L’école des abayas

« Messieurs, je tiens à vous dire que je me suis fait tout seul… et que je me suis raté »
Raymond Devos

En ce jour de rentrée, permettez-moi un mot d’encouragement envers les enseignants, maîtres et professeurs qui ont entre leurs mains l’opportunité de guider la jeunesse de France. Dans un monde où les familles doutent et les médias divers exercent leur influence néfaste, leur rôle a d’autant plus d’importance. Même mal payé et mal reconnu, leur métier reste le plus beau métier du monde. Un métier auquel je me destinais… avant que le destin en décide autrement.

Le plus beau, mais aussi l’un des plus difficiles. Parce que l’enseignant est d’abord le porte-parole – j’ai envie d’écrire le porte-drapeau – d’une institution. Et l’institution doute. Elle n’arrive pas à décider quel est exactement son rôle, ou plutôt, la société n’arrive pas à décider quel est le rôle qu’elle veut lui confier. Car l’école – et j’utilise ce terme au sens du système éducatif en général – se trouve devant une théorie d’exigences contradictoires. Lieu de transmission pour les uns, lieu d’épanouissement pour les autres, lieu de professionnalisation, lieu de socialisation, garderie pour les parents qui travaillent…

Qu’est-ce que la société demande à son école ? Pour répondre à cette question, il faut interroger quels sont les modèles que l’idéologie dominante construit pour les présenter aux jeunes. Quel est, dans la bouche du modèle dominant, un « bon parcours » pour le jeune d’aujourd’hui ? D’abord, il faut avoir de la « tune ». Eh oui, le modèle du jeune pauvre mais honnête, qui réussit ses études par l’effort et le travail puis devient receveur des postes n’a plus du tout la côte. Le modèle, c’est le millionnaire à vingt-cinq ans. Et si c’est sans effort, encore mieux. Peu importe que ce soit un joueur de foot qui fait du fric en poussant un ballon, un startupper qui a trouvé un moyen de vendre en ligne un truc débile, un rappeur qui se remplit les fouilles en vendant de la came musicale – et quelquefois de la came tout court, une star de téléréalité débitant des sottises à la pelle. Même l’escroquerie suscite l’admiration – souvenez-vous de Tapie, élevé au rang d’idole des jeunes et de héros dans une série Netflix – à condition qu’elle conduise au succès médiatique et financier. Dans ce contexte, que peut offrir l’école ? Quel jeune peut imaginer que c’est le chemin austère des études qui va le conduire vers ce genre d’idéal ? Aucun, d’autant plus que tous ceux qui passent au fenestron se font un plaisir de répéter qu’ils n’ont pas réussi grâce à l’école, mais malgré elle.

Autres temps, autres mœurs. Alors qu’on lui annonce en 1957 que le prix Nobel de littérature lui est décerné, Albert Camus écrit le mot suivant à son ancien instituteur, Louis Germain :

« Cher Monsieur Germain, j’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. »

Camus se concevait lui-même comme le produit d’une histoire, une histoire qui d’ailleurs se retrouve dans toute sa production littéraire. En apprenant qu’on lui a attribué le prix Nobel, à qui pense-t-il ? Aux deux êtres qui l’ont fait, et « sans lesquels rien de tout cela ne serait arrivé » : sa mère et son professeur. A qui il s’adresse non pas avec la familiarité qu’autoriserait son statut de grand écrivain, mais avec un respectueux « Cher monsieur Germain ». Imagine-t-on les modèles d’aujourd’hui – un startupper, une starlette de téléréalité, un joueur de football, un rappeur – écrire pareil texte ? Non, bien sûr. Et pas seulement parce qu’ils savent à peine écrire. Ils ne l’écriraient pas parce que ce serait totalement à l’opposé de ce qu’ils sont. Ni les uns ni les autres ne se considèrent des produits d’une histoire, au contraire : ils se sont faits tous seuls, malgré le monde qui les entoure et souvent contre lui. Ou du moins, c’est ce qu’ils nous expliquent, cédant en cela à l’image préconstruite du héros moderne. Pourquoi alors remercier des maîtres qui, loin de « leur tendre une main affectueuse », sont plutôt les représentants d’une institution qui, pour eux, ne fait que formater et brider, qui fabrique des clones et tue toute créativité ? Prévert est passé par là, avec son oiseau-lyre censé « sauver » l’enfant des griffes du maître d’école…

La question lancinante dans notre société – et par contrecoup, celle qui est posée à notre école – est celle-là : l’homme est-il un produit historique, et à ce titre déterminé par un passé dont il est à la fois bénéficiaire, esclave et continuateur ? Ou bien peut-il se faire de lui-même et échapper donc à tout conditionnement, à toute détermination ? Avons-nous un devoir de reconnaissance envers ceux qui nous ont permis d’être ce que nous sommes, ou devons-nous nous considérer comme notre propre œuvre, et à ce titre libres de toute dette ? Les modèles que notre société nous propose tendent plutôt à privilégier la deuxième solution.

Ce qui, bien entendu, est une illusion. Ce que nous sommes – pour le meilleur et pour le pire – nous le devons en grande partie à nos parents, nos professeurs, nos institutions, nos concitoyens. Nous sommes conçus par la volonté de quelqu’un d’autre que nous. Nous apprenons une langue maternelle, un langage corporel, une forme de sociabilité que nous n’avons pas choisie. Pendant de longues années, nos parents décident de notre nourriture, notre lieu de vie, nos loisirs. Il est absurde d’imaginer que nous pourrions nous affranchir de tout cela, tout simplement parce que nous sommes ce qu’ils ont fait de nous. Autrement dit, nos choix – fussent-ils de nous rebeller contre ce passé – sont en partie la conséquence de ce passé.

Il n’empêche que c’est une toute autre image de nous-mêmes que la société transmet. Celle d’un individu tout-puissant. Et un individu tout-puissant ne peut être créé par quelqu’un d’autre, parce que ce créateur aurait une puissance supérieure à la sienne. Un être tout-puissant est nécessairement autocréé. Et ce message laisse l’école – comme l’ensemble des institutions, parents y compris – hors-jeu. Les parents, parce que l’autorité parentale est fondée précisément sur la dette que nous avons envers ceux qui nous ont faits, soignés, nourris, logés jusqu’à l’âge de raison, et dont nous recueillons l’héritage.  L’école, parce que comme institution elle repose sur la conviction que chaque génération est héritière d’un patrimoine collectif qu’elle doit transmettre impérativement à la génération suivante – sans lui demander son avis. Un patrimoine fait de savoirs scientifiques et techniques, certes, mais aussi d’habitudes vestimentaires, de règles de coexistence, de courtoisie et de sociabilité, d’une langue adaptée à chaque circonstance.

L’école est d’abord un lieu de transmission obligatoire, autrement dit, un lieu où ceux qui savent décident de ce que ceux qui ne savent pas doivent apprendre, et imposent cet apprentissage. Et il n’y a donc pas de place pour le doute : si ceux qui savent abdiquent de cette autorité, s’ils renoncent au pouvoir de déterminer ce que leurs enfants doivent savoir pour être de « bons » citoyens, l’institution perd toute raison d’être. Comment l’institution scolaire, qui repose sur la transmission, pourrait maintenir haut le drapeau quand la société érige la non-transmission en modèle ?

La décision ministérielle d’interdire qamis et abayas à l’école (1) est une illustration assez parlante de cette difficulté. D’abord, soyons clair : Je suis tout à fait favorable à l’interdiction du qamis et de l’abaya à l’école. Je suis favorable à l’interdiction non parce qu’il s’agirait d’un « vêtement religieux », mais parce que l’école est le lieu de brassage où tous les petits Français – et ceux qui ont vocation à le devenir – se mélangent. Et par conséquent, tout élément qui tendrait à enfermer les enfants dans une logique communautaire, à les séparer de leurs camarades, à rendre les échanges impossibles entre des groupes d’élèves, doit être banni sans le moindre complexe. Que ce soit un symbole, un vêtement, un refus d’assister à tel ou tel cours ou le fait de parler une langue communautaire dans la cour de récréation. Dans l’idéal, on laisse à la porte de l’école nos origines, notre religion, notre classe sociale, pour nous fondre dans le même creuset et suivre les mêmes règles, qui sont celles héritées de la longue histoire de notre pays. C’est cela, l’apprentissage de la citoyenneté, et non pas ces discours bébêtes appris par cœur sur la « tolérance » et la « diversité ».

L’école doit être l’expérience commune de tous les petits français. Une école où chacun est enfermé par les règles de sa communauté, où la cour de récréation se divise par langues et par origines et où chacun ne dialogue qu’avec ceux qui lui ressemblent, est une école qui prépare une société de communautés et non de citoyens. Et on a tort de faire de cette affaire une question de laïcité. La religion n’est ici qu’un prétexte. La véritable question, est celle de la constitution d’une collectivité de citoyens capables de ressentir cette solidarité inconditionnelle et impersonnelle envers un « autre » quelle que soit son origine, sa couleur de peau, sa classe sociale. Ce n’est qu’à cette condition qu’on peut « faire nation ». Et une telle solidarité qui n’est concevable que si tous partagent un cadre, des références, des rituels, une mémoire commune. Autrement dit, il s’agit de lutter non pas contre l’Islam, mais contre le séparatisme, concept dont le macronisme a malheureusement galvaudé le sens, mais qui est toujours d’actualité.

L’abaya et le qamis aujourd’hui, comme le voile hier, est le faux nez « religieux » derrière lequel se cache la question communautaire. Si les dirigeants communautaires mettent l’islam en exergue – souvent avec la bénédiction des pays d’origine, qui ont une longue expérience dans l’utilisation des structures religieuses comme moyen de contrôle social – c’est parce que l’Islam est un instrument puissant pour maintenir la communauté soudée et séparée du reste de la population. Laissez les musulmans manger comme les autres, boire comme les autres, s’habiller comme les autres, parler comme les autres, étudier comme les autres, coucher avec les autres, et en une génération – quelquefois plus vite encore – ils deviendront comme les autres. Persuadez-les au contraire de proclamer à chaque instant leur différence, de maintenir rigidement des règles qui les empêchent de manger ensemble, de boire ensemble, de coucher ensemble, d’étudier et de travailler ensemble, et vous aurez un groupe qui restera isolé dans sa forteresse assiégée. Pour des leaders dont le pouvoir est fondé justement sur le fait communautaire, le choix est vite fait.

Mais pourquoi de l’autre côté, celui des institutions, on est aussi prêt à parler de religion plutôt que de communautarisme ? Parce que parler de lutte contre le séparatisme, c’est prendre position contre cette idéologie communautariste qui nous vient des Etats-Unis et que nos élites ont adoptée. Et ce n’est pas par hasard : en instaurant une compétition permanente entre communautés, on empêche une solidarité entre citoyens de se constituer.

Refuser cette idéologie, c’est faire de l’école un outil d’assimilation. Et « assimilation » est devenu un gros mot, à gauche comme à droite. A gauche, on la trouve trop autoritaire, à droite, trop coûteuse. Hors de question donc de poser le problème dans sa vraie dimension, celle du choix entre une société de citoyens et une société de communautés. Et dans ce magma idéologique, il faut quand même répondre à une situation où, dans certains quartiers, l’éducation nationale perd le contrôle. On pose donc le problème en termes de laïcité, en transformant en « tenues religieuses » le voile hier, le qamis et l’abaya aujourd’hui. Cela évite de poser les vrais problèmes, et embourbe le débat sur ce qu’est vraiment une « tenue religieuse » et les limites de l’expression de la croyance dans l’espace public, sujets épineux s’il en est, notamment parce que nos juridictions veillent au respect strict des libertés religieuses prévues dans la Constitution.

Il faut revenir aux fondamentaux. Depuis toujours, l’école – comme n’importe quelle institution d’ailleurs – impose en permanence – c’est sa fonction – des règles et des interdits qu’on peut considérer « arbitraires » au sens qu’elles trouvent leur justification non dans une rationalité immédiate, mais dans une histoire, une tradition. Pourquoi est-il interdit en France de venir à l’école – mais aussi au théâtre, au bistro, au bureau – en tenue d’Adam, et pour les filles, en tenue d’Eve ? Pourquoi mange-t-on avec couteau et fourchette, et non avec les mains ? Pourquoi mélange-t-on filles et garçons dans les classes, au lieu de les tenir séparés par un rideau, comme en Afghanistan ? Parce que c’est comme ça chez nous, voilà pourquoi. Parce que notre culture, nos traditions, notre histoire ont abouti à consacrer ces règles. Dans d’autres pays, dans d’autres cultures, on peut se balader nu dans l’espace public, on mange avec les mains, on sépare à l’école garçons et filles. Pas chez nous. Et l’immense majorité de nos concitoyens estime qu’en imposant ces règles l’école ne viole nullement la liberté ou les droits inaliénables des élèves.

Il faut revenir au véritable débat, ce qui permettra à l’école d’afficher devant les parents comme devant les élèves un principe simple et clair : chez nous, l’école est celle de la République, mais elle est aussi celle de la France. Elle transmet, outre des savoirs scientifiques, des valeurs, une sociabilité, des règles de coexistence qui sont celles de ce pays. Et doit le faire sans aucun complexe. Et tout ce qui contribue au rejet de ces valeurs, de cette sociabilité, doit être impitoyablement banni.

Et il n’y a pas une once de racisme là-dedans. Je ne dis pas que notre mode de vie soit « supérieur » à celui des autres nations. Mais je constate que des étrangers qui sont venus chez nous sont venus chercher quelque chose qu’ils n’ont pas chez eux. Bien sûr, je ne me fais guère d’illusions : ceux qui sont venus en pensant à Richelieu, Victor Hugo ou Jean Renoir sont une minorité. La plupart sont venus chercher un environnement plus sûr, un travail plus rémunérateur, une école pour leurs enfants et un hôpital pour leurs parents. Mais il faut qu’ils comprennent que si la France peut offrir tout cela, c’est aussi parce qu’en France la loi civile s’impose à la loi religieuse, parce que femmes et hommes se mélangent, parce que dans nos écoles on étudie les sciences, et non les textes sacrés, parce que nous avons construit un cadre social, politique, relationnel qui est ce qu’il est. Qu’on ne peut donc pas vouloir bénéficier des avantages qui découlent d’une civilisation en vivant dans une autre. Et il faut expliquer cela sans faiblesse, sans négociation, parce qu’il n’y a rien à négocier.

Le lecteur notera d’ailleurs que lorsqu’une institution est ferme sur ce point, les jeunes garçons et filles « issus de l’immigration » le comprennent parfaitement et s’y plient sans la moindre protestation. J’ai reçu en entretien, au cours de ma longue carrière professionnelle, beaucoup de candidats et de candidates à une embauche, et cela à tous les niveaux. Pas un seul d’entre eux n’avait revêtu un qamis ou une abaya. Pourquoi, à votre avis ? Parce que les gens savent parfaitement que dans le monde du travail, on ne rigole pas avec ça, que ce monde a ses règles, et qu’il les applique sans complexes. Si vous ne vous présentez dans une tenue que l’entreprise estime adaptée, vous n’avez pas le poste, et puis c’est tout. Si l’école avait cette même fermeté, si les enseignants avaient moins de complexes à l’heure de défendre leur culture, on n’en serait pas là.

Descartes

(1) Il est intéressant de constater que si l’interdiction de l’abaya a provoqué beaucoup de commentaires, celle du qamis semble passer pratiquement inaperçue. Pourquoi cette différence dans les réactions ? Mystère…

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89 réponses à L’école des abayas

  1. parce qu’en France la loi civile s’impose à la loi religieuse

    Vous vouliez écrire à la loi générale, non-communautaire … n’est-ce pas ?
    Auriez-vous écrit, pensé, ce texte il y a dix ans ? Je crois que non, chacun évolue et c’est préférable !
    Si je vous parle de l’Oumma, vous allez me répondre Turcs/Kurdes, chiites/sunnites, voir Algériens/Marocains, pourtant vous n’ignorez pas que c’est le communautarisme musulman qui est le problème. Et même c’est l’islam lui-même, dogme archaïque, rétrograde, centripète, qui ne peut résister au partage d’influence car il est une construction bâtarde et faible dont la force réside dans l’agressivité et le simplisme (cf. Levis-Strauss et tant d’autres !).

    chez nous, l’école est celle de la République, mais elle est aussi celle de la France.
    Si l’école avait cette même fermeté, si les enseignants avaient moins de complexes à l’heure de défendre leur culture, on n’en serait pas là.

    Si ma tante en avait … Hélas les ministres, depuis au moins Olivier Guichard sont de passage ou bien la tête farcie de lubies, aucun ne s’est aventuré à casser les mécanismes de cooptation qui sévissent dans les services, donc ne comptons pas sur la direction politique pour être ferme, quand aux enseignants il sont devenus des néo-beaufs, incultes et sans recule ; c’est ainsi que nous sommes arrivés à ce point où – comme ailleurs dans le pays – seul un bonapartisme éclairé peut remettre de l’ordre, à propos quand nous écrivez-vous un article sur l’administration territoriale ?
    Je comprend bien sur l’intelligence administrative et politique de votre position, mais il est trop tard.

    • Descartes dit :

      @ Gérard Couvert

      [« parce qu’en France la loi civile s’impose à la loi religieuse » Vous vouliez écrire à la loi générale, non-communautaire … n’est-ce pas ?]

      Mon point était plus général qu’une simple considération juridique. En France, la norme sanctionnée par la volonté du peuple (quelque soit la procédure exacte de son élaboration) a toujours une légitimité supérieure à quelque texte, quelque décision religieuse que ce soit. Un arrêté du maire a plus de poids qu’une bulle du Pape ou que le décalogue.

      [Auriez-vous écrit, pensé, ce texte il y a dix ans ? Je crois que non, chacun évolue et c’est préférable !]

      Pourquoi dites-vous cela ? Je pense que j’aurais écrit un texte très similaire il y a dix, vingt ou même trente ans. Quand je militais au PCF, j’étais considéré par beaucoup de mes camarades – surtout ceux venus après 1968 – comme un « nationaliste » et un « conservateur ». Ayant une expérience familiale d’émigration multiple, j’ai toujours été très attaché à l’idée d’assimilation. Bien entendu, j’ai évolué sur certains points de détail, notamment sous l’effet des débats sur ce blog. Mais je ne crois pas avoir changé sur les questions fondamentales. Pourriez-vous être plus précis ? Sur quel point pensez-vous que je n’aurais pas écrit la même chose il y a dix ans ?

      [Si je vous parle de l’Oumma, vous allez me répondre Turcs/Kurdes, chiites/sunnites, voir Algériens/Marocains, pourtant vous n’ignorez pas que c’est le communautarisme musulman qui est le problème.]

      Vous avez mal anticipé ma réponse… preuve que je ne me fais pas bien comprendre. Il n’y a aucune raison que le monde musulman soit plus homogène que le monde chrétien. Les guerres entre états chrétiens ont rythmé l’histoire, et les différences culturelles entre un finlandais et un portugais sont évidentes, malgré leur rattachement historique au christianisme. Mais je ne pense pas qu’il existe un « séparatisme musulman ». En termes culturels – c’est-à-dire, de références, d’habitudes, de sociabilité – les turcs, les algériens, les marocains, les kurdes, et ne parlons pas des musulmans de l’Afrique sub-saharienne, sont différents. Et chacune de ces communautés est « séparatiste » non seulement vis-à-vis des « gaulois », mais vis-à-vis des autres communautés.

      Ces séparatismes sont normaux, on les trouve aussi dans les communautés non-musulmanes – pensez par exemple aux polonais dans le Nord-Pas de Calais. Et par le passé, ils n’ont pas posé de problème majeur tout simplement parce que la société française exerçait un pression assimilatrice très forte. C’est pourquoi je ne peux pas être d’accord quand vous dites que « c’est le séparatisme musulman qui est le problème ». D’abord, parce qu’il n’existe pas UN mais DES « séparatismes musulmans », et ensuite et surtout, parce que « le problème » n’est pas que ce séparatisme existe, mais que notre société refuse d’utiliser le seul instrument qui permet de le combattre.

      [« Si l’école avait cette même fermeté, si les enseignants avaient moins de complexes à l’heure de défendre leur culture, on n’en serait pas là. » Si ma tante en avait … Hélas les ministres, depuis au moins Olivier Guichard sont de passage ou bien la tête farcie de lubies, aucun ne s’est aventuré à casser les mécanismes de cooptation qui sévissent dans les services, donc ne comptons pas sur la direction politique pour être ferme,]

      Je ne vois pas très bien ce que « les mécanismes de cooptation » viennent faire là-dedans. Pourriez-vous être plus précis ?

      Pour le reste, je ne crois pas que ce soit seulement un problème de ministres insuffisamment fermes ou courageux, ou même des « services ». L’école que nous avons est celle que les classes dominantes – bourgeoisie et classes intermédiaires veulent. La fragmentation de la société est un problème pour vous et pour moi, mais pour ces classes-là c’est au contraire une bénédiction, ou tout au moins une gêne tolérable. Si on ne lutte pas contre elle, ce n’est pas parce qu’on ne peut pas ou qu’on ne sait pas comment, mais parce qu’on ne VEUT pas. C’est là la tragédie des enseignants : d’un côté, ils appartiennent aux classes qui veulent cette fragmentation, de l’autre ils subissent en première ligne ses conséquences…

      [à propos quand nous écrivez-vous un article sur l’administration territoriale ?]

      Je ne la connais pas assez pour pouvoir écrire là-dessus un article sérieux…

      [Je comprend bien sur l’intelligence administrative et politique de votre position, mais il est trop tard.]

      Il n’est jamais trop tard. Ce n’est pas là une vérité de fait, mais un axiome. Parce que penser que c’est trop tard, c’est se condamner à l’inaction. C’est une forme de l’optimisme méthodologique que j’ai toujours défendu !

      • une légitimité supérieure à quelque texte, quelque décision religieuse que ce soit

        Pour l’instant, pour qui et depuis quand ? Je voulais juste souligner que votre texte se fondait sur la critique du communautarisme mais malgré cela vous avez écrit “religieux” ce qui m’a semblé montrer que dans le (“les” ?) communautarisme qui nous dérange la part de l’islam est prépondérante.

        très attaché à l’idée d’assimilation

        Je crois que tous les lecteurs de ce blog le sont et c’est sans doute un ciment transpartisan puissant. Reste qu’elle ne fonctionne plus, pour des causes multiples qui ne sont pas toutes politiques ou sociales.

        Sur quel point pensez-vous que je n’aurais pas écrit la même chose il y a dix ans ?

        Je crois que vous auriez été plus circonspect ou plus prudent dans vos critiques du communautarisme justement parce que vous savez que seul celui issu des populations musulmanes est en cause. Aujourd’hui vous vous sentez plus libre ou plus simplement des évidences ce sont révélées.

        je ne pense pas qu’il existe un « séparatisme musulman ». En termes culturels

        La question est de savoir quelle indépendance ont les cultures face à l’islam. Historiquement aucune culture fournie et complète n’a résisté (je pense notamment à la Perse), dans mon adolescence il n’y avait pas de femmes voilées en Afrique noire, et dans mon enfance proportionnellement moins en Algérie qu’aujourd’hui dans Toulouse (voir à ce sujet un récent article du magazine marocain Tel Quel.)
        Je crois qu’il y a un séparatisme musulman fondé sur le minimum commun aux pratiquants de l’islam ; pour les petites cultures cela fait beaucoup. Malgré le racisme des magrébins envers les noirs, on voit de plus en plus de liens entre eux dans un “contre nous” rassembleur.

        société française exerçait un pression assimilatrice

        Bien sur, mais vous ne pouvez pas nier que la proximité culturelle était plus forte, le désir d’assimilation réel (la francité était attractive !) et que rien dans la culture polonaise n’incitait au séparatisme.

        « le problème » n’est pas que ce séparatisme existe

        Je ne vous comprend pas vous montrez les ravages du séparatisme, vous admettez que le (les ? mais vous-même écrivez “ce” et non pas “ces”) séparatisme musulman existe, mais que ce n’est pas le problème …

        c’est au contraire une bénédiction, ou tout au moins une gêne tolérable

        Quel intérêt auraient ces classes sociales à cette situation qui risque de devenir hors de contrôle ?  Ne minorez-vous pas d’un coté l’irresponsabilité et de l’autre l’embrigadement idéologique ?

        Je ne la connais pas assez pour pouvoir écrire là-dessus un article sérieux…

        C’est dommage.

        Il n’est jamais trop tard. Ce n’est pas là une vérité de fait, mais un axiome. Parce que penser que c’est trop tard, c’est se condamner à l’inaction. C’est une forme de l’optimisme méthodologique que j’ai toujours défendu !

        En écrivant cela je me suis dis “pourquoi écrire cela alors que tu professes le contraire sans cesse ! ” Mais j’ai laissé ces mots parce que les réalités démographiques seront explosives s’il n’y a pas de réaction puissante ; et je ne vois pas comment elle pourrait émerger ni qui peut la conduire.
         

        • Descartes dit :

          @ Gerard Couvert

          [« une légitimité supérieure à quelque texte, quelque décision religieuse que ce soit » Pour l’instant, pour qui et depuis quand ?]

          Pour tout le monde, et depuis deux siècles au moins. Ainsi, par exemple, le divorce est légalisé en 1792 et conservée dans le code civil de 1804, alors que le catholicisme a institué l’indissolubilité du mariage.

          [Je voulais juste souligner que votre texte se fondait sur la critique du communautarisme mais malgré cela vous avez écrit “religieux” ce qui m’a semblé montrer que dans le (“les” ?) communautarisme qui nous dérange la part de l’islam est prépondérante.]

          Le communautarisme a souvent un aspect religieux, parce que la religion a été – et est encore dans beaucoup de pays – l’instrument fondamental de contrôle de la société. Ce qui fait que le droit, les coutumes, la sociabilité des différents peuples a été souvent formée à l’ombre d’une institution religieuse. C’est bien entendu le cas chez nous, même si la société française est depuis longtemps sécularisée et même laïque : quand les laïcards ont cherché des rituels et des cérémonies, ils ont puisé dans leur patrimoine culturel, forcément religieux. Ce n’est pas pour rien si le rituel du mariage républicain est calqué sur le mariage religieux.

          Mais j’insiste sur un point qui me tient à cœur : la religion n’est ici qu’un mécanisme, l’instrument d’intérêts qui n’ont rien à voir avec une quelconque dimension spirituelle. Ce n’est pas parce que chez nous une partie des communautarismes s’organise autour de l’Islam – mais pas tous, pensez aux régionalismes, par exemple – que c’est l’Islam le problème.

          [« très attaché à l’idée d’assimilation » Je crois que tous les lecteurs de ce blog le sont et c’est sans doute un ciment transpartisan puissant. Reste qu’elle ne fonctionne plus, pour des causes multiples qui ne sont pas toutes politiques ou sociales.]

          Il y a dans votre formule une ambiguïté qui mérite d’être précisée. Si par « ne fonctionne plus » vous entendez que la machine est là mais qu’elle ne remplit plus sa fonction, je ne suis pas d’accord. La machine à assimiler « ne fonctionne plus » parce qu’on l’a sciemment arrêtée et démantelée. Si on la remettait en place, je ne vois pas pourquoi elle ne fonctionnerait pas aujourd’hui aussi bien qu’hier. Seulement, cela suppose un changement social profond… et notamment la mise au pas des classes intermédiaires, qui sont celles qui ont cassé l’ascenseur social.

          [« Sur quel point pensez-vous que je n’aurais pas écrit la même chose il y a dix ans ? » Je crois que vous auriez été plus circonspect ou plus prudent dans vos critiques du communautarisme justement parce que vous savez que seul celui issu des populations musulmanes est en cause. Aujourd’hui vous vous sentez plus libre ou plus simplement des évidences ce sont révélées.]

          Certainement pas. D’abord, parce que je ne crois pas que le seul communautarisme qui soit en cause soit « celui issu des populations musulmanes ». Je pense que vous oubliez un peu vite les communautarismes régionalistes (voir par exemple les débats sur la charte des langues régionales), ceux liés aux groupes ethniques (pensez par exemple aux débats autour du CRAN)… et même les tentatives de certaines organisations politiques sectaires.

          Mais surtout, je n’ai jamais été particulièrement « prudent » lorsqu’il s’agit d’appeler un chat un chat. Si je pensais que le problème était l’Islam, je l’aurais dit il y a dix ans et je le dirais aujourd’hui. Mais je n’en suis pas convaincu, et cela n’a pas changé. Je pense que l’Islam est l’arbre qui ne laisse pas voir la forêt, et que cela est autant vrai chez les « islamophobes » et chez les « islamophiles ». Je suis convaincu au contraire que tous les communautarismes viennent de la même logique, celle de vouloir se séparer de la collectivité nationale pour constituer des unités ayant leurs propres règles, leurs propres coutumes, leur propre sociabilité. Et que derrière cette volonté il y a toujours les mêmes intérêts, ceux d’élites locales qui préfèrent être la tête d’une souris plutôt que la queue d’un lion. Que ces élites prennent le prétexte de la langue, de la religion, de la cuisine ou du couleur de peau importe peu. Ce n’est qu’un élément contingent.

          [La question est de savoir quelle indépendance ont les cultures face à l’islam. Historiquement aucune culture fournie et complète n’a résisté (je pense notamment à la Perse), dans mon adolescence il n’y avait pas de femmes voilées en Afrique noire, et dans mon enfance proportionnellement moins en Algérie qu’aujourd’hui dans Toulouse (voir à ce sujet un récent article du magazine marocain Tel Quel.)]

          Ce qui tendrait à prouver que les cultures ont une certaine indépendance face à l’Islam, puisque la vie dans les territoires islamisés était différente hier et aujourd’hui. Faites d’ailleurs le parallèle avec le christianisme : est-ce que vous connaissez une seule « culture fournie et complète » qui ait résisté à la christianisation ? Je pense que vous sous-estimez les différences entre les différentes cultures islamiques. Penser une « oumma » homogène, c’est un peu comme imaginer qu’il existe une « communauté des chrétiens ».

          [Je crois qu’il y a un séparatisme musulman fondé sur le minimum commun aux pratiquants de l’islam ; pour les petites cultures cela fait beaucoup. Malgré le racisme des magrébins envers les noirs, on voit de plus en plus de liens entre eux dans un “contre nous” rassembleur.]

          Je ne vois pas où vous voyez ce « rassemblement ». Il y a un intérêt commun à tous les communautarismes, et ce n’est pas par hasard si l’on voit des militants de l’autonomie corse ou bretonne dans les manifestations contre l’islamophobie. Mais cela n’a rien à voir avec l’Islam, et on ne voit pas un comportement très différent chez les noirs islamisés et les noirs animistes ou chrétiens.

          [« société française exerçait un pression assimilatrice » Bien sûr, mais vous ne pouvez pas nier que la proximité culturelle était plus forte, le désir d’assimilation réel (la francité était attractive !) et que rien dans la culture polonaise n’incitait au séparatisme.]

          Je ne vois pas très bien ce que vous appelez « proximité culturelle ». Il ne semble d’ailleurs pas que ce soit un élément déterminant pour l’assimilation : les immigrants venues de l’extrême orient s’assimilent beaucoup plus facilement que ceux venus du Maghreb, alors que leur « éloignement culturel » est bien plus important. Pour revenir aux immigrants polonais, ils avaient les mêmes raisons que les immigrants maghrébins aujourd’hui pour céder au « séparatisme ». Comme les musulmans, ils pouvaient être heurtés par ce « pays sans dieu » qui croassait au passage des prêtres, qui n’observait pas les fêtes religieuses, qui refusait la présence de dieu à l’école, autorisait le divorce et encourageait les femmes à travailler hors de la maison. Comme les maghrébins, ils auraient pu vouloir conserver leurs prêtres, leur langue, leurs règles sociales. Leurs employeurs encourageaient d’ailleurs ce séparatisme : ils ont été jusqu’à importer des prêtres pour s’assurer que le troupeau soit bien gardé… seulement voilà, la pression assimilatrice de la société était la plus forte.

          Je persiste à penser que cette pression aurait le même effet sur les populations venues du Maghreb ou d’ailleurs. Le problème est que, comme vous dites « la francité n’est plus attractive ». Ou plutôt, qu’on a tout fait pour qu’elle ne le soit pas. Une société qui passe son temps à se frapper la poitrine est à expliquer combien elle est misérable, raciste, sexiste et injuste, combien son histoire est minable et criminelle peut difficilement être désirable.

          [« « le problème » n’est pas que ce séparatisme existe » Je ne vous comprend pas vous montrez les ravages du séparatisme, vous admettez que le (les ? mais vous-même écrivez “ce” et non pas “ces”) séparatisme musulman existe, mais que ce n’est pas le problème …]

          Le fait que votre loyer soit très cher n’est un « problème » que si vous n’avez pas assez d’argent pour le payer sans vous priver. Le « séparatisme » ne pose un problème que lorsque la société n’a pas les moyens d’y faire face.

          [« c’est au contraire une bénédiction, ou tout au moins une gêne tolérable » Quel intérêt auraient ces classes sociales à cette situation qui risque de devenir hors de contrôle ? Ne minorez-vous pas d’un coté l’irresponsabilité et de l’autre l’embrigadement idéologique ?]

          Quel est leur intérêt ? De ne pas payer les coûts d’une véritable politique d’assimilation. Car ce genre de politique a un coût très important, notamment pour les classes intermédiaires. Ce n’est pas seulement le coût de donner à ces populations un habitat digne, des services publics, des salaires décents. Il s’agit d’un coût bien plus important : une population assimilée est une population qui rentre en compétition à égalité des armes, et dans un pays où l’école est l’instrument de la promotion sociale, avec les enfants des classes intermédiaires. Maintenir les gens enfermés dans leur “communauté” est une solution très élégante à ce problème…

          • Louis dit :

            @Descartes

            Car ce genre de politique a un coût très important, notamment pour les classes intermédiaires. Ce n’est pas seulement le coût de donner à ces populations un habitat digne, des services publics, des salaires décents. Il s’agit d’un coût bien plus important : une population assimilée est une population qui rentre en compétition à égalité des armes, et dans un pays où l’école est l’instrument de la promotion sociale, avec les enfants des classes intermédiaires. Maintenir les gens enfermés dans leur “communauté” est une solution très élégante à ce problème…

             
            Si vous me permettez d’approfondir ce point, je tiens à spécifier votre propos, à partir de mes observations professionnelles. Vous parlez du coût général pour les classes intermédiaires, mais je voudrais parler du coût spécifique pour les professeurs. Bien entendu, je ne suis pas très sûr de moi, puisque ce ne sont que des idées qui me sont venues au fil des ans, par expérience.
             
            Tout le monde (ici, du moins) connaît le cercle vicieux dans lequel se sont enferrés les professeurs. Autant, leurs enfants réussissent diablement mieux que leurs concurrents leur parcours scolaire grâce à la ruine de l’école, autant les professeurs se désolent de travailler parmi les décombres de leur institution. Avec d’ailleurs une tendance nette et révélatrice à refuser de voir “l’institution” comme la leur, et les “décombres” comme tels. Ô mânes de Freud, etc.
             
            Quoi qu’il en soit, ils n’ont par contre aucun problème à parler de leur souffrance au travail, comme ils disent. Et puisque nous parlons du séparatisme, au sens où vous l’entendez, c’est criant. Les mauvaises manières des élèves, leur indiscipline, leurs provocations, leur indifférence tiennent toutes, en partie du moins, au sentiment tenace qu’ils ont de ne pas faire partie du même monde que leurs joyeux professeurs – ce qui n’est d’ailleurs pas faux : les gamins sentent très bien ce qu’ils ont par ailleurs beaucoup de mal à comprendre, et c’est souvent pour cela que leur ressenti les dévore, faute de pouvoir mettre un mot, donc un cadre, sur ce qui les travaille.
             
            Face à cela, quelle est l’attitude général de mes collègues ? La rébellion contre “l’institution” (qui devrait d’un coup de cuiller à pot, ou de baguette magique, régler tous les problèmes – mais envers laquelle on n’a bien sûr aucun devoir), la démission face aux élèves. Laissez passer, laissez faire… Mais on est tous vent debout contre l’ultralibéralisme, hein. L’histoire ne s’arrête pourtant pas là.
             
            Evidemment, le ministère ne peut pas régler par lui-même ces problèmes, et, bon an, mal an, il faut bien trouver un moyen d’écoper pendant que le vaisseau coule. Je le dis puisque, comme vous le savez, mon établissement navigue entre deux eaux : je ne suis ni dans un établissement d’élite, ni dans l’un de ces lycées perdus pour la république. Ces derniers, d’ailleurs, ont leur propre solution : embrasser le désastre, en épousant la cause communautaire. (Au passage, le lycée Maurice Utrillo de Stains, qui a fait parler de lui ces derniers temps, est précisément celui dans lequel je suis brièvement passé, et dont je vous avais parlé.)
             
            Du coup, pour tenter d’atténuer les effets du séparatisme, mes collègues s’épuisent littéralement à préparer des cours ludiques, des sorties festives, à inventer des systèmes de notation “non-discriminants” (avant de passer à la quadrature du cercle, sans doute), des “approches pédagogiques différenciées qui privilégient le lien social pour rapprocher l’apprenant du milieu scolaire”… Et après s’être creusé la tête jusqu’à pouvoir trouver du pétrole, ils se plaignent d’être fatigués, et se désolent en outre que… ça ne donne rien. Ca-ne-don-ne-rien. Rien du tout. Et ils recommencent. Et c’est de pire en pire. Evidemment.
             
            Pour ma part, vous le savez, je crois qu’il n’est de salut que par et pour l’institution. Je n’ai pas à me jeter des fleurs, mais je me débrouille, disons. Ce qui surprend toujours un peu mes collègues, qui me trouvent “jovial” (en fait, heureux de travailler, sans être exténué d’ailleurs), “optimiste”, et qui rabattent sur ma propre personne les mérites qui reviennent précisément à l’institution. Impossible de les convaincre que n’importe qui, eux les premiers, peuvent porter une cravate, vouvoyer, dire “monsieur Untel”, “mademoiselle Unetelle”, lire dix livres plutôt que préparer dix cours, etc. Non, c’est “ma personnalité”, paraît-il. Là encore, Freud aurait beaucoup à dire sur le refoulement.
             
            Mais au fond, qu’est-ce que ça leur coûterait de faire autrement, puisque c’est le point que vous avez soulevé ? Eh bien, le confort de mener sa propre vie comme bon leur semble, en toutes circonstances. Si les gens ne sont pas idiots, et je pars du principe qu’ils ne le sont pas, ils préfèrent enquiller leur déveine plutôt que se forcer à “faire comme si”. Ce serait renoncer à l’héroïsme du rebelle ou du martyr, autant qu’au confort du “je fais ce que je veux”. Héroïsme et confort, jumeaux paradoxal enfantés par le séparatisme en milieu scolaire, parmi les professeurs.

            • Descartes dit :

              @ Louis

              [Quoi qu’il en soit, ils n’ont par contre aucun problème à parler de leur souffrance au travail, comme ils disent.]

              Oui, mais ils n’ont pas de retour critique sur leur propre rôle cette « souffrance ». C’est la faute aux élèves qui sont dissipés, aux parents d’élèves qui ne sont pas solidaires, et surtout – prétexte universel – au « manque de moyens ». L’idée que le respect se gagne d’abord en étant respectable, qu’on ne peut être exigeant avec les autres qu’en étant d’abord exigeant avec soi même ne semble pas les effleurer.

              [Et puisque nous parlons du séparatisme, au sens où vous l’entendez, c’est criant. Les mauvaises manières des élèves, leur indiscipline, leurs provocations, leur indifférence tiennent toutes, en partie du moins, au sentiment tenace qu’ils ont de ne pas faire partie du même monde que leurs joyeux professeurs – ce qui n’est d’ailleurs pas faux : les gamins sentent très bien ce qu’ils ont par ailleurs beaucoup de mal à comprendre, et c’est souvent pour cela que leur ressenti les dévore, faute de pouvoir mettre un mot, donc un cadre, sur ce qui les travaille.]

              Le problème n’est pas tant que les gamins « ne fassent pas partie du même monde que les professeurs ». Cela a toujours été vrai, et j’imagine que pour un petit paysan savoyard ou creusois, l’instituteur était lui aussi quelqu’un venu d’un autre monde. La différence, c’est que le but de l’instituteur naguère était précisément d’amener le petit paysan dans son monde, d’en faire – pour ceux qui étaient doués – un instituteur ou un receveur des postes. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui : beaucoup d’enseignants voient leurs élèves comme étant condamnés à priori à la relégation sociale.

              [Face à cela, quelle est l’attitude général de mes collègues ? La rébellion contre “l’institution” (qui devrait d’un coup de cuiller à pot, ou de baguette magique, régler tous les problèmes – mais envers laquelle on n’a bien sûr aucun devoir),]

              Et surtout, à laquelle on ne s’identifie pas. L’institution, c’est l’autre : la hiérarchie, l’inspection, le ministre. Jamais soi.

              [Du coup, pour tenter d’atténuer les effets du séparatisme, mes collègues s’épuisent littéralement à préparer des cours ludiques, des sorties festives, à inventer des systèmes de notation “non-discriminants” (avant de passer à la quadrature du cercle, sans doute), des “approches pédagogiques différenciées qui privilégient le lien social pour rapprocher l’apprenant du milieu scolaire”… Et après s’être creusé la tête jusqu’à pouvoir trouver du pétrole, ils se plaignent d’être fatigués, et se désolent en outre que… ça ne donne rien. Ca-ne-don-ne-rien. Rien du tout. Et ils recommencent. Et c’est de pire en pire. Evidemment.]

              Votre diagnostic est un peu celui de Brighelli dans « la fabrique du crétin ». J’ai entendu ce même diagnostic dans la bouche de beaucoup d’enseignants. Beaucoup d’enseignants semblent penser que c’est à l’école de s’adapter aux élèves, et pas l’inverse. C’est à mon avis une grave erreur.

              [Ce qui surprend toujours un peu mes collègues, qui me trouvent “jovial” (en fait, heureux de travailler, sans être exténué d’ailleurs), “optimiste”, et qui rabattent sur ma propre personne les mérites qui reviennent précisément à l’institution. Impossible de les convaincre que n’importe qui, eux les premiers, peuvent porter une cravate, vouvoyer, dire “monsieur Untel”, “mademoiselle Unetelle”, lire dix livres plutôt que préparer dix cours, etc. Non, c’est “ma personnalité”, paraît-il. Là encore, Freud aurait beaucoup à dire sur le refoulement.]

              Tout à fait !

          • Vous réponses sont dans le droit fil constant de votre position qui tend à minorer le rôle, direct ou indirect, de l’islam dans les vicissitudes du moment.
            Je suppose que vous avez eu une éducation religieuse – ce qui n’est pas mon cas-  et une part de vous reste en conflit avec elle et l’autre, la rationnelle, croit voir en l’islam une religion de même nature que celle qui vous fut imposée. Lorsque vous écrivez “Faites d’ailleurs le parallèle avec le christianisme : est-ce que vous connaissez une seule « culture fournie et complète » qui ait résisté à la christianisation” vous passez sous silence l’extraordinaire évolution du christianisme, et pas seulement de l’Église Réformée. Augustin d’Hyppone aurait beaucoup de mal à retrouver sa religion au Vatican, alors que Ali ne serait pas dépaysé dans une mosquée du 93 !Ce qui n’a pas résisté au christianisme, c’est le christianisme, Constantin n’a pas christianisé l’Empire mais romanisé l’Église.
            A Avola, où se trouve ma maison Sicilienne, j’assiste chaque année à une cérémonie religieuse, dédiée à Santa Venera, c’est à dire à Vénus comme Saint Michel est Apollon : le curée ne se prive pas, une fois que la statue, à la proue d’un navire, à fini de faire le tour de la cote, accompagnée de dizaines d’embarcations fleuries, de rappeler que la “sainte” était une femme avant d’être une mère, et d’émailler son discours de citations païennes ; le tout devant élus avec écharpes tricolores, choristes d’églises, et gens emmaillotés dans leurs serviettes de bain, puisque la messe à lieu presque sur la plage ! Tout le monde fini dans les bars du bord de mer : Peppone n’est pas tant une invention qu’on l’imagine. Certes dans d’autres moments de la semaine de célébration il y a une ferveur religieuse, mais le rituel, public, antique, a le dessus. Vous imaginez cette évolution pour l’islam ? Le dogme musulman tue la vie, comme la curiosité, comme le désir de faire ; voyez les mots de Ibn Khaldoun. L’islam imprègne très fortement les individus et ceux-ci pèsent sur la société.
            Ces mots ci-dessus sont lamentablement insuffisants mais vous porter la contradiction serait un exercice dépassant le cadre de nos échanges, où, malgré tout, les non-dits sont mutuellement compris.
            Pour en revenir un peu au fond je suis certain que le coût de l’immigration/invasion, tous postes confondus, est supérieur à celui d’une assimilation, et que d’user des forces vives des immigrés – on connait le gain pour les Ibériques et les Italiens en leur temps – serait un calcul profitable à ces classes intermédiaires que vous semblez parfois accuser de duplicité coupable.

            • Descartes dit :

              @ Gerard Couvert

              [Vous réponses sont dans le droit fil constant de votre position qui tend à minorer le rôle, direct ou indirect, de l’islam dans les vicissitudes du moment.]

              Peut-être est-ce une réaction aux discours qui font de l’Islam la source de tous nos maux. Que voulez-vous, j’ai tellement vu des gens se fabriquer des « diables de confort » et autres boucs émissaires, que je suis devenu méfiant. Quand je vois un Zemmour parler de l’Islam en termes apocalyptiques tout en embrassant le néolibéralisme en économie, je me dis qu’on prend un arbre pour cacher la forêt.

              [Je suppose que vous avez eu une éducation religieuse]

              Vous supposez très mal. Je suis issu tant du côté de mon père que de ma mère d’une famille juive qui a cessé de pratiquer depuis au moins trois générations, et probablement cessé de croire bien avant ça. Mon arrière-grand-mère déjà n’allait à la synagogue qu’une fois par an, pour Iom Kippur, et ce n’était que pour « voir combien de mes amies sont encore en vie » selon ses propres mots. Mes parents ne se sont pas mariés religieusement et n’ont pas baptisé leurs enfants. Donc, mon éducation religieuse est proche de zéro. Et même si vous considérez le communisme comme une réligion – ce qui peut être soutenu sur certains aspects – je dois vous détromper : quand j’ai eu l’âge de raison, mon père était déjà un apostate, et ma mère fut toujours une sceptique…

              J’ai par contre un certain intérêt pour la religion et pour les textes religieux. Je me dis que si ces textes et des légendes qui ont traversé les âges, c’est qu’ils renferment quelque chose de profondément humains. Je connais donc à peu près l’Ancien et le Nouveau testament, le Coran, l’histoire des saints, l’iconographie religieuse. Il m’est arrivé d’aller regarder les offices à la synagogue, à l’église ou à la mosquée. J’adorais discuter avec l’aumônier de mon école d’ingénieur – un jésuite très cultivé qui portait le nom de Raison, nom curieux pour un prêtre… Mais mon « éducation religieuse » s’arrête là.

              [ – ce qui n’est pas mon cas- et une part de vous reste en conflit avec elle et l’autre, la rationnelle, croit voir en l’islam une religion de même nature que celle qui vous fut imposée.]

              Votre interprétation, même erronée, est intéressante. Qu’est ce qui vous a fait penser que j’avais eu une « éducation religieuse » ?

              [Lorsque vous écrivez “Faites d’ailleurs le parallèle avec le christianisme : est-ce que vous connaissez une seule « culture fournie et complète » qui ait résisté à la christianisation” vous passez sous silence l’extraordinaire évolution du christianisme, et pas seulement de l’Église Réformée. Augustin d’Hyppone aurait beaucoup de mal à retrouver sa religion au Vatican, alors que Ali ne serait pas dépaysé dans une mosquée du 93 ! Ce qui n’a pas résisté au christianisme, c’est le christianisme, Constantin n’a pas christianisé l’Empire mais romanisé l’Église.]

              Je pense que vous connaissez mal l’Islam. Lui aussi a changé, lui aussi s’est diversifié. J’ai du mal d’ailleurs à comprendre comment une personne qui connaît un peu la dynamique des sociétés humaines peut imaginer qu’une religion – c’est-à-dire une idéologie – peut traverser les époques et les lieux inchangée, sans s’adapter aux transformations sociales, politiques, économiques de son environnement. Augustin d’Hyppone aurait du mal à retrouver sa religion au Vatican, mais au moins il y trouverait un Pape à qui poser des questions. Ali, s’il revenait, aurait du mal à trouver aujourd’hui un calife… la fonction ayant été abolie au début du XXème siècle.

              [A Avola, où se trouve ma maison Sicilienne, j’assiste chaque année à une cérémonie religieuse, dédiée à Santa Venera, c’est à dire à Vénus comme Saint Michel est Apollon : le curé ne se prive pas, une fois que la statue, à la proue d’un navire, à fini de faire le tour de la cote, accompagnée de dizaines d’embarcations fleuries, de rappeler que la “sainte” était une femme avant d’être une mère, et d’émailler son discours de citations païennes ; le tout devant élus avec écharpes tricolores, choristes d’églises, et gens emmaillotés dans leurs serviettes de bain, puisque la messe à lieu presque sur la plage ! Tout le monde fini dans les bars du bord de mer : Peppone n’est pas tant une invention qu’on l’imagine. Certes dans d’autres moments de la semaine de célébration il y a une ferveur religieuse, mais le rituel, public, antique, a le dessus. Vous imaginez cette évolution pour l’islam ?]

              Allez en Indonésie, le plus grand pays musulman du monde, et vous verrez le même sincrétisme. Vous le voyez d’ailleurs même en Arabie Saoudite : qu’est ce que la Kaaba, sinon le foyer des dieux préislamiques ? Ne vénère-t-on une « pierre noire » qui n’est en fait qu’une relique vénérée bien avant l’arrivée de Mahomet ? Ne porte-t-on chez de nombreux musulmans la « main de Fatma », là encore une survivance de rites magiques qui n’ont rien à voir avec l’Islam ? Je ne comprends pas l’arabe, et je ne peux donc pas suivre le prêche islamique. Mais l’être humain étant ce qu’il est, il n’y a pas de raison de penser que l’imam soit moins sensible aux récit « païens » que le prêtre catholique…

              Bien sûr, nous reconnaissons plus facilement les éléments « païens » et les intrusions modernes dans le discours des chrétiens parce que c’est notre culture, et que nous la connaissons bien. Mais le même processus existe dans l’Islam. D’ailleurs, si vous allez sur les sites islamiques vous verrez des discussions interminables sur ce qui « admissible » ou non comme évolution. Lors d’un voyage en Malaisie, j’étais assis à côté d’un entrepreneur qui essayait de vendre aux Indonésiens des machines à tuer les poulets – si, si, ça existe. Problème : pour qu’un poulet soit « halal », il faut qu’au moment où on lui coupe le cou l’exécutant récite un verset du Coran. Qu’à cela ne tienne, mon entrepreneur avait proposé d’installer un écran passant en boucle l’image d’un Imam récitant la formule en question à chaque poulet tué. Les autorités religieuses locales analysèrent sérieusement la proposition, et après moults discussions l’ont trouvé acceptable…

              [Le dogme musulman tue la vie, comme la curiosité, comme le désir de faire ; voyez les mots de Ibn Khaldoun. L’islam imprègne très fortement les individus et ceux-ci pèsent sur la société.]

              Possible, mais n’est-ce pas le cas de toutes les religions ? C’est d’ailleurs le propre de tout dogme : comment pourrait-il encourager la « curiosité », alors que celle-ci ne peut que conduire à la remise en cause de tous les dogmes ? Quant au « désir de faire », il ne faudrait quand même pas oublier que les arabes, partis d’une région désertique, ont bâti un empire qui, à son âge d’or, rivalisait avec les empires européens.

              Un dogme religieux est une explication complète, totale, incontestable, et appelle donc nécessairement à l’obéissance, à la passivité, à la répétition. Si la civilisation « chrétienne » s’était conformé au dogme, elle n’aurait pas beaucoup avancé. Si elle a dominé le monde, c’est en interprétant le dogme, voire en s’en affranchissant complétement. Et ce n’est guère différent pour l’Islam.

              [Pour en revenir un peu au fond je suis certain que le coût de l’immigration/invasion, tous postes confondus, est supérieur à celui d’une assimilation, et que d’user des forces vives des immigrés – on connait le gain pour les Ibériques et les Italiens en leur temps – serait un calcul profitable à ces classes intermédiaires que vous semblez parfois accuser de duplicité coupable.]

              Si vous arrivez à les convaincre qu’elles ont intérêt à assimiler – quitte à voir les enfants des assimilés les concurrencer, eux et leurs propres enfants – alors vous aurez beaucoup avancé dans la bonne direction. Malheureusement, je crains que ce ne soit impossible. Parce que les classes intermédiaires connaissent collectivement bien mieux que vous leurs intérêts de court terme. Et qu’après eux, le déluge…

            • François dit :

              @Descartes,
              [Peut-être est-ce une réaction aux discours qui font de l’Islam la source de tous nos maux.]
              Plus que de savoir si l’Islam (et le grand Remplacement de façon générale) sont la cause de tous nos maux (même si avec une population du tiers-monde grandissante, on ne peut que s’attendre à une tiers-mondisation de nos problèmes), la question est de savoir si c’est ou non une menace existentielle.
              Aussi, je me permets Descartes, de vous mettre face au dilemme suivant :
              – Proposition A : le territoire hexagonal devient une quelconque eurorégion, l’État ayant perdu souveraineté et laissant faire la main invisible pour les questions économiques avec ses conséquences plus ou (beaucoup) moins désirables. Mais l’homogénéité et la continuité culturelles sont maintenues, les Français dans leur écrasante majorité continuant de se reconnaître dans l’héritage civilisationnel greco-chrétien avec les gaulois pour ancêtres. L’enseignement scolaire entretient même la nostalgie d’un temps où la France était une grande puissance.
              – Proposition B : le territoire hexagonal retrouve sa souveraineté pleine et entière, accompagnée d’un fort volontarisme industriel, redevenant par la même occasion un pays craint et respecté de ce monde. Mais Collombey-les-deux-Églises devient Collombey-les-deux-Mosquées. Tout ce qui faisait l’héritage immatériel civilisationnel est effacé, interdit, interdiction donc de donner des prénoms non coraniques, interdiction de la consommation d’alcool (les vignobles finissant donc arrachés), légalisation de la polygamie, etc. L’enseignement scolaire décrit « l’ancienne France » comme un pays conquis et fini, et que le « nouveau pays » fait désormais partie de l’Oumma.
              Parmi ces deux propositions, laquelle considérez-vous comme la moins dystopique concernant l’avenir (fut-ce de façon très hypothétique) de la France ? A ou B ?
               

            • Descartes dit :

              @ François

              [Plus que de savoir si l’Islam (et le grand Remplacement de façon générale) sont la cause de tous nos maux (même si avec une population du tiers-monde grandissante, on ne peut que s’attendre à une tiers-mondisation de nos problèmes),]

              Pas forcément. La France accueille des travailleurs venus du Tiers Monde depuis les années 1920, et ils on n’a pas vu une « tiers-mondisation de nos problèmes ».

              [Aussi, je me permets Descartes, de vous mettre face au dilemme suivant : (…)]

              Votre « dilemme » est totalement artificiel, parce que chaque option regroupe des éléments incompatibles.

              Prenons votre « proposition A », comment imaginer que dans une France devenue « euro-région » vous pourriez maintenir une « continuité culturelle » ? Alors que la France reste, au moins sur le papier, souveraine, vous voyez bien les dégâts de l’emprise européenne sur notre culture. Allez dans le métro, regardez les affiches, et vous verrez la moitié en français, et l’autre moitié en globish. Partout des « Carrefour Market » et autres « SNCF Family ». Et regardez comment nos cours souveraines incorporent peu à peu des éléments du droit anglosaxon, comment notre université vit à l’heure du classement de Shanghai.

              Voyons maintenant la proposition B. La souveraineté appartient à une nation, pas à un territoire. Comment imaginer alors une France « retrouvant sa souveraineté pleine et entière », alors que ce qui fait une nation, c’est-à-dire, cet héritage civilisationnel, serait « effacé » ?

              [Parmi ces deux propositions, laquelle considérez-vous comme la moins dystopique concernant l’avenir (fut-ce de façon très hypothétique) de la France ? A ou B ?]

              Je les considère absurdes toutes les deux, pour les raisons expliquées plus haut.

  2. CVT dit :

    @Descartes,

    [Il faut revenir au véritable débat, ce qui permettra à l’école d’afficher devant les parents comme devant les élèves un principe simple et clair : chez nous, l’école est celle de la République, mais elle est aussi celle de la France.]

    En fait, l’erreur de perspective originelle date bien de l’affaire dite “du voile des collégiennes de Creil” en 1989. Plutôt que d’admettre, dès le départ, qu’il s’agissait d’une attaque contre nos moeurs françaises, on avait alors brandi la laïcité de l’Ecole Publique (et non “Ecole Républicaine”) comme parade contre l’islamisation rampante des banlieues.
    A l’époque, en plein triomphe de l’européisme mitterrandien et de son avatar banlieusard, l’anti-racisme façon “Touche à mon pote” et “à mort les Beauf et Dupont la Joie”, il faut se rappeler que la France avait très mauvaise presse à gauche, y compris chez les laïcards. Mais voilà que maintenant, au bout de 35 ans, le piège se referme sur ces derniers: il faut être d’une malhonnêteté rare pour ne pas admettre que le kami et l’abaya sont des vêtements conformes à une prescription religieuse (“halal” ou conforme au sens du coran), mais cette dernière ne concerne pas du tout une très large majorité des français, et pour ce encore un bout de temps! Et surtout, ces vêtements sont surtout attentatoires à nos moeurs, école ou pas!!!!
    Pour ma part, je fais partie de ceux qui disent que la laïcité est un concept on ne peut plus français (le terme “sécularisation”, employé par ailleurs à l’étranger, est synonyme mais ne va pas aussi loin) et que dans le cadre de notre Nation, non seulement l’Etat et la République sont laïcs, mais nos moeurs également. J’ai même souvent l’habitude de dire que c’est parce nous sommes laïcs que l’Etat et la Nation le sont, et non l’inverse…
    C’est pourquoi, conformément à notre Constitution (“République une et indivisible”),  il conviendrait de sanctionner beaucoup plus durement toute sédition contre nos lois écrites et surtout non écrites, et peu importe que la sédition soit musulmane (qui est la plus virulente…) ou gauchiste, libéral-libertaire ou nihiliste  (“Black Block”, “Ecolo-Freak”, “Black Lies Matter”, “Comité Adama”, etc…).
     
    Enfin, à tous ceux qui crient à l’islamophobie, je tiens à rappeler une chose : nul n’est obligé à aimer quelque chose ou quelqu’un; cela fait partie de l’exercice de la liberté de conscience. Sans compter que quand des activistes islamo-gauchistes ne cessent littéralement d’outrager les moeurs du pays où ils vivent, crient à l’islamophobie, ces derniers se comportement en sadiques et en pervers narcissiques.
    On pourrait un parallèle avec la politesse: aucune loi n’interdit d’être impoli, mais si on exerce ce droit à l’inconduite, alors il ne faut pas venir se plaindre d’être détesté ou stigmatisé, et pire, nous vouloir nous contraindre par la loi d’être aimé!!!
     
    Au final, à quelque chose, malheur est bon: cette nième histoire d’accoutrement islamique n’en finit pas de démontrer, pour ceux qui en doutaient encore, que leurs partisans sont bien les ennemis de la France en tant que nation, indépendamment de leurs origines. Il faudra bien s’en débarrasser  un jour si le pays veut sortir de la spirale mortelle où il est entraîné…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [En fait, l’erreur de perspective originelle date bien de l’affaire dite “du voile des collégiennes de Creil” en 1989. Plutôt que d’admettre, dès le départ, qu’il s’agissait d’une attaque contre nos mœurs françaises, on avait alors brandi la laïcité de l’Ecole Publique (et non “Ecole Républicaine”) comme parade contre l’islamisation rampante des banlieues.]

      Tout à fait d’accord, même si à Creil le proviseur courageux – je me demande quelle a été sa carrière après cet incident – qui avait pris sur lui d’exclure les trois élèves à Creil avait justifié sa décision de la manière suivante « « Notre objectif est de limiter l’extériorisation excessive de toute appartenance religieuse OU CULTURELLE » (dans l’Humanité du 5 octobre 1989, c’est moi qui souligne). Et il faut se souvenir qu’à l’époque la gauche avait fait preuve de son incapacité à penser : entre SOS-Racisme qui avait soutenu les lycéennes, Lionel Jospin qui, alors ministre, avait essayé de ménager la chèvre et le chou pour se défausser ensuite sur le Conseil d’Etat – qui l’avait d’ailleurs renvoyé dans ses buts, estimant que c’était au législateur et non au juge de faire le boulot. Mais il est vrai que le pli a été pris à ce moment de penser la question en termes de laïcité, et non en termes culturels et de sociabilité. Il est vrai que si sur la laïcité la gauche n’avait pas les idées claires, sur la question culturelle c’était encore pire.

      [A l’époque, en plein triomphe de l’européisme mitterrandien et de son avatar banlieusard, l’anti-racisme façon “Touche à mon pote” et “à mort les Beauf et Dupont la Joie”, il faut se rappeler que la France avait très mauvaise presse à gauche, y compris chez les laïcards.]

      Oui. En fait, c’était le triomphe de l’anti-culture et du relativisme culturel façon 1968, de l’illusion qu’on pouvait fonder une société sur un mélange de cultures détachés des conditions historiques qui leur ont donné naissance pour fabriquer une sorte de syncrétisme culturel détaché sans contexte. C’était l’époque où l’on s’imaginait d’effacer les cultures nationales – au sens large du terme – au profit d’une sorte de « culture européenne » surgie par on ne sait quelle magie du « mélange » : les films de Cédric Klapisch sont de ce point de vue une bonne représentation de cette illusion. Il a fallu les attentats terroristes pour montrer que les cultures n’étaient pas solubles les unes dans les autres. Un personnage comme Malek Boutih, qui en sa qualité de président de SOS-Racisme avait, en 1989, condamnait « volonté de mettre l’islam au ghetto, les relents de racisme, la démission éducative… », avait regretté amèrement ces propos en 2015.

      [Mais voilà que maintenant, au bout de 35 ans, le piège se referme sur ces derniers: il faut être d’une malhonnêteté rare pour ne pas admettre que le kami et l’abaya sont des vêtements conformes à une prescription religieuse (“halal” ou conforme au sens du coran), mais cette dernière ne concerne pas du tout une très large majorité des français, et pour ce encore un bout de temps! Et surtout, ces vêtements sont surtout attentatoires à nos moeurs, école ou pas!!!!]

      Là, je ne vous suis pas. D’abord, si le qamis et l’abaya sont « conformes à une prescription religieuse » (celle de porter une « tenue modeste », c’est-à-dire, couvrant l’essentiel du corps et ne laissant pas deviner ses formes), c’est une « prescription religieuse » qu’on trouve dans la plupart des religions. C’est par exemple le cas dans le christianisme : « Je veux aussi que les femmes, vêtues d’une manière décente… » (I Timothée 2:9). La Torah est muette sur ce point, en dehors de l’interdiction du travestisme (Deutéronome 22:5, « Une femme ne portera point un habillement d’homme, et un homme ne mettra point des vêtements de femme; car quiconque fait ces choses est en abomination à l’Eternel, ton Dieu »), mais le Talmud aborde la question en détail, et vous pouvez voir dans les quartiers orthodoxes de Jérusalem mais aussi à Paris des femmes – et même des enfants – couvertes des pieds à la tête, sans révéler un centimètre carré de peau en dehors du visage. La question n’est donc pas la « conformité avec une prescription religieuse » : si on se met à interdire tout ce qui est conforme à une prescription religieuse, on n’a pas fini d’interdire. Pensez-vous qu’il faille interdire les repas végétariens, et rendre le porc obligatoire ?

      Je le répète : le problème du voile, du qamis ou de l’abaya n’est pas qu’ils sont « conformes à une prescription religieuse », mais que ce sont des outils pour maintenir les élèves issus d’une communauté séparés des autres, de les enfermer dans une appartenance communautaire, de les soustraire aux règles communes. Que cela soit fait au nom de la religion, de la culture, de la tradition m’est indifférent.

      [Pour ma part, je fais partie de ceux qui disent que la laïcité est un concept on ne peut plus français (le terme “sécularisation”, employé par ailleurs à l’étranger, est synonyme mais ne va pas aussi loin) et que dans le cadre de notre Nation, non seulement l’Etat et la République sont laïcs, mais nos moeurs également. J’ai même souvent l’habitude de dire que c’est parce nous sommes laïcs que l’Etat et la Nation le sont, et non l’inverse…]

      Tout à fait. La laïcité dans le sens où on l’entend en France est un concept issu de notre histoire, et n’existe pas dans les autres pays – d’où le fait qu’il n’existe pas de mot pour la désigner. Le problème est le même dans tous les pays : comment constituer un Etat dans lequel tous les groupes religieux soient à égalité, où aucun ne soit discriminé. Dans la plupart des pays, la réponse a été un Etat qui accueille toutes les religions – ce qui, au passage, exclut l’athéisme. Notre originalité, c’est d’avoir poussé le raisonnement jusqu’au bout en instituant l’idée que la religion est une opinion comme une autre, et que par conséquent l’Etat doit être indifférent.

      Mais vous avez raison sur un point important : la laïcité ne tombe pas du ciel en 1905. La loi de séparation consacre un très long processus, commencé sous l’ancien régime et auquel la Révolution a donné une nouvelle impulsion. Contrairement à d’autres cours européennes – pensez à la cour d’Autriche – la cour de France ne rejette pas les Lumières, au contraire. Voici ce que raconte Voltaire :

      « Un domestique de Louis XV me contait qu’un jour, le roi, son maître, soupant à Trianon en petite compagnie, la conversation roula d’abord sur la chasse, et ensuite sur la poudre à tirer. Quelqu’un dit que la meilleure poudre se faisait avec des parties égales de salpêtre, de soufre et de charbon. Le duc de La Vallière, mieux instruit, soutint que, pour faire de bonne poudre à canon, il fallait une seule partie de soufre et une de charbon sur cinq parties de salpêtre bien filtré, bien évaporé, bien cristallisé.
      Il est plaisant, dit M. le duc de Nivernais, que nous nous amusions tous les jours à tuer des perdrix dans le parc de Versailles, et quelquefois à tuer des hommes ou à nous faire tuer sur la frontière, sans savoir précisément avec quoi l’on tue.
      Hélas ! nous en sommes réduits là sur toutes les choses de ce monde, répondit Mme de Pompadour ; je ne sais de quoi est composé le rouge que je mets sur mes joues, et on m’embarrasserait fort si on me demandait comment on fait les bas de soie dont je suis chaussée.
      – C’est dommage, dit alors le duc de La Vallière, que Sa Majesté nous ait confisqué nos Dictionnaires encyclopédiques, qui nous ont coûté chacun cent pistoles ; nous y trouverions bientôt la décision de toutes nos questions.
      Le roi justifia sa confiscation ; il avait été averti que les vingt et un volumes in-folio, qu’on trouvait sur la toilette de toutes les dames, étaient la chose du monde la plus dangereuse pour le royaume de France, et il avait voulu savoir par lui-même si la chose était vraie, avant de permettre qu’on lût ce livre. Il envoya, sur la fin du souper, chercher un exemplaire par trois garçons de sa chambre, qui apportèrent chacun sept volumes avec bien de la peine. On vit à l’article POUDRE que le duc de La Vallière avait raison ; et bientôt Mme de Pompadour apprit la différence entre l’ancien rouge d’Espagne, dont les dames de Madrid coloraient leurs joues, et le rouge des dames de Paris. Elle sut que les dames grecques et romaines étaient peintes avec de la pourpre qui sortait du murex, et que, par conséquent, notre écarlate était la pourpre des anciens ; qu’il entrait plus de safran dans le rouge d’Espagne et plus de cochenille dans celui de France. Elle vit comme on lui faisait ses bas au métier, et la machine de cette manœuvre la ravit d’étonnement.
      – Ah ! le beau livre ! s’écria-t-elle. Sire, vous avez donc confisqué ce magasin de toutes les choses utiles, pour le posséder seul et pour être le seul savant de votre royaume.
      Chacun se jetait sur les volumes, comme les filles de Lycomède sur les bijoux d’Ulysse ; chacun y trouvait à l’instant tout ce qu’il cherchait. »

      L’anecdote a peut-être été embellie, mais c’est un fait que l’Encyclopédie a été publiée et diffusée sous la protection du bibliothécaire du Roi, Malesherbes, et malgré l’opposition frontale de l’église et l’activisme des jésuites, et qu’il était consulté y compris à la Cour, alors qu’il avait été mis à l’index par le pape Clément XIII, avec l’injonction « de brûler les exemplaires en leur possession » sous peine d’excommunication. Les débats révolutionnaires montrent que les élites françaises étaient déjà très largement « sécularisées » à la fin du XIXème siècle, au point de ne voir dans la religion qu’une pratique sociale et un instrument de contrôle politique. Pensez au « culte de l’être suprême » institué par Robespierre : on imagine mal une telle mesure prise au sein d’une élite qui croirait encore à l’enfer et au paradis… sans parler de Napoléon, dont les codes civil et pénal sont strictement laïques au sens français du terme.

      Oui, dans notre pays la laïcité n’est pas seulement une question juridique. Nous sommes un pays profondément laïque dans sa culture, dans ses institutions, dans sa vision de lui-même. C’est d’ailleurs pourquoi chaque empiètement de la religion dans la sphère publique provoque immédiatement une réaction. Défendre la laïcité, c’est aussi défendre notre culture.

      [C’est pourquoi, conformément à notre Constitution (“République une et indivisible”), il conviendrait de sanctionner beaucoup plus durement toute sédition contre nos lois écrites et surtout non écrites, et peu importe que la sédition soit musulmane (qui est la plus virulente…) ou gauchiste, libéral-libertaire ou nihiliste (“Black Block”, “Ecolo-Freak”, “Black Lies Matter”, “Comité Adama”, etc…).]

      La sanction effective n’est possible que sur le fondement d’une loi écrite. Pour les lois non-écrites, il y a la réprobation sociale. Mais sur le fond, je suis d’accord : sous prétexte « d’ouverture » ou de « respect des différences », on a toléré des choses qu’on aurait du rejeter collectivement sans ambiguïté. A ceux qui sont prompts à citer la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en défense des libertés individuelles, il faudrait rappeler l’article 7 : « tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. »

      [Enfin, à tous ceux qui crient à l’islamophobie, je tiens à rappeler une chose : nul n’est obligé à aimer quelque chose ou quelqu’un; cela fait partie de l’exercice de la liberté de conscience.]

      Tout à fait. Et cela s’étend à l’ensemble des « phobies ». On est tenu à une solidarité inconditionnelle envers ses concitoyens, on n’est pas obligé de les aimer ni même de les respecter. C’est d’ailleurs pourquoi on insiste sur le caractère « inconditionnel » de la solidarité en question.

      [Au final, à quelque chose, malheur est bon: cette nième histoire d’accoutrement islamique n’en finit pas de démontrer, pour ceux qui en doutaient encore, que leurs partisans sont bien les ennemis de la France en tant que nation, indépendamment de leurs origines. Il faudra bien s’en débarrasser un jour si le pays veut sortir de la spirale mortelle où il est entraîné…]

      Je n’aime pas cette idée de « se débarrasser » d’une partie de nos concitoyens. Je ne pense d’ailleurs pas que le problème tienne aux opinions des gens, mais plutôt à une idéologie dominante. Il est clair que cette idéologie ultra-individualiste poussée à l’extrémité de nier même l’historicité de cet individu est fondamentalement destructrice de toute structure collective, et notamment de la nation. Mais précisément pour cela, je pense que cette idéologie trouve ses limites, et commence à déclencher une réaction contraire. Même Mélenchon n’ose plus dire ce que la gauche avait dit après l’affaire de Creil…

      • Bob dit :

        @ CVT
        Merci pour cette très juste remise en perspective.
         
        @ Descartes
        “l’illusion qu’on pouvait fonder une société sur un mélange de cultures détachés des conditions historiques qui leur ont donné naissance pour fabriquer une sorte de syncrétisme culturel détaché sans contexte.”
        Que cela est parfaitement dit.
        Mais l’illusion n’est pas révelée à tous encore, il suffit de voir le nombre de politiciens qui nous bassinent encore avec les fumeux “vivre ensemble” ou “diversité”, voire nous disent que ce sont des “chances” pour la France.
        Dans ma société (anglo-saxonne), des “groupes” ont même été créés (LGBTQ+, j’oublie peut-être les dernières lettres…, Femmes (oui !)). Ce qui m’insupporte le plus, c’est que la “diversité” et le “inclusive company” nous sont présentés comme non-discutables, à promouvoir irrémédiablement, presque le Bien, alors que j’estime que ce sont des opinions auxquelles chacun est libre d’adhérer, ou pas.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Mais l’illusion n’est pas révelée à tous encore, il suffit de voir le nombre de politiciens qui nous bassinent encore avec les fumeux “vivre ensemble” ou “diversité”, voire nous disent que ce sont des “chances” pour la France.]

          Il y a là un grand abus. L’étranger ASSIMILE est une « chance » pour la France, parce qu’il apporte quelque chose d’original : il a sur sa société d’accueil un regard qui est à la fois intérieur et extérieur. Il sait qu’on peut faire les choses différemment, et en même temps aime comme on fait les choses chez nous. Et cela tend à faire de lui un patriote à la fois plus passionné et plus lucide…

          [Dans ma société (anglo-saxonne), des “groupes” ont même été créés (LGBTQ+, j’oublie peut-être les dernières lettres…, Femmes (oui !)). Ce qui m’insupporte le plus, c’est que la “diversité” et le “inclusive company” nous sont présentés comme non-discutables, à promouvoir irrémédiablement, presque le Bien, alors que j’estime que ce sont des opinions auxquelles chacun est libre d’adhérer, ou pas.]

          Ce qui est amusant dans notre société, c’est qu’alors que le mot « identitaire » sent le soufre, la société est obsédée a tous les niveaux par la question de l’identité. On nous explique pour justifier la parentalité homosexuelle que la filiation biologique n’a pas d’importance, que les « vrais » parents sont ceux qui vous élèvent, et à côté on crée une usine à gaz pour permettre aux enfants nés sous X ou bien du don de gamètes de retrouver leurs « vrais » parents. On affirme l’identité des droits et des possibilités quelque soit le sexe, la préférence sexuelle, et ensuite on regroupe les gens par sexe ou par préférence dans les « groupes » dont vous parlez… c’est quand même amusant, non ?

  3. Louis dit :

    Merci pour cet article. On se sent moins seul.
     
    Enseignant dans un petit lycée sans histoire – je veux dire : où le sang ne coule pas, où les parents ni les élèves ne menacent ni ne bastonnent les professeurs -, je ne m’en sens pas moins seul certains jours… A l’heure de la rentrée, j’ai la chance (et l’honneur) de trouver dans mes classes des élèves que je ne connais pas plus qu’ils ne me connaissent ; et puisque la première impression compte, c’est l’occasion d’une harangue (toutes proportions gardées) qui doit leur faire comprendre ce qu’on attend d’eux dans cette classe, ce qu’ils ont à faire, ce dont ils doivent se garder, entre autres choses. Bref, c’est le moment où jamais de servir l’Etat plus que ma petite discipline.
     
    Au fond, c’est l’une des choses que je trouve les plus grisantes dans ce métier : faire chaque année mieux, et mettre plus haut la barre. Exiger beaucoup de ses élèves, c’est exiger beaucoup de soi-même, quand bien même on finit toujours par trahir cette première impression, parce que nul n’est parfait, et qu’il faut du métier qu’on n’a pas quand on débute, pour connaître ses limites et s’y tenir, quand on ne peut plus les repousser.
     
    Vous savez que je partage bien des principes que vous défendez, et qu’un même amour pour notre pays nous oblige à faire chacun notre métier du mieux que nous le pouvons. A vous lire, quand bien même vous auriez des “engueulades homériques” avec vos supérieurs (au moins, vos supérieurs ne sont pas mous…), vous avez laissé entendre qu’un certain esprit de corps, une certaine idée de la noblesse de votre mission, vous unit à vos collègues. Je vous envie. A bien des égards, je me sens très proche de Nationaliste-ethniciste (que je salue ici pour la première fois : quels que soient nos désaccords, cher collègue, vous parlez souvent pour vous… mais aussi pour moi. Merci.), qui fait part de temps à autre de son désarroi, voire de sa solitude.
     
    Quels sont les collègues aux côtés desquels se battre ? Quels supérieurs pour nous épauler ou nous appuyer, sinon pour nous défendre ? Quels parents pour soutenir ? Qui ? Eh bien ce soir, vous. Vous n’êtes ni professeur, ni proviseur, recteur, ministre, ni même parent d’élève, que je sache, mais simple citoyen. Et je suis heureux de savoir qu’en dépit de tout, ce n’est peut-être pas en vain que je fais ce que je crois être mon devoir.
     
    Merci.

    • Descartes dit :

      @ Louis

      [Bref, c’est le moment où jamais de servir l’Etat plus que ma petite discipline.]

      Ah… si seulement plus d’enseignants se souvenaient comme vous qu’ils ne sont pas au service des élèves ou des parents, et encore moins d’une « connaissance » abstraite, mais qu’ils sont avant tout des serviteurs de l’Etat, c’est-à-dire, de la nation organisée… Je pense que votre choix est le bon, et qu’il vous donne une force, une autorité que vos collègues disons plus « anarchistes » n’ont pas.

      [Au fond, c’est l’une des choses que je trouve les plus grisantes dans ce métier : faire chaque année mieux, et mettre plus haut la barre. Exiger beaucoup de ses élèves, c’est exiger beaucoup de soi-même, quand bien même on finit toujours par trahir cette première impression, parce que nul n’est parfait, et qu’il faut du métier qu’on n’a pas quand on débute, pour connaître ses limites et s’y tenir, quand on ne peut plus les repousser.]

      Le métier d’enseignant a toujours une certaine « circularité » : l’enseignant vieillit, alors que les élèves ne vieillissent pas. Si l’on ne veut pas se répéter, il faut se fixer chaque année des objectifs nouveaux, de nouvelles cibles à atteindre. Mais vous avez raison, enseigner est un métier – un « art » au sens ancien du terme – qui s’apprend, comme tout autre métier. Et de la même manière qu’un pianiste de concert doit dominer la technique pour pouvoir se livrer à l’interprétation sans avoir à penser en permanence où il met les doigts, l’enseignant doit avoir acquis des réflexes pour pouvoir se concentrer sur des objectifs nouveaux…

      [Vous savez que je partage bien des principes que vous défendez, et qu’un même amour pour notre pays nous oblige à faire chacun notre métier du mieux que nous le pouvons. A vous lire, quand bien même vous auriez des “engueulades homériques” avec vos supérieurs (au moins, vos supérieurs ne sont pas mous…), vous avez laissé entendre qu’un certain esprit de corps, une certaine idée de la noblesse de votre mission, vous unit à vos collègues. Je vous envie.]

      Vous pouvez. Pour des raisons qui tiennent autant à l’histoire qu’au contexte, le milieu de l’énergie – et du nucléaire en particulier – où j’ai fait l’essentiel de ma carrière – reste un milieu très particulier. D’abord, c’est un milieu fortement méritocratique : la conscience du risque, les horizons temporels longs, le caractère vital pour le pays de la fourniture d’électricité font que les amateurs n’y ont pas leur place. Ensuite, c’est une communauté de travail très stable : on entre dans le nucléaire comme on rentre en religion, et on ne sort souvent que les pieds devant. Il est d’ailleurs drôle de voir comment cette communauté de travail formatte ceux qui viennent de l’extérieur : prenez un homme comme Henri Proglio, qui venait du privé et proclamait sa volonté de faire d’EDF « une entreprise comme les autres ». Il ne lui a pas fallu trois mois pour tomber sous le charme, et faire sienne la formule qui veut qu’EDF « soit la seule entreprise soviétique qui ait réussi ». D’ailleurs, à la fin de son mandat, il avait renoncé à en faire « une entreprise comme les autres » : c’est à lui qu’on doit la formule « EDF est un établissement public coté en bourse ». Et aujourd’hui, il voit l’ouverture de la concurrence et le démantèlement d’EDF comme une « catastrophe historique »…

      C’est aussi un milieu où les rapports sont « virils », et les chefs sont rarement des « mous »… ça a ses avantages mais aussi ses inconvénients : quelquefois la prise en compte de la dimension humaine manque, et on gère les gens comme des pièces métallurgiques. C’est l’un des rares métiers – avec les militaires – où l’on mute géographiquement les gens sans leur demander leur avis !

      [A bien des égards, je me sens très proche de Nationaliste-ethniciste (que je salue ici pour la première fois : quels que soient nos désaccords, cher collègue, vous parlez souvent pour vous… mais aussi pour moi. Merci.), qui fait part de temps à autre de son désarroi, voire de sa solitude.]

      Même si j’ai quelques désaccords profonds avec lui, je me sens proche de N-E au sens que je partage les mêmes inquiétudes, même si nous proposons des solutions différentes.

      [Quels sont les collègues aux côtés desquels se battre ? Quels supérieurs pour nous épauler ou nous appuyer, sinon pour nous défendre ? Quels parents pour soutenir ? Qui ? Eh bien ce soir, vous. Vous n’êtes ni professeur, ni proviseur, recteur, ministre, ni même parent d’élève, que je sache, mais simple citoyen.]

      Je suis ravi si mes textes – dans lesquels je ne suis pas toujours tendre envers la communauté enseignante – vous aident, si grâce à eux vous vous sentez un peu mieux défendu. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Malheureusement, la communauté enseignante est une communauté fragmentée, faite d’individualités qui défendent avec bec et ongles leur espace, mais qui ont souvent oublié – ou bien on ne leur a jamais expliqué – le sens collectif de leur activité.

      [Et je suis heureux de savoir qu’en dépit de tout, ce n’est peut-être pas en vain que je fais ce que je crois être mon devoir.]

      Je suis persuadé que vous le saviez avant de me lire… J’ai envie de vous retourner la citation d’un maréchal de Napoléon: “dans les temps troublés, la difficulté n’est pas de faire son devoir, mais de le connaître”. Et le simple fait de parler de “devoir”, d’être conscient qu’on en a un, c’est déjà précieux.

      • Louis dit :

        @ Descartes
         

        Ah… si seulement plus d’enseignants se souvenaient comme vous qu’ils ne sont pas au service des élèves ou des parents, et encore moins d’une « connaissance » abstraite, mais qu’ils sont avant tout des serviteurs de l’Etat, c’est-à-dire, de la nation organisée…

         
        Je vais vous faire une confidence, qui n’en est pas une. Mes parents étaient communistes. Quand je suis né, mon père était ouvrier, et ma mère, employée. Ils ont eu l’intelligence, eux qui n’avaient pas le baccalauréat, mais qui avaient su profiter de l’instruction des écoles du Parti (et d’une école bien meilleure qu’aujourd’hui), de faire des études pour devenir professeur, afin que leurs enfants ne soient pas enchaînés par leur naissance.
         
        Quelle que soit l’admiration que j’éprouve pour leurs efforts, ils eussent été vains, hors de France. Je dois à mon pays aussi bien qu’à mon père, comme aurait presque pu le dire Corneille. Je ne sais pas comment dire : je serais un moins que rien si je n’essayais pas de rendre ce qui m’a été donné. Je suis libre, heureux, mon travail me permet de vivre (et de faire vivre) et me rend quelquefois fier. Comment ne pas devoir quoi que ce soit à ceux qui me l’ont permis ?
         

        Et de la même manière qu’un pianiste de concert doit dominer la technique pour pouvoir se livrer à l’interprétation sans avoir à penser en permanence où il met les doigts, l’enseignant doit avoir acquis des réflexes pour pouvoir se concentrer sur des objectifs nouveaux…

         
        C’est vrai. Pour ma part, et de manière un peu égoïste, l’une des raisons qui m’a donné l’envie d’enseigner, c’était de savoir que je pourrais toujours autant lire (ça, et les vacances ! mais c’est un peu la même chose). Si je dis cela, c’est parce que je suis bien d’accord avec l’idée de “réflexes” : peut-être à tort, je crois que mon boulot consiste essentiellement à étudier pour instruire mes élèves, et ce qui se passe en classe – j’ai plusieurs décennies pour me détromper ou m’améliorer – est une affaire de métier, c’est-à-dire d’une improvisation contrôlée par l’expérience réfléchie. Pas d’une petit plan en x parties préparé la veille, avec des “activités” prévues, ou je ne sais quoi. Du coup, il faut avoir de bons réflexes, mais aussi de la matière ; et si les réflexes ne s’apprennent que sur le terrain, comme en sport, je préfère cent fois “improviser” pour me garder le temps de lire, et, quitte à “mal” répondre à mes élèves, répondre au moins quelque chose de juste.
         

        C’est aussi un milieu où les rapports sont « virils », et les chefs sont rarement des « mous »… ça a ses avantages mais aussi ses inconvénients : quelquefois la prise en compte de la dimension humaine manque, et on gère les gens comme des pièces métallurgiques. C’est l’un des rares métiers – avec les militaires – où l’on mute géographiquement les gens sans leur demander leur avis !

         
        Je vous avoue qu’avec l’exagération qu’entraîne la frustration, c’est parfois ce que je souhaite pour ma profession. Il me semble qu’il vous est arrivé de rapporter votre corps de métier à celui des moines. Je ne sais pas si vous plaisantiez, mais je plaisante à moitié quand je pense qu’il faudrait rapporter le mien à ceux qui consacrent leur vie à l’étude, au chant, à la prière, au mépris du monde.
         

        Je suis ravi si mes textes – dans lesquels je ne suis pas toujours tendre envers la communauté enseignante – vous aident, si grâce à eux vous vous sentez un peu mieux défendu. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Malheureusement, la communauté enseignante est une communauté fragmentée, faite d’individualités qui défendent avec bec et ongles leur espace, mais qui ont souvent oublié – ou bien on ne leur a jamais expliqué – le sens collectif de leur activité.

         
        C’est moins que je me sente défendu, mais entendu. Avec tout le respect que je vous dois, vous me défendriez mieux si vous pouviez rétrograder bon nombre de mes élèves au collège, sinon plus loin, et virer pour de bon certains de mes supérieurs ! Je vous sais gré de témoigner que ceux qui veulent servir leur pays en sachant que “la République une et indivisible, c’est notre royaume de France”, ne le font pas en vain. Je ne demande pas plus de la part de ceux qui m’entretiennent grâce à leurs impôts. C’est à mes supérieurs de me défendre, pas vous.
         
        Par ailleurs, vous avez raison sur la question de la “collectivité”, mais, si vous me permettez, votre constat est presque trop banal. Pour ma part, j’aimerais savoir qu’en tirer pour secouer mes collègues. Bien sûr, c’est au fond une question de classe, mais il n’empêche que, pour ma part, je ne saurais m’y résigner, d’autant plus qu’au fond, je suis un petit-bourgeois comme mes collègues.
         

        Je suis persuadé que vous le saviez avant de me lire…
         

        Certaines choses vont sans dire, mais vont mieux les ayant dites… On n’est jamais qu’un homme. Si seulement ce Parti, qui avait instruit deux de mes arrière-grands-pères, l’une de mes arrière-grand-mère, l’un de mes grands-pères, mes parents, n’avait pas succombé… En attendant, il faut bien faire ce qu’il faut, seul ou non, et remercier ceux qui soutiennent l’effort. Seulement, le soutien n’est pas le concours.

        • Descartes dit :

          @ Louis

          [Quelle que soit l’admiration que j’éprouve pour leurs efforts, ils eussent été vains, hors de France.]

          Nuançons le propos. Dans les pays « neufs » – comme les Etats-Unis, l’Argentine ou l’Australie – où les besoins de cadres était criant pour alimenter une croissance rapide, la promotion sociale par l’effort a été une réalité pendant des années. Aujourd’hui, avec une croissance faible, c’est de moins en moins le cas. En Europe, avec des sociétés aux structures plus anciennes, la promotion sociale par le mérite a toujours été plus difficile… et de ce point de vue, il y a une véritable singularité française.

          On pourrait rajouter un deuxième élément de singularité : en France, la promotion sociale est moins liée à l’argent qu’au mérite intellectuel. Les Etats-Unis ont une longue série de présidents et ministres milliardaires. Quand on compare à la fortune de notre personnel politique…

          [Je dois à mon pays aussi bien qu’à mon père, comme aurait presque pu le dire Corneille. Je ne sais pas comment dire : je serais un moins que rien si je n’essayais pas de rendre ce qui m’a été donné. Je suis libre, heureux, mon travail me permet de vivre (et de faire vivre) et me rend quelquefois fier. Comment ne pas devoir quoi que ce soit à ceux qui me l’ont permis ?]

          A cent pour cent d’accord avec vous. J’ai peut-être quelque mérite à être devenu ce que je suis, mais je dois beaucoup à mes professeurs, mes chefs, à ce pays qui m’a accueilli et traité comme l’un des siens. J’ajoute qu’être reconnaissant envers nos maîtres nous donne le droit de recevoir cette même reconnaissance de ceux que nous avons contribué à former. C’est pourquoi je suis triste de constater qu’avec l’idéologie de l’individu-île, on a privé nos jeunes de cette chaîne de reconnaissance, comme on les a privés de la chaîne de l’empathie.

          Je me souviens d’un dessin de Cabu qui m’avait beaucoup impressionné dans les années 1980. Dans le premier carré on voyait un jeune dessinant quelque chose sur une banderole, et dans le second un groupe de jeunes défilant avec la banderole où il était écrit « nous ». Dans le troisième carré, on voyait un jeune en train d’écrire quelque chose sur un carton, et dans le quatrième un jeune assis sur le trottoir avec un gobelet pour mettre des pièces et un carton où il est écrit « moi ». Les deux premiers carrés étaient préfacés « 1968 », les deux derniers « 1986 ».

          [Si je dis cela, c’est parce que je suis bien d’accord avec l’idée de “réflexes” : peut-être à tort, je crois que mon boulot consiste essentiellement à étudier pour instruire mes élèves, et ce qui se passe en classe – j’ai plusieurs décennies pour me détromper ou m’améliorer – est une affaire de métier, c’est-à-dire d’une improvisation contrôlée par l’expérience réfléchie.]

          Pas seulement. Vous instruire dans votre discipline, c’est bien. Mais la pédagogie, la didactique peuvent elles aussi s’apprendre. Lire Piaget, par exemple, pour comprendre comment les structures de la pensée se constituent n’est pas inutile. Les « réflexes », c’est surtout utile pour reconnaître dans une situation donnée une opportunité d’apprentissage. Mais il faut aussi du métier, et le métier ne s’apprend pas seulement par l’expérience.

          [Je vous avoue qu’avec l’exagération qu’entraîne la frustration, c’est parfois ce que je souhaite pour ma profession. Il me semble qu’il vous est arrivé de rapporter votre corps de métier à celui des moines. Je ne sais pas si vous plaisantiez, mais je plaisante à moitié quand je pense qu’il faudrait rapporter le mien à ceux qui consacrent leur vie à l’étude, au chant, à la prière, au mépris du monde.]

          Je plaisantais à peine. Mais si j’y voyais quelque chose de « monacal », ce serait plutôt proche de l’ordre des jésuites que de celui des chartreux. Il ne s’agit pas de mépriser le monde, mais de l’affronter avec un sens de la discipline et de l’esprit de corps.

          [Par ailleurs, vous avez raison sur la question de la “collectivité”, mais, si vous me permettez, votre constat est presque trop banal. Pour ma part, j’aimerais savoir qu’en tirer pour secouer mes collègues. Bien sûr, c’est au fond une question de classe, mais il n’empêche que, pour ma part, je ne saurais m’y résigner, d’autant plus qu’au fond, je suis un petit-bourgeois comme mes collègues.]

          Il ne faut surtout pas se résigner. Il ne nous appartient pas de savoir si la lutte que nous menons aboutira ou non. Seul le temps le dira. En attendant, il faut garder un optimisme méthodologique et tenter, tenter, tenter… déjà, si vous arriviez à faire réaliser à vos collègues que leurs difficultés personnelles sont liées à leur posture de classe, c’est déjà pas mal !

          • Louis dit :

            @Descartes
             

            Nuançons le propos. Dans les pays « neufs » – comme les Etats-Unis, l’Argentine ou l’Australie – où les besoins de cadres était criant pour alimenter une croissance rapide, la promotion sociale par l’effort a été une réalité pendant des années. Aujourd’hui, avec une croissance faible, c’est de moins en moins le cas. En Europe, avec des sociétés aux structures plus anciennes, la promotion sociale par le mérite a toujours été plus difficile… et de ce point de vue, il y a une véritable singularité française.

             
            Votre nuance est juste, mais je crois que vous avez saisi ce que je voulais dire : au Zimbabwe, les efforts de parents admirables ne trouvent pas dans la puissance publique le répondant qu’il faut pour qu’ils aboutissent.
             

            J’ajoute qu’être reconnaissant envers nos maîtres nous donne le droit de recevoir cette même reconnaissance de ceux que nous avons contribué à former.

             
            Tiens, je suis étonné par ce que vous dites. J’avoue ne pas voir pourquoi l’un entraînerait l’autre.
             

            Pas seulement. Vous instruire dans votre discipline, c’est bien. Mais la pédagogie, la didactique peuvent elles aussi s’apprendre. Lire Piaget, par exemple, pour comprendre comment les structures de la pensée se constituent n’est pas inutile. Les « réflexes », c’est surtout utile pour reconnaître dans une situation donnée une opportunité d’apprentissage. Mais il faut aussi du métier, et le métier ne s’apprend pas seulement par l’expérience.

             
            C’est parce que je ne me suis pas fait comprendre. Vous dites que ce “n’est pas inutile” : j’ajouterai que c’est nécessaire. Lorsque je parle de m’instruire, il ne s’agit pas seulement de lire tel ou tel philosophe. D’abord, parce que ce serait ennuyeux à la longue, et parce qu’il faut bien que je ne dis pas trop de bêtises en histoire, en littérature, en sciences… Quant à la pédagogie en particulier, vous prêchez un convaincu (et un lecteur de Piaget). C’est ce que j’entendais, sans que ce soit clairement dit, lorsque je parlais d’improvisation contrôlée par l’expérience réfléchie. Lorsque j’étais encore jeune et célibataire, j’avais même entamé une thèse sur la pédagogie de Durkheim… mais la vie m’a joué de jolis tours, et si je ne l’ai jamais menée à terme, je ne regrette rien.
             

            Il ne faut surtout pas se résigner. Il ne nous appartient pas de savoir si la lutte que nous menons aboutira ou non. Seul le temps le dira. En attendant, il faut garder un optimisme méthodologique et tenter, tenter, tenter…

             
            Vous avez mille fois raison. “C’est peut-être cette situation de désarroi et de détresse qui nous crée, plus impérieusement que jamais, le devoir de ne pas capituler. Il ne faut jamais capituler.”

            • Descartes dit :

              @ Louis

              [Votre nuance est juste, mais je crois que vous avez saisi ce que je voulais dire : au Zimbabwe, les efforts de parents admirables ne trouvent pas dans la puissance publique le répondant qu’il faut pour qu’ils aboutissent.]

              Non, je n’avais pas saisi mais je pense que vous avez tout à fait raison. Le système français était – et reste malgré tout – particulièrement « répondant » à l’effort. C’est vrai de l’école, mais aussi des Français en général. Manifestez votre volonté de vous assimiler, de travailler sérieusement, et vous trouverez toujours des gens prêts à vous soutenir, des institutions prêtes à vous aider. Je pourrais vous livrer des dizaines d’exemples personnels…

              [« J’ajoute qu’être reconnaissant envers nos maîtres nous donne le droit de recevoir cette même reconnaissance de ceux que nous avons contribué à former. » Tiens, je suis étonné par ce que vous dites. J’avoue ne pas voir pourquoi l’un entraînerait l’autre.]

              Ma formule n’était pas claire : plus que le « droit », j’aurais du parler de « légitimité ». De la même manière que le fait d’avoir payé la retraite de nos aînés lorsque nous travaillons nous rend légitimes à demander à la génération suivante de payer notre retraite quand nous quitterons la vie active, le fait de payer de reconnaissance nos maîtres nous rend légitimes à exiger la même reconnaissance de ceux que nous avons formés.

    • Carloman dit :

      @ Louis
       
      [A bien des égards, je me sens très proche de Nationaliste-ethniciste (que je salue ici pour la première fois : quels que soient nos désaccords, cher collègue, vous parlez souvent pour vous… mais aussi pour moi. Merci.)]
      Recevez en retour mes amicales salutations, cher monsieur.
       
      Carloman (ex “Nationaliste-ethniciste”)

      • Louis dit :

        @ Carloman
         
        Nous partageons, si je vous ai bien lu, le feu sacré comme les dures chaînes de la nécessité, qui nous obligent à nourrir la famille que nous avons fondée ; mais aussi la modestie de notre situation, malgré la grandeur de nos aspirations, au contraire de notre hôte, plus important que nous, qui n’en garde pas moins cette humilité propre à la camaraderie.
         
        Souvent je me suis senti seul, à batailler, avec mes maigres bras, pour des vétilles aux yeux de mes collègues, pour des principes désuets, pour l’honneur. Comme vous, je l’espère, la famille et les amis m’ont toujours été d’un précieux soutien, sinon d’un certain secours, mais hormis de mes proches, vers qui se tourner, pour échanger – pour échanger ! -, discuter, approfondir, se contredire, animés par le même feu, traversés par les mêmes angoisses ?
         
        Eh bien j’ose dire que faute de Parti, notre hôte ne s’est pas trop mal débrouillé, et qu’ici, moi qui n’avais que des rapports… incertains avec mes collègues, j’ai rencontré chez vous ce que j’aurais aimé trouver chez ceux avec lesquels je travaille tous les jours. Je vous renouvelle mes remerciements, monsieur. Toutes les dettes seront réglées.

  4. Geo dit :

     
    À Descartes:
     
    – Où sont tes parents, mon petit ?
    – Je n’en ai pas voulu, je suis né d’un double don de sperme et d’ovocytes que l’on m’a fait.
     
    Éric Chevillard

  5. François dit :

    Repose en paix Marcel. Tu étais le meilleur d’entre nous.

    • Descartes dit :

      @ François

      [Repose en paix Marcel. Tu étais le meilleur d’entre nous.]

      A quel “Marcel” faites-vous allusion ?

    • François dit :

      Cher Marcel,
      L’un des derniers des grands Hommes qui ont fait ce pays que tu étais, sinon le dernier, vient de s’éteindre. Ton engagement pour la Patrie commença en 1943, quand, refusant d’être enrôlé dans le STO, tu préféras rejoindre les FFL.
      La guerre terminée, après avoir été élève de Maurice Allais, tu rejoignis en 1949 le service public au sein de la nouvelle société Électricité de France, fruit du travail de nationalisation des entreprises de production, transport et distribution d’électricité entrepris par Marcel Paul. C’est au sein de la direction commerciale que tu réalisa ta première œuvre, la mise au point de la tarification au coût marginal de l’électricité.
       
      Tes talents reconnus, tu fus nommé directeur général d’EDF. À cette place tu réalisa ta seconde œuvre, ta plus grande, une qui fait que la France peut être fière d’elle même, la construction de ce qui est aujourd’hui encore le plus grand parc électronucléaire intégré au monde. Ton travail commença par le constat d’une impasse, celui de la difficulté de la filière électronucléaire Uranium Naturel Graphite Gaz à être économiquement viable. Aussi la commission PEON recommanda l’abandon de cette filière, qui pourtant devait faire la fierté nationale, pour opter la filière américaine à eau légère pressurisée. Mais ce qui fut un échec su être transformé en succès éclatant. Ainsi débutèrent les travaux des centres nucléaires de production d’électricité Fessenheim et du Bugey.
      Puis vint le choc pétrolier de 1973 avec ses dures conséquences contre des économies désormais bâties sur une énergie abondante et bon marché. Mais si l’on a pas de pétrole, on était encore une nation sûre de son génie pour affirmer que l’on a des idées. C’est ainsi, sous décision du premier ministre Pierre Messmer, que la nucléarisation du parc de production d’électricité fut amplifiée et accélérée. Dans ce que l’on peut sans crainte qualifier de l’un des plus grands chantiers de l’Humanité, il convient également de saluer le travail acharné de ton bras droit, un autre regretté grand serviteur de l’État, Michel Hug, directeur de l’équipement, pour rationaliser tel chantier, notamment en convainquant le gouvernement d’opter pour la seule licence de réacteur à eau pressurisée Westinghouse proposée par Framatome au lieu de partager la construction avec la licence de réacteur à eau bouillante General Electric proposée par la Compagnie Générale d’Électricité.
      Jusqu’à sept réacteurs électronucléaires sortirent de terre chaque année, et deux décennies après plus de 70% de l’électricité produite en France est désormais nucléaire, électricité bon marché pour ménages et entreprises. EDF, fière de son succès diffusait triomphalement des publicités télévisées où l’on mentionnait que les perceuses ne sont pas électriques, mais nucléaires. Plus que son pourtant glorieux passé de résistant Pierre Messmer, à la fin de sa vie déclara que sa plus grande fierté fut le plan qui porte son nom. Qu’il est loin ce temps où l’on n’avait pas le nucléaire honteux.
       
      Car le problème des ouvrages robustes, c’est que l’on croit qu’il sont immuables, négligeables. Les temps difficiles font les hommes forts, les hommes forts font les temps paisibles, les temps paisibles font les hommes faibles, les hommes faibles font les temps difficiles disait Ibn Khaldoun. À la génération de bâtisseurs dont tu faisait partie, vint celle des dilapideurs. Des politiciens oubliant le mot d’Isaac Newton selon lequel si l’on voit plus loin, c’est parce-que l’on est assis sur des épaules de géants, se crurent plus malin et négligèrent ton travail. Pire, au nom de considérations idéologiques abscons, ils ont attaqué tes deux œuvres, tarification de l’électricité et électricité nucléaire. Les récents évènements viennent de donner un cruel démenti à ces demi-habiles.
      Marcel, tu viens de nous quitter hier, en ayant eu je suppose sur tes derniers jours, la satisfaction douce-amer d’avoir eu raison contre les autres. Dans une période où le verbe l’emporte sur le faire, tu n’as eu droit pour hommage national, qu’à de simples brèves de presses. Mais sache que dans ton entreprise, dans ton industrie, nous ne t’oublierons pas.
      Mais ta réalisation, bien que gravement endommagée est encore là. Paraît-il que certains des mêmes demi-habiles, conscients de leur erreur se sont décidés de la réparer et la prolonger. À nous de le mettre en œuvre. Et en espérant également qu’un jour, avec l’autre Marcel, sans lequel rien n’aurait été possible, que tu reposes dans le lieu où, aux grands Hommes, la Patrie est reconnaissante.
       
      Suivons ta simple mais pertinente maxime, de plus en plus d’usages de l’électricité, de moins en moins d’électricité par usage. Repose en paix Marcel Boiteux.

      • Descartes dit :

        @ François

        [Cher Marcel, (…)]

        Merci d’avoir envoyé ce commentaire. Je n’avais pas eu l’information. J’ai eu le plaisir de connaître un peu Marcel Boiteux, je l’ai vu pour son 100ème anniversaire, toujours bon pied bon œil. J’étais aussi à l’hommage que lui a rendu EDF en donnant son nom au nouveau bâtiment de son centre de recherche.

        Comme tu le dis, c’est peut-être le dernier « grand commis de l’Etat » encore en vie. Apprécié et aimé par tous ceux qui ont travaillé avec lui, respecté même par ses adversaires, c’est un de ces héros très discret, absolument inadapté au monde médiatique qui est le nôtre, où à la question « être ou ne pas être » la plupart des dirigeants répondent « paraître ». Sa mort n’a d’ailleurs donné lieu à aucun commentaire sur les télés, aucune réaction des princes qui nous gouvernent – ou qui aspirent à nous gouverner. Peu probable qu’il ait droit à l’hommage national aux Invalides – n’est pas Johnny qui veut – et quant à une éventuelle panthéonisation, on peut toujours attendre. Il lui faudra se contenter de l’hommage de ses collègues, et de celui de l’entreprise publique qu’il a tant contribué à construire. Je suis persuadé qu’il s’en contentera…

      • Tristesse en apprenant la mort de M. Boiteux, émotion en lisant votre texte ; soyez remercié de cet hommage.
        Je ne sais pas si P. Messmer aurait cité en premier la Résistance ou Bir-Hakeim ?
        Un premier ministre ancien lieutenant de la Légion … ce serait peut-être utile en ce moment !

  6. cdg dit :

    Tout a fait d accord avec le texte. Mais si ca ne suffira pas a enrayer le declin de l education nationale, il est sain de rappeler l objectif et les moyens a utiliser
    Apres j emettrai 2 bemols. L auteur ayant approxmativement mon age, il a du frequenter des ecoles ou les filles et garcons etaient separés (c etait mon cas au CP en 1973). Aujour dhui on fait une fixation sur la mixité mais ca n etait pas applique en france il y a pas si longtemps
    Quant a l argument des candidats ne portant pas de tenues “exotiques” a l entretien d’embauche, vous avez probablement un bias. Vous ne recevez que des gens ayant fait des etudes et qui cherchent du travail. Autrement dit des gens eduqués qui veulent s integrer (au moins professionnellement) mais pas de femme qui va vivre d allocation (type Leonarda) ou d homme sans diplome qui vit de travail au noir ou d activités pas tres legales

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Apres j’émettrai 2 bémols. L’auteur ayant approximativement mon âge, il a dû fréquenter des écoles ou les filles et garçons étaient séparés (c’était mon cas au CP en 1973). Aujourd’hui on fait une fixation sur la mixité mais ça n’était pas applique en France il y a pas si longtemps]

      Nous avons des âges proches, mais je n’ai fait qu’une partie de ma scolarité secondaire en France, et lorsque je suis arrivé la mixité était déjà une affaire réglée, qui n’intéressait plus personne. J’ajoute que la mixité s’est faite contre les spécialistes, qui ont toujours pointé le fait que le développement des jeunes filles et des jeunes garçons ne se fait pas à la même vitesse, et que la mixité privilégiait donc automatiquement le développement intellectuel des filles. Mais mon point était que certaines règles sont contingentes et tiennent à l’histoire du pays.

      [Quant à l’argument des candidats ne portant pas de tenues “exotiques” à l’entretien d’embauche, vous avez probablement un biais. Vous ne recevez que des gens ayant fait des études et qui cherchent du travail. Autrement dit des gens éduqués qui veulent s’intégrer (au moins professionnellement) mais pas de femme qui va vivre d’allocation]

      Pour ce qui concerne les « études », le biais n’est pas si évident que ça. Par intérêt, j’ai fait passer autant des entretiens pour embaucher des ingénieurs que des soudeurs ou des robinetiers niveau CAP. Mais il est vrai qu’il y a un biais concernant la volonté d’intégration professionnelle. Il ne reste pas moins que lorsqu’on veut trouver du boulot, on n’hésite pas à laisser abayas et qamis à la porte de l’entreprise. Et je persiste à croire que l’immense majorité des jeunes des quartiers aspire quand même à avoir un boulot et un salaire.

  7. Robert Val dit :

     

    L’abaya et le qamis aujourd’hui, comme le voile hier, est le faux nez « religieux » derrière lequel se cache la question communautaire.

    Si je ne devais garder qu’une seule phrase de votre texte, ce serait celle-là.
    Les diverses tenues vestimentaires, communautaires ou non, ne me dérangent nullement, sauf si elles heurtent la décence ou font l’apologie d’une idéologie totalitaire.
    Êtes vous choqué par des tenues amples qui dissimulent les organes génitaux ? Il me semble que cela va au contraire dans le sens de cette négation du sexe à la mode et son corollaire, qui permet de changer de “genre” aussi facilement que de chemise.
    L’islam est-il une idéologie totalitaire ? Si oui, démontrons-le et bannissons-le de notre sol.
    Si je comprends tout à fait que certaines professions, comme les militaires, doivent revêtir une tenue réglementaire, je ne vois pas pourquoi cela devrait s’appliquer aux élèves ou enseignants.
    Quant à vouloir effacer de l’espace public les signes religieux, non seulement cela s’oppose aux véritables principes de la laïcité, mais cela aboutit à des absurdités comme l’interdiction des crèches dans les mairies ou la démolition de calvaires dans les chemins les plus reculés de nos campagnes.
    Faut-il brûler les livres de Descartes et de Pascal parce qu’ils ont accessoirement fait référence à Dieu ? Doit-on organiser l’autodafé des œuvres de Céline au prétexte qu’il ne penserait pas bien ? Mais qui pense, au juste, avec la certitude de détenir la Vérité ? Qui donc possède la transcendance permettant de définir la pensée obligatoire ?
    De même pour les films de Polanski, sauf que dans ce dernier cas, c’est l’hommage que lui rendent certains qui est plus que critiquable.
    Mais alors qu’est-ce qui pose problème ?
    L’instrumentalisation qu’en font les islamistes radicaux, aussi bien que les gauchistes, avec toutes les arrières-pensées qui les animent, ce que je ne développerait pas car il y aurait beaucoup trop à dire.
    Et qui tire profit de cet ostracisme qui affecte en l’occurrence les musulmans ?
    Les ennemis des Arabes, notamment sur la scène internationale, et les barons de la Macronie, trop heureux d’occulter l’océan de difficultés dans lequel ils nous ont plongés et dont nous ne sommes pas près de sortir.
    Là non plus, il n’est pas utile de s’étendre, vous en goûtez les effets tout autant que moi.

    • Descartes dit :

      @ Robert Val

      [« L’abaya et le qamis aujourd’hui, comme le voile hier, est le faux nez « religieux » derrière lequel se cache la question communautaire » Si je ne devais garder qu’une seule phrase de votre texte, ce serait celle-là.]

      C’est en effet celle qui résume peut-être le mieux ma position.

      [Les diverses tenues vestimentaires, communautaires ou non, ne me dérangent nullement, sauf si elles heurtent la décence ou font l’apologie d’une idéologie totalitaire.]

      Vous noterez que toute religion est par essence « totalitaire », puisqu’elle nie la séparation de la sphère privée et de la sphère publique, et prétend donc réguler l’intégralité des actes du fidèle, qu’ils aient un caractère privé ou un caractère public.

      Votre affirmation pose plusieurs problèmes. D’abord, c’est quoi la « décence » ? Et surtout, la « décence » de qui ? Une juive ou musulmane religieuse vous dira que toute tenue qui ne cache pas les formes du corps et les cheveux lui semble « indécente ». Pourquoi son opinion vaudrait moins que la vôtre ? Pour répondre à cette question, vous êtes obligé d’établir une hiérarchie des « décences », ce qui est périlleux ; ou bien faire appel à une « décence communément acceptée » et donc de revenir à une histoire. Car en dehors de l’histoire, vous trouverez peu de justifications au fait que le jean est « décent » pour une femme en France et « indécent » en Arabie Saoudite.

      Ensuite, vous parlez d’une tenue qui pourrait « faire l’apologie » d’une idéologie déterminée. Comme une tenue n’a pas de volonté propre, une telle « apologie » ne peut venir que de celui qui la porte, autrement dit, vous faites de la tenue un langage. Maintenant, est-ce que les seules expressions à censurer sont celles qui « font l’apologie d’une idéologie totalitaire » ? Je ne le pense pas. A l’école, les enseignants censurent bien d’autres expressions. Cela est inévitable si l’on veut enseigner une forme de politesse minimale. Un enfant qui répondrait à toute tentative de contact « je ne parle qu’à ceux de ma communauté/religion/classe sociale » se ferait reprendre. Pourquoi alors celui qui dirait la même chose à travers la tenue ne le serait pas ?

      [Êtes-vous choqué par des tenues amples qui dissimulent les organes génitaux ? Il me semble que cela va au contraire dans le sens de cette négation du sexe à la mode et son corollaire, qui permet de changer de “genre” aussi facilement que de chemise.]

      Encore une fois, le choix vestimentaire est un langage. Je ne suis pas choqué de voir dans des films des africains se baladant nus dans leurs villages, je serais probablement choqué de voir la même chose à Paris. Pourquoi ? Parce que une tenue n’exprime pas la même chose selon le contexte, de la même manière qu’un mot n’exprime pas la même chose selon la phrase où il est inséré.

      Dans NOTRE culture, on montre certaines choses et on cache d’autres. Ce n’est pas que notre culture soit pire ou meilleure que d’autres, mais c’est la NOTRE. Si les Saoudiens veulent se promener en abaya et qamis, c’est leur droit. Mais chez NOUS, ces tenues ont une signification : « je ne veux pas me mélanger avec vous ». C’est ça le point ici.

      [L’islam est-il une idéologie totalitaire ? Si oui, démontrons-le et bannissons-le de notre sol.]

      Dans ce cas, il faudrait bannir le christianisme et le judaïsme, qui sont tout aussi « totalitaires ». Ca va en faire du monde à bannir…

      [Si je comprends tout à fait que certaines professions, comme les militaires, doivent revêtir une tenue réglementaire, je ne vois pas pourquoi cela devrait s’appliquer aux élèves ou enseignants.]

      Ca se discute. L’uniforme sert à gommer les différences, à marquer que l’appartenance à un corps, et à renforcer l’idée que l’individu s’efface derrière l’institution à laquelle il appartient (notez la forme possessive de cette expression). Et les militaires ne sont pas les seuls à utiliser ce recours : allez à un McDonalds aux Etats-Unis (ça commence en France aussi), et vous verrez les employés revêtir la tenue maison.

      Faut-il imposer une tenue uniforme aux élèves ? Cela dépend encore une fois de la conception qu’on a de l’école. Si l’on est dans une école individualiste, où le maître est censé enseigner non pas à une classe mais à chaque élève en particulier dans un rapport personnalisé, la réponse est négative. Mais je ne suis pas persuadé que ce soit là le meilleur modèle pour l’école. Je préfère personnellement le modèle collectif, où l’interaction n’est pas seulement celle entre le professeur et l’élève, mais où l’interaction des élèves entre eux joue aussi un rôle pédagogique. Et dans cette logique, tout ce qui empêche ce type d’interaction doit être banni. L’uniforme a, dans cette conception, toute sa place.

      Reste la question de l’uniforme des professeurs. J’y suis personnellement très favorable. Cela permettrait de consacrer le fait que l’enseignant n’est pas seul devant sa classe – ou devant le parent d’élèves – mais qu’il est le membre d’un corps et le représentant d’une institution. Il faut dire que cet « uniforme » a existé dans le passé, et que cela n’a jamais posé aucun problème.

      [Quant à vouloir effacer de l’espace public les signes religieux, non seulement cela s’oppose aux véritables principes de la laïcité, mais cela aboutit à des absurdités comme l’interdiction des crèches dans les mairies ou la démolition de calvaires dans les chemins les plus reculés de nos campagnes.]

      Encore une fois, ce n’est pas l’objet qui pose problème, mais le SENS qu’on lui donne. Les croix qui trônent en haut des bâtiments historiques ont perdu en général tout sens religieux. Les Invalides ou le château de Versailles ont beau avoir des chapelles surmontées par des croix, tout le monde – clergé catholique compris – sait qu’il s’agit de bâtiments civils. Si ces croix devenaient demain le symbole d’une campagne de reconquête de la sphère publique par le clergé, alors il faudrait les abattre. Mais le faire aujourd’hui, alors que leur sens est au mieux de rappeler une histoire, au pire purement décoratif, n’aurait aucun sens.

      C’est pour cela que des déprédations et vexations qui paraissaient justifiées en 1789 ou en 1905, quand il s’agissait de chasser le religieux de la sphère publique – à ne pas confondre avec l’espace public – ne le sont plus aujourd’hui. En 1905, enlever les tableaux religieux des tribunaux était un acte qui avait un sens, celui de bien marquer que les tribunaux ne jugeaient pas sous l’empire des lois de l’église. Le faire aujourd’hui, alors que la séparation est actée dans la tête de tous et que la symbolique même de ces tableaux est devenue obscure pour la plupart des juges et des justiciables, c’est une bêtise.

      La question n’est donc pas les « signes religieux », mais le sens qu’on leur donne. Dans un contexte où ces signes ne disent rien d’autre que l’adhésion à une croyance, cela ne pose aucun problème. Cela ne me dérange nullement que ma voisine me dise « je suis musulmane » ou « je suis juive ». Mais lorsque ces signes servent au contraire à établir une séparation politique, sociale, économique, alors ils posent problème.

      [Faut-il brûler les livres de Descartes et de Pascal parce qu’ils ont accessoirement fait référence à Dieu ?]

      L’exemple est mal choisi, parce que si Descartes mentionne Dieu, c’est pour se couvrir et pour mieux le déboulonner. Si quelqu’un devait brûler les livres de Descartes, ce seraient plutôt les églises, qui d’ailleurs ont essayé de le faire pendant de longues années !

      [Doit-on organiser l’autodafé des œuvres de Céline au prétexte qu’il ne penserait pas bien ? Mais qui pense, au juste, avec la certitude de détenir la Vérité ? Qui donc possède la transcendance permettant de définir la pensée obligatoire ?]

      Personne. Et c’est pourquoi dans notre droit on n’interdit pas de publier des choses parce qu’elles sont « fausses », mais seulement lorsqu’elles constituent une menace à l’ordre public. Pendant les années qui ont suivi 1945, et alors que la réhabilitation du pétainisme et du nazisme était un enjeu, la publication des pamphlets antisémites de Céline était contraire à l’ordre public. Aujourd’hui, alors que l’antisémitisme nazi et ses conséquences font l’objet d’un consensus écrasant, la publication de l’œuvre de Céline ne pose plus aucun problème. Vous noterez que la loi Gayssot, qui interdit la négation des crimes contre l’humanité, ne prend aucune position sur le fait que ces crimes soient ou non réels. Son but n’est pas la recherche de la « vérité », mais la défense de l’ordre public.

      [De même pour les films de Polanski, sauf que dans ce dernier cas, c’est l’hommage que lui rendent certains qui est plus que critiquable.]

      Là, je ne comprends pas votre raisonnement. Quel rapport avec la laïcité ?

      Roman Polanski est un immense cinéaste, de la même manière que Jean Genet était un grand écrivain. Curieusement, le fait que le premier ait couché avec une fille mineure – qui lui a depuis bien longtemps pardonné – le rend infréquentable, alors que le personnage de Genet, délinquant et toxicomane, en a fait la coqueluche des intellectuels parisiens précisément pour ces raisons. C’est une question de modes : Genet a eu la chance de vivre une époque ou les intellectuels aimaient s’encanailler et où le délinquant était une pauvre victime de la société, alors que Polanski prend de plein fouet le néo-victorianisme ambiant.

      [Mais alors qu’est-ce qui pose problème ? L’instrumentalisation qu’en font les islamistes radicaux, aussi bien que les gauchistes, avec toutes les arrière-pensées qui les animent, ce que je ne développerais pas car il y aurait beaucoup trop à dire.]

      C’est un peu rapide. Pour qu’il y ait « instrumentalisation », il faut qu’il y ait quelque chose à instrumentaliser. Je pense que vous faites erreur en séparant des « méchants » islamistes et gauchistes d’une masse sans volonté. Le sentiment communautariste existe, indépendamment des gauchistes et des islamistes – même si ceux-ci l’exacerbent pour leurs propres objectifs. Ce sentiment est d’ailleurs naturel : il est toujours plus simple, plus rassurant de se retrouver avec des gens qui vous ressemblent, de se soumettre aux règles qui vous sont familières. La citoyenneté, c’est une aventure, celle qui consiste à se frotter à des gens différents de soi. Et on sait que les esprits aventureux sont, dans les communautés humaines, minoritaires. C’est pourquoi, pour créer la citoyenneté, on ne peut se limiter à laisser faire la volonté des gens, il faut des dispositifs obligatoires qui les forcent au brassage : l’école et l’armée ont été les deux plus remarquables. Le problème n’est pas tant l’action des gauchistes ou des islamistes : ce type d’activisme a toujours existé. Le problème, c’est que leur exacerbation du sentiment communautariste n’est pas compensée par une politique active de brassage et d’assimilation.

      [Et qui tire profit de cet ostracisme qui affecte en l’occurrence les musulmans ?]

      Mais de quel « ostracisme » on parle ? Aucun « ostracisme » n’affecte les « musulmans ». Lorsque vous allez à la mairie, à l’école, au travail, personne ne vous demande votre religion (contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, par exemple). Le professeur qui enseigne à vos enfants, le fonctionnaire qui vous accueille en mairie, l’employeur qui vous embauche ne connaît votre religion que si vous la lui dites. Autrement dit, si vous ne voulez pas être « ostracisé », la solution est très simple : vous gardez votre religion dans la sphère privée, et puis c’est tout. Ce n’est que si vous portez votre religion en bandoulière que vous risquez d’être « ostracisé ». Et cela ne touche pas que les musulmans. La kipa vous expose à bien pire… surtout dans un quartier à majorité maghrébine !

      C’est là le paradoxe communautariste: vous faites tout pour vous séparer de la majorité, pour marquer votre différence et votre appartenance communautaire, et ensuite vous vous plaignez d’être “ostracisé”. Alors qu’en fait, vous vous “ostracisez” vous-même.

      • Patriote Albert dit :

        [C’est là le paradoxe communautariste: vous faites tout pour vous séparer de la majorité, pour marquer votre différence et votre appartenance communautaire, et ensuite vous vous plaignez d’être “ostracisé”. Alors qu’en fait, vous vous “ostracisez” vous-même.]
         
        Je ne résiste pas à l’envie de rappeler que cette position était en 2010 celle d’un certain… Jean-Luc Mélenchon, qui déclarait alors à Marianne : “En ce moment, on a le sentiment que les gens vont au-devant des stigmatisations : ils se stigmatisent eux-mêmes — car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate — et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes.”
        O tempora…

        • Descartes dit :

          @ Patriote Albert

          [Je ne résiste pas à l’envie de rappeler que cette position était en 2010 celle d’un certain… Jean-Luc Mélenchon, qui déclarait alors à Marianne : “En ce moment, on a le sentiment que les gens vont au-devant des stigmatisations : ils se stigmatisent eux-mêmes — car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate — et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes.”
          O tempora…]

          Eh oui… je vous conseille aussi la lecture du discours que le passionné et passionnant sénateur Mélenchon prononça en séance pour manifester son enthousiasme pour le traité de Maastricht. « Souvent Mélenchon varie, bien fol qui s’y fie », aurait dit un roi de France… ou bien comme aimait à dire un grand patron de presse à ses journalistes, « souvenez-vous toujours que le lecteur ne relit jamais le journal de la veille ».

      • Robert Val dit :

         

        Vous noterez que toute religion est par essence « totalitaire », puisqu’elle nie la séparation de la sphère privée et de la sphère publique, et prétend donc réguler l’intégralité des actes du fidèle, qu’ils aient un caractère privé ou un caractère public.

        Je ne suis guère sensible aux arguties et je ne vois pas en quoi la manifestation de sa foi en France aujourd’hui, quelle que soit la religion, serait totalitaire. La République, qui nous a imposé récemment une politique sanitaire absurde et totalement disproportionnée, l’est bien davantage.

        D’abord, c’est quoi la « décence » ?

        C’est ce qui est communément admis par un peuple, une communauté de destin. La nudité dans nos rues me choquerait, des femmes en abaya, non.
        D’ailleurs, si j’avais dû vivre dans un pays africain, j’aurais continué à me vêtir à l’occidentale et si cela avait heurté les pisse-vinaigre indigènes, je ne serais pas resté. Je pense que notre civilisation, quoique très affaiblie, est encore suffisamment solide pour ne pas trembler devant un voile ou un burkini.
        Bien entendu, étant donné les tensions communautaires actuelles en France, si j’étais musulman, j’éviterais toute provocation, mais je pense que c’est ce que font la majorité des musulmans. Ceux qui provoquent le font à dessin, or toutes ces lois qui ciblent essentiellement, disons le mot, les Arabes, ne font qu’apporter de l’eau à leur moulin.
        L’assimilation, qui devrait être la règle, n’est pas incompatible avec le désir de garder ses coutumes ou la volonté de perpétuer sa culture : c’est tout de même dingue cette manie de tout vouloir réglementer, jusqu’aux dimensions des cages à poules !

        Et les militaires ne sont pas les seuls à utiliser ce recours : allez à un McDonalds aux Etats-Unis (ça commence en France aussi), et vous verrez les employés revêtir la tenue maison.

        Mon banquier aussi a un costume cravate, mais ce que je lui demande c’est de préserver mon capital, ce qu’il ne fait absolument pas.

        Vous noterez que la loi Gayssot, qui interdit la négation des crimes contre l’humanité, ne prend aucune position sur le fait que ces crimes soient ou non réels. Son but n’est pas la recherche de la « vérité », mais la défense de l’ordre public.

        Pour moi, c’est l’exemple même de la dérive de la loi, qui ne dit plus le droit, mais la morale.

        Roman Polanski est un immense cinéaste,

        Dont la réputation est à mon avis surfaite, mais ce n’est pas le propos, prenez plaisir à regarder ses films, mais n’érigez pas sa statue sur un piédestal. Quant au pardon de la victime, vous savez très bien que cela faisait partie de l’arrangement financier. Victime qui était loin d’être unique.

        Mais de quel « ostracisme » on parle ? Aucun « ostracisme » n’affecte les « musulmans ».

        Exemple : je suis une fille typée, d’origine marocaine ou autre, je me présente en abaya devant mon lycée et me fais refouler. Si je suis une fille au teint de lait vêtue d’une robe longue présentant de grandes similitudes avec une abaya, cela passe crème : pourquoi ?
        Si ce n’est pas un délit de faciès, de quoi s’agit-il ?
        Ce décret est totalement contre productif parce qu’il est inapplicable, pour cette raison et aussi parce que, l’école étant obligatoire, aucun.e élève ne pourra être exclu.e.
         

        • Descartes dit :

          @ Robert Val

          [« Vous noterez que toute religion est par essence « totalitaire », puisqu’elle nie la séparation de la sphère privée et de la sphère publique, et prétend donc réguler l’intégralité des actes du fidèle, qu’ils aient un caractère privé ou un caractère public. » Je ne suis guère sensible aux arguties et je ne vois pas en quoi la manifestation de sa foi en France aujourd’hui, quelle que soit la religion, serait totalitaire.]

          Je ne vois pas de quelle « argutie » parlez-vous. Dans votre commentaire, vous aviez mentionné le fait de « faire l’apologie d’une idéologie totalitaire ». Je vous ai simplement fait remarquer que les religions – du moins les religions abrahamiques – sont par nature « totalitaires », au sens le plus stricte du terme. Je vous rappelle que « totalitaire » n’est pas synonyme de « méchant ». Une idéologie « totalitaire » est une idéologie qui prétend normer la « totalité » de la vie des individus, en effaçant donc la distinction entre la sphère privée et la sphère publique. Les catholicisme, le judaïsme et l’islam prétendent réguler l’ensemble des comportements du fidèle, y compris les plus intimes. En ce sens, ce sont des idéologies « totalitaires ». Et le fait de proclamer votre adhésion à ces théories peut être considéré comme « l’apologie d’une idéologie totalitaire ».

          [La République, qui nous a imposé récemment une politique sanitaire absurde et totalement disproportionnée, l’est bien davantage.]

          Je vois mal en quoi la politique sanitaire « imposé » pendant l’épidémie liée au COVID – c’est à cela que vous faites référence, j’imagine – aurait été « totalitaire ». Je ne me souviens pas qu’on ait cherché à réglementer les comportements dans la sphère privée. Pourriez-vous donner quelques exemples ?

          [« D’abord, c’est quoi la « décence » ? » C’est ce qui est communément admis par un peuple, une communauté de destin. La nudité dans nos rues me choquerait, des femmes en abaya, non.]

          Mais ce qui VOUS choquerait n’est pas nécessairement ce qui est « communément admis ». Moi, par exemple, une femme en abaya me choque. Alors, qu’est ce qui vous permet de qualifier l’abaya de « tenue décente » ?

          [D’ailleurs, si j’avais dû vivre dans un pays africain, j’aurais continué à me vêtir à l’occidentale et si cela avait heurté les pisse-vinaigre indigènes, je ne serais pas resté.]

          Vous voulez dire que les jeunes filles qui portent l’abaya devraient rentrer dans leur pays, puisque cela semble heurter « les pisse-vinaigre indigènes » ? Ici, vous semblez adhérer à l’idée qu’en Afrique, lorsqu’un étranger heurte par ses pratiques « les pisse vinaigre indigènes » il a le choix entre changer ses mœurs ou partir. Pourquoi ce sage principe ne serait pas applicable chez nous ?

          [Je pense que notre civilisation, quoique très affaiblie, est encore suffisamment solide pour ne pas trembler devant un voile ou un burkini.]

          Et bien, je ne partage pas votre optimisme. Parce que, dans ces affaires, il n’y a que le premier pas qui coûte. Aujourd’hui c’est le voile, demain le burkini, après-demain l’abaya, et sans s’en apercevoir on se retrouvera avec des tribunaux islamiques et la charia obligatoire dans certains quartiers. Pourquoi leur refuser cela, alors qu’on aura consenti à tout le reste ? C’est d’ailleurs ce qui est en train d’arriver…

          [Bien entendu, étant donné les tensions communautaires actuelles en France, si j’étais musulman, j’éviterais toute provocation,]

          Pourquoi ? Après tout, si chaque « provocation » aboutit à une concession, pourquoi vous priver ? Vous l’avez dit vous-même…

          [Ceux qui provoquent le font à dessin, or toutes ces lois qui ciblent essentiellement, disons le mot, les Arabes, ne font qu’apporter de l’eau à leur moulin.]

          Je ne vois pas en quoi cela « cible les arabes ». Vous venez de m’expliquer que la majorité des musulmans français s’abstiennent de toute provocation. Ils ne portent donc pas l’abaya ou le quamis, pas plus que le voile ou le burkini. En quoi les lois en question changent quelque chose pour eux ?

          On ne peut soutenir tout et son contraire. Si seule une minorité se livre à des provocations, alors pour la grande majorité des musulmans vivant sur notre sol les lois interdisant voiles, abayas et burkinis ne changent rien. Si vous soutenez que les lois « ciblent les arabes », alors il vous faut admettre qu’une majorité parmi eux se livrent aux actes que la loi interdit.

          [L’assimilation, qui devrait être la règle, n’est pas incompatible avec le désir de garder ses coutumes ou la volonté de perpétuer sa culture :]

          Cela dépend de ce que vous appelez « garder ses coutumes » et « perpétuer sa culture ». Si par là vous entendez continuer à cuisiner les plats typiques et parler à la maison la langue maternelle, oui. Mais si par « garder ses coutumes » vous entendez perpétuer des comportements contraires à la sociabilité française ou aux lois françaises, la réponse est « non ».

          [c’est tout de même dingue cette manie de tout vouloir réglementer, jusqu’aux dimensions des cages à poules !]

          « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère ».

          [« Et les militaires ne sont pas les seuls à utiliser ce recours : allez à un McDonalds aux Etats-Unis (ça commence en France aussi), et vous verrez les employés revêtir la tenue maison. » Mon banquier aussi a un costume cravate,]

          Je ne vois pas le rapport. Son costume cravate ne l’identifie pas comme un employé de sa banque, pas plus qu’il ne le distingue comme un membre de la profession de banquier. Il porte le même costume que peut porter un agent immobilier, un professeur d’université, un fonctionnaire, un vendeur d’encyclopédies au porte-à-porte.

          [mais ce que je lui demande c’est de préserver mon capital, ce qu’il ne fait absolument pas.]

          Vous lui demandez à lui, personnellement ? Ou bien vous le demandez à travers lui à la banque, comme institution ? Si demain votre capital disparaît, lui ferez-vous un procès personnellement, ou porterez-vous plainte contre la banque ?

          [« Vous noterez que la loi Gayssot, qui interdit la négation des crimes contre l’humanité, ne prend aucune position sur le fait que ces crimes soient ou non réels. Son but n’est pas la recherche de la « vérité », mais la défense de l’ordre public. » Pour moi, c’est l’exemple même de la dérive de la loi, qui ne dit plus le droit, mais la morale.]

          Je ne vois pas en quoi elle dirait la « morale ». Pourriez-vous argumenter le point ?

          [« Roman Polanski est un immense cinéaste, » Dont la réputation est à mon avis surfaite, mais ce n’est pas le propos, prenez plaisir à regarder ses films, mais n’érigez pas sa statue sur un piédestal.]

          Mais qui parle d’ériger sa statue sur un piédestal ? Que je sache, ce qui a été trouvé insupportable par certains est que ses films soient projetés et récompensés, pas qu’on élève une statue à sa personne. Faudrait savoir : la palme d’or récompense la qualité d’une œuvre cinématographique, ou la moralité de son auteur ?

          [Quant au pardon de la victime, vous savez très bien que cela faisait partie de l’arrangement financier. Victime qui était loin d’être unique.]

          Si la victime lui a pardonné en échange d’une coquette somme, c’est que l’acte ne doit pas être si grave que ça. En tout cas, c’est là l’opinion de la victime, et personnellement je ne vois pas à quel titre il faudrait être plus exigeant qu’elle sur ce point. Quant au fait que la victime ne soit pas unique, je ne sais pas que Polanski ait été condamné dans d’autres affaires.

          [« Mais de quel « ostracisme » on parle ? Aucun « ostracisme » n’affecte les « musulmans ». » Exemple : je suis une fille typée, d’origine marocaine ou autre, je me présente en abaya devant mon lycée et me fais refouler. Si je suis une fille au teint de lait vêtue d’une robe longue présentant de grandes similitudes avec une abaya, cela passe crème : pourquoi ?]

          Je ne vois pas très bien le rapport avec les musulmans. Si la fille est « typée » et chrétienne, le résultat sera le même. Votre exemple, si tant est qu’il se produise dans la réalité, illustre un « ostracisme » envers les gens typés, mais certainement pas envers les « musulmans ». Vous savez, la religion, ça ne se voit pas si vous ne choisissez pas de l’afficher.

          [Ce décret est totalement contreproductif parce qu’il est inapplicable,]

          Je ne vois pas en quoi il serait « inapplicable ». Pourriez-vous préciser ?

          [pour cette raison et aussi parce que, l’école étant obligatoire, aucun.e élève ne pourra être exclu.e.]

          D’abord, l’école n’est PAS obligatoire, c’est l’instruction qui l’est. Ensuite, le fait que l’école soit obligatoire n’implique pas qu’elle ne puisse pas exclure un élève qui ne se plierait pas à ses règles. Si je suis votre raisonnement, un élève qui se présenterait nu devrait aussi être accueilli ?

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [un vendeur d’encyclopédies au porte-à-porte]
            C’est exemple a le bon goût de me rappeller ma jeunesse, cela fait bien longtemps que je n’en ai pas croisé.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [C’est exemple a le bon goût de me rappeler ma jeunesse, cela fait bien longtemps que je n’en ai pas croisé.]

              Ca n’existe plus, je crains… ils ont été remplacés par les démarcheurs téléphoniques. Une espèce qui fait douter de la théorie de l’évolution…

  8. Magpoul dit :

    Bonjour et merci pour ce papier !
    Cela me rappelle une conversation que j’ai eu avec une ancienne collègue ici, en Allemagne. Je suis demandais si elle ne voulait pas, une fois ses études terminées, “donner en retour” et payer une “dette”. Je prenais pour exemple l’argent public ayant servi à, sinon la construction, l’entretien de l’université, des routes et autres infrastructures qui nous entouraient, sans lesquelles toute étude aurait été impossible. Elle m’a clairement notifié qu’elle ne ressentait rien de tout cela. Autant vous dire que c’est le genre d’étudiant qui rentre en conflit avec son superviseur car elle croit pouvoir avoir le dernier mot, et pense que c’est “son” doctorat, et ne se remet jamais en question. Je pense voir là une grosse corrélation. J’ai peur que, les sciences perdent énormément avec ce genre de profil.  J’ignore si ils sont majoritaires, mais ils sont en tout cas bruyants (vous évoquiez les colonnes du Monde laissées aux étudiants “souffrants”). 

    [Dans l’idéal, on laisse à la porte de l’école nos origines, notre religion, notre classe sociale, pour nous fondre dans le même creuset et suivre les mêmes règles, qui sont celles héritées de la longue histoire de notre pays.]

    Seriez-vous en faveur de l’uniforme? Plus que la distinction religieuse, les vêtements permettent aussi la distinction par les gouts, mais surtout la richesse et les classes sociales. Devrait-on considérer l’élève venant à l’école avec un t-shirt sur lequel est imprimé le symbole d’un groupe de musique avec la même sévérité que celui qui vient avec un vêtement culturel comme l’abaya? J’ai tendance à penser que oui, et que l’uniforme pourrait permettre d’appliquer cette volonté de gommer les différences. Je pousserai même jusqu’au bout: pourquoi pas un uniforme pour les parlementaires afin de montrer l’exemple? Une sorte de “toge”, en somme. 

    [Mais je constate que des étrangers qui sont venus chez nous sont venus chercher quelque chose qu’ils n’ont pas chez eux.]

    Une conversation récente avec une amie va dans votre sens. Ses parents son nés au Maroc et ont émigré en France il y a trente ans où ils ont tout fait pour ne pas rester en “communauté”. Pourquoi? Elle m’a dit exactement ce que vous avez écrit. Résultat: en une génération, rien ne porte à croire qu’elle ne soit pas Française. Je ne l’ai jamais entendu clamer haut et fort ses origines.  Son frère va entrer dans l’armée. Il reste encore des exemples d’assimilation ! 

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Cela me rappelle une conversation que j’ai eu avec une ancienne collègue ici, en Allemagne. Je lui demandais si elle ne voulait pas, une fois ses études terminées, “donner en retour” et payer une “dette”. Je prenais pour exemple l’argent public ayant servi à, sinon la construction, l’entretien de l’université, des routes et autres infrastructures qui nous entouraient, sans lesquelles toute étude aurait été impossible. Elle m’a clairement notifié qu’elle ne ressentait rien de tout cela.]

      Cela ne m’étonne pas. On fabrique une génération d’ingrats, et qui sera punie par l’ingratitude de ses propres enfants. Et ce n’est pas la faute des jeunes : c’est la faute d’une société, d’une idéologie dominante qui enseigne que tout commence et tout finit avec le « moi ».

      [Autant vous dire que c’est le genre d’étudiant qui rentre en conflit avec son superviseur car elle croit pouvoir avoir le dernier mot, et pense que c’est “son” doctorat, et ne se remet jamais en question.]

      Je connais ça… le genre qui trouve « scandaleux » que son chef de laboratoire ou son patron de thèse signe ses papiers, oubliant qu’en général un thésard n’a guère d’idées propres, qu’elles lui sont proposées ou suggérés par ceux qui ont plus d’expérience.

      [Je pense voir là une grosse corrélation. J’ai peur que, les sciences perdent énormément avec ce genre de profil. J’ignore s’ils sont majoritaires, mais ils sont en tout cas bruyants (vous évoquiez les colonnes du Monde laissées aux étudiants “souffrants”).]

      Oui. Je vous conseille la lecture de la rubrique « campus » du « Monde ». On y trouve tous les – petits – malheurs d’une jeunesse passablement dorée qui se regarde le nombril.

      [Seriez-vous en faveur de l’uniforme ? Plus que la distinction religieuse, les vêtements permettent aussi la distinction par les gouts, mais surtout la richesse et les classes sociales.]

      Oui. Et pas seulement parce que cela efface les distinctions sociales – la blouse du riche et celle du pauvre ne sont pas tout à fait pareilles – mais parce que cela construit un sentiment d’appartenance à une institution.

      [Devrait-on considérer l’élève venant à l’école avec un t-shirt sur lequel est imprimé le symbole d’un groupe de musique avec la même sévérité que celui qui vient avec un vêtement culturel comme l’abaya? J’ai tendance à penser que oui,]

      Cela dépend. Si le port de ce t-shirt est un moyen de se reconnaître entre membres d’une même communauté et exclut toute relation avec ceux qui ne le porteraient pas, il devrait être traité de la même manière que l’abaya. Je pense que l’objectif n’est pas d’uniformiser les tenues ou d’effacer les spécificités culturelles. Les tenues et les symboles ne posent un problème que s’ils servent à construire une sociabilité interne à un groupe et qui exclut les autres. C’est cela qu’il faut empêcher.

      [Je pousserai même jusqu’au bout : pourquoi pas un uniforme pour les parlementaires afin de montrer l’exemple ? Une sorte de “toge”, en somme.]

      La révolution et l’empire ont d’une certaine manière poursuivi cet objectif, et chaque corps de l’Etat avait été doté d’un uniforme, comme l’étaient les élèves de chacune de nos « grandes écoles ». Les avocats ont leur uniforme, et il y avait jusqu’à il n’y a pas si longtemps une tenue universitaire. Je ne suis pas contre un certain retour à cette tradition, notamment pour les élus. Peut-être pourrait-on les obliger à siéger avec leur écharpe ?

      [Une conversation récente avec une amie va dans votre sens. Ses parents son nés au Maroc et ont émigré en France il y a trente ans où ils ont tout fait pour ne pas rester en “communauté”. Pourquoi? Elle m’a dit exactement ce que vous avez écrit. Résultat: en une génération, rien ne porte à croire qu’elle ne soit pas Française. Je ne l’ai jamais entendu clamer haut et fort ses origines. Son frère va entrer dans l’armée. Il reste encore des exemples d’assimilation !]

      Bien sûr. La machine à assimiler n’est pas totalement éteinte, mais repose aujourd’hui plus sur la conscience des individus et les traditions communautaires que sur la pression sociale de la société d’accueil.

      • Magpoul dit :

        @Descartes

        [Cela ne m’étonne pas. On fabrique une génération d’ingrats, et qui sera punie par l’ingratitude de ses propres enfants.]

        Encore faut-il qu’ils en aient ! J’ai aussi remarqué que chez mes collègues, pour ce genre de profils, la volonté d’avoir une famille est très faible. Je vous laisse imaginer les arguments…

        [Je connais ça… le genre qui trouve « scandaleux » que son chef de laboratoire ou son patron de thèse signe ses papiers, oubliant qu’en général un thésard n’a guère d’idées propres, qu’elles lui sont proposées ou suggérés par ceux qui ont plus d’expérience.]

        Exactement. Une hypothèse est de toute façon difficilement “propre” car nous nous efforçons de nous élever sur les épaules de géants. Mon projet de thèse, par exemple, a été fortement influencé par les travaux d’une équipe américaine. Chacun contribue à sa manière, mais nous ne sommes pas grand chose face à l’immensité des connaissances déjà accumulées. Se sentir si “petit” est surement frustrant pour certaines personnes. J’ajoute que l’ingratitude vis-à-vis du superviseur m’est également insupportable car, dans le fond, c’est lui qui a construit le laboratoire, qui a trouvé les fonds qui payent la recherche…Ne disiez-vous pas que l’époque était néfaste aux “constructeurs”?

        [Cela dépend. Si le port de ce t-shirt est un moyen de se reconnaître entre membres d’une même communauté et exclut toute relation avec ceux qui ne le porteraient pas, il devrait être traité de la même manière que l’abaya.]

        Etes-vous certain que le port de l’abaya “exclut toute relation” avec ceux qui ne la portent pas? Je pense que c’est plus subtil, cela n’exclut pas le contact, mais cela peut l’orienter, l’influencer au point où il est dénaturé. Néanmoins, comment mesurer cela? Comment faire une loi juste avec des critères objectifs sur ce sujet, qui pourrait évaluer la dénaturation ou l’exclusion? 

        [Peut-être pourrait-on les obliger à siéger avec leur écharpe ?]

        La tristesse dans cette affaire est que l’on pense à légiférer tout cela alors que cela devrait aller de soi…
         

        • Descartes dit :

          @ Magpoul

          [« Cela ne m’étonne pas. On fabrique une génération d’ingrats, et qui sera punie par l’ingratitude de ses propres enfants. » Encore faut-il qu’ils en aient ! J’ai aussi remarqué que chez mes collègues, pour ce genre de profils, la volonté d’avoir une famille est très faible. Je vous laisse imaginer les arguments…]

          Mais je ne suis pas sûr que les arguments invoqués soient la véritable raison. Avoir des enfants, c’est beaucoup de boulot et beaucoup de responsabilité au bénéfice de quelqu’un d’autre que soi. Si ce quelqu’un ne vous continue pas, s’il ne vous doit rien en retour, à quoi bon ? Ce n’est pas pour rien si l’ancien code civil proclamait l’obligation alimentaire des enfants envers leurs parents et punissait « l’ingratitude » des enfants envers les parents en faisait l’une des rares causes permettant de les déshériter…

          [J’ajoute que l’ingratitude vis-à-vis du superviseur m’est également insupportable car, dans le fond, c’est lui qui a construit le laboratoire, qui a trouvé les fonds qui payent la recherche…Ne disiez-vous pas que l’époque était néfaste aux “constructeurs” ?]

          Très ingrate. Bien des thésards qui arrivent dans un laboratoire se demandent rarement comment leur superviseur est arrivé à la place qu’il occupe, quelle est l’histoire du laboratoire. C’est souvent une histoire d’effort et de mérite, et cela donne des droits. Ce comportement revient en fait à scier la branche sur laquelle on est assis : après tout, les thésards d’aujourd’hui sont les superviseurs de demain…

          [« Cela dépend. Si le port de ce t-shirt est un moyen de se reconnaître entre membres d’une même communauté et exclut toute relation avec ceux qui ne le porteraient pas, il devrait être traité de la même manière que l’abaya. » Etes-vous certain que le port de l’abaya “exclut toute relation” avec ceux qui ne la portent pas ?]

          C’est du moins le but, non pas d’exclure toute relation avec ceux qui ne la portent pas, mais avec ceux qui n’appartiennent pas à la « communauté » de ceux qui la portent. Cela m’est arrivé beaucoup de fois de discuter avec une femme sur le quai du métro ou dans un café. Vous imaginez-vous abordant une femme en abaya ? Bien entendu, la barrière communautaire n’est jamais totalement étanche, mais le but des communautaristes est de la rendre aussi infranchissable que possible. Après l’abaya, ce sera la burqa…

          [Néanmoins, comment mesurer cela ? Comment faire une loi juste avec des critères objectifs sur ce sujet, qui pourrait évaluer la dénaturation ou l’exclusion ?]

          Certains établissements exigent une « tenue correcte ». Et pourtant, on voit mal une « loi juste avec des critères objectifs » définir ce qu’est une « tenue correcte » dans un casino, dans un restaurant, dans un hôpital ou dans une cour de justice. La meilleure solution qu’on ait trouvé, c’est de confier l’interprétation de cette notion à l’autorité des lieux, et de faire confiance à sa bonne foi sous le contrôle du juge. Pourquoi ne pourrait-on faire la même chose à l’école ? Après tout, il ne s’agit que d’une tenue. Si une adolescente est renvoyée chez elle se changer « injustement » suite à une évaluation trop sévère de son proviseur, il n’y a pas tout de même mort d’homme. C’est le genre d’arbitraire qu’une société peut accepter.

          Je trouve fascinante cette manie de vouloir tout juridiciser, de vouloir bannir tout « arbitraire » en précisant par la loi les choses les plus banales. Des choses bien plus graves et plus importantes sont livrées à l’arbitraire d’un décideur : pensez au candidat à un emploi. Vous passez un entretien avec une personne qui vous juge, et qui in fine décide de vous embaucher ou pas sans qu’aucune loi, aucune « règle juste et avec des critères objectifs » ne puisse être invoquée. L’employeur peut vous refuser un travail simplement parce que votre gueule ne lui revient pas, parce qu’il ne vous « sent » pas. Et sauf à prouver une discrimination prohibée, sa décision est inappelable. Et pourtant, refuser un emploi c’est un peu plus grave que de renvoyer une jeune fille se changer, non ? Et pourtant, personne ne s’insurge…

          • Magpoul dit :

            @Descartes

            [Mais je ne suis pas sûr que les arguments invoqués soient la véritable raison. Avoir des enfants, c’est beaucoup de boulot et beaucoup de responsabilité au bénéfice de quelqu’un d’autre que soi. Si ce quelqu’un ne vous continue pas, s’il ne vous doit rien en retour, à quoi bon ?]

            Certes, mais, si je vous comprend, cela impliquerait qu’eux-mêmes comprennent qu’ils sont ingrats envers leurs parents. Pensez-vous que ce genre d’esprit soit capable d’une telle introspection? Je pense que c’est plus par confort personnel qu’autre chose, sans aller chercher aussi loin que vous. Certains se parent même de bonnes intentions en prétendant sauver la planète car cela “réduirait les gaz à effets de serre”. D’autres pensent qu’il ne vaille pas la peine d’avoir un enfant dans un monde qu’ils jugent en déclin. Pour moi, cette “peine”, c’est l’inconfort bien plus que la peur de ne pas avoir cette continuation. 

            [Ce comportement revient en fait à scier la branche sur laquelle on est assis : après tout, les thésards d’aujourd’hui sont les superviseurs de demain…]

            Par analyse après de nombreuses conversations, j’ai tendance à penser que ce genre de profils se dirige naturellement vers le privé où ils penseront trouver moins dur que dans le milieu universitaire (ils seront surement déçus). Peu de gens autour de moi, de toute façon, déclarent haut et fort qu’ils veuillent être superviseurs dans le publique. Je pense que le rôle de superviseur dans le secteur public devient peu à peu aussi repoussant que celui d’enseignant en primaire ou secondaire. Le salaire est moindre que dans le privé, la recherche de fond est pénible, et la nécessité d’enseigner ne remplit pas beaucoup de monde de joie (aussi, je le pense, car nombre d’entre nous ont déjà une vision très négative du professeur d’université). Je ne serai pas surpris qu’on ait à engager un jour des professeurs d’université en “job dating”…

            [ Vous imaginez-vous abordant une femme en abaya ? Bien entendu, la barrière communautaire n’est jamais totalement étanche, mais le but des communautaristes est de la rendre aussi infranchissable que possible. Après l’abaya, ce sera la burqa…]

            Oui, j’aurais certainement plus de réticence à aborder une personne vêtue d’une vêtement religieux. D’ailleurs, je viens d’assister à une scène très intéressante au supermarché: une femme voilée achetait des bonbons et la caissière lui a fait remarquer, avant de scanner le paquet,  que ceux-ci contenaient de la gélatine de porc. J’ai trouvé que cela exemplifiait magnifiquement comment un simple vêtements pouvait marquer l’appartenance à une communauté spécifique. 

            [Je trouve fascinante cette manie de vouloir tout juridiciser, de vouloir bannir tout « arbitraire » en précisant par la loi les choses les plus banales.]

            Je suis d’accord avec vous, la confiance devrait remplacer l’accord sur papier. Je serai très heureux de laisser les directeurs d’école se charger de la chose de façon arbitraire. Néanmoins, n’est-ce pas vous qui aviez proposé qu’on devrait obliger à siéger les élus avec leur écharpe; et moi qui ait répondu que cela devrait être naturel? Je pense que l’on voit bien que tout cela est complexe et probablement biaisé. A qui faire confiance? 

            • Descartes dit :

              @ Magpoul

              [@Descartes

              [Certes, mais, si je vous comprends, cela impliquerait qu’eux-mêmes comprennent qu’ils sont ingrats envers leurs parents. Pensez-vous que ce genre d’esprit soit capable d’une telle introspection ?]

              Il lui faudrait cette introspection pour comprendre le lien entre son ingratitude et celle de ses enfants. Mais la question n’est pas ici de comprendre. On est en présence d’une génération qui a naturalisé l’ingratitude. Autrement dit, elle n’a pas conscience de manquer de gratitude envers ses parents et ses maîtres, et à l’inverse n’attend aucune gratitude de ses enfants, parce qu’elle ne sait pas ce que c’est que la gratitude. C’est un peu le dictum « ce que vous ne connaissez pas ne vous manque pas ».

              [Je pense que c’est plus par confort personnel qu’autre chose, sans aller chercher aussi loin que vous.]

              Mais si c’était là l’explication, comment se fait-il que le problème ne se soit pas posé avant ? Que la plupart des gens aient eu envie par le passé d’avoir des enfants – et cela alors qu’ils représentaient un effort plus important qu’aujourd’hui. Peut-être parce qu’on mettait en face de l’inconfort toute une série d’avantages qui tiennent à ce rapport de reconnaissance.

              [« Vous imaginez-vous abordant une femme en abaya ? Bien entendu, la barrière communautaire n’est jamais totalement étanche, mais le but des communautaristes est de la rendre aussi infranchissable que possible. Après l’abaya, ce sera la burqa… » Oui, j’aurais certainement plus de réticence à aborder une personne vêtue d’une vêtement religieux.]

              Je ne sais pas ce que c’est un « vêtement religieux ». Ni l’abaya, ni le qamis ne sont prescrits par un texte religieux. Ce sont des vêtements qui sont portés dans le climat désertique pour des raisons de commodité. Le fait que l’Islam se soit développé sous ces climats fait qu’ils arrivent en Europe portés par des gens qui sont, en grande majorité, musulmans. Mais cela n’en fait pas un « vêtement religieux ». D’ailleurs, tous les musulmans ne les portent pas.

              [« Je trouve fascinante cette manie de vouloir tout juridiciser, de vouloir bannir tout « arbitraire » en précisant par la loi les choses les plus banales. » Je suis d’accord avec vous, la confiance devrait remplacer l’accord sur papier. Je serai très heureux de laisser les directeurs d’école se charger de la chose de façon arbitraire. Néanmoins, n’est-ce pas vous qui aviez proposé qu’on devrait obliger à siéger les élus avec leur écharpe ; et moi qui ait répondu que cela devrait être naturel ? Je pense que l’on voit bien que tout cela est complexe et probablement biaisé. A qui faire confiance ?]

              L’analogie est osée, pour ne pas dire plus. Le directeur d’école a un rôle éducatif, et l’éducation consiste entre autres choses à faire internaliser certaines règles. Nous confions nos enfants à des maîtres et des directeurs, nous pouvons leur faire confiance pour interpréter ces règles au mieux.

              Les élus, eux, ne sont pas des enfants. Ils ont été éduqués, et auraient dû internaliser certaines règles. Qu’on ait besoin de dire à un enfant « on dit merci à la dame », c’est normal. Qu’on ait besoin de le dire à un député, c’est triste…

  9. Robert Val dit :

    Je ne vois pas de quelle « argutie » parlez-vous. Dans votre commentaire, vous aviez mentionné le fait de « faire l’apologie d’une idéologie totalitaire ». Je vous ai simplement fait remarquer que les religions – du moins les religions abrahamiques – sont par nature « totalitaires », au sens le plus stricte du terme.

    L’argutie qui consiste à couper les cheveux en quatre dans le sens de la longueur, sans rien démontrer.
    On pourrait parler du totalitarisme d’une religion en France si nous étions une théocratie et que les préceptes religieux étaient appliqués de force à tous, croyants et non croyants.
    Un peu comme la vaccination, obligatoire de fait, qui nous a été imposée, alors que nous savons aujourd’hui que ce prétendu vaccin était totalement inefficace contre le virus et problématique en matière d’effets secondaires – pour répondre à votre demande d’exemple sur la tyrannie sanitaire. (Il y en aurait bien d’autres)
    Vraiment vous me décevez, vous êtes comme les gauchistes qui ne savent pas faire avancer leurs idées sans avoir recours au déni, à la mauvaise foi ou à l’inversion accusatoire.
    Quant aux lois mémorielles, si vous ne comprenez pas qu’elles ouvrent grand la porte de l’arbitraire afin de museler la liberté d’expression quand elle dérange, je préfère en rester là et voilà pourquoi je ne vous répondrai pas point par point.
    Cependant, j’ajouterais que l’ordre public n’est pas l’affaire de la Justice, mais des forces de l’ordre, à chacun son job.
    Actuellement, toute manifestation d’extrême droite est interdite au préalable en France, même les conférences privées, au prétexte que l’ordre public pourrait être troublé par des propos ou des gestes rappelant ce qui sortit jadis du ventre de la bête féconde et toussa…
    C’est un procès d’intention scandaleux, le même qui est fait à une fille marocaine qui porte une robe longue, aussitôt accusée d’être forcément musulmane, sans la moindre preuve.
    La vie en société ne peut se concevoir sans une confiance réciproque entre les membres des différentes communautés ou courants de pensée. Et il ne peut y avoir de confiance sans dialogue : ces lois imbéciles qui prétendent dicter les bons codes vestimentaires sont-elles de nature à inciter au dialogue ou bien à la haine ?
    La question contient la réponse.
     

    • Descartes dit :

      @ Robert Val

      [L’argutie qui consiste à couper les cheveux en quatre dans le sens de la longueur, sans rien démontrer.]

      Et bien, je pense avoir démontré au moins que vous n’avez pas une idée claire de ce qu’est un « totalitarisme ».

      [On pourrait parler du totalitarisme d’une religion en France si nous étions une théocratie et que les préceptes religieux étaient appliqués de force à tous, croyants et non croyants.]

      Une fois encore, vous changez subtilement de pied. On ne parlait pas ici de « totalitarisme », mais « d’idéologie totalitaire ». Et le fait qu’une idéologie soit ou non totalitaire n’a absolument rien à voir avec le fait qu’elle ait ou non le pouvoir d’imposer ses conceptions. L’idéologie nazie n’est pas moins « totaliltaire » aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1938, même si ses partisans n’ont pas aujourd’hui les moyens d’organiser une « nuit de cristal ».

      [Un peu comme la vaccination, obligatoire de fait, qui nous a été imposée, alors que nous savons aujourd’hui que ce prétendu vaccin était totalement inefficace contre le virus et problématique en matière d’effets secondaires – pour répondre à votre demande d’exemple sur la tyrannie sanitaire. (Il y en aurait bien d’autres)]

      Je ne sais pas qui est ce « nous » qui « saurait aujourd’hui que le prétendu vaccin était totalement inefficace ». En tout cas, il n’inclut pas la communauté scientifique, chez qui il existe un large consensus sur l’efficacité du vaccin. C’est d’ailleurs lorsqu’on a dépassé un certain taux de vaccination qu’on a pu desserrer les contraintes sanitaires. Mais bon, j’imagine que vous allez m’expliquer les ces centaines de publications dans les plus grandes revues ne sont que la manifestation du Grand Komplot…

      Je ne vois pas par ailleurs le rapport avec le totalitarisme religieux. La vaccination obligatoire ne concernait que la sphère publique. A aucun moment on n’a prétendu réguler les comportements qui relèvent de la sphère privée.

      [Vraiment vous me décevez,]

      Et c’est vous qui m’accusiez de « condescendance »…

      [vous êtes comme les gauchistes qui ne savent pas faire avancer leurs idées sans avoir recours au déni, à la mauvaise foi ou à l’inversion accusatoire.]

      Je laisse nos lecteur juger lequel de nous deux est dans le déni, la mauvaise foi, l’inversion accusatoire… en tout cas, le paragraphe suivant devrait orienter leur jugement :

      [Quant aux lois mémorielles, si vous ne comprenez pas qu’elles ouvrent grand la porte de l’arbitraire afin de museler la liberté d’expression quand elle dérange, je préfère en rester là et voilà pourquoi je ne vous répondrai pas point par point.]

      Autrement dit, vous n’avez pas d’arguments pour soutenir votre affirmation, qu’il me faudrait accepter comme article de foi puisqu’elle relève de l’évidence… « déni, mauvaise foi, inversion accusatoire » aviez-vous écrit ?

      [Cependant, j’ajouterais que l’ordre public n’est pas l’affaire de la Justice, mais des forces de l’ordre, à chacun son job.]

      Contrairement à ce que vous semblez penser, « l’ordre public » en droit français ne se limite pas à arrêter les voleurs et empêcher les manifestations de dégénérer. L’ordre public, c’est un idéal social qui comprend le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques, la moralité publique et la dignité de la personne humaine (arrêt CE, 1959, Les Films Lutetia, arrêt CE, 1995, Commune de Morsang-sur-Orge). L’ordre public est « l’affaire » de toute autorité habilitée à exercer une police, soit administrative, soit judiciaire.

      [Actuellement, toute manifestation d’extrême droite est interdite au préalable en France, même les conférences privées, au prétexte que l’ordre public pourrait être troublé par des propos ou des gestes rappelant ce qui sortit jadis du ventre de la bête féconde et toussa…]

      Pourriez-vous m’indiquer où je pourrais trouver le texte de cette « interdiction préalable ». Je constate en tout cas qu’elle n’est pas observée. Hier, par exemple, j’ai pu voir la rentrée politique de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, qui semble s’être déroulée sans la moindre intervention des forces de l’ordre. Quant aux « conférences privées », je vois mal comment on pourrait les interdire dans la mesure où elles n’ont pas à être déclarées. Après, si vous organisez un hommage aux anciens SS ouvert au public, oui, vous avez de grandes chances que ce soit considéré contraire à l’ordre public.

      [C’est un procès d’intention scandaleux,]

      Je ne vois pas où est le « procès d’intention ». Pourriez-vous être plus précis ?

      [le même qui est fait à une fille marocaine qui porte une robe longue, aussitôt accusée d’être forcément musulmane, sans la moindre preuve.]

      Je ne vois pas très bien ce que la religion de la jeune fille vient faire dans l’affaire. Ce qui est interdit, c’est l’abaya, pas l’islam. Une fille portant l’abaya sera renvoyée chez elle quand bien même elle présenterait son certificat de baptême.

      [La vie en société ne peut se concevoir sans une confiance réciproque entre les membres des différentes communautés ou courants de pensée.]

      Tout à fait. Mais alors, pourquoi voiler les femmes ? Pourquoi ne pas faire confiance aux hommes pour ne pas leur sauter dessus dès qu’ils montrent leurs cheveux ?

      [Et il ne peut y avoir de confiance sans dialogue : ces lois imbéciles qui prétendent dicter les bons codes vestimentaires sont-elles de nature à inciter au dialogue ou bien à la haine ?]

      Je n’ai pas eu l’impression que les islamistes et autres communautaristes aient très envie de « dialoguer ». Pourquoi serait-ce à nous de faire le premier pas ? Pourquoi devrais-je respecter leur désir de vivre dans une prison de toile, alors qu’ils ne respectent pas mon désir de vivre dans une société à visage découvert ?

      [La question contient la réponse.]

      Ah bon ? Il y a une seule réponse ?

  10. Sylla dit :

    Bonjour,
     
    J’en suis encore à l’article “société sans empathie” mais celui ci présente aussi une belle réponse. J’ai toujours à l’esprit la sentence d’Aristote posant que celui “qui vit en dehors de la cité est soit un dieu, soit une bête”, et que la nécessité de faire société est une force suffisante pour maintenir la dite société sous une forme quelconque.A contrario, la rentrée anti abaya m’attriste (les qamis-robes de nuit sont plutôt comiques). J’en comprend le contexte, communautarisme comme vous le rappelez, notoirement encouragé par des religieux mal intentionnés.
     
    Pour donner un semblant de contenu à ce commentaire : ex professeur de philosophie, je me plaçais plutôt comme “poil à gratter” que comme représentant de l’état -remettre en question est après tout une des fonction de la philosophie, mais que peut faire le fou du roi quand le roi est fou…?
     
    En vous souhaitant un bon dimanche

    • Descartes dit :

      @ Sylla

      [J’en suis encore à l’article “société sans empathie” mais celui-ci présente aussi une belle réponse. J’ai toujours à l’esprit la sentence d’Aristote posant que celui “qui vit en dehors de la cité est soit un dieu, soit une bête”, et que la nécessité de faire société est une force suffisante pour maintenir la dite société sous une forme quelconque.]

      Reste à savoir ce que vous appelez « la nécessité de faire société ». S’agit-il d’une « nécessité » inscrite dans la nature humaine – si tant est qu’on puisse parler de nature humaine – ou bien une « nécessité » matérielle ? Personnellement, je reste séduit par le raisonnement de Hobbes. On « fait société » parce que l’alternative, la « guerre de touss contre tous » est bien moins efficace matériellement.

      [A contrario, la rentrée anti abaya m’attriste (les qamis-robes de nuit sont plutôt comiques).]

      Qu’est ce qui vous attriste, exactement ? Qu’on interdise l’abaya et le qamis ? Qu’on ait besoin de les interdire ?

      [Pour donner un semblant de contenu à ce commentaire : ex professeur de philosophie, je me plaçais plutôt comme “poil à gratter” que comme représentant de l’état -remettre en question est après tout une des fonction de la philosophie, mais que peut faire le fou du roi quand le roi est fou…?]

      Pardon, mais être le « poil à gratter » de l’Etat tout en étant rémunéré par lui et protégé par un statut, n’est ce pas un peu contradictoire ? Certes, « remettre en question » fait partie du travail du philosophe. Mais « remettre en question » quoi, exactement ? En quoi l’attitude qui consiste à « remettre en question » l’Etat et ses institutions serait plus légitime, philosophiquement parlant, que celle qui consiste à « remettre en question » les discours qui le critiquent ? Pourquoi la critique du « pouvoir » serait-elle plus nécessaire que celle des « contre-pouvoirs » ?

      Personnellement, je n’adhère pas à cette image du philosophe déconstructeur. Je préfère celle du philosophe constructeur, qui se donne comme but d’organiser et de comprendre le monde qui nous entoure. Si pour comprendre il faut remettre en cause les idées reçues, pourquoi pas. Mais il y a des idées qui, pour être reçues, ne sont pas moins justes. Pourquoi les “déconstruire” ? Il ne faut pas oublier que cette remise en cause est un moyen, et non un but.

      • Sylla dit :

        “Reste à savoir ce que vous appelez « la nécessité de faire société ».”
        …est il possible d’imaginer l’être humain vivre seul?!? Hobbes imagine une société conflictuelle, non pas une robinsonnade il me semble.
        “Qu’est ce qui vous attriste, exactement ?”
        La perte. Le vêtement est libre n’est ce pas? Soutane comprise?
         [que peut faire le fou du roi quand le roi est fou…?]
        “tout en étant rémunéré par lui et protégé par un statut, n’est ce pas un peu contradictoire ?”
        Bien, le silence est mon échappatoire. Curieuse position pour un libre penseur…
        “Pourquoi la critique du « pouvoir » serait-elle plus nécessaire que celle des « contre-pouvoirs » ?”
        Oui, pourquoi?…Contre pouvoir? où? le procès d’intention est mal venu.
        “il y a des idées qui, pour être reçues”
        Non, on ne fait pas de communisme, ou autre chose, dans un cadre pseudo-libéral.
        Votre perspective de “poil à gratter” est assez courante. La construction ne tombe pas du ciel  :  à ma connaissance jamais la philosophie a été à ce point émasculée et orientée.
         

        • Descartes dit :

          @ Sylla

          [“Reste à savoir ce que vous appelez « la nécessité de faire société ».” …est-il possible d’imaginer l’être humain vivre seul?!? Hobbes imagine une société conflictuelle, non pas un robinsonnade il me semble.]

          Vous ne répondez pas à la question. Ma question portait moins sur le « faire société » que sur la « nécessité ». Est-ce que la « nécessité de faire société » est une « nécessité » anthropologique, inscrite dans la nature humaine, ou est-elle la traduction d’un intérêt matériel, du fait qu’on arrive à mieux chasser et à mieux se défendre des prédateurs en groupe que tout seul ? Le fait de faire société n’élimine pas le conflit, mais le régule. Et si les individus acceptent cette régulation, ce n’est pas parce que c’est inscrit dans leur « nature », mais parce qu’ils y voient un intérêt matériel.

          [“Qu’est ce qui vous attriste, exactement ?” La perte. Le vêtement est libre n’est-ce pas ? Soutane comprise ?]

          Je n’ai pas compris la réponse. La « perte » de quoi ?

          [“tout en étant rémunéré par lui et protégé par un statut, n’est ce pas un peu contradictoire ?”
          Bien, le silence est mon échappatoire. Curieuse position pour un libre penseur…
          “Pourquoi la critique du « pouvoir » serait-elle plus nécessaire que celle des « contre-pouvoirs » ?”
          Oui, pourquoi?…Contre pouvoir? où? le procès d’intention est mal venu.
          “il y a des idées qui, pour être reçues”
          Non, on ne fait pas de communisme, ou autre chose, dans un cadre pseudo-libéral.]

          Je n’ai rien compris.

          [Votre perspective de “poil à gratter” est assez courante. La construction ne tombe pas du ciel : à ma connaissance jamais la philosophie a été à ce point émasculée et orientée.]

          Pourriez-vous développer ?

  11. Louis dit :

    @Descartes
     

    L’idée que le respect se gagne d’abord en étant respectable, qu’on ne peut être exigeant avec les autres qu’en étant d’abord exigeant avec soi même ne semble pas les effleurer.

     
    Peut-être ne l’ont-ils pas assez entendu chez eux lorsqu’ils étaient petits… Je ne voudrais pas faire mon Zola, mais, à défaut de pouvoir discuter d’autre chose que de la pluie et du beau temps avec mes collègues diplômés, je discute avec les femmes de ménage. Sans surprise, pour une bonne part d’entre elles, je rêverais que les principes dans lesquels elles élèvent leurs mômes soient ceux des parents de tous mes élèves. Politesse, nécessité de l’effort, “et s’il se fait punir en classe, c’est le double à la maison”, etc. Incidemment, mes collègues – et pas qu’eux – me trouvent dur avec mes enfants, et se réjouissent d’offrir “plus de liberté” aux leurs… mais ne voient pas qu’au fond, c’est exactement ce que font les parents des élèves dont ils se plaignent. La grande différence, je crois, c’est qu’ils ont les moyens de leurs principes : les enfants de mes collègues ne seront guère inquiétés par leur conduite. En revanche, pour une bonne part de mes élèves, surtout ceux du lycée technique, élevés dans l’abandon libéral-libertaire, ils en paieront tôt ou tard les pots cassés.
     

    Le problème n’est pas tant que les gamins « ne fassent pas partie du même monde que les professeurs ». Cela a toujours été vrai, et j’imagine que pour un petit paysan savoyard ou creusois, l’instituteur était lui aussi quelqu’un venu d’un autre monde. La différence, c’est que le but de l’instituteur naguère était précisément d’amener le petit paysan dans son monde, d’en faire – pour ceux qui étaient doués – un instituteur ou un receveur des postes. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui : beaucoup d’enseignants voient leurs élèves comme étant condamnés à priori à la relégation sociale.

     
    Vous avez raison, mais c’est moi qui me suis mal exprimé. Je tiens beaucoup à ce que mes élèves sentent que nous ne sommes pas du même monde. D’abord, parce que seul ce qui n’est pas familier impressionne. Ensuite, parce que je dois leur faire sentir la distance à parcourir – les efforts à fournir – pour y arriver. Enfin, je dois sauver les apparences : mis à part les livres, l’argent que je dépense à titre personnel va presque tout entier dans les vêtements, afin de donner jusqu’au bout l’image d’un bon bourgeois lettré.
     
    Je ne prêche donc pas du tout pour le “rapprochement” du monde des élèves de celui des professeurs. Pour franchir une frontière, encore faut-il qu’elle existe. Lorsque je parlais des mondes différents dans lesquels certains de mes collègues et certains de mes élèves vivent chacun de leur côté, je pensais vraiment au pays. D’un côté, la rébellion de confort de Français qui peuvent se payer le luxe de faire ce qu’ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent ; de l’autre, des élèves qui se sentent à peine français, et qui regardent d’un air goguenard leurs professeurs se la jouer “à la cool” tout en se plaignant à longueur de temps de tout et de rien. Ils n’aspirent pas à être français, parce que, la France que leurs professeurs incarne, ne vaut rien. C’est ça, qui me pose problème. Les instituteurs de la Troisième République n’étaient pas du même monde que leurs élèves, mais ils étaient du même pays, et leur donnaient envie de s’approcher de ce monde qu’ils incarnaient à leurs yeux. Permettez que je cite (un peu longuement) Péguy, qui en témoigne, en tant qu’ancien élève :
     

    Nos vieux maîtres n’étaient pas seulement des hommes de l’ancienne France. Ils nous enseignaient, au fond, la morale même et l’être de l’ancienne France. Je vais bien les étonner : ils nous enseignaient la même chose que les curés. Et les curés nous enseignaient la même chose qu’eux. Toutes leurs contrariétés métaphysiques n’étaient rien en comparaison de cette communauté profonde qu’ils étaient de la même race, du même temps, de la même France, du même régime. De la même discipline. Du même monde. Ce que les curés disaient, au fond les instituteurs le disaient aussi. Ce que les instituteurs disaient, au fond les curés le disaient aussi. Car les uns et les autres ensemble ils disaient.
    Les uns et les autres et avec eux nos parents et dès avant eux nos parents ils nous disaient, ils nous enseignaient cette stupide morale, qui a fait la France, qui aujourd’hui encore l’empêche de se défaire.

     
    Entre le curé, tout petit potentat local, mais soutien du notable, probablement réactionnaire, et le hussard républicain qui “n’a jamais su sur quels parterres de fleurs il ouvrait l’âme de l’enfant”, il y avait tout de même une communauté (nationale). Ce qui le prouve d’ailleurs, c’est l’élan patriotique de 14.
     

    Votre diagnostic est un peu celui de Brighelli dans « la fabrique du crétin ».

     
    Je ne vous cache pas que je l’ai lu quand je faisais mes études… Ca ne m’a pas empêché de nourrir trop d’illusions lorsque j’ai commencé le métier, cela dit.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Louis

      [Peut-être ne l’ont-ils pas assez entendu chez eux lorsqu’ils étaient petits… Je ne voudrais pas faire mon Zola, mais, à défaut de pouvoir discuter d’autre chose que de la pluie et du beau temps avec mes collègues diplômés, je discute avec les femmes de ménage. Sans surprise, pour une bonne part d’entre elles, je rêverais que les principes dans lesquels elles élèvent leurs mômes soient ceux des parents de tous mes élèves. Politesse, nécessité de l’effort, “et s’il se fait punir en classe, c’est le double à la maison”, etc.]

      Je ne suis pas étonné. Lorsqu’on écoute les gauchistes, « l’ordre » est une invention bourgeoise qui ne saurait trouver grâce aux yeux des couches populaires. C’est totalement faux. Les couches populaires sont celles qui craignent le plus le désordre, le chaos, parce que ce sont celles qui sont le moins bien armées pour tirer leur épingle du jeu. Et c’est pourquoi pour eux les valeurs d’organisation – l’ordre, la discipline, la politesse – sont bien plus appréciés que chez les riches. Ce n’est pas par hasard si l’Islam qui s’implante dans nos quartiers déshérités est un Islam rigoriste, rempli d’interdits et des règles. Et si des jeunes y adhèrent avec enthousiasme, c’est parce qu’ils sont à la recherche d’une autorité qui leur impose des règles, des disciplines que l’école n’impose pas/plus.

      Les bienpensants ne veulent pas voir l’énorme demande d’ordre et de prévisibilité qui se fait jour un peu partout en réaction au chaos individualiste amené par le néolibéralisme. Au lieu de regarder le problème en face, ils le balayent d’un revers de manche parlant de la « lépénisation des esprits » ou bien de « radicalisation ». Mais si l’on veut vraiment luter contre ces phénomènes, il faut se demander à quelle demande la montée en force des mouvements « autoritaires » répond, et comment la satisfaire autrement.

      [Incidemment, mes collègues – et pas qu’eux – me trouvent dur avec mes enfants, et se réjouissent d’offrir “plus de liberté” aux leurs… mais ne voient pas qu’au fond, c’est exactement ce que font les parents des élèves dont ils se plaignent.]

      Parmi les nombreux professeurs que j’ai subi, ceux qui ont une place signalée dans ma mémoire sont ceux qui étaient les plus durs, les plus rigoureux, les plus exigeants. Ceux qui jouaient les copains ne m’ont guère laissé de souvenirs…

      [La grande différence, je crois, c’est qu’ils ont les moyens de leurs principes : les enfants de mes collègues ne seront guère inquiétés par leur conduite. En revanche, pour une bonne part de mes élèves, surtout ceux du lycée technique, élevés dans l’abandon libéral-libertaire, ils en paieront tôt ou tard les pots cassés.]

      C’est d’ailleurs le grand paradoxe : plus un élève vient d’un milieu pauvre, et plus l’apport de l’école est pour lui important. Et d’un autre côté, l’enseignant a tout intérêt à minimiser cet apport pour donner plus de chances à ses propres enfants dans la course à l’ascension sociale… L’enseignant a donc un intérêt collectif à ce que l’école se dégrade…

      [Vous avez raison, mais c’est moi qui me suis mal exprimé. Je tiens beaucoup à ce que mes élèves sentent que nous ne sommes pas du même monde. D’abord, parce que seul ce qui n’est pas familier impressionne. Ensuite, parce que je dois leur faire sentir la distance à parcourir – les efforts à fournir – pour y arriver. Enfin, je dois sauver les apparences : mis à part les livres, l’argent que je dépense à titre personnel va presque tout entier dans les vêtements, afin de donner jusqu’au bout l’image d’un bon bourgeois lettré.]

      Tout à fait d’accord. J’ajoute que j’ai le plus grand respect pour les enseignants qui s’habillent pour aller enseigner. Ces signes sont importants : si l’on veut persuader que la salle de classe est un temple, alors il faut s’habiller en prêtre…

      [Pour franchir une frontière, encore faut-il qu’elle existe. Lorsque je parlais des mondes différents dans lesquels certains de mes collègues et certains de mes élèves vivent chacun de leur côté, je pensais vraiment au pays. D’un côté, la rébellion de confort de Français qui peuvent se payer le luxe de faire ce qu’ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent ; de l’autre, des élèves qui se sentent à peine français, et qui regardent d’un air goguenard leurs professeurs se la jouer “à la cool” tout en se plaignant à longueur de temps de tout et de rien. Ils n’aspirent pas à être français, parce que, la France que leurs professeurs incarnent, ne vaut rien.]

      Je pense que vous avez très bien résumé le problème. Si ces élèves ne se sentent pas français, c’est parce que la France que l’école leur montre n’est en rien désirable. Et le problème n’est pas seulement ce discours imbécile sur une France raciste, sexiste, homophobe, esclavagiste, toujours du mauvais côté de l’histoire. C’est aussi que les enseignants s’identifient à ce discours, qu’ils n’ont pas conscience de servir quelque chose de grand qui les dépasse.

      Je vais encore me faire des amis… mais j’ai en tête les mots de ma mère, qui était enseignante, et qui disait qu’un professeur ne doit pas, ne peut pas faire grève pour les salaires. Un enseignant qui refuse d’enseigner pour de l’argent, c’est un peu comme un curé qui refuserait les sacrements au motif qu’il n’est pas assez payé. Imaginez-vous monsieur Germain renvoyant les élèves chez eux parce que son salaire ne correspondait pas à ses espérances ?

      [Permettez que je cite (un peu longuement) Péguy, qui en témoigne, en tant qu’ancien élève : (…)]

      La citation est absolument magnifique. Je ne partage pas forcément l’idée que les « contrariétés métaphysiques » entre le curé et l’instituteurs étaient aussi négligeables que Péguy le pense. Mais il est vrai qu’on retrouvait dans le discours du curé, dans celui de l’instituteur, dans celui des parents et plus fondamentalement dans celui de la plupart des institutions un certain nombre de valeurs, de principes, de représentations communes. Une sorte de « common decency » pour reprendre la formule de George Orwell, une conception commune de ce qu’était un « honnête homme » et un bon citoyen.

      C’est cette unité que le néolibéralisme a fracturé, en affirmant la primauté absolue de l’individu et sa légitimité à suivre ses propres règles, ses propres valeurs, forcément différentes de celles de ses voisins. Nous avons de moins en moins en commun, parce qu’il n’y a plus de valeurs communes, d’expériences communes. Dans ces conditions, comment attirer les jeunes vers un concept de nation qui devient chaque jours plus abstrait ?

      [Entre le curé, tout petit potentat local, mais soutien du notable, probablement réactionnaire, et le hussard républicain qui “n’a jamais su sur quels parterres de fleurs il ouvrait l’âme de l’enfant”, il y avait tout de même une communauté (nationale). Ce qui le prouve d’ailleurs, c’est l’élan patriotique de 14.]

      Tout à fait. Et ce fut une erreur insigne du mouvement socialiste de l’époque de ne pas l’avoir compris. Erreur que le gauchisme contemporain prolonge…

      [Je ne vous cache pas que je l’ai lu quand je faisais mes études… Ca ne m’a pas empêché de nourrir trop d’illusions lorsque j’ai commencé le métier, cela dit.]

      C’est humain. Ceux qui embrassent la carrière d’avocat s’imaginent plaidant devant une cour d’assises, et découvrent qu’en fait l’essentiel des affaires qui vont vivre les avocats sont les divorces. Les jeunes ingénieurs s’imaginent déjà en train de construire Roselend ou Serre-Ponçon, et se retrouvent à faire un parking souterrain. On idéalise toujours le métier, et ce n’est pas grave à condition d’apprendre à gérer le deuil. De réaliser qu’il y aura dans tout métier des moments exaltants, mais qu’ils sont rares et dépendent d’un travail acharné… et aussi de la chance. Et qu’il faut en profiter lorsqu’ils se présentent.

  12. P2R dit :

    Bonjour Descartes.
     
    Je vous transmet un autre article du Figaro sur le sujet en question, beaucoup de points de convergences entre votre article et cette tribune. Il ne vous apportera peut être pas grand chose à part la satisfaction de voir que vousn’êtes psa le seul à penser et écrire ce que vous pensez et écrivez 🙂
     
    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/islam-genre-race-il-faut-en-finir-avec-la-politique-des-identites-a-l-ecole-20230911
     
    Cordialement
     

    • Descartes dit :

      Merci beaucoup de cet article qui, effectivement, me fait sentir moins seul. Même si je préférerais trouver des gens d’accord avec moi à l’Humanité qu’au Figaro!

      Je retiens la glaçante citation de Juillard à la fin de l’article: «Si l’école, telle que nous la connaissons, n’existait pas, on ne l’inventerait pas aujourd’hui. C’est une certitude». Je n’y avais jamais pensé, mais cette formule cache une terrible interrogation : combien d’institutions dont nous sommes les héritiers seraient impossibles à créer aujourd’hui ? Combien de ces superbes bâtiments essayons nous d’entretenir ou de rafistoler tant bien que mal, sachant que nous ne serions pas capables d’en construire de pareils ?

      Cela rejoint le questionnement de Castoriadis, amplement discuté sur le blog…

      • P2R dit :

        @ Descartes
         

        Merci beaucoup de cet article qui, effectivement, me fait sentir moins seul. Même si je préférerais trouver des gens d’accord avec moi à l’Humanité qu’au Figaro!

         
        Et encore, je ne vous ai pas partagé certaines tribunes de Supiot, Guilly, Fourquet, Brighelli, Todd et consorts ! Comme je l’avais déjà évoqué, je suis convaincu que les meilleures chances de voir réapparaître un mouvement fort de défense de nos institutions relève largement plus d’un retournement d’alliance des classes bourgeoises en faveur des prolétaires que d’une alliance prolétaires/classes moyennes. Certes, le baromètre qu’est le figaro ne penche pas à 100% en faveur de cette hypothèse, mais la ligne éditoriale reste largement plus proche des idées gaullo-communistes que celles du Monde ou de Libé.
         
        A mon avis, on peut expliquer ce tropisme d’une manière très matérialiste: la reproduction des élites bourgeoises reposant sur un socle matériel beaucoup plus solide que celle des classes intermédiaires, la bourgeoisie serait bien moins menacée que ces derniers en cas de durcissement de la concurrence sociale. Par ailleurs, on retrouve certaines convergences de vues entre bourgeois et prolétaires, même si les raisons sont différentes: mépris du lumpenproletariat, attachement aux traditions, désir d’ordre et de tranquillité..
         

        combien d’institutions dont nous sommes les héritiers seraient impossibles à créer aujourd’hui ? Combien de ces superbes bâtiments essayons nous d’entretenir ou de rafistoler tant bien que mal, sachant que nous ne serions pas capables d’en construire de pareils ?

         
        Et même sans aller jusqu’aux monuments nationaux et aux institutions, regardez la différence entre un pavillon des années 2000 et une maison de paysan de 1800, entre un entrepôt actuel et une grange du début du XXeme, entre une bagnole de 1960 et les pots de yaourts informes d’aujourd’hui… misère !
         
         
         
         
         
         

        • Descartes dit :

          @ P2R

          [A mon avis, on peut expliquer ce tropisme d’une manière très matérialiste : la reproduction des élites bourgeoises reposant sur un socle matériel beaucoup plus solide que celle des classes intermédiaires, la bourgeoisie serait bien moins menacée que ces derniers en cas de durcissement de la concurrence sociale. Par ailleurs, on retrouve certaines convergences de vues entre bourgeois et prolétaires, même si les raisons sont différentes : mépris du lumpenproletariat, attachement aux traditions, désir d’ordre et de tranquillité…]

          J’ai tendance à partager la conclusion, pas forcément le raisonnement. Oui, les classes populaires partagent avec la bourgeoisie un certain conservatisme social que les classes intermédiaires, elles, rejettent. Et il y a une bourgeoisie industrielle, de moins en moins nombreuse, dont la base reste nationale. Mais vous êtes très optimiste en imaginant une convergence entre les classes populaires et la bourgeoisie en général. La bourgeoisie internationalisée et financiarisée est beaucoup moins attachée aux traditions que vous ne le pensez…

          • P2R dit :

            @ Descartes
             

            J’ai tendance à partager la conclusion, pas forcément le raisonnement. Oui, les classes populaires partagent avec la bourgeoisie un certain conservatisme social que les classes intermédiaires, elles, rejettent. Et il y a une bourgeoisie industrielle, de moins en moins nombreuse, dont la base reste nationale. Mais vous êtes très optimiste en imaginant une convergence entre les classes populaires et la bourgeoisie en général. La bourgeoisie internationalisée et financiarisée est beaucoup moins attachée aux traditions que vous ne le pensez…

             
            Tout dépends de ce que l’on met derrière le terme de “bourgeoisie”. Il y a en France tout un tissu de petite bourgeoisie issue des trente glorieuse, des gens (souvent retraités) qui ont accumulé un petit patrimoine au terme d’une vie de labeur: des petits patrons de PME certes, mais aussi des commerçant, artisans, libéraux, indépendants voire même des salariés qui ont un petit patrimoine immobilier locatif et/ou financier, et dont le capital reste très largement national. En gros, tous ces gens qui ont un patrimoine qui tourne autour du milion d’euros (ça va vite aujourd’hui: quelqu’un qui s’est offert une maison confortable dans les années 70 et une petite maison de vacances en bord de mer rentre très vite dans cette fourchette), et qui sont en-dessous du seuil où il est rentable de se payer les conseillers fiscaux qui vont vous permettre d’internationaliser votre bas de laine (pour pouvoir diversifier ses investissement à l’échelle internationale, il faut suffisement d’oeufs à mettre dans tous les paniers). Et quand bien même, ces gens n’ont pas le loisir de pouvoir s’extraire facilement du cadre national, où ils ont leur vie, leur famille, leurs attaches traditionnelles.
             
            La plupart du temps, cette petite bourgeoisie utilise les revenus de son patrimoine pour aider ses enfants à s’installer, à lancer une activité, à se loger pour faire des études. Et bien souvent ils sont témoins direct du déclassement de la génération suivante: si cette génération née dans l’après guerre pouvait se loger sur son lieu de travail, et espérer pouvoir acheter une petite maison aux sables d’Olonne pour leurs vieux jours, il est désormais évident que leurs rejetons ne pouront pas accéder au même luxe par le fruit de leur travail: voyez la gronde en bretagne ou sur la côte ouest (sans même parler de la côte méditerranéenne) où des natifs sont dans l’incapacité de se loger là où ils sont nés (Saint Malo, La Rochelle, Biarritz par exemple, sont des villes où il est impossible d’acheter même avec un salaire équivalent à deux ou trois SMICs). Certes, ils vont hériter un jour du patrimoine de leurs parents (divisé par le nombre d’enfants et amputé des frais de succession), et peuvent bénéficier de donations, mais encore une fois, dans cette catégorie de population (patrimoine inférieur ou équivalement à 1 million d’euros), une majorité n’est malgré tout pas en mesure de transmettre des sommes conséquentes à chacun de leurs enfants sauf à liquider les bijoux de famille, ce qui arrive de plus en plus souvent. Ce raisonnement n’a pas pour but de plaindre cette catégorie de personnes qui reste privilégiée, mais de démontrer que la déconnection du contexte d’affaissement du dynamisme économique national est loin d’être évidente. D’autant que ce phénomène est couplé à l’accaparement du foncier par les élites des grands centres urbains (les très haut revenus qui peuvent acheter une maison à un million d’euros sur la côte pour l’habiter un mois sur douze), phénomène qui est à mon avis en train de créer une divergence majeure d’intérêts entre la bourgeoisie internationalisée dont vous parlez et la petite bourgeoisie provinciale.
             
            Par ailleurs, cette petite bourgeoisie, retraitée, issue d’un parcours “au mérite”, a connu la France “d’avant”, son école, son système de santé, son rayonnement international, et prends de plus en plus conscience de la mutation du système éducatif, du dépérissement de nos hopitaux, ceci sans être suffisement “dans le coup” pour avoir accès aux réseaux privilégiés*. En plus d’être numériquement très majoritaire par rapport à la grande bourgeoisie internationalisée, son ancrage territorial est bien plus susceptible d’être sensible à un discours de reprise en main des institutions que ce que vous pensez. Je pense que la dychotomie de ligne éditoriale du Figaro qui fait de plus en plus cohabiter une analyse très “défense des institutions” en parallèle de l’approche traditionnellement libérale est un signe de cette évolution (comme vous le dites souvent, le but d’un journal est de vendre du papier, et si le Figaro publie ce type de tribunes, c’est qu’il y a une demande parmis ses lecteurs, dont votre serviteur fait partie) tout comme l’apparition (encore fragile) dans le sérail de la droite de personnalités endossant une posture de plus en plus “pro-Etat” voire souverainiste.
             
            *exerçant une profession médicale libérale dans une agglomération de province de 60.000 habitants, je peux vous garantir que j’ai parmis ma patientèle un bon nombre de ces profils de la petite bourgeoise, mais aussi des cadres en activité d’ailleurs, qui sont touchés de plein fouet par la désertification médicale, et qui sont tout à fait conscients de cet effondrement de l’offre de santé: aisés ou pas, il faut toujours 6 mois pour avoir un rendez-vous, et encore, uniquement “grâce” à l’installation de praticiens issus de l’est de l’UE dont la validité des diplômes est parfois douteuse, sans parler de la maitrise de la langue.. Voilà pour le volet santé, mais au niveau sécurité c’est pareil: l’an dernier, un règlement de compte à l’arme blanche a fait deux morts sur la place la plus fréquentée de la ville, à 19h30 un dimanche, devant les terrasses de restaurants…

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Tout dépends de ce que l’on met derrière le terme de “bourgeoisie”. Il y a en France tout un tissu de petite bourgeoisie issue des trente glorieuse, des gens (souvent retraités) qui ont accumulé un petit patrimoine au terme d’une vie de labeur: des petits patrons de PME certes, mais aussi des commerçant, artisans, libéraux, indépendants voire même des salariés qui ont un petit patrimoine immobilier locatif et/ou financier, et dont le capital reste très largement national.]

              Il ne faut pas confondre « patrimoine » et « capital ». Le « capital », au sens marxiste du terme, c’est de la valeur investie dans le processus productif, et qui est rémunéré par de la plusvalue extraite sur le travail. L’ouvrier qui au bout d’une vie de labeur s’est acheté un petit pavillon ne possède pas un « capital », tout juste un patrimoine.

              Quand je parle de « bourgeois », j’utilise le terme dans un sens marxiste : ce sont ceux qui possèdent un capital – c’est-à-dire un patrimoine productif qui produit de la plusvalue. Ils sont donc caractérisés par leur position dans le processus de production, et non par l’étendue de leur patrimoine.

              [et qui sont en-dessous du seuil où il est rentable de se payer les conseillers fiscaux qui vont vous permettre d’internationaliser votre bas de laine (pour pouvoir diversifier ses investissement à l’échelle internationale, il faut suffisement d’oeufs à mettre dans tous les paniers).]

              Aujourd’hui, tout capital peut s’internationaliser facilement est sans seuil. Vous pouvez vous acheter des parts d’une SICAV composée d’actions d’entreprises européennes, chinoises ou américaines dans n’importe quelle banque, et il n’y a pas de seuil minimum pour y investir.

              [La plupart du temps, cette petite bourgeoisie utilise les revenus de son patrimoine pour aider ses enfants à s’installer, à lancer une activité, à se loger pour faire des études. Et bien souvent ils sont témoins direct du déclassement de la génération suivante: si cette génération née dans l’après guerre pouvait se loger sur son lieu de travail, et espérer pouvoir acheter une petite maison aux sables d’Olonne pour leurs vieux jours, il est désormais évident que leurs rejetons ne pourront pas accéder au même luxe par le fruit de leur travail: voyez la gronde en bretagne ou sur la côte ouest (sans même parler de la côte méditerranéenne) où des natifs sont dans l’incapacité de se loger là où ils sont nés (Saint Malo, La Rochelle, Biarritz par exemple, sont des villes où il est impossible d’acheter même avec un salaire équivalent à deux ou trois SMICs).]

              Mais de quels gens parlez-vous ? Des bourgeois ? Des classes intermédiaires ? Des couches populaires ? Il est clair que les couches populaires vivent un véritable déclassement : un ouvrier pouvait espérer dans les années 1960 prendre sa retraite en étant propriétaire de son logement et voir ses enfants monter de classe. Cela est devenu très difficile voire impossible aujourd’hui. Mais je ne vois pas le « déclassement » chez les classes intermédiaires : les fils d’avocat, de professeur, de médecin, d’ingénieur tirent très bien leur épingle du jeu. Quand je vois ce que font les enfants de mes anciens camarades de promotion en école d’ingénieur, je ne vois aucun qui balaye des bureaux ou qui éprouve de grandes difficultés à se loger…

              [Certes, ils vont hériter un jour du patrimoine de leurs parents (divisé par le nombre d’enfants et amputé des frais de succession),]

              Ne faisons pas dans le misérabilisme : aujourd’hui, les familles nombreuses sont rares – surtout chez les bourgeois et les familles des classes intermédiaires – et les frais de succession en ligne directe sont vraiment ridicules, surtout si vous utilisez les techniques du genre donation entre vifs.

              [Ce raisonnement n’a pas pour but de plaindre cette catégorie de personnes qui reste privilégiée, mais de démontrer que la déconnection du contexte d’affaissement du dynamisme économique national est loin d’être évidente.]

              Encore une fois, il faudrait préciser de quelle population on parle. Moi, je faisais référence au bloc dominant, classes intermédiaires et bourgeoisie. Et je ne vois vraiment pas de « déclassement » dans ces catégories, et encore moins une connexion évidente avec le contexte national. Au contraire : alors que la situation économique du pays ne fait que se dégrader, le patrimoine de ces couches sociales augmente régulièrement…

              [Par ailleurs, cette petite bourgeoisie, retraitée, issue d’un parcours “au mérite”, a connu la France “d’avant”, son école, son système de santé, son rayonnement international, et prends de plus en plus conscience de la mutation du système éducatif, du dépérissement de nos hopitaux, ceci sans être suffisamment “dans le coup” pour avoir accès aux réseaux privilégiés*. ]

              Cette « petite bourgeoisie » ne me paraît pas très bien définie. Oui, il existe un segment des couches populaires qui s’était enrichie dans les années 1960 – les fameuses « classes moyennes » des sociologues – et qui aujourd’hui prend conscience du dépérissement du pays. Mais cette couche est maintenant sortie des rapports économiques de production. Si son poids électoral est encore relativement important – c’est elle en grande partie qui fait le succès du RN – en termes économiques elle n’est pas en mesure de peser fortement sur le rapport de forces.

              [En plus d’être numériquement très majoritaire par rapport à la grande bourgeoisie internationalisée, son ancrage territorial est bien plus susceptible d’être sensible à un discours de reprise en main des institutions que ce que vous pensez. Je pense que la dychotomie de ligne éditoriale du Figaro qui fait de plus en plus cohabiter une analyse très “défense des institutions” en parallèle de l’approche traditionnellement libérale est un signe de cette évolution (comme vous le dites souvent, le but d’un journal est de vendre du papier, et si le Figaro publie ce type de tribunes, c’est qu’il y a une demande parmis ses lecteurs, dont votre serviteur fait partie) tout comme l’apparition (encore fragile) dans le sérail de la droite de personnalités endossant une posture de plus en plus “pro-Etat” voire souverainiste.]

              Sur ce point, je suis d’accord avec vous. Ces « classes moyennes » des sociologues, qui ont pu un moment être séduites par un discours libéral et européiste, en sont revenues. Comme vous le signalez, l’inflexion de la ligne éditoriale d’un journal comme Le Figaro mais aussi le dépérissement du PS le montrent. Le problème, c’est que cette prise de conscience touche des couches plutôt âgées, et qui sont donc plus près de la harpe que de la guitarre…

              [*exerçant une profession médicale libérale dans une agglomération de province de 60.000 habitants, je peux vous garantir que j’ai parmis ma patientèle un bon nombre de ces profils de la petite bourgeoise, mais aussi des cadres en activité d’ailleurs, qui sont touchés de plein fouet par la désertification médicale, et qui sont tout à fait conscients de cet effondrement de l’offre de santé: aisés ou pas, il faut toujours 6 mois pour avoir un rendez-vous, et encore, uniquement “grâce” à l’installation de praticiens issus de l’est de l’UE dont la validité des diplômes est parfois douteuse, sans parler de la maitrise de la langue.. Voilà pour le volet santé, mais au niveau sécurité c’est pareil: l’an dernier, un règlement de compte à l’arme blanche a fait deux morts sur la place la plus fréquentée de la ville, à 19h30 un dimanche, devant les terrasses de restaurants…]

              Certes. Mais s’insurger contre les conséquences c’est une chose, s’attaquer aux causes c’en est une autre. Qu’est ce que les classes intermédiaires sont prêtes à sacrifier pour renforcer les services publics, pour réindustrialiser le pays, pour récupérer notre souveraineté ? That is the question…

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [Il ne faut pas confondre « patrimoine » et « capital ». Le « capital » (…) Quand je parle de « bourgeois », j’utilise le terme dans un sens marxiste : ce sont ceux qui possèdent un capital – c’est-à-dire un patrimoine productif qui produit de la plusvalue. ]
               
              C’est bien dans ce sens que je l’entendais, j’ai sûrement été trop flou dans ma description, la caractérisation par les termes “patrimoine de plus ou moins un million d’euros” prêtant à confusion. La catégorie de population que je cible est celle des petits propriétaires-bailleurs, qui se recoupe également avec celle des personnes ayant un portefeuille d’actions de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’euros. Bien que majoritairement retraités, ces personnes n’en sont pas moins détentrices d’un capital générant de la plusvalue.
               
              [Aujourd’hui, tout capital peut s’internationaliser facilement est sans seuil. Vous pouvez vous acheter des parts d’une SICAV composée d’actions d’entreprises européennes, chinoises ou américaines dans n’importe quelle banque, et il n’y a pas de seuil minimum pour y investir.]
               
              Encore une fois j’ai dû être maladroit dans mes termes. La discussion portait explicitement sur la bourgeoisie internationalisée, c’est à dire les “citoyens du monde” (avec beaucoup de guillements) capables de se détacher (socialement et économiquement parlant) sans dommages du contexte national au point de n’avoir que faire des troubles éventuels issus de l’affaissement matériel et moral du reste de leurs concitoyens “nationaux” (désolé pour la redondance). Oui, vous pouvez “internationaliser” quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros, mais en aucun cas la détention de 100.000 euros de SICAVS ne vous permet de vous extraire de votre environnement national et d’habiter une ruelle privatisée dans une grande métropole. Le seuil de possessions en capital à atteindre pour pouvoir être indifférent à l’état des classes inférieures est selon moi bien plus élevé, et le sera de plus en plus au fur et à mesure que la dégradation s’accentuera.
               
              [Mais de quels gens parlez-vous ? Des bourgeois ? Des classes intermédiaires ? Des couches populaires ? (…)  je ne vois pas le « déclassement » chez les classes intermédiaires : les fils d’avocat, de professeur, de médecin, d’ingénieur tirent très bien leur épingle du jeu.]
               
              Je précise: je parle essentiellement des gens issus des classes populaires ayant soit bénéficié de la promotion sociale au cours des trentes glorieuses, soit du dynamisme de l’économie pour ce qui est des petites entreprises (artisanat, restauration, agriculture, etc) et qui ont pû constituer un CAPITAL (locatif, actions) de quelques centaines de milliers d’euros,  grâce au fruit de leur travail, et éventuellement de la perception d’un héritage issu du travail de leurs parents. Cette population, arrivant à l’âge de la retraite, perçoit bien souvent davantage d’argent de ses rentes que de sa retraite, ce qui m’incite à la considérer comme un acteur économique à part entière malgré son retrait du monde du travail, et à parler de “petite bourgeoisie” pour les caractériser, faute d’autre terme.
               
              [Ne faisons pas dans le misérabilisme]
               
              Ce n’est sûrement pas l’intention, je n’ai pas d’approche morale sur cette question.  Je cherche juste à explorer à la lumière de votre théorie matérialiste (qui me semble très pertinente) cette catégorie sociale, qui se caractérise par la possession d’un capital matériel réel mais limité ne leur permettant pas de s’extraire des remous des classes inférieures ni du cadre national. J’ajoute que parmi cette catégorie sociale, la possession d’un capital immatériel tel que celui qui caractérise les classes intermédiaires dans votre analyse, est nettement moins prégnant. Il s’agit en fait d’une catégorie sociale dont le capital est matériel mais insuffisamment conséquent pour garantir une reconduction de classe. En effet, leurs enfants ne sont pas balayeurs ou femmes de ménages, parce que les dons et les aides de leurs parents leur permettent de vivre confortablement, mais au prix de l’érosion du capital. 
               
              J’ajoute que cette “déclassification sociale” n’est pas toujours subie: un nombre conséquent de jeunes (et de “plus si jeunes que ça”) font sciemment le choix de vivre en mangeant le capital constitué par leurs parents sans même se donner la peine de l’entretenir ou de le faire fructifier, qu’il s’agisse du capital matériel ou immatériel d’ailleurs, en jetant aux orties des diplômes acquis après de dispendieuses études… Pour cette “lumpen-bourgeoisie”,  qui vote volontier LFI, ne fait plus de gosses et pare son attitude de la caution morale de la décroissance, en revanche, je ne vois guère de salut. Quand ils seront seuls, vieux et malades, ils comprendront peut-être (voilà une vraie raison supplémentaire de lutter corps et âme contre la légalisation de l’euthanasie !)
               
              [Cette « petite bourgeoisie » ne me paraît pas très bien définie. Oui, il existe un segment des couches populaires qui s’était enrichie dans les années 1960 – les fameuses « classes moyennes » des sociologues – et qui aujourd’hui prend conscience du dépérissement du pays. Mais cette couche est maintenant sortie des rapports économiques de production. Si son poids électoral est encore relativement important – c’est elle en grande partie qui fait le succès du RN – en termes économiques elle n’est pas en mesure de peser fortement sur le rapport de forces. ]
               
              C’est bien de cette catégorie dont je parle. Cependant, cette « petite bourgeoisie » bien que retraitée possède une grosse part du foncier et en tire des revenus locatifs, et accessoirement possède sous diverses formes (actions, assurances vies, etc) des actifs boursiers. N’est-ce pas suffisant pour considérer que cette catégorie sociale reste un acteur du rapport de force économique ?
               
              [Qu’est ce que les classes intermédiaires sont prêtes à sacrifier pour renforcer les services publics, pour réindustrialiser le pays, pour récupérer notre souveraineté ? That is the question…]
               
              Les classes intermédiaires, rien, elles n’ont jamais imaginé devoir quoi que ce soit à personne, ni à leurs aïeux, ni à leurs enfants d’ailleurs, et ne sont déjà plus en contact avec les classes populaires. Pourquoi sacrifieraient-elles quoi que ce soit pour des gens dont au mieux elle ignore jusqu’à l’existence dans le meilleurs des cas, au pire la méprise ?
               
              Les classes détenant un capital matériel, même restreint, sont davantage susceptibles de faire des sacrifices pour préserver la valeur de leur capital, a fortiori quand il s’agit de foncier dans des villes de petite et moyenne taille. Et puis, quand vous louez un appartement de 40m2 dans un quartier déshérité, à moins de passer par une agence qui se sucrera largement au passage,  vous êtes au contact de la difficulté sociale des bailleurs. Et côtoyer une réalité sociale, même en position dominante, vous incite toujours plus à la solidarité que de l’avoir hors de son champ de vision. “The question”, comme vous le dites, n’est pas à mes yeux “qu’est-ce que les classes intermédiaires sont prêtes à sacrifier”, mais qu’est-ce que la petite et moyenne bourgeoisie est prête à sacrifier. Et là, la réponse est bien plus évidente: sacrifier la politique de l’assistanat en faveur du lumpen pour réinvestir dans “les services publics, pour réindustrialiser le pays”, ça ne risque pas de les empêcher de dormir. Et le prolétariat n’y aura probablement pas grand chose à redire.
               

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [La catégorie de population que je cible est celle des petits propriétaires-bailleurs, qui se recoupe également avec celle des personnes ayant un portefeuille d’actions de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’euros. Bien que majoritairement retraités, ces personnes n’en sont pas moins détentrices d’un capital générant de la plusvalue.]

              Oui, mais dans leur revenu, cette plus-value représente une part faible, voire négligeable. Difficile de les amalgamer avec une bourgeoisie dont la position économique est fondée essentiellement sur le revenu du capital.

              [Aujourd’hui, tout capital peut s’internationaliser facilement est sans seuil. Vous pouvez vous acheter des parts d’une SICAV composée d’actions d’entreprises européennes, chinoises ou américaines dans n’importe quelle banque, et il n’y a pas de seuil minimum pour y investir.]

              [Oui, vous pouvez “internationaliser” quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros, mais en aucun cas la détention de 100.000 euros de SICAVS ne vous permet de vous extraire de votre environnement national et d’habiter une ruelle privatisée dans une grande métropole. Le seuil de possessions en capital à atteindre pour pouvoir être indifférent à l’état des classes inférieures est selon moi bien plus élevé, et le sera de plus en plus au fur et à mesure que la dégradation s’accentuera.]

              Je suis en partie d’accord avec vous : les seuils à partir desquels vous êtes totalement abstrait de votre environnement « national » sont relativement élevés.

              Il ne faut pas oublier que pour les classes intermédiaires, le capital est essentiellement immatériel. 100.000 € en SICAV ne vous permettent pas de vous extraire de votre environnement national… mais un diplôme d’ingénieur informatique et vingt ans d’expérience qui vous permettent de trouver un emploi royalement rémunéré dans une banque britannique ou singapourienne – tout en continuant à travailler depuis votre maison dans le Lot – si.

              Grâce à la ségrégation géographique toujours plus intense, vous n’avez pas besoin d’habiter dans une « ruelle privatisée » pour tenir à distance les couches populaires. Dans beaucoup de métropoles, vous arrivez à ce résultat à des tarifs tout à fait convenables, et avec la généralisation du télétravail on voit apparaître des « ilôts » des classes intermédiaires « internationalisées » dans les campagnes.

              [Je précise: je parle essentiellement des gens issus des classes populaires ayant soit bénéficié de la promotion sociale au cours des trente glorieuses, soit du dynamisme de l’économie pour ce qui est des petites entreprises (artisanat, restauration, agriculture, etc) et qui ont pû constituer un CAPITAL (locatif, actions) de quelques centaines de milliers d’euros, grâce au fruit de leur travail, et éventuellement de la perception d’un héritage issu du travail de leurs parents. Cette population, arrivant à l’âge de la retraite, perçoit bien souvent davantage d’argent de ses rentes que de sa retraite, ce qui m’incite à la considérer comme un acteur économique à part entière malgré son retrait du monde du travail, et à parler de “petite bourgeoisie” pour les caractériser, faute d’autre terme.]

              Vous entrez là dans une problématique très intéressante. Vous supposez que le revenu tiré de la location d’un appartement est une forme de « plusvalue », et assimilez le capital immobilier à du capital productif. Mais est-ce le cas ? La plusvalue apparaît dans le processus de production : le travailleur vend sa force de travail, et celle-ci produit une valeur dont le travailleur ne reçoit qu’une partie. Le propriétaire qui loue son appartement ne produit aucune valeur. A partir de là, peut on considérer l’appartement comme un « capital » au sens marxiste du terme ?

              La location d’un appartement est une opération de consommation, et non de production. Le propriétaire « vend » l’usage de son bien, de la même manière que le loueur de pédalos vous « vend » l’usage d’un pédalo. Mais contrairement à celui qui loue un champ cultivé, l’usage en question n’a pas pour finalité la production de valeur. Peut-on alors parler de « plusvalue » ?

              [Je cherche juste à explorer à la lumière de votre théorie matérialiste (qui me semble très pertinente) cette catégorie sociale, qui se caractérise par la possession d’un capital matériel réel mais limité ne leur permettant pas de s’extraire des remous des classes inférieures ni du cadre national. J’ajoute que parmi cette catégorie sociale, la possession d’un capital immatériel tel que celui qui caractérise les classes intermédiaires dans votre analyse, est nettement moins prégnant. Il s’agit en fait d’une catégorie sociale dont le capital est matériel mais insuffisamment conséquent pour garantir une reconduction de classe. En effet, leurs enfants ne sont pas balayeurs ou femmes de ménages, parce que les dons et les aides de leurs parents leur permettent de vivre confortablement, mais au prix de l’érosion du capital.]

              Je vois un peu mieux je crois le groupe social dont vous parlez. C’est en fait une partie des classes intermédiaires, c’est-à-dire, des individus dont le capital est suffisant pour ne pas être lui-même exploité mais insuffisant pour exploiter les autres. Seulement, pour le groupe en question le capital est bien matériel, et non pas immatériel. J’ai bien compris ?

              Si c’est le cas, je suis d’accord avec vous. Comme Marx l’avait montré, le capital matériel tend à se concentrer et les « petits capitalistes » risquent le déclassement devant les « grands capitalistes ».

              [J’ajoute que cette “déclassification sociale” n’est pas toujours subie: un nombre conséquent de jeunes (et de “plus si jeunes que ça”) font sciemment le choix de vivre en mangeant le capital constitué par leurs parents sans même se donner la peine de l’entretenir ou de le faire fructifier, qu’il s’agisse du capital matériel ou immatériel d’ailleurs, en jetant aux orties des diplômes acquis après de dispendieuses études… Pour cette “lumpen-bourgeoisie”, qui vote volontiers LFI, ne fait plus de gosses et pare son attitude de la caution morale de la décroissance, en revanche, je ne vois guère de salut. Quand ils seront seuls, vieux et malades, ils comprendront peut-être (voilà une vraie raison supplémentaire de lutter corps et âme contre la légalisation de l’euthanasie !)]

              Là encore, vous posez une question intéressante, celle des « classes suicidaires », dont la logique a été résumée par la formule de Madame de Pompadour : « après nous, le déluge ». On a plusieurs exemples dans l’histoire de groupes sociaux qui se sont « suicidés » en consommant massivement leur héritage sans se soucier de leur postérité.

              [C’est bien de cette catégorie dont je parle. Cependant, cette « petite bourgeoisie » bien que retraitée possède une grosse part du foncier et en tire des revenus locatifs, et accessoirement possède sous diverses formes (actions, assurances vies, etc) des actifs boursiers. N’est-ce pas suffisant pour considérer que cette catégorie sociale reste un acteur du rapport de force économique ?]

              Très relativement, pour les raisons exposées plus haut. Même si elle a des revenus importants, son insertion dans le processus de production de la valeur – qui est celui qui détermine en dernière instance le fonctionnement de la société – est minime.

              [“The question”, comme vous le dites, n’est pas à mes yeux “qu’est-ce que les classes intermédiaires sont prêtes à sacrifier”, mais qu’est-ce que la petite et moyenne bourgeoisie est prête à sacrifier. Et là, la réponse est bien plus évidente: sacrifier la politique de l’assistanat en faveur du lumpen pour réinvestir dans “les services publics, pour réindustrialiser le pays”, ça ne risque pas de les empêcher de dormir. Et le prolétariat n’y aura probablement pas grand chose à redire.]

              Je suis d’accord, et le clivage sur les questions d’immigration montrent où se situe la difficulté. C’est la bourgeoisie financiarisée et les classes intermédiaires qui parlent de régularisation et d’ouverture des frontières, la petite et moyenne bourgeoisie et les couches populaires qui y sont hostiles.

            • Carloman dit :

              @ Descartes & P2R,
               
              Je trouve votre débat très intéressant et très enrichissant. Merci à vous deux.
               
              [On a plusieurs exemples dans l’histoire de groupes sociaux qui se sont « suicidés » en consommant massivement leur héritage sans se soucier de leur postérité.]
              Pardonnez ma curiosité, mais pourriez-vous développer quelques exemples? Cela m’intéresse.

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Pardonnez ma curiosité, mais pourriez-vous développer quelques exemples? Cela m’intéresse.]

              Je pensais un peu à l’aristocratie de l’Ancien régime à la fin du XVIIIème siècle, qui a refusé tout prélèvement sur son niveau de vie et a préféré sombrer plutôt que de partager. On peut aussi penser à ce que dit Gibbons sur la décadence de l’Empire romain – mais c’est à prendre avec des pincettes, parce que le risque d’anachronisme dans l’interprétation est important. Je pensais aussi au célèbre dialogue des deux aristocrates dans “la grande illusion” de Jean Renoir. Peut-être l’aristocratie espagnole qui a fait comme si l’or des Amériques était inépuisable ?

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [Il ne faut pas oublier que pour les classes intermédiaires, le capital est essentiellement immatériel. (…) un diplôme d’ingénieur informatique et vingt ans d’expérience qui vous permettent de trouver un emploi royalement rémunéré dans une banque britannique ou singapourienne – tout en continuant à travailler depuis votre maison dans le Lot – si.]
               
              Je pense que vous faites une erreur en restreignant la catégorie des “classes intermédiaires” à une minorité de l’iceberg, certe émergée, que l’on voit dans les médias et dans les mirages de la “start-up nation”, alors que selon moi, l’immense majorité (numérique) de ces classes incarnant l’électorat Macron en partie, mais surtout celui de la NUPES est représentée par les gens qui travaillent dans le social et le culturel, et qui sont déconnectés des contingences nationales non pas parce que leur capital immatériel leur permet d’être compétitifs sur le plan professionnel, mais parce qu’ils touchent une rente que justifie l’idéologie à laquelle ils souscrivent, leurs emplois étant très largement soit subventionnés, soit perçus comme étant le nouvel alpha/oméga de la vie en société du XXIe siècle. Un psychologue, une assistante sociale, un coach bien-être, un éduc spé, un technicien intermittent du spectacle ou un naturopathe n’ont aucun intérêt à tirer contre leur camp en soutenant le retour à une société plus normative, plus rationnelle et plus efficace qui pourrait se passer de leurs services… Bien qu’étant loin d’avoir le pouvoir de se soustraire aux turpitudes de la société, ils ne se privent pas de voter pour les partis les plus acharnés à détruire nos institutions (LFI/EELV).
               
              [Vous entrez là dans une problématique très intéressante. Vous supposez que le revenu tiré de la location d’un appartement est une forme de « plusvalue », et assimilez le capital immobilier à du capital productif. Mais est-ce le cas ? La plusvalue apparaît dans le processus de production : le travailleur vend sa force de travail, et celle-ci produit une valeur dont le travailleur ne reçoit qu’une partie. Le propriétaire qui loue son appartement ne produit aucune valeur. A partir de là, peut on considérer l’appartement comme un « capital » au sens marxiste du terme ?]
               
              L’argent du loyer que le bailleur paie au propriétaire ne poussant pas sur les arbres, ne doit-on pas considérer que le bailleur perçoit une partie de la valeur produite par le travailleur ? Que le logement loué par le travailleur ne soit pas DIRECTEMENT considéré comme l’outil de travail ne change rien à la donne. Pour appuyer ma thèse, deux cas de figure me viennent en tête: premièrement, imaginez un travailleur qui dorme sous un pont. Sa productivité au travail sera-t’elle égale à celle du travailleur qui dort au sec ? Non, c’est évident. Ne doit-on pas dès lors considérer le logement comme un outil au service de la productivité du travailleur, et donc créateur de plus-value ? Deuxième exemple, encore plus parlant: celui d’une personne travaillant à domicile, ou le cas de la location d’un pas-de-porte. Dans ce cas le rapport entre le “logement-capital” et la production de valeur est encore plus direct.
               
              [Je vois un peu mieux je crois le groupe social dont vous parlez. C’est en fait une partie des classes intermédiaires, c’est-à-dire, des individus dont le capital est suffisant pour ne pas être lui-même exploité mais insuffisant pour exploiter les autres. Seulement, pour le groupe en question le capital est bien matériel, et non pas immatériel. J’ai bien compris ?]
               
              C’est l’idée. J’étends même la catégorie à ceux qui ont un capital matériel+immatériel suffisant pour exploiter les autres, mais pas assez pour les exploiter suffisamment pour vivre dans une strate sociale suffisamment étanche du prolétariat pour pouvoir foutre de ses conditions de vie. On retrouve dans cette catégorie un grand nombre de patrons d’entreprises non délocalisables type métiers du bâtiment, mais aussi dans du tertiaire de proximité, où l’effondrement du niveau scolaire des jeunes adultes, additionné à la déliquescence de toutes les règles de savoir-vivre au sens large entraîne de graves problèmes dans le recrutement, qui ne sont pas immédiatement solubles par l’importation d’une main d’oeuvre immigrée. Le maraîcher peut composer avec un cueilleur de fraises “de passage” qui parle mal français ou s’habille n’importe comment ou n’ait aucune notion de courtoisie élémentaire, et le remplacer s’il plante un autre immigré avec qui il ne s’entends pas, mais pour le patron qui doit recruter une secrétaire, un ouvrier qualifié, une assistante médicale, un vendeur de prêt à porter ou un serveur de restaurant, la dégradation généralisée des profils commence à être réellement problématique.
               
              [Là encore, vous posez une question intéressante, celle des « classes suicidaires », dont la logique a été résumée par la formule de Madame de Pompadour : « après nous, le déluge ». On a plusieurs exemples dans l’histoire de groupes sociaux qui se sont « suicidés » en consommant massivement leur héritage sans se soucier de leur postérité.]
               
              J’ai une théorie à ce sujet, qui concerne en fait la place du concept d’héritage dans l’imaginaire commun d’une classe sociale donnée. Chez la bourgeoisie, où l’héritage est une institution, le patrimoine reçu a souvent traversé les siècles, et mérite certains égards: il sera fort mal vu de laisser à ses enfants un héritage que l’on a pas sû au moins pérenniser, au mieux étoffer, et le regard des pairs sera encore plus sévère si cet héritage a été brûlé inconséquemment. En revanche, chez les classes intermédiaires, où prédomine la notion de “ne devoir rien à personne”, voire d’être la victime d’un “système patriarcal périmé”, la dilution du patrimoine constitué par les parents (souvent au cours d’une, voire de deux générations mais guère plus) devient quasiment un acte militant bien pratique, puisqu’il permet à la fois de vivre confortablement sans en foutre une rame tout en brûlant le fruit du travail de ces salauds de “boomers”, forcément mal acquis puisqu’au détriment de la sainte planète…
               
              [Je suis d’accord, et le clivage sur les questions d’immigration montrent où se situe la difficulté. C’est la bourgeoisie financiarisée et les classes intermédiaires qui parlent de régularisation et d’ouverture des frontières, la petite et moyenne bourgeoisie et les couches populaires qui y sont hostiles.]
               
              Tout le sujet est de savoir à quel point ces classes sont ou ne sont pas encore engagées sur cette voie de la lutte contre l’affaissement de notre nation, autrement dit où en est la dynamique de report des voix vers le RN, pour le dire trivialement, vu que Le Pen reste la dernière candidate disponible à symboliser cette tentation d’un “retour à l’ordre”, bien qu’on sente aussi un frémissement dans certaines composantes de LR, qui voient le train passer et commencent à se dire qu’ils ont peut-être raté quelque-chose. A ce jour, il semble que nous n’avons pas encore atteint le “pic”, puisque les sondages continuent de monter en faveur de la candidate RN, et je pense que l’entreprise de démonstration de responsabilité à l’assemblée a convaincu un bon nombre de réticents. 
               
              A mon avis il manque une seule chose pour que la victoire RN devienne inéluctable: un discours explicitement adressé aux banlieues et aux français d’origine étrangère, remettant au centre du jeu l’enjeu de l’assimilation, à savoir une citoyenneté pleine et entière en contrepartie d’une condamnation explicite de tout acte raciste d’une part et de tout comportement communautaire d’autre part, et d’une tolérance zéro immédiate envers tout acte de violence envers les habitants de banlieues, en particulier concernant les crimes mafieux. Un tel discours aurait le double effet de rassurer ceux qui pensent qu’une arrivée au pouvoir serait immédiatement accompagnée de ratonnades de partisans FN “à l’ancienne” se sentant pousser des ailes, et par ailleurs, j’en suis certain, de ramener un certain nombre d’électeurs vivant dans ces banlieues qui crèvent de l’abandon auquel ils font face depuis des décennies et qui sont prêts à payer le prix de l’ordre dans le secret de l’isoloir.
               

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Je pense que vous faites une erreur en restreignant la catégorie des “classes intermédiaires” à une minorité de l’iceberg, certes émergée, que l’on voit dans les médias et dans les mirages de la “start-up nation”, alors que selon moi, l’immense majorité (numérique) de ces classes incarnant l’électorat Macron en partie, mais surtout celui de la NUPES est représentée par les gens qui travaillent dans le social et le culturel, et qui sont déconnectés des contingences nationales non pas parce que leur capital immatériel leur permet d’être compétitifs sur le plan professionnel, mais parce qu’ils touchent une rente que justifie l’idéologie à laquelle ils souscrivent, leurs emplois étant très largement soit subventionnés, soit perçus comme étant le nouvel alpha/oméga de la vie en société du XXIe siècle.]

              La « déconnexion des contingences nationales » de ces couches-là n’est pas triviale. Même si elles sont rémunérées largement par la subvention publique, cette subvention n’est pas automatique, et dépend fortement de l’état des finances publiques et des choix « nationaux » en matière de protection sociale. L’effondrement de l’hôpital est de ce point de vue un exemple assez significatif.

              Il faudrait d’ailleurs se demander quelle partie de ceux qui travaillent dans le secteur culturel ou social font fructifier un « capital immatériel » qui les met à l’abri du processus d’exploitation, et combien d’entre eux sont exploités et appartiennent donc aux couches populaires.

              [Un psychologue, une assistante sociale, un coach bien-être, un éduc spé, un technicien intermittent du spectacle ou un naturopathe n’ont aucun intérêt à tirer contre leur camp en soutenant le retour à une société plus normative, plus rationnelle et plus efficace qui pourrait se passer de leurs services…]

              Oui, mais on rentre là dans un intérêt qui n’est pas à proprement parler un intérêt de classe, mais de groupe professionnel. Aucun métier n’a intérêt à favoriser un processus qui le ferait disparaître, et c’est d’autant plus vrai que le « capital immatériel » pour exercer ce métier est important. Mais ce processus touche autant les prolétaires – pensez aux mineurs de fond – que les classes intermédiaires…

              [L’argent du loyer que le bailleur paie au propriétaire ne poussant pas sur les arbres, ne doit-on pas considérer que le bailleur perçoit une partie de la valeur produite par le travailleur ?]

              Bien entendu, puisque TOUTE valeur est produite par le travail, TOUT revenu est nécessairement le résultat de la valeur produite par le travailleur. Mais ce qui est vrai du bailleur, est vrai du boucher qui vend à l’ouvrier une paire de côtelettes. Est-ce que lors de l’achat chez le boucher il y a de la plusvalue extraite du client ?

              Le travailleur, une fois sa paye touchée – paye qui est inférieure à la valeur produite, la différence étant empochée par le capitaliste – dépense la valeur de cette paye pour satisfaire ses besoins ou, s’il en reste, ses envies. Il achète du lait, de la viande, de l’essence… et l’usage de son appartement. Ces achats ne produisent pas, en eux-mêmes, de la valeur. C’est une simple transformation de la valeur sous forme de monnaie en valeur sous forme de biens ou de services. Cette transformation ne produit pas, en elle-même, de plusvalue…

              [Que le logement loué par le travailleur ne soit pas DIRECTEMENT considéré comme l’outil de travail ne change rien à la donne. Pour appuyer ma thèse, deux cas de figure me viennent en tête: premièrement, imaginez un travailleur qui dorme sous un pont. Sa productivité au travail sera-t’elle égale à celle du travailleur qui dort au sec ? Non, c’est évident.]

              Mais prenez par exemple un ouvrier qui au lieu de manger des légumes et de la viande ne mangerait que des pâtes. Sa productivité au travail serait la même que celle du travailleur qui a une alimentation équilibrée ? Non. Pourquoi alors considérer différemment le commerçant qui vend l’usage d’un appartement et le commerçant qui vend des côtelettes ou des pêches ?

              L’échange de valeur monétaire en valeur réelle ne produit pas de valeur, et ne peut donc pas produire de la plusvalue. L’individu qui vend une côtelette, une pêche, ou le droit d’occuper un logement ne fait que transformer une forme de valeur en une autre. Il n’extrait donc pas de la plusvalue, quand bien même le produit qu’il vend augmente la productivité du travailleur. Pour faire un raisonnement par l’absurde, on pourrait d’ailleurs se poser la question opposée : celui qui vend du cannabis ou de l’alcool, produits qui font baisser la productivité du travailleur, céderait-il de la « plusvalue » ? Vous noterez que pourtant il gagne de l’argent, et même plus, qu’en louant un appartement…

              [J’ai une théorie à ce sujet, qui concerne en fait la place du concept d’héritage dans l’imaginaire commun d’une classe sociale donnée. Chez la bourgeoisie, où l’héritage est une institution, le patrimoine reçu a souvent traversé les siècles, et mérite certains égards: il sera fort mal vu de laisser à ses enfants un héritage que l’on a pas sû au moins pérenniser, au mieux étoffer, et le regard des pairs sera encore plus sévère si cet héritage a été brûlé inconséquemment. En revanche, chez les classes intermédiaires, où prédomine la notion de “ne devoir rien à personne”, voire d’être la victime d’un “système patriarcal périmé”, la dilution du patrimoine constitué par les parents (souvent au cours d’une, voire de deux générations mais guère plus) devient quasiment un acte militant bien pratique, puisqu’il permet à la fois de vivre confortablement sans en foutre une rame tout en brûlant le fruit du travail de ces salauds de “boomers”, forcément mal acquis puisqu’au détriment de la sainte planète…]

              C’est une théorie intéressante. Un politique anglais avait dit que les classes moyennes, c’est comme une mule : sans fierté de ses ancêtres, sans espoir de postérité. Le fait que le capital des classes intermédiaires soit en grande partie immatériel, et a besoin donc d’être renouvelé à chaque génération, fait que leur vision de l’héritage ne soit pas le même que celui de la bourgeoisie. Mais on pourrait se référer aussi au raisonnement de Castoriadis, et considérer que la sensibilité à la problématique de la lignée est une structure héritée de l’aristocratie, que le capitalisme n’est pas capable de reproduire.

              [A mon avis il manque une seule chose pour que la victoire RN devienne inéluctable: un discours explicitement adressé aux banlieues et aux français d’origine étrangère, remettant au centre du jeu l’enjeu de l’assimilation, à savoir une citoyenneté pleine et entière en contrepartie d’une condamnation explicite de tout acte raciste d’une part et de tout comportement communautaire d’autre part, et d’une tolérance zéro immédiate envers tout acte de violence envers les habitants de banlieues, en particulier concernant les crimes mafieux.]

              Tout à fait d’accord. Je pense que ce discours va venir au fur et à mesure que l’implantation locale mettra le RN en relation avec ces populations.

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [Bien entendu, puisque TOUTE valeur est produite par le travail, TOUT revenu est nécessairement le résultat de la valeur produite par le travailleur. Mais ce qui est vrai du bailleur, est vrai du boucher qui vend à l’ouvrier une paire de côtelettes. Est-ce que lors de l’achat chez le boucher il y a de la plusvalue extraite du client ?(…) Ces achats ne produisent pas, en eux-mêmes, de la valeur. C’est une simple transformation de la valeur sous forme de monnaie en valeur sous forme de biens ou de services. Cette transformation ne produit pas, en elle-même, de plusvalue…]
               
              Mais à ce compte-là, pour vous, les commerçants ne sont pas non plus des acteurs économiques entrant dans les rapports de forces entre classes ? Car c’était là le cœur du sujet…
               
              Une autre approche plus pertinente pourrait être de considérer le bien immobilier comme un capital exploité par le bailleur. Tout comme le commerçant permet une mise à disposition du produit qu’il vends, l’emballage, le conseil, et en conséquent peut revendre 12 ce qu’il achète 10, le bailleur assure la rénovation et l’entretien du bien qu’il loue, la gestion des loyers et des problèmes inhérents aux locataires… et touche une plus-value lors de la perception du loyer par rapport à son investissement de base. 
               
              Sinon comment qualifiez-vous ce bénéfice réalisé par le bailleur, de manière à faire de ce dernier un agent économiquement neutre  ?
               

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Mais à ce compte-là, pour vous, les commerçants ne sont pas non plus des acteurs économiques entrant dans les rapports de forces entre classes ? Car c’était là le cœur du sujet…]

              Si. Le commerçant produit un service : celui d’amener jusqu’à chez vous des biens dont vous avez besoin, de les stocker, de les présenter. Si pour produire ce service il emploie des travailleurs, il extrait sur ces derniers de la plusvalue. Mais la question discutée ici est de savoir s’il extrayait de la plusvalue sur le CLIENT. Et la réponse, à mon avis, est négative…

              [Une autre approche plus pertinente pourrait être de considérer le bien immobilier comme un capital exploité par le bailleur.]

              Le problème, est que pour que cette approche fonctionne il faudrait que ce capital serve à un travailleur à produire de la valeur. Car, il faut le rappeler toujours, dans l’approche classique SEUL LE TRAVAIL PRODUIT DE LA VALEUR. Autrement dit, on ne peut « exploiter » un capital que grâce au travail.

              Si je loue un champ à un paysan, mon loyer est une partie de la production du champ en question. Autrement dit, c’est le travail du paysan qui produit de la valeur, et le bailleur du champ récupère une partie de cette valeur. Mais celui qui loue un appartement à usage d’habitation n’est pas dans cette logique. Le locataire peut d’ailleurs être indifféremment un travailleur ou un rentier !

              [Tout comme le commerçant permet une mise à disposition du produit qu’il vends, l’emballage, le conseil, et en conséquent peut revendre 12 ce qu’il achète 10,]

              Non. Lorsque le commerçant vous vend pour 12 ce qu’il achète pour 10, il empoche de la valeur. Mais qui produit cette valeur. Rappelons ce point essentiel : SEUL LE TRAVAIL PRODUIT DE LA VALEUR. Alors, la différence empochée par le commerçant ne peut avoir que deux sources : le travail qui a servi à produire le bien qu’il commercialise (ce qui supposerait que le capitaliste qui a acheté ce travail lui laisse une partie de la plusvalue) ou bien, et c’est plus logique, le travail que le commerçant et ses employés accomplissent. Mais le client, lui, ne travaille pas… ou pas évidemment.

              [le bailleur assure la rénovation et l’entretien du bien qu’il loue, la gestion des loyers et des problèmes inhérents aux locataires… et touche une plus-value lors de la perception du loyer par rapport à son investissement de base.]

              Non. S’il assure la rénovation et l’entretien, la gestion des loyers et des problèmes, alors il effectue un TRAVAIL et produit de la VALEUR. Et c’est cette valeur là qu’il empoche.

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [Non. S’il assure la rénovation et l’entretien, la gestion des loyers et des problèmes, alors il effectue un TRAVAIL et produit de la VALEUR. Et c’est cette valeur là qu’il empoche.]
               
              Ce qui en fait un acteur économique susceptible d’interagir dans les luttes de pouvoir entre classe, non ? sinon pourquoi ? (puisque c’était le point de départ du débat)

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [Ce qui en fait un acteur économique susceptible d’interagir dans les luttes de pouvoir entre classe, non ? sinon pourquoi ? (puisque c’était le point de départ du débat)]

              Oui, mais en tant que “producteur” d’un service (production pour laquelle il est susceptible d’exploiter des employés, ce qui en ferait un bourgeois, ou bien par son propre travail, ce qui en ferait une “classe intermédiaire”). Mais pas en tant que “exploiteur” du locataire… et c’était ce point là qui était en discussion.

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [Oui, mais en tant que “producteur” d’un service (production pour laquelle il est susceptible d’exploiter des employés, ce qui en ferait un bourgeois, ou bien par son propre travail, ce qui en ferait une “classe intermédiaire”).]
               
              Nous sommes tout à fait d’accord
               
              [ Mais pas en tant que “exploiteur” du locataire… et c’était ce point là qui était en discussion.]
               
              Non, le point de départ était de savoir si le capital immobilier était assimilable à un capital productif, avec en arrière plan la question de savoir comment caractériser au sens marxiste du terme la population qui détient un capital immobilier. Je vous cite:
               

              “Vous supposez que le revenu tiré de la location d’un appartement est une forme de « plusvalue », et assimilez le capital immobilier à du capital productif. Mais est-ce le cas ? La plusvalue apparaît dans le processus de production : le travailleur vend sa force de travail, et celle-ci produit une valeur dont le travailleur ne reçoit qu’une partie. Le propriétaire qui loue son appartement ne produit aucune valeur. A partir de là, peut on considérer l’appartement comme un « capital » au sens marxiste du terme ?”

               
              Je me suis égaré dans un raisonnement boiteux en imaginant que le bailleur prélève de la plus-value sur le travail du locataire, en effet c’est une erreur. En revanche la vôtre a été de considérer exclusivement la production de plus-value à travers l’usage que fait le LOCATAIRE du bien loué (je vous cite: “contrairement à celui qui loue un champ cultivé, l’usage en question n’a pas pour finalité la production de valeur.”), alors qu’il faut également envisager la question sous l’angle de l’usage que fait le BAILLEUR de son capital immobilier. Et là, en effet il y a création de plus-value, comme vous l’indiquez, qui est soit prélevée sur l’exploitation du personnel payé pour permettre la location (artisans, agence immobilière) soit perçue directement par le propriétaire s’il accomplit lui même le travail nécessaire à la mise à disposition du bien.
               
              C’est pourquoi votre position de départ, à savoir (je cite) “Le propriétaire qui loue son appartement ne produit aucune valeur” me semble erronnée, et que, pour enfin répondre à la question posée, on peut bel et bien considérer un bien immobilier mis en location comme un capital au sens marxiste du terme.
               

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [C’est pourquoi votre position de départ, à savoir (je cite) “Le propriétaire qui loue son appartement ne produit aucune valeur” me semble erronnée, et que, pour enfin répondre à la question posée, on peut bel et bien considérer un bien immobilier mis en location comme un capital au sens marxiste du terme.]

              Nous sommes d’accord.

  13. marc.malesherbes dit :

     
    sur l’Ukraine … encore
     
    à travers vos commentaires passés, j’ai cru comprendre que vous étiez contre la livraison par la France d’armes à l’Ukraine.
     
    Je suppose que votre position n’a pas changé sur ce point, mais au-delà considérez-vous que la France ne devrait pas participer aux mesures d’embargo contre la Russie ? 
    Devrait-elle en particulier continuer la fourniture de matériels militaires à la Russie en fonction de ses demandes ?
     
    Sur le plan diplomatique, devrait-elle reconnaître le territoire « russe » de la Crimée, ainsi que des 4 oblasts « russes » de l’est de l’Ukraine  comme faisant partie de la Fédération de Russie ?
     
    Vos réponses me permettraient de mieux comprendre votre position.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Je suppose que votre position n’a pas changé sur ce point, mais au-delà considérez-vous que la France ne devrait pas participer aux mesures d’embargo contre la Russie ? Devrait-elle en particulier continuer la fourniture de matériels militaires à la Russie en fonction de ses demandes ? Sur le plan diplomatique, devrait-elle reconnaître le territoire « russe » de la Crimée, ainsi que des 4 oblasts « russes » de l’est de l’Ukraine comme faisant partie de la Fédération de Russie ?]

      Votre question appelle une première remarque : citant Napoléon, la pire erreur d’un stratège est de se laisser enfermer dans une situation à partir de laquelle il n’y a plus que des mauvaises solutions. Pendant les vingt dernières années, nous avons suivi les américains dans leur croisade pour rapprocher toujours plus les frontières de l’OTAN de la Russie. Ce faisant, nous avons mis le doigt dans cet engrenage qui a conduit à la guerre en Ukraine. Et à partir de là, il ne nous reste guère de « bonne » solution. Nous désolidariser de la stratégie que nous avons soutenu pendant vingt ans, ce n’est pas une évidence. Et d’un autre côté, continuer cette stratégie ne sert en rien nos intérêts, au contraire.

      Maintenant, nous avons pris l’avion qui nous conduit chez le bourreau, et celui-ci a décollé. Et nous n’avons pas de parachute. Vous me demandez s’il vaut mieux aller au bout du voyage pour se faire exécuter, ou bien ouvrir la porte et sauter tout de suite…

      Maintenant, si vous me demandez ce que je ferais si j’étais à l’Elysée, ma réponse est « je jouerais double jeu ». Je promettrai des canons, des munitions et des avions à Zelenski, et je ne tiendrai pas mes promesses avec différents prétextes. Et en même temps, j’essaierai discrètement de sauver ce qui peut l’être de notre relation avec la Russie. Et, troisième axe d’action, j’essaierais de discuter avec les BRICS pour chercher à monter une médiation pour mettre fin à la guerre sur des bases qui à mon avis ne peuvent être que les suivantes :

      1) La reconnaissance de l’annexion par la Russie de la Crimée.
      2) La restauration des « 4 oblast » à l’Ukraine en échange d’une « finlandisation » de cette dernière garantie constitutionnellement et par traité (l’adhésion à l’espace économique européen étant à discuter).

      • marc.malesherbes dit :

         
        merci de votre réponse.
         
        « si vous me demandez ce que je ferais si j’étais à l’Elysée »
        C’était bien ma question.Plus exactement j’aurai du préciser :
        « que proposeriez à Macron de faire si vous étiez son conseiller et qu’il suive vos avis ». Cela suppose que vous teniez compte de la situation actuelle de Macron, et de la marge de manœuvre politique dont il dispose actuellement.
         
        Votre proposition « je jouerais double jeu …». est effectivement une proposition qu’il pourrait suivre.
        Toutefois je la trouve bien timorée. Il pourrait aller beaucoup plus loin dans votre sens.Je me demande donc pourquoi vous vous en tenez là.
         
        Par exemple, il pourrait tout à fait publiquement arrêter la livraison d’armes à l’Ukraine. Il trouverait suffisamment d’appuis politiques pour le faire, le RN, LFI, PCF, une grande partie des LR. Il suffirai qu’il prépare un peu le terrain en dénonçant les actions inacceptables des Ukrainiens, corruption, civils tués … Il n’aurait pas de mal à en trouver. Puis il invoquerait les droits de l’homme pour rallier ses soutiens naturels.
         
        Et cette position politique publique aurait beaucoup plus d’effets ; compliquant l’aide de l’UE, rassemblant autour de lui tous ceux qui sont contre la livraison d’armes à l’Ukraine confortant la position russe, affaiblissant la position US …
         
        Ma question serait donc : pourquoi êtes vous si en deçà de ce qui serait possible ?
         

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [Votre proposition « je jouerais double jeu …». est effectivement une proposition qu’il pourrait suivre. Toutefois je la trouve bien timorée. Il pourrait aller beaucoup plus loin dans votre sens. Je me demande donc pourquoi vous vous en tenez là.]

          Parce que je suis un réaliste, et que n’étant pas soixante-huitard, pour moi le réalisme ne consiste pas à demander – ou à conseiller – l’impossible :

          [Par exemple, il pourrait tout à fait publiquement arrêter la livraison d’armes à l’Ukraine.]

          « Publiquement » ? Non, je ne le crois pas. Après avoir pendant un an clamé sur tous les tons qu’on était prêt à se battre jusqu’au dernier ukrainien, difficile du jour au lendemain d’expliquer que finalement on les laissera se battre à main nues. Je vous rappelle que vous m’aviez demandé ce que je conseillerais à Macron dans le contexte d’AUJOURD’HUI.

          [Il trouverait suffisamment d’appuis politiques pour le faire, le RN, LFI, PCF, une grande partie des LR.]

          Certainement pas. Ces gens seraient peut-être – je dis bien peut-être – d’accord en privé, mais ils ne le diront jamais en public, au contraire. Qui oserait aujourd’hui défier les grands intellectuels médiatiques, gardiens de la morale et des mœurs publiques ? Et au-delà de ces personnages, comment aller contre l’idéologie de classes moyennes qui ont embrassé avec délectation le camp américain, parce que c’est là que se retrouvent leurs intérêts ?

          [Il suffirait qu’il prépare un peu le terrain en dénonçant les actions inacceptables des Ukrainiens, corruption, civils tués … Il n’aurait pas de mal à en trouver. Puis il invoquerait les droits de l’homme pour rallier ses soutiens naturels.]

          Et il se casserait les nez. Ses « soutiens naturels » n’ont aucune envie de se voir fermer les portes du marché américain. Il aurait contre lui tout ce qui compte dans le monde de la culture et des médias. Quel serait le résultat à votre avis ?

          [Et cette position politique publique aurait beaucoup plus d’effets ; compliquant l’aide de l’UE, rassemblant autour de lui tous ceux qui sont contre la livraison d’armes à l’Ukraine confortant la position russe, affaiblissant la position US …]

          Je vois mal en quoi cela « compliquerait l’aide de l’UE ». Cela fait bien longtemps que la France ne pèse guère dans les décisions européennes. Une prise de position dans ce sens affaiblirait certainement les US et nous rapprocherait des BRICS… et c’est pourquoi on devrait s’attendre à une réaction violente des Américains. Et les Américains ont des relais de pouvoir chez nous bien plus puissants que vous ne le pensez…

          [Ma question serait donc : pourquoi êtes-vous si en deçà de ce qui serait possible ?]

          Parce que je ne suis pas convaincu que ce soit « possible » d’aller beaucoup plus loin, justement… on ne peut pas tourner en un jour le dos aux choix politiques des quarante dernières années. Nous avions pu tenir tête aux Américains dans les années 1960 parce que nous avions le contrôle de nos frontières, de notre monnaie, un Etat fort et une industrie puissante à base nationale. Aujourd’hui, nous avons cédé le contrôle de nos frontières et de notre monnaie, nous n’avons plus d’usines et nous avons appauvri et démantelé l’Etat. Défier les Américains aujourd’hui, c’est déclarer la guerre alors qu’on n’a pas d’armée…

          Une politique étrangère indépendante ne se décrete en un jour, elle se construit, patiemment, pendant une décennie voire plus.

          • marc.malesherbes dit :

            merci de votre réponse.
             
            il me semble que les politiques ont beaucoup plus de marge de manœuvre qu’on le dit et qu’ils ne le déclarent.
            Pourquoi autant d’homme politique et beaucoup de commentateurs déclarent « l’impuissance des politiques aujourd’hui » ? Tout simplement pour trouver une justification à continuer la politique de leur prédécesseurs et, pour le dire rapidement, à poursuivre une politique atlantiste, européiste.
             
            Je me base sur l’expérience historique.
            De Gaulle a su mener une politique relativement éloignée de celle des US, alors que nous étions dans l’orbite américaine, et que beaucoup en France n’étaient pas d’accord avec cette orientation, à l’époque.
            De même Tito a su mener une politique d’indépendance vis à vis de Staline, alors que cela paraissait presque impossible, à l’époque.
            Idem pour Mao qui a su se soustraire aux orientations du tout puissant Staline.

            Je ne parle là que de cas très célèbres, mais on trouve la même chose avec des hommes politiques de moindre renom. Ainsi Louis Barthou, un homme de droite a su relancer l’alliance avec l’URSS en 1934 contre l’avis de la droite et de la grande majorité des politiques d’alors.
             
            Je suis persuadé qu’on pourrait trouver une foison de tels exemples car même avec mes connaissances en histoire très limitées je suis capable d’en trouver plusieurs.
             
            Je sais bien que ces exemples ne font pas une démonstration, que chaque cas est particulier, et que vous pouvez soutenir que la marge de manœuvre de Macron est aussi faible que vous le dites.
            Je note simplement qu’en ce qui concerne l’arrêt de la livraison d’armes à L’Ukraine cela a été demandé publiquement, dans des déclarations officielles, aussi bien par LFI, le PCF que par le RN et une partie des LR.
             
            Si je reviens sur cette question, c’est parce qu’elle me paraît dédouaner trop facilement les politiques de leur lâcheté, et parfois de leur bêtise géopolitique.

            • Descartes dit :

              @ marc.malesherbes

              [il me semble que les politiques ont beaucoup plus de marge de manœuvre qu’on le dit et qu’ils ne le déclarent. Pourquoi autant d’homme politique et beaucoup de commentateurs déclarent « l’impuissance des politiques aujourd’hui » ? Tout simplement pour trouver une justification à continuer la politique de leur prédécesseur et, pour le dire rapidement, à poursuivre une politique atlantiste, européiste.]

              Oui et non. Sur le papier, oui. Il suffirait d’une loi – ou même d’un décret – pour dénoncer les traités européens pour récupérer les instruments de la souveraineté. Seulement, le gouvernement qui ferait cela aujourd’hui serait balayé par le pouvoir des classes dominantes. Mais in fine ils ne peuvent agir que dans le cadre d’un rapport de forces existant dans la société. S’ils s’écartent un peu trop de celui-ci, ils sont balayés. Ce qui ne veut pas dire qu’ils soient totalement impuissants : ils ont une marge de manœuvre sur le rapport de forces lui-même. Mais celui-ci atteint vite ses limites.

              [Je me base sur l’expérience historique. De Gaulle a su mener une politique relativement éloignée de celle des US, alors que nous étions dans l’orbite américaine, et que beaucoup en France n’étaient pas d’accord avec cette orientation, à l’époque.]

              Certes. Mais pourquoi a-t-il réussi ce tour de force après 1958 et non en 1946, alors qu’il sortait de la guerre auréolé de gloire ? Parce que le rapport de forces avait changé, tant sur le plan national qu’international. En 1946, avec la guerre froide qui commençait, le gaullo-communisme n’avait aucune chance. En 1958, une forme d’accord entre les « extrêmes » contre le centre était possible.

              [De même Tito a su mener une politique d’indépendance vis à vis de Staline, alors que cela paraissait presque impossible, à l’époque. Idem pour Mao qui a su se soustraire aux orientations du tout puissant Staline.]

              Il faudrait connaître précisément les rapports de force à l’intérieur de la Yougoslavie ou de la Chine de l’époque pour comprendre ce qui a rendu ces politiques possibles…

              [Je ne parle là que de cas très célèbres, mais on trouve la même chose avec des hommes politiques de moindre renom. Ainsi Louis Barthou, un homme de droite a su relancer l’alliance avec l’URSS en 1934 contre l’avis de la droite et de la grande majorité des politiques d’alors.]

              Oui, et cela n’a servi à rien. Le traité qu’il a signé a été vidé de tout contenu par la droite et les politiques d’alors. Un bon exemple d’un homme politique bien intentionné mais dont la politique n’a abouti à rien parce qu’elle n’était pas compatible avec le rapport de forces de l’époque…

              [Je sais bien que ces exemples ne font pas une démonstration, que chaque cas est particulier, et que vous pouvez soutenir que la marge de manœuvre de Macron est aussi faible que vous le dites. Je note simplement qu’en ce qui concerne l’arrêt de la livraison d’armes à L’Ukraine cela a été demandé publiquement, dans des déclarations officielles, aussi bien par LFI, le PCF que par le RN et une partie des LR.]

              Je n’ai pas vu de tels appels. Pourriez-vous m’en donner les références ? Je connais des protestations de LFI, du PCF voire du RN contre la livraison de certains types de matériel, mais aucun à ma connaissance a demander explicitement l’arrêt des livraisons d’armes en général.

              [Si je reviens sur cette question, c’est parce qu’elle me paraît dédouaner trop facilement les politiques de leur lâcheté, et parfois de leur bêtise géopolitique.]

              Je trouve votre question en effet parfaitement pertinente. Ces dernières années on a vu des politiques invoquer leur impuissance dans des domaines où elle n’était pas triviale, voire organiser leur propre impuissance – par exemple en cédant des compétences à l’Union européenne – pour ensuite pouvoir se cacher derrière elle. Mais s’il faut se poser la question, la réponse opposée n’a rien d’évident non plus. A chaque fois, il faut regarder quel est le rapport de forces. En matière de politique internationale, s’opposer aux Américains aurait un coût important. Les classes dominantes sont prêtes à le payer ? Je ne le crois pas.

      • cdg dit :

        [2) La restauration des « 4 oblast » à l’Ukraine en échange d’une « finlandisation » de cette dernière garantie constitutionnellement et par traité (l’adhésion à l’espace économique européen étant à discuter).]
        A l eclatement de l URSS, il y eut un traité avec la russie garantissant les frontieres de l ukraine en echange des armes atomiques sovietiques se trouvant sur son territoire. Comme on peut le constater aujourd hui, on voit ce que vaut ce traité.
        Bon il faut etre tres tres naif pour croire qu un bout de papier va etre une assurance. En 1939 on garantissait la securite Pologne (et avant de la republique techcoslovaque)
        PS: sur le double jeu, c est ce que font tous les pays europeens et les USA. Si on avait fournit en masse du materiel moderne au debut de la guerre, la russie aurait surement deja mordu la poussiere. Il n y a qu a voir qu on discute de fournir (aka pas encore fait) des F16. Des avions des annees 80. On parle pas de fournir des Rafale.
        Outre le cote peu glorieux du double jeu, vous ne pensez pas que ca detruirait la credibilité du pays ? parce que promettre des choses qu on a pas l intention de tenir, si on le fait une fois, pourquoi on le fera pas encore ? Autrement dit si un de nos alliés a un probleme, sera t il sur qu on viendra l aider ? Si un de nos ennemis decide une attaque, pensera t il vraiment qu on se defendra ou qu on se contentera de grandes declarations (comme pour la remilitarisation de la Rhenanie)
         
        PS: on peut en tout cas feliciter Poutine. La Finlande et la Suede vont rejoindre l OTAN. Apres tout Poutine est peut etre une taupe de la CIA 😉

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [A l’éclatement de l’URSS, il y eut un traité avec la Russie garantissant les frontières de l’Ukraine en échange des armes atomiques soviétiques se trouvant sur son territoire. Comme on peut le constater aujourd’hui, on voit ce que vaut ce traité.]

          Je ne vois pas à quel « traité » vous faites allusion. Vous faites je pense référence au mémorandum de Budapest qui, comme son nom l’indique, n’est pas un « traité » mais un simple « memorandum » (« aide-mémoire » en français). Un mémorandum n’a pas le même poids qu’un traité, notamment parce qu’il n’est pas ratifié par le parlement, et n’a donc pas force de loi.

          Bien sûr, aucun traité n’est une garantie absolue, et aucun traité n’est pour toujours. C’est une évidence. Mais il serait tout aussi erroné de penser qu’ils n’ont aucun poids. Les accords concernant Cuba, conclus entre Kennedy et Khrouchtchev sont toujours en vigueur… alors même que l’URSS a disparu.

          [PS: sur le double jeu, c’est ce que font tous les pays européens et les USA. Si on avait fourni en masse du matériels moderne au début de la guerre, la Russie aurait surement déjà mordu la poussière.]

          Je ne le crois pas non. Fournir « en masse du matériel moderne » ne sert à rien si vous n’avez pas une armée capable de l’utiliser. Or l’armée Ukrainienne n’est pas formée à l’utilisation de ces matériels, et sa pensée tactique n’y est pas adaptée. Bien entendu, certains s’imaginent que si les ukrainiens avaient des F16 cela changerait fondamentalement la donne. Mais former un pilote de F16 – et le personnel au sol pour le faire voler – ça demande des années.

          [Il n’y a qu a voir qu on discute de fournir (aka pas encore fait) des F16. Des avions des annees 80. On ne parle pas de fournir des Rafale.]

          Si on voulait fournir des Rafale, il faudrait fournir avec les pilotes et l’assistance technique au sol. Et cela nous amènerait à entrer en guerre avec la Russie. Encore une fois, les armements sophistiqués nécessitent une organisation sophistiquée pour les piloter et pour les maintenir en condition opérationnelle. Et l’armée ukrainienne n’a pas cette organisation.

          [Outre le cote peu glorieux du double jeu, vous ne pensez pas que ça détruirait la crédibilité du pays ? parce que promettre des choses qu’on n’a pas l’intention de tenir, si on le fait une fois, pourquoi on le fera pas encore ?]

          Encore une fois, le « double jeu » ne s’adresse qu’aux opinions publiques. Les décideurs savent très bien décoder entre les « oui » qui veulent dire « oui », et les « oui » qui veulent dire « non », sans compter les « oui » qui veulent dire « peut-être ». Et en matière de politique internationale, aucun pays n’est « crédible » pour aller contre ses intérêts – ou plutôt contre les intérêts de ses classes dominantes. Et lorsqu’il le fait – par exemple lorsque la France s’oppose à l’invasion de l’Irak – cela provoque une grande surprise.

          [Autrement dit si un de nos alliés a un problème, sera-t-il sur qu’on viendra l’aider ?]

          Est-ce que vous connaissez un gouvernement assez naïf pour s’imaginer que ses alliés viendront l’aider alors qu’ils ont au contraire intérêt à le laisser tomber ? Je vais vous donner un exemple très concret : lors de la guerre des Malouines, le gouvernement argentin aurait pu exiger des Etats-Unis qu’ils l’aident contre les britanniques en déclenchant le TIAR (Traité interaméricain d’assistance réciproque). Les Américains ont bien fait comprendre que le déclenchement du traité serait considéré par eux comme nul et non avenu, et le gouvernement argentin s’est prudemment abstenu…

          En matière de politique internationale, les états n’ont pas des sentiments, ils n’ont que des intérêts. Si la crédibilité d’un état dépend du fait qu’il tient ses engagements alors même que son intérêt le pousse à les ignorer, alors aucun état n’est vraiment crédible.

      • Carloman dit :

        @ Descartes,
         
        [1) La reconnaissance de l’annexion par la Russie de la Crimée.2) La restauration des « 4 oblast » à l’Ukraine en échange d’une « finlandisation » de cette dernière garantie constitutionnellement et par traité (l’adhésion à l’espace économique européen étant à discuter).]
        Tout à fait d’accord avec le 1).
         
        Pour le 2), je suis d’accord avec la finlandisation, mais pour la restitution (vous avez écrit “restauration” mais je pense que vous vouliez dire “restitution”) des “4 oblast”, c’est à voir…
        Je suis d’accord en ce qui concerne les oblasts de Zaporijia et de Kherson qui ont été conquis. Mais pour les deux oblasts du Donbass, Louhansk et Donetsk, la situation me paraît plus complexe. Quelle qu’ait pu être le rôle de la Russie – et sans doute n’a-t-il pas été nul, ne soyons pas naïf – il me semble qu’une partie importante de la population de ces provinces a voulu se séparer de l’Ukraine. Il y a eu des combats, les séparatistes ont été bombardés et considérés comme des ennemis par les autorités de Kiev, et je crains qu’un fossé bien réel se soit creusé entre une majorité des habitants devenus “pro-russes” dans ces deux oblasts et le gouvernement de Kiev. A mon sens, il faudrait envisager une période d’administration de l’ONU et l’organisation d’un référendum accepté par les parties offrant le choix entre le retour à l’Ukraine ou l’annexion à la Fédération de Russie (voire la création d’un état indépendant “tampon” et démilitarisé, même si cette option n’a pas ma préférence).
        Et si la Russie devait conserver ces territoires, peut-être que quelques rétrocessions symboliques à l’Ukraine (je pense à Marioupol devenu, à tort ou à raison, un symbole pour les Ukrainiens, ou à Kramatorsk que les Ukrainiens ont conservé) pourrait “faire avaler la pilule” qui, de toute façon, sera amère pour les Ukrainiens.
         
        Je me demande également – on peut toujours rêver – s’il ne faudrait pas organiser une grande table ronde et chercher de véritables solutions pour toute une série de problèmes géopolitiques de la région: la question de la Transnistrie (officiellement en Moldavie), de l’Abkhazie, de l’Ossétie du Sud. Peut-être que la Russie pourrait accepter de faire des concessions dans ces dossiers en échange, par exemple, de traités en bonne et due forme qui garantiraient que l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie n’adhéreraient pas à l’OTAN (à la condition bien sûr que les Russes de leur côté garantissent les frontières de leurs voisins).  
         
        Bon, je tire un peu des plans sur la comète, mais j’ai quand même l’impression que, si on le voulait vraiment, il serait possible de trouver des solutions à peu près acceptables pour les Russes et leurs voisins. Mais on voit bien que pas grand monde ne recherche un tel accord…

        • Descartes dit :

          @ Carloman

          [Pour le 2), je suis d’accord avec la finlandisation, mais pour la restitution (vous avez écrit “restauration” mais je pense que vous vouliez dire “restitution”)]

          J’avoue mes fautes, c’est un anglicisme. Oui, le terme français serait « restitution ».

          [des “4 oblast”, c’est à voir… Je suis d’accord en ce qui concerne les oblasts de Zaporijia et de Kherson qui ont été conquis. Mais pour les deux oblasts du Donbass, Louhansk et Donetsk, la situation me paraît plus complexe. Quelle qu’ait pu être le rôle de la Russie – et sans doute n’a-t-il pas été nul, ne soyons pas naïf – il me semble qu’une partie importante de la population de ces provinces a voulu se séparer de l’Ukraine. Il y a eu des combats, les séparatistes ont été bombardés et considérés comme des ennemis par les autorités de Kiev, et je crains qu’un fossé bien réel se soit creusé entre une majorité des habitants devenus “pro-russes” dans ces deux oblasts et le gouvernement de Kiev.]

          Certes. Mais si l’on veut restaurer le principe d’intangibilité des frontières, on ne peut ensuite y apporter des exceptions. Les problèmes dont vous parlez sont réels, mais doivent être réglés à l’intérieur de l’Ukraine, par un statut de large autonomie, par une politique linguistique tolérante, une prise en compte des spécificités locales… Je ne dis pas que ce sera facile : l’Ukraine n’est pas un état unitaire, et une fois la guerre civile les forces centripètes – qui ne concernent pas que l’Est de l’Ukraine – se réveilleront à nouveau. Concéder la co-oficialité de la langue russe ou l’autonomie à Louhansk risque de réveiller d’autres revendications ailleurs. Peut-être un référendum sous supervision internationale qui rattacherait ces territoires à la Russie – éventuellement avec compensation territoriale ailleurs pourrait être une solution.

          [A mon sens, il faudrait envisager une période d’administration de l’ONU et l’organisation d’un référendum accepté par les parties offrant le choix entre le retour à l’Ukraine ou l’annexion à la Fédération de Russie (voire la création d’un état indépendant “tampon” et démilitarisé, même si cette option n’a pas ma préférence).]

          C’est une possibilité, mais l’administration par l’ONU me paraît difficile de mettre en œuvre.

          [Et si la Russie devait conserver ces territoires, peut-être que quelques rétrocessions symboliques à l’Ukraine (je pense à Marioupol devenu, à tort ou à raison, un symbole pour les Ukrainiens, ou à Kramatorsk que les Ukrainiens ont conservé) pourrait “faire avaler la pilule” qui, de toute façon, sera amère pour les Ukrainiens.]

          Je ne connais pas assez la région pour savoir s’il y a des revendications historiques de l’Ukraine sur des territoires russes. Cet échange pourrait être l’opportunité de les résoudre aussi, et de rendre l’accord plus acceptable à l’opinion ukrainienne.

          [Je me demande également – on peut toujours rêver – s’il ne faudrait pas organiser une grande table ronde et chercher de véritables solutions pour toute une série de problèmes géopolitiques de la région: la question de la Transnistrie (officiellement en Moldavie), de l’Abkhazie, de l’Ossétie du Sud. Peut-être que la Russie pourrait accepter de faire des concessions dans ces dossiers en échange, par exemple, de traités en bonne et due forme qui garantiraient que l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie n’adhéreraient pas à l’OTAN (à la condition bien sûr que les Russes de leur côté garantissent les frontières de leurs voisins).]

          Sur le fond, on ne peut qu’être favorable. Mais je ne crois pas que ce soit réaliste. Le rapport de forces étant ce qu’il est, aucun engagement sur les frontières de l’OTAN n’est crédible, alors que la politique américaine des trente dernières années est l’avancement continu de ces frontières vers le cœur de la Russie. Par ailleurs, ces pays sont trop instables pour que les engagements pris par le gouvernement du jour soient automatiquement endossés par leurs successeurs – on l’a bien vu avec la « révolution Maïdan ». L’opportunité de créer une zone tampon entre la Russie et l’OTAN a été ratée dans les années 1990, il est trop tard maintenant pour défaire ce qui a été fait.

          [Bon, je tire un peu des plans sur la comète, mais j’ai quand même l’impression que, si on le voulait vraiment, il serait possible de trouver des solutions à peu près acceptables pour les Russes et leurs voisins. Mais on voit bien que pas grand monde ne recherche un tel accord…]

          En matière de politique internationale, tout est question de rapport de forces. Quand l’Europe voyait face à face deux blocs de puissance équilibrée, les acteurs étaient prêts à trouver des arrangements acceptables par tous pour éviter la confrontation où tout le monde avait beaucoup à perdre. Dès lors que le rapport est déséquilibré, un bloc est tenté de pousser son avantage au risque de provoquer une confrontation limitée, et la volonté de rechercher un accord devient nulle.

  14. Amical Anonyme dit :

    Une question me vient, car le terme revient souvent dans vos textes. Qu’entendez-vous exactement par « assimilation » ?
    S’agit-il d’intégrer les valeurs de la nation française ? Ou, plus superficiellement, d’acquérir un comportement adéquat (par calcul plus que par adhésion) ? S’agit-il de valeurs uniquement politiques ou aussi de valeurs culturelles ? Comment circonscrire ces valeurs, ou ces habitudes, permettant de tracer la limite entre personnes « assimilées » et « non assimilées » ?
    Sur le versant culturel, lorsque les politiciens abordent le sujet de l’assimilation/intégration, cela est généralement assez superficiel et stéréotypé : « La France, c’est la baguette, le vin, le fromage, et maintenant le couscous » disait Malek Boutih. Ce genre de déclaration est évocatrice (on comprend que l’identité française ne doit pas oublier son histoire tout en restant capable d’évoluer) mais assez floue voire arbitraire (pourquoi le fromage plutôt que le bœuf ?). Comment rendre ce concept opérationnel ?
    Sur le versant politique, Malek Boutih ajoutait : « plus “Liberté, égalité, fraternité”. Il y a deux cents ans, nous avons pris une longueur d’avance en fabriquant une identité nationale politique et non ethnique. ». Très bien, mais l’idée que l’identité nationale soit politique plutôt qu’ethnique ne me semble pas être une spécificité française. Quant à la devise « Liberté, égalité, fraternité », je me demande comment elle permet en pratique de déterminer  si un citoyen est assimilé ou non.

    • Descartes dit :

      @ Amical Anonyme

      [Une question me vient, car le terme revient souvent dans vos textes. Qu’entendez-vous exactement par « assimilation » ? S’agit-il d’intégrer les valeurs de la nation française ? Ou, plus superficiellement, d’acquérir un comportement adéquat (par calcul plus que par adhésion) ? S’agit-il de valeurs uniquement politiques ou aussi de valeurs culturelles ? Comment circonscrire ces valeurs, ou ces habitudes, permettant de tracer la limite entre personnes « assimilées » et « non assimilées » ?]

      Pour moi, « l’assimilation » va très loin. S’assimiler, c’est « faire siens » non seulement un certain nombre de comportements, mais aussi la sociabilité, la culture, l’histoire du pays où l’on habite. Peut-être la formule qui résume le mieux la volonté d’assimiler est cette formule répétée dans les écoles au début du XXème siècle : « nos ancêtres les gaulois ». Formule que répétaient beaucoup d’élèves qui n’avaient de toute évidence pas d’ancêtres « gaulois », et qui pourtant affirmaient cette filiation symbolique. S’assimiler c’est, reprenant la formule de Marc Bloch, c’est « vibrer au sacre de Clovis, s’émouvoir au récit de la fête de la fédération ». C’est dire « chez nous » en parlant de la France. En un mot, se sentir et agir comme un Français.

      [Sur le versant culturel, lorsque les politiciens abordent le sujet de l’assimilation/intégration, cela est généralement assez superficiel et stéréotypé : « La France, c’est la baguette, le vin, le fromage, et maintenant le couscous » disait Malek Boutih.]

      Mais cette analogie culinaire, Boutih la prolongerait-il au plan du droit, en disant « la France, c’est le code napoléon et maintenant la charia » ? J’en doute. Les étrangers qui viennent chez nous ont amené avec eux des plats, des boissons, des mots que les français ont adopté. Et c’est très bien ainsi. Mais ces apports sont superficiels, contingents. A côté, il y a une histoire, un droit, des institutions. Et sur ce plan, le pays repose sur un héritage qui est fondamentalement « gaulois » (pour aller vite).

      Le commentaire de Boutih n’est pas aussi « superficiel » qu’il parait. D’abord, vous noterez l’asymétrie : admettons que « la France c’est la baguette, le vin, le fromage, et maintenant le couscous ». Je connais beaucoup plus de « gaulois » qui apprécient un bon couscous que de maghrébins qui font de même avec nos vins. Autrement dit, on demande aux uns d’accepter le couscous dans leur patrimoine, mais on admet des autres qu’ils refusent par principe d’y admettre le vin. Curieux, non ?

      [Ce genre de déclaration est évocatrice (on comprend que l’identité française ne doit pas oublier son histoire tout en restant capable d’évoluer) mais assez floue voire arbitraire (pourquoi le fromage plutôt que le bœuf ?). Comment rendre ce concept opérationnel ?]

      Pardon, mais où voyez-vous dans la remarque de Boutih une référence à une quelconque « histoire » ? Le couscous, c’est une pratique, ce n’est pas une histoire. Justement, la grosse erreur dans la vision de Boutih est que l’identité se réduit aux pratiques, qu’elle ne s’ancre pas dans une histoire. La France, ce n’est ni le vin, ni le pain, ni le fromage, ni le couscous. La France, c’est le code civil et la Révolution, c’est le combat des poilus de 1914-18 et la Résistance, c’est Colbert, c’est Descartes. Et dans cette histoire, difficile de parler de « couscous »…

      [Sur le versant politique, Malek Boutih ajoutait : « plus “Liberté, égalité, fraternité”. Il y a deux cents ans, nous avons pris une longueur d’avance en fabriquant une identité nationale politique et non ethnique. ». Très bien, mais l’idée que l’identité nationale soit politique plutôt qu’ethnique ne me semble pas être une spécificité française.]

      Eh bien, détrompez-vous. Lorsque la France fait des juifs des citoyens à part entière, elle avait « une longueur d’avance ». Dans la plupart des états européens, ils étaient considérés comme placés hors de la nation du simple fait de leur différence ethnique.

      [Quant à la devise « Liberté, égalité, fraternité », je me demande comment elle permet en pratique de déterminer si un citoyen est assimilé ou non.]

      On pourrait suggérer que la « fraternité » implique une intégration dans une famille, ce qui suppose de se reconnaître, ne serait-ce que symboliquement, des ancêtres communs… mais je ne crois pas que l’assimilation soit inscrite en tant que telle dans la devise de la République. C’est un choix politique qui a été réaffirmé à la Révolution, et qui est resté dominant jusqu’à une époque très récente.

  15. marc.malesherbes dit :

    sur l’Ukraine … suite
     
     
    effectivement je me suis trompé.
     
    j’étais resté sur les déclarations initiales de LFI, du PCF, du RN, de personnalités de la droite.
    Depuis leur position a sensiblement évolué ; Ils ne disent plus « non » à toutes livraison d’armement, mais non à chaque étape supplémentaire de livraison d’armes « offensives » (comme si toutes les armes ne pouvaient pas être offensives, comme les simples Kalachnikov). En particulier pour la fournitures de chars …
     
    Toutefois la tonalité générale de leur discours est celle du « en même temps ». « nous sommes pour la paix contre l’escalade militaire ».
    Je n’ai pas fait de recherches approfondies.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [j’étais resté sur les déclarations initiales de LFI, du PCF, du RN, de personnalités de la droite. Depuis leur position a sensiblement évolué]

      Je ne vois toujours pas en quoi elle aurait “évolué”. Pourriez-vous me donner un exemple de “déclaration initiale” ou l’on appelle explicitement et sans ambiguïté à ne pas livrer des armes à l’Ukraine ?

      [mais non à chaque étape supplémentaire de livraison d’armes « offensives » (comme si toutes les armes ne pouvaient pas être offensives, comme les simples Kalachnikov). En particulier pour la fournitures de chars …]

      Pour certaines armes – par exemple les missiles antiaériens ou les armes antichars – le caractère défensif est évident.

      [Toutefois la tonalité générale de leur discours est celle du « en même temps ». « nous sommes pour la paix contre l’escalade militaire ».]

      C’était un peu mon point: on voit mal comment on pourrait rompre avec la “solidarité” occidentale (nom code pour “l’autorité ds Américains”), mais d’un autre côté on comprend bien que notre intérêt est que la Russie sorte renforcée. D’où cette ambiguïté…

      • marc.malesherbes dit :

         
        [j’étais resté sur les déclarations initiales de LFI, du PCF, du RN, de personnalités de la droite. Depuis leur position a sensiblement évolué]
        Je ne vois toujours pas en quoi elle aurait “évolué”. Pourriez-vous me donner un exemple de “déclaration initiale” ou l’on appelle explicitement et sans ambiguïté à ne pas livrer des armes à l’Ukraine ?
         
        j’ai retrouvé des déclarations initiales.
        Pour JL Mélenchon (LFI)
        https://www.lefigaro.fr/politique/pour-melenchon-macron-ne-devrait-pas-s-agiter-avec-arc-et-fleches-20220226
        le 26/02/2022
        «Au lieu d’envoyer du matériel de guerre, vous ne croyez pas que le plus urgent est le cessez-le-feu et les négociations?», a questionné celui qui demande la convocation d’une réunion urgente de l’OSCE.
        …….
         
        https://www.france24.com/fr/europe/20220301-jean-luc-m%C3%A9lenchon-regrette-la-fourniture-d-armes-%C3%A0-l-ukraine-par-l-ue
        Jean-Luc Mélenchon regrette la fourniture d’armes à l’Ukraine par l’UE
        01/03/2022
        «Méfions-nous des solutions improvisées. Les moyens que nous employons ne doivent jamais se retourner contre nous. Pourtant, je regrette que l’Union européenne ait décidé de fournir des armements nécessaires à une guerre, selon les termes du commissaire Josep Borrell»
        ………….
         
        Pour Roussel (PCF)
        https://www.fabienroussel2022.fr/ukraine_non_la_guerre_la_france_doit_porter_urgemment_une_offre_de_paix?splash=1
        24 février 2022
        La France ne peut pas prendre part à ce conflit, ni directement, ni indirectement par l’intermédiaire de livraisons d’armes.
         
        …………….
        Pour M le Pen (RN)
        https://www.bfmtv.com/replay-emissions/face-a-bfm/marine-le-pen-je-suis-tres-reservee-sur-la-livraison-d-armes-a-l-ukraine-parce-que-cela-fait-de-nous-des-cobelligerants_VN-202203010645.html
        le 1er mars 2022 sur BFMTV.
        Marine Le Pen: “Je suis très réservée sur la livraison d’armes [à l’Ukraine] parce que cela fait de nous des cobelligérants”
         
        De plus, comme vous l’avez noté, à chaque étape de la livraison d’armes par la France (canon César, blindés …), ils se sont exprimé contre. Je n’ai pas repris ces déclarations car vous les avez admises me semble-t-il. Il faut noter qu’implicitement cela renforce leur position initiale qu’ils n’ont jamais désavoué. Ainsi quand ils protestent contre la livraison des canons César, ils ne disent pas “mais je suis pour la livraison des armes moins importantes, contrairement à ce que j’avais dit”.
         

        • Descartes dit :

          @ marc.malesherbes

          [j’ai retrouvé des déclarations initiales.]

          Regardons-les. Je vous rappelle que ce qui était en discussion était la question de savoir si ces personnalités avaient « appelle explicitement et sans ambiguïté à ne pas livrer des armes à l’Ukraine » :

          [Pour JL Mélenchon (LFI) (…) le 26/02/2022 : «Au lieu d’envoyer du matériel de guerre, vous ne croyez pas que le plus urgent est le cessez-le-feu et les négociations?», a questionné celui qui demande la convocation d’une réunion urgente de l’OSCE.]

          Dans cette déclaration Mélenchon n’exclut pas la livraison d’armes, il indique simplement que pour lui ce n’est pas « le pus urgent ».
          …….

          Pour Roussel (PCF) (…) 24/2/2022 « La France ne peut pas prendre part à ce conflit, ni directement, ni indirectement par l’intermédiaire de livraisons d’armes. »

          Ici, l’opposition apparaît bien. Mais ce n’est pas une opposition de principe : la formule figure dans un document où Roussel propose une action européenne indépendante de l’OTAN pour amener les parties à la table de négociation. Or, pour pouvoir jouer les médiateurs, il faut s’abstenir « de prendre part au conflit ».

          …………….
          [Pour M le Pen (RN) (…) le 1er mars 2022 sur BFMTV.: “Je suis très réservée sur la livraison d’armes [à l’Ukraine] parce que cela fait de nous des cobelligérants”]

          Là encore, MLP n’exprime pas une opposition franche à la livraison d’armes, mais appelle à la prudence, pour ne pas prendre le risque de devenir un « cobelligérant ».

          Finalement, ces déclarations ont toutes la même logique : le problème n’est pas tant de livrer des armes, mais de se placer dans une position de belligérance qui empêcherait à la France un rôle de médiateur. Difficile donc de déduire de ces positions une quelconque sympathie pour Poutine – c’était là l’origine de cette discussion. C’est plutôt un retour à la logique gaullienne d’une France qui parle avec tout le monde et s’affranchit des « blocs ».

  16. NG dit :

    “Parce que parler de lutte contre le séparatisme, c’est prendre position contre cette idéologie communautariste qui nous vient des Etats-Unis et que nos élites ont adoptée.”
    Le premier séparatisme c’est celui de l’enseignement privé sous contrat, véritable vache sacrée dans notre pays.

    • Descartes dit :

      @ NG

      [Le premier séparatisme c’est celui de l’enseignement privé sous contrat, véritable vache sacrée dans notre pays.]

      Cela dépend de quel “enseignement privé” vous parlez. Les écoles de grand prestige hors contrat, comme l’Ecole Alsacienne, sont issues d’une claire volonté de séparation sociale, de créer une élite qui ne fréquente que ceux qui lui ressemblent et n’a pas de contact avec les autres. C’est beaucoup moins évident pour le privé sous contrat, d’une part parce que ces écoles sont astreintes à admettre tous les élèves sans sélection et pour des prix qui restent modérés, et d’autre part parce qu’étant obligés de suivre les programmes du public, elles n’ont pas la possibilité de discrimination au niveau de l’enseignement.

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