Une constitution de juristes ou une constitution d’ingénieurs ?

« Qu’est ce que c’est qu’un ingénieur ? C’est une personne
formée pour résoudre des problèmes » (Daniel Gourisse)

Après l’âge des scientifiques et des ingénieurs, puis celui des révolutionnaires, nous vivons aujourd’hui dans l’âge des juristes. Après avoir adhéré au crédo positiviste et cru que science et technologie allaient changer le monde, après avoir mis sa foi dans la révolution politique, nos progressistes placent leur confiance dans le droit. Pour réformer la société, il ne faut plus de Pasteur ou des Che Guevara. Non, le salut viendra d’une réforme de la constitution. D’innombrables groupes de réflexion spéculent sur la réforme des institutions. Les vices de notre société ne viennent plus de l’ignorance, pas plus que de la domination d’une classe sur l’autre, mais d’une organisation institutionnelle qui empêche la véritable démocratie de fonctionner.

Il y a bien sûr dans cette croyance, lorsqu’elle est partagée de bonne foi, une bonne dose de naïveté. La société est d’abord organisée par des rapports de force entre les classes sociales, et le droit ne fait qu’organiser ces rapports de force, de leur permettre de s’exercer à un coût minimal en termes de sang versé. Mais il faut une grande méconnaissance des choses pour imaginer que le vote d’une assemblée ou la signature d’un ministre suffit, par elle-même, à modifier les rapports de force. Si le vote mettant fin aux privilèges a été possible le 4 août 1789, si ce vote a effectivement mis fin aux privilèges dont jouissaient certaines catégories, c’est parce que l’essor économique de la bourgeoisie avait renversé le rapport de forces. Autrement dit, les états généraux n’auraient pas pu voter la fin des privilèges en 1589, et s’ils l’avaient fait leur vote n’aurait eu aucun effet, parce que l’aristocratie et le clergé avaient encore les moyens de protéger leur position. Est-ce besoin de citer le grand nombre de votes, décisions, proclamations de la plus noble facture restées sans effet tout simplement parce que le contexte de l’époque en termes de rapport de forces ne le permettait pas ?

Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas faire à un moment donné des lois plus ou moins bonnes, plus ou moins progressistes. Tout rapport de forces laisse au droit une marge de manœuvre, qui tient d’une part à l’ambiguïté des rapports de forces – les acteurs n’ayant aucun moyen de mesurer leur force autrement qu’en allant à une confrontation coûteuse – et d’autre part à des facteurs historiques et politiques qui souvent continuent à jeter une ombre bien après leur disparition. Mais il faut bien comprendre qu’une loi qui va contre le rapport de forces a toutes les chances de rester lettre morte, quand bien même elle serait votée et promulguée dans les formes exigées par le droit. On a beau écrire dans la loi que le travail du dimanche se fera « sur la base du volontariat », on sait très bien que sur le terrain les « volontaires » sont souvent des volontaires contraints. Comme le disait un grand juriste français la loi consacre bien plus souvent un état de fait qu’elle ne le modifie.

Il faut donc se méfier de l’idée qu’on pourrait réformer la structure de notre société en modifiant la constitution. Notre société est fondée sur le mode de production capitaliste, et notre système juridique ne peut changer cette réalité. Il est illusoire d’imaginer qu’on pourrait socialiser l’économie par la simple magie d’une réforme constitutionnelle. Tout ce qu’on peut faire, c’est utiliser les marges de manœuvre que nous donne le rapport de forces pour améliorer un peu les choses, à condition de bien savoir ce que l’on fait, et quelles sont les limites de l’action. Cela suppose donc, avant de proposer une rédaction, de s’interroger sur la fonction d’une constitution.

En quoi une constitution est-elle différente d’une loi ordinaire ? La plupart des gens pensent que c’est une question de hiérarchie : dans la hiérarchie des normes, le décret s’impose à l’arrêté, la loi au décret, la constitution à la loi. Et pour cette raison, chaque niveau est plus « verrouillé » en matière de procédure que celui qui le précède. Mais, et c’est cela que la plupart des gens, y compris la majorité de nos politiciens ignorent, c’est que la différence ne tient pas seulement une question de niveau, que c’est surtout une question de fonction. La constitution, c’est le texte qui détermine la manière dont un souverain collectif exprime sa volonté. C’est pourquoi une monarchie absolue n’a point besoin de constitution, tout au plus une déclaration de droits : le souverain étant un être humain, il peut exprimer sa volonté, et si une quelconque ambigüité subsiste, indiquer la manière correcte de l’interpréter. Mais dès lors que la souveraineté réside dans un corps abstrait, la nation, qui n’a aucun moyen d’exprimer directement sa volonté, il faut préciser par quel intermédiaire le souverain peut la faire connaître, et qui est chargé de l’interpréter une fois qu’il l’a exprimée. C’est ainsi que la constitution précise par exemple que certaines matières sont d’ordre législatif et d’autres de l’ordre réglementaire, que le souverain s’exprime dans l’ordre législatif par l’intermédiaire du Parlement, qu’il s’exprime en matière réglementaire par l’intermédiaire du Premier ministre – qui lui-même peut déléguer aux ministres – pour certaines questions, et par l’intermédiaire du président de la République pour d’autres, et que l’interprétation de ces expressions, lorsqu’elles contiennent des ambigüités, revient à telle ou telle juridiction. La constitution précise aussi des limites dans la délégation que le souverain consent aux différents organismes, à travers d’un certain nombre de principes déclarés inviolables, les droits constitutionnellement protégés. Ainsi, par exemple, elle précise que si le Parlement détient le pouvoir législatif, il ne peut faire des lois qui portent atteinte au droit de propriété sauf dans certaines conditions précises – existence d’un intérêt public, juste et préalable indemnisation.

C’est là où se trouve un premier point d’attention : une bonne constitution ne doit contenir que des dispositions qui concernent l’organisation institutionnelle de l’expression du souverain, et les limites de leur action. Et rien d’autre. Or, nos politiciens cèdent souvent, sous la pression de certains lobbies, à la tentation de « constitutionnaliser » des décisions et des politiques qui n’ont rien à voir avec cette fonction, simplement parce que la procédure de révision de la constitution est plus ardue que celle de révision d’une loi ordinaire. Ce comportement est un dévoiement de la fonction constitutionnelle. Il rend le texte constitutionnel de plus en plus incohérent – car rien ne garantit que ces additions soient conformes aux principes qu’elle proclame par ailleurs – et donne de plus en plus de pouvoir au juge, puisqu’il est libre de déduire de ces dispositions particulières des conséquences générales.

Parce que la constitution régule l’expression de la volonté du souverain, la rédaction d’une constitution dépend beaucoup de la manière dont on conçoit l’exercice du pouvoir politique. Pour schématiser, on peut dire qu’il y a deux pôles : ceux qui craignent un gouvernement trop fort, capable d’imposer ses vues à la société, et ceux qui au contraire redoutent un gouvernement trop faible, incapable de définir et de mettre en œuvre une politique face aux pressions et aux lobbies.

Les premiers – qu’en France on nomme souvent « démocrates », mais qui en fait se rattachent plutôt à la tradition girondine – sont dominés par la crainte d’un pouvoir trop fort, trop centralisé, qui pourrait s’imposer aux corps intermédiaires et devenir tyrannique. Leur solution est d’enfermer les institutions – et notamment le pouvoir exécutif, perçu comme le plus dangereux puisqu’il dispose des instruments de contrainte – dans toutes sortes de contrôles judiciaires, de consultations obligatoires, de référendums abrogatifs ou révocatoires. Mais surtout, ils militent pour une dilution du pouvoir en le partageant entre des institutions différentes. Ce courant fait sienne la doctrine libérale de Thoreau : « Le meilleur État, est celui qui gouverne le moins, si ce n’est pas du tout ».

Pour les autres – qu’on désigne sous le terme « républicains », et qui se rattachent à la tradition jacobine – le problème est l’inverse : il ne vient pas de la force, mais plutôt la faiblesse des institutions qui, enserrées par des mécanismes permettant à chaque catégorie de bloquer la décision ou de faire du chantage au blocage, se trouvent empêchées de définir et de mettre en œuvre une politique cohérente, voire de prendre les mesures indispensables au salut commun. Ce pôle évoque plutôt la formule d’Adlaï Stevenson : « le pouvoir corrompt, mais l’impuissance corrompt absolument ».

Bien sûr, ces pôles ne sont pas là par hasard : ils correspondent à des intérêts de classe. L’adage « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère » n’a pas pris une ride depuis que Lacordaire l’a énoncé. Plus on détient le pouvoir économique, et plus on redoute un Etat démocratique fort, susceptible de constituer un contre-poids au pouvoir de l’argent. Ce n’est pas par hasard si les classes dominantes sont libérales, si l’étatisme se trouve généralement du côté des couches populaires.

C’est pourquoi entre les pôles « girondin » et « jacobin », notre histoire institutionnelle balance en permanence, avec une succession de régimes « forts » suivis de périodes « faibles ». Souvent, les régimes « forts » sont arrivés au pouvoir portés par une réaction populaire de révolte contre l’incapacité des régimes « faibles » à résoudre une crise. Mais une fois la crise passée, très rapidement les élites dominantes reprennent confiance et cherchent à affaiblir l’Etat, cet Etat qui est seul capable de leur mettre des limites. Les classes dominantes organisent progressivement l’impuissance des institutions… et le cycle recommence.

En fait, les « jacobins » tendent à s’imposer en temps de crise, lorsque les élites installées apparaissent dépassées. Et leur arrivée au pouvoir tend à permet souvent la promotion de personnalités nouvelles qui, parce qu’elles acceptent de prendre le gouvernail en temps de crise, n’ont pas peur de prendre des décisions et d’en assumer les responsabilités. Mais une fois la crise passée, les « girondins » jouent sur la tendance naturelle des élites « installées » à minimiser les risques, et donc à fuir les responsabilités. Car l’impuissance, c’est aussi la sécurité personnelle, puisqu’on ne peut être tenu responsable de ce qu’on ne contrôle pas.

C’est l’impuissance de la IVème République, embourbée dans un régime d’assemblée qui permettait aux lobbies de s’opposer à toute mesure un tant soit peu courageuse pour résoudre la question algérienne, qui ouvre la voie au « coup d’Etat légal » de 1958, et à l’établissement d’un exécutif fort du fait de la logique du « parlementarisme rationalisé », renforcé encore par la réforme de 1962 instituant l’élection du président au suffrage universel. Mais une fois la crise passée, les élites une fois installées sont vite retombées dans la « nostalgie de l’impuissance » (pour utiliser la formule de Maurice Duverger). Après 1981, ce fut un festival : la décentralisation et le traité de Maastricht ont permis de diluer les responsabilités entre les différents échelons jusqu’à l’absurde situation dans laquelle nous vivons, dans laquelle personne n’est vraiment responsable de rien puisque tout le monde peut prétendre que la « vraie » décision a été prise ailleurs : les ministres expliquent que c’est la faute à l’Europe et à ses directives, les maires que c’est la faute à l’Etat central qui ne leur donne pas assez d’argent. Les réformes constitutionnelles de ces dernières années – et notamment la création de la question prioritaire de constitutionnalité – ont ouvert la porte à un contrôle permanent du juge constitutionnel sur la législation, contrôle dont il faut rappeler qu’en 1958 il n’était possible qu’à la demande du président de la République ou des présidents des deux assemblées (1). La création de toutes sortes d’autorités administratives indépendantes – dont une partie tient ses pouvoirs des textes européens – a encore contribué à la confusion. Et pour couronner le tout, on a institué des obligations de consultation, de débat public, de contrôles divers et variés qui rendent l’action publique encore plus lente, difficile et finalement inefficace.

Le pire, est que cette impuissance a été organisée au nom de la démocratie. Un système avec des contrôles, des consultations, des autorités indépendantes à tous les étages est présenté à l’opinion comme plus « démocratique », même si du fait de tous ces freins il n’arrive jamais à rien réaliser de concret. Pour avoir les mains propres, on préfère se couper les mains. Dans beaucoup de débats politiques sur ces questions on a l’impression que pour les participants le processus démocratique ne concernait que la prise des décisions, et non leur mise en œuvre effective. Vous trouverez des centaines de textes concernant la meilleure manière de constituer une assemblée, sur les modes d’élection, sur les référendums d’initiative populaire… mais essayez de trouver quelque chose sur l’organisation du pouvoir exécutif et de l’administration, et vous serez déçu. Quand il s’agit de mise en œuvre, on ne parle que de « contrôle », de « révocation ». Jamais de l’action. Or, paraphrasant Napoléon, gouverner est un art tout d’exécution. La meilleure loi du monde ne sert à rien si elle n’est pas mise en œuvre sur le terrain. C’est pourquoi la République a besoin de moins de juristes et de plus d’ingénieurs… alors que notre système éducatif s’oriente précisément dans le sens inverse.  

Les discours qu’on commence à entendre sur la possibilité de s’affranchir des règles lorsque l’intérêt public est en jeu, que la bienpensance dénonce immédiatement comme une attaque au sacro-saint état de droit, ne viennent pas par hasard. Pas plus que des mouvements comme celui des « Gilets Jaunes » qui, loin de demander un changement révolutionnaire, exigeait d’abord que les institutions politiques fassent leur boulot. Tous ces mouvements sont des signes avancés qui montrent que les citoyens commencent à être excédés par la logique de l’impuissance – et des arguments que nos politiciens utilisent pour la justifier.

Penser aujourd’hui une réforme constitutionnelle qui donnerait la parole au peuple suppose de penser un système dans lequel les institutions non seulement aient les moyens d’agir, mais soient incitées à le faire par une logique de responsabilité. Et quand je dis « agir », il ne s’agit pas de faire des normes, mais de les appliquer effectivement. Ce qui suppose de mettre fin à la dilution des compétences : chaque décision doit avoir un auteur bien identifié, ayant un véritable pouvoir non seulement dans sa conception, mais aussi dans sa mise en œuvre, et étant appelé à rendre compte des résultats devant les citoyens. Cela suppose, à contrario de ce que recommande la vulgate, de PERSONNALISER les décisions, et notamment celles de mise en œuvre. Un organe collectif est par essence irresponsable. C’est pourquoi il est absurde de le faire participer à la mise en œuvre d’une politique. Il faut lui laisser le seul pouvoir de fixer les principes et les orientations, de lui confier la sauvegarde des droits, et bien entendu le pouvoir négatif de contrôle et, avec une certaine prudence, de sanction.

C’est pourquoi, alors que la plupart des projets de « VIème République » proposent un retour à la IVème (ce qui en déjà le cas en pratique), ma proposition serait plutôt un retour à l’esprit et la lettre de la Vème République. Autrement dit :

– Cantonner le juge constitutionnel au contrôle des lois au moment de leur adoption, et seulement sur demande des corps constitués.

– Conserver le principe qui veut que si les traités régulièrement ratifiés sont supérieurs aux lois, même postérieures, puisque ce principe est indispensable à la crédibilité de la parole internationale de la France. Mais en précisant que cette règle ne s’applique qu’aux dispositions normatives explicitement incluses dans le traité, et non au droit dérivé (par exemple, aux décisions des organismes crées par les traités européens).

– Une révision de la décentralisation, en établissant comme principe qu’une compétence ne saurait être partagée, que toute compétence accordée à une collectivité est obligatoire, et que le principe de spécialité s’applique à toutes les collectivités sauf aux communes, qui ont une compétence générale.

– Un retour à l’interprétation stricte de l’article 34, avec une interdiction explicite d’inclure des dispositions réglementaires dans la loi. En fait, cette possibilité existe dans la constitution actuelle, mais les gouvernements hésitent à l’utiliser.

– Le retour au contrôle par le gouvernement de l’ordre du jour de l’Assemblée, et de l’utilisation du 49.3 sans limite dans une session.

– La suppression de la charte de l’environnement et en général de l’ensemble des ajouts qui n’ont aucun rapport avec la fonction d’un texte constitutionnel.

On reviendrait ainsi à l’esprit d’un texte constitutionnel qui a pour but de créer un exécutif fort, ayant les moyens de conduire la politique de la nation, et qui aurait donc à assumer devant le Parlement mais surtout devant le peuple souverain la responsabilité de ses échecs comme de ses succès. Pour moi, c’est dans ce principe de responsabilité effective que réside l’essence de la démocratie. Et qui devrait donc être le principe guide de toute réflexion sur une réforme constitutionnelle (2).

Descartes

(1) La saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou sénateurs n’a été possible qu’à partir de la promulgation de la loi constitutionnelle du 29 septembre 1974.   

(2) Je n’aborde pas ici une question qui se trouve à la marge de la réflexion constitutionnelle, qui est celle du régime électoral. C’est une question extraordinairement complexe, parce que le régime électoral modifie l’organisation des partis politiques, et qu’il est donc difficile de prédire à l’avance le paysage politique dans lequel le système fonctionnera. Les systèmes proportionnels tendent à favoriser le morcellement et la multiplication des partis, d’autant plus que les seuils fixés pour avoir des élus sont faibles. Ce morcellement oblige à constituer des coalitions disparates en termes idéologiques, et donc à favoriser l’irresponsabilité, parce que les coalitions se font après les élections, et donc sur un programme qui n’a pas été soumis aux électeurs. Chacun aura donc beau dire à ces derniers que si le programme défendu lors des élections n’a pas été mis en œuvre, c’est parce que les équilibres de la coalition ne l’ont pas permis.  Les systèmes uninominaux n’assurent pas une représentation exacte de l’électorat, puisqu’ils accordent une prime importante aux partis capables de s’entendre sur un projet de gouvernement. Mais d’un autre côté, ce projet ayant été présenté aux électeurs avant l’élection, la question de la responsabilité se pose en termes beaucoup plus clairs. Pour cette raison, j’ai tendance à préférer les scrutins uninominaux.

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81 réponses à Une constitution de juristes ou une constitution d’ingénieurs ?

  1. Phael dit :

    Bonjour Descartes, 
    [Un retour à l’interprétation stricte de l’article 34, avec une interdiction explicite d’inclure des dispositions réglementaires dans la loi. En fait, cette possibilité existe dans la constitution actuelle, mais les gouvernements hésitent à l’utiliser.]
    Je n’ai pas compris en quoi “l’interdiction d’inclure…” était importante. Vous voulez dire par là que la loi ne doit pas s’occuper de domaines d’application qui relèvent du réglement ? 

    • Descartes dit :

      @ Phael

      [Je n’ai pas compris en quoi “l’interdiction d’inclure…” était importante. Vous voulez dire par là que la loi ne doit pas s’occuper de domaines d’application qui relèvent du réglement ?]

      Exactement. De plus en plus, le législateur se mêle de questions qui concernent la mise en œuvre et non les grands principes et les normes générales. Ainsi, il y a quelques années, on avait fixé par la loi les dates d’ouverture et de la fermeture de la chasse espèce par espèce…

      La loi, par définition, est une norme « générale et impersonnelle ». Et la qualité du débat législatif en dépend. Parce que dès lors qu’on rentre dans les détails et les cas particuliers, la démagogie et les lobbies apparaissent…

  2. COUVERT Jean-Louis dit :

    Jacobins, Girondins, IVème Vème ou VIème république, je crois que la charia mettra bientôt tout le monde d’accord, hélas !

    • Descartes dit :

      @ COUVERT Jean-Louis

      [Jacobins, Girondins, IVème Vème ou VIème république, je crois que la charia mettra bientôt tout le monde d’accord, hélas !]

      Franchement, je n’aime pas trop raisonner par slogans. On voit mal comment la charia pourrait entrer dans la Constitution. Je doute même que les islamistes le veuillent: leur pouvoir est mieux servi par la logique communautaire de la “forteresse assiégée”…

      • COUVERT Jean-Louis dit :

        Ce que je veux dire c’est que la charia remplacera nos systèmes démocratiques et que nous n’aurons plus à nous poser de questions sur l’intérêt d’un système ou d’un autre. C’est mon opinion et j’y tiens tout en souhaitant me tromper…
        Ceci étant, je lis toujours vos exposés avec beaucoup d’intérêt.

        • Descartes dit :

          @ COUVERT Jean-Louis

          [Ce que je veux dire c’est que la charia remplacera nos systèmes démocratiques et que nous n’aurons plus à nous poser de questions sur l’intérêt d’un système ou d’un autre. C’est mon opinion et j’y tiens tout en souhaitant me tromper…]

          Je vous rassure, vous vous trompez. Par essence, la charia ne peut « remplacer notre système démocratique ». C’est un peu comme si vous craigniez que le code civil ou le code pénal remplace la Constitution. C’est logiquement impossible, parce que la fonction de ces textes est différente. La charia contient deux types de dispositions : d’un côté celles relatives au culte, de l’autre celles relatives au droit civil et pénal. Mais elle ne contient pas grande chose concernant l’organisation des pouvoirs publics…

  3. CVT dit :

    @Descartes

    [L’adage « entre le faible et le fort, c’est la liberté qui asservit et la loi qui libère » n’a pas pris une ride depuis que Saint-Just]

    Petite correction: étonnamment, c’est bien un prêtre prédicateur et non le lieutenant de l’Incorruptible, qui a énoncé cet adage cher à mon coeur.
    Il s’agit de l’abbé Lacordaire, député sous la IIè République, qui avait dit ceci en 1848: “Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit”.
     

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Il s’agit de l’abbé Lacordaire, député sous la IIè République,]

      Vous avez parfaitement raison, et j’ai corrigé mon erreur. Je ne sais pas pourquoi, dans ma mémoire cette phrase est associée avec la personne de Saint-Just…

    • Courouve dit :

      C’était à propos de la loi qui interdisait de travailler le dimanche.
      52e conférence ” Du double travail de l’homme “, 1848, dans Conférences de Notre-Dame de Paris, tome troisième, Paris : Ambroise Bray, 1855.

  4. Cording1 dit :

    Si le vote abolissant les privilèges a pu avoir lieu c’est aussi parce qu’une partie non négligeable de l’aristocratie était acquise aux idées nouvelles donc l’a voté. Dès le début des Etats-Généraux Louis XVI  a perdu le contrôle de la situation en réagissant trop tard sans comprendre ce qui était en cours. 
    En ce moment Emmanuel Todd pense que le changement c’est-à-dire la rupture avec l’ordre capitaliste néolibéral quarantenaire n’interviendra que lorsqu’une partie des élites actuelles changeront d’avis pour se rallier à une contestation au moins partielle de ce système. J’ai tendance à penser qu’il a raison parce que tous les opposants actuels au système ne sont pas crédibles, sérieux, rigoureux, constants et cohérents. Surtout largement désunis. 

    • Descartes dit :

      @ Cording1

      [Si le vote abolissant les privilèges a pu avoir lieu c’est aussi parce qu’une partie non négligeable de l’aristocratie était acquise aux idées nouvelles donc l’a voté.]

      C’est la Révolution façon Disneyland : l’aristocratie convaincue des idées nouvelles qui vote contre ses intérêts. La réalité est un peu différente. Si la prise de la Bastille est un phénomène essentiellement parisien, il a une contrepartie dans les provinces : c’est la « Grande Peur », qui voit les paysans – pour des raisons très diverses d’ailleurs – se révolter contre l’aristocratie et s’attaquer aux châteaux et surtout au « terriers », ces documents permettant d’établir les droits féodaux. Le vote du 4 août apparaît plutôt comme une concession des aristocrates destinée à réduire la tension et permettre le rétablissement de l’ordre.

      [En ce moment Emmanuel Todd pense que le changement c’est-à-dire la rupture avec l’ordre capitaliste néolibéral quarantenaire n’interviendra que lorsqu’une partie des élites actuelles changeront d’avis pour se rallier à une contestation au moins partielle de ce système.]

      Oui, mais… qu’est ce qui pourrait leur faire « changer d’avis » ? Des bons arguments ? Une bonne propagande ? Je reste un indécrottable matérialiste. Les « avis » d’une classe sont intimement liés à ses intérêts. Pour que les « élites actuelles changent d’avis », il faudrait que leurs intérêts le commandent.

      [J’ai tendance à penser qu’il a raison parce que tous les opposants actuels au système ne sont pas crédibles, sérieux, rigoureux, constants et cohérents. Surtout largement désunis.]

      Et surtout, peu nombreux. Où voyez-vous des « opposants au système » ?

      • Cording1 dit :

        Justement ce sont les intérêts qui peuvent faire changer d’avis une partie de la classe dirigeante. 
        A propos de l’abolition des privilèges lors du vote la nuit du 4 août le pouvoir avait perdu le contrôle de la situation même avant le 14 juillet et la prise de la Bastille tentait de le récupérer par ce vote de l’assemblée. La grande peur de 1789 selon le dernier livre de Jean-Clément Martin. 
        Il y a une opposition diffuse au système qui se traduit par des révoltes sans lendemain telle celle des Gilets jaunes, et la contestation de la réforme des retraites faute de traduction politique. Elle n’a pas lieu dans les médias officiels qu’ils soient publics ou privés mais dans les réseaux sociaux où, cependant, le pire côtoie le “meilleur”.  

        • Descartes dit :

          @ Cording1

          [Justement ce sont les intérêts qui peuvent faire changer d’avis une partie de la classe dirigeante.]

          Pour le moment, et même si l’on voit des frémissements chez les classes intermédiaires devant les perspectives de voir le système de financement de ses privilèges par la dette s’effondrer, le « bloc dominant » semble tenir.

          [Il y a une opposition diffuse au système qui se traduit par des révoltes sans lendemain telle celle des Gilets jaunes, et la contestation de la réforme des retraites faute de traduction politique.]

          Mais justement, si l’opposition diffuse n’arrive pas à avoir une traduction politique, c’est parce que le rapport de forces lui est très défavorable. Ceux qui soutiennent le « système » sont beaucoup trop forts pour que ceux qui le contestent aient l’espoir de le renverser.

          [Elle n’a pas lieu dans les médias officiels qu’ils soient publics ou privés mais dans les réseaux sociaux où, cependant, le pire côtoie le “meilleur”.]

          Pour ce qui concerne les réseaux sociaux, je dois dire que j’ai une grande satisfaction lorsque je constate que ma prédiction est en train de se réaliser. Les réseaux sociaux deviennent un « bruit », qui mélange le vrai et le faux sans qu’il y ait le moindre moyen de le distinguer, puisque chacun écrit ce qui lui passe par la tête sans qu’il y ait une autorité « de confiance » pour qualifier les informations. Et les gens commencent à en prendre conscience. A partir de là, l’influence des réseaux sociaux ne peut que décliner : au mieux, par le biais de confirmation, ils rassureront chacun dans son opinion préalable.

  5. COUVERT Jean-Louis dit :

    Disparu… Il a disparu, mon commentaire… Aurait chanté je ne sais plus qui. Je ne dois pas être descartement correct !
    Comme chantait Johnny “de tout côté on n’entend plus que çà censure, censure”, lui parlait du twist ! C’est moins risqué que de parler de certaine religion…

    • Descartes dit :

      @ COUVERT Jean-Louis

      [Disparu… Il a disparu, mon commentaire… Aurait chanté je ne sais plus qui. Je ne dois pas être descartement correct !
      Comme chantait Johnny “de tout côté on n’entend plus que çà censure, censure”, lui parlait du twist ! C’est moins risqué que de parler de certaine religion…]

      Je ne vois pas de quoi vous parlez. Tous les commentaires de votre main qui me sont parvenus ont été publiés. Je ne censure que très exceptionnellement un article, et certainement pas pour des raisons de désaccord idéologique. Alors, si vous voulez jouer les victimes de la censure, faudra aller ailleurs…

  6. Vincent dit :

    Excellent article. Un des meilleurs, et ce n’est pas peu dire. Et je suis également enchanté d’y voir une citation de Gourisse. Si mes souvenirs son bons, la phrase complète était d’ailleurs :
    « Qu’est ce que c’est qu’un ingénieur ? C’est une personne formée pour résoudre des problèmes complexes, c’est à dire des problèmes mal posés, auxquels il n’existe pas de solution unique. » (Daniel Gourisse)
     
    Une seule critique, sur cette phrase : “il ne faut plus de Pasteur ou des Che Guevara”.
    Je n’aurais pas choisi Pasteur, qui était, d’une certaine manière, un avant-gardiste de l’autopromotion et des “coups de com”. Un peu comme un Raoult qui aurait eu la chance de tomber juste. J’aurais préféré y voir Claude Bernard, Lavoisier, Cuvier, Gay-Lussac, Laplace, Poincaré, Jean Bertin, Ampère, Curie, Becquerel, Lamarck, Les Frères Lumière, Clément Ader, Blaise Pascal, Joseph Fourier… Il y a l’embarras du choix !
    Un point sur lequel vous auriez sans doute pu davantage insister est à quel point cette judiciarisation de la pensée infiltre partout dans la société !
    – Dans les entreprises, dans les rapports entre les salariés, où chacun doit s’assurer en permanence de sa propre sécurité juridique en évitant d’utiliser des mots inappropriés, des chose qui pourraient être interprétées comme du harcèlement. Car en effet, certains archivent les mails -même si on les sait ne pas  être mal intentionnés- qui pourraient être interprétés comme un début de harcèlement,
    – quand nos islamistes, face à l’interdiction du voile intégral, s’amusent à combiner un énorme voile noir ne laissant que le visage de visible, et un masque respiratoire de couleur noire… Car les masques respiratoires ne sont pas interdit. Donc c’est légal. Et comme c’est légal, on ne peut rien me dire : “j’ai le droit”,
    – Concernant les chantiers d’infrastructures, ou plus généralement les gros contrats dans l’industrie, qui sont avant tout des objets techniques : les directeurs de projets, leurs principaux adjoints, qui sont pourtant presque toujours des ingénieurs, s’improvisent juristes, et consacrent souvent 80% de leur temps de travail à de la gestion purement contractuelle et juridique des contrats, sans trop s’occuper de la technique qui est en dessous,
    – Quand, toujours dans les entreprises, les “objectifs individuels” sont attribués, et que beaucoup de salariés considèrent qu’ils n’ont pas d’autre objectif que de remplir ces objectifs individuels, même s’il faut pour cela marcher sur les pieds des collègues, et donc aller contre le bon fonctionnement de l’entreprise,
    – Quand nos maires, nos directeurs d’école, etc. face à n’importe quelle demande, même s’ils la trouvent pertinente sur le fond (amener les enfants d’une école maternelle à l’ombre au parc un jour de canicule, réparer soi même un objet abimé, sans faire appel à l’entreprise assurée pour la réparation, etc.) sont obligés de refuser, car cela leur fait prendre un risque juridique qu’ils ne veulent pas accepter
    – Quand des enseignants, qui ont été prévenus que des grands parents venaient chercher leur petit fils à l’école, que le fils les connait manifestement, mais qu’ils n’ont pas de pièce d’identité sur eux… Et ne peuvent donc pas le récupérer…
    Etc.
    La vie d’aujourd’hui est faite de tracasseries, de complexité, dues au fait que chacun se protège vis à vis de son propre risque juridique. Ce que vous pointez au niveau politique n’est pas que le fait de ceux qui veulent changer la société d’en haut. C’est une manière de faire, une manière de penser, qui s’est généralisée…
    Assez paradoxalement, d’autres se permettent de conduire sans permis, de faire des refus d’obtempérer, de consommer de la drogue au vu et au su de tous, sans rien risquer…
    Il y a de quoi regretter l’ancien temps, dans lequel on ne risquait rien à faire quelque chose qui nous semblait de bon sens, dès lors qu’on pensait manifestement bien faire.
    Un fabliau du Moyen-Âge, pas assez connu à mon avis, traite plus ou moins de ce sujet :

    De l’honnête hommeQui sauva son compère de la noyade
    Il advint qu’à un pécheurQui sur la mer s’en fut un jour,Sur son bateau tendit sa voile,Et regardant, droit devant luivit, un homme près de se noyer.Il fut très vif et lestement,Sauta bien vite sur ses deux pieds,Pour se munir d’un crochet (une gaffe),Il le leva, pour saisir l’autre, Si bien qu’il lui ficha dans l’oeil,Puis le hissa sur le bateau,Et sans attendre s’en retournaToutes voiles dehors vers son logis.Il fit porter l’homme chez lui,il le servit et l’honora, tant et si bienque peu après, il fut tout à fait rétabli.Quelques temps plus tard pourtant,Le rescapé se mit à penserQu’il avait son oeil perduEt que mal lui était advenu.Ce vilain a crevé mon oeil,Je ne lui avais pourtant rien fait,J’irais porter plainte contre luiPour lui causer tord et ennui.Aussi s’en fut-il chez le jugeQui fixa une date d’audience,Et tous deux attendirent le jourPuis se rendirent à la cour.Celui qui l’oeil avait perduParla d’abord, comme c’est coutumeSeigneur, dit-il, je viens me plaindreDe cet homme qui voilà trois jours,Me blessa avec un crochet,me creva  l’oeil et j’en souffris.Faites m’en droit, je n’en veux pas plusEt je ne peux rien dire de plus.L’autre rétorque sans plus attendre:Seigneur, je ne puis me defendreDe lui avoir crevé l’oeil,Mais je voudrais vous démontrer,Comment tout survint et quel fut mon tord.Cet homme fut en péril de mortEn la mer, où il se noyait.Je l’ai aidé, je ne peux le nier,De ce crochet qui est le mien et l’ai blesséMais tout cela fut pour son bienCar ainsi sa vie fut sauvéePlus avant ne sais que vous dire.Rendez-moi justicepour l’amour de Dieu.Les juges étaient tout égarésNe sachant trop comment juger,Quand un sot que la cour avaitDit alors: de quoi doutez-vous?Qu’on mette celui qui se plaigneAu même endroit dans la mer,Là ou l’autre le blessa à l’oeilEt s’il s’en peut échapperque l’autre le doive dédommager.C’est droit jugement, il me sembleEt tous s’écrièrent tous ensemble:Voila qui est fort bien parlé,Qu’ainsi la chose soit jugée!Quand le rescapé eut apprisQu’il serait en la mer remis A souffrir le froid et l’ondeIl n’y entra pour tout au monde.Le preudomme fut acquittéEt par bien des gens blâmé.Tout cela montre, c’est bien clairQue son temps perd qui félon sert.Sauvez un larron du GibetUne fois commis son forfaitJamais il ne vous aimera,Et pour toujours vous haïra.Jamais mauvais homme ne sait gréA un autre qui lui fait bonté.Il aura tôt fait d’oublierAu contraire, il sera même prêtA lui causer tord et souci S’il venait au dessus de lui.
     

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Et je suis également enchanté d’y voir une citation de Gourisse. Si mes souvenirs son bons, la phrase complète était d’ailleurs : « Qu’est ce que c’est qu’un ingénieur ? C’est une personne formée pour résoudre des problèmes complexes, c’est à dire des problèmes mal posés, auxquels il n’existe pas de solution unique. » (Daniel Gourisse)]

      Je citais de mémoire ce que Gourisse m’avait dit dans une conversation. Mais je voulais rendre hommage à un homme aujourd’hui un peu méconnu, mais qui avait développé une véritable conception du métier de l’ingénieur et à partir de là une pédagogie qui à l’époque – et même aujourd’hui – reste étonnamment actuelle, alors que le métier a beaucoup changé.

      [Je n’aurais pas choisi Pasteur, qui était, d’une certaine manière, un avant-gardiste de l’autopromotion et des “coups de com”. Un peu comme un Raoult qui aurait eu la chance de tomber juste. J’aurais préféré y voir Claude Bernard, Lavoisier, Cuvier, Gay-Lussac, Laplace, Poincaré, Jean Bertin, Ampère, Curie, Becquerel, Lamarck, Les Frères Lumière, Clément Ader, Blaise Pascal, Joseph Fourier… Il y a l’embarras du choix !]

      Oui et non. Si j’ai choisi Pasteur, c’est parce qu’il ne se contenta pas du rôle de scientifique. En fondant une institution dont le but allait bien au-delà de la recherche pure, il assuma un rôle politique. Et pour faire faire de la politique, un minimum d’auto-promotion et de coups de com est nécessaire. Lavoisier, Gay Lussac, Laplace, Poincaré, Ampère ou Becquerel ont certainement apporté des grandes contributions scientifiques – bien plus grandes que Pasteur. Mais ils ont essentiellement œuvré à l’intérieur du monde scientifique, et n’ont pas participé directement pour résoudre les problèmes des Français. Pasteur, si. J’aurais bien entendu pu donner d’autres exemples : Joliot et la fondation du Commissariat à l’énergie atomique, Curie et l’institut qui porte son nom, par exemple.

      [Un point sur lequel vous auriez sans doute pu davantage insister est à quel point cette judiciarisation de la pensée infiltre partout dans la société !]

      Oui. Mais la judiciarisation reflète en partie un changement social. D’une société en expansion, qui valorisait l’action, l’aventure, l’engagement, nous sommes passés à une société peureuse qui a besoin de garde-fous et de contre-pouvoirs pour s’assurer que rien ne change. L’ingénieur, le scientifique, le politicien visionnaire ont donc été remplacés en tant que références par le juge, le lanceur d’alerte, les personnages à l’Erin Brockovich, dont le seul mérite est de s’être opposés. Vous noterez d’ailleurs qu’on salue le courage du juge qui annule un permis de construire, rarement celui du magistrat qui le valide…

      [– Dans les entreprises, dans les rapports entre les salariés, où chacun doit s’assurer en permanence de sa propre sécurité juridique en évitant d’utiliser des mots inappropriés, des chose qui pourraient être interprétées comme du harcèlement. Car en effet, certains archivent les mails -même si on les sait ne pas être mal intentionnés- qui pourraient être interprétés comme un début de harcèlement,]

      Tout à fait. Je reviens à mon idée : nous vivons dans une société de la peur. Nos voisins, nos collègues, nos chefs, tout le monde est une menace potentielle, contre laquelle il faut se prémunir. Or, cette méfiance a un coût, que ce soit sur le plan social ou sur le plan économique.

      [– quand nos islamistes, face à l’interdiction du voile intégral, s’amusent à combiner un énorme voile noir ne laissant que le visage de visible, et un masque respiratoire de couleur noire… Car les masques respiratoires ne sont pas interdit. Donc c’est légal. Et comme c’est légal, on ne peut rien me dire : “j’ai le droit”,]

      C’est là un deuxième problème, lui aussi très intéressant : celui du statut des règles non écrites. Le foisonnement incroyable des textes législatifs et réglementaires tient en partie à cette problématique : des obligations et des interdictions qui formaient la « courtoisie » – qui n’avaient pas besoin d’être écrites pour être sanctionnées par la collectivité de manière spontanée – doivent maintenant être écrites, sans quoi les individus se prévalent du droit de ne pas les observer.

      [– Quand, toujours dans les entreprises, les “objectifs individuels” sont attribués, et que beaucoup de salariés considèrent qu’ils n’ont pas d’autre objectif que de remplir ces objectifs individuels, même s’il faut pour cela marcher sur les pieds des collègues, et donc aller contre le bon fonctionnement de l’entreprise,]

      Là, vous sortez du cadre de la « juridisation » pour évoquer un problème différent, qui est celui des rapports entre l’individuel et le collectif. En faisant du rapport entre l’entreprise et l’individu un rapport purement contractuel, on aboutit nécessairement à la situation que vous décrivez. Pour qu’une personne mette les intérêts de l’organisation ou celui de son corps devant le sien propre, il faut qu’il ait avec ces structures des rapports qui dépassent un simple rapport contractuel, qui aient une dimension symbolique. Et cela a un coût que le capital, dans nos sociétés capitalistes développées, n’est pas prêt à payer. A Michelin, dans les temps anciens, on ne licenciait pas pour motif économique.

      [– Quand nos maires, nos directeurs d’école, etc. face à n’importe quelle demande, même s’ils la trouvent pertinente sur le fond (amener les enfants d’une école maternelle à l’ombre au parc un jour de canicule, réparer soi même un objet abimé, sans faire appel à l’entreprise assurée pour la réparation, etc.) sont obligés de refuser, car cela leur fait prendre un risque juridique qu’ils ne veulent pas accepter]

      Et qu’ils ont raison de ne pas accepter, sachant le peu de bienveillance que la société leur réservera en cas de pépin. Parce que c’est là le problème : on ne peut demander aux agents publics de prendre des initiatives si la société refuse d’assumer le risque associé. Là, vous posez un autre problème, lui aussi très intéressant, qui est le refus du risque par nos sociétés peureuses. Bientôt, on limitera la vitesse sur les routes à 10 km/h…

      [La vie d’aujourd’hui est faite de tracasseries, de complexité, dues au fait que chacun se protège vis à vis de son propre risque juridique. Ce que vous pointez au niveau politique n’est pas que le fait de ceux qui veulent changer la société d’en haut. C’est une manière de faire, une manière de penser, qui s’est généralisée…]

      Tout à fait. Nous vivons dans la société de l’indicible peur. On ne laisse pas son gamin sortir parce qu’il risque de se faire aborder par un pédophile. On ne peut plus se baigner dans la mer en dehors des zones délimitées et surveillées. On doit faire contrôler sa voiture tous les deux ans – et bientôt, si on laisse faire Bruxelles, tous les ans. Tout doit être fait pour éviter tout risque, tout danger. Quand nous étions gamins, on grimpait aux arbres au risque de se faire des plaies et des bosses. Nos petits-enfants auront-ils ce droit ?

      [Assez paradoxalement, d’autres se permettent de conduire sans permis, de faire des refus d’obtempérer, de consommer de la drogue au vu et au su de tous, sans rien risquer…]

      C’est le grand paradoxe. Nous demandons à l’Etat de nous protéger, de nous dire ce qu’on peut ou on ne peut pas faire. A chaque accident, chaque catastrophe, on entend exiger plus de contrôles, plus d’interdictions… mais ensuite nous ressentons ce corset dans lequel nous nous sommes nous-mêmes enfermés. Le cas typique est l’histoire de l’examen médical périodique pour les vieux pour le permis de conduire, devenu la cause célèbre des parents de victimes. Le fait est que si de temps en temps une petite grand-mère emboutit quelques piétons, l’accidentologie des anciens n’est pas pire que celle des jeunes, au contraire. En général, les vieux conducteurs sont conscients de leurs limites et conduisent prudemment – et lentement. Mais on va investir de l’argent en contrôles obligatoires qui ne serviront à rien. Comme ne sert à rien le contrôle technique des voitures : l’étude des accidents montre que seule une petite minorité d’entre eux est liée à des défauts mécaniques… la statistique montre que le contrôle technique n’a eu qu’un effet marginal sur la sécurité. Mais chut ! Maintenant qu’il existe, on a créé une profession qui vit de cela, et qui sortirait les fourches si on proposait de l’abolir. Alors, on continue avec…

      [Il y a de quoi regretter l’ancien temps, dans lequel on ne risquait rien à faire quelque chose qui nous semblait de bon sens, dès lors qu’on pensait manifestement bien faire.]

      Oui, parce qu’on était jugés d’abord par des concitoyens et ensuite par des juges qui regardaient avec bienveillance et savaient faire la différence entre une erreur et la volonté de nuire. Cela est devenu impossible non parce que le juge ait changé, mais parce que la logique « victimiste » a donné à la victime un rôle essentiel dans le procès pénal. Et comme il est devenu impossible de dire à une victime qu’il n’y a pas de coupable à ses malheurs, le juge est sous pression pour trouver un coupable.

      [Un fabliau du Moyen-Âge, pas assez connu à mon avis, traite plus ou moins de ce sujet : (…)]

      Excellent ! Je le garde pour donner en exemple à mes étudiants de politiques publiques. Oui, une action doit être jugée non seulement à ses résultats, mais par la comparaison avec ce qu’aurait été le résultat de l’inaction…

      • Bob dit :

        @ Descartes
         
        [En général, les vieux conducteurs sont conscients de leurs limites et conduisent prudemment – et lentement. Mais on va investir de l’argent en contrôles obligatoires qui ne serviront à rien.]
         
        C’est sans doute vrai. Cependant, que les vieux passent une visite médicale afin de vérifier qu’ils ont toujours les aptitudes et les réflexes nécessaires à une conduite sûre ne me choque pas. C’est du bon sens il me semble. Car même si la majorité d’entre eux “s’auto-censurent”, tous ne sont pas dans ce cas. J’ai quelques tantes qui ont beaucoup attendu avant d’arrêter de prendre leur voiture, elles étaient conscientes d’être dangereuses (plus de réflexe ou vue très défaillantes), mais à la campagne, sans voiture, la vie est compliquée.
        Ces contrôles ne serv(irai)ent pas “à rien”…

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [C’est sans doute vrai. Cependant, que les vieux passent une visite médicale afin de vérifier qu’ils ont toujours les aptitudes et les réflexes nécessaires à une conduite sûre ne me choque pas. C’est du bon sens il me semble.]

          Si on va par le « bon sens », pourquoi limiter ce contrôle aux « vieux » ? Chez les jeunes aussi on trouve des gens qui n’ont pas la bonne correction optique, qui n’ont pas les bons réflexes… bien entendu, ils sont plus rares, mais à partir de quelle probabilité on se dit « ce n’est pas la peine » ?

          Ces contrôles posent deux problèmes. Le premier, c’est la définition de la norme. A partir de quel moment on décide qu’un conducteur n’a pas les réflexes ou la vision suffisante pour conduire ? Car il y a beaucoup de situations de conduite. A-t-on besoin des mêmes réflexes pour conduire sur les chemins de la Creuse que sur le périphérique parisien ? A-t-on besoin des mêmes réflexes lorsqu’on s’impose à soi même de ne pas dépasser les 60 km/h que lorsqu’on s’autorise de rouler à 110 km/h sur une route nationale ? Un conducteur, même diminué, qui est conscient de ses limites et adapte sa conduite à ceux-ci n’est pas dangereux. Lui interdire la conduite posera des problèmes importants d’isolement, notamment en milieu rural. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?

          Le deuxième, c’est le coût de la mesure. Car il faudra organiser les contrôles, qu’il faudra confier à des fonctionnaires – car si l’on confie la chose aux médecins traitants, on aura le même problème qu’avec les arrêts maladie, c’est-à-dire, le syndrome « le client est roi ». Et ces contrôles, ce sont des centaines de millions d’euros qui partent en fumée. Est-ce que ces millions ne seraient mieux employés à d’autres mesures de sécurité routière ?

          [Car même si la majorité d’entre eux “s’auto-censurent”, tous ne sont pas dans ce cas. J’ai quelques tantes qui ont beaucoup attendu avant d’arrêter de prendre leur voiture, elles étaient conscientes d’être dangereuses (plus de réflexe ou vue très défaillantes), mais à la campagne, sans voiture, la vie est compliquée.]

          Mais est-ce qu’elles ont provoqué des accidents ? Non ? Alors, le contrôle n’aurait rien changé. Je le répète, les gens qui sont conscients de leurs limites et adaptent leur conduite en conséquence ne sont pas dangereux. Je connais pas mal de gens qui sont dans la situation de vos tantes : ils prennent la voiture, mais ne conduisent jamais de nuit, évitent d’aller en ville avec ou de prendre les voies rapides, et lorsqu’ils le font redoublent d’attention. Je ne pense pas qu’ils présentent plus de danger qu’un jeune cacou dans sa décapotable toute neuve…

          Peut-être la meilleure solution serait une sensibilisation par les médecins traitants, après un examen des réflexes et de la vue, mais sans effet contraignant. Cela permettrait de responsabiliser les gens et de leur faire prendre conscience de leurs limites, sans pour autant les mettre en difficulté.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [ Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?]
             
            C’est toute la question. Apparemment non, puisque les autorités françaises laissent les choses en l’état. 
            Je crois savoir qu’une visite médicale pour permettre de conduire à partir d’un certain âge est la norme dans la plupart des pays européens, la France avec l’autorisation de conduire à vie faisant figure d’exception. Je ne dis pas qu’il faut toujours copier nos voisins, mais c’est notable.
             
            Mes tantes n’ont pas provoqué d’accident. Est-ce grâce à une vigilance accrue se sachant diminuées ou une part de chance, ou les deux ? nul ne le saura jamais.
             
            [Peut-être la meilleure solution serait une sensibilisation par les médecins traitants, après un examen des réflexes et de la vue, mais sans effet contraignant.]
             
            Sans doute, mais je crains que sans effet contraignant, cela influe peu sur les comportement des gens.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? » C’est toute la question. Apparemment non, puisque les autorités françaises laissent les choses en l’état.]

              Je suis surpris de la confiance que vous témoignez envers les autorités françaises… mais dans ce cas particulier, je pense en effet que laisser les choses en l’état est la solution la plus rationnelle.

              [Je crois savoir qu’une visite médicale pour permettre de conduire à partir d’un certain âge est la norme dans la plupart des pays européens, la France avec l’autorisation de conduire à vie faisant figure d’exception. Je ne dis pas qu’il faut toujours copier nos voisins, mais c’est notable.]

              « Mangez de la merde, 400 milliards de mouches ne peuvent toutes se tromper »… Ce n’est pas parce qu’une erreur est partagée que c’en est moins une erreur. Je pense que l’idée de tester à partir d’un certain âge fait partie de ces idées qui semblent à priori de bon sens, et qu’il faut une réflexion plus approfondie pour découvrir que c’est une mesure inutile, voire nuisible. Mais comme la politique se fait souvent au premier degré…

              [Mes tantes n’ont pas provoqué d’accident. Est-ce grâce à une vigilance accrue se sachant diminuées ou une part de chance, ou les deux ? nul ne le saura jamais.]

              Par contre, on sait que si on avait imposé une visite médicale, elles n’auraient pas pu conduire. Et que dans ce cas, le bilan du système actuel est donc très largement positif.

              [« Peut-être la meilleure solution serait une sensibilisation par les médecins traitants, après un examen des réflexes et de la vue, mais sans effet contraignant. » Sans doute, mais je crains que sans effet contraignant, cela influe peu sur les comportement des gens.]

              Autrement dit, on ne peut faire confiance aux gens. Votre position a une conséquence évidente : si on ne peut faire confiance aux gens, il faut alors tout réglementer, et puis mettre un gendarme derrière chacun pour vérifier que la réglementation est appliquée. Je pense que cette logique, qui est assez répandue en France, conduit à infantiliser les gens et devient une prophétie autoréalisatrice : puisque l’Etat réglemente et contrôle, les gens finissent par croire que tant qu’ils respectent la réglementation ils sont en sécurité, et cessent d’utiliser leur bon sens… ce qui renforce encore l’idée qu’il faut que l’Etat s’occupe de tout.

              Prenez les limitations de vitesse. La limitation à 90 sur les routes nationales et départementales n’a jamais été une autorisation à rouler à 90 sur ces routes. C’est une limite supérieure, à l’intérieur de laquelle chacun est tenu d’adapter sa vitesse à la configuration du terrain. Mais de plus en plus, on trouve maintenant une signalisation complexe avec des tronçons limités à 70, à 50 et même à 30 km/h, et du coup la vitesse sur le panneau est censée être moins une limite supérieure qu’une autorisation à rouler à cette vitesse sur le tronçon considéré. Et du coup, on est dispensé d’analyser soi-même la configuration du terrain et donc d’adapter sa vitesse.

              C’est un peu la contradiction: on déresponsabilise les gens, et ensuite on pleurniche que les gens sont irresponsables. Combien de fois j’ai entendu des gens qui ont provoqué des accidents expliquer “qu’ils avaient respecté toutes les règles du code de la route”… comme disait mon moniteur de moto-école, “les cimetières sont pleins de gens qui avaient la priorité”.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Je suis surpris de la confiance que vous témoignez envers les autorités françaises…]
               
              Pourquoi ?
               
              [Autrement dit, on ne peut faire confiance aux gens.]
               
              En fait, si, de manière générale je pense que l’on peut. Le comportement sur la route, pour une raison qui m’échappe, a ceci de particulier qu’il a souvent tendance à transformer les gens : untel respectueux des lois et courtois dans la vie devient nerveux et n’accepte pas de se faire dépasser, par exemple, dès qu’il est derrière un volant. En matière de sécurité routière, on voit que seule la répression est efficace (d’où les multiples radars qui ont fleuri au cours des dernières années).
              Votre exemple de la limite supérieure est intéressant. La vitesse à 30 km/h (ce qui, nous en conviendrons, n’est vraiment pas rapide) est assez peu respectée, du moins je le constate personnellement souvent. C’est pourtant une limite haute, ce qui veut dire qu’on devrait trouver pas mal de conducteurs autour de 25 km/h dans ces portions. Il m’est arriver plusieurs fois, alors que j’étais à cette limite haute des 30km/h de me faire coller par la voiture me suivant, voire qu’elle me klaxonne, avant de me doubler en me faisant divers signes peu amicaux… Au volant, beaucoup de gens perdent toute rationalité.
              Pour revenir à la question de départ : est-ce qu’un vieux averti par son médecin des risques que sa conduite présente (pour lui-même et pour les autres) renoncerait à prendre le volant ? J’ai des doutes mais c’est possible.
               

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Je suis surpris de la confiance que vous témoignez envers les autorités françaises… » Pourquoi ?]

              Je faisais de l’ironie. Dans votre commentaire, vous déduisiez du fait que les autorités n’imposent pas d’examen obligatoire le fait que « le jeu n’en vaut pas la chandelle ». Ce qui suppose que la décision de nos « autorités » soit en principe rationnelle, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui !

              [En fait, si, de manière générale je pense que l’on peut. Le comportement sur la route, pour une raison qui m’échappe, a ceci de particulier qu’il a souvent tendance à transformer les gens : untel respectueux des lois et courtois dans la vie devient nerveux et n’accepte pas de se faire dépasser, par exemple, dès qu’il est derrière un volant.]

              Pensez-vous que ce soit très différent dans d’autres domaines ? Que le petit patron « respectueux des lois et courtois dans la vie » est moins dangereux au volant que lorsqu’il s’agit de respecter le code du travail – y compris sur les questions de sécurité ? En fait, je pense qu’on peut faire confiance aux gens dans les domaines qui les touchent personnellement. Dès lors que cela touche les autres, c’est moins évident.

              En pratique, il existe deux systèmes pour faire appliquer les lois : le système anglosaxon – pas de contrôle, mais s’il vous arrive un pepin vous vous trouvez devant un juge, et risquez des peines monstrueuses, sans compter avec les dommages et intérêts qui peuvent atteindre des sommes astronomiques. Et le système français, avec le contrôle à priori, mais des peines et des compensations beaucoup plus raisonnables.

              [En matière de sécurité routière, on voit que seule la répression est efficace (d’où les multiples radars qui ont fleuri au cours des dernières années).]

              Avez-vous des éléments qui établissent l’efficacité des radars en termes d’accidentologie ?

              [Votre exemple de la limite supérieure est intéressant. (…)]

              J’ai l’impression que vous n’avez pas compris mon exemple. Quand je disais que les 90 km/h sur route nationale sont une « limite supérieure », ce que je voulais dire est que vous n’aviez aucune garantie de pouvoir rouler EFFECTIVEMENT à 90 km/h sur tout le trajet. Il y a des passages dans ces routes qui nécessitent de réduire la vitesse largement en dessous. Et on laissait au conducteur l’appréciation et le soin d’adapter sa vitesse au contexte. Aujourd’hui, on voit de plus en plus des limitations à 70 ou 50km/h sur tel ou tel carrefour ou suite de virages… et du coup les limitations apparaissent comme étant la vitesse à laquelle il faut rouler.

              [La vitesse à 30 km/h (ce qui, nous en conviendrons, n’est vraiment pas rapide) est assez peu respectée, du moins je le constate personnellement souvent.]

              Ca ne me choque pas, c’est souvent une absurdité. Quand on fait des lois stupides, il ne faut pas s’étonner qu’un peuple intelligent comme le notre ne les respecte pas.

              [Pour revenir à la question de départ : est-ce qu’un vieux averti par son médecin des risques que sa conduite présente (pour lui-même et pour les autres) renoncerait à prendre le volant ? J’ai des doutes mais c’est possible.]

              Peut-être ne renoncera-t-il pas, et ce n’est pas le but. Mais il sera probablement beaucoup plus prudent dans sa conduite. Et du coup il ne sera pas plus dangereux qu’un autre conducteur.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Je pense que l’idée de tester à partir d’un certain âge fait partie de ces idées qui semblent à priori de bon sens, et qu’il faut une réflexion plus approfondie pour découvrir que c’est une mesure inutile, voire nuisible. Mais comme la politique se fait souvent au premier degré…]
               
              Aucun de la majorité des pays qui l’appliquent n’aurait pris la peine ou eu l’intelligence de creuser le sujet ?
               
               
              [Avez-vous des éléments qui établissent l’efficacité des radars en termes d’accidentologie ?]
               
              Je fais – une nouvelle fois – confiance aux autorités et à la Prévention routière qui nous disent toujours que les radars sont implantés aux endroits à risque. Qui dit radars à ces endroits dit diminution de la vitesse, et par conséquent un risque d’accident moindre. Je ne peux me résoudre à croire que le but de tous ces radars (qui coûtent chers) qui ont poussé comme des champignons soit bassement pécuniaire.
               
              [En fait, je pense qu’on peut faire confiance aux gens dans les domaines qui les touchent personnellement.]
               
              Je ne sais pas. Les gens (jeunes souvent) qui meurent chaque week-end du fait d’une conduite alcoolisée et/ou en grand excès de vitesse sont les premiers concernés par leur comportement, et pourtant ils ne le modèrent pas beaucoup…
               
              [Ca ne me choque pas, c’est souvent une absurdité. Quand on fait des lois stupides, il ne faut pas s’étonner qu’un peuple intelligent comme le notre ne les respecte pas.]
               
              Attendez, attendez. Etes-vous en train de dire que les gens sont suffisamment intelligents pour savoir quand ne pas respecter la loi est acceptable ? Mieux, de décider par eux-mêmes que telle ou telle loi est stupide et qu’il est donc “non choquant”, une fois le jugement personnel rendu, de ne pas la respecter ?
              Dans le cas particulier de la conduite, suis-je fondé à griller un stop chaque fois que j’estime qu’il est placé à un endroit ou j’estime qu’un cédez-le-passage suffirait ?

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [Aucun de la majorité des pays qui l’appliquent n’aurait pris la peine ou eu l’intelligence de creuser le sujet ?]

              Ou bien ils ont réfléchi, et abouti à une conclusion différente. Après tout, la France est le seul pays ou la séparation de l’Eglise et de l’Etat est stricte. Les autres pays européens ont certainement creusé le sujet, et préféré éviter la laïcité. Devrions-nous les imiter ?

              [« Avez-vous des éléments qui établissent l’efficacité des radars en termes d’accidentologie ? » Je fais – une nouvelle fois – confiance aux autorités et à la Prévention routière qui nous disent toujours que les radars sont implantés aux endroits à risque. Qui dit radars à ces endroits dit diminution de la vitesse,]

              La corrélation entre les deux me paraît pour le moins aventureuse. Si la présence du radar « disait » diminution de vitesse, il n’y aurait pas d’amendes. Or, le nombre d’amendes est toujours en augmentation…

              [Je ne peux me résoudre à croire que le but de tous ces radars (qui coûtent chers) qui ont poussé comme des champignons soit bassement pécuniaire.]

              Sans aller aussi loin, on peut aussi penser qu’ils sont inutiles. L’erreur existe, vous savez ?

              [« En fait, je pense qu’on peut faire confiance aux gens dans les domaines qui les touchent personnellement. » Je ne sais pas. Les gens (jeunes souvent) qui meurent chaque week-end du fait d’une conduite alcoolisée et/ou en grand excès de vitesse sont les premiers concernés par leur comportement, et pourtant ils ne le modèrent pas beaucoup…]

              C’est bien le problème. L’accident ne touche pas personnellement les jeunes, parce qu’ils n’ont pas conscience d’être mortels. Les vieux, eux, sont bien plus conscients…

              [« Ca ne me choque pas, c’est souvent une absurdité. Quand on fait des lois stupides, il ne faut pas s’étonner qu’un peuple intelligent comme le notre ne les respecte pas. » Attendez, attendez. Etes-vous en train de dire que les gens sont suffisamment intelligents pour savoir quand ne pas respecter la loi est acceptable ? Mieux, de décider par eux-mêmes que telle ou telle loi est stupide et qu’il est donc “non choquant”, une fois le jugement personnel rendu, de ne pas la respecter ?]

              Absolument pas. Je n’ai pas parlé de ce qui est « acceptable » ou « non choquant ». Je me contente de constater un fait : quand une loi est stupide, les gens intelligents tendent à ne pas la respecter. Cela ne veut pas dire que ce comportement soit légitime ou acceptable…

              En Allemagne, quand le petit bonhomme est rouge on ne traverse pas la rue. Et dans une banlieue de Berlin, à une heure du matin, vous voyez des gens attendre cinq minutes que le bonhomme passe au vert alors qu’il n’y a pas une voiture en vue à cent mètres à la ronde. C’est là un comportement parfaitement respectueux de la loi. Est-ce un comportement intelligent ? Je vous laisse juge…

              [Dans le cas particulier de la conduite, suis-je fondé à griller un stop chaque fois que j’estime qu’il est placé à un endroit ou j’estime qu’un cédez-le-passage suffirait ?]

              Je pense que très naturellement vous le ferez. Vous n’en serez pas fier, vous jugerez toujours que ce n’est pas un comportement « acceptable », mais vous le ferez.

  7. Spinoza dit :

    Merci d’avoir « mouillé votre chemise » pour nous exposer ainsi votre réflexion, qui est parfaitement claire. Vous m’avez convaincu de la nécessité d’avoir un pouvoir exécutif fort, ayant les moyens de mettre en œuvre sa politique.

    La faiblesse, à mon sens, réside dans votre affirmation – je concentre le propos –  : « un exécutif fort DONC responsable devant le peuple souverain ». Cela n’est vrai que si le peuple dispose des moyens d’infléchir la politique menée lorsqu’il en est mécontent. Or, aujourd’hui, nous votons une fois tous les cinq ans, tandis que les marchés financiers « votent », eux, toutes les nanosecondes. La récente réforme des retraites illustre bien cet état de fait : le peuple s’est fait imposer une réforme dont il ne voulait, dans sa grande majorité, clairement pas. Cela en fait un bien fantomatique souverain.

    Dans ces conditions, nous pouvons dire qu’actuellement les marchés financiers sont beaucoup plus souverains que le peuple français, et que si aucun changement n’est fait de ce côté là, un renforcement de l’exécutif implique un renforcement de la souveraineté des marchés financiers davantage qu’un renforcement de la souveraineté du peuple.

    Vos propositions, qui vont selon moi dans le bon sens, consistent à renforcer l’exécutif vis-à-vis du Parlement, des juges, des institutions européennes et autres groupes de pressions non élus. Mais ne manque-t-il pas l’autre versant, à savoir des mesures visant à renforcer le contrôle de celui qui est censé être le souverain, c’est-à-dire le peuple français, sur l’exécutif ? Et si oui comment pourrait-on s’y prendre ?
     

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [La faiblesse, à mon sens, réside dans votre affirmation – je concentre le propos – : « un exécutif fort DONC responsable devant le peuple souverain ». Cela n’est vrai que si le peuple dispose des moyens d’infléchir la politique menée lorsqu’il en est mécontent.]

      Tout à fait d’accord. Il faut ici séparer deux notions. Un gouvernement fort est par essence responsable devant le peuple, puisqu’étant fort il ne peut transférer cette responsabilité ailleurs. Mais ce n’est pas parce qu’il est responsable que le peuple a les moyens de mettre en cause cette responsabilité effectivement.

      [Or, aujourd’hui, nous votons une fois tous les cinq ans, tandis que les marchés financiers « votent », eux, toutes les nanosecondes.]

      Nous votons un peu plus souvent que cela. Mais plus fondamentalement, il ne faut pas réduire la participation du peuple au seul vote. Le peuple a aussi la possibilité de pétitionner les autorités, de manifester, de faire la grève, de participer à l’activité des partis politiques et des syndicats. Et les institutions politiques peuvent difficilement l’ignorer. Pensez au mouvement des « gilets jaunes »…

      [La récente réforme des retraites illustre bien cet état de fait : le peuple s’est fait imposer une réforme dont il ne voulait, dans sa grande majorité, clairement pas. Cela en fait un bien fantomatique souverain.]

      Mais comment savez-vous que « le peuple n’en voulez pas, dans sa grande majorité » ? Je vous rappelle que le peuple n’exprime pas sa volonté dans les sondages, mais dans son vote et dans son action institutionnelle. Une majorité de Français, lorsqu’elle est interrogée par les sondeurs, dit être en contre de la réforme, mais continue à voter ceux qui ont permis qu’elle soit votée.

      [Dans ces conditions, nous pouvons dire qu’actuellement les marchés financiers sont beaucoup plus souverains que le peuple français,]

      Je crois que vous confondez « pouvoir » et « souveraineté ». Les marchés financiers ont peut-être du pouvoir, mais ils n’ont pas une once de « souveraineté ». Le peuple français a le pouvoir de faire des règles qui s’appliquent aux marchés, et pas l’inverse.

      [et que si aucun changement n’est fait de ce côté-là, un renforcement de l’exécutif implique un renforcement de la souveraineté des marchés financiers davantage qu’un renforcement de la souveraineté du peuple.]

      Je ne saisis pas votre raisonnement. L’histoire plaide plutôt contre votre conclusion. D’une part, on peut remarquer que ce sont les régimes à exécutif fort qui ont été ceux qui ont imposé les contrôles les plus stricts sur les « marchés ». De Gaulle pouvait dire que la politique de la France ne se faisait pas à la Corbeille. Celui qui dirait ça aujourd’hui – ou bien sous la IVème République finissante – se couvrirait de ridicule. Par ailleurs, vous noterez que les « marchés » ont tout fait ces trente dernières années pour affaiblir l’autorité de l’exécutif. Et croyez-moi, ces gens savent ce qu’ils font…

      [Vos propositions, qui vont selon moi dans le bon sens, consistent à renforcer l’exécutif vis-à-vis du Parlement, des juges, des institutions européennes et autres groupes de pressions non élus. Mais ne manque-t-il pas l’autre versant, à savoir des mesures visant à renforcer le contrôle de celui qui est censé être le souverain, c’est-à-dire le peuple français, sur l’exécutif ? Et si oui comment pourrait-on s’y prendre ?]

      Si je n’insiste pas sur ce point, c’est parce que je pense que le retour à l’esprit original de la Vème République donne des moyens de contrôle très largement suffisants. Le pouvoir réglementaire est dans les mains du Premier ministre, qui peut à tout moment être censuré par l’Assemblée. L’exécutif ne peut toucher les domaines qui touchent aux libertés publiques sans passer par le Parlement, et celui-ci garde le contrôle sur les moyens par l’intermédiaire des lois de finances. Autrement dit, le Parlement a un pouvoir de blocage considérable, et le président ne peut passer outre qu’en demandant l’arbitrage du peuple – que ce soit par la voie de la dissolution ou celle du référendum. Que voudriez-vous de plus ?

      • Spinoza dit :

        [Nous votons un peu plus souvent que cela. Mais plus fondamentalement, il ne faut pas réduire la participation du peuple au seul vote. Le peuple a aussi la possibilité de pétitionner les autorités, de manifester, de faire la grève, de participer à l’activité des partis politiques et des syndicats. Et les institutions politiques peuvent difficilement l’ignorer. Pensez au mouvement des « gilets jaunes »…]
         
        N’avez-vous pas constaté comme moi que ces dernières années le pouvoir a complètement ignoré les pétitions, manifestations, grèves et négociations syndicales ? De quand date la dernière fois que ces méthodes ont permis d’infléchir réellement la politique menée ? Quant aux « gilets jaunes », ils illustrent plutôt mon point : dans une démocratie qui fonctionne bien, il n’y a pas d’émeute qui bénéficie de la sympathie d’une large part de la population.
         
        [Mais comment savez-vous que « le peuple n’en voulez pas, dans sa grande majorité » ? Je vous rappelle que le peuple n’exprime pas sa volonté dans les sondages, mais dans son vote et dans son action institutionnelle. Une majorité de Français, lorsqu’elle est interrogée par les sondeurs, dit être en contre de la réforme, mais continue à voter ceux qui ont permis qu’elle soit votée.]
         
        Effectivement, en l’absence de vote on n’aura jamais la certitude absolue que le peuple rejetait cette réforme, mais les sondages étaient tout de même remarquablement constants pour indiquer que cette réforme n’était pas souhaitée par une large majorité. Dans ces conditions, il me semble que ce n’est pas abusif que d’affirmer que le peuple n’en voulait pas.
         
        [Je crois que vous confondez « pouvoir » et « souveraineté ». Les marchés financiers ont peut-être du pouvoir, mais ils n’ont pas une once de « souveraineté ». Le peuple français a le pouvoir de faire des règles qui s’appliquent aux marchés, et pas l’inverse.]
         
        Oui pour moi ce sont des synonymes. Le souverain est celui qui a les moyens de faire prévaloir sa volonté. Je ne vois pas d’autre définition qui convient. Une autorité qui n’a pas les moyens d’édicter les règles de son choix, ou qui édicte des règles qui restent lettre morte ne peut prétendre être appelée « souverain ». Quand à la phrase «  Le peuple français a le pouvoir de faire des règles qui s’appliquent aux marchés, et pas l’inverse », je la trouve bien naïve. Les marchés n’imposent certes pas leur volonté en édictant directement des règles, mais ils ont les moyens de plier les populations et les gouvernants à leur volonté en faisant planer la menace sur les intérêts de la dette des obligations d’État. Cela me fait penser que nous « fêtons » en ce moment les 10 ans de la défaite du peuple grec…
         
        [Je ne saisis pas votre raisonnement. L’histoire plaide plutôt contre votre conclusion. D’une part, on peut remarquer que ce sont les régimes à exécutif fort qui ont été ceux qui ont imposé les contrôles les plus stricts sur les « marchés ». De Gaulle pouvait dire que la politique de la France ne se faisait pas à la Corbeille. Celui qui dirait ça aujourd’hui – ou bien sous la IVème République finissante – se couvrirait de ridicule. Par ailleurs, vous noterez que les « marchés » ont tout fait ces trente dernières années pour affaiblir l’autorité de l’exécutif. Et croyez-moi, ces gens savent ce qu’ils font…]
         
        Sans doute, les marchés se sentent plus menacés par un exécutif fort que par un exécutif faible. C’est pourquoi le renforcement de l’exécutif est nécessaire. Mais cela pourrait ne pas être suffisant si on s’en tient là car, dans les conditions du rapport de force actuel, un exécutif fort pourrait tout à fait servir d’instrument aux marchés financiers pour contraindre le peuple plutôt que l’inverse. Ce risque était bien moindre à l’époque de de Gaulle, pendant laquelle les marchés étaient corsetés. C’est pourquoi il me semble indispensable de compléter les réformes que vous proposez par des mécanismes de contrôle du peuple sur l’exécutif. Dans l’hypothèse où le peuple mandaterait un exécutif pour faire des réformes qui nuiraient aux intérêts des détenteurs de capitaux, il faut que le peuple ait les moyens de sanctionner toute volte-face du gouvernement plus fortement que les marchés ne pourraient sanctionner le maintien du cap fixé par le peuple.
         
        [Si je n’insiste pas sur ce point, c’est parce que je pense que le retour à l’esprit original de la Vème République donne des moyens de contrôle très largement suffisants. Le pouvoir réglementaire est dans les mains du Premier ministre, qui peut à tout moment être censuré par l’Assemblée. L’exécutif ne peut toucher les domaines qui touchent aux libertés publiques sans passer par le Parlement, et celui-ci garde le contrôle sur les moyens par l’intermédiaire des lois de finances. Autrement dit, le Parlement a un pouvoir de blocage considérable, et le président ne peut passer outre qu’en demandant l’arbitrage du peuple – que ce soit par la voie de la dissolution ou celle du référendum. Que voudriez-vous de plus ?]
         
        Le RIC législatif, révocatoire, abrogatoire et constituant demandé par les gilets jaunes changerait déjà beaucoup de choses.
         

        • Descartes dit :

          @ Spinoza

          [N’avez-vous pas constaté comme moi que ces dernières années le pouvoir a complètement ignoré les pétitions, manifestations, grèves et négociations syndicales ?]

          Non. J’aurais tendance à penser le contraire. Pensez à Notre Dame des Landes, par exemple. Ou bien à l’écotaxe. Et je ne vous parle même pas de tous les projets que les gouvernements successifs ont renoncé à priori par peur des « pétitions, manifestations, grèves ». Notre mémoire a tendance à oublier un peu vite les cas où les gouvernement ont reculé, pour ne retenir celles où il a tenu bon.

          [Effectivement, en l’absence de vote on n’aura jamais la certitude absolue que le peuple rejetait cette réforme, mais les sondages étaient tout de même remarquablement constants pour indiquer que cette réforme n’était pas souhaitée par une large majorité. Dans ces conditions, il me semble que ce n’est pas abusif que d’affirmer que le peuple n’en voulait pas.]

          Je pense que c’est plus complexe que cela. Personne n’a envie d’une réforme qui vous fait partir plus tard à la retraite. Mais d’un autre côté, rares sont ceux qui ne sont pas conscients du problème que pose le déséquilibre des régimes de retraite. Alors, vous trouverez une majorité contre le recul de l’âge de la retraite, une majorité contre l’augmentation des prélèvements, et une majorité contre la baisse du niveau de pensions. Et pourtant, il faudra bien faire l’une de ces trois choses…

          Il y a donc une grande ambigüité dans le résultat des sondages. Je peux rejeter une mesure, et pourtant, au fond de moi, admettre qu’elle est nécessaire – et vouloir que quelqu’un d’autre l’assume. Personnellement, je pense que le rejet que mesurent les sondages concerne moins le fond de la réforme que la méthode avec laquelle la réforme a été imposée. C’est pourquoi je pense que le gouvernement a tort de persister : il serait plus intelligent d’abroger la réforme, puis d’en proposer une autre qui aboutirait peut-être au même résultat, mais dont l’élaboration pourrait être conduite avec moins de morgue et plus de doigté.

          [« Je crois que vous confondez « pouvoir » et « souveraineté ». Les marchés financiers ont peut-être du pouvoir, mais ils n’ont pas une once de « souveraineté ». Le peuple français a le pouvoir de faire des règles qui s’appliquent aux marchés, et pas l’inverse. » Oui pour moi ce sont des synonymes. Le souverain est celui qui a les moyens de faire prévaloir sa volonté.]

          Cette confusion évacue la problématique de la légitimité. Je vais vous donner l’exemple classique qu’on donne à tous les étudiants : un voleur pointe vers vous un flingue et vous ordonne de lui donner votre portefeuille. Il est incontestable qu’il a « les moyens de faire prévaloir sa volonté » et de prendre votre portefeuille. Mais est-il « souverain » pour autant ? La réponse est clairement négative : même s’il a les moyens de prendre votre portefeuille, il n’a aucun moyen de rendre sa possession légitime.

          [Je ne vois pas d’autre définition qui convient.]

          Je vous en propose une : « Le souverain est celui qui n’est soumis qu’aux règles auxquelles il a lui-même consenti ».

          [Une autorité qui n’a pas les moyens d’édicter les règles de son choix, ou qui édicte des règles qui restent lettre morte ne peut prétendre être appelée « souverain ».]

          Là encore, je vous donne un exemple classique. Si la nation française par référendum ordonnait au soleil de se lever à l’ouest, cet ordre resterait lettre morte. Est-elle moins « souveraine » de ce fait ?

          [Quand à la phrase « Le peuple français a le pouvoir de faire des règles qui s’appliquent aux marchés, et pas l’inverse », je la trouve bien naïve. Les marchés n’imposent certes pas leur volonté en édictant directement des règles, mais ils ont les moyens de plier les populations et les gouvernants à leur volonté en faisant planer la menace sur les intérêts de la dette des obligations d’État. Cela me fait penser que nous « fêtons » en ce moment les 10 ans de la défaite du peuple grec…]

          Nous revenons à l’exemple du voleur ci-dessus. Les marchés ont un « pouvoir » considérable, mais cela n’a aucun rapport avec la souveraineté.

          [Sans doute, les marchés se sentent plus menacés par un exécutif fort que par un exécutif faible. C’est pourquoi le renforcement de l’exécutif est nécessaire. Mais cela pourrait ne pas être suffisant si on s’en tient là car, dans les conditions du rapport de force actuel, un exécutif fort pourrait tout à fait servir d’instrument aux marchés financiers pour contraindre le peuple plutôt que l’inverse.]

          L’expérience montre plutôt le contraire : lorsque deux pouvoirs « forts » doivent coexister dans le même espace, ils entrent fatalement en conflit.

          [C’est pourquoi il me semble indispensable de compléter les réformes que vous proposez par des mécanismes de contrôle du peuple sur l’exécutif. Dans l’hypothèse où le peuple mandaterait un exécutif pour faire des réformes qui nuiraient aux intérêts des détenteurs de capitaux, il faut que le peuple ait les moyens de sanctionner toute volte-face du gouvernement plus fortement que les marchés ne pourraient sanctionner le maintien du cap fixé par le peuple.]

          Le problème, est que ces mécanismes de contrôle et de blocage peuvent être détournés ou manipulés par des lobbies pour empêcher l’exécutif d’agir. Et que leur existence même remet en cause le principe de responsabilité : le gouvernement peut toujours dire « j’avais l’intention de le faire, mais on m’en a empêché ». C’est pourquoi les sanctions immédiates posent problème. Et si l’on parle de sanctions décalées… et bien elles existent déjà : tous les cinq ans, on peut sanctionner la majorité sortante !

          [Le RIC législatif, révocatoire, abrogatoire et constituant demandé par les gilets jaunes changerait déjà beaucoup de choses.]

          Oui, en pire. Déjà notre pays a « le moteur d’une deux-chevaux et les freins d’une Rolls Royce », et en plus vous voulez en rajouter encore des freins supplémentaires ? Parce qu’il ne faut pas se tromper : il est toujours plus facile d’obtenir des majorités négatives que des majorités positives. Autrement dit, la possibilité que le RIC soit utilisé pour faire voter des lois positives est nulle. C’est dans sa variable révocatoire ou abrogatoire qu’il serait utilisé.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [Personnellement, je pense que le rejet que mesurent les sondages concerne moins le fond de la réforme que la méthode avec laquelle la réforme a été imposée.]
             
            Sur quoi vous basez vous pour penser cela ?
            Effectivement le mépris du peuple démontré par Macron pour faire passer cette réforme est remarquable (pas en bien).
            Plus haut, vous rappelez le “déséquilibre du régime des retraites”. On entendait toujours cet argument pour justifier une réforme. Pourtant, le COR ne disait pas cela sans son rapport. Il envisageait plusieurs scénarios et même le plus négatif n’était pas catastrophique pour les finances. Depuis son président a été remplacé…
            En tout cas, le deséquilibre est une paille en comparaison des 211 milliards d’euros d’aides aux entreprises mis en lumière par un récent rapport du Sénat. Je suis étonné que ce dernier n’ait pas fait l’effet d”une bombe (pis, personne ou presque n’en parle), surtout en ces temps de disettes où on fait les poches d’à peu près tout le monde.
             
            [Une majorité de Français, lorsqu’elle est interrogée par les sondeurs, dit être en contre de la réforme, mais continue à voter ceux qui ont permis qu’elle soit votée.]
             
            Les résultats des dernières élections legislatives et européennes disent le contraire. 

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Personnellement, je pense que le rejet que mesurent les sondages concerne moins le fond de la réforme que la méthode avec laquelle la réforme a été imposée. » Sur quoi vous basez vous pour penser cela ?]

              Sur les très nombreuses discussions que j’ai eu avec des gens de toute origine et de tout niveau social sur ces questions. Dès qu’on confronte les gens au fait qu’il faut quand même faire quelque chose pour équilibrer le système, les gens sont d’accord, et critiquent moins le choix de retarder l’âge de départ que la manière dont cela a été fait.

              [Effectivement le mépris du peuple démontré par Macron pour faire passer cette réforme est remarquable (pas en bien).]

              Le mépris affiché pour les corps intermédiaires, la logique de « vous êtes des cons, je vais vous expliquer » a beaucoup fait pour donner à la réforme un visage inacceptable. Mais surtout, je pense que la valse-hésitation sur le système à points – finalement abandonné – a donné à l’opinion l’impression (justifiée) que le gouvernement ne savait pas vraiment où il allait. Or, les Français détestent ça par-dessus tout. Nos concitoyens sont bonapartistes : ils sont prêts à accepter une forme de dictature, à condition que le dictateur soit éclairé. Quant ils sentent que le pouvoir hésite, qu’il navigue à vue…

              [Plus haut, vous rappelez le “déséquilibre du régime des retraites”. On entendait toujours cet argument pour justifier une réforme. Pourtant, le COR ne disait pas cela sans son rapport. Il envisageait plusieurs scénarios et même le plus négatif n’était pas catastrophique pour les finances.]

              « Catastrophique » non, mais dans tous les scénarios on arrivait tôt ou tard à un déséquilibre. Et c’est logique : sauf à croire en la magie, dès lors que l’espérance de vie augmente, que les gens entrent de plus en plus tard dans la vie active, que l’on maintien la valeur des pensions et que la croissance de la productivité est faible, le déséquilibre se produira fatalement.

              [En tout cas, le deséquilibre est une paille en comparaison des 211 milliards d’euros d’aides aux entreprises mis en lumière par un récent rapport du Sénat. Je suis étonné que ce dernier n’ait pas fait l’effet d”une bombe (pis, personne ou presque n’en parle), surtout en ces temps de disettes où on fait les poches d’à peu près tout le monde.]

              Parce que tout le monde sait que sans ces sucreries, nos activités économiques seraient déjà parties en Bulgarie, en Inde ou en Chine. Là encore, il n’y a pas de magie : si vous laissez au capital la possibilité de circuler librement, il ira là où l’investissement est le plus rentable. Et il est clair qu’il est plus rentable d’investir là où les salaires sont faibles, la protection sociale limitée et les contraintes environnementales moins importantes. Coupez ces 211 milliards, et notre industrie disparaît. Ou alors il faut remettre en cause le sacro-saint principe de la libre circulation des capitaux et des marchandises.

              [« Une majorité de Français, lorsqu’elle est interrogée par les sondeurs, dit être en contre de la réforme, mais continue à voter ceux qui ont permis qu’elle soit votée. » Les résultats des dernières élections legislatives et européennes disent le contraire.]

              C’est beaucoup moins évident que vous ne le dites. Laissons de côté les élections européennes, puisqu’il ne s’agit pas d’un sujet européen. Pour les législatives, la constitution du « front républicain » incluant le centre et les macronistes a montré qu’une partie majoritaire de l’électorat préférait voter pour un candidat « républicain » qui avait soutenu la réforme des retraites plutôt que de voter pour un candidat RN qui s’était positionné clairement contre. Ce qui semble suggérer que l’abolition de la réforme des retraites n’était pas prioritaire dans l’esprit des électeurs.

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Pour les législatives, la constitution du « front républicain » incluant le centre et les macronistes a montré qu’une partie majoritaire de l’électorat préférait voter pour un candidat « républicain » qui avait soutenu la réforme des retraites plutôt que de voter pour un candidat RN qui s’était positionné clairement contre]
               
              La tambouille du « front républicain » et du NFP a brouillé les cartes.
              Rappelons les résultats du 1er tour : le Rassemblement national et ses alliés obtiennent près de 33,34% des suffrages au soir du premier tour, le Nouveau Front Populaire (27,99%), loin devant la coalition présidentielle Ensemble (20,04%).
              Cela ne vas pas dans le sens d’élécteurs continuant “à voter ceux qui ont permis qu’elle soit votée (la réfome des retraites)”.

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [La tambouille du « front républicain » et du NFP a brouillé les cartes. Rappelons les résultats du 1er tour : le Rassemblement national et ses alliés obtiennent près de 33,34% des suffrages au soir du premier tour, le Nouveau Front Populaire (27,99%), loin devant la coalition présidentielle Ensemble (20,04%). Cela ne vas pas dans le sens d’élécteurs continuant “à voter ceux qui ont permis qu’elle soit votée (la réfome des retraites)”.]

              Ca se discute. Au deuxième tour, les électeurs du NFP ont voté pour des candidats LR, Horizons, Modem ou macronistes qui ont voté pour le projet, plutôt que de laisser gagner les candidats RN qui, eux, avaient voté unanimement contre. Comment expliquer ce vote, sauf à admettre que la question de la réforme des retraites n’était pas prioritaire dans leur choix ?

            • Bob dit :

              @ Descartes
               
              [Comment expliquer ce vote, sauf à admettre que la question de la réforme des retraites n’était pas prioritaire dans leur choix ?]
               
              J’ai du mal à l’expliquer, sinon à considérer que la menace montée en épingle des “années sombres” et de la “bête immonde qui sommeille” fonctionne encore, et l’emporte. 

  8. Vincent dit :

    [Exactement. De plus en plus, le législateur se mêle de questions qui concernent la mise en œuvre et non les grands principes et les normes générales. Ainsi, il y a quelques années, on avait fixé par la loi les dates d’ouverture et de la fermeture de la chasse espèce par espèce…]

    Ce principe se décline à tous les niveaux. Si vous vous amusez à regarder un arrêté d’autorisation de réaliser des travaux d’infrastructure, vous arrivez parfois à des trucs de plus de 100 pages, hyper prescriptifs, qui pose des contraintes parfois totalement déconnectées de ce qui appartient au rôle de l’État (une immiscions dans le rôle du maître d’œuvre).
    Quand l’arrêté préfectoral impose la pente d’un talus d’excavation, l’épaisseur d’un radier, ou la durée pendant laquelle le pompage peut être maintenu dans une fouille, etc. en cas d’aléa géotechnique, c’est toute une procédure de demande de modification de l’arrête préfectoral qu’il faut engager pour s’adapter au terrain…
    Là où la loi est trop prescriptive par rapport au règlement, j’ai nettement l’impression que le règlement est souvent trop prescriptif par rapport aux arrêtés, et les arrêtés trop prescriptifs tout court…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [« Exactement. De plus en plus, le législateur se mêle de questions qui concernent la mise en œuvre et non les grands principes et les normes générales. Ainsi, il y a quelques années, on avait fixé par la loi les dates d’ouverture et de la fermeture de la chasse espèce par espèce… » Ce principe se décline à tous les niveaux. Si vous vous amusez à regarder un arrêté d’autorisation de réaliser des travaux d’infrastructure, vous arrivez parfois à des trucs de plus de 100 pages, hyper prescriptifs, qui pose des contraintes parfois totalement déconnectées de ce qui appartient au rôle de l’État (une immiscions dans le rôle du maître d’œuvre).]

      Il ne faut pas tout confondre. Le mélange entre ce qui relève du domaine réglementaire et ce qui relève du législatif est un problème, la question du niveau de détail dans les prescriptions réglementaires en est un autre.

      La nature du débat législatif fait qu’il est dangereux de laisser le législateur entrer dans les détails de mise en œuvre. Lorsque le pouvoir réglementaire élabore un texte pour mettre en œuvre une politique, il a tout loisir de consulter les experts qui connaissent finement le terrain. Au contraire, le débat parlementaire laisse peu de place à ce type de consultation. Difficile, lors de la discussion d’un amendement en séance plénière, d’interrompre le débat pour demander un avis d’expert. Or, la question de l’expertise est vitale lorsqu’il s’agit de mise en œuvre.

      La question que vous évoquez, c’est la problématique du niveau de détail des prescriptions qui accompagnent les autorisations. C’est quelque chose de très différent :

      [Quand l’arrêté préfectoral impose la pente d’un talus d’excavation, l’épaisseur d’un radier, ou la durée pendant laquelle le pompage peut être maintenu dans une fouille, etc. en cas d’aléa géotechnique, c’est toute une procédure de demande de modification de l’arrête préfectoral qu’il faut engager pour s’adapter au terrain…]

      Mais normalement, celui qui rédige l’arrêté connaît le terrain. Mais je pense que vous prenez le sujet à l’envers : souvent, ce sont les maîtres d’ouvrage qui demandent des arrêtés très prescriptifs, parce que la prescription de l’Etat leur sert comme parapluie. Si vous faites le talus comme vous l’entendez, c’est votre faute s’il s’effondre. Mais si l’Etat vous dit la pente, alors si vous suivez la prescription et qu’il y a un problème, c’est la faute de l’Etat.

  9. Courouve dit :

    [La suppression de la charte de l’environnement et en général de l’ensemble des ajouts qui n’ont aucun rapport avec la fonction d’un texte constitutionnel.]Ce qui revient au rétablissement d’une Constitution stricto sensu et à l’abandon du bloc constitutionnel créé par le Conseil constitutionnel en 1971-1973.
    Le 19 juin 1970, le Conseil constitutionnel commença par inclure dans ses visas le Préambule de la Constitution de 1958 : décision 70-39 DC. Ensuite, moins d’un an après la mort du général le 9 novembre 1970, la décision 71-44 DC du16 juillet 1971 (2e considérant) créa un bloc de constitutionnalité, l’expression est Claude Émeri (1970) et fut reprise par Louis Favoreu (1975), ou bloc constitutionnel, avec le Préambule de 1946, réalisant ainsi une révision constitutionnelle qui ne disait pas son nom ; ce bloc constitutionnel lui-même est difficilement révisable par le peuple français. Cette décision violait l’article 89 C. et le principe (constitutionnel !!) de souveraineté nationale, c’était un premier pas juridictionnel vers le ” gouvernement des juges “. Enfin, par sa décision 73-51 DC du 27 décembre 1973 (2e considérant), le Conseil constitutionnel élargit explicitement ce bloc constitutionnel à la Déclaration… de 1789. Éric Zemmour appela cela ” la version moderne du coup d’État permanent ” (Le Coup d’État des juges, 1997), un ” coup d’État juridictionnel ” (Le Suicide français, 2014),.
     

    • Descartes dit :

      @ Courouve

      [« La suppression de la charte de l’environnement et en général de l’ensemble des ajouts qui n’ont aucun rapport avec la fonction d’un texte constitutionnel. » Ce qui revient au rétablissement d’une Constitution stricto sensu et à l’abandon du bloc constitutionnel créé par le Conseil constitutionnel en 1971-1973.]

      Pas nécessairement. Le « bloc de constitutionnalité » s’appuie sur le préambule de la Constitution de 1958 : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ». Accorder aux deux textes mentionnés une valeur constitutionnelle n’est donc pas irrationnel.

      [ce bloc constitutionnel lui-même est difficilement révisable par le peuple français.]

      Absolument pas. Il suffirait d’une révision constitutionnelle qui supprimerait la mention des deux textes dans le préambule, ou qui préciserait que ceux-ci n’ont pas valeur constitutionnelle.

  10. Luc Laforets dit :

    Bonjour.
    Merci tout d’abord de ce post qui fait suite à l’entame de discussion du billet précédent. Malheureusement, je ne pourrai pas répondre avant la fin de la semaine prochaine, car j’ai d’autres obligations dans l’intervalle. Mais ce n’est que partie remise pour sûr.
    Excusez-moi pour ce contre-temps.
    Cordialement.
    Luc Laforets

    • Descartes dit :

      @ Luc Laforets

      [ Malheureusement, je ne pourrai pas répondre avant la fin de la semaine prochaine, car j’ai d’autres obligations dans l’intervalle.]

      Pas de problème, suis très patient…

  11. Patriote Albert dit :

    La juridicisation des rapports sociaux est incontestable. Le droit envahit tous les domaines de l’existence. On n’est pas loin de la mise en place de contrats délimitant les contours du consentement des amants lors de leurs ébats… Je suis d’ailleurs impressionné par le nombre de mes élèves de lycée (surtout des filles, d’ailleurs) qui souhaitent entreprendre des études juridiques. Je pense que l’aspect “scolaire” et irresponsable de la discipline joue un grand rôle dans son attrait : comme à l’école, il suffira d’appliquer les règles et ne rien décider ni créer.
     
    Michéa avait bien analysé comme les deux institutions du Droit et du Marché allaient constituer l’essentiel des rapports sociaux dans les sociétés libérales avancées. Il faisait remonter cette logique libérale à la crainte des guerres de religion, et de la volonté de préserver la vie à tout prix, en évacuant les transcendances meurtrières. Le paradoxe étant que la société libérale contemporaine à tout d’une société morbide : législations sur l’IVG et la fin de vie, prolifération de raisonnements type “après moi le déluge”, hausse massive de la consommation de drogue, baisse du désir d’enfants… Là aussi, une anecdote d’enseignant : mes élèves voulaient absolument organiser un débat sur la peine de mort, dans lequel les “pour” ont revendiqué sans ciller la mort de tous les violeurs et des assassins; lorsque je leur ai dit que cela risquait de faire du monde, j’ai eu droit comme réponse à : “de toutes façons on est trop nombreux sur Terre”. Tiens, il faudrait ajouter le malthusianisme écologique à la liste des pulsions de mort qui parcourent notre société.
    Sur l’aspect constitutionnel, il est sûr que l’impuissance du politique actuelle, si elle convient à bien des membres des classes supérieures, est en train d’excéder une partie de plus en plus importante de la population. D’où la hausse incessante dans les sondages des Français qui souhaitent l’avènement d’un pouvoir autoritaire. Est-il possible de revenir à la Ve République raisonnable que vous proposez ? La logique de cocotte minute dans laquelle nous sommes embarqués voudrait plutôt que l’explosion envoie la balance de l’autre côté, même si on ne voit pas quelles institutions appuieraient aujourd’hui un régime autoritaire. L’émergence d’une sorte de “Trump français”, qui chamboule tout dans le verbe sans aller aussi loin dans les faits, serait alors le scénario le plus vraisemblable.
     
     
    Hors-sujet, mais j’ai eu récemment lu plusieurs articles faisant état d’une vraie réussite du gouvernement de Giorgia Meloni en Italie : redressement économique, reconquête de marchés extérieurs, rétablissement de l’ordre public… et cote de popularité élevée. Cela prouve que des changements sont possibles lorsque le gouvernement élu fait preuve de volonté politique, mais également qu’il semble exister des marges de manoeuvres au sein de l’UE et de la zone euro, non ?

    • Descartes dit :

      @ Patriote Albert

      [Je suis d’ailleurs impressionné par le nombre de mes élèves de lycée (surtout des filles, d’ailleurs) qui souhaitent entreprendre des études juridiques. Je pense que l’aspect “scolaire” et irresponsable de la discipline joue un grand rôle dans son attrait : comme à l’école, il suffira d’appliquer les règles et ne rien décider ni créer.]

      Je ne suis pas persuadé que ce soit là l’origine de leur motivation. Je pense surtout qu’il y a une médiatisation des professions du droit qui contribue beaucoup à attirer les adolescents vers ces métiers. Des « court drama » venus d’outre-Atlantique aux différentes dramatiques françaises, on ne manque pas d’avocats dévoués et de juges intègres qui défendent la veuve et l’orphelin. A l’inverse, je vous mets au défi de trouver un seul personnage d’ingénieur dans une série ou une dramatique récente. Le juriste est le chevalier moderne. Comment une telle figure pourrait ne pas appeler aux adolescents ? Qui aujourd’hui ferait lire à ses élèves « la meilleure part », ou connaît même son existence ?

      Après, oui, il y a un élément de commodité. C’est un métier de bureau, on prend peu de risques, c’est bien payé… mais je trouve dur de dire que c’est un métier qu’on peut faire « sans rien créer ». J’aurais connu dans ma vie deux types de juristes : ceux qui vous expliquent pourquoi c’est impossible de faire ce que vous proposez, et ceux qui trouvent les moyens de le rendre possible. Et ceux-là ont besoin d’être très créatifs !

      [Le paradoxe étant que la société libérale contemporaine à tout d’une société morbide : législations sur l’IVG et la fin de vie, prolifération de raisonnements type “après moi le déluge”, hausse massive de la consommation de drogue, baisse du désir d’enfants… Là aussi, une anecdote d’enseignant : mes élèves voulaient absolument organiser un débat sur la peine de mort, dans lequel les “pour” ont revendiqué sans ciller la mort de tous les violeurs et des assassins; lorsque je leur ai dit que cela risquait de faire du monde, j’ai eu droit comme réponse à : “de toutes façons on est trop nombreux sur Terre”. Tiens, il faudrait ajouter le malthusianisme écologique à la liste des pulsions de mort qui parcourent notre société.]

      Je ne suis pas persuadé qu’on puisse rattacher cette dérive aux guerres de réligion – ça fait quand même un bail qu’elles sont terminées. Je pense surtout que c’est lié au développement de l’individualisme, qui aboutit aujourd’hui à cet individu-île qui ne reconnaît ni une dette envers ses ancêtres – c’est-à-dire, ne se conçoit plus comme un produit historique – ni une transcendance qui le dépasserait. Un tel individu ne peut que développer un égoïsme absolu, puisque le monde est né avec lui et disparaîtra avec lui. Et cet égoïsme apparaît comme une pulsion de mort : à quoi bon faire des enfants, à quoi bon nourrir des bouches inutiles, à quoi bon investir à long terme, puisqu’il n’y a dans l’univers que moi, moi, moi ?

      [Sur l’aspect constitutionnel, il est sûr que l’impuissance du politique actuelle, si elle convient à bien des membres des classes supérieures, est en train d’excéder une partie de plus en plus importante de la population. D’où la hausse incessante dans les sondages des Français qui souhaitent l’avènement d’un pouvoir autoritaire.]

      C’est bien là mon raisonnement. C’est l’exaspération liée à un pouvoir impuissant – pire, à un pouvoir qui organise sa propre impuissance – qui donne la force aux mouvements de renforcement des institutions. En ce sens, je pense que cette exaspération est fondamentalement positive, même si elle peut être dangereuse par ses excès.

      [Est-il possible de revenir à la Ve République raisonnable que vous proposez ? La logique de cocotte minute dans laquelle nous sommes embarqués voudrait plutôt que l’explosion envoie la balance de l’autre côté, même si on ne voit pas quelles institutions appuieraient aujourd’hui un régime autoritaire.]

      Justement. Je pense que la Vème, dans sa conception originale, était un « régime autoritaire », terme qui dans mon vocabulaire n’a nullement un sens péjoratif, et désigne simplement un régime qui repose sur une autorité forte, ayant les moyens de décider et de mettre en œuvre ses décisions.

      [L’émergence d’une sorte de “Trump français”, qui chamboule tout dans le verbe sans aller aussi loin dans les faits, serait alors le scénario le plus vraisemblable.]

      Je ne le pense pas. Le personnage de Trump s’inscrit dans une histoire politique qui est celle des Etats-Unis, avec ses « présidents-milliardaires ». Cette tradition n’a rien à voir avec la nôtre. Les Français veulent certes un pouvoir fort, et sont relativement disciplinés lorsqu’il s’agit de lui obéir, mais ne confient pas ce pouvoir à n’importe qui. En France, pour être élu, il faut d’abord rassurer.

      [Hors-sujet, mais j’ai eu récemment lu plusieurs articles faisant état d’une vraie réussite du gouvernement de Giorgia Meloni en Italie : redressement économique, reconquête de marchés extérieurs, rétablissement de l’ordre public… et cote de popularité élevée. Cela prouve que des changements sont possibles lorsque le gouvernement élu fait preuve de volonté politique, mais également qu’il semble exister des marges de manœuvre au sein de l’UE et de la zone euro, non ?]

      Pour reprendre la formule anglaise, je suis de ceux qui, quand ils voient jeter des fleurs, cherchent le cadavre. Je ne sais pas si le « miracle Meloni » est aussi clair qu’on le dit, et si les fondamentaux de ses succès sont sains où s’il s’agit plutôt d’un feu de paille. Sur les sujets industriels ou énergétiques, on ne peut pas dire qu’elle ait fait des miracles. Il y a certainement des améliorations, mais il faut dire que l’Italie partait d’une situation tellement désastreuse qu’il était difficile de faire pire.

      Cela étant dit, je pense qu’en politique il y a toujours des marges de manœuvre, et je me méfie de ceux qui prétendent que « on ne peut rien faire » – ou sa variante, « on ne peut rien faire si on ne change pas tout » – parce que c’est le prétexte idéal pour ceux qui ne veulent rien faire. Les règles européennes introduisent, il est vrai, d’énormes contraintes. Mais est-on obligé de les respecter ? On n’est pas obligés de jouer les bons élèves de l’UE, et sur beaucoup de sujets, si on va au clash, la Commission recule ou fait semblant de ne pas s’en apercevoir. Après tout, ce n’est pas comme si Bruxelles allait nous envoyer les chars…

      • Patriote Albert dit :

        [Je pense surtout qu’il y a une médiatisation des professions du droit qui contribue beaucoup à attirer les adolescents vers ces métiers. Des « court drama » venus d’outre-Atlantique aux différentes dramatiques françaises, on ne manque pas d’avocats dévoués et de juges intègres qui défendent la veuve et l’orphelin.]
        Les personnages de fiction issus du monde juridique ne sont pas nouveaux (la série à succès Ally Mac Beal, par exemple, date du tournant des années 2000) et pourtant, il y a une vraie inflation récente de vocations. Les élèves sont devenus très matérialistes, ils veulent un emploi sûr, pas trop compliqué et qui paye bien. Le droit, pour des élèves qui ont abandonné les matières scientifiques, semble remplir ces critères.
         
        [Je ne suis pas persuadé qu’on puisse rattacher cette dérive aux guerres de réligion – ça fait quand même un bail qu’elles sont terminées.]
        Je pensais à l’analyse de Michéa dans L’empire du moindre mal, qui explique la naissance du libéralisme au XVIIe siècle par la lassitude des conflits religieux. Il est vrai que le libéralisme actuel est en certains points éloigné du libéralisme classique des Smith et Locke.
         
        [Je ne sais pas si le « miracle Meloni » est aussi clair qu’on le dit, et si les fondamentaux de ses succès sont sains où s’il s’agit plutôt d’un feu de paille.]
        Il y a certes l’argent venu du plan de relance européen, dont l’Italie a pas mal bénéficié. Cependant, la réduction du déficit public est spectaculaire (de presque 4 points de PIB en une année !), l’Italie a un fort excédent commercial, le chômage est à un point bas depuis 20 ans et le PIB par habitant a rattrapé celui de la France. Et puis, le fait que le gouvernement Meloni dure et reste populaire est tout de même significatif. Pourquoi le système reste-t-il bloqué en France alors que les choses bougent de l’autre côté des Alpes ? Les élites italiennes seraient-elles plus patriotes que les françaises ?

        • Descartes dit :

          @ Patriote Albert

          [Les personnages de fiction issus du monde juridique ne sont pas nouveaux (la série à succès Ally Mac Beal, par exemple, date du tournant des années 2000) et pourtant, il y a une vraie inflation récente de vocations.]

          Aux Etats-Unis, certainement. Mais en France je ne me souviens pas d’en avoir vu de telles séries aux heures de grande écoute il y a vingt ou trente ans. En France, la série en question ne passe pas sur une chaîne de grande écoute. Par ailleurs, elle ne fait pas des questions juridiques le nœud de l’intrigue, centrée plutôt sur les problèmes sentimentaux des personnages. Contrairement par exemple à l’excellente « New York, police judiciaire » qui est bien plus prolixe sur le fonctionnement de la justice. Ces séries arrivent chez nous à la fin des années 1990 mais n’ont pas beaucoup de succès, et restent cantonnées aux chaines du cable. Elles connaissent un « revival » dans les années 2020. Mais cela reste très américains. Les premières séries françaises sur la question sont beaucoup plus récentes.

          [Les élèves sont devenus très matérialistes, ils veulent un emploi sûr, pas trop compliqué et qui paye bien. Le droit, pour des élèves qui ont abandonné les matières scientifiques, semble remplir ces critères.]

          Mais est-ce vraiment le cas ? Je ne sais pas si les juristes gagnent aussi bien leur vie que ça. Il y a certainement des grands avocats qui gagnent beaucoup d’argent, mais pour cela il faut quand même beaucoup de boulot et pas mal de talent.

          [Pourquoi le système reste-t-il bloqué en France alors que les choses bougent de l’autre côté des Alpes ? Les élites italiennes seraient-elles plus patriotes que les françaises ?]

          Elles sont certainement plus aventureuses. Et pour ce qui concerne les élites économiques, elles sont moins dépendantes de l’Etat. L’aversion au risque de nos élites est quand même extraordinaire.

  12. Thomas dit :

    Bonjour Descartes, ferez-vous un papier sur ”l’accord historique” avec la Nouvelle Calédonie ? Je dois dire que cet espèce de mutant de nationalités liées me laisse perplexe et consterné.

    • Descartes dit :

      @ Thomas

      [Bonjour Descartes, ferez-vous un papier sur ”l’accord historique” avec la Nouvelle Calédonie ?]

      Probablement, même si aujourd’hui je ne vois pas très bien ce qu’on pourrait écrire. Lorsqu’on lit l’accord en détail, on voit combien les concessions symboliques faites aux indépendantistes sont enveloppées par une totale ambigüité sur le fond. On parle d’une “nationalité calédonienne”, mais à la lecture du texte on voit mal quels sont les droits et devoirs qui y sont attachés. On parle d’un “Etat de Calédonie” sans qu’on comprenne très bien ce que cette notion aurait comme effet.

      Si j’avais à dire quelque chose sur cet accord, c’est qu’il illustre à la perfection la disparition de ce qu’on peut appeler “l’esprit de système”. Nos élites politiques sont incapables de penser en termes de système, ils ne pensent qu’en termes de cas particuliers. Valls, qui en métropole se présente volontiers comme le dernier jacobin, est prêt pour une question de pure opportunité à donner un coup de canif au principe d’indivisibilité de la République. Se multiplient ainsi les raisonnements “ad hoc”, avec des principes flexibles en fonction des contraintes de telle ou telle situation particulière. Et du coup, par accumulation d’exceptions, notre système administratif et juridique devient de plus en plus incohérent, de plus en plus illisible.

      Demain, les indépendantistes corses vont demander un “Etat de Corse” et une “nationalité corse”. Avec quel raisonnement pourra-t-on leur refuser, alors qu’on l’aura accordé aux Calédoniens ?

      • CVT dit :

        @Descartes,

        [Valls, qui en métropole se présente volontiers comme le dernier jacobin, est prêt pour une question de pure opportunité à donner un coup de canif au principe d’indivisibilité de la République.]

        J’aurais tendance à dire que c’est Valls le catalan qui s’exprime, dans ce concept foireux (et je pèse mes mots) de “nationalité calédonienne”: ça me rappelle l’acception espagnole du terme, pays défini comme “una naçion de naçiones”, si ma mémoire est bonne. Les régions en Espagne sont très largement autonomes, et en mauvais Français mais bon Espagnol, Valls a peut-être essayé de faire passer cette idée en contrebande…
         
        Quant à la nature de cet “accord de Bougival”, c’est vraiment le pire de tous: trois référendums ont été piétinés, ainsi que notre Constitution pour faire plaisir aux pires aigrefins kanaks, trop contents de racketter une République décidément bonne fille. Je suis prêt à parier que mêmes les “indépendantistes” ne voudront pas quitter le giron français, avec un tel régime d’autonomie si favorable, où  c’est encore Nicolas qui va payer…

        • Descartes dit :

          @ CVT

          [J’aurais tendance à dire que c’est Valls le catalan qui s’exprime, dans ce concept foireux (et je pèse mes mots) de “nationalité calédonienne”: ça me rappelle l’acception espagnole du terme, pays défini comme “una naçion de naçiones”, si ma mémoire est bonne. Les régions en Espagne sont très largement autonomes, et en mauvais Français mais bon Espagnol, Valls a peut-être essayé de faire passer cette idée en contrebande…]

          Peut-être. Valls connaît certainement très bien l’organisation politique de l’Espagne, et il est possible qu’il ait vu dans le modèle des « autonomias » un moyen de sortie de crise en Nouvelle Calédonie. Mais je pencherais pour une explication plus simple : il fallait désespérément à Valls un accord. Il était donc prêt à toutes les concessions symboliques. Son problème était plutôt de faire plaisir aux indépendantistes sans se mettre à dos les caldoches. Et pour cela, il a utilisé la bonne vieille méthode du « je vous ai compris ».

          [Je suis prêt à parier que mêmes les “indépendantistes” ne voudront pas quitter le giron français, avec un tel régime d’autonomie si favorable, où c’est encore Nicolas qui va payer…]

          C’est une évidence. L’exemple des Comores est je pense bien présent dans la tête des « indépendentistes » de tout poil. En fait, « l’indépendantisme » moderne consiste essentiellement à vouloir garder les droits du citoyen français et de s’affranchir des devoirs, de recevoir l’argent de la solidarité nationale et de pouvoir le dépenser sans contraintes. Et malheureusement, nos hommes politiques, pour ne pas faire de vagues, sont prêts à accorder des « statuts d’autonomie » qui organisent ce type de comportement.

  13. Glarrious dit :

    [La plupart des gens pensent que c’est une question de hiérarchie : dans la hiérarchie des normes, le décret s’impose à l’arrêté, la loi au décret, la constitution à la loi.]
     
    Dans la hiérarchie des normes, il y a les lois qui elles-mêmes se divisent en deux parties, la loi ordinaire et la organique. Je me demandais en quoi consiste une loi organique ?
     
    [C’est pourquoi, alors que la plupart des projets de « VIème République » proposent un retour à la IVème (ce qui en déjà le cas en pratique), ma proposition serait plutôt un retour à l’esprit et la lettre de la Vème République. Autrement dit :]
     
    Dans votre proposition, vous ne remettez pas en cause la LOLF. Pourtant un retour aux ordonnances de 1959 permettrait de revenir à l’esprit de la Vème République.

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Dans la hiérarchie des normes, il y a les lois qui elles-mêmes se divisent en deux parties, la loi ordinaire et la organique. Je me demandais en quoi consiste une loi organique ?]

      Oui, il y a des sous-catégories dans la loi (loi organique, loi simple) mais aussi parmi les décrets (décret en conseil des ministres, décret en conseil d’Etat, décret simple). Le cas des lois organiques est très particulier : ce sont des lois qui d’une certaine manière sont des « annexes » de la Constitution. Leur but est de préciser l’application de certaines dispositions constitutionnelles. On ne peut faire une « loi organique » que si celle-ci est prévue par la Constitution elle-même. Ainsi, l’élection du président de la République (article 6), les emplois dont la nomination doit être arrêtée en conseil des ministres (article 13), la durée du mandat des assemblées et leur mode d’élection (article 25), la procédure d’élaboration des lois de finances (article 34) doivent être fixées par des lois organiques.

      Et puisque la loi organique détermine l’application de la constitution, son élaboration est soumise à des règles particulières : une loi organique doit être adoptée en respectant des délais particuliers et dans les mêmes termes par les deux assemblées, et en cas de désaccord l’Assemblée ne peut avoir le dernier mot qu’à la majorité absolue de ses membres. Une fois votée, elle ne peut être promulguée qu’après avoir été déclarée conforme à la Constitution par le conseil constitutionnel (article 46).

      [Dans votre proposition, vous ne remettez pas en cause la LOLF. Pourtant un retour aux ordonnances de 1959 permettrait de revenir à l’esprit de la Vème République.]

      Je suis sentimentalement attaché au texte de « l’ordonnance organique » ( !?) de 1959 relative aux lois de finances. C’est un texte à la fois simple, précis et remarquablement esthétique. Mais la LOLF de 2001 n’est pas, en elle-même, contraire à l’esprit de la Constitution. Elle part même d’un très bon sentiment, celui d’organiser la dépense autour des « programmes » de l’action publique, et non de l’organisation administrative chargée de les exécuter. Mais la pratique a fait qu’on est revenu au fonctionnement de l’ordonnance organique, avec un étage de complexité en plus.

  14. Glarrious dit :

    @Descartes
    [Ca se discute. Au deuxième tour, les électeurs du NFP ont voté pour des candidats LR, Horizons, Modem ou macronistes qui ont voté pour le projet, plutôt que de laisser gagner les candidats RN qui, eux, avaient voté unanimement contre. Comment expliquer ce vote, sauf à admettre que la question de la réforme des retraites n’était pas prioritaire dans leur choix ?]
     
    Si j’ai bien compris votre analyse, la question (je ne sais pas il y avait plusieurs questions) lors des derniers législatives était ,selon les français, de mettre le RN au pouvoir ou non ?
     

    • Descartes dit :

      @ Glarrious

      [Si j’ai bien compris votre analyse, la question (je ne sais pas il y avait plusieurs questions) lors des derniers législatives était ,selon les français, de mettre le RN au pouvoir ou non ?]

      Exact. C’était la question prioritaire, et toutes les autres passaient derrière. Les électeurs LFI ont fait élire Elisabeth Borne et Aurélien Rousseau, les deux figures symboliques du passage en force de la réforme des retraites. Comment expliquer ce vote, sauf à admettre que le critère fondamental qui guidait leur vote n’était pas le rejet de la réforme… ?

  15. Halgand dit :

    [«Les classes dominantes organisent progressivement l’impuissance des institutions »]
    C’est clair. Les classes dominantes sont viscéralement « girondines » en acceptant la soumission de notre pays depuis plus de trente ans aux oukases bruxelloises. Que leur importe la souveraineté des français dans leur propre pays s’ils perçoivent, en contre-partie de cet abandon, de considérables dividendes (voir la hausse des 500 premières fortunes). Votre vœu est de mettre en place un pouvoir fort sans réel contre-pouvoir (puisque, selon vous, les 49.3 seraient « open bar »…). Ceci alors que les médias, pourtant essentiels à la formation à l’esprit critique des citoyens, demeurent aux mains d’une petite poignée de milliardaires pro-mondialistes qui ont la capacité d’invisibiliser ou de massacrer socialement quiconque aurait l’outrecuidance d’infirmer leur narratif pro-bizness au moyen de leur armée de chiens de garde. Comment, dans ces conditions croire possible de parvenir à porter au pouvoir un exécutif fort avec l’assentiment des citoyens pour lui restituer sa « souveraineté » ? Pour ne prendre qu’un exemple emblématique, il aura fallu subir des millions de morts, blessés graves, ruines, destructions et privations pour parvenir à arracher au pouvoir de la caste dominante l’immense avancée dénommée « Sécurité Sociale » il y a 80 ans. Mais même cette avancée est en voie d’être complètement saccagée à la demande de « BusinessEurope » via « les recommandations faites à la France », chaque année depuis au moins 2011, par la Commission Européenne dans le but de faire place aux forces du marché. Pourquoi, dans ce contexte continuer de parler de notre constitution alors qu’elle a été violée, notamment avec Maastricht en 1992, et vidée depuis de sa substance par des puissances étrangères ? N’est-ce pas se cantonner à se préoccuper du sexe des anges au moment où sombre notre pays ? Les collaborateurs pétainistes ne sont pas morts et enterrés à l’île d’Yeu : ils ont prospéré et repris le pouvoir. Le premier président de la Commission Européenne n’était pas n’importe quel nazi : Walter Hallstein a été nommé personnellement par Adolf Hitler comme représentant nazi pendant les négociations d’État avec l’Italie fasciste entre le 21 et 25 juin 1938 afin de mettre en place un cadre juridique pour la «Nouvelle Europe» qui avait vocation à supprimer les frontières, ligoter les pays dominés et créer un vaste Empire où l’axe Berlin-Rome appliquerait sa politique… Toute ressemblance avec la situation actuelle n’est aucunement fortuite ! La seule différence c’est que, bénéficiant de la capitulation, les États-Unis se sont substitués au 3ème Reich pour piloter et tirer le plus grand bénéfice de cet organisation. Dans cette configuration désespérante, je me dis qu’un pouvoir fort (national) ne pourrait aboutir qu’à donner encore plus de pouvoir à ceux qui se sentent contraints par les faibles institutions qui les embarrassent encore. Feu les DP et CHCST sont déjà passés à la trappe et il faudrait encore accepter les quelques barricades de fortunes qui pourraient encore tenir debout face au rouleau compresseur qui nous écrase ? Mauvaise idée. Je préconise plutôt et en tout premier lieu de:
    1 : soutenir la seule personnalité politique de notre pays à être claire et constante dans sa demande de sortir de l’UE, L’€ (son bras armé économique) et l’OTAN (son bras armé états-unien qui nous pousse à la guerre) depuis 18 ans.
    2 : re-relire, s’inspirer et soutenir le magnifique programme du CNR.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Halgand

      [Votre vœu est de mettre en place un pouvoir fort sans réel contre-pouvoir (puisque, selon vous, les 49.3 seraient « open bar »…).]

      Pardon : le recours à l’article 49.3 n’empêche en rien le fonctionnement des « contre pouvoirs ». Les députés restent libres de voter une motion de censure, et dans ce cas le projet de loi concerné est rejeté et le gouvernement censuré. Ce n’est nullement « open bar », mais plutôt un mécanisme de responsabilité. Le gouvernement qui estime le vote d’un projet de loi indispensable à la conduite de son projet met le Parlement devant ses responsabilités. Si les députés estiment que le projet est mauvais pour le pays, ils votent la censure. Si le président estime que le vote du Parlement n’est pas conforme à la volonté du peuple, il dissout l’Assemblée. Et alors, c’est le peuple qui tranche.

      [Ceci alors que les médias, pourtant essentiels à la formation à l’esprit critique des citoyens, demeurent aux mains d’une petite poignée de milliardaires pro-mondialistes qui ont la capacité d’invisibiliser ou de massacrer socialement quiconque aurait l’outrecuidance d’infirmer leur narratif pro-bizness au moyen de leur armée de chiens de garde. Comment, dans ces conditions croire possible de parvenir à porter au pouvoir un exécutif fort avec l’assentiment des citoyens pour lui restituer sa « souveraineté » ?]

      Il ne faut pas exagérer le pouvoir des médias. Souvenez-vous du référendum de 2005. Alors que tous les médias ou presque ont massacré tous ceux qui s’opposaient à la ratification du TCE, le « non » l’a emporté confortablement. Même chose lors du référendum sur le Brexit en Grande Bretagne. Même chose lors de l’élection présidentielle en Roumanie.

      [Pourquoi, dans ce contexte continuer de parler de notre constitution alors qu’elle a été violée, notamment avec Maastricht en 1992,]

      En quoi notre constitution a-t-elle été « violée avec Maastricht en 1992 » ? Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel avait, lorsqu’il avait été consulté, déclaré que le traité étant contraire à la Constitution, il fallait modifier cette dernière pour permettre sa ratification. Cette modification a fait l’objet d’un référendum où le « oui » l’a emporté, en grande partie grâce à l’extrême gauche…

      [(…) et vidée depuis de sa substance par des puissances étrangères ?]

      Là encore, il ne faut pas exagérer. La Constitution est loin d’être « vidée de sa substance ». Elle reste d’ailleurs le seul rempart juridique à l’heure actuelle contre la toute puissance de Bruxelles, puisque les juridictions françaises estiment les textes européens supérieurs à tout acte juridique national… à l’exception de la Constitution.

      [Dans cette configuration désespérante, je me dis qu’un pouvoir fort (national) ne pourrait aboutir qu’à donner encore plus de pouvoir à ceux qui se sentent contraints par les faibles institutions qui les embarrassent encore.]

      Je ne vois pas très bien quel est votre raisonnement.

      [Feu les DP et CHCST sont déjà passés à la trappe et il faudrait encore accepter les quelques barricades de fortunes qui pourraient encore tenir debout face au rouleau compresseur qui nous écrase ? Mauvaise idée.]

      De quelles « barricades de fortune » parlez-vous ? J’avoue que j’ai beaucoup de mal à suivre votre raisonnement. La Constitution est loin d’être une « barricade de fortune ». Derrière elle, c’est l’organisation des institutions politiques qui apparaît. Pensez-vous qu’on puisse résister au « rouleau compresseur » en question sans institutions ?

      [Je préconise plutôt et en tout premier lieu de:
      1 : soutenir la seule personnalité politique de notre pays à être claire et constante dans sa demande de sortir de l’UE, L’€ (son bras armé économique) et l’OTAN (son bras armé états-unien qui nous pousse à la guerre) depuis 18 ans.]

      Et cela changera quoi ? Je trouve assez amusant ce commentaire : après avoir brocardé ceux qui acceptent des « barricades de fortune », vous proposez de soutenir le personnage qui se soumet par avance aux traités européens pour organiser sa sortie de l’UE et de l’Euro, procédure qui rend une telle sortie pratiquement impossible…

      • Bob dit :

        @ Descartes et Halgand
         
        [Même chose lors du référendum sur le Brexit en Grande Bretagne. Même chose lors de l’élection présidentielle en Roumanie.]
         
         
        Même chose lors de la 1ère élection de Trump, de mémoire environ 200 titres de presse pour H. Clinton, moins d’une dizaine pour Trump. 
         
        [pour organiser sa sortie de l’UE et de l’Euro, procédure qui rend une telle sortie pratiquement impossible]
         
        La Grande-Bretagne a réussi à le faire il me semble.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [« pour organiser sa sortie de l’UE et de l’Euro, procédure qui rend une telle sortie pratiquement impossible » La Grande-Bretagne a réussi à le faire il me semble.]

          Vous faites erreur. La Grande Bretagne a quitté l’UE, mais n’a pas eu à sortir de l’Euro, puisqu’elle n’y était jamais entrée. Or, cela change tout, parce que la procédure de l’article 40 du TFUE donne deux ans aux spéculateurs de tout poil pour jouer contre le pays. En matière monétaire, il faut pouvoir agir très vite.

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [La Grande Bretagne a quitté l’UE, mais n’a pas eu à sortir de l’Euro, puisqu’elle n’y était jamais entrée]
             
            C’est vrai. J’avais “zappé” le mot “Euro” (ce qui change tout, j’en conviens).
             

  16. Luc Laforets dit :

    LUTTE DE CLASSES
    « Les vices de notre société ne viennent plus de l’ignorance, pas plus que de la domination d’une classe sur l’autre, mais d’une organisation institutionnelle qui empêche la véritable démocratie de fonctionner. »
    Vous affirmez que ceux qui choisissent de combattre sur le terrain constitutionnel ignorent que la société est gouvernée par la lutte des classes, par les rapports de forces entre les classes sociales. Vous avez sans aucun doute raison pour une partie d’entre eux. Il en est même qui se positionnent sur ce créneau en vue de défendre le système capitaliste en place.
    Pourtant, ce n’est pas le cas de tout le monde, comme pour ce qui nous concerne à 1P6R (Une Perspective – la 6ème République). Écoutez bien Étienne Chouard par exemple, et vous verrez qu’il ne fait pas non plus partie de ces naïfs.
    Nous nous rejoignons lorsque vous dites aussi qu’il ne suffit pas de changer la loi, même suprême, pour que la réalité en soit changée.
    « La société est d’abord organisée par des rapports de force entre les classes sociales, et le droit ne fait qu’organiser ces rapports de force »
    Là encore, vous avez historiquement raison pour les modèles de sociétés où il y a une classe dominante. Une seule classe sociale qui domine toutes les autres. Une situation qui existe depuis l’apparition des classes sociales, c’est-à-dire à minima à partir du néolithique.
     
    Là où la situation est différente, c’est lorsque l’on sort des modèles à une seule classe dominante. Comme c’est le cas du modèle de société que 1P6R propose, où il y a deux classes sociales prédominantes qui sont en opposition-coopération permanente. Dans ce cas, la mise en place des règles du jeu entre les classes est un PRÉALABLE à ce qu’un tel modèle puisse être instancié. Puisqu’il s’agit de mettre en œuvre une alliance entre classes de forces équivalentes ayant certains intérêts convergents, mais également d’autres qui sont divergents. En l’occurrence, entre la Petite Bourgeoisie d’une part et le Salariat-Prolétariat de l’autre.
     
    La Constitution devient le cœur de cette alliance. Sa matérialisation. Une voie concrète apte à instaurer le pont droite-gauche (les vraies) : Le seul en mesure de renverser durablement le régime capitaliste où la Haute Bourgeoisie est dominante (Cf. le Référendum de 2005).

    • Descartes dit :

      @ Luc Laforets

      [Vous affirmez que ceux qui choisissent de combattre sur le terrain constitutionnel ignorent que la société est gouvernée par la lutte des classes, par les rapports de forces entre les classes sociales. Vous avez sans aucun doute raison pour une partie d’entre eux. Il en est même qui se positionnent sur ce créneau en vue de défendre le système capitaliste en place.]

      Pas du tout. Ce que je dis, c’est que ceux qui pensent pouvoir chanter le mode de production en changeant la constitution ignorent… etc. Je n’ai rien contre ceux qui choisissent de combattre sur le terrain constitutionnel. Mais si l’on fait ce choix, il faut être conscient des limites du combat qu’on engage. Ce n’est pas en changeant les institutions qu’on change le mode de production.

      [Pourtant, ce n’est pas le cas de tout le monde, comme pour ce qui nous concerne à 1P6R (Une Perspective – la 6ème République). Écoutez bien Étienne Chouard par exemple, et vous verrez qu’il ne fait pas non plus partie de ces naïfs.]

      Je n’ai jamais entendu Chouard faire une analyse en termes de classe. Pourriez-vous peut-être m’indiquer une référence ?

      [Nous nous rejoignons lorsque vous dites aussi qu’il ne suffit pas de changer la loi, même suprême, pour que la réalité en soit changée.]

      Nous sommes donc d’accord sur le fait que changer la constitution ne permettra pas de créer la société « à deux classes » (voir ci-dessous) que vous réclamez ?

      [« La société est d’abord organisée par des rapports de force entre les classes sociales, et le droit ne fait qu’organiser ces rapports de force » Là encore, vous avez historiquement raison pour les modèles de sociétés où il y a une classe dominante. Une seule classe sociale qui domine toutes les autres. Une situation qui existe depuis l’apparition des classes sociales, c’est-à-dire à minima à partir du néolithique. Là où la situation est différente, c’est lorsque l’on sort des modèles à une seule classe dominante.]

      Mais par quel miracle pensez-vous « sortir du modèle » ? Si depuis le néolithique les modes de production successifs ont permis à une classe de dominer les autres, il y a une raison, et cette raison se trouve dans la STRUCTURE, autrement dit, dans l’organisation de la production. On peut toujours rêver à des sociétés « à deux classes » (ou à trois, cinq, sept…) en équilibre… mais à quel mode de production une telle division correspond-t-elle ? Où voyez-vous un signe que le capitalisme soit sur le point de céder la place à ce type de mode de production ?

      Avec votre modèle « à deux classes sociales », vous bâtissez un château dans l’air. On ne voit nulle part dans votre raisonnement à quelle structure de production ce type de modèle peut correspondre. Après avoir admis que le changement de constitution ne change pas la réalité, vous persistez à penser que vous pouvez bâtir votre société « à deux classes » par décret…

      [Dans ce cas, la mise en place des règles du jeu entre les classes est un PRÉALABLE à ce qu’un tel modèle puisse être instancié.]

      Non. Le seul « préalable », est que cet « arrangement » corresponde à la réalité du mode de production. Or, on ne voit pas quel mode de production pourrait produire deux classes ayant le type de rapport que vous souhaiteriez établir.

      [Puisqu’il s’agit de mettre en œuvre une alliance entre classes de forces équivalentes ayant certains intérêts convergents, mais également d’autres qui sont divergents. En l’occurrence, entre la Petite Bourgeoisie d’une part et le Salariat-Prolétariat de l’autre.]

      Pourriez-vous m’indiquer quels sont les intérêts « convergents » entre la « petite bourgeoisie » et le « salariat-prolétariat » ?

      [La Constitution devient le cœur de cette alliance.]

      Mais d’où tirez-vous l’idée que ces deux « classes » souhaitent une alliance ? L’expérience des quarante dernières années vous montrent exactement le contraire. La « petite bourgeoisie » (encore faudrait-il la définir précisément) est très satisfaite de s’allier plutôt avec la grande bourgeoisie. Je vous le répète : vous fondez votre raisonnement sur une « convergence » qui n’existe pas, et vous imaginez pouvoir la forcer par le biais d’une réforme constitutionnelle.

      • Luc Laforets dit :

        Descartes dit : 16 juillet 2025 à 16 h 36 min
        [Ce n’est pas en changeant les institutions qu’on change le mode de production.]
        J’ajouterais le mot « seulement » à votre phrase. Bien entendu, toutefois, c’est un levier. À mon sens, le levier essentiel dans la période actuelle, pour des raisons que nous discutons ici un peu plus loin.
        [Je n’ai jamais entendu Chouard faire une analyse en termes de classe. Pourriez-vous peut-être m’indiquer une référence ?]
        À propos de sa conscience des forces sociales, voici une référence récente https://youtu.be/n8odLk59r0g?t=158 et vous en trouverez plus sur son site https://www.chouard.org/.
        NB : Je n’ai jamais dit pour autant que Chouard avait une démarche pleinement satisfaisante, en particulier sur la question des classes sociales et de leur prise en compte. C’est même une de mes critiques principales à son endroit.
        [Nous sommes donc d’accord sur le fait que changer la constitution ne permettra pas de créer la société « à deux classes » (voir ci-dessous) que vous réclamez ?]
        Cela ne suffit pas, mais c’est une condition. Par exemple, se mettre d’accord entre la droite et la gauche sur des règles du jeu communes, sur une Constitution, pourrait constituer la base d’une alliance populaire très large, apte sans le moindre doute à changer le régime politique et économique. En France aujourd’hui, une telle alliance électorale écraserait le centre dans des proportions considérables.   C’est ce qu’a démontré le référendum de 2005, sur un sujet constitutionnel, ce qui est tout sauf un hasard.
        C’est toute l’histoire du CNR, par exemple, et du programme des « jours heureux » de nature constitutionnelle (1) et de résistance (2). C’est-à-dire en même temps en se fixant un objectif commun (1) et des modalités d’actions concrètes, pratiques pour y parvenir (2).
        Notez bien ici que la haine de « l’extrême-droite » comme l’appelle conjointement le système et LFI notamment, sans jamais se poser la question des classes sociales sous-jacentes, est la garantie, l’assurance-vie du capitalisme pour se maintenir en place en France et ailleurs. Ainsi, la gôche, fait objectivement le jeu du grand capital, ce qui au fond n’est guère étonnant puisqu’elle manifeste ainsi sa véritable nature « d’aristocratie ouvrière », pour reprendre une expression des anciens (cf. https://1p6r.org/1p6r/la-barbarie-qui-vient/chronique-des-barbaries-20220803/).
        [Mais par quel miracle pensez-vous « sortir du modèle » ?]
        Les modalités peuvent être multiples. Le tout est d’enclencher une spirale vertueuse, inverse de celle décadente actuelle, donc apte à susciter une large adhésion. Je viens d’en évoquer une par une alliance de nature électorale. Je peux en identifier 3 autres sans que cette liste ne prétende être complète :
        (A) En France, un futur mouvement de type Gilets Jaunes, pourrait se saisir de la question constitutionnelle, dont le RIC est un élément, pour organiser un Référendum Citoyen. Cela offrirait à la fois une action commune, sans qu’il y ait besoin de chef charismatique ni d’affrontement de rue, et tracerait un chemin sur lequel s’engager.
        (B) Ailleurs, voyez comme la Tunisie, le Nicaragua et d’autres ont été à la recherche d’une nouvelle Constitution à la suite de mouvements populaires. Une Constitution prête à l’emploi adossée à ce modèle de société pourrait être adoptée et adaptée par ces mouvements.
        (C) Enfin, il n’est pas exclu que des leaders en place particulièrement éclairés, se rendant compte de l’impasse où ils se trouvent, recherchent une voie alternative. Je pense à un Bachar el-Assad, lorsqu’il est arrivé au pouvoir en Syrie, ou à d’autres actuellement en fonction. Ils pourraient s’en saisir, à la manière d’un Pierre le Grand dans la Russie au XVIIIème siècle.
        [à quel mode de production une telle division [en 2 classes principales] correspond-t-elle ?]
        Quel nom donner à ce nouveau mode de production ? J’avoue que le seul vocable que j’avais trouvé est bien moche : Le mieuxisme (cf. https://1p6r.org/1p6r/la-barbarie-qui-vient/chronique-des-barbaries-20211203/).
        Le Taijituisme sera pas mal.
        [Où voyez-vous un signe que le capitalisme soit sur le point de céder la place à ce type de mode de production ?]
        L’émergence et la réémergence périodique de tentatives de 3ème Voie. Quelques exemples : Péron, De Gaulle, Khadafi hier, la Chine, la Russie et même l’Iran d’aujourd’hui. Ils sont tous des essais de concilier capitalisme et socialisme, de maintenir un consensus de classes (et de pays à l’échelle internationale). L’efficacité de ce modèle est particulièrement patente pour la Chine et la Russie, où cette dernière est capable dans la guerre en Ukraine à la fois de tenir un cap industriel, mais aussi de susciter une effervescence d’initiatives de petites entreprises innovantes (drones notamment). C’est ce que j’appelle la 3ème Voie++. Des prémices de la société future étayant que cette tendance s’inscrit dans le sens de l’histoire.
        Toutefois, ces tentatives sont toutes vouées à l’échec, car d’une part, elles nécessitent un maintien du consensus de classes par l’autorité de l’État et, d’autre part, car elles ne modélisent pas jusqu’au bout le concept économico-social sous-jacent et sont ainsi inaptes à susciter une large adhésion sentimentale. C’est précisément ce qu’apporte la 4ème Voie : Une Constitution, notamment, exprimant clairement et pleinement ce modèle de société.
        [Le seul « préalable », est que cet « arrangement » corresponde à la réalité du mode de production.]
        La question du préalable est cruciale. Au fond, ce qu’il y a de commun à la vraie droite (issue de la petite et moyenne bourgeoisie) et à la vraie gauche (émanation du salariat-prolétariat), c’est la volonté que l’Homme soit maitre de son destin, que par ses choix, politiques, il dirige la société. Que ce soit le politique qui domine l’économique et non l’inverse, comme c’est le cas de nos jours.
        Ainsi, à contrario des modèles de société antérieurs donc, l’avènement de la 4ème Voie ne peut être que le résultat d’un choix politique. Ce fut, par exemple, celui fait par Deng Xiaoping il y a quelques décennies pour engager son pays dans la 3ème Voie ++, ce qui ne peut être que confirmé et amplifié pour la 4ème Voie.
        [Pourriez-vous m’indiquer quels sont les intérêts « convergents » entre la « petite bourgeoisie » et le « salariat-prolétariat » ?]
        Leur exploitation par la Haute-Bourgeoisie.
        [Mais d’où tirez-vous l’idée que ces deux « classes » souhaitent une alliance ?]
        Elles ne le souhaitent pas spontanément, même si la porosité entre ces deux classes est évidente. L’idéologie bourgeoise dominante, dont la propagande médiatique est le vecteur, se charge de maintenir la Petite Bourgeoisie dans le sillage de la Haute Bourgeoisie (d’où les étiquettes extrême-droite, populiste, complotiste, etc.). Mais, cela a des limites, car la réalité de l’exploitation et de la spoliation finit toujours par percoler, surtout en période de crise.
        Les mouvements politiques souverainistes sont des occurrences de cette opposition entre Petite Bourgeoisie (nationale) et la Haute Bourgeoisie (mondialiste).
        En outre, constatons qu’à gauche, notamment marxiste, tout est fait pour que cette convergence n’intervienne pas. Alors elle se fait par la base, puisqu’aujourd’hui la plupart des ouvriers votent pour le RN (voir ci-dessus à propos de « l’aristocratie ouvrière »). La convergence que vous niez existe donc bel et bien dans les faits.
        Les moments historiques de changement de système surviennent lorsque les « couches sociales intermédiaires » basculent en s’alliant avec celles du dessous. C’est ce type d’alliance que propose la 4ème Voie.
        [La « petite bourgeoisie » (encore faudrait-il la définir précisément) est très satisfaite de s’allier plutôt avec la grande bourgeoisie.]
        En temps ordinaire, vous avez globalement raison. Le problème, c’est que le capitalisme est en crise permanente. En crise terminale même, comme je le démontre dans mon dernier livre (https://1p6r.org/la-crise-terminale-du-capitalisme/). Une crise générant des phénomènes centrifuges.
        Reste la question de la définition précise de la Petite Bourgeoisie. D’abord, on pourrait la définir comme la classe de ceux tirant une part significative de leurs revenus du capital, tout en n’étant pas en mesure de l’accumuler de manière suffisante pour changer de condition.
        Cette classe est très diverse. Une partie est directement dépendante du grand capital. Ce sont les cadres des grandes entreprises ou les fonctionnaires, surtout ceux de haut rang. Ils ont partie liée avec la Haute Bourgeoisie de manière intrinsèque. Mais il existe également tout un réseau de (très) petites et moyennes entreprises et commerces qui sont exploités et spoliés par cette même Haute Bourgeoisie mondialisée. Je vous suggère, pour une analyse plus détaillée, de vous reporter à l’article de Denis Collin : Les métamorphoses de la petite bourgeoisie radicalisée dans Socialisme pour les temps nouveaux – Numéro 1.

        • Descartes dit :

          @ Luc Laforêts

          [« Ce n’est pas en changeant les institutions qu’on change le mode de production. » J’ajouterais le mot « seulement » à votre phrase. Bien entendu, toutefois, c’est un levier.]

          Pourriez-vous donner un exemple, un seul, ou le « changement des institutions » ai été un levier pour changer le mode de production ?

          [« Je n’ai jamais entendu Chouard faire une analyse en termes de classe. Pourriez-vous peut-être m’indiquer une référence ? » À propos de sa conscience des forces sociales, voici une référence récente https://youtu.be/n8odLk59r0g?t=158 et vous en trouverez plus sur son site https://www.chouard.org/.%5D

          J’ai regardé et, franchement, je ne me souvenais pas que Chouard était aussi délirant. Et je persiste et signe : il n’y a chez lui aucune référence à une analyse en termes de classe. Pire : on y trouve un document (https://www.chouard.org/wp-content/uploads/2022/04/000_Diapos_ateliers_constituants.pdf) où l’on peut lire explicitement que les « inégalités sociales » ont pour origine une « mauvaise constitution ». En fait, il se place dans la vision idéaliste d’un La Boetie : « Soyez résolu de ne plus servir, et vous voilà libre ». Le fait qu’il faille passer par le royaume de la nécessité pour accéder au royaume de la liberté ne semble pas l’effleurer. Or, c’est la le fondement de toutes les civilisations humaines : la manière dont on organise la production pour satisfaire les besoins humains et assurer la reproduction sociale.

          [« Nous sommes donc d’accord sur le fait que changer la constitution ne permettra pas de créer la société « à deux classes » (voir ci-dessous) que vous réclamez ? » Cela ne suffit pas, mais c’est une condition. Par exemple, se mettre d’accord entre la droite et la gauche sur des règles du jeu communes, sur une Constitution, pourrait constituer la base d’une alliance populaire très large, apte sans le moindre doute à changer le régime politique et économique.]

          Je ne sais pas ce que vous appelez « le régime économique ». Moi, je ne connais que le « mode de production ». Et le mode de production dominant ne dépend pas de telle ou telle alliance politique, mais de l’état d’avancement scientifique, technique et social d’une société. On n’est pas passés du féodalisme au capitalisme parce qu’un groupe de révolutionnaires l’a décidé ainsi, mais parce qu’à un certain stade d’avancement scientifique et technique, le mode de production capitaliste était plus efficient que le mode féodal. Et c’est le mode de production capitaliste qui a généré une classe qui détient le capital, et une autre qui vend à la première sa force de travail. Pour que votre « société à deux classes » voie le jour, il faut qu’il y ait un mode de production qui les génère, et qui soit plus efficient que le mode de production capitaliste. Et je ne vois rien de tel à l’horizon.

          [En France aujourd’hui, une telle alliance électorale écraserait le centre dans des proportions considérables. C’est ce qu’a démontré le référendum de 2005, sur un sujet constitutionnel, ce qui est tout sauf un hasard.]

          Je ne vois pas très bien votre raisonnement. Lors du référendum de 2005, « la droite » et « la gauche » se sont divisés entre des groupes qui ont appelé à voter « oui » et d’autres qui ont appelé à voter « non ». Parler d’un « accord entre la gauche et la droite » à cette occasion me paraît peu conforme au déroulement des faits. Par ailleurs, à supposer même qu’un « accord entre la gauche et la droite » écrase le centre, qu’est-ce que cela changerait ?
          [C’est toute l’histoire du CNR, par exemple, et du programme des « jours heureux » de nature constitutionnelle (1) et de résistance (2). C’est-à-dire en même temps en se fixant un objectif commun (1) et des modalités d’actions concrètes, pratiques pour y parvenir (2).]

          Vous faites ici une grosse erreur historique. Le programme du CNR n’était en rien « de nature constitutionnelle », au contraire. Le CNR a discuté de tout, sauf de l’organisation institutionnelle du pays, qui est pourtant l’essence d’un texte constituant. Et ne l’a pas fait pour une excellente raison : il était clair qu’ouvrir ce sujet allait profondément diviser le CNR, compte tenu des oppositions irréductibles entre la vision institutionnelle des gaullistes, des communistes et du « marais ».

          [« Mais par quel miracle pensez-vous « sortir du modèle » ? » Les modalités peuvent être multiples. Le tout est d’enclencher une spirale vertueuse, inverse de celle décadente actuelle, donc apte à susciter une large adhésion. Je viens d’en évoquer une par une alliance de nature électorale. Je peux en identifier 3 autres sans que cette liste ne prétende être complète : (…)]

          Aucun des processus que vous décrivez n’aboutissent à une société sans classe dominante. Je vous rappelle que ma question n’était pas « comment vous changez la constitution », mais « comment sortir du modèle » (capitaliste).

          [(A) En France, un futur mouvement de type Gilets Jaunes, pourrait se saisir de la question constitutionnelle, dont le RIC est un élément, pour organiser un Référendum Citoyen. Cela offrirait à la fois une action commune, sans qu’il y ait besoin de chef charismatique ni d’affrontement de rue, et tracerait un chemin sur lequel s’engager.]

          Admettons. Et comment ce processus nous sort du capitalisme pour construire votre société à deux classes dont aucune n’est dominante ?

          [(B) Ailleurs, voyez comme la Tunisie, le Nicaragua et d’autres ont été à la recherche d’une nouvelle Constitution à la suite de mouvements populaires. Une Constitution prête à l’emploi adossée à ce modèle de société pourrait être adoptée et adaptée par ces mouvements.]

          A ma connaissance, ni la Tunisie, ni le Nicaragua, ni aucun autre n’a abouti par ce processus à une société sans classe dominante. Encore une fois, si une classe est « dominante », c’est précisément parce qu’elle tire sa « dominance » de la STRUCTURE, c’est-à-dire, du MODE DE PRODUCTION. C’est d’ailleurs le paradoxe de votre discours : si une classe est « dominante », c’est qu’elle a les moyens de « dominer ». Et si elle a les moyens de « dominer », alors elle a les moyens de s’opposer à un changement de constitution qui mettrait fin à sa « domination »…

          [(C) Enfin, il n’est pas exclu que des leaders en place particulièrement éclairés, se rendant compte de l’impasse où ils se trouvent, recherchent une voie alternative. Je pense à un Bachar el-Assad, lorsqu’il est arrivé au pouvoir en Syrie, ou à d’autres actuellement en fonction. Ils pourraient s’en saisir, à la manière d’un Pierre le Grand dans la Russie au XVIIIème siècle.]

          Mais les leaders particulièrement éclairés ont besoin de s’appuyer sur une classe dominante – ou en voies de l’être – pour modifier le mode de production. On arrive toujours au même point : vous pensez qu’un « dirigeant particulièrement éclairé », par on ne sait quelle magie, pourrait « dominer » une « classe dominante ». Pensez-vous que cette dernière se laissera faire ?

          [« à quel mode de production une telle division [en 2 classes principales] correspond-t-elle ? » Quel nom donner à ce nouveau mode de production ?]

          Je me fous du nom, ce qui m’intéresse, c’est la chose.

          [J’avoue que le seul vocable que j’avais trouvé est bien moche : Le mieuxisme (cf. https://1p6r.org/1p6r/la-barbarie-qui-vient/chronique-des-barbaries-20211203/).
          Le Taijituisme sera pas mal.]

          Désolé, je ne vais pas regarder une douzaine de vidéos. La pensée, c’est le texte. Avez-vous un texte contenant une description précise de ce qu’est votre « mieuxisme », ou en quoi consiste précisément le « taijituisme » ?

          [« Où voyez-vous un signe que le capitalisme soit sur le point de céder la place à ce type de mode de production ? » L’émergence et la réémergence périodique de tentatives de 3ème Voie. Quelques exemples : Péron, De Gaulle, Khadafi hier, la Chine, la Russie et même l’Iran d’aujourd’hui. Ils sont tous des essais de concilier capitalisme et socialisme, de maintenir un consensus de classes (et de pays à l’échelle internationale)]

          Ils sont surtout, sans exception, des régimes autoritaires, au pouvoir fortement personnalisé, avec des institutions centralisées qui réduisent la participation directe du « peuple » et son contrôle du gouvernement à la portion congrue. Il semblerait donc que la seule possibilité de développer ce type de « tentative de 3ème voie » se trouve de ce coté. Cela ne vous frappe pas, alors que vous proposez par ailleurs un projet de société fondé sur une constitution dont la participation des citoyens et le contrôle populaire sont les piliers ?

          [L’efficacité de ce modèle est particulièrement patente pour la Chine et la Russie, où cette dernière est capable dans la guerre en Ukraine à la fois de tenir un cap industriel, mais aussi de susciter une effervescence d’initiatives de petites entreprises innovantes (drones notamment). C’est ce que j’appelle la 3ème Voie++. Des prémices de la société future étayant que cette tendance s’inscrit dans le sens de l’histoire.]

          Mais justement, l’efficacité de ces expériences tiennent à la centralisation du pouvoir et à la faiblesse des freins et des contrôles susceptibles d’empêcher l’exécutif d’agir. Avec ces exemples, vous dynamitez la base même de votre projet de VIème République, qui est fondé sur les principes exactement inverses…

          [Toutefois, ces tentatives sont toutes vouées à l’échec, car d’une part, elles nécessitent un maintien du consensus de classes par l’autorité de l’État et, d’autre part, car elles ne modélisent pas jusqu’au bout le concept économico-social sous-jacent et sont ainsi inaptes à susciter une large adhésion sentimentale. C’est précisément ce qu’apporte la 4ème Voie : Une Constitution, notamment, exprimant clairement et pleinement ce modèle de société.]

          Autrement dit, tous les exemples que vous pouvez proposer de « 3ème voie » sont condamnés à l’échec. Et vous me demandez de croire qu’un processus dont il n’existe aucun exemple dans l’histoire va fabriquer, à partir d’une réforme constitutionnelle, un « consensus de classes » alors que les intérêts de ces dernières sont antagoniques ? Il faut vraiment la foi du charbonnier pour y croire…

          [« Le seul « préalable », est que cet « arrangement » corresponde à la réalité du mode de production. » La question du préalable est cruciale. Au fond, ce qu’il y a de commun à la vraie droite (issue de la petite et moyenne bourgeoisie) et à la vraie gauche (émanation du salariat-prolétariat), c’est la volonté que l’Homme soit maitre de son destin, que par ses choix, politiques, il dirige la société. Que ce soit le politique qui domine l’économique et non l’inverse, comme c’est le cas de nos jours.]

          Pardon, mais… d’où sortez-vous ça ? Sur quel élément vous appuyez-vous pour affirmer pareille chose ?

          Je serais d’ailleurs curieux de savoir ce que cela veut dire exactement pour vous que « le politique qui domine l’économique ». Pensez-vous vraiment qu’un rapport de forces politique prime sur un rapport de forces économique ?

          [« Pourriez-vous m’indiquer quels sont les intérêts « convergents » entre la « petite bourgeoisie » et le « salariat-prolétariat » ? » Leur exploitation par la Haute-Bourgeoisie.]

          Ah bon ? La « petite bourgeoisie » est « exploitée » par la « haute bourgeoisie » ? Pourriez-vous indiquer comment se manifeste cette « exploitation » ?

          [« Mais d’où tirez-vous l’idée que ces deux « classes » souhaitent une alliance ? » Elles ne le souhaitent pas spontanément, même si la porosité entre ces deux classes est évidente.]

          Je ne vois rien « d’évident » là-dedans. Pourriez-vous préciser en quoi consiste cette « porosité » ?

          [L’idéologie bourgeoise dominante, dont la propagande médiatique est le vecteur, se charge de maintenir la Petite Bourgeoisie dans le sillage de la Haute Bourgeoisie (d’où les étiquettes extrême-droite, populiste, complotiste, etc.). Mais, cela a des limites, car la réalité de l’exploitation et de la spoliation finit toujours par percoler, surtout en période de crise.]

          Au risque de me répéter, je vois mal en quoi consiste l’exploitation ou la spoliation dont vous parlez. Pourriez-vous donner des exemples précis ?

          [En outre, constatons qu’à gauche, notamment marxiste, tout est fait pour que cette convergence n’intervienne pas. Alors elle se fait par la base, puisqu’aujourd’hui la plupart des ouvriers votent pour le RN (voir ci-dessus à propos de « l’aristocratie ouvrière »). La convergence que vous niez existe donc bel et bien dans les faits.]

          Faudrait savoir de quoi vous parlez. Vous parliez de la convergence entre la droite et la gauche ISSUES (c’est votre terme) pour l’une de la petite bourgeoisie, pour l’autre du prolétariat-salariat. Autrement dit, vous parliez d’une convergence entre organisations politiques, et non entre citoyens. J’ajoute que le vote RN ne représente nullement une « convergence » entre la petite bourgeoisie et le prolétariat-salariat : la petite bourgeoisie ne vote pas, en général, pour le RN.

          [Les moments historiques de changement de système surviennent lorsque les « couches sociales intermédiaires » basculent en s’alliant avec celles du dessous. C’est ce type d’alliance que propose la 4ème Voie.]

          Sauf que, de toute évidence, les intérêts des classes intermédiaires (qui, je suspecte, sont celles que vous appelez « petite bourgeoisie » ) poussent plutôt à une alliance avec la bourgeoisie, et non avec le prolétariat…

          [« La « petite bourgeoisie » (encore faudrait-il la définir précisément) est très satisfaite de s’allier plutôt avec la grande bourgeoisie. » En temps ordinaire, vous avez globalement raison. Le problème, c’est que le capitalisme est en crise permanente. En crise terminale même, comme je le démontre dans mon dernier livre (https://1p6r.org/la-crise-terminale-du-capitalisme/). Une crise générant des phénomènes centrifuges.]

          Quand j’étais enfant j’entendais mon grand-père expliquer que le capitalisme n’avait pas pour longtemps. C’est pourquoi, plusieurs décennies plus tard, j’écoute avec le plus grand scepticisme les discours qui annonces la « crise terminale » du capitalisme. Un mode de production entre en crise lorsqu’il y a à l’horizon un mode de production plus efficient. Je ne vois rien de tel à l’horizon…

          [Reste la question de la définition précise de la Petite Bourgeoisie. D’abord, on pourrait la définir comme la classe de ceux tirant une part significative de leurs revenus du capital, tout en n’étant pas en mesure de l’accumuler de manière suffisante pour changer de condition. Cette classe est très diverse. Une partie est directement dépendante du grand capital. Ce sont les cadres des grandes entreprises ou les fonctionnaires, surtout ceux de haut rang.]

          Pardon mais… depuis quand les « cadres des grandes entreprises » ou les « fonctionnaires » tirent « une part significative de leurs revenus du capital » ? Votre définition est incohérente avec les exemples que vous citez.

          [Ils ont partie liée avec la Haute Bourgeoisie de manière intrinsèque.]

          Attendez… vous me parliez d’une « petite bourgeoisie » qui était « exploitée et spoliée » par la haute bourgeoisie et dont les intérêts convergeaient avec le prolétariat-salariat. Et maintenant vous me dites qu’une partie de la « petite bourgeoisie » a « partie liée avec la haute bourgeoisie », pire encore, cette liaison est « intrinsèque » ? Vous n’êtes pas à une contradiction près…

  17. Luc Laforets dit :

    QU’EST-CE QU’UNE CONSTITUTION ?
    En substance, vous dites que la Constitution est le lieu où le Souverain dicte sa loi. Vous avez pleinement raison. C’est pourquoi elle est centrale pour tout modèle de société (même les monarchies, mais on appelle plutôt cela les « lois de la tradition », et avant cela la coutume).
    Pour nous aujourd’hui, convenez qu’elle est donc un sujet essentiel si l’on veut instaurer un système avec un nouveau Souverain. Puisqu’au fil de l’histoire, ce texte fondamental n’a fait que se constituer de manière toujours plus élaborée.
    Dans la Constitution proposée par 1P6R, le Souverain c’est le Peuple assemblé en Nation. C’est pourquoi le Référendum y joue un rôle essentiel d’arbitrage.

    • Descartes dit :

      @ Luc Laforets

      [En substance, vous dites que la Constitution est le lieu où le Souverain dicte sa loi.]

      NON, NON, NON et NON. Je dis que la Constitution est le texte qui détermine par quelle procédure le Souverain dicte sa loi.

      [C’est pourquoi elle est centrale pour tout modèle de société (même les monarchies, mais on appelle plutôt cela les « lois de la tradition », et avant cela la coutume).]

      Là encore, vous faites une mauvaise lecture de l’histoire. Les « lois de la tradition » ou la coutume n’étaient pas l’expression de la volonté du souverain, mais existaient en dehors de lui. La Constitution, elle, est l’expression de la volonté du souverain. C’est pourquoi le Roi ne pouvait changer les « lois de tradition », alors que le peuple souverain peut réviser la constitution.

      L’idée de Constitution, c’est-à-dire, d’un texte par lequel le souverain lui-même organise l’expression de sa volonté, est intimement lié à la fin des monarchies absolues.

      [Pour nous aujourd’hui, convenez qu’elle est donc un sujet essentiel si l’on veut instaurer un système avec un nouveau Souverain.]

      Je ne vois pas qui est ce « nouveau souverain ». La constitution actuelle fait du peuple le « souverain ». Qu’est ce que vous proposez comme « souverain » alternatif ?

      [Dans la Constitution proposée par 1P6R, le Souverain c’est le Peuple]

      C’est déjà le cas dans la Constitution de la Vème République (et d’ailleurs pour l’ensemble des régimes républicains). Qu’y a-t-il de nouveau dans la proposition de 1P6R de ce point de vue ?

      • Luc Laforets dit :

        Descartes dit : 16 juillet 2025 à 17 h 05 min
         
        Vous récusez mes propos lorsque je vous prête ceci : la Constitution est le lieu où le Souverain dicte sa loi. Et un peu plus bas, vous dites texto : La Constitution, elle, est l’expression de la volonté du souverain. Il faudrait savoir !
         
        La Constitution, comme la tradition ou la coutume, forme un ensemble de méta-lois à rythme de changements lent (en période ordinaire) afin de garantir la pérennité du système en place. Elles définissent à la fois un ensemble de principes stables et de procédures. Elle est dictée par le souverain suprême (dieu, le peuple). Elle s’impose à tous, et en particulier au souverain concret et à ses mandatés (le Roi ou des représentants).
         
        [La constitution actuelle fait du peuple le « souverain ». Qu’est ce que vous proposez comme « souverain » alternatif ?]
        Mais voyons, soyons sérieux, le souverain actuel n’est en aucun cas le Peuple. Nous sommes dans un régime oligarchique où l’élite (elle se nomme ainsi elle-même !) est sélectionnée par les plus fortunés. La démocratie dont se targue tant le système capitaliste actuel n’est rien d’autre qu’un attrape-nigaud.
         
        L’alternative proposée par 1P6R, c’est une Constitution où le Peuple devient réellement le Souverain, notamment par l’instauration du RIC Constituant, Législatif, Abrogatoire et Révocatoire (cf. https://1p6r.org/1p6r/constitution/constitution-c2-corps/constitution-c2-corps-t9-referendum-national/). Mais aussi par la mise en place d’un Contrôle beaucoup plus poussé des délégués du Peuple en particulier avec l’introduction de la Chambre Constitutionnelle (cf. https://1p6r.org/1p6r/constitution/constitution-c2-corps/constitution-c2-corps-t6-chambre-constitutionnelle/).

        • Descartes dit :

          @ Luc Laforets

          [Vous récusez mes propos lorsque je vous prête ceci : la Constitution est le lieu où le Souverain dicte sa loi. Et un peu plus bas, vous dites texto : La Constitution, elle, est l’expression de la volonté du souverain. Il faudrait savoir !]

          Je ne vois pas le problème. Oui, les constitutions modernes sont en général adoptées suivant une procédure censée permettre au peuple d’exprimer sa volonté. Elles sont donc l’expression de la volonté populaire. Mais elles ne sont pas pour autant « le lieu ou le Souverain dicte sa loi ». Le souverain dicte sa loi par la voix de ses représentants chaque fois que ceux-ci accomplissent un acte en son nom. Vous avez certainement déjà entendu que « la loi est l’expression de la volonté générale », non ?

          [La Constitution, comme la tradition ou la coutume, forme un ensemble de méta-lois à rythme de changements lent (en période ordinaire) afin de garantir la pérennité du système en place.]

          Ca veut dire quoi « en période ordinaire » ? Contrairement à la tradition ou la coutume, qui changent lentement pour la très simple raison qu’il n’existe pas d’entité capable de les changer par sa volonté, les constitutions peuvent avoir une durée de vie plus ou moins longue. La constitution de 1848 n’a duré que quatre ans, celle de 1946, onze ans. Beaucoup de lois simples ont été en vigueur bien plus longtemps. Ainsi, par exemple, l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, qui établit que « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratif, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions » est toujours en vigueur, plus de deux cents ans après sa promulgation…

          [Elles définissent à la fois un ensemble de principes stables et de procédures. Elle est dictée par le souverain suprême (dieu, le peuple). Elle s’impose à tous, et en particulier au souverain concret et à ses mandatés (le Roi ou des représentants).]

          A ma connaissance, aucune constitution n’a été dictée par dieu. Ce serait d’ailleurs une absurdité : la constitution organise en effet la manière dont le souverain exprime sa volonté. Comment dieu, omniscient et tout-puissant, pourrait se voir limiter par un texte ?

          [« La constitution actuelle fait du peuple le « souverain ». Qu’est ce que vous proposez comme « souverain » alternatif ? » Mais voyons, soyons sérieux, le souverain actuel n’est en aucun cas le Peuple. Nous sommes dans un régime oligarchique où l’élite (elle se nomme ainsi elle-même !) est sélectionnée par les plus fortunés. La démocratie dont se targue tant le système capitaliste actuel n’est rien d’autre qu’un attrape-nigaud.]

          Et pourtant, alors que cette oligarchie voulait donner une constitution à l’Europe, elle n’a pas pu le faire. Alors qu’elle voulait maintenir la Grande Bretagne dans l’UE, elle en est sortie. Comment expliquez-vous cela ?

          Vous confondez à chaque fois la souveraineté, qui est une notion juridique, et le pouvoir, qui est une question de fait. Le voleur qui me menace avec son pistolet a le pouvoir de prendre mon portefeuille, mais il n’a pas celui de légitimer sa prise.

          [L’alternative proposée par 1P6R, c’est une Constitution où le Peuple devient réellement le Souverain, notamment par l’instauration du RIC Constituant, Législatif, Abrogatoire et Révocatoire (…). Mais aussi par la mise en place d’un Contrôle beaucoup plus poussé des délégués du Peuple en particulier avec l’introduction de la Chambre Constitutionnelle (…)]

          Cela ne change rien à la « souveraineté », je vous le répète. Dès lors que la constitution dispose que les seules normes légitimes sont celles faites par le peuple ou ses représentants en suivant les règles prescrites par elle, et que cette constitution a été votée par le peuple, le peuple est souverain. Encore une fois, il faut séparer « souveraineté » et « pouvoir ». Vous voulez donner plus de pouvoir au citoyen de participer directement à la fabrication de la norme ? C’est parfaitement entendable. Mais cela n’a rien à voir avec la souveraineté.

          Ensuite, je note que pour donner plus de « pouvoir » au peuple, vous lui donnez un pouvoir essentiellement négatif. Parce que ne vous faites aucune illusion. Le RIC dont vous parlez sera utilisé essentiellement non pour impulser des projets, mais pour bloquer ceux qui sont proposés, tant il est vrai qu’il est beaucoup plus facile de réunir une majorité de « non » qu’une majorité de « oui », qu’il est toujours plus difficile de rédiger un texte que de descendre le texte proposé par quelqu’un d’autre. Et votre « contrôle beaucoup plus poussé » sera utilisé de la même manière. Ce sont les représentants qui font des choses qui se le verront reprocher, parce que toute action dérange quelqu’un. Ceux qui resteront prudemment silencieux n’auront jamais de problème. Je vous le répète : allez voir ce qu’est une assemblée de copropriétaires, et vous verrez les résultats de la démocratie directe…

  18. Luc Laforets dit :

    GOUVERNEMENT FORT OU FAIBLE ?
    « Pour schématiser, on peut dire qu’il y a deux pôles : ceux qui craignent un gouvernement trop fort, capable d’imposer ses vues à la société, et ceux qui au contraire redoutent un gouvernement trop faible, incapable de définir et de mettre en œuvre une politique face aux pressions et aux lobbies. »
    Oser dire que l’État est une garantie pour les faibles, après un Richelieu, un Louis XIV (l’État, c’est moi !), un Thiers, un Hitler (adepte d’une sacralisation de l’État) : Il faut le faire. L’État est une organisation froide. Un Léviathan comme disait Hobbes. On est loin du dépérissement de l’État envisagé par Marx et consorts.
     
    La question n’est donc pas celle de la force ou de la faiblesse, mais de savoir si l’État demeure sous contrôle du Souverain. En l’occurrence, le Peuple pour la Constitution que nous proposons. Dès lors, il convient de se fier à l’adage tant pratiqué par nos dirigeants présents et passés : Diviser pour mieux régner. Il est vital de segmenter l’État en au moins 3 parties afin qu’aucune de ces sections ne soit apte à elle seule à s’accaparer le pouvoir.
    La question de la gouvernance est dès lors importante, mais secondaire, car il vaut mieux un peu moins d’efficacité et conserver le contrôle, qu’une orientation optimale mais qui nous échappe.
    Notez bien toutefois que, bien que les mesures de précaution requises aient été mises en place pour que le Peuple demeure le Souverain, notre Constitution comporte également des dispositions permettant aux gouvernants choisis d’AGIR, mais dans certaines limites et selon certaines règles.
    Cela étant, vous semblez déplorer que la vie politique oscille entre deux pôles : Non. C’est très bien ainsi, car un régime stationnaire, c’est celui de la mort. Notre modèle à 2 classes en opposition-coopération permanente est vivant justement. Il ne se fige pas dans un hypothétique nirvana, telle que la société sans classe, mais est au contraire le point d’origine d’une spirale globalement ascendante et vertueuse.

    • Descartes dit :

      @ Luc Laforets

      [Oser dire que l’État est une garantie pour les faibles, après un Richelieu, un Louis XIV (l’État, c’est moi !), un Thiers, un Hitler (adepte d’une sacralisation de l’État) : Il faut le faire.]

      Ce qu’il faut faire, surtout, c’est lire exactement l’histoire avant d’écrire n’importe quoi. Non, Hitler n’était PAS un « adepte de la sacralisation de l’Etat ». Je vous rappelle que l’Etat apparait en tant qu’entité lorsque l’administration, c’est-à-dire, la structure bureaucratique qui permet d’organiser le fonctionnement du pays, se sépare de la personne du souverain. Ce processus est illustré à la perfection par la formule de Louis XIV mourant : « je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours ». Or, la vision hitlérienne repose au contraire sur une confusion permanente entre l’administration et la personne du führer. Ce dernier peut disposer des personnes et des biens publics comme si c’était les siens.

      Pour ce qui concerne Richelieu ou Louis XIV, oui, l’Etat qu’ils ont construit était une garantie pour les plus faibles. C’est qui en France a fait le succès de l’Etat central, c’est le fait que les plus faibles – oui, les plus faibles – l’ont perçu comme une protection contre la rapacité des nobles et des notables locaux. Parce que la justice royale était peut-être injuste, mais elle l’était beaucoup moins que la justice seigneuriale.

      [L’État est une organisation froide. Un Léviathan comme disait Hobbes.]

      Peut-être. Mais sa fonction n’est pas de vous border dans votre lit ou de vous raconter une histoire le soir. C’est d’empêcher « la guerre de tous contre tous », pour reprendre là aussi Hobbes. C’est de rendre toute violence personnelle illégitime, en s’assurant du monopole de la force légitime. Et à cela, ce sont les plus modestes qui ont le plus intérêt. Parce que les riches et les puissants ont des moyens privés de se protéger. Les plus faibles, eux, n’ont pas ces moyens.

      [On est loin du dépérissement de l’État envisagé par Marx et consorts.]

      Marx et consorts envisagent le dépérissement de l’Etat lorsque la société communiste aura vu le jour. Pensez-vous qu’on en soit là ?

      [La question n’est donc pas celle de la force ou de la faiblesse, mais de savoir si l’État demeure sous contrôle du Souverain.]

      Quel est l’intérêt pour le Souverain de contrôler un Etat réduit à l’impuissance ? La question du contrôle n’a de l’intérêt que si l’objet contrôlé a le pouvoir d’agir. C’est donc bien une « question de la force ou de la faiblesse ».

      [Dès lors, il convient de se fier à l’adage tant pratiqué par nos dirigeants présents et passés : Diviser pour mieux régner. Il est vital de segmenter l’État en au moins 3 parties afin qu’aucune de ces sections ne soit apte à elle seule à s’accaparer le pouvoir.]

      Mais en retour aucune de ces sections n’aura la possibilité d’agir. C’est bien mon problème : si le prix du contrôle c’est l’impuissance, je n’en vois pas trop l’intérêt.

      [La question de la gouvernance est dès lors importante, mais secondaire, car il vaut mieux un peu moins d’efficacité et conserver le contrôle, qu’une orientation optimale mais qui nous échappe.]

      « Un peu moins », peut-être. Mais « beaucoup moins », c’est déjà moins sûr. Et quand on arrive à « aucune », ça pose un très sérieux problème.

      [Notez bien toutefois que, bien que les mesures de précaution requises aient été mises en place pour que le Peuple demeure le Souverain, notre Constitution comporte également des dispositions permettant aux gouvernants choisis d’AGIR, mais dans certaines limites et selon certaines règles.]

      Soyons sérieux : avec les mesures de contrôle DEJA présentes dans notre constitution, construire quelque chose dans ce pays prend un temps infini. Et vous proposez encore des contrôles supplémentaires… alors ne me dites pas que la proposition que vous faites « permettra aux gouvernants d’agir »…

      [Cela étant, vous semblez déplorer que la vie politique oscille entre deux pôles : Non.]

      Je ne déplore rien du tout, je constate.

      [C’est très bien ainsi, car un régime stationnaire, c’est celui de la mort.]

      Le problème de l’oscillation, c’est qu’on n’arrive pas à garder le curseur dans une position raisonnable assez longtemps…

    • Carloman dit :

      @ Luc Laforets,
       
      Excusez-moi d’intervenir, mais au vu du niveau élevé de discussion, il me semble nécessaire de corriger une approximation qui nuit me semble-t-il au débat:
      [un Louis XIV (l’État, c’est moi !),]
      Il est pour ainsi dire avéré que Louis XIV n’a JAMAIS prononcé cette phrase. Voici ce qui semble s’être passé: après la mort du cardinal Mazarin (1661), le roi entend gouverner directement sans avoir de “principal ministre”. A des courtisans qui lui demandaient à qui il fallait s’adresser pour les affaires de l’Etat, Louis XIV aurait répondu en substance: “désormais, pour les affaires de l’Etat, c’est à moi qu’il faudra s’adresser, messieurs“. Ce qu’un historien républicain de la fin du XIX° a résumé – et simplifié à outrance – par la fameuse formule aussi lapidaire que frappante “l’Etat, c’est moi”. A une époque où le souvenir de l’Ancien Régime n’était pas si éloigné.
       
      Vous noterez que ça fait une différence notable et que la phrase réellement prononcée s’accorde mieux avec la citation que donne Descartes lorsque Louis XIV est mourant: “Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours.”
       
      En réalité, Louis XIV développe une idée assez commune aux rois absolus et aux “despotes éclairés” des XVII°-XVIII° siècles (je pense à Frédéric II de Prusse), à savoir que le roi est le premier serviteur de l’Etat. Louis XIV, monarque de droit divin, considérait certainement que la SOUVERAINETE résidait en sa personne (ce que son successeur Louis XV rappela avec force lors de la séance de la Flagellation de 1766 destinée à faire – enfin – plier le Parlement de Paris car la question de la paralysie et du blocage de l’exécutif voire du législatif par le judiciaire n’a rien de nouveau…), mais je ne doute pas qu’il ait été conscient que l’ETAT, lui, était distinct de sa propre personne.
       
      Désolé pour cette immixtion.

      • Descartes dit :

        @ Carloman

        [Il est pour ainsi dire avéré que Louis XIV n’a JAMAIS prononcé cette phrase. Voici ce qui semble s’être passé: après la mort du cardinal Mazarin (1661), le roi entend gouverner directement sans avoir de “principal ministre”. A des courtisans qui lui demandaient à qui il fallait s’adresser pour les affaires de l’Etat, Louis XIV aurait répondu en substance: “désormais, pour les affaires de l’Etat, c’est à moi qu’il faudra s’adresser, messieurs“. Ce qu’un historien républicain de la fin du XIX° a résumé – et simplifié à outrance – par la fameuse formule aussi lapidaire que frappante “l’Etat, c’est moi”. A une époque où le souvenir de l’Ancien Régime n’était pas si éloigné.]

        Votre remarque est très juste, parce que la formule « l’Etat, c’est moi » dans son interprétation moderne est en flagrante contradiction avec l’idée de l’Etat louis-quatorzième. Comme vous le signalez, la marche vers la monarchie absolue s’accompagne d’un mouvement d’autonomisation de l’Etat par rapport à la personne du roi. Alors qu’au moyen-âge la confusion était totale, et que le roi disposait du royaume comme de sa propriété personnelle, on voit au XIVème siècle apparaître progressivement l’idée que le roi n’est pas le « propriétaire » du royaume, mais son gestionnaire. On voit les mesures en ce sens s’échelonner dans le temps : pour ne donner que quelques exeples, en 1318 Philippe V établit une forme d’inaliénabilité du domaine royal. En 1566, par l’édit de Moulins, Charles IX confirme et renforce cette logique. Ce mouvement s’accompagne par la création d’une structure administrative permanente, d’ingénieurs et de commis de l’Etat qui ne sont pas membres de la « maison du roi », liés à lui par un lien féodal, mais qui sont recrutés et promus suivant des règles propres. En 1716, Louis XV crée le « corps des ingénieurs des ponts et chaussées », formé de « Un inspecteur général des ponts et chaussées du royaume, un architecte et premier ingénieur des ponts et chaussées, trois inspecteurs desdits ponts et chaussées, et vingt-et-un ingénieurs des ponts et chaussées ». En 1747, est créée « l’école royale des ponts et chaussées », afin de donner à ces ingénieurs une formation commune. Les élèves y sont divisés en trois classes « suivant leurs talents et leurs capacités »… et non leur origine noble !

        [En réalité, Louis XIV développe une idée assez commune aux rois absolus et aux “despotes éclairés” des XVII°-XVIII° siècles (je pense à Frédéric II de Prusse), à savoir que le roi est le premier serviteur de l’Etat. Louis XIV, monarque de droit divin, considérait certainement que la SOUVERAINETE résidait en sa personne (ce que son successeur Louis XV rappela avec force lors de la séance de la Flagellation de 1766 destinée à faire – enfin – plier le Parlement de Paris car la question de la paralysie et du blocage de l’exécutif voire du législatif par le judiciaire n’a rien de nouveau…), mais je ne doute pas qu’il ait été conscient que l’ETAT, lui, était distinct de sa propre personne.]

        Tout à fait. Sa phrase de Louis XIV sur son lit de mort traduit en fait une vision politique qui fut constante sur son règne. Par ailleurs, dans ses « mémoires » écrites à l’usage du Dauphin, il explicite clairement sa vision du roi comme serviteur de l’Etat. On peut même y lire dans certains paragraphes l’idée de l’Etat-nation moderne…

        [Désolé pour cette immixtion.]

        Pourquoi ? Pas de raison d’être désolé ou de vous excuser, votre remarque est très utile et pertinente !

  19. Luc Laforets dit :

    PERSONNALISATION DES DECISIONS
    « PERSONNALISER les décisions, et notamment celles de mise en œuvre. Un organe collectif est par essence irresponsable. »
    Les couples d’obligations posés par Simone Weil (la philosophe, 1909-1943), et repris dans le préambule de la Constitution proposée par 1P6R, que sont Obéissance-Responsabilité et Égalité-Hiérarchie forment un ensemble de principes devant nous servir de guide dans ces matières. Isoler la responsabilité est ainsi une approche biaisée.
    Ceci suppose de disposer d’institutions de Contrôle du respect de ces principes, y compris dans la prise de décision. Des institutions formalisant des « patterns » organisationnels telles que la roue de Deming, où, avant chaque fin de mandat, un bilan est établi des actions du mandaté confronté au programme proposé et à la mission qui lui a été confiée.
    Par ailleurs, dans la mesure où des règles fonctionnelles sont clairement établies et respectées, je ne partage pas votre avis selon lequel « un organe collectif est par essence irresponsable ». Le pilotage des avions de ligne, où il y a 2 ou 3 Personnel Naviguant Technique (PNT), est une instance contredisant votre affirmation.

    • Descartes dit :

      @ Luc Laforets

      [« PERSONNALISER les décisions, et notamment celles de mise en œuvre. Un organe collectif est par essence irresponsable. » Les couples d’obligations posés par Simone Weil (la philosophe, 1909-1943), et repris dans le préambule de la Constitution proposée par 1P6R, que sont Obéissance-Responsabilité et Égalité-Hiérarchie forment un ensemble de principes devant nous servir de guide dans ces matières. Isoler la responsabilité est ainsi une approche biaisée.]

      Désolé, mais je ne comprends pas ce commentaire. La lecture du préambule ne fait nulle part apparaître la question de la responsabilité, et notamment de la manière dont on fait jouer la responsabilité des membres d’un organe collectif.

      [Ceci suppose de disposer d’institutions de Contrôle du respect de ces principes, y compris dans la prise de décision. Des institutions formalisant des « patterns » organisationnels telles que la roue de Deming, où, avant chaque fin de mandat, un bilan est établi des actions du mandaté confronté au programme proposé et à la mission qui lui a été confiée.]

      Comment établissez-vous une « roue de Deming » pour un député ? Cela supposerait de pouvoir évaluer l’effet de ses votes. Comment faites-vous en pratique ?

      [Par ailleurs, dans la mesure où des règles fonctionnelles sont clairement établies et respectées, je ne partage pas votre avis selon lequel « un organe collectif est par essence irresponsable ». Le pilotage des avions de ligne, où il y a 2 ou 3 Personnel Naviguant Technique (PNT), est une instance contredisant votre affirmation.]

      Au contraire, votre exemple confirme très largement mon affirmation. Parce que si dans le cockpit il peut y avoir 2 ou 3 personnels, ces personnels ne sont pas égaux entre eux : il y a une hiérarchie, et celui qui est en haut de cette hiérarchie a autorité sur tous les autres, et prend donc l’entière responsabilité des décisions prises. L’équipe navigant n’est pas un « organe collectif de décision ». Elle a un chef, et c’est lui qui prend les décisions (ou qui délègue le pouvoir de les prendre). Effectivement, si vous constituez une hiérarchie à l’Assemblée nationale, dans laquelle les députés sont tenus de voter comme le décide le président, alors oui, le président sera responsable des décisions prises…

  20. Spinoza dit :

    @ Descartes

    [Non. J’aurais tendance à penser le contraire. Pensez à Notre Dame des Landes, par exemple. Ou bien à l’écotaxe. Et je ne vous parle même pas de tous les projets que les gouvernements successifs ont renoncé à priori par peur des « pétitions, manifestations, grèves ». Notre mémoire a tendance à oublier un peu vite les cas où les gouvernement ont reculé, pour ne retenir celles où il a tenu bon.]

    Toutes les manifestations que vous citez – Bonnets rouges, Notre Dame des Landes, Gilets jaunes – , on pourrait y ajouter les mouvements d’agriculteurs, se caractérisent largement par les méthodes illégales et/ou le recours au vandalisme et à la confrontation violente. Mais je ne vois pas d’exemple d’action militante légale et pacifique, en dehors du vote, qui a permis d’infléchir la politique menée ces dernières années. C’est pourquoi la capacité du peuple français à faire valoir son intérêt est aujourd’hui réduite à la portion congrue : un vote sur la politique nationale tous les cinq ans – sauf rare dissolution – , et l’action illégale et/ou violente comme seul moyen efficace d’obtenir quelque chose dans l’intervalle.

    [Je pense que c’est plus complexe que cela. Personne n’a envie d’une réforme qui vous fait partir plus tard à la retraite. Mais d’un autre côté, rares sont ceux qui ne sont pas conscients du problème que pose le déséquilibre des régimes de retraite. Alors, vous trouverez une majorité contre le recul de l’âge de la retraite, une majorité contre l’augmentation des prélèvements, et une majorité contre la baisse du niveau de pensions. Et pourtant, il faudra bien faire l’une de ces trois choses…]

    Je n’ai pas de raison a priori de penser qu’on trouvera une majorité contre l’augmentation des prélèvements si cela permet de conserver l’âge de départ et le niveau des pensions. Et d’autant moins si tout le monde était informé de l’ampleur des exonérations de cotisations dont le capital a bénéficié ces dernières années.

    [Cette confusion évacue la problématique de la légitimité. Je vais vous donner l’exemple classique qu’on donne à tous les étudiants : un voleur pointe vers vous un flingue et vous ordonne de lui donner votre portefeuille. Il est incontestable qu’il a « les moyens de faire prévaloir sa volonté » et de prendre votre portefeuille. Mais est-il « souverain » pour autant ? La réponse est clairement négative : même s’il a les moyens de prendre votre portefeuille, il n’a aucun moyen de rendre sa possession légitime.]

    Sur ce point également je suis spinoziste. Spinoza, dans son traité politique, identifie strictement le droit et la puissance, et la légitimité n’est pas une question pertinente. Dans votre exemple, le voleur est le plus fort, c’est donc lui le souverain.
    Si j’en reviens à la démocratie : un régime dans lequel le peuple dispose effectivement des moyens de faire prévaloir sa volonté peut être appelé démocratie. Et moins cette volonté prévaut, moins le régime est démocratique.

    [Je vous en propose une : « Le souverain est celui qui n’est soumis qu’aux règles auxquelles il a lui-même consenti ».]

    Vous évacuez ici vous-même la question de la légitimité. Selon votre définition, c’est bien le voleur qui est souverain dans l’exemple que vous donnez supra.

    [Là encore, je vous donne un exemple classique. Si la nation française par référendum ordonnait au soleil de se lever à l’ouest, cet ordre resterait lettre morte. Est-elle moins « souveraine » de ce fait ?]

    De ce fait on peut effectivement déduire que le peuple français n’est pas souverain sur le système solaire, si vous y tenez. Mais ce serait à mon sens plus intéressant de savoir s’il est ou non souverain sur la politique de la nation française.

    [Nous revenons à l’exemple du voleur ci-dessus. Les marchés ont un « pouvoir » considérable, mais cela n’a aucun rapport avec la souveraineté.]

    Dans ce cas à quoi bon la “souveraineté” ? Le pouvoir suffit.

    [Le problème, est que ces mécanismes de contrôle et de blocage peuvent être détournés ou manipulés par des lobbies pour empêcher l’exécutif d’agir. Et que leur existence même remet en cause le principe de responsabilité : le gouvernement peut toujours dire « j’avais l’intention de le faire, mais on m’en a empêché ». C’est pourquoi les sanctions immédiates posent problème. Et si l’on parle de sanctions décalées… et bien elles existent déjà : tous les cinq ans, on peut sanctionner la majorité sortante !]

    C’est justement pour éviter la manipulation par les lobbies et conserver le principe de responsabilité qu’il faut mettre les mécanismes de contrôle directement entre les mains du peuple. A moins que vous ne considériez que le peuple lui-même est manipulable, mais dans ce cas il vous faudra aussi supprimer toutes les élections…

    [Oui, en pire. Déjà notre pays a « le moteur d’une deux-chevaux et les freins d’une Rolls Royce », et en plus vous voulez en rajouter encore des freins supplémentaires ? Parce qu’il ne faut pas se tromper : il est toujours plus facile d’obtenir des majorités négatives que des majorités positives. Autrement dit, la possibilité que le RIC soit utilisé pour faire voter des lois positives est nulle. C’est dans sa variable révocatoire ou abrogatoire qu’il serait utilisé.]

    Je vais reprendre et développer l’analogie de la voiture :
    Un homme monte dans un taxi afin d’arriver à l’heure à un rendez-vous important. Cependant, une fois sur l’autoroute, il réalise que son rival, qui a intérêt à ce que le rendez-vous soit manqué, a fait les choses suivantes :
    1) Il a bridé le moteur du taxi ;
    2) Il a installé des dispositifs de freinage qui se déclenchent indépendamment de la volonté du chauffeur ;
    3) Il dispose de moyens de pression sur le chauffeur qui lui permettent de se faire obéir par lui.

    Je pense que l’analogie est assez transparente mais je vais préciser quand même : le client est le peuple, le chauffeur est le gouvernement, le rival symbolise les intérêts particuliers.
    Votre solution règle les problèmes 1 et 2, mais elle laisse le taxi entre les mains d’un chauffeur lui-même aux mains du rival. Dans ces conditions le client n’arrivera jamais à l’heure, car le chauffeur, certes désormais « responsable », car pleinement en contrôle d’un véhicule puissant, utilisera ce véhicule pour perdre le client.
    Et vous n’avez laissé au client aucun moyen de reprendre le contrôle du véhicule, car si parmi les dispositifs de freinage indépendant de la volonté du conducteur, il en était un qui était activable directement par le client, vous l’avez supprimé. Vous ne laissez donc au client que deux mauvais choix : rater son rendez-vous (= une politique au service d’intérêts particuliers), ou tenter d’éjecter le conducteur par la force au milieu de l’autoroute (= une révolution).
    Voilà pourquoi le frein, ou autre dispositif de contrôle, est indispensable, à condition d’être placé directement entre les mains du client et de personne d’autre. Le simple fait qu’il existe force le chauffeur à suivre la volonté du client, sans quoi le chauffeur pourra facilement être débarqué et remplacé. Et bien sûr si le chauffeur conduit effectivement dans l’intérêt du client, alors le frein ne sera pas utilisé. Ainsi ce frein, loin d’éloigner le client de son rendez-vous, ne peut que l’en rapprocher.
    Donc le RIC sera peut être effectivement surtout utilisé dans sa variable révocatoire ou abrogatoire, mais en facilitant l’installation d’un Gouvernement réellement au service du peuple, ce dernier n’aura pas à s’en plaindre.
     
     

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [Toutes les manifestations que vous citez – Bonnets rouges, Notre Dame des Landes, Gilets jaunes – , on pourrait y ajouter les mouvements d’agriculteurs, se caractérisent largement par les méthodes illégales et/ou le recours au vandalisme et à la confrontation violente. Mais je ne vois pas d’exemple d’action militante légale et pacifique, en dehors du vote, qui a permis d’infléchir la politique menée ces dernières années.]

      Le dernier grand mouvement qui me vient à l’esprit est celui contre la réforme des retraites d’Alain Juppé. Les grèves de 1995 étaient parfaitement légales et non violentes. On peut aussi mentionner le retrait du CPE par Chirac en 2006. Mais il faut aussi prendre en compte le caractère dissuasif de certains mouvements. Il y a des projets qu’on ne propose même pas, sachant quelle pourrait être la réaction des travailleurs concernés.

      [C’est pourquoi la capacité du peuple français à faire valoir son intérêt est aujourd’hui réduite à la portion congrue : un vote sur la politique nationale tous les cinq ans – sauf rare dissolution – , et l’action illégale et/ou violente comme seul moyen efficace d’obtenir quelque chose dans l’intervalle.]

      Pourtant – et voyant la chose de l’intérieur, je peux vous assurer que c’est le cas – les politiciens hésitent de plus en plus lorsqu’il s’agit de prendre une décision, consultant en permanence sondages et réseaux sociaux, et changeant leur position en fonction du résultat. Comment expliquez-vous, si vous pensez que « la capacité du peuple français à faire valoir son intérêt est aujourd’hui réduite à la portion congrue », que les ministres en aient si peur ?

      [Je n’ai pas de raison a priori de penser qu’on trouvera une majorité contre l’augmentation des prélèvements si cela permet de conserver l’âge de départ et le niveau des pensions. Et d’autant moins si tout le monde était informé de l’ampleur des exonérations de cotisations dont le capital a bénéficié ces dernières années.]

      Vous pensez vraiment que vous trouverez une majorité pour accepter de payer plus pour sa retraite ?

      [Sur ce point également je suis spinoziste. Spinoza, dans son traité politique, identifie strictement le droit et la puissance, et la légitimité n’est pas une question pertinente. Dans votre exemple, le voleur est le plus fort, c’est donc lui le souverain.]

      Je ne suis pas, loin s’en faut, un grand lecteur de Spinoza, mais j’ai du mal à imaginer qu’il ait pu dire ce que vous lui faites dire ici, c’est-à-dire, qu’il confonde droit et puissance. D’ailleurs, prolongeons votre exemple. Imaginons que le voleur soit pris et mis devant un juge « spinoziste ». Quelle serait votre argumentation pour demander que le portefeuille vous soit rendu ? Vous m’expliquez que la « légitimité n’est pas une question pertinente ». Vous ne pouvez donc pas invoquer le fait que le portefeuille est votre « légitime » propriété. Puisque le voleur avait la force de vous le prendre, et que force et droit se confondent, il a donc le droit de se déclarer propriétaire…

      La légitimité est bien une question. Le voleur a la force de vous enlever votre bien, mais cela ne fait pas de lui le propriétaire légitime. Et un juge « juste » ne pourra que vous le restituer. Le voleur n’est donc pas « souverain », quand bien même il peut vous imposer sa volonté, parce que la souveraineté implique la capacité de rendre cette volonté légitime.

      [Si j’en reviens à la démocratie : un régime dans lequel le peuple dispose effectivement des moyens de faire prévaloir sa volonté peut être appelé démocratie. Et moins cette volonté prévaut, moins le régime est démocratique.]

      Imaginons que le peuple vote par référendum la suppression de la grêle, et qu’on constate qu’il grêle toujours autant. Est-ce que le régime est moins « démocratique » pour autant ? Encore une fois, la démocratie comme la souveraineté sont des concepts juridiques. Le peuple est souverain parce qu’il a la capacité ultime à faire les normes. Le fait que ces normes changent effectivement la réalité est une autre affaire. Comme dans le voleur de mon exemple, c’est une question de légitimité.

      [« Je vous en propose une : « Le souverain est celui qui n’est soumis qu’aux règles auxquelles il a lui-même consenti ». » Vous évacuez ici vous-même la question de la légitimité. Selon votre définition, c’est bien le voleur qui est souverain dans l’exemple que vous donnez supra.]

      Le voleur n’est pas « souverain », parce qu’il est soumis au code pénal. Il a le pouvoir de me prendre mon portefeuille, mais pas celui de s’en faire le légitime propriétaire aux yeux du juge. La question de la légitimité est implicite dans ma définition : un être souverain n’est soumis qu’aux règles qu’il estime légitimes. C’est le sens de son consentement.

      [« Là encore, je vous donne un exemple classique. Si la nation française par référendum ordonnait au soleil de se lever à l’ouest, cet ordre resterait lettre morte. Est-elle moins « souveraine » de ce fait ? » De ce fait on peut effectivement déduire que le peuple français n’est pas souverain sur le système solaire, si vous y tenez.]

      Autrement dit, pour vous la « souveraineté » n’est pas intrinsèque à une entité, mais dépend de ses rapports avec une autre. On peut être « souverain » sur certaines choses, et pas sur d’autres. Lorsqu’on écrit que « la souveraineté réside essentiellement dans la nation », il s’agit de la souveraineté « sur quoi », exactement ?

      [« Nous revenons à l’exemple du voleur ci-dessus. Les marchés ont un « pouvoir » considérable, mais cela n’a aucun rapport avec la souveraineté. » Dans ce cas à quoi bon la “souveraineté” ? Le pouvoir suffit.]

      Non, parce qu’il y a la question de la légitimité. Pour utiliser la formule de Talleyrand, on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais il est difficile ensuite de s’asseoir dessus. La force vous permet de prendre mon portefeuille, mais la souveraineté vous permet d’en devenir le propriétaire légitime.

      [C’est justement pour éviter la manipulation par les lobbies et conserver le principe de responsabilité qu’il faut mettre les mécanismes de contrôle directement entre les mains du peuple.]

      Mais cela veut dire quoi « mettre les mécanismes de contrôle directement entre les mains du peuple » ? Prenons par exemple : comment s’exercerait le « mécanisme de contrôle directement entre les mains du peuple » pour une décision comme la fermeture de Fessenheim ? Pour évaluer sérieusement une telle décision, il faut lire des milliers de pages de rapports d’experts, d’arguments des opposants et des partisans de la mesure, interroger pendant des dizaines d’heures les experts de l’un et l’autre camp. Comment organiseriez-vous les choses pour que le peuple puisse DIRECTEMENT faire ce travail ?

      [A moins que vous ne considériez que le peuple lui-même est manipulable, mais dans ce cas il vous faudra aussi supprimer toutes les élections…]

      Non, je ne pense pas que le peuple soit manipulable. Mais je pense qu’il n’a pas envie de passer ses jours et ses nuits à lire des rapports, à entendre des témoignages, bref, à faire les efforts indispensables pour pouvoir exercer un contrôle sérieux. Et c’est pourquoi, dans une logique de division du travail, on délègue cette fonction à des gens en qui on a confiance. De la même manière qu’on délègue à des députés le travail législatif. Aujourd’hui, on pourrait parfaitement faire voter les lois par les citoyens à travers d’internet. Mais pour que cela ait un sens, il faudrait que chaque citoyen se force à lire les projets de loi, les amendements, qu’il passe ses journées et ses soirées à écouter les débats… pensez-vous que les citoyens aient le temps et l’envie pour le faire ? Comment allez-vous les y obliger ?

      [Je pense que l’analogie est assez transparente mais je vais préciser quand même : le client est le peuple, le chauffeur est le gouvernement, le rival symbolise les intérêts particuliers.
      Votre solution règle les problèmes 1 et 2, mais elle laisse le taxi entre les mains d’un chauffeur lui-même aux mains du rival.]

      Pas du tout. C’est le peuple qui élit le chauffeur, que je sache… c’est curieux, vous faites confiance au peuple pour contrôler le chauffeur, mais pas pour l’élire.

      [Dans ces conditions le client n’arrivera jamais à l’heure, car le chauffeur, certes désormais « responsable », car pleinement en contrôle d’un véhicule puissant, utilisera ce véhicule pour perdre le client.]

      Possible. Mais parce que le chauffeur est « pleinement responsable », le client aura la possibilité de le faire condamner à des dommages et intérêts conséquents pour lui avoir fait manquer son rendez-vous, si vous me permettez de pousser l’analogie.

      [Donc le RIC sera peut être effectivement surtout utilisé dans sa variable révocatoire ou abrogatoire, mais en facilitant l’installation d’un Gouvernement réellement au service du peuple, ce dernier n’aura pas à s’en plaindre.]

      J’attends toujours que vous m’expliquiez comment s’exerce ce « contrôle direct ». Parce qu’avant de voter, il faut être informé. Comment vous assurez-vous que le peuple qui vote la révocation d’un gouvernement, l’abrogation de telle ou telle disposition, a toutes les billes pour prendre une décision informée ?

      Avez-vous déjà participé à une assemblée générale de copropriété ? Je vous le conseille : cela devrait vous guérir définitivement de votre croyance dans la démocratie directe.

      • Spinoza dit :

        [Le dernier grand mouvement qui me vient à l’esprit est celui contre la réforme des retraites d’Alain Juppé. Les grèves de 1995 étaient parfaitement légales et non violentes. On peut aussi mentionner le retrait du CPE par Chirac en 2006. Mais il faut aussi prendre en compte le caractère dissuasif de certains mouvements. Il y a des projets qu’on ne propose même pas, sachant quelle pourrait être la réaction des travailleurs concernés.]
         
        Donc si on excepte le « caractère dissuasif » fort difficile à apprécier, cela fait presque 20 ans qu’aucun mouvement de population aux méthodes pacifiques et légales n’a pu influencer la politique de la nation en dehors du vote. CQFD.
         
        [Pourtant – et voyant la chose de l’intérieur, je peux vous assurer que c’est le cas – les politiciens hésitent de plus en plus lorsqu’il s’agit de prendre une décision, consultant en permanence sondages et réseaux sociaux, et changeant leur position en fonction du résultat. Comment expliquez-vous, si vous pensez que « la capacité du peuple français à faire valoir son intérêt est aujourd’hui réduite à la portion congrue », que les ministres en aient si peur ?]
         
        Ils en ont certainement moins peur que de la réaction des marchés et des lobbies patronaux lorsqu’il s’agit de prendre une décision défavorable aux intérêts du capital. Ou alors il faut en déduire que ce cher Bayrou est un exemple de courage pour oser présenter un budget à ce point rempli de mesures impopulaires.
         
        [Vous pensez vraiment que vous trouverez une majorité pour accepter de payer plus pour sa retraite ?]
         
        Si c’est le capital qui paye, certainement. Je ne connais pas tellement de gens qui refuseraient une augmentation de salaire. Vous me répondrez peut-être que le capital a les moyens d’y échapper, mais c’est là une autre question – qu’il va falloir régler aussi évidemment -.
         
        [Je ne suis pas, loin s’en faut, un grand lecteur de Spinoza, mais j’ai du mal à imaginer qu’il ait pu dire ce que vous lui faites dire ici, c’est-à-dire, qu’il confonde droit et puissance. D’ailleurs, prolongeons votre exemple. Imaginons que le voleur soit pris et mis devant un juge « spinoziste ». Quelle serait votre argumentation pour demander que le portefeuille vous soit rendu ? Vous m’expliquez que la « légitimité n’est pas une question pertinente ». Vous ne pouvez donc pas invoquer le fait que le portefeuille est votre « légitime » propriété. Puisque le voleur avait la force de vous le prendre, et que force et droit se confondent, il a donc le droit de se déclarer propriétaire…
        La légitimité est bien une question. Le voleur a la force de vous enlever votre bien, mais cela ne fait pas de lui le propriétaire légitime. Et un juge « juste » ne pourra que vous le restituer. Le voleur n’est donc pas « souverain », quand bien même il peut vous imposer sa volonté, parce que la souveraineté implique la capacité de rendre cette volonté légitime.]
        Ici vous changez le référentiel de l’exemple. Vous y ajoutez un législateur qui a qualifié le vol de délit pénalement répréhensible, une police pour arrêter les contrevenants, et un juge pour appliquer la loi pénale. Donc de deux choses l’une :
        – Soit les institutions que je viens de mentionner ont effectivement les moyens de prévenir et de punir le vol, et dans ce cas le rapport de force est complètement différent par rapport à la version précédente de l’exemple : le voleur n’est plus en mesure de prendre le porte-feuilles, ou s’il le fait il sera forcé de le restituer. Dans cette hypothèse ce n’est donc plus le voleur mais le législateur qui est le souverain.
        – Soit le voleur est suffisamment fort et/ou habile pour échapper aux institutions, et dans ce cas ce n’est pas la loi du législateur qui s’applique mais c’est celle du voleur. Dans une telle société, c’est le voleur qui peut être appelé souverain et non le législateur.
        On voit bien ici que la légitimité n’est pas une question, qu’importe au voleur que son action soit considérée comme illégitime par sa victime ou par des institutions, si ni la victime, ni les institutions n’ont les moyens de l’atteindre ?
         
        [Imaginons que le peuple vote par référendum la suppression de la grêle, et qu’on constate qu’il grêle toujours autant. Est-ce que le régime est moins « démocratique » pour autant ?]
         
        Non, il était sous-entendu que la démocratie est un régime dans lequel le peuple d’une nation dispose effectivement des moyens de faire prévaloir sa volonté sur la politique de la nation. Cela revient à dire que si une nation se constitue en démocratie, c’est le peuple qui détient la souveraineté nationale. Celui qui détient la souveraineté nationale est celui qui décide des fins que se donne la nation et des moyens que celle-ci utilise pour rechecher ces fins. Mais il est bien évident que ce que la nation ne peut pas faire, le souverain de la nation ne peut pas le décider.
         
        [ Encore une fois, la démocratie comme la souveraineté sont des concepts juridiques. Le peuple est souverain parce qu’il a la capacité ultime à faire les normes. Le fait que ces normes changent effectivement la réalité est une autre affaire. Comme dans le voleur de mon exemple, c’est une question de légitimité.]
         
        Donc si je comprends bien, pour vous le souverain est celui qui est reconnu comme légitime pour édicter des normes, peu importe si ces normes s’appliquent effectivement ou non.
        Mais d’abord, reconnu comme légitime par qui ? En France par exemple, qui a légitimé le peuple français en tant que souverain ? Le peuple lui-même ? Dans ce cas c’est un énoncé parfaitement circulaire et donc vide.
        Et si ce n’est pas le peuple lui-même, qui donc et à quelle occasion ? Et le légitimateur, d’où tire-t-il lui-même sa légitimité ? Et ainsi de suite à l’infini, c’est une question insoluble.
         
        [«Le voleur n’est pas « souverain », parce qu’il est soumis au code pénal. Il a le pouvoir de me prendre mon portefeuille, mais pas celui de s’en faire le légitime propriétaire aux yeux du juge. La question de la légitimité est implicite dans ma définition : un être souverain n’est soumis qu’aux règles qu’il estime légitimes. C’est le sens de son consentement.]
         
        Si, comme vu plus haut, le voleur a concrètement les moyens d’échapper à la justice, alors dans les faits ce voleur ne sera jamais soumis à d’autres règles que les siennes. Dans ce cas, rien ne l’empêche de s’estimer légitime propriétaire du porte-feuilles. Il répond donc à votre définition du souverain.
         
        [Autrement dit, pour vous la « souveraineté » n’est pas intrinsèque à une entité, mais dépend de ses rapports avec une autre. On peut être « souverain » sur certaines choses, et pas sur d’autres. Lorsqu’on écrit que « la souveraineté réside essentiellement dans la nation », il s’agit de la souveraineté « sur quoi », exactement ?]
         
        Comme dit plus haut, cela signifie que la nation est souveraine sur la politique qu’elle se donne.
         
        [Non, parce qu’il y a la question de la légitimité. Pour utiliser la formule de Talleyrand, on peut se faire un trône avec des baïonnettes, mais il est difficile ensuite de s’asseoir dessus. La force vous permet de prendre mon portefeuille, mais la souveraineté vous permet d’en devenir le propriétaire légitime.]
         
        Et quel est donc l’intérêt pour moi d’être reconnu comme propriétaire légitime, si je suis suffisamment puissant pour être assuré qu’aucun homme et qu’aucune institution ne dispose des moyens de m’empêcher de faire usage de ce portefeuilles à ma convenance ? Si Kim Jong-Un vient vous voler votre porte-feuilles et repart ensuite dans son pays, pensez-vous que ça l’intéresse d’être regardé comme le propriétaire légitime ? Et ça l’amuse, il peut toujours faire légitimer sa possession par un juge nord-coréen.
        Je ne dis pas que personne ne recherche à voir son pouvoir ou sa propriété reconnue comme légitime, mais ce n’est en fait rien d’autre qu’une manière de chercher à enrôler derrière soi la puissance des institutions. Si ces institutions sont faibles, cela n’a aucun intérêt. Donc, en définitive, on voit bien que la seule question qui compte est celle de la puissance.
         
        [Mais cela veut dire quoi « mettre les mécanismes de contrôle directement entre les mains du peuple » ? Prenons par exemple : comment s’exercerait le « mécanisme de contrôle directement entre les mains du peuple » pour une décision comme la fermeture de Fessenheim ? Pour évaluer sérieusement une telle décision, il faut lire des milliers de pages de rapports d’experts, d’arguments des opposants et des partisans de la mesure, interroger pendant des dizaines d’heures les experts de l’un et l’autre camp. Comment organiseriez-vous les choses pour que le peuple puisse DIRECTEMENT faire ce travail ?]
         
        Parce que François Hollande, lui, c’est bien connu, a décidé de la fermeture de Fessenheim après avoir lu des milliers de pages de rapports d’experts, d’arguments des opposants et des partisans de la mesure, et interrogé pendant des dizaines d’heures les experts de l’un et l’autre camp. Et seul l’intérêt de la nation française a guidé sa décision…
        Plus sérieusement, en 2005 les gens n’avaient pas tous lu in extenso le projet de Constitution européenne, loin s’en faut. Pourtant le débat a eu lieu, et une décision en est sortie. Le peuple peut donc tout à fait se prononcer sur une décision nécessitant des connaissances techniques complexes avec une information imparfaite.
        Vous-même, lorsque vous achetez une voiture, faites-vous le comparatif de l’intégralité des caractéristiques techniques de tous les modèles disponibles sur le marché, ainsi que celui de toutes les formules existantes de contrats d’assurance auto ? J’en doute. Et si ce n’est pas le cas, cela justifie-t-il que quelqu’un d’autre, qui se proclamerait expert mais qui pourrait se trouver en situation de conflit d’intérêts, choisisse votre voiture à votre place ?
        En résumé, l’information est certes importante, mais si la loyauté du mandataire n’est pas assurée d’abord, elle ne sert à rien.
        Et si le problème de l’information vous est si cher, dites-vous que si le peuple prend une mauvaise décision, les conséquences retomberont forcément sur lui. Dans ce cas, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même et sera incité à mieux se renseigner la fois suivante. On ne fait pas mieux pour pousser quelqu’un à prendre une bonne décision que l’obliger à endosser réellement la responsabilité de la décision. Ce ne sera jamais parfait mais encore une fois ça reste la moins mauvaise des solutions.
         
        [Non, je ne pense pas que le peuple soit manipulable. Mais je pense qu’il n’a pas envie de passer ses jours et ses nuits à lire des rapports, à entendre des témoignages, bref, à faire les efforts indispensables pour pouvoir exercer un contrôle sérieux. Et c’est pourquoi, dans une logique de division du travail, on délègue cette fonction à des gens en qui on a confiance. De la même manière qu’on délègue à des députés le travail législatif. Aujourd’hui, on pourrait parfaitement faire voter les lois par les citoyens à travers d’internet. Mais pour que cela ait un sens, il faudrait que chaque citoyen se force à lire les projets de loi, les amendements, qu’il passe ses journées et ses soirées à écouter les débats… pensez-vous que les citoyens aient le temps et l’envie pour le faire ? Comment allez-vous les y obliger ?]
         
        Je n’ai pas dit que je refusais toute délégation, j’ai dit que le déléguant doit pouvoir contrôler le délégataire, et notamment pouvoir l’empêcher de prendre une décision importante qui ne lui convient pas.
        A ce jour j’ai toute confiance dans mon épouse, elle a procuration sur l’intégralité de mes comptes bancaires. Je ne vérifie pas tous les mouvements sur les comptes, et je n’ai jusqu’ici jamais eu besoin de retirer cette procuration. Et pourtant, si un jour elle se rend à la banque pour vider mes comptes, je trouverais sain que le banquier m’appelle pour me demander si ma procuration est toujours valable, et de pouvoir la retirer le cas échéant. En quoi l’existence de la possibilité de retirer la procuration empêche-t-elle le ménage de bien fonctionner ?
        Pour répondre à la dernière question, quand j’ai acheté ma voiture, j’avais très peu de connaissances en la matière et je n’avais pas la moindre envie de faire le travail de renseignement nécessaire pour trouver le modèle qui correspond le mieux à mes besoins. Cependant, j’ai bien dû m’y mettre, au moins suffisamment pour supprimer le risque d’erreur manifeste qui aurait pu avoir des conséquences lourdes à assumer pour moi. Au final, certains experts, connaissant mes besoins, auraient sans doute pu faire un meilleur choix, mais jusqu’ici je n’ai pas eu à le regretter.
        Donc ce qui peut pousser le citoyen à faire le travail d’information, c’est le fait d’avoir à assumer les retombées de la décision qu’il doit prendre.
         
        [« Votre solution règle les problèmes 1 et 2, mais elle laisse le taxi entre les mains d’un chauffeur lui-même aux mains du rival. » Pas du tout. C’est le peuple qui élit le chauffeur, que je sache… ]
         
        Faut-il comprendre ici que vous niez la possibilité que le Gouvernement puisse vouloir agir en vue d’ un autre intérêt que celui du peuple français ?
         
        [c’est curieux, vous faites confiance au peuple pour contrôler le chauffeur, mais pas pour l’élire.]
         
        Je lui fais confiance pour élire ET pour contrôler. C’est plutôt vous qui faites curieusement confiance pour élire, mais pas pour contrôler. Etes-vous également pour n’autoriser le divorce qu’une fois tous les cinq ans, peu importe ce qui peut se produire dans l’intervalle ?
         
        [Possible. Mais parce que le chauffeur est « pleinement responsable », le client aura la possibilité de le faire condamner à des dommages et intérêts conséquents pour lui avoir fait manquer son rendez-vous, si vous me permettez de pousser l’analogie.]
         
        C’est effectivement un progrès, mais insuffisant. D’une part le client aurait plutôt préféré pouvoir arriver à l’heure au rendez-vous. Et d’autre part le rival, satisfait de la prestation du chauffeur, le récompensera, ce qui compensera la condamnation du chauffeur et limitera la responsabilité réelle de ce dernier.
         
        [J’attends toujours que vous m’expliquiez comment s’exerce ce « contrôle direct ». Parce qu’avant de voter, il faut être informé. Comment vous assurez-vous que le peuple qui vote la révocation d’un gouvernement, l’abrogation de telle ou telle disposition, a toutes les billes pour prendre une décision informée ?]
         
        Plus important que la bonne information du mandant, il y a la loyauté du mandataire. Mieux vaut un souverain pas parfaitement informé, mais obéi, qu’un « souverain » parfaitement informé mais mal servi par un mandataire déloyal (sachant de plus que l’élection ne permet même pas de s’assurer que le mandataire est réellement bien informé).
        Dans le premier cas, le souverain peut toujours augmenter sa puissance en faisant l’effort de se renseigner davantage si l’enjeu l’exige. Dans le second cas, celui qui est nominalement souverain est en fait complètement impuissant. Le véritable souverain est celui qui a effectivement les moyens d’imposer ses préférences au Gouvernement.
        Quel est l’intérêt d’avoir un chauffeur compétent et une voiture qui fonctionne parfaitement si le chauffeur refuse de vous emmener où vous le souhaitez ?
        Le vrai problème aujourd’hui n’est pas que le Gouvernement veut agir dans l’intérêt du peuple français et qu’il en est empêché. Le problème est que le Gouvernement est sous l’influence d’intérêts qui ne sont pas ceux du peuple français. Etre aveugle à cela, c’est manquer le point principal. Trouver un mécanisme qui renforce le contrôle du peuple sur le Gouvernement, ce n’est donc pas affaiblir la nation, c’est au contraire la renforcer.
         
        [Avez-vous déjà participé à une assemblée générale de copropriété ? Je vous le conseille : cela devrait vous guérir définitivement de votre croyance dans la démocratie directe.]
         
        Il faut croire que non. Il m’arrive bien d’être ennuyé par certaines (absences de) décisions de l’AG, mais je serais bien davantage ennuyé si le syndic pouvait prendre une décision importante contre la volonté des copropriétaires.

        • Descartes dit :

          @ Spinoza

          [Donc si on excepte le « caractère dissuasif » fort difficile à apprécier, cela fait presque 20 ans qu’aucun mouvement de population aux méthodes pacifiques et légales n’a pu influencer la politique de la nation en dehors du vote. CQFD.]

          Mais pourquoi excepter le « caractère dissuasif » ? Si l’on suivait votre raisonnement, on pourrait dire que la possession de l’arme nucléaire n’a aucun effet sur la politique internationale depuis 80 ans, puisque la bombe n’a pas été utilisée depuis.

          L’effet dissuasif est peut-être difficile à mesurer exactement, mais il est très réel, et comme je vous l’ai dit, je suis bien placé pour le savoir. Il est d’ailleurs remarquable de constater à quel point les mouvements, même pacifiques, marquent traumatiquement l’imaginaire de la classe politique. L’ombre des grèves du Front Populaire, des grèves insurrectionnelles de 1947, de la grève générale de mai 1968, du mouvement de 1995 porte encore aujourd’hui…

          [« Pourtant – et voyant la chose de l’intérieur, je peux vous assurer que c’est le cas – les politiciens hésitent de plus en plus lorsqu’il s’agit de prendre une décision, consultant en permanence sondages et réseaux sociaux, et changeant leur position en fonction du résultat. Comment expliquez-vous, si vous pensez que « la capacité du peuple français à faire valoir son intérêt est aujourd’hui réduite à la portion congrue », que les ministres en aient si peur ? » Ils en ont certainement moins peur que de la réaction des marchés et des lobbies patronaux lorsqu’il s’agit de prendre une décision défavorable aux intérêts du capital.]

          Cela dépend à quel moment, et sur quel sujet. Prenez par exemple la question de la réduction du déficit : cela fait presque un demi-siècle qu’on n’a pas présenté un budget en équilibre, et la cible des 3% inscrite dans le traité de Maastricht n’a presque jamais été atteinte. Pourtant, c’est ce que demandent les marchés et les lobbies patronaux…

          [Ou alors il faut en déduire que ce cher Bayrou est un exemple de courage pour oser présenter un budget à ce point rempli de mesures impopulaires.]

          Au contraire. Les « mesures impopulaires » que Bayrou a mis dans le budget sont autant d’irritants sur lesquels il va pouvoir négocier avec les uns et avec les autres. Comme disait l’un de mes patrons, il faut commencer la négociation en proposant à son adversaire de lui couper les deux bras. Ensuite on négocie, et lorsqu’on acceptera finalement de ne lui couper qu’un bras, il sera presque soulagé… N’oubliez pas que la principale menace pour Bayrou ne vient pas d’un soulèvement du peuple, mais de la censure des députés.

          [« Vous pensez vraiment que vous trouverez une majorité pour accepter de payer plus pour sa retraite ? » Si c’est le capital qui paye, certainement.]

          Vous ne répondez pas à la question : je vous ai demandé si vous croyez vraiment qu’il y aurait une majorité pour accepter de payer plus, et non s’il y aurait une majorité pour accepter que quelqu’un d’autre paye pour eux.

          [Je ne connais pas tellement de gens qui refuseraient une augmentation de salaire. Vous me répondrez peut-être que le capital a les moyens d’y échapper, mais c’est là une autre question – qu’il va falloir régler aussi évidemment -.]

          Non. Je vous répondrai que dans un monde où la circulation du capital est libre, il est impossible de faire baisser la rentabilité du capital sans que celui parte ailleurs. Et que lorsqu’on parle de « faire payer le capital », le résultat sera soit un report de ce paiement sur les salariés (baisse des rémunérations, augmentation des prix) soit un départ des activités productives sous d’autres cieux. Il faut bien se rentrer cela dans la tête : IL EST IMPOSSIBLE DE FAIRE PAYER LE CAPITAL DANS UN CONTEXTE DE LIBRE CIRCULATION.

          [Ici vous changez le référentiel de l’exemple. Vous y ajoutez un législateur qui a qualifié le vol de délit pénalement répréhensible, une police pour arrêter les contrevenants, et un juge pour appliquer la loi pénale.]

          Absolument pas. Vous prétendiez que la souveraineté était la possibilité d’imposer sa volonté. Et bien, le voleur qui prend mon portefeuille m’impose sa volonté. Et peu importe que bien plus tard il puisse être traduit devant un juge.

          [– Soit les institutions que je viens de mentionner ont effectivement les moyens de prévenir et de punir le vol, et dans ce cas le rapport de force est complètement différent par rapport à la version précédente de l’exemple : le voleur n’est plus en mesure de prendre le porte-feuilles, ou s’il le fait il sera forcé de le restituer. Dans cette hypothèse ce n’est donc plus le voleur mais le législateur qui est le souverain.]

          Certainement pas. D’une part, le voleur continue à pouvoir prendre mon portefeuille. Le fait qu’il soit plus tard obligé de le rendre ne change rien à ce fait. Et si vous pensez à la situation où au lieu de prendre mon portefeuille il prend ma vie, là aucune restitution n’est possible.

          [« Imaginons que le peuple vote par référendum la suppression de la grêle, et qu’on constate qu’il grêle toujours autant. Est-ce que le régime est moins « démocratique » pour autant ? » Non, il était sous-entendu que la démocratie est un régime dans lequel le peuple d’une nation dispose effectivement des moyens de faire prévaloir sa volonté sur la politique de la nation.]

          Autrement dit, pour vous la démocratie n’implique pas que le peuple puisse faire prévaloir sa volonté, mais seulement qu’il puisse le faire « sur la politique de la nation ». C’est déjà bien plus restrictif. Maintenant, la question serait de savoir comment peut-on connaître « la volonté du peuple ». Si je postule que « la volonté du peuple » s’exprime à travers les pouvoirs prévus dans la Constitution, alors on peut raisonnablement affirmer que le peuple a les moyens de faire prévaloir sa volonté sur la politique de la nation.

          [Donc si je comprends bien, pour vous le souverain est celui qui est reconnu comme légitime pour édicter des normes, peu importe si ces normes s’appliquent effectivement ou non.]

          Exact. Ou pour être précis, le souverain est celui dont la capacité à admettre comme légitime que les règles qu’il a acceptées est reconnue.

          [Mais d’abord, reconnu comme légitime par qui ?]

          Cela dépend du domaine. Sur le plan international, un « Etat souverain » est un Etat auquel l’ensemble de la communauté internationale reconnaît comme n’étant soumis qu’aux règles qu’il accepte ou fait lui-même. Sur le plan du droit interne, est souveraine l’entité à qui le droit interne reconnaît cette capacité.

          [En France par exemple, qui a légitimé le peuple français en tant que souverain ? Le peuple lui-même ? Dans ce cas c’est un énoncé parfaitement circulaire et donc vide.]

          La souveraineté populaire – comme la souveraineté d’un monarque d’ailleurs – est une construction intellectuelle. Et la légitimité d’une construction intellectuelle tient à un consensus social. Pendant des siècles, la souveraineté a résidé dans un roi. Et les gens obéissaient aux règles faites par le roi sans qu’il soit besoin à chaque fois d’utiliser la force. Un jour, ce modèle s’est effondré et les gens ont commencé à n’accepter comme source ultime du droit que le peuple.

          [« Le voleur n’est pas « souverain », parce qu’il est soumis au code pénal. Il a le pouvoir de me prendre mon portefeuille, mais pas celui de s’en faire le légitime propriétaire aux yeux du juge. La question de la légitimité est implicite dans ma définition : un être souverain n’est soumis qu’aux règles qu’il estime légitimes. C’est le sens de son consentement. » Si, comme vu plus haut, le voleur a concrètement les moyens d’échapper à la justice, alors dans les faits ce voleur ne sera jamais soumis à d’autres règles que les siennes.]

          Bien sur que si. Vous confondez le fait d’être soumis à une loi (qui est un concept juridique) et de ne pas se la voir appliquer effectivement. Je suis soumis à l’impôt même si je dissimule mon revenu. Bien entendu, dans ce cas je ne paye pas, mais je suis en faute du fait de ne pas le faire, et susceptible d’être puni. Pour vous, semble-t-il, la situation de celui qui est dans son droit et celle de celui qui est dans son tort sont identiques dès lors que la deuxième situation n’est pas détectée et punie. Mais ce n’est pas le cas.

          [Dans ce cas, rien ne l’empêche de s’estimer légitime propriétaire du porte-feuilles.]

          Ce serait de la folie. Car s’il s’estime le « légitime propriétaire » du portefeuille, il n’a aucune raison de ne pas utiliser son contenu de manière publique et non équivoque. Par exemple, en utilisant ma carte d’identité ou ma carte de crédit comme si c’était la sienne. Et s’il était de ce fait arrêté, il devrait aller devant le juge en expliquant qu’il est le « légitime propriétaire ». Pensez-vous qu’il y ait beaucoup de voleurs pour avoir ce type de comportement ? Au contraire, votre voleur utilisera tous les moyens à sa portée pour dissimuler son forfait, pour ne pas risquer d’être répéré et amené devant le juge. Autrement dit, il est parfaitement conscient de ne pas être « légitime »…

          [Comme dit plus haut, cela signifie que la nation est souveraine sur la politique qu’elle se donne.]

          Mais si la « politique qu’elle se donne » est d’occuper New York ou d’éradiquer le SIDA, et qu’on n’y arrive pas, doit on conclure qu’on n’est pas souverain ?

          [Et quel est donc l’intérêt pour moi d’être reconnu comme propriétaire légitime, si je suis suffisamment puissant pour être assuré qu’aucun homme et qu’aucune institution ne dispose des moyens de m’empêcher de faire usage de ce portefeuille à ma convenance ?]

          La question que vous posez est celle posée par Hobbes : pourquoi même les puissants ont intérêt à céder leur « pouvoir de nuire » au Léviathan plutôt que de continuer à vivre dans « la guerre de tous contre tous » ? Peut-être parce que même les plus forts et les plus puissants aujourd’hui ne sont pas sûrs de l’être encore demain. Ou parce qu’une société organisée par un souverain dont les règles s’imposent à tous est plus efficiente que l’état de nature…

          [Si Kim Jong-Un vient vous voler votre porte-feuilles et repart ensuite dans son pays, pensez-vous que ça l’intéresse d’être regardé comme le propriétaire légitime ? Et ça l’amuse, il peut toujours faire légitimer sa possession par un juge nord-coréen.]

          Exactement… et s’il peut le faire légitimer, c’est parce qu’il est le souverain…

          [Je ne dis pas que personne ne recherche à voir son pouvoir ou sa propriété reconnue comme légitime, mais ce n’est en fait rien d’autre qu’une manière de chercher à enrôler derrière soi la puissance des institutions. Si ces institutions sont faibles, cela n’a aucun intérêt. Donc, en définitive, on voit bien que la seule question qui compte est celle de la puissance.]

          Mais vous manquez la dialectique de la chose. Les institutions sont fortes lorsqu’elles peuvent s’imposer aux acteurs privés, même les plus puissants. Mais à l’inverse, les institutions deviennent fortes parce que les acteurs privés, y compris les plus puissants, ont intérêt à les renforcer. On est ramené à la question hobbesienne. En apparence, les plus forts et les plus puissants ont tout intérêt au retour à l’état de nature, parce qu’ayant la force et la puissance cela leur donne tous les droits. Mais ce n’est pas ce qu’on observe empiriquement, au contraire. Depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours, on a progressé en construisant des sociétés qui réservent l’usage de la force et de la violence à des institutions. Et cela marche parce que les plus puissants, en acceptant la limitation de leur puissance, gagnent en sécurité, en stabilité, en efficacité.

          [« Mais cela veut dire quoi « mettre les mécanismes de contrôle directement entre les mains du peuple » ? Prenons par exemple : comment s’exercerait le « mécanisme de contrôle directement entre les mains du peuple » pour une décision comme la fermeture de Fessenheim ? Pour évaluer sérieusement une telle décision, il faut lire des milliers de pages de rapports d’experts, d’arguments des opposants et des partisans de la mesure, interroger pendant des dizaines d’heures les experts de l’un et l’autre camp. Comment organiseriez-vous les choses pour que le peuple puisse DIRECTEMENT faire ce travail ? » Parce que François Hollande, lui, c’est bien connu, a décidé de la fermeture de Fessenheim après avoir lu des milliers de pages de rapports d’experts, d’arguments des opposants et des partisans de la mesure, et interrogé pendant des dizaines d’heures les experts de l’un et l’autre camp. Et seul l’intérêt de la nation française a guidé sa décision…]

          Si je comprends bien votre raisonnement, vous m’expliquez que « mettre les mécanismes de contrôle directement entre les mains du peuple » donnerait finalement le même résultat que le système existant. Dans ces conditions, pourquoi en changer ?

          [Plus sérieusement, en 2005 les gens n’avaient pas tous lu in extenso le projet de Constitution européenne, loin s’en faut. Pourtant le débat a eu lieu, et une décision en est sortie. Le peuple peut donc tout à fait se prononcer sur une décision nécessitant des connaissances techniques complexes avec une information imparfaite.]

          D’abord, ce n’est pas « le peuple » qui s’est exprimé, ce sont les électeurs. Il y a dans votre commentaire une prémisse cachée : la volonté du peuple s’exprime par le référendum. Cette prémisse n’a rien d’évident. Ensuite, la question ne portait pas sur le fait de prendre une décision, mais sur le fait de contrôler les décisions prises par d’autres organes. Enfin, parce que le référendum ne peut que donner un résultat binaire, il ne fonctionne que lorsque la question à décider peut être formulée comme une option.

          Vous n’avez toujours pas répondu à ma question, je la réponse donc : « Mais cela veut dire quoi « mettre les mécanismes de contrôle directement entre les mains du peuple » ? Prenons par exemple : comment s’exercerait le « mécanisme de contrôle directement entre les mains du peuple » pour une décision comme la fermeture de Fessenheim ? Pour évaluer sérieusement une telle décision, il faut lire des milliers de pages de rapports d’experts, d’arguments des opposants et des partisans de la mesure, interroger pendant des dizaines d’heures les experts de l’un et l’autre camp. Comment organiseriez-vous les choses pour que le peuple puisse DIRECTEMENT faire ce travail ? »

          [Vous-même, lorsque vous achetez une voiture, faites-vous le comparatif de l’intégralité des caractéristiques techniques de tous les modèles disponibles sur le marché, ainsi que celui de toutes les formules existantes de contrats d’assurance auto ? J’en doute. Et si ce n’est pas le cas, cela justifie-t-il que quelqu’un d’autre, qui se proclamerait expert mais qui pourrait se trouver en situation de conflit d’intérêts, choisisse votre voiture à votre place ?]

          Mais c’est bien ce qui arrive. Je peux choisir ma voiture, mais seulement parmi les modèles qui ont été acceptés par les experts comme remplissant toutes les conditions de sécurité, de pollution, etc. fixées par une réglementation elle-même élaborée par d’autres experts. Bien sûr, le choix final m’appartient, mais je n’ai le choix qu’entre un nombre très limité d’options… proposeriez-vous un système semblable en politique, autrement dit, de laisser le peuple choisir entre les options préalablement approuvées par les experts ? Ou bien pensez-vous à l’inverse qu’il faudrait pouvoir proposer toutes sortes de véhicules, et laisser à l’acheteur le soin de vérifier qu’ils sont sûrs ?

          [En résumé, l’information est certes importante, mais si la loyauté du mandataire n’est pas assurée d’abord, elle ne sert à rien.]

          Vrai. Mais alors il faut investir l’effort de réflexion pour trouver des moyens de s’assurer de la loyauté du mandataire, plutôt que d’imaginer qu’on pourrait se passer de lui. Parce que dans la réalité, le mandataire est indispensable. Et cela non pas pour une question de principe, mais pour une simple question de division du travail.

          [Et si le problème de l’information vous est si cher, dites-vous que si le peuple prend une mauvaise décision, les conséquences retomberont forcément sur lui. Dans ce cas, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même et sera incité à mieux se renseigner la fois suivante. On ne fait pas mieux pour pousser quelqu’un à prendre une bonne décision que l’obliger à endosser réellement la responsabilité de la décision. Ce ne sera jamais parfait mais encore une fois ça reste la moins mauvaise des solutions.]

          Tout à fait. Sauf que, pour beaucoup de décisions politiques, le temps qui s’écoule entre la décision et les conséquences peut être très long. Et dans ce cas, ceux qui prennent la décision et ceux qui subissent les conséquences ne sont pas les mêmes. Ceux qui ont détruit notre système scolaire n’ont que peu de chances de retourner à l’école…

          [Je n’ai pas dit que je refusais toute délégation, j’ai dit que le déléguant doit pouvoir contrôler le délégataire,]

          Non. Vous avez dit que le délégant doit pouvoir contrôler DIRECTEMENT le délégataire, c’est qui est bien plus contraignant. Autrement dit, je veux bien noter que vous ne refusez pas TOUTE délégation, mais vous refuses TOUTE DELEGATION DU CONTROLE. Et cela reste pour moi irréaliste.

          [A ce jour j’ai toute confiance dans mon épouse, elle a procuration sur l’intégralité de mes comptes bancaires. Je ne vérifie pas tous les mouvements sur les comptes, et je n’ai jusqu’ici jamais eu besoin de retirer cette procuration. Et pourtant, si un jour elle se rend à la banque pour vider mes comptes, je trouverais sain que le banquier m’appelle pour me demander si ma procuration est toujours valable, et de pouvoir la retirer le cas échéant. En quoi l’existence de la possibilité de retirer la procuration empêche-t-elle le ménage de bien fonctionner ?]

          Vous noterez que dans votre exemple, vous déléguez le contrôle à un tiers, le banquier. Vous le dites vous-même : vous ne regardez pas vous-même chaque mouvement de votre compte, mais vous lui demandez d’exercer une surveillance. Autrement dit, vous reniez le principe que vous invoquez en politique, c’est-à-dire « mettre les mécanismes de contrôle directement entre les mains du peuple ».

          [Pour répondre à la dernière question, quand j’ai acheté ma voiture, j’avais très peu de connaissances en la matière et je n’avais pas la moindre envie de faire le travail de renseignement nécessaire pour trouver le modèle qui correspond le mieux à mes besoins. Cependant, j’ai bien dû m’y mettre, au moins suffisamment pour supprimer le risque d’erreur manifeste qui aurait pu avoir des conséquences lourdes à assumer pour moi. Au final, certains experts, connaissant mes besoins, auraient sans doute pu faire un meilleur choix, mais jusqu’ici je n’ai pas eu à le regretter.]

          Comme je vous l’ai dit plus haut, la voiture que vous avez achetée avait déjà été présélectionnée par des experts, puisque seuls les modèles conformes à une réglementation technique très complexe sont admis à la commercialisation. Ensuite, j’imagine que pour « trouver le modèle le mieux adapté à vos besoins » vous avez consulté les sites ou les revues spécialisées, c’est-à-dire, l’opinion des experts. Enfin, il s’agissait là d’une affaire qui vous concernait personnellement : vous connaissez intimement les besoins que la voiture est censée satisfaire. Mais si demain vous deviez contrôler une décision concernant l’usage d’un pesticide agricole ou le destin des déchets nucléaire FAVL, vous auriez beaucoup plus de mal à déterminer en quoi les choix sont dans votre intérêt.

          [Donc ce qui peut pousser le citoyen à faire le travail d’information, c’est le fait d’avoir à assumer les retombées de la décision qu’il doit prendre.]

          Tout à fait. Ce qui suppose une capacité à anticiper précisément les retombées en question. Et encore faut-il que ces retombées vous concernent de votre vivant, sans quoi vous n’aurez rien à assumer.

          [« « Votre solution règle les problèmes 1 et 2, mais elle laisse le taxi entre les mains d’un chauffeur lui-même aux mains du rival. » » « Pas du tout. C’est le peuple qui élit le chauffeur, que je sache… » Faut-il comprendre ici que vous niez la possibilité que le Gouvernement puisse vouloir agir en vue d’ un autre intérêt que celui du peuple français ?]

          Absolument pas. Je me contente de dire que, du moment où le peuple élit son gouvernement, on peut difficilement dire que celui-ci est « dans les mains du rival ». Je ne comprends pas très bien : vous faites confiance au peuple à l’heure de contrôler ses gouvernants, mais pas à l’heure de les élire…

          [Je lui fais confiance pour élire ET pour contrôler. C’est plutôt vous qui faites curieusement confiance pour élire, mais pas pour contrôler. Etes-vous également pour n’autoriser le divorce qu’une fois tous les cinq ans, peu importe ce qui peut se produire dans l’intervalle ?]

          L’analogie est absurde : à ma connaissance, le mariage n’est pas un acte de délégation. Je trouve d’ailleurs amusant que vous ayez systématiquement recours à une analogie entre l’élection et le mariage…

          Moi, je fais confiance au peuple pour élire et pour contrôler. Mais pas forcément DIRECTEMENT, et pas en temps réel. Une politique a besoin de temps pour être jugée. En autorisant le divorce immédiat, on ouvre la porte à une forme de démagogie néfaste. Construire une infrastructure, ça fait toujours des nuisances au début, mais ça rapporte souvent très gros à la fin. Jugée en temps réel, on ne construirait plus rien.

          [« J’attends toujours que vous m’expliquiez comment s’exerce ce « contrôle direct ». Parce qu’avant de voter, il faut être informé. Comment vous assurez-vous que le peuple qui vote la révocation d’un gouvernement, l’abrogation de telle ou telle disposition, a toutes les billes pour prendre une décision informée ? » Plus important que la bonne information du mandant, il y a la loyauté du mandataire. Mieux vaut un souverain pas parfaitement informé, mais obéi, qu’un « souverain » parfaitement informé mais mal servi par un mandataire déloyal (sachant de plus que l’élection ne permet même pas de s’assurer que le mandataire est réellement bien informé).]

          Je vois dans votre réponse le cœur de notre désaccord. Il réside dans la fonction du « mandataire ». Pour vous, c’est un simple porte-voix, qui doit « obéir ». On n’est pas loin du mandat impératif. Pour moi, la délégation est un acte de confiance. Je ne le désigne pas pour faire ce que je lui ordonne de faire, mais parce que j’ai confiance dans son propre jugement – éventuellement meilleur que le mien – pour prendre les bonnes décisions.

          L’élection ne permet peut-être pas à l’électeur d’être informé de l’ensemble des dossiers que l’élu aura à traiter, mais elle permet une information raisonnable de l’électeur quant à la formation, la carrière, l’histoire politique de chaque candidat… et c’est cela qui conditionne la confiance que je peux avoir en lui.

          [Le vrai problème aujourd’hui n’est pas que le Gouvernement veut agir dans l’intérêt du peuple français et qu’il en est empêché.]

          Je ne sais pas si c’est le « vrai problème », mais c’est un problème. Lorsque le gouvernement veut construire une infrastructure utile, il agit « dans l’intérêt du peuple français ». Ne soyons pas schématiques : les gouvernements ne cherchent pas SYSTEMATIQUEMENT à embêter les Français.

          [« Avez-vous déjà participé à une assemblée générale de copropriété ? Je vous le conseille : cela devrait vous guérir définitivement de votre croyance dans la démocratie directe. » Il faut croire que non. Il m’arrive bien d’être ennuyé par certaines (absences de) décisions de l’AG, mais je serais bien davantage ennuyé si le syndic pouvait prendre une décision importante contre la volonté des copropriétaires.]

          Vous aurez noté que beaucoup de décisions – surtout concernant les questions de sécurité – sont rendues obligatoires par des textes réglementaires. Pensez-vous qu’il faudrait laisser les copropriétaires libres de ne pas les prendre ?

  21. Goupil dit :

    @Descartes
     
    [Les systèmes proportionnels tendent à favoriser le morcellement et la multiplication des partis, d’autant plus que les seuils fixés pour avoir des élus sont faibles. Ce morcellement oblige à constituer des coalitions disparates en termes idéologiques, et donc à favoriser l’irresponsabilité, parce que les coalitions se font après les élections, et donc sur un programme qui n’a pas été soumis aux électeurs. Chacun aura donc beau dire à ces derniers que si le programme défendu lors des élections n’a pas été mis en œuvre, c’est parce que les équilibres de la coalition ne l’ont pas permis.]
     
    Pardon mais ce n’est pas le système proportionnel en soi qui favorise le morcellement, c’est le seuil. En Turquie, pendant longtemps, le seuil d’accès au Parlement était de 10%, ce qui n’a guère favorisé le morcellement : le paysage turc a été dominé de fait par trois ou quatre partis, dont la plupart ont pu gouverner avec une majorité absolue sans avoir à constituer de coalition. Et pourtant il s’agissait bien d’un système proportionnel…
     
    D’autant que le seuil lui-même n’est pas suffisant pour déterminer le morcellement du paysage politique. Certes, si vous établissez un seuil trop bas, cela favorise effectivement ce morcellement. C’est le cas par exemple aux Pays-Bas et en Israël où le seuil est de 3% – mais je constate que ce système s’applique à deux pays déjà divisés en petites communautés plus ou moins concurrentes et donc tend à correspondre à leur état social. En Allemagne, le seuil a toujours été depuis 1949 de 5%. Si le paysage politique allemand se fragmente en effet de plus en plus (sans d’ailleurs que les partis issus de cette fragmentation ne parviennent forcément à entrer au Bundestag), il faut tout de même pas oublier que, dans le gros de son histoire, il était divisé en trois (CDU-CSU, SPD et FDP) sans que le seuil en lui-même ait été modifié…Donc, ici, le seuil ne permet pas d’expliquer l’état réel de fragmentation.
     
    Concernant le programme qui n’a pas été soumis aux électeurs, je crois que cela dépend. Si je ne m’abuse, il me semble que le SPD demande systématiquement à ses adhérents (qui a tout de même atteint le million dans les années 1970) de voter pour ou contre l’accord de coalition proposé…donc cela dépend des partis. De plus, il est assez facile de contrer ce phénomène en organisant un scrutin proportionnel en deux tours similaire à ce qui se fait aux élections régionales (10% pour avoir des sièges, 5% pour pouvoir fusionner avec une autre liste), de façon à ce que les électeurs soient appelés à se prononcer sur la coalition finale au second tour – et, en sus, on peut même accorder une petite prime majoritaire à la liste arrivée en tête de façon à consolider sa majorité si elle n’est que relative.
     
    Je me permet également de répondre à un argument que vous aviez parfois utilisé contre les scrutins proportionnels mais que vous ne mobilisez ici. Vous aviez reproché aux scrutins proportionnels de ne pas permettre aux électeurs de choisir leurs représentants.
     
    Déjà, j’aurais tendance à dire…c’est le but. En France, dans les années 1910, les partisans de la campagne pour la “représentation proportionnelle” (dont les socialistes, les monarchistes mais aussi des républicains comme Buisson, Briand ou Poincaré) se donnent explicitement pour but de lutter contre les “marigots électoraux” – c’est-à-dire contre le scrutin majoritaire de circonscription qui favorise à leurs yeux le clientélisme et l’élection des notables. Les socialistes en particulier insistent sur l’importance d’interdire le panachage en cas de scrutin de liste. C’est assez systématique chez les partis du mouvement ouvrier : la SFIO et le PCF se sont toujours efforcés de contrôler au maximum leurs élus qui étaient pensés comme des incarnations locales du parti et des porte-parole de ce dernier, devant obéir aux directives centrales sur toutes les questions importantes et faire passer les intérêts du parti (c’est-à-dire les intérêts de leur classe) avant ceux de leur circonscription. Lors des élections de 1924 par exemple, le PCF présente ses candidats par ordre alphabétique sur les listes départementales (il s’agit alors d’un mode de scrutin bâtard), ce qui montre bien son refus de la personnalisation et sa conception utilitaire des élus. Avant la guerre, Guesde justifie cette soumission des élus au parti par le fait que les élus le sont à la fois par des prolétaires et par des non-prolétaires et qu’ils sont donc dépositaires d’intérêts potentiellement contradictoires alors que le parti (ici la SFIO) organise l’avant-garde consciente du prolétariat, ce qui justifie sa primauté.
     
    De toutes manières, cela peut être facilement contrecarré. Il est sûr que si vous avez une liste nationale unique, il risque d’être très compliqué de choisir qui l’on souhaite en particulier comme représentant sur la liste. Cependant, il est possible d’imposer des listes régionales (comme en Allemagne) ou départementales – ce qui, soit dit en passant, en réduisant le nombre de sièges à pourvoir, rehausse mécaniquement le seuil d’accès. De plus, dans je ne sais plus quel pays scandinave, il existe un mécanisme de vote préférentiel : les listes sont obligées de présenter plus de candidats qu’il n’y a de sièges à pourvoir et l’électeur doit cocher un nombre de candidats sur la liste de son choix inférieur au nombre de sièges à pourvoir, les sièges acquis par une même liste étant distribués entre les candidats ayant été cochés le plus grand nombre de fois. On peut également penser à la Suisse où les électeurs peuvent pratiquer le latoisage (rayer purement et simplement les candidats d’une liste qu’ils ne veulent pas voir élus) et le panachage (voter pour un ou plusieurs candidats d’une autre liste), tout en conservant un système proportionnel. Enfin, il y a le très complexe système allemand qui permet aux électeurs de choisir le représentant de leur circonscription locale dans le cadre d’une répartition proportionnelle globale des sièges.
     
    [Les systèmes uninominaux n’assurent pas une représentation exacte de l’électorat, puisqu’ils accordent une prime importante aux partis capables de s’entendre sur un projet de gouvernement. Mais d’un autre côté, ce projet ayant été présenté aux électeurs avant l’élection, la question de la responsabilité se pose en termes beaucoup plus clairs.]
     
    Cela est très douteux. Votre argument fonctionne bien pour la Vème République et les modèles proches mais se trouve mis en défaut avec des exemples venus du passé. La IIIème République est le contre-exemple typique. Pendant la quasi-totalité de son existence, elle a fonctionné sur le mode du scrutin uninominal en deux tours…en ne parvenant souvent que difficilement à produire une majorité stable, surtout dans l’Entre-deux-guerres. La valse des ministères entre 1928 et 1940 n’a pas grand chose à envier à celle entre 1946 et 1958, alors que le scrutin est majoritaire dans le premier cas et proportionnel dans le second. En tous cas, le rétablissement du scrutin dit d’arrondissement en 1928 ne semble pas apporter une plus grande stabilité gouvernementale par rapport aux élections de 1919 et de 1924 où le mode de scrutin était bâtard…à vue de nez, il semble même que la situation post-1928 soit beaucoup plus instable que celle post-1919. 
     
    L’incapacité du scrutin d’arrondissement à dégager une majorité faisait partie justement des problèmes étudiés par les partisans d’une révision constitutionnelle. D’après Tardieu, dont les projets ont vraisemblablement inspiré Debré, le principal problème à résoudre dans ce cadre était le Parti radical. Il formait un magma central politiquement informe, combinant des députés élus avec des voix de gauche (parfois communistes) et dépendants d’elles, des députés élus avec des voix de droite (parfois nationalistes) et dépendants d’elles, des députés élus en pure “concentration républicaine”…et surtout un nombre élevé d’opportunistes élus parce qu’ils représentaient avant tout les intérêts du lobby local de leur circonscription. Le projet de Tardieu (repris ensuite par Debré) était de forcer les radicaux à choisir soit la droite, soit la gauche, en supprimant le second tour qui favorisait les coalitions de dernière minute sur des programmes plus ou moins négociés avec les autres forces politiques : Tardieu et Debré sont favorables au “modèle anglo-saxon”, c’est-à-dire un scrutin uninominal majoritaire en un seul tour, qui met face à face ce que Tardieu appelle un “bloc de gouvernement” réunissant toute la droite et les radicaux les plus centristes et un “bloc marxiste” formé par la SFIO et le PCF, écrasant entre eux ceux qui refusent de choisir. 
     
    Si cette orientation semble superficiellement fonctionner aux Etats-Unis (en faisant peu de cas du fait que des “tiers partis” puissants ont pu émerger dans l’histoire américaine, a minima dans les Etats), elle trouve un contre-exemple au Royaume-Uni. De fait, Labour et Tories ont souvent été obligés de faire coalition avec les Libéraux puis les Lib-Dems pour pouvoir gouverner – donc même le scrutin uninominal en un tour, pensé pour réduire le paysage politique à deux blocs, ne permet pas d’atteindre cet objectif à coup sûr. De plus, je remarquerai que le paysage politique britannique s’est singulièrement fragmenté malgré tout avec l’apparition des Verts, des partis régionalistes, de partis d’extrême-droit dépassant le cadre de petites sectes néo-nazies…partis qui, s’ils ont peu d’élus, absorbent structurellement une partie de plus en plus conséquente du vote populaire. 
     
    Je trouve donc votre opposition scrutin uninominal/scrutin proportionnel bien trop schématique. Ce qui garantissait la stabilité de la Vème République, c’était la combinaison entre l’élection présidentielle au scrutin uninominal majoritaire en deux tours et des élections législatives au scrutin uninominal majoritaire en deux tours avec un Président de la République disposant du droit discrétionnaire de dissolution – renforcée par l’alignement quinquennal des mandats présidentiel et législatif avec antériorité du premier sur le second. Modifier un seul facteur, c’est remettre en cause l’équilibre et la stabilité du régime. Cependant, même cela est à nuancer. Il n’y a eu finalement qu’un nombre réduit de législatures français de la Vème République dominées par une majorité absolue (dont 3/5 après l’instauration du quinquennat en 2002) : celle de 1968 par les gaullistes, celle de 1981 par les socialistes, celles de 2002 et 2007 par l’UMP et celle de 2012 par les socialistes. Dans tous les autres cas, il s’agissait de coalitions de fait entre plusieurs partis. Et les élections de 2024 ont montré que, même avec tous ces facteurs combinés, il n’existe aucune garantie à 100% de stabilité gouvernementale… Car fondamentalement, la Constitution est assez secondaire par rapport au contexte socio-politique dans lequel elle se déploie : il existe certes des Constitutions qui correspondent mieux à leur contexte socio-politique et d’autres moins bien, mais cela reste mineur.
     
    La IVème République est l’archétype de l’instabilité gouvernementale, mais ce n’était pas écrit par avance dans le marbre. La Constitution de 1946 prévoyait en réalité des mécanismes permettant de garantir la stabilité gouvernementale (notamment l’obligation d’en passer par une motion de censure pour renverser le gouvernement, reprise par les constituants de 1958, ou encore le droit de dissolution accordé au Président du Conseil des ministres, certes dans des circonstances restrictives), et la loi des apparentements pouvait permettre de dégager plus clairement des majorités. Et, qui plus est, les circonscriptions étaient petites pour limiter la fragmentation politique – qui est peu élevée puisqu’on retrouve globalement les mêmes partis que sous la Cinquième. Si je ne m’abuse, les trois gouvernements les plus longs (Mendès France, Faure et Mollet) sont ceux qui vont utiliser à plein tous ces outils – alors que, depuis Ramadier, des mauvaises habitudes avaient été prises (appliquées volontairement par les gouvernements alors que rien ne les y obligeait) : double investiture du Président du Conseil et du gouvernement, démission sur simple échec du gouvernement devant l’assemblée… Le rôle du scrutin proportionnel est somme toute mineur dans l’échec de la Quatrième République.

    • Descartes dit :

      @ Goupil

      [Pardon mais ce n’est pas le système proportionnel en soi qui favorise le morcellement, c’est le seuil. En Turquie, pendant longtemps, le seuil d’accès au Parlement était de 10%, ce qui n’a guère favorisé le morcellement : le paysage turc a été dominé de fait par trois ou quatre partis, dont la plupart ont pu gouverner avec une majorité absolue sans avoir à constituer de coalition. Et pourtant il s’agissait bien d’un système proportionnel…]

      Vous avez raison dans l’abstrait. Mais si vous imposez un seuil important, vous perdez ce qui est les principaux arguments des partisans du système proportionnel, à savoir, le fait qu’il assure une représentation « juste » de tous les courants d’opinion, et le fait qu’il n’impose pas la formation de blocs avant les élections mais permet la négociation après l’élection sans que chacun soit l’otage de son bloc. Si vous fixez un seuil important, vous forcez – comme dans le système majoritaire – les organisations politiques à faire des accords avant l’élection, et les petits partis sont laminés. Dans ces conditions, quel avantage par rapport au système majoritaire à deux tours ?

      Autrement dit, si vous voulez les avantages de la proportionnelle, il vous faut fixer le seuil relativement bas… et dans ce cas, mon commentaire conserve toute sa valeur.

      [En Allemagne, le seuil a toujours été depuis 1949 de 5%. Si le paysage politique allemand se fragmente en effet de plus en plus (sans d’ailleurs que les partis issus de cette fragmentation ne parviennent forcément à entrer au Bundestag),]

      Le cas d’un état fédéral est un peu différent. Les partis peuvent conserver une existence politique sans pour autant dépasser le seuil au niveau national. Ainsi, par exemple, la CSU a pu exister grâce à son fief bavarois alors qu’elle a du se fondre nationalement dans la CDU au niveau national.

      [Concernant le programme qui n’a pas été soumis aux électeurs, je crois que cela dépend. Si je ne m’abuse, il me semble que le SPD demande systématiquement à ses adhérents (qui a tout de même atteint le million dans les années 1970) de voter pour ou contre l’accord de coalition proposé…donc cela dépend des partis.]

      Non. Une chose est de demander « aux adhérents » et une autre de demander « aux électeurs ». Même avec un million d’adhérents, cela ne fait qu’une portion très limitée des électeurs, et ne constitue certainement pas un échantillon représentatif.

      [De plus, il est assez facile de contrer ce phénomène en organisant un scrutin proportionnel en deux tours similaire à ce qui se fait aux élections régionales (10% pour avoir des sièges, 5% pour pouvoir fusionner avec une autre liste), de façon à ce que les électeurs soient appelés à se prononcer sur la coalition finale au second tour – et, en sus, on peut même accorder une petite prime majoritaire à la liste arrivée en tête de façon à consolider sa majorité si elle n’est que relative.]

      Oui. Mais avec cette logique, encore une fois, vous perdez tous les avantages qu’on invoque au sujet du scrutin proportionnel. Toutes les sensibilités ne sont pas représentées – il faut 10% pour pouvoir se maintenir au second tour et avoir des élus. Et il y a des accords avant le premier tour, puisqu’il faut constituer une liste susceptible d’atteindre ce niveau pour espérer des élus.

      [Je me permet également de répondre à un argument que vous aviez parfois utilisé contre les scrutins proportionnels mais que vous ne mobilisez ici. Vous aviez reproché aux scrutins proportionnels de ne pas permettre aux électeurs de choisir leurs représentants. Déjà, j’aurais tendance à dire…c’est le but. En France, dans les années 1910, les partisans de la campagne pour la “représentation proportionnelle” (dont les socialistes, les monarchistes mais aussi des républicains comme Buisson, Briand ou Poincaré) se donnent explicitement pour but de lutter contre les “marigots électoraux” – c’est-à-dire contre le scrutin majoritaire de circonscription qui favorise à leurs yeux le clientélisme et l’élection des notables.]

      C’est exact. Mais la France de 2025 n’est plus celle de 1910. Dans la France paysanne de 1910, avec une population peu éduquée, dont la seule source d’information était le journal local souvent contrôlé par un notable qui était quelquefois le principal employeur, l’argument était valable. Mais on n’en est plus là. Je ne pense pas qu’on puisse évaluer un mode de scrutin « in abstracto », en dehors du contexte économique et social.

      [De toutes manières, cela peut être facilement contrecarré. Il est sûr que si vous avez une liste nationale unique, il risque d’être très compliqué de choisir qui l’on souhaite en particulier comme représentant sur la liste. Cependant, il est possible d’imposer des listes régionales (comme en Allemagne) ou départementales – ce qui, soit dit en passant, en réduisant le nombre de sièges à pourvoir, rehausse mécaniquement le seuil d’accès.]

      Si vous faites une liste départementale, vous aurez de facto un scrutin majoritaire dans un certain nombre de départements – tous ceux qui élisent deux députés, et ils sont un paquet. La proportionnelle régionale n’a pour moi pas de sens, parce que nos régions n’ont aucune réalité politique ou sociale et sont des purs découpages administratifs, et que de toute façon la région est trop grande pour qu’il y ait un rapport personnel entre l’élu et ses électeurs.

      [De plus, dans je ne sais plus quel pays scandinave, il existe un mécanisme de vote préférentiel : les listes sont obligées de présenter plus de candidats qu’il n’y a de sièges à pourvoir et l’électeur doit cocher un nombre de candidats sur la liste de son choix inférieur au nombre de sièges à pourvoir, les sièges acquis par une même liste étant distribués entre les candidats ayant été cochés le plus grand nombre de fois.]

      Ce mécanisme ne change en rien le problème du lien personnel, mais c’est un moyen de limiter le pouvoir des partis dans la sélection des élus (puisqu’il ne suffit plus d’être en tête de liste pour être élu). Ce sont deux problématiques différentes.

      [« Les systèmes uninominaux n’assurent pas une représentation exacte de l’électorat, puisqu’ils accordent une prime importante aux partis capables de s’entendre sur un projet de gouvernement. Mais d’un autre côté, ce projet ayant été présenté aux électeurs avant l’élection, la question de la responsabilité se pose en termes beaucoup plus clairs. » Cela est très douteux. Votre argument fonctionne bien pour la Vème République et les modèles proches mais se trouve mis en défaut avec des exemples venus du passé. La IIIème République est le contre-exemple typique. Pendant la quasi-totalité de son existence, elle a fonctionné sur le mode du scrutin uninominal en deux tours…en ne parvenant souvent que difficilement à produire une majorité stable, surtout dans l’Entre-deux-guerres.]

      Si j’ai bien compris, la IIIème République a pour l’essentiel utilisé un scrutin uninominal à deux tours… mais sans réduction des candidatures entre le premier et le deuxième tour, autrement dit, sans qu’il y ait de seuil pour se maintenir au second tour. Un tel système favorisait l’éclatement avant le premier tour, et des alliances qui n’avaient rien de programmatique entre les deux tours…

      Mais je suis d’accord avec vous que le système électoral EN LUI-MEME n’est pas en mesure de garantir une certaine stabilité. L’organisation des rapports avec l’exécutif, et notamment le droit de dissolution donné à un président élu au suffrage universel joue aussi son rôle.

      [Tardieu et Debré sont favorables au “modèle anglo-saxon”, c’est-à-dire un scrutin uninominal majoritaire en un seul tour, qui met face à face ce que Tardieu appelle un “bloc de gouvernement” réunissant toute la droite et les radicaux les plus centristes et un “bloc marxiste” formé par la SFIO et le PCF, écrasant entre eux ceux qui refusent de choisir.]

      Le problème du système britannique est qu’il pousse au bipartisme, les conflits politiques ses réglant à l’intérieur des partis plutôt que dans les urnes. Et du coup, l’électeur n’a en fait que le choix entre deux candidats. La représentativité des opinions minoritaires se joue donc dans les batailles de coulisse dans les partis.

      [Si cette orientation semble superficiellement fonctionner aux Etats-Unis (en faisant peu de cas du fait que des “tiers partis” puissants ont pu émerger dans l’histoire américaine, a minima dans les Etats), elle trouve un contre-exemple au Royaume-Uni. De fait, Labour et Tories ont souvent été obligés de faire coalition avec les Libéraux puis les Lib-Dems pour pouvoir gouverner –]

      Quand ça ? Il n’y a que trois exemples modernes ou un seul parti n’ait pas eu la majorité : en 1974, quand Harold Wilson conduit un gouvernement minoritaire (et cela durera 6 mois, jusqu’à une dissolution où il a conquis une majorité claire) ; en 2010 (gouvernement Cameron-Clegg, alliance entre Tories et Lib-Dem), et en 2017 (gouvernement Tory avec la « bienveillance » des unionistes irlandais). Finalement, il n’y a qu’un cas de gouvernement de coalition.

      [Je trouve donc votre opposition scrutin uninominal/scrutin proportionnel bien trop schématique. Ce qui garantissait la stabilité de la Vème République, c’était la combinaison entre l’élection présidentielle au scrutin uninominal majoritaire en deux tours et des élections législatives au scrutin uninominal majoritaire en deux tours avec un Président de la République disposant du droit discrétionnaire de dissolution – renforcée par l’alignement quinquennal des mandats présidentiel et législatif avec antériorité du premier sur le second.]

      Tout à fait d’accord. Je n’ai jamais dit le contraire.

      [Modifier un seul facteur, c’est remettre en cause l’équilibre et la stabilité du régime. Cependant, même cela est à nuancer. Il n’y a eu finalement qu’un nombre réduit de législatures français de la Vème République dominées par une majorité absolue]

      Si par « dominées par une majorité absolue » vous entendez qu’un parti avait à lui seul la majorité absolue, vous avez raison. Mais la stabilité ne nécessite pas que ce soit le cas. Même lorsqu’un parti n’avait pas la majorité à lui seul, il y avait un accord majoritaire constitué préalablement à l’élection – et que les partis pouvaient difficilement trahir après. Ainsi, par exemple, Raymond Barre pouvait utiliser le 49.3 sans la moindre crainte que le RPR vote une motion de censure.

      [Et les élections de 2024 ont montré que, même avec tous ces facteurs combinés, il n’existe aucune garantie à 100% de stabilité gouvernementale… Car fondamentalement, la Constitution est assez secondaire par rapport au contexte socio-politique dans lequel elle se déploie : il existe certes des Constitutions qui correspondent mieux à leur contexte socio-politique et d’autres moins bien, mais cela reste mineur.]

      « Garantie à 100% », certainement pas. Mais il y a des arrangements constitutionnels qui poussent à l’instabilité plus que d’autres. La Constitution, tout comme la loi électorale, ne sont pas neutres.

      [La IVème République est l’archétype de l’instabilité gouvernementale, mais ce n’était pas écrit par avance dans le marbre. La Constitution de 1946 prévoyait en réalité des mécanismes permettant de garantir la stabilité gouvernementale (notamment l’obligation d’en passer par une motion de censure pour renverser le gouvernement, reprise par les constituants de 1958, ou encore le droit de dissolution accordé au Président du Conseil des ministres, certes dans des circonstances restrictives), et la loi des apparentements pouvait permettre de dégager plus clairement des majorités.]

      Je ne partage pas votre analyse. La constitution de la IVème République contenait un défaut rédhibitoire qui la condamnait à l’instabilité : il n’y avait pas de séparation claire entre le domaine législatif et le domaine réglementaire. Un gouvernement ne pouvait donc pas gouverner sans le soutien permanent de l’assemblée. C’est pourquoi « l’obligation d’en passer par une motion de censure » était en pratique vide de sens, les gouvernements démissionnant dès qu’un projet de loi était rejeté, puisqu’il leur était impossible de gouverner. Quant au droit de dissolution, il était de ce fait vidé de son sens puisque la dissolution n’était possible que si le gouvernement était formellement renversé…

      [Le rôle du scrutin proportionnel est somme toute mineur dans l’échec de la Quatrième République.]

      Mineur peut-être, mais pas nul. Il est très difficile de dire ce que cela aurait donné avec un scrutin majoritaire… peut-être cela aurait rendu impossible la logique de « troisième force »…

  22. Spinoza dit :

    Si vous permettez, non que le reste du débat soit inintéressant, mais je vais me concentrer sur le coeur du désaccord.
     
    Ce que je ne comprends pas c’est que vous dites « du moment où le peuple élit son gouvernement, on peut difficilement dire que celui-ci est « dans les mains du rival » », tout en reconnaissant auparavant que le Gouvernement peut agir en vue d’ un autre intérêt que celui du peuple français.
     
    Alors revenons d’abord aux faits : Sommes-nous d’accord sur le fait que les politiques menées au cours de ce siècle par les Gouvernements français successifs – issus d’élections régulières – ont, DANS LES FAITS, largement privilégié l’intérêt des détenteurs de capitaux par rapport à l’intérêt du peuple français ?
     
    Si vous n’êtes pas d’accord avec ce constat, cela ne sert à rien d’aller plus loin. Ou alors il faut m’expliquer en quoi le libre-échange, la destruction des services publics, du droit du travail, etc. sont davantage conformes à l’intérêt du peuple français qu’à l’intérêt des détenteurs de capitaux.
     
    Mais, si vous êtes d’accord, alors comment l’expliquez-vous si ce n’est pas parce que les détenteurs de capitaux ont des moyens d’influencer le Gouvernement qui sont plus puissants que les moyens dont dispose le peuple ?
     
    Si c’est bien le cas, alors cela signifie bien que l’élection n’est pas suffisante pour garantir que le Gouvernement n’est pas « dans les mains du rival » : les Gouvernements, bien qu’élus par le peuple, servent dans les faits un autre maitre que le peuple.

    • Descartes dit :

      @ Spinoza

      [Ce que je ne comprends pas c’est que vous dites « du moment où le peuple élit son gouvernement, on peut difficilement dire que celui-ci est « dans les mains du rival » », tout en reconnaissant auparavant que le Gouvernement peut agir en vue d’un autre intérêt que celui du peuple français.]

      Il y a un problème sous-jacent au problème que vous posez. C’est quoi « l’intérêt du peuple français » ? Comment l’établit-on ? Qui le dégage ? La Déclaration de 1789 dit que « la loi est l’expression de la volonté générale ». Ce postulat n’implique-t-il que les lois votées par nos élus au Parlement ne peuvent être « contraires à l’intérêt du peuple français » ?

      C’est là une bonne partie du problème. Je peux comme vous penser que telle ou telle décision prise par le gouvernement est « contraire aux intérêts du peuple français ». Mais cela tient à ce que nous croyons être cet « intérêt ». Le problème est que ni vous ni moi sommes capables de préciser une procédure OBJECTIVE qui permette de décider ce que sont les intérêts en question.

      Cela étant dit, le fait que le gouvernement puisse agir dans telle ou telle situation contre l’intérêt général n’implique nullement qu’il soit « dans les mains » de qui que ce soit. Il y a une différence entre celui qui subit une influence et celui qui est « dans les mains ».

      [Alors revenons d’abord aux faits : Sommes-nous d’accord sur le fait que les politiques menées au cours de ce siècle par les Gouvernements français successifs – issus d’élections régulières – ont, DANS LES FAITS, largement privilégié l’intérêt des détenteurs de capitaux par rapport à l’intérêt du peuple français ?]

      Non. D’abord, parce que l’opposition entre « détenteurs de capitaux » et « peuple » me paraît artificielle. Les « détenteurs de capitaux » font partie du « peuple ». Ensuite, parce que cela me paraît inexact. Les gouvernements dont vous parlez ont continué à financer l’école gratuite et la CMU, réduit le temps de travail, mis en place l’ISF (avant de l’abolir). Pensez-vous que ces mesures « privilégient l’intérêt des détenteurs de capitaux » ?

      Je pense que vous posez la question d’une manière trop schématique. Les gouvernements, l’Etat, le système démocratique tout entier fonctionne à dans le contexte d’un rapport de forces entre les classes sociales. Et même si les gouvernements ont des marges de manœuvre, il est difficile pour eux d’aller contre ce rapport de forces. C’est là le problème fondamental de ceux qui veulent changer la société par le droit : le droit ne fait que tirer les conclusions d’un rapport de forces. Si le capitalisme est dans une phase où le rapport de forces est très favorable au capital un gouvernement, aussi démocratique soit-il, aura beaucoup de mal à faire une politique qui ne « privilégie pas l’intérêt des détenteurs de capitaux ».

      [Si vous n’êtes pas d’accord avec ce constat, cela ne sert à rien d’aller plus loin. Ou alors il faut m’expliquer en quoi le libre-échange, la destruction des services publics, du droit du travail, etc. sont davantage conformes à l’intérêt du peuple français qu’à l’intérêt des détenteurs de capitaux.]

      Mais à l’inverse, il faudra m’expliquer en quoi les 37 heures, la CMU, le financement de l’école publique gratuite ou la renationalisation d’EDF sont dans « l’intérêt des détenteurs de capitaux ».

      [Mais, si vous êtes d’accord, alors comment l’expliquez-vous si ce n’est pas parce que les détenteurs de capitaux ont des moyens d’influencer le Gouvernement qui sont plus puissants que les moyens dont dispose le peuple ?]

      Je l’explique, encore une fois, par le RAPPORT DE FORCES. Les détenteurs du capital n’exercent pas seulement une « influence ». Ils ont la force qui leur permet très souvent d’imposer leur position. Les socialistes qui, en 1983, se sont convertis au néolibéralisme ne l’ont pas fait parce qu’ils étaient « à la main » des capitalistes. C’était les mêmes qui, en 1981, avaient fait les 39 heures ou la relance salariale. Seulement, ils se sont cassés le nez sur le mur de l’argent.

      [Si c’est bien le cas, alors cela signifie bien que l’élection n’est pas suffisante pour garantir que le Gouvernement n’est pas « dans les mains du rival » : les Gouvernements, bien qu’élus par le peuple, servent dans les faits un autre maitre que le peuple.]

      Non. Ils cèdent à un rapport de forces. Ce n’est pas du tout la même chose.

      • Spinoza dit :

        Je pense que j’ai mieux saisi votre pensée. Au delà des querelles sémantiques, je retiens que vous reconnaissez que le Gouvernement peut dévier de sa route sous l’effet d’un rapport de force imposé par le capital.
         
        Or, vous dites également que le peuple doit « faire confiance » au Gouvernement qu’il a élu. Mais faire confiance à un Gouvernement pris dans un rapport de force défavorable, et qui se retrouve de ce fait contraint à mettre en œuvre une politique au service d’intérêts particuliers, cela revient en fait à laisser le champ libre à la captation de la politique de la nation par ces intérêts particuliers. En rejetant la possibilité d’intervention directe par le peuple, vous empêchez un puissant acteur porteur de l’intérêt national de peser dans le rapport de force.
         
        Autrement dit, il me semble que, plutôt que de regarder les mécanismes de prise de décision directe par le peuple comme des freins à l’action du Gouvernement, vous pourriez les voir comme des moyens d’aider ce dernier à garder le cap face aux contraintes extérieures.
         
        Il n’est pas question que le peuple contrôle tout, ce qui est d’ailleurs impossible. Mais il doit pouvoir reprendre ponctuellement la main lorsqu’il s’aperçoit que le Gouvernement n’a pas la force à lui seul de résister aux intérêts particuliers.
         
        Bien sûr, vous vous exposerez parfois à ce qu’une infrastructure que vous jugez utile soit rejetée, mais mettez cela en regard de toutes les réformes d’intérêt national qui sont aujourd’hui rejetées – voire même pas considérées – parce que les détenteurs de capitaux s’y opposent.
         
        Le principal frein à l’action du Gouvernement en faveur de l’intérêt national, à ce jour, ne provient ni du peuple, ni des juges, ni des empiètements du législateur mais bien de la puissance des intérêts financiers. Tout ce qui peut aider à modifier le rapport de force en faveur de l’intérêt national est bon à prendre, nous n’avons plus le luxe de faire la fine bouche.

        • Descartes dit :

          @ Spinoza

          [Je pense que j’ai mieux saisi votre pensée. Au delà des querelles sémantiques, je retiens que vous reconnaissez que le Gouvernement peut dévier de sa route sous l’effet d’un rapport de force imposé par le capital.]

          Pourquoi seulement « par le capital » ? Tout gouvernement fonctionne dans le cadre d’un rapport de forces. Le plus souvent ce rapport de forces est favorable au capital, mais pas toujours. Il arrive quelquefois que le rapport de forces soit favorable aux couches populaires ou aux classes intermédiaires, et on trouve des gouvernements qui, de ce fait, se sont écartés de l’intérêt général dans le sens inverse. Pour ne prendre qu’un exemple, était-il dans l’intérêt de la France de détruire l’appareil éducatif de notre pays ? Et pourtant, après 1968, les gouvernements successifs ont bien proposé des réformes qui répondaient non pas aux demandes du « capital », mais des classes intermédiaires…

          [Or, vous dites également que le peuple doit « faire confiance » au Gouvernement qu’il a élu.]

          Je ne crois pas avoir dit pareille chose. Le peuple n’a de ce point aucune obligation. Le simple fait d’avoir élu un gouvernement implique qu’on lui fait confiance… jusqu’à un certain point. Mais le peuple reste le souverain, et le souverain n’est pas « obligé » à faire quoi que ce soit.

          [Mais faire confiance à un Gouvernement pris dans un rapport de force défavorable, et qui se retrouve de ce fait contraint à mettre en œuvre une politique au service d’intérêts particuliers, cela revient en fait à laisser le champ libre à la captation de la politique de la nation par ces intérêts particuliers. En rejetant la possibilité d’intervention directe par le peuple, vous empêchez un puissant acteur porteur de l’intérêt national de peser dans le rapport de force.]

          Mais non, justement… Le rapport de force auquel je fais référence n’est pas un rapport de force politique ou électoral, mais un rapport de force STRUCTUREL, c’est-à-dire, lié au mode de production. Prenons le cas présent, celui d’un capitalisme avancé qui a la possibilité de mettre en concurrence les travailleurs de toute la planète, et qui par conséquent n’a pas véritablement besoin des travailleurs français. La conséquence est qu’on ne peut pas l’imposer trop lourdement les bénéfices qu’il génère, parce que si on le fait il ira s’investir ailleurs. Cette réalité s’imposera au gouvernement quel qu’il soit, quelque soient ses bonnes ou mauvaises intentions. Et le fait que le peuple puisse « intervenir directement » n’y changera rien, parce que le rapport de forces ne se situe pas à ce niveau.

          Vous me direz qu’on peut toujours contester la libre circulation des biens et des capitaux, qui est à la base de cette possibilité de mise en concurrence des travailleurs. Mais si « le peuple » voulait que son gouvernement contester ce principe, alors les gouvernements le feraient, parce que ce serait là la condition pour rester au pouvoir. Pourquoi croyez-vous donc que « le peuple » continue à voter systématiquement pour des gens qui ne contestent pas le principe de libre concurrence, au point que ceux-qui, rares, le contestaient publiquement ont tendance aujourd’hui à se faire discrets sur ce point ?

          Je pense que vous êtes victime d’une illusion, celle qui veut que « le gouvernement » trahisse « le peuple ». Mais c’est bien plus complexe que cela : en général, les gouvernements font ce que « le peuple » veut – pour de bonnes ou de mauvaises raisons, c’est une autre discussion. Bien sûr, si vous interrogez le peuple par sondage, il vous dira qu’il voudrait le bonheur pour tous, et il est clair que les gouvernements n’y arrivent pas. Mais lorsqu’il s’agit de revenir sur terre et de gérer les contraintes du réel, les gouvernements ne sont pas si loin de leur peuple. Parce que les gens veulent beaucoup de choses, mais ne sont souvent pas prêts à en payer le prix.

          [Autrement dit, il me semble que, plutôt que de regarder les mécanismes de prise de décision directe par le peuple comme des freins à l’action du Gouvernement, vous pourriez les voir comme des moyens d’aider ce dernier à garder le cap face aux contraintes extérieures.]

          Dans certains cas, oui. Et c’est d’ailleurs pourquoi les constituants de 1958 ont inclus la possibilité pour l’exécutif de faire appel au peuple à travers le référendum. Mais cette possibilité reste à la main du gouvernement, et limitée à certains domaines. Et cette limitation est justement prévue pour empêcher le référendum de devenir un frein à l’action.

          [Il n’est pas question que le peuple contrôle tout, ce qui est d’ailleurs impossible.]

          Pour vous, peut-être. Mais c’est ce que propose notre ami Laforêts dans son projet de constitution…

          [Bien sûr, vous vous exposerez parfois à ce qu’une infrastructure que vous jugez utile soit rejetée, mais mettez cela en regard de toutes les réformes d’intérêt national qui sont aujourd’hui rejetées – voire même pas considérées – parce que les détenteurs de capitaux s’y opposent.]

          Pourriez-vous donner un exemple précis de réforme « d’intérêt national » qui soit aujourd’hui « rejetée ou même pas considérée » parce que les détenteurs du capital s’opposent, et qui serait probablement approuvée si elle était soumise à référendum ?

          [Le principal frein à l’action du Gouvernement en faveur de l’intérêt national, à ce jour, ne provient ni du peuple, ni des juges, ni des empiètements du législateur mais bien de la puissance des intérêts financiers. Tout ce qui peut aider à modifier le rapport de force en faveur de l’intérêt national est bon à prendre, nous n’avons plus le luxe de faire la fine bouche.]

          Je crains que vous vous fassiez beaucoup d’illusions sur ce que « le peuple » veut…

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