La guerre qui vient

“Nous marchons vers la guerre comme des somnambules”
Christopher Clarke

Cette semaine j’aurais voulu consacrer mon papier à la politique intérieure, et notamment au débat sur la loi dite « Gremillet », proposition de loi sénatoriale qui de fait se substitue à la loi d’orientation dans le domaine de l’énergie et du climat qui, selon les dispositions du Code de l’Energie, aurait dû être déposée par le gouvernement en 2023, et qu’on attend toujours. Une absence qui met en relief l’incapacité consubstantielle à la macronie à formuler un projet qui aille au-delà de quelques annonces martiales. On l’a vu sur les retraites, où la « grande reforme » qui devait tout chambouler avec la mise en œuvre d’un système « à points » s’est réduite à une mesure d’âge. On l’a vu sur la réforme de la haute fonction publique, qui s’est limitée à détruire l’existant sans rien construire de solide.

Mais l’actualité commande, et Gremillet devra donc attendre. L’actualité, c’est le bombardement de l’Iran par Israël. Un bombardement qui, surprise surprise, les commentateurs comme les chancelleries occidentales évitent soigneusement de qualifier « d’agression ». Une timidité qu’on avait déjà pu percevoir lors de la deuxième guerre du Golfe, et dont on ne peut que noter le contraste avec le vocabulaire utilisé pour caractériser « l’opération spéciale » russe en Ukraine, par exemple. Et pourtant, il y a un étrange parallèle entre la décision russe vis-à-vis de l’Ukraine et celle d’Israël vis-à-vis de l’Iran. Dans les deux cas, il s’agit de ce qu’on appelle une « guerre préventive », déclenchée unilatéralement en violation du droit international, et justifiée au nom des intérêts vitaux de la nation. Pour la Russie en 2022, une Ukraine intégrée à court terme à l’OTAN, stockant sur son territoire des armements américains et potentiellement des armes nucléaires était perçue comme une menace vitale, de la même manière qu’en 2025 pour Israël un Iran disposant à court terme de l’arme nucléaire est perçu comme une menace vitale. Devant cette analyse, la Russie de 2022 comme l’Israël de 2025 fait donner les canons. Et non seulement contre les dispositifs militaires mais aussi contre les infrastructures civiles, puisque l’objectif est non seulement d’affaiblir la capacité militaire de l’adversaire, mais d’affaiblir son économie et ses structures politiques, avec l’espoir d’imposer un changement de régime pour trouver en face des dirigeants plus dociles.

Là où le parallèle s’arrête, c’est dans la réaction des « grandes démocraties ». A « l’agression » russe, on répondit par une condamnation universelle au nom du « droit international » et de « la souveraineté des états ». L’Occident unanime a proclamé le droit de l’Ukraine à choisir ses alliances et organiser sa défense comme elle l’entendait, sans rendre compte à personne. Quand il s’agit de l’Iran, curieusement, le droit international et les principes sacrés partent en vacances. Réunis en G7, les grands de ce monde commencent leur déclaration non pas en condamnant ce qui est à l’évidence une brutale agression d’un pays souverain et une violation du droit international, mais en soulignant « le droit d’Israël à se défendre ». Il paraît que dans le cas d’Israël, contrairement à celui de la Russie, ce « droit » inclut le fait de bombarder les infrastructures civiles d’un pays jugé hostile. Et le G7 complète sa déclaration en proclamant que « l’Iran n’aura jamais l’arme nucléaire », confirmant que le droit reconnu à l’Ukraine de faire souverainement ses choix concernant sa défense n’est plus de mise quand il s’agit de l’Iran.

Et il n’y a pas que les paroles, il y a les actes. L’agression de l’Ukraine a entraîné dix-huit trains de sanctions européennes et de milliards en fournitures de guerre et crédits civils au pays agressé. Les crimes de guerre et le probable génocide en cours à Gaza n’ont suscité que des condamnations verbales, et encore, et il en ira probablement de même après l’agression sur l’Iran. Pas la moindre sanction en vue pour Israël, et on peut parier que la timide décision de réexaminer l’accord d’association entre l’UE et l’Etat hébreu, prise sous la pression de l’indignation publique concernant le génocide en cours à Gaza, sera vite archivée maintenant que la guerre avec l’Iran a déplacé Gaza dans les actualités.

Bien sûr, ce « deux poids deux mesures » n’étonnera que ceux qui veulent être étonnés. Car les précédents sont nombreux, du bombardement de Belgrade par l’OTAN pour imposer un changement de ses frontières à la Serbie jusqu’à l’invasion de l’Irak par les troupes américaines pour imposer aux irakiens un régime conforme aux vœux des Etats-Unis, on sait que ce qui est « agression » venant des adversaires du bloc occidental devient « droit à se défendre » voire « intervention humanitaire » chez ses partisans. En Irak comme en Serbie, à Gaza comme en Iran, le bloc occidental s’est assis sur les principes hautement revendiqués, sous des prétextes plus ou moins crédibles – on attend toujours les armes de destruction massive attribuées à Saddam Hussein, qui servi de justificatif à l’agression contre l’Irak – et avec la bénédiction de ceux, intellectuels, journalistes, personnalités politiques, qui souvent sont les plus vocaux pour les proclamer.

Ce qui reste étonnant, c’est la capacité des bienpensants occidentaux à ignorer les contradictions de leurs discours, même lorsqu’elles sont évidentes. Alors que depuis la chute de l’URSS on est revenu progressivement dans une logique où la raison d’Etat prime absolument non seulement sur le droit, mais même sur les principes humanitaires, on continue à nous rabâcher le discours éculé de « le droit et la démocratie c’est la paix ». Malgré Belgrade, malgré Bagdad, malgré Guantanamo, malgré Gaza, on continue à se raconter la fable d’un occident revendiquant une supériorité morale au nom des grands principes humanitaires et juridiques.

Certains lecteurs de mon précédent papier sur la question s’interrogeaient sur les raisons de la mansuétude dont le bloc occidental entier faisait preuve à l’égard d’Israël, notamment concernant le génocide en cours à Gaza. La réponse se trouve dans les déclarations du chancelier d’Allemagne, Friedrich Merz, en marge du G7. Dans un entretien accordé à la chaîne WeltTV le 17 juin. Dans cet entretien, il salue « le courage » de l’armée israélienne qui « fait le sale boulot pour nous tous » en attaquant l’Iran. Voilà donc, explicitement, la raison : Israël, c’est le bras armé des « démocraties occidentales » au moyen orient, le préposé aux basses œuvres. Et conserver cet atout vaut bien qu’on ferme les yeux sur quelques crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité. Paraphrasant la formule de Roosevelt à propos de Somoza, « Netanyahu est peut-être un fils de pute, mais il est notre fils de pute ».

On peut d’ailleurs admirer l’intelligence politique de Netanyahu dans son timing. Alors que le génocide à Gaza commençait à faire mauvais genre et que ses soutiens occidentaux avaient de plus en plus de mal à le couvrir devant leurs opinions publiques, en attaquant l’Iran rappelle son utilité et fait taire toute critique. Et sa première victoire sur ce plan ne s’est pas fait attendre : le jour suivant le début des bombardements sur l’Iran, le chancelier Allemand loue le « courage » des israéliens, et notre président de la République annonce le report sine die la conférence de l’ONU destinée à remettre sur la table le projet de solution à deux états en Palestine – pour des « raisons logistiques », paraît-il – qui devait se réunir la semaine prochaine, et au cours de laquelle la situation à Gaza allait être exposée. Eh oui, hors de question pour les dirigeants occidentaux d’affaiblir la position israélienne alors que ce charmant pays travaille pour nous dans le golfe persique…

Et maintenant ? L’histoire récente ne donne pas beaucoup de raisons d’être optimiste. Dans la quasi-totalité des cas – Libye, Afghanistan, Irak, Somalie – les tentatives d’imposer des changements politiques par les bombes ont abouti à des « états faillis », à un appauvrissement massif des populations et à une migration économique importante. L’Iran sera demain une nouvelle Libye, un nouvel Afghanistan ? Même si l’histoire est très différente, la question mérite d’être posée, tant les buts de guerre d’Israël paraissent peu précis. Et puis, Israël est d’une certaine façon pris dans une fuite en avant : ayant franchi le Rubicon, il est obligé d’affaiblir suffisamment l’Iran pour ne pas craindre un retour de bâton. Mais pour affaiblir l’Iran, il est obligé d’employer des moyens qui ne peuvent que souder le peuple iranien autour de ses dirigeants et le faire rêver de revanche, sans compter l’inquiétude d’autres états de la région, qui savent désormais que le feu israélien peut tomber du ciel sans préavis… et sans que la communauté internationale ne s’en émeuve.

Si l’objectif était de détourner l’Iran et avec lui un certain nombre de pays « du seuil » de chercher à se doter de l’arme nucléaire, c’est à mon avis raté. L’agression contre l’Iran, tacitement approuvée par le bloc occidental en défiance du droit international, met en évidence le fait qu’un état non-doté de l’arme nucléaire peut à tout moment subir une attaque touchant non seulement son potentiel militaire, mais ses populations civiles, ses institutions politiques et son patrimoine économique. Dans ces conditions, se doter d’une dissuasion efficace fondée sur l’arme suprême paraît un objectif très raisonnable.

« Nous marchons vers la guerre comme des somnambules ». Et cela ne date pas d’hier : l’hubris occidental après la chute de l’URSS a fait sauter une à une toutes les digues patiemment construites depuis 1945. Avant 1989, aucun dirigeant n’aurait osé parler en public comme l’a fait Friedrich Merz. La déclaration du chancelier allemand revendiquant publiquement le « sale boulot » accompli par Israël montre que chez les princes qui nous gouvernent on ne ressent même plus le besoin de sauver les apparences, de faire semblant d’adhérer aux règles qui, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, régissaient au moins symboliquement les rapports entre états. Le « sale boulot » n’est plus si « sale », puisqu’il peut être reconnu et loué publiquement par un dirigeant soi-disant démocratique et respectueux du droit.

Le temps est donc venu de remettre en cause un certain nombre de certitudes naïvement forgées pendant la période de paix armée que fut la guerre froide. Téhéran est bombardée aujourd’hui, mais demain ce pourrait être à Paris ou Marseille, Berlin ou Rome, de subir le même sort pour peu qu’un Trump, un Poutine ou même un Netanyahu y voient un intérêt. On se souvient du slogan peint sur un tank américain en réaction à l’opposition de la France à l’invasion de l’Irak : « Today Bagdad, tomorrow Paris ». Si la même situation se produisait aujourd’hui, rien ne nous dit que cela resterait au niveau du slogan. Plus près de nous, de l’autre côté du Rhin, nous avons un dirigeant qui félicite publiquement ceux qui font son « sale boulot ». Qui vous dit que demain ce « sale boulot » ne nous concernera pas ?

Faisons donc notre la formule de Cromwell : « il faut prier Dieu… et garder la poudre sèche ». Il faut laisser de côté les illusions, et prendre conscience que la France ne peut compter que sur elle-même.

Descartes

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

15 réponses à La guerre qui vient

  1. Gaston dit :

    Bonjour,
    Je suis d’accord vous sur la majorité des propos sauf l’essentiel. C’est à dire la cause de notre soutien à Israêl.
    Vous dites que ce soutien occidental est due au fait qu’Israel est le bras armé de nos démocraties au Moyen-Orient. Qu’ils font le sale boulot. Mais quel est donc l’intérêt pour la France d’entrer en conflit avec l’Iran? De même, quel est l’intérêt pour la France d’entrer en conflit avec la Russie? Avec ici l’Ukraine qui fait le sale boulot.
    La vraie raison est que la France est sous l’influence matériel et idéologique de force étrangères. Un lobby américain qui nous pousse à soutenir la guerre américaine contre la Russie et un lobby pro-israélien qui nous pousse à soutenir Israel inconditionnellement. Et l’idéologie qui pousse aux soutien de ces deux pays s’appelle le néo-conservatisme. 
    En France on voit bien que le soutien médiatique et politique à Israel se faisait bien avant l’attaque de l’Iran. Le soutien s’est fait pendant un génocide. Des journalistes, humoristes se sont fait licencier, des élus ont été convoqués à la police pour apologie du terrorisme. Ce ne sont pas des forces impérialistes française à l’origine de cela mais bien le lobby pro-israélien francais. 
    Je ne sais pas si vous avez lu le livre de Walt et Mearsheimer mais ils décrivenet très bien comment ce dernier fonctionne aux USA et montre que le soutient n’est pas dû à des motivations impériales, économoiques ou idéologiques mais à cause d’un lobby qui achète le Congrès etc

    • Descartes dit :

      @ Gaston

      [Vous dites que ce soutien occidental est due au fait qu’Israel est le bras armé de nos démocraties au Moyen-Orient. Qu’ils font le sale boulot. Mais quel est donc l’intérêt pour la France d’entrer en conflit avec l’Iran ? De même, quel est l’intérêt pour la France d’entrer en conflit avec la Russie ? Avec ici l’Ukraine qui fait le sale boulot.]

      Aucun, bien entendu. Mais les princes qui nous gouvernent – et le bloc dominant qui les soutient – se soucient moins des intérêts de la France que de leurs propres intérêts. Et leur intérêt commande de coller étroitement au « bloc occidental », ce qui en pratique revient à suivre la politique américaine. C’est en suivant les américains qu’on s’est engagé en Libye et qu’on a bombardé la Serbie, qu’on a sanctionné la Russie et aidé l’Ukraine, et qu’aujourd’hui on laisse faire Israël. Il est d’ailleurs amusant de constater que lorsque la ligne suivie par les Etats-Unis devient incertaine, nos dirigeants ne savent plus vraiment quoi faire…

      [La vraie raison est que la France est sous l’influence matériel et idéologique de force étrangères. Un lobby américain qui nous pousse à soutenir la guerre américaine contre la Russie et un lobby pro-israélien qui nous pousse à soutenir Israel inconditionnellement.]

      Je pense que cette vision en termes de « lobbies » est réductrice. Bien entendu, il y a des lobbies et ils sont puissants. Mais leur puissance vient surtout du fait qu’il y a un bloc dominant dont les intérêts coïncident avec la ligne que les lobbies leur proposent.

      [Je ne sais pas si vous avez lu le livre de Walt et Mearsheimer mais ils décrivenet très bien comment ce dernier fonctionne aux USA et montre que le soutient n’est pas dû à des motivations impériales, économoiques ou idéologiques mais à cause d’un lobby qui achète le Congrès etc]

      Je pense qu’il y a là une vision essentiellement complotiste. S’il suffisait d’un lobby pour changer la politique extérieure des Etats-Unis, l’Arabie Saoudite pèserait plus lourd qu’Israël. Si ces lobbies sont si puissants, c’est parce que leur discours rencontre les intérêts des classes dominantes américaines.

  2. CVT dit :

    @Descartes,

    [Il faut laisser de côté les illusions, et prendre conscience que la France ne peut compter que sur elle-même.]

    Nous sommes encore loin du compte…
     
    Je suis assez âgé pour me souvenir des décisions prises sous Mitterrand en matière de politique étrangère, qui étaient considérées abusivement et pompeusement comme “Gaullo-Mitterrandienne” (rires dans la salle😀). Et en dehors de la “Françafrique”,  vestige de la puissance coloniale de jadis, notre politique a toujours été euro-atlantiste (donc américano et germano servile) depuis plus de 50 ans, soit le départ de Mongénéral.
     
    Dès lors, comment rétablir dans l’imaginaire français un désir de politique indépendante ? Comme je le signalais plus haut, les témoins de l’époque gaulliste sont de plus en plus rares, et l’UE est devenue l’horizon d’une classe politique française avide de se délester du fardeau de la puissance (qui requiert bien sûr la responsabilité)?
     
    Je veux bien que nécessité fasse loi, mais sans sortie préalable de la France de l’UE, voire de l’OTAN, rien ne sera possible: c’est bien un changement d’élite politique qui sera nécessaire, or je ne vois pas de gens de bonne volonté dans notre classe politique qui soient courageux et capables pour franchir ce rubicon…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [« Il faut laisser de côté les illusions, et prendre conscience que la France ne peut compter que sur elle-même. » Nous sommes encore loin du compte…]

      C’est certain. Et le réflexe de nos politiques de renvoyer au niveau européen tous les problèmes ne contribue pas à combattre cette tendance bien française à croire que les solutions à nos problèmes viendront de l’extérieur. Le leitmotiv « ce problème doit être résolu à l’échelle européenne » est devenu le prétexte idéal pour ne rien faire.

      [Dès lors, comment rétablir dans l’imaginaire français un désir de politique indépendante ? Comme je le signalais plus haut, les témoins de l’époque gaulliste sont de plus en plus rares, et l’UE est devenue l’horizon d’une classe politique française avide de se délester du fardeau de la puissance (qui requiert bien sûr la responsabilité)?]

      C’est très difficile. Nous vivons en France une époque où l’imaginaire est très pauvre, et se concentre presque toujours sur le plan individuel. En témoigne par exemple la littérature contemporaine – très largement dominée par l’autofiction – ou du cinéma français, qui ne parle plus que des problèmes individuels. Quel est le dernier livre épique en français, le dernier film épique produit en France ? On trouve encore aux Etats-Unis des blockbusters ou des gens cherchent à sauver la planète. Pas en France. Or, le désir de puissance, inséparable du désir d’indépendance nationale, ne peut s’appuyer que sur un imaginaire collectif et épique.

      [Je veux bien que nécessité fasse loi, mais sans sortie préalable de la France de l’UE, voire de l’OTAN, rien ne sera possible: c’est bien un changement d’élite politique qui sera nécessaire, or je ne vois pas de gens de bonne volonté dans notre classe politique qui soient courageux et capables pour franchir ce rubicon…]

      J’aurais tendance à dire que ce sont les circonstances qui font les grands hommes. Je veux croire qu’il y a des gens chez nous qui pourraient se glisser dans les chaussures de Gambetta, de Clemenceau ou de De Gaulle, mais les circonstances actuelles ne leur permettent pas de se révéler.

  3. MJJB dit :

    [On se souvient du slogan peint sur un tank américain en réaction à l’opposition de la France à l’invasion de l’Irak : « Today Bagdad, tomorrow Paris ». Si la même situation se produisait aujourd’hui, rien ne nous dit que cela resterait au niveau du slogan.]

     
    En théorie, cela en restera toujours “au niveau du slogan”, car nous disposons de la dissuasion nucléaire. À moins que je ne sois mal informé… 
     

    [Plus près de nous, de l’autre côté du Rhin, nous avons un dirigeant qui félicite publiquement ceux qui font son « sale boulot ». Qui vous dit que demain ce « sale boulot » ne nous concernera pas ?]

     
    Mais… mais… mais… on m’avait pourtant seriné sur tous les tons que “l’Europe, c’était la paix” ! On m’aurait donc menti !?…

    • Descartes dit :

      @ MJJB

      [En théorie, cela en restera toujours “au niveau du slogan”, car nous disposons de la dissuasion nucléaire. À moins que je ne sois mal informé…]

      Vous êtes bien informé. Mais il faut faire attention, l’arme nucléaire s’entretient, et la doctrine de dissuasion doit être actualisée en permanence. Avec les restrictions budgétaires et les tentatives de diluer la dissuasion dans une “défense européenne”, on pourrait se retrouver sans dissuasion crédible… sans compter avec ceux qui nous expliquent que la dissuasion nucléaire ne sert à rien dans une Europe pacifique…

      [Mais… mais… mais… on m’avait pourtant seriné sur tous les tons que “l’Europe, c’était la paix” ! On m’aurait donc menti !?…]

      L’Europe c’est la paix… puisqu’elle fait faire son “sale boulot” par d’autres!

  4. Gautier Weinmann dit :

    Bonjour,
     
    Quel est le droit international actuel sur la question de la possession de l’arme nucléaire ? Si un traité de non-prolifération existe et qu’il est bafoué par l’Iran alors juridiquement les déclarations sur le droit à se défendre prennent du poids même si normalement c’est au conseil de sécurité de l’ONU d’agir.
     
    Quelle est la position des autres puissances dans le monde ? Car le G7 c’est bien gentil mais ça fait quelque temps que cet Occident n’est plus seul au monde.
    Enfin la conclusion.
    “Il faut laisser de côté les illusions, et prendre conscience que la France ne peut compter que sur elle-même.” Une telle conclusion est des plus surprenantes et en opposition avec le papier. En effet. Si c’est bien vrai que l’arbitraire prime désormais sur le droit, alors un pays doit solidement s’arrimer à des alliés. En l’occurrence ce qui se passe renforce la France dans l’OTAN et la nécessité de l’intégration dans l’UE. Car tout pays qui agresse notre pays agresse du même coup tous les membres de ces ensembles. C’est un moyen d’éviter la guerre préventive.

    • Descartes dit :

      @ Gautier Weinmann

      [Quel est le droit international actuel sur la question de la possession de l’arme nucléaire ? Si un traité de non-prolifération existe et qu’il est bafoué par l’Iran alors juridiquement les déclarations sur le droit à se défendre prennent du poids même si normalement c’est au conseil de sécurité de l’ONU d’agir.]

      Il y a une confusion qui est souvent faite en ce qui concerne le « droit international ». Les sujets du droit national sont des personnes physiques ou morales, qui ne sont pas souveraines. Ces personnes sont donc soumises à des règles obligatoires édictées par l’autorité souveraine, qu’elles le veulent ou non. Et cette autorité peut fixer les peines adaptées pour ceux qui ne les appliqueraient pas.

      Les sujets du droit international – du moins dans la conception héritée des traités de Westphalie qui domine le droit international moderne – sont des entités souveraines, les Etats. Et parce qu’elles sont souveraines, elles ne sont soumises qu’aux règles qu’elles acceptent, et aussi longtemps qu’elles les acceptent. Un traité international est plus proche d’un contrat que d’une règle de droit. Et en droit international, la seule sanction à laquelle s’expose un Etat qui ne respecte pas un traité est de délier les autres parties à ce traité de leurs devoirs (principe de réciprocité).

      [Quelle est la position des autres puissances dans le monde ? Car le G7 c’est bien gentil mais ça fait quelque temps que cet Occident n’est plus seul au monde.]

      Dans leurs déclarations publiques, les autres puissances sont critiques d’Israël, tout en se montrant très prudents, ont on comprend bien qu’elles n’ont pas envie de jeter de l’huile sur le feu et de participer au show qu’est devenue la politique internationale américaine et européenne. Il est probable qu’en sous-main ils aident l’Iran, mais je n’ai aucune information à ce sujet.

      [“Il faut laisser de côté les illusions, et prendre conscience que la France ne peut compter que sur elle-même.” Une telle conclusion est des plus surprenantes et en opposition avec le papier. En effet. Si c’est bien vrai que l’arbitraire prime désormais sur le droit, alors un pays doit solidement s’arrimer à des alliés. En l’occurrence ce qui se passe renforce la France dans l’OTAN et la nécessité de l’intégration dans l’UE.]

      Mais que vaut cet « arrimage » – qui suppose de faire confiance à des instruments de droit – alors que justement nos éventuels alliés tiennent le droit pour quantité négligeable ? Qui vous dit que nos « alliés » de l’OTAN ou de l’UE viendraient à notre secours – ou s’abstiendront eux-mêmes de nous agresser – dans un monde où « l’arbitraire prime sur le droit » et où chacun est prêt à ignorer le droit quand c’est son avantage ?

      [Car tout pays qui agresse notre pays agresse du même coup tous les membres de ces ensembles.]

      Et alors ? Qu’est ce qui nous assure qu’ils viendront à notre secours le jour où nous serons agressés ? Les traités ? Les déclarations de Merz montrent que non seulement on peut aujourd’hui féliciter celui qui viole le droit, mais qu’on ne fait même plus l’effort de sauver la face.

      Pensez au Danemark. Il est arrimé aux Etats-Unis depuis la constitution de l’OTAN. Et cela n’a pas l’air très dissuasif quand il s’agit du Groenland. Si demain les troupes américaines occupent l’île, pensez-vous que les Allemands, les Français, les Britanniques iront à la guerre pour défendre les intérêts danois ?

  5. LEGRAND dit :

    Bonjour et merci pour ces considérations que je partage entièrement.
    Le problème est que la France n’a plus de politique étrangère à proprement parler, ce qui est un peu inquiétant au vu des événements qui sont en train de se dérouler ; et que les personnes qui prétendent représenter les intérêts Européens sont en dessous de tout (Von der Leyen et Kaja Kallas)
    J’ai eu l’occasion récemment de regarder récemment l’intervention de Jeffrey Sachs (économiste américain et ex-démocrate) devant le Parlement européen en février dernier et au sujet de la guerre en Ukraine (mais aussi d’Israël); c’est vraiment saisissant et je trouve très révélateur que son intervention n’ait pas du tout été médiatisée en France. J’invite chacun à écouter et à méditer ce qu’il dit à la fois sur l’Europe (please define a real foreign policy; mais évidemment, cela supposerait de pouvoir définir des intérêts communs) et sur les États-Unis (une bande de gangsters depuis la fin de l’URSS en gros). Je mets le lien ci-dessous car je pense que ce genre de discours de vérité mérite d’être largement connu et diffusé:

    Le même Sachs est intervenu plus récemment au sujet de ce qui vient d’arriver en Iran et son discours va (comme par hasard) complètement à l’encontre de ce qu’on lit et entend chez nous:
    – il fait l’hypothèse que les Américains ont sciemment manipulé les Iraniens en les engageant dans un processus de négociations alors qu’ils s’apprêtaient à laisser les Israéliens les frapper (ça s’appelle de la trahison ou de la perfidie en langage clair)
    – il rappelle que la stratégie d’Israël consiste à éliminer toute menace afin de pouvoir définir lui-même ses frontières sans avoir à négocier avec ses voisins. Et il rappelle aussi que le projet de “taper” l’Iran date chez Netanyaou de 1996 au moins
    – il insiste sur le fait que le programme nucléaire iranien n’est qu’un leurre ou un prétexte, le vrai but étant une déstabilisation de grande ampleur et un “regime change” 
    La question que je me pose de mon côté, c’est de savoir dans quelle mesure les hostilités avec l’Iran sont (ou pas?) une manière de réagir aux difficultés en Ukraine (ouverture d’un nouveau front de manière indirecte avec la Russie et la Chine)

    • Descartes dit :

      @ LEGRAND

      [Le problème est que la France n’a plus de politique étrangère à proprement parler, ce qui est un peu inquiétant au vu des événements qui sont en train de se dérouler ; et que les personnes qui prétendent représenter les intérêts Européens sont en dessous de tout (Von der Leyen et Kaja Kallas)]

      C’est l’un des problèmes. Dans un monde devenu dangereux, on ne peut se contenter de suivre les autres, surtout lorsque les autres ne savent pas très bien où ils vont. Nous avons des moyens limités, qu’il faut mettre au service d’objectifs de politique internationale soigneusement choisis. Ce qui suppose, comme vous le dites, d’avoir une politique étrangère clairement définie et mise en œuvre avec rigueur. La logique qui consiste à réagir à tout avec des grandes déclarations pour ensuite faire le pire suivisme nous conduit au désastre.

      [J’ai eu l’occasion récemment de regarder récemment l’intervention de Jeffrey Sachs (économiste américain et ex-démocrate) devant le Parlement européen en février dernier et au sujet de la guerre en Ukraine (mais aussi d’Israël); c’est vraiment saisissant et je trouve très révélateur que son intervention n’ait pas du tout été médiatisée en France. J’invite chacun à écouter et à méditer ce qu’il dit à la fois sur l’Europe (please define a real foreign policy; mais évidemment, cela supposerait de pouvoir définir des intérêts communs) et sur les États-Unis (une bande de gangsters depuis la fin de l’URSS en gros). Je mets le lien ci-dessous car je pense que ce genre de discours de vérité mérite d’être largement connu et diffusé (…)]

      L’intervention de Sachs est passionnante. Et je dois dire que je suis assez fier de voir que l’analyse de Sachs, qui a accès à des sources d’information bien plus sérieuses que moi, arrive à des conclusions assez semblables aux miennes quand à la dynamique du conflit en Ukraine. Mais l’exposé fait froid dans le dos, en particulier lorsqu’on pense à la médiocrité intellectuelle des dirigeants américains mais aussi européens que Sachs dépeint… je me demande ce que les députés européens qui ont écouté cette tirade ont pu penser. La citation de Kissinger, qui fait rire les députés losqu’ils pensent que cela s’applique à Zelenski avant que Sachs remarque qu’elle s’applique à l’Europe – et là personne ne rit – est un moment particulièrement intéressant, tout comme le paragraphe suivant où il critique l’absence de politique extérieure européenne et le discours russophobe qui lui tient lieu…

      Sa réponse à la question où il insiste sur l’essence de la diplomatie est aussi très pertinente. Sachs est un digne représentant de l’école réaliste, par opposition à la logique de mépris de la diplomatie des néoconservateurs. Je ne partage pas bien entendu l’idéalisme de Sachs vis à vis de la construction européenne. Je trouve d’ailleurs que c’est la le point faible de son discours: il constate que l’Europe n’a pas de politique extérieure, mais ne se demande pas POURQUOI. Et du coup il ne voit pas qu’il n’y aura jamais de politique extérieure européenne parce qu’il n’y a pas “d’intérêt européen” qui pourrait la fonder.

  6. Bob dit :

    @ Descartes
     
    Je rêve que le site du “Monde” soit piraté et que les pirates y remplacent l’édito par ce billet.

  7. Cording1 dit :

    La citation ne justifie pas du tout la situation actuelle. Quelques soient les gravités des guerres actuelles elles restent localisées mais pas vraiment mondialisées. 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [La citation ne justifie pas du tout la situation actuelle. Quelques soient les gravités des guerres actuelles elles restent localisées mais pas vraiment mondialisées.]

      La première guerre mondiale – c’est à elle que fait référence la citation qui précède l’article – n’était pas, elle non plus, “mondiale”. Elle était restée confinée aux marches de l’Europe, et on ne s’est pas beaucoup battu ailleurs. Par ailleurs, la citation ne contient aucune référence à une “guerre mondiale”…

  8. BolchoKek dit :

    [Mais pour affaiblir l’Iran, il est obligé d’employer des moyens qui ne peuvent que souder le peuple iranien autour de ses dirigeants et le faire rêver de revanche, sans compter l’inquiétude d’autres états de la région, qui savent désormais que le feu israélien peut tomber du ciel sans préavis… et sans que la communauté internationale ne s’en émeuve.]
     
    De ce que j’entends de mes amis en Iran, c’est exactement ce qu’il se passe. La république islamique est globalement très impopulaire, toutefois les iraniens sont très patriotes, et ont pour des raisons historiques une phobie de toute situation d’instabilité qui ouvrirait une brèche dans laquelle les occidentaux s’engouffreraient pour imposer un “changement de régime” – une des raisons pour lesquelles les contestations souvent très sérieuses en Iran s’essouflent dès que le chaos devient une possibilité. Les sanctions, surtout dans le temps, avaient eu un peu d’efficacité pour accroître le mécontentement de la population envers le gouvernement, mais les frappes israéliennes ont défait ce travail de plusieurs décennies en quelques jours. J’ai l’impression par ailleurs que les occidentaux ignorent complètement l’impact profond qu’a eu la guerre Iran-Irak sur la psychologie des iraniens : il est possible que la république islamique n’aurait pu se maintenir sans la guerre, ou du moins aurait eu beaucoup plus de mal à asseoir sa légitimité. Bombarder Téhéran, c’est le meilleur moyen de rappeler certains souvenirs, ceux d’une guerre où l’Iran a été attaqué par surprise, en violation flagrante du sacro-saint “droit international”, par un ennemi soutenu quasi-unanimement par la “communauté internationale” malgré son utilisation d’armes chimiques sur des populations civiles. On parle de dix ans de ça, les iraniens ont bien compris la leçon. Croire qu’une simple campagne de bombardements peut amener à un “changement de régime” est la marque d’une ignorance historique profonde.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [J’ai l’impression par ailleurs que les occidentaux ignorent complètement l’impact profond qu’a eu la guerre Iran-Irak sur la psychologie des iraniens : il est possible que la république islamique n’aurait pu se maintenir sans la guerre, ou du moins aurait eu beaucoup plus de mal à asseoir sa légitimité.]

      L’un des problèmes de nos élites gouvernantes, c’est qu’elles méprisent l’histoire. La leur, mais aussi celle des autres. La guerre Iran-Irak a duré sept ans, et fait un demi-million de morts en Iran, sans compter les civils. Un traumatisme comparable à celui de la première guerre mondiale en France. Comment un tel évènement aurait-il pu être oublié, ou cessé de peser sur l’imaginaire iranien ? Ce n’est pas pour rien qu’en Iran cette guerre porte le nom de « guerre imposée »…

      [Bombarder Téhéran, c’est le meilleur moyen de rappeler certains souvenirs, ceux d’une guerre où l’Iran a été attaqué par surprise, en violation flagrante du sacro-saint “droit international”, par un ennemi soutenu quasi-unanimement par la “communauté internationale” malgré son utilisation d’armes chimiques sur des populations civiles.]

      A l’époque, Saddam Hussein faisait partie du camp des « gentils », tout simplement parce qu’il était utile pour contenir l’archi-ennemi des Américains, l’Iran. Un peu comme Netanyahu fait partie du camp des « gentils » – sans jeu de mots – parce qu’il est utile comme gendarme occidental du moyen-orient. Si j’avais un conseil à donner à Netanyahu, ce serait de se méfier : Saddam Hussein n’a pas bien fini… il a été jeté comme un kleenex quand il a cessé d’être utile. Mais je ne doute pas que les israéliens l’ont parfaitement compris, et auront à cœur de rester « utiles » aussi longtemps que possible.

Répondre à Cording1 Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *