondre à une question par une autre question qui risque de mettre en difficulté l’interrogateur), de subtilité diplomatique (parce qu’il faut être subtil pour trouver une réponse qui dit bien que la question est inepte, tout en le disant sous une forme acceptable par l’interlocuteur). Rapidité mentale, courage et subtilité, n’est-ce pas là des qualités éminentes chez un haut-fonctionnaire ?

              [Autant dire qu’on peut faire diverses réponses farfelues dont la méthode sous-jacente n’est pas fiable. Si c’est l’attitude attendue d’un haut fonctionnaire face à une question purement factuelle, plutôt que de décider de consulter une source d’autorité, je trouve cela à la fois inquiétant et assez fidèle aux stéréotypes que l’on colle à cette profession, à savoir d’être déconnectés de la réalité.]

              C’est perce que que vous vous placez dans une logique universitaire. Le concours de l’ENA – et d’une façon plus générale les concours administratifs – ne vise pas à recruter des puits de science capables de répondre à des questions, mais des futurs hauts fonctionnaires capables de répondre à des situations. Imaginez-vous à la place d’un préfet devant une catastrophe naturelle, et qui doit prendre des décisions et les expliquer à l’opinion. Il n’a pas le temps de « consulter une source d’autorité », il doit faire avec les informations parcellaires, éparses, incohérentes dont il dispose. Mieux vaut dans ces situations-là une réponse « farfelue » qui arrive à temps, qu’une réponse fondée sur les meilleures connaissances et qui arrive trop tard.

              Bien entendu, un haut-fonctionnaire doit avoir des connaissances précises dans certains domaines. Et c’est pourquoi le concours de l’ENA ou des autres écoles administratives ne se réduit pas à une simple épreuve de « grand oral » – faussement appelée « de culture générale ». Il y a des épreuves écrites et ce qu’on appelle les « oraux techniques » pour tester cela. Mais la question était ici celle de l’épreuve dite « de culture générale ». Celle-ci ne teste pas, contrairement à ce que son nom laisserait paraître, la « culture générale » des candidats, mais leur capacité à construire une réponse forcément partielle et « farfelue » à partir de connaissances éparses.

              [Ça me rappelle le genre de colle idiote que m’avait posée une prof de français à un oral d’école d’ingénieur, et à l’issue duquel elle m’a mis une note fort mauvaise. Heureusement cela n’a pas entravé ma réussite à ce concours. Mais j’en garde l’impression tenace que certains types d’épreuves ou de questions sont plus destinés à sélectionner un capital culturel que des aptitudes concrètement utiles.]

              Il faudrait s’entendre sur ce que sont les « aptitudes concrètement utiles ». Personnellement, j’ai toujours admiré la capacité qu’ont les préfets et les hauts fonctionnaires français à « faire ce qu’on peut avec ce qu’on a », c’est-à-dire, à prendre la meilleure décision à partir des informations disponibles, plutôt que de rester tétanisés – comme c’est le cas des allemands, par exemple – dès lors que les conditions d’une décision « académique » ne sont pas réunies. Et il n’y a pas que moi : beaucoup de pays – Allemagne comprise – nous envient cette ressource.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              > De repartie, oui. Mais aussi de rapidité mentale, de courage (parce qu’il faut du courage pour répondre à une question par une autre question qui risque de mettre en difficulté l’interrogateur), de subtilité diplomatique (parce qu’il faut être subtil pour trouver une réponse qui dit bien que la question est inepte, tout en le disant sous une forme acceptable par l’interlocuteur).

              Ok, je n’avais pas vu la chose sous cet angle. Cela fait sens… Mais je me demande comment Fabius se serait tiré d’affaire si le jury avait répondu du tac au tac, par exemple, « le pont Marguerite » (le jury a l’avantage de pouvoir préparer les questions à l’avance).

              > Imaginez-vous à la place d’un préfet devant une catastrophe naturelle, et qui doit prendre des décisions et les expliquer à l’opinion.

              Certes. Mais j’imagine alors que les candidats sont informés à l’avance que les questions visent à tester ce genre de qualités ? Parce que la question sur la profondeur du Danube paraît tellement absurde que, personnellement, je ne me serais pas dit qu’on testait ma capacité à répondre en conditions réelles à une catastrophe naturelle.

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Ok, je n’avais pas vu la chose sous cet angle. Cela fait sens… Mais je me demande comment Fabius se serait tiré d’affaire si le jury avait répondu du tac au tac, par exemple, « le pont Marguerite » (le jury a l’avantage de pouvoir préparer les questions à l’avance).]

              Et bien, il aurait peut-être été incapable de fournir une réponse… mais il aurait eu une bonne note quand même. Le jury sait très bien que sur une telle question, il peut toujours en poursuivant l’interrogatoire faire « craquer » le candidat. Mais ce n’est pas le but : on a testé qu’il était capable d’improviser une réponse intelligente, on passe à la suite… Si j’en crois ceux qui ont passé ce type de concours, il arrive que le jury approfondisse ce genre de questions pour voir jusqu’où le candidat est capable de « tenir ». En général, ils finissent par craquer… mais cela ne veut pas dire qu’ils auront une mauvaise note : s’ils ont réussi à tenir deux ou trois tours, c’est un bon signe !

              Effectivement, comme vous beaucoup de gens voient l’épreuve sous un angle « universitaire », comme une simple épreuve de connaissances. Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas, et d’ailleurs les membres du jury – j’ai déjà été membre de jurys de concours, alors je peux en parler – sont parfaitement conscients qu’il s’agit d’un exercice intellectuel complexe, et non un simple test de connaissances.

              Il faut aussi savoir qu’avant ces épreuves le candidat remet au jury une feuille retraçant son expérience mais surtout ses sujets de prédilection. Cela permet au jury de l’interroger sur un sujet en sachant que le candidat le connaît relativement bien, et donc de tester non pas ses connaissances mais sa capacité à les utiliser dans un échange argumenté.

              [Certes. Mais j’imagine alors que les candidats sont informés à l’avance que les questions visent à tester ce genre de qualités ?]

              Bien entendu. Le « grand oral » est un exercice qui se prépare méthodologiquement.

              [Parce que la question sur la profondeur du Danube paraît tellement absurde que, personnellement, je ne me serais pas dit qu’on testait ma capacité à répondre en conditions réelles à une catastrophe naturelle.]

              On teste vos capacités à prendre une décision avec une information limitée, disparate et sans rapport évident avec la question. Cela peut s’appliquer à une catastrophe naturelle, mais aussi à beaucoup de choses qui arrivent dans la vie d’un haut fonctionnaire. Autre exemple : vous accompagnez votre ministre devant une commission d’enquête, celle-ci lui pose une question sur laquelle vous ne connaissez pas grande chose, et le ministre se tourne vers vous et vous demande de lui souffler la réponse. Qu’est-ce que vous faites ? Vous lui dites « attendez, monsieur le ministre, je vais aller consulter les spécialistes » ? Non, vous ramassez vos connaissances éparses, vous prenez en considération le contexte de la question… et vous vous lancez. Ça passe ou ça casse. Et en général, avec les hauts-fonctionnaires à la française, ça passe. Il arrive qu’il en sorte une bêtise, mais en général il en sort quelque chose de rationnel, de cohérent, même si la réponse n’est pas tout à fait parfaite.

  22. Trublion dit :

    Marx a montré que ce qui contribuait à baisser les salaires (entraves au syndicalisme, discriminations racistes..) amplifiait la crise en dépit d’une hausse transitoire du profit, car baisser les salaires finit par accroître le coût relatif du capital et réduire le taux de profit
    Des lors, on peut interpréter l’agitation national populiste anti syndicale, anti fiscale et anti immigrée comme un régression capitaliste généralisée où toute une population imite le comportement borné et myope des capitalistes avides de compression des “coûts salariaux”.
    Bien meilleure est la situation d’un pays innovant ou qui importe du capital bon marché (composants, machines, matière premieres) et qui, voyant ses salaires augmenter, attire à lui des immigrés sans avoir besoin de leur chipoter leurs droits sociaux.Bonjour Descartes. Que pensez-vous de ces affirmations du trotskyste Dénis GOUAUX ?

    • Descartes dit :

      @ Trublion

      [Que pensez-vous de ces affirmations du trotskyste Dénis GOUAUX ?]

      Qu’elles sont dignes d’un trotskyste…

      Je ne connais pas Denis Goauaux au-delà du fait qu’il tient un blog sur Médiapart. Mais je trouve son raisonnement assez bizarre. Pour le montrer, il suffit de penser à contrario. Si « ce qui contribue à baisser les salaires (entraves au syndicalisme, discriminations racistes…) amplifie la crise en dépit d’une hausse transitoire du profit, car baisser les salaires finit par accroître le coût relatif du capital et réduire le taux de profit », alors on doit conclure que les syndicalistes et les militants antiracistes sont les meilleurs amis du capital, puisque leur lutte tend à conjurer la crise et à accroitre le taux de profit en enlevant les obstacles à l’augmentation du salaire ! Paradoxal, n’est-ce pas ?

      Ensuite, Gouaux conclue que « Des lors, on peut interpréter l’agitation national populiste anti syndicale, anti fiscale et anti immigrée comme une régression capitaliste généralisée où toute une population imite le comportement borné et myope des capitalistes avides de compression des “coûts salariaux” ». L’auteur a l’air de penser que s’opposer au syndicalisme, au fiscalisme et à l’immigration permet de faire baisser les « coûts salariaux ». Or, c’est clairement faux pour l’immigration : l’arrivée d’immigrés augmente l’offre de travail, et tend donc à faire baisser les salaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les capitalistes ont toujours milité pour une ouverture des frontières, alors que ce sont les organisations ouvrières qui ont clamé une politique d’immigration plus restrictive… Si comme le fait Gouaux on admet que les capitalistes sont friands de « compression des coûts salariaux », on voit mal pourquoi ils favoriseraient un courant « anti-immigré »…

      Et enfin, la dernière phrase est un feu d’artifice : « Bien meilleure est la situation d’un pays innovant ou qui importe du capital bon marché (composants, machines, matière premières) et qui, voyant ses salaires augmenter, attire à lui des immigrés sans avoir besoin de leur chipoter leurs droits sociaux ». L’Allemagne doit donc être le paradis sur terre : elle emprunte à des taux négatifs, et elle attire à elle les immigrés…

    • Vincent dit :

      Je vais me permettre de tenter ma propre réponse :

      > Marx a montré que ce qui contribuait à baisser les salaires (entraves au syndicalisme,
      > discriminations racistes..)

      Je n’ai pas connaissance que les discriminations racistes fassent baisser les salaires ? Un raisonnement simple montre que si on refuse d’embaucher une partie de la population en raison de considérations raciales, le vivier de recrutement se réduit, et les salaires auront au contraire tendance à monter…

      > baisser les salaires finit par accroître le coût relatif du capital et réduire le taux de profit

      Je ne vois pas le lien direct. Voilà le raisonnement qui s’en rapproche le plus :
      Baisser les salaires entraine une contraction de l’activité et de la masse monétaire en circulation. Qui à l’extrême supprime l’inflation, voire entraine une déflation. Ce qui réduite la rémunération du capital.
      Mais d’un autre coté, ça réduit le coût de l’endettement, donc ça permet au vilain capitaliste de grossir encore à moindre coût…

      > Des lors, on peut interpréter l’agitation national populiste anti syndicale, anti
      > fiscale et anti immigrée comme un régression capitaliste généralisée où toute
      > une population imite le comportement borné et myope des capitalistes avides
      > de compression des “coûts salariaux”.

      Si on parle des gilets jaunes, je n’ai pas vu où ils étaient anti syndicaux. Ils sont juste a-syndicaux.
      Sur l’aspect anti-fiscal, on peut entendre l’argument.
      Sur l’aspect anti-immigré, outre le fait que je n’ai pas tellement entendu ça, l’implication se fait dans l’autre sens : les patrons ont un intérêt à l’immigration.

      > Bien meilleure est la situation d’un pays innovant ou qui importe du capital
      > bon marché (composants, machines, matière premieres) et qui, voyant ses
      > salaires augmenter, attire à lui des immigrés sans avoir besoin de leur chipoter
      > leurs droits sociaux

      Il me semble qu’il y a une confusion entre l’importation de capital (qui correspond à une exportation de biens et de services) et une importation de composants, machines, et matières premières, qui correspond à une sortie de devises, et donc de capital.
      Si on parle d’une société importatrice de capital, on peut prendre l’exemple de l’Allemagne, qui est très, très loin d’être un pays où les salaires augmentent. Mais on y accueille bien les immigrés. Il y a d’ailleurs une corrélation entre stagnation des salaires et accueil des immigrés.
      Si on parle d’une société importatrice de biens et services, on a les pays d’Europe du Sud, avec un chômage galopant. Et qui naturellement, n’accueillent pas aussi bien les immigrés. Et si jamais les salaires y augmentent, c’est qu’il y a un problème, vu que les salaires augmentent alors que l’économie n’est déjà pas assez compétitive.

      En résumé, de ce que je pense de ce paragraphe : ce sont des phrases compliquées. Suffisamment pour qu’on ne cherche pas à comprendre ce que ça veut dire. Et ça sonne bien économiquement.
      Et ça permet d’aboutir à la conclusion que le pays idéal est celui où :
      – on “innove” (le mantra des économistes néolibéraux repris par un trotskyste…)
      – les salaires augmentent pour tout le monde,
      – on accueille généreusement tous les immigrés qui veulent venir.

      Vu comme cela, ça fait envie. Mais du coup, comme on ne peut pas agir sur l’innovation, je suppose que la conclusion politique qu’il en tire est qu’il faut accueillir beaucoup plus d’immigrés, et augmenter massivement tous les salaires ?

      Et il me semble qu’il y a une notion qui est totalement absente de ce raisonnement : le chômage…

  23. marc.malesherbes dit :

    une question inactuelle sur le nucléaire.

    Il semble “prouvé” qu’à l’époque l’entreprise (Creusot Loire ?) chargée de construire la cuve de l’EPR de Flamanville, et son couvercle, a falsifié ses documents pour cacher des non conformités. Lorsque cela a été découvert il s’en est suivi des retards et des coûts importants.
    A ma connaissance, aucune conséquence ne s’en est suivi. Normalement, il y aurait du avoir procès, et de plus l’entreprise aurait été conduite à la faillite, vu les coûts occasionnés.
    Cela n’a pas été fait, je suppose parce que c’était la seule entreprise française à peu près capable de faire le travail, et de le poursuivre.
    Mais les dirigeants et responsables ? ont-ils été au moins licencié ?

    nb1: même chose pour les soudures non conforme. L’entreprise responsable a-t-elle payée le coût ? Est-elle en faillite comme elle le serait certainement si elle payait le coût ? Et si on remonte dans le temps, Bouygues a-t-il payé le coût du béton non conforme ? Dans ce cas, il y a quand même d’autres entreprises qui savent couler du béton.

    nb2: d’une manière générale, je trouve cela très inquiétant, car cela ne peut que conduire tel ou tel à recommencer. En particulier, moins grave mais troublant, on apprend régulièrement que des anomalies, retards sont dévoilés tardivement par rapport à leur connaissance. A nouveau aucune sanction … Quand je travaillais en entreprise privée concurrentielle, j’ai vu des cadres techniques sanctionnés pour avoir “seulement” raté significativement leurs engagements de “prix/délai/qualité”, sans avoir triché, ni fait de fausses déclarations.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Il semble “prouvé” qu’à l’époque l’entreprise (Creusot Loire ?) chargée de construire la cuve de l’EPR de Flamanville, et son couvercle, a falsifié ses documents pour cacher des non conformités. Lorsque cela a été découvert il s’en est suivi des retards et des coûts importants.]

      Ce n’est pas tout à fait exact. S’il est vrai qu’on a constaté ce qui peut être considéré prima facie comme des falsifications, elles ne concernent pas la cuve ou le couvercle de l’EPR. L’affaire concerne les réacteurs en fonctionnement, par exemple des parties des générateurs de vapeur montés sur Fessenheim 2.

      [A ma connaissance, aucune conséquence ne s’en est suivi. Normalement, il y aurait du avoir procès, et de plus l’entreprise aurait été conduite à la faillite, vu les coûts occasionnés. Cela n’a pas été fait, je suppose parce que c’était la seule entreprise française à peu près capable de faire le travail, et de le poursuivre. Mais les dirigeants et responsables ? ont-ils été au moins licencié ?]

      D’abord, des plaintes ont été déposées et sont en cours d’instruction. Mais la falsification n’est pas aussi évidente que vous la pensez, et n’est pas facile à prouver. Des pénalités ont été appliquées par le donneur d’ordre (EDF) et un certain nombre de dirigeants ou responsables ont été sanctionnés. Cela étant dit, il faut se souvenir que l’affaire concerne des faits qui se sont déroulés il y a dix ou vingt ans, et que bien des responsables de cette époque ont quitté l’entreprise.

      [nb1: même chose pour les soudures non conforme. L’entreprise responsable a-t-elle payée le coût ? Est-elle en faillite comme elle le serait certainement si elle payait le coût ? Et si on remonte dans le temps, Bouygues a-t-il payé le coût du béton non conforme ? Dans ce cas, il y a quand même d’autres entreprises qui savent couler du béton.]

      Si vous achetez une imprimante, qu’elle tombe en panne et que cette panne vous empêche d’envoyer une lettre à votre notaire et que de ce fait vous perdez une affaire de plusieurs millions, le fabriquant de l’imprimante n’est pas censé vous les rembourser. Les contrats contiennent généralement une limitation des dommages, l’industriel s’engageant à remplacer le bien défectueux, éventuellement les dommages directs dans une certaine limite, mais rarement à payer l’ensemble des coûts. J’ignore la teneur exacte des contrats concernant l’EPR, mais j’imagine qu’EDF était censée contrôler la qualité des soudures et détecter d’éventuels défauts. EDF est donc peut-être fondé à demander au fabriquant de refaire les pièces défectueuses à ses frais, mais guère plus je pense…

      [Quand je travaillais en entreprise privée concurrentielle, j’ai vu des cadres techniques sanctionnés pour avoir “seulement” raté significativement leurs engagements de “prix/délai/qualité”, sans avoir triché, ni fait de fausses déclarations.]

      Par contre, si par le biais de tricherie ou de fausses déclarations ils ont fait gagner de l’argent à leur patron, ils sont généralement non pas sanctionnés, mais promus. C’est la règle du jeu dans le privé…

  24. marc.malesherbes dit :

    une de mes erreurs … qui me fait revoir plus positivement l’Europe, l’euro et son libéralisme.

    je faisais partie de ceux qui s’inquiétait du déficit chronique de notre balance commerciale (au sens large), considérant que cela ne pouvait que conduire à l’appauvrissement progressif de notre pays.
    Ma surprise était d’ailleurs que cet appauvrissement était quasi indécelable, notre pays étant depuis une dizaine d’année sur un quasi plateau (suivant les critères, soit en légère croissance, soit en légère décroissance). Si de plus on considère le nombre d’immigrés que nous accueillions régulièrement, et tous les coûts induits, la réalisation devient remarquable.
    Or voici que le rapport du Conseil national de productivité (1) au gouvernement montre que notre solde courant oscille autour de -1%, soit quasiment rien. Une toute petite amélioration de nos activités pourrait suffire à le combler.
    Finalement notre politique du “tout service”, l’abandon de notre industrie, nous permet quand même de “bien” vivre. (2)

    (1)”Le solde courant en France s’est dégradé au début des années 2000 pour se stabiliser autour de -1 % après la crise”
    http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/premier-rapport-cnp-avril-2019_.pdf
    (2) ok, ce n’est pas parfait, mais ce n’était pas parfait avant non plus. Pas pire. Et en plus on va bientôt avoir la PMA généralisée, puis la GPA qui se fait déjà (les contrevenants ne sont déjà plus sanctionnés).

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [je faisais partie de ceux qui s’inquiétait du déficit chronique de notre balance commerciale (au sens large), considérant que cela ne pouvait que conduire à l’appauvrissement progressif de notre pays.]

      C’est le cas.

      [Ma surprise était d’ailleurs que cet appauvrissement était quasi indécelable, notre pays étant depuis une dizaine d’année sur un quasi plateau (suivant les critères, soit en légère croissance, soit en légère décroissance).]

      J’avoue que je ne comprends pas très bien votre remarque. Quand vous parlez de « quasi plateau », j’imagine que vous parlez de l’évolution du PIB. Mais vous oubliez que le PIB représente le revenu du pays, et ne donne aucune information sur son patrimoine. Ainsi, un pays peut avoir une croissance fortement positive alors que son patrimoine se réduit dangereusement. Ainsi, par exemple, depuis trente ans nous vivons sur les infrastructures construites pendant les trente glorieuses. Ces infrastructures vieillissent et arriveront un jour en fin de vie sans qu’on fasse grand-chose pour les renouveler. C’est là un appauvrissement évident, mais qui ne deviendra « perceptible » que le jour où elles seront déclassées. De même, notre dette augmente constamment. Là encore, c’est un appauvrissement qui ne sera perceptible que le jour où nous aurons des difficultés à emprunter. Si demain notre pays ne trouvait plus de prêteur disposé à lui faire confiance, je peux vous assurer que l’appauvrissement en question deviendrait très « décelable ».

      [Or voici que le rapport du Conseil national de productivité (1) au gouvernement montre que notre solde courant oscille autour de -1%, soit quasiment rien]

      Comment ça « quasiment rien » ? Cela veut dire que chaque année la France s’appauvrit grosso modo de 1% de son PIB ! Comme notre croissance hors variation de la population est inférieure à 1% par an, cela veut dire que la croissance du PIB par habitant est négative.

      [Une toute petite amélioration de nos activités pourrait suffire à le combler.]

      Oui, il faudrait une augmentation de la productivité supérieure à 1% par an… et cela fait bien longtemps qu’on n’y arrive pas.

      [Finalement notre politique du “tout service”, l’abandon de notre industrie, nous permet quand même de “bien” vivre. (2)]

      Cela dépend de qui est ce « nous ». Si la dégradation de nos comptes extérieurs paraît faible, la dégradation de notre balance des biens et services est compensée par le retour des bénéfices réalisés par les investissements français à l’étranger. En d’autres termes, il y moins d’ouvriers qui gagnent des salaires, mais plus d’investisseurs qui gagnent des dividendes. Si par « nous » vous entendez les français qui ont du capital, vous avez raison, on peut très bien vivre en France…

      • marc.malesherbes dit :

        merci de votre réponse argumentée

        ” Quand vous parlez de « quasi plateau », j’imagine que vous parlez de l’évolution du PIB. Mais vous oubliez que le PIB représente le revenu du pays, et ne donne aucune information sur son patrimoine. Ainsi, un pays peut avoir une croissance fortement positive alors que son patrimoine se réduit dangereusement. …. De même, notre dette augmente constamment. Là encore, c’est un appauvrissement qui ne sera perceptible que le jour où nous aurons des difficultés à emprunter.”

        vous avez raison, j’ai négligé les aspects patrimoine, dette, et on pourrait ajouter environnement.

        La démocratie a beaucoup de bons aspects, mais une difficulté. Les votes ne se modifient que quand les problèmes sont “là”. Donc tant que nos infrastructures, notre niveau de vie lié se maintiennent, il n’y a guère de raisons de voir arriver un changement de cap.

        On peut toujours espérer que “par chance” soit élu un gouvernement qui se préoccupe de l’avenir, avec de bonnes solutions, mais c’est exceptionnel. C’est peut-être le cas de Blanquer. Il a réformé le bac d’une manière qui me paraît positive, a institué une sélection “raisonnable” avec Parcours sup. Toutefois j’ai l’impression que la place faite aux math-physique est un peu faible. Mais tout ne peut venir de l’éducation nationnale. Si il n’y a plus d’industrie ou d’informatique de haut niveau en France, il vaut mieux former des juristes, des administratifs et du personnel de service.

        Un autre espoir serait que les multinationales pour continuer à prospérer suscitent des politiques efficaces. D’une certaine manière c’est ce qu’on a vu avec l’élection de Trump. Les grandes multinationales ont plutôt soutenu l’accord de Paris sur le climat (pas toutes …).

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [La démocratie a beaucoup de bons aspects, mais une difficulté. Les votes ne se modifient que quand les problèmes sont “là”. Donc tant que nos infrastructures, notre niveau de vie lié se maintiennent, il n’y a guère de raisons de voir arriver un changement de cap.]

          Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Pensez au programme nucléaire, commencé bien avant la crise pétrolière de 1974, et qui pourtant a permis d’y faire face. Un programme décidé par un gouvernement démocratique – ou alors nous n’avons pas la même définition de « démocratie ». Je suis moins pessimiste que vous sur la capacité de la démocratie à anticiper et à conduire des politiques de long terme. Le problème aujourd’hui n’est pas tant celui de la démocratie en général, mais celui de la démocratie d’opinion en particulier.

          Pour échapper à court-termisme des électeurs, il faut des structures qui aient une certaine permanence, qui s’inscrivent dans la durée et transcendant les hommes qui à un moment ou à un autre les incarnent ou les dirigent. Les corps de l’Etat, les partis politiques, les églises, les académies, l’école, bref, les institutions sont – ou plutôt étaient – ces structures. Les dirigeants d’EDF pouvaient changer, mais la « position d’EDF », construction collective, est restée la même pendant plus d’un demi-siècle. Je vous conseille lorsque vous passerez dans une grande guerre parisienne d’observer les monuments aux morts qui s’y trouvent : vous noterez que le nom des cheminots morts pour la France est accompagné de leur grade et de leur métier au sein de la SNCF. Comme si l’individu n’existait que par sa place dans la collectivité. Et cela était de toute évidence jugé si important par leurs collègues qu’ils ont voulu l’inscrire dans la pierre.

          On est là à l’opposé de la vision individualiste qui est celle du capitalisme. Comme disait Keynes, « à long terme on est tous morts ». Et une politique pensée en termes individuels ne peut donc qu’être à courte vue. C’est cela que nous prépare l’égo-politique, qui est pour moi l’aboutissement du discours anti-institutionnel qui s’est imposé lentement mais sûrement depuis mai 1968. Macron, pur produit de l’Inspection des finances, qui prétend supprimer les grands corps (c’est-à-dire, pour être grossier, tirer derrière lui l’échelle qui lui a permis de monter) est un exemple presque caricatural. On retrouve ici cette réflexion – je n’arrive pas à me souvenir de son auteur – comme quoi le bon fonctionnement du capitalisme repose sur des structures préexistantes qu’il n’est pas capable de recréer…

          [On peut toujours espérer que “par chance” soit élu un gouvernement qui se préoccupe de l’avenir, avec de bonnes solutions, mais c’est exceptionnel. C’est peut-être le cas de Blanquer. Il a réformé le bac d’une manière qui me paraît positive, a institué une sélection “raisonnable” avec Parcours sup.]

          Je ne suis pas d’accord avec vous, et je le dis d’autant plus sérieusement que j’avais de lui une opinion plutôt positive, que j’avais exprimé sur ce blog. Si le choix d’investir surtout dans le primaire est très positif, sa réforme du bac est un désastre, qui sacrifie le long terme – c’est-à-dire la qualité de l’éducation et de l’instruction de nos jeunes – à des considérations de court terme, telles les économies budgétaires et la démagogie électorale auprès des parents et des élèves. Transformer l’école en une sorte de supermarché ou l’on « pioche » en fonction de ses envies aboutira à ce qu’on connaît déjà en Angleterre : les enfants des « classes intermédiaires » et de la bourgeoisie « choisiront » – poussés par leurs parents – de faire des mathématiques et du latin, alors que les enfants des couches populaires choisiront les spécialités les plus « faciles ». Et petit à petit les options « mathématiques » et « latin » disparaîtront des lycées de la France périphérique ou des banlieues (« à quoi bon maintenir une option que personne ne prend… ? »), empêchant tout retour en arrière. Saint-Just avait raison : « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ». Si on veut que les enfants des couches populaires aient accès aux mathématiques, au latin, aux disciplines « nobles », il faut les rendre obligatoires.

          Quant à Parcoursup, je ne vois pas en quoi la sélection qui est instaurée serait « raisonnable ». Pour moi, toute sélection fondée sur autre chose que le mérite est par essence déraisonnable. Or, quelle est la place du mérite dans l’algorithme de Parcoursup ?

          [Toutefois j’ai l’impression que la place faite aux math-physique est un peu faible.]

          Et le mot « faible » est faible… Mais pour moi le principal problème n’est pas là. Le point qui rend pour moi cette réforme détestable est la logique de « personnalisation des parcours », une logique de supermarché qui transforme l’écolier en client. Il faut là rappeler un principe fondamental : c’est la société qui paye l’école. Et si elle la paye, ce n’est pas pour faire plaisir aux écoliers, mais pour transmettre des choses que la société juge dignes d’être transmises. En d’autres termes, c’est la société qui doit choisir les plats dans le menu, et pas l’élève. La personnalisation des parcours nous plonge totalement dans cet individualisme total dont j’ai parlé plus haut.

          [Mais tout ne peut venir de l’éducation nationale. Si il n’y a plus d’industrie ou d’informatique de haut niveau en France, il vaut mieux former des juristes, des administratifs et du personnel de service.]

          En d’autres termes, adapter notre éducation au monde tel qu’il est, pas aux objectifs qu’on se fixe ? Je trouve que c’est une vision très appauvrie de ce qu’est une politique éducative. Il faut former les gens pour vivre dans le pays qu’on veut construire, et pas dans le pays tel qu’il est maintenant. Si Ferry avait pensé comme vous, il n’aurait jamais cherché à alphabétiser des paysans qui n’en avaient pas vraiment besoin dans le monde où ils vivaient.

          De toute façon, ce « il vaut mieux » n’a plus de sens dans une logique où c’est l’individu qui choisit et pas la société. Dans la logique actuelle, si tout le monde veut devenir professeur de sport ou avocat, il en ont le droit, et la société n’a rien à dire.

          [Un autre espoir serait que les multinationales pour continuer à prospérer suscitent des politiques efficaces.]

          J’aimerais savoir ce que vous appelez une « politique efficace » dans ce contexte. Je crains que pour les multinationales une « politique efficace » est celle qui fait gagner de l’argent à la multinationale… quoi qu’elle puisse coûter par ailleurs.

          [D’une certaine manière c’est ce qu’on a vu avec l’élection de Trump. Les grandes multinationales ont plutôt soutenu l’accord de Paris sur le climat (pas toutes …).]

          Ah bon ? Et comment s’est manifesté ce « soutien » ? Je crains que vous ne confondiez politique et communication…

          • tmn dit :

            @Descartes

            [les enfants des « classes intermédiaires » et de la bourgeoisie « choisiront » – poussés par leurs parents – de faire des mathématiques et du latin, alors que les enfants des couches populaires choisiront les spécialités les plus « faciles ». ]

            Pour le latin et toutes les matières facultatives, c’est déjà ainsi depuis longtemps.

            [Et petit à petit les options « mathématiques » et « latin » disparaîtront des lycées de la France périphérique ou des banlieues (« à quoi bon maintenir une option que personne ne prend… ? »)]

            Vous pensez vraiment que l’option maths pourrait être délaissée de lycées entiers ? Ca me parait tout de même peu probable, mais peut être suis-je trop optimiste.

            De ce que j’ai lu sur la réforme du bac, il me parait difficile d’y trouver un principe directeur. Je trouvais intéressant le fait qu’on puisse prendre à la fois des options scientifiques et littéraires par exemple, un côté moins “segmenté”. Mais à part ça je ne vois pas trop à quoi sert cette réforme… à part à faire une réforme ? Ce qui semble certain, c’est que la mise en oeuvre concrète de cette réforme a l’air de se faire n’importe comment, de façon précipitée et à marche forcée, je me demande si ce n’est pas le plus inquiétant dans tout ça.

            Que pensez vous du mode d’action des professeurs qui sont contre cette réforme et ont retardé l’envoi des notes du bac ? Un peu comme pour les gilets jaunes, constatant que les grèves “normales” ne changent rien à rien, ils font des choses qui étaient tabou il y a peu… Et le choix de Blanquer, d’utiliser les notes du contrôle continu, est un peu hallucinante.

            • Descartes dit :

              @ tmn

              [« les enfants des « classes intermédiaires » et de la bourgeoisie « choisiront » – poussés par leurs parents – de faire des mathématiques et du latin, alors que les enfants des couches populaires choisiront les spécialités les plus « faciles ». » Pour le latin et toutes les matières facultatives, c’est déjà ainsi depuis longtemps.]

              Tout à fait. C’est ici qu’on voit que la philosophie du « libre choix », chère aux libéraux, trouve ses limites quand ceux qui font les « choix » ne sont pas égaux. Nous avons tendance à choisir ce que nous connaissons, et c’est pourquoi le « libre choix » aboutit souvent à perpétuer les inégalités.

              [« Et petit à petit les options « mathématiques » et « latin » disparaîtront des lycées de la France périphérique ou des banlieues (« à quoi bon maintenir une option que personne ne prend… ? ») » Vous pensez vraiment que l’option maths pourrait être délaissée de lycées entiers ? Ca me parait tout de même peu probable, mais peut être suis-je trop optimiste.]

              Vous voulez prendre les paris ? Si on a rendu les maths facultatives, cela aboutira nécessairement à ce que certains utilisent cette « faculté » pour ne pas suivre cet enseignement. Or, les options scientifiques sont jugées – à juste titre, parce qu’elles exigent aussi du travail, de la discipline, de la rigueur, et c’est ce qui fait d’ailleurs leur intérêt du point de vue pédagogique – relativement « difficiles », et d’un rapport douteux en termes de points à l’examen. Un calcul opportuniste de court terme – et on sait que ce sont surtout les couches populaires qui sont poussées à ce type de calcul – poussera les gens à préférer d’autres options plus « soft », qui peuvent apporter plus de points avec un investissement plus faible.

              [De ce que j’ai lu sur la réforme du bac, il me parait difficile d’y trouver un principe directeur.]

              Pourtant, moi je vois un « principe directeur » très clair – qu’on trouve d’ailleurs dans l’ensemble des politiques du gouvernement. Ce principe, c’est celui de l’individualisation des parcours. Ce ne sera plus la société qui décidera ce que les jeunes gens doivent apprendre dans le cadre d’un parcours commun, mais chaque individu se fera son parcours « à la carte ».

              [Je trouvais intéressant le fait qu’on puisse prendre à la fois des options scientifiques et littéraires par exemple, un côté moins “segmenté”.]

              Personnellement, je suis moins attaché aux contenus et aux matières qu’aux mécanismes. Il est certes important que nos bacheliers sachent qui était Charlemagne ou Racine, et puissent situer Prague sur une carte. Mais pour moi, ce qui est essentiel c’est que les bacheliers aient acquis des méthodes de travail, un langage riche, une discipline et une curiosité intellectuelle et la pratique du raisonnement logique, bref, qu’ils aient acquis les outils de l’apprentissage et de la pensée. Parce qu’un individu qui possède ces éléments sera capable sans trop de difficulté d’aller chercher les connaissances qui lui manquent et de les acquérir. Les connaissances sont importantes, parce que les structures de la pensée ne peuvent pas tourner à vide, il leur faut du grain à moudre. Mais le but de l’éducation n’est pas de produire des encyclopédies sur pattes.

              C’est pour cela que la « segmentation » est importante. Certaines matières se parlent entre elles, et il est donc important à mon sens de construire un parcours ou ce dialogue existe. Il est difficile d’imaginer faire de la physique sans mathématiques, ou de l’économie sans histoire. Bien entendu, on aimerait que tous les élèves aient accès à toutes les disciplines, mais le prix à payer pour cela est de les aborder d’une manière tellement superficielle qu’il n’y a aucune chance de développer une pensée riche sur le sujet chez l’élève. Enseigner des mathématiques sans démonstration, ou la philosophie sans entrer dans les textes ne sert strictement à rien.

              [Que pensez vous du mode d’action des professeurs qui sont contre cette réforme et ont retardé l’envoi des notes du bac ?]

              Je pense que c’est idiot. Cela ne sert à rien. Le combat pour la qualité de l’enseignement est un combat politique, et non un combat syndical.

              [Et le choix de Blanquer, d’utiliser les notes du contrôle continu, est un peu hallucinant.]

              Mais parfaitement cohérent avec la logique de ces trente dernières années : celle de « l’élève au centre du système » qui devient un élève-client. L’élève a le droit d’avoir ses résultats en temps et en heure, même si pour cela il faut porter atteinte à la logique même de l’épreuve. En fait, la réaction du ministre et son acceptation par l’opinion montre que le bac a perdu tout son sens, que loin de certifier un niveau c’est une sorte de « certificat de fin du secondaire » qu’on donne à tout le monde.

            • tmn dit :

              @Descartes

              [Mais pour moi, ce qui est essentiel c’est que les bacheliers aient acquis des méthodes de travail, un langage riche, une discipline et une curiosité intellectuelle et la pratique du raisonnement logique, bref, qu’ils aient acquis les outils de l’apprentissage et de la pensée. Parce qu’un individu qui possède ces éléments sera capable sans trop de difficulté d’aller chercher les connaissances qui lui manquent et de les acquérir. Les connaissances sont importantes, parce que les structures de la pensée ne peuvent pas tourner à vide, il leur faut du grain à moudre. Mais le but de l’éducation n’est pas de produire des encyclopédies sur pattes.]

              Belle explication d’une belle vision des choses. Est ce que pour vous le rôle des études après le bac est du même ordre ? Doit-on y apprendre un métier et se spécialiser ? Ou faut-il là aussi des généralistes ? Parce que là aussi il peut sembler plus pertinent “d’apprendre à apprendre” plutôt que de se focaliser sur des spécialités qui pourront être rapidement obsolètes.

              [C’est pour cela que la « segmentation » est importante. Certaines matières se parlent entre elles, et il est donc important à mon sens de construire un parcours ou ce dialogue existe. Il est difficile d’imaginer faire de la physique sans mathématiques, ou de l’économie sans histoire. Bien entendu, on aimerait que tous les élèves aient accès à toutes les disciplines, mais le prix à payer pour cela est de les aborder d’une manière tellement superficielle qu’il n’y a aucune chance de développer une pensée riche sur le sujet chez l’élève. Enseigner des mathématiques sans démonstration, ou la philosophie sans entrer dans les textes ne sert strictement à rien.]

              Je constate parmi mes relations, pour beaucoup des gens ayant passé le bac vers la fin des années 90, que beaucoup sont spécialisés, ce qui est assez logique dans une société comme la notre, mais que cela s’est malheureusement fait au détriment de la vision d’ensemble. Exemple typique : des ingénieurs compétents dans leur domaine particulier, mais qui n’ont pas de vision claire du rôle de la science dans la société, voire de la démarche scientifique. Et qui sont parmi les premiers à sortir des billevesées sur le glyphosate, le bio et on_va_tous_mourir ™. Vous me direz : ce n’est peut-être pas en segmentant moins qu’on améliorera ça, mais tout de même je me dis que l’histoire ou la philo ne feraient pas de mal…

              [Le combat pour la qualité de l’enseignement est un combat politique, et non un combat syndical]

              Je ne comprends pas bien cet argument et ses implications : les profs en tant que fonctionnaires, ne devraient pas protester contre une réforme qu’ils trouvent néfaste ? Mais le faire par ailleurs en tant que citoyens ?

            • Descartes dit :

              @ tmn

              [Belle explication d’une belle vision des choses. Est ce que pour vous le rôle des études après le bac est du même ordre ? Doit-on y apprendre un métier et se spécialiser ? Ou faut-il là aussi des généralistes ? Parce que là aussi il peut sembler plus pertinent “d’apprendre à apprendre” plutôt que de se focaliser sur des spécialités qui pourront être rapidement obsolètes.]

              Pour moi la méthode prime la connaissance. Et je pratique cette logique dans les recrutements que je fais pour l’institution pour laquelle je travaille : je préfère toujours le candidat qui a une solide formation et des méthodes de travail et d’apprentissage à celui qui peut exhiber une copieuse expérience dans le domaine sur lequel elle devra travailler mais qui n’a pas de bagage méthodologique. Et je dois dire qu’avec cette logique je me suis très rarement planté. Parce qu’un candidat qui a la méthode sera moins pointue que celle qui a la connaissance, mais arrivera toujours à faire le travail et surtout à résoudre les problèmes imprévus.

              Pour répondre à votre question, cela dépend beaucoup du domaine que l’étudiant choisira pour exercer son activité. Un chirurgien, un physicien nucléaire ont besoin d’acquérir beaucoup de connaissances dans des domaines relativement spécialisés, alors qu’un haut fonctionnaire aurait besoin, lui, de connaissances moins approfondies mais beaucoup plus larges. Mais d’une façon générale, une fois que la méthode est acquise, il n’y a pas de danger à spécialiser l’étudiant. Il aura quand même acquis un langage intellectuel et une curiosité qui lui permettra de garder une vision large… et de changer de spécialité si nécessaire.

              [Je constate parmi mes relations, pour beaucoup des gens ayant passé le bac vers la fin des années 90, que beaucoup sont spécialisés, ce qui est assez logique dans une société comme la notre, mais que cela s’est malheureusement fait au détriment de la vision d’ensemble.]

              Tout à fait d’accord. Jusqu’à la fin des années 1970, c’est le généraliste qui se trouvait valorisé. Les grandes écoles les plus prestigieuses (ENA, ENS, Centrale, Polytechnique) se proclamaient « généralistes » et refusaient de parler de spécialisation. Daniel Gourisse, qui fut directeur de l’Ecole Centrale pendant près de vingt ans et président de la Conférence des grandes écoles avait fait du mot « pluridisciplinarité » un véritable leitmotiv. C’est lui qui insistait sur le fait que les options de son école « ne sont pas des spécialisations mais des galops d’essai ».

              Cette vision a beaucoup reculé sous la pression des industriels qui exigent des ingénieurs immédiatement utilisables, exigence d’autant plus forte que, dans la logique où les ingénieurs ne font plus leur carrière dans la même entreprise, personne n’a envie d’investir dans leur formation. Et cela ne touche pas que les ingénieurs. La tendance à sortir de l’enseignement des « produits tout compris » utilisables immédiatement par les employeurs s’est imposée dans tous les métiers.

              [Exemple typique : des ingénieurs compétents dans leur domaine particulier, mais qui n’ont pas de vision claire du rôle de la science dans la société, voire de la démarche scientifique. Et qui sont parmi les premiers à sortir des billevesées sur le glyphosate, le bio et on_va_tous_mourir.]

              Ca, c’est nouveau. Je ne voudrais pas jouer aux vieux cons sur le mode « c’était mieux avant », mais dans ma génération les ingénieurs – surtout ceux qui sortaient des écoles du haut du panier – avaient été des lycéens qui faisaient du latin et du grec, qui étaient bons en philosophie et en histoire, qui jouaient un instrument de musique…

              [« Le combat pour la qualité de l’enseignement est un combat politique, et non un combat syndical » Je ne comprends pas bien cet argument et ses implications : les profs en tant que fonctionnaires, ne devraient pas protester contre une réforme qu’ils trouvent néfaste ? Mais le faire par ailleurs en tant que citoyens ?]

              Le problème du mélange de la lutte syndicale et de la lutte politique, est qu’on finit par ne plus savoir si lorsque les profs condamnent la réforme Blanquert ils le font pour défendre un enseignement de qualité, ou parce que la réforme dérange leurs petits intérêts personnels. Et le risque n’est pas théorique : on a vu les enseignants s’opposer à des réformes pourtant vertueuses au prétexte qu’elles rendraient leur service plus lourd. Je ne leur reproche pas, c’est humain. Les commerçants, les métallurgistes, les électriciens défendent leurs intérêts « matériels et moraux », pourquoi pas les enseignants ?

            • tmn dit :

              @Descartes
              [Pour moi la méthode prime la connaissance. Et je pratique cette logique dans les recrutements que je fais pour l’institution pour laquelle je travaille : je préfère toujours le candidat qui a une solide formation et des méthodes de travail et d’apprentissage à celui qui peut exhiber une copieuse expérience dans le domaine sur lequel elle devra travailler mais qui n’a pas de bagage méthodologique.]

              Je suis peut être un peu trop curieux, mais comment faites-vous pour vous faire une idée les méthodes dont dispose un candidat ? En lui posant des questions sur ce qu’il fait dans telle situation passée par exemple ? Ça ne me semble pas évident à évaluer…

              [Cette vision a beaucoup reculé sous la pression des industriels qui exigent des ingénieurs immédiatement utilisables, exigence d’autant plus forte que, dans la logique où les ingénieurs ne font plus leur carrière dans la même entreprise, personne n’a envie d’investir dans leur formation. Et cela ne touche pas que les ingénieurs. La tendance à sortir de l’enseignement des « produits tout compris » utilisables immédiatement par les employeurs s’est imposée dans tous les métiers.]

              Intéressant, je ne pensais pas qu’il en était ainsi même dans l’industrie. A partir du moment où employés et entreprises considèrent tous deux qu’ils peuvent (voire doivent !) se débarrasser de l’autre rapidement et sans trop d’état d’âmes, difficile de penser à long terme.

              [Je ne voudrais pas jouer aux vieux cons sur le mode « c’était mieux avant », mais dans ma génération les ingénieurs – surtout ceux qui sortaient des écoles du haut du panier – avaient été des lycéens qui faisaient du latin et du grec, qui étaient bons en philosophie et en histoire, qui jouaient un instrument de musique…]

              Autant il ne faut pas toujours dire que tout était mieux avant, autant quand c’était vraiment le cas, il ne fait pas hésiter à jouer les vieux cons, c’est pour la bonne cause 😉 . Mais du coup c’est exactement à ça que je pensais (on revient au début de la conversation) quand je me réjouissais de la possibilité d’étudier les maths ET la littérature. Ça me faisait penser à une chose qui se faisait il me semble à l’époque de mes grands-parents : passer deux bacs la même année (un en juin et l’autre en septembre).

              [Le problème du mélange de la lutte syndicale et de la lutte politique, est qu’on finit par ne plus savoir si lorsque les profs condamnent la réforme Blanquert ils le font pour défendre un enseignement de qualité, ou parce que la réforme dérange leurs petits intérêts personnels. Et le risque n’est pas théorique : on a vu les enseignants s’opposer à des réformes pourtant vertueuses au prétexte qu’elles rendraient leur service plus lourd.

              A quelle réforme vertueuse pensez vous ? Le retour à une semaine de 5 jours par exemple ? Parce qu’à part ça les réformes dignes de compliments dans l’éducation nationale, c’est assez rare…

              [Je ne leur reproche pas, c’est humain. Les commerçants, les métallurgistes, les électriciens défendent leurs intérêts « matériels et moraux », pourquoi pas les enseignants ?]

              C’est humain, mais ce qui est notable, c’est que les profs sont une catégorie qui n’assume que rarement de défendre ses intérêts propres, contrairement aux métallurgistes ou aux électriciens, c’est toujours “pour les élèves”, “pour le futur” qu’ils font grève… Je ne connais pas grand chose au syndicalisme enseignant mais ça a l’air assez particulier.

            • Descartes dit :

              @ tmn

              [Je suis peut-être un peu trop curieux, mais comment faites-vous pour vous faire une idée les méthodes dont dispose un candidat ? En lui posant des questions sur ce qu’il fait dans telle situation passée par exemple ? Ça ne me semble pas évident à évaluer…]

              En fait, c’est très simple. Il suffit de confronter le candidat à un problème. Non pas par une mise en situation – qui reste toujours très artificielle – mais en créant une véritable situation problématique. Par exemple, je travaillais à un moment dans une grosse entreprise publique du secteur de l’énergie dont la privatisation était annoncée. Lorsque je recevais un candidat, je lui parlais de la privatisation dans des termes qui laissaient penser que j’y étais favorable. J’obtenais assez prévisiblement en réponse un discours plutôt optimiste quant aux effets de la privatisation. A ce moment-là, je changeais de taquet en disant « pourtant… » et j’exposait plusieurs arguments lourds contre la privatisation. Et j’observais alors comment le candidat se débrouillait pour résoudre un problème non pas théorique, mais bien réel : comment tenir un discours cohérent alors qu’on n’est pas sûr de savoir quelle est la « bonne » réponse.

              C’est devant une contradiction qu’on peut juger de la qualité des méthodes de raisonnement d’un candidat. Il y a ceux qui cherchent à comprendre, ceux qui font honnêtement une analyse des pour et des contre, et il y a ceux qui n’arrivent pas à dépasser leurs préjugés…

              [Intéressant, je ne pensais pas qu’il en était ainsi même dans l’industrie. A partir du moment où employés et entreprises considèrent tous deux qu’ils peuvent (voire doivent !) se débarrasser de l’autre rapidement et sans trop d’état d’âmes, difficile de penser à long terme.]

              Oui, même si dans l’industrie lourde on a longtemps échappé à la valse permanente des travailleurs, le changement commence à se faire sentir. Peu d’entreprises même dans l’industrie lourde sont aujourd’hui en mesure d’assurer à leurs employés une longue carrière. Et du coup, les gens s’investissent moins. A quoi bon faire l’effort pour une entreprise qui peut vous licencier du jour au lendemain sans état d’âme ?

              [« on a vu les enseignants s’opposer à des réformes pourtant vertueuses au prétexte qu’elles rendraient leur service plus lourd » A quelle réforme vertueuse pensez vous ? Le retour à une semaine de 5 jours par exemple ? Parce qu’à part ça les réformes dignes de compliments dans l’éducation nationale, c’est assez rare…]

              Je pensais en effet à la semaine de cinq jours, mais on a vu aussi les projets d’allongement de l’année scolaire en réduisant les vacances des enseignants.

              [C’est humain, mais ce qui est notable, c’est que les profs sont une catégorie qui n’assume que rarement de défendre ses intérêts propres, contrairement aux métallurgistes ou aux électriciens, c’est toujours “pour les élèves”, “pour le futur” qu’ils font grève… Je ne connais pas grand chose au syndicalisme enseignant mais ça a l’air assez particulier.]

              C’est un syndicalisme de cadres… qui n’encadrent personne !

            • tmn dit :

              @Descartes

              [En fait, c’est très simple. Il suffit de confronter le candidat à un problème. Non pas par une mise en situation – qui reste toujours très artificielle – mais en créant une véritable situation problématique. (…) ]

              Je retiens cette façon de procéder c’est vraiment très fort !

            • Descartes dit :

              @ tmn

              [Je retiens cette façon de procéder c’est vraiment très fort !]

              Bien entendu, il faut adapter la méthode en fonction du niveau du candidat. On ne pose pas les mêmes questions quand on recrute un chef de service que quand on recrute un chaudronnier. Plus la distance hiérarchique est grande, et plus il faut y aller “soft” parce que le stress hiérarchique est bien plus grand. Plus le niveau est bas, plus le problème doit porter sur un sujet concret, sur lequel la personne est à l’aise. Pour un soudeur, vous pouvez lui demander de choisir entre deux techniques de soudure (avec la même stratégie: donner l’impression que vous préférez l’une, puis donner les contre-arguments). Une autre question classique pour poser un vrai problème “soft” est de demander aux gens comment ils voient leur vie dans trois, cinq et dix ans. Vous voyez là la capacité des gens à se projeter (en général, beaucoup plus faible qu’on ne le pense).

          • marc.malesherbes dit :

            merci pour votre réponse argumentée … qui me fait voir les choses autrement,
            en particulier (mais pas seulement):

            “Le point qui rend pour moi cette réforme détestable est la logique de « personnalisation des parcours », une logique de supermarché qui transforme l’écolier en client. Il faut là rappeler un principe fondamental : c’est la société qui paye l’école. Et si elle la paye, ce n’est pas pour faire plaisir aux écoliers, mais pour transmettre des choses que la société juge dignes d’être transmises. En d’autres termes, c’est la société qui doit choisir les plats dans le menu, et pas l’élève. La personnalisation des parcours nous plonge totalement dans cet individualisme total dont j’ai parlé plus haut. ”

            “les enfants des « classes intermédiaires » et de la bourgeoisie « choisiront » – poussés par leurs parents – de faire des mathématiques et du latin, alors que les enfants des couches populaires choisiront les spécialités les plus « faciles ». Et petit à petit les options « mathématiques » et « latin » disparaîtront des lycées de la France périphérique ou des banlieues (« à quoi bon maintenir une option que personne ne prend… ? »), empêchant tout retour en arrière. Saint-Just avait raison : « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ». Si on veut que les enfants des couches populaires aient accès aux mathématiques, au latin, aux disciplines « nobles », il faut les rendre obligatoires.”

            allant dans ce sens j’avais observé le succès spectaculaire des STAPS en université (la formation de sportifs) principalement choisies par ceux issus des couches populaires. (je n’ai malheureusement plus les références du nombre considérable, ni de l’origine sociale)

            • Descartes dit :

              @ marc.malesherbes

              [allant dans ce sens j’avais observé le succès spectaculaire des STAPS en université (la formation de sportifs) principalement choisies par ceux issus des couches populaires. (je n’ai malheureusement plus les références du nombre considérable, ni de l’origine sociale)]

              En fait, on reprend là un fantasme très ancien de la bourgeoisie, celui d’une « intelligence physique » (« l’intelligence de la main », dirait Raffarin) qui s’opposerait à une « intelligence intellectuelle ». Et son corollaire de fausse égalité selon laquelle toutes les « intelligences » se valent. Mais ayant dit ça, curieusement, les classes dominantes réservent les parcours faisant appel à « l’intelligence intellectuelle » à leurs propres enfants et laissent « l’intelligence physique » aux autres… étonnant, non ?

              Le succès des sections STAPS tient à cette légende. Une partie des enfants des couches populaires s’imaginent réussir à l’université sans instruments intellectuels, par la magie du sport. Hier, ils devenaient boxeurs ou footballeurs…

            • Vincent dit :

              Sans que ce soit contradictoire avec ce que vous écrivez, le succès des sections STAPS vient de la conjonction :
              – d’une injonction à faire des études supérieures,
              – du fait que pour beaucoup (garçons surtout), à l’adolescence, le seul domaine pour lequel ils ont une motivation suffisante pour travailler avec acharnement est le sport,
              – la survalorisation sociale du sport à l’adolescence,
              – la volonté de travailler dans le domaine sportif, la filière STAPS étant la voie d’élite dans ce domaine, par rapport à des brevets d’état de domaines particuliers, ou autres monitorats…

              La filière STAPS peut dès lors s’imposer comme une évidence. Avec tous les désagréments inévitables assez rapidement, une fois en université…

          • @ Descartes,

            “Si le choix d’investir surtout dans le primaire est très positif, sa réforme du bac est un désastre, qui sacrifie le long terme – c’est-à-dire la qualité de l’éducation et de l’instruction de nos jeunes – à des considérations de court terme, telles les économies budgétaires et la démagogie électorale auprès des parents et des élèves. Transformer l’école en une sorte de supermarché ou l’on « pioche » en fonction de ses envies aboutira à ce qu’on connaît déjà en Angleterre : les enfants des « classes intermédiaires » et de la bourgeoisie « choisiront » – poussés par leurs parents – de faire des mathématiques et du latin, alors que les enfants des couches populaires choisiront les spécialités les plus « faciles ». Et petit à petit les options « mathématiques » et « latin » disparaîtront des lycées de la France périphérique ou des banlieues (« à quoi bon maintenir une option que personne ne prend… ? »), empêchant tout retour en arrière.”
            Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous écrivez. D’ailleurs, dès à présent, les lycées sont contraints de faire des choix dans les options proposées, ce qui entraîne l’affaiblissement de certaines matières avec à la clé des suppressions de poste, dont on sait très bien qu’ils ne seront pas recréés de sitôt. Ainsi, beaucoup de professeurs de mathématiques de lycée vont être “redéployés” sur le collège, du fait des coupes sombres dans l’enseignement de leur discipline au lycée. Et encore, avec le statut, l’Education nationale est obligée de les recaser avec des mesures de cartes scolaires. Ah, si seulement ces professeurs étaient des contractuels! On pourrait les virer et tout serait plus simple.

            Vous aviez en effet émis un avis plutôt positif sur Blanquer et sa façon de mener le ministère. Est-il indiscret de vous demander ce qui vous a amené à changer d’opinion? L’ “école de la confiance” ne vous inspire pas… confiance? 🙂

            En fait, Blanquer – directeur général de l’enseignement scolaire sous Chatel, faut-il le rappeler – ne fait que poursuivre et accentuer la politique de ses prédécesseurs. Car ce n’est pas lui qui était ministre lorsque le latin fut supprimé dans un petit collège de campagne où j’effectuais un remplacement. Et pourtant il y avait des élèves disposés à prendre l’option… Mais il fallait faire des économies. Et du coup on privait des enfants issus d’une population rurale vivant à l’écart des grandes villes et des centres de culture de la possibilité d’accéder à ce pan important de la culture classique. Je dois dire qu’après avoir vu le chef d’établissement se réjouir de cette suppression – le même chef d’établissement qui avait ramassé les lauriers l’année précédente lorsque la classe de latin avait remporté le rallye latin du département – j’ai commencé à nourrir un profond mépris et une forme de dégoût pour l’institution que je sers. Après tout, ne serait-il pas plus simple de supprimer l’instruction obligatoire? On ferait de vraies économies…

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [Vous aviez en effet émis un avis plutôt positif sur Blanquer et sa façon de mener le ministère. Est-il indiscret de vous demander ce qui vous a amené à changer d’opinion? L’ “école de la confiance” ne vous inspire pas… confiance?]

              Je n’ai pas « changé d’avis ». J’ai exprimé un avis « plutôt positif » sur Blanquer parce que j’ai trouvé qu’il conduisait la politique de renforcement du primaire avec beaucoup de constance et de doigté, et qu’il avait d’autant plus de mérite que du point de vue de l’opinion publique le primaire est le parent pauvre de l’attention des journalistes… Mais je ne suis pas un admirateur inconditionnel, et lorsqu’il se lance dans une réforme de l’enseignement secondaire que je trouve détestable dans ses objectifs, je le critique.

              [En fait, Blanquer – directeur général de l’enseignement scolaire sous Chatel, faut-il le rappeler – ne fait que poursuivre et accentuer la politique de ses prédécesseurs.]

              Ca dépend dans quel domaine. Sa volonté de renforcer l’enseignement primaire, par exemple, ne cadre pas avec la politique de ses prédécesseurs. Je pense que c’est là quelque chose qui lui tient à cœur personnellement. Par contre, dans les autres domaines il continue la politique de ses prédécesseurs, qui est en fait celle voulue par les classes intermédiaires : faire une école à deux vitesses tout en faisant semblant de préserver l’égalité républicaine.

              [Je dois dire qu’après avoir vu le chef d’établissement se réjouir de cette suppression – le même chef d’établissement qui avait ramassé les lauriers l’année précédente lorsque la classe de latin avait remporté le rallye latin du département – j’ai commencé à nourrir un profond mépris et une forme de dégoût pour l’institution que je sers.]

              Il ne faut pas. On peut mépriser les hommes qui la dirigent, mais il ne faut jamais mépriser l’institution en elle-même. L’éducation est une noble tâche, même lorsque les gens qui s’en occupent ne le sont pas.

            • @ Descartes,

              “Il ne faut pas. On peut mépriser les hommes qui la dirigent, mais il ne faut jamais mépriser l’institution en elle-même.”
              Il n’y a plus d’institution. Il n’y a plus qu’un champ de ruines. Merci Mai 68, le droit-de-l’hommisme et le pédagogisme.

              “L’éducation est une noble tâche”
              … qui incombe aux parents. Le boulot de l’école, ce devrait être d’instruire, pas d’apprendre à être poli, à dire bonjour. Et comme même ça, on n’a plus le droit de la faire, au risque de traumatiser les petits chéris. En fait, notre ministère devrait s’appeler “Garderie Nationale”.

            • Descartes dit :

              @ nationaliste-ethniciste

              [« Il ne faut pas. On peut mépriser les hommes qui la dirigent, mais il ne faut jamais mépriser l’institution en elle-même. » Il n’y a plus d’institution. Il n’y a plus qu’un champ de ruines. Merci Mai 68, le droit-de-l’hommisme et le pédagogisme.]

              Je peux comprendre votre frustration. Moi aussi, dans l’institution ou je travaille, je me demande s’il reste encore quelque chose à préserver, tant ou a l’impression que personne n’a plus rien à faire. Mais les institutions sont plus solides qu’on ne le croit, et elles ont la possibilité de reverdir même lorsqu’on a l’impression d’avoir affaire à un arbre sec.

              [“L’éducation est une noble tâche” … qui incombe aux parents. Le boulot de l’école, ce devrait être d’instruire, pas d’apprendre à être poli, à dire bonjour.]

              Je ne suis pas d’accord avec vous. Pour moi, la tâche d’éducation incombe à trois acteurs : aux parents, à l’école, à la société. Le jeune qui ne dit pas bonjour, qui n’est pas poli doit être repris par ses parents, mais aussi par leur professeur et – last but not least – par la société. D’une part, parce que les parents ne peuvent pas être tout le temps présents. Mais surtout, parce que le jeune doit expérimenter le fait que ce que ses parents lui enseignent n’est pas un caprice des parents, mais correspond à une règle que la société partage. Et que même si ses parents sont défaillants, la société exigera ce comportement.

              [Et comme même ça, on n’a plus le droit de la faire, au risque de traumatiser les petits chéris. En fait, notre ministère devrait s’appeler “Garderie Nationale”.]

              Non, ça, c’est le ministère de l’enseignement supérieur. Ce serait plutôt « crèche nationale »…

            • Vincent dit :

              > Mais surtout, parce que le jeune doit
              > expérimenter le fait que ce que ses
              > parents lui enseignent n’est pas un
              > caprice des parents, mais
              > correspond à une règle que la
              > société partage.

              J’avoue me servir régulièrement de ce stratagème avec une redoutable efficacité.
              Quand mon fils fait des bêtises en public, je le préviens plusieurs fois, et plutôt que d’intervenir directement, je laisse quelqu’un d’autre le faire. Et il se sent très morveux d’avoir été pris la main dans le sac après avoir été averti.

              A ma grande honte, j’ai même utilisé ce stratagème alors qu’il avait 2 ans tout juste passés, en missionnant un policier pour lui demander d’enlever sa tétine de la bouche en public…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [J’avoue me servir régulièrement de ce stratagème avec une redoutable efficacité.
              Quand mon fils fait des bêtises en public, je le préviens plusieurs fois, et plutôt que d’intervenir directement, je laisse quelqu’un d’autre le faire. Et il se sent très morveux d’avoir été pris la main dans le sac après avoir été averti.]

              Se vérifie ici le principe qui veut que pour être efficace le respect de la Loi nécessite une certaine distance. Autrefois le père était relativement distant par rapport à ses enfants et jouait ce rôle de représentant de la loi de la société alors que le pôle maternel représentait plutôt la transgression. Aujourd’hui, avec l’apparition des « papa-poule » et l’égalité dans le couple le père n’est plus cette référence un peu distante… et il faut aller la chercher ailleurs : chez un voisin, chez le policier, chez l’enseignant… sauf que souvent l’enseignant préfère jouer à la maman plutôt qu’au papa !

            • Jopari dit :

              [Je ne suis pas d’accord avec vous. Pour moi, la tâche d’éducation incombe à trois acteurs : aux parents, à l’école, à la société. Le jeune qui ne dit pas bonjour, qui n’est pas poli doit être repris par ses parents, mais aussi par leur professeur et – last but not least – par la société. D’une part, parce que les parents ne peuvent pas être tout le temps présents. Mais surtout, parce que le jeune doit expérimenter le fait que ce que ses parents lui enseignent n’est pas un caprice des parents, mais correspond à une règle que la société partage. Et que même si ses parents sont défaillants, la société exigera ce comportement.]

              Avec les dernières mesures éducatives votées par l’Assemblée nationale, le “surmoi social” ne risque pas de devenir plus exigeant, surtout au vu des arguments sur la nécessité du “dialogue.”

            • Descartes dit :

              @ Jopari

              [Avec les dernières mesures éducatives votées par l’Assemblée nationale, le “surmoi social” ne risque pas de devenir plus exigeant, surtout au vu des arguments sur la nécessité du “dialogue.”]

              Vous faites référence à la loi dite « anti-fessée » dont l’article 1er est ainsi rédigé : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. ». Ce qui, n’importe quel psychanalyste vous le dira, est une absurdité. Le simple fait de faire naître un enfant est une « violence » : de quel droit impose-t-on à un être de venir au monde sans lui avoir demandé son avis ?

              Toute éducation est fondée sur une forme de « violence », parce que toute éducation consiste à s’opposer au principe de plaisir au nom d’un principe de réalité. Si on attendait que l’enfant comprenne rationnellement pourquoi il lui faut respecter sa maîtresse et faire ses devoirs avant de commencer sa scolarité, il irait directement à l’université – et encore. Eduquer, c’est donc imposer d’autorité. Pourquoi ça marche ? Parce que l’enfant en général veut faire plaisir à ses parents. Et pourquoi veut-il faire plaisir à ses parents ? Parce qu’il a peur d’être abandonné d’eux. Les petits singes qui déplaisent à leurs parents ont moins de chances de survie que ceux qui leur font plaisir, et des milliers d’années d’évolution ont planté solidement ce fait dans notre psyché.

              A la racine de toute éducation il y a cette peur de l’abandon. A côté de cette violence – psychologique certes, mais violence tout de même – celle qui consiste à prodiguer une fessée est à mon avis de second ordre. J’irais même plus loin : la fessée est une preuve d’amour, une preuve que le parent s’intéresse à ce que son enfant fait, et donc qu’il ne se dispose pas à l’abandonner. Ce qui est beaucoup plus rassurant pour l’enfant que l’indifférence, par exemple…

  25. Laurent T dit :

    Bonjour et merci pour vos publications qui sont toujours riches d’enseignements.

    Que pensez vous de la candidature de Julien Aubert à la présidence des républicains ? Pensez vous utile qu’une personne se réclament du gaullisme tente de prendre le pouvoir dans ce parti ultra-libéral et européiste ? (surtout avec son slogan de campagne #oserladroite…)

    • Descartes dit :

      @ Laurent T

      [Que pensez-vous de la candidature de Julien Aubert à la présidence des républicains ? Pensez-vous utile qu’une personne se réclament du gaullisme tente de prendre le pouvoir dans ce parti ultra-libéral et européiste ?]

      Je souhaite beaucoup de succès à Julien Aubert. Oui, ce serait bien qu’un gaulliste – d’ailleurs bien connu pour sa proximité avec le séguinisme et ses positions anti-libérales – accède à la présidence de LR. Je ne connais pas par contre les équilibres internes chez LR pour savoir s’il a une chance de l’emporter.

      • Laurent T dit :

        En 1992 , Chevènement , Pasqua et Seguin étaient parmi les principaux contestataires du traité de Maastricht. En 1995 pour la campagne présidentiel , Chevènement soutenait Jospin , Pasqua soutenait Balladur et Seguin était le grand artisans de la victoire de Chirac avec la fracture social.

        Pourquoi les principaux leaders “souverainistes” de notre pays se sont toujours mis derrières des leaders politiques pro-européens et mélangés avec des appareils politique qui leurs étaient hostiles !? Il y a t’il chez eux un manque de convictions ?

        Aujourd’hui Julien Aubert se présente à la présidence d’un parti largement discrédité dans les classes populaires , ultra-libéral sur ça base militante.

        N’y a t’il aucun espoir de voir la création d’un parti avec une ligne qui pourrait se rapprocher d’une ligne “gaullo-communiste” du xxiie siècles !?

        Il existe une multitude de micro-parti ou mouvement actuellement mais aucun émerge et quand un arrive à sortir du lot comme Debout la République , il se noie dans des compromissions discutables rapidement.

        Je ne pense pas que Julien Aubert fasse le bon choix de se présenter à cette élection, car s’il la gagne , il devra faire beaucoup trop de compromissions pour gouverner le pays.
        Les partis politiques sont et seront toujours utiles pour former intellectuellement et politiquement des bases militantes.

        Mais le véritable bon choix , selon moi , et malgré toutes mes réticence à ces personnages , c’est Mélenchon et Macron qui l’avaient fait pour la présidentiel de 2017. Mélenchon avait fait acte de candidature très tôt dans le journal de 20H de TF1 , sans parti. Macron est lui aussi parti sans parti , plus tard mais avec l’assurance d’un gros battage médiatique en ça faveur. (Quand à Le Pen , a t’elle un véritable parti ou un groupe de supporter !?)

        L’élection du président dans notre cinquième Républiques (1) n’est pas une affaire de parti politique mais de personnalité , de la rencontre d’un homme avec son peuple garant de la souveraineté populaire et d’un arbitre au-dessus des partis . Et par les temps qui courent , il y a une telle désaffection des partis politiques que je ne vois pas l’utilité de s’en montrer trop attaché.

        (1) Existe t’elle encore…?

        • Descartes dit :

          @ Laurent T

          [Pourquoi les principaux leaders “souverainistes” de notre pays se sont toujours mis derrières des leaders politiques pro-européens et mélangés avec des appareils politique qui leurs étaient hostiles !? Il y a t’il chez eux un manque de convictions ?]

          Il y a surtout un principe de réalité. Les principaux leaders souverainistes – en dehors de ceux liés au FN – ont toujours été minoritaires dans leur camp. Leur capacité à accéder à des fonctions politiques et à exercer une influence sur les décisions était donc étroitement liée à leur capacité à apparaître comme des membres loyaux de leur camp, et à se faire tirer par des « locomotives » qui n’étaient pas forcément de la même persuasion. Chevènement n’aurait pas été ministre sans Jospin, Seguin sans Chirac…

          [Aujourd’hui Julien Aubert se présente à la présidence d’un parti largement discrédité dans les classes populaires, ultra-libéral sur sa base militante.]

          Comme disait mongénéral, on ne fait de la politique qu’avec des réalités…

          [N’y a t’il aucun espoir de voir la création d’un parti avec une ligne qui pourrait se rapprocher d’une ligne “gaullo-communiste” du xxiie siècles !?]

          Pas pour le moment, je le crains. Le compromis gaullo-communiste était possible dans un contexte d’une droite dominée par une bourgeoisie nationale, et une gauche dominée par le parti de la classe ouvrière dans un contexte où chacun avait besoin de l’autre. Aujourd’hui, la bourgeoisie nationale liée à l’industrie a été supplantée par une bourgeoisie financière mondialisée qui n’a plus besoin de la classe ouvrière.

          [Il existe une multitude de micro-parti ou mouvement actuellement mais aucun émerge et quand un arrive à sortir du lot comme Debout la République, il se noie dans des compromissions discutables rapidement.]

          Parce qu’un parti souverainiste n’a à proposer à ses militants que « du sang, de la sueur et des larmes » pour de longues années encore. Connaissez-vous beaucoup de cadres politiques ambitieux prêts à un tel sacrifice ?

          [Je ne pense pas que Julien Aubert fasse le bon choix de se présenter à cette élection, car s’il la gagne, il devra faire beaucoup trop de compromissions pour gouverner le pays.]

          Un souverainiste honteux est toujours mieux qu’un néo-libéral fier de l’être…

          [Mais le véritable bon choix, selon moi, et malgré toutes mes réticences à ces personnages, c’est Mélenchon et Macron qui l’avaient fait pour la présidentiel de 2017. Mélenchon avait fait acte de candidature très tôt dans le journal de 20H de TF1, sans parti. Macron est lui aussi parti sans parti, plus tard mais avec l’assurance d’un gros battage médiatique en sa faveur.]

          « Le bon choix » de quel point de vue ? S’il s’agit de faire des voix, vous avez certainement raison. Macron et Mélenchon sont ceux qui ont le mieux compris les mécanismes de l’égo-politique et les moyens de l’utiliser à leur avantage. Mais ils sont aussi piégés par les limites de l’exercice : ni l’un ni l’autre n’ont été capables de créer des institutions capables de penser par elles-mêmes. LREM n’est rien sans Macron, LFI n’est rien sans Mélenchon. LFI est en train de couler, et si LREM ne subit pas le même sort c’est surtout parce qu’elle peut s’acheter des clientèles.

          [(Quand à Le Pen , a-t-elle un véritable parti ou un groupe de supporter !?)]

          Un véritable parti, sans doute. Vous noterez que la querelle qui a divisé le FN après l’élection présidentielle est une querelle d’idées, et non de personnes…

          [L’élection du président dans notre cinquième Républiques (1) n’est pas une affaire de parti politique mais de personnalité, de la rencontre d’un homme avec son peuple garant de la souveraineté populaire et d’un arbitre au-dessus des partis.]

          Certes. Mais pour pouvoir être un « arbitre », encore faut-il qu’il y ait des joueurs sur le terrain. Et si les joueurs sont mauvais, le match sera médiocre quel que soit le talent de l’arbitre. C’est bien là le problème de la République aujourd’hui : le président ne peut être un arbitre parce qu’il n’y a rien à arbitrer. Sa majorité est constituée par des godillots incapables de lui tenir tête même sur des sujets secondaires, l’opposition est inexistante.

  26. marc.malesherbes dit :

    Encore un point de vue dissonant.
    Ainsi donc j’apprends que le taux d’emploi s’est amélioré en France, pour atteindre un niveau historique (1).

    Encore une bonne nouvelle qui appelle au moins deux remarques:
    – c’est encore une fois une surprise pour moi … l’Europe, l’euro, le libéralisme, ce n’est pas si mal. Et ceci malgré la croissance de la population, l’immigration de masse pas très qualifiée que nous avons accueillie depuis l’après guerre.
    – les femmes ont été les grandes bénéficiaires, au détriment des hommes qui ont vu leur taux d’emploi chuter (de 79,9% à 69,4%). L’égalité homme-femme, c’est bien, mais les hommes le paient cher (2).

    nb: je comprend tous ceux qui certes souhaitent plus et mieux, mais hésitent à quitter un système qui pour l’instant les satisfait cahin-caha. Ni le mouvement des banlieues, ni les gilets jaunes n’ont demandé de changement de système. Combien de temps cela durera-t-il ? C’est toute la question.

    (1) https://www.lejdd.fr/Politique/pourquoi-cest-trompeur-de-dire-que-le-taux-demploi-est-le-plus-eleve-depuis-40-ans-3907524
    pour moi le taux d”emploi est un bien meilleur indicateur que le taux de chômage. Il n’est pas parfait non plus, mais moins manipulable que le taux de chômage, surtout pour les comparaisons internationales.
    Je ne suis pas connaisseur, aussi je me demande quand même si on a pas modifié au cours du temps la définition du taux d’emploi dans un sens “favorable”. Autrement dit si le nombre d’heures minimales pour être considéré comme “en emploi” n’a pas été abaissé d’une manière ou d’une autre.
    (2) cela demanderait d’être davantage approfondi. En particulier en ce qui concerne le niveau scolaire moyen, qui est devenu plus faible pour les hommes que pour les femmes.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Encore un point de vue dissonant. Ainsi donc j’apprends que le taux d’emploi s’est amélioré en France, pour atteindre un niveau historique. Encore une bonne nouvelle qui appelle au moins deux remarques: – c’est encore une fois une surprise pour moi … l’Europe, l’euro, le libéralisme, ce n’est pas si mal.]

      Quel est le rapport avec « l’Europe, l’euro et le libéralisme » ?. Avant de conclure que « l’Europe, l’euro et le libéralisme ce n’est pas si mal », il faudrait comparer l’évolution des taux d’activité à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE, de la zone Euro, des pays « libéraux ». Or, si vous faites cela vous remarquerez que la corrélation est loin d’être évidente. L’augmentation du taux d’activité, qui est une constante depuis 1914, et cela un peu partout dans le monde, tient d’abord à l’entrée massive des femmes sur le marché du travail et à la création des régimes de retraite…

      [nb: je comprend tous ceux qui certes souhaitent plus et mieux, mais hésitent à quitter un système qui pour l’instant les satisfait cahin-caha. Ni le mouvement des banlieues, ni les gilets jaunes n’ont demandé de changement de système.]

      Comment le pourraient-ils ? Tous ceux ou presque qui ont la capacité de construire des idées, tous ceux qui ont dans leurs mains les canaux pour les diffuser sont par intérêt acquis au « système » en question. Dans ces conditions, comment un projet alternatif pourrait surgir ? Les laissés pour compte du système n’ont aujourd’hui aucune option crédible, alors comment n’hésiteraient-ils pas à quitter un système qui apparaît comme le seul possible ?

      [pour moi le taux d’emploi est un bien meilleur indicateur que le taux de chômage. Il n’est pas parfait non plus, mais moins manipulable que le taux de chômage, surtout pour les comparaisons internationales.]

      Un « bien meilleur indicateur » de quoi, exactement ? Je pense qu’on ne peut comparer deux indicateurs qui « indiquent » des choses très différentes. Le taux de chômage indique la proportion de la population qui voudrait travailler et n’y arrive pas. Il indique un déséquilibre dans le marché du travail, déséquilibre qui laisse des gens sur le carreau et donc un problème potentiel. Le taux d’emploi est un indicateur économique, qui donne une idée de la manière dont une société utilise la force de travail disponible. Mais un taux d’emploi faible n’indique pas nécessairement un problème : ainsi, par exemple, la prolongation des études ou la baisse de l’âge du départ à la retraite tendent à réduire le taux d’activité. Est-ce un mal ?

      [Je ne suis pas connaisseur, aussi je me demande quand même si on a pas modifié au cours du temps la définition du taux d’emploi dans un sens “favorable”. Autrement dit si le nombre d’heures minimales pour être considéré comme “en emploi” n’a pas été abaissé d’une manière ou d’une autre.]

      Que ce soit le taux de chômage ou le taux d’emploi, on se heurte aux mêmes difficultés de définition, à savoir, ce qu’on appelle exactement « avoir un emploi ». Par ailleurs, pour le taux d’emploi il y a une difficulté supplémentaire, puisqu’il faut définir ce qu’on appelle « en âge de travailler ». Peu de gens étaient capables de travailler à 70 ans il y a deux siècles, c’est très courant aujourd’hui.

      • marc.malesherbes dit :

        merci de votre réponse argumentée, en particulier (mais je ne reprend pas tout):

        “Le taux de chômage indique la proportion de la population qui voudrait travailler et n’y arrive pas. Il indique un déséquilibre dans le marché du travail, déséquilibre qui laisse des gens sur le carreau et donc un problème potentiel. Le taux d’emploi est un indicateur économique, qui donne une idée de la manière dont une société utilise la force de travail disponible. Mais un taux d’emploi faible n’indique pas nécessairement un problème : ainsi, par exemple, la prolongation des études ou la baisse de l’âge du départ à la retraite tendent à réduire le taux d’activité. Est-ce un mal ?”

  27. GILBERT MARTINEZ dit :

    cf; la magnifique analyse de Zemmour ce matin sur RTL……; Macron c est la fusion des bourgeois de gauche et de droite pour établir le parti de l Ordre…..Macron c est Louis Philippe ….Je le crois sincèrement…..La bourgeoisie a mis la main sur la République….Faudra t il donc une autre révolution puisque les Gilets Jaunes n’y ont pas suufis ?

    • Descartes dit :

      @ GILBERT MARTINEZ

      [cf; la magnifique analyse de Zemmour ce matin sur RTL……; Macron c est la fusion des bourgeois de gauche et de droite pour établir le parti de l’Ordre….]

      Je ne suis pas d’accord avec lui sur ce point. Le Macronisme n’est nullement un « parti de l’Ordre », c’est au contraire un parti du désordre – habillé sous le joli nom de « disruption » – son crédo. Macron, c’est la manifestation du caractère révolutionnaire de la bourgeoisie, tel que Marx l’avait prédit en 1848. Abolir les règles du code du travail ou les « grands corps », mettre à bas l’uniformité dans l’organisation territoriale ou dans l’organisation du baccalauréat… vous trouvez que c’est cela un « parti de l’ordre » ?

      [Macron c’est Louis Philippe….Je le crois sincèrement…..La bourgeoisie a mis la main sur la République….]

      La bourgeoisie ? Toute seule ? Non, ceux qui ont mis la main sur la République, c’est l’alliance de la bourgeoisie et des classes intermédiaires. C’est pourquoi la comparaison avec Louis Philippe est fondamentalement trompeuse. Louis Philippe est tombé devant une coalition des ouvriers mais aussi de la petite bourgeoisie parisienne. Aujourd’hui, aucun risque : la petite bourgeoisie est du côté de Macron.

  28. Luc dit :

    Le glas ?
    Il sonne pour les grévistes de l’EN.
    Blanker est gagnant depuis 2003 , dans son travail contre l’actuelle EN.
    A t il votre soutien ?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Il sonne pour les grévistes de l’EN.]

      Il faut dire que les grévistes de l’EN se prennent comme des pieds: confusion entre revendications politiques et revendications syndicales, timing désastreux…

      [Blanker est gagnant depuis 2003 , dans son travail contre l’actuelle EN. A t il votre soutien ?]

      Blanquer “gagnant depuis 2003” ? Vous n’exagérez pas un tout petit peu ?

      Oui, je soutiens Blanquer quand il parle de mettre l’effort sur le primaire. Je pense qu’il aurait fallu faire cela il y a longtemps. Ou quand il revient sur les aberrations comme la semaine de quatre jours voulue par Hollande & Co. Je ne le soutiens pas sur la réforme du bac.

  29. Luc dit :

    Lorsque il apparaît évident que Macron mène la politique de Sarkozy,pourquoi ne pas relever le rôle de Blanquer depuis plus de 10 ans à la direction de l’EN ?

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Lorsque il apparaît évident que Macron mène la politique de Sarkozy,]

      Cela ne me paraît nullement évident.

      [pourquoi ne pas relever le rôle de Blanquer depuis plus de 10 ans à la direction de l’EN ?]

      D’une part parce que Blanquer ne « dirige » pas l’EN (ce sont les ministres qui font les politiques, pas les directeurs). Et d’autre part, parce que le « rôle » de Blanquer fut plus signalé sous Hollande que sous Sarkozy.

  30. Paul dit :

    ‘aimerais faire un point sur la question du référendum contre la privatisation des Aéroports de Paris. Je constate que les débuts des dépôts de signatures pour l’obtenir ont permis d’obtenir 10% du nombre requis, mais qu’à présent ça ralentit.

    Je pense que cela correspond à une logique : ce début prometteur est dû aux personnes « averties », et aux réseaux de ceux-ci. Il me semble évident qu’à présent, ou du moins à la rentrée, il faudra mobiliser d’une manière bien plus traditionnelle : stands sur les marchés, porte-à-porte, tractages, etc.. Ce qui nécessite des comités, du matériel,… un lieu d’où l’on puisse s’exprimer.

    Or, jusqu’à maintenant, je ne constate pas de structuration d’un mouvement, qui soit initié par des partis qui pourtant ont pu se prononcer pour ce référendum. A part un meeting à Saint Denis, je n’ai rien vu circuler. Ce qui me pose au moins une question : l’unité possible de forces qui se positionnent à gauche ou à droite de l’échiquier politique serait-elle contradictoire avec la future campagne des municipales ? Ce qui signifierait que le combat serait alors perdu.

    Je crains aussi le fantasme du « Non de gauche », qui serait aussi une énième tentative de « reconstruire l’union de la gauche » (avec toutes les épithètes possibles à « gauche »), mais qui serait destructrice pour l’unité nécessaire à la préservation de l’intérêt général.

    Il est vrai que l’on trouve parmi les partis ou les personnalités qui ont pu se déclarer favorables au référendum des politiques qui ont déjà pas mal privatisé lorsqu’ils ont pu être aux affaires. Ce qui me fait craindre qu’ils puissent rester dans la seule posture « d’outragé », sans s’engager plus avant.

    Dans ces conditions, comment sortir de l’entre-soi, réseaux sociaux inclus, pour aller à la rencontre des citoyens ?

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [Je pense que cela correspond à une logique : ce début prometteur est dû aux personnes « averties », et aux réseaux de ceux-ci. Il me semble évident qu’à présent, ou du moins à la rentrée, il faudra mobiliser d’une manière bien plus traditionnelle : stands sur les marchés, porte-à-porte, tractages, etc.. Ce qui nécessite des comités, du matériel,… un lieu d’où l’on puisse s’exprimer.]

      Tout à fait. Au départ, vous avez les militants qui se précipitent pour signer. Ensuite, vous aurez le flux beaucoup plus lent des gens qui tout en voulant le référendum ne sont pas forcément militantes et ne voient pas l’intérêt de se précipiter.

      [Or, jusqu’à maintenant, je ne constate pas de structuration d’un mouvement, qui soit initié par des partis qui pourtant ont pu se prononcer pour ce référendum. A part un meeting à Saint Denis, je n’ai rien vu circuler. Ce qui me pose au moins une question : l’unité possible de forces qui se positionnent à gauche ou à droite de l’échiquier politique serait-elle contradictoire avec la future campagne des municipales ? Ce qui signifierait que le combat serait alors perdu.]

      Je pense que cette affaire pose aux partis politiques un redoutable problème de fond. A droite comme à gauche, personne n’a le cul propre lorsqu’il s’agit de privatisations, et cela rend assez difficile pour eux la montée au cocotier. Pratiquement tous les partis, pratiquement tous les dirigeants aujourd’hui en poste, à droite comme à gauche – je laisse bien entendu de côté les groupuscules – ont à un moment ou un autre mis leur signature en bas d’un texte de privatisation ou voté celle-ci à l’Assemblée nationale. Se pose donc un très sérieux problème de crédibilité de leur discours. Comment ceux qui ont signé la privatisation de France Télécom, d’EDF-GDF, des banques et des assurances, d’ELF ou d’Air France peuvent raisonnablement exclure la privatisation d’ADP au nom du caractère stratégique de ses activités ?

      [Il est vrai que l’on trouve parmi les partis ou les personnalités qui ont pu se déclarer favorables au référendum des politiques qui ont déjà pas mal privatisé lorsqu’ils ont pu être aux affaires. Ce qui me fait craindre qu’ils puissent rester dans la seule posture « d’outragé », sans s’engager plus avant.]

      C’est bien le problème. En fait, ils ont TOUS privatisé. Même les communistes – souvenez-vous de la privatisation d’Air France par un certain Gayssot. Quant à LFI, il faudrait demander à Mélenchon où était-il quand Jospin a signé la privatisation d’EDF… Et cela pose la question de leur sincérité dans toute cette affaire. N’ayons pas peur de le dire : pour beaucoup de politiques, l’essentiel n’est pas de sauver ADP, mais de réussir une opération anti-Macron. Et c’est pour cette raison que l’affaire sent mauvais…

  31. Vincent dit :

    Je relance ici, pour plus de lisibilité :

    “Se vérifie ici le principe qui veut que pour être efficace le respect de la Loi nécessite une certaine distance. Autrefois le père était relativement distant par rapport à ses enfants et jouait ce rôle de représentant de la loi de la société alors que le pôle maternel représentait plutôt la transgression. Aujourd’hui, avec l’apparition des « papa-poule » et l’égalité dans le couple le père n’est plus cette référence un peu distante… et il faut aller la chercher ailleurs : chez un voisin, chez le policier, chez l’enseignant… sauf que souvent l’enseignant préfère jouer à la maman plutôt qu’au papa !”

    Autrefois, la mère travaillait peu ou pas pour avoir du temps pour s’occuper des enfants.

    Dans une situation -fréquente- où la femme travaille autant voire plus que le mari, comment est il possible de faire autrement que des systèmes du genre “le père s’occupe de les préparer le matin pour les déposer, et la mère, qui a pu partir tôt au travail, s’en occupe en début de soirée” ?

    Et du coup, le père est amené à s’occuper des enfants comme la mère le faisait par le passé. Je dois confesser que je suis dans cette situation.

    Je suis conscient du manque de distance que cela crée et du manque d’autorité qui va avec (“il n’y a d’autorité sans prestige, ni de prestige sans éloignement”).
    Mais avez vous des idées qui permettent de pallier à cela dans une situation concrètede mère active?

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Dans une situation -fréquente- où la femme travaille autant voire plus que le mari, comment est-il possible de faire autrement que des systèmes du genre “le père s’occupe de les préparer le matin pour les déposer, et la mère, qui a pu partir tôt au travail, s’en occupe en début de soirée” ?]

      Je ne dis pas que c’est bien ou que c’est mal, ni même qu’il faudrait faire autrement. J’essaye de comprendre pourquoi ce qui arrive arrive. Il est clair que l’indifférenciation des rôles au niveau économique a pour conséquence l’indifférenciation des rôles au niveau symbolique. Et la conséquence de cette indifférenciation est la disparition d’un pôle, aujourd’hui le pôle paternel. En fait, il n’y a plus de père, il n’y a que des mères. On le voit d’ailleurs même dans le langage : écoutez attentivement le journal télévisé, et vous verrez que dans les contextes dans lequel on parlait hier de « père » et « mère » on parle aujourd’hui de « papa » et « maman ». On dira de telle personne décédé « elle était maman de deux enfants » ou « papa de deux enfants ». La société du « care », chère à Martine Aubry, c’est exactement cela.

      [Mais avez-vous des idées qui permettent de pallier à cela dans une situation concrète de mère active?]

      Chacun fait comme il peut. Si l’on est convaincu que la construction de l’enfant nécessite la présence de deux pôles bien différentiés – et personnellement j’en suis totalement convaincu – alors il faut s’efforcer de différentier les rôles. Mais il faut être conscient que ce faisant on lutte contre un courant puissant, qui est celui de la « féminisation » de la société. Car il s’agit bien d’une féminisation : lorsqu’on nous dit qu’il faut traiter les petits garçons et les petites filles de la même manière en classe ou dans la cour de récréation, en fait il s’agit de les traiter tous deux comme des petites filles. Je ne me souviens plus quel sociologue avait noté à ce propos que si traditionnellement les hommes ne parlaient pas de leur intimité ou de leurs sentiments entre eux contrairement aux femmes, la tendance de la société égalitaire était d’imposer aux hommes de parler de leur intimité, et non d’interdire aux femmes de parler de la leur. La société égalitaire est en fait une société ou le modèle féminin s’impose comme modèle unique.

  32. Vincent dit :

    > Car il s’agit bien d’une féminisation : lorsqu’on nous dit
    > qu’il faut traiter les petits garçons et les petites filles de
    > la même manière en classe ou dans la cour de récréation,
    > en fait il s’agit de les traiter tous deux comme des petites
    > filles.

    Je suis d’accord que la norme préconisée devient l’éducation indifférenciée.

    Je ne suis que partiellement d’accord sur le fait que celle ci devient une féminisation.
    Il est vrai qu’il est considéré comme souhaitable que des garçons jouent à la dinette ou expliquent à leur parents qu’ils ont peur, qu’ils sont tristes, etc. Ce qui était autrefois considéré comme des attitudes de petites filles.
    Mais il devient également souhaitable que des filles soient habillées en tenue adaptée pour le sport, et qu’on les laisse grimper partout, se faire mal en tombant, en leur disant de se relever et que ça ne sert à rien de pleurer, etc. Ce qui était plutôt considéré comme des attitudes à avoir vis à vis des garçons.

    Quitte à aller vers ce type d’éducation, ne serait ce pas une solution que les activités de dinette ou relatives à l’expression émotive soient l’apanage de la mère, là où le père serait en charge des activités de performance ?

    Et après, il reste un monde entre la théorie et la réalité. Il suffit d’aller voir à une sortie d’école ou dans un parc, et on constate que la majorité des filles sont en robe. Que les garçons continuer à jouer à la bagarre et à la guerre. Que les rayons jeux et vêtements dans les supermarchés sont bien distingués entre garçons et filles, où la couleur rose reste omniprésente…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je ne suis que partiellement d’accord sur le fait que celle-ci devient une féminisation. Il est vrai qu’il est considéré comme souhaitable que des garçons jouent à la dinette ou expliquent à leurs parents qu’ils ont peur, qu’ils sont tristes, etc. Ce qui était autrefois considéré comme des attitudes de petites filles. Mais il devient également souhaitable que des filles soient habillées en tenue adaptée pour le sport, et qu’on les laisse grimper partout, se faire mal en tombant, en leur disant de se relever et que ça ne sert à rien de pleurer, etc. Ce qui était plutôt considéré comme des attitudes à avoir vis à vis des garçons.]

      Et bien non. On ne laisse pas les enfants « grimper partout » au risque de se faire mal en tombant, au contraire, on leur interdit de jouer en dehors d’espaces aménagés de telle sorte qu’ils ne puissent pas se faire mal – car si cela arrivait, un procès avec indemnités à la clé n’est jamais exclu. Et les parents ne laissent jamais les enfants s’éloigner trop de leur regard. Pensez à « La guerre des boutons », de Pergaud. Imaginez-vous une telle liberté pour les enfants d’aujourd’hui ?

      Non, je persiste et signe. Dans le temps, les garçons couraient la campagne et les filles restaient dans les jupes de leur mère. Je ne dis pas que c’était l’idéal, mais c’était certainement mieux que le système actuel ou TOUS les enfants restent dans les jupes de leur mère – et de leur père, puisque lui aussi est prié d’en porter. Aujourd’hui, chez les « gaulois », la tendance est à éduquer les deux sexes comme on éduquait naguère les filles. Oui, bien sûr, les petites filles peuvent en apparence faire ce qui était réservé aux petits garçons… à condition que l’activité soit féminisée pour tous. Les femmes peuvent devenir policier, mais comme disait l’ineffable Ségolène Royal, il faut prévoir d’autres policiers pour les raccompagner chez elles…

      [Quitte à aller vers ce type d’éducation, ne serait-ce pas une solution que les activités de dinette ou relatives à l’expression émotive soient l’apanage de la mère, là où le père serait en charge des activités de performance ?]

      C’est une possibilité. Mais on voit mal comment la mère pourrait conserver l’apanage des activités de dinette si dans la vie quotidienne les deux parents préparent à égalité les repas. Il s’agit d’un problème qui n’a pas vraiment de solution : on ne peut que constater le courant général de la société, et essayer de faire au mieux chez soi. Personnellement, j’ai toujours été convaincu qu’il faut dans le couple une division du travail, c’est-à-dire, que chacun se spécialise dans certaines tâches. On peut ensuite discuter de la répartition des tâches – et la répartition traditionnelle n’est pas forcément juste ni adaptée à une société moderne. La difficulté, c’est qu’une telle répartition ne peut être dans l’idéal purement individuelle : elle doit être sanctionnée par la société et être uniforme dans tous les foyers, parce que les enfants comparent ce qu’ils voient ailleurs avec ce qui se passe dans leur famille.

      [Et après, il reste un monde entre la théorie et la réalité. Il suffit d’aller voir à une sortie d’école ou dans un parc, et on constate que la majorité des filles sont en robe. Que les garçons continuer à jouer à la bagarre et à la guerre. Que les rayons jeux et vêtements dans les supermarchés sont bien distingués entre garçons et filles, où la couleur rose reste omniprésente…]

      L’idéologie « égalitariste » reste effectivement un jeu intellectuel pour les couches privilégiées. Dans l’ensemble de la société la division des rôles reste très puissante, et cela pour une raison très simple : elle est fonctionnelle. En d’autres termes, elle permet un fonctionnement plus économique et plus efficace que l’indifférenciation. Mais l’idéologie dominante, transmise notamment par l’école, est souvent en conflit avec les comportements sociaux, et cela crée un malaise.

  33. Vincent dit :

    > Vous faites référence à la loi dite « anti-fessée » dont l’article 1er
    > est ainsi rédigé : « L’autorité parentale s’exerce sans violences
    > physiques ou psychologiques. ».

    Je trouve également cela d’une absurdité déconcertante. Envoyer un enfant au coin n’est il pas une violence psychologique ? Comme l’envoyer au lit le soir alors que les parents restent couchés ? Ou lui refuser une sortie le soir alors que ses potes y vont ? Ou même lui refuser une glace au chocolat ?

    > Ce qui, n’importe quel psychanalyste vous le dira, est une absurdité.

    Je ne sais pas s’ils le diraient. Les psychanalystes ont parfois une faculté impressionnante à se contredire et retomber sur leurs pattes de manière à rester à la pointe de la modernité sociétale. Le mouvement psychanalyste faisant partie du courant déconstructeur, il se trouve bien démuni quand la déconstruction en vient à proposer, par exemple, l’homoparentalité. Ce qui devrait être une hérésie pour un psychanalyste orthodoxe en vient à être justifié de manière alambiquée, comme ils savent si bien le faire.
    S’ils n’arrivaient pas à le faire, ils se retrouveraient classés dans le camp des conservateurs -leur plus grande crainte.
    Je vous concède néanmoins qu’il n’y a pas consensus sur l’homoparentalité chez les psychanalystes. Et je pense que vous n’auriez pas plus de consensus sur cette loi, pour les mêmes raisons.

    Pour revenir sur cet argument, même si je sais que le courant psychanalytique a beaucoup influencé la philosophie et la sociologie française d’il y a quelques décennies, je trouve dommage qu’un cartésien affiché s’appuie sur cette “science”, qui n’en est pas plus une que l’astrologie ou le magnétisme animal.

    > A la racine de toute éducation il y a cette peur de l’abandon. A côté de cette
    > violence – psychologique certes, mais violence tout de même – celle qui
    > consiste à prodiguer une fessée est à mon avis de second ordre. J’irais même
    > plus loin : la fessée est une preuve d’amour, une preuve que le parent
    > s’intéresse à ce que son enfant fait, et donc qu’il ne se dispose pas à
    > l’abandonner. Ce qui est beaucoup plus rassurant pour l’enfant que
    > l’indifférence, par exemple…

    Oui, vous avez raison, mais l’argument n’est pas pour autant acceptable. Ce que vous décrivez est typiquement ce que l’on rencontre avec les enfants battus, les vrais.
    Ils considèrent tellement comme normal d’être battus que pour eux, l’interaction sociale normale est d’être battus, et ils se comportent parfois comme s’ils recherchaient cela, afin de se rassurer sur le fait qu’on est pas indifférent vis à vis d’eux.
    C’est ainsi qu’il arrive que des enfants battus se retrouvent placés en famille d’accueil, et se comportent en famille d’accueil d’une telle manière qu’ils finissent par se faire battre dans leur famille d’accueil, et que quand on les rechange de famille d’accueil, ils recommencent à se faire battre, etc. pourtant dans des familles habituées à bien s’occuper d’enfants, et qui n’en avaient jamais battu aucun.
    Dans ces cas (certes extrêmes), la violence physique n’est pas de second ordre, loin de là. Inutile de vous dire que les enfants qui ont été traités comme cela dans leur enfance ne se développeront pas normalement dans leurs relations aux autres…

    Quand ils en viennent à considérer inconsciemment la violence physique comme une preuve d’amour, c’est que cette violence est déjà très largement excessive.

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je trouve également cela d’une absurdité déconcertante. Envoyer un enfant au coin n’est il pas une violence psychologique ? Comme l’envoyer au lit le soir alors que les parents restent couchés ? Ou lui refuser une sortie le soir alors que ses potes y vont ? Ou même lui refuser une glace au chocolat ?]

      Bien entendu, c’en est une puisque tous ces actes reposent sur un rapport de force ou le parent a les moyens d’imposer sa volonté à l’enfant. En matière de violences, l’acceptabilité est une question de degré.

      [Pour revenir sur cet argument, même si je sais que le courant psychanalytique a beaucoup influencé la philosophie et la sociologie française d’il y a quelques décennies, je trouve dommage qu’un cartésien affiché s’appuie sur cette “science”, qui n’en est pas plus une que l’astrologie ou le magnétisme animal.]

      Je ne suis pas d’accord avec vous. Bien sûr, la psychanalyse n’est pas ne « science », mais on peut dire la même chose de la philosophie, et cela ne la met pas au même niveau que l’astrologie ou le magnétisme animal. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit quand même d’une « connaissance » qui cherche une cohérence explicative avec l’expérience, ce qui n’est pas le cas de l’astrologie ou du magnétisme animal. La psychanalyse n’a pas – et n’aura peut-être jamais – les instruments qui permettraient d’en faire une véritable science expérimentale. Mais les objets qu’elle fabrique (l’inconscient, le complexe d’Œdipe) permettent tout de même de formaliser et d’expliquer des phénomènes observables.

      En fait, les théories psychanalytiques ont un statut épistémologique proche des mathématiques : elles créent des objets, puis essayent de trouver les rapports entre eux. Ces objets permettent quelquefois de modéliser des observations… ce sont des aides à la réflexion et rien de plus. Ils ne se substituent pas à la réalité physique. La différence est que les mathématiques ont réussi à développer des méthodes rigoureuses pour établir les rapports entre les objets qu’elles inventent, alors qu’en psychanalyse, on a toujours la problématique du métalangage…

      [Oui, vous avez raison, mais l’argument n’est pas pour autant acceptable. Ce que vous décrivez est typiquement ce que l’on rencontre avec les enfants battus, les vrais. Ils considèrent tellement comme normal d’être battus que pour eux, l’interaction sociale normale est d’être battus, et ils se comportent parfois comme s’ils recherchaient cela, afin de se rassurer sur le fait qu’on est pas indifférent vis à vis d’eux.]

      Tout à fait. Mais on pourrait dire la même chose de la violence psychologique. Vous trouverez des enfants qui sont prêts à tout pour obtenir une réaction de parents indifférents. Parce que, pour la raison que j’ai expliquée plus haut, la pire violence envers un enfant, c’est l’indifférence qui n’est qu’une forme d’abandon. J’attire à ce titre votre attention d’ailleurs sur une publicité qui passe ces jours-ci sur nos écrans et qui se veut humoristique pour une agence de voyages, ou l’on voit un couple sur une plage paradisiaque et la femme déclarant « tu sais, les enfants me manquent », pour ajouter ensuite devant l’étonnement de son mari « je rigole…. ». Et les deux d’en rire. Je me demande ce que peut penser un enfant qui regarde cette publicité…

      [Dans ces cas (certes extrêmes), la violence physique n’est pas de second ordre, loin de là. Inutile de vous dire que les enfants qui ont été traités comme cela dans leur enfance ne se développeront pas normalement dans leurs relations aux autres…]

      Cela dépend de ce que vous appelez « normalement ». Il y a des sociétés ou la « norme » est un niveau de violence physique bien plus élevé que dans la nôtre. Nous appartenons à une société où la violence physique est pratiquement bannie des rapports considérés comme « normaux », alors qu’un niveau relativement élevé de violence psychologique est parfaitement admise.

      Pour moi le problème n’est pas tant la violence en elle-même – car comme je l’ai dit plus haut je pense qu’elle est inévitable dans toute éducation – mais le problème de sa proportionnalité. En d’autres termes, le niveau de violence (qu’il soit psychologique ou physique, d’ailleurs) doit être proportionné à la faute commise dans le contexte où elle a été commise, et conserver l’idée d’une gradation des fautes. Donner une tape sur les fesses à l’enfant qui ne dit pas bonjour à un commerçant peut être admis, lui donner vingt coups de fouet pour la même raison, non.

      [Quand ils en viennent à considérer inconsciemment la violence physique comme une preuve d’amour, c’est que cette violence est déjà très largement excessive.]

      D’abord, je note que vous faites ici une différence entre la « violence physique » et la violence psychologique. Cette différence est en elle-même révélatrice à mon avis. Elle illustre l’idée que j’ai exposée plus haut : nous vivons dans une société qui a transféré la violence du plan physique au plan psychologique, au point que si l’usage de la violence physique nous paraît anormale, la violence psychologique nous paraît parfaitement acceptable.

      Mais surtout, je ne peux vous suivre dans votre conclusion parce que nous en sommes tous là. La violence – dans certaines limites, s’entend – est pour chacun d’entre nous une « preuve d’amour »… c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons tous un rapport très ambigu à la jalousie.

      • Vincent dit :

        > Bien sûr, la psychanalyse n’est pas ne « science », mais
        > on peut dire la même chose de la philosophie, et cela ne
        > la met pas au même niveau que l’astrologie ou le magnétisme
        > animal.

        C’est exactement ce que j’écrivais : ça a inspiré une philosophie. Mais je rebondissais sur votre phrase “demandez à n’importe quel psychanalyste, il vous dira…”. Comme on aurait dit “demandez à n’importe quel physicien, qui vous expliquera qu’on ne peut pas créer d’énergie à partir de rien”.
        Je vois difficilement le même type d’argument d’autorité en disant : “demandez à n’importe quel leteur de Nietsche, il vous expliquera que…”

        Bon, je vous concède qu’on pourrait dire : “demandez à n’importe quel marxiste…”. Mais ici, le marxiste est non pas le philosophe, mais l’historien, généralement.

        > Pourquoi ? Parce qu’il s’agit quand même d’une « connaissance »
        > qui cherche une cohérence explicative avec l’expérience, ce
        > qui n’est pas le cas de l’astrologie ou du magnétisme animal.

        Pour moi, c’était une hypothèse reposant sur une intuition ; qui pourrait être qualifiée d’hypothèse scientifique, même si formulée dans des termes pas très scientifique. Un peu comme Darwin, si on peut dire, pour une époque comparable.
        Mais cette idée a ensuite évolué dans trois directions :
        1°) une scientifique, où certains ont essayé de formuler les hypothèses de manière plus scientifique. En gros :
        a/ les pathologies mentales sont la conséquence de problèmes relationnels avec les parents, de frustrations sexuelles dans l’enfance, etc.
        b/ la manière de les traiter est de faire prendre conscience à l’adulte de ces problèmes, pour qu’il réussisse à les dépasser.
        La première partie de l’hypothèse a été partiellement validée, partiellement invalidée (par ex, il est aujourd’hui prouvé -par exemple- que des traumatismes dans l’enfance ont un impact sur la santé mentale de l’adulte). La deuxième partie a été invalidée.
        2°) Une pratique de psychothérapie basée sur l’introspection, qui a eu beaucoup de succès en France. Mais les effets de ces psychothératies sont bien moindres que ceux d’autres, et cette pratique à visée thérapeutique a été abandonnée presque partout dans le monde
        3°) Des courants philosophiques, qu’on ne peut pas juger, car comme philosophies, ils ne se prêtent pas au jugement.

        > La psychanalyse n’a pas – et n’aura peut-être jamais – les
        > instruments qui permettraient d’en faire une véritable
        > science expérimentale.

        En effet : la psychiatrie et la psychologie clinique disposent de tels instruments, mais les psychanalystes refusent généralement de les prendre en compte. Un peu comme les homéopathes, puisque c’est dans l’actualité : les protocoles pour vérifier l’efficacité d’un médicament existent, mais les tenants de l’homéopathie contestent ces protocoles, par exemple car ils ne respectent pas le principe d’individualisation du traitement, etc.

        > Mais les objets qu’elle fabrique (l’inconscient, le complexe
        > d’Œdipe) permettent tout de même de formaliser et d’expliquer
        > des phénomènes observables.

        Je ne vous ferai pas l’affront de penser vous apprendre que le complexe d’œdipe n’a pas été inventé par Freud. Mais la notion d’inconscient non plus. Il s’agit plutôt de notions préexistantes que la psychanalyse a intégré dans sa théorie, et qui correspondent effectivement à des observations réelles.
        Elle a tenté un lien entre ces deux et entre les maladies mentales. Ce n’était pas forcément aberrant à l’époque où ça a été formulé. Mais c’est tombé à coté.
        Je n’ai pas lu le livre d’Onfray sur Freud, mais je me demande si les attaques à son Pourquoi pas !
        Mais comme on le mentionnait plus haut, peut être sous l’influence des courants philosophiques inspirés de la psychanalyse, nous sommes aujourd’hui dans une période où, à l’inverse, chacun a l’injonction non pas de refouler, mais d’extérioriser ce qu’il ressent. Ce type de crises d’hystérie (traitable par introspection) a donc disparu dans l’occident.

        > en psychanalyse, on a toujours la problématique du métalangage…

        Je ne suis pas certain de bien comprendre ce que vous voulez dire…

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [C’est exactement ce que j’écrivais : ça a inspiré une philosophie. Mais je rebondissais sur votre phrase “demandez à n’importe quel psychanalyste, il vous dira…”. Comme on aurait dit “demandez à n’importe quel physicien, qui vous expliquera qu’on ne peut pas créer d’énergie à partir de rien”.
          Je vois difficilement le même type d’argument d’autorité en disant : “demandez à n’importe quel lecteur de Nietzsche, il vous expliquera que…”]

          Pas tout à fait. En physique ou en mathématiques, le consensus ne vaut rien. Seule l’expérience ou la démonstration compte. Mais lorsqu’il s’agit de connaissances non scientifiques, le consensus à un sens. Si tous les lecteurs de Nietzche interprètent d’une certaine manière les écrits du maître, il y a quelque chose là de significatif. Bien sûr, cela n’implique pas que leur interprétation soit juste, mais c’est le meilleur outil dont nous disposions pour nous approcher de sa pensée. C’est un peu pareil pour la psychanalyse : si tous les psychanalystes sont d’accord sur un point, c’est signifiant…

          [Pour moi, c’était une hypothèse reposant sur une intuition ; qui pourrait être qualifiée d’hypothèse scientifique, même si formulée dans des termes pas très scientifique. Un peu comme Darwin, si on peut dire, pour une époque comparable.]

          Pas tout à fait. Au sens poppérien, la psychanalyse n’est pas une science parce que ses énoncés ne sont pas réfutables. En d’autres termes, il est impossible d’imaginer une expérience capable de démontrer l’inexistence de l’inconscient ou l’universalité du complexe d’Œdipe. La théorie de Darwin, au contraire, est scientifique parce qu’elle est réfutable.

          [En effet : la psychiatrie et la psychologie clinique disposent de tels instruments, mais les psychanalystes refusent généralement de les prendre en compte. Un peu comme les homéopathes, puisque c’est dans l’actualité : les protocoles pour vérifier l’efficacité d’un médicament existent, mais les tenants de l’homéopathie contestent ces protocoles, par exemple car ils ne respectent pas le principe d’individualisation du traitement, etc.]

          Là encore, l’analogie est fausse. L’homéopathie prétend intervenir dans le champ scientifique sans accepter les contraintes de ce champ. Ses énoncés sont réfutables ET REFUTES. Le fait que les partisans de l’homéopathie n’acceptent pas cette réfutation ne change rien à l’affaire. La psychanalyse au contraire ne prétend pas au statut scientifique.

          [« Mais les objets qu’elle fabrique (l’inconscient, le complexe d’Œdipe) permettent tout de même de formaliser et d’expliquer des phénomènes observables. » Je ne vous ferai pas l’affront de penser vous apprendre que le complexe d’œdipe n’a pas été inventé par Freud. Mais la notion d’inconscient non plus.]

          Les pommes sont tombées des arbres bien avant Newton, et les ensembles existaient bien avant Cantor. On peut avoir des débats infinis pour savoir qui le premier a noté que les petits garçons rêvaient d’écarter leur papa et d’être seuls avec leur maman. Mais le fait est que le premier à avoir caractérisé l’Œdipe et l’inconscient comme des objets de connaissance, c’est Freud.

          [Elle a tenté un lien entre ces deux et entre les maladies mentales. Ce n’était pas forcément aberrant à l’époque où ça a été formulé. Mais c’est tombé à coté.]

          Si c’est « tombé à côté », pourquoi pensez-vous que la psychanalyse ait acquis une telle influence ?

          [« en psychanalyse, on a toujours la problématique du métalangage… » Je ne suis pas certain de bien comprendre ce que vous voulez dire…]

          Pour le dire autrement, en physique le sujet d’étude est extérieur au physicien. Pour la psychanalyse, le psychanalyste a lui-même un inconscient.

          • Vincent dit :

            > Si c’est « tombé à côté », pourquoi pensez-vous que
            > la psychanalyse ait acquis une telle influence ?

            C’est une vraie question. On ne s’est rendu compte qu’ils étaient tombés à coté que dans la 2ème moitié du 20ème pour ne pas être trop précis.
            La psychanalyse a acquis une énorme influence en France à cette période (ainsi d’ailleurs qu’en Argentine). Mais pas dans le reste du monde, où l’influence de la psychanalyse s’est progressivement réduite à pas grand chose dans les dernières décennies du XXème siècle.

            Du coup, cette question s’adresserait peut être plus à la France qu’à la psychanalyse ?

            Est ce qu’une hypothèse ne serait pas la symbiose philosophique qui existerait entre le courant issu de la psychanalyse, celui des sciences de l’éducation, celui des “déconstructeurs”, et les différents mouvements avec une plus ou moins vague inspiration gauchiste ou anarchiste ?

            Avec par exemple le mouvement lacanien, qui a fortement marqué la psychanalyse en France, n’est pas étranger aux fait d’exprimer ses “pensées” en des termes tellement abscons qu’elles en deviennent incompréhensibles, un peu comme un Deleuze, si j’en crois ce que j’en ai entendu (je n’ai jamais lu).

            Ou aussi Françoise Dolto, qui, en expliquant que l’enfant doit être considéré comme un sujet à part entière, à égalité avec l’adulte, a pu justifier le mouvement de déconstruction du rôle symbolique du père (je ne dis pas que c’était son intention, là encore, je n’ai pas lu). Ainsi, les psychanalystes auraient pu être utiles pour détruire le père comme les “sciences de l’éducation” l’ont été pour détruire l’école ?

            La question mérite d’être posée, mais je ne suis pas certain qu’il faille rechercher la réponse dans la psychanalyse elle même.

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [« Si c’est « tombé à côté », pourquoi pensez-vous que la psychanalyse ait acquis une telle influence ? » C’est une vraie question. On ne s’est rendu compte qu’ils étaient tombés à côté que dans la 2ème moitié du 20ème pour ne pas être trop précis.]

              Mais pourquoi ? Tant de gens intelligents se sont intéressés au sujet, et ils ont mis plus d’un demi-siècle à s’apercevoir que c’était « tombé à côté » ? Vous ne trouvez pas ça bizarre ?

              Non, si la psychanalyse a trouvé un tel succès et une telle influence, ce n’est pas parce que les gens sont idiots. C’est parce que c’est une théorie qui permet de satisfaire une demande sociale. Quitte à s’éloigner résolument de la pratique relativement modeste qui était celle des initiateurs – essentiellement des praticiens intéressés par la problématique de la maladie mentale – pour se transformer dans une sorte de « théorie du tout », permettant de dire à peu près n’importe quoi sur n’importe quel sujet. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une connaissance utile à la racine de la psychanalyse.

              [La psychanalyse a acquis une énorme influence en France à cette période (ainsi d’ailleurs qu’en Argentine). Mais pas dans le reste du monde, où l’influence de la psychanalyse s’est progressivement réduite à pas grand-chose dans les dernières décennies du XXème siècle.]

              Je ne suis pas d’accord avec vous. Même si la psychanalyse comme pratique a beaucoup décru dans le dernier quart du XXème siècle, les théories psychanalytiques gardent – et je pense à juste titre – une influence importante. D’une certaine façon, des concepts comme celui d’inconscient ou de surmoi se sont banalisés au pont que certains oublient que ce sont des concepts issus de cette théorie. Par ailleurs, je pense que vous sous-estimez l’influence de la psychanalyse sur les classes dominantes, qui ne se réduit pas à la France ou l’Argentine : pensez à la côte est des Etats-Unis…

              [Du coup, cette question s’adresserait peut-être plus à la France qu’à la psychanalyse ? Est-ce qu’une hypothèse ne serait pas la symbiose philosophique qui existerait entre le courant issu de la psychanalyse, celui des sciences de l’éducation, celui des “déconstructeurs”, et les différents mouvements avec une plus ou moins vague inspiration gauchiste ou anarchiste ?]

              Je pense surtout que la psychanalyse est un mouvement profondément athée. C’est peut-être pour cela qu’il a eu une résonance plus grande dans un pays de tradition laïque et anticléricale. Il faut aussi noter que la psychanalyse a été particulièrement forte dans les pays ou les collectivités juives étaient importantes et bien intégrées (c’est le cas en France, en Argentine, sur la côte Est des Etats-Unis…), et que beaucoup de personnalités du monde psychanalytique sont d’origine juive. Je ne sais pas s’il y a un lien, mais on peut se le demander.

              Mais surtout, il y a une question de timing. La psychanalyse tombait à point nommé à la fin des années 1960 pour soutenir idéologiquement le combat anti-institutionnel qui devint l’instrument de la prise du pouvoir par les classes intermédiaires.

              [Avec par exemple le mouvement lacanien, qui a fortement marqué la psychanalyse en France, n’est pas étranger aux fait d’exprimer ses “pensées” en des termes tellement abscons qu’elles en deviennent incompréhensibles, un peu comme un Deleuze, si j’en crois ce que j’en ai entendu (je n’ai jamais lu).]

              Lacan, il ne faut jamais l’oublier, est un surréaliste. Je pense qu’il s’est beaucoup amusé à la fin de sa vie à voir comment ses disciples transformaient sa moindre parole en discours révélé, mais je ne pense pas qu’il ait été lui-même dupe. Dans le cas de Deleuze, je suis moins sûr…

              [Ou aussi Françoise Dolto, qui, en expliquant que l’enfant doit être considéré comme un sujet à part entière, à égalité avec l’adulte, a pu justifier le mouvement de déconstruction du rôle symbolique du père (je ne dis pas que c’était son intention, là encore, je n’ai pas lu).]

              Là, je dois m’insurger. Dolto s’est plutôt attaqué au rôle symbolique de la mère, justement. On peut l’accuser de beaucoup de choses, mais pas de celle-là.

              [Ainsi, les psychanalystes auraient pu être utiles pour détruire le père comme les “sciences de l’éducation” l’ont été pour détruire l’école ?]

              La psychanalyse a été récupérée (parce que je pense qu’il faut distinguer entre la théorie et son usage militant) pour servir de munition intellectuelle dans le combat contre les institutions. Et l’institution, c’est l’incarnation de la loi du père. En ce sens, effectivement, la psychanalyse a été utilisée pour détruire le père, mais ce n’était pas son but premier.

            • Vincent dit :

              > si la psychanalyse a trouvé un tel succès et une telle
              > influence, (…) C’est parce que c’est une théorie qui
              > permet de satisfaire une demande sociale. (…)
              > transformer dans une sorte de « théorie
              > du tout », permettant de dire à peu près n’importe
              > quoi sur n’importe quel sujet.

              Je vous suis assez bien là dessus. Je ne faisais effectivement pas suffisamment de différence entre l’influence sur la société, et la pratique dans le secteur psycho-médical (je ne sais pas si l’expression existe, mais on la comprend, au moins).

              > Même si la psychanalyse comme pratique a beaucoup
              > décru dans le dernier quart du XXème siècle, les
              > théories psychanalytiques gardent – et je pense à juste
              > titre – une influence importante.

              Justement, ça n’a pas réellement décru en France et en Argentine. La décroissance est actuellement en cours en France, à une vitesse variable suivant les régions, mais avec 30 ans de retard sur l’essentiel de la planète.

              > Par ailleurs, je pense que vous sous-estimez l’influence
              > de la psychanalyse sur les classes dominantes, qui ne
              > se réduit pas à la France ou l’Argentine : pensez à la
              > côte est des Etats-Unis…

              Je ne connais pas les USA, ni à l’Est, ni à l’Ouest. Je me suis effectivement fait la réflexion concernant Woody Allen (qui a des sujets souvent très orienté par des pensées psychanalytiques), mais j’en ai déduit qu’il devait être très “français”, étant un réalisateur plus connu en France que dans son pays.
              Il serait néanmoins logique qu’il ne soit pas le seul de son pays à baigner dans cette culture philosophique.
              En revanche, aux USA, y compris sur la côte Est, l’influence de la psychanalyse sur les pratiques “psycho-médicales” est devenu quantité négligeable.

              > Je pense surtout que la psychanalyse est un
              > mouvement profondément athée. C’est peut-être
              > pour cela qu’il a eu une résonance plus grande
              > dans un pays de tradition laïque et anticléricale.

              C’est possible. Et ce qui est amusant et paradoxal, c’est que ce ne sont pas des religieux qui sont les plus grands chasseurs de psychanalystes, mais des laïcards eux mêmes (comme Onfray, ou divers scientistes).

              > beaucoup de personnalités du monde
              > psychanalytique sont d’origine juive. Je ne sais
              > pas s’il y a un lien, mais on peut se le demander.

              Est ce que les juifs ne se retrouvent pas souvent parmi les personnalités des grands mouvements intellectuels ? (je veux dire en proportion démesurée par rapport à leur poids dans la population ?). Que ce soit le marxisme, le constructivisme, la psychanalyse… ?

              > Mais surtout, il y a une question de timing. La
              > psychanalyse tombait à point nommé à la fin des
              > années 1960 pour soutenir idéologiquement le
              > combat anti-institutionnel qui devint l’instrument
              > de la prise du pouvoir par les classes intermédiaires.

              Je suis content de voir que vous me soutenez sur cette interprétation !

              > Là, je dois m’insurger. Dolto s’est plutôt attaqué au
              > rôle symbolique de la mère, justement. On peut
              > l’accuser de beaucoup de choses, mais pas de celle-là.

              Oui, mais ce faisant, elle a contribué :
              – à réduire la distance entre éducation par le père et par la mère (quoique c’est très discutable),
              – mais surtout, à dire, affirmer, que l’enfant doit être écouté à l’égal d’un adulte. Ce qui signifie également qu’il faut -pour en revenir au sujet qui nous avait lancé- limiter les violences psychologiques sur celui ci. Ce qui revient, quelque part, à favoriser une éducation moins paternelle (style : “dura lex, sed lex”).
              D’où une récupération très facile pour “tuer le Père”.

              > La psychanalyse a été récupérée (…) pour servir de
              > munition intellectuelle dans le combat contre les
              > institutions. Et l’institution, c’est l’incarnation de la
              > loi du père. En ce sens, effectivement, la psychanalyse
              > a été utilisée pour détruire le père, mais ce n’était pas
              > son but premier.

              Si ça avait été son but premier, on aurait effectivement vu les psychanalystes s’insurger un siècle plus tôt contre les pratiques éducatives en vigueur. Il s’agit donc bien d’interprétations libres de cette philosophie, et qui allaient avec le courant de l’époque, en l’occurrence déconstructeur…

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Je vous suis assez bien là dessus. Je ne faisais effectivement pas suffisamment de différence entre l’influence sur la société, et la pratique dans le secteur psycho-médical (je ne sais pas si l’expression existe, mais on la comprend, au moins).]

              Tout à fait. Il ne faut pas confondre la psychanalyse comme idéologie et la psychanalyse comme sujet de connaissance ou comme technique thérapeutique. S’il y a bien une interaction entre les deux, cela ne suffit pas à les confondre.

              [Justement, ça n’a pas réellement décru en France et en Argentine. La décroissance est actuellement en cours en France, à une vitesse variable suivant les régions, mais avec 30 ans de retard sur l’essentiel de la planète.]

              Si, quand même. Du point de vue idéologique, il ne reste qu’une arrière garde de vieux grognards qui refont une bataille perdue (eg. Elisabeth Roudinesco). Si dans les années 1960 et 1970 on essayait de mettre la psychanalyse partout (on ne compte pas les articles « psychanalyse et marxisme », « psychanalyse et éducation », « sociologie et psychanalyse ») ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Et du point de vue thérapeutique, il suffit de voir le coût des analyses… le marché s’effondre !

              [Est ce que les juifs ne se retrouvent pas souvent parmi les personnalités des grands mouvements intellectuels ? (je veux dire en proportion démesurée par rapport à leur poids dans la population ?). Que ce soit le marxisme, le constructivisme, la psychanalyse… ?]

              Oui. Peut-être parce que leur position de minorité relativement privilégiée économiquement – du moins là où ils étaient assimilés – et leur position minoritaire et discriminée ont fait qu’ils avaient moins peur de remettre en cause les dogmes et les convenances. En fait, si les juifs sont présents dans les grands mouvements intellectuels, c’est pratiquement toujours des juifs assimilés (c’était le cas de Freud, de Marx, d’Einstein). Là où les juifs vivaient sur un modèle strictement communautaire, leur contribution n’est pas particulièrement significative.

            • Vincent dit :

              > Du point de vue idéologique, il
              > ne reste qu’une arrière garde de
              > vieux grognards qui refont une
              > bataille perdue (eg. Elisabeth
              > Roudinesco).

              Regardez par exemple ce lien de 2016, ce qui n’est pas si vieux que ça :

              https://www.liberation.fr/france/2016/05/09/autisme-l-aberrante-interdiction-du-packing_1451407

              Il s’agit de l’interdiction du “packing”, une technique d’inspiration psychanalytique. Cette technique était pratiquée en France encore en 2016, et son interdiction a fait l’objet de vives protestations.
              Je vous invite également à regarder le film reportage “le mur” (2011), où on voit des pratiques assez hallucinantes, qui étaient encore largement répandues en 2011.

              Donc, si les analyses “en ville” décroissent, la décroissance de l’influence de la psychanalyse sur les systèmes de soins est réellement récente.

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Il s’agit de l’interdiction du “packing”, une technique d’inspiration psychanalytique.]

              Le « packing » est « d’inspiration psychanalytique » ? Je ne suis pas un expert, mais franchement cela m’étonnerait beaucoup. Comment une technique qui ne fait pas appel à la symbolisation et à la verbalisation pourrait avoir un quelconque statut psychanalytique ? En fait, derrière l’attaque contre le « packing » c’est plutôt la psychiatrie qui est visée…

            • fb67 dit :

              Bonjour,
              Je me permet de vous signaler un article récent sur le packing et ses rapports non ambigus avec la psychanalyse.
              Le moins qu’on puisse dire est que M.Ramus n’est pas un adepte…

            • Descartes dit :

              @ fb67

              [Le moins qu’on puisse dire est que M.Ramus n’est pas un adepte…]

              Normal: il vient de la chapelle d’en face…

            • fb67 dit :

              Désolé j’ai oublié le lien
              http://www.scilogs.fr/ramus-meninges/fin-de-partie-pour-le-packing-dans-lautisme/

              Pour un béotien comme moi, son site est passionnant!

      • Vincent dit :

        >> Quand ils en viennent à considérer inconsciemment la
        >> violence physique comme une preuve d’amour, c’est que
        >> cette violence est déjà très largement excessive.]

        Je me suis mal exprimé, je voulais écrire : “Quand ils en viennent à considérer inconsciemment la violence physique comme LA SEULE preuve d’amour QU’ILS CONNAISSENT, c’est que cette violence est déjà très largement excessive.

        Peut-être me suivrez vous là dessus ?

        > je ne peux vous suivre dans votre conclusion parce que
        > nous en sommes tous là. La violence – dans certaines
        > limites, s’entend – est pour chacun d’entre nous une
        > « preuve d’amour »… c’est d’ailleurs la raison pour
        > laquelle nous avons tous un rapport très ambigu à la jalousie.

        Je ne comprends pas ce que la jalousie vient faire là dedans… J’écris cela sans chercher à sous-entendre que vous écrivez quelque chose d’idiot, mais car je pense qu’il y a quelque chose à voir que j’ai raté…

        > D’abord, je note que vous faites ici une différence entre
        > la « violence physique » et la violence psychologique.

        Excellente remarque. Qui me fait penser à quelqu’un (aujourd’hui retraité, donc plus tout jeune) qui a -à ce que j’ai compris- constamment été méprisé et humilié par ses parents et grands parents dans sa jeunesse, sans recevoir jamais de marque d’affection. Et qu, à l’age adulte, est tout le temps en train de chercher à titiller ou harceler les autres (enfants, amis, conjoint…) jusqu’à les pousser à bout et finir par se faire “envoyer bouler” violemment.

        Il s’agit d’un exemple tout à fait similaire à ce que je mentionnais d’adulte à comportement pathologique, en raison de violence subies pendant l’enfance, même si celles ci sont psychologiques.

        > nous vivons dans une société qui a transféré la violence
        > du plan physique au plan psychologique, au point que si
        > l’usage de la violence physique nous paraît anormale, la
        > violence psychologique nous paraît parfaitement acceptable.

        Dans les discours, non, la preuve par cette loi.
        Mais nous sommes aussi dans une société qui est capable d’assumer de fortes contradictions, et, effectivement, d’infliger de fortes violences psychologiques.
        Telle une entreprise de conseil spécialisée dans le bien être au travail, qui s’est retrouvée l’an dernier en difficulté financière. Et qui, pour éviter le plan social, a choisi la technique France Telecom. Elle a rendu les conditions de travail tellement insupportables qu’elle a réussi à faire démissionner 1/3 des effectifs depuis début 2019…

        Afin de ne pas laisser mourir la discussion… Est ce que la violence psychologique que constitue pour les enfant le fait d’avoir des parents qui divorcent doit être considérée ?
        En effet, quoi de plus violent psychologiquement pour des enfants que de se sentir responsable de la séparation de leurs parents ? (c’est souvent le cas…)
        Est ce que la jurisprudence doit interdire les divorces au titre de cette loi ?

        • Descartes dit :

          @ Vincent

          [Je me suis mal exprimé, je voulais écrire : “Quand ils en viennent à considérer inconsciemment la violence physique comme LA SEULE preuve d’amour QU’ILS CONNAISSENT, c’est que cette violence est déjà très largement excessive. Peut-être me suivrez-vous là-dessus ?]

          Ce qui me gêne dans votre position est l’utilisation du mot « excessive ». Cela suppose l’existence d’une norme, en deçà de laquelle la violence est appropriée et au-delà de laquelle elle serait « excessive ». Or, je ne vois pas très bien comment vous définissez cette norme.

          C’est à mon avis sur ce problème que buttent toutes les bonnes volontés y compris celle de nos législateurs. Et c’est pourquoi la tentation est d’évacuer le problème en interdisant TOUTE violence, ce qui conduit la loi à devenir un vœu pieu. C’est la difficulté à prétendre régler par la loi des questions humaines éminemment complexes ou le contexte et l’histoire personnelle des individus joue un rôle capital.

          [Je ne comprends pas ce que la jalousie vient faire là dedans… J’écris cela sans chercher à sous-entendre que vous écrivez quelque chose d’idiot, mais car je pense qu’il y a quelque chose à voir que j’ai raté…]

          Ne vous excusez pas, vous ne m’offensez nullement à questionner mes dires. La jalousie lorsqu’elle s’exprime est une forme de violence. Pourtant, nous éprouvons du plaisir à penser qu’une personne nous aime suffisamment pour réagir violemment à l’idée de nous perdre…

          [« nous vivons dans une société qui a transféré la violence du plan physique au plan psychologique, au point que si l’usage de la violence physique nous paraît anormale, la violence psychologique nous paraît parfaitement acceptable. » Dans les discours, non, la preuve par cette loi.]

          Si j’étais méchant je vous dirai que lorsqu’on commence à faire des lois pour interdire une pratique, c’est parce que cette pratique existe et se répand. Personne n’a jamais interdit aux hommes de voler comme des oiseaux, que je sache… Qu’on se sente obligé de faire une loi pour interdire la fessée – alors que pendant des siècles on a laissé les parents libres de la pratiquer sans que les résultats éducatifs soient si mauvais que ça – dit quelque chose de notre société. Pour moi, c’est le signe que le contrôle social qui autrefois limitait les excès de ces pratiques n’opère plus.

          [Afin de ne pas laisser mourir la discussion… Est-ce que la violence psychologique que constitue pour les enfant le fait d’avoir des parents qui divorcent doit être considérée ?]

          Intéressante question… il faudrait tester la chose devant le juge !

          • Vincent dit :

            > je ne vois pas très bien comment vous définissez cette norme.

            C’est effectivement là que réside tout le problème. On peut tous se rendre compte quand quelque chose est largement excessif. Comme quand des enfants se retrouvent à l’hopital à la suite des coups, ou, comme je l’expliquais, qu’ils considèrent la violence (de quelque nature) comme seule preuve d’amour.
            Mais cela ne dit effectivement pas exactement où doit être la limite…

  34. étoile dit :

    Entretien intéressant qui résonne en partie avec ce que vous écrivez régulièrement sur le bloc dominant.

    Néolibéralisme et capitalisme managérial. Entretien avec Gérard Duménil

    • Descartes dit :

      @ étoile

      [Entretien intéressant qui résonne en partie avec ce que vous écrivez régulièrement sur le bloc dominant.]

      Tout à fait. Notamment le paragraphe suivant :

      « Ce que nous disons est, plus exactement, que deux classes dominent de nos jours, celle qui détient le capital et celle qui détient un pouvoir dérivé d’une compétence au sein des entreprises et des institutions étatiques, ce qu’on appelle en France des « cadres » (auxquels on peut adjoindre des membres de professions libérales). Le pouvoir des cadres va croissant. Ils ne forment plus une classe moyenne, mais une nouvelle classe supérieure ; le pouvoir des capitalistes va en diminuant, malgré la remontée qu’a provoquée le néolibéralisme. »

      Ces « compétences » ressemblent drôlement au « capital immatériel » dont je parle à propos des « classes intermédiaires ». En fait, il n’est pas étonnant que Duménil arrive plus ou moins au même point que moi. Il a tout comme moi la volonté d’utiliser les instruments d’analyse du marxisme à la société contemporaine, ce qui implique d’aller rechercher quels sont les acteurs dans les rapports de production tels qu’ils sont aujourd’hui. A partir de là, il est difficile de nier qu’à côté de la bourgeoisie et du prolétariat (ceux qui ont du capital matériel et ceux qui n’en ont pas) apparaît un troisième acteur, ceux qui ont du capital mais sous une forme différente.

      Ce qui est particulièrement intéressant dans l’article est l’application de ce modèle au régime soviétique. Mais l’explication des raisons de l’échec des expériences socialistes soviétique et chinoise est intéressante…

      • Ian Brossage dit :

        @Descartes

        > En fait, il n’est pas étonnant que Duménil arrive plus ou moins au même point que moi. Il a tout comme moi la volonté d’utiliser les instruments d’analyse du marxisme à la société contemporaine, ce qui implique d’aller rechercher quels sont les acteurs dans les rapports de production tels qu’ils sont aujourd’hui.

        Mais alors, quelle est la différence entre vous et lui ? J’imagine qu’il y en a une, sinon vous vous référeriez simplement à son analyse au lieu de construire la vôtre propre, d’autant que vous n’avez pas les moyens de l’approfondir scientifiquement…

        • Descartes dit :

          @ Ian Brossage

          [Mais alors, quelle est la différence entre vous et lui ? J’imagine qu’il y en a une, sinon vous vous référeriez simplement à son analyse au lieu de construire la vôtre propre, d’autant que vous n’avez pas les moyens de l’approfondir scientifiquement…]

          Il y en a plusieurs. D’abord, Duménil parle des “compétences” qui donnent aux couches intermédiaires leur place dans la société, mais refuse de considérer ces compétences comme un “capital”, qui permet aux classes intermédiaires d’échapper au processus d’exploitation. Du coup, il aboutit à une conclusion qui est bien plus restrictive que la mienne quant à l’extension des classes intermédiaires.

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