Ainsi donc, Michel Manouchian (1) et sa femme Mélinée sont entrés au Panthéon, lors d’une cérémonie que le chroniqueur du « Monde », média plutôt connu pour son révisionnisme historique et son anticommunisme, qualifie de « émouvante et engagée ». En d’autres temps, j’aurais été ravi de voir un résistant communiste, un « stalinien » pour utiliser l’expression soixante-huitarde, recevoir sous les applaudissements du « Monde » l’hommage que la nation a refusé à tant de ses camarades (2). Alors que la contribution des communistes dans la Résistance fut décisive à bien des égards, aucun résistant communiste n’avait été accueilli au temple des grands hommes. Mais bon, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Et puis, j’aurais été ravi de voir un Français « de préférence », aimant la France au point de combattre et de mourir pour elle, assimilé au point d’écrire sa dernière lettre intime en français et de la signer « Michel » (et non pas « Missak ») se voir reconnaître une place au sein de la mémoire nationale.
Mais, pour mon plus grand malheur, ce n’est pas ce Manouchian-là qu’on fait rentrer au Panthéon. C’est au contraire un Manouchian très comme il faut, passé par l’eau bénite de la bienpensance pour pouvoir offrir au peuple ébahi un héros conforme au modèle bienpensant. Autrement dit, un Manouchian communiste du bout des doigts, étranger et fier de l’être.
Communiste, Manouchian l’était et plus que cela. Si j’ai utilisé plus haut le mot « stalinien », ce n’est pas au hasard. Manouchian, selon l’historiographie officielle, adhère au PCF en 1934 suite aux émeutes organisées par l’extrême droite, mais ses contacts avec les communistes datent au moins de 1931. Au début des années 1930, il milite à la section française du HOG, acronyme de l’expression arménienne qu’on peut traduire par « Comité de secours pour l’Arménie ». Un organisme fondé en 1925 pour rapprocher la diaspora arménienne de la République soviétique d’Arménie. Autrement dit, une organisation très liée au gouvernement soviétique et au Komintern. En 1935 – c’est-à-dire, alors que Staline a réussi à prendre le pouvoir dans le Parti, ascension qu’il parachèvera un an plus tard avec les procès de Moscou qui lui permettront d’éliminer ses derniers concurrents – Michel Manouchian est élu par le congrès du HOG au poste de deuxième secrétaire et directeur du journal de l’organisation, « Zangou ». Une élection qui, dans le contexte de l’époque, témoigne de la confiance que pouvaient avoir les soviétiques et les dirigeants du PCF qui assuraient la tutelle de l’organisation dans la fermeté des convictions du jeune militant. Ils ne seront pas déçus : Zangou défend une ligne conforme avec les positions « staliniennes », que ce soit sur l’organisation de l’Arménie soviétique – le journal appellera les arméniens de France à y retourner, et ils furent nombreux à suivre le conseil – mais aussi sur la lutte contre les « ennemis du socialisme » qui s’accentue avec les procès de Moscou de 1936. Nous ne savons pas vraiment si, comme le dit le poète, Manouchian a crié « la France en s’abattant ». Mais peut-être a-t-il aussi crié – comme beaucoup de militants de cette époque – « vive l’URSS, vive Staline ». Avec les héros, on ne peut jamais savoir.
Faire rentrer un « stalinien » au Panthéon ? Mais vous n’y pensez pas ! Mais c’est bien connu, l’eau bénite médiatique fait des miracles. Elle vous transforme un communiste orthodoxe avec le couteau entre les dents en gentil défenseur des droits de l’homme. Ainsi, « Le Monde » – mais on trouve la même chose à « Libération », par exemple – nous explique, dans son édition du 21 février 2024, que Manouchian était un « communiste atypique ». Et le journaliste de ramasser toutes les rumeurs qui permettent de peindre un Manouchian « divers », ami des trotskystes et dénonçant la répression stalinienne. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau : depuis 1945, on ne compte pas les tentatives médiatiques pour détacher la figure de Manouchian et de ses camarades de leur engagement communiste. De Mosco Boucault, qui dans un documentaire réalisé pendant la grande époque du maccarthysme mitterrandien fait accuser le PCF d’avoir trahi le « groupe Manouchian », aux articles de Stéphane Courtois reprochant au PCF d’avoir effacé la mémoire des combattants juifs de la Résistance, les exemples sont légion. Tous ces gens peuvent être satisfaits, leurs campagnes ont porté leurs fruits : aujourd’hui, on peut faire entrer Michel Manouchian et sa compagne au Panthéon sans craindre qu’un drapeau rouge ne vienne troubler la cérémonie. Qui songerait, par respect pour les convictions du défunt, à tendre sur leur cercueil, à côté du drapeau tricolore, le drapeau écarlate frappé de la faucille et du marteau ? Qui songerait à faire chanter « l’internationale » à côté de la Marseillaise ?
Mais le plus scandaleux est le renvoi de Manouchian, ce « Français de préférence » pour utiliser l’expression magnifique d’un autre « stalinien », à son étrangéité essentielle. C’est d’ailleurs drôle de constater combien la formule de Jean-Luc Mélenchon – « être Français, c’est avoir une carte d’identité française » – est finalement partagée par l’ensemble de nos élites bavardantes. Si être Français c’est avoir certains papiers, logiquement le fait de ne pas les avoir fait de vous un étranger. Et cela quels que soient vos engagements, vos préférences, votre disponibilité à vivre et à mourir pour le pays que vous avez choisi. Ce serait drôle si ce n’était pas tragique : en 1944, la Résistance communiste ne faisait pas de différences entre les combattants avec et sans carte d’identité, alors que les plumitifs bienpensants – qui à l’époque étaient plus proches de la Collaboration que de la Résistance – se plaisaient à souligner leur caractère d’étrangers à chaque opportunité. Quatre-vingt ans plus tard, on dirait que rien n’a changé : ce sont toujours les bienpensants qui tiennent absolument à souligner que Manouchian n’est pas un Français comme les autres… et même pas un Français du tout. « Nul ne semble vous voir Français de préférence », comme disait le poète…
De ce point de vue, l’expression la plus amusante appartient, comme souvent, à Léa Salamé, officiant à la matinale de France Inter le 21 février. Appelée à détailler l’acronyme « FTP-MOI », elle parle de « main d’œuvre ÉTRANGÈRE » à la place de « main d’œuvre IMMIGRÉE ». Lapsus révélateur… car les deux termes recouvrent des réalités très différentes. Le mot « immigré » est un état de fait, que l’individu ne peut pas changer. Étant né sous d’autres cieux, tant que je vivrai je serai un immigré en France, et rien ne peut changer cela. Le mot « étranger » fait référence à une condition qu’il est possible pour l’individu de modifier, par naturalisation, par adhésion ou par assimilation selon l’idée qu’on se fait de la nationalité. Et c’était l’intention de Michel Manouchian.
Derrière cette campagne de « désassimilation » de la figure de Manouchian – qu’on a déjà vu à l’œuvre avec d’autres figures, par exemple celle de Charles Aznavour – on reconnait les tenants de l’idéologie « communautariste ». Non contents de fragmenter la société d’aujourd’hui, les partisans de cette idéologie veulent fragmenter le passé et le cadre symbolique qu’il nous transmet en fonction des sexes, des origines et des couleurs de peau. On l’a vu avec toute la campagne sur les soldats musulmans de la première guerre mondiale autour du film « Indigènes », on le voit aujourd’hui avec la communication autour de Manouchian et de ses camarades. À la place d’une « Résistance française » regroupant tous ceux qui avaient à cœur de « rétablir la France dans sa puissance, dans sa grandeur et dans sa mission universelle » sans distinction de sexe, de couleur ou d’origine, on veut une résistance compartimentée en fonction des origines, des nationalités, des religions, chacune avec ses héros et ses monuments soigneusement séparés, chacune avec une revendication mémorielle et la rancœur d’avoir été plus mal traitée que les autres. On a beaucoup reproché au PCF d’avoir effacé pendant des décennies ces différences. Je pense qu’il avait parfaitement raison : ce qui est important chez les gens, ce n’est pas ce qu’ils sont, mais ce qu’ils choisissent. Le choix de Michel Manouchian, de Marcel Rajman ou de Joseph Boczo fut le même que celui de Marcel Paul ou de Pierre Georges. Pourquoi les séparer au motif que les uns sont nés à Adiyaman, à Lublin ou à Baia Sprie et les autres à Paris ?
Pour bien comprendre le pourquoi de cette insistance sur le statut d’étranger de Manouchian, il faut bien comprendre que c’est cela – et non sa participation à la Résistance – qui est déterminante dans la décision de lui ouvrir les portes du Panthéon. S’il s’agissait de distinguer la résistance communiste, bien d’autres personnalités ont des mérites égaux ou supérieurs à ceux de Michel et Mélinée Manouchian. Il ne manque pas parmi les communistes des fusillés ou des déportés. Pensez à Gabriel Péri, fusillé lui aussi au Mont Valérien, à Marcel Paul, déporté à Buchenwald, qui organisa la résistance dans le camp et sauva tant de Français, dont un certain Marcel Bloch-Dassault, à Marie-Claude Vaillant-Couturier, déportée à Auschwitz, puis à Ravensbrück et finalement à Mauthausen, et qui témoignera au procès de Nuremberg. Il n’a jamais été question de leur entrée au Panthéon. Alors pourquoi Manouchian ? Qu’a-t-il de plus qu’eux ?
La réponse est simple : après le vote d’une loi sur l’immigration marquée par la surenchère à droite, il fallait absolument trouver un « étranger » plutôt classé à l’opposé du spectre politique pour équilibrer la balance à gauche, selon le principe du « en même temps » qui guide la communication macronienne. Manouchian correspond parfaitement à ce besoin de communication, d’autant plus que le poème de Louis Aragon – ce « stalinien », probablement le plus grand poète français du XXème siècle, à qui la bienpensance a toujours refusé l’hommage – a donné à sa figure a un caractère épique (3). Enfin, pas le vrai Manouchian, mais celui qui apparaîtra lorsqu’on aura procédé sournoisement à sa désassimilation, de la même manière qu’on a procédé à sa décommunisation. Pour cela, tous les médias répéteront jusqu’à la nausée que c’est « un étranger qui entre au Panthéon », et peu importe que cet « étranger » ait demandé par deux fois la nationalité française, peu importe qu’il ait francisé son prénom, peu importe qu’il ait fait de la langue française sa langue d’usage – au point d’écrire en français sa dernière lettre intime – peu importe qu’il ait été prêt à combattre dans les armées françaises et à mourir pour libérer son pays d’adoption. Sa pierre tombale au Panthéon portera le prénom « Missak » qu’il a reçu à son baptême, et non mas « Michel », celui qu’il s’était choisi pour marquer son attachement à la France et à sa culture. Français de préférence, il verra ses préférences piétinées par pur calcul politique.
Pour ceux pour qui la nation est d’abord une collectivité d’individus réunis par une solidarité inconditionnelle et impersonnelle, Michel Manouchian ne peut qu’être Français. Qu’il voulût le devenir, cela n’est discuté par personne. Qu’il fût prêt à assumer les devoirs que cette solidarité implique, il l’a montré au-delà de tout doute raisonnable. Le paradoxe est que ceux-là même qui raillent cette France qui par deux fois refusa d’accorder à Manouchian la citoyenneté française sont les premiers à la lui refuser symboliquement aujourd’hui, en l’enfermant dans une « essence » arménienne à laquelle il serait impossible d’échapper. Alors que Manouchian a demandé deux fois de son vivant la nationalité française, la moindre des choses serait de la lui reconnaître maintenant, ne fut-ce qu’à titre posthume.
Le spectacle de la rue Soufflot n’est qu’un « coup de com », un de plus, pour permettre au président d’aller capter des voix sur sa gauche et d’occuper le terrain moral dans la perspective du duel électoral de sa liste avec le Rassemblement National. C’est pour cela, et seulement pour cela, qu’il faut à tout prix faire de Manouchian un « étranger qui a sauvé la France ». L’hommage rendu à Michel Manouchian devant le Panthéon est un acte d’hypocrisie comme on en a rarement vu sous notre République. Avouez qu’il y a de quoi douter de la sincérité d’Emmanuel Macron lorsqu’il explique dans son discours (4) – truffé de références à Louis Aragon – que « parce qu’ils sont communistes, [les FTP-MOI] ne connaissent rien d’autre que la fraternité humaine, enfants de la Révolution française, guetteurs de la Révolution universelle », ou lorsqu’il déclare que « Missak Manouchian embrasse l’idéal communiste. Convaincu que jamais en France on n’a pu impunément séparer République et Révolution. Après 1789, après 1793, il rêve l’émancipation universelle pour les damnés de la terre. C’est ainsi que Missak Manouchian s’engage contre le fascisme, au sein de l’Internationale communiste, et bientôt à la tête d’une revue, Zangou, du nom d’une rivière d’Arménie. Espoir du Front Populaire, volonté d’entrer dans les Brigades Internationales pour l’Espagne, action militante ». Lui qui représente une élite politico-médiatique qui n’a cessé depuis 1945 à vouer aux gémonies tout ce qui, de près ou de loin, pourrait se rapporter au communisme.
Les valeurs que portait Manouchian dans son combat sont celles que portait le PCF à cette époque. Elles sont à l’opposé de celles que défend cette bienpensance eurolâtre qui parle de « start-up nation », privilégie ses « premiers de cordée », prétend « qu’il n’y a pas de culture française » et ne voit d’autre salut – comme autrefois – que la subordination de la France à l’ordre européen. Lui, qui aimait la France et sa culture « à en mourir » est accueilli au Panthéon par ceux qui diffusent en permanence par la plume et la parole la « haine de soi », qui passent leur temps à se frapper la poitrine et à « réviser » l’histoire de France, qui détestent tout ce qui est français, qui ne voient de salut que dans l’imitation de ce qui se fait ailleurs, dans la dilution dans une Europe molle, ou dans le retour à la « communauté » originelle. Ceux qui détestent l’État-nation, cette institution revendiquée par la Révolution française précisément parce qu’ils sont conscients de son caractère émancipateur.
Et ce qui est encore plus triste, c’est l’aveuglement de tous ceux qui, défenseurs sincères des idées que portait Michel Manouchian, se prêtent à cette mascarade au lieu de la dénoncer, en s’imaginant naïvement que ce faisant ils combattent la xénophobie et le racisme. Il faut être aveugle pour imaginer que ce genre de manifestations pourrait aider à combattre le RN. C’est exactement le contraire : cette cérémonie offre à ce parti sur un plateau l’opportunité de mettre en scène sa rupture – réelle ou supposée – avec les idéologies de ses origines. Il y a vingt ou trente ans, aucun dirigeant d’extrême droite n’aurait songé un seul instant à se joindre à un hommage rendu à un résistant communiste – qui plus est immigré – quels que fussent ses mérites. Et pas seulement par conviction : le faire, c’eut été prendre le risque d’être abandonné par ses électeurs et agoni d’injures par ses compagnons. Aujourd’hui, au contraire, les dirigeants du RN non seulement participent à une telle cérémonie, mais tiennent à ce que cela se sache. Autrement dit, aujourd’hui les dirigeants du Rassemblement national non seulement peuvent se permettre de rendre hommage à une figure rendue légendaire par la propagande communiste au sein du mouvement ouvrier, et qui cumule symboliquement le fait d’être à la fois un résistant, un communiste et un immigré – assimilé certes, mais immigré tout de même. Ils tiennent en plus à ce que cela se fasse au vu et au su de tout le monde, quitte à imposer leur présence. Et cela non seulement sans crainte d’offusquer leur électorat, mais avec l’espoir raisonnable que ce geste le confortera et lui amènera de nouvelles recrues. Or, c’est là quelque chose d’absolument remarquable, qui aurait été impossible il y a vingt ans. Et qui remet en cause la vulgate selon laquelle le RN attire son électorat avec un discours pétri de haine de l’étranger, de nostalgie du pétainisme et de détestation du communisme. Si tel était le cas, comment expliquer que ses dirigeants puissent manifester publiquement leur présence dans un tel hommage sans craindre les conséquences électorales ?
On notera d’ailleurs que si Marine Le Pen tenait à être présente à la cérémonie d’hommage à Michel et Mélinée Manouchian, figures de la résistance communiste promues depuis 1945 par l’appareil du PCF, elle n’avait pas vu a contrario l’intérêt de s’imposer à celle en hommage à Robert Badinter, figure de la gauche bobo. Une différence qui souligne le poids de l’électorat populaire dans la stratégie du RN. Parce qu’il vise cet électorat, le RN a intérêt à se poser en héritier du PCF des années 1970 en récupérant les revendications, le langage et les références attachées à ce parti et qui restent relativement puissants dans une génération d’anciens militants et électeurs communistes, alors que reprendre à son compte l’aura des personnalités comme Badinter, appréciées surtout des classes intermédiaires, lui est relativement indifférent. Ceux qui veulent véritablement combattre le RN feraient bien de méditer ces questions…
S’il m’avait été donné de prononcer le discours à la place de Macron, c’est un tout autre discours que j’aurais tenu. J’aurais accueilli au Panthéon deux immigrés devenus français par leurs œuvres, car tous ceux qui aiment la France et qui s’estiment avoir des devoirs envers elle et envers leurs concitoyens sont pour moi « Français », quelle que soit la couleur de leurs papiers. L’entrée de Manouchian au Panthéon aurait pu être l’opportunité de faire l’éloge de l’assimilation, de cette assimilation qui avait fait de Michel Manouchian et de tous ses camarades de la FTP-MOI des français, bien plus attachés à leur pays que ceux qui, ayant pourtant une carte d’identité, étaient prêts à vendre leur pays aux Allemands… et plus tard aux Américains. Elle aurait pu servir à montrer que la nationalité française n’est pas une carte de sécurité sociale, et qu’avant de donner des droits elle impose des devoirs. C’était l’occasion de proposer à une jeunesse « issue de l’immigration » un modèle d’assimilation qui ne soit ni un rappeur crachant sur nos institutions, ni un joueur de foot maître chanteur pendant ses loisirs. Au lieu de quoi, on nous a ressorti l’antienne qui veut que la France doive tout aux « étrangers », et rien aux Français – oubliant au passage que si les étrangers ont été nombreux dans la Résistance, ils n’ont pas été moins nombreux dans la Collaboration (5)…
Je préfère infiniment aux hommages hypocrites de la semaine dernière celui rendu par tant de militants qui, au cours des années, ont chanté les strophes magnifiques de cet Aragon décidément trop sulfureux pour rentrer lui-même au Panthéon, malgré toutes les tentatives de récupération :
« Nul ne semblait vous voir, français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents »
Descartes
(1) Oui, « Michel » et non « Missak ». Manouchian avait décidé de franciser son prénom, et n’utilisait son prénom d’origine que dans la correspondance officielle. Pour ceux qui en douteraient, je vous propose de consulter la dernière lettre écrite par Manouchian à sa femme (http://www.mont-valerien.fr/ressources-historiques/le-mont-valerien-pendant-la-seconde-guerre-mondiale/lettres-de-fusilles/detail-lettres-fusiles/lettres-de-fusilles/manouchian-missak/?no_cache=1). Il ne vous échappera pas qu’elle est écrite en français, et signée « Manouchian Michel ». Par respect pour lui, j’utilise donc le prénom qu’il s’est choisi.
(2) Aucun communiste ne reposait jusqu’à aujourd’hui au Panthéon. Certains « compagnons de route » – Jean Perrin, Paul Langevin – y sont bien rentrés, mais malgré le grand nombre d’intellectuels, de résistants, d’hommes d’État de premier plan ayant pris leur carte au PCF – Frédéric et Irène Joliot-Curie, Louis Aragon, Marcel Paul, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Ambroise Croizat, pour n’en nommer quelques-uns – aucun président de la République n’a jugé bon de leur faire cet honneur.
(3) On pourrait même aller plus loin : sans Aragon – et Léo Ferré, qui l’a mis en musique – Manouchian serait probablement un illustre inconnu du grand public, comme un grand nombre de fusillés communistes qui sont restés anonymes faute d’un grand poète pour chanter leurs exploits…
(4) Étrange discours d’ailleurs, dont on aimerait bien connaître l’auteur et la genèse. Un discours qui oscille en permanence entre la vision de « ces étrangers qui ont sauvé la France » et le pôle contraire qui fait référence à « ces français de préférence, français d’espérance ». Un discours qui fait l’éloge du communisme, associé à la Révolution française et aux lumières… alors que toute l’expression publique de notre président tourne résolument le dos à ces valeurs. Il est vrai qu’il est paradoxal de devoir faire l’éloge à quelqu’un qui, bien regardé, représente tout ce que l’orateur déteste ou méprise.
(5) Le cas de « monsieur Joseph », de son vrai nom Joseph Joanovici est peut-être le plus emblématique. Juif, né probablement en Bessarabie, à l’époque en territoire russe, en 1905, il arrive en France en 1925, où il devient ferrailleur. Pendant la guerre, il fait fortune en se procurant des métaux pour l’effort de guerre allemand, fortune qui lui permet d’acheter la protection des services Allemands et Français. On lui prête une anecdote dans laquelle Henri Lafont, patron de la Gestapo en France, lui aurait lancé à la figure lors d’une soirée « Finalement, tu n’es qu’un sale youpin », ce à quoi Joanovici aurait répondu « Ça coûte combien pour ne plus l’être, Hauptsturmführer ? ». Joanovici aurait d’ailleurs été immatriculé comme agent de la Gestapo, et protégé par ce même Lafont. Mais « monsieur Joseph » aime avoir deux fers au feu : il finance discrètement la Résistance et, selon certaines sources, passe des informations aux Soviétiques. A la Libération, il essayera de se refaire une virginité dénonçant certains de ses protecteurs. Lafont aurait dit, en apprenant qu’il avait été « donné » par Joanovici, « Pour une fois que Joseph donne quelque chose ! ». Cela lui sera fort utile : il n’écopera que d’une condamnation à cinq ans de prison pour collaboration économique.
[je me suis permis de déplacer ce commentaire sur cet article. Descartes]
Bonjour,
Je ne vois pas pourquoi il faudrait se réjouir de la panthéonisation de Manouchian.
D’abord, Manouchian est panthéonisé pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il a fait: on glorifie en lui l’Arménien, l’immigré, l’étranger, celui qui, en quelque sorte, est venu “construire la France” et sauver les autres, là, vous savez, les ringards, les salauds, les racistes, bref les autochtones embourbés dans la collaboration et l’antisémitisme. Ce discours, on le connaît, il vient de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (CNHI), temple de la déconstruction et de la haine du blanc de souche, et des universitaires qui gravitent autour de ce beau projet de concorde nationale.
Maintenant si on regarde ce que Manouchian a fait… Ben, pardon, mais en fait, il n’a pas accompli d’actions décisives. Il ne joue un rôle important chez les FTP-MOI qu’à partir de février 1943 (et il est arrêté en novembre). Ensuite, contrairement à ce qu’on lit parfois, il n’a pas créé le groupe qui porte son nom, il en a été nommé dirigeant quelques mois seulement avant son arrestation. Malheureusement, l’affaire du groupe Manouchian montre surtout l’efficacité des renseignements généraux français qui ont repéré et filé Manouchian avant d’arrêter tout le groupe en novembre 1943. Quant à sa présence sur la fameuse affiche rouge, il faut se souvenir qu’elle participait surtout de la propagande antisémite de l’Occupant, où Manouchian est “amalgamé” avec les nombreux juifs originaires de l’est que comptait son groupe. Mais bon, juifs, Arméniens, tout ça, ce sont des Levantins, donc des gens peu recommandables (dans l’esprit des Allemands et de leurs sbires).
Cela n’enlève rien au sacrifice bien réel de Manouchian et de ses compagnons, à son courage devant le peloton d’exécution. Malgré tout, ce n’est pas insulter Manouchian que de rappeler qu’il n’est ni Jean Moulin, ni Georges Guingouin, ni même Raymond Aubrac. Le Panthéon a comme devise: “Aux grands hommes la Patrie reconnaissante”, et peut-être faudrait-il réfléchir avant de multiplier les grands hommes au point de considérer comme tel une personne ordinaire qui, un jour ou l’autre, a fait quelque chose d’extraordinaire (ce qui, somme toute, n’est pas si rare). Qu’est-ce que le grand homme? Celui d’un exploit, d’un coup d’éclat, d’un acte téméraire? Ou celui qui bâtit patiemment le socle sur lequel la nation peut appuyer son développement (je fais ici bien sûr référence à Marcel Boiteux que vous citiez, Descartes)?
L’autre question est de savoir qui on honore ces jours-ci: l’homme qui a sacrifié sa vie pour la France où la victime, et bien plutôt la “double” victime des “deux barbaries”, à savoir le génocide arménien (les parents de Manouchian y ont perdu la vie) et le nazisme? Le patriote ou l’étranger?
Soyons lucide: Joséphine Baker est au panthéon parce qu’elle est une femme noire, et Manouchian y sera parce qu’il est un immigré arménien. Ce qu’ils ont fait (ou ce que la légende leur attribue) est au final accessoire.
@ Carloman
[Je ne vois pas pourquoi il faudrait se réjouir de la panthéonisation de Manouchian.]
Je ne vois aucune raison de se réjouir que Manouchian ait été panthéonisé DANS CES CONDITIONS, autrement dit, qu’il l’ait été pour servir une opération médiatique et pour alimenter le moulin à paroles de la haine de soi. Mais ce n’est pas la personnalité de Manouchian qui est en cause : si l’objectif était de rendre hommage à la résistance communiste, j’aurais été satisfait. Mais ce n’est pas du tout le cas.
[D’abord, Manouchian est panthéonisé pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il a fait: on glorifie en lui l’Arménien, l’immigré, l’étranger, celui qui, en quelque sorte, est venu “construire la France” et sauver les autres, là, vous savez, les ringards, les salauds, les racistes, bref les autochtones embourbés dans la collaboration et l’antisémitisme. Ce discours, on le connaît, il vient de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (CNHI), temple de la déconstruction et de la haine du blanc de souche, et des universitaires qui gravitent autour de ce beau projet de concorde nationale.]
Tout à fait, c’est un peu ce que j’ai écrit dans mon article.
[Maintenant si on regarde ce que Manouchian a fait… Ben, pardon, mais en fait, il n’a pas accompli d’actions décisives.]
Si l’on va par-là, Jean Moulin non plus. On l’a fait rentrer comme représentant de la Résistance. C’est un peu le problème de la panthéonisation : c’est un hommage individuel qui souvent concerne des ouvrages collectifs. On est donc obligés de choisir des représentants, et en choisissant on commet bien sur des injustices. On aurait pu faire comme en 1914-18 et choisir un combattant inconnu de la Résistance. Choisir Manouchian comme représentant de la résistance communiste, cela ne me paraît pas absurde. Mais cela suppose de laisser de côté ses origines, son sexe, ou sa couleur de peau pour en faire une sorte d’abstraction.
[Cela n’enlève rien au sacrifice bien réel de Manouchian et de ses compagnons, à son courage devant le peloton d’exécution. Malgré tout, ce n’est pas insulter Manouchian que de rappeler qu’il n’est ni Jean Moulin, ni Georges Guingouin, ni même Raymond Aubrac.]
Ce n’est pas lui faire injure. Mais il s’agit moins de récompenser une personne que de choisir un symbole. Guingouin n’a pas eu la chance d’avoir un Aragon pour se pencher sur son berceau. C’est très injuste, mais c’est comme cela.
[Le Panthéon a comme devise: “Aux grands hommes la Patrie reconnaissante”, et peut-être faudrait-il réfléchir avant de multiplier les grands hommes au point de considérer comme tel une personne ordinaire qui, un jour ou l’autre, a fait quelque chose d’extraordinaire (ce qui, somme toute, n’est pas si rare).]
Je pense que le problème vient du fait qu’on utilise la panthéonisation non pas pour rendre hommage à une personne, mais qu’on choisit des personnes pour rendre hommage à un projet, un combat, une idée. Et du coup, on ne choisit pas la personne pour ce qu’elle à fait, mais pour sa capacité à représenter le projet, le combat, l’idée en question…
Peut-être faudrait-il rendre au Panthéon sa vocation originale, celle de rendre hommage à des personnes clairement identifiées et dont l’apport tout à fait exceptionnel mérite d’être singularisé.
Bonjour Descartes
[On notera d’ailleurs que si Marine Le Pen tenait à être présente à la cérémonie d’hommage à Michel et Mélinée Manouchian, figures de la résistance communiste promues depuis 1945 par l’appareil du PCF, elle n’avait pas vu a contrario l’intérêt de s’imposer à celle en hommage à Robert Badinter, figure de la gauche bobo.]
Je crois surtout que dans un cas, il y a une veuve qui a explicitement dit que MLP est persona non grata, dans l’autre des (lointains) descendants (qui par ailleurs n’ont pas à ma connaissance exprimé un quelconque refus) dont on se fout éperdument de leur avis. Dans sa stratégie de « normalisation », MLP avait beaucoup plus à perdre à se taper l’incruste aux obsèques nationales de Badinter que de se tenir à l’écart. Quant à Michel Manouchian, je crois également que MLP et son électorat s’en foutent complètement.
[Si l’on va par-là, Jean Moulin non plus. On l’a fait rentrer comme représentant de la Résistance.] (En réponse à Carloman)
Euh pardon, mais il a quand unifié l’ensemble des mouvements de la Résistance, avec pour difficulté supplémentaire celle de faire cohabiter les résistances communistes, et les résistances non (et anti) communistes. Rien que cela mérite à le faire entrer au Panthéon. Et puisque c’est lui qui fut leur premier « chef » en sa qualité de président du CNR, mort en martyr, on peut effectivement considérer qu’il représente la Résistance.
Pour continuer dans la foulée de Carloman, pourquoi rend t-on hommage à Manouchian, pourquoi est-il rentré dans la postérité ? Car il figure sur la fameuse « Affiche rouge » destinée aux fins de propagandes xénophobes et antisémites du régime de Vichy. Sans cette affiche, il n’aurait été qu’un des nombreux résistants à être tombé en martyr sans rentrer dans la postérité. Ça ne veut pas dire qu’il ne mérite pas des noms de rues en son hommage, mais de là à le faire rentrer au Panthéon, il ne faudrait pas exagérer. Faire rentrer Charles Tillon, chef des FTP (et auteur de l’appel du 17 juin 1940) est bien plus approprié qu’un quelconque chef de section FTP.
@ François
[« On notera d’ailleurs que si Marine Le Pen tenait à être présente à la cérémonie d’hommage à Michel et Mélinée Manouchian, figures de la résistance communiste promues depuis 1945 par l’appareil du PCF, elle n’avait pas vu a contrario l’intérêt de s’imposer à celle en hommage à Robert Badinter, figure de la gauche bobo. » Je crois surtout que dans un cas, il y a une veuve qui a explicitement dit que MLP est persona non grata, dans l’autre des (lointains) descendants (qui par ailleurs n’ont pas à ma connaissance exprimé un quelconque refus) dont on se fout éperdument de leur avis.]
Je doute que Marine Le Pen tienne en si grande estime l’opinion de la veuve Badinter pour déférer à ses désirs. Pour ce qui concerne Manouchian, non seulement les « lointains descendants » étaient là, mais aussi ses camarades de combat, qui ont exprime eux aussi leur rejet. Je pense surtout que face à son électorat cible, rendre hommage à Badinter ne rapporte rien, alors que rendre hommage à Manouchian permet de marquer des points…
[Dans sa stratégie de « normalisation », MLP avait beaucoup plus à perdre à se taper l’incruste aux obsèques nationales de Badinter que de se tenir à l’écart. Quant à Michel Manouchian, je crois également que MLP et son électorat s’en foutent complètement.]
Vous trouvez parmi les électeurs de MLP pas mal d’anciens électeurs communistes, pour qui le nom de Manouchian signifie encore quelque chose.
[« Si l’on va par-là, Jean Moulin non plus. On l’a fait rentrer comme représentant de la Résistance »
Euh pardon, mais il a quand unifié l’ensemble des mouvements de la Résistance, avec pour difficulté supplémentaire celle de faire cohabiter les résistances communistes, et les résistances non (et anti) communistes. Rien que cela mérite à le faire entrer au Panthéon.]
N’exagérons rien. Jean Moulin n’a rien « unifié ». Sa plus grande réussite a été de réussir que les mouvements de résistance non-communistes arrêtent de se bouffer le nez. Conflits d’ailleurs qui tenaient autant à des différences politiques qu’au choc des égos. Quant aux communistes, il n’y eut jamais « d’unification » : les FTP ont conservé leur propre structure et leur propre commandement. Tout au plus, ils ont accepté l’autorité nominale de De Gaulle.
[Et puisque c’est lui qui fut leur premier « chef » en sa qualité de président du CNR, mort en martyr, on peut effectivement considérer qu’il représente la Résistance.]
Je n’ai jamais contesté qu’il puisse « représenter la Résistance ». Tout ce que j’ai dit, c’est qu’on puisse invoquer à son égard des mérites personnels exceptionnels. S’il mérite de reposer au Panthéon, c’est plus en tant que représentant qu’à titre personnel.
[Ça ne veut pas dire qu’il ne mérite pas des noms de rues en son hommage, mais de là à le faire rentrer au Panthéon, il ne faudrait pas exagérer.]
Comme Moulin, il mérite de rentrer en tant que représentant de la résistance communiste. Personnellement, je ne suis pas trop pour qu’on rende hommage à telle ou telle chapelle de la Résistance, au risque de relancer la concurrence mémorielle. Pour moi, on a fait entrer Moulin, et cela suffit. Ce qui n’empêche pas de rendre hommage aux autres résistants dans d’autres lieux – je pense en particulier au Mont Valérien.
[Faire rentrer Charles Tillon, chef des FTP (et auteur de l’appel du 17 juin 1940) est bien plus approprié qu’un quelconque chef de section http://FTP.]
S’il était mort avant 1945, possiblement… le problème est qu’il a survécu !
@Descartes
[N’exagérons rien. Jean Moulin n’a rien « unifié ». Sa plus grande réussite a été de réussir que les mouvements de résistance non-communistes arrêtent de se bouffer le nez. Conflits d’ailleurs qui tenaient autant à des différences politiques qu’au choc des égos.]
Ce qui n’était donc pas une mince affaire, mince affaire qu’il fallait à tout prix réussir… En somme, pour ses talents de négociateurs hors pair, qui étaient indispensables en ces temps noirs, voilà pourquoi il est un grand Homme auquel la Patrie est reconnaissante.
[Quant aux communistes, il n’y eut jamais « d’unification » : les FTP ont conservé leur propre structure et leur propre commandement. Tout au plus, ils ont accepté l’autorité nominale de De Gaulle.]
Les communistes n’ont-ils jamais été représentés au sein du CNR et de l’Assemblée consultative provisoire ?
[Comme Moulin, il mérite de rentrer en tant que représentant de la résistance communiste.]
Et selon vous, pourquoi lui et pas un autre FTP représente le mieux la résistance communiste ?
Le problème, c’est comme vous l’avez vous même rappelé, c’est qu’il est rentré au Panthéon pour de très mauvaises raisons. Parce-qu’il représente la « diversité » (comme Joséphine Baker, avec tout le respect qu’on lui doit, ne mérite pas non plus d’y reposer), parce-que la fameuse affiche sur laquelle il est représenté est devenu un support éducatif pour tous les élèves d’histoire en France et en Navarre, voilà pourquoi il rentre au Panthéon.
[S’il était mort avant 1945, possiblement… le problème est qu’il a survécu !]
En somme, si Marie Curie n’était morte à cause de ses pathologies radio-induites, jamais elle ne serait rentrée au Panthéon.
@ François
[« N’exagérons rien. Jean Moulin n’a rien « unifié ». Sa plus grande réussite a été de réussir que les mouvements de résistance non-communistes arrêtent de se bouffer le nez. Conflits d’ailleurs qui tenaient autant à des différences politiques qu’au choc des égos. » Ce qui n’était donc pas une mince affaire, mince affaire qu’il fallait à tout prix réussir… En somme, pour ses talents de négociateurs hors pair, qui étaient indispensables en ces temps noirs, voilà pourquoi il est un grand Homme auquel la Patrie est reconnaissante.]
Désolé d’insister, mais je crois qu’il y a deux types de « panthéonisés ». Ceux qu’on fait rentrer pour distinguer des mérites exceptionnels, et ceux – de plus en plus nombreux, malheureusement – qu’on fait rentrer en représentation d’une catégorie, d’un mouvement. Lorsqu’on relit le fameux discours de Malraux lors de l’entrée de Jean Moulin au Panthéon, on voit bien qu’il s’agissait de souligner les mérites de « la Résistance » en général, et non de distinguer les mérites particuliers de Jean Moulin, aussi grands soient-ils. La formule est d’ailleurs restée dans l’histoire : « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle – nos frères dans l’ordre de la Nuit… »
Je ne doute pas que Moulin ait été un négociateur hors pair, mais si on faisait rentrer au Panthéon tous les grands diplomates que la France a formés…
[« Quant aux communistes, il n’y eut jamais « d’unification » : les FTP ont conservé leur propre structure et leur propre commandement. Tout au plus, ils ont accepté l’autorité nominale de De Gaulle. » Les communistes n’ont-ils jamais été représentés au sein du CNR et de l’Assemblée consultative provisoire ?]
Les communistes sont représentés à l’Assemblée Nationale. Diriez-vous pour autant que le monde politique français est « unifié » ?
[« Comme Moulin, il mérite de rentrer en tant que représentant de la résistance communiste. » Et selon vous, pourquoi lui et pas un autre FTP représente le mieux la résistance communiste ?]
Personnellement, lui ou un autre pour moi ce serait pareil. Le problème, je suis d’accord avec vous, c’est qu’on l’a choisi lui pour de très mauvaises raisons. Mais si on l’avait fait rentrer au Panthéon sans toute la communication sur ses origines, si on avait insisté sur le fait qu’on faisait rentrer un résistant communiste et à travers lui tous ses camarades, j’aurai trouvé ca très bien.
[parce-que la fameuse affiche sur laquelle il est représenté est devenu un support éducatif pour tous les élèves d’histoire en France et en Navarre, voilà pourquoi il rentre au Panthéon.]
Cette dernière raison ne me paraît pas si mauvaise. Faire rentrer quelqu’un au Panthéon, cela a une fonction pédagogique. Et de faire entrer quelqu’un qui est connu et reconnu pour le donner en exemple, ce n’est pas mal.
[« S’il était mort avant 1945, possiblement… le problème est qu’il a survécu ! » En somme, si Marie Curie n’était morte à cause de ses pathologies radio-induites, jamais elle ne serait rentrée au Panthéon.]
Même si Marie Curie était morte en chutant dans l’escalier, cela n’aurait rien retiré à son œuvre et à ses mérites en tant que scientifique. Le problème avec Tillon, c’est que lorsqu’il est mort il ne représentait plus du tout la même chose qu’en 1945… Imaginez un instant que Moulin eut survécu, et que dans les années 1960 il se soit engagé dans l’OAS. Pensez-vous qu’on aurait pu le faire entrer au Panthéon après sa mort ?
Vous savez, ce n’est pas par hasard que les héros meurent jeunes…
@Descartes
[Désolé d’insister, mais je crois qu’il y a deux types de « panthéonisés ». Ceux qu’on fait rentrer pour distinguer des mérites exceptionnels, et ceux – de plus en plus nombreux, malheureusement – qu’on fait rentrer en représentation d’une catégorie, d’un mouvement.]
Pour affiner ma pensée, on fait rentrer quelqu’un au Panthéon nécessairement pour mérites exceptionnels. La « représentation d’un mouvement », elle n’est que subsidiaire.
[Je ne doute pas que Moulin ait été un négociateur hors pair, mais si on faisait rentrer au Panthéon tous les grands diplomates que la France a formés…]
Les circonstances exceptionnelles font aussi les grands Hommes. Et de nombreux grands diplomates n’ont pas eu à se servir de leurs talents en des temps sombres.
[Et de faire entrer quelqu’un qui est connu et reconnu pour le donner en exemple, ce n’est pas mal.]
Et que fait-on de ceux qui ne sont pas connus et reconnus, mais dont les mérites exceptionnels sont oubliés du commun des mortel ? Encore une fois, Michel Manouchian n’a pas attendu d’être panthéonisé pour être donné en exemple aux collégiens de France et de Navarre.
[Le problème avec Tillon, c’est que lorsqu’il est mort il ne représentait plus du tout la même chose qu’en 1945… Imaginez un instant que Moulin eut survécu, et que dans les années 1960 il se soit engagé dans l’OAS. Pensez-vous qu’on aurait pu le faire entrer au Panthéon après sa mort ?]
Quoi qu’on puisse penser des agissements de Tillon post 45, il ne s’est pas compromis de la même façon qu’un Georges Bidault (successeur de Jean-Moulin à la tête du CNR et fervent opposant à l’indépendance de l’Algérie) pour oblitérer ses possibilités d’entrer au Panthéon.
[Vous savez, ce n’est pas par hasard que les héros meurent jeunes…]
Vous avez vu l’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville je suppose. Tous les protagonistes dans le film meurent avant la fin de l’Occupation. Héros ou salauds ?
Toute la question est de savoir ce que l’on met derrière le substantif « héros »…
@ François
[Pour affiner ma pensée, on fait rentrer quelqu’un au Panthéon nécessairement pour mérites exceptionnels. La « représentation d’un mouvement », elle n’est que subsidiaire.]
Je ne le crois pas. Relisez le discours de Malraux lors de l’entrée au Panthéon de Jean Moulin. Il est clair dans le texte que Moulin ne rentre qu’en représentation de « l’armée des ombres »…
[Les circonstances exceptionnelles font aussi les grands Hommes. Et de nombreux grands diplomates n’ont pas eu à se servir de leurs talents en des temps sombres.]
Beaucoup ont eu à s’en servir… et pourtant ils ne sont pas rentrés au Panthéon.
[« Et de faire entrer quelqu’un qui est connu et reconnu pour le donner en exemple, ce n’est pas mal. » Et que fait-on de ceux qui ne sont pas connus et reconnus, mais dont les mérites exceptionnels sont oubliés du commun des mortel ?]
Eh bien, ils passent à l’as. Tout au plus, on leur rend hommage dans des cercles restreints. C’est très injuste, je vous l’accorde, mais c’est comme ça. Raoul Dautry ou Marcel Boiteux ont probablement plus fait pour la République que beaucoup de panthéonisés…
[Encore une fois, Michel Manouchian n’a pas attendu d’être panthéonisé pour être donné en exemple aux collégiens de France et de Navarre.]
Non, mais offrir l’hommage suprême à quelqu’un que tous les collégiens de France et de Navarre connaissent, cela a son intérêt.
[« Le problème avec Tillon, c’est que lorsqu’il est mort il ne représentait plus du tout la même chose qu’en 1945… Imaginez un instant que Moulin eut survécu, et que dans les années 1960 il se soit engagé dans l’OAS. Pensez-vous qu’on aurait pu le faire entrer au Panthéon après sa mort ? » Quoi qu’on puisse penser des agissements de Tillon post 45, il ne s’est pas compromis de la même façon qu’un Georges Bidault (successeur de Jean-Moulin à la tête du CNR et fervent opposant à l’indépendance de l’Algérie) pour oblitérer ses possibilités d’entrer au Panthéon.]
Je ne dis pas que Tillon se soit compromis au même niveau que Bidault. Je voulais simplement vous expliquer ce que j’entendais lorsque je vous disais que pour entrer au Panthéon mieux vaut ne pas vivre trop longtemps. Jean Moulin ou Michel Manouchian ont eu – si l’on peut dire – l’avantage de mourir peu de temps après leurs exploits, sans que les ambiguïtés de la vie politique aient terni leurs images. C’est pour cela qu’ils son les représentants idéaux de la Résistance. Il est beaucoup plus difficile de trouver un consensus sur des personnalités qui, après l’héroïsme de la Résistance, ont fait une carrière politique ou dans les affaires dans les méandres de la IVème République…
[« Vous savez, ce n’est pas par hasard que les héros meurent jeunes… » Vous avez vu l’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville je suppose. Tous les protagonistes dans le film meurent avant la fin de l’Occupation. Héros ou salauds ?]
Oui, bien sûr, et c’est un film admirable (sur un beau livre de Joseph Kessel). Mais je ne crois pas que la thématique du film soit vraiment celle de l’ambiguïté entre « héros ou salauds ». La ligne de démarcation entre les deux est assez explicite. Mais quand je dis que « les héros meurent jeunes », c’est surtout parce que quand on meurt vieux, on peut difficilement maintenir le masque du héros jusqu’au bout…
[Toute la question est de savoir ce que l’on met derrière le substantif « héros »…]
Si l’on s’en tient à l’origine du mot, un « héros » c’est un personnage réel ou fictif dont les hauts faits qui lui sont attribués justifient qu’on lui rende un culte…
[« Les communistes sont représentés à l’Assemblée Nationale. Diriez-vous pour autant que le monde politique français est « unifié » ? » A la différence, c’est qu’il n’y avait pas de cadre institutionnel contraignant pour « forcer » tel ou tel groupe à être représenté. La représentation au sein du CNR ne reposait que sur le bon vouloir de ses membres.]
Pas vraiment. Tous les groupes qui auraient voulu faire partie de l’assemblée consultative ou du CNR n’ont pas été admis à en faire partie. Mais la question n’est pas là : le fait que les communistes aient été invités et aient accepté de participer des organes constitues par la Résistance n’implique nullement une « unification » de celle-ci, pas plus que la participation aux organes constitués par la République n’implique une « unification » du système politique. Parler à propos du travail de Jean Moulin d’une “unification” de la Résistance me paraît pour le moins excessif, puisqu’aucun organe de commandement unique n’a résulté, et que les mouvements de résistance communiste ont conservé une très large autonomie.
@Descartes
(J’oubliais de répondre à ce point)
[Les communistes sont représentés à l’Assemblée Nationale. Diriez-vous pour autant que le monde politique français est « unifié » ?]
A la différence, c’est qu’il n’y avait pas de cadre institutionnel contraignant pour « forcer » tel ou tel groupe à être représenté. La représentation au sein du CNR ne reposait que sur le bon vouloir de ses membres.
Tout a fait d accord avec la partie sur Manouchian. L homme que Macron a celebré n a rien a voir avec l homme qu il fut. Et Macron aurait mieux fait de mettre en avant ce que vous mentionnez.
Quant au calcul politique francais, la aussi vous avez raison. Marine n a rien a gagner a aller chez Badinter mais peut marquer des points avec Manouchian. Non seulement en dediabolisation mais aussi sur le fait qu elle rendait hommage a un symbole national. Je suis etonné que tous les partis oppsés aux RN continuent a mettre l accent sur le coté nazi ou raciste alors que c est un element mineur du vote RN. Non seulement les sondages dont se nourrissent nos dirigeants devraient leur montrer mais apres 40 ans a avoir martelé ces slogans, ca n empeche pas le RN d etre le second parti du pays (et aux prochaines election arriver meme en tete)
Sur l ode au communisme je suis moyennement d accord. Manouchian etait evidement stalinien car a l epoque etre communiste en france signifiait etre pour Staline. Mais quelle connaissance avait il de la realite de l URSS des annees 30 ? Que savait il des purges et des crime de Iejov/Staline ? probablement rien. Je suppose qu il croyait que les aveux des bolcheviques historiques qui s accusaient de crimes lors de leurs proces etaient sincere.
Quant au comportement du PCF pendant la seconde guerre mondiale, il est loin d etre tout blanc. Citons notemment la desertion de Thorez en 1939 et la demande de reparution de l humanite aux allemands en 1940 (eh oui, a l epoque Staline est l allié d Adolf).
@ cdg
[Sur l’ode au communisme je suis moyennement d’accord. Manouchian était évidemment stalinien car a l’époque être communiste en France signifiait être pour Staline. Mais quelle connaissance avait-il de la réalité de l’URSS des années 30 ?]
Je pense qu’il avait une excellente vision, compte tenu des liens qu’il avait avec les organisations arméniennes. Je pense qu’on a une image erronée de ce que savaient ou ne savaient pas les militants des années 1930 sur ce qui se passait en URSS. Simplement, ils le voyaient dans une perspective très différente de la nôtre. La violence de la répression contre le mouvement ouvrier dans les années 1920 et 1930 (pensez à l’assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, pour ne donner qu’un exemple) était une réalité tangible, et le système politique n’était pas le système policé que nous connaissons aujourd’hui. L’idée que la politique était un combat à mort, que celui qui ne tuait pas son adversaire risquait d’être tué à son tour était bien plus répandue qu’aujourd’hui – et justifiée par une réalité qui, de la répression en Allemagne dans les années 1920 à la guerre civile espagnole dans les années 1930 fournissait un large éventail d’exemples montrant que de l’autre côté on ne faisait pas de quartier.
Je ne crois pas que les militants communistes des années 1930 aient ignoré la répression stalinienne – même s’ils ignoraient son étendue, ses méthodes, son caractère aveugle. Je pense qu’ils la connaissaient, et que dans le contexte de l’époque ils ne voyaient pas comment un régime socialiste pouvait faire face à ses ennemis autrement qu’en les réprimant impitoyablement.
[Quant au comportement du PCF pendant la seconde guerre mondiale, il est loin d’être tout blanc.]
Que celui dont le comportement fut « tout blanc » lui jette la première pierre. Comme disait un maréchal napoléonien, « en temps troublés, la difficulté n’est pas de faire son devoir, mais de le connaître ».
[Citons notamment la désertion de Thorez en 1939 et la demande de reparution de l’humanité aux allemands en 1940 (eh oui, a l’époque Staline est l’allié d’Adolf).]
J’attends ce genre d’affirmation chez un propagandiste, mais cela m’étonne de vous. La « désertion » de Thorez se produit dans un contexte où le Parti communiste a été interdit et le décret Sérol permet de condamner à mort ses dirigeants. Dans ses conditions, ce n’est pas moi qui reprochera au PCF d’avoir voulu mettre à l’abri son principal dirigeant. On ne peut pas d’un côté mettre un groupe au ban de la nation, et d’un autre exiger qu’il fasse son devoir envers elle.
Pour ce qui concerne la demande de parution officielle de l’Humanité, je ne vois pas pourquoi il aurait fallu se priver. D’ailleurs, d’autres journaux ont fait de même. Ainsi, « Le Figaro » paraîtra légalement sous l’occupation jusqu’en 1942, avec le soutien du gouvernement de Vichy, sous la direction de Pierre Brisson. Et et personne ne songe à lui en faire grief puisque le même Brisson dirigera le journal après 1944, rejoint par des personnalités aussi éminentes que Raymond Aron. Pour ce qui concerne l’Humanité, les Allemands ne s’y sont pas trompés, et l’autorisation a été refusée.
Je vous rappelle aussi que jamais Staline n’a été « l’allié » d’Adolf. Le traité signé en 1939 est un pacte de non-agression. Il prévoit la renonciation à la guerre entre les deux signataires, et engage chacun à rester neutre au cas où l’autre serait attaqué par une puissance extérieure au traité. Le protocole secret délimite la « sphère d’influence » de chacun des signataires, notamment en Pologne. Mais il ne prévoit nulle part que les signataires doivent se prêter secours, que leurs troupes combattent côté à côté, ou qu’une partie doit à l’autre un soutien quelconque. Parler donc « d’alliance » est une falsification de l’histoire.
Je ne suis pas sûr que le décret Sérol aurait permis de condamner à mort les dirigeants du PCF. En avril 1940, notre pays était un état de droit.
Ce décret a ajouté à l’article 76 du code pénal de l’époque (il a été refondu depuis), un 3° condamnant à la peine de mort pour trahison “Tout Français qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale”. Et rien d’autre.
Ni le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, ni celui de son interprétation stricte n’ont été remis en cause. Si le texte ne concernait, en pratique, que les ex-PCF, c’est parce qu’ils étaient les seuls à avoir mené le genre d’entreprise visé, mais quiconque étranger au PCF qui en aurait fait de même aurait aussi été punissable.
En conséquence, ni les ex-membres, ni les ex-dirigeants du PCF n’auraient été inquiétés sur la base de ce texte pour leurs activités passées.
Et pour l’avenir, il leur suffisait de “faire profil-bas”. Mais ce n’est peut-être pas si simple ?
Pour en savoir plus (peut-être orienté, mais me semble complet sur le sujet): https://pcf-1939-1941.blogspot.com/2014/03/decret-loi-du-9-avril-1940-dit-decret_26.html
@ xc
[Je ne suis pas sûr que le décret Sérol aurait permis de condamner à mort les dirigeants du PCF.]
Rétrospectivement, on peut le supposer, puisque le décret Sérol ne fut finalement pas appliqué. Mais vous et moi, nous avons l’avantage de connaître la fin de l’histoire. Si vous étiez dirigeant communiste à l’époque, auriez-vous pris le risque de vous laisser arrêter sagement et conduire en prison ?
Certains l’ont fait. Par exemple, Charles Michels. Il fut jeté en prison, où les allemands le trouvèrent après la défaite. Il fut fusillé à Chateaubriand.
[Ce décret a ajouté à l’article 76 du code pénal de l’époque (il a été refondu depuis), un 3° condamnant à la peine de mort pour trahison “Tout Français qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale”. Et rien d’autre.]
Dans sa version initiale, le texte était ainsi rédigé : « sont coupables de trahison et par conséquent passibles de la peine de mort les individus qui, dans des cas déterminés, seraient convaincus d’avoir préparé, fourni ou stocké, afin qu’ils soient répandus, les instruments de propagande de la IIIe Internationale communiste » (ce texte est publié par Le Petit Parisien du 5 avril 1940). Même si cette rédaction n’a pas été finalement retenue, cela donne une idée assez claire de l’objectif des rédacteurs du texte.
[Ni le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, ni celui de son interprétation stricte n’ont été remis en cause.]
Pas par le décret Sérol, non. Mais à l’époque, on s’asseyait allégrement sur ce genre de principes lorsqu’il s’agissait des « rouges ». Quarante quatre députés PCF avaient été déchus de leurs mandats et emprisonnés ou déportés. A la place de Thorez, je n’aurais pas parié ma vie sur le respect par les juges du code pénal…
[Si le texte ne concernait, en pratique, que les ex-PCF, c’est parce qu’ils étaient les seuls à avoir mené le genre d’entreprise visé, mais quiconque étranger au PCF qui en aurait fait de même aurait aussi été punissable.]
Pas tout à fait. Si le texte ne concernant, en pratique, que les ex-PCF, c’est parce que c’était là l’intention de son rédacteur, et que s’agissant de délits contre la sûreté de l’Etat, celui-ci était seul maître de l’opportunité des poursuites.
[Et pour l’avenir, il leur suffisait de “faire profil-bas”. Mais ce n’est peut-être pas si simple ?]
Pour un dirigeant politique de la dimension de Thorez, ce n’est pas « simple » de « faire profil bas ».
[[Manouchian était évidemment stalinien car a l’époque être communiste en France signifiait être pour Staline. Mais quelle connaissance avait-il de la réalité de l’URSS des années 30 ?]
Je pense qu’il avait une excellente vision, compte tenu des liens qu’il avait avec les organisations arméniennes.]
Je doute qu un armenien en armenie se risquait a l epoque a ecrire quelque chose contre Staline. La probabilite que la lettre soit lue et qu il aille au goulag etait etremement elevee. donc manouchian devait ignorer pas mal de chose
Par contre il y a quelque chose qui m a toujours surpris, c est l attitude de Thorez apres guerre. Il a vecu en URSS de 39 a fin 44. Meme s il ne parlait pas le russe a son arrivee et qu il vivait dans un milieu fermé et/ou privilegié, il ne pouvait quand meme pas passer a cote de la terreur stalinienne. Surtout qu avant 41 il n y avait pas l excuse de la guerre. Quand il rentre en France, pas un mot sur les purges et il developpe même en France le culte de la personnalité de Staline (par exemple les camions qui sillonnent la France en proclamant l amour de Staline)
Quant a la desertion de Torez, meme le PCF de l epoque etait gené d ou «officiellement, Thorez est resté en France jusqu’en 1943, date à laquelle il se serait rendu à Moscou pour la dissolution de l’Internationale. Cette version de l’histoire a été maintenue par le PCF jusqu’à la fin des années 1960.»https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Thorez
[Je vous rappelle aussi que jamais Staline n’a été « l’allié » d’Adolf. Le traité signé en 1939 est un pacte de non-agression. Il prévoit la renonciation à la guerre entre les deux signataires, et engage chacun à rester neutre au cas où l’autre serait attaqué par une puissance extérieure au traité. Le protocole secret délimite la « sphère d’influence » de chacun des signataires, notamment en Pologne. Mais il ne prévoit nulle part que les signataires doivent se prêter secours, que leurs troupes combattent côté à côté, ou qu’une partie doit à l’autre un soutien quelconque. Parler donc « d’alliance » est une falsification de l’histoire.]
Quand meme. Le NKVD livra a la Gestapo des prisonniers (https://en.wikipedia.org/wiki/Gestapo%E2%80%93NKVD_conferences) , les armees allemandes et sovietiques ont quand meme du avoir un minimum de collaboration pour la pologne (a minima pour eviter de se tirer dessus par megarde) et l URSS livra des matieres premieres aux allemands jusqu a l attaque en 41. Donc oui les allemands et les sovietiques ne se sont jamais battu cote a cote (et je suppose que vu la mentalite d Hitler ca ne l interessait pas) mais ca ne signifiait pas qu ils n etaient pas alliés. Un peu comme maintenant : les troupes francaises ne se battent pas au cote des ukrainiens mais on leur fournit pas mal de chose. Ne doit on pas dire que nous sommes des allies des Ukrainiens ?
@ cdg
[« Manouchian était évidemment stalinien car a l’époque être communiste en France signifiait être pour Staline. Mais quelle connaissance avait-il de la réalité de l’URSS des années 30 ?]
Je pense qu’il avait une excellente vision, compte tenu des liens qu’il avait avec les organisations arméniennes. » Je doute qu’un Arménien en Arménie se risquait à l’époque à écrire quelque chose contre Staline. La probabilité que la lettre soit lue et qu’il aille au goulag était extrêmement élevée. Donc Manouchian devait ignorer pas mal de chose.]
Il faut arrêter avec ce genre de mythologie. D’abord, l’URSS n’a jamais été la Corée du Nord, et l’information a toujours filtré. Les réseaux trotskystes savaient tout ce qu’il y avait à savoir sur la question, et diffusaient assez largement l’information. Si vous lisez les publications de l’époque, vous verrez qu’en fait on n’a pas découvert grande chose plus tard. Ceux qui à l’époque ne savaient pas, c’est qu’ils ne voulaient pas savoir.
[Par contre il y a quelque chose qui m’a toujours surpris, c’est l’attitude de Thorez après la guerre. Il a vécu en URSS de 39 à fin 44. Même s il ne parlait pas le russe a son arrivée et qu’il vivait dans un milieu fermé et/ou privilégié, il ne pouvait quand même pas passer a cote de la terreur stalinienne. Surtout qu’avant 41 il n’y avait pas l’excuse de la guerre. Quand il rentre en France, pas un mot sur les purges et il développé même en France le culte de la personnalité de Staline (par exemple les camions qui sillonnent la France en proclamant l’amour de Staline)]
Pour le comprendre, il faut se rappeler le contexte. Pour l’URSS, la guerre ne commence pas en 1941. Depuis 1917, les tentatives de déstabilisation et les menaces de guerre contre le jeune état socialiste sont permanentes. Les puissances occidentales financeront des véritables armées pendant la guerre civile, et continueront à soutenir – le fait est aujourd’hui peu connu, mais tout à fait réel – des mouvements de résistance armée dans les campagnes et des réseaux dans les villes. Le sabotage de la production, l’assassinat de dirigeants locaux ou même nationaux reste fréquent. Sans compter sur de véritables projets d’intervention militaire, dont le plus remarquable est le projet franco-britannique d’un corps expéditionnaire pour se battre à côté des Finlandais en 1940… alors que l’état-major français avait d’autres chats à fouetter…
La répression stalinienne nous paraît terrible aujourd’hui, mais pour les acteurs de l’époque il n’était nullement évident qu’elle ne fut nécessaire. L’expérience des Spartakistes en Allemagne, de Béla Kun en Hongrie ou celle des républicains espagnols avait amplement montré ce qui arrivait aux partisans d’une révolution vaincue. A l’inverse, si la Révolution française avait triomphé de ses ennemis, c’était aussi parce que la main des révolutionnaires n’avait pas tremblé à l’heure de frapper de stupeur leurs ennemis en mettant en œuvre la Terreur. Pour un homme comme Thorez, qui avait vu certaines de ces tragédies se dérouler sous ses yeux, il n’est pas évident que la répression stalinienne fut aussi condamnable que pour les commentateurs d’aujourd’hui, largement détachés de cette réalité.
[« Mais il ne prévoit nulle part que les signataires doivent se prêter secours, que leurs troupes combattent côté à côté, ou qu’une partie doit à l’autre un soutien quelconque. Parler donc « d’alliance » est une falsification de l’histoire. » Quand meme. Le NKVD livra a la Gestapo des prisonniers]
Et vice-versa. Un accord d’échange n’est pas une « alliance ». Or, c’était là le point en discussion.
[les armées allemandes et soviétiques ont quand même du avoir un minimum de collaboration pour la Pologne (a minima pour éviter de se tirer dessus par mégarde)]
Je ne vois pas très bien le besoin. Le traité délimitait une « zone d’influence » pour chacun des signataires, leurs armées n’avaient donc aucune raison de se trouver présentes sur le même territoire. A ma connaissance, aucun historien n’a relevé le moindre effort de « collaboration ».
[et l’URSS livra des matières premières aux allemands jusqu’a l’attaque en 41.]
Et le fait de livrer des matières premières à un pays fait de celui-ci l’un de vos « alliés » ? Intéressante conception de ce qu’est une Alliance. Les Américains ont livré du blé aux soviétiques, et ceux-ci du pétrole aux Américains pendant la guerre froide. Doit-on conclure qu’ils étaient « alliés » ?
La question discutée ici portait sur votre affirmation que Staline était « l’allié d’Adolf ». Cette accusation, régulièrement répété dans les médias conformistes, est FAUSSE. CQFD
[Donc oui les allemands et les soviétiques ne se sont jamais battu cote a cote (et je suppose que vu la mentalité d’Hitler ça ne l’intéressait pas) mais ça ne signifiait pas qu’ils n’étaient pas alliés. Un peu comme maintenant : les troupes françaises ne se battent pas au cote des ukrainiens mais on leur fournit pas mal de chose. Ne doit-on pas dire que nous sommes des allies des Ukrainiens ?]
Non. Et les Ukrainiens ne disent pas autre chose. Pourquoi croyez-vous qu’ils poussent les feux pour rentrer dans l’OTAN ? Un allié, ce n’est pas quelqu’un qui vous aide, c’est quelqu’un qui est OBLIGE par un engagement solennel à vous aider. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Nous aidons aujourd’hui les Ukrainiens parce que nous le voulons bien, mais si demain ça ne nous arrange plus, on les laissera tomber comme une vieille chaussette et en droit personne ne pourra rien nous reprocher. Les Américains vendent toutes sortes de choses à la Chine, mais ne sont pas pour autant ses « alliés », puisque les livraisons peuvent être arrêtées sur une simple décision politique. Les pays de l’OTAN sont alliés parce qu’ils se reconnaissent par un acte solennel des obligations de défense mutuelle. Et j’insiste: le pacte germano-soviétique de 1939 ne contient aucun engagement de ce type, tout juste un engagement de neutralité.
@Descartes
***Dans ses conditions, ce n’est pas moi qui reprochera au PCF d’avoir voulu mettre à l’abri son principal dirigeant***
Au-delà du PCF, c’était aussi une stratégie, voir une injonction, du Komintern, sans-doute avec l’aval de Staline lui-même.
La probabilité est très forte pour qu’il ait été fusillé en cas d’arrestation par les Allemands.
***Parler donc « d’alliance » est une falsification de l’histoire.***
C’est aussi mon point de vue. Je ne sais pas si les archives soviétiques sont déjà accessibles aux chercheurs et si elles ont apporté un éclairage sur cette question, mais personnellement j’ai toujours pensé que Staline a voulu gagner du temps pour se préparer à une guerre contre l’Allemagne qu’il jugeait inévitable.
Déjà pendant la guerre d’Espagne, Staline est très prudent et cherche à gagner du temps, il ne rentre pas dans un affrontement frontal contre l’Allemagne et l’Italie, il aide à minima les républicains mais reste sur la réserve (l’armement qu’il fournit n’est pas toujours du premier choix et il ne fait pas de cadeaux, les républicains espagnols payent au prix fort et rubis sur l’ongle, avec les 700 tonnes d’or de la banque d’Espagne qu’ils ont fait transférer à Odessa. Et les livraisons d’armes s’arrêtent bien avant la victoire de Franco, dès que la réserve d’or est “cramée”).
Pour rendre hommage à la résistance communiste il y avait bien sur d’autres choix que Missak Manouchian, Rol-Tanguy par exemple, mais qui que ce soit il n’aurait pas fait l’unanimité.
Les arrières pensées politiques du Macronisme, que vous expliquez fort bien dans votre article, vont s’évaporer et il ne restera que la dépouille mortelle de Manouchian au Panthéon.
@ Manchego
[Au-delà du PCF, c’était aussi une stratégie, voir une injonction, du Komintern, sans-doute avec l’aval de Staline lui-même.]
Si l’on croit Michel Wieworka, c’est Staline lui-même, qui avait une grande estime pour Thorez, qui en aurait donné l’ordre.
[La probabilité est très forte pour qu’il ait été fusillé en cas d’arrestation par les Allemands.]
C’est une certitude. Le destin de Gabriel Péri donne une idée assez précise de la politique allemande en la matière. Mais Thorez risquait, en vertu du décret Sérol, d’être mis en prison et condamné à mort par les français. D’autres avant lui l’ont été…
[C’est aussi mon point de vue. Je ne sais pas si les archives soviétiques sont déjà accessibles aux chercheurs et si elles ont apporté un éclairage sur cette question, mais personnellement j’ai toujours pensé que Staline a voulu gagner du temps pour se préparer à une guerre contre l’Allemagne qu’il jugeait inévitable.]
Staline était pleinement conscient du danger que représentait l’Allemagne et a cherché à signer des pactes de sécurité collective avec la France et la Grande Bretagne. La Grande Bretagne leur a claqué la porte au nez. La France grâce à l’action de Barthou signe le traité franco-soviétique d’assistance mutuelle de 1935. La mort de Barthou, remplacé par l’archi-anticommuniste Pierre Laval conduit la partie française a ont tout faire pour vider l’accord de tout contenu, en faisant trainer en longueur la négociation du protocole militaire qui devait l’accompagner. Crémieux Brilhac montre comment en 1939, pendant que se négocie le pacte germano-soviétique, Staline a encore l’espoir de négocier un accord et accueille une délégation française. C’est en apprenant que la délégation n’a pas le pouvoir de signer quoi que ce soit qu’il se décide à signer plutôt avec l’Allemagne. Et on peut le comprendre : déjà en 1938 il avait manifesté sa disponibilité pour envoyer des troupes en Tchécoslovaquie pourvu que la France et la Grande Bretagne le soutiennent, et que la Pologne accepte de laisser les troupes passer sur son territoire. La Pologne refusera (par anticommunisme, mais aussi parce qu’elle avait des visées sur la région tchèque de Teschen, qu’elle annexera après le dépècement de la Tchécoslovaquie), la Grande Bretagne et la France préfèreront s’entendre avec Hitler avec l’arrière-pensée de l’envoyer vers l’Est. Ironie du sort, Gabriel Péri – qui pourtant sera très opposé au pacte germano-soviétique – avait vu venir l’affaire. Ainsi, 5 octobre 1938 à la Chambre des députés qui examine la signature des accords de Munich le 28 septembre 1938, il lance: « Vous avez accompli quelque chose de plus grave, vous avez tué cet élément de la force des démocraties, la confiance des peuples. Vous venez de démontrer au monde qu’il était imprudent et dangereux d’être l’ami de la France…. »
[Pour rendre hommage à la résistance communiste il y avait bien sur d’autres choix que Missak Manouchian, Rol-Tanguy par exemple, mais qui que ce soit il n’aurait pas fait l’unanimité.]
Bien entendu. Mais la plupart de ces héros sont aujourd’hui peu connus. Demandes à un jeune qui était Jacques Duclos, Marcel Paul, Henri Rol-Tanguy, Georges Guingouin… et vous verrez ce qu’il vous répondra. Aucun n’a eu un Aragon pour le chanter, un Ferre pour le mettre en musique. Qui se souviendrait d’Ulysse, de Hector, d’Achille sans Homère ?
[Les arrières pensées politiques du Macronisme, que vous expliquez fort bien dans votre article, vont s’évaporer et il ne restera que la dépouille mortelle de Manouchian au Panthéon.]
Je crains que les arrières pensées politiques du macronisme et les fantasmes des classes intermédiaires ne prennent quelque temps à s’évaporer…
Au sujet de la politique étrangère de la France avant la reprise de la guerre mondiale, je recommande la lecture de la Décadence, 1932-1939, de Jean-Baptiste Duroselle. Non seulement l’auteur connaît-il son sujet, non seulement ne peut-on lui reprocher un quelconque penchant communiste, mais il raconte très bien dans le détail (vraiment dans le détail : mieux vaut connaître un peu la période pour s’y retrouver) à quel point nous avons systématiquement et volontairement manqué les occasions d’empêcher le désastre ; une bonne part de ces occasions ayant été la main plusieurs fois tendue de l’Union soviétique.
La lecture de ce livre est désolante, pour ces raisons, et étonnante : même si l’auteur n’intervient que de temps à autre pour juger ou questionner les décisions du gouvernement, de l’état-major ou de tel haut-fonctionnaire, le ton qu’il emploie pour raconter cette histoire n’en reste pas moins… engagé à rebours ? Quelque chose comme un immense soupir de regret.
@ Louis
[Au sujet de la politique étrangère de la France avant la reprise de la guerre mondiale, je recommande la lecture de la Décadence, 1932-1939, de Jean-Baptiste Duroselle.]
Un très grand historien, même si aujourd’hui il est un peu méprisé et considéré comme trop « classique ». J’avais découvert la première guerre mondiale dans son « 1914-18, la grande guerre des Français ».
[La lecture de ce livre est désolante, pour ces raisons, et étonnante : même si l’auteur n’intervient que de temps à autre pour juger ou questionner les décisions du gouvernement, de l’état-major ou de tel haut-fonctionnaire, le ton qu’il emploie pour raconter cette histoire n’en reste pas moins… engagé à rebours ? Quelque chose comme un immense soupir de regret.]
Je trouve que la période de l’entre-deux guerres est très injustement passée sous silence dans l’enseignement de l’histoire et dans la vulgarisation médiatique. Si l’on excepte la brève pause du Front Populaire et quelques généralités sur les effets de la crise de 1929, on en parle peu et les grands acteurs de l’époque sont largement oubliés. Pourtant, c’est une période fondamentale pour comprendre ce qui suit, et surtout elle fournit pas mal de leçons sur un certain nombre de constantes de la société française et sur le pourquoi de certaines erreurs qu’on tend à répéter…
Cher Descartes,
Merci pour ce texte qui exprime tout ce que confusément je ressentais de malaise face à cet évènement.
Effectivement, le discours de Macron est étrange et révèle que lui (et ses conseillers) ne reculent devant aucune contradiction.
Plus que celle de l’auteur et de sa genèse, c’est la question de la cible qui m’a taraudé.
Y a-t-il des gens susceptibles d’adhérer à une telle tartufferie étant donné la séquence historique dans laquelle elle advient ?
Qui peut prendre au sérieux un tel hommage à la résistance contre l’occupant par un président qui soutient inconditionnellement la barbarie israélienne à Gaza et rêve de voir (enfin !) des chars allemands pénétrer dans Moscou ?
Lorsque Macron évoque « ce jour de mars 1943 où il (Manouchian) lance une grenade dans les rangs d’un détachement allemand » comment ne pas faire le parallèle avec les actions désespérées des résistants palestiniens ?
« Poète et révolté » ? Qui ne pense pas immédiatement à Refaat Alareer, assassiné en décembre dernier avec sa famille par une armée d’occupation ?
Plus les références s’amoncellent et plus le discours devient malaisant.
Macron mobilise la République révolutionnaire, l’« internationale communiste» contre le fascisme ou le rêve d’ «émancipation universelle pour les damnés de la terre». Y a t-il des gens assez incultes pour croire que quiconque se réclame de ces idéaux pourrait se tenir aujourd’hui aux côtés de Tsahal ou des bataillons ukrainiens nostalgiques de Stephan Bandera ?
A qui ne saute-t-il pas aux yeux que les résistants d’aujourd’hui, sont traités exactement comme l’étaient Manouchian et ses camarades hier sur l’affiche rouge, par ceux-là même qui lui rendent un hommage larmoyant ?
Je suis bien d’accord avec vous, la panthéonisation des Manouchian était une belle occasion d’adresser un beau message à la jeunesse française.
Mais il y avait également là l’occasion d’envoyer un message au monde, en proclamant que la France de 1793 et de la Résistance ne peut ontologiquement être du côté des bourreaux du peuple palestinien, ni de l’alliance de l’impérialisme OTANien, des oligarques et des nostalgiques du IIIème Reich.
Si c’est à moi qu’il avait été donné de prononcer le discours à la place de Macron, il aurait tenu en une phrase :
Reviens Manouchian, Missak ou Michel, la France est toujours occupée.
Bien à vous,
@ Denis Weill
[Effectivement, le discours de Macron est étrange et révèle que lui (et ses conseillers) ne reculent devant aucune contradiction.]
Je pense que cela va beaucoup plus loin dans la psychologie de notre président. Macron est, désolé d’insister, d’abord un acteur frustré. Et un acteur peut jouer un personnage féministe un jour, un misogyne le jour suivant, un révolutionnaire le lundi et un réactionnaire le mardi, sans que personne ne puisse lui reprocher de se « contredire ». C’est cela qui est terrible avec Macron : il n’est pas président, il joue un président. Devant le Panthéon, il a joué le président de gauche rassembleur rendant hommage à un résistant communiste, alors que deux jours plus tard il jouera aux va-t-en guerre otanien. Il n’y a pas là une contradiction, tout juste un changement de personnage. Je me demande d’ailleurs jusqu’à quel point l’intéressé lui-même en est conscient.
[Plus que celle de l’auteur et de sa genèse, c’est la question de la cible qui m’a taraudé. Y a-t-il des gens susceptibles d’adhérer à une telle tartufferie étant donné la séquence historique dans laquelle elle advient ?]
Malheureusement, oui. Je ne me souviens plus quel auteur avait dit « il faut se méfier des gens qui n’ont qu’une seule idée ». Il y a beaucoup de gens à gauche dont la « seule idée » est de voir le parcours des « minorités » et leur contribution à l’histoire de France reconnus. Macron leur apporte cela sur un plateau, alors que tous ses prédécesseurs leur ont refusé. Ils sont donc comblés… et demain, lorsqu’il s’agira de voter et qu’on empilera devant eux toutes les erreurs, toutes les forfaitures de cette présidence, ils vous expliqueront que « ah, mais il a fait entrer Manouchian au Panthéon ! ». On l’a déjà vu avec Mitterrand et l’abolition de la peine de mort…
[Qui peut prendre au sérieux un tel hommage à la résistance contre l’occupant par un président qui soutient inconditionnellement la barbarie israélienne à Gaza et rêve de voir (enfin !) des chars allemands pénétrer dans Moscou ?]
Combien de gens, quarante ans plus tard, rendent encore culte à Mitterrand au prétexte qu’il a aboli la peine de mort…
[Macron mobilise la République révolutionnaire, l’« internationale communiste» contre le fascisme ou le rêve d’ «émancipation universelle pour les damnés de la terre». Y a t-il des gens assez incultes pour croire que quiconque se réclame de ces idéaux pourrait se tenir aujourd’hui aux côtés de Tsahal ou des bataillons ukrainiens nostalgiques de Stephan Bandera ?]
Non, vous avez tout à fait raison sur le fond. Mais dans ce bas monde, avoir raison sur le fond n’apporte guère qu’une satisfaction morale. L’opinion – et donc les électeurs – ne recherchent pas une cohérence, justement, et c’est pourquoi la technique marketing du « discours ciblé » – c’est-à-dire, le fait de raconter à chaque « cible » ce qu’elle veut entendre, quitte à se contredire – fonctionne parfaitement aujourd’hui. Cela tient au fait que les gens deviennent de plus en plus des gens « d’une seule idée », et filtrent le discours pour n’écouter que ce qui les concerne. Ceux qui tiennent à tout prix à une reconnaissance des « communautés » entendront les louanges de Macron à Manouchian, et oublieront tout le reste de sa politique. Et demain, devant le CRIF il parlera de « soutien inconditionnel à Tsahal » et il sera écouté par des gens qui auront « filtré » les paroles du président devant le Panthéon.
Macron n’a d’ailleurs pas le monopole de cette technique. Aujourd’hui, tous les partis l’utilisent. Mélenchon ne dit pas les mêmes choses sur la construction européenne selon le public auquel il s’adresse : il peut condamner la religion du « marché libre et non faussé » tout en faisant un éloge acritique de François Mitterrand, à qui l’on doit l’introduction de cet objectif dans les traités européens, les LR sont « libéraux » quand ils parlent aux patrons mais appellent à l’intervention de l’Etat lorsqu’ils parlent aux agriculteurs. Le précurseur dans cette technique, ce fut probablement Ségolène Royal. Tout le monde avait au départ rigolé de son habitude de dire tout et son contraire. Mais cela lui a rapporté beaucoup de voix…
https://twitter.com/marc_vanguard/status/1762932557119692806
@ François
Très amusant… entre parenthèse, on retrouve dans cette affaire la contradiction classique des élites qui n’ont que le mot “démocratie” à la bouche, mais qui se méfient du peuple au point de vouloir mettre leurs marottes hors d’atteinte des électeurs, au cas où ceux-ci ne voteraient pas comme il faut. On l’avait déjà vu avec la peine de mort, qu’on a cherché à blinder par des traités internationaux de manière à rendre son rétablissement juridiquement impossible. On l’a vu avec la “charte de l’environnement”, qui consacre le “principe de non régression”. On le voit aujourd’hui avec l’inscription de l’avortement dans la constitution…
Au demeurant, toutes ces protections sont plus ou moins illusoires. Si le peuple souverain veut VRAIMENT revenir sur ces questions, ce qu’une loi constitutionnelle a fait une autre peut le défaire. Et l’exemple que vous donnez est particulièrement parlant…
@Descartes,
[Au demeurant, toutes ces protections sont plus ou moins illusoires.]
C’est fascinant ce fétichisme du droit, cette croyance dans sa toute puissance, comme s’il suffisait d’inscrire l’interdiction de la création d’entropie dans la constitution pour que le second principe de la thermodynamique devienne inopérant.
Que rajouter à cela ? Pour commencer, comme l’a dit quelqu’un un jour, la constitution de la Ve République, c’est comme les chiottes du vieux bistrot, ça n’est pas parce-qu’elles sont recouvertes de graffitis que l’on est obligé d’y apposer le sien. La constitution ne devrait être qu’un texte qui définit les institutions et leurs fonctionnement, ainsi que les libertés politiques des citoyens (expression, association, etc). Supprimer tout ce qui futile, sujet à interprétation, rendre le texte aussi con qu’une notice de montage de meuble en libre service. Le rôle du juge constitutionnel serait ainsi réduit à portion congrue. Car si je ne tiens par rigueur au RN (et LR) de ne pas avoir voulu livrer bataille sur ce sujet, il n’en reste pas moins que ce sera un énième « principe » que le juge pourra interpréter à sa discrétion.
Sur le fond, je trouve cette fétichisation du « droit » à l’avortement particulièrement nihiliste. Entendons nous bien, je n’ai pas grand chose à redire à la loi Veil (qui ne faisait pas de l’avortement un droit, mais une mesure de santé publique, de tolérance), mais comment dire, affirmer haut et fort que la Liberté d’une femme passe nécessairement par la possibilité de tuer la vie qu’elle porte en elle, c’est morbide. À la suite d’une apocalypse, il ne peut rester qu’un seul couple en mesure de se reproduire, mais l’important restera tout de même que madame puisse se faire retirer le polichinelle qu’elle a dans le tiroir.
Enfin bref, Les barbares sont à nos portes, mais l’urgence est de se quereller sur le sexe des anges.
@ François
[C’est fascinant ce fétichisme du droit, cette croyance dans sa toute-puissance, comme s’il suffisait d’inscrire l’interdiction de la création d’entropie dans la constitution pour que le second principe de la thermodynamique devienne inopérant.]
C’est encore quelque chose qu’on importe du monde anglosaxon. Et on l’importe parce que c’est une idéologie qui arrange bien nos classes dominantes. En effet, depuis l’introduction du suffrage universel celles-ci vivent dans la hantise du peuple. C’est que les citoyens, voyez-vous, ont une certaine tendance à ne pas voter comme on leur dit, surtout en France où le peuple peut être particulièrement éruptif. Et lorsque le peuple vote « mal », lorsque le rapport de forces électoral et le rapport de forces structurel sont trop différents, il est difficile de maintenir l’illusion démocratique…
Du coup, la tendance des classes dominantes est à déplacer les décisions importantes vers – ou du moins les mettre sous contrôle des – instances « indépendantes » (c’est-à-dire, « indépendantes » du peuple souverain). Les juges, mais aussi les autorités administratives indépendantes, les banques centrales « indépendantes », les différentes instances européennes. Ce processus de déplacement repose sur deux piliers : la sacralisation du droit, et l’idée que le droit serait en quelque sorte « naturel » et non issu de la souveraineté populaire.
[La constitution ne devrait être qu’un texte qui définit les institutions et leur fonctionnement, ainsi que les libertés politiques des citoyens (expression, association, etc). Supprimer tout ce qui futile, sujet à interprétation, rendre le texte aussi con qu’une notice de montage de meuble en libre-service.]
Je suis d’accord avec vous sur le fait que la Constitution ne devrait contenir que des dispositions réglant el fonctionnement des institutions et leurs compétences – ce qui implique de définir les droits et libertés auxquelles ces institutions n’ont pas le droit de porter atteinte. On peut à la rigueur y inclure quelques déclarations de principe – par exemple, l’indivisibilité de la République – mais seulement lorsqu’il s’agit de principes fondamentaux, faisant l’objet d’un large consensus. Tout le reste, à la poubelle.
Par contre, je pense que vous cédez à l’illusion en imaginant qu’on peut écrire un texte qui ne soit pas « sujet à interprétation ». Il n’y a qu’en logique mathématique qu’on peut définir un langage formalisé qui ne laisse place à l’ambiguïté. Dans tous les autres domaines on est obligé d’utiliser la langue ordinaire, qui est par essence ambiguë, métaphorique, polysémique…
[Car si je ne tiens par rigueur au RN (et LR) de ne pas avoir voulu livrer bataille sur ce sujet, il n’en reste pas moins que ce sera un énième « principe » que le juge pourra interpréter à sa discrétion.]
Que la droite n’ait pas osé voter contre le projet malgré leurs évidents désaccords donne une idée du poids du « politiquement correct » aujourd’hui. C’est d’ailleurs la preuve la plus éclatante que cette « constitutionnalisation » ne sert à rien. Si la droite n’ose pas aujourd’hui voter contre la constitutionnalisation – malgré les excellents arguments dont elle dispose – imagine-t-on cette même droite voter demain des restrictions à l’avortement ?
[Sur le fond, je trouve cette fétichisation du « droit » à l’avortement particulièrement nihiliste.]
Pour tout le dire, moi je la trouve comique. En effet, il faut revenir au contexte. Si la pression pour légaliser l’avortement a été aussi forte à la fin des années 1960 et au début des années 1970, c’est parce que la libération sexuelle était passé par là. Or, dès lors qu’on souhaite avoir librement des rapports sexuels, la question des grossesses non désirées devient un grave problème. Le problème est que le contexte a changé : aujourd’hui, de plus en plus de jeunes se détournent du sexe. Le discours féministe aujourd’hui fait de tout rapport (hétéro)sexuel un viol potentiel. Le sexe est devenu quelque chose de sale, une forme de violence. De plus en plus de jeunes se disent « asexuels », et on les comprend vu ces discours. Autrement dit, le combat de l’avortement risque de s’arrêter faute de combattants…
[Enfin bref, Les barbares sont à nos portes, mais l’urgence est de se quereller sur le sexe des anges.]
Faut bien que nos classes intermédiaires se donnent l’illusion qu’elles font l’histoire. A défaut de grandes causes…
@Descartes
[Par contre, je pense que vous cédez à l’illusion en imaginant qu’on peut écrire un texte qui ne soit pas « sujet à interprétation ». Il n’y a qu’en logique mathématique qu’on peut définir un langage formalisé qui ne laisse place à l’ambiguïté.]
Admettons (que même la loi la plus explicite, la plus proprement écrite, soit sujette à interprétation). Qui dit interprétation, ambiguïté, donc subjectivité, dit arbitraire. Or, le domaine de l’arbitraire ne doit jamais relever du juge, mais seulement du politique (démocratiquement élu si possible).
@ François
[« Par contre, je pense que vous cédez à l’illusion en imaginant qu’on peut écrire un texte qui ne soit pas « sujet à interprétation ». Il n’y a qu’en logique mathématique qu’on peut définir un langage formalisé qui ne laisse place à l’ambiguïté. » Admettons (que même la loi la plus explicite, la plus proprement écrite, soit sujette à interprétation).]
Faites l’exercice – un de mes professeurs de droit, remarquable pédagogue, y consacrait une séance : essayez d’écrire une règle simple (par exemple, « tu ne tueras point ») de manière à ce qu’il n’y ait pas besoin d’interprétation pour l’appliquer. Vous verrez que vous n’arriverez pas, tout simplement parce que la langue dans laquelle nous nous exprimons et nous pensons est polysémique, et qu’un même énoncé peut avoir un sens très différent selon le sens qu’on donne aux mots. Pour reprendre la formule précédente, que veut dire « tuer » ? La formule « tu ne tueras point » exclut la légitime défense ? Interdit-elle la peine de mort ? Empêche-t-elle les guerres ?
[Qui dit interprétation, ambiguïté, donc subjectivité, dit arbitraire.]
Pas tout à fait. L’interprétation du juge n’est pas totalement libre, elle doit suivre certaines règles. Par exemple, en France on considère que le droit est issu de la volonté du législateur, et que devant une ambiguïté le juge se doit de rechercher cette volonté. C’est pourquoi les jugements des cours souveraines font souvent référence aux débats parlementaires lorsqu’il s’agit d’interpréter la loi, avec des formules du genre « lorsqu’il a écrit telle chose, le législateur n’a pas entendu interdire telle chose… ». Dans d’autres pays, ou le droit est issu de la coutume, l’interprétation du juge devra s’appuyer sur des précédents. Et dans tous les cas, les interprétations doivent se conformer à une doctrine.
Plus important, le juge – du moins en France – sait qu’il sortira perdant d’une confrontation avec le politique, parce que dans notre tradition légicentriste le juge n’est qu’une autorité, et non un pouvoir. C’est pourquoi nos juges évitent prudemment les interprétations qui les conduiraient à une collision frontale avec le législateur…
Or, le domaine de l’arbitraire ne doit jamais relever du juge, mais seulement du politique (démocratiquement élu si possible).]
Mais vous voyez que ce n’est pas possible, sauf à faire du politique un juge, ce qui finalement est bien pire.
@Descartes
[La formule « tu ne tueras point » exclut la légitime défense ? Interdit-elle la peine de mort ? Empêche-t-elle les guerres ?]
Tu ne tueras point veut dire tu ne tueras point, au même titre que tu ne dépasseras point 50km/h en ville. Si le législateur ne croit point bon d’y ajouter des exceptions telle que permettre l’homicide si sa vie est en jeu, tant pis.
[Pas tout à fait. L’interprétation du juge n’est pas totalement libre, elle doit suivre certaines règles.]
Je doute guère que le peuple français réuni en législateur lors du référendum de 1958 considérait qu’il faille au nom d’un « principe de fraternité » dépénaliser l’accueil de clandos.
[Par exemple, en France on considère que le droit est issu de la volonté du législateur, et que devant une ambiguïté le juge se doit de rechercher cette volonté.]
C’est qui ce « on » (qui bien souvent est un con) ? Comment vérifier que le juge respecte la volonté du législateur ? Par qui ? Quelles sanctions en cas de défaut de ce respect ?
[C’est pourquoi nos juges évitent prudemment les interprétations qui les conduiraient à une collision frontale avec le législateur…]
On l’a vu en effet avec la récente censure de la loi immigration par le CC, se permettant même le luxe de se payer sa gueule du législateur en disant que non, des mesures sur l’immigration n’ont pas de lien même indirect avec l’immigration. Non mais pour qui se prend cette caste pour considérer que l’article fixant à cinq ans (pour ceux qui ne travaillent pas) la durée de séjour régulier conditionnant l’obtention de certaines prestations non contributives n’a pas de lien même indirect avec l’immigration ?
[Mais vous voyez que ce n’est pas possible, sauf à faire du politique un juge, ce qui finalement est bien pire.]
Mais le juge est déjà un politique à commencer par les pervers dégénérés de juges rouges du syndicat de la magistrature qui appellent ouvertement à s’asseoir sur le principe d’impartialité. Un politique qui n’est comptable que devant lui même. Donc on est déjà dans le « pire ».
Donc soit on sanctuarise cet état de fait en le rendant responsable électoralement devant les citoyens, soit on fait sauter son indépendance statutaire vis à vis des pouvoirs législatifs et/ou exécutifs pour la remplacer par une obligation de loyauté dans le respect de la loi comme n’importe quel autre fonctionnaire.
Enfin bref, les juges, c’est comme les eunuques, ils savent mais ils ne peuvent pas.
@ François
[Tu ne tueras point veut dire tu ne tueras point, au même titre que tu ne dépasseras point 50km/h en ville. Si le législateur ne croit point bon d’y ajouter des exceptions telle que permettre l’homicide si sa vie est en jeu, tant pis.]
Autrement dit, le conducteur qui dépasse les 70 km/h en ville parce qu’il conduit un blessé grave à un hôpital ou une femme en train d’accoucher à la maternité devrait être puni avec toute la rigueur de la loi ? A ma connaissance, le législateur n’a pas prévu d’exceptions de cette nature, que je sache…
Mais imaginons qu’il veuille en prévoir une. Une rédaction du type « sauf en cas d’urgence » ne vous satisfera pas, parce qu’elle laisse le juge apprécier ce qui est une « urgence » justifiant l’exception. Vous êtes donc obligé de lister limitativement toutes les situations d’urgence comprises dans l’exception. Et vous devez le faire en termes qui ne soient soumis à interprétation… je vous souhaite bonne chance !
Le problème est un peu le même si vous voulez introduire dans la loi l’exception de légitime défense. Si vous ne voulez pas laisser l’interprétation au juge, vous êtes obligé de lister dans le texte limitativement tous les cas possibles…
[« Pas tout à fait. L’interprétation du juge n’est pas totalement libre, elle doit suivre certaines règles. »
Je ne doute guère que le peuple français réuni en législateur lors du référendum de 1958 considérait qu’il faille au nom d’un « principe de fraternité » dépénaliser l’accueil de clandos.]
On peut être en désaccord avec le juge, et si le législateur estime que sa pensée a été trahie, il a toujours le dernier mot : il n’appartient qu’à lui de préciser sa volonté en modifiant la loi, et cette modification s’impose au juge. Si demain une réforme de la constitution précise le sens du principe de fraternité, le juge devra s’incliner.
[« Par exemple, en France on considère que le droit est issu de la volonté du législateur, et que devant une ambiguïté le juge se doit de rechercher cette volonté. » C’est qui ce « on » (qui bien souvent est un con) ? Comment vérifier que le juge respecte la volonté du législateur ? Par qui ? Quelles sanctions en cas de défaut de ce respect ?]
Si le législateur estime que le juge a mal interprété sa volonté, il peut l’exprimer explicitement, et cette expression s’impose au juge. Autrement dit, rien n’empêche le législateur de revenir sur une jurisprudence, quelle qu’elle soit.
[« C’est pourquoi nos juges évitent prudemment les interprétations qui les conduiraient à une collision frontale avec le législateur… » On l’a vu en effet avec la récente censure de la loi immigration par le CC, se permettant même le luxe de se payer sa gueule du législateur en disant que non, des mesures sur l’immigration n’ont pas de lien même indirect avec l’immigration.]
Le CC avait parfaitement raison sur ce point. La loi n’est l’expression de la volonté générale que pour autant qu’elle soit élaborée dans le respect de la procédure prescrite par la Constitution. Or, la Constitution interdit explicitement les amendements qui n’ont pas un rapport direct ou indirect avec les dispositions contenues dans le projet de loi. Un législateur tout-puissant, qui peut s’affranchir des règles constitutionnelles, est aussi dangereux sinon plus qu’un juge tout-puissant.
[Non mais pour qui se prend cette caste pour considérer que l’article fixant à cinq ans (pour ceux qui ne travaillent pas) la durée de séjour régulier conditionnant l’obtention de certaines prestations non contributives n’a pas de lien même indirect avec l’immigration ?]
La constitution exige (art 45) pour qu’un amendement soir recevable que « il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le CC a plusieurs fois interprété cette formule – sans que personne n’ait contesté cette interprétation – en disant qu’un amendement n’était acceptable que dans la mesure où il avait un rapport, même indirect, avec les dispositions contenues dans le texte déposé ou transmis. Le fait que l’amendement et le projet concernent vaguement le même sujet ne suffit pas.
[« Mais vous voyez que ce n’est pas possible, sauf à faire du politique un juge, ce qui finalement est bien pire. » Mais le juge est déjà un politique]
Non. Certains juges font de la politique, mais la fonction judiciaire n’est pas une fonction politique, et les juges ne peuvent invoquer une légitimité politique, puisqu’ils n’ont pas de délégation explicite du peuple souverain. Dieu merci, on n’élit pas les juges en France…
encore un article très intéressant et bien documenté. Merci
à propos de Manouchian …
Il doit certainement exister au moins un soldat nazi qui s’est battu courageusement sur le front de l’est en 42-44, puis qui a résisté à l’invasion russe en Allemagne, et qui, fait prisonnier, a été exécuté par les soviétiques.
Que diriez-vous si le chancelier allemand organisait une grande cérémonie commémorative en son honneur ?
Vous diriez : un nazi … pas possible.
Or qu’était Manouchian si ce n’était un communiste stalinien, tout à fait au courant des immenses purges, du génocide ukrainien faits par Staline ?
Alors il me semble que célébrer Manouchian au Panthéon est tout à fait indécent. Ce qui n’empêche pas d’admirer son courage, son amour de la culture française, ses actions (encore que l’on puisse discuter de l’opportunité de ses actions).
[Il doit certainement exister au moins un soldat nazi qui s’est battu courageusement sur le front de l’est en 42-44, puis qui a résisté à l’invasion russe en Allemagne, et qui, fait prisonnier, a été exécuté par les soviétiques.]
« L’invasion russe en Allemagne » ? Il ne vous aura pas échappé je pense qu’il s’est passé quelques petites choses avant que le premier soldat russe – ou plutôt soviétique, le glissement sémantique n’est pas innocent – mette un pied en territoire allemand. En particulier, le fait que ce « soldat nazi » idéalisé est rentré en territoire soviétique et a causé la mort de deux dizaines de millions de citoyens soviétiques. Ne pensez-vous pas que ce point de détail mérite d’être pris en compte dans la suite du raisonnement ?
[Que diriez-vous si le chancelier allemand organisait une grande cérémonie commémorative en son honneur ?]
Je dirais qu’il met en exergue la mémoire de quelqu’un qui a provoqué la mort d’innombrables citoyens soviétiques, polonais, tchèques… parce que, voyez-vous, les « soldats nazis » ne se sont pas révélés le jour où il a fallu défendre le territoire allemand d’une « invasion » unilatérale.
[Vous diriez : un nazi … pas possible.]
Certainement pas. Je connais assez l’Allemagne pour savoir que ce type d’hommage est assez courant. Il suffit de se promener dans un cimetière allemand pour noter les monuments « aux morts de la guerre 1939-45 ». Je vous rappelle que pour l’Allemagne, le 8-9 mai n’est pas célébré comme la victoire sur le nazisme, mais comme une défaite de l’Allemagne.
[Or qu’était Manouchian si ce n’était un communiste stalinien, tout à fait au courant des immenses purges, du génocide ukrainien faits par Staline ?]
Il ne vous échappera pas qu’il y a une différence objective entre « être au courant » d’un crime et de l’avoir commis de sa propre main. Si vous excluez de l’hommage national tous ceux qui « étaient au courant » et qui n’ont pas condamné, vous n’allez pas avoir grand monde à qui rendre hommage. Pensez-y : entre ceux qui sont restés philoaméricains malgré le Vietnam ou celle d’Irak – sans compter le soutien aux régimes répressifs en Asie, Afrique et Amérique Latine et ceux qui sont restés philosoviétiques malgré le goulag, sans compter ceux qui sont restés philofrançais pendant la guerre d’Algérie…
Vous savez, dans ce bas monde les seuls qui ont les mains propres sont ceux qui n’ont pas de mains. Agir, cela implique de choisir entre des options possibles, qui sont toutes plus ou moins en décalage avec la pure morale des philosophes. On peut pleurer sur les morts de la Terreur ou ceux du Goulag, mais quelles étaient les autres options ? Etaient-elles viables ? Que sont devenus les hommes « moraux » qui sont restés droits dans leurs bottes morales et refusé tout recours à des moyens que la moral reprouve – pensez par exemple à Salvador Allende ? Je sais, c’est triste à dire, mais en politique la morale ne paye pas. Et je ne pense pas seulement à l’homme politique soucieux de conserver le pouvoir, mais aussi à son peuple : si Allende avait été moins « démocratique » et avait mis Pinochet et sa clique en prison avant qu’ils puissent le renverser, les chiliens se seraient mieux portés ? C’est une question sans réponse…
[Alors il me semble que célébrer Manouchian au Panthéon est tout à fait indécent. Ce qui n’empêche pas d’admirer son courage, son amour de la culture française, ses actions (encore que l’on puisse discuter de l’opportunité de ses actions).]
Là, je ne vous comprends pas. Vous trouvez normal d’admirer le courage et l’amour de la France de Manouchian, mais vous vous interdisez de le donner en exemple ?
@descartes
[ Je connais assez l’Allemagne pour savoir que ce type d’hommage est assez courant. Il suffit de se promener dans un cimetière allemand pour noter les monuments « aux morts de la guerre 1939-45 ».]
En France on a des monuments aux mort ou vous avez 14-18, 39-45 mais aussi indochine et algerie. Pourtant je pense pas que les francais soient tres algerie francaise et encore moins indochine francaise
@ cdg
[« Je connais assez l’Allemagne pour savoir que ce type d’hommage est assez courant. Il suffit de se promener dans un cimetière allemand pour noter les monuments « aux morts de la guerre 1939-45 » » En France on a des monuments aux mort ou vous avez 14-18, 39-45 mais aussi Indochine et Algérie. Pourtant je pense pas que les Français soient très Algérie française et encore moins Indochine française.]
La comparaison me paraît absurde : Si la défaite militaire en Indochine avait abouti à la destruction des grandes villes métropolitaines et son occupation par une armée étrangère, probablement les Français auraient un sentiment plus appuyé sur la question. Quant à l’Algérie, son abandon n’est pas le résultat d’une défaite militaire, mais d’une décision politique.
@ marc.malesherbes
***Or qu’était Manouchian si ce n’était un communiste stalinien, tout à fait au courant des immenses purges, du génocide ukrainien faits par Staline ?***
Vous semblez penser qu’être communiste entre 1917 et 1953 c’était forcément être Stalinien au sens de connaître et cautionner les crimes qui lui sont imputés. A mon sens rien n’est moins sur, il ne faut pas juger cette période avec “des lunettes de 2024” (l’information circulait moins bien qu’aujourd’hui et ne se diffusait pas de façon aussi massive…). Mais admettons que ce soit le cas, alors cela pose une question de fond : – Peut-on être communiste malgré les crimes du communisme? Mais il faut aussi s’interroger de manière plus ample: peut-on être humaniste malgré les crimes d’Homo-Sapiens? croyant malgré l’inquisition et bien d’autres crimes perpétrés au nom des religions?
Le livre noir du communisme (S. Courtois) avance 100 millions de morts et en appelle à un “Nuremberg” du communisme. Mais le capitalisme combien de morts ? Les USA combien de morts ?
L’angle d’attaque des anti-communistes c’est toujours les crimes staliniens, mais la réalité c’est très souvent une aversion pour le collectif, pour le partage et la solidarité (je parle de solidarité administrée par l’état, pas de charité volontaire type téléthon).
Pourquoi les crimes du capitalisme sont rarement mis en avant? (peut-être parce que le capitalisme “est dans l’ADN” d’Homo-Sapiens?).
@ Manchego
[Vous semblez penser qu’être communiste entre 1917 et 1953 c’était forcément être Stalinien au sens de connaître et cautionner les crimes qui lui sont imputés. A mon sens rien n’est moins sur, il ne faut pas juger cette période avec “des lunettes de 2024” (l’information circulait moins bien qu’aujourd’hui et ne se diffusait pas de façon aussi massive…).]
Je me permets d’intervenir dans votre échange, parce que je ne suis pas du tout d’accord avec cette idée. Soutenir une position politique implique d’en assumer intellectuellement les conséquences. J’aime beaucoup la formule de Napoléon : « du baptême de Clovis au comité de Salut public, j’assume tout ». On ne peut pas acheter l’histoire au détail, reprendre les pages glorieuses et se laver les mains des autres. Oui, être « communiste » entre 1917 et 1953 (ou du moins entre 1930 et 1953) c’était être « stalinien », de la même manière qu’être « capitaliste » dans la même période implique assumer la misère ouvrière, les guerres coloniales, les interventions américaines, les massacres hitlériennes.
Relisez « les mains sales ». La politique, quelque soit le parti qu’on prenne, ce n’est pas du joli-joli. Parce que la politique, c’est le tragique à l’état pur. En politique, il n’y a pas de voie qui permette à la fois d’atteindre les objectifs et de satisfaire la morale. C’est ainsi, et il faut l’accepter. Parce que l’alternative, c’est de se couper les mains de peur de les salir. Tous ceux qui ont fait quelque chose pour le genre humain ont une part d’ombre.
[Mais admettons que ce soit le cas, alors cela pose une question de fond : – Peut-on être communiste malgré les crimes du communisme ? Mais il faut aussi s’interroger de manière plus ample: peut-on être humaniste malgré les crimes d’Homo-Sapiens ? croyant malgré l’inquisition et bien d’autres crimes perpétrés au nom des religions ?]
Bien sur que si. Parce que c’est une question de choix. Si vous êtes communiste, il vous faut assumer les crimes commis au nom du communisme. Mais si vous êtes anticommuniste, il vous faut assumer ceux commis au nom de l’anticommunisme, qui sont eux aussi fort terribles et fort nombreux. Le seul choix qui vous laisse libre de toute culpabilité est celui de vous enfermer dans une tour d’ivoire et du haut de votre position morale donner des mauvais points aux uns et aux autres… ce n’est pas à mon sens une position très constructive.
Mais « assumer » n’implique pas nécessairement en être complice. Même pour les staliniens les plus impitoyables, le goulag était une regrettable nécessité imposée par les circonstances, et non un projet politique. Exactement l’inverse du régime nazi, pour qui l’extermination de ceux déclarés indignes de vivre faisait partie du programme. C’est pour cela qu’il existe une différence objective entre le nazisme d’une part et le communisme ou le capitalisme libéral, d’autre part.
[Le livre noir du communisme (S. Courtois) avance 100 millions de morts et en appelle à un “Nuremberg” du communisme. Mais le capitalisme combien de morts ? Les USA combien de morts ?]
S. Courtois fut dirigeant maoïste de 1968 à 1971, dans une organisation qui crachait en permanence sur le PCF accusé de « stalinien », tout en se pâmant sur les réalisations de la « grande révolution culturelle prolétarienne » sans trop regarder les millions de morts. Le maoïsme est parti, mais l’anticommunisme est resté. Et comme ses travaux étaient fonctionnels au néomaccarthysme de la fin du XXème siècle, il était assuré d’avoir un large écho chez les « classes bavardantes »…
Personnellement, ce genre de nécro-comptabilité ne m’intéresse absolument pas. Depuis que le monde est monde, les hommes tuent d’autres hommes, certains au nom de nobles causes, d’autres au profit de sordides intérêts. Je ne crois pas qu’on mesure le mérite d’une cause au nombre de morts qu’elle provoque. Sans quoi on finit par préférer la dictature molle d’un Louis XVI aux affres de la Révolution…
[L’angle d’attaque des anti-communistes c’est toujours les crimes staliniens, mais la réalité c’est très souvent une aversion pour le collectif, pour le partage et la solidarité (je parle de solidarité administrée par l’état, pas de charité volontaire type téléthon).]
Bien sûr. Il est toujours amusant de voir dénoncer les crimes staliniens par ceux qui en leur temps ont soutenu Pol Pot ou Pinochet. Tout cela, ce n’est que de la propagande.
[Pourquoi les crimes du capitalisme sont rarement mis en avant ? (peut-être parce que le capitalisme “est dans l’ADN” d’Homo-Sapiens?).]
Certainement pas. C’est parce que, dans notre société, le capitalisme reste le mode de production dominant, et que l’idéologie dominante est celle qu’il produit dialectiquement.
@ Descartes
****Certainement pas. C’est parce que, dans notre société, le capitalisme reste le mode de production dominant, et que l’idéologie dominante est celle qu’il produit dialectiquement.***
Très bien, mais alors il vous faut expliquer pourquoi le capitalisme reste le mode de production dominant?
Moi j’ai tendance à penser que si le capitalisme est dominant c’est qu’il est plus efficient que les autres systèmes qui ont été essayés, tout simplement parce qu’il correspond mieux à la nature humaine.
@ Manchego
[Très bien, mais alors il vous faut expliquer pourquoi le capitalisme reste le mode de production dominant ?]
Bien entendu. Et la raison, c’est Marx qui la donne : le capitalisme reste le mode de production dominant aujourd’hui parce que, compte tenu du stade de développement de notre société, des techniques et des ressources dont nous disposons, il reste le mode de production le plus efficace.
[Moi j’ai tendance à penser que si le capitalisme est dominant c’est qu’il est plus efficient que les autres systèmes qui ont été essayés, tout simplement parce qu’il correspond mieux à la nature humaine.]
Sauf que, si vous regardez l’histoire, le mode de production antique a été dominant plusieurs millénaires, et vous trouvez des sociétés ou le mode de production féodal reste dominant aujourd’hui. Un esclave romain, un serf médiéval pouvaient eux aussi penser que le mode de production de leur temps « était le plus efficient parce qu’il correspondait à la nature humaine ». Ils se seraient trompés… mais vous prenez le risque de vous tromper comme eux. Qui vous dit qu’un autre mode de production ne viendra après, qui sera encore plus efficient et parce qu’il correspondra encore mieux à la nature humaine ?
Vous faites ici l’erreur de raisonnement des partisans de la “fin de l’histoire”. Pour eux, le capitalisme n’est pas un mode de production comme les autres, c’est le dernier stade de l’aventure humaine. Il n’y a rien au delà. Mais vous noterez que cette idée est une constante de toute idéologie dominante, puisque la classe dominante prétend présenter son règne comme résultant non pas d’un rapport de forces, mais comme “naturel”. Les Romains pensaient que le régime impérial était l’apex de la civilisation, les contemporains disaient la même chose du règne de Louis XIV… et Francis Fukuyama ne dit autre chose à propos de la démocratie bourgeoise.