Les nouveaux forçats

J’ai beaucoup évoqué dans mes derniers papiers une problématique particulière : celle de la banalisation des métiers et des professions au fur et à mesure que le capitalisme avance. Une banalisation qui conduit chez les classes intermédiaires à une dissociation cognitive : on refuse les devoirs et servitudes attachés à un métier, à une profession, mais on voudrait garder les privilèges qui en sont la contrepartie. Ainsi, le haut fonctionnaire ou le médecin qui veulent des emplois du temps d’employé de bureau afin de « concilier la vie professionnelle et la vie personnelle », tout en regrettant la perte de leur statut, de leur prestige, du respect de leurs concitoyens. Comme si ce prestige, ce respect, n’étaient pas liés à des exigences qui ne sont pas celles qui s’imposent au commun des mortels. Et oui, « noblesse oblige »… et quand elle cesse « d’obliger », la noblesse perd en général la tête. 

Ce mois de juillet, notre ami Jean-Luc Mélenchon me fournit une illustration presque caricaturale. Dans une note publiée sur son blog (1), le chef des insoumis – car, aussi étonnant que cela puisse paraître, les insoumis sont soumis à un chef – étale les terribles souffrances que notre président de la République inflige aux élus parlementaires. Voici les paragraphes les plus intéressants de ce déchirant plaidoyer :

« Car comme vous le savez, l’inscription à l’ordre du jour de ce texte [le projet de loi sur la crise sanitaire] devant l’Assemblée nationale a été décidée par le président de la République lui-même (ce n’est pourtant pas son pouvoir), par surprise, le 12 juillet dernier. Il a donc fallu réorganiser totalement notre dispositif. (…). C’est le quatrième été en session extraordinaire. En période de vacances, toute modification de l’emploi du temps est douloureuse (…).

Ne croyez pas que ce soit simple à réaliser. Nos conjoints ne peuvent pas changer leurs dates de congés au gré des caprices du Président. Les locations ne se transposent pas au dernier moment. Les gardes alternées ne se changent pas sur un claquement de doigts du monarque. Nos enfants et petits-enfants ne comprennent pas, qu’après-avoir promis notre présence, nous soyons de nouveau absents. Et dans la répartition des rôles familiaux, il est inutile que j’insiste sur la différence de ce qui incombe aux femmes et aux hommes. Et ainsi de suite pour tout ce que nous essayons de protéger de notre vie privée, car nous ne sommes ni des robots, ni des esclaves. Et nous ne pouvons accepter d’étaler notre vie privée pour justifier nos choix après une telle année ! ».

Eh oui, c’est dur la vie du parlementaire. Surtout lorsque malgré le fait que « c’est le quatrième été en session extraordinaire », on persiste à prévoir les congés du conjoint, les locations et la promesse de voir ses petits-enfants au mois de juillet. J’ajoute que ce n’est guère nouveau : depuis les années 1980, la session extraordinaire du mois de juillet n’a plus rien « d’extraordinaire ». Pour des élus qui sont censés prévoir l’avenir de la Nation – et dont Mélenchon souligne à chaque opportunité la qualité de l’organisation – une telle imprévision paraît étonnante.

Mais l’essentiel n’est pas là. Un député, ça a de nombreux privilèges : un excellent salaire, des billets de train et d’avion gratuits, des frais de représentation et de l’argent pour se payer des collaborateurs, un régime spécial de retraite… Est-ce scandaleux de demander en échange une disponibilité totale lorsque l’urgence requiert des sessions de nuit, le week-end ou, comme c’est le cas aujourd’hui, au mois de juillet ?

Jean de Kervasdoué évoquait, dans un article de référence, ces médecins qui considéraient comme allant de soi le fait de visiter leurs malades à l’hôpital le samedi ou le dimanche, même pendant leurs congés. Il serait inimaginable pour un préfet ou un directeur d’administration de ne pas reporter des congés ou annuler purement et simplement celles-ci lorsqu’une situation de crise l’exige. J’ai connu des cadres de centrale nucléaire qui viennent sur site samedi, dimanche ou jours fériés parce qu’ils estimaient nécessaire de soutenir leurs équipes touchés par un accident ou par une situation critique. Et je n’ai jamais entendu ces gens – que j’admire personnellement et que j’ai toujours essayé d’imiter – pleurnicher sur les « douloureux » changements de leur emploi du temps, sur la difficulté de voir leurs enfants et petits-enfants.

Au contraire, on explique à ces derniers que papa ou grand papa faisaient un métier très important. Tellement important, qu’ils devaient sacrifier ce qu’ils avaient de plus cher pour le faire. Je l’ai vécu avec mes parents, et je sais que j’étais très fier d’eux, même s’ils me manquaient. Quant à eux, ils n’avaient pas – comme c’est le cas aujourd’hui – de la mauvaise conscience par rapport aux avantages et privilèges dont ils jouissaient, ils n’éprouvaient pas le besoin de s’excuser à chaque pas ou de les justifier. Parce que ces privilèges, ils les avaient gagnés par un dévouement à leur métier qui dépassait largement la moyenne. Et c’est pourquoi ils pouvaient marcher dans la rue la tête haute et ignorer les envieux ou les aigris qui glosaient sur les privilèges qu’accorde tel emploi, tel statut. Tout le contraire d’un Mélenchon qui, en conclusion de son papier, fustige les « Tristes ignorants qui ne comprennent pas que notre présence [celle du groupe LFI] en nombre est d’abord un exploit quand tout est fait pour que nous soyons absents ou démotivés ! Bref, la vie sur les bancs est tout ce que vous voulez sauf un long fleuve tranquille ». Franchement, si c’est ça un « exploit »…

L’exemple – caricatural, comme souvent avec les écrits de Mélenchon – n’est malheureusement pas unique. Notre « président normal » avait dit quelque chose de très semblable dans un livre d’entretiens resté célèbre, lorsqu’il avait regretté qu’un président de la République ne puisse quitter son bureau à des heures « normales » pour avoir une vie familiale « normale ». Et aujourd’hui, ce discours est devenu presque une vérité d’évidence : lorsqu’on écoute le discours d’Amélie de Montchalin, ministre de la fonction publique, sur la réforme de la haute fonction publique, on ne peut être que frappé par sa répétition quasi-obsessionnelle de la formule « concilier vie personnelle et vie professionnelle ». Comme s’il y avait chez nous un Dr Jekyll à la maison et un Mr Hyde au bureau qu’il faudrait « concilier ».

Je dois dire – oui, je sais, je suis un dinosaure – que je ne me reconnais guère dans ce discours. Je ne conçois pas ma vie segmentée dans des compartiments étanches. Est-ce que quelqu’un imagine de dire à Picasso « pas plus de 35 heures de dessin ou de peinture par semaine » ? Bien sûr, tout le monde n’est pas Picasso. Je suis parfaitement conscient que bien de nos concitoyens font un métier qu’ils n’ont pas choisi, qui est dur, éreintant, abrutissant. Qu’ils aient le DROIT de laisser la vie professionnelle de côté une fois qu’ils ont fait leurs heures, c’est tout à fait légitime. Mais pourquoi faire de cela une OBLIGATION ? Et puis, je peux comprendre la revendication chez l’éboueur ou le caissier de supermarché. Mais chez le médecin, le député, le haut fonctionnaire, qui ont choisi leur métier, et qui en son souvent passionnés ? Pourquoi le fait de ne pas séparer ses deux « vies » devrait être présenté comme une tare ? Si mon métier me passionne, au nom de quoi devrais-je me contraindre à ne lui consacrer que les 1600 heures annuelles prévues par le statut et pas une de plus, et faire autre chose – peut-être bien moins satisfaisante pour moi – le reste du temps ? Si j’ai plus de plaisir à discuter avec un collègue un problème juridique ou résoudre des équations, qui a le droit de me dire que je serais mieux en train de tondre le gazon ou regarder la télévision ?

Et surtout, pourquoi cette injonction à avoir honte d’être passionné par son métier, d’en tirer un véritable plaisir au point de le préférer à d’autres activités ?

Cette logique est inséparable de l’évolution du capitalisme qui tend à réduire tous les rapports humains à des rapports monétaires. La relativisation de l’activité professionnelle, mise au même niveau que les activités domestiques, fait du métier un pur rapport économique, dépouillé de ce qui faisait sa dignité et son statut social, mais aussi son sens. Un médecin ou un enseignant « qui font leurs heures » et accordent à leurs malades ou à leurs étudiants la même attention qu’à leur lessive ou leurs vacances – car c’est bien cela que veut dire « l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle » – ne méritent à priori guère plus de considération que n’importe quel autre travailleur. Et lorsqu’un député « souffre » publiquement parce qu’il doit décaler ses vacances ou la visite de ses petits enfants pour s’occuper des affaires de la Nation, on ne peut que conclure que pour lui ses vacances ou la visite de ses petits-enfants sont au même niveau d’importance que les affaires de la Nation. Si le but était de revaloriser la politique et la fonction parlementaire, c’est raté.

Descartes

(1) Je conseille à mes lecteurs la lecture intégrale du papier de Mélenchon, qui illustre à la perfection ce côté pleurnichard qui transforme en « contrainte organisationnelle inacceptable » ce qui est une situation banale qui nécessite un minimum d’organisation (l’évocation de la nécessité d’organiser les « pauses pipi » à l’Assemblée fournit une bonne tranche de rigolade). On peut consulter le papier complet sur https://melenchon.fr/2021/07/24/recit-dun-travail-dequipe-contre-le-pass-sanitaire

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101 réponses à Les nouveaux forçats

  1. Pizon Catherine dit :

    Sans oublier que la fonction d’élu ne dure (en principe) qu’un certain nombre d’années, qu’elle est librement choisie et que la profession d’origine est mise entre parenthèses le temps de jouer un rôle politique. Mais il faut croire que ce n’est pas si pénible que cela puisque beaucoup en font ou voudraient en faire un métier à vie lorsqu’ils y ont goûté (ou parce qu’ils ne savent pas faire autre chose…). Effectivement, tout rôle politique induit un service total auprès de la population. Mais la faute est peut-être à la législation. Durant les réglements édictés par la Commune, les représentants du peuple étaient responsables et révocables à tout moment. Et ils étaient payés au salaire ouvrier… c’est en tous cas c’est ce qui avait été prévu, malheureusement on connait la suite.

    • Descartes dit :

      @ Pizon Catherine

      [Effectivement, tout rôle politique induit un service total auprès de la population.]

      Oui. A mon sens, c’est inséparable du rôle symbolique de l’élu. Parce que dans l’idée d’élection, il y a une notion sacrificielle. Jusqu’à une époque récente, lorsque le “speaker” (président) de la Chambre des Communes en Grande Bretagne est élu par ses pairs, il était poussé par ceux-ci vers sa chaise. Cette étrange cérémonie venait de l’époque ou le “speaker” était responsable de porter au roi les remontrances de la Chambre (d’ou son nom “speaker”, celui qui parle), souvent des reproches peu agréables à l’oreille royale, et qui amenaient à son porteur un certain nombre de désagréments, dont certains définitifs. Pendant des siècles, l’élection impliquait des risques bien réels, et donc un sacrifice personnel important.

      [Mais la faute est peut-être à la législation. Durant les réglements édictés par la Commune, les représentants du peuple étaient responsables et révocables à tout moment. Et ils étaient payés au salaire ouvrier…]

      Oui. Et vous noterez que la Commune a finalement échoué. On peut donner ce genre de règles comme exemple d’un extrême idéalisme, mais on peut difficilement considérer que l’expérience de 1871 prouve leur efficacité. Payer le salaire ouvrier ? Pourquoi pas… mais vous aurez alors dans la chambre que ceux qui ont une fortune personnelle qui leur permette de bien vivre malgré ce salaire, ou bien des des gens dont les mérites et talents sont suffisamment maigres pour ne pas pouvoir mieux gagner leur vie ailleurs… d’ailleurs, si vous payez le parlementaire un salaire ouvrier, pourquoi ne pas faire de même avec le médecin, l’ingénieur, le professeur, l’infirmier ?

      Vous voulez des élus “révocables à tout moment” ? Et bien, vous aurez des démagogues qui caresseront le peuple dans le sens du poil, qui lui cacheront les vérités désagréables de peur d’être balayés par un mouvement d’humeur. La révocabilité immédiate, c’est une prime donnée aux groupuscules bien organisés qui peuvent faire “tomber” un élu. Pensez-vous qu’on aurait pu faire voter la loi sur l’avortement ou l’abolition de la peine de mort si les élus avaient été soumis à la menace d’une sanction immédiate ?

      c’est en tous cas c’est ce qui avait été prévu, malheureusement on connait la suite.

      • Claustaire dit :

        C’est Clémenceau, un expert en politique et en connaissance de l’Homme, qui disait : “Si la République ne paie pas correctement son personnel, elle le payera cher”.

        • Descartes dit :

          @ Claustaire

          [C’est Clémenceau, un expert en politique et en connaissance de l’Homme, qui disait : “Si la République ne paie pas correctement son personnel, elle le payera cher”.]

          Exactement. Mais je crois qu’il ne faisait que faire écho à Napoléon, qui lui même faisait écho à Louis XIV, qui lui-même… je crois que la première référence au fait que mal payer les fonctionnaires stimule une corruption qui finit par coûter plus cher que ce qu’on économise se trouve dans la Rome antique…

  2. J. Elsé dit :

    J’étais cadre, responsable de la maintenance, de la sécurité et de l’environnement dans une grosse entreprise. Métier passionnant bien que prenant, mais l’un ne va pas sans l’autre. Je me souviens d’un jour où, rentrant chez moi comme d’habitude vers 21 heures, ma femme m’a dit “ne te change pas, ils ont appelé, il faut que tu y retournes”. Etant sur la brèche depuis 7 h du matin, j’ai un peu râlé mais j’y suis retourné. Malgré tout, pour rien au monde je n’aurais échangé ma place pour un boulot “pépère”. Noblesse oblige, je suis entièrement d’accord.

    • Descartes dit :

      @ J. Elsé

      [Je me souviens d’un jour où, rentrant chez moi comme d’habitude vers 21 heures, ma femme m’a dit “ne te change pas, ils ont appelé, il faut que tu y retournes”. Étant sur la brèche depuis 7 h du matin, j’ai un peu râlé mais j’y suis retourné. Malgré tout, pour rien au monde je n’aurais échangé ma place pour un boulot “pépère”. Noblesse oblige, je suis entièrement d’accord.]

      Ayant travaillé de longues années dans le nucléaire, j’ai la même vision des choses. Je ne connais pas de volupté comparable à celle de sentir que le monde a besoin de vous, que vous êtes indispensable à quelqu’un.

      • martine dit :

        “Ayant travaillé de longues années dans le nucléaire, j’ai la même vision des choses. Je ne connais pas de volupté comparable à celle de sentir que le monde a besoin de vous, que vous êtes indispensable à quelqu’un.”
        Si j’ai bien compris votre réflexion dans le monde du travail  se sentir indispensable et savoir que le monde a besoin de vous,  pour la plus grande majorité des salariés qui ne sont pas hauts fonctionnaires ou dans le nucléaire ou grands cadres ou même dans l’humanitaire, ce sentiment de volupté n’existe pas. C’est dur pour eux. Pourtant ils ont leur utilité aussi dans la société même si comme vous  l’avez déjà expliqué si  un travail devient moins rentable  il est supprimé.

        • Descartes dit :

          @ martine

          [Si j’ai bien compris votre réflexion dans le monde du travail se sentir indispensable et savoir que le monde a besoin de vous, pour la plus grande majorité des salariés qui ne sont pas hauts fonctionnaires ou dans le nucléaire ou grands cadres ou même dans l’humanitaire, ce sentiment de volupté n’existe pas.]

          Bien sur que si. N’ayant pas à ma disposition d’études sociologiques sur cette question, je ne peux parler qu’à partir de mes observations personnelles, et mes observations personnelles ne peuvent concerner que les milieux que je connais: celui du nucléaire, celui des industries lourdes, celui de la haute fonction publique. Mais cela n’implique pas que cette “volupté” n’existe pas ailleurs. Je suis persuadé personnellement que chez les cheminots, chez les médecins, chez les personnels soignants, chez les enseignants, chez les agriculteurs, chez les boulangers, cette “volupté” existe. J’irai même plus loin: cela dépend des personnes et du climat de travail que peut créer un dirigeant, du sens qu’il donne au travail collectif.

          [Pourtant ils ont leur utilité aussi dans la société même si comme vous l’avez déjà expliqué si un travail devient moins rentable il est supprimé.]

          Tout travail ou presque est “utile” à quelqu’un par définition (autrement, pourquoi ce quelqu’un irait le payer ?). Mais on peut faire un travail “utile” sans en faire une “mission”. Le policier, l’électricien, le médecin attachent à leur travail un sens de l’urgence, l’idée que sans leur engagement immédiat, le monde s’arrête – ou du moins s’arrête pour quelqu’un. Un vendeur dans un magasin de fringues fait un travail certes utile, mais auquel cette contrainte n’est pas attachée.

          • Claustaire dit :

            Je pense que tel médecin généraliste de campagne, faisant sa tournée de visites et acceptant de se détourner pour rendre une visite supplémentaire à une patiente qui l’aura appelé pour une “grosse indigestion” et chez laquelle il aura su diagnostiquer à temps une hernie étranglée entraînant une occlusion intestinale en train d’entraîner potentielle nécrose de l’intestin et appeler d’urgence une ambulance et assister la patiente jusqu’à l’arrivée des secours et la prise en charge vers l’hôpital voisin, ce médecin pourra aussi se dire, tête haute, au soir de cette journée, qu’il ne l’aura pas vécue en vain, et qu’il aura eu raison de ne pas compter ni ses heures ni ses kilomètres…

            • Descartes dit :

              @ Claustaire

              [ce médecin pourra aussi se dire, tête haute, au soir de cette journée, qu’il ne l’aura pas vécue en vain, et qu’il aura eu raison de ne pas compter ni ses heures ni ses kilomètres…]

              Tout à fait. Et surtout, il aura la conscience tranquille lorsqu’il entendra des envieux dénoncer les “privilèges exhorbitants” des médecins. Le principe “noblesse oblige” est un principe symétrique. S’il impose au noble des obligations, ces obligations ont pour contrepartie la légitimation de son statut.

  3. Ian Brossage dit :

    @Descartes

    Une banalisation qui conduit chez les classes intermédiaires à une dissociation cognitive : on refuse les devoirs et servitudes attachés à un métier, à une profession, mais on voudrait garder les privilèges qui en sont la contrepartie.

    On en a une illustration flagrante ces derniers temps avec le cas de Laurent Mucchielli, sociologue et directeur de recherches au CNRS qui diffuse depuis un an les pires énormités pseudo-scientifiques sur l’épidémie de Covid-19 (dans les médias, mais aussi sur la page de son propre laboratoire de recherche : https://www.lames.cnrs.fr/spip.php?rubrique46 ), et à qui le CNRS n’a répondu qu’un piteux tweet de désolidarisation ( https://twitter.com/CNRS/status/1422973534314405894 ). Nombreux sont ceux qui, apparemment, pensent que Mucchielli ne devrait pas être sanctionné, au nom de la « liberté académique ».
     
    On a donc une idéologie où le chercheur doit pouvoir faire entièrement ce qu’il veut, même s’il est fonctionnaire, attaché à une institution publique prestigieuse. Ce libertarisme refusant toute contrainte et tout contrôle au nom de l’initiative individuelle vaut bien celui des manifestants « anti-pass ».
     
    Il faut ajouter que Mucchielli a été renommé pour ses travaux de sociologie sur la délinquance, en tout cas à gauche où ses « résultats » semblent brosser une certaine idéologie dans le sens du poil – je ne les ai pas lus.  Vu le sort qu’il réserve à la rigueur méthodologique et intellectuelle dans ses écrits sur la Covid, il y aurait lieu de s’interroger sur la qualité de ses travaux passés, et l’éventualité que leur succès soit surtout dû à la fonction idéologique qu’ils ont remplie.

    • Descartes dit :

      @ Ian Brossage

      [On en a une illustration flagrante ces derniers temps avec le cas de Laurent Mucchielli, sociologue et directeur de recherches au CNRS qui diffuse depuis un an les pires énormités pseudo-scientifiques sur l’épidémie de Covid-19 (dans les médias, mais aussi sur la page de son propre laboratoire de recherche :]

      Je note que ce laboratoire s’intitule « Laboratoire méditerranéen de sociologie », l’un des laboratoires de la « Maison méditerranéenne des sciences de l’homme » (université d’Aix-Marseille). Le Pr Raoult, lui, dirige le « IHU méditerranée infection » (même université). Le mot « méditerranée » accolé à un institut de recherche semble être une bien triste présage…

      [Nombreux sont ceux qui, apparemment, pensent que Mucchielli ne devrait pas être sanctionné, au nom de la « liberté académique ».]

      Le problème du « monde académique », c’est que dans un contexte où les règles sont floues il est toujours dangereux d’appeler la police. Lorsque les règles sont strictes, pas de problème : on sait d’avance ce qu’on peut faire, ce qu’on ne doit pas faire, et quelles sont les sanctions qu’on encourt. Mais lorsque les règles ne sont pas bien établies, la police devient un danger pour tout le monde, y compris ceux qui sont convaincus de les respecter.

      Sans compter avec le fait que, comme on dit dans les îles, comme tout le monde a le cul sale, personne n’ose monter au cocotier. Depuis 1968, dans les facultés – et particulièrement dans les sciences humaines – on a souvent beaucoup de mal à séparer ce qui relève d’une activité académique et ce qui relève du militantisme politique ou syndical quand ce n’est pas du happening pur et simple, comme ce fut le cas de la thèse d’Elisabeth Teyssier… Dans ces conditions, qui va prendre le risque de censurer la position d’un collègue sachant que demain on pourrait censurer la vôtre ?

      [On a donc une idéologie où le chercheur doit pouvoir faire entièrement ce qu’il veut, même s’il est fonctionnaire, attaché à une institution publique prestigieuse. Ce libertarisme refusant toute contrainte et tout contrôle au nom de l’initiative individuelle vaut bien celui des manifestants « anti-pass ».]

      Oui, tout à fait. Je me souviens quand je travaillais un laboratoire d’avoir connu un chercheur qui soutenait qu’il était libre de faire ce qu’il voulait puisqu’il « travaillait pour la science ». Et qui s’était vu répondre par le chef de laboratoire « ce n’est pas la science qui signe votre chèque à la fin du mois ».

      [Il faut ajouter que Mucchielli a été renommé pour ses travaux de sociologie sur la délinquance, en tout cas à gauche où ses « résultats » semblent brosser une certaine idéologie dans le sens du poil – je ne les ai pas lus. Vu le sort qu’il réserve à la rigueur méthodologique et intellectuelle dans ses écrits sur la Covid, il y aurait lieu de s’interroger sur la qualité de ses travaux passés, et l’éventualité que leur succès soit surtout dû à la fonction idéologique qu’ils ont remplie.]

      C’est plus que probable. Mais cela peut aussi être attribué à un pétage de plombs. Vous savez, il y a des chercheurs d’une grande rigueur dans leur jeunesse qui pour des raisons diverses – un conflit avec ses collègues, un incident de carrière, un problème familial – tout à coup tombent dans la paranoïa complotiste. C’est pourquoi j’insiste: l’avis scientifique n’est jamais l’avis de tel ou tel scientifique, aussi distingué soit-il. C’est l’avis de l’institution scientifique, ou les scientifiques se réunissent pour débattre ENTRE EUX.

      • thierry44 dit :

        [Je note que ce laboratoire s’intitule « Laboratoire méditerranéen de sociologie », l’un des laboratoires de la « Maison méditerranéenne des sciences de l’homme » (université d’Aix-Marseille). Le Pr Raoult, lui, dirige le « IHU méditerranée infection » (même université).]
        Sacha Raoult, fils du célèbre futur retraité, est maître de conférences à la faculté de droit d’Aix et chercheur associé au laboratoire de Mucchielli. Un complotiste dirait que ce n’est sûrement pas un hasard. Big Socio doit pas être loin derrière tout ça.

  4. Rafio dit :

    Je découvre votre blog ces jours-ci et le parcours avec interêt. Mais je crains d’entamer cette lecture sous la menace d’un contresens complet. Vous serait-il loisible de (re)définir ce que vous entendez par “classes intermédiaires” ? Ou de m’indiquer dans lequel de vos articles je vais pouvoir trouver cette définition ? Je vous remercie, de me répondre peut-être, de tenir ce blog de toute façon.

    • Descartes dit :

      @ Rafio

      [Vous serait-il loisible de (re)définir ce que vous entendez par “classes intermédiaires” ? Ou de m’indiquer dans lequel de vos articles je vais pouvoir trouver cette définition ? Je vous remercie, de me répondre peut-être, de tenir ce blog de toute façon.]

      Je réponds toujours aux questions bien posées!

      La description marxiste classique du mode de production capitaliste fait intervenir deux classes sociales: d’un côté la bourgeoisie, qui possède le capital, et le prolétariat, qui ne possède que sa force de travail. Le capitalisme se caractérise par l’asymétrie de ce rapport: pour le prolétaire, vendre sa force de travail est un besoin vital – car s’il ne travaille pas, il ne mange pas. Cela permet au bourgeois d’acheter cette force de travail à un prix inférieur à la valeur qu’elle produit. La différence (la plus-value) est empochée par le bourgeois: c’est le phénomène de l’exploitation.

      Cette description présente une faiblesse aujourd’hui: elle prend mal en compte un troisième groupe social intermédiaire, qui recouvre en partie ce qu’on appelle d’une façon vague les “classes moyennes”. Ce groupe a montré un comportement politiquement et socialement cohérent, ce qui permet de le caractériser comme “classe”, à condition de pouvoir lier ce comportement à un intérêt de classe, et donc à un rôle particulier dans le mode de production. J’ai proposé donc de définir ce groupe par le fait qu’il échappe à l’exploitation, grâce à la possession d’un capital qui est suffisant pour pouvoir négocier une rémunération à hauteur de la valeur produite, mais qui est insuffisant pour lui permettre d’exploiter le travail des autres. C’est ce groupe que j’appelle “classe intermédiaire”.

      Le capital qui permet aux classes intermédiaires d’échapper à l’exploitation est le plus souvent un capital immatériel – compétences, connaissances, réseaux – qui n’est pas directement transmissible, et qui doit donc être renouvelé à chaque génération. Contrairement au capital matériel détenu par la bourgeoisie, le capital immatériel n’est pas accumulable à l’infini.

      J’espère avoir répondu à votre question. Je n’ai pas écrit d’article théorique sur les “classes intermédiaires”, mais elles apparaissent souvent dans ce blog dans les débats avec les commentateurs. Le terme “classes intermédiaires” s’est d’ailleurs imposé parce que plusieurs commentateurs jugeaient le terme “classes moyennes” trop vague et susceptible de confusion avec les notions sociologiques ou économiques qui utilisent le même terme.

      L’idée de “classe intermédiaire” m’est venue en essayant de prendre en compte dans un cadre marxiste ce secteur de la société qui détient un capital suffisant – matériel mais aussi souvent inmatériel – pour échapper au rapport d’exploitation en négociant sa rémunération au delà de la valeur produite, mais pas suffisamment pour pouvoir exploiter lui-même la force de travail des autres.

      • Claustaire dit :

        Intéressante, cette idée de capital (intellectuel) non reproductible ni cumulable, qui ferait la richesse (provisoire) des classes intermédiaires entre la bourgeoisie exploiteuse et le prolétariat exploité. Néanmoins, des Bourdieu (entre autres) ont étudié comment un tel capital intellectuel pouvait en quelque sorte s’hériter néanmoins (cf. “les héritiers”) et même grossir en se reproduisant, au point qu’on a pu observer que les enseignants se reproduisaient entre eux et même souvent amélioraient leur capital culturel en le transmettant, les enfants d’instits finissant profs ou ingénieurs par exemple, en doublant parfois les revenus des parents, etc. Mais écrivant cet etc. je me rends compte qu’ensuite cet héritage qui n’accumule nulle plus-value exploiteuse d’autrui ne peut guère grossir et qu’à chaque génération, c’est en gros le même capital intellectuel (de l’individu) qui ne peut qu’être sollicité.

        • Descartes dit :

          @ Claustaire

          [Néanmoins, des Bourdieu (entre autres) ont étudié comment un tel capital intellectuel pouvait en quelque sorte s’hériter néanmoins (cf. “les héritiers”) et même grossir en se reproduisant, au point qu’on a pu observer que les enseignants se reproduisaient entre eux et même souvent amélioraient leur capital culturel en le transmettant, les enfants d’instits finissant profs ou ingénieurs par exemple, en doublant parfois les revenus des parents, etc.]

          Il y a une ambiguïté sur le mot « héritage » dans ce contexte. Le capital matériel s’hérite au sens qu’il se transmet sans que le récipiendaire aie à prendre d’autre peine que celle de naître. Pour le capital intellectuel, le parent peut créer les conditions, mais il faut que l’héritier soit prêt à faire l’effort de reconstituer chez lui ce capital. Autrement dit, alors que le capital matériel est simplement transmis, le capital immatériel est reconstitué à chaque génération. Alors que le capital matériel résulte d’une accumulation qui s’ajoute à celle des générations précédentes, le capital immatériel est le fruit d’une accumulation qui est toujours à recommencer et qui est donc limitée. C’est pourquoi la position des « classes intermédiaires » est beaucoup plus précaire que celle de la bourgeoisie. Et c’est dans cette précarité qu’on trouve l’un des facteurs de « l’intérêt de classe » des couches intermédiaires : la peur du déclassement.

  5. Claustaire dit :

    Merci d’avoir mis le lien permettant de lire in extenso le témoignage par lequel Mélenchon protestait de la manière dont le Pouvoir abuse(rait) de la disponibilité des représentants du peuple.
     
    Autant votre post peut se comprendre et s’apprécier pour son esprit civique, autant (même sans nulle sympathie pour Mélenchon) on doit pouvoir apprécier le témoignage d’un élu du peuple protestant de la manière dont un Pouvoir se permettrait de disposer, à sa guise et selon un calendrier et des horaires à sa convenance, du temps, et donc de la disponibilité politique et démocratique des députés du peuple.
     
    Nous savons que l’une des impostures de la démocratie participative dérivant vers la démocratie directe permanente, c’est la manière dont elle exigerait une présence permanente de ceux qui voudraient (ou devraient) y contribuer, se permettant ensuite d’expliquer aux absents qu’ils avaient tort de n’être pas présents pour telle ou telle délibération décisive qui se serait faite dans leur dos.
     
    Pour avoir “fait” mai 68, je peux témoigner de la manière dont le régime des AG permanentes a permis toutes sortes de manipulations et décisions (parfois décisives d’occupations de lieux ou de manif “spontanée” devant tel recteur, etc.) prises au moment où des opposants, fatigués ou dégoûtés, s’étaient retirés de l’AG, ou encore, lorsque seuls étaient présents les militants les mieux organisés pour organiser la permanence de leur présence.
     
    Les députés ne peuvent pas être astreints à une disponibilité permanente, au bon vouloir sinon au bon plaisir du Pouvoir. Il semblerait que le macronisme ait encore développé cette fâcheuse tendance de faire voter des lois ou des amendements à toute heure du jour et de la nuit, ce qui, convenons-en, est indigne d’une démocratie adulte et honnêtement régulée (pour son calendrier ou ses horaires).
     
    Cela ne signifie pas par ailleurs qu’on ne doive pas s’agacer de la tendance pleurnicharde de trop de gens qui ne savent que se poser en victimes d’un méchant Pouvoir dans l’espoir d’être d’office rangé du bon côté, du côté de ceux qui souffrent (et dont la souffrance doit être entendue, sinon s’imposer).

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [Autant votre post peut se comprendre et s’apprécier pour son esprit civique, autant (même sans nulle sympathie pour Mélenchon) on doit pouvoir apprécier le témoignage d’un élu du peuple protestant de la manière dont un Pouvoir se permettrait de disposer, à sa guise et selon un calendrier et des horaires à sa convenance, du temps, et donc de la disponibilité politique et démocratique des députés du peuple.]

      Mais que doit faire le « Pouvoir » (avec une majuscule) lorsqu’il estime qu’une décision que la Constitution réserve au pouvoir législatif est nécessaire d’urgence ? Doit-il se dire « non, c’est les vacances, attendons deux mois que les législateurs reviennent des congés » ? A part utiliser l’article 16, ce qui serait assez contestable, je ne vois pas vraiment de solution.

      Tiens, j’y pense, Mélenchon n’a pas un mot pour les affres des fonctionnaires des ministères qui ont du changer leurs congés pour écrire le projet de loi, pour les fonctionnaires de l’Assemblée et du Sénat qui ont du se rendre disponibles pour suivre les séances et traiter les amendements, pour les fonctionnaires et membres du Conseil constitutionnel qui ont du traiter le projet voté en urgence… ces gens-là n’ont-ils pas de conjoints, pas de locations, pas de petits-enfants ?

      [Nous savons que l’une des impostures de la démocratie participative dérivant vers la démocratie directe permanente, c’est la manière dont elle exigerait une présence permanente de ceux qui voudraient (ou devraient) y contribuer, se permettant ensuite d’expliquer aux absents qu’ils avaient tort de n’être pas présents pour telle ou telle délibération décisive qui se serait faite dans leur dos.]

      Franchement, je ne vois pas très bien de quoi vous parlez. Ici il ne s’agit pas de « démocratie participative » ou de « démocratie directe », mais bien de démocratie représentative. C’est aux représentants élus et FORT BIEN REMUNERES pour leur permettre de se consacrer intégralement à leurs fonctions qu’on parle.

      [Pour avoir “fait” mai 68, je peux témoigner de la manière dont le régime des AG permanentes a permis toutes sortes de manipulations et décisions (parfois décisives d’occupations de lieux ou de manif “spontanée” devant tel recteur, etc.) prises au moment où des opposants, fatigués ou dégoûtés, s’étaient retirés de l’AG, ou encore, lorsque seuls étaient présents les militants les mieux organisés pour organiser la permanence de leur présence.]

      Au risque de me répéter, ces assemblées ne réunissaient pas des professionnels, payés pour consacrer tout leur temps à cette fonction. La comparaison ne me parait pas pertinente.

      [Les députés ne peuvent pas être astreints à une disponibilité permanente, au bon vouloir sinon au bon plaisir du Pouvoir.]

      Et quelle solution proposez-vous ? Je suis le Premier ministre, j’estime qu’une décision que la Constitution réserve au Parlement est urgente. L’avenir du pays est dans la balance. Si je ne peux réunir le Parlement, je fais comment ?

      Je ne vois pas très bien pourquoi les députés ne pourraient pas être astreints à une disponibilité permanente. Sur un bateau, on voit mal un marin refuser de prêter main forte en cas de tempête au prétexte qu’il est au repos. Et il est bien moins payé et a nettement moins d’avantages qu’un député.

      [Il semblerait que le macronisme ait encore développé cette fâcheuse tendance de faire voter des lois ou des amendements à toute heure du jour et de la nuit, ce qui, convenons-en, est indigne d’une démocratie adulte et honnêtement régulée (pour son calendrier ou ses horaires).]

      Je veux bien que Macron soit le fils préféré de Satan, mais il ne faudrait pas exagérer. Le macronisme, sur ce point, n’a rien inventé. Les séances de nuit et les sessions extraordinaires existent depuis bien longtemps.

  6. cdg dit :

    je pense que nous sommes dans une societe de geignards ou tout le monde se plaint. et celui qui a le malheur de ne pas se plaindre va se faire avoir
    Nous avons des CSP++ qui vont se plaindre (pensez aux femmes qui se plaignent de ne pas etre nommées aux CA du CAC40)
    Apres la société a changée. Les loisirs sont devenus plus important et le travail a perdu de son sens (entre bullshit job et travail tellement divisé que vous ne voyez plus a quoi ca sert). a cela vous ajoutez le travail feminin (je sais c est pas politiquement correct) mais votre medecin/ingenieur dans les annees 60-70 etait un homme et sa femme ne travaillait pas mais s occupait des enfants: il ne risquait pas de devoir partir le soir pour eviter qu il se retrouvent a la porte de la garderie

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [je pense que nous sommes dans une société de geignards ou tout le monde se plaint. et celui qui a le malheur de ne pas se plaindre va se faire avoir]

      En France, la complainte permanente a toujours eu une fonction performative. Une petite anecdote personnelle : quand je suis arrivé, adolescent, en France, je m’étais étonné de l’intolérance des Français pour la moindre défaillance des services publics (alors que par comparaison avec ceux de mon pays d’origine, c’était vraiment le Pérou). On m’a alors expliqué que c’était précisément parce qu’il y avait cette intolérance que les services étaient aussi bons : en mettant le niveau d’exigence très haut – je dirai même déraisonnablement haut – on empêchait les décideurs de s’endormir sur leurs lauriers… Devenu bien plus tard un serviteur public, je vous avoue que j’en finis par être agacé par cette complainte permanente de gens qui, quelle que soit la qualité du service qu’on leur rend, le trouvent toujours insuffisant. Mais d’un autre côté, je me souviens de cette remarque, et je me dis que l’exigence est aussi, par un certain côté, une forme de reconnaissance… une façon de nous dire que le public croit dans notre capacité de faire encore mieux !

      Cela étant dit, je pense qu’il faut faire une différence entre le râle gaulois – qui fait partie de notre histoire – et cette espèce de « peur de tout » pleurnicharde, cette « culture de l’offense », ce victimisme, cette recherche permanente de coupables qui nous vient de l’Amérique… et qui n’a rien à voir avec l’esprit français.

      [Nous avons des CSP++ qui vont se plaindre (pensez aux femmes qui se plaignent de ne pas etre nommées aux CA du CAC40)]

      Ça, c’est autre chose. C’est la « complainte victimiste » des classes intermédiaires. N’oubliez pas que les classes intermédiaires jouent de l’ambiguïté de leur position : alors qu’elles sont du côté du bloc dominant, elles se dépeignent idéologiquement du côté des dominés. La complainte des femmes de pouvoir qui n’arrivent pas à se faire nommer PDG, c’est une façon de dire « malgré mes privilèges, moi aussi je suis une victime »… Une façon commode d’évacuer le sentiment de culpabilité – et de détourner la rage de ceux qui sont VRAIMENT exploités.

      [Apres la société a changée. Les loisirs sont devenus plus important et le travail a perdu de son sens (entre bullshit job et travail tellement divisé que vous ne voyez plus à quoi ça sert).]

      Je ne pense pas que les « bullshit jobs » touchent vraiment beaucoup de monde, et que la parcellisation joue un rôle – après tout, le XXème siècle fut le siècle du taylorisme, et je n’ai pas l’impression que cela ait privé le travail de son sens. Je pense que le plus grand changement est la précarisation du travail – et d’une façon plus générale, des rapports sociaux.

      [a cela vous ajoutez le travail feminin (je sais c est pas politiquement correct) mais votre medecin/ingenieur dans les annees 60-70 etait un homme et sa femme ne travaillait pas mais s’occupait des enfants: il ne risquait pas de devoir partir le soir pour éviter qu’ils ne se retrouvent à la porte de la garderie]

      Là encore, il ne faut pas exagérer. Le taux d’activité des femmes était déjà de l’ordre de 50% en 1900, et monte encore après la première guerre mondiale. Dans la génération de mes parents, tous les médecins que j’ai connus avaient une épouse qui travaillait.

      • cdg dit :

        [Je ne pense pas que les « bullshit jobs » touchent vraiment beaucoup de monde, et que la parcellisation joue un rôle – après tout, le XXème siècle fut le siècle du taylorisme,]
        je pense que le fait de pondre des powerpoint ou de remplir des fichiers excels qui ne servent a pas grand chose concernent bien plus de monde que vous le pensez
        Meme les emplois “productifs” doivent passer du temps a ce type d exercice
        Quant au taylorisme, je pense que l eloignement joue aussi un role. Si vous vissez un boulon sur une voiture mais vous voyez les voitures finies sur le parking c est autre chose que de visser un boulon sur une platine qui va partir en chine et que vous avez aucune idee sur quoi c est monté ensuite
        [Je pense que le plus grand changement est la précarisation du travail – et d’une façon plus générale, des rapports sociaux.]
        Vrai. Vous pouvez pas demander a quelqu un de s engager a fond et lui dire que demain il peut etre viré/divorcé
        [Là encore, il ne faut pas exagérer. Le taux d’activité des femmes était déjà de l’ordre de 50% en 1900, et monte encore après la première guerre mondiale.]
        je parlais ici d ingenieur, de docteurs … En 1900 la moitié de la population etait des paysans et en effet les ouvriers/paysans avaient une epouse qui travaillait.
        Par contre au niveau social superieur c etait deroger que d avoir une epouse professionnellement active
        [tous les médecins que j’ai connus avaient une épouse qui travaillait.]
        Je connaissais pas beaucoup de medecins mais dans mes souvenirs les epouses les plus actives assuraient le secretariat (assez limité a une epoque ou peu de gens avaient le telephone). Mais c est vrai que j habitais dans une petite ville et pas a paris ou les possibilités d emplois etaient aussi bien plus grandes

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [« Je ne pense pas que les « bullshit jobs » touchent vraiment beaucoup de monde, et que la parcellisation joue un rôle – après tout, le XXème siècle fut le siècle du taylorisme, » je pense que le fait de pondre des PowerPoint ou de remplir des fichiers Excel qui ne servent à pas grand-chose concernent bien plus de monde que vous le pensez]

          Je n’en suis pas persuadé. Et surtout, je ne suis pas persuadé que les travaux « qui ne servent pas à grande chose » soient plus nombreux aujourd’hui qu’ils ne l’étaient hier. Souvenez-vous quand il n’y avait pas de photocopieuse, et que les gens devaient faire faire copier à la main ou à la machine à écrire les documents qu’ils voulaient garder… et je ne vous parle même pas du temps qu’on passait à faire des transparents pour les exposés. Transparents que, contrairement au PowerPoint, on ne pouvait même pas recycler…

          [Même les emplois “productifs” doivent passer du temps à ce type d’exercice]

          A faire des tableaux Excel ou des exposés PowerPoint, certainement. Mais « qui ne servent pas à grande chose » ? Je ne suis pas sûr.

          [Quant au taylorisme, je pense que l’éloignement joue aussi un rôle. Si vous vissez un boulon sur une voiture mais vous voyez les voitures finies sur le parking c’est autre chose que de visser un boulon sur une platine qui va partir en chine et que vous avez aucune idée sur quoi c est monté ensuite]

          Cela existe depuis la fin du XIXème siècle. Les constructeurs automobiles ont toujours travaillé avec des sous-traitants pour fabriquer certains sous-ensembles (démarreur, alternateur, carburateur…) et ceux qui fabriquaient ces sous-ensembles ne voyaient jamais la voiture sur le parking de l’usine.

          [« Je pense que le plus grand changement est la précarisation du travail – et d’une façon plus générale, des rapports sociaux. » Vrai. Vous ne pouvez pas demander a quelqu’un de s’engager à fond et lui dire que demain il peut être viré/divorcé]

          Exactement. C’est une réflexion purement économique : l’instabilité, l’imprévisibilité sont les ennemis de l’investissement. Ou, si on prolonge la réflexion, plus le contexte est instable, et plus on exige de l’investissement une rentabilité élevée et rapide (prime de risque)… Peut-être qu’il faut chercher là l’origine de la complainte permanente sur un travail qui ne satisfait pas les expectatives…

          [Par contre au niveau social supérieur c’était déroger que d’avoir une épouse professionnellement active]

          Dans la génération de mes grands-parents, certainement. Mais dans celle de mes parents, je ne suis pas persuadé.

          • cdg dit :

            [A faire des tableaux Excel ou des exposés PowerPoint, certainement. Mais « qui ne servent pas à grande chose » ? Je ne suis pas sûr.]
            J ai a un certain moment du remplir des formulaires excel. Je suis persuadé que personne ne les lisait vraiment sauf si sur la premiere page (qui etait un resumé) il y avait quelque chose en rouge (c etait une notation: vert OK, orange  petit pb), rouge (probleme majeur))
            A mon niveau, je recevais au moins 150 mails par jour. Si vous voulez tous lire en detail, vous y passez la journee
            Et dans une autre multinationale (allemande) ou j ai oeuvre, il etait connu que les managers ne lisaient pas les pieces attachés sauf ci c etait des powerpoints

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« A faire des tableaux Excel ou des exposés PowerPoint, certainement. Mais « qui ne servent pas à grande chose » ? Je ne suis pas sûr. » J’ai à un certain moment du remplir des formulaires Excel. Je suis persuadé que personne ne les lisait vraiment sauf si sur la première page (qui était un résumé) il y avait quelque chose en rouge (c’était une notation: vert OK, orange petit pb), rouge (problème majeur))]

              Admettons. Mais pour pouvoir faire le « résumé », il faut avoir fait le travail. Auriez-vous été capable de remplir le résumé sans avoir fait d’abord les tableaux ?

              [A mon niveau, je recevais au moins 150 mails par jour. Si vous voulez tous lire en detail, vous y passez la journée]

              Oui, mais dans ce cas vous ne les lisez pas. Et donc vous ne faites pas « du travail qui ne sert à rien ». Et les gens qui écrivent ces mails non plus, puisqu’en général cela se produit parce que les gens arrosent trop large pour montrer qu’ils bossent, mais que leur production est bien lue par ceux à qui elle est vraiment destinée.

              [Et dans une autre multinationale (allemande) ou j’ai œuvré, il était connu que les managers ne lisaient pas les pièces attachées sauf si c’était des powerpoints]

              Excellente pratique. C’est l’application d’un très vieux principe administratif énoncé, si ma mémoire ne me trahit pas, par un premier lord de l’amirauté britannique au XVIIème siècle. « Si une note m’est adressée sur une page, j’y répondrai le jour même. Mais si je dois retourner la page, elle attendra mon bon plaisir ». Ca encourage les gens à n’adresser vers le haut que les informations strictement nécessaires…

  7. PenArBed dit :

    « lorsqu’un député « souffre » publiquement parce qu’il doit décaler ses vacances ou la visite de ses petits enfants pour s’occuper des affaires de la Nation, on ne peut que conclure que pour lui ses vacances ou la visite de ses petits-enfants sont au même niveau d’importance que les affaires de la Nation. Si le but était de revaloriser la politique et la fonction parlementaire, c’est raté. «
    Source : https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/3949
    Analyse du scrutin n° 3949 – Première séance du 25/07/2021
    Scrutin public sur l’ensemble du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire (texte de la commission mixte paritaire).
    Synthèse du vote
    Nombre de votants : 230
    Nombre de suffrages exprimés : 216
    Majorité absolue : 109
    Pour l’adoption : 156
    Contre : 60
     
    230 votants sur ……577 députés : tous les absents étaient en vacances ou auprès de leurs petits-enfants
    l’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul.
     

    • Descartes dit :

      @ PenArBed

      [230 votants sur ……577 députés : tous les absents étaient en vacances ou auprès de leurs petits-enfants l’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul.]

      Je ne sais pas si on peut conclure aussi vite que vous. Personnellement, si j’étais député j’aurais probablement participé assidûment au travail en commission – c’est là en fait que les choses les plus intéressantes se passent – et possiblement à la séance publique, pour discuter les amendements. Mais franchement, est-ce que je me serais considéré obligé de rester jusqu’au petit matin pour le vote solennel, qui a certes une valeur symbolique mais qui ne sert à rien ? Je ne peux pas vous l’assurer.

  8. Bruno dit :

    Bonjour Descartes,
    Je vous remercie pour cet article.
    Je dois dire qu’il m’interpelle, en ce qu’il fait écho à mon quotidien.
    Anciennement cadre dans une entreprise privée, j’ai fait le choix de rejoindre le secteur para-public pour donner plus de sens à mes journées. Ce n’est certes pas la fonction publique, mais dans ma structure, SEM spécialisée dans l’aménagement, on défend des projets publics et des dossiers d’intérêt général. C’est un bon compromis pour quelqu’un comme moi, pas une bête à concours mais qui souhaitait travailler sur des sujets intéressants et utiles.
    Là où je déchante un peu, c’est quand je discute avec des collègues de ma génération (25-35 ans). Ils ont tous un contrat de droit privé, avec des salaires supérieurs à ceux de nombre de fonctionnaires (certes ce n’est pas Byzance, mais on n’a pas à se plaindre) et des avantages calés sur la territoriale, notamment pour les congés… Pourtant, à chaque déjeuner, c’est le festival : on ne gagne pas assez, on travaille trop, hors de question de faire une heure de plus (on a même un logiciel pour poser nos heures, on ne doit pas en faire trop…), de répondre au téléphone après 19h (“quoi le boss a osé t’appeler à 20h sur ton perso”?!)…
    Et là, je me dis comme vous, je suis un dinosaure. Mon boulot me passionne, je me vois mal compter mes heures et vu ce que je gagne, les congés, etc, il faut bien qu’il y ait une contrepartie non?! Évidemment je ne vais pas tenir ce discours aux collègues….
    Le plus grave c’est que les “jeunes” qui se plaignent ne sont pas très investis. Qui tient la baraque d’après vous? Les plus de 55 ans, ceux qui ont 20 ans de SEM et sont passionnés. Une fois qu’ils seront partis, ce ne sont pas les “jeunes” qui fourniront le même effort. Le paradoxe de ces “jeunes” est qu’ils conchient le privé (“ces gens bossent mal, ne s’intéressent qu’à la thune), mais qu’ils adoptent d’une certaine façon, le comportement de mes anciens collègues, la volonté de bûcher à fond en moins…
    A terme je me demande si je ne vais pas tenter la 3ème voie d’un concours de la fonction publique pour rejoindre une administration avec des gens passionnés, parce que là, je dois dire, ça ne vole pas haut!
    Merci pour vos articles, on se sent moins seul.
     

    • Descartes dit :

      @ Bruno

      [Pourtant, à chaque déjeuner, c’est le festival : on ne gagne pas assez, on travaille trop, hors de question de faire une heure de plus (on a même un logiciel pour poser nos heures, on ne doit pas en faire trop…), de répondre au téléphone après 19h (“quoi le boss a osé t’appeler à 20h sur ton perso”?!)… Et là, je me dis comme vous, je suis un dinosaure.]

      Je compatis : si être un dinosaure à mon âge est presque plaisant, être un dinosaure au votre doit être beaucoup plus difficile à vivre. En tout cas, bienvenu au club !

      Je pense qu’il faudrait un sociologue sérieux (oxymore ! oxymore !) pour étudier cette tendance à la plainte et au victimisme permanent. Je dois dire que des fois je m’amuse à écouter dans les cantines d’entreprise, et je peux vous rapporter un phénomène intéressant : il y a un effet de mimétisme et de surenchère là-dedans. Il suffit que vous ayez un râleur pour que tout un chacun se sente obligé de réclamer l’attention en montrant que lui aussi est à plaindre. Un peu comme s’il s’agissait d’une compétition. C’est curieux parce qu’à une époque les cadres étaient en compétition vers le haut : c’était à qui avait le meilleur salaire, le meilleur poste, la meilleure prime, le plus beau bureau. Et si on était dans un placard, si toutes les promotions vous passaient sous le nez, vous cherchiez à le cacher. On dirait qu’on est passé d’un monde où l’on se battait pour être celui qu’on enviait à un monde où on se bat pour être celui qu’on plaint.

      Ce changement n’est à mon avis pas un hasard. Plus la sélection méritocratique recule, et moins les privilèges des classes intermédiaires paraissent légitimes. C’est pourquoi il faut effacer ces privilèges en jouant le rôle de la victime.

      Personnellement, quand on tient ce genre de discours devant moi, j’en prends le contre-pied en affirmant que je suis content de ma situation, de ma paye, de mon boulot, et même de mon chef – je n’ai pas à me forcer, c’est raisonnablement vrai. Bien sûr, dans ma vie j’ai eu des chefs difficiles, je n’ai pas toujours été reconnu à ma juste valeur – selon ma propre estimation, naturellement – et j’ai vu des postes pour lesquels j’étais certainement le plus capable – toujours selon ma propre estimation – me passer sous le nez. C’est la vie. Mais au moins je peux me regarder dans le miroir chaque matin sans rougir, et dire comme Sinatra « I di dit my way… ». Je vous garantis l’effet !

      [Mon boulot me passionne, je me vois mal compter mes heures et vu ce que je gagne, les congés, etc, il faut bien qu’il y ait une contrepartie non?! Évidemment je ne vais pas tenir ce discours aux collègues….]

      Pourquoi pas ? Vous devriez. Et vous découvrirez peut-être qu’il y a d’autres dinosaures cachés parmi vos collègues qui, victimes de ce phénomène de mimétisme, n’osent pas parler.

      [Le plus grave c’est que les “jeunes” qui se plaignent ne sont pas très investis. Qui tient la baraque d’après vous? Les plus de 55 ans, ceux qui ont 20 ans de SEM et sont passionnés. Une fois qu’ils seront partis, ce ne sont pas les “jeunes” qui fourniront le même effort. Le paradoxe de ces “jeunes” est qu’ils conchient le privé (“ces gens bossent mal, ne s’intéressent qu’à la thune), mais qu’ils adoptent d’une certaine façon, le comportement de mes anciens collègues, la volonté de bûcher à fond en moins…]

      Comme je l’ai écrit dans un autre papier, il est dur d’être jeune dans ce XXIème siècle… et c’est un peu la faute de la génération précédente qui n’a pas collectivement – au-delà de tel ou tel individu – transmis les repères et les valeurs qu’on a reçu de nos parents. Et c’est triste, parce que je trouve bien plus pleine une vie vécue dans un métier qui nous passionne qu’une vie vécue à se plaindre de tout ce qu’on n’a pas. Mais en même temps, lorsque le terreau est fertile, les jeunes reprennent ces valeurs. C’est le cas dans le milieu du nucléaire, ou la génération qui vient en relève est aussi « militante » que celle qui va bientôt partir.

      [A terme je me demande si je ne vais pas tenter la 3ème voie d’un concours de la fonction publique pour rejoindre une administration avec des gens passionnés, parce que là, je dois dire, ça ne vole pas haut!]

      Je ne peux que vous encourager. Si vous y êtes intéressé, on peut se rencontrer pour en discuter. Nous avons déjà sur ce blog plusieurs amis qui ont pris cette voie, pourquoi pas vous ?

      • Ian Brossage dit :

        @Descartes

        C’est curieux parce qu’à une époque les cadres étaient en compétition vers le haut : c’était à qui avait le meilleur salaire, le meilleur poste, la meilleure prime, le plus beau bureau. Et si on était dans un placard, si toutes les promotions vous passaient sous le nez, vous cherchiez à le cacher.

        Il me semble que vous oubliez un facteur : « à une époque », les cadres étaient une petite minorité qui constituaient une élite socio-économique. Aujourd’hui, les cadres représentent un sixième de la population active française… l’immense majorité d’entre eux ne fera jamais partie d’aucune élite, ils n’ont aucun à peu près espoir de distinction (d’où aussi le rêve de fonder une « start up », qui permet de sauver l’illusion quelques années).
         

        • Descartes dit :

          @ Ian Brossage

          [Il me semble que vous oubliez un facteur : « à une époque », les cadres étaient une petite minorité qui constituaient une élite socio-économique. Aujourd’hui, les cadres représentent un sixième de la population active française… l’immense majorité d’entre eux ne fera jamais partie d’aucune élite,]

          Oui, enfin, être dans le meilleur quintile (soit le 15% le mieux placé dans la société), c’est toujours appartenir à une élite, non ? Je ne pense pas que ce soit ça qui change la donne.

          • Ian Brossage dit :

            Objectivement oui. Subjectivement, la notion d’élite est associée à un sentiment d’exception qui devient obsolète s’agissant d’une classe aussi nombreuse. En tant qu’ingénieur, je ne m’imagine pas concourir pour le plus bureau, le plus gros salaire, etc. Et vous ?

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Objectivement oui. Subjectivement, la notion d’élite est associée à un sentiment d’exception qui devient obsolète s’agissant d’une classe aussi nombreuse.]

              Etre dans le meilleur quintile ne vous paraît pas être une “exception” suffisante ?

              [En tant qu’ingénieur, je ne m’imagine pas concourir pour le plus bureau, le plus gros salaire, etc. Et vous ?]

              Bien sur que si. Sous une autre forme, bien entendu. Je vais concourir pour le poste le plus intéressant, pour les fonctions à plus de responsabilité… malheureusement, les postes intéressants, valorisants, ouvrant des possibilités d’épanouissement sont une denrée rare. Et donc une source de concurrence. Certains s’épanouissent à travers la beauté du bureau ou le montant du salaire, d’autres à travers la reconnaissance de leurs pairs ou l’importance de leurs responsabilités. Mais la concurrence est un fait universel.

              Ma remarque pointait le fait qu’il y a quelques années le discours dominant à la cantine était de souligner ses propres succès. Alors qu’aujourd’hui on voit beaucoup plus souvent un discours victimaire, fait d’échecs attribuables aux autres (aux chefs, à l’environnement, au Grand Komplot…). Hier les collègues vous racontaient comment ils avaient mouché le Chef de service ou arraché l’accord sur tel dossier, aujourd’hui ils pleurnichent sur la façon dont le Chef les a maltraités ou sur le refus systématique de traiter leurs dossiers. Je trouve cette transformation très éclairante…

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              Etre dans le meilleur quintile ne vous paraît pas être une “exception” suffisante ?

              Suffisante pour quoi ? Pour se sentir à part, certainement pas. Les cadres sont suffisamment nombreux pour vivre entre eux (on parle d’un quintile de 5 millions d’actifs) : être cadre est à leurs yeux très banal.

              Je vais concourir pour le poste le plus intéressant, pour les fonctions à plus de responsabilité… malheureusement, les postes intéressants, valorisants, ouvrant des possibilités d’épanouissement sont une denrée rare. Et donc une source de concurrence.

              Plutôt que le mot de concurrence, j’utiliserais celui d’ambition (professionnelle, intellectuelle…). La concurrence peut découler de l’ambition – en situation de rareté des postes intéressants -, mais elle n’est pas une fin en soi (contrairement à celui qui veut avoir « le plus bureau »).

              Ma remarque pointait le fait qu’il y a quelques années le discours dominant à la cantine était de souligner ses propres succès.

              Je vous avoue que j’ai rarement assisté à de tels discours; quel que soit l’âge de l’interlocuteur. J’ai l’impression que se vanter de ses propres succès (réels ou exagérés / fantasmés) est surtout une question de personnalité, non ?

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Suffisante pour quoi ? Pour se sentir à part, certainement pas. Les cadres sont suffisamment nombreux pour vivre entre eux (on parle d’un quintile de 5 millions d’actifs) : être cadre est à leurs yeux très banal.]

              Désolé, mais ça ne colle pas. Les « cultureux » se considèrent appartenir à une élite, et pourtant ils sont « assez nombreux pour vivre entre eux ». Etre dans le meilleur quintile en termes d’emploi et dans le meilleur décile en termes de rémunération me semble raison suffisante pour créer la conscience d’appartenir à une « élite ».

              Je vais concourir pour le poste le plus intéressant, pour les fonctions à plus de responsabilité… malheureusement, les postes intéressants, valorisants, ouvrant des possibilités d’épanouissement sont une denrée rare. Et donc une source de concurrence.

              [« Ma remarque pointait le fait qu’il y a quelques années le discours dominant à la cantine était de souligner ses propres succès. » Je vous avoue que j’ai rarement assisté à de tels discours; quel que soit l’âge de l’interlocuteur. J’ai l’impression que se vanter de ses propres succès (réels ou exagérés / fantasmés) est surtout une question de personnalité, non ?]

              Il y a bien entendu une dimension personnelle : il y a des gens que le moindre petit geste, la moindre petite promotion réjouit – et qui partage cette réjouissance avec les autres – et des gens dont la première réaction en recevant une augmentation de 1000 € est de se plaindre de ne pas avoir eu 2000 €. Mais je pense aussi qu’il s’agit d’une injonction sociale. Pendant ma formation, je me souviens avoir eu un professeur particulièrement cynique qui aimait citer la formule anglaise « laugh, and the world will laugh with you ; cry, and you will cry alone » (« riez, et le monde rira avec vous ; pleurez, et vous pleurerez tout seul »). Sa théorie était que « le succès va au succès », et qu’il fallait donc toujours apparaître comme un « gagnant », et jamais comme une « victime ».

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              Désolé, mais ça ne colle pas. Les « cultureux » se considèrent appartenir à une élite, et pourtant ils sont « assez nombreux pour vivre entre eux ».

              Qui appelez-vous les « cultureux » ? Les professionnels du monde de la culture ? (notez que c’est un peu vague)

              Sa théorie était que « le succès va au succès », et qu’il fallait donc toujours apparaître comme un « gagnant », et jamais comme une « victime ».

              Ok… mais pourquoi vouloir apparaître comme un gagnant face à vos collègues, plutôt qu’à ceux qui vous évaluent dans le cadre de votre carrière ?
               

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [“Désolé, mais ça ne colle pas. Les « cultureux » se considèrent appartenir à une élite, et pourtant ils sont « assez nombreux pour vivre entre eux ».” Qui appelez-vous les « cultureux » ? Les professionnels du monde de la culture ? (notez que c’est un peu vague)]

              J’aurais du être plus précis: je parle des grands consommateurs de biens culturels diversifiés (spectacles, expositions, etc.)

              [“Sa théorie était que « le succès va au succès », et qu’il fallait donc toujours apparaître comme un « gagnant », et jamais comme une « victime ».” Ok… mais pourquoi vouloir apparaître comme un gagnant face à vos collègues, plutôt qu’à ceux qui vous évaluent dans le cadre de votre carrière ?]

              Je vous l’ai expliqué: parce que “le succès va au succès”. Si vous êtes perçu comme quelqu’un à qui tout sourit, qui réussit tout ce qu’il entreprend, qui est promis à un brillant parcours, les gens feront des efforts pour être en bons termes avec vous, ils chercheront à venir travailler dans votre équipe… et puis, on n’est pas “évalué” que par ses supérieurs. Il existe dans les organisations une “vox populi” qui, nolens volens, influence l’opinion de ceux qui sont chargés de vous évaluer et de prendre des décisions sur votre carrière. Avoir la réputation de tout réussir – ou de tout rater – parmi ses collègues est loin d’être neutre.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              J’aurais du être plus précis: je parle des grands consommateurs de biens culturels diversifiés (spectacles, expositions, etc.)

              Ce n’est pas très précis (où tracez-vous la frontière des « grands consommateurs » ?), mais cela semble faire beaucoup de monde… Pourquoi s’agirait-il d’une élite ?

              Il existe dans les organisations une “vox populi” qui, nolens volens, influence l’opinion de ceux qui sont chargés de vous évaluer et de prendre des décisions sur votre carrière. Avoir la réputation de tout réussir – ou de tout rater – parmi ses collègues est loin d’être neutre.

              Diriez-vous que ceci est valable aussi dans la fonction publique ?
               

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Ce n’est pas très précis (où tracez-vous la frontière des « grands consommateurs » ?), mais cela semble faire beaucoup de monde… Pourquoi s’agirait-il d’une élite ?]

              La question n’était pas de savoir s’ils étaient une élite, mais s’ils se concevaient eux-mêmes comme telle. Si vous discutez avec des gens de cette catégorie, vous pourrez constater qu’ils n’ont aucun doute à ce sujet.

              [« Il existe dans les organisations une “vox populi” qui, nolens volens, influence l’opinion de ceux qui sont chargés de vous évaluer et de prendre des décisions sur votre carrière. Avoir la réputation de tout réussir – ou de tout rater – parmi ses collègues est loin d’être neutre. » Diriez-vous que ceci est valable aussi dans la fonction publique ?]

              Bien entendu. Sauf que dans la fonction publique une partie de la carrière dépend de l’ancienneté…

            • Marcailloux dit :

              @ Descartes et Claustaire
              Bonjour les jeunes 
              [Ma remarque pointait le fait qu’il y a quelques années le discours dominant à la cantine était de souligner ses propres succès. Alors qu’aujourd’hui on voit beaucoup plus souvent un discours victimaire, fait d’échecs attribuables aux autres (aux chefs, à l’environnement, au Grand Komplot…). Hier les collègues vous racontaient comment ils avaient mouché le Chef de service ou arraché l’accord sur tel dossier, aujourd’hui ils pleurnichent sur la façon dont le Chef les a maltraités ou sur le refus systématique de traiter leurs dossiers. Je trouve cette transformation très éclairante…]
              Si vous êtes des dinosaures (dixit Descartes), je suis un gorgonops !
              De « montant » un cadre – un véritable s’entend – fermait sa gueule ou s’expliquait entre quatre yeux avec son patron ou même quelquefois se cassait. Les autres ne faisaient pas le poids lorsqu’ils désagrégeaient leur autorité par des jérémiades. Mais c’est vrai que, maintenant, la douillette sécurité de l’emploi prévaut sur toute dignité.
              Si comme dit l’adage « un homme seul est en mauvaise compagnie » un chef qui ne supporte pas la solitude n’en est pas un, quel que soit son statut de cadre.

            • Descartes dit :

              @ Marcailloux

              [Si comme dit l’adage « un homme seul est en mauvaise compagnie » un chef qui ne supporte pas la solitude n’en est pas un, quel que soit son statut de cadre.]

              Je ne le formulerai pas comme ça. Le problème pour moi est qu’aujourd’hui les personnes en position d’autorité cherchent d’abord à être aimées plutôt qu’à être respectées. De mon temps, comme vous dites, un enseignant ou un chef se foutaient d’être aimés par leurs élèves ou leurs subordonnés, tout comme le policier se foutait d’être aimé par la population. Seul le jugement de vos pairs et de vos supérieurs valait. J’avais même un professeur qui nous disait « vous me détesterez, mais ce que je fais je le fais pour votre bien, et un jour vous le comprendrez ». Et il avait parfaitement raison.

              Mais aujourd’hui, on a détruit en grande partie la logique de « corps » qui faisait que la détestation de vos subordonnés était compensée par la protection de vos pairs. Sans cette protection, vous êtes nu. Pour être protégé, il faut être aimé. Et pour être aimé, les personnes en fonction d’autorité s’imaginent que la meilleure manière est d’apparaître comme un membre ordinaire du groupe, de se fondre dans lui. C’est ainsi qu’apparaît le professeur-copain, le policier qui joue au foot avec les voyous, le chef de service qui se joint à ses troupes pour critiquer « la direction » dont il est pourtant membre.

              On revient toujours à la même question, celle de l’institution. Les individus qui peuvent se réclamer d’une autorité légitime issue d’eux-mêmes sont fort rares, si tant est qu’ils existent. Dans l’immense majorité des cas, l’autorité est issue de l’institution. Le professeur, le policier, le chef n’ont d’autorité sur vous que parce qu’ils sont membres de l’institution. Et lorsque la cohésion de cette institution disparaît – soit parce qu’elle est attaquée de l’extérieur, soit parce qu’elle est contestée par ses propres membres – l’autorité disparaît avec.

              Or, le capitalisme voit dans tout pouvoir qui n’est issu du capital une barrière à son développement. C’est pourquoi le bloc dominant a systématiquement détruit toutes les formes d’autorité institutionnelle, pour leur substituer la seule logique du « paiement au comptant ». Aujourd’hui, la seule autorité universellement reconnue, c’est celle de celui qui vous paye.

      • Bruno dit :

        @Descartes
        [il y a un effet de mimétisme et de surenchère là-dedans. Il suffit que vous ayez un râleur pour que tout un chacun se sente obligé de réclamer l’attention en montrant que lui aussi est à plaindre. Un peu comme s’il s’agissait d’une compétition.]
        Je pense qu’il y a de ça effectivement. Ce qui joue par ailleurs, c’est la relative paupérisation de cette catégorie sociale. Certes, elle n’est pas à plaindre en comparaison avec les classes populaires, mais son niveau de vie tend à stagner depuis une quinzaine d’années. Les salaires n’augmentent plus (dans mon domaine professionnel), et l’immobilier, qui les obsède tous, en bon français, obnubilés par la moindre rente, explose. Il devient très difficile d’acheter un grand logement (je parle chez moi, en Ile-de-France). Ils commencent à se dire qu’il vivront moins confortablement que leurs parents, tout en étant incapables de comprendre les mécanismes en œuvre.
        [Ce changement n’est à mon avis pas un hasard. Plus la sélection méritocratique recule, et moins les privilèges des classes intermédiaires paraissent légitimes. C’est pourquoi il faut effacer ces privilèges en jouant le rôle de la victime.]
        Ils sont des privilégiés mais leurs rentes diminuent d’année en année : la valeur de leurs diplômes (je côtoie des bac+5 en fac ou des IEP pas des ingénieurs post-prépa) recule à mesure que la quantité de diplômés s’accroit. Aujourd’hui un bon technicien en SI se vend mieux sur le marché.
        [Personnellement, quand on tient ce genre de discours devant moi, j’en prends le contre-pied en affirmant que je suis content de ma situation, de ma paye, de mon boulot, et même de mon chef – je n’ai pas à me forcer, c’est raisonnablement vrai.]
        Je le fais, en petit comité sinon ça fait fayot… C’est comme une salle de classe une entreprise.
        [Comme je l’ai écrit dans un autre papier, il est dur d’être jeune dans ce XXIème siècle… et c’est un peu la faute de la génération précédente qui n’a pas collectivement – au-delà de tel ou tel individu – transmis les repères et les valeurs qu’on a reçu de nos parents. Et c’est triste, parce que je trouve bien plus pleine une vie vécue dans un métier qui nous passionne qu’une vie vécue à se plaindre de tout ce qu’on n’a pas.]
        Il y a clairement eu un loupé dans la transmission. Beaucoup de gens vivent leur travail (quand bien même celui-ci présente un réel intérêt, je ne parle pas des gens qui font le ménage ou tiennent la caisse) comme quelque chose d’alimentaire et bossent uniquement pour se payer des vacances, des loisirs etc…En tout cas c’est le discours qu’on me tient fréquemment. Là je vous rejoins, c’est triste et ça ne fera qu’accélérer leur déclin. Des gens moins investis mais qui bénéficient d’avantages (et coûtent cher!), à terme, seront remplacés par des prestataires et externalisés.
        Ce qui est frappant dans mon secteur (aménagement), c’est que la mise en concurrence, imposée depuis les années 90-2000, est en train de le niveler drastiquement vers le bas. Les opérateurs privés ont débarqué et sont plus compétitifs (moins chers) lors des appels d’offres, mangent une part du gâteau, qui a longtemps été considéré comme acquis par les SEM (elles-mêmes concurrencées côté public par les SPLA, sorte de régies des EPCI et villes). Résultat, les nouveaux quartiers, équipements et espaces publics sont réalisés par l’opérateur le moins disant et ça s’en ressent beaucoup. Les nouvelles opérations sont très denses et peu qualitatives…
        [Je ne peux que vous encourager. Si vous y êtes intéressé, on peut se rencontrer pour en discuter. Nous avons déjà sur ce blog plusieurs amis qui ont pris cette voie, pourquoi pas vous ?]
        Avec grand plaisir, n’étant pas expert dans le sujet, mais fortement intéressé, j’ai bien besoin de conseils. Je vis en région parisienne.
         

        • Descartes dit :

          @ Bruno

          [Je pense qu’il y a de ça effectivement. Ce qui joue par ailleurs, c’est la relative paupérisation de cette catégorie sociale. Certes, elle n’est pas à plaindre en comparaison avec les classes populaires, mais son niveau de vie tend à stagner depuis une quinzaine d’années. Les salaires n’augmentent plus (dans mon domaine professionnel), et l’immobilier, qui les obsède tous, en bon français, obnubilés par la moindre rente, explose. Il devient très difficile d’acheter un grand logement (je parle chez moi, en Ile-de-France). Ils commencent à se dire qu’ils vivront moins confortablement que leurs parents, tout en étant incapables de comprendre les mécanismes en œuvre.]

          Vous pointez un élément qui a son importance : celui du prix de l’immobilier, qui porte un coup très sérieux à l’une des grandes aspirations des classes intermédiaires obsédées par la précarité de leur situation en tant que classe, l’accession à la propriété immobilière. C’est un phénomène particulièrement sensible en région parisienne – peut-être moins dans d’autres métropoles régionales, je ne connais pas assez le marché immobilier pour le dire.

          Mais sont-ils pour autant « incapables de comprendre les mécanismes à l’œuvre » ? Je suis moins sur que vous. Après tout, vos collègues sont des gens éduqués, formés, ayant accès aux meilleures sources d’information… ils ont des loisirs, un environnement raisonnablement agréable, si eux « ne sont pas capables », qui alors ?

          [Ils sont des privilégiés mais leurs rentes diminuent d’année en année : la valeur de leurs diplômes (je côtoie des bac+5 en fac ou des IEP pas des ingénieurs post-prépa) recule à mesure que la quantité de diplômés s’accroit. Aujourd’hui un bon technicien en SI se vend mieux sur le marché.]

          Je m’interroge. Oui, l’offre de diplômés sur le marché tend à s’accroître… mais aussi la demande, avec la disparition des emplois les moins qualifiés et la création d’emplois qualifiés. Je n’ai pas l’impression, en regardant les statistiques, que la rémunération des bac+5 ait beaucoup baissé en termes relatifs (en termes absolus, il est clair que ce n’est pas le cas). L’exemple du technicien en SI est trompeur : il y a toujours existé des métiers moins qualifiés très bien rémunérés du fait d’un déséquilibre temporaire entre l’offre et la demande.

          [« Personnellement, quand on tient ce genre de discours devant moi, j’en prends le contre-pied en affirmant que je suis content de ma situation, de ma paye, de mon boulot, et même de mon chef – je n’ai pas à me forcer, c’est raisonnablement vrai. » Je le fais, en petit comité sinon ça fait fayot…]

          En petit comité et entre égaux, bien évidement. Devant le chef, ça fait effectivement fayot !

          [Avec grand plaisir, n’étant pas expert dans le sujet, mais fortement intéressé, j’ai bien besoin de conseils. Je vis en région parisienne.]

          Pour cela, il vaut mieux continuer la discussion en privé.

          • Bruno dit :

            [Mais sont-ils pour autant « incapables de comprendre les mécanismes à l’œuvre » ? Je suis moins sur que vous. Après tout, vos collègues sont des gens éduqués, formés, ayant accès aux meilleures sources d’information… ils ont des loisirs, un environnement raisonnablement agréable, si eux « ne sont pas capables », qui alors ?]
            Je pense qu’ils croient les comprendre mais sont dépassés. La mise en concurrence de tous les secteurs et de tous les travailleurs, couplée à l’ouverture sur l’étranger, si elle leur permet de bénéficier d’un livreur, d’une femme de ménage ou d’une nourrice à bas prix, causera à terme leur déclassement. Peut-être ne se projettent-ils pas sur le temps long? Même dans mon secteur, l’externalisation de certaines fonctions dans des pays moins chers de l’UE a commencé. Et je ne parle même pas des agences d’architectes où les salariés deviennent contre leur gré auto-entrepreneur… 
            [Je m’interroge. Oui, l’offre de diplômés sur le marché tend à s’accroître… mais aussi la demande, avec la disparition des emplois les moins qualifiés et la création d’emplois qualifiés. Je n’ai pas l’impression, en regardant les statistiques, que la rémunération des bac+5 ait beaucoup baissé en termes relatifs (en termes absolus, il est clair que ce n’est pas le cas).]
            Honnêtement je ne peux pas parler que de mon domaine et pour celui-ci je puis vous assurer que la situation se dégrade. 

            • Descartes dit :

              @ Bruno

              [Peut-être ne se projettent-ils pas sur le temps long ?]

              Je pense qu’il y a de ça. Les classes intermédiaires vivent la contradiction d’une position privilégiée mais précaire, puisqu’elle dépend d’un capital « immatériel » qui doit être reconstitué à chaque génération. Cette précarité, cette impossibilité à accumuler sur le temps long en fait une classe particulièrement myope. D’où sa forte propension à consommer plutôt qu’à investir. Et aussi on incapacité à se projeter sur le temps long : « après nous, le déluge ».

              [Même dans mon secteur, l’externalisation de certaines fonctions dans des pays moins chers de l’UE a commencé. Et je ne parle même pas des agences d’architectes où les salariés deviennent contre leur gré auto-entrepreneur…]

              Oui, et le télétravail ne va pas améliorer les choses. Je suis d’ailleurs étonné que nos penseurs n’aient pas commencé à réfléchir et anticiper cette question. Jusqu’à maintenant, on a admis que la production matérielle pouvait être délocalisée, mais pas les services qui nécessitent un certain degré de proximité avec le client. Avec le télétravail, cela devient de moins en moins évident. Et si bien des fonctions aujourd’hui assurées par des salariés présents à Paris peuvent l’être depuis Trifouillis les Oies, pourquoi pas depuis Dacca ? Et pourquoi ce salarié aurait un contrat de droit français, alors que le droit bangladeshi est tellement plus intéressant ?

              Les classes intermédiaires feraient bien de se méfier. Avec le télétravail, avec la dématérialisation, elles risquent d’être mises en concurrence avec les classes intermédiaires des autres pays, tout comme les ouvriers l’ont été à la fin du XXème siècle. L’âge d’or de ces couches sociales est peut être terminé…

              [Honnêtement je ne peux pas parler que de mon domaine et pour celui-ci je puis vous assurer que la situation se dégrade.]

              Je serais curieux de savoir exactement sur quelles observations vous vous fondez. Laissons de côté les râles de vos collègues, on sait bien que la force du râle n’est nullement proportionnelle à la gravité des situations. Voyez-vous une baisse réelle des niveaux de vie ? Dans quels domaines ?

            • Bruno dit :

              [Cette précarité, cette impossibilité à accumuler sur le temps long en fait une classe particulièrement myope. D’où sa forte propension à consommer plutôt qu’à investir. Et aussi on incapacité à se projeter sur le temps long : « après nous, le déluge ».]
              Votre réflexion m’amuse en ce qu’elle met en avant l’une des grandes contradictions de cette catégorie sociale! La dernière marotte (dans le verbe) des classes intermédiaires est le la lutte contre le réchauffement climatique et la sauvegarde de l’environnement (ça nous change de l’antiracisme…). Je ne prétends pas qu’il n’y a pas sur ces sujets matière à réflexion ou nécessité d’agir, mais je constate l’incapacité de ces gens à lier la parole aux actes. De fait, appartenant à cette catégorie sociale, je ne peux qu’observer sa propension à consommer à outrance (avec un vernis bio) et à polluer (on prend l’avion pour faire un WE à Berlin, mais la compagnie compense en plantant des arbres pour les orang-outang de Bornéo; un collègue m’a dit ça une fois…). Ils se foutent de ce qui se passera après eux dans le fond, mais dans le discours, beaucoup se sentent obligés de s’excuser, de dire que ce qu’ils font est mal (ça pue la contrition hypocrite anglo-saxonne) ou bien d’expliquer qu’ils contrebalancent leur impact en achetant moins…
              [Et si bien des fonctions aujourd’hui assurées par des salariés présents à Paris peuvent l’être depuis Trifouillis les Oies, pourquoi pas depuis Dacca ? Et pourquoi ce salarié aurait un contrat de droit français, alors que le droit bangladeshi est tellement plus intéressant ?]
              Pour être honnête, j’espère que ça arrivera bientôt. Si la bourgeoisie est assez c***** et cupide pour mettre en porte-à-faux les classes intermédiaires et donner un coup de canif de trop à leur entente, ça obligerait ces dernières à agir autrement. Ne serait-ce pas là la manifestation une contradiction interne du capitalisme? La recherche absolue du profit pourrait briser l’accord entre ces classes et entraîner une reconfiguration politique. Je me fais plaisir en disant ça, évidemment, mais il n’est pas interdit d’espérer.
              [Voyez-vous une baisse réelle des niveaux de vie ? Dans quels domaines ?]
              En surface, quand vous ne grattez pas trop le vernis, vous pouvez penser que rien n’a véritablement changé. Mes collègues partent en vacances x fois par an, l’avion reste bon marché et l’Europe est leur village. Toutefois, quand vous regardez le détail et discutez, vous vous rendez compte qu’ils ont un recours accru au crédit à la consommation/paiement en 20 fois, comme les plus pauvres, mais pour des objets “luxe” type smartphone. Et pour LA chose fondamentale, j’en reviens à mon premier point : le logement, il y a clairement une (relative) paupérisation. Je rappelle que je vis en IDF, donc mon prisme est atypique. Il n’empêche, cette région concentre énormément de classes intermédiaires. Certains de mes collègues, pour pouvoir vivre à Paris, parfois même à 35 ans, sont dans des colocations (ça rejoint un autre thème qui est celui du prolongement de l’âge “jeune”, mais je m’égare…). A ce rythme là on sera comme à Londres ou New-York dans 10 ans. Et je ne parle même pas d’acquisition; vous l’avez dit, c’est essentiel dans leur mentalité, et Paris et sa bonne banlieue proche le leur interdit; en tout cas aux célibataires et ils sont nombreux. 
              Pour prendre l’exemple de mes parents, typiques des classes intermédiaires montées à Paris à la fin des années 70, ils ont pu acheter dans une très bonne banlieue, avec des salaires convenables mais pas mirifiques, celle-ci est désormais hors de prix. Mes collègues et moi ne pourront jamais acheter l’équivalent dans cette ville. Mon père lui non plus ne pourrait d’ailleurs plus acheter sa propre maison. C’est un bouleversement et ces classes l’ont compris. Il sera beaucoup plus difficile pour elles de constituer un capital immobilier et de répondre à leur envie de rente, si française. Leur consommation délirante ne serait-elle pas une fuite en avant face à ce problème et à tant d’autres? 
              Bruno
               

            • Descartes dit :

              @ Bruno

              [« Et si bien des fonctions aujourd’hui assurées par des salariés présents à Paris peuvent l’être depuis Trifouillis les Oies, pourquoi pas depuis Dacca ? Et pourquoi ce salarié aurait un contrat de droit français, alors que le droit bangladeshi est tellement plus intéressant ? » Pour être honnête, j’espère que ça arrivera bientôt. Si la bourgeoisie est assez c***** et cupide pour mettre en porte-à-faux les classes intermédiaires et donner un coup de canif de trop à leur entente, ça obligerait ces dernières à agir autrement. Ne serait-ce pas là la manifestation une contradiction interne du capitalisme? La recherche absolue du profit pourrait briser l’accord entre ces classes et entraîner une reconfiguration politique. Je me fais plaisir en disant ça, évidemment, mais il n’est pas interdit d’espérer.]

              On peut en effet imaginer que cette transformation brise l’unité du « bloc dominant » et ouvre un conflit entre la bourgeoisie et au moins une partie des couches intermédiaires. A suivre…

              [« Voyez-vous une baisse réelle des niveaux de vie ? Dans quels domaines ? » En surface, quand vous ne grattez pas trop le vernis, vous pouvez penser que rien n’a véritablement changé. Mes collègues partent en vacances x fois par an, l’avion reste bon marché et l’Europe est leur village. Toutefois, quand vous regardez le détail et discutez, vous vous rendez compte qu’ils ont un recours accru au crédit à la consommation/paiement en 20 fois, comme les plus pauvres, mais pour des objets “luxe” type smartphone.]

              Mais leur niveau de vie a beaucoup augmenté. Pensez à la génération précédente. Partaient-ils en vacances plusieurs fois par an ? Non. Prenaient-ils l’avion ? Rarement. L’Europe n’était pas leur village, et on n’avait ni ordinateur, ni smartphone. Alors, parler d’un appauvrissement absolu semble absurde, et même en termes relatifs ne n’en suis pas convaincu.

              [Et pour LA chose fondamentale, j’en reviens à mon premier point : le logement, il y a clairement une (relative) paupérisation. Je rappelle que je vis en IDF, donc mon prisme est atypique.]

              Il faut comparer ce qui est comparable, et là encore revenir à la génération précédente. On peut se loger raisonnablement à Paris aujourd’hui, si vous acceptez les surfaces qu’acceptaient nos parents ou nos grands-parents. Mais qui accepterait, comme c’était le cas pour mes parents, de vivre à quatre dans un deux-pièces de 37 m2 (ou à six dans un trois pièces) ? Alors, il faut se demander si la difficulté à se loger tient à une « paupérisation », ou à un niveau d’exigence en hausse.

              [Certains de mes collègues, pour pouvoir vivre à Paris, parfois même à 35 ans, sont dans des colocations (ça rejoint un autre thème qui est celui du prolongement de l’âge “jeune”, mais je m’égare…).]

              Mais n’idéalise-t-on pas le passé ? Quand j’ai pris mon premier emploi, dans les années 1980, moi aussi je suis allé vivre en coloc – et qui plus est, en banlieue plutôt lointaine. Je n’aurais jamais pu m’offrir Paris à l’époque – du moins pas avec la même surface. Et les chambres de bonne (7ème étage sans ascenseur…) avec salle d’eau partagée, qui était la forme parisienne de la colocation, étaient très courantes chez les copains qui tenaient absolument à vivre à Paris. Il ne faut pas croire non plus qu’on se logeait facilement à Paris par le passé.

              [Pour prendre l’exemple de mes parents, typiques des classes intermédiaires montées à Paris à la fin des années 70, ils ont pu acheter dans une très bonne banlieue, avec des salaires convenables mais pas mirifiques, celle-ci est désormais hors de prix. Mes collègues et moi ne pourront jamais acheter l’équivalent dans cette ville.]

              Il faut comparer ce qui est comparable. La région parisienne s’est étendue, et des quartiers qui étaient excentrés à une époque sont devenus presque centraux (pensez par exemple à Puteaux…). On ne peut donc pas comparer ce qu’était d’acheter un pavillon à Palaiseau en 1950, quand il fallait deux heures pour rejoindre le centre de Paris, et aujourd’hui alors qu’il faut vingt minutes.

              Par ailleurs, je vous propose un exercice mental : si vous viviez comme votre père (pas de portable, pas d’ordinateur, pas d’abonnement internet, petite voiture qu’on change rarement voire pas de voiture du tout, vacances plus courtes) le reliquat de votre salaire vous permettrait-il d’acheter la maison en question ?

            • Ian Brossage dit :

              @Bruno

              on prend l’avion pour faire un WE à Berlin, mais la compagnie compense en plantant des arbres pour les orang-outang de Bornéo; un collègue m’a dit ça une fois…

              Je ne sais pas si ce que rapporte votre collègue est vrai, mais ce qui est intrigant, c’est de se demander quel problème exactement cette plantation d’arbres résoudrait. En effet, c’est une région très affectée par la déforestation, et cette déforestation est simplement due au développement des diverses activités humaines (nécessaires, j’imagine, pour l’accroissement du niveau de vie local). Donc, à moins de forcer les habitants de Bornéo à se maintenir à leur niveau de vie passé, l’arbre « planté pour les orang-outang » sera tôt ou tard coupé pour laisser place aux activités des autres primates que nous sommes.
               
              À ce sujet, voici un court texte – mais excellent – de la revue Progressistes, dont je conseille par ailleurs fortement la lecture :

              Biodiversité et néocolonialisme «vert», Amar Bellal*


               
              On trouve un article plus long en version PDF ici, page 50 (« Colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’éden africain ») :
              https://revue-progressistes.org/wp-content/uploads/2021/05/PROGRESSISTES-N31-DEF.pdf
               

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [On trouve un article plus long en version PDF ici, page 50 (« Colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’éden africain ») :]

              Un article intéressant, bien que parfois excessif. Je veux bien que le mythe d’une Afrique “vide” ne soit qu’un mythe. Mais il me semble aussi difficile de contester que le continent Africain reste bien plus “sauvage” lors de l’arrivée de l’homme blanc que ne l’était l’Europe. D’une part, parce que les technologies dont disposaient les Africains pour modifier leur environnement étaient bien moins puissantes, mais surtout, parce qu’ils étaient bien moins nombreux. La densité moyenne de population de l’Afrique était très largement inférieure à celle de l’Europe à l’époque.

              On trouve souvent des choses intéressantes dans “Progressistes”. Mais leur dossier sur l’électricité m’a beaucoup déçu. On a l’impression que dans la revue l’expression syndicale prend largement le pas sur celle des “sachants”, et c’est très dommage pour une revue qui avait pour objectif d’apporter la parole des “sachants” sous une forme pédagogique. Plutôt que de lire un éditorial militant et simplificateur affirmant qu’il faut “lever les brevets” sur les vaccins, on aurait aimé un article analysant les problématiques liées à une telle “levée”… et qui ne sont pas simples!

            • Marcailloux dit :

              @Descartes et Bruno
              Bonjour,
              [Par ailleurs, je vous propose un exercice mental : si vous viviez comme votre père (pas de portable, pas d’ordinateur, pas d’abonnement internet, petite voiture qu’on change rarement voire pas de voiture du tout, vacances plus courtes) le reliquat de votre salaire vous permettrait-il d’acheter la maison en question ?]
              OUI ! et même après 1968, jouir sans entrave n’était pas entré dans les moeurs du commun des mortel. Et, en ce qui concerne les loisirs, pour beaucoup c’était les finitions et les aménagements de la maison pour laquelle on consacrait 50 % des revenus. Assis dans un fauteuil devant la télé avec une bière dans la main et un joint dans l’autre n’était pas le standard des comportements de la plupart d’entre nous.
              Heureux héritiers qui n’avez qu’à attendre un peu pour vous assurer d’une retraite confortable, vos enfants risquent, s’ils ne se crachent pas dans les mains, comme nous les parasites cacochymes l’avons fait, de revenir au début du XXème siècle.
              Désolé, mais ça soulage quelquefois, un coup de gueule ☺︎

            • Descartes dit :

              @ Marcailloux

              [« Par ailleurs, je vous propose un exercice mental : si vous viviez comme votre père (pas de portable, pas d’ordinateur, pas d’abonnement internet, petite voiture qu’on change rarement voire pas de voiture du tout, vacances plus courtes) le reliquat de votre salaire vous permettrait-il d’acheter la maison en question ? » OUI ! et même après 1968, jouir sans entrave n’était pas entré dans les mœurs du commun des mortels. Et, en ce qui concerne les loisirs, pour beaucoup c’était les finitions et les aménagements de la maison pour laquelle on consacrait 50 % des revenus.]

              C’était exactement mon point. Le logement n’a jamais été une acquisition facile. Il ne faudrait tout de même pas oublier que la France urbaine de l’avant-guerre était une « France de locataires » – contrepartie de la « France des rentiers » et de cette institution bien française qu’état « l’immeuble de rapport ». Il y eut certes une courte période à la fin des « trente glorieuses » dans laquelle se conjugue une période de construction massive de logements et de taux d’intérêts réels négatifs, grâce à l’inflation qui « liquéfie » le crédit. Mais c’est une période relativement courte dont les « baby-boomers » sauront tirer profit.

              Avant et après, l’achat du logement était certes possible, mais avec des sacrifices importants de la consommation dans d’autres domaines, et un investissement en temps et en travail personnel pour le restaurer et l’entretenir considérable.

              [Heureux héritiers qui n’avez qu’à attendre un peu pour vous assurer d’une retraite confortable, vos enfants risquent, s’ils ne se crachent pas dans les mains, comme nous les parasites cacochymes l’avons fait, de revenir au début du XXème siècle. Désolé, mais ça soulage quelquefois, un coup de gueule ☺︎]

              Ok, mais il faut pas en faire une habitude…

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              On trouve souvent des choses intéressantes dans “Progressistes”. Mais leur dossier sur l’électricité m’a beaucoup déçu. On a l’impression que dans la revue l’expression syndicale prend largement le pas sur celle des “sachants”, et c’est très dommage pour une revue qui avait pour objectif d’apporter la parole des “sachants” sous une forme pédagogique.

              Je suis d’accord avec vous que les textes syndicaux sont souvent fort médiocres (pas toujours). J’ai l’impression d’une sorte de concession obligée au prêchi-prêcha « de gauche », qui n’intéresse d’ailleurs que les militants.
               

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Je suis d’accord avec vous que les textes syndicaux sont souvent fort médiocres (pas toujours). J’ai l’impression d’une sorte de concession obligée au prêchi-prêcha « de gauche », qui n’intéresse d’ailleurs que les militants.]

              Peut-être. Ou plus banalement, cela traduit la difficulté de trouver des experts suffisamment “militants” pour prendre la peine d’écrire un bon article pour un journal dont ils savent la diffusion confidentielle. C’est vraiment très dommage, parce que l’équipe de “Progressistes” fait vraiment un effort de qualité, et que leurs positions sacrifient un minimum au “politiquement correct”…

              Cela étant dit, j’ai du mal à comprendre l’engagement du PCF dans la campagne pour “l’ouverture des brevets” des vaccins. Il est clair que développer un vaccin implique un énorme investissement. Pour que cet investissement ait lieu, il faut que celui qui le fait ait une chance raisonnable de toucher les bénéfices si le vaccin fonctionne. Confisquer pure et simplement le brevet, c’est décourager durablement la recherche. A la rigueur, on pourrait imaginer un rachat par la communauté internationale du brevet, qu’on verserait ensuite dans le domaine public. Mais je n’ai pas trouvé le moindre analyse de cette problématique dans les écrits des militants de “l’ouverture des brevets”…

            • Bruno dit :

              @Descartes
              [Il faut comparer ce qui est comparable, et là encore revenir à la génération précédente. On peut se loger raisonnablement à Paris aujourd’hui, si vous acceptez les surfaces qu’acceptaient nos parents ou nos grands-parents. Mais qui accepterait, comme c’était le cas pour mes parents, de vivre à quatre dans un deux-pièces de 37 m2 (ou à six dans un trois pièces) ? Alors, il faut se demander si la difficulté à se loger tient à une « paupérisation », ou à un niveau d’exigence en hausse.]
              J’entends votre point. Je suis en accord pour la génération des grand-parents mais pas celle de mes parents (j’ai moins de 35 ans). Eux ont pleinement tiré profit de la période précédente et ont pu acquérir leur logement sans trop se serrer la ceinture. Je vous rejoins, peut-être que notre niveau d’exigence, calé sur ce référent générationnel atypique, est décalé. Le retour à la réalité est difficile pour beaucoup.
              [Mais n’idéalise-t-on pas le passé ? Quand j’ai pris mon premier emploi, dans les années 1980, moi aussi je suis allé vivre en coloc – et qui plus est, en banlieue plutôt lointaine. Je n’aurais jamais pu m’offrir Paris à l’époque – du moins pas avec la même surface. Et les chambres de bonne (7ème étage sans ascenseur…) avec salle d’eau partagée, qui était la forme parisienne de la colocation, étaient très courantes chez les copains qui tenaient absolument à vivre à Paris. Il ne faut pas croire non plus qu’on se logeait facilement à Paris par le passé.]
              Je ne dis pas le contraire,oui, mon père vivait dans une chambre de bonne avec salle d’eau sur le palier et ça jusqu’à assez tard. Il n’empêche qu’une fois qu’il a eu un emploi correct et a été en couple, il a pu acheter dans une bonne banlieue. Aujourd’hui c’est plus difficile il me semble.
              [Il faut comparer ce qui est comparable. La région parisienne s’est étendue, et des quartiers qui étaient excentrés à une époque sont devenus presque centraux (pensez par exemple à Puteaux…). On ne peut donc pas comparer ce qu’était d’acheter un pavillon à Palaiseau en 1950, quand il fallait deux heures pour rejoindre le centre de Paris, et aujourd’hui alors qu’il faut vingt minutes.]
              Je ne valide qu’à moitié et il m’arrive de constater l’inverse. Chez moi dans les Yvelines, Paris s’est en quelque sorte éloignée. Il y a 30 ans on pouvait y aller en voiture, aujourd’hui ça ne roule plus. Et pour les transports en commun, ils sont saturés et moins réguliers (on a perdu les trains directs il y a 15 ans).
              [Par ailleurs, je vous propose un exercice mental : si vous viviez comme votre père (pas de portable, pas d’ordinateur, pas d’abonnement internet, petite voiture qu’on change rarement voire pas de voiture du tout, vacances plus courtes) le reliquat de votre salaire vous permettrait-il d’acheter la maison en question ?]
              Non parce que ma capacité d’emprunt est indexée sur mon revenu et par sur ma capacité à économiser. Le reliquat m’aiderait toutefois à me constituer un apport plus rapidement… Je pense que je pourrais gagner une pièce à terme ce qui n’est toutefois pas négligeable, mais pas une maison.
               

            • Descartes dit :

              @ Bruno

              [J’entends votre point. Je suis en accord pour la génération des grand-parents mais pas celle de mes parents (j’ai moins de 35 ans). Eux ont pleinement tiré profit de la période précédente et ont pu acquérir leur logement sans trop se serrer la ceinture. Je vous rejoins, peut-être que notre niveau d’exigence, calé sur ce référent générationnel atypique, est décalé. Le retour à la réalité est difficile pour beaucoup.]

              Je vais plus loin : je pense que vous calez votre référentiel non pas sur ce qu’à vécu réellement la génération précédente, mais sur l’idée que vous vous en faites à travers le prisme d’aujourd’hui. Pour le dire autrement, vous voyez tout ce que cette génération a eu (travail stable, salaires décents, crédit bon marché, prix de l’immobilier raisonnables) mais vous lui ajoutez tout ce que votre génération a et que vous tenez pour « naturel » (voiture, voyages, équipement électroménager ou informatique, loisirs, etc). Or, ce n’est pas l’un ET l’autre qu’il faut considérer, mais bien l’un OU l’autre.

              La génération de vos parents a pu acquérir son logement. Mais d’un autre côté, elle travaillait 40 heures et non pas trente-cinq, avait trois semaines de congés payés et non cinq. Lorsqu’elle avait une voiture – et tout le monde n’en avait pas – on la gardait dix ou quinze ans. Acheter un nouveau frigo ou une nouvelle machine à laver, c’était un investissement, et ne parlons pas du lave-vaisselle, qui était réservé à ceux qui avaient des moyens. On travaillait plus, on dépensait moins, on se logeait petit. Et c’est pourquoi on pouvait acheter.

              [Je ne dis pas le contraire,oui, mon père vivait dans une chambre de bonne avec salle d’eau sur le palier et ça jusqu’à assez tard. Il n’empêche qu’une fois qu’il a eu un emploi correct et a été en couple, il a pu acheter dans une bonne banlieue. Aujourd’hui c’est plus difficile il me semble.]

              Je ne sais pas. Vous savez, quand on vit dans une chambre de bonne avec salle d’eau au palier « jusqu’à assez tard », on développe des réflexes d’économie qui vous suivent toute votre vie. A l’heure d’acheter, ça aide beaucoup. Chez moi, quand on allait à un endroit qui était à une ou deux stations de métro de la maison, on marchait (« tu ne vas pas dépenser inutilement un ticket de métro ! »). Quand quelque chose ne fonctionnait pas, on cherchait à le réparer (« tu vas pas jeter ça, il a encore vingt ans dans le ventre ! »). Ma mère je jettait jamais les restes : le frigo était rempli de petits pots avec un peu de ceci ou de cela, qu’on les retrouvait dans le mijoté du soir. Quand on allait au supermarché, ma mère regardait les prix des boites et prenait le meilleur compromis qualité/prix. Et je suis persuadé qu’on faisait pareil dans beaucoup de ménages… et pas seulement dans les ménages ouvriers. Dans les ménages de « classe intermédiaire » on gardait encore le souvenir de ses origines et on faisait pareil.

              Détail drôle et qui illustre mon propos : ma mère a cessé de regarder le prix des boites de conserve et commencé à acheter de la « qualité » le jour ou le crédit de l’appartement a été fini de payer. Un peu comme si elle s’était dit « maintenant, on a économisé assez, on peut profiter de la vie »…

              [« Par ailleurs, je vous propose un exercice mental : si vous viviez comme votre père (pas de portable, pas d’ordinateur, pas d’abonnement internet, petite voiture qu’on change rarement voire pas de voiture du tout, vacances plus courtes) le reliquat de votre salaire vous permettrait-il d’acheter la maison en question ? » Non parce que ma capacité d’emprunt est indexée sur mon revenu et par sur ma capacité à économiser. Le reliquat m’aiderait toutefois à me constituer un apport plus rapidement… Je pense que je pourrais gagner une pièce à terme ce qui n’est toutefois pas négligeable, mais pas une maison.]

              Refaites vos calculs. Je vous rappelle que du temps de vos parents les capacités d’emprunt étaient jugées bien plus sévèrement qu’aujourd’hui, et en particulier les banques exigeaient un apport personnel beaucoup plus important. Les possibilités que donnent certaines banques d’emprunter 100% de la valeur du bien n’existaient pas à l’époque. Quand mes parents ont acheté, l’apport représentait plus de 50% de la valeur du bien.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes

              Détail drôle et qui illustre mon propos : ma mère a cessé de regarder le prix des boites de conserve et commencé à acheter de la « qualité » le jour ou le crédit de l’appartement a été fini de payer. Un peu comme si elle s’était dit « maintenant, on a économisé assez, on peut profiter de la vie »…

              Je constate à peu près le même genre de choses concernant mes parents (qui, certes, ne font pas partie de la « classe intermédiaire »). Il est tout à fait vrai que le niveau de vie des jeunes générations est en grande partie assez confortable, malgré les multiples pleurnicheries des uns et des autres.

              Je vous rappelle que du temps de vos parents les capacités d’emprunt étaient jugées bien plus sévèrement qu’aujourd’hui, et en particulier les banques exigeaient un apport personnel beaucoup plus important. Les possibilités que donnent certaines banques d’emprunter 100% de la valeur du bien n’existaient pas à l’époque. Quand mes parents ont acheté, l’apport représentait plus de 50% de la valeur du bien.

              Je ne pense pas que ça change grand’chose, parce que les prix ont augmenté en raison de l’amélioration des conditions d’emprunt (à la fois le relâchement des exigences mais aussi la baisse des taux). Il n’est donc pas du tout évident que l’effort nécessaire ou le seuil de sélection ait baissé.
               
              En fait, si on regarde la structure sociale proprétaires vs. locataires, c’est plutôt l’inverse qui est vrai : alors que dans les années 60 les locataires se répartissaient également dans toutes les catégories sociales, aujourd’hui ils se trouvent très préférentiellement dans les classes populaires. (j’ai la flemme de vous retrouver la référence, cela se retrouve dans la compilation de données établie par Jacques Friggit que j’ai déjà citée plusieurs fois dans ces commentaires)
               

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [Je constate à peu près le même genre de choses concernant mes parents (qui, certes, ne font pas partie de la « classe intermédiaire »). Il est tout à fait vrai que le niveau de vie des jeunes générations est en grande partie assez confortable, malgré les multiples pleurnicheries des uns et des autres.]

              En fait, cela dépend de ce qu’on compte dans le « niveau de vie ». Si on prend en compte le niveau de consommation des biens et services marchands, je pense que les jeunes d’aujourd’hui ont globalement un sort équivalent sinon meilleur à celui de leurs parents – et c’est encore plus vrai pour les jeunes des classes intermédiaires. Mais leur consommation se distribue différemment : plus de biens et services « éphémères », moins de « durables ».

              Par contre si l’on compte dans le niveau de vie des éléments non marchands – les services publics, la qualité des rapports sociaux dans la cité et au travail – la question se pose en effet. Je me souviens d’un magnifique dessin de Cabu dans son album « 1968/1986 » : dans un premier tableau on voit un personnage dessiner quelque chose sur une banderole, et on voit ensuite défiler un groupe de gens derrière une banderole où il est écrit « NOUS ». Dans un deuxième tableau on voit le même personnage dessinant quelque chose sur un carton, et on le voit ensuite assis sur le trottoir faisant la manche avec un carton qui dit « MOI ». Au-delà de l’erreur qui consiste à ne pas voir que 1968 marque précisément la fin du « nous » et le début du « moi », je trouve le dessin très évocateur.

              [Je ne pense pas que ça change grand’chose, parce que les prix ont augmenté en raison de l’amélioration des conditions d’emprunt (à la fois le relâchement des exigences mais aussi la baisse des taux). Il n’est donc pas du tout évident que l’effort nécessaire ou le seuil de sélection ait baissé.]

              Pas seulement. Les prix augmentent sous l’effet de deux facteurs : d’un côté, comme vous le signalez, les aides à la pierre sous toutes leur formes (facilités de crédit, subvention, etc.) dans un marché où l’offre n’est pas extensible poussent les prix vers le haut. Mais il y a d’autres facteurs : on construit beaucoup moins aujourd’hui que dans les années 1960/70, où les villes nouvelles et autres programmes massifs de construction voyaient le jour, quoi qu’on puisse penser de leurs choix architecturaux. D’un autre côté, l’exigence d’espace fait qu’on construit moins d’appartements pour la même surface construite (et donc pour la même consommation de foncier) et les réhabilitations là où on peut difficilement construire du neuf (les centres-ville historiques) aboutit là aussi à des appartements moins nombreux et plus grands.

              [En fait, si on regarde la structure sociale propriétaires vs. locataires, c’est plutôt l’inverse qui est vrai : alors que dans les années 60 les locataires se répartissaient également dans toutes les catégories sociales, aujourd’hui ils se trouvent très préférentiellement dans les classes populaires. (j’ai la flemme de vous retrouver la référence, cela se retrouve dans la compilation de données établie par Jacques Friggit que j’ai déjà citée plusieurs fois dans ces commentaires)]

              Franchement, j’ai du mal à vous suivre dans cette conclusion. Je ne crois pas que la répartition entre propriétaires et locataires fut plus « égalitaire » hier qu’aujourd’hui. Je demande à voir les chiffres…

            • Ian Brossage dit :

               
              @Descartes

              Franchement, j’ai du mal à vous suivre dans cette conclusion. Je ne crois pas que la répartition entre propriétaires et locataires fut plus « égalitaire » hier qu’aujourd’hui. Je demande à voir les chiffres…

              Comparer les tableaux des pages 61 et 62 ici (« % de locataires par tranche d’âge et décile de revenu, 1973 » vs. « % de locataires par tranche d’âge et décile de revenu, 2013 »): https://www.cgedd.fr/prix-immobilier-presentation.pdf
               
              Il est assez net qu’il y avait une faible stratification sociale des locataires en 1973 (la proportion de locataires étant relativement égale dans tous les déciles de revenu, sauf les déciles extrêmes où elle était un peu moins élevée), alors qu’il y a une stratification très forte en 2013 (avec une très belle corrélation inverse entre niveau de revenu et proportion de locataires).

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [« Franchement, j’ai du mal à vous suivre dans cette conclusion. Je ne crois pas que la répartition entre propriétaires et locataires fut plus « égalitaire » hier qu’aujourd’hui. Je demande à voir les chiffres… » Comparer les tableaux des pages 61 et 62 ici (« % de locataires par tranche d’âge et décile de revenu, 1973 » vs. « % de locataires par tranche d’âge et décile de revenu, 2013 »):]

              Les tableaux en question présentent des anomalies qui vont penser qu’il y a des biais dans le raisonnement. Ainsi, par exemple, prenons la courbe « en cloche » de 1973 : on observe qu’il y a PLUS de locataires dans les segments moyens que chez les riches (cela est normal) mais aussi chez les pauvres. Sauf à admettre que les plus pauvres accédaient plus facilement à la propriété que les classes imoyennes, comment expliquer cette anomalie ? A mon sens, il y a plusieurs explications possibles :

              1) Le développement massif de subventions aux loyers (logement social, APL, etc.) dans les années 1970 a rendu la location plus attractive que l’achat pour les couches les plus pauvres – puisque ces subventions sont conditionnées au revenu. On voit bien cet effet dans les graphiques de la page 63.

              2) En 1973, l’exode rural n’est pas complet. Il y a donc une proportion importante de gens qui vivent à la campagne dans des conditions insalubres mais qui sont nominalement « propriétaires ». Lorsque ces populations émigrent vers les villes, ils deviennent souvent locataires.

              3 L’éradication des bidonvilles dans les années 1970 transforme les « non-logés » échappant à la statistique en locataires dans les tranches de revenu les plus modestes.

              [Il est assez net qu’il y avait une faible stratification sociale des locataires en 1973 (la proportion de locataires étant relativement égale dans tous les déciles de revenu, sauf les déciles extrêmes où elle était un peu moins élevée),]

              Qu’elle soit « un peu moins élevée » chez les riches, c’est facile à expliquer. Mais comment comprendre qu’elle soit « moins élevée » chez les pauvres ? Et la différence est loin d’être négligeable : pour la tranche des 30 à 39 ans (âge auquel on a rarement touché son héritage) le taux de locataires pour le premier décile n’est que de 15%… alors qu’il est de 50% pour le décile moyen. C’est un écart énorme, qui ne peut à mon avis être expliqué que par les biais que j’ai signalé plus haut. Et peut-être d’autres que je n’ai pas vus…

            • Vincent dit :

              [Les classes intermédiaires feraient bien de se méfier. Avec le télétravail, avec la dématérialisation, elles risquent d’être mises en concurrence avec les classes intermédiaires des autres pays, tout comme les ouvriers l’ont été à la fin du XXème siècle. L’âge d’or de ces couches sociales est peut être terminé…]
               
              Pour moi, c’était déjà le cas. Du moins ça l’était déjà dans mon secteur. Avec des turcs, algériens, thaïlandais, brésiliens, péruviens, et indiens qui sont à la fois nos partenaires et concurrents.
              Et où il peut arriver que des ingénieurs français soient débauchés pour aller travailler en Thaïlande, en Chine, ou au Brésil, avec un contrat local naturellement (et sans réelle perte de salaire). Et on se retrouve là bas en concurrence avec des ingénieurs russes, serbes, colombiens, etc.
               
              Mais avec votre remarque, je comprends sans doute mieux pourquoi je constate que ce secteur d’activité est particulièrement peu rémunérateur (par rapport à d’autres) : les salaires sont déjà plus ou moins alignés sur les standards mondiaux…
              Le “sens de l’histoire” est effectivement sans doute dans cette direction.

            • Descartes dit :

              @ Vincent

              [Et où il peut arriver que des ingénieurs français soient débauchés pour aller travailler en Thaïlande, en Chine, ou au Brésil, avec un contrat local naturellement (et sans réelle perte de salaire). Et on se retrouve là-bas en concurrence avec des ingénieurs russes, serbes, colombiens, etc.]

              Oui, mais je vous parle du processus inverse : des russes, des serbes, des colombiens ou des bangladeshis pourront demain travailler pour des entreprises françaises sans quitter leur pays et avec des contrats – et au tarif local. Et dans ces conditions, quel intérêt de recruter des informaticiens français au tarif français ? Il faudra que ces derniers s’alignent sur les tarifs du tiers monde s’ils veulent pouvoir travailler…

              [Mais avec votre remarque, je comprends sans doute mieux pourquoi je constate que ce secteur d’activité est particulièrement peu rémunérateur (par rapport à d’autres) : les salaires sont déjà plus ou moins alignés sur les standards mondiaux… Le “sens de l’histoire” est effectivement sans doute dans cette direction.]

              Tout à fait. Et avec des universités locales dont le niveau ne fait qu’augmenter, et notre enseignement supérieur où l’on constate l’effet inverse… oui, je pense qu’une partie des classes intermédiaires ont quelque souci à se faire.

            • Ian Brossage dit :

              @Descartes
              J’avoue que je comprends un peu mal votre réponse. Je me suis contenté de montrer des chiffres répondant à votre étonnement que la répartition propriétaires / locataires ait pu être plus « égalitaire ». Je ne me suis pas prononcé sur les causes de ce changement.

              Les tableaux en question présentent des anomalies qui vont penser qu’il y a des biais dans le raisonnement.

              Cette phrase est franchement étrange. En quoi une « anomalie » dans les faits peut-elle indiquer un biais dans un raisonnement ?
              Voyons :

              En 1973, l’exode rural n’est pas complet. Il y a donc une proportion importante de gens qui vivent à la campagne dans des conditions insalubres mais qui sont nominalement « propriétaires ». Lorsque ces populations émigrent vers les villes, ils deviennent souvent locataires.

              C’est tout à fait vrai et c’est certainement un facteur important. On ajoutera qu’à la campagne, être propriétaire était souvent en réalité être héritier d’un bien transmis de génération en génération.

              L’éradication des bidonvilles dans les années 1970 transforme les « non-logés » échappant à la statistique en locataires dans les tranches de revenu les plus modestes.

              Tout à fait.
               
              Mais vous noterez que si tout cela contribue à expliquer pourquoi les deux premiers déciles étaient moins locataires que les autres, cela n’explique pas pourquoi la répartition sociale des locataires était relativement plate (environ 40% sur la majorité des déciles centraux, et en tout état de cause entre 30 et 50% sur tous les déciles), alors qu’elle est devenue extrêmement stratifiée depuis (de 10% chez les plus riches à 75% chez les plus pauvres, grosso modo).
               
              La seule explication plausible à ce stade est que, jusqu’aux années 60, la location relève en partie d’un choix de vie (y compris dans les couches les plus aisées de la population), alors que de nos jours elle est de plus en plus vécue comme une contrainte ou un non-choix (on est locataire parce qu’on n’a pas les moyens d’accéder correctement à la propriété).
               

            • Descartes dit :

              @ Ian Brossage

              [J’avoue que je comprends un peu mal votre réponse. Je me suis contenté de montrer des chiffres répondant à votre étonnement que la répartition propriétaires / locataires ait pu être plus « égalitaire ». Je ne me suis pas prononcé sur les causes de ce changement.]

              D’accord. Mais notre débat ne portait pas sur l’égalité pure, formelle, mais sur la question de savoir si la situation des français vis-à-vis du logement s’était dégradée ou non entre hier et aujourd’hui. Au-delà donc des chiffres, qui montrent effectivement – et je vous en donne acte – une plus grande inégalité dans la distribution propriétaires/locataires, il est donc pertinent de se demander si cet changement couvre une réelle dégradation de la situation des personnes concernées ou pas. Le passage de propriétaire d’une hutte dans une campagne reculée à locataire d’un HLM spacieux et confortable n’est pas, à mon sens, une régression.

              [« Les tableaux en question présentent des anomalies qui vont penser qu’il y a des biais dans le raisonnement. » Cette phrase est franchement étrange. En quoi une « anomalie » dans les faits peut-elle indiquer un biais dans un raisonnement ?]

              J’ai écrit un peu vite. J’aurais du écrire « … présentent des anomalies qui peuvent induire un biais dans le raisonnement… »

              [Mais vous noterez que si tout cela contribue à expliquer pourquoi les deux premiers déciles étaient moins locataires que les autres, cela n’explique pas pourquoi la répartition sociale des locataires était relativement plate (environ 40% sur la majorité des déciles centraux, et en tout état de cause entre 30 et 50% sur tous les déciles), alors qu’elle est devenue extrêmement stratifiée depuis (de 10% chez les plus riches à 75% chez les plus pauvres, grosso modo).]

              D’abord, n’oubliez pas que la pyramide des revenus en France est très « plate » (ainsi, par exemple, presque la moitié des foyers est non-imposable). Le logement social, les aides au logement ne concernent pas que les déciles les plus bas. Ensuite, je pense qu’il y a un changement dans les préférences. On le voit bien sur le 10ème décile : en 1973, ils étaient 32% à être locataires, contre 12% en 2013. A ce niveau de revenu, le fait d’être propriétaire plutôt que locataire relève plus d’un choix que d’une possibilité. On peut donc se demander si cette évolution ne traduit plus une évolution des mentalités qu’une évolution de la situation économique.

              [La seule explication plausible à ce stade est que, jusqu’aux années 60, la location relève en partie d’un choix de vie (y compris dans les couches les plus aisées de la population), alors que de nos jours elle est de plus en plus vécue comme une contrainte ou un non-choix (on est locataire parce qu’on n’a pas les moyens d’accéder correctement à la propriété).]

              Je suis d’accord. Et c’est pourquoi j’étais surpris par l’idée que cela reflète une « inégalité » croissante…

            • Vincent dit :

              @Descartes
              [je vous parle du processus inverse : des russes, des serbes, des colombiens ou des bangladeshis pourront demain travailler pour des entreprises françaises sans quitter leur pays et avec des contrats – et au tarif local.]
              En l’occurrence, je suis déjà dedans depuis bien avant le COVID. Nous avons des filiales locales (Turquie, Algérie, Thaïlande, Roumanie…)
              Heureusement, dans les pays du Tiers-Monde, il y a encore une différence de salaire très importante entre un ingénieur et un ouvrier de base. Si bien qu’il n’y a pas tant de différence, à compétence égale, entre un ingénieur français et un ingénieur local (mais par contre une grosse différence de niveau de vie…).

        • Bruno dit :

          [Je ne sais pas. Vous savez, quand on vit dans une chambre de bonne avec salle d’eau au palier « jusqu’à assez tard », on développe des réflexes d’économie qui vous suivent toute votre vie. A l’heure d’acheter, ça aide beaucoup. ]
          Sur ce point je ne peux que vous suivre, mes parents, qui ont bénéficié d’une ascension sociale, ont conservé des réflexes de fourmi et sont du genre économes, beaucoup plus que leurs enfants… 
          [Détail drôle et qui illustre mon propos : ma mère a cessé de regarder le prix des boites de conserve et commencé à acheter de la « qualité » le jour ou le crédit de l’appartement a été fini de payer. Un peu comme si elle s’était dit « maintenant, on a économisé assez, on peut profiter de la vie »…]
          Je me rappelle aussi, ce jour là on a sabré le champagne. Mes parents avaient emprunté sur 13 ans, ça me paraissait incroyablement long à l’époque. Mon père est beaucoup plus serein depuis cette date.
          Il m’est difficile de réfuter vos arguments. Mon expérience de vie est moindre que la vôtre et autour de moi les gens de ma génération geignent beaucoup, tout en voyageant énormément et en tirant un grand profit de la société des loisirs. Merci pour vos réflexions. 
           

    • Ian Brossage dit :

      @Bruno

      Le plus grave c’est que les “jeunes” qui se plaignent ne sont pas très investis. Qui tient la baraque d’après vous? Les plus de 55 ans, ceux qui ont 20 ans de SEM et sont passionnés. Une fois qu’ils seront partis, ce ne sont pas les “jeunes” qui fourniront le même effort.

      Bah… Je ne suis pas dans votre métier et je n’ai pas votre âge, mais je vais apporter un bémol. Quand j’étais plus jeune, j’étais comme vos jeunes collègues, et maintenant je suis comme vos collègues de 55 ans. Parfois, il faut du temps pour trouver le bon endroit où exercer son métier avec passion, et en attendant de trouver, on supporte plus ou moins facilement le quotidien.

      de répondre au téléphone après 19h (“quoi le boss a osé t’appeler à 20h sur ton perso”?!)

      Puisqu’on en est aux confidences personnelles, pour ma part je prendrais très mal qu’un supérieur m’appelle au téléphone, sauf urgence critique. J’ajoute que la culture consistant à toujours communiquer par téléphone peut être facteur d’inefficacité, car les travailleurs se retrouvent interrompus dans leur travail à n’importe quel moment (et ne parlons même des bruits de conversation ambiante en open space ou en bureau partagé). Quand votre boulot requiert de la concentration, c’est catastrophique.

      A terme je me demande si je ne vais pas tenter la 3ème voie d’un concours de la fonction publique pour rejoindre une administration avec des gens passionnés

      Bon courage pour trouver cette administration avec des gens passionnés, alors. De ce que j’ai entendu dire, c’est très variable (et ça dépend sûrement beaucoup du métier).
       

      • Descartes dit :

        @ Ian Brossage

        [Bah… Je ne suis pas dans votre métier et je n’ai pas votre âge, mais je vais apporter un bémol. Quand j’étais plus jeune, j’étais comme vos jeunes collègues, et maintenant je suis comme vos collègues de 55 ans. Parfois, il faut du temps pour trouver le bon endroit où exercer son métier avec passion, et en attendant de trouver, on supporte plus ou moins facilement le quotidien.]

        Je ne sais pas… j’avoue que je trouve l’idée qu’on pourrait devenir plus passionné par son métier avec l’âge un peu étrange et plutôt contre-intuitive. Bien sûr, la maturité vous apporte une autre vision du métier, et souvent la possibilité d’occuper des fonctions plus riches. Mais rien ne remplace les premiers émois de la découverte d’un métier. On oublie rarement son premier patient, son premier chantier… un peu comme on n’oublie pas son premier amour !

        [« de répondre au téléphone après 19h (“quoi le boss a osé t’appeler à 20h sur ton perso”?!) » Puisqu’on en est aux confidences personnelles, pour ma part je prendrais très mal qu’un supérieur m’appelle au téléphone, sauf urgence critique.]

        Pourquoi ? Je pense que tout dépend pourquoi il appelle et le type de rapport qu’on entretient avec lui. Un appel peut être une marque de désinvolture (« vous n’avez rien d’important à faire, je peux donc vous déranger ») ou bien une marque de confiance (« vous êtes le seul en qui je peux compter pour cette tâche difficile »). Bien sûr, déranger un subordonné chez lui le soir pour des affaires qui peuvent parfaitement attendre le lendemain est un manque de correction. Mais de là à réserver la chose à une « urgence critique »…

        [J’ajoute que la culture consistant à toujours communiquer par téléphone peut être facteur d’inefficacité, car les travailleurs se retrouvent interrompus dans leur travail à n’importe quel moment (et ne parlons même des bruits de conversation ambiante en open space ou en bureau partagé). Quand votre boulot requiert de la concentration, c’est catastrophique.]

        Personne n’est obligé de décrocher son téléphone. Et les portables ont aujourd’hui des messageries. J’avais un chef qui disait – fort sagement – se méfier des collaborateurs qui décrochaient leur téléphone en toute circonstance. Cela prouvait à ses yeux qu’ils n’étaient pas assez occupés !

        [« A terme je me demande si je ne vais pas tenter la 3ème voie d’un concours de la fonction publique pour rejoindre une administration avec des gens passionnés » Bon courage pour trouver cette administration avec des gens passionnés, alors. De ce que j’ai entendu dire, c’est très variable (et ça dépend sûrement beaucoup du métier).]

        Si vous avez besoin de quelques adresses…

        • Ian Brossage dit :

          @Descartes

          Je ne sais pas… j’avoue que je trouve l’idée qu’on pourrait devenir plus passionné par son métier avec l’âge un peu étrange et plutôt contre-intuitive.

          On peut être passionné par les éléments constitutifs du métier, tout en étant totalement rebuté par tel ou tel poste, telle ou telle organisation du travail…

          Personne n’est obligé de décrocher son téléphone. Et les portables ont aujourd’hui des messageries.

          Tout à fait. Ce qui fait que le téléphone est utilisé comme le mail, ce pour quoi il est moins adapté que le mail.

          Si vous avez besoin de quelques adresses…

          Pour l’instant non. Et d’ailleurs, je suis un peu étonné : si on passe un concours avec succès, on n’atterrit pas forcément là où on voudrait, si ?
          (après, il y a la possibilité de se faire recruter comme contractuel, j’imagine)

          • Descartes dit :

            @ Ian Brossage

            [« Je ne sais pas… j’avoue que je trouve l’idée qu’on pourrait devenir plus passionné par son métier avec l’âge un peu étrange et plutôt contre-intuitive. » On peut être passionné par les éléments constitutifs du métier, tout en étant totalement rebuté par tel ou tel poste, telle ou telle organisation du travail…]

            Je comprends cette idée, mais je vous avoue que je l’ai trouvé toujours très étrangère à mon propre caractère. Bien sûr, il y a des conditions de travail plus ou moins difficiles, des chefs plus ou moins insupportables, des organisations plus ou moins efficaces. Mais si l’on aime un métier, qu’on est passionné par celui-ci, on le fait malgré tout ça. Pensez par exemple à l’enseignement : je veux bien qu’il soit difficile d’enseigner aujourd’hui, mais nos enseignants bénéficient des conditions de travail qui feraient rêver les enseignants de beaucoup de pays du monde. Et pourtant, vous trouvez des enseignants passionnés par leur métier qui enseignent dans des bâtiments branlants– ou même à l’air libre – à des classes autrement plus nombreuses.

            [Pour l’instant non. Et d’ailleurs, je suis un peu étonné : si on passe un concours avec succès, on n’atterrit pas forcément là où on voudrait, si ?]

            Ça dépend du concours – et souvent de votre classement. En général, le premier poste est choisi sur une liste de postes proposés en fonction de votre rang de classement. Mais la logique de la fonction publique est une logique de métier, et non de poste. En passant le concours, vous choisissez essentiellement un métier. Et une fois admis dans ce métier (qui définit votre corps), vous pouvez candidater aux postes qui se libèrent et qui sont ouverts aux membres de votre corps comme vous le feriez dans le privé.

            [(après, il y a la possibilité de se faire recruter comme contractuel, j’imagine)]

            Aussi. Mais vous n’avez pas les mêmes possibilités de mobilité.

  9. Geo dit :

    @Descartes
    L’idée de “classe intermédiaire” m’est venue en essayant de prendre en compte dans un cadre marxiste ce secteur de la société qui détient un capital suffisant – matériel mais aussi souvent inmatériel – pour échapper au rapport d’exploitation en négociant sa rémunération au delà de la valeur produite, mais pas suffisamment pour pouvoir exploiter lui-même la force de travail des autres.
    Dans ce cadre, le rapport du bobo à la nounou avec ou sans papier qui garde ses enfants est-il un rapport d’exploitation? Si oui, il faut admettre que les classes intermédiaires ont un accès minimal à celle-ci. Si non, comment qualifier ce rapport? Ce n’est pas une question rhétorique; votre idée de “classes intermédiaires” me semble à la fois répondre à un vrai besoin et être difficile à manier.
    Je n’ai pas écrit d’article théorique sur les “classes intermédiaires”, mais elles apparaissent souvent dans ce blog dans les débats avec les commentateurs.”
    Il y a donc là ce qu’on pourrait appeler un “besoin théorique”. Avez vous  quelques références de travaux qui vous satisfont sur le sujet, je veux dire par exemple qui préciseraient cet objet d’étude, même sous un autre nom ?

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Dans ce cadre, le rapport du bobo à la nounou avec ou sans papier qui garde ses enfants est-il un rapport d’exploitation? Si oui, il faut admettre que les classes intermédiaires ont un accès minimal à celle-ci. Si non, comment qualifier ce rapport? Ce n’est pas une question rhétorique; votre idée de “classes intermédiaires” me semble à la fois répondre à un vrai besoin et être difficile à manier.]

      Je ne dis pas le contraire. Quand je serais à la retraite, je prendrai peut-être le temps de faire un vrai travail de recherche sur la question. Pour le moment, cela reste un chantier inachevé.

      Quant à votre exemple… il n’y a pas que les bobos qui payent des services. Lorsque le prolétaire se fait livrer sa pizza ou emploie une baby sitter – car cela arrive aussi chez les prolétaires – devient-il un « exploiteur » ? Je pense qu’il ne faut pas faire de l’analyse macro avec des exemples micro. Bien entendu, au niveau micro vous aurez toute sorte d’exemples comme celui-ci. Mais lorsqu’on regarde la société globalement, il y en a qui cèdent globalement de la plusvalue – même si par la bande ils en récupèrent un petit peu – et il y en a qui l’empochent.

      [” Je n’ai pas écrit d’article théorique sur les “classes intermédiaires”, mais elles apparaissent souvent dans ce blog dans les débats avec les commentateurs.” Il y a donc là ce qu’on pourrait appeler un “besoin théorique”. Avez-vous quelques références de travaux qui vous satisfont sur le sujet, je veux dire par exemple qui préciseraient cet objet d’étude, même sous un autre nom ?]

      Qui me satisfont, pas vraiment. J’ai lu cet été « le ménage à trois de la lutte des classes » de Bruno Astarian et Robert Ferro. Les auteurs ont un peu le même objectif, mais construisent l’objet d’une façon différente : pour eux, les « classes intermédiaires » (qu’ils appellent « classes moyennes salariées ») se distinguent par le fait que la bourgeoisie leur rétrocède une partie de la plus-value extraite au prolétariat. Personnellement, cette approche ne me plait pas parce qu’elle repose sur un postulat machiavélique. Car on ne voit pas très bien quel est l’intérêt de la bourgeoisie dans l’affaire. Je sais que d’autres marxistes – dont un marxiste américain dont je ne me souviens pas maintenant du nom – ont eux aussi travaillé sur cette idée, mais je ne connais pas d’auteur qui fonde la position des « classes intermédiaires » sur la détention du « capital immatériel ». Peut-être est-ce une idée originale ?

      • Dell Conagher dit :

        Descartes :
        [Je sais que d’autres marxistes – dont un marxiste américain dont je ne me souviens pas maintenant du nom – ont eux aussi travaillé sur cette idée, mais je ne connais pas d’auteur qui fonde la position des « classes intermédiaires » sur la détention du « capital immatériel ». Peut-être est-ce une idée originale ?]
        Pensez-vous à James Burnham dans The managerial revolution ?

        • Descartes dit :

          @ Dell Conagher

          [Pensez-vous à James Burnham dans The managerial revolution ?]

          Pas du tout. Même si Burnham a eu une formation marxiste et fut trotskyste (et ami personnel de Leon Trotsky), il avait déjà rompu avec le marxisme lorsqu’il écrit “The managerial revolution”. L’approche de Burnham est d’ailleurs résolument machiavélienne, là où le marxisme rejette toute idée de machiavélisme dans les rapports de classe. Non, je pensais plutôt à des figures comme Erik Olin Wright.

  10. cd dit :

    Une fois de plus vous déversez votre bile sur Mélenchon. Il se plaint mais bien sûr ! A un âge où il pourrait profiter du temps libre de la retraite : en profiter par exemple pour gâter ses petits-enfants, il doit constamment faire du happening à l’Assemblée nationale.  Sans lui que ferions-nous ? Comme notre bon vieux Maréchal en 1940, il a choisi de faire don de sa personne à la France pour atténuer ses malheurs. J’admire un tel don de soi, franchement, Descartes, pourquoi pas vous ?

    • Descartes dit :

      @cd

      [Une fois de plus vous déversez votre bile sur Mélenchon.]

      Ce n’est pas ma faute si ni Olivier Faure ni Fabien Roussel ne prennent la peine d’écrire des saynètes…

      [Comme notre bon vieux Maréchal en 1940, il a choisi de faire don de sa personne à la France pour atténuer ses malheurs.]

      Mais au moins le maréchal, une fois qu’il a fait don de sa personne ne prétendait pas aux congés payés ! A cette époque, on savait ce que « faire don » veut dire.

      [J’admire un tel don de soi, franchement, Descartes, pourquoi pas vous ?]

      Parce que je suis un vieux con mal embouché. Ca ne se voit pas ?

  11. Bernard dit :

    La prémisse qui vous empêche de comprendre les changements chez tous ces gens, c’est celle où vous dites (croyez) que ces gens sont “passionnés” par ce qu’ils font … fatal error 404 … tous ces gens ne sont là que pour le fric et un max de fric pour un minimum de taf. Mini taf, maxi prix … le monde “moderne” quoi …

    • Descartes dit :

      @ Bernard

      [La prémisse qui vous empêche de comprendre les changements chez tous ces gens, c’est celle où vous dites (croyez) que ces gens sont “passionnés” par ce qu’ils font … fatal error 404 … tous ces gens ne sont là que pour le fric et un max de fric pour un minimum de taf. Mini taf, maxi prix … le monde “moderne” quoi …]

      Mais si ces gens sont là pour le fric… pourquoi diable restent-ils dans la sphère publique – qui paye mal – plutôt que d’aller chercher des postes dans le privé qui payent nettement mieux, et souvent en travaillant moins ? Je vous rappelle qu’on parlait ici de la haute fonction publique – ou assimilée.

      Je vous trouve bien sévère. J’ai toujours travaillé dans le public, et je retrouve toujours entière chez mes collègues cette passion. Vous me direz que je travaille dans un secteur particulier, le nucléaire, où l’esprit militant des « moines soldats » reste très vivant. Mais je vois chez d’autres hauts fonctionnaires avec qui je travaille – dans le corps préfectoral, par exemple – la même passion. C’est d’ailleurs idiot, quand la vie vous donne la possibilité de choisir votre métier, de ne pas en choisir un qui vous passionne et qui, en plus, paye raisonnablement.

      • BolchoKek dit :

        @ Descartes
         
        [C’est d’ailleurs idiot, quand la vie vous donne la possibilité de choisir votre métier, de ne pas en choisir un qui vous passionne et qui, en plus, paye raisonnablement.]
         
        Je te rejoins tout à fait sur ce que tu développes dans ce papier. Toutefois, il me semble important d’insister de quel genre de métier on parle pour éviter d’être mal compris : il s’agit évidemment de professions, de carrières, de métiers qualifiés ou spécialisés. Il y a une grande différence dans le rapport au travail entre une caissière et un médecin, entre un “boulot” et une profession à proprement parler – ou du moins, on est fondé à l’espérer. Personnellement, j’ai connu les deux types de situation, et je dois dire que c’est le jour et la nuit. Donc je comprends et je dirais même que j’ai de la sympathie pour les caissières qui tiennent à faire leur volume horaire et pas une minute de plus, alors que je comprends difficilement cette attitude chez des cadres.
        Pour continuer sur mon expérience personnelle, cette histoire de “concilier vie professionnelle et vie familiale”, je peux témoigner que les deux ont tendance à se mélanger depuis que j’ai un boulot que j’aime, et je m’en trouve globalement très heureux. Au lieu de “aller au charbon” et d’en rentrer éreinté, je trouve un sens et une certaine énergie mentale dans mon travail, alors que mon expérience dans l’emploi peu qualifié me laissait réellement drainé. Bien sûr, il y a des moments difficiles, mais globalement, j’apprécie bien plus mon temps libre en conséquence, je ne vois plus le travail comme une corvée. Il n’y a pas que le salaire à considérer dans les professions peu qualifiées, ou encore les conséquences sur la santé physique, mais aussi la santé mentale. Et bien que n’ayant pas (encore) d’enfants, j’imagine qu’un parent passant plus de temps au travail mais qui en sort épanoui aura une disposition mentale bien plus propice à être un bon parent par ailleurs qu’un prolo complètement drainé. Après, il y a peut-être des choses qui m’échappent, comme je dis, je ne suis pas parent, mais je me base sur mon expérience de SMICard, quand à la fin d’une journée, complètement exténué, je m’imaginais ce que devaient endurer mes collègues qui avaient des enfants à charge…

        • Descartes dit :

          @ BolchoKek

          [Je te rejoins tout à fait sur ce que tu développes dans ce papier. Toutefois, il me semble important d’insister de quel genre de métier on parle pour éviter d’être mal compris : il s’agit évidemment de professions, de carrières, de métiers qualifiés ou spécialisés.]

          Tout à fait. Toutes ces remarques tournent autour des métiers pour lesquels « noblesse oblige », ce qui suppose tout de même une certaine « noblesse ». Cela étant dit, cela ne suppose pas nécessairement une profession intellectuelle ou supérieure. Des métiers comme celui de pompier, d’électricien/gazier, d’infirmier, de postier, de cheminot ou de mineur avaient leur « noblesse » quand bien même ils n’étaient pas CSP+. Ces métiers ont en commun le fait d’avoir besoin d’un long apprentissage et d’un savoir-faire qui n’était pas celle de monsieur tout le monde.

          [Il y a une grande différence dans le rapport au travail entre une caissière et un médecin, entre un “boulot” et une profession à proprement parler – ou du moins, on est fondé à l’espérer. ]

          En fait, ce qui fait la différence, c’est surtout la question de la substituabilité. Plus vous êtes dans un domaine où une personne est facilement substituable, et plus le rapport au métier est alimentaire. Personne n’investit lourdement dans un métier où il peut être remplacé du jour au lendemain.

          [Donc je comprends et je dirais même que j’ai de la sympathie pour les caissières qui tiennent à faire leur volume horaire et pas une minute de plus, alors que je comprends difficilement cette attitude chez des cadres.]

          Tout à fait d’accord. Parce que les cadres ont le choix. Qu’une personne qui n’a pas le choix soit coincé dans un travail qui ne la passionne pas tout simplement parce qu’il la fait vivre, c’est triste. Mais qu’une personne qui a devant lui un large choix gâche cette opportunité, c’est une insulte faite aux dieux.

  12. Jacobin dit :

    Bonjour,
    Appartenant à un grand corps, je mesure le prestige qui y est associé. Malheureusement c’est désormais un cache-misère : la stagnation du point d’indice, et les politiques d’austérité, grèvent aussi les revenus des hauts fonctionnaires. D’où deux conséquences au minimum : 1. la fuite vers le privé ; 2. d’autres contreparties comme l’équilibre vie privée – vie professionnelle. Les salaires des fonctionnaires (tous confondus) sont désormais si bas qu’ils peinent désormais à se loger en région parisienne. Ainsi un bac+5 dans le public est payé comme un bac+2 dans le privé. Alors certes « noblesse oblige » mais de la même façon que ce n’est pas la science qui paie les chercheurs, ce n’est pas le prestige de la noblesse qui paie le loyer.

    • Descartes dit :

      @ Jacobin

      [Appartenant à un grand corps, je mesure le prestige qui y est associé.]

      Le prestige… et l’intérêt des postes et fonctions que vous pouvez occuper. Franchement, je donnerais la moitié de mon salaire pour pouvoir siéger au Conseil d’Etat ou pour une préfecture.

      Malheureusement c’est désormais un cache-misère : la stagnation du point d’indice, et les politiques d’austérité, grèvent aussi les revenus des hauts fonctionnaires.]

      Oui. Et alors ? Ces revenus restent largement suffisants pour vivre dignement et profiter des plaisirs de la vie. Si j’avais voulu gagner plus, j’aurais fait une carrière dans le privé. Et je n’ai même pas l’avantage d’appartenir à un « grand corps »…

      [D’où deux conséquences au minimum : 1. la fuite vers le privé ; 2. d’autres contreparties comme l’équilibre vie privée – vie professionnelle.]

      Je pense que la perte du prestige de la fonction et la destruction de l’Etat pèse bien plus lourd dans ces choix que la question de la rémunération. En tout cas, c’est ce que je peux observer. Personnellement, comme je l’ai dit plus haut, suis prêt à sacrifier la moitié de mon salaire pour accéder à certaines fonctions. Si le Vice-président du Conseil d’Etat ou le Directeur du corps préfectoral veulent me contacter, ils savent ou me trouver…

      [Les salaires des fonctionnaires (tous confondus) sont désormais si bas qu’ils peinent désormais à se loger en région parisienne.]

      Sur Paris, vous voulez dire. Parce que dès que vous vous éloignez, les loyers redeviennent raisonnables (et les logements sociaux plus faciles à trouver). Mais si ce problème est réel pour les fonctionnaires des grades inférieurs, c’est totalement faux pour les hauts fonctionnaires. Un administrateur civil en début de carrière gagne quelque 3500 € brut par mois. Autant qu’un ingénieur débutant dans le privé en moyenne… Et avec ce genre de salaire, on se loge fort correctement en région parisienne… et même à Paris intra-muros.

      [Ainsi un bac+5 dans le public est payé comme un bac+2 dans le privé.]

      N’exagérons rien. Un ingénieur débutant (bac+5) touche autant qu’un administrateur civil débutant (bac+5). Il est vrai qu’ensuite la progression salariale est beaucoup plus lente dans le public, surtout pour ceux qui accèdent à des responsabilités supérieures.

      [Alors certes « noblesse oblige » mais de la même façon que ce n’est pas la science qui paie les chercheurs, ce n’est pas le prestige de la noblesse qui paie le loyer.]

      On n’en est pas là ! Franchement, à vous lire on croirait que les hauts fonctionnaires en sont réduits à vendre leur corps pour vivre dignement…

  13. Sami dit :

    C’est l’éternel problème qui pose la question quasi insoluble : faut-il d’abord changer l’Homme pour ensuite, grâce à son nouvel esprit supérieur, à sa haute conscience politique, instaurer une société idéale (bien entendu “socialiste”, non mais ! 😀 ), ou au contraire, changer la société pour qu’elle crée les outils éducationnels décisifs, qui permettront d’engendrer l’Homme idéal…En attendant, on essaye d’équilibrer la chaloupe par-ci par-là. Oui, il faut rémunérer l’élu “convenablement”, d’abord et avant tout, pour éviter qu’il ne soit trop facilement corruptible (le corrupteur est toujours à l’affût, et ne renonce jamais). Ensuite, oui, parce que sa mission est fondamentale (rien de moins que le sort de la société) et que donc, pour l’assurer, l’élu doit convenablement disposer de moyens matériels et autres, adéquats etc. En retour, encore oui, l’élu est tout simplement astreint au DEVOIR et sans pleurnicherie, dans le cadre de la loi qui régit sa fonction (et même plus à mon avis), devoir qui implique un sacrifice de sa part quand la situation l’exige, autrement dit le don de soi à la société dont il a la charge. Une fois cela bien expliqué au candidat, rien ne l’oblige à se présenter devant les électeurs, ne l’oublions jamais !Mais voilà, la société étant loin (pas trop non plus ! il y a des progrès !) d’être idéale, telle la plus belle femme du monde qui ne peut donner que ce qu’elle a, produit des Hommes parfois très estimables, souvent médiocres, et parfois détestables… Mais tout de même, en ce qui concerne la France en tout cas, très lentement certes, les choses évoluent. Il suffit de comparer l’Assemblée nationale des précédentes Républiques à celle de la 5eme.Que faire sinon ?… en attendant d’atteindre un équilibre idéal, on fait avec ce qu’on a.On pourrait imaginer, suite à l’écrit de Mélenchon à ce sujet, un grand débat sur la question. Demander à Mélenchon d’aller au bout de sa logique, lui mettre sous le nez la contradiction… Ca serait passionnant. Faut pas trop rêver, avec la dégradation criante des médias en général (les médias étant l’arène idéale pour ce genre de débats). Et quand je dis “débats”, c’est vraiment “débats” : donc contradictoires (pour que surgisse la lumière qui éclairera ensuite le citoyen), et non pas comme trop souvent, quelques “gus” vociférant et d’accord entre eux.

    • Descartes dit :

      @ Sami

      [C’est l’éternel problème qui pose la question quasi insoluble : faut-il d’abord changer l’Homme pour ensuite, grâce à son nouvel esprit supérieur, à sa haute conscience politique, instaurer une société idéale (bien entendu “socialiste”, non mais ! 😀 ), ou au contraire, changer la société pour qu’elle crée les outils éducationnels décisifs, qui permettront d’engendrer l’Homme idéal…]

      Le matérialisme dialectique vous donne la réponse… ce sont les hommes qui font dialectiquement la société, et vice-versa.

      [En retour, encore oui, l’élu est tout simplement astreint au DEVOIR et sans pleurnicherie, dans le cadre de la loi qui régit sa fonction (et même plus à mon avis), devoir qui implique un sacrifice de sa part quand la situation l’exige, autrement dit le don de soi à la société dont il a la charge.]

      D’accord, avec une nuance : ce devoir devrait être considéré comme « naturel » sans que la « loi qui régit sa fonction » soit nécessaire. Siéger au Parlement est un privilège avant d’être une charge.

      [Mais voilà, la société étant loin (pas trop non plus ! il y a des progrès !) d’être idéale, telle la plus belle femme du monde qui ne peut donner que ce qu’elle a, produit des Hommes parfois très estimables, souvent médiocres, et parfois détestables…]

      J’ai quand même du mal à imaginer un parlementaire pleurnicher publiquement sur son sort de cette manière il y a vingt ou trente ans. Et Mélenchon est loin d’être le seul d’ailleurs – même s’il est un des rares qui ose l’écrire aussi explicitement. Je connais des cas de députés LREM qui ont déjà annoncé qu’ils ne se représenteraient pas parce que le métier de député ne leur laissait pas le temps de s’occuper de leurs familles ou tout simplement de leurs loisirs. Et je ne vous parle même pas de Michèle Rubirola quittant la mairie de Marseille en trahissant ses électeurs.

      [On pourrait imaginer, suite à l’écrit de Mélenchon à ce sujet, un grand débat sur la question. Demander à Mélenchon d’aller au bout de sa logique, lui mettre sous le nez la contradiction… Ca serait passionnant.]

      Ne rêvez pas… le Petit Timonier n’acceptera jamais un tel débat. Ce n’est pas demain qu’on le verra intervenir dans ce blog…

  14. Sami dit :

    Excellent résumé de la notion de “classes” du point de vue marxiste, avec donc cette nouvelle évolution du concept en rapport avec l’évolution même de la société et de l’économie mondiales. Emmanuel Todd, dans “Les luttes de classes en France au XXIe siècle”, propose un éclairage très pointu avec un tas de statistiques (faut aimer !). Je ne suis pas un expert en la matière, mais est-ce que ce qu’on appelle donc les classes intermédiaires, ne seraient pas un “écho” de la fameuse “petite bourgeoisie”, classe fluctuante, et pouvant faire basculer la lutte des classes d’un côté comme de l’autre, selon sa propre situation historique ?

    • Descartes dit :

      @ Sami

      [mais est-ce que ce qu’on appelle donc les classes intermédiaires, ne seraient pas un “écho” de la fameuse “petite bourgeoisie”, classe fluctuante, et pouvant faire basculer la lutte des classes d’un côté comme de l’autre, selon sa propre situation historique ?]

      Oui, en partie. Mais Marx ne constitue pas la “petite bourgeoisie” comme classe. C’est un groupe social hétérogène au pire, au mieux une fraction de la bourgeoisie.

  15. Claustaire dit :

     
    Cadeau pour les lecteurs alentours, un lien vers une analyse de K. Daoud, parlant plutôt de son pays, mais où, durant toute la première partie, on se demande s’il ne parle pas de nous et de nos concitoyens immatures, gilets-jaunes et autre antivax ou antisystème, toujours pleurnichant… cf. un post précédent de notre hôte.
     
    Attention, texte génial d’un écrivain francophone de haute volée :
    https://www.liberte-algerie.com/actualite/le-royaume-casse-de-lenfant-unique-363980

    • Descartes dit :

      @ Claustaire

      [Cadeau pour les lecteurs alentours, un lien vers une analyse de K. Daoud, parlant plutôt de son pays, mais où, durant toute la première partie, on se demande s’il ne parle pas de nous et de nos concitoyens immatures, gilets-jaunes et autre antivax ou antisystème, toujours pleurnichant… cf. un post précédent de notre hôte.]

      Franchement, en lisant K. Daoud on se demande surtout de quoi il parle…

  16. Louis dit :

    @Descartes
     
    Très bon papier, comme d’habitude. Je me permets de participer dans la mesure où je me demande si quelque chose que j’ai remarqué très vite au travail n’est pas lié. Vous me direz ce que vous en pensez. Élevé dans le culte des lettres, par un père qui avait suffisamment trimé à l’usine pour ne pas vouloir y voir ses enfants, je suis devenu professeur, comme tant de bons élèves. La vocation, la dette, le feu sacré, etc. Un peu naïvement (ou puérilement), j’espérais trouver chez mes collègues autant de professeurs qui me permettraient de parfaire mes connaissances, en côtoyant des hommes passionnés de science, de lettres, d’histoire, bref, de tout ce dont on peut rêver pour s’instruire un peu plus chaque jour.
    Eh ben mon neveu, j’ai vite compris qu’à moins de tomber sur des perles rares, je pouvais m’asseoir sur mon rêve de gosse. Non seulement, comme vous le signalez, la discussion typique en salle des professeurs tourne davantage autour des plaintes diverses, mais presque uniquement autour de cela. Mis à part des petits boulots dans ma jeunesse, je n’ai fréquenté que ce milieu professionnel. Du coup je n’ai que le monde de l’instruction publique en tête. Peut-être ai-je eu tort de croire que lorsqu’on aime son métier, on en parle. Que ceux qui pourraient me démentir ici le fasse, j’aimerais bien le savoir !
    Quoi qu’il en soit, je me demande si le fait de se plaindre n’est pas lié au fait de ne jamais parler de ce qui, a priori, doit passionner ceux qui ont choisi d’enseigner la biologie, la littérature, etc. Comme si le fait de ne plus arriver à parler de ce qui est bien ne laisser place qu’au fait d’évoquer ce qui va mal. Mais rendons honneur à qui l’honneur est dû : les exceptions ont pratiquement toujours été des professeurs de mathématiques ou de latin. Des collègues souvent jugés “perchés”, mais qui semblent en général embrasser leur carrière comme on revêt le sacerdoce, et qui n’hésitent pas à propager la bonne parole.

    • Descartes dit :

      @Louis

      [Un peu naïvement (ou puérilement), j’espérais trouver chez mes collègues autant de professeurs qui me permettraient de parfaire mes connaissances, en côtoyant des hommes passionnés de science, de lettres, d’histoire, bref, de tout ce dont on peut rêver pour s’instruire un peu plus chaque jour.
      Eh ben mon neveu, j’ai vite compris qu’à moins de tomber sur des perles rares, je pouvais m’asseoir sur mon rêve de gosse.]

      Et bien, ce que vous appelez votre « naïveté » est assez naturelle. D’après ce que vous dites, vous aviez des parents qui vous ont très naturellement conduit à surinvestir le monde adulte. J’étais un peu comme vous. Je suis entré dans le monde professionnel en m’imaginant côtoyer des êtres exceptionnels, passionnés, cultivés… et j’ai beaucoup déchanté. Mais on déchante parce qu’on demande au monde plus qu’il ne peut donner. Ces hommes passionnés existent, bien entendu. Mais ils sont une minorité – et par les temps qui courent, une minorité qui se cache pour avoir la paix. Il faut les rechercher, essayer de dialoguer avec eux, et éventuellement les prendre comme modèle.

      [Non seulement, comme vous le signalez, la discussion typique en salle des professeurs tourne davantage autour des plaintes diverses, mais presque uniquement autour de cela. Mis à part des petits boulots dans ma jeunesse, je n’ai fréquenté que ce milieu professionnel. Du coup je n’ai que le monde de l’instruction publique en tête. Peut-être ai-je eu tort de croire que lorsqu’on aime son métier, on en parle. Que ceux qui pourraient me démentir ici le fasse, j’aimerais bien le savoir !]

      Ce que vous évoquez, cela a toujours existé. Mais cela devient de plus en plus prononcé au fur et à mesure que la « banalisation » inhérente au capitalisme pousse tous les métiers à devenir des activités essentiellement alimentaires. On parle encore du métier dans les activités qui ne sont pas banalisées, ou le métier est une vocation.

      [Quoi qu’il en soit, je me demande si le fait de se plaindre n’est pas lié au fait de ne jamais parler de ce qui, a priori, doit passionner ceux qui ont choisi d’enseigner la biologie, la littérature, etc. Comme si le fait de ne plus arriver à parler de ce qui est bien ne laisser place qu’au fait d’évoquer ce qui va mal.]

      Je ne le crois pas. Je pense plus banalement que la logique capitaliste vide petit à petit les métiers de leur sens, pour en faire une activité purement alimentaire. Dans une logique capitaliste on ne choisit pas l’enseignement parce qu’on éprouve une passion pour le fait de transmettre une connaissance, pas plus qu’on ne choisit le métier d’avocat pour défendre l’opprimé ou celui de militaire pour défendre la patrie. On les choisit parce que c’est là que la paye est meilleure. Dans l’idéal libéral, vous devriez d’ailleurs changer de métier en fonction du signal-prix…

      [Mais rendons honneur à qui l’honneur est dû : les exceptions ont pratiquement toujours été des professeurs de mathématiques ou de latin. Des collègues souvent jugés “perchés”, mais qui semblent en général embrasser leur carrière comme on revêt le sacerdoce, et qui n’hésitent pas à propager la bonne parole.]

      Tout à fait. Parce que ce sont les disciplines qui nécessitent le plus fort investissement, et qu’on n’investit que si l’on croit à ce qu’on fait.

      • Louis dit :

        @Descartes
         

        Dans une logique capitaliste on ne choisit pas l’enseignement parce qu’on éprouve une passion pour le fait de transmettre une connaissance, pas plus qu’on ne choisit le métier d’avocat pour défendre l’opprimé ou celui de militaire pour défendre la patrie. On les choisit parce que c’est là que la paye est meilleure. Dans l’idéal libéral, vous devriez d’ailleurs changer de métier en fonction du signal-prix…

         
        Pardonnez-moi, mais j’ai du mal à suivre votre raisonnement. S’il est bien un reproche que l’on adresse souvent en salle de classe, c’est précisément à la paye ! Certes, notre traitement, qui n’est pas un salaire, nos vacances et la sûreté de notre emploi compensent à mon avis (pour ma part en tout cas) amplement ce que je touche sur mon compte en banque, et en bonne partie les humiliations qu’on subit à l’école. Il n’en reste pas moins que ce n’est donc pas seulement la paye qui compte, alors même que, justement, vous semblez en faire l’élément décisif qui pousse à devenir professeur, et ce que semble démentir ce que j’entends quotidiennement.

        • Descartes dit :

          @ Louis

          [Il n’en reste pas moins que ce n’est donc pas seulement la paye qui compte, alors même que, justement, vous semblez en faire l’élément décisif qui pousse à devenir professeur, et ce que semble démentir ce que j’entends quotidiennement.]

          Je me suis mal fait comprendre. Je n’ai pas dit que les enseignants choisissent aujourd’hui le métier exclusivement pour la paye (ou les avantages divers). Ce que j’ai dit, c’est que c’est là l’idéal dans une société capitaliste avancée, dans laquelle le « marché du travail » est un marché comme un autre, ou les gens vendent leur force de travail au plus offrant indépendamment de toute considération vocationnelle.

          Cette logique, même si elle n’est pas aujourd’hui totalement dominante, tend à le devenir de plus en plus. On voit bien qu’il y a de moins en moins de candidats aux concours d’enseignement, et c’est particulièrement vrai dans les disciplines scientifiques – qui sont celles où l’on peut trouver plus facilement des emplois mieux payés ailleurs. Ce qui tend à prouver que de plus en plus on choisit l’enseignement quand on n’a pas de meilleures possibilités économiques ailleurs…

          • Louis dit :

            @Descartes
             

            Ce qui tend à prouver que de plus en plus on choisit l’enseignement quand on n’a pas de meilleures possibilités économiques ailleurs…

             
            Là-dessus, je ne puis hélas que vous suivre. Un professeur à l’université nous disait d’un ton moqueur que nos études ne nous laissait le choix qu’entre le chômage et l’enseignement. En vérité, paraît-il, nous pouvions aussi rejoindre les ressources humaines. Ce que je n’ai jamais pu vérifier, puisque ça ne m’intéresse pas.
             
            De fait, sans vouloir joueur mon vieux con (je ne sais pas si je suis con, mais je ne suis pas vieux !), c’est quelque chose que j’ai entendu un certain nombre de fois : professeur par reconversion, chez de jeunes personnes. Je n’ai pas de problème avec la reconversion, bien au contraire, mais quand j’entends que c’est par dépit, faute d’avoir pu faire carrière dans le cirque, le théâtre, la broderie ou Dieu sait quoi encore ; et que l’enseignement apparaît comme un pis-aller…
             
            Ça me fait penser à ce que j’avais lu dans une histoire de l’enseignement. Au XVIIIe siècle, il était courant que dans les villages celui qui enseignait à lire et compter, quand ce n’était pas le curé, était un saisonnier qui faisait la soudure en allant vendre le peu qu’il savait. Ils étaient, paraît-il, plutôt méprisé, gagnant (forcément) moins que les enseignants du clergé, moins savant qu’eux, disposant d’un moindre prestige… Et c’est parmi eux que se recruteront bien des premiers professeurs du public, pour faire face au privé, quand l’État s’emparera de l’instruction ! En exagérant un peu, nous assistons en quelque sorte à une régression historique.

            • Descartes dit :

              @ Louis

              [De fait, sans vouloir joueur mon vieux con (je ne sais pas si je suis con, mais je ne suis pas vieux !), c’est quelque chose que j’ai entendu un certain nombre de fois : professeur par reconversion, chez de jeunes personnes. Je n’ai pas de problème avec la reconversion, bien au contraire, mais quand j’entends que c’est par dépit, faute d’avoir pu faire carrière dans le cirque, le théâtre, la broderie ou Dieu sait quoi encore ; et que l’enseignement apparaît comme un pis-aller…]

              Contrairement à vous, j’ai un problème avec l’idée même de « reconversion ». Qu’on change de métier, pourquoi pas. Mais le mot « reconversion » n’est pas neutre : c’est un mot qui vient d’abord du domaine du bâtiment. On « reconvertit » une construction pour en changer l’usage. L’idée qu’on puisse « changer l’usage » d’une personne me paraît profondément choquante. On peut former une personne à un nouveau métier, on ne la « reconvertit » pas.

              Qu’après avoir fait on ait envie d’enseigner, cela me paraît tout à fait normal et plutôt sain. Qu’on devienne enseignant parce qu’on n’est pas capable de faire, c’est déjà plus problématique. C’est d’autant plus problématique que l’intensité du travail de l’enseignant dépend beaucoup de sa propre motivation : l’enseignement, s’il est bien fait, nécessite beaucoup de travail. Mais si on le fait mal – ou même de façon médiocre – on peut s’en sortir avec un minimum d’effort. C’est donc une planque idéale…

              [Ça me fait penser à ce que j’avais lu dans une histoire de l’enseignement. Au XVIIIe siècle, il était courant que dans les villages celui qui enseignait à lire et compter, quand ce n’était pas le curé, était un saisonnier qui faisait la soudure en allant vendre le peu qu’il savait. Ils étaient, paraît-il, plutôt méprisé, gagnant (forcément) moins que les enseignants du clergé, moins savant qu’eux, disposant d’un moindre prestige…]

              Je ne sais pas si c’étaient des saisonniers. Mais effectivement, l’enseignant avait à l’époque un statut social particulièrement peu enviable. On le trouve souvent dans le théâtre populaire où l’on raille leur ignorance et leur pédanterie.

              [Et c’est parmi eux que se recruteront bien des premiers professeurs du public, pour faire face au privé, quand l’État s’emparera de l’instruction !]

              Là, par contre, je ne vous suis pas. Justement, lorsque l’Etat prend le contrôle de l’instruction, il rejette radicalement ce modèle. Les premiers professeurs de l’enseignement public seront formés expressément pour enseigner, et seront censés ne faire que ça.

              [En exagérant un peu, nous assistons en quelque sorte à une régression historique.]

              Non, je ne le crois pas. Nous assistons surtout à un approfondissement du capitalisme, et donc à la banalisation de tous les rapports – condition pour leur transformation en rapports d’argent. Ce n’est pas un retour en arrière, mais un pas en avant… même si c’est dans un précipice.

          • BolchoKek dit :

            @ Louis
             
            [Mis à part des petits boulots dans ma jeunesse, je n’ai fréquenté que ce milieu professionnel. Du coup je n’ai que le monde de l’instruction publique en tête.]
             
            Je pense qu’étant enseignant, en ayant ce genre de réflexion, vous démontrez une capacité d’auto-examen dont vous pouvez être fier. Concevoir les limites de notre propre point de vue demande une certaine capacité à l’introspection. Oui, le corps enseignant, composé de membres qui pour certains ne quittent jamais l’école de leur vie, peut avoir cet aspect monastique… Et qui malgré l’angle de vue particulièrement étroit que leur expérience personnelle leur apporte, ont assez souvent la conviction d’avoir une opinion très informée sur le reste de la société – c’est parfois énervant, parfois amusant. Bien entendu, je généralise peut-être un peu trop, mais je pense que vous comprenez.
             
             
            @ Descartes
            [Ce qui tend à prouver que de plus en plus on choisit l’enseignement quand on n’a pas de meilleures possibilités économiques ailleurs…]
             
            Comme on voit en médecine que les spécialités les plus prisées sont celles qui exercent le plus en libéral…

            • Louis dit :

              @Descartes
               
              Je prends bonne note de ce que vous avez dit sur la “reconversion”.
               

              Mais si on le fait mal – ou même de façon médiocre – on peut s’en sortir avec un minimum d’effort. C’est donc une planque idéale…
               

              Hélas ! Cela rejoint une question que je me pose souvent, lorsque j’essaye d’imaginer ce qu’il faudrait faire pour rebâtir l’école. Au-delà de telle ou telle idée, de tel ou tel principe, se pose la question du personnel. On ne fait de politique qu’avec ce qu’on a sous la main, et, pour le dire simplement : on ne gouverne pas l’armée rouge. Le personnel de l’éducation nationale est si nombreux que changer le personnel me paraît dérisoire, un peu comme Gouvion Saint-Cyr avait voulu licencier l’armée impériale, lors de la Restauration, pour en purger les éléments révolutionnaires… Quinze ans après, d’une manière ou d’une autre, la plupart des “purgés” avait été réintégrée, ou bien étaient soldés, demi-soldés ; bref, l’avait emporté sur la volonté du gouvernement qui comptait purement et simplement se passer des indésirables.
               
              Sans doute me diriez-vous que je pose le problème à l’envers : la raison pour laquelle tant de professeurs font a minima leur travail (le côté planque), ou le font mal (le côté libertaire) tient au rapport de force qui serait nécessairement autre, si l’on en venait à pouvoir réformer l’école comme il le faudrait ; si bien que ce qui me taraude serait vide de sens : le problème du personnel, incompétent ou récalcitrant, ne se pose qu’aussi longtemps que les conditions ne sont pas réunies pour réformer l’école. Aussi bien, la question se résoudrait d’elle-même si l’on en venait à réformer l’école, ce qui voudrait dire que les professeurs eux-mêmes auraient tout intérêt à cesser de nuire à leur propre institution.
               
              Seulement, je ne suis pas dans votre tête, et j’ignore si c’est bien ce que vous diriez. Je l’annonce, dans la mesure où ce raisonnement me gêne un peu, parce qu’il me paraît toujours un peu circulaire.
               

              Je ne sais pas si c’étaient des saisonniers.

               
              Pour une partie d’entre eux, je peux l’affirmer. Ce n’était pas les écolâtres laïcs des villes, mais les instituteurs itinérants des campagnes. Quelle proportion il représentait, je l’ignore tout à fait.
               

              Là, par contre, je ne vous suis pas. Justement, lorsque l’Etat prend le contrôle de l’instruction, il rejette radicalement ce modèle. Les premiers professeurs de l’enseignement public seront formés expressément pour enseigner, et seront censés ne faire que ça.

               
              C’est que je me suis fait mal comprendre. Je ne disais pas que l’État les avait pris pour modèle, mais qu’ils furent un vivier parmi lequel l’État put recruter ceux qu’il allait conformer au nouvel modèle qu’il proposait. C’est ce qui me faisait parler de régression, par image, seulement : ayant commencé par recruter des professeurs parmi des gens qui, avant de se mettre au service de l’État, n’enseignaient que pour arrondir leur fin de mois, on en arrive à devoir recruter des gens qui se mettent au service de l’État pour arrondir leur fin de mois.
               
              Ce qui n’ôte rien à ce que vous dites : une régression n’est jamais qu’une métaphore, puisqu’un effet contraire en histoire est rarement (s’il l’est jamais) le fruit d’une cause contraire, et plus souvent (sinon toujours) le fruit d’une cause nouvelle, comme vous l’avancez.
               
              @BolchoKek
              Merci pour vos compliments, même si je n’ai pas beaucoup de mérite : ayant voulu devenir professeur jeune, mes parents ont eu des années pour me mettre en garde, et puis, devenu professeur, j’avoue ne pas trop aimer ce milieu, si bien que je fréquente surtout des gens d’un autre métier, qui n’hésitent pas, bon gré mal gré eux, à me renvoyer l’image ordinaire du professeur aujourd’hui. Ça force à mieux se regarder dans la glace, quand l’image que nous renvoie les autres ne correspond pas à ce qu’on croit y voir.
               
              Pour la petite histoire, quand j’ai débuté, j’avais la vanité de croire qu’un professeur jouissait d’un certain prestige. Les années m’ont appris qu’il vaut mieux se faire discret : combien de regards dédaigneux essuyés quand je me présente d’emblée comme professeur… Et je ne peux pas donner tout à fait tort à mon plombier, mon beau-frère, ma coiffeuse ou qui sais-je encore, quand leurs enfants sont passés dans les ruines de l’école entre les mains de professeurs bouffis d’orgueil, qui manifestent quand ils veulent, assurent qu’ils n’ont rien à se reprocher, sans que jamais l’école s’améliore — ce que tout le monde constate assez bien, sauf eux.

            • Descartes dit :

              @ Louis

              [Hélas ! Cela rejoint une question que je me pose souvent, lorsque j’essaye d’imaginer ce qu’il faudrait faire pour rebâtir l’école. Au-delà de telle ou telle idée, de tel ou tel principe, se pose la question du personnel. On ne fait de politique qu’avec ce qu’on a sous la main, et, pour le dire simplement : on ne gouverne pas l’armée rouge.]

              Mais on la change. On ne peut pas, je suis d’accord, changer l’école par un diktat d’en haut. Cela ne veut pas dire que ce qu’on décide en haut n’a pas d’importance, mais les décisions d’en haut ne sont applicables que si elles répondent à une exigence de la société. J’aurais tendance à dire que finalement la société a l’école qu’elle veut : si les enseignants ressentaient de la part de la société – et notamment des classes dominantes – une exigence de rigueur, d’effort, de discipline, et que leur hiérarchie reprenait cette exigence, alors les enseignants eux-mêmes changeraient.

              C’est pourquoi il faut à mon avis voir les problèmes sociaux au-delà des individus. Si les enseignants de 1950 ne sont pas ceux de 2020, ce n’est pas seulement par défaillance personnelle, par manque de vocation ou par fainéantise. C’est aussi parce que la société n’exige pas la même chose d’eux, n’a pas la même image de ce que devrait être un « bon » enseignant. C’est pourquoi j’insiste autant sur la question de la « banalisation » : si le médecin ou le haut fonctionnaire s’éloignent de cette position de consécration absolue à leur métier pour assumer celle d’un cadre « conciliant vie personnelle et vie professionnelle », ce n’est pas par choix, mais parce que la société exerce une pression dans ce sens.

              [Sans doute me diriez-vous que je pose le problème à l’envers : la raison pour laquelle tant de professeurs font a minima leur travail (le côté planque), ou le font mal (le côté libertaire) tient au rapport de force qui serait nécessairement autre, si l’on en venait à pouvoir réformer l’école comme il le faudrait ; si bien que ce qui me taraude serait vide de sens : le problème du personnel, incompétent ou récalcitrant, ne se pose qu’aussi longtemps que les conditions ne sont pas réunies pour réformer l’école.]

              Oui. Mais le « rapport de force » auquel vous faites allusion, ce n’est pas seulement un rapport de force entre enseignants et hiérarchie, c’est surtout un rapport de forces entre enseignants et société. Pour le dire autrement, une réforme de l’école ne peut marcher que si la société la veut, mieux, si la société l’exige. Parce que l’école que nous avons fait exactement ce que le « bloc dominant » dans notre société lui demande. J’irai même plus : le fonctionnement de l’école est souvent une radiographie du fonctionnement de la société, des désirs et des peurs des classes dominantes. L’ecole de la IIIème République est l’école d’une société en expansion, qui nécessite former de nouvelles élites à tous les niveaux, et donc mettre en route l’ascenseur sociale. C’est aussi l’école d’un pays très divers qui veut « faire nation », et à ce titre doit « assimiler » ses différentes populations à un modèle unique. L’école d’aujourd’hui, c’est l’école d’un pays frileux et bloqué, qui tend à devenir une province européenne. Il s’agit de démonter sans le dire l’ascenseur social pour s’assurer que les classes intermédiaires puissent se reproduire sans concurrence, de ne pas s’opposer à une atomisation en « communautés » qui empêche toute action commune des exploités.

              Là, par contre, je ne vous suis pas. Justement, lorsque l’Etat prend le contrôle de l’instruction, il rejette radicalement ce modèle. Les premiers professeurs de l’enseignement public seront formés expressément pour enseigner, et seront censés ne faire que ça.

  17. Geo dit :

    Je pense plus banalement que la logique capitaliste vide petit à petit les métiers de leur sens, pour en faire une activité purement alimentaire.”
    Ou plutôt purement lucrative: la passion de l’argent est recommandée et même sainte.
    Mais une partie au moins de la gauche a accompagnée la banalisation des métiers au nom de la libération vis à vis du travail qui semblait le meilleur avenir envisageable pour répondre à l’automatisation galopante destructrice des emplois. La banalisation trouvait sa réponse (ambigüe, tentative pour répliquer en suivant) dans la réduction du temps de travail. André Gorz, par exemple, espérait que cette banalisation, “trivialisation” dans son vocabulaire, s’étendrait aux tâches de direction avec le développement de l’informatique et permettrait de les démocratiser. (Or Gorz avait du poids à gauche, en particulier du fait d’avoir été un des premiers théoriciens en France à prendre au sérieux la notion d’écologie politique.)
    Trivialisation du travail et réduction de sa durée ne formaient rien de moins qu’un nouvel horizon révolutionnaire.
    (Je suis de ceux qui ont considéré l’idée sérieusement et ont déchanté.)
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Mais une partie au moins de la gauche a accompagné la banalisation des métiers au nom de la libération vis à vis du travail qui semblait le meilleur avenir envisageable pour répondre à l’automatisation galopante destructrice des emplois. La banalisation trouvait sa réponse (ambigüe, tentative pour répliquer en suivant) dans la réduction du temps de travail.]

      Oui et non. Il ne faut pas oublier que beaucoup de métiers manuels ont été « banalisés » dès le début de la révolution industrielle. La banalisation des métiers « supérieurs » (médecin, ingénieur, haut fonctionnaire, professeur) et relativement récente. C’est pourquoi il ne faut pas tomber dans le pièce qui consiste à voir la réduction du travail comme un phénomène unique quelque soit le métier. Pour celui qui travaille à la chaine dans un poste déjà « banalisé », la réduction du temps de travail n’a pas le même sens que pour le médecin, le professeur ou le chef d’orchestre.

  18. BolchoKek dit :

    @ Descartes
     
    Je pense que tu apprécieras (et les lecteurs anglophones aussi) le dernier article de Thomas Frank, dont les écrits ont déjà circulé ici :
     
    https://mondediplo.com/2021/08/06usa
     
    Outre le sujet précis qu’il commente, il est encore une fois d’une précision chirurgicale lorsqu’il s’agit de décortiquer ce que tu appelles les “classes intermédiaires” et leur rôle politique…

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Je pense que tu apprécieras (et les lecteurs anglophones aussi) le dernier article de Thomas Frank, dont les écrits ont déjà circulé ici :]

      Jusqu’à un certain point. Je trouve son observation sur “l’hystérie” très pertinente. Mais pourquoi avoir donné deux exemples plus ou moins obscurs, et ne pas avoir abordé celui qui illustre peut-être le mieux le mécanisme, celui du maccarthysme ? Peut-être parce qu’il perturbe sa démonstration ? En tout cas, c’est un article très intéressant. Mais un peu trop dans le ton pleurinchard caractéristique du monde diplo…

      • Louis dit :

        @BolchoKek et Descartes
         
        Au sujet du maccarthysme, je ne peux que vous recommander, si vous ne l’avez pas lu, le très bon livre de Hofstadter, Le Style paranoïaque. D’une manière générale, j’ai trouvé ce livre assez juste, tant au sujet du maccarthysme en particulier, qu’au sujet du “complotisme” en général. C’est d’ailleurs ce que le sous-titre de l’éditeur français a mis en exergue, alors même que ce n’était pas le but de Hofstadter ; mais la manière sobre et claire dont il tâche d’ancrer cette affaire dans la longue histoire américaine, donne des idées assez générales pour qu’on puisse les étendre au-delà du champ qu’il étudie.

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