Comment le méprisant de la République sape la démocratie

Quel est ce trait commun qui réunit les trois derniers présidents de la République, et qui les sépare des cinq qui les ont précédés ? La jeunesse ? Mauvaise réponse : Giscard d’Estaing n’avait que 48 ans à son élection en 1974, quatre ans de moins que Nicolas Sarkozy en 2007. Georges Pompidou avait 58 en 1969, le même âge que François Hollande lors de son élection en 2012. Non, ce qui réunit les trois derniers et les confronte aux cinq premiers, c’est une forme d’immaturité, une incapacité à transcender la petitesse inhérente à tout être humain pour se placer au niveau de l’Histoire, pour incarner quelque chose.

On imagine mal mongénéral allant en scooter chez sa maîtresse dans le dos de Tante Yvonne, François Mitterrand répondant « casse-toi, pov’con », Georges Pompidou prenant des vacances bling bling sur le yacht d’un de ses riches copains après son élection. De De Gaulle à Chirac, tous les hommes qui ont franchi la porte de l’Roselyse ont eu une conscience aiguë des contraintes réelles et symboliques de la fonction, à laquelle ils s’étaient préparés pendant de très longues années par un parcours personnel et politique varié tant local que national. Sarkozy, c’est d’une certaine manière la transition entre les anciens et les nouveaux. Par contraste, les deux derniers sont des flibustiers qui ont accédé à la magistrature suprême par le hasard des circonstances, après des carrières politiques ternes ou inexistantes. Cinq ans avant leur élection, on savait que De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand ou Chirac étaient « présidentiables ». Cinq ans avant leur élection, personne n’aurait parié un kopeck sur Hollande ou Macron.

Une conséquence de cette impréparation est évidente : Macron, Hollande et dans une moindre mesure Sarkozy arrivent au pouvoir entourés d’équipes faibles, essentiellement composés de fidèles – mais la fidélité ne garantit ni la compétence, ni la probité – ou d’opportunistes qui ont rejoint le navire à la dernière minute. Quand Elisabeth Borne dit en privé que son gouvernement « est à moitié composé de débiles », elle ne fait que constater ce qui a été une constante depuis 2017 : la difficulté de la macronie à trouver des profils de qualité pour les plus hautes fonctions de l’Etat. N’y a-t-il pas quelqu’un de plus substantiel que Braun-Pivet pour occuper le perchoir de l’Assemblée ? Que Dupont-Moretti pour garder les sceaux ?

L’immaturité de nos présidents reflète en fait l’immaturité croissante de notre société en général et du monde politique en particulier. Majorité et opposition confondues, d’ailleurs. A une Marlène Schiappa s’exhibant dans les pages d’un magazine érotique sur fond de drapeau tricolore répondent des « insoumis » qui transforment l’Assemblée nationale en congrès de l’UNEF des pires époques, ou qui font des déboires conjugaux de l’un d’eux une affaire d’Etat. Tout est devenu jeu : Macron joue au président, Schiappa joue au ministre, les élus NUPES jouent au député. Et s’il y a des leçons à tirer du parcours chaotique de la loi sur la réforme des retraites, c’est que cette immaturité commence à menacer très sérieusement notre démocratie.

Prenons, si vous le voulez bien, un exemple : l’appel des organisations syndicales et de la NUPES au président de la République pour qu’il ne promulgue pas la loi, une fois celle-ci déclarée conforme à la Constitution. Imaginons un instant que le président ait cédé à cette demande, et que le Conseil constitutionnel ait validé la non-promulgation. Un précédent aurait alors été établi : le président peut refuser de promulguer une loi régulièrement approuvée par le Parlement. Est-ce que ceux qui ont fait cette proposition se rendent compte de la portée de ce précédent ? Il revient ni plus ni moins qu’à accorder au chef de l’Etat un droit de véto en matière législative. Demain, si une loi votée par le Parlement déplait au président, il lui suffira de refuser de la promulguer pour qu’elle soit nulle et non avenue. Et le plus drôle, c’est que ceux qui ont exigé cette non-promulgation… sont les mêmes qui régulièrement dénoncent les pouvoirs exorbitants du président de la République, et qui proposent de rétablir la prééminence du Parlement dans les institutions…

Autre exemple ? Prenons les recours présentés devant le Conseil constitutionnel. Bien entendu, j’aurais éprouvé une Schadenfreude carabinée si le Conseil avait annulé l’ensemble de la loi pour vice de procédure. Mais quel aurait été l’effet sur nos institutions ? De faire un pas de plus vers le gouvernement des juges. Car ce qui était demandé au Conseil, c’était d’apprécier la sincérité et la légitimité du processus parlementaire en se mettant au-dessus des parlementaires eux-mêmes. Regardons en face les arguments présentés à l’appui de l’annulation ? Pour schématiser, il y en avait trois : le premier portait sur la sincérité des informations fournies par le gouvernement, le second sur le recours à l’article 47.1, réservé aux lois de financement de la sécurité sociale, pour faire passer une réforme, le troisième sur l’utilisation cumulative de tous les leviers constitutionnels permettant de contraindre le Parlement. Le premier argument était difficile à soutenir, dans la mesure où tous les gouvernements ont eu recours systématiquement à des exposés des motifs et des études d’impact insincères, et toutes les majorités les ont accepté sans jamais s’en émouvoir. En annulant sur ce motif, le Conseil se serait érigé en juge de la sincérité du gouvernement, en usurpant une compétence du Parlement. Car c’est bien au Parlement d’apprécier la « sincérité » des éléments qui lui sont livrés, et de sanctionner le gouvernement s’il l’estime « insincère ».

Les deux autres arguments demandaient au Conseil de sortir d’un rôle strictement juridique et de faire une interprétation politique de la Constitution. Parce que la lettre du texte constitutionnel n’interdit nullement de passer une réforme par la procédure du 47.1 du moment où les dispositions contenues dans la loi remplissent les caractéristiques exigées d’une loi de financement de la sécurité sociale, pas plus qu’il n’interdit de cumuler les différents leviers constitutionnels. Ce que les requérants demandaient au juge constitutionnel, c’est de faire dire à la Constitution ce que le texte ne dit pas en se référant à « l’esprit » de la Constitution. Un constitutionnaliste comme Olivier Beaud va jusqu’à regretter que le Conseil ne se soit pas fait « le défenseur des droits du Parlement », comme si c’était au Conseil de décider quel pouvoir devrait s’imposer à quel autre. Le problème, c’est que le Parlement lui-même ne les a pas défendu. Là encore, il faut se souvenir qu’il y eut une motion de censure, déposée par le groupe LIOT, et dont la motivation était précisément que les droits du parlement avaient été bafoués. Il ne s’est pas trouvé une majorité de députés pour penser ainsi, et cela alors même que le gouvernement n’a pas de majorité. Pourquoi le Conseil devrait être plus papiste que le Pape ?

Est-ce que la réforme des retraites est pour autant « légitime » ? Il faut bien comprendre qu’en démocratie la « légitimité » se présente sous un double aspect. Il y a un volet « procédural » : une décision est dite « démocratique » si elle a été prise en respectant un ensemble de procédures dans l’élection des autorités, dans le débat et le vote dans les assemblées, dans la liberté des débats. De ce point de vue, la loi sur la réforme des retraites est sans aucun doute une loi « démocratique ». Mais au-delà de ce volet « procédural », il y a un volet « substantiel », plus politique, qui tient au fait que la démocratie implique le consentement du peuple à la règle. Autrement dit, si le strict respect de la procédure aboutit à faire des lois dont le peuple n’accepte pas l’application, la démocratie cesse de fonctionner. C’est pourquoi le politique ne peut se contenter d’exercer le pouvoir dans le respect des procédures. Il leur faut écouter le pays, prendre son pouls en permanence pour s’assurer non pas que le peuple est d’accord avec sa politique, mais à minima qu’il est d’accord pour accepter la règle comme légitime, et donc pour ne pas s’opposer à son application.

Il faut ici combattre une illusion : celle qui consiste à croire qu’il existe une procédure « optimale », qui assure à tous les coups que la loi qu’elle aura produite sera toujours acceptée. Autrement dit, qu’on peut confondre les volets « procédural » et « substantiel », qu’on pourrait réduire la décision politique à une forme de mécanique. C’est à cette illusion que succombent les partisans d’une réforme des institutions, avec des gadgets comme la proportionnelle, le tirage au sort, la toujours pendante « revalorisation du Parlement », le référendum d’initiative populaire. Pour tous ces gens, l’essentiel de la démocratie est dans la procédure. Choisissons les bonnes procédures, on aura ainsi de bonnes lois et le peuple reprendra confiance et retrouvera le chemin des urnes.

La réalité montre combien cette vision est dangereuse. Plus on cherche de garantir par la procédure l’acceptation des décisions, et plus la procédure est longue, complexe, et permet aux groupes d’intérêt de bloquer toute décision. Et c’est particulièrement vrai en France, où la passion de l’égalité exige des procédures uniformes. L’art du politique, qui est bien comme le disait Richelieu « de rendre possible ce qui est nécessaire », consiste à obtenir une forme de consensus autour de la décision que l’on veut prendre par des moyens qui ne peuvent être purement procéduraux. Parce qu’en France, historiquement, la procédure n’a jamais été source de légitimité comme elle peut l’être en Allemagne ou en Grande Bretagne, où des lois totalement absurdes sont observées sans que personne ne se pose des questions. Nous sommes un peuple politique, au sens que nous n’acceptons pas cette idée que la règle doit être obéie simplement parce que c’est la règle. Chez nous, à minuit et sur une route de village, les piétons traversent avec le feu piéton au rouge (1). Et c’est très bien ainsi.

La conséquence est que, plus qu’ailleurs, le fonctionnement démocratique repose sur la connaissance intime, et je dirais même charnelle, que le politique a du pays qu’il veut gouverner. C’est là que, pour Macron, le bât blesse. Macron ne connaît ni la France, ni les Français. Je dirais même qu’il n’a aucune envie de les connaître. C’est une personne dénuée de toute curiosité : quand il visite une usine, un marché, une exposition, il parle, il explique, il pontifie. Jamais il ne pose de questions ou se fait expliquer quelque chose, comme le faisaient Chirac ou Sarkozy. Il n’a aucune envie, aucun intérêt pour ce que les autres ont à dire : soit ils sont d’accord avec lui, et cela ne sert à rien de les écouter, soit ils ne sont pas d’accord, et ils n’ont rien compris. C’est quelqu’un qui est convaincu de détenir la vérité dans tous les domaines, et qui veut l’expliquer aux autres pour les convaincre. A partir de là, tout dialogue est impossible, toute conversation devient un monologue.

Nous avons un immature à l’Elysée. Ceux qui ont lu « Le traître et le néant » de Davet et Lhomme auront pu constater combien l’évolution de Macron s’est figée à l’adolescence. A 15 ans il connaissait déjà sa femme, il s’était déjà fâché avec sa famille. Depuis, son paysage affectif n’a pas évolué. Il n’a pas fait d’enfants, il n’a pas d’amis intimes. Il a un rapport fusionnel avec une épouse qui pourrait être sa mère. Et cette immaturité est visible depuis le début : comme un enfant après une bagarre dans une cour de récréation, Macron ne peut résister à chaque fois à jouer les bravaches derrière les jupes de ses parents. Après la découverte de l’affaire Benalla, c’était son « qu’ils viennent me chercher », sachant que son immunité rendait tout engagement de sa responsabilité impossible. Aujourd’hui, il ne cesse de proclamer sa « victoire », et de manifester sans équivoque le mépris qu’il éprouve pour ceux qui se sont opposés à la réforme des retraites, se sachant protégé par la solidité des institutions. Exactement le contraire de ce que son investiture réclame : la fonction présidentielle exige de son occupant d’incarner une forme d’unité du pays, une figure protectrice qui entend vos difficultés et vos angoisses, mais aussi une disponibilité à se soumettre au jugement populaire. Or, comment peut-on incarner cela en déclarant que les deux tiers des Français sont des imbéciles qui n’ont rien compris, et que seul le président et la petite troupe autour de lui savent ce qui est bon pour le pays ? Même Elisabeth Borne, dont le sens politique n’est pas la qualité première, a compris qu’après un tel affrontement il faut une période de deuil, une forme d’apaisement, une paix des braves « sans vainqueurs ni vaincus ». Macron, lui, n’a toujours pas intégré.

Il serait facile – et commode – de se joindre au cœur des « c’est la faute à Macron ». Mais ce serait aussi oublier que si Macron arrive aux commandes, ce n’est pas par hasard. Macron est le produit d’une société qui s’infantilise chaque jour un peu plus. Le triomphe de l’égo-politique est aussi le triomphe d’une manière infantile de faire de la politique, ou le « coup de com permanent » ou pire, le happening façon hologramme, prennent la place de la politique. Qu’une Sandrine Rousseau soit arrivée à devenir une icône politique montre combien le monde politique est devenu une cour de récréation. L’échange d’arguments a disparu, remplacé par le témoignage – victimaire, si possible. Au raisonnement on a substitué l’exposé des malheurs. Ecoutez les interventions de François Ruffin à l’Assemblée nationale si vous voulez avoir une illustration. Ce cirque ne laisse aucune place au tragique, aux choix adultes et raisonnés, à une ambition collective. Il n’y a plus que des pleurnicheries de telle ou telle catégorie, de tel groupe de pression qui prétend que son problème est le problème.

Sans exagérer, on peut dire que la situation est critique. Pendant que l’école maternelle qu’est devenue notre monde politique s’amuse, pendant que nos politiques perdent leur temps et nous font perdre le nôtre avec le sexe des côtelettes, le monde extérieur ne s’arrête pas. Au contraire, la remise en cause d’anciens équilibres le rend de plus en plus dangereux. Sans dirigeants capables de formuler un projet et de créer un compromis qui le rende « possible » au sens de la formule de Richelieu, notre pays risque de subir les transformations du monde plutôt que de les guider. Macron a peut-être tort sur la solution, mais le problème de l’équilibre économique entre la période active et les périodes passives – retraite mais aussi études – est un problème réel, et je ne vois pas ceux qui s’opposent au projet offrir une solution alternative. Il est clair par ailleurs que les erreurs et les négligences des trente ou quarante dernières années ont créé une situation critique sur nos infrastructures énergétiques, sanitaires, éducatives. Il faudrait investir massivement, et qui dit investir plus dit – en particulier pour les classes intermédiaires – consommer moins. Quel gouvernant est aujourd’hui en mesure d’expliquer cela, et d’inspirer la confiance nécessaire pour mettre un tel programme en œuvre ? Car le principal déficit, c’est celui de la confiance : quel dirigeant aujourd’hui pourrait affirmer qu’il fera en sorte que le serrage de ceinture soit justement partagé sans susciter chez les auditeurs un grand scepticisme ? A force de tenir en permanence un discours ad-hoc, qui les conduit à dire une chose aujourd’hui et le contraire demain, à force de privilégier le coup de com sur la substance, personne ne leur fait confiance.

Vous voulez un exemple ? Relisez les arguments des socialistes à l’époque de la réforme Touraine. Ce sont exactement les mêmes que les macronistes utilisent aujourd’hui : l’augmentation de l’espérance de vie nécessite qu’on travaille plus longtemps, augmenter les cotisations compromettrait la compétitivité de nos entreprises, etc. D’ailleurs, en réfléchissant bien, un certain nombre de macronistes tenant ces discours étaient à l’époque… au Parti socialiste. Mélenchon a beau pester contre « l’Europe allemande », mais rend hommage chaque fois qu’il en a l’opportunité à l’homme qui fit de cette Europe-là son grand projet politique, sans parler des discours enflammés qu’il tenait à l’époque, exactement le contraire de celui qu’il tient aujourd’hui. Alors, soit il manque de clairvoyance, soit il manque d’honnêteté. Et dans les deux cas, comment lui faire confiance ?

Le problème s’était déjà posé avec le mouvement des « Gilets Jaunes ». Il se repose aujourd’hui avec la réforme des retraites presque dans les mêmes termes. Voici un mouvement de protestation massif, soutenu largement par l’opinion… mais qui n’arrive pas à trouver une traduction politique. D’ailleurs, il est remarquable de constater que ce sont les syndicats qui ont pris le premier rôle dans l’organisation de la contestation populaire, alors que les partis politiques ont été absents ou presque. Pourtant, la question de l’âge de la retraite – autrement dit, de l’équilibre entre les périodes actives et passives dans la vie des individus, et la répartition de l’effort entre les différentes catégories – est une question fondamentalement politique. Seulement voilà, si les syndicats peuvent encore mettre des centaines de milliers de Français dans la rue dans une certaine unité, les partis politiques en sont incapables, minés par la peur de revenir devant l’électeur et leur incapacité à proposer une alternative crédible.

Dans ces conditions, le mouvement contre les retraites aura probablement le même destin que celui des « Gilets Jaunes » : cela restera un mouvement « expressif », permettant à la société d’exprimer un mécontentement multiforme – dans la manifestation d’hier vous pouviez voir, à côté des drapeaux syndicaux, des banderoles exprimant toutes sortes de revendications n’ayant qu’un rapport lointain avec la choucroute, allant du drapeau Palestinien, aux cartons sur les droits LGBQT – mais incapable de produire une alternative politique, et donc de menacer sérieusement le pouvoir en place. Au mieux, le mouvement arrivera à paralyser le système, à réduire le gouvernement à la gestion des affaires courantes. Il laissera derrière lui une démocratie encore plus endommagée par la conviction – prouvée par l’expérience – d’une élite politique qui n’écoute pas les citoyens, et une forme de ressentiment social tenace susceptible d’éruptions aléatoires. Peut-on tenir ainsi quatre ans ? Et après, quoi ?

Descartes

(1) On peut longuement s’interroger sur l’origine de cette différence. A mon sens, elle tient à l’histoire. Il y a des nations qui se sont constituées autour de l’Etat, et des nations qui se sont construites autour du Droit. Pour résumer, les Anglais ont fait leur révolution pour défendre les pouvoirs judiciaires du Parlement, les Français pour l’abolir.

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50 réponses à Comment le méprisant de la République sape la démocratie

  1. Cording1 dit :

    Comme le disait le Général il faut compenser par une politique de grandeur les ferments de division du peuple français. Vous évoquez souvent et à juste titre le cardinal Richelieu, ce grand serviteur de la monarchie capétienne. Et comme vous l’exprimez si bien longuement nous n’avons que des médiocres comme présidents depuis Sarkozy qui n’ont pas compris la nature et les exigences politique de la fonction présidentielle.
    Après tout ne sont-ils pas l’expression d’une sortie de la démocratie, à petit feu et à bas bruit malgré des accès de fureur et colère tels les Gilets jaunes et la révolte actuelle contre la réforme des retraites ? Après le déni du vote démocratique et populaire du 29 mai 2005.
    Tout est possible : le pire que vous évoquez. Cependant un peuple politique comme le peuple français peut-il se laisser aller comme cela indéfiniment ? Ne dit-on pas qu’en 1789 il n’y avait aucun républicain, la monarchie semblait enracinée.

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Comme le disait le Général il faut compenser par une politique de grandeur les ferments de division du peuple français.]

      Comme souvent, mongénéral faisait preuve d’une impeccable dialectique. Il avait très bien compris que la seule manière de dépasser les petits conflits d’intérêts c’était de proposer un projet dans lequel chacun avait quelque chose à gagner. Et un projet de ce type doit se placer au-dessus des différences et des querelles, bref, être un « projet de grandeur ».

      [Vous évoquez souvent et à juste titre le cardinal Richelieu, ce grand serviteur de la monarchie capétienne.]

      Je pense que Richelieu aurait rejeté cette interprétation. C’est avec lui que les hauts fonctionnaires cessent d’être les serviteurs d’un régime pour devenir les serviteurs de l’Etat. Ce que Colbert, un siècle plus tard, résumera dans sa devise : « pro rege saepe, pro patria semper » (« pour le roi souvent, pour la patrie toujours »).

      [Et comme vous l’exprimez si bien longuement nous n’avons que des médiocres comme présidents depuis Sarkozy qui n’ont pas compris la nature et les exigences politique de la fonction présidentielle.]

      Si notre histoire a ses Richelieu, ses Colbert, ses Napoléon, ses De Gaulle, il y a derrière eux une foule de gens qu’on pourrait qualifier de « médiocres », mais qui ont fait honnêtement et correctement leur travail. Et c’est aussi grâce à eux que la France est un grand pays. Je ne méprise pas les médiocres, après tout, je suis probablement l’un d’eux ! Plus que la médiocrité, ce qui me gêne aujourd’hui dans notre personnel politique, c’est leur puérilité. Ils se comportent de plus en plus en adolescents attardés plutôt qu’en adultes.

      [Tout est possible : le pire que vous évoquez. Cependant un peuple politique comme le peuple français peut-il se laisser aller comme cela indéfiniment ? Ne dit-on pas qu’en 1789 il n’y avait aucun républicain, la monarchie semblait enracinée.]

      Il n’est pas donné aux contemporains de prévoir les révolutions, et 1789 est toujours possible. En 1789, il n’y avait pas beaucoup de républicains, et la République doit plus au hasard – la trahison du roi et la fuite à Varennes – qu’à une volonté majoritaire d’en finir avec la monarchie. Si Louis XVI avait accepté son costume de roi constitutionnel, la France serait peut-être aujourd’hui encore une monarchie.

      Seulement, il ne faut pas oublier qu’avant 1789 il y a la révolution industrielle, qui commence à changer l’économie européenne et transfère le pouvoir économique à la bourgeoisie, et de façon concomitante il y a les Lumières, qui ont effectué le long travail préparatoire à la mise en cause de la monarchie de droit divin. Je ne vois pas, franchement, de mouvement équivalent aujourd’hui…

      • maleyss dit :

        [ Si Louis XVI avait accepté son costume de roi constitutionnel, la France serait peut-être aujourd’hui encore une monarchie.]
        Idem si le Duc de Bourbon avait accepté le drapeau tricolore.

        • Descartes dit :

          @ maleyss

          [Idem si le Duc de Bourbon avait accepté le drapeau tricolore.]

          En fait, la monarchie est morte de ne pas avoir accepté que la souveraineté avait changé de mains, et que par conséquent les tentatives de rétablir une monarchie absolue ne pouvaient que conduire au désastre. De Varennes au refus du duc de Bourbon, il y a une continuité, celle d’une noblesse qui a refusé les changements du monde. Cela me rappelle une formule gaullienne: “messieurs, l’Algérie de papa est morte, et si nous ne le comprenons pas nous mourrons avec elle”.

  2. Erwan dit :

    [Il faut ici combattre une illusion : celle qui consiste à croire qu’il existe une procédure « optimale », qui assure à tous les coups que la loi qu’elle aura produite sera toujours acceptée. Autrement dit, qu’on peut confondre les volets « procédural » est « substantiel », qu’on pourrait réduire la décision politique à une forme de mécanique. C’est à cette illusion que succombent les partisans d’une réforme des institutions, avec des gadgets comme la proportionnelle, le tirage au sort, la toujours pendante « revalorisation du Parlement », le référendum d’initiative populaire. Pour tous ces gens, l’essentiel de la démocratie est dans la procédure. Choisissons les bonnes procédures, on aura ainsi de bonnes lois et le peuple reprendra confiance et retrouvera le chemin des urnes.]

    J’espère que tu ne ranges pas ma méthode pour améliorer l’articulation entre démocratie et technocratie dans cette catégorie !

    Quoi qu’il en soit, je pense qu’on ne peut pas se contenter d’attendre que des Hommes politiques substantiels émergent qui rendraient possible ce qui est nécessaire, car même si cela se produisait une fois de plus, nous finirions fatalement par retomber dans le travers actuel. Je pense qu’il faut au contraire chercher comment réformer les institutions pour empêcher cela, même si ce n’est pas parfait, et même si cela ne fait que limiter les dégâts.

    • Descartes dit :

      @ Erwan

      [J’espère que tu ne ranges pas ma méthode pour améliorer l’articulation entre démocratie et technocratie dans cette catégorie !]

      Seulement jusqu’à un certain point. Si j’ai bien compris, ta méthode ne produit qu’un avis, la décision finale restant toujours dans les mains des politiques. Ta méthode n’est donc pas susceptible de légitimer une décision « démocratique », puisque la décision sera prise par les canaux habituels.

      [Quoi qu’il en soit, je pense qu’on ne peut pas se contenter d’attendre que des Hommes politiques substantiels émergent qui rendraient possible ce qui est nécessaire, car même si cela se produisait une fois de plus, nous finirions fatalement par retomber dans le travers actuel.]

      Je n’ai pas très bien compris le raisonnement. Les « hommes politiques substantiels » ne surgissent pas par hasard, ils sont le produit d’un rapport de forces. Si De Gaulle, Pompidou ou Giscard écoutaient le peuple et évitaient de le violenter, ce n’est pas par bonté d’âme. C’est parce qu’ils savaient qu’ils risquaient gros à ne pas l’écouter. Aujourd’hui, le rapport de forces est si défavorable aux couches populaires, que le bloc dominant ne se sent pas menacé, et se permet donc d’ignorer les protestations populaires. En 1947, en 1953, en 1968 les partis ouvriers avaient le pouvoir d’arrêter le pays. Aujourd’hui, comme l’a si bien dit Sarkozy, « quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit ».

      Autrement dit, si les politiciens d’avant se comportaient comme des adultes, c’est parce qu’ils avaient été confrontés à des situations tragiques, parce qu’ils étaient confrontés à des adversaires dangereux. Aujourd’hui, les politiques peuvent se comporter comme des enfants parce que toute menace a disparu.

      [Je pense qu’il faut au contraire chercher comment réformer les institutions pour empêcher cela, même si ce n’est pas parfait, et même si cela ne fait que limiter les dégâts.]

      C’est un peu le paradoxe : si le rapport de force est équilibré, nos institutions fonctionnent très bien et ce n’est pas la peine de les réformer. Si le rapport est déséquilibré, il est impossible de les réformer dans un sens qui « limite les dégâts »…

      • Erwan dit :

        [« J’espère que tu ne ranges pas ma méthode pour améliorer l’articulation entre démocratie et technocratie dans cette catégorie ! » Seulement jusqu’à un certain point. Si j’ai bien compris, ta méthode ne produit qu’un avis, la décision finale restant toujours dans les mains des politiques. Ta méthode n’est donc pas susceptible de légitimer une décision « démocratique », puisque la décision sera prise par les canaux habituels.]

        En fait, je n’y avais pas pensé de manière si approfondie. Pour moi ce qui compte c’est la possibilité d’identifier si une décision est plus rationnelle, je n’ai pas précisément réfléchi à la manière dont elle pourrait être exploitée en pratique. J’ai adopté une attitude de chercheur, et tu adoptes celle d’un ingénieur 😉

        Je pense que ne l’utiliser que pour produire un avis serait probablement intéressant, au moins parce que cela donnerait l’habitude d’intégrer de l’analyse statistique dans le système politique. Il y aurait alors quatre cas de figure : (1) les politiques suivent l’avis et cela donne de bons résultats, (2) les politiques suivent l’avis et cela donne de mauvais résultats, (3) les politiques ne suivent pas l’avis et cela donne de bons résultats et (4) les politiques ne suivent pas l’avis et cela donne de mauvais résultats. En supposant que ma méthode fonctionne un minimum, les cas (2) et (3) se produiraient rarement, la plupart du temps on serait soit dans le cas (1) soit dans le cas (4). En d’autres termes, les politiques auraient tout intérêt à suivre l’avis, autrement ils risqueraient de se retrouver dans le cas (4), et cela pourrait être exploité par l’opposition.

        [Autrement dit, si les politiciens d’avant se comportaient comme des adultes, c’est parce qu’ils avaient été confrontés à des situations tragiques, parce qu’ils étaient confrontés à des adversaires dangereux. Aujourd’hui, les politiques peuvent se comporter comme des enfants parce que toute menace a disparu.]

        Probablement, mais les enfants ont plus besoin de règles et de contraintes que les adultes…

        [« Je pense qu’il faut au contraire chercher comment réformer les institutions pour empêcher cela, même si ce n’est pas parfait, et même si cela ne fait que limiter les dégâts. » C’est un peu le paradoxe : si le rapport de force est équilibré, nos institutions fonctionnent très bien et ce n’est pas la peine de les réformer. Si le rapport est déséquilibré, il est impossible de les réformer dans un sens qui « limite les dégâts »…]

        C’est précisément l’idée que je refuse : je pense qu’il n’est pas impossible de réformer dans un sens qui limite les dégâts, au moins un petit peu. Tout au moins, il faut réfléchir aux solutions que l’on pourra mettre en place le jour où les planètes seront alignées.

        • Descartes dit :

          @ Erwan

          [En fait, je n’y avais pas pensé de manière si approfondie. Pour moi ce qui compte c’est la possibilité d’identifier si une décision est plus rationnelle, je n’ai pas précisément réfléchi à la manière dont elle pourrait être exploitée en pratique. J’ai adopté une attitude de chercheur, et tu adoptes celle d’un ingénieur]

          Exact. Chacun fait ce qu’il sait faire le mieux…

          [Je pense que ne l’utiliser que pour produire un avis serait probablement intéressant, au moins parce que cela donnerait l’habitude d’intégrer de l’analyse statistique dans le système politique. Il y aurait alors quatre cas de figure : (1) les politiques suivent l’avis et cela donne de bons résultats, (2) les politiques suivent l’avis et cela donne de mauvais résultats, (3) les politiques ne suivent pas l’avis et cela donne de bons résultats et (4) les politiques ne suivent pas l’avis et cela donne de mauvais résultats. En supposant que ma méthode fonctionne un minimum, les cas (2) et (3) se produiraient rarement, la plupart du temps on serait soit dans le cas (1) soit dans le cas (4).]

          Mais qu’est ce que c’est qu’un « bon » résultat ? Comment le caractériser ? Vous tombez là dans un problème classique, qui est le fait qu’il n’existe aucun moyen d’évaluer si une politique a donné de « bons » ou de « mauvais » résultats. La première difficulté, c’est que vous ne pouvez pas en histoire faire des expériences. Autrement dit, vous connaissez les résultats de la politique qui a été mise en œuvre, mais pas ce qui se serait passé si on avait mis en œuvre une des alternatives possibles. Pour vous donner un exemple : pénaliser les consommateurs de crack donne de « bons » ou « mauvais » résultats ? D’un côté, vous pouvez dire que malgré cette politique, la consommation continue d’augmenter… mais de l’autre, vous pouvez toujours dire que ne pas pénaliser aurait conduit à une situation bien pire. La seconde difficulté est qu’une politique donne de « bons » résultats pour certaines catégories, et de « mauvais » résultats pour d’autres. Comment pondérer le résultat pour décider si la politique en question donne des « bons » ou des « mauvais » résultats globalement ?

          [« Autrement dit, si les politiciens d’avant se comportaient comme des adultes, c’est parce qu’ils avaient été confrontés à des situations tragiques, parce qu’ils étaient confrontés à des adversaires dangereux. Aujourd’hui, les politiques peuvent se comporter comme des enfants parce que toute menace a disparu. » Probablement, mais les enfants ont plus besoin de règles et de contraintes que les adultes…]

          Seulement si l’objectif est qu’ils deviennent des adultes… je vous conseille de lire « Sa majesté des mouches », de Golding. Et si vous pouvez le lire en anglais, c’est encore mieux.

          [C’est précisément l’idée que je refuse : je pense qu’il n’est pas impossible de réformer dans un sens qui limite les dégâts, au moins un petit peu. Tout au moins, il faut réfléchir aux solutions que l’on pourra mettre en place le jour où les planètes seront alignées.]

          Je serais curieux de savoir quelle serait la réforme institutionnelle que vous mettriez en œuvre si les planètes étaient alignées et qui « limiterait les dégâts » dans une situation comme la nôtre…

          • Erwan dit :

            [Mais qu’est ce que c’est qu’un « bon » résultat ? Comment le caractériser ?]

            Ma méthode ne serait utile que dans le cadre où une décision serait plus rationnelle que l’autre, c’est-à-dire quand elle aurait un fondement suffisamment objectif. Il me semble donc possible de caractériser les résultats de manière à peu près objective. Faut-il fermer Fessenheim ? Non, car la cuve est en bon état. Tant qu’il n’y a pas d’accident, c’est un bon résultat. Faut-il arrêter d’apporter de l’aide à l’Ukraine ? Oui, car cela entretient le conflit. Si l’Ukraine trouve un compromis avec la Russie et que la guerre s’arrête, c’est un bon résultat. Faut-il sortir de l’euro ? Oui, car cela nous empêche de pratiquer la dévaluation compétitive et d’instaurer des taxes à l’importation, ce qui rend notre balance commerciale fortement déficitaire. Si notre balance commerciale revient à l’équilibre, c’est un bon résultat. (Bien sûr en supposant que ces trois décisions seraient les plus rationnelles.)

            [Seulement si l’objectif est qu’ils deviennent des adultes… je vous conseille de lire « Sa majesté des mouches », de Golding. Et si vous pouvez le lire en anglais, c’est encore mieux.]

            C’est commandé, en anglais ! As-tu lu “L’urgence du nucléaire durable” de Claire Kerboul que je t’avais recommandé ? Je l’ai terminé il y a quelques semaines, je pense qu’il est d’utilité publique.

            [Je serais curieux de savoir quelle serait la réforme institutionnelle que vous mettriez en œuvre si les planètes étaient alignées et qui « limiterait les dégâts » dans une situation comme la nôtre…]

            Je pense que les trois questions que j’ai données en exemple ci-dessus répondent à ta question.

            • Descartes dit :

              @ Erwan

              [Ma méthode ne serait utile que dans le cadre où une décision serait plus rationnelle que l’autre, c’est-à-dire quand elle aurait un fondement suffisamment objectif. Il me semble donc possible de caractériser les résultats de manière à peu près objective. Faut-il fermer Fessenheim ? Non, car la cuve est en bon état. Tant qu’il n’y a pas d’accident, c’est un bon résultat.]

              Mais à contrario, si vous la fermez, il n’y aura pas d’accident. Vous pourrez toujours affirmer que c’est la fermeture qui a évité l’accident, et donc que la fermeture procure un « bon » résultat… C’est toujours le même problème : vous ne pouvez explorer qu’une seule branche de l’alternative. Ce qui se serait passé si vous aviez choisi l’autre, c’est matière à conjecture…

              [C’est commandé, en anglais ! As-tu lu “L’urgence du nucléaire durable” de Claire Kerboul que je t’avais recommandé ? Je l’ai terminé il y a quelques semaines, je pense qu’il est d’utilité publique.]

              En effet !

              [« Je serais curieux de savoir quelle serait la réforme institutionnelle que vous mettriez en œuvre si les planètes étaient alignées et qui « limiterait les dégâts » dans une situation comme la nôtre… » Je pense que les trois questions que j’ai données en exemple ci-dessus répondent à ta question.]

              Je n’ai pas compris cette réponse. Les trois questions auxquelles tu fais référence n’ont aucun rapport avec les institutions…

  3. cdg dit :

    “On imagine mal mongénéral allant en scooter chez sa maîtresse dans le dos de Tante Yvonne” Certes non, mais Giscard, Mitterrand et Chirac etaient renommé pour le faire. La difference etait que les medias ne pipaient mot ou presque (cf Giscard et son accident avec un camion de lait, ou Mitterrand logeant a l elysee a la vue de tous une de ses maitresses et sa fille)
     
    Mais ceci est a mon avis un probleme secondaire. Comme vous le soulignez, le probleme n est pas tant que macron ait connu sa femme a 15 ans mais qu il n y a plus aucun homme politique qui ait une vision pour la France. On est dans le clientelisme le plus total. Et ca c est pas tant la faute des elus que des electeurs : un homme politique veut etre elu, je suis sur qu ils seraient pret a imiter de Gaulle et d avoir une ceratine idee de la france  s ils etaient persuadé de gagner les elections avec ca
    Mais promettre du sang et des larmes, c est signifie faire 4 % des voix. Evidement les problemes eux ne disparaissent pas mais s agravent et il y a un moment ou le roi sera nu (a mon avis le pire est devant nous cars nos infrastructures se degradent et la faillite de l EN fait qu on ne sera plus capable de produre quoi que ce soit de valeur).
    Une partie de la population en est probablement consciente mais combien veulent changer et ne pas juste mettre le fardeau sur le voisin ? C ets un peu ce que vous ecrivez. car le redressement ne devra pas impacter uniquement les classes intermediaires. Le reste de la population devra aussi se serrer la ceinture (par exemple travailler plus ou ne plus pouvoir partir en vacances)
    Une partie de nos concitoyent se dit qu apres tout elle pour jouer a la pompadour (apres elle le deluge). Apres tout c est une position rationnelle si vous avez plus de 65 ans (le systeme survivra encore 10 ans et apres vous serez bientot soit mort soit senile)
     

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [« On imagine mal mongénéral allant en scooter chez sa maîtresse dans le dos de Tante Yvonne » Certes non, mais Giscard, Mitterrand et Chirac étaient renommé pour le faire. La différence était que les médias ne pipaient mot ou presque (cf Giscard et son accident avec un camion de lait, ou Mitterrand logeant a l’Elysée a la vue de tous une de ses maitresses et sa fille)

      Vous n’avez pas compris mon propos. La question n’était pas d’avoir une maîtresse : beaucoup de présidents ou d’hommes politiques de premier plan en France en ont eu. Mais ils n’allaient pas la voir en scooter, et quand Giscard eut son accident avec le camion du laitier, sa femme n’a pas couru à l’armoire à pharmacie se suicider… pour ensuite écrire un livre assassin. Non, cela se gérait comme une affaire entre adultes. Madame Chirac ne se sentait pas menacée par les maîtresses de son mari, parce qu’elle savait qu’elle était la seule « légitime », et était satisfaite de cette situation. Madame Mitterrand savait que son mariage n’était que façade, et avait sa propre vie amoureuse en dehors du mariage.

      [Mais ceci est à mon avis un problème secondaire. Comme vous le soulignez, le problème n’est pas tant que macron ait connu sa femme a 15 ans mais qu’il n’y a plus aucun homme politique qui ait une vision pour la France. On est dans le clientélisme le plus total.]

      Je ne suis pas d’accord. Certains politiciens ne pensent qu’à leur réélection et sont prêts à faire tout et son contraire. Mais beaucoup de politiques ont une « vision pour la France ». Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau, Marine Le Pen, Fabien Roussel… même Macron a une idée de ce qu’il voudrait que notre pays soit. Il y a la « start-up nation » et la loi de la jungle des uns, la gynocratie végane des autres… Ces « visions » sont délirantes, irréalistes, incohérentes… mais c’est bien des « visions ». Le problème est moins la « vision » que le « projet », c’est-à-dire, un ensemble d’actions réalistes qui pourraient donner à ces « visions » une réalité.

      Je ne peux pas m’empêcher de penser que cette absence de projets est liée justement à cette infantilisation croissante de nos sociétés et en particulier de nos élites politiques et intellectuelles. Lorsque Macron s’entête à faire sa réforme des retraites, l’idée n’est pas de bâtir une « vision », ni même de satisfaire une clientèle particulière. C’est devenu pour lui une question d’orgueil, de fierté personnelle. Comme un enfant, il est prêt à tout pour avoir le dernier mot, sans même réaliser les dégâts qu’il cause.

      L’infantilisation conduit les politiques à vivre dans un monde magique. Un monde de « visions » utopiques sans qu’aucun « projet » vienne nous convaincre qu’elles sont possibles. C’est là, à mon avis, le problème. Comme les enfants, les politiques sont tellement accaparés par leur rêve qu’ils ne regardent plus la réalité. Ils sont tellement amoureux de leur pays idéal, qu’ils n’ont que peu de considération pour le pays réel.

      [Mais promettre du sang et des larmes, ça signifie faire 4 % des voix.]

      Je ne le crois pas. Je pense que les Français sont prêts à voter pour celui qui leur promettra du sang et des larmes AUJOURD’HUI pour construire quelque chose qui vaut la peine et dont on pourra jouir DEMAIN, si cette promesse est crédible. C’est un peu ce que faisait Marine Le Pen lorsqu’elle promettait la sortie de l’Euro, et pourtant elle a réussi à faire plus d’un tiers des voix. Le problème, c’est que personne n’est en mesure de nous expliquer comment les sacrifices d’aujourd’hui préparent un avenir radieux.

      [Une partie de la population en est probablement consciente mais combien veulent changer et ne pas juste mettre le fardeau sur le voisin ? C’est un peu ce que vous écrivez. Car le redressement ne devra pas impacter uniquement les classes intermédiaires. Le reste de la population devra aussi se serrer la ceinture (par exemple travailler plus ou ne plus pouvoir partir en vacances)]

      Vous savez, dans « le reste de la population », il y a déjà 50% de gens qui ne partent pas en vacances aujourd’hui. Je doute que cette menace les émeuve beaucoup. Mais admettons. Je ne doute pas que les couches populaires seront prêtes à se serrer la ceinture, à condition que le serrage soit justement reparti, autrement dit, qu’il soit d’autant plus violent qu’on monte dans l’échelle du revenu. C’est plutôt du côté du bloc dominant qu’il sera difficile de vendre cette politique. Et la raison est simple : un « projet national » ne représente pour elles aucun bénéfice. Les services publics se dégradent ? Il sera toujours moins cher pour eux de se payer des services privés, plutôt que de financer par leurs impôts les services pour tous.

      [Une partie de nos concitoyens se dit qu’après tout elle pour jouer à la pompadour (après elle le déluge). Apres tout c’est une position rationnelle si vous avez plus de 65 ans (le système survivra encore 10 ans et après vous serez bientôt soit mort soit sénile).]

      C’est supposer que les gens ne se projettent pas dans leurs enfants. Je ne crois pas qu’on en soit là.

      • François dit :

        @Descartes,
        [Le problème, c’est que personne n’est en mesure de nous expliquer comment les sacrifices d’aujourd’hui préparent un avenir radieux.]
        En somme, le problème des souverainistes, c’est comme celui de Macron avec sa réforme des retraites, c’est qu’ils ne sont pas preuve de suffisamment de « pédagogie » …
         
        Pour le reste, combien de Français se sont indignés quand l’avant-projet sommaire d’Astrid, soit un projet d’avenir « demandant des sacrifices (somme toute modérés) pour un avenir radieux » a été jeté aux oubliettes ?

        • Descartes dit :

          @ François

          [“Le problème, c’est que personne n’est en mesure de nous expliquer comment les sacrifices d’aujourd’hui préparent un avenir radieux.” En somme, le problème des souverainistes, c’est comme celui de Macron avec sa réforme des retraites, c’est qu’ils ne sont pas preuve de suffisamment de « pédagogie » …]

          Pas tout à fait. Les souverainistes parlent très peu de “sacrifices”, et il est difficile d’expliquer pourquoi ces sacrifices sont utiles si on n’accepte pas de les admettre d’abord! Je ne connais pas beaucoup de souverainistes “politiques” qui tiennent un discours churchillien.

          [Pour le reste, combien de Français se sont indignés quand l’avant-projet sommaire d’Astrid, soit un projet d’avenir « demandant des sacrifices (somme toute modérés) pour un avenir radieux » a été jeté aux oubliettes ?]

          Peu de Français savent que le projet Astrid a existé, et encore moins qu’il a été jeté aux oubliettes…

        • François dit :

          @Descartes
          [Je ne connais pas beaucoup de souverainistes “politiques” qui tiennent un discours churchillien.]
          Pourquoi à votre avis ne tiennent-ils pas de discours churchillien ?
          On en revient à notre point de désaccord : selon vous si les Français ne votent pas souverainiste, c’est parce-que vous considérez que les porteurs du projet ne sont pas convaincants. Moi au contraire, je considère que c’est le projet en lui-même qui ne convainc pas les Français.
           
          [Peu de Français savent que le projet Astrid a existé, et encore moins qu’il a été jeté aux oubliettes…]
          Il est bien là le problème…

          • Descartes dit :

            @ François

            [Pourquoi à votre avis ne tiennent-ils pas de discours churchillien ? On en revient à notre point de désaccord : selon vous si les Français ne votent pas souverainiste, c’est parce-que vous considérez que les porteurs du projet ne sont pas convaincants. Moi au contraire, je considère que c’est le projet en lui-même qui ne convainc pas les Français.]

            Non. Le problème n’est pas que les porteurs de projet ne sont pas convaincants, c’est qu’il n’y a pas vraiment de projet alternatif – c’est-à-dire, une vision de la société qu’on veut construire et la description d’un processus réaliste qui y conduise. Et ce n’est pas la faute des gens : il est difficile de fabriquer un projet contre l’idéologie dominante, surtout lorsque le rapport de forces structurel vous est totalement défavorable, et que les instruments qui permettent d’élaborer un tel projet sont dans les mains de la classe dominante. Il n’y a qu’à voir : aujourd’hui, combien d’intellectuels s’attaquent vraiment au pouvoir des classes intermédiaires ?

            • François dit :

              @Descartes
              [Non. Le problème n’est pas que les porteurs de projet ne sont pas convaincants, c’est qu’il n’y a pas vraiment de projet alternatif – c’est-à-dire, une vision de la société qu’on veut construire]
              Mais je ne vois pas en quoi ce projet alternatif n’existe pas, puisque malgré nos différences, nous sommes au moins deux à le vouloir, à savoir grosso modo que la France retrouve sa souveraineté pleine et entière, pour que l’État redevienne stratège afin de réindustrialiser le pays.
              [et la description d’un processus réaliste qui y conduise]
              Je ne vois pas où vous voulez en venir. Il existe plusieurs processus pour y parvenir, que ça soit la façon « douce » en utilisant l’article 50, ou la méthode dure en rompant unilatéralement les traités. Et puis personnellement, je ne vote pas pour un diagramme de Gantt complété d’une analyse de risques.
               
              [Et ce n’est pas la faute des gens : il est difficile de fabriquer un projet contre l’idéologie dominante, surtout lorsque le rapport de forces structurel vous est totalement défavorable]
              Comment ça difficile ? On finit exécuté si l’on soutient ce contre-projet ?
               
              [et que les instruments qui permettent d’élaborer un tel projet sont dans les mains de la classe dominante.]
              Encore une fois, je reprends l’argument de la gaussienne. Les « classes dominantes » ne constituent pas un tout homogène idéologique.
              Et puis de toutes façons, les élections sont libres dans ce pays, il n’y a pas besoin d’appartenir aux « classes dominantes » pour se présenter avec son projet. Libre à chacun de préférer le projet présenté par un col blanc ou un col bleu.
               
              [Il n’y a qu’à voir : aujourd’hui, combien d’intellectuels s’attaquent vraiment au pouvoir des classes intermédiaires ?]
              Je ne vois pas où vous voulez en venir. Il y a pas mal d’intellectuels, sans être la majorité qui sont souverainistes dans ce pays.
              Après, Christophe Guilluy a eu droit à un retour médiatique conséquent.

            • Descartes dit :

              @ François

              [« Non. Le problème n’est pas que les porteurs de projet ne sont pas convaincants, c’est qu’il n’y a pas vraiment de projet alternatif – c’est-à-dire, une vision de la société qu’on veut construire » Mais je ne vois pas en quoi ce projet alternatif n’existe pas, puisque malgré nos différences, nous sommes au moins deux à le vouloir, à savoir grosso modo que la France retrouve sa souveraineté pleine et entière, pour que l’État redevienne stratège afin de réindustrialiser le pays.]

              Vous avez mal coupé ma phrase : un projet, ce n’est pas seulement une « vision » d’un état final, mais aussi une description des moyens et des processus pour y parvenir. Nous sommes plus de deux à vouloir « que la France retrouve sa souveraineté pleine et entière, que l’Etat redevienne stratège et reindustrialise le pays ». Mais je ne suis pas persuadé que nous sachions comment parvenir à ce résultat, et que nous soyons d’accord sur les voies et moyens pour y parvenir.

              [« et la description d’un processus réaliste qui y conduise » Je ne vois pas où vous voulez en venir. Il existe plusieurs processus pour y parvenir, que ça soit la façon « douce » en utilisant l’article 50, ou la méthode dure en rompant unilatéralement les traités. Et puis personnellement, je ne vote pas pour un diagramme de Gantt complété d’une analyse de risques.]

              Pas si simple. Admettons qu’on sorte des traités européens d’une façon ou d’une autre. Et ensuite quoi ? Comment on gère une monnaie nationale ? Dans quel système d’alliances on s’inscrit ? Comment on partage les coûts de la souveraineté ?

              [« Et ce n’est pas la faute des gens : il est difficile de fabriquer un projet contre l’idéologie dominante, surtout lorsque le rapport de forces structurel vous est totalement défavorable » Comment ça difficile ? On finit exécuté si l’on soutient ce contre-projet ?]

              Oui. On ne vous envoie pas en prison – en tout cas pas encore – mais si vous vous écartez de la doxa, vous serez mis dans un placard, les bons postes et les promotions vous passeront sous le nez, on ne vous invitera pas aux réunions importantes et on ne vous laissera pas rencontrer les gens qui comptent. Et dans les cas les plus extrêmes, vous aurez à subir des campagnes de dénigrement ou de harcèlement. Pour des universitaires ou des hauts fonctionnaires, tout cela est assez dissuasif. Or, c’est bien ces gens-là qui disposent des instruments pour élaborer un contre-projet…

              [« et que les instruments qui permettent d’élaborer un tel projet sont dans les mains de la classe dominante. » Encore une fois, je reprends l’argument de la gaussienne. Les « classes dominantes » ne constituent pas un tout homogène idéologique.]

              Cela dépend des moments. En temps d’incertitude comme ceux que nous vivons, chaque groupe tend à se serrer les coudes, à gommer les différences pour afficher une façade homogène…

              [Et puis de toutes façons, les élections sont libres dans ce pays, il n’y a pas besoin d’appartenir aux « classes dominantes » pour se présenter avec son projet. Libre à chacun de préférer le projet présenté par un col blanc ou un col bleu.]

              Libres jusqu’à un certain point. Le peuple est libre de choisir l’option qu’il préfère, à condition qu’il ne préfère pas des choses trop dérangeantes – dérangeantes pour les classes dominantes, s’entend. Et lorsque ce risque existe, on fait tonner l’artillerie lourde, ou bien on ignore le résultat du vote, comme en 2005. Vous sous-estimez le pouvoir de l’idéologie dominante, à quoi s’ajoute la concentration des moyens intellectuels dans les mains des classes dominantes.

              [« Il n’y a qu’à voir : aujourd’hui, combien d’intellectuels s’attaquent vraiment au pouvoir des classes intermédiaires ? » Je ne vois pas où vous voulez en venir. Il y a pas mal d’intellectuels, sans être la majorité qui sont souverainistes dans ce pays.]

              Certes. Mais très peu parmi eux font le lien entre la question de la souveraineté et la question de classe. Autrement dit, la plupart des souverainistes constate l’asservissement de la France, mais ne se demandent guère qui sont ceux qui ont intérêt à cet asservissement. Et du coup, ils s’imaginent que la bataille est une pure bataille d’idées, alors que c’est un fait une forme particulière de la lutte des classes.

              [Après, Christophe Guilluy a eu droit à un retour médiatique conséquent.]

              C’est l’un des très rares intellectuels à avoir pris ce problème en considération.

      • cdg dit :

        [Mais ils n’allaient pas la voir en scooter,]

        Je pense pas que ca soit un probleme qu il y aille en scooter, velo ou voiture de fonction

        [et quand Giscard eut son accident avec le camion du laitier, sa femme n’a pas couru à l’armoire à pharmacie se suicider… pour ensuite écrire un livre assassin. Non, cela se gérait comme une affaire entre adultes. Madame Chirac ne se sentait pas menacée par les maîtresses de son mari, parce qu’elle savait qu’elle était la seule « légitime », et était satisfaite de cette situation. Madame Mitterrand savait que son mariage n’était que façade, et avait sa propre vie amoureuse en dehors du mariage.]

        a l epoque on ne divorcait pas. et dans des tas de famille bourgeoise, le mariage etait un mariage d interet donc l adultere etait plus que frequent (voire la norme) A notre epoque, le divorce est facile et n est plus un probleme pour un politicien. Mme Mitterrand y aurait perdu sa place et son rang et aurait reagit autrement si elle risquait de tout perdre Sans compter qu une femme qui veut avoir sa propre carriere sera tentee de planter celle de son ex (la encore un probleme qui n existait pas a l epoque, Mme Chirac ou Mitterrand n avaient aucun plan de carriere perso)

        [Mais beaucoup de politiques ont une « vision pour la France ». Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau, Marine Le Pen, Fabien Roussel… même Macron a une idée de ce qu’il voudrait que notre pays soit. Il y a la « start-up nation » et la loi de la jungle des uns, la gynocratie végane des autres]

        Si Mme Rousseau a probablement une vision de la France, j ai un gros doute pour Melenchon Macron ou Le Pen. Si Macron voulait vraiment une “start up nation”, il aurait eut une politique coherente sur l entreprenariat, une liberalisation de l economie … Je sais que c est la mode de decrire macron en ultra liberal mais son rafistolage des retraites est tout sauf “start up nation” (si on veut des start up on doit avoir du capital risque et donc de la retraite par capitalisation) Pour Le Pen, c est assez difficile de dire quelle est sa vision vu qu elle n a jamais explicite celle ci. Et elle est l adepte des volte faces comme sur la sortie de l euro C est la meme chose pour Melenchon. Son objectif est surtout de faire carriere, quitte a raconter n importe quoi. Un peu comme son modele Mitterrand qui s est fait elire sur un programme  dont il se moquait de savoir s il etait realisable et qu il a jeté un an apres son election sans remords. L essentiel etant ailleurs : conquerir le pouvoir et ses prebendes  

        [Je pense que les Français sont prêts à voter pour celui qui leur promettra du sang et des larmes AUJOURD’HUI pour construire quelque chose qui vaut la peine et dont on pourra jouir DEMAIN, si cette promesse est crédible. C’est un peu ce que faisait Marine Le Pen lorsqu’elle promettait la sortie de l’Euro, et pourtant elle a réussi à faire plus d’un tiers des voix. ]

        Si mes souvenirs sont bon, elle soutenait que la sortie de l euro serait quand meme quasi indolore pour les francais et elle a ete mise en difficulte quand on lui a demandé comment (cf le debat entre les 2 tours)  

        [C’est plutôt du côté du bloc dominant qu’il sera difficile de vendre cette politique. Et la raison est simple : un « projet national » ne représente pour elles aucun bénéfice. Les services publics se dégradent ? Il sera toujours moins cher pour eux de se payer des services privés, plutôt que de financer par leurs impôts les services pour tous.]

        ca reste a voir, Car meme si vous pouvez payer un hopital privé, une ecole privé … vous etes quand meme sur le meme bateau A un moment vous allez par ex rouler sur une route pleine d ornieres, avoir des coupures de courant ou votre entreprise ne trouvera pas de personnel formé ou vous faire braquer au feu rouge comme au Bresil Et combien ont envie de vivre dans des residences gardées comme en afrique ? En plus a moins d etre dans les 10-15 % les plus riches, je suis pas sur que vous pourriez tout payer. Par ex soins medicaux + education des enfants risquent de vous mettre sur la paille

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [« Mais ils n’allaient pas la voir en scooter, » Je pense pas que ca soit un problème qu’il y aille en scooter, vélo ou voiture de fonction]

          Un problème, je ne sais pas. Mais le fait d’aller en scooter est révélateur de la vision que ce président-là avait de lui-même et de sa fonction. Quand on est convaincu qu’on exerce une fonction importante, qu’on se doit au pays, on ne prend pas de risques inutiles.

          [et quand Giscard eut son accident avec le camion du laitier, sa femme n’a pas couru à l’armoire à pharmacie se suicider… pour ensuite écrire un livre assassin. Non, cela se gérait comme une affaire entre adultes. Madame Chirac ne se sentait pas menacée par les maîtresses de son mari, parce qu’elle savait qu’elle était la seule « légitime », et était satisfaite de cette situation. Madame Mitterrand savait que son mariage n’était que façade, et avait sa propre vie amoureuse en dehors du mariage.] à l’époque on ne divorçait pas.]

          D’où tirez-vous ça ? Maurice Thorez, qui était pourtant de la génération de De Gaulle, divorce en 1947. Georges Marchais, qui était de la génération suivante, divorce en 1959. Aucun des deux n’a eu à en souffrir dans sa vie politique. Et pourtant l’électorat communiste était relativement conservateur en termes sociétaux…

          [et dans des tas de famille bourgeoise, le mariage était un mariage d’intérêt donc l’adultère était plus que fréquent (voire la norme) A notre époque, le divorce est facile et n’est plus un problème pour un politicien. Mme Mitterrand y aurait perdu sa place et son rang et aurait réagi autrement si elle risquait de tout perdre Sans compter qu’une femme qui veut avoir sa propre carrière sera tentée de planter celle de son ex (la encore un problème qui n’existait pas à l’époque, Mme Chirac ou Mitterrand n’avaient aucun plan de carrière perso)]

          Admettons. Mais alors, la « femme moderne » qu’était Valérie Terweiller aurait du claquer la porte de l’Elysée et s’en aller poursuivre sa carrière, ou bien rester et prendre un amant à son tour. Au lieu de quoi elle a couru à l’armoire à pharmacie, puis a écrit un livre vengeur. Est-ce la le comportement d’un adulte, ou plutôt celui d’une adolescente ?

          [Si Mme Rousseau a probablement une vision de la France, j’ai un gros doute pour Mélenchon Macron ou Le Pen. Si Macron voulait vraiment une “start up nation”, il aurait eu une politique cohérente sur l’entreprenariat, une libéralisation de l’économie …]

          Deux remarques : la première, c’est que ce n’est pas parce qu’on a une « vision » qu’on est prêt à mettre ses actes en cohérence avec ses idées, surtout lorsque cette mise en cohérence a toutes les chances d’aboutir à vous faire pendre en place publique… Macron a été assez cohérent avec sa vision de la « start-up nation » dans ses politiques à bas bruit (destruction de la fonction publique, fiscalité). Vous ne pouvez pas lui demander de se suicider en libéralisant complètement les prix de l’énergie.

          [Je sais que c’est la mode de décrire macron en ultra libéral mais son rafistolage des retraites est tout sauf “start up nation” (si on veut des start up on doit avoir du capital risque et donc de la retraite par capitalisation)]

          Je pense que Macron est idéologiquement ce qui s’approche le plus d’un néolibéral en France. Mais « en même temps », c’est un politique qui aspire à durer, et qui a très bien compris que le pays n’est pas prêt à accepter une politique franchement néolibérale. C’est pourquoi il fait ce qu’on fait tous les néolibéraux français – les honteux comme les autres : affaiblir l’Etat, détruire les institutions et les services publics, de manière à rendre les politiques néolibérales inévitables. Son rafistolage est peut-être loin de ce qu’aurait fait un néolibéral orthodoxe, mais de rafistolage en rafistolage, un jour on nous expliquera qu’il faut la capitalisation, « qu’on ne peut faire autrement ».

          [Pour Le Pen, c’est assez difficile de dire quelle est sa vision, vu qu’elle n’a jamais explicite celle-ci. Et elle est l’adepte des volte faces comme sur la sortie de l’euro.]

          MLP n’a jamais consigné sa vision dans un écrit théorique, mais ses prises de position successives donnent une idée assez claire de ce qu’est sa France idéale, qui ressemble drôlement au projet gaullien du début des années 1960 : des institutions fortes, un accord capital-travail permettant de distribuer équitablement les fruits de la production, une France forte et indépendante dans le monde, une société homogène et plutôt conservatrice…

          [C’est la même chose pour Melenchon. Son objectif est surtout de faire carrière, quitte à raconter n’importe quoi. Un peu comme son modèle Mitterrand qui s’est fait élire sur un programme dont il se moquait de savoir s’il était réalisable et qu’il a jeté un an après son élection sans remords.]

          Mélenchon – comme Mitterrand d’ailleurs – pouvaient raconter n’importe quoi, mais ne racontaient pas tout de la même façon. S’ils ont dit beaucoup de choses, il y a des choses qu’ils n’ont jamais dites, et celles-là sont peut-être les plus révélatrices. Et puis, au-delà du discours, tous deux ont été au pouvoir, et nous pouvons donc juger sur pièces. Et puis, il y a des constantes : par exemple l’adhésion de Mélenchon à la construction européenne, son rejet de l’idée de souveraineté nationale, qui est une constante de son discours depuis plus de trente ans.

          L essentiel etant ailleurs : conquerir le pouvoir et ses prebendes

          [Si mes souvenirs sont bon, elle soutenait que la sortie de l euro serait quand meme quasi indolore pour les francais et elle a ete mise en difficulte quand on lui a demandé comment (cf le debat entre les 2 tours) ]

          On n’a pas les mêmes souvenirs. Pendant la campagne, MLP n’a pas caché que la sortie de l’Euro n’allait pas être un chemin de roses. Et elle n’a pas été mise en difficulté sur cette question. Si elle a été dans une situation intenable entre les deux tours, c’est parce que pour obtenir le ralliement de Dupont-Aignan et faire plaisir à l’aile conservatrice du RN, elle a abandonné l’idée de rétablissement de la monnaie nationale, et est partie sur le remplacement de l’Euro par une « monnaie commune », proposition qui avait tous les inconvénients de l’abandon de l’Euro et aucun de ses avantages – en plus d’être incompréhensible.

          [ça reste à voir, car même si vous pouvez payer un hôpital privé, une école privé … vous êtes quand même sur le même bateau : A un moment vous allez par ex rouler sur une route pleine d’ornières, avoir des coupures de courant ou votre entreprise ne trouvera pas de personnel formé ou vous faire braquer au feu rouge comme au Bresil.]

          Tout ça se résout très bien grâce à la ségrégation géographique. Si tous les riches vivent dans le même coin, ils peuvent s’entendre pour entretenir la route, le réseau électrique et même pour faire garder les feux rouges de leur quartier fermé. Bien entendu, quand ils sortent il faut avoir une voiture blindée et des gardes armées, mais c’est toujours moins cher que de payer les impôts qui permettraient d’entretenir des services publics pour tout le monde. C’est déjà comme ça au Brésil, en Argentine, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud… et je ne vous parle que des pays que j’ai visité personnellement !

          [Et combien ont envie de vivre dans des résidences gardées comme en Afrique ?]

          Si la conséquence est de diviser par quatre vos impôts, vous trouverez pas mal de monde prêt à tenter la chose… La preuve : ce genre de fonctionnement s’étend de plus en plus. Bien entendu, c’est plus facile à accepter dans les pays « communautaires », où l’idée de vivre « entre soi » est naturelle. Mais ça arrivera chez nous, croyez-moi…

          [En plus a moins d’être dans les 10-15 % les plus riches, je suis pas sûr que vous pourriez tout payer. Par ex soins médicaux + éducation des enfants risquent de vous mettre sur la paille]

          Un calcul de coin de table vous montre que vous avez tort. Aujourd’hui, nous payons avec nos impôts les services publics. Autrement dit, le contribuable moyen paye le cout moyen du service public. Mais nous ne payons pas tous le même montant en impôts. Un cadre paye deux, trois, dix, vingt fois plus qu’un RMIste. Est-ce qu’il bénéficie deux, trois, dix, vingt fois plus des services publics ? Même s’il est exact que les classes intermédiaires bénéficient plus des services publics que les couches populaires, ce n’est pas dans une telle proportion. La conclusion est que les classes intermédiaires payent par leurs impôts plus que ce qu’ils retirent. Et donc que si chacun payait ses soins et l’éducation de ses enfants, les classes intermédiaires y gagneraient…

  4. P2R dit :

    Bonjour Descartes,
    ((Parce qu’en France, historiquement, la procédure n’a jamais été source de légitimité comme elle peut l’être en Allemagne ou en Grande Bretagne, où des lois totalement absurdes sont observées sans que personne ne se pose des questions. Nous sommes un peuple politique, au sens que nous n’acceptons pas cette idée que la règle doit être obéie simplement parce que c’est la règle. Chez nous, à minuit et sur une route de village, les piétons traversent avec le feu piéton au rouge (1). Et c’est très bien ainsi. // On peut longuement s’interroger sur l’origine de cette différence. A mon sens, elle tient à l’histoire. Il y a des nations qui se sont constituées autour de l’Etat, et des nations qui se sont construites autour du Droit. Pour résumer, les Anglais ont fait leur révolution pour défendre les pouvoirs judiciaires du Parlement, les Français pour l’abolir.))
     
    Je ne suis pas théologien, mais il me semble que cela provient essentiellement de la différence entre culture protestante et catholique, et en particulier de la différence de la notion de pardon.
     
    Dans la culture protestante, le pardon divin est acquis “a priori”, inconditionnellement. C’est le rôle de l’Homme, lors de la vie terrestre, de se montrer digne de ce pardon en respectant scrupuleusement la loi, et en se montrant intransigeant avec le pêcheur (cf la réplique “Dieu pardonne, moi pas” du prêtre armé d’un fusil à pompe dans les séries Z tendance Tarantinesques).  D’où une tendance nettement affirmée pour le puritanisme et les “chasses aux sorcières” en tout genre. Dans la culture protestante, c’est le corps social qui joue un rôle de dissuasion. Que l’on vous aperçoive en train de traverser au rouge, ou que vous oubliiez de tondre votre pelouse, le châtiment (l’ostracisation) n’attendra pas votre passage dans l’au-delà, il sera immédiat. En revanche, dès que cette pression sociale se relâche, c’est la porte ouverte à tous les débordements (le fameux cliché-pas-si-cliché des “Allemands en vacances”).

    A contrario, dans la culture catholique, Dieu, lors du jugement dernier, peut choisir d’accorder ou non son pardon, lui seul est juge, déchargeant les hommes de cette tâche, ce qui explique une tolérance nettement plus large des hommes à la transgression des règles de la vie terrestre: nul besoin de châtier à tout prix celui qui agit de manière immorale, Dieu s’en chargera. La pression sociale est d’autant moins forte. Cependant, l’œil (et le jugement) de Dieu reste constamment posé sur vous, même quand vous êtes seul, mais un Dieu observateur, un Dieu qui jugera au cas par cas de la gravité de vos actes, en bref un Dieu capable de comprendre que c’est vraiment pas très grave de ne pas respecter le feu rouge à 5h du matin dans une bourgade en rase campagne.
     
    En écrivant cela, et pour rejoindre le thème principal de votre billet, je me dis que le mode de fonctionnement de la culture protestante possède probablement quelque chose d’intrinsèquement immature. Dès lors que le “père” symbolique (la société) détourne le regard, tous les débordements sont permis, avec la bienveillance inconditionnelle de Dieu, dans un rôle bien plus “maternel”. En revanche, les rôles s’inversent dans la structure catholique, où l’omniprésence du regard d’un Dieu “paternel” pousse davantage à l’introspection et à la responsabilisation des individus, là où la société se montre davantage bienveillante. Est-ce que notre société se “protestantise” ?
     
    Personnellement, j’en suis convaincu, et je suis convaincu que l’essentiel des mutations que nous connaissons tiennent largement de la guerre de religions, entre un libéralisme anglo-saxon modelé sur les dogmes protestants, prônant le communautarisme, l’individualisme et la pureté morale, contre notre culture républicaine adossée aux valeurs catholiques, centralisée, assimilationniste et tolérante, enrichie de tout l’héritage des Lumières. Et comme dans toute guerre de religion, chaque camp a ses dogmes indépassables, les libertés individuelles d’un côté, l’universalisme républicain de l’autre. Et cette guerre, nous sommes en train de la perdre, en silence, sans même en avoir conscience.
     
    Je relisais récemment votre billet sur l’assassinat de Samuel Paty, et la superbe citation de Terry Pratchett sur la “vraie foi”. J’en ai eu des frissons. Oui, il faut défendre bec et ongles notre héritage républicain, et ceux qui pensent que l’Islam est l’ennemi se trompent lourdement. C’est le libéralisme, je dis bien libéralisme et pas capitalisme (la République Française s’étant par le passé fort bien accomodée d’un capitalisme régulé assorti d’un fort capitalisme d’état), qui permet à l’Islam et à toutes les dérives sectaires possibles et imaginables de s’implanter. Combattre ces dérives sans combattre le libéralisme, c’est pire qu’un emplâtre sur une jambe de bois. C’est n’avoir rien compris à la haine que nous vouent les soi-disant progressistes d’outre atlantique, et pire, c’est n’avoir rien compris à ce qui fait la singularité de notre pays, ni à la fragilité de ce qui en est le cœur. Abattre le capitalisme est une chimère. Lutter contre le libéralisme est une question de survie.
     
    Pour conclure, je reviens sur cette notion d’immaturité. Ma crainte, c’est que l’immaturité soit le terreau du fanatisme, d’injonctions morales toujours plus poussées, toujours plus pressantes. Aujourd’hui, dans l’arène politique, beaucoup “jouent”, mais pour combien de temps ? Un Mélenchon est trop ancré dans le XXème siècle pour être crédible dans son rôle. Mais une Sandrine Rousseau ? Pensez-vous qu’elle joue elle aussi ? On voit déjà à quel point, avec la guerre en Ukraine, ces gens qui “jouent” sans la moindre responsabilité arrivent à infléchir les actions d’un gouvernement faible dans des directions qui insultent la rationalité, juste par le bruit médiatique, juste par des injonctions sur des plateaux TV.. Quand on voit les dégâts que peuvent commettre de si mauvais comédiens, on ne peut que trembler à la pensée de ce que pourrait faire un authentique illuminé…

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [Je ne suis pas théologien, mais il me semble que cela provient essentiellement de la différence entre culture protestante et catholique, et en particulier de la différence de la notion de pardon.]

      Ce n’est pas évident. Ainsi par exemple l’Espagne a une tradition bien plus « juridique » que la France, pourtant tous deux pays catholiques. Je pense que cela tient à la manière dont le pouvoir central s’est construit. Dans certains pays, le pouvoir central est vécu comme une menace qu’il faut contrer par le pouvoir local, dans d’autres comme une protection contre des pouvoirs locaux arbitraires ou rapaces. Il est vrai que le premier cas est plus fréquent dans les pays protestants, peut-être parce que le pouvoir central était lié à l’église catholique. Et que pour rejeter l’oppression de l’un il fallait contester le rôle de l’autre.

      [En écrivant cela, et pour rejoindre le thème principal de votre billet, je me dis que le mode de fonctionnement de la culture protestante possède probablement quelque chose d’intrinsèquement immature. Dès lors que le “père” symbolique (la société) détourne le regard, tous les débordements sont permis, avec la bienveillance inconditionnelle de Dieu, dans un rôle bien plus “maternel”. En revanche, les rôles s’inversent dans la structure catholique, où l’omniprésence du regard d’un Dieu “paternel” pousse davantage à l’introspection et à la responsabilisation des individus, là où la société se montre davantage bienveillante. Est-ce que notre société se “protestantise” ?]

      Certainement. Comme le remarquait Weber, il y a un lien entre l’éthique protestante et le capitalisme. L’approfondissement du capitalisme conduit à adopter une vision « protestante » du monde. Je n’avais pas réfléchi à cette question, mais je trouve votre observation très intéressante. La version catholique, en faisant de dieu le seul juge des actes des hommes, conduit à une position bien plus adulte que la vision protestante d’un individu soumis au contrôle permanent de la communauté.

      [Personnellement, j’en suis convaincu, et je suis convaincu que l’essentiel des mutations que nous connaissons tiennent largement de la guerre de religions, entre un libéralisme anglo-saxon modelé sur les dogmes protestants, prônant le communautarisme, l’individualisme et la pureté morale, contre notre culture républicaine adossée aux valeurs catholiques, centralisée, assimilationniste et tolérante, enrichie de tout l’héritage des Lumières. Et comme dans toute guerre de religion, chaque camp a ses dogmes indépassables, les libertés individuelles d’un côté, l’universalisme républicain de l’autre. Et cette guerre, nous sommes en train de la perdre, en silence, sans même en avoir conscience.]

      Je n’y avais pas réfléchi, mais je trouve ce point de vue très intéressant. Il faudrait que je regarde ça !

      [Je relisais récemment votre billet sur l’assassinat de Samuel Paty, et la superbe citation de Terry Pratchett sur la “vraie foi”. J’en ai eu des frissons. Oui, il faut défendre bec et ongles notre héritage républicain, et ceux qui pensent que l’Islam est l’ennemi se trompent lourdement. C’est le libéralisme, je dis bien libéralisme et pas capitalisme (la République Française s’étant par le passé fort bien accommodée d’un capitalisme régulé assorti d’un fort capitalisme d’état), qui permet à l’Islam et à toutes les dérives sectaires possibles et imaginables de s’implanter. Combattre ces dérives sans combattre le libéralisme, c’est pire qu’un emplâtre sur une jambe de bois.]

      Tout à fait. J’apporterai une nuance : je pense que par « libéralisme » vous entendez une forme de libéralisme anglosaxon. Car la République française est elle aussi héritière d’un courant libéral, certes très différent.

      • Goupil dit :

        Bonjour,
        J’ai longtemps suivi – par intermittence il est vrai – votre blog sans souhaiter y participer. Je n’entends pas épiloguer sur les raisons de cette non-participation, mais, si vous m’y autorisez, je souhaiterais apporter quelques éléments à votre discussion.
        Je suis vraiment désolé, mais mon message est trop long. Je fais donc le choix de le segmenter en trois partie, mais je laisse le modérateur du blog agir à sa guise s’il souhaite ne pas le publier ou caviarder les passages qui lui paraissent sans intérêt afin de le faire tenir en un seul commentaire.
        @P2R écrit :
        [je suis convaincu que l’essentiel des mutations que nous connaissons tiennent largement de la guerre de religions, entre un libéralisme anglo-saxon modelé sur les dogmes protestants, prônant le communautarisme, l’individualisme et la pureté morale, contre notre culture républicaine adossée aux valeurs catholiques, centralisée, assimilationniste et tolérante, enrichie de tout l’héritage des Lumières.]
        (1)
        Il me semble pour le moins audacieux de parler de « culture républicaine adossée aux valeurs catholiques ». Il ne faudrait tout de même pas oublier que l’Eglise catholique, garante s’il en est des « valeurs catholiques », s’est historiquement opposée à la République et a soutenu, de manière plus ou moins prononcée et au moins jusqu’au ralliement des années 1880 (et encore la condamnation de l’Action française et du « parti monarchiste » n’est-elle publiée qu’en 1926), les partisans d’une restauration monarchique.
        S’il n’en allait que de l’Eglise comme institution, passe encore, si j’ose dire…mais on peut remarquer que les régions où l’influence catholique a été la plus forte et où l’on peut donc supposer que lesdites valeurs catholiques sont le plus ancrées dans l’esprit des populations (grosso modo le grand Ouest, la Flandre, le pays niçois, la Savoie, l’Alsace-Moselle et la Lorraine, le Pays Basque et le Béarn, les campagnes « blanches » méditerranéenne et les zones montagneuses du Massif central) sont aussi celles qui ont opposé et opposent le plus de résistances à la République. Par une comparaison de cartes, on voit parfaitement que ces régions (identifiables sur la carte du chanoine Boulard comme les régions rurales comptant le plus grand pourcentage de pascalisants, donc où les traditions catholiques sont les plus suivies) sont aussi celles où la droite antirépublicaine ou ralliée remportait ses plus francs succès sous la IIIème République, et sont aujourd’hui les régions où l’on trouve pêle-mêle le plus grand nombre d’établissements scolaires privés, le plus fort pourcentage de vote écologiste et centriste (hors métropoles) et le plus fort pourcentage d’adhésion à l’Union européenne (ce sont les seules régions, hors métropoles, où le vote de 2005 a donné une majorité à la « Constitution européenne »). Je ne suis pas le seul à faire ce lien : il me semble avoir lu dans un compte-rendu qu’Emmanuel Todd, dans son ouvrage très controversé Où est Charlie ?, soulignait aussi que ces régions très catholiques étaient donc des régions marquées par un comportement antirépublicain (dont l’adhésion à la construction européenne serait la manifestation la plus claire).
        (2)
        J’ai un doute sur la formulation de votre phrase : la culture républicaine est centralisée, assimilationniste et tolérante, mais peut-on sérieusement associer ces trois termes aux « valeurs catholiques » ?
        Le catholicisme n’est pas « centralis[ateur] » (même si l’Eglise est centralisée), du moins pas à l’échelle nationale. Historiquement, le « parti catholique » a défendu d’une part la décentralisation politique, les privilèges de chaque province et de chaque corporation contre l’Etat central (qu’il soit monarchique ou républicain), le pouvoir des hobereaux locaux contre celui du souverain, et d’autre part le refus de la construction nationale-étatique au profit de l’intégration de la France dans un ensemble plus vaste (qu’il s’agisse de la chrétienté ou de l’Europe, peu ou prou la même chose) soumis à un pouvoir supranational (le couple Pape/Empereur ou la commission de Bruxelles). C’était vrai à l’époque des guerres de religion quand la Ligue catholique et les Guise quémandaient l’aide du pouvoir austro-espagnol dans leur lutte pour soumettre le roi aux Etats-généraux et, en fait, à l’assemblée des nobles ; c’est toujours vrai aujourd’hui quand on sait que les catholiques pratiquants sont plus favorables à la construction européenne que les autres groupes religieux. D’ailleurs, écolos et centristes sont les plus chauds décentralisateurs de France et leurs zones de force sont les zones de vieille tradition catholique.
        Le catholicisme n’est pas une culture de la tolérance. Les catholiques ont toujours su utiliser le bâton et la politique de terreur pour forcer les conversions et réprimer les hérésies : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » n’a guère l’allure d’un appel à la tolérance. Et cela sans nier qu’il existe dans le message chrétien de nombreux appels à la tolérance, que les curés ont parfois appliqué sans l’aval de leur Eglise (mais il en va de même des pasteurs).
        Pour l’assimilationnisme, j’ai plus de doutes et, après tout, je ne serai pas étonné que le catholicisme le soit en tant qu’héritier partiel d’un fonds culturel latin. Au demeurant, j’ai toujours eu une certaine méfiance envers les discours selon lesquels les Anglo-Saxons ne seraient pas assimilationnistes…et plus encore sur le fait qu’il faudrait y voir un sous-produit du protestantisme. Je ne vais pas développer de peur d’être trop long mais je suis ouvert à la discussion.

        • Descartes dit :

          @ Goupil

          [J’ai longtemps suivi – par intermittence il est vrai – votre blog sans souhaiter y participer. Je n’entends pas épiloguer sur les raisons de cette non-participation, mais, si vous m’y autorisez, je souhaiterais apporter quelques éléments à votre discussion.]

          Non seulement je vous autorise, mais je vous y encourage !

          [Je suis vraiment désolé, mais mon message est trop long. Je fais donc le choix de le segmenter en trois parties, mais je laisse le modérateur du blog agir à sa guise s’il souhaite ne pas le publier ou caviarder les passages qui lui paraissent sans intérêt afin de le faire tenir en un seul commentaire.]

          Je ne me permettrai jamais de juger « sans intérêt » ce qu’un contributeur a écrit. S’il l’a écrit, c’est qu’il est intéressant pour lui. Et les lecteurs ici sont assez adultes pour juger si cela a un intérêt pour eux. Vous me donnez l’opportunité de rappeler les règles de ce blog : je publie TOUTES les contributions, sans AUCUNE modification (sauf quelquefois pour rétablir la mise en page), dès lors qu’ils respectent les lois en vigueur et font preuve de courtoisie envers les autres intervenants.

          [Il me semble pour le moins audacieux de parler de « culture républicaine adossée aux valeurs catholiques ». Il ne faudrait tout de même pas oublier que l’Eglise catholique, garante s’il en est des « valeurs catholiques », s’est historiquement opposée à la République]

          C’est vrai. Mais cela n’empêche pas que la République a repris très largement des valeurs, des règles et des coutumes antérieures, très marquées par la culture catholique. Et c’est logique : même si l’Internationale parle de faire « table rase » du passé, en pratique c’est impossible. Même les révolutionnaires les plus zélés ont eu une éducation, et puisent leurs références dans celle-ci. Pour vous donner un exemple : le Code civil napoléonien – qui est l’un des aboutissements juridiques de la pensée révolutionnaire – reprend pour la famille une structure très proche de celle prêchée par l’Eglise : le mariage reste un contrat solennel, exclusif, entre deux personnes de sexe différent, dont la finalité est largement la procréation. Le République aurait pu instaurer l’amour libre, le ménage à plusieurs, ou la polygamie. Elle ne l’a pas fait. Ni en 1800, ni aujourd’hui d’ailleurs…

          [S’il n’en allait que de l’Eglise comme institution, passe encore, si j’ose dire…mais on peut remarquer que les régions où l’influence catholique a été la plus forte et où l’on peut donc supposer que lesdites valeurs catholiques sont le plus ancrées dans l’esprit des populations (grosso modo le grand Ouest, la Flandre, le pays niçois, la Savoie, l’Alsace-Moselle et la Lorraine, le Pays Basque et le Béarn, les campagnes « blanches » méditerranéenne et les zones montagneuses du Massif central) sont aussi celles qui ont opposé et opposent le plus de résistances à la République.]

          Ca se discute. Je ne vois pas très bien comment se manifeste aujourd’hui la « résistance à la République » en Lorraine ou en Flandre, au Béarn ou au Pays Basque. Que certains de ces territoires s’opposent à une vision jacobine de la République, c’est exact. Mais ce qui joue est moins l’influence catholique que le caractère plus ou moins isolé de ces régions (les régions isolés, peu soumises au brassage, tendent à être plus conservatrices et méfiantes de ce qui vient de l’extérieur) ou bien leur incorporation tardive à la République (cas de l’Alsace-Moselle ou de Nice). En fait, on ne trouve guère aujourd’hui de rejet de la République en tant que tel, en dehors de quelques régions très particulières (Vendée…).

          [Je ne suis pas le seul à faire ce lien : il me semble avoir lu dans un compte-rendu qu’Emmanuel Todd, dans son ouvrage très controversé Où est Charlie ?, soulignait aussi que ces régions très catholiques étaient donc des régions marquées par un comportement antirépublicain (dont l’adhésion à la construction européenne serait la manifestation la plus claire).]

          Oui, mais à mon sens l’erreur de Todd est de conclure à une causalité alors qu’il n’y a qu’une coïncidence. Ce n’est pas parce que la plupart des gens meurent dans leur lit que le lit est la cause de la mort. Il y a des éléments – l’isolement, par exemple – qui contribuent à la fois à préserver une certaine culture catholique et à privilégier un « localisme » méfiant de tout ce qui vient de l’extérieur.

          [J’ai un doute sur la formulation de votre phrase : la culture républicaine est centralisée, assimilationniste et tolérante, mais peut-on sérieusement associer ces trois termes aux « valeurs catholiques » ? Le catholicisme n’est pas « centralis[ateur] » (même si l’Eglise est centralisée), du moins pas à l’échelle nationale.]

          Si. La centralisation de l’institution reflète une idée d’unicité. Le terme « catholique » vient lui-même du grec et signifie « universel ». Cette prétention d’universalité conduit à un dogme unique, à une lecture unique de la bible, à une discipline unique des sacrements… même le langage était unique, et il a fallu des siècles et la pression du protestantisme pour que l’Eglise se résigne – il y a toujours des gaulois qui ne l’acceptent pas – a abandonner le Latin.

          Il y a un lien entre l’universalité et la centralisation. Ce n’est pas par hasard si la « France universelle » est une France jacobine…

          [Historiquement, le « parti catholique » a défendu d’une part la décentralisation politique, les privilèges de chaque province et de chaque corporation contre l’Etat central (qu’il soit monarchique ou républicain), le pouvoir des hobereaux locaux contre celui du souverain, et d’autre part le refus de la construction nationale-étatique au profit de l’intégration de la France dans un ensemble plus vaste (qu’il s’agisse de la chrétienté ou de l’Europe, peu ou prou la même chose) soumis à un pouvoir supranational (le couple Pape/Empereur ou la commission de Bruxelles).]

          C’est un peu plus ambigu que ça. L’Eglise a aussi favorisé la formation de puissants empires, qu’elle voyait comme une garantie pour la protection de ses privilèges : La création de l’empire carolingien, du Saint empire ou de l’empire de Charles V sont de bons exemples. Mais si l’Eglise a souvent favorisé la décentralisation politique et la multiplication des pouvoirs concurrents, c’est pour des raisons tactiques, selon le vieux principe « divide ut regnam ».

          [Le catholicisme n’est pas une culture de la tolérance. Les catholiques ont toujours su utiliser le bâton et la politique de terreur pour forcer les conversions et réprimer les hérésies : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » n’a guère l’allure d’un appel à la tolérance.]

          Je pense que le terme « tolérant » n’est pas à prendre au sens de la tolérance envers les autres religions, mais de la tolérance en matière de mœurs oui de liberté intellectuelle. Aucune communauté protestante n’aurait toléré chez un prêtre ce que l’église catholique tolérait chez un Richelieu ou un Mazarin. La liberté de pensée dans les universités catholiques était infiniment plus importante que chez les protestants.

          [Pour l’assimilationnisme, j’ai plus de doutes et, après tout, je ne serai pas étonné que le catholicisme le soit en tant qu’héritier partiel d’un fonds culturel latin.]

          Cela va avec l’universalité. L’ambition de l’église catholique est que tous les hommes adoptent les mêmes croyances, les mêmes rituels, les mêmes disciplines. Pendant longtemps, elle a même prétendu qu’ils adoptent tous la même langue liturgique ! C’est une grande différence avec les juifs ou les protestants : les premiers ne sont pas prosélytes, les seconds admettent une adaptation locale et même personnelle.

          [Au demeurant, j’ai toujours eu une certaine méfiance envers les discours selon lesquels les Anglo-Saxons ne seraient pas assimilationnistes…]

          Pourtant, c’est une réalité qui travers toute leur histoire. Prenez par exemple les différences dans l’administration des colonies britanniques et françaises.

      • Goupil dit :

        Il me semble surtout que votre discours évacue le rôle plus que fondamental joué par les réformés dans le républicanisme français. Ses ennemis ne s’y sont pas trompé : « La République est le gouvernement des pédagogues protestants qui importent d’Allemagne et de Suisse un système d’éducation qui abrutit et dépayse le cerveau des jeunes Français » pouvait-on lire sur une célèbre affiche de l’Action française exposant les méfaits des « quatre états confédérés ».
        Les protestants ont joué un rôle majeur dans l’édification de la République (en particulier la Troisième) et surtout de son école – d’où l’insistance de l’AF sur les « pédagogues protestants ». Bien entendu, comment ne pas penser à Ferdinand Buisson ? Protestant, il a même exercé comme pasteur en Suisse pendant le Second Empire et devient, dans les années 1880, directeur de l’instruction primaire en France. Vous le connaissez bien, rôle central dans la mise en place de l’école laïque et directeur de publication du Dictionnaire de pédagogie. C’est en Suisse d’ailleurs qu’il s’est lié à deux autres pasteurs : Félix Pécaut (qui sera directeur de l’ENS de Fontenay-aux-Roses et inspecteur général de l’instruction primaire) et Jules Steeg (qui occupera les deux mêmes fonctions et sera rapporteur de la loi Ferry sur la laïcisation de l’enseignement). Si je ne m’abuse Louis Liard, le directeur de l’enseignement supérieur du temps de Ferry et au-delà, est aussi protestant et membre du cercle proche de Buisson. Les familles Reclus (dont l’anarchiste Elisée, qui est le principal rédacteur des programmes de géographie à l’école primaire) et Kergomard (dont Pauline, la célèbre première inspectrice générale des écoles maternelles), toutes deux liées par des relations familiales entre elles et aux Steeg, sont aussi protestantes. Et bien d’autres…
        Il faut dire que le projet de scolarisation primaire de masse, conçu par Buisson et Ferry comme un projet libéral, se marie aisément à la vision protestante de l’Etat comme un moyen de protection des libertés publiques. L’école doit donner la liberté aux enfants et en premier lieu la liberté de penser contre les dogmes, c’est-à-dire contre les prétentions de l’Eglise catholique. Ici, libéralisme et étatisme ne s’opposent pas car le second apparaît comme l’instrument du premier. S’il est donc juste de parler d’un protestantisme attaché au libéralisme (d’autant plus fort qu’en France les réformés sont une minorité religieuse qui a toujours cherché les moyens de se protéger contre la majorité catholique), il est cependant peu réaliste d’opposer ce libéralisme à une « tradition républicaine » qui serait antilibérale car, et Descartes ici le souligne bien, il existe un républicanisme libéral qui fut même le courant dominant du républicanisme tertio-républicain.
        En lien avec cela, je ne suis pas certain que l’on puisse opposer libertés individuelles et universalisme républicains. Les deux me semblent au contraire tout à fait liées organiquement : les républicains ont toujours conçu la République comme un régime de libertés individuelles et collectives, qui allait de pair avec la nature universelle de ces libertés. La Troisième République – encore elle mais comment y échapper si l’on souhaite déterminer le fond du projet républicain – était un régime qui se voulait idéalement universaliste, individualiste et libéral, ce qu’il a somme toute été pour la plus grande partie de son existence. Par contre, je ne crois pas qu’il y ait une opposition aussi nette que le pense Descartes entre le libéralisme républicain français et le libéralisme anglo-saxon. A mon sens, la véritable question est plutôt : donne-t-on la même signification sociale aux termes « libéralisme », « individualisme » et « universalisme » aujourd’hui et en 1870 ? J’aurais tendance à penser qu’on utilise les mêmes mots pour désigner des choses différentes.
         
        Désolé pour ce message trop long et également pour cette publication déstructurée.
        Cordialement.

        • Descartes dit :

          @ Goupil

          [Il me semble surtout que votre discours évacue le rôle plus que fondamental joué par les réformés dans le républicanisme français.]

          Je disputerais cette formulation. Que certaines personnalités d’origine protestante aient joué un rôle signalé, je suis d’accord. Il est bien connu que dans toutes les révolutions, les minorités religieuses, ethniques ou idéologiques jouent un rôle disproportionné par rapport à leur représentativité statistique. La raison est simple : les minorités sont souvent celles qui ont le plus intérêt à la contestation de l’ordre établi, là où la majorité – qui a eu largement le temps d’établir un ordre à sa convenance – a généralement intérêt à son maintien. Et par ailleurs, les personnes issues de ces minorités ont souvent moins de mal à échapper à la pression de leur communauté, et donc à penser de manière autonome. Il n’est pas étonnant donc de trouver des protestants et des juifs en surnombre dans les élites intellectuelles et politiques « révolutionnaires » sauf, évidemment, lorsque ces minorités sont interdites dans l’espace public, comme ce fut le cas des juifs dans beaucoup de domaines.

          [Il faut dire que le projet de scolarisation primaire de masse, conçu par Buisson et Ferry comme un projet libéral, se marie aisément à la vision protestante de l’Etat comme un moyen de protection des libertés publiques.]

          Je dirais plus simplement que les protestants – comme les juifs – étaient ceux qui avaient le plus d’intérêt à voir limité le pouvoir de l’église catholique sur l’Etat en général et l’enseignement en particulier… Là où les protestants n’avaient rien à perdre à la laïcisation de l’Etat et de l’école ils ont été moteurs. Là où ils avaient quelque chose à perdre… c’est moins évident. Je ne me souviens pas que les protestants alsaciens, par exemple, aient demandé l’application de la loi de 1905 à l’Alsace-Moselle en 1918…

          [L’école doit donner la liberté aux enfants et en premier lieu la liberté de penser contre les dogmes, c’est-à-dire contre les prétentions de l’Eglise catholique.]

          Je ne crois pas que les protestants fussent très favorables à la « liberté de penser contre les dogmes ». Ils ne l’étaient que dans la mesure où l’église catholique était en position d’imposer SON dogme aux autres. Là où les protestants sont dominants, ils sont contre toute séparation de la religion et de l’Etat.

          [S’il est donc juste de parler d’un protestantisme attaché au libéralisme (d’autant plus fort qu’en France les réformés sont une minorité religieuse qui a toujours cherché les moyens de se protéger contre la majorité catholique), il est cependant peu réaliste d’opposer ce libéralisme à une « tradition républicaine » qui serait antilibérale car, et Descartes ici le souligne bien, il existe un républicanisme libéral qui fut même le courant dominant du républicanisme tertio-républicain.]

          Il y a là une difficulté de vocabulaire. Les courants majoritaires du républicanisme français ne sont pas « libéraux » au sens des libéraux anglosaxons. On peut ainsi noter qu’aucun des droits garantis par la Déclaration de 1789, considéré comme le document fondateur du libéralisme français, n’est absolu. Le texte précise d’ailleurs les conditions dans lesquelles la société peut porter atteinte à ces droits. Le cas le plus caractéristique est le droit de propriété : absolu pour les penseurs anglosaxons, il peut être violé en France dans des conditions précises (pour cause d’utilité publique, et avec une juste et préalable indemnisation). La définition même donnée par la Déclaration de la liberté (« le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ») fait frémir les libéraux anglosaxons, puisqu’elle laisse à la société la décision de ce qui « nuit » ou ne « nuit pas », et la possibilité d’empêcher de faire en fonction du résultat.

          Je ne sais pas si on peut parler à propos du protestantisme d’un attachement idéologique au libéralisme, ou s’il s’agit d’un attachement de circonstance commandé par le besoin de résister à la puissance de l’église dominante. Un peu comme les musulmans qui aujourd’hui invoquent les libertés publiques pour porter le voile à l’école…

          [En lien avec cela, je ne suis pas certain que l’on puisse opposer libertés individuelles et universalisme républicains. Les deux me semblent au contraire tout à fait liées organiquement : les républicains ont toujours conçu la République comme un régime de libertés individuelles et collectives, qui allait de pair avec la nature universelle de ces libertés.]

          Les républicains ont au contraire considéré que les libertés individuelles sont limitées, et peuvent être limitées lorsque l’intérêt général l’exige. Cette limitation est indispensable à l’idée d’universalisme. Prenez l’exemple du voile : si vous considérez la « liberté individuelle » comme illimitée, alors vous ne pouvez pas vous opposer au désir de telle ou telle personne de se soumettre à l’excision, de refuser la scolarisation, ou de porter le voile à l’école. Vous ne pouvez « universaliser » une règle que si vous vous accordez le pouvoir de l’imposer même à ceux qui n’en veulent pas…

          [La Troisième République – encore elle mais comment y échapper si l’on souhaite déterminer le fond du projet républicain – était un régime qui se voulait idéalement universaliste, individualiste et libéral, ce qu’il a somme toute été pour la plus grande partie de son existence.]

          « Libéral » ? Pas vraiment, en tout cas pas au sens que les anglosaxons donnent à ce terme. La IIIème République a au contraire imposé la scolarisation obligatoire, utilisé largement l’expropriation pour cause d’utilité publique…

          [Par contre, je ne crois pas qu’il y ait une opposition aussi nette que le pense Descartes entre le libéralisme républicain français et le libéralisme anglo-saxon. A mon sens, la véritable question est plutôt : donne-t-on la même signification sociale aux termes « libéralisme », « individualisme » et « universalisme » aujourd’hui et en 1870 ? J’aurais tendance à penser qu’on utilise les mêmes mots pour désigner des choses différentes.]

          Dans les médias et les discours politiques, il est clair qu’on confond le libéralisme classique et le néolibéralisme. Mais autrement, je ne crois pas qu’il y ait une véritable différence. La différence se pose entre la vision « absolutiste » du libéralisme anglosaxon opposée à la vision « limitée » du libéralisme français.

          [Désolé pour ce message trop long et également pour cette publication déstructurée.]

          Je m’excuse surtout de ma réponse tardive. Pour des raisons que je ne comprends pas, votre message avait été mis dans la boite des « indésirables » par mon filtre…

      • CVT dit :

        @ P2R et Descartes

        [La version catholique, en faisant de dieu le seul juge des actes des hommes, conduit à une position bien plus adulte que la vision protestante d’un individu soumis au contrôle permanent de la communauté.]

        Pour moi, il faut remonter à la genèse du protestantisme: ce dernier, que ce fut celui de Luther ou Calvin, est basée sur un prémisse qui est la prédestination.
        De fait, il n’y a pas de liberté individuelle “authentique” chez les protestants: tout ce qui vous arrive est la volonté de Dieu, richesse ou pauvreté. D’ailleurs, pour combattre le principe même des Indulgences, la rédemption (au sens rachat des fautes) est une notion quasi-absente chez les protestants. D’où le caractère assez implacable des sociétés anglo-saxonnes, qui vénèrent la réussite comme une bénédiction divine, et fustige l’échec comme un péché. Dans le cas américain, seul une dose de catholicisme, a permis de tempérer le caractère impitoyable de la société.
         
        Pour moi, le calvinisme, qui était la réponse française au luthérianisme allemand, et qui a eu des rejetons chez les anglo-saxons parmi les plus virulents et les plus fanatiques (je songe notamment au puritanisme…) était une idéologie aussi française que fut le gallicanisme. A mon humble avis,  c’est probablement l’une des pires inventions issue de notre cher pays, à qui n’a d’égal que l’intolérance djihadiste actuelle.
         
        Au final, les calvinistes ont fini par être chassés du royaume en grande partie, suite à la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 par Louis XIV; ce fut la conclusion d’un conflit qui avait ensanglanté le royaume de près de 125 ans. Par la suite, l’idéologie calviniste a subsisté en France et a été à l’origine de maints combats contre l’Ancien Régime (notamment philosophiques et économique), et également plus tard au XIXè siècle, elle a pris part à la lutte contre l’Eglise Catholique et le Concordat de 1808 instauré par Napoléon. Combat achevé par la loi de 1905 sur la séparation des églises, dont le protestantisme fut la cheville ouvrière.
        Enfin, l’idéologie calviniste fut aussi à l’origine du capitalisme français : beaucoup de capitaines d’industrie en France étaient calvinistes ou juifs assimilés. Et encore, je ne parle pas des liens entre ses liens avec la franc-maçonnerie, cela passerait pour du complotisme, et nous sommes entre gens de bonne compagnie😈😬…
         
        C’est cet ensemble de raisons qui me laissent à penser que l’idéologie protestante n’est pas si étrangère que cela à la mentalité française, surtout du côté des élites (ne pas oublier que la plèbe est toujours restée fidèle à l’église catholique, certainement du fait du caractère aristocratique du protestantisme: il requiert a minima d’être instruit, ce qui n’était pas le cas de beaucoup de gens à l’époque…)

        • Descartes dit :

          @ CVT

          [D’ailleurs, pour combattre le principe même des Indulgences, la rédemption (au sens rachat des fautes) est une notion quasi-absente chez les protestants. D’où le caractère assez implacable des sociétés anglo-saxonnes, qui vénèrent la réussite comme une bénédiction divine, et fustige l’échec comme un péché.]

          C’est la logique de son développement qui veut ça. L’éthique protestante se construit pour servir d’épine dorsale au développement du capitalisme. Dès lors que le système économique fait de l’argent la mesure de toute chose et tend à réduire tous les rapports à des rapports monétaires, il faut derrière une idéologie « implacable » pour pouvoir tenir les gens dans le droit chemin. Dans une société ou la hiérarchie de l’argent prime toutes les autres, il est très dangereux de permettre le rachat des péchés…

          [Pour moi, le calvinisme, qui était la réponse française au luthérianisme allemand, et qui a eu des rejetons chez les anglo-saxons parmi les plus virulents et les plus fanatiques (je songe notamment au puritanisme…) était une idéologie aussi française que fut le gallicanisme. A mon humble avis, c’est probablement l’une des pires inventions issues de notre cher pays, à qui n’a d’égal que l’intolérance djihadiste actuelle.]

          Pardon… mais le calvinisme n’a pas été inventé en France, mais en Suisse. Arrêtons de nous frapper la poitrine à tout propos et surtout hors de propos. Le calvinisme français fut par ailleurs bien plus modéré que sa version écossaise, par exemple…

          [Combat achevé par la loi de 1905 sur la séparation des églises, dont le protestantisme fut la cheville ouvrière.]

          N’exagérons rien. Ce sont surtout les libre-penseur qui ont poussé la loi de 1905. L’exemple de l’Alsace-Moselle montre que le protestantisme s’accommodait finalement fort bien d’un régime concordataire…

          [C’est cet ensemble de raisons qui me laissent à penser que l’idéologie protestante n’est pas si étrangère que cela à la mentalité française, surtout du côté des élites (ne pas oublier que la plèbe est toujours restée fidèle à l’église catholique, certainement du fait du caractère aristocratique du protestantisme: il requiert a minima d’être instruit, ce qui n’était pas le cas de beaucoup de gens à l’époque…)]

          Je peine à trouver les traces du protestantisme dans la « mentalité » française. Nos institutions, notre droit, notre philosophie politique, notre sociabilité même est très largement issue du catholicisme, avec sa tendance à la centralisation. Les protestants sont bien représentés parmi les élites, surtout dans certaines professions – la banque, la politique… – mais on ne voit pas une « mentalité » protestante se faire jour dans ces cercles. En quoi le protestant Rocard était très différent du très catholique Delors ?

      • P2R dit :

        @ Descartes
        [Personnellement, j’en suis convaincu, et je suis convaincu que l’essentiel des mutations que nous connaissons tiennent largement de la guerre de religions (…) Et comme dans toute guerre de religion, chaque camp a ses dogmes indépassables
        //
        Je n’y avais pas réfléchi, mais je trouve ce point de vue très intéressant. Il faudrait que je regarde ça !]
         
        L’affrontement d’ordre religieux entre cultures protestante et catholique fournit selon moi un cadre global, qui ne m’est apparu qu’au terme d’une réflexion sur la radicalisation des conflits sociaux, matérialisés par des myriades de petites chapelles plus ou moins influentes.
         
        J’ai commencé à fouiller cet axe en m’interrogeant sur les raisons des flambées de violences telles que l’on a pu les connaître en particulier à Sainte Soline (près de chez moi). Je ne les comprenais pas, et elles me semblaient n’avoir rien à voir avec la violence “rationnelle” des Gilets jaunes qui répondait à une logique d’intérêts matériels classique. Et l’argument de “l’amour du sport” ne me suffisait pas.
         
        Avant toute chose, j’ai voulu cerner le fond du dossier. Peut-être après tout que ces bassines étaient de vraies aberrations. Après avoir étudié de près les arguments des uns et des autres, me sont apparues deux évidences:
         
        1/ l’impact écologique direct des bassines est POSITIF (captation des nappes libres en périodes de fort débit uniquement, compensations par le replantage de haies, la diversification des cultures, et augmentation de l’étiage estival des cours d’eau), cet impact positif est largement confirmé par l’expérience des bassines déjà existantes en Vendée voisine (même topologie, même climat). Les arguments concernant ce volet sont largement factices.
         
        2/ En revanche, l’autre volet argumentatif de l’opposition à ces bassines ayant trait au combat contre l’agriculture “intensive”, et en particulier à la culture de maïs, dont l’immense majorité de la production sert à l’élevage, lui-même responsable d’une bonne partie des émissions de gaz à effet de serre, et dont 80% de la production est exportée, peut sembler plus solide. Sauf que la totalité de ces exportations de maïs est destinée à des pays intra-européens, et que le produit de substitution au maïs français est le soja brésilien, avec un bilan écologique global calamiteux.
         
        On est donc face au dilemme suivant: soit on adopte la posture morale, contre-productive quant au but à atteindre mais “pure” sur le plan spirituel (nous ne sommes pas mêlés à ces émissions de CO2 et c’est tout ce qui compte),  soit on adopte la posture “réaliste” (écologiquement et économiquement !). Or, c’est la posture morale qui l’emporte dans le mouvement écologiste, sans discussion aucune. Pourquoi ?
         
        Dans un de vos précédents billets sur le scandale (vite oublié) provoqué par la saillie du coach du PSG sur les chars à voile, vous mettiez le doigt avec justesse sur le caractère dogmatique de la pensée écologique. J’ai trouvé à l’époque ce point intéressant, mais pas forcément très solide. Après tout, comme vous le prédisiez, l’affaire a été vite oubliée, signe que la gravité du blasphème était relative et que les cris d’orfraie tenaient largement de l’hypocrisie. Je me suis demandé alors: à quel point cette posture morale est-elle profonde et sincère ? Ou, au contraire, à quel point est elle cynique ?
         
        Là où l’affaire Galthier fait pencher la balance du côté du cynisme, l’affaire est toute différente en ce qui concerne d’autres sujets, en particulier (vous me voyez venir) concernant le nucléaire et les OGM. Exiger d’un personnage médiatique des excuses publiques pour un bon mot aux mauvaises personnes, c’est une chose, mais saborder une filière de production d’électricité fonctionnelle de plusieurs milliards d’euros et par le même coup la souveraineté énergétique de son pays (je pense surtout aux verts allemands mais ce n’est guère mieux chez nous), c’est tout de même une autre paire de manche. La question est: qu’est-ce qui fait qu’un écologiste accepte (cyniquement certes, mais accepte tout de même) de brûler du charbon, de consommer des animaux, de raser des montagnes pour extraire des minerais et des forêts pour produire du soja, mais refuse le nucléaire ? Pourquoi le cynisme s’arrête où commencent le nucléaire, les OGM et parfois les vaccins ?
         
        Toujours en tenant cet axe du caractère néo-religieux supposé des pensées politiques actuelles, j’en ai déduit qu’il existait deux types de transgressions. Dans la religion écologiste, dont le dogme est que la nature doit être préservée de l’activité toujours néfaste de l’Homme dans l’intérêt de l’Homme, brûler du kérosène ou importer des fringues du Bangladesh sont des péchés, au sens où ce sont des actes condamnés par le dogme, pour lesquels on doit se confesser, parfois se flageller en public, mais qui sont partie prenante du paradigme religieux. En revanche, créer de l’énergie à partir de l’atome, ou modifier le génome du vivant avec succès, ce ne sont pas des péchés. Ce sont des actes qui violent le dogme. En d’autres termes c’est de la sorcellerie. Et la sorcellerie, en ce qu’elle menace le dogme dans son essence même, doit être abattue, brûlée, calomniée, discréditée par tous les moyens. J’en profite pour reposter une partie de votre citation de Terry Pratchett:
         
        You say that you people don’t burn folk and sacrifice people any more, but that’s what true faith would mean, y’see? Sacrificin’ your own life, one day at a time, to the flame, declarin’ the truth of it, workin’ for it, breathin’ the soul of it. That’s religion.
         
        Et ici, je pense que je m’oppose à votre vision matérialiste des choses: je crois que nous aurions tort de prendre les écologistes pour de simples membres des classes intermédiaires qui retourneront leur veste en fonction de leurs intérêts s’ils arrivaient au pouvoir. La vérité est qu’il est des gens qui préféreront sacrifier leur pays, sacrifier l’avenir de leur progéniture, sacrifier jusqu’à l’espèce, et même sacrifier jusqu’à l’écosystème de la planète Terre plutôt que d’entacher leur probité morale en cédant au spectre d’un Homme surpassant la nature. Et ces gens, s’ils ne sont pas majoritaires, ont néanmoins déjà produit des dégâts considérables, et continueront d’en produire, si l’on ne prend pas la mesure du conflit qui nous oppose. C’est bel et bien un conflit de religions, qui doit se traiter comme tel.
         
        Le néo-libéralisme anglo-saxon (vous avez eu raison de me corriger) obéit aux mêmes mécanismes, et pire, c’est lui qui permet (en les tolérant) l’apparition de tels mouvements sectaires. C’est quelque part heureux que sa proéminence “woke” soit apparue au grand jour dans toute sa folie mystique. Nous ne devons pas nous méprendre sur ce que notre modèle symbolise pour les fanatiques néolibéraux: nous sommes leur atome, nous sommes leur OGM. Et si nous ne sentons pas vibrer en nous la flamme des valeurs de la République autant que la flamme des “libertés individuelles” vibre en eux, le combat est perdu d’avance. Quant à connaître la nature de ce combat… dogme contre dogme, il est rare que les problèmes se règlent autrement que par les baïonnettes (la preuve en Ukraine). Mais notre pays a toujours sû purger ses “élites” quand le besoin s’en faisait sentir. A moins que l’affirmation de pays traditionalistes dans le monde et en Europe – la Chine, mais aussi l’Italie, avec laquelle je pense que nous aurions grand intérêt à rester unis) ne permette de créer une nouvelle bipolarisation pouvant faire obstacle au Jihad néolibéral.
         
        Amen 🙂
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [J’ai commencé à fouiller cet axe en m’interrogeant sur les raisons des flambées de violences telles que l’on a pu les connaître en particulier à Sainte Soline (près de chez moi). Je ne les comprenais pas, et elles me semblaient n’avoir rien à voir avec la violence “rationnelle” des Gilets jaunes qui répondait à une logique d’intérêts matériels classique. Et l’argument de “l’amour du sport” ne me suffisait pas.]

          Pour moi, ces violences c’est la marque d’une génération qui n’a pas de « geste », qui n’a plus d’expérience initiatique. Jusque dans les années 1960, chaque génération avait eu sa guerre, ou à minima des expériences initiatiques de violence ritualisée. Les générations suivantes en sont réduites à « jouer à la guerre ». Faute d’affronter les vrais SS, on affronte les CRS déguisés pour l’occasion. Ce fut mai 1968, les brigades rouges, la bande à Baader, et plus près de nous le voyage en Syrie et le jihadisme. C’est d’ailleurs un phénomène international, et pas seulement français. Je ne pense pas qu’on puisse le rattacher à un affrontement des cultures.

          [2/ En revanche, l’autre volet argumentatif de l’opposition à ces bassines ayant trait au combat contre l’agriculture “intensive”,]

          C’est un peu une constante de la lutte écologique : s’attaquer non à ce qu’on veut détruire, mais à ce qui le rend possible. On voit la même chose dans le nucléaire : les écologistes se sont aperçus que l’argument de la sûreté des centrales est inopérant ? Qu’à cela ne tienne, on va s’attaquer aux installations de stockage des déchets, pour essayer d’engorger le système et rendre le fonctionnement des centrales impossible…

          Avec l’eau, même chose. Les écologistes sont contre les barrages. Et peu importe si les barrages permettent une utilisation plus rationnelle de l’eau, de maintenir des étiages raisonnables sur les rivières même en cas de sécheresse, si les lacs de barrage deviennent des réserves de biodiversité. Non, il faut être contre parce que cela permet de prolonger une société honnie…

          [Exiger d’un personnage médiatique des excuses publiques pour un bon mot aux mauvaises personnes, c’est une chose, mais saborder une filière de production d’électricité fonctionnelle de plusieurs milliards d’euros et par le même coup la souveraineté énergétique de son pays (je pense surtout aux verts allemands mais ce n’est guère mieux chez nous), c’est tout de même une autre paire de manche.]

          Sauf que, et c’est là un point à mon sens essentiel, que les écologistes n’ont pas conscience qu’ils sont en train de saborder l’économie et la souveraineté de leur pays. Il faut faire ici un petit détour par la psychanalyse. On peut fantasmer la mort du père aussi longtemps qu’il paraît tout-puissant. Aussi longtemps que cette condition est remplie, on peut se révolter sans danger parce que cette révolte ne risque pas de dépasser le stade du fantasme. Les soixante-huitards qui se sont attaqués à « la société bourgeoise » et ses institutions étaient intimement persuadés de la solidité, de la permanence de celles-ci. Les maoïstes et les trotskystes de 1968 n’ont jamais cru qu’ils arriveraient REELLEMENT à implanter les soviets ou les communes populaires en France. Ils pouvaient jouer avec ces idées, tout à fait rassurés par les faits que malgré leurs discours enflammés il y avait toujours de la nourriture dans les supermarchés. Grande fut leur surprise lorsque leurs idées sont devenues des réalités, lorsque les institutions qu’ils tenaient pour solides se sont effondrées une à une dans les années 1980. C’était la matérialisation de la formule de Goethe : « quand les dieux veulent nous punir, ils réalisent nos rêves ».

          Les écologistes, c’est un peu pareil. Je ne pense pas qu’ils aient réalisé que leur activisme allait mettre une filière qu’ils tenaient pour toute-puissante à genoux. Leur silence actuel tient je pense en partie à cette découverte.

          [Et ici, je pense que je m’oppose à votre vision matérialiste des choses: je crois que nous aurions tort de prendre les écologistes pour de simples membres des classes intermédiaires qui retourneront leur veste en fonction de leurs intérêts s’ils arrivaient au pouvoir. La vérité est qu’il est des gens qui préféreront sacrifier leur pays, sacrifier l’avenir de leur progéniture, sacrifier jusqu’à l’espèce, et même sacrifier jusqu’à l’écosystème de la planète Terre plutôt que d’entacher leur probité morale en cédant au spectre d’un Homme surpassant la nature.]

          Oui et non. Je ne pense pas que les écologistes soient prêts à sacrifier CONSCIEMMENT leur pays, l’avenir de leur progéniture. Je ne pense même pas qu’ils soient prêts à sacrifier CONSIEMMENT leur propre confort. L’écologisme est rendu possible précisément parce que les gens qui le propagent ne se rendent pas compte des effets qu’aurait la mise en œuvre de leurs idées. Pour le dire autrement, ils ne se rendent pas compte que le monde tels qu’ils l’imaginent serait invivable, parce que ce serait un monde régi par une injonction morale écrasante. L’écologisme est un rêve…

          [Et ces gens, s’ils ne sont pas majoritaires, ont néanmoins déjà produit des dégâts considérables, et continueront d’en produire, si l’on ne prend pas la mesure du conflit qui nous oppose. C’est bel et bien un conflit de religions, qui doit se traiter comme tel.]

          Oui. Mais les conflits religieux couvrent en général des conflits d’intérêts. Et ce sont ces intérêts, et non les religions, qui gouvernent le monde. Ce ne sont pas les écologistes qui ont mis le nucléaire à genoux, c’est la révolution néolibérale et la régulation par le marché. L’écologie n’a été que le déguisement idéologique qui a permis de faire accepter cette révolution, de la faire apparaître comme vertueuse.

          [Le néo-libéralisme anglo-saxon (vous avez eu raison de me corriger) obéit aux mêmes mécanismes, et pire, c’est lui qui permet (en les tolérant) l’apparition de tels mouvements sectaires.]

          C’est l’inverse : le néolibéralisme – ou pour être précis, l’approfondissement du capitalisme – génère dialectiquement ces idéologies, qui lui fournissent un cadre et une justification. L’anticapitalisme soixante-huitard, c’est le faux-nez du néo-libéralisme. Mai 1968 fut un soulèvement contre un gouvernement étatiste et planificateur. Lorsque les néolibéraux ont pris le pouvoir, on n’a rien eu d’équivalent. Etonnant, non ?

          [Et si nous ne sentons pas vibrer en nous la flamme des valeurs de la République autant que la flamme des “libertés individuelles” vibre en eux, le combat est perdu d’avance.]

          Certes. Mais pourquoi certaines flammes brulent plus que d’autres ? Curieusement, elles brulent toujours plus fort du bon côté du rapport de forces. Quand la classe ouvrière était puissante, le PCF était une église dogmatique ou la flamme brulait. Aujourd’hui, c’est un aimable club de discussion, ou toutes les opinions sont les bienvenues…

          • P2R dit :

            @ Descartes
             
            [Pour moi, ces violences c’est la marque d’une génération qui n’a pas de « geste », qui n’a plus d’expérience initiatique (…) Je ne pense pas qu’on puisse le rattacher à un affrontement des cultures.]
             
            La question n’est pas l’affrontement des cultures, mais l’affrontement d’églises, avec tout ce que celà sous-entend de rejet de la rationalité au profit du sentiment d’être possesseur d’une vérité, et de la diabolisation de l’adversaire. A contrario, dans l’après-guerre, les blocs communistes et gaullistes se sont affrontés non-moins durement, mais sur la base d’éléments rationnels, ce qui rendait l’obtention de compromis possible. C’est à mon avis ce qui singularise la violence que nous connaissons aujourd’hui et qui la rends beaucoup plus dangereuse qu’un simple rite initiatique. Aujourd’hui, dans le champ politique, aucun des camps n’est rationnel. Et cette caractéristique dépasse de loin les seuls black-blocks, c’est la société entière qui se polarise tout en s’appauvrissant sur le plan intellectuel.
             
            [Sauf que, et c’est là un point à mon sens essentiel, que les écologistes n’ont pas conscience qu’ils sont en train de saborder l’économie et la souveraineté de leur pays]
             
            Peut-être, mais il n’empêche que c’est une constante de l’histoire des mouvements idéologiques que d’échapper à un moment venu à toute raison et à toute mesure pour se muer en monstres incontrôlables. Ce n’est pas parce que certaines têtes de pont du mouvement écologiste présent sur l’échiquier politique sont manifestement aveugles, stupides ou cyniques qu’il n’existe pas un fanatisme réel à la base, et que ce fanatisme ne peut pas devenir une menace tout à fait redoutable.
             
            [Mais les conflits religieux couvrent en général des conflits d’intérêts. Et ce sont ces intérêts, et non les religions, qui gouvernent le monde. Ce ne sont pas les écologistes qui ont mis le nucléaire à genoux, c’est la révolution néolibérale et la régulation par le marché. L’écologie n’a été que le déguisement idéologique qui a permis de faire accepter cette révolution, de la faire apparaître comme vertueuse.]
             
            Vous êtes bien plus calé que moi sur ce sujet, mais je peine à vous croire. Il y a des centrales nucléaires aux USA, en Grande Bretagne. Comment expliquer le cas de l’Allemagne dans ce contexte ? N’est-ce pas un exemple type de la religion passant outre les intérêts ?
             
            [C’est l’inverse : le néolibéralisme – ou pour être précis, l’approfondissement du capitalisme – génère dialectiquement ces idéologies, qui lui fournissent un cadre et une justification.]
             
            Je n’ai pas compris: en quoi l’écologie sectaire, l’islamisme radical ou le wokisme par exemple fournissent une justification au néolibéralisme ? Il me semblerait assez naturel d’envisager le cheminement inverse: le respect du dogme des libertés individuelles conduit à tolérer tout type d’opinions, du moment que je peux vivre sans avoir à les côtoyer d’une manière ou d’une autre.
             
            J’ajoute que je suis globalement sceptique sur la notion d’approfondissement du capitalisme à laquelle vous aimez vous référer. Je saisis votre point concernant l’accentuation de la contractualisation des rapports sociaux et professionnels, mais au niveau macro, la notion même de capitalisme me semble de plus en plus erronée pour décrire notre société: quand les banques centrales impriment des trilliards de dollars pour racheter des dettes privées et sauver des banques de la faillite, sommes-nous dans un cadre capitaliste ? Quand tous les problèmes sociaux sont réglés à coup de subventions publiques, sommes-nous dans un cadre capitaliste ?  Quand la première économie du monde injecte des centaines de milliards de subventions pour attirer à elle toutes les industries d’avenir, sommes-nous dans un cadre capitaliste ? D’ailleurs, y-a t’il un seul économiste sur cette planète qui ait théorisé le fonctionnement actuel de l’économie mondiale et montré que le système était équilibré ? J’en serais fort surpris. Le simple constat qu’il existe des milliers d’entreprises “too big to fail” met à néant toute possibilité d’auto-régulation par le marché. 
             
            [Certes. Mais pourquoi certaines flammes brulent plus que d’autres ? Curieusement, elles brulent toujours plus fort du bon côté du rapport de forces. Quand la classe ouvrière était puissante, le PCF était une église dogmatique ou la flamme brulait. Aujourd’hui, c’est un aimable club de discussion, ou toutes les opinions sont les bienvenues]
             
            Je ne sais pas. Face à l’adversité, n’est-il pas possible que la flamme brûle d’autant plus fort ? Par exemple, les persécutions contre les juifs, pour lesquels le rapport de force n’a pas toujours été favorable, loin s’en faut, ont-elles atténué la flamme ou l’ont-elles renforcé ?
             

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [A contrario, dans l’après-guerre, les blocs communistes et gaullistes se sont affrontés non-moins durement, mais sur la base d’éléments rationnels, ce qui rendait l’obtention de compromis possible. C’est à mon avis ce qui singularise la violence que nous connaissons aujourd’hui et qui la rends beaucoup plus dangereuse qu’un simple rite initiatique. Aujourd’hui, dans le champ politique, aucun des camps n’est rationnel. Et cette caractéristique dépasse de loin les seuls black-blocks, c’est la société entière qui se polarise tout en s’appauvrissant sur le plan intellectuel.]

              Je ne sais pas si au niveau des individus on était plus rationnel en 1945 qu’aujourd’hui. Mais je pense que votre raisonnement est juste lorsqu’on l’applique aux appareils politiques. Le militant communiste ou gaulliste était probablement aussi « sectaire » que le sont les militants de LFI ou du RN aujourd’hui. Mais les appareils politiques étaient bien plus rationnels – et donc logiquement plus capables de faire des compromis. Aujourd’hui, même les hommes politiques n’ont pas suffisamment de distance par rapport à leurs propres convictions. Il y a cinquante ans, une Sandrine Rousseau aurait été rapidement marginalisée.

              Le dernier discours en date de notre président en est d’ailleurs la parfaite illustration. En parlant du Conseil national de la résistance, il évoque la « capacité des syndicats et des partis à travailler ensemble », en oubliant que si cela a été possible c’est parce que TOUS les partis ont accepté de mettre de l’eau dans leur vin. Et il transpose la chose au moment actuel, alors que le blocage vient précisément du fait qu’il est, LUI, incapable de faire de même. Autrement dit, l’idée du « compromis » façon Macron, c’est « les autres acceptent de faire comme je dis ». Et chez les autres, c’est pareil. A partir du moment où l’on formule les choses en termes de combat moral, toute concession est par avance impossible.

              [Sauf que, et c’est là un point à mon sens essentiel, que les écologistes n’ont pas conscience qu’ils sont en train de saborder l’économie et la souveraineté de leur pays]

              [Ce n’est pas parce que certaines têtes de pont du mouvement écologiste présent sur l’échiquier politique sont manifestement aveugles, stupides ou cyniques qu’il n’existe pas un fanatisme réel à la base, et que ce fanatisme ne peut pas devenir une menace tout à fait redoutable.]

              C’était mon point : le « fanatisme à la base » a toujours existé. Moi qui ait milité longuement au PCF, je suis bien placé pour le savoir : il fut un temps ou le PCF était une église, avec ses rituels, ses dogmes… et aussi ses excommuniés. Mais l’appareil était là pour modérer ce fanatisme. Le militant PCF de base ne pouvait parler au militant gaulliste qui était face à lui, mais les directions se parlaient et, occasionnellement, arrivaient même à s’entendre – comme ce fut le cas en mai 1968. D’une certaine façon, la polarisation et le fanatisme que vous dénoncez tiennent au fait que de plus en plus les dirigeants politiques suivent plus qu’ils ne modèlent leur opinion. Et du coup, au lieu de modérer le fanatisme de leur base, ils tendent à s’en faire les porte-parole. Pensez par exemple à la décision prise par la direction du PCF de changer de position sur la dissuasion nucléaire. Ce fut un changement qu’il fallut expliquer à une base réticente, et qui n’a été acceptée qu’à la suite d’un très long travail politique. Aujourd’hui, elle serait impossible : aucune direction n’oserait affronter ses propres militants…

              [Vous êtes bien plus calé que moi sur ce sujet, mais je peine à vous croire. Il y a des centrales nucléaires aux USA, en Grande Bretagne. Comment expliquer le cas de l’Allemagne dans ce contexte ? N’est-ce pas un exemple type de la religion passant outre les intérêts ?]

              Il y a des centrales aux USA, en Grande Bretagne… mais toutes construites avant que l’écologisme acquière le pouvoir qui est le sien. On a très peu construit après le début de la révolution néolibérale. Après, il y a des questions d’intérêt qui ne sont pas les mêmes. Si la France n’avait pas poussé un programme nucléaire qui l’a rendue exportatrice nette, la politique énergétique allemande n’aurait peut-être pas été la même.

              [« C’est l’inverse : le néolibéralisme – ou pour être précis, l’approfondissement du capitalisme – génère dialectiquement ces idéologies, qui lui fournissent un cadre et une justification. » Je n’ai pas compris: en quoi l’écologie sectaire, l’islamisme radical ou le wokisme par exemple fournissent une justification au néolibéralisme ?]

              Pour l’écologisme sectaire, on pourrait même se référer à la théorie marxienne de la baisse tendancielle du taux de profit. Une baisse motivée par l’accumulation du capital, et que le capitalisme résout par une destruction périodique du capital accumulé, par exemple par le recours à la guerre. L’écologisme radical aboutit à une destruction massive de capital : fermeture des installations polluantes, rénovation des bâtiments, remplacement des flottes de véhicules… la « transition écologique », c’est des centaines voire des milliers de milliards d’investissements, et la mise au rebut d’autant de capital ancien. Une bonne affaire pour le capital.

              Pour le wokisme, la question est plus complexe. D’un côté, l’approfondissement du capitalisme passe par une mise en concurrence de plus en plus forte de toutes les ressources, et notamment des ressources humaines. Mettre les femmes dans le marché du travail à égalité avec les hommes, c’est augmenter massivement l’offre de travail, et donc pousser vers le bas les salaires. Mais surtout, le wokisme donne des armes à ceux qui veulent combattre les institutions, et notamment l’école, c’est-à-dire les entités qui permettent une promotion sociale au mérite.

              Quant à l’islamisme, la question est différente. Ce n’est pas une idéologie générée par l’occident capitaliste, mais au sein des sociétés pré-capitalistes qui se trouvent déstabilisées par la mondialisation.

              [Il me semblerait assez naturel d’envisager le cheminement inverse: le respect du dogme des libertés individuelles conduit à tolérer tout type d’opinions, du moment que je peux vivre sans avoir à les côtoyer d’une manière ou d’une autre.]

              Mais pourquoi ce « dogme du respect des libertés individuelles » ? Quelle est la genèse de ce « dogme » et quels sont les intérêts auxquels il répond ?

              [J’ajoute que je suis globalement sceptique sur la notion d’approfondissement du capitalisme à laquelle vous aimez vous référer. Je saisis votre point concernant l’accentuation de la contractualisation des rapports sociaux et professionnels, mais au niveau macro, la notion même de capitalisme me semble de plus en plus erronée pour décrire notre société: quand les banques centrales impriment des trilliards de dollars pour racheter des dettes privées et sauver des banques de la faillite, sommes-nous dans un cadre capitaliste ?]

              Oui. Il ne faut pas se laisser leurrer par la tuyauterie de redistribution que constitue le système financier. La question fondamentale, celle qui détermine le capitalisme, c’est LA MANIERE DONT LES BIENS QUI NOUS PERMETTENT DE VIVRE SONT PRODUITS. Nous sommes dans une société capitaliste parce que les biens sont produits sur des machines par des travailleurs, que ces machines appartiennent à des individus, et que ces individus achètent la force de travail des travailleurs à un prix inférieur à la valeur qu’elle produit et empochent la différence. Les banques, les subventions, les allocations, c’est de la tuyauterie. Le point essentiel, c’est l’organisation de la produciton.

              [Quand tous les problèmes sociaux sont réglés à coup de subventions publiques, sommes-nous dans un cadre capitaliste ? Quand la première économie du monde injecte des centaines de milliards de subventions pour attirer à elle toutes les industries d’avenir, sommes-nous dans un cadre capitaliste ?]

              Même réponse. Le capitalisme est un MODE DE PRODUCTION. Après, on peut organiser les institutions, la monnaie, le système politique de beaucoup de manières différentes. Mais ce qui caractérise le capitalisme, c’est la manière dont les facteurs de production sont mobilisés: possession privée des moyens de production, achat sur le marché de la force de travail.

              [D’ailleurs, y-a t’il un seul économiste sur cette planète qui ait théorisé le fonctionnement actuel de l’économie mondiale et montré que le système était équilibré ? J’en serais fort surpris. Le simple constat qu’il existe des milliers d’entreprises “too big to fail” met à néant toute possibilité d’auto-régulation par le marché.]

              Possible. Mais la question de savoir si le système est ou non “équililbré” n’a rien à voir avec la question de savoir si c’est ou non un système capitaliste. Si l’on croit Marx, le système capitaliste (comme ceux qui l’ont précédé d’ailleurs) ne peuvent être “équilibrés” puisqu’ils contiennent en eux mêmes les contradictions qui tôt ou tard les feront s’effondrer…

              [Je ne sais pas. Face à l’adversité, n’est-il pas possible que la flamme brûle d’autant plus fort ? Par exemple, les persécutions contre les juifs, pour lesquels le rapport de force n’a pas toujours été favorable, loin s’en faut, ont-elles atténué la flamme ou l’ont-elles renforcé ?]

              Quand est-ce que la flamme du judaïsme a brûlé plus fort ? Et bien, lorsque les communautés juives étaient du bon côté du rapport de force: dans l’Espagne d’avant la reconquête, dans la France post-révolutionnaire, dans l’Allemagne “assimilatrice” du XIXème… je pense que l’idée que l’adversité donne envie de se battre est plus romantique que réaliste. On tend à engager le combat quand on a un minimum de chances de l’emporter…

    • vladimir dit :

      Non, nous ne sommes pas occupés à perdre la guerre contre le communautarisme. Lorsque les communautés mises à l’écart deviennent trop nombreuses, les pays communautaristes virent au racisme. Chez nous, ce sont les régions contre-révolutionnaires. Le sud-ouest vote massivement à gauche, mais pas là où l’on a un peu de Maghrébins. La gauche girondine va s’affaiblir sans arrêt tandis que les Identitaires se renforceront beaucoup. L’avenir sera probablement de combattre ces derniers qui voudront une Europe blanche.

      • Descartes dit :

        @ vladimir

        [Non, nous ne sommes pas occupés à perdre la guerre contre le communautarisme. Lorsque les communautés mises à l’écart deviennent trop nombreuses, les pays communautaristes virent au racisme.]

        D’abord, toutes les communautés ne sont pas “ethniques”. Elles peuvent aussi se caractériser par exemple par les préférences sexuelles, comme la “communauté LGBTQ+” et toutes ses sous-communautés. Le terme “racisme” ne me paraît donc pas pertinent. Mais je ne comprends pas très bien votre point. Dans une société communautariste, aucune communauté n’est “mise à l’écart”. Au contraire, elles se battent en permanence entre elles pour obtenir le plus possible d’attention, de ressources, de visibilité, de positions sociales. Bien entendu, cela attise souvent les conflits, les violences, les haines inter-communautaires. Et en miroir, on impose un langage “politiquement correct” dont le but est précisément d’occulter cette réalité conflictuelle, et de donner l’illusion que tout cela est pris en compte. On en a l’exemple quotidiennement… et c’est pourquoi je pense que vous êtes bien optimiste en imaginant que “nous ne sommes pas occupés à perdre la guerre contre le communautarisme”.

        [La gauche girondine va s’affaiblir sans arrêt tandis que les Identitaires se renforceront beaucoup. L’avenir sera probablement de combattre ces derniers qui voudront une Europe blanche.]

        Cela dépend de quels “identitaires”. Parce que dans une société communautariste, TOUT LE MONDE EST IDENTITAIRE. Si vous écoutez France Inter, vous entendrez quotidiennement des lesbiennes parler d’identité lesbienne”, des noirs défendre “l’identité noire”, et même des handicapés évoquer une identité propre. Alors, pourquoi singulariser comme “identitaires” ceux qui voudraient une “Europe blanche” ?

    • Philippe Maslonka dit :

      sans avoir me semble il tout compris J’ai déduit une synthèse de votre analyse Une analyse qui répond à mon avis aux thèmes aux questions du texte mis en débat Mais oui surtout une visée politique sur selon vous le libéralisme Pour moi marxiste je continue à penser la lutte des classes le rôle du prolétariat et des exploiteurs Uoi j’ai choisi mon camp 

  5. Skotadi dit :

    Bonjour Descartes
     
    Sur le fond, je suis d’accord avec les réflexions de votre billet. Pour ma part, j ‘étais certain que le Conseil constitutionnel validerait le projet de loi, pour les raisons que vous avez mentionnées.
     
    J’avoue même avoir été surpris quand vous aviez écrit dans votre billet Lendemain de censure ceci: « Et on peut anticiper que le judiciaire faillira à son tour lorsque le Conseil constitutionnel validera – c’est le plus probable – une procédure qui conduit à faire adopter un texte sans qu’il soit finalement examiné et débattu. » Mais vous vous êtes corrigé par la suite :« Bien entendu, j’aurais éprouvé une Schadenfreude carabinée si le Conseil avait annulé l’ensemble de la loi pour vice de procédure. »
     
    « Imaginons un instant que le président ait cédé à cette demande, et que le Conseil constitutionnel ait validé la non-promulgation. Un précédent aurait alors été établi : le président peut refuser de promulguer une loi régulièrement approuvée par le Parlement. Est-ce que ceux qui ont fait cette proposition se rendent compte de la portée de ce précédent ? »
     
    Il me semble que ce cas se soit déjà produit en 2005 avec la loi « Contrat Première Embauche » où le Président Jacques Chirac avait promulgué la loi et demandé au gouvernement de ne pas l’appliquer.
     
    Quand on pense que l’une des raisons pour laquelle Louis XVI a été guillotiné était justement l’exercice de son droit de veto, pourtant constitutionnel, au point qu’il fut surnommé « Mr Veto »…
     
    « Il leur faut écouter le pays, prendre son pouls en permanence pour s’assurer non pas que le peuple est d’accord avec sa politique, mais à minima qu’il est d’accord pour accepter la règle comme légitime, et donc pour ne pas s’opposer à son application. »
     
    J’ajouterai que c’est la définition même du « gouvernement par consentement ». Parce que c’est une chose de faire des lois, donner des ordres, mais c’est autre chose quand il faut les faire exécuter. Car cela n’aura aucun effet si la population ne l’accepte pas, sauf à recourir à un degré de contrainte qui ferait hésiter le pouvoir : soit se montrer oppressif, soit renoncer de fait à l’objectif fixer.
    Richelieu disait ceci : « l’autorité contraint à l’obéissance, mais la raison y persuade »
     
    Là où je ne suis pas d’accord, c’est avec vos références historiques.
     
    « On peut longuement s’interroger sur l’origine de cette différence. A mon sens, elle tient à l’histoire. Il y a des nations qui se sont constituées autour de l’Etat, et des nations qui se sont construites autour du Droit. Pour résumer, les Anglais ont fait leur révolution pour défendre les pouvoirs judiciaires du Parlement, les Français pour l’abolir. »
     
    C’est une grosse erreur de comparaison. Le Parlement britannique a une fonction politique, à savoir l’adoption de loi et l’approbation de l’impôt. Ses fonctions judiciaires, théoriquement illimité, n’ont été que rarement mis en œuvre. (la dernière utilisation remonte au XVIIIeme). En France, son équivalent était les États généraux du Royaume, les Parlements (car ils étaient plusieurs, un par province), n’étaient qu’une section spécialisé du Conseil du Roi, chargé de conseiller le monarque sur des questions administratives et juridiques, de surveiller les agents royaux et de rendre la Justice.
    Les Anglais n’ont jamais mélangé les fonctions administratives et judiciaires (à l’exception de la chambre Étoilée). Les français ont fait cette séparation avec la loi des 16 et 24 août 1790.
    Aussi il serait plus exact de dire que les Anglais ont défendu les prérogatives du Parlement comme institution politique tandis que les Français se sont doté d’un organe représentatif permanent et ont séparé le pouvoir le judiciaire avec le pouvoir politique.
     
    Je mentionne comme exemple le règne de Charles Ier qui fut exécuté car tout au long de son règne, il avait instauré des taxes sans l’autorisation du Parlement. Les Français ne sont pas les seuls à avoir décapité leur roi.
     
    Au demeurant, c’est les Parlements qui ont été supprimé et non le pouvoir judiciaire. Comment on peut supprimer le pouvoir de rendre la Justice ?
     
    « Parce qu’en France, historiquement, la procédure n’a jamais été source de légitimité comme elle peut l’être en Allemagne ou en Grande Bretagne, où des lois totalement absurdes sont observées sans que personne ne se pose des questions. Nous sommes un peuple politique, au sens que nous n’acceptons pas cette idée que la règle doit être obéie simplement parce que c’est la règle. »
     
    Là je ne suis pas d’accord sur l’exemple du Royaume-Uni. C’est même l’inverse.
     
    D’un point de vue historique, c’est d’abord en Angleterre que les rapports de forces ont été institutionnalisé, entre le monarque et les barons, puis avec les marchands. La France suivra cette évolution des siècles plus tard. Pour moi, l’explication ne vient pas d’une différence de culture, mais plutôt de la structure économique, sociale. L’économie anglaise était urbaine et reposait davantage sur le commerce. Or avec le commerce se pose la question de la liberté et impôt. C’est surtout grâce de la question de l’impôt que le Parlement britannique a obtenu des garanties (citons la magna carta, et surtout le bill of right). Ainsi les conflits se sont institutionnalisé dans un Parlement qui représente les parties intéressées, le monarque, l’aristocratie et le « commun » des mortels.
     
    En France, l’économie était davantage rurale. Il fallait une autorité puissante pour assurer l’ordre. L’apparition d’une bourgeoisie forte n’est apparue que bien plus tard. De plus les frontières ne se sont fixés qu’au XVIIIeme siècle. C’est ainsi que la monarchie absolue était acceptée. Mais cela n’était accepté que parce que les pouvoirs du Roi étaient encadrés par le principe du « conseil ». Le Roi devait prendre conseil avant de prendre une décision, d’où l’existence d’une multitude de conseil, dont les Parlements. Le Roi avait toujours le dernier mot, notamment en faisant usage du « lits de justice », mais cela comportait des risques. Comme disait d’ailleurs Antoine Loysel « Qui veut le Roi,si veut la loi ». La Révolution de 1789 a changé ce mode de gouvernance par le principe de la représentation.
     
    Concernant des lois absurdes, je préciserai qu’on en trouve aussi bien en France qu’au Royaume-Uni. La différence est que les juges britanniques ont recours à l’equity pour corriger la règle de droit si son application dans un litige serait injuste. Le juge français, plus exactement les juges des Parlements, ont perdu ce pouvoir en 1789).
     
    Aussi je ne pense pas qu’il existe historiquement une légitimité par procédure. C’est pour moi un prétexte pour justifier une mesure contestée par une partie importante de la population, indépendamment de la culture du pays ou de l’époque. C’est également un prétexte pour annuler une décision ou une élection dont le résultat déplaît lorsqu’il n’y a plus d’autre moyen d’action.
     
    D’où l’immaturité en matière politique. Ce que l’on ne peut obtenir par les institutions politiques, on veut l’obtenir par d’autres façons. (par la violence, le recours au juge, par la répression policière ou militaire) Je trouve que l’expression du type « on nous a volé ..» revient de plus en plus ces temps-ci.
     
     
     

    • Descartes dit :

      @ Skotadi

      [« Imaginons un instant que le président ait cédé à cette demande, et que le Conseil constitutionnel ait validé la non-promulgation. Un précédent aurait alors été établi : le président peut refuser de promulguer une loi régulièrement approuvée par le Parlement. Est-ce que ceux qui ont fait cette proposition se rendent compte de la portée de ce précédent ? » Il me semble que ce cas se soit déjà produit en 2005 avec la loi « Contrat Première Embauche » où le Président Jacques Chirac avait promulgué la loi et demandé au gouvernement de ne pas l’appliquer.]

      Pas tout à fait. La loi sur le CPE avait bien été promulguée. Si elle ne s’applique pas, c’est parce que le gouvernement n’a pas pris les actes réglementaires – décrets, arrêtés – nécessaires à son application. La différence est subtile, mais réelle. Parce que dans beaucoup de domaines, le Parlement peut voter des lois qui s’appliquent directement, sans qu’il soit besoin de prendre des actes réglementaires. C’est en particulier le cas dans le champ du droit pénal. Ainsi, par exemple, avec la promulgation de la loi Veil l’avortement – sous réserve du respect de certaines conditions – cesse d’être un délit, et cela dès la promulgation. Donner à l’exécutif le droit de ne pas promulguer les lois irait donc beaucoup plus loin que lui donner le droit de ne pas les réglementer.

      J’ajoute que lorsque l’exécutif refuse de réglementer une loi, il existe des remèdes légaux : on peut faire un recours devant le Conseil d’Etat, qui peut ordonner à l’exécutif de produire la réglementation manquante. Si cela n’a pas été fait dans le cadre du CPE, c’est parce qu’il y avait un consensus social pour ne pas appliquer la loi. C’est une bonne illustration de ma théorie sur la démocratie comme processus permanent, et non comme une simple réduction à la procédure électorale.

      « Il leur faut écouter le pays, prendre son pouls en permanence pour s’assurer non pas que le peuple est d’accord avec sa politique, mais à minima qu’il est d’accord pour accepter la règle comme légitime, et donc pour ne pas s’opposer à son application. »

      [« On peut longuement s’interroger sur l’origine de cette différence. A mon sens, elle tient à l’histoire. Il y a des nations qui se sont constituées autour de l’Etat, et des nations qui se sont construites autour du Droit. Pour résumer, les Anglais ont fait leur révolution pour défendre les pouvoirs judiciaires du Parlement, les Français pour l’abolir. » C’est une grosse erreur de comparaison. Le Parlement britannique a une fonction politique, à savoir l’adoption de loi et l’approbation de l’impôt. Ses fonctions judiciaires, théoriquement illimité, n’ont été que rarement mis en œuvre. (la dernière utilisation remonte au XVIIIeme).]

      C’est inexact : la chambre des pairs (« House of Lords ») est resté l’instance suprême d’appel jusqu’au XXIème siècle, jusqu’à la création d’une « cour suprême » en 2009. Cette prérogative était exercée par les « pairs » jusqu’en 1876, quand la « Appelate jurisdiction act » créa un comité particulier de la chambre, composée par des « pairs » nommés spécifiquement pour cela (les « lords of appeal in ordinary », plus connus sous l’appellation de « law lords »). Les institutions britanniques sont très fortement marquées par la demande populaire de limitation judiciaire du pouvoir royal, alors qu’en France c’est l’inverse : on voit le pouvoir royal comme un recours contre une institution judiciaire vénale et corrompue.

      [En France, son équivalent était les États généraux du Royaume, les Parlements (car ils étaient plusieurs, un par province), n’étaient qu’une section spécialisé du Conseil du Roi, chargé de conseiller le monarque sur des questions administratives et juridiques, de surveiller les agents royaux et de rendre la Justice.]

      Certes. Mais contrairement au judiciaire britannique, qui était centralisée, les Parlements ont été les instruments des aristocraties locales pour s’opposer à toute réforme, et étaient connus pour leur vénalité et leur corruption. C’est d’ailleurs pourquoi personne n’a levé un doigt pour les défendre lorsqu’ils ont été pure et simplement abolis à la révolution. Au contraire, la révolution anglaise du XVIIème siècle a été en grande partie liée à la révolte populaire contre la mise au pas du judiciaire voulue par Charles Ier pour faire passer les lois fiscales concernant le « ship money » (l’argent pour la marine).

      [Les Anglais n’ont jamais mélangé les fonctions administratives et judiciaires (à l’exception de la chambre Étoilée). Les français ont fait cette séparation avec la loi des 16 et 24 août 1790.]

      Je n’ai pas compris cette remarque. Vous voulez je pense dire que les britanniques n’ont jamais SEPARE les fonctions administratives et judiciaires. C’est exact, et cela tient à une raison simple : les institutions britanniques reposent sur un principe fondamental, celui de la souveraineté du Parlement, résumée par la formule du juriste calviniste Jean-Louis de Lolme : « Le Parlement anglais peut tout faire sauf changer une femme en homme ». Or, dès lors que le Parlement exerce la souveraineté pleine, les actes « administratifs » au sens français du terme ne peuvent être remis en cause devant une juridiction quelle qu’elle soit, puisque le gouvernement est une émanation du Parlement souverain et n’est responsable que devant lui.

      En fait, pour permettre un examen juridictionnel des actes du gouvernement britannique, le juge a recours à une ruse. Par convention, on suppose que lorsque le Parlement délègue un pouvoir à un ministre, il le délègue de manière à ce qu’il en use « raisonnablement » sauf spécification contraire. En d’autres termes, le juge n’examinera pas si l’acte est légal ou conforme aux pouvoirs du ministre, comme le ferait le juge administratif français, mais si l’acte est « raisonnable »…

      [Aussi il serait plus exact de dire que les Anglais ont défendu les prérogatives du Parlement comme institution politique tandis que les Français se sont doté d’un organe représentatif permanent et ont séparé le pouvoir le judiciaire avec le pouvoir politique.]

      Pas du tout. La révolution des années 1640 et la guerre civile qui s’en est suivie a beaucoup à voir avec la remise en cause par Charles Ier de l’équilibre du judiciaire – et notamment de la remise en cause de l’avis des principaux juristes du royaume dans l’affaire du « ship money ». Les anglas n’ont jamais demandé très fortement une séparation : comme je vous l’ai expliqué, la Chambre haute est restée l’instance d’appel juridictionnel jusqu’au début du XXIème siècle. C’est en France, au contraire, que la pression a été forte pour empêcher le judiciaire de se mêler des affaires politiques, et pour limiter rigoureusement ses compétences à celles d’une « autorité » et non d’un « pouvoir ».

      [Je mentionne comme exemple le règne de Charles Ier qui fut exécuté car tout au long de son règne, il avait instauré des taxes sans l’autorisation du Parlement. Les Français ne sont pas les seuls à avoir décapité leur roi.]

      L’exemple est mal choisi. Charles Ier a choisi de lever la taxe sous forme du « ship money » précisément parce qu’elle n’avait pas besoin de l’accord du Parlement. Et la bataille qui s’en est suivie fut une bataille devant les juges sur le sujet de savoir si ce recours était légal ou pas. Ce fut le cas R. vs. Hampden, dans lequel le roi gagna une victoire à la Pyrrhus : même s’il réussit à obtenir un verdict favorable à 7 juges contre 5 dans la « court of exchequer », les juristes les plus respectés du royaume avaient exprimé une opinion contraire.

      [Au demeurant, c’est les Parlements qui ont été supprimé et non le pouvoir judiciaire. Comment on peut supprimer le pouvoir de rendre la Justice ?]

      Pardon : non seulement on a supprimé les Parlements, on a aussi fait de la justice une « autorité » et non un « pouvoir ». L’interdiction faite au juge « de se mêler des affaires d’administration », l’interdiction des arrêts de règlement – c’est-à-dire, d’arrêts qui établissaient une règle générale au-delà du cas d’espèce jugé – et le principe de légalité des peines affirmé en 1789 font que le juge français n’est là que pour appliquer la loi et l’interpréter selon « la volonté du législateur ». Il n’est pas, comme le juge américain, un « pouvoir » autonome.

      [« Parce qu’en France, historiquement, la procédure n’a jamais été source de légitimité comme elle peut l’être en Allemagne ou en Grande Bretagne, où des lois totalement absurdes sont observées sans que personne ne se pose des questions. Nous sommes un peuple politique, au sens que nous n’acceptons pas cette idée que la règle doit être obéie simplement parce que c’est la règle. » Là je ne suis pas d’accord sur l’exemple du Royaume-Uni. C’est même l’inverse. D’un point de vue historique, c’est d’abord en Angleterre que les rapports de forces ont été institutionnalisé, entre le monarque et les barons, puis avec les marchands.]

      Pourriez-vous donner un exemple ? Ce qui caractérise le droit anglosaxon, c’est un accent mis dans la procédure qui nous est totalement étranger. Ainsi, par exemple, en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, le fait qu’une preuve ait été obtenue illégalement interdit son utilisation dans un procès. Autrement dit, une personne dont on peut établir la culpabilité peut sortir libre du tribunal au motif que la preuve qui permet d’établir cette culpabilité a été procurée illégalement. Ce n’est pas le cas en France, ou la Cour de cassation retient comme jurisprudence constate qu’une preuve a une valeur probante indépendamment de la manière dont elle a été obtenue.

      [Pour moi, l’explication ne vient pas d’une différence de culture, mais plutôt de la structure économique, sociale. L’économie anglaise était urbaine et reposait davantage sur le commerce.]

      C’est pas un matérialiste comme moi qui vous dira le contraire… bien sûr, même les différences de culture reflètent dialectiquement des différences dans la structure économique et sociale. L’Angleterre est d’abord un pays maritime, dont la survie repose sur la capacité à maintenir ouvertes les routes commerciales. C’est pourquoi le « ship money » pouvait être levé depuis les temps médiévaux sans faire appel au Parlement, puisqu’il s’agissait de faire face à une urgence absolue. Et qui dit commerce, dit investissement et donc protection des investissements, ce qui donne au juge et à la procédure une importance particulière.

      [Or avec le commerce se pose la question de la liberté et impôt.]

      Je ne crois pas que la question de l’impôt soit très différente dans une nation commerçante ou dans une nation paysanne, comme était la France à la même époque. Dans les deux cas, les problématiques de taxation sont similaires. Non, la grande différence, c’est la question de l’investissement. Dans une économie paysanne, le capital est fondamentalement représenté par la terre, et c’est pourquoi chez nous la législation est marquée par la question foncière. Alors que dans les nations commerçantes, il s’agit de protéger des biens mobiliers : bateaux, cargaisons, outils, marchés…

      [C’est surtout grâce de la question de l’impôt que le Parlement britannique a obtenu des garanties (citons la magna carta, et surtout le bill of right). Ainsi les conflits se sont institutionnalisé dans un Parlement qui représente les parties intéressées, le monarque, l’aristocratie et le « commun » des mortels.]

      Magna Carta est un exemple connu, mais la France avait son équivalent dans les « lois et coutumes du royaume ». On a tort d’imaginer que le roi de France pouvait claquer des doigts et imposer un impôt à ses « barons ». Même si chez nous cela n’a pas abouti à la rédaction d’un document unique comme ce fut le cas en Grande Bretagne, le résultat était le même.

      [En France, l’économie était davantage rurale. Il fallait une autorité puissante pour assurer l’ordre.]

      Je pense que vous faites erreur : dans une économie rurale, point n’est besoin d’une « autorité puissante pour assurer l’ordre ». Les communautés villageoises étaient parfaitement capables d’assurer l’ordre sur leurs petits territoires. C’est lorsque se développe le commerce qu’il faut une « autorité puissante » pour assurer la sécurité des routes et des voies de communication, et la protection des navires et des cargaisons dans les eaux étrangères…

      [L’apparition d’une bourgeoisie forte n’est apparue que bien plus tard. De plus les frontières ne se sont fixés qu’au XVIIIeme siècle. C’est ainsi que la monarchie absolue était acceptée. Mais cela n’était accepté que parce que les pouvoirs du Roi étaient encadrés par le principe du « conseil ». Le Roi devait prendre conseil avant de prendre une décision, d’où l’existence d’une multitude de conseil, dont les Parlements.]

      « Acceptée » par qui ? Ceux qui se sont opposés à la monarchie absolue, ce n’était pas les roturiers ni même la bourgeoisie naissante, mais les « barons », c’est-à-dire, les nobles pour qui la centralisation constituait une menace. Et cela est vrai d’ailleurs en France comme en Angleterre. Avec une grande différence : en France, le pouvoir central s’est imposé parce que les roturiers ont vu en lui leur meilleure défense contre une noblesse improductive et rapace. En Grande Bretagne, la noblesse s’est investie dans le commerce et l’industrie, et a réussi à préserver son pouvoir.

      [Concernant des lois absurdes, je préciserai qu’on en trouve aussi bien en France qu’au Royaume-Uni.]

      Pouvez-vous donner quelques exemples ? Je vous rappelle que « injuste » et « absurde » ne sont pas des synonymes.

      [Aussi je ne pense pas qu’il existe historiquement une légitimité par procédure. C’est pour moi un prétexte pour justifier une mesure contestée par une partie importante de la population, indépendamment de la culture du pays ou de l’époque. C’est également un prétexte pour annuler une décision ou une élection dont le résultat déplaît lorsqu’il n’y a plus d’autre moyen d’action.]

      Je vous ai donné l’exemple des règles d’admissibilité de la preuve : celle-ci est liée à la procédure dans le droit anglo-saxon, à sa valeur probante en droit français…

      • Skotadi dit :

        Concernant le Parlement britannique :
        Lorsque vous évoquiez la fonction judiciaire du Parlement, je pensais que vous faisiez référence au « Bill of atteinder », c’est-à-dire le pouvoir de la chambre des Communes de mettre en accusation devant la chambre des Lords. Pouvoir que même le monarque ne peut faire obstacle par un usage de la grâce royale.
        Je vais préciser ma position quand j’ai écrit que le juge britannique a des fonctions strictement judiciaires. Les Parlements français étaient d’abord des cours de justice, mais avaient également des fonctions administratives, de surveillance et d’enregistrement des textes royaux. Les cours de justices britanniques (je fais référence à la Cour du Banc du Roi, Cour des plaids communs, la Cour de l’échiquier….) avaient-elles également ces fonctions ? La réponse est non, sauf pour la chambre étoilée qui sera supprimée par le Parlement sous le règne de Charles 1er. Le juge britannique a un rôle strictement judiciaire.
        Concernant votre exemple de la « ship money », vous auriez aussi pu citer l’affaire des « cinq chevalier » ou également connu « The Darnel Case” , à propos des emprunts forcés et le fait que la Cour du Banc du Roi qui confirme la possibilité pour Charles 1er d’emprisonner les réfractaires. Mais votre démonstration souffre alors de deux problèmes.
        D’abord comme vous l’avez indiqué, la chambre des Lords était, à cette époque, l’instance suprême d’appel. Donc qu’elle était la position de la chambre des Lords à ce sujet ? De plus, vous n’allez pas au bout de l’histoire. Que s’est-il passé ensuite ?. Les Britaniques ont-ils accepté cette solution ? La réponse est non. La ship tax et les emprunts forcés ont été abrogé par la loi. De plus, Charles 1er a été contraint de sanctionner le Triennial Act, obligeant la convocation du Parlement pour une session de cinquante jours au moins une fois tous les trois ans, afin de s’assurer du respect de la Petition of right de 1628. La suite viendra avec le “Bill of right” de 1689 qui rappelle les limites du pouvoir du Roi. Ainsi, il ne peut lever l’impôt, lever une armée, suspendre les lois sans le consentement des Communes et des Lords.
        Ce à quoi vous faites allusion est la création d’un statut des juges pour les protéger des pressions royales. Mais ce statut a été crée avec l‘acte of settlement de 1701. Mais aucun texte n’a donné au juge britannique une fonction autre que de rendre la justice.
        Je ne conteste pas que le Parlement brittannique soit investi du pouvoir législatif et du judiciaire. Je conteste votre analyse selon laquelle c’est le judiciaire qui limite le pouvoir royal. Or ce n’est pas par des arrêts des cours de justice qui limite les prérogatives du Roi mais les lois adoptées par les Communes et les Lords.
        Au final, les Britanniques ont préféré confier la sauvegarde de leurs droits par une assemblée de représentant que par des cours de justice. J’ajoute que lorsque les treizes colonies d’Amérique se sont révolté, c’est parce que la Couronne a instauré des taxes sans le consentement des colons. “No without representation”; “pas de taxe sans répresentantion” et non “pas de taxe sans autorisation d’un juge”.
        Maintenant pour les Parlement de l’Ancien régime:
        “Mais contrairement au judiciaire britannique, qui était centralisée, les Parlements ont été les instruments des aristocraties locales pour s’opposer à toute réforme, et étaient connus pour leur vénalité et leur corruption. “
        Alors j’aimerait vous poser une question. Si les Parlements étaient corrompus, alors pourquoi les rois les consultaient régulièrement ? Ils pouvaient convoquer les États Généraux pour faire passer les réformes, ce qui se produisait régulièrement jusqu’en 1614.
         
        Le système judiciaire français était tout aussi centralisé. En effet les arrêts des Parlements pouvaient faire l’objet d’un recours devant le Conseil des parties (dit aussi conseil privé) qui un rôle similaire à celui de la Cour de Cassation aujourd’hui, sans parler du Roi à exercer sa justice retenue et notamment le lit de justice.
        Concernant la vénalité, Richelieu aurait été en désaccord avec vous. Dans son Testament politique (d’où le fait que j’étais absent sur votre blog pendant un moment), où dans un monde idéal il faudrait supprimer la vénalité et l’hérédité des offices, dans la pratique il considère que ce système procure des avantages au point que la seule solution est de diminuer le coût par la dispense du payement de la paulette et toujours se montrer rigoureux dans l’examen de recevabilité.
        La vénalité des offices n’était pas synonyme de corruption au contraire. D ‘une part pour acheter une charge au Parlement, il fallait disposer d’une fortune conséquente, ce qui protégeait de tout risque de corruption. D’autre part, il ne suffisait pas d’acheter une charge pour être admis au Parlement. Il fallait recevoir des lettres de provision du Roi, donc son consentement, et réussir un examen juridique, avoir un âge minimum et être de bonne moralité. Enfin le Roi pouvait toujours juger les parlementaires en raison de leurs mauvaises conduites, en les exilant ou en rachetant leur charge. (Citons Pierre Broussel lors de la Fronde, la réforme Maupeou ou la réforme Lamoignon avec l’exil des parlementaires.) De plus, les juges nommés par Maupeou ne se sont pas révélé de meilleure qualité que les anciens juges et étaient discrédités par la population.
        Les Parlements ont été instrumentalisé par tout le monde. Par les Rois, pour faire passer leurs réformes ou pour se sauver la face (je pense au traité de Madrid 1526), par les régents Anne d’Autriche et Philippe d’Orléans pour casser les testaments royaux en leur défaveur. Par les ministres pour régler leurs compte politiques (Richelieu contre Michel de Marillac, Maurepas contre Maupéou,Turgot puis Necker). Par les religieux (querelle entre les jésuites et jansénistes). Par les bourgeois, aristocrates, philosophes contre l’absolutisme royal.
        « C’est d’ailleurs pourquoi personne n’a levé un doigt pour les défendre lorsqu’ils ont été pure et simplement abolis à la révolution. »
        A la Révolution certainement. La raison était que, avant 1789, les États Généraux n’étant plus convoqués, la seule institution capable de s’opposer au Roi étaient les Parlements. Et il y avait un fort mouvement populaire pour les soutenir dans leur opposition. Je vous renvoie à la Fronde et à la journée des Tuiles à Grenoble en 1788. Une fois que les révolutionnaires ont instauré une assemblée législative permanente, les Parlements sont devenus inutiles et ont été supprimé.
        « Au contraire, la révolution anglaise du XVIIème siècle a été en grande partie liée à la révolte populaire contre la mise au pas du judiciaire voulue par Charles Ier pour faire passer les lois fiscales concernant le « ship money »
        Pas du tout, la France a suivi exactement le même chemin. La réforme Maupeou a permis d’installer des juges favorables au pouvoir royal. En 1788, Louis XVI voulait réformer la fiscalité, il pouvait convoquer les États Généraux mais il ne l’a pas fait. Il savait que les Parlements refuseraient l’enregistrement. Alors lui et le Garde des Sceaux Lamoignon ont voulu créer une « Cour plénière » pour enregistrer ces réformes et dont les juges seraient nommés par le Roi. Le Parlement de Grenoble refusa la création de cette juridiction, la population a soutenu ces derniers, ce qui provoquera la « Journée des Tuiles ». La suite vous la connaissez.
        [C’est surtout grâce de la question de l’impôt que le Parlement britannique a obtenu des garanties (citons la magna carta, et surtout le bill of right). Ainsi les conflits se sont institutionnalisé dans un Parlement qui représente les parties intéressées, le monarque, l’aristocratie et le « commun » des mortels.]
        « Magna Carta est un exemple connu, mais la France avait son équivalent dans les « lois et coutumes du royaume ». On a tort d’imaginer que le roi de France pouvait claquer des doigts et imposer un impôt à ses « barons ». Même si chez nous cela n’a pas abouti à la rédaction d’un document unique comme ce fut le cas en Grande Bretagne, le résultat était le même. »
        C’est exactement mon point de vue. Il y a les « lois fondamentales du Royaume de France » que le Roi ne peut violer. D’où les oppositions des Parlements, la volonté des Rois d’y passer outre, sans consulter un organe représentatif, et comment cela s’est terminé par une révolution. CQFD.
        « Pardon : non seulement on a supprimé les Parlements, on a aussi fait de la justice une « autorité » et non un « pouvoir ». L’interdiction faite au juge « de se mêler des affaires d’administration », l’interdiction des arrêts de règlement – c’est-à-dire, d’arrêts qui établissaient une règle générale au-delà du cas d’espèce jugé – et le principe de légalité des peines affirmé en 1789 font que le juge français n’est là que pour appliquer la loi et l’interpréter selon « la volonté du législateur ». Il n’est pas, comme le juge américain, un « pouvoir » autonome. »
        Non, la Constitution de 1791 et de 1795 reconnaît un pouvoir judiciaire. En fait tout dépend de comment on définit « un pouvoir ». Pour vous, si j’ai bien compris un « pouvoir » c’est la faculté de créer des règles. Dans ce cas oui, il ne peut y avoir de pouvoir judiciaire en France. Mais moi je m’appuie sur la vision de Montesquieu. De plus, si je suis cette logique, la notion de « pouvoir exécutif » est alors impossible puisque les révolutionnaires n’ont pas voulu donner un pouvoir réglementaire autonome à Louis XVI et ont placé ce dernier et ses ministres sous la stricte surveillance du législatif.
        Quant aux exemples que vous citez, cela illustre le passage d’un système juridique proche de la Common law à celui d’un système reposant presque exclusivement sur la loi. En effet, sous l’Ancien régime, le droit reposait davantage sur les coutumes que sur des textes. D’ailleurs Montesquieu défend ce système, cela ne l’empêche pas de parler d’un pouvoir judiciaire, celui de « punir les crimes, ou juge les différents des particuliers ».
        « Nous sommes un peuple politique, au sens que nous n’acceptons pas cette idée que la règle doit être obéie simplement parce que c’est la règle. » Là je ne suis pas d’accord sur l’exemple du Royaume-Uni. C’est même l’inverse. 
        « Pourriez-vous donner un exemple ? »
        La police au Royaume-Uni. Robert Peel, ministre de l’intérieur, a défini la police autour de dix principes connus comme les « principes de Peel ». Le deuxième est intéressant car il insiste sur le fait que la police est légitime, non pas parce qu’elle est une création de la loi, mais parce qu’elle a l’approbation du public « La reconnaissance constante que le pouvoir qu’a la police d’accomplir ses fonctions et devoirs dépend de l’approbation qu’a le public de son existence, de ses actions et de son comportement, mais également de la capacité de la police a acquérir et conserver le respect du peuple. » Tout le contraire de la France où les syndicats policiers répètent que la légitimité de la police repose sur le fait qu’ils exécutent les lois et qu’ils travaillent sous la direction du politique et de la magistrature.
        « en Grande Bretagne ou aux États-Unis, le fait qu’une preuve ait été obtenue illégalement interdit son utilisation dans un procès. Autrement dit, une personne dont on peut établir la culpabilité peut sortir libre du tribunal au motif que la preuve qui permet d’établir cette culpabilité a été procurée illégalement. Ce n’est pas le cas en France, ou la Cour de cassation retient comme jurisprudence constate qu’une preuve a une valeur probante indépendamment de la manière dont elle a été obtenue. »
        Je voudrais des arrêts qui illustre cette « jurisprudence » parce que ce que vous avez écrit est faux. Une preuve obtenue illégalement en France sera écarté par le juge. Un exemple : j’ai ouvert mon Code de procédure pénale au hasard et je suis tombé sur l’art 53 qui définit l’enquête de flagrance. Comment caractériser la flagrance ? Une lettre anonyme est-elle suffisante ? La Cour de Cassation, dans un arrêt du 11 juillet 2007, a statué que « Si les policiers sont renseignés anonymement, ils doivent donc ouvrir une enquête préliminaire. Toute procédure ouverte en flagrance à la suite de renseignement anonymes est nulle » Je vous mets en lien un cas concret de ce genre de situation.
        Seine-Saint-Denis : Jugé pour trafic de stupéfiants, le rappeur Da Uzi relaxé pour vices de procédure (20minutes.fr)
        « Je ne crois pas que la question de l’impôt soit très différente dans une nation commerçante ou dans une nation paysanne, comme était la France à la même époque. »
        Je pense que si, pour une raison simple. Le commerce implique l’échange de marchandises. Plus les marchandises circulent librement, plus le commerce est florissant. Or les impôts, comme l’octroie, ajoutent un coût supplémentaire aux transports de marchandises, ce qui limite le commerce.
        « Je pense que vous faites erreur : dans une économie rurale, point n’est besoin d’une « autorité puissante pour assurer l’ordre ». Les communautés villageoises étaient parfaitement capables d’assurer l’ordre sur leurs petits territoires. »
        Non, mais j’aurai dû mentionner la maréchaussée pour illustrer mon propos. En effet dans un pays vaste et rural comme la France, il est difficile de lutter contre le brigandage sans faire appel aux militaires, seul force organisé et discipliné. D’ailleurs les révolutionnaires, qui l’ont supprimé, ont dû la rétablir sous le nom de « Gendarmerie Nationale » que nous connaissons aujourd’hui.
        Concernant des lois absurdes, je vais vous donner un exemple, car la notion de « loi absurde » est assez subjective. Néanmoins l’exemple que je vais vous donner est objectivement absurde. La loi Perben 2 du 9 mars 2004 a instauré des « crédits remise automatique de peine ». Autrement dit, un condamné se voit accorder automatiquement trois mois de réduction de peine pour la première année de détention et de deux mois pour chaque année supplémentaire. Ces crédits peuvent être retirés en cas de mauvaise conduite. Un exemple : un prévenu est condamné à 10 ans d’emprisonnement. Soit 21 mois de réduction de peine. Il fera au maximum 8 ans et trois mois.
        C’est absurde sur le plan politique car la majorité avait été élue sur le thème de la sécurité et absurde juridiquement car on inverse la logique où normalement, c’est au condamné de prouver qu’il mérite une réduction de peine. Et en plus, tenez compte de la future mise en place des peines planchers. Heureusement elles ont été supprimé par la loi du 22 décembre 2021. Notez la cohérence, entre l’idéologie politique de celui qui l’a créé et celui qui l’a supprimé. (Parce que si on m’avait dit que ce serait Dupont-Moretti qui supprimerait ça, je ne l’aurais pas cru).
        [Aussi je ne pense pas qu’il existe historiquement une légitimité par procédure. C’est pour moi un prétexte pour justifier une mesure contestée par une partie importante de la population, indépendamment de la culture du pays ou de l’époque. C’est également un prétexte pour annuler une décision ou une élection dont le résultat déplaît lorsqu’il n’y a plus d’autre moyen d’action.]
        Ce paragraphe devait permettre de revenir au thème de votre billet. Ici je parlais de la décision politique et de la façon dont le politique se sert de la procédure pour arriver à ses fins ou se décharger de ses responsabilités. Un exemple tout récent avec le ministre de l’Intérieur, qui souhaite interdire toute manifestation de l’ultra-droite. Un bon moyen de se décharger sur le juge administratif. 

        • Descartes dit :

          @ Skotadi

          [Lorsque vous évoquiez la fonction judiciaire du Parlement, je pensais que vous faisiez référence au « Bill of atteinder », c’est-à-dire le pouvoir de la chambre des Communes de mettre en accusation devant la chambre des Lords. Pouvoir que même le monarque ne peut faire obstacle par un usage de la grâce royale.]

          Non. Je ne faisais pas référence au « bill of attainder » précisément parce que le « bill of attainder » n’est pas un acte judiciaire, mais un acte législatif. En effet, le « bill of attainder » permet au Parlement de priver une personne de l’ensemble de ses droits civils sans que soit besoin de prouver sa culpabilité, sans même qu’il y ait de procès, par un simple vote.

          [Je vais préciser ma position quand j’ai écrit que le juge britannique a des fonctions strictement judiciaires. Les Parlements français étaient d’abord des cours de justice, mais avaient également des fonctions administratives, de surveillance et d’enregistrement des textes royaux. Les cours de justices britanniques (je fais référence à la Cour du Banc du Roi, Cour des plaids communs, la Cour de l’échiquier….) avaient-elles également ces fonctions ? La réponse est non, sauf pour la chambre étoilée qui sera supprimée par le Parlement sous le règne de Charles 1er. Le juge britannique a un rôle strictement judiciaire.]

          D’abord, vous ne pouvez pas vous contenter des cours souveraines. Si vous voulez comparer avec les Parlements français, il faut regarder aussi comment fonctionnaient les cours locales. Et on retrouve chez les officiers de ces cours des fonctions là aussi administratives et de police générale. Mais au-delà de cette question, il faut savoir ce que vous appelez « un rôle strictement judiciaire ». Dans un système de « common law », où le précédent tient lieu de loi, le juge fait la loi chaque fois qu’il prononce une décision.

          [Concernant votre exemple de la « ship money », vous auriez aussi pu citer l’affaire des « cinq chevalier » ou également connu « The Darnel Case” , à propos des emprunts forcés et le fait que la Cour du Banc du Roi qui confirme la possibilité pour Charles 1er d’emprisonner les réfractaires. Mais votre démonstration souffre alors de deux problèmes.
          D’abord comme vous l’avez indiqué, la chambre des Lords était, à cette époque, l’instance suprême d’appel. Donc qu’elle était la position de la chambre des Lords à ce sujet ?]

          Je n’ai pas très bien compris à quelle « démonstration » vous faites allusion.

          [Ce à quoi vous faites allusion est la création d’un statut des juges pour les protéger des pressions royales. Mais ce statut a été crée avec l‘acte of settlement de 1701. Mais aucun texte n’a donné au juge britannique une fonction autre que de rendre la justice.]

          Cela n’est pas nécessaire. Comme je l’ai dit plus haut, dans un système de « common law », où le précédent fait loi, le juge a par définition une fonction qui va bien au-delà de la simple application de la loi.

          [Je ne conteste pas que le Parlement britannique soit investi du pouvoir législatif et du judiciaire. Je conteste votre analyse selon laquelle c’est le judiciaire qui limite le pouvoir royal. Or ce n’est pas par des arrêts des cours de justice qui limite les prérogatives du Roi mais les lois adoptées par les Communes et les Lords.]

          Je pense que vous vous trompez. Les défaites successives de Charles Ier ont été infligés par des juges interprétant le précédent et la coutume, et non les « lois adoptés par les Communes et les Lords ». Certaines de ses coutumes ou des précédents ont été ensuite écrits dans des lois votées, mais c’est là une consécration, et non une création.

          [Au final, les Britanniques ont préféré confier la sauvegarde de leurs droits par une assemblée de représentant que par des cours de justice.]

          Pas vraiment. Ils n’ont jamais franchi le pas d’abolir la « common law » et de passer à un système de droit écrit. Même pas en matière constitutionnelle !

          [J’ajoute que lorsque les treizes colonies d’Amérique se sont révolté, c’est parce que la Couronne a instauré des taxes sans le consentement des colons. “No without representation”; “pas de taxe sans répresentantion” et non “pas de taxe sans autorisation d’un juge”.]

          Bien sûr que si : lorsqu’il s’est agi d’écrire la constitution américaine, on n’a pas songé à faire du Congrès, tout représentatif qu’il fut, le souverain. Si les taxes doivent être approuvés par le Congrès, on a prévu une Cour suprême puissante – y compris en matière fiscale – pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de « taxation sans autorisation d’un juge ». Ce contrôle du juge sur la législation n’est pas apparu par hasard dans la constitution américaine : elle prolonge cette tradition qui fait du juge la garantie des libertés face aux autres pouvoirs, tradition que les américains ont hérité de la Grande Bretagne. A l’inverse, aucun mécanisme de contrôle équivalent n’a pas existé en France… jusqu’au XXIème siècle !

          [“Mais contrairement au judiciaire britannique, qui était centralisée, les Parlements ont été les instruments des aristocraties locales pour s’opposer à toute réforme, et étaient connus pour leur vénalité et leur corruption. “ Alors j’aimerais vous poser une question. Si les Parlements étaient corrompus, alors pourquoi les rois les consultaient régulièrement ?]

          Je doute fort que la motivation du roi pour consulter les Parlements fut lié à leur probité. Les Parlements étaient des pouvoirs locaux, représentatifs de la petite noblesse locale. Il fallait compter avec eux.

          [Le système judiciaire français était tout aussi centralisé. En effet les arrêts des Parlements pouvaient faire l’objet d’un recours devant le Conseil des parties (dit aussi conseil privé) qui un rôle similaire à celui de la Cour de Cassation aujourd’hui, sans parler du Roi à exercer sa justice retenue et notamment le lit de justice.]

          Oui, mais dans un pays où les transports étaient lents et la justice chère, ce genre de procédure était réservée aux grands seigneurs ou aux gens très riches. La centralisation à l’anglaise était plus institutionnelle : les juges qui jugeaient les affaires locales étaient des juges venus de Londres par le système des « circuits », qui permettaient de faire descendre la doctrine fixée par les cours souveraines à l’ensemble du territoire.

          [Concernant la vénalité, Richelieu aurait été en désaccord avec vous. Dans son Testament politique (d’où le fait que j’étais absent sur votre blog pendant un moment), où dans un monde idéal il faudrait supprimer la vénalité et l’hérédité des offices, dans la pratique il considère que ce système procure des avantages au point que la seule solution est de diminuer le coût par la dispense du payement de la paulette et toujours se montrer rigoureux dans l’examen de recevabilité.]

          Je ne crois pas que Richelieu soit en désaccord avec moi. Nulle part le Cardinal n’affirme que le système de la vénalité des offices permet de disposer de fonctionnaires honnêtes et dévoués au bien public. Il est parfaitement d’accord avec moi sur les défauts du système. La seule chose qu’il ajoute pour sa défense, c’est que dans le contexte du XVIIème siècle qui était le sien il n’y avait pas de système meilleur. Et là encore, je suis d’accord avec lui.

          [La vénalité des offices n’était pas synonyme de corruption au contraire. D ‘une part pour acheter une charge au Parlement, il fallait disposer d’une fortune conséquente, ce qui protégeait de tout risque de corruption.]

          Au contraire. Point n’était besoin de disposer d’une fortune, il suffisait de se trouver un « sponsor » qui vous prêtait la somme. Somme qu’il fallait rembourser… en argent et en nature. Et c’est par là que passait la corruption.

          [« C’est d’ailleurs pourquoi personne n’a levé un doigt pour les défendre lorsqu’ils ont été pure et simplement abolis à la révolution. » A la Révolution certainement. La raison était que, avant 1789, les États Généraux n’étant plus convoqués, la seule institution capable de s’opposer au Roi étaient les Parlements. Et il y avait un fort mouvement populaire pour les soutenir dans leur opposition. Je vous renvoie à la Fronde et à la journée des Tuiles à Grenoble en 1788. Une fois que les révolutionnaires ont instauré une assemblée législative permanente, les Parlements sont devenus inutiles et ont été supprimé.]

          Autrement dit, dès lors qu’une instance LEGISLATIVE a été mise en place, les Parlements sont devenus inutiles. C’est à dire, si les gens se sont soulevés pour défendre les Parlements, c’est dans leur rôle LEGISLATIF, et non pas dans leur rôle JUDICIAIRE. Car on voit mal en quoi l’établissement d’une assemblée législative permanente aurait rendu une instance JUDICIAIRE inutile…

          Avec cette remarque, vous me donnez raison : le peuple ne s’est pas soulevé pour défendre le juge. Il s’est levé pour défendre le législateur – un « législateur négatif », pour être précis.

          [Pas du tout, la France a suivi exactement le même chemin. La réforme Maupeou a permis d’installer des juges favorables au pouvoir royal.]

          Oui, mais la réforme Maupeou n’a pas provoqué un soulèvement général et une guerre civile, que je sache.

          [En 1788, Louis XVI voulait réformer la fiscalité, il pouvait convoquer les États Généraux mais il ne l’a pas fait. Il savait que les Parlements refuseraient l’enregistrement.]

          Il savait aussi que les états généraux refuseraient de même, dominés qu’ils étaient par la noblesse et le clergé.

          [« Magna Carta est un exemple connu, mais la France avait son équivalent dans les « lois et coutumes du royaume ». On a tort d’imaginer que le roi de France pouvait claquer des doigts et imposer un impôt à ses « barons ». Même si chez nous cela n’a pas abouti à la rédaction d’un document unique comme ce fut le cas en Grande Bretagne, le résultat était le même. » C’est exactement mon point de vue. Il y a les « lois fondamentales du Royaume de France » que le Roi ne peut violer. D’où les oppositions des Parlements, la volonté des Rois d’y passer outre, sans consulter un organe représentatif, et comment cela s’est terminé par une révolution. CQFD.]

          Je pense que vous faites un anachronisme : il était impossible de consulter un « organe représentatif » parce qu’un tel « organe » n’existait pas. Les états généraux étaient lourdement biaisés en faveur de la noblesse et du clergé, les deux groupes qui avaient le plus à perdre dans n’importe quelle réforme. Autrement dit, il était impossible de réformer tout en respectant les « lois fondamentales du Royaume de France ». La révolution n’est pas le fait d’un roi imposant des réformes sans consulter un organe représentatif, mais au contraire la conséquence de l’incapacité du roi à briser la résistance de l’aristocratie et du clergé pour imposer des réformes que le reste de la population – et notamment la bourgeoisie montante – exigeait.

          « Pardon : non seulement on a supprimé les Parlements, on a aussi fait de la justice une « autorité » et non un « pouvoir ». L’interdiction faite au juge « de se mêler des affaires d’administration », l’interdiction des arrêts de règlement – c’est-à-dire, d’arrêts qui établissaient une règle générale au-delà du cas d’espèce jugé – et le principe de légalité des peines affirmé en 1789 font que le juge français n’est là que pour appliquer la loi et l’interpréter selon « la volonté du législateur ». Il n’est pas, comme le juge américain, un « pouvoir » autonome. » Non, la Constitution de 1791 et de 1795 reconnaît un pouvoir judiciaire.]

          Formellement, oui. Le terme « pouvoir judiciaire » y fait son entrée. Mais substantiellement, le juge décrit par ces textes est très limité dans son autonomie. Il ne peut « suspendre l’application des lois » ou bien « entreprendre sur les fonctions administratives » ou contrôler les administrateurs, se mêler des affaires de l’administration. Même l’autonomie lui est deniée : la juridiction suprême est « établie auprès du corps législatif » et lui rend compte.

          [En fait tout dépend de comment on définit « un pouvoir ». Pour vous, si j’ai bien compris un « pouvoir » c’est la faculté de créer des règles. Dans ce cas oui, il ne peut y avoir de pouvoir judiciaire en France. Mais moi je m’appuie sur la vision de Montesquieu.]

          Montesquieu, si je me souviens bien, ne parle pas de « pouvoir » mais de « puissance ». Mais c’est là une querelle terminologique. Un « pouvoir » implique pour moi clairement la possibilité de faire des règles. Quelle serait votre définition ?

          [De plus, si je suis cette logique, la notion de « pouvoir exécutif » est alors impossible puisque les révolutionnaires n’ont pas voulu donner un pouvoir réglementaire autonome à Louis XVI et ont placé ce dernier et ses ministres sous la stricte surveillance du législatif.]

          La « notion » ne devient pas « impossible » du fait qu’à un instant précis de notre histoire une assemblée s’est attribuée à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ne disparaissent pas du fait qu’ils ne sont pas séparés.

          [« Nous sommes un peuple politique, au sens que nous n’acceptons pas cette idée que la règle doit être obéie simplement parce que c’est la règle. » Là je ne suis pas d’accord sur l’exemple du Royaume-Uni. C’est même l’inverse.]

          Ayant vécu dans les deux pays, je ne vous dis que mon expérience. Mais je ne suis pas le seul : les ambassadeurs de Louis XIII à la cour d’Angleterre tiraient déjà cette conclusion.

          [« Pourriez-vous donner un exemple ? » La police au Royaume-Uni. Robert Peel, ministre de l’intérieur, a défini la police autour de dix principes connus comme les « principes de Peel ». Le deuxième est intéressant car il insiste sur le fait que la police est légitime, non pas parce qu’elle est une création de la loi, mais parce qu’elle a l’approbation du public « La reconnaissance constante que le pouvoir qu’a la police d’accomplir ses fonctions et devoirs dépend de l’approbation qu’a le public de son existence, de ses actions et de son comportement, mais également de la capacité de la police a acquérir et conserver le respect du peuple. »]

          Pardon, mais ici Peel énonce une condition pour l’EFFICACITE de l’action policière, et non de sa LEGITIMITE. Ce sont deux choses très différentes. Pensez-vous qu’un britannique admettrait de se faire arrêter et emprisonner par une force de sécurité privée, quand bien même elle compterait avec « l’approbation du public de son existence, de ses actions et de son comportement » ? Non, bien sur que non. Quelle est la différence entre la police et une force privée ? Que la première est créée par la loi, et pas la seconde…

          [« en Grande Bretagne ou aux États-Unis, le fait qu’une preuve ait été obtenue illégalement interdit son utilisation dans un procès. Autrement dit, une personne dont on peut établir la culpabilité peut sortir libre du tribunal au motif que la preuve qui permet d’établir cette culpabilité a été procurée illégalement. Ce n’est pas le cas en France, ou la Cour de cassation retient comme jurisprudence constate qu’une preuve a une valeur probante indépendamment de la manière dont elle a été obtenue. » Je voudrais des arrêts qui illustre cette « jurisprudence » parce que ce que vous avez écrit est faux. Une preuve obtenue illégalement en France sera écarté par le juge. Un exemple : j’ai ouvert mon Code de procédure pénale au hasard et je suis tombé sur l’art 53 qui définit l’enquête de flagrance. Comment caractériser la flagrance ? Une lettre anonyme est-elle suffisante ? La Cour de Cassation, dans un arrêt du 11 juillet 2007, a statué que « Si les policiers sont renseignés anonymement, ils doivent donc ouvrir une enquête préliminaire. Toute procédure ouverte en flagrance à la suite de renseignement anonymes est nulle » Je vous mets en lien un cas concret de ce genre de situation.]

          Votre exemple n’a aucun rapport avec mon commentaire. En France, une preuve est admissible indépendamment de la légalité des moyens utilisés pour se la procurer. Mais une lettre anonyme ne constitue pas une « preuve », et dans l’affaire la question de la légalité des moyens pour se la procurer n’est pas en question.

          [Seine-Saint-Denis : Jugé pour trafic de stupéfiants, le rappeur Da Uzi relaxé pour vices de procédure (20minutes.fr)]

          Mais le vice de procédure concernait le moyen par lequel on s’était procuré les preuves ?

          [« Je ne crois pas que la question de l’impôt soit très différente dans une nation commerçante ou dans une nation paysanne, comme était la France à la même époque. » Je pense que si, pour une raison simple. Le commerce implique l’échange de marchandises. Plus les marchandises circulent librement, plus le commerce est florissant. Or les impôts, comme l’octroi, ajoutent un coût supplémentaire aux transports de marchandises, ce qui limite le commerce.]

          Je ne vois pas pourquoi le fait de prélever des taxes « limiterait le commerce ». Diriez-vous que la TVA est une « limitation au commerce » ? Les taxes, quelles qu’elles soient, augmentent le prix des denrées. C’est vrai pour les taxes sur les paysans, c’est vrai des taxes sur le commerce…

          [Concernant des lois absurdes, je vais vous donner un exemple, car la notion de « loi absurde » est assez subjective.]

          Je dirais qu’une loi est « absurde » lorsqu’elle n’a pas de but rationnel.

          [Néanmoins l’exemple que je vais vous donner est objectivement absurde. La loi Perben 2 du 9 mars 2004 a instauré des « crédits remise automatique de peine ». (…) C’est absurde sur le plan politique car la majorité avait été élue sur le thème de la sécurité et absurde juridiquement car on inverse la logique où normalement, c’est au condamné de prouver qu’il mérite une réduction de peine.]

          Une loi n’est pas « absurde » du fait qu’elle trahit un programme électoral, pas plus que parce qu’elle renverse une logique établie. Je vais vous donner un exemple de règle absurde – c’est un exemple classique en droit britannique. Dans un parc de Londres il y avait une statue de Charles Darwin achetée par souscription publique. Dans la mesure où la statue avait été plusieurs fois vandalisée, la municipalité a décidé de placer un policier pour surveiller la statue. Jusqu’ici, tout va bien. Mais quelques années plus tard, le conseil municipal décide de déplacer la statue dans un autre parc… mais oublie de déplacer le policier. La police londonienne a continué à appliquer la décision, devenue absurde, de placer un policier pour surveiller une statue… qui n’était plus là.

          • Skotadi dit :

            « Non. Je ne faisais pas référence au « bill of attainder » précisément parce que le « bill of attainder » n’est pas un acte judiciaire, mais un acte législatif. En effet, le « bill of attainder » permet au Parlement de priver une personne de l’ensemble de ses droits civils sans que soit besoin de prouver sa culpabilité, sans même qu’il y ait de procès, par un simple vote. »
             
            Oui, effectivement. J’ai relu le « Commentaire sur le code criminel » de William Blackstone. Il y a le cas particulier du « bill of atteinder » et les autres cas où le Parlement sert de « Cour suprême du Royaume »
             
            « Dans un système de « common law », où le précédent tient lieu de loi, le juge fait la loi chaque fois qu’il prononce une décision. » « Comme je l’ai dit plus haut, dans un système de « common law », où le précédent fait loi, le juge a par définition une fonction qui va bien au-delà de la simple application de la loi. »
             
            Pas exactement. Il faut faire attention à ne pas abuser du terme « loi ». Il y a la loi, au sens formel le texte et la loi au sens droit. La « common law » a pour origine un système où le droit repose sur des coutumes qui une des sources du droit avec les lois du Parlement. Avec l’arrivée de Guillaume le Conquérant, trois coutumes vont s’appliquer en Grande-Bretagne, la coutume anglaise, la coutume saxonne et la coutume normande. Le rôle du juge était d’une part de vérifier que tel pratique était une coutume toujours en vigueur et d’autre part de concilier les différentes coutumes. La règle du précédent sert à « faire la police », pour unifier le droit. Aussi le juge certifie une règle préexistante mais je n’irai pas à dire qu’il « fait la loi ».
             
            « Je pense que vous vous trompez. Les défaites successives de Charles Ier ont été infligés par des juges interprétant le précédent et la coutume, et non les « lois adoptés par les Communes et les Lords ». Certaines de ses coutumes ou des précédents ont été ensuite écrits dans des lois votées, mais c’est là une consécration, et non une création. »
             
            Certes, mais depuis Charles 1er, le monarque et ses ministres discutent davantage avec le Parlement qu’avec les cours de justice, c’est là ma position.
             
            « Pas vraiment. Ils n’ont jamais franchi le pas d’abolir la « common law » et de passer à un système de droit écrit. Même pas en matière constitutionnelle ! »
             
            Et pourtant, beaucoup règles constitutionnelles ont été mis par écrit, pensez aux différents « parlement act »
             
            « Si les taxes doivent être approuvés par le Congrès, on a prévu une Cour suprême puissante – y compris en matière fiscale – pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de « taxation sans autorisation d’un juge ». »
             
            Mais quelle est l’étendue de ce contrôle de la Cour Suprême américaine ? Un contrôle de répartition de compétence entre la fédération et des Etats fédérés ? Un contrôle sur l’opportunité ? Je n’ignore pas que la Cour suprême avait déclaré inconstitutionnel l’impôt sur le revenu, mais cela relève plus de l’activisme judiciaire, non ?
             
            « Je doute fort que la motivation du roi pour consulter les Parlements fut lié à leur probité. Les Parlements étaient des pouvoirs locaux, représentatifs de la petite noblesse locale. Il fallait compter avec eux. »
             
            Non effectivement, le Roi cherchait une « légitimité juridique » à son action. Les Parlements n’avaient rien de représentatif et encore moins de la petite noblesse locale car il n’était pas nécessaire d’être noble pour être magistrat. C’était même le contraire. D’ailleurs Richelieu, dans son Testament Politique, il classe la magistrature dans le tiers état et non dans la noblesse.
             
            « Oui, mais dans un pays où les transports étaient lents et la justice chère, ce genre de procédure était réservée aux grands seigneurs ou aux gens très riches. La centralisation à l’anglaise était plus institutionnelle : les juges qui jugeaient les affaires locales étaient des juges venus de Londres par le système des « circuits », qui permettaient de faire descendre la doctrine fixée par les cours souveraines à l’ensemble du territoire. »

            C’est inexact, le système du circuit ne s’applique que pour les assises. Les juges des juridictions supérieurs (Cour du Banc du Roi, Cour d’appel ..) restaient à Londres. De plus il n’était pas nécessaire de se déplacer personnellement, car la Cour d’appel et le Conseil des parties ne statue qu’en droit.

            « Je ne crois pas que Richelieu soit en désaccord avec moi. Nulle part le Cardinal n’affirme que le système de la vénalité des offices permet de disposer de fonctionnaires honnêtes et dévoués au bien public. Il est parfaitement d’accord avec moi sur les défauts du système. La seule chose qu’il ajoute pour sa défense, c’est que dans le contexte du XVIIème siècle qui était le sien il n’y avait pas de système meilleur. Et là encore, je suis d’accord avec lui. »

            C’est bien ce que j’ai écrit. Quand j’ai cité Richelieu, c’était pour nuancer votre affirmation selon laquelle la vénalité était synonyme de corruption. Et pour ça que j’avais pris la peine de résumer la position du Cardinale, qui est également la mienne. Après tout, il aura fallu trois cents ans après lui pour que l’idée d’un concours national soit mise en place.

            « Au contraire. Point n’était besoin de disposer d’une fortune, il suffisait de se trouver un « sponsor » qui vous prêtait la somme. Somme qu’il fallait rembourser… en argent et en nature. Et c’est par là que passait la corruption. »

            Dans la pratique non, car une fois la charge achetée, on ne peut la reprendre, sauf pour le Roi à la racheter. Autrement dit une fois devenu la charge de magistrat obtenue, vous ne devez plus rien. Qui plus est, je vous ai indiqué qu’il fallait passer un examen juridique et avoir l’approbation du Roi.
             
            « Autrement dit, dès lors qu’une instance LEGISLATIVE a été mise en place, les Parlements sont devenus inutiles. C’est à dire, si les gens se sont soulevés pour défendre les Parlements, c’est dans leur rôle LEGISLATIF, et non pas dans leur rôle JUDICIAIRE. »

            C’est exactement mon point de vue concernant le Parlement Britannique. C’est également le cas pour les Parlements de l’Ancien régime.

            « Avec cette remarque, vous me donnez raison : le peuple ne s’est pas soulevé pour défendre le juge. Il s’est levé pour défendre le législateur – un « législateur négatif », pour être précis. »

            Pardon mais c’était justement ma position dans notre discussion concernant les Parlements. Car relisez bien, je n’ai jamais écrit dans le fil de ce billet que le peuple à défendu la fonction judiciaire du Parlement (tant en Grande-Bretagne qu’en France). J’ai dit que les Parlements de l’Ancien Régime étaient soutenus dans le refus d’enregistrer les réformes. Votre remarque confirme plutôt que vous avez enfin compris là où je voulais en venir. Que ce n’est pas dans le juge mais dans le législateur que réside la liberté.

            « Oui, mais la réforme Maupeou n’a pas provoqué un soulèvement général et une guerre civile, que je sache. »
            Guerre civile non. Soulèvement, tout dépend de la définition. Il y a eu une grève générale de la Justice, soutenue par les avocats, suivie d’un d’un blocage de l’appareil judiciaire dû à l’exil des parlementaires et à l’incapacité pour Maupeou à trouver des remplaçants, c’était déjà beaucoup. J’ajoute que quand Louis XVI a rappelé les parlementaires parisiens de leur exil, il y avait une approbation de tous les milieux (à tort ou à raison, de toute raison, cela n’aurait rien changé).
            « Il savait aussi que les états généraux refuseraient de même, dominés qu’ils étaient par la noblesse et le clergé. »
            Et pourtant en 1789, la noblesse et le clergé s’étaient rallié au Tiers-états. De plus rien n’interdisait au Roi, détenteur de la souveraineté, de créer un nouvel organe plus représentatif. Après tout, les États-généraux étaient une création de Philippe le Bel.
            Dès lors, je me demande si le refus des réformes était exclusivement dû au maintien de l’ordre établi, ou au contraire dû au caractère absolutiste de la monarchie. Autrement dit, les réformes auraient été accepté en contrepartie d’un droit de regard sur la politique du Royaume. Comme l’ont fait les Britanniques, en acceptant les levées d’impôts contre une consultation plus régulière du Parlement.
            « Je pense que vous faites un anachronisme : il était impossible de consulter un « organe représentatif » parce qu’un tel « organe » n’existait pas. Les états généraux étaient lourdement biaisés en faveur de la noblesse et du clergé, les deux groupes qui avaient le plus à perdre dans n’importe quelle réforme.
            Non, je ne pense pas être dans l’anachronisme : les États-généraux étaient un organe représentatif de la société de l’époque. Et la société de l’Ancien Régime était divisée en trois ordres. Mais comme je l’avais écrit au début sur votre blog, cette division n’était plus pertinente à la fin du XVIIIeme. Il fallait changer les institutions, ce qui se fera lors du « Serment du Jeu de Paume » à l’initiative du Tiers état , alors que cela aurait pu être fait sur l’initiative du monarque.« Autrement dit, il était impossible de réformer tout en respectant les « lois fondamentales du Royaume de France ». La révolution n’est pas le fait d’un roi imposant des réformes sans consulter un organe représentatif, mais au contraire la conséquence de l’incapacité du roi à briser la résistance de l’aristocratie et du clergé pour imposer des réformes que le reste de la population – et notamment la bourgeoisie montante – exigeait. »
            D’où la question que je me pose. Si les réformes royales étaient soutenues par la bourgeoisie, pourquoi cette dernière s’est elle opposée au Roi et a soutenu les Parlements ? Ironiquement, c’est votre billet qui fournit la réponse. « Mais au-delà de ce volet « procédural », il y a un volet « substantiel », plus politique, qui tient au fait que la démocratie implique le consentement du peuple à la règle. Autrement dit, si le strict respect de la procédure aboutit à faire des lois dont le peuple n’accepte pas l’application, la démocratie cesse de fonctionner. C’est pourquoi le politique ne peut se contenter d’exercer le pouvoir dans le respect des procédures. » C’est parce que la bourgeoisie ne réclamait pas seulement des réformes fiscales plus équitables, elles voulaient également une participation plus importante dans les affaires du Royaume, remettant en cause la monarchie absolue. La Révolution s’explique par l’incapacité de Louis XVI de comprendre que l’Ancien régime avait vécu, de même pour l’absolutisme. Qu’il fallait changer le fonctionnement de la monarchie. Après tout, elle n’a pas été abolit en 1789 mais en 1792.
            « Formellement, oui. Le terme « pouvoir judiciaire » y fait son entrée. Mais substantiellement, le juge décrit par ces textes est très limité dans son autonomie. Il ne peut « suspendre l’application des lois » ou bien « entreprendre sur les fonctions administratives » ou contrôler les administrateurs, se mêler des affaires de l’administration. Même l’autonomie lui est deniée : la juridiction suprême est « établie auprès du corps législatif » et lui rend compte. »
            Cela dépend ce que vous appelez autonomie. Le rôle du pouvoir judiciaire est avant tout de trancher des litiges. Le reste (contrôle des administrateurs, contrôle de constitutionnalité) n’est qu’accessoire. Sur le droit oui car on était dans la logique du légicentrisme : la loi est l’unique source de droit et tout doit être fait par la loi, mais sur le fond des affaires (comme apprécier de la culpabilité d’un accusé sur l’intime conviction), elle est indépendante. Même le jugement des ministres ne relevait pas du corps législatif mais d’une Haute Cours de Justice avec aucun recours possible.
            « Montesquieu, si je me souviens bien, ne parle pas de « pouvoir » mais de « puissance ». Mais c’est là une querelle terminologique. Un « pouvoir » implique pour moi clairement la possibilité de faire des règles. Quelle serait votre définition ? »
            Montesquieu parle bien de pouvoir et de puissance (voire livre XI chapitre VI) mais sans faire de distinction. Dans le chapitre en question, il attribue des « faculté » aux pouvoirs législatifs et exécutifs. Donc pour répondre à votre question, un pouvoir est une « faculté de faire ». Par exemple: le pouvoir législatif implique la faculté de faire les lois et d’examiner de quelle manière elles ont été exécuté. Le pouvoir judiciaire est la faculté de statuer sur un litige entre deux opposants au civil, au pénal statuer sur la culpabilité d’une personne.
            « Pardon, mais ici Peel énonce une condition pour l’EFFICACITE de l’action policière, et non de sa LEGITIMITE. Ce sont deux choses très différentes. Pensez-vous qu’un britannique admettrait de se faire arrêter et emprisonner par une force de sécurité privée, quand bien même elle compterait avec « l’approbation du public de son existence, de ses actions et de son comportement » ? Non, bien sur que non. Quelle est la différence entre la police et une force privée ? Que la première est créée par la loi, et pas la seconde… »
            Vous oubliez qu’au Royaume-Uni, les citoyens ont toujours le droit de procéder à une arrestation. Mais vous non plus, il ne faut pas confondre légitimité et légalité. Il ne suffit pas qu’une institution soit légale pour être légitime. C’est là les principes de Peel, il faut rappeler que, avant la création de la police métropolitaine, s’il existait une police, c’était surtout des corps de volontaire ou des officiers, mais il n’y avait pas une institution policière. Ce n’était pas une idée qui allait de soi, dans un pays libéral habitué à ce que ce soit les habitants qui organisent eux mêmes la sécurité, procèdent eux mêmes à l’enquête et rédigent l’acte d’accusation. Au contraire de la France, avec l’exemple de la maréchaussée puis de la gendarmerie ainsi que l’institution du ministère public.
            Aussi, pour justifier l’existence de ce corps professionnel de police auprès des habitants, il fallait gagner leur approbation. C’est donc aussi bien une question de légitimité.
            « Votre exemple n’a aucun rapport avec mon commentaire. En France, une preuve est admissible indépendamment de la légalité des moyens utilisés pour se la procurer. Mais une lettre anonyme ne constitue pas une « preuve », et dans l’affaire la question de la légalité des moyens pour se la procurer n’est pas en question. »
            Vous n’avez pas compris l’exemple que je vous ait fourni, aussi je vais reformuler. Un OPJ ne peut procéder à une perquisition que dans trois possibilités : soit sur commission rogatoire d’un juge d’instruction, soit d’une ordonnance d’un juge des libertés et de la détention, soit en cas de flagrant délit. Pour qu’il y ait flagrant délit, il faut qu’un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement se commette ou vient de se commettre. Dans ce cas la difficulté est que l’OPJ doit démontrer dans un PV qu’un crime ou un délit se commet ou vient de se commettre.
            Dans le cas en espèces, un OPJ reçoit une lettre anonyme dénonçant une série d’infractions au domicile du rappeur. L’OPJ estime pouvoir agir en flagrance et perquisitionne le domicile du rappeur. Il saisit le stock de cannabis et les armes présent. Or comme le rappel le tribunal, une lettre anonyme est insuffisante pour caractériser la flagrance. De ce fait l’OPJ n’avait légalement pas le droit de perquisitionner le domicile, donc la saisie est illégale, entachée de nullité et écartée des débats. Le rappeur fut, comme le dit l’article, relaxé des chefs de « transports, détention, et acquisition de stupéfiant », « acquisition et détention non autorisées d’arme de catégorie B ». Aussi ce n’est pas la légalité des moyens de se procurer la lettre anonyme qui est en question mais la légalité de la perquisition et de la saisie qui est critiquée.
            « Je ne vois pas pourquoi le fait de prélever des taxes « limiterait le commerce ». »

            J’avais cité l’octroie comme exemple, qui est une taxe prélevée à l’entrée des villes sur les marchandises. C’est également le cas pour toute forme de droit de péage et de douane à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays. D’ailleurs instaurer des droits de douanes aux frontières extérieures est un moyen de protéger une industrie naissante de la concurrence extérieure, « c’est le protectionnisme éducateur ».

            « Je dirais qu’une loi est « absurde » lorsqu’elle n’a pas de but rationnel. » « Une loi n’est pas « absurde » du fait qu’elle trahit un programme électoral, pas plus que parce qu’elle renverse une logique établie. »

            Certes, et c’est pour ça que j’ai cité en plus les « peines plancher », des peines minimums que les juges doivent prononcer contre les récidivistes. Aussi, je ne trouve pas de « but rationnel » d’instaurer des remises de peines quand de l’autre côté, la même majorité adopte les peines planchers et réciproquement.

            Concernant votre exemple, il me rappelle un autre très récent, celui de l’affaire Viry-Châtillon en 2016. Une caméra de surveillance, qui suite à une attaque de voiture-bélier avait vu sa protection renforcée par des bornes en fontes et de bloc de béton. Mais l’administration décida d’envoyer un groupe de policiers pour protéger la caméra. La suite vous la connaissez. Il y a deux cotés absurdes dans cette histoire. La première c’est de protéger à l’extrême une simple caméra sans que l’on soit capable d’identifier les coupables et la deuxième c’est de croire que l’on peut s’attaquer à une caméra par une voiture-bélier sans que l’on puisse s’attaquer aux policiers chargés de la protection de la caméra.
            « Ayant vécu dans les deux pays, je ne vous dis que mon expérience. Mais je ne suis pas le seul : les ambassadeurs de Louis XIII à la cour d’Angleterre tiraient déjà cette conclusion. »
             
            Si cela peut vous rassurer, ma position ne vient que des ouvrages que j’ai lus pendant mes études et au-delà, comme vous avez pu le constater. C’est pour ça que votre billet m’a surpris et j’ai voulu exposer mes remarques en commentaires.

            • Descartes dit :

              @ skotadi

              [Pas exactement. Il faut faire attention à ne pas abuser du terme « loi ».]

              Utilisez le terme « règle » si vous préférez, pour réserver le terme « loi » au droit positif.

              [La « common law » a pour origine un système où le droit repose sur des coutumes qui une des sources du droit avec les lois du Parlement. Avec l’arrivée de Guillaume le Conquérant, trois coutumes vont s’appliquer en Grande-Bretagne, la coutume anglaise, la coutume saxonne et la coutume normande. Le rôle du juge était d’une part de vérifier que tel pratique était une coutume toujours en vigueur et d’autre part de concilier les différentes coutumes. La règle du précédent sert à « faire la police », pour unifier le droit. Aussi le juge certifie une règle préexistante mais je n’irai pas à dire qu’il « fait la loi ».]

              Ce n’est pas aussi simple. Les conditions changent, et on voit apparaître des situations pour lesquelles la coutume est en théorie muette, puisque par définition la coutume ne peut traiter que des situations qui se sont déjà présentées – pire, qui sont habituelles. Dans cette situation, le juge de la « common law » cherche à interpréter la coutume de manière à l’appliquer à la situation nouvelle. Et ce faisant, il invente des règles nouvelles. Et ces règles, par le jeu du précédent, tendent à se généraliser. Ce processus fait du juge un législateur, au sens qu’il fabrique de nouvelles règles impératives.

              [« Pas vraiment. Ils n’ont jamais franchi le pas d’abolir la « common law » et de passer à un système de droit écrit. Même pas en matière constitutionnelle ! » Et pourtant, beaucoup règles constitutionnelles ont été mis par écrit, pensez aux différents « parlement act »]

              Il ne peut pas y avoir de « règle constitutionnelle » dans un pays où le Parlement est souverain. En effet, le propre d’une règle constitutionnelle est de définir limitativement les compétences de chacun des pouvoirs. Les « parliament acts » sont de la même nature que n’importe quel autre « act » voté par le Parlement. La Grande Bretagne n’a pas de constitution écrite pour la simple raison qu’il n’existe pas de « constituant » qui pourrait en faire une. Les seules règles qui limitent les pouvoirs du Parlement sont précisément les « conventions of the constitution ».

              [Mais quelle est l’étendue de ce contrôle de la Cour Suprême américaine ? Un contrôle de répartition de compétence entre la fédération et des Etats fédérés ? Un contrôle sur l’opportunité ? Je n’ignore pas que la Cour suprême avait déclaré inconstitutionnel l’impôt sur le revenu, mais cela relève plus de l’activisme judiciaire, non ?]

              Il n’empêche que dans le système américain, il n’existe pas de remède contre cet « activisme judiciaire ». Le juge est donc bien un pouvoir, puisqu’il a la capacité de faire la norme.

              [Non effectivement, le Roi cherchait une « légitimité juridique » à son action. Les Parlements n’avaient rien de représentatif et encore moins de la petite noblesse locale car il n’était pas nécessaire d’être noble pour être magistrat. C’était même le contraire. D’ailleurs Richelieu, dans son Testament Politique, il classe la magistrature dans le tiers état et non dans la noblesse.]

              On peut représenter les ouvriers sans être ouvrier, les handicapés sans être handicapé. Je n’ai pas dit que les Parlement fussent constitués de nobles, j’ai dit qu’ils les représentaient, et ce n’est pas la même chose. Même si les conseillers des Parlements n’étaient pas nobles – c’était vrai du temps de Richelieu, déjà moins vrai du temps de Louis XV – le patronage d’un seigneur puissant était fort utile à l’heure d’obtenir une telle charge.

              [C’est inexact, le système du circuit ne s’applique que pour les assises. Les juges des juridictions supérieurs (Cour du Banc du Roi, Cour d’appel ..) restaient à Londres.]

              Non, justement : les juges du Banc passaient une partie de leur temps à faire les « circuits ».

              [C’est bien ce que j’ai écrit. Quand j’ai cité Richelieu, c’était pour nuancer votre affirmation selon laquelle la vénalité était synonyme de corruption.]

              Mais Richelieu ne dit pas le contraire ! Richelieu était au contraire très conscient que la vénalité amenait la corruption. Seulement, à son époque on considérait cette corruption comme normale, ou tout au moins inévitable. C’est l’arrivée de « l’esprit du capitalisme » pour que l’intégrité devienne une valeur.

              [« Au contraire. Point n’était besoin de disposer d’une fortune, il suffisait de se trouver un « sponsor » qui vous prêtait la somme. Somme qu’il fallait rembourser… en argent et en nature. Et c’est par là que passait la corruption. » Dans la pratique non, car une fois la charge achetée, on ne peut la reprendre, sauf pour le Roi à la racheter. Autrement dit une fois devenu la charge de magistrat obtenue, vous ne devez plus rien.]

              Mais bien sûr que si : si pour payer votre charge vous avez emprunté chez un grand seigneur ou un bourgeois, vous leur devez toujours la somme que vous avez emprunté ! On ne peut vous reprendre la charge, mais votre créancier peut vous saisir ou vous envoyer en prison pour dettes. Un débiteur est toujours l’obligé de son créancier…

              [Qui plus est, je vous ai indiqué qu’il fallait passer un examen juridique et avoir l’approbation du Roi.]

              Je serais curieux de savoir combien de candidats ayant l’argent nécessaire pour acheter la charge ont été refusés à l’examen juridique…

              [« Autrement dit, dès lors qu’une instance LEGISLATIVE a été mise en place, les Parlements sont devenus inutiles. C’est à dire, si les gens se sont soulevés pour défendre les Parlements, c’est dans leur rôle LEGISLATIF, et non pas dans leur rôle JUDICIAIRE. » C’est exactement mon point de vue concernant le Parlement Britannique. C’est également le cas pour les Parlements de l’Ancien régime.]

              Mais je vous le répète, les défaites qui ont mis le roi britannique en position de faiblesse sont des défaites JUDICIAIRES, et non LEGISLATIVES.

              [« Avec cette remarque, vous me donnez raison : le peuple ne s’est pas soulevé pour défendre le juge. Il s’est levé pour défendre le législateur – un « législateur négatif », pour être précis. » Pardon mais c’était justement ma position dans notre discussion concernant les Parlements. Car relisez bien, je n’ai jamais écrit dans le fil de ce billet que le peuple à défendu la fonction judiciaire du Parlement (tant en Grande-Bretagne qu’en France). J’ai dit que les Parlements de l’Ancien Régime étaient soutenus dans le refus d’enregistrer les réformes. Votre remarque confirme plutôt que vous avez enfin compris là où je voulais en venir. Que ce n’est pas dans le juge mais dans le législateur que réside la liberté.]

              En France oui, pas en Grande Bretagne.

              [« Oui, mais la réforme Maupeou n’a pas provoqué un soulèvement général et une guerre civile, que je sache. » Guerre civile non. Soulèvement, tout dépend de la définition. Il y a eu une grève générale de la Justice, soutenue par les avocats, suivie d’un d’un blocage de l’appareil judiciaire dû à l’exil des parlementaires et à l’incapacité pour Maupeou à trouver des remplaçants, c’était déjà beaucoup.]

              C’est-à-dire, la révolte d’une certaine classe, fort étroite.

              [« Il savait aussi que les états généraux refuseraient de même, dominés qu’ils étaient par la noblesse et le clergé. » Et pourtant en 1789, la noblesse et le clergé s’étaient rallié au Tiers-état. De plus rien n’interdisait au Roi, détenteur de la souveraineté, de créer un nouvel organe plus représentatif. Après tout, les États-généraux étaient une création de Philippe le Bel.]

              La noblesse et le clergé ne se sont pas « ralliés au tiers état ». Ils ont accepté de siéger avec eux, dans une seule assemblée. Ce n’est pas du tout la même chose.

              [Non, je ne pense pas être dans l’anachronisme : les États-généraux étaient un organe représentatif de la société de l’époque.]

              J’ai du mal à comprendre ce que vous appelez « représentatif ».

              [Il fallait changer les institutions, ce qui se fera lors du « Serment du Jeu de Paume » à l’initiative du Tiers état , alors que cela aurait pu être fait sur l’initiative du monarque.]

              Je ne crois pas que les ordres privilégiés auraient accepté du monarque ce qu’ils ont accepté du tiers état. Pour la simple raison que le tiers état leur faisait peur, et le monarque non. L’acceptation des ordres privilégiés de siéger dans une même assemblée fut une tentative – ratée – de contrôler le tiers-état.

              [D’où la question que je me pose. Si les réformes royales étaient soutenues par la bourgeoisie, pourquoi cette dernière s’est-elle opposée au Roi et a soutenu les Parlements ?]

              Mais s’est-elle vraiment opposée au roi et soutenu les Parlements ? Je n’en suis pas persuadé.

              [Cela dépend ce que vous appelez autonomie. Le rôle du pouvoir judiciaire est avant tout de trancher des litiges. Le reste (contrôle des administrateurs, contrôle de constitutionnalité) n’est qu’accessoire.]

              Pardon : vous trouvez que le fait de trancher les litiges entre les citoyens et l’administration est « accessoire » ? Les textes en question ne laissent aux juges que les questions civiles et criminelles, et encore, même pour ces questions, il est soumise au contrôle du législatif.

              [Sur le droit oui car on était dans la logique du légicentrisme : la loi est l’unique source de droit et tout doit être fait par la loi, mais sur le fond des affaires (comme apprécier de la culpabilité d’un accusé sur l’intime conviction), elle est indépendante.]

              C’est bien mon point : le juge ainsi conçu n’est pas un « pouvoir » puisqu’il ne peut faire des normes, c’est un simple juge du fait.

              [Donc pour répondre à votre question, un pouvoir est une « faculté de faire ». Par exemple: le pouvoir législatif implique la faculté de faire les lois et d’examiner de quelle manière elles ont été exécuté. Le pouvoir judiciaire est la faculté de statuer sur un litige entre deux opposants au civil, au pénal statuer sur la culpabilité d’une personne.]

              Autrement dit, la presse est un « pouvoir » (elle a la « faculté de publier »), le médecin est un « pouvoir » (il a la « faculté de soigner »), et ainsi de suite ? Si le simple fait de pouvoir « faire » quelque chose suffit pour faire de vous un « pouvoir »…

              [Vous oubliez qu’au Royaume-Uni, les citoyens ont toujours le droit de procéder à une arrestation.]

              En théorie. Mais les tentatives d’un citoyen quelconque à procéder à une arrestation ne sont généralement pas accueillis avec la même mansuétude que lorsque c’est la police qui le fait. Ce qui suggère, comme je vous l’ai dit, que le fait d’être créé par la loi donne une « légitimité » qui n’est pas à négliger. J’ajoute que le droit donné aux citoyens de procéder à une arrestation… leur est aussi conféré par la loi !

              [Vous n’avez pas compris l’exemple que je vous ait fourni, aussi je vais reformuler. Un OPJ ne peut procéder à une perquisition que dans trois possibilités : soit sur commission rogatoire d’un juge d’instruction, soit d’une ordonnance d’un juge des libertés et de la détention, soit en cas de flagrant délit. Pour qu’il y ait flagrant délit, il faut qu’un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement se commette ou vient de se commettre. Dans ce cas la difficulté est que l’OPJ doit démontrer dans un PV qu’un crime ou un délit se commet ou vient de se commettre.
              Dans le cas en espèces, un OPJ reçoit une lettre anonyme dénonçant une série d’infractions au domicile du rappeur. L’OPJ estime pouvoir agir en flagrance et perquisitionne le domicile du rappeur. Il saisit le stock de cannabis et les armes présent. Or comme le rappel le tribunal, une lettre anonyme est insuffisante pour caractériser la flagrance. De ce fait l’OPJ n’avait légalement pas le droit de perquisitionner le domicile, donc la saisie est illégale, entachée de nullité et écartée des débats. Le rappeur fut, comme le dit l’article, relaxé des chefs de « transports, détention, et acquisition de stupéfiant », « acquisition et détention non autorisées d’arme de catégorie B ». Aussi ce n’est pas la légalité des moyens de se procurer la lettre anonyme qui est en question mais la légalité de la perquisition et de la saisie qui est critiquée.]

              Pourriez-vous me donner la référence de cette décision ?

              [« Je ne vois pas pourquoi le fait de prélever des taxes « limiterait le commerce ». » J’avais cité l’octroie comme exemple, qui est une taxe prélevée à l’entrée des villes sur les marchandises. C’est également le cas pour toute forme de droit de péage et de douane à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays. D’ailleurs instaurer des droits de douanes aux frontières extérieures est un moyen de protéger une industrie naissante de la concurrence extérieure, « c’est le protectionnisme éducateur ».]

              Mais je ne vois toujours pas en quoi cela « limiterait le commerce ». Est-ce que la TVA limite le commerce ? TOUTE taxe renchérit les produits, mais est-ce que renchérir les produits limite le commerce ? Dès lors qu’une taxe est uniforme, autrement dit, qu’elle en privilégie pas les produits de telle ou telle origine par exemple, on ne voit pas en quoi elle perturberait le commerce.

              [Concernant votre exemple, il me rappelle un autre très récent, celui de l’affaire Viry-Châtillon en 2016. Une caméra de surveillance, qui suite à une attaque de voiture-bélier avait vu sa protection renforcée par des bornes en fontes et de bloc de béton. Mais l’administration décida d’envoyer un groupe de policiers pour protéger la caméra. La suite vous la connaissez. Il y a deux cotés absurdes dans cette histoire. La première c’est de protéger à l’extrême une simple caméra sans que l’on soit capable d’identifier les coupables et la deuxième c’est de croire que l’on peut s’attaquer à une caméra par une voiture-bélier sans que l’on puisse s’attaquer aux policiers chargés de la protection de la caméra.]

              Je ne saisis pas le but de cet exemple. Contrairement aux blocs en béton et les bornes en fonte, les policiers sont capables de se défendre et de constater une infraction.

  6. anarcho-bordeliste dit :

    Camarade Descartes tu me permets de poser ici un sensibilité qui existe en ce pays : mon idéale politique c’est de prendre conquête du parlement français et de poser une grand étron bien frais au dessus du perchoir, et puisque j’en ai strictement rien à faire de concurrencer Toyota et les voitures électrique chinoise mon idéel politique humain n’est pas le polytechnicienne d’élite soucieux de patriotisme et de compromis de classe.
     
    Merci à toi.
     

    • Descartes dit :

      @ anarcho-bordeliste

      [Camarade Descartes tu me permets de poser ici un sensibilité qui existe en ce pays : mon idéale politique c’est de prendre conquête du parlement français et de poser une grand étron bien frais au dessus du perchoir,]

      Et ensuite ? Désolé, camarade, mais cette “sensibilité” n’a rien de “politique”. La politique, c’est la question du gouvernement et de l’organisation de la cité. Et le fait de déposer un étron ne contribue en rien à gouverner ou à organiser quoi que ce soit. Que cet acte scatologique puisse te procurer un plaisir personnel – Dr Freud aurait beaucoup à dire là dessus – c’est ton affaire. Mais une fois l’étron déposé, qu’est ce que cela changera ? En quoi la vie sera meilleure ?

      [et puisque j’en ai strictement rien à faire de concurrencer Toyota et les voitures électrique chinoise mon idéel politique humain n’est pas le polytechnicienne d’élite soucieux de patriotisme et de compromis de classe.]

      Il est souvent plus facile de dire ce qu’on ne veut pas que de dire ce qu’on veut. Ok, on a compris que “la polytechnicienne d’élite soucieuse de patriotisme et de compromis de classe” n’est pas ton idéal politique. Mais alors, c’est quoi ton “idéal politique” ? Quel gouvernement pour la cité ? Quelle organisation de la production et des échanges ?

  7. Luc dit :

    Souvent, l’inquiétude vis à vis de l’islamisme envahissant vous irrité,non?Que pensez vous de Florence Bergeaud-Blacker?La thèse de Florence Bergeaud-Blackler pourrait être résumée en trois lettres – VIP – les trois axes de l’activisme des Frères Musulmans en Europe : la Vision islamiste, l’Identité musulmane revendiquée, et le Plan, pour amener l’Europe à devenir une théocratie islamique. En chercheuse rigoureuse, elle articule son propos à partir de l’exposé de la nature historique et théologique de l’islamisme militant des frères musulmans – décomposé en deux grandes périodes, 1930-1970 et des années 80 à 2020. Elle présente son développement et son prosélytisme à travers ses réseaux financiers, associations d’entraide, culturelles et antiraciste en France et auprès des instances européennes. Elle étudie et documente son approche intellectuelle, qui vise à “islamiser la connaissance”, c’est-à-dire juger le réel au prisme d’une lecture “islamiste” du Coran : “accorder la primauté des textes sacrés sur la raison et la pratique”. 
     
    Sous l’angle politique, elle observe que l’action des Frères musulmans et de leurs relais vise à unir les musulmans autour de leur lecture prosélyte et militante de l’Islam, rejetant toutes les autres comme hérétiques. La déclaration islamique des droits de l’homme (signée à l’UNESCO en 1981), affirme que l’Umma islamique éclaire la voie de l’humanité et accessoirement vise à protéger les musulmans du risque de corruption par les valeurs occidentales. Militante, sans aucun doute, il est étonnant qu’elle n’ait pas soulevé plus d’indignation des organisations laïques.
     
    Sur le plan tactique, Florence Bergeaud-Blackler présente le développement du frérisme en Europe à partir de l’engagement de leurs “ambassadeurs” dans les mouvements étudiants, antiracistes, de soutien au prolétariat ouvrier immigré, de militantisme vert, au sein des organismes de défense des droits de l’homme. Ils sont les artisans du développement des arguments en faveur de l’engagement religieux, réponse à l’oppression coloniale, à la domination de l’homme blanc et à la perversion intellectuelle et écologique du capitalisme, et du concept “d’islamophobie” – terme poubelle selon la chercheuse, dont le contenu n’est pas défini – objet d’innombrables demandes de financements européens, accordés “pour la combattre”.L’essai aborde aussi la nébuleuse des “alliés” (ces “idiots utiles” selon Staline) qui, en France (particulièrement, selon l’auteur, à gauche et à l’extrême gauche) mélangent les revendications identitaires et les mises en cause de la laïcité (le voile), au nom du respect des différences, les théories “décoloniales” victimaires et invoquent la légitimité “indigéniste” qui exclut du débat tout intervenant qui n’a pas été “opprimé” ou racisé”. Elle y désigne nommément comme “complices objectifs”, alliés rouges et verts des sections de La France Insoumise, Europe Ecologie les Verts ou encore le WWF, ouvert à une approche islamique des questions environnementales, qui stigmatise l’impie qui pille et dérègle ” l’ordre voulu par Dieu”.’L’essai se conclut par le cas particulier de l’action des réseaux fréristes envers les femmes “sœurs musulmanes” et les enfants “les petits muslims”. Elle en présente les moyens et sources d’endoctrinement : sites web dédiés, en anglais et en français, pour intégrer les pratiques religieuses dans tous les actes de la vie, en appui des apprentissages scolaires, “banques de fatwa” c’est-à-dire de commandements pour savoir ce que les théologiens recommandent comme “bonne ou mauvaise conduite” dans les actes de la vie quotidienne, et moins visibles – les réseaux sociaux. Sa conclusion est une mise en garde sur la réduction du débat concernant l’Islam d’aujourd’hui à la menace récurrente “d’islamophobie” et d’absence de discernement devant “la vision, l’identité et le plan” des frères musulmans. L’établissement d’un “califat mondial”, la transformation des lois de la République en textes “charia compatibles”, reléguant les principes démocratiques et l’identité européenne au niveau inférieur de la sphère séculière.’Lensemble est extrêmement documenté, augmenté de nombreuses notes (plus de 40 pages, dont les contenus sont souvent développés) et sources bibliographiques d’auteurs, fondations, cercles de réflexions qui dépassent largement les frontières nationales – un ensemble de sources connues et vérifiables, comme tout travail académique qui se respecte.

    • Descartes dit :

      @ Luc

      [Souvent, l’inquiétude vis à vis de l’islamisme envahissant vous irrité, non ?]

      Non. Ce qui m’irrite, ce sont les discours obsidionaux sur ce sujet.

      [Que pensez-vous de Florence Bergeaud-Blacker ? La thèse de Florence Bergeaud-Blackler pourrait être résumée en trois lettres – VIP – les trois axes de l’activisme des Frères Musulmans en Europe : la Vision islamiste, l’Identité musulmane revendiquée, et le Plan, pour amener l’Europe à devenir une théocratie islamique. En chercheuse rigoureuse, elle articule son propos à partir de l’exposé de la nature historique et théologique de l’islamisme militant des frères musulmans – décomposé en deux grandes périodes, 1930-1970 et des années 80 à 2020. Elle présente son développement et son prosélytisme à travers ses réseaux financiers, associations d’entraide, culturelles et antiraciste en France et auprès des instances européennes. Elle étudie et documente son approche intellectuelle, qui vise à “islamiser la connaissance”, c’est-à-dire juger le réel au prisme d’une lecture “islamiste” du Coran : “accorder la primauté des textes sacrés sur la raison et la pratique”.]

      Florence Bergeaud-Blackler a fait un travail remarquable sur les frères musulmans, leur idéologie, leur stratégie. Elle avait déjà écrit des choses intéressantes sur le statut de la norme dans la culture islamique. Cela étant dit, l’approche intellectuelle des frères musulmans limite sérieusement leurs espoirs de prendre le pouvoir ou d’islamiser les sociétés. Il n’y a rien à faire : les ponts construits suivant les préceptes du Coran s’effondrent, alors que les ponts construits avec la résistance des matériaux tiennent. Une culture qui donne la primauté au texte religieux sur la raison aura beaucoup de mal à tenir tête à une culture qui puise sa force dans la raison et les sciences.

      L’islamisme, à mon sens, est d’abord une réaction. Celle de sociétés relativement archaïques qui ont vécu jusqu’ici dans un isolement relatif, et qui voient s’infiltrer les objets et les valeurs venus d’une autre culture très largement laïcisée. C’est une sorte de Vendée moderne résistant à la sécularisation. Et comme toutes les Vendées, elle peut faire des dégâts mais pas gagner une guerre.

      [La déclaration islamique des droits de l’homme (signée à l’UNESCO en 1981), affirme que l’Umma islamique éclaire la voie de l’humanité et accessoirement vise à protéger les musulmans du risque de corruption par les valeurs occidentales.]

      Exactement mon point.

      [Militante, sans aucun doute, il est étonnant qu’elle n’ait pas soulevé plus d’indignation des organisations laïques.]

      Pour quoi faire ? La « corruption par les valeurs occidentales » a déjà gagné la partie, à quoi bon insister ?

      [Sur le plan tactique, Florence Bergeaud-Blackler présente le développement du frérisme en Europe à partir de l’engagement de leurs “ambassadeurs” dans les mouvements étudiants, antiracistes, de soutien au prolétariat ouvrier immigré, de militantisme vert, au sein des organismes de défense des droits de l’homme. Ils sont les artisans du développement des arguments en faveur de l’engagement religieux, réponse à l’oppression coloniale, à la domination de l’homme blanc et à la perversion intellectuelle et écologique du capitalisme, et du concept “d’islamophobie” – terme poubelle selon la chercheuse, dont le contenu n’est pas défini – objet d’innombrables demandes de financements européens, accordés “pour la combattre”.]

      Là encore, on voit toujours cette même question : celle de valeurs « traditionnelles » bousculés par l’approfondissement du capitalisme, qui réduit tous les rapports à un rapport d’argent. L’inquiétude qu’éprouvent les musulmans devant le risque de sécularisation n’est pas si différente de celle qu’éprouvent les régionalistes face aux menaces de « l’identité régionale », des différentes immigrations face à la perte de leurs repères communautaires, des intellectuels face au déclin des « valeurs de gauche »… d’où cette espèce d’union sacrée qui voudrait « spiritualiser » une société sans âme. A ce propos, il n’est pas inutile de rappeler la formule de Marx : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. »

      • Gugus69 dit :

        Il n’y a rien à faire : les ponts construits suivant les préceptes du Coran, alors que les ponts construits avec la résistance des matériaux tiennent.
         
        Camarade, votre phrase est bancale.

  8. Claustaire dit :

    “Et le plus drôle, c’est que ceux qui ont exigé cette non-promulgation… sont les mêmes qui régulièrement dénoncent les pouvoirs exorbitants du président de la République, et qui proposent de rétablir la prééminence du Parlement dans les institutions…”
    Le plus drôle, pour ne pas dire le pire. En tout cas, bien vu 🙂

  9. Gautier Weinmann dit :

    François Hollande se fair choper en scooter pour aller voir sa maîtresse. Il fait la couverture d’un torchon.
    Mais c’est quoi qui est choquant ? Le scooter, la maîtresse ou la publication ? Moi je dis que c’est le torchon de tabloïd qui publie cette abjection ne respectant pas sa vie privée, tout Président qu’il soit !
     
    Parce que si on compare avec Chirac, lui aussi pratiquait pas mal… Si je vous suis bien, lui était “mature” et Hollande “immature” ?
     
    Chirac était introuvable par son cabinet élyséen au moment de la mort accidentelle de Lady Di à Paris, par exemple… Il passait la nuit en toute discrétion chez Claudia Cardinale. Mais ça n’a pas finalement fait grand bruit.
    Non… C’est juste que, changement d’époque, les journalistes et autres chauffeurs protégeaient Jacques Chirac du déballage. Là, ils se sont farcis Hollande (à la demande d’ailleurs de Nicolas Sarkozy, qui avait les informations en direct du service de sécurité qui lui était resté fidèle).

    • Descartes dit :

      @ Gautier Weinmann

      [François Hollande se fair choper en scooter pour aller voir sa maîtresse. Il fait la couverture d’un torchon. Mais c’est quoi qui est choquant ? Le scooter, la maîtresse ou la publication ? Moi je dis que c’est le torchon de tabloïd qui publie cette abjection ne respectant pas sa vie privée, tout Président qu’il soit !]

      Pour moi, ce qui est choquant, ce n’est ni le scooter, ni la maîtresse, ni même la publication. Ce qui est choquant, c’est la conception que pouvait avoir Hollande de ce qu’est un président de la République. Parce qu’un président de la République, un vrai, ne monte pas sur un scooter. Un président de la République est une pièce maîtresse dans notre horlogerie institutionnelle, et à ce titre il a le devoir de se protéger lui-même, de ne pas prendre des risques inconsidérés, et surtout, inutiles. Il se doit à la République, et dans toute situation sa première pensée doit être pour elle. Il doit mettre sa fonction au-dessus de toute considération personnelle, y compris sa vie sexuelle. Il peut avoir une, dix, cent maîtresses si cela lui chante. Mais dans ce cas, il lui faut s’assurer que ses escapades ne mettent pas en danger sa personne ou sa fonction.

      Le fait que pour Hollande la présidence était un boulot comme un autre et non une fonction transcendante apparaît dans beaucoup d’occasions. Dans les confidences qu’il fit à Davet et Lhomme, et qui ont été publiées dans « Un président ne devrait pas dire ça… ». Dans ce livre, Hollande parle de la contrainte de la fonction présidentielle, et regrette de ne pas pouvoir quitter son bureau à 18 heures comme n’importe quel employé pour rejoindre sa vie de famille. Le fait même de dire « un président ne devrait pas dire ça… » et puis de le dire, vous montre combien sa vision de la fonction était bancale.

      Pour moi, ce qui est choquant, c’est l’idée même qu’un président ait une vie privée à respecter. Un président ne s’appartient pas. En contrepartie des privilèges dont il bénéficie, il est chargé de servitudes non moins importantes, et l’une d’elles est la dévotion totale et permanente à sa charge. Le président reste président même lorsqu’il va aux toilettes, ou lorsqu’il visite sa maîtresse.

      [Parce que si on compare avec Chirac, lui aussi pratiquait pas mal… Si je vous suis bien, lui était “mature” et Hollande “immature” ?]

      Oui. A ma connaissance, Chirac ne s’est jamais mis en danger en allant chez ses maîtresses en scooter lorsqu’il était président de la République – je ne suis même pas persuadé qu’il ait beaucoup « pratiqué » une fois entré à l’Elysée. Et Bernadette n’a pas couru prendre des pilules en apprenant l’infidélité de son mari, pas plus qu’il n’a écrit un livre pour se venger de lui. C’est cela que j’appelle des rapports « matures ».

      [Chirac était introuvable par son cabinet élyséen au moment de la mort accidentelle de Lady Di à Paris, par exemple… Il passait la nuit en toute discrétion chez Claudia Cardinale. Mais ça n’a pas finalement fait grand bruit.]

      Je ne sais pas d’où vous tirez cette information, mais admettons que ce fut le cas. Vous notez vous-même qu’il la passait « en toute discrétion ». Une discrétion tellement appuyée qu’il était « introuvable » y compris pour son cabinet, le mieux informé de France. Ça aussi, c’est une preuve de maturité.

      [Non… C’est juste que, changement d’époque, les journalistes et autres chauffeurs protégeaient Jacques Chirac du déballage.]

      Si journalistes et autres chauffeurs protégeaient Chirac, comment savez-vous que la nuit de la mort de Lady Di il était chez Claudia Cardinale ? Quelqu’un a du parler, non ? Quoi qu’il en soit, je doute que Chirac soit allé chez Claudia Cardinale en scooter.

      [Là, ils se sont farcis Hollande (à la demande d’ailleurs de Nicolas Sarkozy, qui avait les informations en direct du service de sécurité qui lui était resté fidèle).]

      Ah… je vois que la théorie du complot a encore ses adeptes. Quel pouvait être l’intérêt de Sarkozy en 2014 à révéler la vie amoureuse de son successeur ? Sarkozy aurait au contraire eu tout intérêt à garder l’information par devers lui, et à la publier bien plus tard, de manière à peser sur l’élection présidentielle de 2017… Non, si la presse s’est farci Hollande, c’est parce que Hollande lui-même a donné les bâtons pour se faire battre. C’est Hollande qui s’est lancé dans une campagne de désacralisation de la fonction présidentielle, avec son discours sur le “président normal”. Et l’épisode du scooter ne faisait qu’apporter une preuve supplémentaire que pour lui un président n’est finalement qu’un fonctionnaire comme les autres. A partir de là, pourquoi lui accorder une protection particulière au niveau médiatique ?

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