La gauche, parti des travailleurs ?

La gauche est au bord de la crise de nerfs. Comme dans un film d’Almodovar, la moindre étincelle peut provoquer une explosion. L’ennui est que ces explosions restent verbales. Quelques dizaines de tweets vengeurs, quelques numéros de vierge offensée à la télévision, et puis on passe à autre chose… jusqu’à la prochaine crise. Ces affrontements aboutissent rarement à un débat de fond, à une remise en question. Au mieux, on obtient une rétractation, un « on a mal interprété mes paroles », un « je n’ai jamais voulu dire que ».

Exemple, la sortie de Fabien Roussel à la fête de l’Humanité. Je rapporte la citation originale, parce que les mots ont leur importance : « La gauche doit défendre le travail et le salaire et ne pas être la gauche des allocations, minima sociaux et revenus de substitution ». On notera la prudence de la déclaration. Il ne s’agit pas d’opposer les titulaires d’allocation aux travailleurs, mais d’opposer deux « gauches », l’une qui se concentrerait sur la défense du travail et du salaire, l’autre dont le combat serait centré sur les allocations et autres revenus de substitution. Autrement dit, Roussel n’oppose pas deux catégories de Français, il oppose deux catégories de militants politiques « de gauche ».

La meilleure preuve que cette « gauche des allocations » existe bien est la réaction quasi unanime de la NUPES à cette déclaration, réaction comparable à celle d’un chat dont on a marché sur la queue. Il serait amusant mais certainement ennuyeux de lister ici ces réactions. La plupart de leurs auteurs ont entendu ce qu’ils voulaient entendre, quitte à déformer la formule originale. Olivier Faure, dans sa réponse, prend la défense de ceux qui touchent des allocations (« Les gens qui cherchent à utiliser les mécanismes de solidarité collectives sont minoritaires et celles et ceux qui fraudent le plus ne sont pas ceux qui touchent le RSA ou le chômage ») alors qu’ils ne sont nullement attaqués. François Ruffin se sent obligé d’écrire que « opposer « la France qui bosse » à « la France des allocs », ce n’est pas le combat de la gauche, ce ne sont pas mes mots », alors que personne n’a, je le répète, opposé une « France » à une autre, mais bien une « gauche » à une autre, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Sandrine Rousseau, devenue l’idéologue publique de la gauche radicale – ce qui vous donne une idée de l’état intellectuel de la gauche en question – décrète sur ce ton professoral n’admettant aucune contradiction qui la caractérise que « la valeur travail est une valeur de droite » – étiquette qui, dans la mentalité « gauche radicale », la disqualifie définitivement et sans qu’il soit besoin de l’examiner plus loin – et que « On a un droit à la paresse, on a un droit à la transition des métiers, on a le droit aussi de faire des pauses dans sa vie ».

Ce que cette éruption démontre, c’est qu’il y a une ligne de partage dans la gauche qui ne s’efface pas, et dont le déterminant est le rapport au travail. C’est celle qui divise la gauche sociale de la gauche sociétale, celle qui porte les intérêts des couches populaires et celle qui se consacre plutôt aux intérêts des classes intermédiaires. Et il est important de comprendre le pourquoi et comment de cette division.

Commençons par la « valeur travail ». Avant d’être une « valeur », le travail est une nécessité. Et c’est une nécessité parce que l’immense majorité des êtres humains vit entourée par une nature qui, n’en déplaise aux romantiques, n’est guère généreuse et souvent hostile. Les fruits et les poulets rôtis ne tombent pas des arbres dans notre assiette, le toit qui nous protège des intempéries et le feu qui nous réchauffe ne se construisent et ne s’alimentent pas tous seuls. Nos ancêtres ont bien compris que s’ils voulaient se nourrir, se protéger du froid et des bêtes sauvages, et bien, il fallait bosser. C’est le travail qui nous a permis de nous nourrir, de nous protéger, et puis, le temps aidant, de jouir de toutes sortes de biens qui non seulement nous rendent la vie plus agréable, mais nous permettent de moins travailler et donc d’avoir plus de temps pour penser, pour imaginer, pour créer. Car l’histoire humaine, c’est l’histoire d’une bestiole qui a appris à libérer du temps en augmentant sa productivité. Les chasseurs-cueilleurs passent le plus clair de leur temps à chercher la nourriture tous les jours de leur vie, et malgré cette masse de travail fourni ont une vie misérable. Nous, hommes modernes, travaillons moins de 10% du temps que nous passons sur cette terre… avec une qualité de vie incomparablement meilleure !

Oui, il faut du temps et de l’effort pour arracher à mère nature – qui plus qu’une mère aurait plutôt le caractère d’une marâtre de conte de fées – de quoi subsister, de quoi nous épanouir. C’est ce temps d’effort obligatoire qui définit le travail. Et on comprend donc bien qu’il n’y a pour un être humain que deux moyens de se procurer les biens nécessaires à sa vie et survie : soit de travailler pour les produire, soit prélever sur le produit du travail des autres.

Que deviendrait une société qui n’invoquerait pas le travail comme valeur sociale, qui aurait autant de considération pour le travailleur productif que pour l’oisif parasitaire, pour celui qui produit la valeur qu’il consomme que pour celui qui la consomme sans la produire ? Un tel système de valeurs ne peut conduire qu’à une société où tout le monde consomme et personne ne travaille. Ce n’est pas là une organisation sociale réaliste. C’est pourquoi le travail n’est pas une valeur « de gauche » ou « de droite », mais une valeur anthropologique des sociétés humaines, tout simplement parce la valorisation du travail est la condition nécessaire de leur existence, de la même manière que le travail est la condition nécessaire de la survie des individus.

L’oisiveté, la paresse ne peuvent être les valeurs de l’ensemble de la société. Elles peuvent être – et l’ont été historiquement – les valeurs pour un groupe social déterminé, un groupe privilégié dont le caractère dominant lui permet de prélever de la valeur sur le travail des autres. A l’inverse, la « valeur travail » est souvent revendiquée par les classes exploitées, celles sur qui la valeur est prélevée, parce qu’elle souligne l’injustice qui leur est faite. Paul écrit, à une période où l’église chrétienne était celle des opprimés, que « si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (deuxième épitre aux Thessaloniciens 3 :10), et que les révoltes des « travailleurs » contre les « oisifs » sont chose courante dans l’histoire, révolte toujours légitimée par le fait que c’est le travail qui nourrit les hommes, qui est seule source de valeur.

Cela ne conduit pas bien entendu à refuser l’idée même d’allocation. Pour reprendre la formule paulienne, il ne s’agit pas de priver de nourriture ceux qui ne travaillent pas, mais bien ceux qui ne veulent pas travailler. La nuance est tout à fait essentielle. Toutes les sociétés admettent plus ou moins le besoin d’assurer un revenu suffisant à ceux qui veulent travailler et ne le peuvent pas ou plus, soit parce qu’un handicap, une maladie ou l’âge les en empêchent, soit parce que l’état de l’économie ne leur permet pas de trouver un emploi. Mais en aucun cas un allocataire n’est, au plan symbolique, l’égal d’un travailleur. Le travailleur vit de son travail, l’allocataire vit du travail des autres (1). C’est pour cela que le travailleur a une légitimité politique que l’allocataire ne peut avoir.

On comprend bien mieux à cette lumière pourquoi une gauche dominée par les classes intermédiaires tire à boulets rouges sur la « valeur travail ». Parce que la « valeur travail » est l’outil de légitimation politique de la classe ouvrière, cette classe avec laquelle les classes intermédiaires ont rompu et dont elles ne veulent pas entendre parler. C’est pourquoi dans le discours de la gauche le « pauvre » a remplacé progressivement le « travailleur ». L’avantage étant que contrairement au travailleur, qui a une légitimité politique et donc une voix propre, le « pauvre » ne plaide que par l’intermédiaire de ses avocats… c’est-à-dire, des classes intermédiaires qui ont toute liberté pour plaquer sur lui leurs propres revendications. Et cela a eu une traduction au plan de la tactique politique : depuis quarante ans, la gauche a compensé ses pertes dans le monde du travail en se constituant une « clientèle » par la distribution d’allocations de toutes sortes.  Ce sont ces clientèles qui votent à gauche de peur de perdre ces bénéfices. Or, c’est à ce type de clientélisme que Roussel s’attaque lorsqu’il écrit que « La France pour laquelle je me bats, c’est une France du travail dans laquelle nous arrivons à éradiquer le chômage. Cela veut dire que nous avons tellement de défis à relever, d’emplois à pourvoir, que, dans ma France, il n’y a plus d’allocation-chômage. C’est de ces allocations-là que je parle. Il n’y a plus de RSA, plus de revenu de substitution qui permettent de nourrir le chômage. Je veux nourrir le travail ». Parce que si demain « il n’y a plus de RSA », il n’y aura pas non plus de gens qui voteront pour cette gauche de peur de perdre le RSA.

Certains ont le culot d’invoquer le nom de Marx pour placer à droite la « valeur travail ». Mais Marx n’a jamais dit pareille chose. Marx critique le travail aliéné, c’est-à-dire, le fait de travailler pour un patron qui prélève une partie de la valeur produite sans avoir contribué à la produire. Car Marx, n’en déplaise à certains de ses prétendus disciples, était d’abord un matérialiste, ce qu’ils ne sont pas. C’est d’ailleurs lui qui expliquait que l’homme n’arrive au royaume de la liberté qu’en passant par le royaume de la nécessité. C’est ce qu’oublient ceux qui invoquent un « droit à la paresse ». Bien sur, on a le « droit » de s’arrêter de travailler quand on veut. Ce qu’on n’a pas, c’est le droit à s’arrêter tout en continuant à être payé. Une nuance que certains semblent avoir du mal à comprendre…

Sandrine Rousseau, avec son « droit à la paresse », est un peu Marie-Antoinette avec son « qu’ils mangent de la brioche ». Appartenant à une classe qui a tout, Rousseau invoque le « droit » de ne pas travailler – droit qui n’a comme contrepartie aucun devoir, même pas celui de réduire sa consommation. Alors qu’à l’autre bout de l’échelle, des gens condamnés à la paresse forcée clament au contraire à cor et à cri leur désir de travailler…

Descartes

(1) Je parle ici bien entendu des allocations non-assurantielles. Pour les allocations assurancielles, c’est un peu différent : tout le monde cotise pour couvrir un risque qui ne se réalisera que dans un nombre limité de cas. Celui qui est désigné par le hasard souffre du risque et bénéficie de l’assurance. Il n’y a donc pas véritablement de « prélèvement », mais plutôt une mutualisation.

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51 réponses à La gauche, parti des travailleurs ?

  1. marc.malesherbes dit :

     
    La valeur du travail d’un salarié est maintenant contestée si l’objet du travail n’est pas socialement utile, thême qui n’était guère abordé dans mes jeunes années.
     
    La notion d’un travail « utile socialement » me paraît difficile à définir précisément, mais c’est certainement une voie de progrès. Je ne sais quelle est la position des diverses gauches sur cette question.
    Avez-vous (ou quelqu ‘un a-t-il) des informations sur ce sujet ?Merci

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [La valeur du travail d’un salarié est maintenant contestée si l’objet du travail n’est pas socialement utile, thème qui n’était guère abordé dans mes jeunes années. La notion d’un travail « utile socialement » me paraît difficile à définir précisément, mais c’est certainement une voie de progrès.]

      Vous savez, quand un concept est « difficile à définir », c’est généralement parce qu’il n’a pas un sens précis. Le problème, c’est qu’il n’existe aucun critère qui permette d’évaluer « l’utilité sociale » d’une activité donnée. Certains vous diront que le simple fait qu’un salarié soit payé montre que son travail est « utile » à celui qui le paye – sans quoi il faudrait se demander pour quelle raison il continue à le payer. Par exemple, le travail du créateur de robes haute couture est certainement « utile » à la riche cliente qui achète la robe. Mais est-il « socialement utile » ? Je vous laisse répondre, puisque c’est vous qui avez introduit la notion…

      [Je ne sais quelle est la position des diverses gauches sur cette question.]

      La gauche marxiste est utilitariste : un travail est « utile » dès lors qu’il est payé, et tout ce qui est produit est « utile » parce que si personne n’était prêt à l’acheter il ne serait pas produit. Les autres gauches se laissent souvent séduire par l’argumentaire sur les « bulshit jobs » et l’idée qu’on pourrait récupérer une masse considérable de travail en se contentant des « travaux utiles »… mais j’avoue ue je n’ai pas approfondi la question.

  2. Thathane dit :

    Il est cependant certain que l’amélioration considérable des forces productives de ce dernier siècle pausera un sérieux problème de répartition du travail à une société socialisée. Dans celle-ci la production se réorganise autour du seul temps de travail nécessaire pour assurer modernité et confort en ménageant le risque climatique. Or à quoi doit-on s’attendre si l’on supprime “bullshit jobs” et autres emplois de classe moyenne dépendant de l’organisation actuelle du travail ? 2, 3h de travail journalier sur le modèle de nos ancêtre du paléolithique ? Que faire du temps libéré ? Comment la société donnera t-elle un sens à ce temps en dehors de la production ?

    • Descartes dit :

      @ Thathane

      [Il est cependant certain que l’amélioration considérable des forces productives de ce dernier siècle pausera un sérieux problème de répartition du travail à une société socialisée. Dans celle-ci la production se réorganise autour du seul temps de travail nécessaire pour assurer modernité et confort en ménageant le risque climatique. Or à quoi doit-on s’attendre si l’on supprime “bullshit jobs” et autres emplois de classe moyenne dépendant de l’organisation actuelle du travail ?]

      D’abord, raisonnons macro : si en faisant travailler tout le monde trois heures par jour l’humanité peut s’offrir un niveau de vie confortable et agréable… et bien, il suffira de travailler tous trois heures par jour, et puis c’est tout. Dans le capitalisme, c’est bien entendu impossible : pour que l’actionnaire puisse vivre très bien sans travailler, il faut que l’ouvrier travaille huit heures par jour pour un salaire qui lui permet de vivoter. Mais c’est là un problème de répartition du gâteau, et non de taille de celui-ci.

      La difficulté, c’est que la productivité n’est pas aussi élevée que le croient les gauchistes. Nous ne pouvons pas nous offrir le niveau de vie que nous voulons pour seulement trois heures par jour. Les riches sont certes très riches, mais ils sont aussi très peu nombreux. La répartition égalitaire de la richesse permettrait d’améliorer le niveau de vie des plus modestes, mais la masse de travail nécessaire pour assurer à tous une vie confortable reste quand même trop importante pour qu’on puisse passer à une « civilisation du loisir » pour tous. Après, on peut discuter d’une réduction massive du niveau de vie matériel… mais cela est une autre histoire.

      Un mot sur les « bullshit jobs ». C’est un mot à la mode, mais il faut toujours chercher à décoder ce qui se cache derrière les modes. Si quelqu’un paye un travail, sauf à considérer que c’est un idiot, c’est que le produit de ce travail a un sens, une utilité pour lui. Autrement dit, un travail peut paraître inutile pour celui qui le FAIT, mais pas pour celui qui le PAYE. Dans ce débat, ce qui se joue est la capacité des classes dominantes à donner un sens à cette domination. Pendant des décennies, le discours était celui du travail « socialement utile » : le travail de l’ouvrier des mines ou des chemins de fer enrichissait certes son patron, mais rendait un service à l’ensemble de la société. Cette « utilité sociale » apparaît de moins en moins avec la financiarisation croissante de l’économie, qui fait paraître d’une manière beaucoup plus crue le fait que la seule motivation de l’entreprise est gagner de l’argent pour l’actionnaire. D’ailleurs, le capitalisme n’a aucune raison de se cacher, puisqu’il n’y a pas d’alternative à l’horizon…

      [2, 3h de travail journalier sur le modèle de nos ancêtres du paléolithique ? Que faire du temps libéré ? Comment la société donnera-t-elle un sens à ce temps en dehors de la production ?]

      Je crois que vous sous-estimez le temps de travail de nos « ancêtres du paléolithique ». Il faut beaucoup, beaucoup de temps pour trouver assez de racines et chasser assez d’animaux pour garnir la table – en pierre, s’entend – de la famille. L’homme paléolithique passait une grande partie de son temps d’éveil à chercher désespérément de la nourriture…

      Mais supposons que nous arrivions un jour à une société où trois heures par jour suffiront à satisfaire nos besoins et nos envies matérielles. Et bien, le reste du temps… on créera, on réfléchira, on se fera plaisir. Vous savez, on est passé en deux siècles d’une journée de 16 heures six jours par semaine à une journée de 8 heures sur cinq jours, plus les congés payés. Est-ce que les intéressés ont eu des difficultés à « donner un sens » au temps gagné ?

      • Thathane dit :

        [Mais c’est là un problème de répartition du gâteau, et non de taille de celui-ci.]

        Nous sommes bien d’accord sur cette histoire de répartition du gâteau. Mais ne sous-estimez pas le désir humain, tant qu’il y’aura des Hommes, il y’aura la volonté de nier et dépasser sa condition. Et donc de faire croître un gâteau dont le productivisme aveugle n’est pas le seul horizon des possibles.

        [La difficulté, c’est que la productivité n’est pas aussi élevée que le croient les gauchistes.]

        Et pourtant les possibilité d’organiser la production et d’optimiser la consommation semblent immenses. Pensez au gaspillage de ressources et de marchandises causé par la nécessité capitaliste de compenser la diabolique baisse tendancielle du taux de profit et ainsi préserver le rendement du capital. Ces champs de voiture à transformer en transports mutualisés – et dont l’usage massif est par ailleurs lié à l’organisation capitaliste du territoire (centralisation de l’activité dans les villes). 1/3 de la nourriture jetée au niveau mondial. Une gabegie d’énergie fossile  et d’éolien bétonné quand le nucléaire de 4e génération et la fission nous tendent les bras. Des habitudes de consommation libidinale, ludique, marginale causée par la nécessité d’ouvrir de nouveaux marchés du désir aux rendements capitalistes. Et une consommation de masse largement conditionnée par le mal-être de sociétés occidentales en crise. Des emplois de management, de communication, de formation, de service aux entreprises, etc. complètement dépendants de l’organisation de la production que nous connaissons.

        [Je crois que vous sous-estimez le temps de travail de nos « ancêtres du paléolithique ». ]

        C’est un malheureux biais marxiste. J’admets que le mythe du communisme primitif et des 3h de travail hebdomadaire sont battus en brèche avec les derniers développements de la recherche.  http://www.lahuttedesclasses.net/2013/10/note-de-lecture-age-de-pierre-age_26.htmlhttp://www.lahuttedesclasses.net/2014/10/les-femmes-etaient-elles-exploitees-par.html

        [Mais supposons que nous arrivions un jour à une société où trois heures par jour suffiront à satisfaire nos besoins et nos envies matérielles. Et bien, le reste du temps… on créera, on réfléchira, on se fera plaisir. Vous savez, on est passé en deux siècles d’une journée de 16 heures six jours par semaine à une journée de 8 heures sur cinq jours, plus les congés payés. Est-ce que les intéressés ont eu des difficultés à « donner un sens » au temps gagné ?]

        Je pense vous sous-estimez le mal-être d’une société capitaliste passée de la nécessité au loisir. Nous sommes ce que nous faisons, à ce titre la participation au collectif, et donc à la production est une nécessité pour l’équilibre psychologique de l’individu. Aussi le temps libre capitaliste arraché à un travail aliénant (j’exclue les professions libérales qui pérorent sur la “valeur travail” depuis une position privilégiée) est pour partie lui aussi aliéné dans une consommation libidinale, ludique, marginale, thérapeutique, individualisée angoissée. La réduction du temps de travail est nécessaire mais pas suffisante à l’émancipation humaine.

        • Descartes dit :

          @ Thathane

          [Nous sommes bien d’accord sur cette histoire de répartition du gâteau. Mais ne sous-estimez pas le désir humain, tant qu’il y’aura des Hommes, il y’aura la volonté de nier et dépasser sa condition. Et donc de faire croître un gâteau dont le productivisme aveugle n’est pas le seul horizon des possibles.]

          Je suis d’accord sur le fait que l’homme cherche toujours à dépasser sa condition. Si cette impulsion n’était pas écrite dans nos gènes, nous ne serions pas là où nous sommes arrivés. Mais ce qui est plus discutable, c’est l’idée qu’on « dépasse sa condition » purement en accumulant des biens matériels. C’est vrai dans la société capitaliste ou nous sommes, mais est-ce inévitable ? Je n’en suis pas persuadé.

          [Et pourtant les possibilités d’organiser la production et d’optimiser la consommation semblent immenses.]

          Immenses peut-être. Mais suffisantes pour donner à TOUS les hommes un niveau de vie convenable tout en travaillant moins ? Je n’en suis pas persuadé. Un jour peut-être, quand nous aurons conçu des robots capables de se réparer eux-mêmes…

          [Ces champs de voiture à transformer en transports mutualisés – et dont l’usage massif est par ailleurs lié à l’organisation capitaliste du territoire (centralisation de l’activité dans les villes).]

          Mais comment faire pour que ces « transports mutualisés » offrent le même service que la voiture individuelle ? Et quel serait le coût d’un tel système de transport ?

          [« Je crois que vous sous-estimez le temps de travail de nos « ancêtres du paléolithique ». » C’est un malheureux biais marxiste. J’admets que le mythe du communisme primitif et des 3h de travail hebdomadaire sont battus en brèche avec les derniers développements de la recherche. ]

          Je ne me souviens pas que Marx et ses amis aient jamais fait du « communisme primitif » un système de cocagne…

          [Je pense vous sous-estimez le mal-être d’une société capitaliste passée de la nécessité au loisir. Nous sommes ce que nous faisons, à ce titre la participation au collectif, et donc à la production est une nécessité pour l’équilibre psychologique de l’individu.]

          Je suis tout à fait d’accord, vous les savez bien, je suis un défenseur de la « valeur travail ». Mais si nous sommes ce que nous faisons, le fait que nous le faisions à titre obligatoire ou volontaire ne change rien, au contraire. Le temps libéré par la productivité peut très bien être utilisé dans des activités au bénéfice de la collectivité.

          [Aussi le temps libre capitaliste arraché à un travail aliénant (j’exclue les professions libérales qui pérorent sur la “valeur travail” depuis une position privilégiée) est pour partie lui aussi aliéné dans une consommation libidinale, ludique, marginale, thérapeutique, individualisée angoissée. La réduction du temps de travail est nécessaire mais pas suffisante à l’émancipation humaine.]

          Je suis d’accord. Tant que nous vivons dans une société qui réoriente le temps regagné vers la consommation, il n’y a pas d’émancipation. Je pense que les militants de l’éducation populaire, ceux qui ont fait la politique culturelle des municipalités communistes, avaient eu la bonne intuition. Plus la journée de travail se réduit, et plus il faut encourager les activités sociales.

  3. Baruch dit :

    Il me semble que la “valeur-travail” est une  locution qui a été utilisée dans le vocabulaire marxiste (je ne pense pas que Marx ou Engels l’aient prononcée)  pour s’opposer à la “loi de l’offre et de la demande” mise en avant par les économistes politiques antérieurs.Il y a eu une utilisation journalistique et propagandiste dans les années Sarkozy de ce   terme liée au slogan “travailler plus pour gagner plus”, slogan qui servait à masquer (et à surtout ne pas parler de)  l’appropriation d’une partie de la valeur produite par le travail humain par le Capital, mais aussi par toute cette frange que vous appelez “classes intermédiaires”.D’une locution un peu “valise” (qui permettait de résumer rapidement une opposition comprise à l’intérieur des discussions entre marxistes et non entre gens de “gauche), donc d’une locution qui n’est pas et n’a jamais été un concept, on a fait une sorte de “marque” ‘à tous les sens modernes du terme) de reconnaissance entre ceux qui sont “gagnants-gagnants” et les”sans-dents”.La politique qui en découle devant être une politique du “prendre soin” du “care” de la bienveillance et non une politique de l’émancipation et de la LUTTE de classes. A la manière des démocraties chrétiennes.
    Roussel à bien raison de dire cela il marque une différence fondamentale de “place” entre les communistes et le reste de la gauche.Mais à mon avis il a juste désigné, pas expliqué,éclairé, d’autant qu’à l’intérieur du PCF (je n’y suis plus) le débat ne cesse pas mais reste feutré ou plutôt ambigu.Les petites phrases de Roussel sont des piques, des éveils mais je crains qu’il ne puisse aller plus loin et cela finit en discussions stériles en jeux de malentendus verbeux avec le “sociétal” porté par un féminisme et un “verdisme” nunuches et agressifs.Relisons les débuts du Capital et aussi l’éthique à Nicomaque d’Aristote ( Eth V-8)sur l’origine du travail (cela nous rajeunira) on verra le sens  à donner à “valeur -travail”.

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [Il me semble que la “valeur-travail” est une locution qui a été utilisée dans le vocabulaire marxiste (je ne pense pas que Marx ou Engels l’aient prononcée) pour s’opposer à la “loi de l’offre et de la demande” mise en avant par les économistes politiques antérieurs.]

      En fait, la « théorie de la valeur travail » qui fait du travail la seule source de valeur d’usage est une théorie partagée par l’ensemble des économistes de l’école classique (à laquelle Marx est rattaché). Sa formulation la plus précise est due à David Ricardo. Sur ce point, Marx n’a fait que reprendre un élément d’une théorie plus ancienne.

      Mais dans cette discussion la locution n’est pas utilisée dans le sens économique, mais au sens des « valeurs » morales. Les deux concepts n’ont donc aucun rapport entre eux.

      [Roussel à bien raison de dire cela il marque une différence fondamentale de “place” entre les communistes et le reste de la gauche. Mais à mon avis il a juste désigné, pas expliqué, éclairé, d’autant qu’à l’intérieur du PCF (je n’y suis plus) le débat ne cesse pas mais reste feutré ou plutôt ambigu.]

      Tout à fait. Et cette ambiguïté traduit les tensions liées à la composition de classe du PCF lui-même, dont l’appareil est dominé par les classes intermédiaires mais qui conserve un fond de militants, de traditions, de références prolétariennes, et dont la spécificité tient à cela. Car si le PCF devenait un parti gauchiste « comme les autres », en quoi son existence autonome se justifie ?

      [Les petites phrases de Roussel sont des piques, des éveils mais je crains qu’il ne puisse aller plus loin et cela finit en discussions stériles en jeux de malentendus verbeux avec le “sociétal” porté par un féminisme et un “verdisme” nunuches et agressifs.]

      C’est très possible. Mais il a au moins le mérite d’essayer de lancer ces débats et, dans l’ambiance d’aujourd’hui, ce n’est pas un mince mérite…

  4. Baruch dit :

    Je me suis mal exprimée dans mon message précédent : quand je dis :”Il me semble que la “valeur-travail” est une  locution qui a été utilisée dans le vocabulaire marxiste (je ne pense pas que Marx ou Engels l’aient prononcée)  pour s’opposer à la “loi de l’offre et de la demande” mise en avant par les économistes politiques antérieurs.” Je veux dire que pour Marx la valeur des choses utiles à la vie des hommes provient du TRAVAIL humain avant de provenir du marché et de l’échange.Car les objets produits ont à la fois une valeur d’usage et une valeur d’échange, et c’est le “jeu” entre ces deux aspects de la valeur qui permet l’appropriation par une ou des classes d’une partie de la valeur produite par les travailleurs.

  5. Geo dit :

    @Descartes
    La gauche marxiste est utilitariste : un travail est « utile » dès lors qu’il est payé, et tout ce qui est produit est « utile » parce que si personne n’était prêt à l’acheter il ne serait pas produit.”
    Ainsi un tueur à gages est utile puisqu’il est payé. C’est bien sûr caricatural, mais permet de montrer qu’il y a une question du sens du travail, sens criminel dans ce cas.
    (Le sens d’un travail peut être repoussant où discutable sans être criminel, c’est ainsi que si je suis un athée convaincu et militant, je peux avoir malaise à participer à l’entretien d’une église même si je suis bien payé.)

    • Descartes dit :

      @ Geo

      [Ainsi un tueur à gages est utile puisqu’il est payé. C’est bien sûr caricatural, mais permet de montrer qu’il y a une question du sens du travail, sens criminel dans ce cas.]

      Pas du tout. Le tueur à gages est certainement “utile” à celui qui le paye. Pensez à un ouvrier qui fabrique des pistolets automatiques. Son travail est-il “socialement utile” ? Imaginez maintenant que ce soit lui qui fabrique le pistolet utilisé par votre tueur à gages… son travail est-il toujours utile ? Et celui qui fabrique la voiture que le tueur à gages pour aller sur le lieu de son forfait ? Et le paysan qui produit le steak que le tueur mangera, et qui lui donnera l’énergie pour accomplir sa besogne ? Tous ces biens produits contribuent à permettre au tueur à gages d’accomplir sa besogne. Si celle-ci n’est pas “utile”, alors cette “inutilité” s’étend à la production de tous ces biens…

      Si on applique votre raisonnement, vous ne pouvez pas savoir si une activité productive est ou non “utile socialement” si vous ne savez pas à quoi le bien produit sera utilisé… ce qui semble particulièrement difficile à déterminer. A mon sens, cela retire tout intérêt au concept.

  6. Baruch dit :

    La question de l'”utilité du travail” était une question très débattue juste avant la guerre de 1914 dans le mouvement ouvrier.Entre socialistes et anarchistes,et comme je n’arrive pas à utiliser mon scanner je vous recopie un passage des “Cloches de Bâle” de L. Aragon il fait parler en forçant un peu le trait,  un anarchiste (qui a existé) au pseudonyme de Libertad.On y trouve des échos des discussions ici entreprises.L’exemple modèle (l’idéal type ???!) de l’inutile n’était pas le “tueur à gages” mais le “contrôleur du métro” (repensons à la chanson !)”Toute la force et la rage de Libertad égalant le bourgeois et l’ouvrier, se tournait en réalité contre celui-ci; Il lui en voulait avec une violence imprécatoire de ne pas faire immédiatement la révolution. Les malheureux contrôleurs de métro! A eux, il en avait tout spécialement. Il pouvait parler une heure sur ce sujet. Il refaisait  en parlant le geste de la main qui serre la machine perce-ticket, Il préconisait comme remède là tous les mots sociaux la grève des gestes inutiles: “le contrôleur des finances et celui des chemins de fer, le bourreau et le fonctionnaire de la banque, le tisseur de chasubles et de rubans de la légion d’honneur, le correcteur et l’imprimeur du Code, de l’Evangile, le chercheur d’or et de diamants peuvent disparaître écrasés par le tourbillon du progrès, sans que je fasse un mouvement pour empêcher rien!” “De là sa haine de la CGT. Comment cette association ouvrière organisait pour mieux vivre dans la société actuelle, les travailleurs de toutes le professions! Mais elle ne songeait donc pas à détruire les professions nuisibles, les métiers inutiles , Qu’avaient donc besoin l’ouvrier de peindre des réclames, des enseignes, de fabriquer des compteurs à gaz, d’estamper des billets de banque? Il se rendait complice de la Compagnie du gaz, de l’Etat prédateur, du commerçant voleur. Et la C.G.T. prétendait défendre les revendications de ces gens là! mais il valait mieux qu’ils crèvent de faim, qu’ils meurent, qu’il n’y ait plus un peintre d’enseignes, etc…Dire qu’il y a des gens qui fabriquent des cartes de visite!C’était là ce qu’il appelait le travail anti-social, cette conception l’amenait à lutter autant contre les syndicats, le parti socialiste que contre le militarisme, par exemple.”…Bien entendu ce n’est que mutans-mutandis que ces paroles volontairement provocatrices sur la plume d’Aragon en 1934, font écho à la situation actuelle autour du “sens” et de l’utilité du travail. Qu’est ce qu’on défend quand on défend son travail ? car “défendre son travail” c’est qu’on lui donne un sens , car “son” travail n’a de sens que dans un ensemble total celui de la “société tout entière” et même n’a de valeur (marchande)  que dans le rapport à la société “tout entière”, si je travaille dans la “communication” le sens et la valeur de mon travail (combien me rapporte-t-il, mais aussi qu’elle utilité a t-il, qu’elle signification a-t-il pour moi et pour les autres, qu’elle société produit-il, quelle idéologie est sous-jacente dans ce que je fais ? C’est une question à la fois personnelle, mais aussi politique celle de la “société, de la cité, tout entière”.

    • Descartes dit :

      @ Baruch

      [La question de l’”utilité du travail” était une question très débattue juste avant la guerre de 1914 dans le mouvement ouvrier.]

      C’était surtout une pomme de discorde entre matérialistes marxiens et idéalistes de différentes obédiences, notamment anarchistes.

      [L’exemple modèle (l’idéal type ???!) de l’inutile n’était pas le “tueur à gages” mais le “contrôleur du métro” (repensons à la chanson !)]

      L’exemple est intéressant. Qu’est ce que c’est que le « contrôleur du métro » ? Sa fonction n’est pas de produire directement de la valeur, mais de veilleur à ce que cette dernière soit correctement repartie. En effet, que se passe-t-il s’il n’y a pas de contrôleur ? Une partie des voyageurs payera son ticket, une autre voyagera gratuitement. Et rien ne garantit que la répartition des coûts à laquelle on aboutit sera plus « juste » que celle où tout le monde paye la même chose : rien n’assure que ceux qui paieront leur voyage seront ceux qui ont plus de moyens ou que ceux qui resquillent seront les plus pauvres. Maintenant, qu’est-ce que la présence du contrôleur change ? Eh bien, tout le monde ou presque paye son ticket. On peut même moduler le prix des tickets pour aider certaines catégories aux dépens des autres, et ce transfert n’est possible que grâce au contrôleur… et vous me direz que son travail est « inutile » ?

      Les anarchistes ont toujours eu une certaine tendresse pour les resquilleurs. Mais cette tendresse tient à une incompréhension : ils s’imaginent que le resquilleur vole le patron du chemin de fer. Alors qu’en fait, il vole les autres voyageurs puisque le patron transférera sur le prix des billets le manque à gagner. La réponse classique à cette objection est « si tout le monde resquillait, le problème ne se poserait pas ». Et c’est vrai : si tout le monde resquillait… il n’y aurait pas de chemin de fer !

      [Bien entendu ce n’est que mutatis-mutandis que ces paroles volontairement provocatrices sur la plume d’Aragon en 1934, font écho à la situation actuelle autour du “sens” et de l’utilité du travail.]

      Je crois qu’il faut séparer le débat sur « l’utilité » et celui sur le « sens ». Même si pour certains individus leur travail trouve son « sens » dans son « utilité », il s’agit de deux concepts très différents dans leur statut même. Ainsi, le « sens » d’une activité est quelque chose de foncièrement subjectif, alors que « l’utilité » a une prétention à l’objectivité.

      Le texte d’Aragon – magnifique, comme toujours – est d’une totale actualité parce qu’il met en scène un gauchisme qui, finalement, n’a guère changé. Quand Libertad reproche aux prolétaires de « ne pas faire la révolution » tout de suite, quand il dirige sa détestation plus sur la CGT, coupable de défendre des métiers inutiles (et donc la société qui les crée) il n’est pas très loin de Cohn-Bendit – du jeune con qu’il était en 1968, pas du vieux con qu’il est devenu plus tard, comme disait Aragon.

      [Qu’est-ce qu’on défend quand on défend son travail ? car “défendre son travail” c’est qu’on lui donne un sens,]

      Il y a une ambiguïté dans votre question. Quand vous parlez de « défendre son travail », s’agit-il de défendre son poste de travail ? Lorsque je défends mon poste de travail, le « sens » est très clair : c’est ce poste qui me fait vivre. Mais je ne peux croire qu’en parlant de « sens » vous fassiez référence à cette question bassement matérielle…

      Quel sens donnez-vous donc à « défendre son travail » ? S’agit-il du fait de valoriser son metier, sa profession ?

      [car “son” travail n’a de sens que dans un ensemble total celui de la “société tout entière” et même n’a de valeur (marchande) que dans le rapport à la société “tout entière”, si je travaille dans la “communication” le sens et la valeur de mon travail (combien me rapporte-t-il, mais aussi qu’elle utilité a t-il, qu’elle signification a-t-il pour moi et pour les autres, qu’elle société produit-il, quelle idéologie est sous-jacente dans ce que je fais ? C’est une question à la fois personnelle, mais aussi politique celle de la “société, de la cité, tout entière”.]

      Il ne faut pas confondre « sens » et « valorisation ». Le « sens » que je peux donner à mon travail est essentiellement subjectif et personnel. Par contre, la « valeur » que ceux qui m’entourent accordent à mon activité est une question purement sociale.

  7. cdg dit :

    J avoue que j a ete tres surpris de la sortie de Roussel (bien que liberal, ca m a presque donné envie de voter pour lui 😉 ).
     Sa sortie ne cadre pas du tout avec l orientation Nupes/Melanchon qui vise l electeur des cités en plus des bobos.
    Sur le plan purement electoral, je dois helas reconnaitre que Melanchon a raison (c est pas le premier, terra nova il y a pres de 30 ans expliquait deja que le PS devait avoir un positionnement pro palestinien et laisser tomber israel car il y a plus d electeurs d origine arabe que juifs).
    On est arrivé au paradoxe que la gauche francaise ne recueille quasiment plus de voix de proletaires (au sens marxiste du terme), ceux ci etant passé au RN/abstention.
    Est il possible de renverser la vapeur ?
    Je n en sais rien. Ca dependra aussi des bourdes du RN. Est ce que les partis “de gauche” le veulent ? rien n est moins sur.
    Il est probablement electoralement plus remunerateur de labourer un terrain ou il y a peu de concurrence et en expension forte (natalité+immigration/naturalisation) plutot que se battre sur un terrain ou votre credibilité est nulle et en diminution numerique (desindustrialisation et declin demographique)
     
    PS:
    -le mouvement de bascule n est pas que francais. Il a eut lieu en suede la semaine derniere et probablement en Italie aujourd hui
    – vous surestimez probablement le temps de travail des chasseurs/cueilleurs préhistorique (https://www.lhistoire.fr/chasseurs-cueilleurs-l%E2%80%99%C3%A2ge-d%E2%80%99or-perdu%C2%A0). Avec une population faible, il devait etre possible de vivre sans beaucoup travailler/chasser

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [J’avoue que j’ai été très surpris de la sortie de Roussel (bien que libéral, ça m’a presque donné envie de voter pour lui 😉 ).]

      La surprise ne peut être que relative. La sortie de Roussel n’est qu’un retour aux sources : il ne fait que reprendre ce que fut la position constante du PCF de la Libération jusqu’aux années 1990. Cette position ne peut surprendre que ceux qui pensent que la transformation du PCF en parti de la gauche bienpensante est irréversible. Roussel est en train de montrer que ce n’est pas forcément le cas.

      [Sa sortie ne cadre pas du tout avec l’orientation Nupes/Mélenchon qui vise l’électeur des cités en plus des bobos. Sur le plan purement électoral, je dois hélas reconnaitre que Mélenchon a raison]

      Je ne suis pas persuadé. Avec cette politique, la gauche risque de s’enfoncer dans la problématique des électorats incompatibles. Pour simplifier le problème, dans le paysage fragmenté qui est le notre il est impossible d’arrivera au pouvoir en s’appuyant sur un seul groupe social. La victoire est donc conditionnée à votre capacité de réunir des électorats divers sur votre nom. Or, pour pouvoir les réunir, il vous fait que ces électorats soient « compatibles ». Ainsi, par exemple, Macron s’est appuyé sur un électorat de classes moyennes vaguement socio-démocrates et « en même temps » sur un électorat venu de la bourgeoisie financière. Et cela a été possible parce que le discours qui permet de séduire l’un de ces électorats ne repousse pas l’autre.

      La difficulté de l’orientation NUPES/Mélenchon, c’est que l’électorat que si « l’électorat des cités » et les bobos son compatibles, ces deux groupes à eux seuls ne suffisent pas… et que tous les autres sont incompatibles. Chaque fois que vous marchez avec les Frères Musulmans, vous perdez des électeurs ailleurs, et chaque fois que vous essayez de draguer l’électorat populaire sur la thématique de la sécurité, vous perdrez des « électeurs des cités ». En se concentrant sur cet électorat, la NUPES s’enferme dans un « plafond de verre » qu’il lui sera très difficile de dépasser.

      [On est arrivé au paradoxe que la gauche française ne recueille quasiment plus de voix de prolétaires (au sens marxiste du terme), ceux-ci étant passé au RN/abstention. Est-il possible de renverser la vapeur ? Je n’en sais rien.]

      Avant de se demander si on peut renverser la vapeur, on peut déjà essayer de lister les conditions pour que la vapeur se renverse. Pour moi, cela passe par la capacité du prolétariat de récupérer un protagonisme politique, ce qui suppose un renversement du rapport de forces économique. Tant que la politique du pays sera conditionnée par la possibilité du capital de migrer sous d’autres cieux cherchant une fiscalité plus clémente et des salaires plus bas, les prolétaires n’auront rien à attendre de l’engagement politique, et ils s’en désintéresseront, que ce soit par l’abstention ou le vote protestataire. Et tant que le rapport de forces sera ultra-défavorable aux couches populaires, les classes intermédiaires resteront fermes dans leur alliance avec la bourgeoisie.

      La question n’est pas donc tant de choix tactiques que du rapport de forces économique et social.

      [– vous surestimez probablement le temps de travail des chasseurs/cueilleurs préhistorique (…). Avec une population faible, il devait etre possible de vivre sans beaucoup travailler/chasser]

      Je n’ai pas pu lire l’article que vous donnez en référence, puisqu’il est réservé aux abonnés. Mais dans les premiers paragraphes je vois une référence à Marshall Sahlins, anthropologue dans la veine soixante-huitarde qui, pour schématiser, aboutit à la conclusion que les sociétés de chasseurs/cueilleurs étaient des « sociétés d’abondance » grâce à une pirouette sémantique. Pour lui l’abondance ne se définit pas par la quantité objective de biens disponibles, mais par le rapport entre ce que vous avez et ce que vous désirez. Autrement dit, dans une société où l’on trouve normal d’avoir faim, on peut être affamé et vivre dans l’abondance…

      Il est vrai que les chasseurs/cueilleurs ne travaillaient pas autant que l’homme moderne. Mais il faut tenir compte du fait que le temps de repos nécessaire pour reconstituer leur force de travail était bien plus long que le nôtre. Un organisme malade et affaibli par toutes sortes de parasites ne se repose pas de la même manière qu’un organisme sain. On ne dort pas de la même façon dans une hutte entourée de bêtes sauvages qui peuvent vous attaquer à tout moment et dans une maison en brique qu’aucune bête sauvage ne peut pénétrer. Autrement dit, une fois exclu le travail et le temps pour reconstituer la force de travail, il ne restait plus grande chose.

      Il est d’ailleurs notable de voir que Sahlins a popularisé cette d’idée d’un âge de pierre “abondant” à un moment où la critique idéaliste de la modernité battait son plein, et que naissaient des mouvements politiques prônant un retour aux structures économiques de l’âge de pierre…

      • Louis dit :

        Si vous me permettez, au sujet de la préhistoire : d’abord, la critique épistémologique de Descartes est quasiment devenue un pont-aux-ânes dans la littérature scientifique. Je lis peu de livres qui ne commence par battre en brèche cette vision utopiste.
         
        Ensuite, n’étant pas historien, j’aurais bien du mal à me prononcer sur une période couvrant tant de millénaires (!) comme s’ils étaient d’un seul bloc.
         
        Enfin, le hasard fait que je lis en ce moment un livre sur le mésolithique, et que je peux du coup rapporter ce qu’on ydit. On constate que les pierres sont tout d’abord globalement moins bien taillées et de moindre qualité. À certains égards, il semblerait qu’au sortir du paléolithique, les groupes ont disposé de moins de bons tailleurs, ou de moins de temps pour les former, ou de moins de temps pour bien travailler. Considérant que les groupes semblent bien plus réduits qu’à la fin de la période précédente, ce n’est pas étonnant, et l’on peut sans doute étendre les effets de cette “pénurie” à d’autres secteurs. Cela se comprend d’autant mieux qu’on estime que le gibier disponible dans un territoire donné, à cause du réchauffement climatique, ne représente plus qu’un tiers de ce dont disposait les chasseurs du paléolithique. En résumé : moins à manger, moins de travailleurs, et – considérant que les choses s’améliorent au fil du mésolithique – *beaucoup* plus de travail par tête de pipe pour compenser.
         
        Si jamais, je lis l’Europe préhistorique, dirigée par Cunliffe, un auteur que je ne peux que vivement recommander aux plus curieux.

        • Descartes dit :

          @ Louis

          [Si vous me permettez, au sujet de la préhistoire : d’abord, la critique épistémologique de Descartes est quasiment devenue un pont-aux-ânes dans la littérature scientifique. Je lis peu de livres qui ne commence par battre en brèche cette vision utopiste.]

          Je n’ai pas compris le sens de cette remarque. Pourriez-vous élaborer ?

          [Ensuite, n’étant pas historien, j’aurais bien du mal à me prononcer sur une période couvrant tant de millénaires (!) comme s’ils étaient d’un seul bloc.]

          Pour cette période, être « historien » ne vous aiderait pas… 😉
          En fait, si la période couvre « tant de millénaires », c’est aussi une période pendant laquelle les changements sont très lents. Sans la considérer « comme un bloc », il y a certaines constantes qui ne changent pas vraiment au cours d’une période donnée.

          [Enfin, le hasard fait que je lis en ce moment un livre sur le mésolithique, et que je peux du coup rapporter ce qu’on y dit. On constate que les pierres sont tout d’abord globalement moins bien taillées et de moindre qualité. À certains égards, il semblerait qu’au sortir du paléolithique, les groupes ont disposé de moins de bons tailleurs, ou de moins de temps pour les former, ou de moins de temps pour bien travailler.]

          Ou bien donnaient à la qualité de la taille moins d’importance. Comparez la façade des bâtiments d’aujourd’hui avec celles de la période haussmannienne. La taille est certainement moins riche et de moindre qualité. Et ce n’est pas parce qu’il y aurait moins de moyens à consacrer à la taille… Le problème du préhistorien, c’est qu’il ne peut que faire des hypothèses et ensuite chercher à les confirmer à partir des traces laissées par nos ancêtres. Mais si ces traces permettent savoir jusqu’à un point ce qu’ils mangeaient, ce qu’ils chassaient, ce qu’ils bâtissaient, il est beaucoup plus difficile d’en déduire ce qu’ils pensaient.

          • Louis dit :

            Je voulais dire que votre argument est partagé par beaucoup de oréhistoriens, au point que j’ai déjà dû le lire une demi-douzaine de fois. Vous savez, il est d’usage dans les synthèses de faire un état de l’art, et un point d’épistémologie, avant d’exposer les résultats de la recherche. Eh bien, j’y lis souvent votre critique.
             
            Ensuite, accorde-moi, s’il vous plaît d’eloloyer libéralement le terme d’historien. 😉 Certes, ils ne disposent pas de documents, comme les historiens ordinaires, mais ils cherchent au fond la même chose : à raconter l’histoire de leur objet d’étude.
             
            Par ailleurs, vos contre-arguments sont justes. À vrai dire, c’est moi qui affirme, quand ceux qui écrivent ce que je lis sont bien entendu beaucoup plus prudents. Du reste, faute de temps, je n’ai pas exposé tous les arguments que j’ai pu lire. À l’occasion, si vous le voulez et si j’en ai le temps, je pourrais le faire.
             
            Concédez-moi du moins qu’un changement si net dans le comportement, lors d’un changement si net de la situation matérielle, permet de supposer un changement de mentalité. Puisque l’objet de notre discussion était l’abondance – objective ou subjective -, il me semblait que de pareils changements rendaient moins probable l’idée qu’en toutes circonstances, nos ancêtres “de l’âge de pierre” aient vécu un “âge d’abondance”, à moins de supposer qu’ils se soient toujours contenté sans broncher de s’adapter aux circonstances, d’autant plus, comme je le soulignais, que les conditions de vie au début du mésolithique étaient probablement plus rudes qu’autrefois.

            • Descartes dit :

              @Louis

              [Ensuite, accorde-moi, s’il vous plaît d’employer libéralement le terme d’historien. 😉 Certes, ils ne disposent pas de documents, comme les historiens ordinaires, mais ils cherchent au fond la même chose : à raconter l’histoire de leur objet d’étude.]

              Derrière ma plaisanterie il y avait un point sérieux : la différence entre l’histoire et la préhistoire, c’est que dans le premier cas nous disposons de documents, dont d’éléments qui nous permettent d’accéder non seulement aux actes de nos ancêtres mais aussi à leurs motivations. Alors que pour ce qui concerne la préhistoire, nous pouvons à la rigueur savoir ce que nos ancêtres ont fait, mais nous n’avons aucun élément qui nous éclaire sur leurs intentions. Nous constatons qu’ils ont érigé les menhirs de Carnac ou le cercle de Stonehenge, mais nous ne savons rien des raisons qui les ont poussé à le faire, alors que nous savons dans quel but le Panthéon à Rome ou le Parthénon ont été bâtis.

              [Concédez-moi du moins qu’un changement si net dans le comportement, lors d’un changement si net de la situation matérielle, permet de supposer un changement de mentalité.]

              Si l’on est marxiste, c’est une conclusion obligée puisque pour un marxiste les mentalités sont déterminées par les conditions matérielles…

      • P2R dit :

        @ Descartes et cdg
         
        (((Il est d’ailleurs notable de voir que Sahlins a popularisé cette d’idée d’un âge de pierre “abondant” à un moment où la critique idéaliste de la modernité battait son plein, et que naissaient des mouvements politiques prônant un retour aux structures économiques de l’âge de pierre…)))
         
        Dans le même registre, dans le torchon SAPIENS, Hariri nous explique que les tribus primitives auto-régulaient leur population, de manière à rester dans une situation d’abondance, et que cette situation d’abondance a pris fin avec la sédentarisation et l’avènement de l’agriculture du fait de l’explosion démographique qui s’en est suivie… Evidemment, personne n’est dans la tête d’un homme de cro-magnon, mais il est quand même permis de supposer que le manque de nourriture est un motif plus plausible que la préservation de la situation d’abondance pour zigouiller le dernier né (puisque c’est de cela que l’on parle quand on parle de réguler la population de la tribu), et que nos ancêtres se sont reproduits plus largement dès lors qu’ils ont eu accès à une plus grande sécurité alimentaire…
         
        De par la grande latitude d’hypothèses que permet la paléo-anthropologie, cette discipline a été une cible de choix pour les activistes universitaires de tous poils. On a aussi eu la théorie de la femme-égale-de-l’homme-à-la-chasse-au-mammouth.. C’est vrai quoi, on laissait surement la moitié de l’espèce la plus costaude à la grotte à jouer avec les enfants tandis que les femmes allaient gâcher leur lait en se faisant piétiner par toutes sortes de bestioles…
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [Dans le même registre, dans le torchon SAPIENS, Hariri nous explique que les tribus primitives auto-régulaient leur population, de manière à rester dans une situation d’abondance, et que cette situation d’abondance a pris fin avec la sédentarisation et l’avènement de l’agriculture du fait de l’explosion démographique qui s’en est suivie…]

          Je n’ai pas lu le torchon en question, alors je ne peux commenter. Cela paraît peu vraisemblable, du moins si l’on considère le mot « régulation » dans le sens téléologique. Accessoirement, on voit mal en quoi la sédentarisation leur aurait empêché de continuer à réguler la population, s’ils avaient conscience de l’intérêt à le faire…

          [Evidemment, personne n’est dans la tête d’un homme de cro-magnon, mais il est quand même permis de supposer que le manque de nourriture est un motif plus plausible que la préservation de la situation d’abondance pour zigouiller le dernier né (puisque c’est de cela que l’on parle quand on parle de réguler la population de la tribu), et que nos ancêtres se sont reproduits plus largement dès lors qu’ils ont eu accès à une plus grande sécurité alimentaire…]

          Surtout que cela correspond à ce qu’on peut constater par le biais de l’anthropologie.

          [De par la grande latitude d’hypothèses que permet la paléo-anthropologie, cette discipline a été une cible de choix pour les activistes universitaires de tous poils. On a aussi eu la théorie de la femme-égale-de-l’homme-à-la-chasse-au-mammouth… C’est vrai quoi, on laissait surement la moitié de l’espèce la plus costaude à la grotte à jouer avec les enfants tandis que les femmes allaient gâcher leur lait en se faisant piétiner par toutes sortes de bestioles…]

          Il est vrai que l’absence de documents permet toutes sortes de spéculations. L’anthropologie, avec toutes ses limitations, permet d’exclure certaines de ces hypothèses. Les anthropologues ont étudie nombre de tribus et groupes de chasseurs-cueilleurs (en Amazonie, en Afrique). Aucun à ma connaissance n’envoie les femmes chasser et gardent les hommes à la maison. Par contre, on trouve des groupes où la transmission est matrilinéaire, alors que chez les sédentaires elle est presque toujours patrilinéaire…

      • cdg dit :

        [La difficulté de l’orientation NUPES/Mélenchon, c’est que l’électorat que si « l’électorat des cités » et les bobos son compatibles, ces deux groupes à eux seuls ne suffisent pas… et que tous les autres sont incompatibles. Chaque fois que vous marchez avec les Frères Musulmans, vous perdez des électeurs ailleurs, et chaque fois que vous essayez de draguer l’électorat populaire sur la thématique de la sécurité, vous perdrez des « électeurs des cités ». En se concentrant sur cet électorat, la NUPES s’enferme dans un « plafond de verre » qu’il lui sera très difficile de dépasser.]
        C est pas sur. deja il suffit a LFI d etre le parti dominant, quitte a que ce soit avec 20-25 % des voix. Les autres (ici PCF, PS et autres viendront a la gamelle comme les LR sont allés a LREM pour devenir ministres)
        L objectif de 20-25 % des voix est atteignable si une partie de vos opposants s abstiennent (ou se divisent en de multiple chapelles) alors que vos electeurs restent mobilisés. sur ce point, LFI a une grosse marge de progression dans les votes ou l abstention est forte
        Et n oublions pas la demographie ! ce qui est un probleme pour les LR (le gros de leur electorat est vieux) est un atout pour LFI qui dispose d un electorat jeune et a la natalité forte
        Apres c est sur que c est pas une martingale. il peut lui arriver la meme chose qu a Clinton (les democrates faisaient le pari de se concentrer sur femmes+minorités)

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [Ce n’est pas sûr. Déjà il suffit à LFI d’être le parti dominant, quitte à que ce soit avec 20-25 % des voix. Les autres (ici PCF, PS et autres viendront à la gamelle comme les LR sont allés a LREM pour devenir ministres)]

          Je vous parle d’électorats, et non de partis. La NUPES, toutes tendances confondues, fait 25%, et cela ne lui a pas suffi pour obtenir une majorité. Cela ne lui aurait pas non plus permis de gagner la présidentielle. La question est : la NUPES peut-elle gagner de nouveaux électeurs sans perdre les anciens ? Cela suppose de trouver un électorat « vierge » qui soit compatible avec leurs différents électorats existants.

          [L’objectif de 20-25 % des voix est atteignable si une partie de vos opposants s’abstiennent (ou se divisent en de multiple chapelles) alors que vos électeurs restent mobilisés. Sur ce point, LFI a une grosse marge de progression dans les votes ou l’abstention est forte]

          Je ne vois pas où est cette « marge de progression ». A quel électorat « dont l’abstention est forte » pensez-vous ?

          [Et n’oublions pas la démographie ! ce qui est un problème pour les LR (le gros de leur électorat est vieux) est un atout pour LFI qui dispose d’un électorat jeune et à la natalité forte]

          Oui, sauf que le temps passant, les vieux meurent mais les jeunes deviennent vieux. Je ne suis donc pas aussi persuadé que vous que la démographie soit contre la droite.

    • Renard dit :

      [Tant que la politique du pays sera conditionnée par la possibilité du capital de migrer sous d’autres cieux cherchant une fiscalité plus clémente et des salaires plus bas, les prolétaires n’auront rien à attendre de l’engagement politique, et ils s’en désintéresseront, que ce soit par l’abstention ou le vote protestataire. Et tant que le rapport de forces sera ultra-défavorable aux couches populaires, les classes intermédiaires resteront fermes dans leur alliance avec la bourgeoisie.]
      Est-ce qu’on ne serait pas en train d’assister à ce renversement ?
      Certes, le capital trouvera toujours un bout de terre quelque part avec une fiscalité amicale, mais pour ce qui est des salaires plus bas, la masse de salariés exploitable est elle aussi une ressource finie. Et ce d’autant plus que, pour reprendre l’un de vos thèmes de prédilection, un salarié est d’autant plus rentable qu’il est entouré par des institutions fortes.
      Dans les années 80, le capital a trouvé ces salariés en Asie. Mais le réservoir de main d’œuvre d’extrême orient est maintenant presque saturé.
      Les réservoirs indiens et sud-américains semblent bien moins attractifs, et je ne parle même pas du réservoir africain où installer des usines demanderait un investissement démesuré puisque tout reste à construire : institutions capables de protéger les investissement, éducation de la main d’œuvre pour en améliorer la rentabilité, infrastructures.
      Est-ce que la réindustrialisation ne va pas redevenir un option rentable ?

      • Descartes dit :

        @ Renard

        [Est-ce qu’on ne serait pas en train d’assister à ce renversement ?
        Certes, le capital trouvera toujours un bout de terre quelque part avec une fiscalité amicale, mais pour ce qui est des salaires plus bas, la masse de salariés exploitable est elle aussi une ressource finie. Et ce d’autant plus que, pour reprendre l’un de vos thèmes de prédilection, un salarié est d’autant plus rentable qu’il est entouré par des institutions fortes.]

        C’est une bonne question. Est-ce que dans le monde incertain dans lequel nous vivons, avec des convulsions qui peuvent désorganiser les chaines de production, les coûts de délocalisation ne compensent plus les avantages ? Est-ce que la stabilité, la force des institutions, la richesse des infrastructures deviendront des facteurs de compétitivité de nature à compenser les différences salariales ? Ce n’est pas impossible, mais je demande à voir…

        Mais même si c’était le cas, nous sommes menacés par un autre danger: la dégradation de nos infrastructures, de notre capital éducatif…

        • cdg dit :

          @descartes
          Si ca peut vous rassurer, dans ma societe on a eut ce theme dans le discours du directeur : la stabilité geopolitique est un parametre a considerer dans nos implantations. Il faut dire qu avoir du plier bagage en russie et avoir subi des penuries de composants (on a du arreter la production pendant des mois sur certains produits) a du faire reflechir
          PS: ca depend evidement du produit, mais la part de la main d oeuvre dans le cout final est en general de 20 %. donc une main d oeuvre 50 % moins chere (ce qui est deja enorme) vous fait au final un gain de moins de 10 % (car il y a un surcout par ex en logistique). Sur un de nos produits, faire fabriquer en chine ou en suisse (ou les salaires ont bien plus eleves qu en france) fait une difference minime (de memoire c est 5 %)
           

          • Descartes dit :

            @ cdg

            [Si ca peut vous rassurer, dans ma société on a eu ce thème dans le discours du directeur : la stabilité géopolitique est un paramètre à considérer dans nos implantations. Il faut dire qu’avoir dû plier bagage en Russie et avoir subi des pénuries de composants (on a du arrêter la production pendant des mois sur certains produits) a du faire réfléchir.]

            Ce qui ne me rassure pas, c’est que votre directeur – dont je peux supposer qu’il a eu une excellente formation dans nos meilleures écoles – ait eu besoin d’avoir eu à plier bagage en Russie et avoir subi des pénuries pour arriver à cette conclusion. Conclusion que pas mal de cassandres – et je me compte parmi elles – avaient clamé dans le désert depuis des années…

            [PS: ca dépend évidemment du produit, mais la part de la main d’œuvre dans le cout final est en général de 20 %. Donc une main d’œuvre 50 % moins chère (ce qui est déjà énorme) vous fait au final un gain de moins de 10 % (car il y a un surcout par ex en logistique).]

            50% « c’est déjà énorme » ? Si je prends les chiffres de l’OIT en 2012, il y avait 35 pays dont le salaire moyen était inférieur à celui de la France. Parmi eux 4 pays de l’Union européenne. Le salaire moyen en Chine est 75% inférieur au salaire français, en Inde 85%…

            Il est vrai qu’au fur et à mesure que les procédés se mécanisent, l’avantage comparatif des pays à faible coût de main d’œuvre s’efface. Si vous utilisez des robots pour produire, et que la seule intervention de main d’œuvre est l’entretien des machines, alors la qualité de la main d’œuvre, sa discipline, la stabilité des normes est bien plus importante que le coût du travail. C’est pourquoi le choix politique qui consiste à essayer à tout prix de sauver chez nous les industries de main d’oeuvre est une erreur. Il faut au contraire chercher à développer les filières où le coût de main d’oeuvre est marginal, c’est à dire, les industries très capitalistiques. Vu du point de vue des syndicalistes, cela semble paradoxal. Mais il faut reprendre l’argument de Schumpeter…

      • Renard dit :

        [Est-ce que la stabilité, la force des institutions, la richesse des infrastructures deviendront des facteurs de compétitivité de nature à compenser les différences salariales ?]
        C’est déjà le cas. Le travailleur Roumain coûte plus cher que le travailleur Albanais. Le travailleur Vietnamien coûte plus cher que le travailleur Nigérian. Et pourtant, on ne constate pas de ruée du capital vers l’Albanie et le Nigeria…
        Les pays dotés d’institutions assez fortes  pour garantir la sécurité du capital ne sont pas en nombre illimités, et je ne pense pas que le capitalisme puisse, par ses propre moyens, créer les conditions de son succès dans un pays où ces institutions sont absentes.
         
         

        • Descartes dit :

          @ Renard

          [Les pays dotés d’institutions assez fortes pour garantir la sécurité du capital ne sont pas en nombre illimités, et je ne pense pas que le capitalisme puisse, par ses propres moyens, créer les conditions de son succès dans un pays où ces institutions sont absentes.]

          C’est une question régulièrement discutée sur ce blog. Personnellement, je suis l’idée de Castoriadis : le capitalisme dépend pour son fonctionnement de constructions anthropologiques – le juge honnête, le fonctionnaire compétent, le professeur dévoué – qu’il a hérité des modes de production plus anciens, mais qu’il n’est pas capable de renouveler. Si l’on suit ce raisonnement, on aboutit à une conclusion proche de la votre : dans les pays où ces constructions ne préexistent au capitalisme, celles-ci n’apparaîtront jamais puisque le capitalisme ne peut pas les construire lui-même.

          Je dois dire que l’observation des exemples tendent à donner du poids à votre conclusion. Il est très difficile de trouver des pays entrés directement dans la modernité par le capitalisme et ayant pu construire une magistrature honnête, un Etat compétent…

  8. luc dit :

    LE PLUS AFFLIGEANT CHEZ ROUSSEAU ET LES GENS NOMBREUX QU’ELLE REPRESENTE est le nombre de clichés qu’elle véhicule.
    Aucune subtilité,aucune culture dans son dsicours,apparemment bien sûr mais elle semble ignorer que le travail de part les interactions générés avec les autres permet de socialiser l’individu.
    Connait elle Vygotski ?
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Lev_Vygotski

    • Descartes dit :

      @ luc

      [LE PLUS AFFLIGEANT CHEZ ROUSSEAU ET LES GENS NOMBREUX QU’ELLE REPRESENTE est le nombre de clichés qu’elle véhicule.]

      Il faut raison garder : où voyez-vous Rousseau représenter « des gens nombreux » ? En tant que députée, elle ne représente que la trentaine de milliers d’électeurs de sa circonscription. Et en tant qu’idéologue, je doute que ses idées soient partagées en dehors d’un petit cercle étroit de fanatiques. Rousseau ne « représente » rien. C’est une grande gueule qui fait beaucoup de bruit médiatique, c’est tout.

      [Aucune subtilité, aucune culture dans son discours,]

      Aucune. Quand on pense que cette personne enseigne, on tremble…

    • Pierre dit :

      L’imbécilité crasse de S. Rousseau ne faisant pas débat, il est stupéfiant qu’aucun filtre ne fonctionne : ni le politique, ni l’universitaire, et qu’on lui offre de telles tribunes.
      Mais lorsqu’on observe le paysage médiatique on constate qu’elle est entourée, si bien qu’on finit par se dire qu’avec ses coreligionnaires Hugo Clément, Rokhaya Diallo, Virginie Despentes et autres Lola Quivoron (liste malheureusement non exhaustive) elle fait système.
      Et surgissent donc deux questions essentielles : qui a intérêt à tendre un micro à ces guignols, et pourquoi ? (l’argument économique ne tenant pas compte tenu de leurs audiences).

      • Descartes dit :

        @ Pierre

        [L’imbécilité crasse de S. Rousseau ne faisant pas débat, il est stupéfiant qu’aucun filtre ne fonctionne : ni le politique, ni l’universitaire, et qu’on lui offre de telles tribunes.]

        Je pense qu’il y a un double effet. On lui offre des tribunes parce que dans la civilisation du paraître on offre toujours la tribune à celui qui attire le publique – et fait donc vendre du papier. Et aucun filtre ne fonctionne parce que les gens ont peur. Et ils ont raison : cet accès privilégié aux médias vous donne un énorme pouvoir. Vous le voyez bien : voici une femme qui ne doit son autorité ni à ses compétences, ni à sa réussite professionnelle, ni à son œuvre scientifique ou artistique. Et pourtant, elle peut abattre d’un coup de langue n’importe quel dirigeant politique de son camp. Comment voulez-vous que les gens n’aient pas peur d’elle ?

        [Mais lorsqu’on observe le paysage médiatique on constate qu’elle est entourée, si bien qu’on finit par se dire qu’avec ses coreligionnaires Hugo Clément, Rokhaya Diallo, Virginie Despentes et autres Lola Quivoron (liste malheureusement non exhaustive) elle fait système.]

        Je dirais plutôt qu’elle est le produit d’un système. D’un système qui privilégie le paraître à l’être, et qui du coup porte au pouvoir – politique, médiatique, universitaire – des figures médiocres mais capables d’entretenir une communication brillante. Pensez au cas d’Elizabeth Borne : tout le monde est étonné qu’elle ne réussisse pas trop mal alors que « elle n’a pas le profil ». Pourtant, c’est une polytechnicienne brillante, qui a été ingénieur, préfète, directrice de la RATP, qui a bien réussi dans tous les postes qu’elle a occupé – et certains n’étaient pas faciles. Mais « elle n’a pas le profil ». Alors, c’est quoi le « profil » en question ?

        [Et surgissent donc deux questions essentielles : qui a intérêt à tendre un micro à ces guignols, et pourquoi ? (l’argument économique ne tenant pas compte tenu de leurs audiences).]

        Ceux qui vendent du papier. Ne méprisez pas leurs audiences, elles sont plus larges qu’on ne le croit. Rousseau est un peu à la gauche ce que Zemmour est à la droite.

  9. Patriote Albert dit :

    La gauche radicale, qui se plaît à entonner l’Internationale à la fin de chaque meeting, devrait penser à aller voir jusqu’au dernier couplet:
    Ouvriers, paysans, nous sommes
    Le grand parti des travailleurs,
    La terre n’appartient qu’aux hommes,
    L’oisif ira loger ailleurs.”
    Mais depuis, mai 68 est passé par là, le principe de jouissance a pris le pas sur le principe de réalité, et de plus en plus cette gauche, comme l’avait si bien résumée Michéa, a fini par avoir comme programme “le droit de fumer des joints devant les portes de Pôle Emploi”.
    Cela dit, l’absence de conscience que semblent avoir les petits bourgeois de la NUPES à propos de la quantité de travail accumulé qu’ils consomment est un vrai sujet de réflexion. De la même manière que la conscience des bénéfices des services publics s’use chez ceux qui sont habitués à en bénéficier à titre gratuit, la conscience de la quantité de travail d’autrui qui nous permet de jouir des biens et services que nous achetons n’est pas du tout innée, et supposerait peut-être elle aussi une forme d’éducation. Je me souviens que vous proposiez de facturer les services publics de manière factice à tous ses utilisateurs pour qu’ils se souviennent du coût pour la collectivité que leur usage implique ; ne pourrait-on pas imaginer un compteur de temps de travail incorporé sur tous les objets que nous achetons? Certes, cela pourrait bien constituer une belle usine à gaz, mais ciblé sur quelques produits de consommation courante, peut-être cela permettrait-il d’établir une juste pédagogie?
     
    Sinon, sur le sujet du billet précédent, j’imagine que vous aurez la même délectation en contemplant le cadavre médiatique du sieur Bayou, lui aussi mis à terre sans avoir ne serait-ce que connaissance des faits, pour une “violence morale” dénoncée par l’inénarrable Sardine, laquelle avoue elle-même que les faits… ne sont pas pénalement répréhensibles. Gauche autophage, disais-je… Mais au final, certains électeurs de gauche ne risquent-ils pas de se détourner d’un camp politique qui, dénonciation sur dénonciation, ressemble de plus en plus à un marécage oiseux ?

    • Descartes dit :

      @ Patriote Albert

      [Cela dit, l’absence de conscience que semblent avoir les petits bourgeois de la NUPES à propos de la quantité de travail accumulé qu’ils consomment est un vrai sujet de réflexion. De la même manière que la conscience des bénéfices des services publics s’use chez ceux qui sont habitués à en bénéficier à titre gratuit, la conscience de la quantité de travail d’autrui qui nous permet de jouir des biens et services que nous achetons n’est pas du tout innée, et supposerait peut-être elle aussi une forme d’éducation.]

      Tout à fait d’accord. Il y a une éducation à montrer aux enfants ou aux jeunes que tout ce qui les entoure est le fruit du travail humain. Que casser une vitrine, brûler une poubelle ou vandaliser un abribus, c’est détruire le fruit de l’effort de ceux qui l’ont construit et payé. Et que leur renouvellement nécessite un travail qu’il faudra bien prendre ailleurs. Peut-être que si plus de jeunes visitaient des usines et voyaient comment ces choses sont fabriquées, ils auraient moins tendance à les traiter comme si elles tombaient du ciel…

      [Je me souviens que vous proposiez de facturer les services publics de manière factice à tous ses utilisateurs pour qu’ils se souviennent du coût pour la collectivité que leur usage implique ; ne pourrait-on pas imaginer un compteur de temps de travail incorporé sur tous les objets que nous achetons ? Certes, cela pourrait bien constituer une belle usine à gaz, mais ciblé sur quelques produits de consommation courante, peut-être cela permettrait-il d’établir une juste pédagogie ?]

      C’est une idée intéressante… et dangereuse ! Parce qu’elle ouvre le débat sur la raison pourquoi deux produits identiques n’ont pas le même prix… alors qu’ils demandent le même temps de travail ici et en Bulgarie…

      [Sinon, sur le sujet du billet précédent, j’imagine que vous aurez la même délectation en contemplant le cadavre médiatique du sieur Bayou, lui aussi mis à terre sans avoir ne serait-ce que connaissance des faits, pour une “violence morale” dénoncée par l’inénarrable Sardine, laquelle avoue elle-même que les faits… ne sont pas pénalement répréhensibles. Gauche autophage, disais-je…]

      J’avoue que j’ai du ma dose de schadenfreude. Le comique finit par devenir grinçant, et les personnages sinistres.

      [Mais au final, certains électeurs de gauche ne risquent-ils pas de se détourner d’un camp politique qui, dénonciation sur dénonciation, ressemble de plus en plus à un marécage oiseux ?]

      Franchement, oui. Alors que le monde est en flammes autour de nous, que les Français s’interrogent sur la politique sociale, économique, énergétique de notre pays et se demandent si nous ne sommes pas en train de payer de longues années d’erreur, la gauche ne parle que du sexe des escalopes et de la « santé morale des femmes ». Pourquoi voter pour des gens qui finalement ont les priorités à l’envers ?

      • Pierre dit :

        “Pourquoi voter pour des gens qui finalement ont les priorités à l’envers ?”
        Par conformisme social, par peur du “qu’en dira-t-on”. Un demi-siècle d’abrutissement médiatique a eu raison de la logique et du jugement personnel.
        Une illustration qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui me semble être une forme d’allégorie de nos errances collectives : le cas de la mamie de 89 ans violemment agressée par trois “jeunes” (anglais ?) à Cannes fin août.
        Dans le domaine individuel comme dans celui des relations internationales, le schéma classique en cas d’agression est le suivant :
        – je me défends pour la faire cesser, voire te faire passer l’envie de recommencer
        – si j’ai le dessous, je te tiens a minima grief de ton comportement.
        Le fils de cette dame l’a d’ailleurs rappelé sur un plateau de télé-poubelle d’une formule concise et claire : “si je les croise, je les bute” (écartons les questions de niveau de langue et de soutenabilité sociale d’une telle attitude).
        Cette dame, par contre, a D’ABORD eu publiquement le souci de comprendre ce qui a bien pu être à l’origine de leur comportement (mauvaise éducation, difficultés économiques, sentiment de mal-être, levés du mauvais pied, manque de ketchup à la cantine,…), et les a peut-être déjà absous. Elle s’est ainsi inscrite dans le grand courant actuel du “vous n’aurez pas ma haine”, mantra de tous les lâches, excuse de toutes les démissions et source d’innombrables malheurs.
        Si son attitude peut être expliquée par la peur (légitime à 89 ans) de recroiser ses agresseurs, il me semble qu’il ne faut pas non plus sous-estimer le poids du conformisme social qui interdit de nommer le(s) problème(s), et donc de le(s) résoudre. Cela vaut autant en matière de sécurité publique que dans le domaine des relations internationales ou de la politique énergétique, l’agressivité des européistes ou des vegan/décroissants et autres comiques étant aussi forte que sournoise.

        • Descartes dit :

          @ Pierre

          [« Pourquoi voter pour des gens qui finalement ont les priorités à l’envers ? » Par conformisme social, par peur du “qu’en dira-t-on”.]

          Le conformisme social, je veux bien. Mais le « que dira-t-on » n’est pas très opérationnel dans un système de vote secret.

          [Un demi-siècle d’abrutissement médiatique a eu raison de la logique et du jugement personnel.]

          Il ne faut tout de même pas exagérer. Le fait est qu’après un demi-siècle d’abrutissement médiatique, il se trouve une majorité pour voter contre le TCE en 2005, tout comme on trouve une large majorité dans les couches populaires pour s’abstenir alors qu’on l’appelle à cor et à cri à voter – et à « bien » voter. Si c’était aussi schématique que ça, Macron aurait toujours une majorité…

          [Si son attitude peut être expliquée par la peur (légitime à 89 ans) de recroiser ses agresseurs, il me semble qu’il ne faut pas non plus sous-estimer le poids du conformisme social qui interdit de nommer le(s) problème(s), et donc de le(s) résoudre.]

          Je parlerais moins de « conformisme social » que d’intolérance. Il est clair que dans notre société il y a certains problèmes qui ne peuvent être posés. Le simple fait de les mentionner vous vaut dans certains cercles l’ostracisme social, ou pire. Je ne suis pas persuadé que ceux qui se taisent soient “conformes”…

      • Patriote Albert dit :

        Apparemment, vous n’êtes pas le seul à avoir voulu donner un prix fictif aux services publics:
        https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/09/29/mesurer-le-cout-des-services-publics-une-idee-de-gerald-darmanin-enterree-apres-une-mission-a-300-000-euros_6143745_4355770.html
        Cette idée a semble-t-il été enterrée parce que “si on calcule le coût de chaque service public, les gens vont par exemple s’apercevoir que l’Etat met plus d’argent dans les prépas parisiennes que dans les universités” selon un responsable de la DITP. En d’autres termes, on ne va pas facturer les dépenses aux Français parce qu’ils se rendraient compte qu’on donne plus aux riches. Pourtant, il me semble que les réactions du panel interrogé par le cabinet de conseil, et relatées dans l’article, sont assez intéressantes et instructives. Il manque juste aux citoyens le réflexe de se dire qu’au fond, l’Etat… c’est eux!

        • Descartes dit :

          @ Patriote Albert

          [Apparemment, vous n’êtes pas le seul à avoir voulu donner un prix fictif aux services publics: (…)]

          Oh, je vous rassure, je ne prétends à aucune originalité dans ce domaine… En fait, beaucoup d’économistes ont travaillé sur la question. C’est indispensable si vous voulez comparer l’efficacité des systèmes de protection sociale entre différents pays, par exemple. Mais le formuler sous la forme d’un prix fictif aurait l’avantage de donner une idée aux citoyens de ce qu’ils obtiennent en échange de leurs impôts, et c’est ce côté pédagogique qui me semble important. Parce que beaucoup de gens pensent que les routes sur lesquelles ils roulent ne coûtent rien à personne…

          [Cette idée a semble-t-il été enterrée parce que “si on calcule le coût de chaque service public, les gens vont par exemple s’apercevoir que l’Etat met plus d’argent dans les prépas parisiennes que dans les universités” selon un responsable de la DITP. En d’autres termes, on ne va pas facturer les dépenses aux Français parce qu’ils se rendraient compte qu’on donne plus aux riches.]

          Cet argument m’a fait beaucoup rire. D’une part, les prépas, parisiennes ou non, ne sont pas réservées « aux riches ». Quand vous postulez pour aller en prépa, on vous demande vos résultats scolaires, pas votre relevé de compte ou les fiches de paye de vos parents. Et d’autre part, les parents des élèves des « prépas parisiennes » payent souvent beaucoup plus d’impôts que ceux des étudiants universitaires. La conclusion serait donc que chacun en a pour son argent, et non « qu’on donne plus aux plus riches »… Le choix de cet exemple dit plus sur la mentalité des responsables de la DITP qu’autre chose !

          Cela étant dit, ma proposition n’est pas de calculer un prix « par usager », qui remettrait effectivement en cause l’universalité du service public. Mon idée est de calculer un prix MOYEN qui donne au citoyen une idée de ce que le service qu’il utilise coute. Pour certains services, je serais même prêt à aller plus loin : facturer le service tout en accordant la gratuité sur présentation d’une « carte de contribuable », de manière à ce que le lien entre la gratuité et l’impôt soit bien visible.

          [Pourtant, il me semble que les réactions du panel interrogé par le cabinet de conseil, et relatées dans l’article, sont assez intéressantes et instructives. Il manque juste aux citoyens le réflexe de se dire qu’au fond, l’Etat… c’est eux!]

          Celles que reporte l’article ne sont pas particulièrement intéressantes. Nous ne connaissons pas les questions qui leur ont été posés, pas plus que la manière dont les réponses ont été choisies.

        • maleyss dit :

          [l’Etat met plus d’argent dans les prépas parisiennes que dans les universités]
          C’est un peu normal, non ? On peut considérer cet argent comme un investissement sur l’avenir, et il est extrêmement probable qu’un étudiant de prépa, parisienne ou non, apportera plus au pays, et à la société en général, qu’un étudiant en sociologie, qui, dans un nombre non négligeable de cas, ne fera jamais oeuvre utile de sa pauvre vie.

          • Descartes dit :

            @ maleyss

            [“l’Etat met plus d’argent dans les prépas parisiennes que dans les universités” C’est un peu normal, non ? On peut considérer cet argent comme un investissement sur l’avenir,]

            Votre remarque est un peu cynique… mais tout à fait rationnelle. Si l’on regarde l’enseignement supérieur comme un investissement, il n’est pas absurde pour la société d’investir préférentiellement dans les domaines ou cet investissement est le plus rentable socialement…

  10. Pierre dit :

    “C’est pourquoi dans le discours de la gauche le « pauvre » a remplacé progressivement le « travailleur ». L’avantage étant que contrairement au travailleur, qui a une légitimité politique et donc une voix propre, le « pauvre » ne plaide que par l’intermédiaire de ses avocats… c’est-à-dire, des classes intermédiaires qui ont toute liberté pour plaquer sur lui leurs propres revendications.”
    Le “pauvre” est lui-même de plus en plus remplacé par le “migrant”, nouveau Saint paré d’autant de vertus qu’il est muet électoralement parlant, et dont l’évocation permet de couper court à des revendications “so XXth century…”.
    Cela m’avait particulièrement sauté aux yeux au printemps 2019, quelques semaines après le pic de la crise des gilets jaunes. Agent du ministère de la Culture, je n’avais jamais eu pour consigne porter particulièrement attention aux projets à destination de ceux qu’on désignait jusqu’alors comme des “étrangers en situation irrégulière”, voire comme des “clandestins”, expressions désormais qualifiées de “controversées”.
    L’empressement subit du ministère à vouloir à tout prix détecter dans chaque rafiot abordant les côtes européennes qui le Django Reinhardt de l’oud, qui un Franck Gehry syrien, qui un Federico Garcia Lorca non édité ou qui encore un Picasso en devenir… me sembla particulièrement suspect, d’autant qu’il coïncida avec l’abandon de la référence aux classes populaires (dont on sait depuis une fameuse note terranovienne…) dans les discours, circulaires et directives nationales d’orientation.
    Ayant l’esprit particulièrement mal tourné, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’il s’agissait de faire honte aux gras et bedonnants gilets jaunes en leur donnant à voir une misère bien plus importante que la leur…

    • Descartes dit :

      @ Pierre

      [Le “pauvre” est lui-même de plus en plus remplacé par le “migrant”, nouveau Saint paré d’autant de vertus qu’il est muet électoralement parlant, et dont l’évocation permet de couper court à des revendications “so XXth century…”.]

      Il est muet non seulement électoralement, mais dans tous les sens du terme. Ne dominant ni la langue, ni les conventions, ni les règles de la société d’accueil, il est placé dans une situation de dépendance encore plus grande que le « pauvre » pris au sens général. Les classes intermédiaires peuvent donc l’investir de tous leurs fantasmes, leur faire dire ce qu’elles veulent.

      [Ayant l’esprit particulièrement mal tourné, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’il s’agissait de faire honte aux gras et bedonnants gilets jaunes en leur donnant à voir une misère bien plus importante que la leur…]

      Il ne faut pas confondre léthargie et stratégie. La politique culturelle a commencé à dériver vers la vision « diversitaire » bien avant l’arrivée des « Gilets Jaunes ». Cela fait des décennies qu’on applique le dogme « arrêtons de porter l’Opéra dans les quartiers, portons plutôt le Hip-Hop à l’Opéra ».

  11. geo dit :

    @Descartes
    [Le tueur à gages est certainement “utile” à celui qui le paye.]
    Oui, mais vous n’accepteriez pas ce travail. Moi non plus. On peut supposer qu’un travail dont le sens est criminel ne vous convient pas. Non?
    Il y a aussi des travaux dont le sens n’apparait pas, et dans ce cas votre travail ne vous apporte que son salaire, et la conviction qu’en effet il est utile à quelqu’un. Mais utile ne signifie pas sensé, pas automatiquement.
    Sur la notion d'”utilité sociale”, je n’ai pas d’opinion. Le doute sur le sens d’un travail ne se confond pas avec l’idée de l’inutilité de celui-ci. Le publicitaire en crise du film de Kazan “l’arrangement” ne doute pas de l’utilité de son travail, il ne la connait que trop bien. C’est cette utilité même qu’on peut refuser. Comme celle du tueur, même là où il n’y a nul crime.
     

    • Descartes dit :

      @ geo

      [« Le tueur à gages est certainement “utile” à celui qui le paye. » Oui, mais vous n’accepteriez pas ce travail. Moi non plus. On peut supposer qu’un travail dont le sens est criminel ne vous convient pas. Non?]

      Moi non. Mais il faut admettre que ca convient à des gens, puisque dans beaucoup de pays il n’est pas difficile de trouver quelqu’un qui supprime son prochain pour quelques milliers, voire quelques centaines de dollars. Notez par ailleurs que le fait que je ne veuille pas faire un travail donné ne donne aucune information sur son « utilité ». Je n’ai aucune envie de devenir « travailleur du sexe ». Pensez-vous que ce soit une activité « inutile » ?

  12. Jean Grimal dit :

    Bonjour Descartes,
    J’ai apprécié votre texte, qui remet bien les choses à leur place avec le concept (et non la valeur) de travail, tel que défini par Marx et Engels. Le travail est ce qui a permis à l’Homme (avec la majuscule, c’est l’espèce, du latin homo et non vir) de devenir un animal différent de tous les autres, ce qui lui a permis de modifier son environnement et de maîtriser (non sans mal, comme vous le dites) la nature.
    Ceci dit, je voudrais ajouter deux éléments de réflexion.
    En premier lieu, j’évoquerai “Le droit à la paresse”. Je commence par balayer toute ambigüité, je ne suis pas d’accord avec Cadet Roussel, pour des raisons que j’expliquerai dans mon second point, mais il a un certain mérite à lancer les choses et mes critiques n’ont rien à voir avec celles du reste de la gauche et notamment de Sardine Ruisseau. Cette dame ne doit pas savoir ce qu’est “Le droit à la paresse”, je pense qu’elle croit que Marx était un gars qui vivait en Californie avec ses frères et exerçait dans le cinéma ; les deux seules oeuvres de Marx dont elle a entendu parler sont “A night at the opera” et “A day at races”. Non, “Le droit à la paresse” est un essai de Paul Lafargue, militant socialiste (au sens du XIXème), gendre de Marx, et un des principaux dirigeants, avec Vaillant et Guesde, du Parti Ouvrier Français, qui fut l’un des prédécesseurs de la SFIO, fondée en 1 905. Dans cet ouvrage, Lafargue s’en prend à un travers du mouvement ouvrier français, son amour inconsidéré du “travail”. Attention, ce n’est pas le travail, au sens de Marx et Engels, que critique Lafargue, mais le travail salarié dans le cadre du capitalisme et le capitalisme lui-même, bref, pas le travail, mais l’exploitation. Il dénonce les conditions de travail, l’aliénation et propose l’idée de travailler trois heures par jour, pas plus. Il critique cette propension à vouloir “bien faire son travail”, alors qu’on bosse pour enrichir les capitalistes. Il observe que les travailleurs s’appauvrissent alors qu’ils travaillent de plus en plus et il dénonce la forme d’adhésion des ouvriers (et du mouvement ouvrier) à la Bourgeoisie via le culte de la Révolution française de 89, dans la confusion entre le passage démocratique et profondément révolutionnaire de 92/94 sous la houlette de la petite bourgeoisie rousseauiste, et tout le reste arrivé depuis. C’est cette idée qui a perduré au XXème siècle dans les paroles maintes fois entendues dans ma jeunesse des militants du PCF : “les communistes doivent être fiers de leur travail, doivent être les meilleurs ouvriers, doivent être les premiers partout, notamment à l’école” sans voir en quoi ces expressions les rangeaient sous le joug de l’idéologie dominante bourgeoise. Il existait, heureusement, aussi dans le PCF d’alors, des camarades qui disaient en faire le moins possible pour le patron. C’est évidemment plus difficile, quand on travaillait dans feu les services publics, de concevoir que l’on servait la Bourgeoisie, même si des résistances étaient, sont possibles. A la suite de l’oeuvre de Lafargue, Lénine, dans les années 10, a moqué à plusieurs reprises le mouvement ouvrier français, son amour du “travail” bien fait, pour le patron, et sa célébration objective de la République bourgeoise.
    Deuxième remarque, à propos du cadre du discours de Roussel. S’il célèbre le travail, avec des réminiscences de marxisme, il semble évident que l’avenir que souhaite Roussel, c’est le plein emploi dans le cadre du système capitalistes, comme dans les années 60. C’est évidemment là que le bât blesse, un communiste ne peut célébrer le travail salarié dans le cadre du capitalisme, mais appeler à renverser le système, parler de socialisation, d’expropriation des capitalistes. Or, Roussel ne me semble pas capable d’envisager une société socialiste, la société de transition dans laquelle il y a toujours une classe dominante, mais c’est le prolétariat. Il ne maîtrise d’ailleurs pas les concept, puisque, comme l’idéologie dominante, il parle de communisme et non de socialisme, alors que les sociétés d’Europe de l’est ne se sont jamais prétendues communistes, mais socialistes. J’ai lu Roussel, durant sa campagne présidentielle, expliquer que les communismes ce sont les nationalisations et la Sécurité sociale retrouvée, bref, le retour à 45, en négligeant le fait que les conditions de 1945 ne sont que celles d’un compromis avec le Capital fortement entaché de collaboration, dans le cadre du capitalisme maintenu. Le communisme, c’est la société sans classe.
    Voilà ce que je voulais dire, après la lecture enrichissante de votre texte.

    • Descartes dit :

      @ Jean Grimal

      [Non, “Le droit à la paresse” est un essai de Paul Lafargue, militant socialiste (au sens du XIXème), gendre de Marx, et un des principaux dirigeants, avec Vaillant et Guesde, du Parti Ouvrier Français, qui fut l’un des prédécesseurs de la SFIO, fondée en 1 905. Dans cet ouvrage, Lafargue s’en prend à un travers du mouvement ouvrier français, son amour inconsidéré du “travail”. Attention, ce n’est pas le travail, au sens de Marx et Engels, que critique Lafargue, mais le travail salarié dans le cadre du capitalisme et le capitalisme lui-même, bref, pas le travail, mais l’exploitation.]

      Je pense que vous faites bien trop honneur à Lafarge en supposant qu’il sépare le travail et l’exploitation. La vision de Lafarge est au contraire profondément réactionnaire. Ainsi, il fait l’éloge des « sociétés primitives » ou des « sociétés antiques », qui n’ont pas été « corrompues » par l’amour du travail. Une idéalisation que Marx critiquera fermement d’ailleurs.

      [Il dénonce les conditions de travail, l’aliénation et propose l’idée de travailler trois heures par jour, pas plus.]

      Ce qui étonne le plus à la lecture de Lafarge aujourd’hui, c’est son ignorance des réalités économiques – il est vrai que la macroéconomie était à ses balbutiements. Avec la productivité de son époque, travailler trois heures par jour aurait conduit à une misère généralisée ! En fait, Lafarge raisonne comme si le travail salarié ne produisait que de la plus-value, comme si les besoins des travailleurs étaient satisfaits par le mana.

      [Il critique cette propension à vouloir “bien faire son travail”, alors qu’on bosse pour enrichir les capitalistes.]

      Là encore, il fait une grave erreur d’analyse : on ne travaille pas que « pour enrichir les capitalistes ». On travaille parce que c’est le seul moyen de survivre. Que le capitaliste prélève une partie de la valeur produite n’empêche pas que le reste de la valeur produite revient au prolétaire, et que c’est cette valeur qui lui permet de satisfaire ses besoins et ses désirs. Si le prolétaire « fait mal son travail », il produira moins de valeur. Et cela réduira la plus-value extraite par le capitaliste… mais aussi sa propre rémunération. Ce que Lafarge ne voit pas, c’est qu’entre le capitaliste et le travailler s’établit un rapport dialectique. Le capitaliste a besoin du travail pour produire la plus-value, le prolétaire a besoin du travail pour survivre.

      [Il observe que les travailleurs s’appauvrissent alors qu’ils travaillent de plus en plus]

      Sauf que cette observation est fausse. La misère ouvrière était certainement terrible à son époque, mais la misère paysanne – qui poussait les paysans à devenir ouvriers – était pire, sans quoi ils seraient restés paysans. La condition ouvrière s’améliorera d’ailleurs, lentement mais sûrement tout au long du XIXème siècle et encore plus au XXème.

      [et il dénonce la forme d’adhésion des ouvriers (et du mouvement ouvrier) à la Bourgeoisie via le culte de la Révolution française de 89, dans la confusion entre le passage démocratique et profondément révolutionnaire de 92/94 sous la houlette de la petite bourgeoisie rousseauiste, et tout le reste arrivé depuis. C’est cette idée qui a perduré au XXème siècle dans les paroles maintes fois entendues dans ma jeunesse des militants du PCF : “les communistes doivent être fiers de leur travail, doivent être les meilleurs ouvriers, doivent être les premiers partout, notamment à l’école” sans voir en quoi ces expressions les rangeaient sous le joug de l’idéologie dominante bourgeoise.]

      Mais en quoi ces expressions « rangent sous le joug de l’idéologie dominante bourgeoise » ? D’abord, vous noterez que ce principe a été peu ou prou – et plutôt prou – retenus par la quasi-totalité des régimes socialistes. Je pense que vous faites ici la confusion que je dénonçais dans mon article : le travail est la CONDITION NECESSAIRE DE NOTRE SURVIE INDIVIDUELLE ET SOCIALE. A ce titre, la fierté du travail bien fait ne peut être que le fondement de TOUTE société. Car comment imaginer une société ou tout le monde consommerait sans personne pour produire ?

      [Il existait, heureusement, aussi dans le PCF d’alors, des camarades qui disaient en faire le moins possible pour le patron.]

      Prenons un exemple, si vous le voulez-bien. Vous donnez votre voiture à entretenir dans un garage. Le mécanicien – un prolétaire – fait mal son travail puisqu’il faut « faire le moins possible pour le patron ». Du coup, votre voiture est mal entretenue, elle tombera souvent en panne et vous serez obligé de la changer rapidement. Comment analysez-vous cette situation ? Applaudiriez-vous à l’attitude du mécanicien ? Qui y gagne dans l’affaire, et qui y perd ?

      La réponse est que TOUT LE MONDE perd. Vous-même, parce que votre voiture est mal entretenue. Le patron du garage, parce que vous n’amènerez plus votre voiture, préférant aller ailleurs. Et le mécanicien, qui a toutes les chances d’être licencié – ou à minima moins payé. Et TOUT LE MONDE perd, parce qu’avant de DISTRIBUER la valeur entre les différents acteurs, il faut la PRODUIRE.

      [Deuxième remarque, à propos du cadre du discours de Roussel. S’il célèbre le travail, avec des réminiscences de marxisme, il semble évident que l’avenir que souhaite Roussel, c’est le plein emploi dans le cadre du système capitalistes, comme dans les années 60.]

      L’avenir dure longtemps, comme disait l’autre. Il faut donc prendre en compte les horizons temporels. A long terme, Roussel veut probablement le communisme parfait. Mais le fait est qu’on ne voit pas de situation révolutionnaire se présenter dans les années qui viennent. L’action politique doit tenir compte de la réalité du rapport de forces : aujourd’hui, le mieux qu’on puisse envisager à court et moyen terme, c’est une meilleure distribution des la valeur produite dans un contexte capitaliste.

      [C’est évidemment là que le bât blesse, un communiste ne peut célébrer le travail salarié dans le cadre du capitalisme, mais appeler à renverser le système, parler de socialisation, d’expropriation des capitalistes.]

      Parler, on peut toujours parler. Mais en attendant que les conditions objectives de renversement du système soient réunies, on fait quoi, à part parler ? Ceux qui se sont contentés de parler n’ont pas fait grande chose : qu’est ce que LO ou la LCR/NPA ont apporté au mouvement ouvrier depuis qu’ils existent ? Si le PCF a permis à la classe ouvrière d’améliorer son sort, c’est parce qu’il a compris qu’il faut associer aux objectifs de long terme – l’abolition du capitalisme – des objectifs de court terme, qui touchent aux salaires, aux conditions de travail et de vie, à l’éducation et la culture…

      [Or, Roussel ne me semble pas capable d’envisager une société socialiste, la société de transition dans laquelle il y a toujours une classe dominante, mais c’est le prolétariat.]

      Pensez-vous qu’une telle société soit à l’ordre du jour dans les années qui viennent ?

      [J’ai lu Roussel, durant sa campagne présidentielle, expliquer que les communismes ce sont les nationalisations et la Sécurité sociale retrouvée, bref, le retour à 45, en négligeant le fait que les conditions de 1945 ne sont que celles d’un compromis avec le Capital fortement entaché de collaboration, dans le cadre du capitalisme maintenu.]

      Je ne connais pas le texte de Roussel auquel vous faites référence. D’une façon générale, je l’ai très peu entendu parler de « communisme ». Quant au « compromis » de 1945… c’était celui que permettait le rapport de forces de l’époque. J’ai l’impression que dans votre analyse vous négligez cette question pourtant fondamentale. En politique, la question du possible est essentielle…

  13. Jean Grimal dit :

    Mais en quoi ces expressions « rangent sous le joug de l’idéologie dominante bourgeoise » ? D’abord, vous noterez que ce principe a été peu ou prou – et plutôt prou – retenus par la quasi-totalité des régimes socialistes. Je pense que vous faites ici la confusion que je dénonçais dans mon article : le travail est la CONDITION NECESSAIRE DE NOTRE SURVIE INDIVIDUELLE ET SOCIALE. A ce titre, la fierté du travail bien fait ne peut être que le fondement de TOUTE société. Car comment imaginer une société ou tout le monde consommerait sans personne pour produire ?
     
    Je ne réponds que sur ce point, car, pour le reste, j’ai besoin de digérer. Le travail bien fait dans un régime socialiste n’a rein de comparable avec le travail bien fait dans le régime capitaliste. Je suis pour Stakhanov, mais pas pour les salariés d’autant plus célébrés par leur patron qu’ils ferment leur gueule et font le travail qu’il attend d’eux. La fierté du travail peut-elle exister quand ce travail fait l’objet de plus value, ne sert qu’à enrichir les capitalistes ? Et quand je dis cela, ça ne m’empêche pas de penser qu’effectivement, dans toute société, nous devons produire, mais dans quelles conditions ? Oui, le travail est une condition nécessaire de notre survie, mais pas l’exploitation.

    • Descartes dit :

      @ Jean Grimal

      [Le travail bien fait dans un régime socialiste n’a rien de comparable avec le travail bien fait dans le régime capitaliste.]

      Mais si, justement. Dans les deux cas, le travail est la seule source de valeur. Autrement dit, tous ces biens et services qui nous permettent de survivre et de vivre, qui satisfont nos besoins et nos désirs, sont fruit du travail. Et cela est aussi vrai sous le capitalisme que sous le socialisme.

      [La fierté du travail peut-elle exister quand ce travail fait l’objet de plus-value, ne sert qu’à enrichir les capitalistes ?]

      Mais justement, même dans le capitalisme le travail sert à autre chose qu’à « enrichir les capitalistes ». Je reviens sur mon exemple : lorsque vous amenez votre voiture chez le garagiste, et qu’elle est réparée par un mécanicien salarié, diriez-vous que son travail « ne sert qu’à enrichir » le propriétaire du garage ? Est-ce que ce travail ne « sert » aussi à vous permettre à vous d’avoir une voiture qui marche ? Et en quoi le fait que le mécanicien soit « fier » de voir votre voiture fonctionner à la perfection grâce à ses compétences serait une trahison, une aliénation aux idées bourgeoises ?

      C’est en cela que je trouve votre raisonnement erroné. On dirait que pour vous il y a une séparation entre le travail qui permet au capitaliste de prélever de la plus-value, et le travail qui permet à l’ensemble des êtres humains qui constituent la société de satisfaire leurs besoins. Mais c’est le MEME travail, qui est fait par les MEMES gens. Pour le mécanicien de mon exemple, le travail qui vous permet de rouler en sécurité et le travail qui enrichit son patron est une même chose. Il est impossible de compartimenter mentalement ce travail, d’être « fier » d’un compartiment et pas de l’autre.

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