Remuez méninges !

Il est toujours dangereux de commenter l’actualité sans attendre que les faits se soient décantés. Mais pour une fois je vais courir le risque. Après tout, un commentateur se doit aussi de prendre les risques. Je vais donc vous parler aujourd’hui de la réorganisation en cours au Parti de Gauche. Le terme « réorganisation » est bien entendu un peu excessif, et cela pour deux raisons : la première, parce que cela suppose qu’il y avait une forme d’organisation au départ, la seconde, parce que cela suppose qu’il y ait une forme d’organisation à l’arrivée. Dans le cas d’espèce, il n’est pas évident que l’une ou l’autre de ces deux conditions soient remplies. Mais bon, il faut faire avec les ressources que la langue française met à notre disposition, et je ne vois aucun mot de notre belle langue qui s’ajuste mieux à la situation. Va donc pour « réorganisation », d’autant plus que c’est le terme utilisé par Mélenchon lui-même dans son étrange conférence de presse.

Conférence étrange en effet (1). Autant par ce qui a été dit, que pour la manière de le dire. Il est rare en effet de commencer une conférence de presse pour annoncer que les décisions ne sont pas encore prises mais les annoncer quand même, tout en reprochant aux journalistes de se faire l’écho des informations que l’entourage de Mélenchon est le premier à distiller. Car si des « rumeurs » sur la démission de Mélenchon circulent dans le tout-Paris depuis quelques semaines, c’est parce que des proches de Mélenchon les font circuler. Si à la tête du PG on réfléchissait avant de parler et puis on parlait après avoir réflechi, ce genre de choses n’arriverait pas. Mais comme personne ne tient sa langue, l’entourage de Mélenchon et le Ptit Timonier lui-même fabriquent le « buzz » dont ils reprochent ensuite aux journalistes de se faire l’écho.

Mais dès le départ de la conférence de presse, un autre détail frappe : c’est le positionnement de Martine Billard. Car si Mélenchon a décidé de lui-même de quitter la « co-présidence », il ne semble pas que sa co-présidente ait pris une quelconque décision à ce sujet. Mélenchon est bien gentil en accusant les journalistes de « machisme » parce qu’ils ne s’intéressent qu’à lui, il faut admettre que la symétrie entre les deux co-présidents n’apparaît dans cette affaire guère évidente. Et la mise en scène de la conférence de presse confirmait cette asymétrie jusqu’à la caricature : certes, les co-présidents sont assis côté à côté, mais seul Mélenchon parle. D’ailleurs, c’est devant lui que tous les micros sont posés, alors que devant Martine la table est nue. Pendant les vingts minutes que dure la vidéo, Martine Billard ne dira pas un mot, se contentant de froncer les sourcils ou de sourire aux moments stratégiques. Elle n’aura même pas le privilège d’expliquer elle-même quel est le « poste de lutte » – pour reprendre l’image militaire que Mélenchon aime tant, et qui lui rappelle certainement sa jeunesse trotskyste – qu’elle prendra dans la nouvelle organisation : c’est Mélenchon qui expliquera qu’elle devrait s’occuper d’activités internationales. Et un placard, un !

Mais comme toujours au PG, la question essentielle reste qui décide quoi. Mélenchon commence par expliquer que « nous sommes un collectif » et que les réunions des organes de décision du PG ne sont pas terminées. Mais cette remarque est contredite immédiatement par le « nous avons décidé que… ». C’est qui ce « nous » ? Comment peut-on annoncer des décisions qui ne sont pas prises ? Et ce n’est pas des petites décisions… car Mélenchon annonce, rien de moins, que les « co-présidents » disparaissent. Sauf que les co-présidents en question figurent plusieurs fois dans les statuts du PG, notamment à l’article 1er, qui précise que « la représentation légale du Parti de Gauche est conjointement assurée par les deux co-présidents ». Mais bon, les statuts…

Tout ça n’est donc que cosmétique. Le véritable problème, c’est l’élection présidentielle. Le PG se voit obligé de tirer la conclusion que la stratégie poursuivie depuis sa création, celle de l’OPA sur le PCF, a échoué. Les rapports avec le PCF étant devenus exécrables, Mélenchon sait qu’il ne sera pas le candidat du Front de Gauche en 2017 dans le contexte des rapports entre le PG et le PCF. Il lui faut donc « prendre de la distance » pour pouvoir, le moment venu, briguer la candidature non pas en tant que représentant du PG, mais en tant que « grand sage » se plaçant au dessus de la mêlée. Les mots ne sont innocents : Mélenchon proclame aujourd’hui que « notre candidat à l’élection présidentielle de 2017, c’est la VIème République ». Et nous apprenons que celui qui conduira le « mouvement pour la VIème République » c’est, quelle coïncidence, Jean-Luc Mélenchon. Quelle surprise, n’est ce pas ?

C’est donc la VIème République qui va devenir dans les mois qui viennent le leitmotiv de la mouvance mélenchonienne. Et de ce point de vue, il y a un paragraphe remarquable dans son intervention que je me permets de transcrire en entier :

« L’objectif, ce n’est pas de rassembler la gauche, c’est de fédérer le peuple. Il faut donc trouver le moyen de fédérer le peuple, de lui proposer d’être lui-même l’acteur, et pas seulement nos organisations politiques. Fédérer le peuple. Alors il faut chercher le plus grand fédérateur commun. Voilà pourquoi nous croyons qu’il y a une tâche essentielle, c’est de redéfinir dans notre pays la règle du jeu démocratique. Dans tous les domaines, pas seulement institutionnel. Donc il nous faut pour nous reprendre le combat pour la VIème République. Parce que ça, tout le monde comprend. Le vrai problème de ce pays, c’est la règle du jeu. Qui commande ici ? Est-ce que c’est l’oligarchie, le MEDEF, est-ce que ce sont les partis politiques de l’ancien monde qui sont là, cramponnés à leurs positions acquises ? Ou bien est-ce que c’est le peuple lui-même avec ses humbles préoccupations ? »

Cette diatribe est intéressante parce qu’elle montre combien le raisonnement sous-jacent à la VIème République mélenchonienne ressemble étrangement à celui de la Vème République gaullienne. Ce discours sur les « partis politiques cramponnes à leurs positions » ne vous rappelle rien ? Bien sur que si : c’est la transposition moderne du discours sur le « régime des partis » qu’affectionnait mongénéral. Lui aussi, d’ailleurs, cherchait le « plus grand fédérateur commun » en se plaçant au dessus des groupes de pression, des lobbies et des « corps intermédiaires » pour s’adresser directement au Peuple. Mélenchon voue aux gémonies ce qu’il appelle « la Vème République » et exige une VIème, sans se rendre compte qu’on y est déjà. La Vème République, dans son esprit, est morte en mai 1984, lorsqu’un président de la République, alors que ses politiques avaient été rejetées par le pays, a décidé de rester en place. Son cadavre a été soigneusement mutilé depuis par des réformes constitutionnelles à répétition, certaines pour permettre la ratification des traités européens – comme Maastricht – d’autres organisant l’impuissance de l’exécutif et un retour larvé à la IVème. Ce que Mélenchon demande, paradoxalement, c’est un retour à l’esprit de la Vème telle qu’elle était issue du référendum de 1962. Lorsqu’il parle de « référendum révocatoire », cela ressemble drôlement à l’esprit de la constitution gaullienne, ou le président de la République devait se considérer « révoqué » dès lors qu’il perdait une élection nationale. La « démocratie directe » à la sauce Mélenchon ressemble drôlement à la démocratie référendaire voulue par mongénéral.

Cette proximité entre le Mélenchon d’aujourd’hui et les gaullistes d’hier peut paraître surprenante pour ceux qui ont en tête les discours gauchistes du PG, tous empreints de direction collective, de démocratie directe et tutti quanti. Ce serait oublier que le discours c’est une chose, et la pratique une autre. Il suffit de voir comment Mélenchon dirige le PG. Difficile de concevoir une organisation ou le pouvoir est autant concentré, ou la contestation du leader est aussi difficile. Mélenchon n’a pas voulu institutionnaliser son propre parti, de lui donner des processus de décision démocratiques et transparents. Au PG, ce n’est pas le « peuple » qui prend les décisions, ce sont les amis du Chef. Dans son mode de pensée, dans ses pratiques, Mélenchon est un bonapartiste, peut-être bien plus que ne l’était De Gaulle.

Mais la ressemblance s’arrête aux formes. De Gaulle avait, lui, un véritable projet global et savait s’entourer des meilleurs spécialistes pour décliner ce projet dans des actions concrètes. Il faisait du « Peuple » la source de sa légitimité, mais ne se faisait guère d’illusions sur les capacités de ce « Peuple » à se gouverner directement, sans médiation. Au contraire, il est convaincu qu’il faut organiser cette médiation et fait travailler sur ce projet les meilleurs constitutionnalistes dont la France dispose. Ce n’est pas le cas de Mélenchon, pour qui le « Peuple » est par postulat infaillible. Point n’est donc besoin d’une véritable réflexion institutionnelle, il suffit de « rendre le pouvoir au peuple ». Pour De Gaulle, les institutions de la Vème n’étaient qu’un outil, indispensable pour rétablir l’autorité de l’Etat et de permettre au gouvernement de travailler à la reconstruction de l’économie française et de la puissance extérieure du pays en étant raisonnablement protégé des groupes de pression. Pour Mélenchon, la VIème République n’est pas un moyen de faire une politique donnée, c’est un objectif en elle-même. Il le dit d’ailleurs explicitement : pour lui « le vrai problème de ce pays, c’est la règle du jeu ». Changez la règle du jeu, et le « vrai problème » sera résolu. Il ne s’agit pas de se donner les moyens de mettre en œuvre un projet, le moyen est en lui même le projet.

Il y a dans cette analyse beaucoup d’idéalisme. Faire d’une règle de droit « le vrai problème », c’est déjà audacieux pour un ex-trotskyste qui a toujours professé sa conviction dans la centralité des rapports de force en politique. Mais il y a aussi une bonne dose d’idéalisme à croire qu’il suffit de « rendre le pouvoir au Peuple », sans se poser véritablement la question de la manière dont ce pouvoir pourrait être exercé. Car le « Peuple » chez Mélenchon est une idéalité plutôt qu’une réalité. C’est qui, précisément, le « Peuple » ? Est-il homogène, ou est-il plutôt divisé en groupes dont les intérêts sont différents, voire antagoniques ? Et dans cette dernière hypothèse, comment trouve-t-on le « maximum commun fédérateur », la politique qui pourrait « fédérer » les patrons et les ouvriers, par exemple ? Le paradoxe, c’est que cette « fédération » entre des classes différentes voire opposés n’a historiquement qu’un seul cadre… c’est le cadre national. Vouloir « fédérer le peuple » va faire ressusciter le fantôme de la Nation, le même fantôme que la gauche s’applique depuis trente ans à bannir , et qui terrorise la « gauche radicale » aujourd’hui au point de lui faire perdre ses repères. On l’a bien vu avec sa conversion à l’Euro et à la « construction européenne » lors de la campagne européenne de 2014. Est-ce que Mélenchon a bien réfléchi à ces questions ?

La réflexion institutionnelle est très importante, et ce n’est pas moi qui dira le contraire. Mais elle ne peut constituer l’alpha et l’oméga d’une politique. Les institutions de la Vème République ont montré leur efficacité lorsqu’il s’est agi pour un gouvernement de mettre en œuvre une politique voulue par la nation. Les couches populaires, durement frappées par la crise et privées de représentation politique, sont demandeuses d’un projet crédible pour résoudre leurs problèmes. Elles ne seront pas attirées par une proposition qui consiste à leur dire « on vous donnera le pouvoir, à vous de vous débrouiller ». Le débat institutionnel ne passionne que les militants politiques et ceux qui en ont fait leur métier.

PS: Jean-Luc Mélenchon a donné une deuxième conférence de presse aujourd'hui (2) – comme quoi, "on est un collectif" mais il n'y a qu'un qui parle… Elle est beaucoup plus intéressante que la première. Si on laisse de côté les "piques" paranoïaques et le besoin de justifier ses erreurs passées, elle contient beaucoup d'analyses fort intéressantes, dont un certain nombre, notamment sur le FN, reprennent les analyses que j'ai développé ici… il y a en particulier un commentaire sur le besoin de poursuivre le Front de Gauche et une attaque cinglante contre tous ceux qui voudraient une rupture avec les communistes qui vaut la peine d'être signalé:

Il ne s’agit pas de dire « le Front de Gauche est fini », après tout le mal qu’on s’est donnés pour le constituer, le mal que j’ai eu à en convaincre les dirigeants communistes. Avec Marie-George Buffet figurez vous qu’on a du mouiller la chemise pour convaincre tous les autres que c’est cela qu’il fallait faire. Ce n’est pas maintenant, alors que tout le monde est dans le Front de Gauche ou presque, qu’on va dire « écoutez, on s’en fiche, ça compte pas ». Mais bien sur que si, que ça compte ! Il faut rester groupés ! Notre force, c’est ça ! Je vois bien qu’il y en a qui se pourlèchent les babines en se disant « il vont peut-être se séparer ». Je vois trop la gourmandise des dirigeants solfériniens à l’idée qu’ils arriveraient à séparer les communistes et les PG ! Je vois bien, je ne suis pas fou quand même ! Je suis capable d’analyser et de comprendre tout ça. On ne va pas faire ce cadeau non plus aux puissants.

Cela devrait faire plaisir aux commentateurs de son blog, qui passent leur temps à cracher sur les communistes…

Descartes

(1) L’intervention de Mélenchon peut être contemplée à l’adresse suivante : http://www.lepartidegauche.fr/lateledegauche/media/nous-voulons-federer-le-puple-29549

(2) Consultable ici: http://www.lepartidegauche.fr/laradiodegauche/intervention/remue-meninges-2014-les-gens-veulent-savoir-qui-va-changer-la-vie-conf-presse-j-melenchon-samedi-23-aout-29555

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65 réponses à Remuez méninges !

  1. Encore un billet très intéressant.

    Cela étant votre hostilité latente à Mr. Mélenchon vous empêche de lire attentivement. A la question « C’est qui, précisément, le « Peuple » ? Est-il homogène, ou est-il plutôt divisé en groupes dont les intérêts sont différents, voire antagoniques ? » que vous posez, la réponse peut se lire passage « Qui commande ici ? Est-ce que c’est l’oligarchie, le MEDEF, est-ce que ce sont les partis politiques de l’ancien monde qui sont là, cramponnés à leurs positions acquises ? Ou bien est-ce que c’est le peuple lui-même avec ses humbles préoccupations ? ».

    « Mélenchon est un bonapartiste, peut-être bien plus que ne l’était De Gaulle. »
    Vu ses références historiques et symboliques, ça aurait plus de sens de dire que c’est un jacobin. Ou un partisan du républicanisme social.

    • Descartes dit :

      @Jonhathan R. Razorback

      [Cela étant votre hostilité latente à Mr. Mélenchon vous empêche de lire attentivement.]

      Quelle « hostilité » ? Je n’ai aucune « hostilité » envers Mélenchon. J’ai au contraire une grande estime pour l’homme. Mais cela ne m’aveugle pas aux défauts du politique. Malheureusement, les grandes qualités de Mélenchon sont réduites à néant par ses quelques défauts, particulièrement son incapacité à bien choisir son entourage.

      [A la question « C’est qui, précisément, le « Peuple » ? Est-il homogène, ou est-il plutôt divisé en groupes dont les intérêts sont différents, voire antagoniques ? » que vous posez, la réponse peut se lire passage « Qui commande ici ? Est-ce que c’est l’oligarchie, le MEDEF, est-ce que ce sont les partis politiques de l’ancien monde qui sont là, cramponnés à leurs positions acquises ? Ou bien est-ce que c’est le peuple lui-même avec ses humbles préoccupations ? ».]

      Cela ne répond pas vraiment. Si l’on suit cette formule, l’oligarchie, le MEDEF ou les « partis politiques de l’ancien monde » ne sont pas, de toute évidence, « le Peuple ». Mais sont-ils une partie du « Peuple » ? Ou en sont-ils exclus ? Et si l’on exclut « les partis de l’ancien monde », faut-il aussi exclure leurs électeurs ? Et plus généralement, pourquoi exclure le MEDEF et pas la CGPME, par exemple ?

      [« Mélenchon est un bonapartiste, peut-être bien plus que ne l’était De Gaulle. »
      Vu ses références historiques et symboliques, ça aurait plus de sens de dire que c’est un jacobin. Ou un partisan du républicanisme social.]

      Non. Les jacobins n’ont jamais été favorables à la personnalisation du pouvoir, pas plus qu’ils n’ont été partisans de l’exercice direct du pouvoir par le peuple. A tradition jacobine est celle de la démocratie d’assemblée, ce qui n’exclut pas un pouvoir exécutif fort, mais toujours collectif. Bonaparte – qui par ailleurs était lui-même un jacobin – construit une vision du pouvoir totalement différente, d’une part en personnalisant le pouvoir et le concentrant en un homme seul, et ensuite en établissant un rapport direct entre cet homme et « le Peuple ». Si dans son langage Mélenchon est « jacobin », dans sa pratique politique – et notamment comme président du PG – il est nettement bonapartiste. Et je voulais justement souligner que sa vision constitutionnelle, avec le « référendum révocatoire » par exemple, est plus proche de Bonaparte que de Robespierre…

  2. v2s dit :

    Ah ! Descartes ! Je vous aime tellement, que vous allez même arriver à me faire avoir une opinion sur Mélenchon. Grâce à vous, je me surprends à m’intéresser à ce que dit et ce que propose Mélenchon, je n’en reviens pas moi-même.
    Vous dites : [C’est qui, précisément, le « Peuple » ?]. Il semble bien que dans l’esprit de ce grand mégalomane, le peuple, c’est surtout « Lui ».
    Vu de l’extérieur, je veux dire, vu par un Français qui n’appartient ni aux 11% FG de 2012, ni aux 2 ou 3% de lutte ouvrière, NPA et autres groupuscules de gauche, vu donc, du point de vue de cette écrasante majorité des votants français, 85%, qui va de l’UMPS jusqu’aux électeurs de madame Le Pen, Mélenchon, ce n’est qu’un ambitieux, un peu mégalo, gesticulateur et provocateur, dont les seuls faits d’arme sont d’avoir claqué la porte aux socialistes et, de vilipender depuis, tous les journalistes, pour tenter de se forger une image de victime.
    Dans la conférence de presse que vous évoquez, il se donne des accents, voire des intentions gaulliennes.
    Mais la différence de taille, qui semble échapper à Mélenchon, c’est que lorsque De Gaulle revient en 58, aux derniers jours d’une IVème république en pleine déliquescence, De Gaule revient tout auréolé du titre de « Plus illustre des français », rien à voir donc avec Mélenchon.
    Le peuple, précisément, accorde en 58, sa confiance à De Gaulle, parce que ce dernier a montré, démontré, prouvé à la libération, qu’en plus des qualités de stratège et de politicien, il possède des qualités de désintéressement, d’abnégation, d’attachement à la nation, de sens de l’intérêt général … Toutes qualités qui, sauf à avoir échappées à tout le monde, ne font pas parti de l’arsenal des atouts de Mélenchon.
    Bon, ça c’était pour Mélenchon.
    Mais quelque chose me chiffonne dans votre entêtement à voir une classe ouvrière là ou elle n’en existe plus. A vouloir absolument partager la société en quelques milliers d’exploiteurs face à quelques millions d’exploités, comme si rien n’avait changé depuis Zola.
    C’est vous qui disiez, il y a bien longtemps, en sortant d’un meeting Front de Gauche : « Nos idées sont bonnes, et donc il est évident qu’elles seront suivies, semblent penser ces militants. La réalité prouve pourtant que seule une infime minorité nous suit. Ne faudrait-il pas alors se demander qu’est ce qui cloche là-dedans ? » Et bien, ce qui cloche, c’est que la division que vous croyez voir, n’existe pas dans la réalité. Il n’y a pas d’un coté Liliane Betancourt, plus quelques milliers d’autres horribles exploiteurs qui tiennent la tête sous l’eau à 65 millions de français exploités.
    La préoccupation des Français ce n’est absolument pas de faire rendre gorge à Liliane Betancourt et à ses semblables.
    Certes il subsiste en France encore trop d’inégalités.
    Mais !!
    Mais les Français sont informés, ils ont la télé, Internet … et ils savent, de façon certaine, qu’ils appartiennent au petit quart de l’humanité très privilégié, qui jouit tout à la fois, de l’accès aux soins gratuits, d’une éducation gratuite, de condition de nourriture et de logement au pire descentes au mieux très confortables, des libertés de presse, d’expression, de culte, d’association, de vote … D’une démocratie, dont ils savent qu’elle est certes imparfaite, mais qu’il n’en existe pourtant pas de meilleure.
    Bref, ils disent merci aux générations précédentes qui ont façonné cette réalité, mais ils ne sont plus dans l’état d’esprit de revendiquer toujours plus.
    Ils sont prêts à donner leurs suffrages à un parti ou un homme qui aura pour projet de garder, ou de retrouver, pour La France, une place dans le monde, de grande nation, unie et égalitaire, cultivée et humaniste.
    Mais certainement pas de devenir un pays communiste !
    Sincèrement, Descartes, les yeux dans les yeux, croyez vous vraiment que les Français aient envie que notre pays devienne un pays communiste ?

    • Descartes dit :

      @v2s

      [Ah ! Descartes ! Je vous aime tellement, que vous allez même arriver à me faire avoir une opinion sur Mélenchon. Grâce à vous, je me surprends à m’intéresser à ce que dit et ce que propose Mélenchon, je n’en reviens pas moi-même.]

      Miracles de la pédagogie…

      [Vous dites : « C’est qui, précisément, le « Peuple » ? ». Il semble bien que dans l’esprit de ce grand mégalomane, le peuple, c’est surtout « Lui ».]

      Je ne crois pas. Le passage du « prolétariat » au « Peuple » (du temps du père UbHue on disait « les gens ») est révélateur d’une transformation sociologique. Dans les années 1960, les classes moyennes ont cherché à récupérer la classe ouvrière comme masse de manœuvre pour leurs propres intérêts. Elles ont échoué, en grande partie parce que la classe ouvrière était encadrée par le PCF. Cela a été particulièrement net en mai 1968, quand une partie des classes moyennes a essayé d’embringuer la classe ouvrière dans leur coup d’Etat contre les institutions issues du « pacte gaullo-communiste ». En réaction, les classes moyennes se sont détournées de la classe ouvrière et ont construit une nouveau concept, « le Peuple », qui par une étrange coïncidence a les mêmes intérêts que les classes moyennes. Marx le disait déjà…

      [Dans la conférence de presse que vous évoquez, il se donne des accents, voire des intentions gaulliennes.]

      Pas tant que ça, en fait. Si Mélenchon partage avec la droite gaullienne une pratique bonapartiste, sa ressemblance avec mongénéral s’arrête là. En particulier, le « peuple » gaullien était une communauté historique et politique qui se confondait avec la Nation. Le « peuple » dont parle Mélenchon est, lui, parfaitement désincarné. C’est une abstraction.

      [Mais la différence de taille, qui semble échapper à Mélenchon, c’est que lorsque De Gaulle revient en 58, aux derniers jours d’une IVème république en pleine déliquescence, De Gaule revient tout auréolé du titre de « Plus illustre des français », rien à voir donc avec Mélenchon.
      Le peuple, précisément, accorde en 58, sa confiance à De Gaulle, parce que ce dernier a montré, démontré, prouvé à la libération, qu’en plus des qualités de stratège et de politicien, il possède des qualités de désintéressement, d’abnégation, d’attachement à la nation, de sens de l’intérêt général… Toutes qualités qui, sauf à avoir échappées à tout le monde, ne font pas parti de l’arsenal des atouts de Mélenchon.]

      Vous êtes un peu sévère, je trouve. Le connaissant assez bien, je peux témoigner que Mélenchon a lui aussi ces qualités de désintéressement, par exemple. Franchement, s’il recherchait les postes, l’honneur, l’argent, il serait resté au PS. Son attachement à la nation est lui aussi profond, tout comme son sens de l’intérêt général. Ce qui manque à Mélenchon pour devenir De Gaulle, ce n’est aucune de ces qualités. Ce qui lui manque, c’est le pragmatisme du Général, sa capacité à ne pas perdre contact avec la réalité.

      [Mais quelque chose me chiffonne dans votre entêtement à voir une classe ouvrière là ou elle n’en existe plus.]

      Confession pour confession, ce qui me chiffonne chez vous c’est votre entêtement à ne pas voir la classe ouvrière, alors qu’elle existe toujours. Franchement, si vous avez des arguments à présenter, faites-le. Mais n’énoncez pas votre opinion comme si elle était une vérité d’évidence.

      [A vouloir absolument partager la société en quelques milliers d’exploiteurs face à quelques millions d’exploités, comme si rien n’avait changé depuis Zola.]

      Je ne comprends pas ce reproche. J’ai dépensé des heures argumentant de l’existence d’une troisième classe placée entre les « quelques milliers d’exploiteurs » et les « quelques millions d’exploités ». Apparemment, en pure perte…

      [La préoccupation des Français ce n’est absolument pas de faire rendre gorge à Liliane Betancourt et à ses semblables.]

      C’est évident. La préoccupation des français est de pouvoir vivre confortablement, d’avoir un travail intéressant et pas trop dur, des conditions de travail agréables, d’être protégés contre les aléas de la vie… seul problème, cet objectif est contradictoire avec les intérêts de Mme Bettencourt. Mais c’est un pur conflit de répartition. Il ne s’agit pas de « faire rendre gorge » à personne, il s’agit de récupérer la valeur que ces gens prélèvent sur le travail.

      [Certes il subsiste en France encore trop d’inégalités.]

      Ah bon ? Elles « subsistent » ? Ou elles se creusent ?

      [Mais les Français sont informés, ils ont la télé, Internet … et ils savent, de façon certaine, qu’ils appartiennent au petit quart de l’humanité très privilégié, qui jouit tout à la fois, de l’accès aux soins gratuits, d’une éducation gratuite, de condition de nourriture et de logement au pire descentes au mieux très confortables, des libertés de presse, d’expression, de culte, d’association, de vote … D’une démocratie, dont ils savent qu’elle est certes imparfaite, mais qu’il n’en existe pourtant pas de meilleure.]

      Bien entendu. Je l’ai écrit moi-même dix fois : les travailleurs français sont parfaitement conscients des conquêtes qu’ils ont accumulés au cours de longs siècles de travail et de lutte. Et c’est pourquoi un « révolutionnaire » en France, s’il veut obtenir l’adhésion des couches populaires, doit montrer que son projet permettra d’améliorer encore leur situation. Personne ne suivra un projet « révolutionnaire » qui commencerait par détruire ce qui existe sans garantie…

      [Bref, ils disent merci aux générations précédentes qui ont façonné cette réalité, mais ils ne sont plus dans l’état d’esprit de revendiquer toujours plus.]

      A lire les documents du MEDEF, on n’a pas l’impression que ce soit le cas. Ces gens-là ne perdent pas une opportunité, au contraire, pour « revendiquer toujours plus »… mais peut-être ne font-ils pas partie des « français » ?

      En fait, vous vous trompez. Pratiquement toutes les catégories de français sont « dans l’état d’esprit de revendiquer toujours plus ». Ce qui me semble d’ailleurs très sain, puisque le moteur du progrès humain a toujours été l’idée qu’on pouvait vivre demain mieux que hier. Bien entendu, les couches populaires sont pleinement conscientes que le rapport de forces leur est défavorable, et que les moyens habituels de « revendication » sont donc inopérants. Mais cela n’implique nullement qu’ils soient convaincus qu’ils vivent dans le meilleur des mondes possibles. L’attraction qu’exerce le FN sur ces couches sociales montrent d’ailleurs le contraire.

      [Ils sont prêts à donner leurs suffrages à un parti ou un homme qui aura pour projet de garder, ou de retrouver, pour La France, une place dans le monde, de grande nation, unie et égalitaire, cultivée et humaniste.]

      Marine Le Pen ?

      [Mais certainement pas de devenir un pays communiste !]

      Certainement. De la même manière qu’en 1789 les paysans ne concevaient même pas qu’on puisse couper la tête du Roi, abolir les privilèges féodaux et établir une République bourgeoise. Il a fallu presque un siècle d’essais pour que les paysans réalisent que finalement un régime bourgeois était finalement vachement bien… Il est très rare que les peuples « soient prêts à donner leurs suffrages » à une proposition totalement nouvelle, surtout lorsqu’elle est mal définie. Et pourtant, les révolutions se font quand même…

      [Sincèrement, Descartes, les yeux dans les yeux, croyez vous vraiment que les Français aient envie que notre pays devienne un pays communiste ?]

      Non, pas plus que je ne crois que les Français aient eu envie que leur pays devienne un pays capitaliste. Dans leur grande majorité, les Français ne se posent pas des questions théoriques. Ils « ont envie » de vivre mieux, de travailler moins et mieux, d’être protégés, d’avoir la liberté de choisir et de s’exprimer… et au fond, ils sont prêts à accepter n’importe quel régime pourvu qu’il leur donne ça. Aussi longtemps que le capitalisme arrivera à satisfaire ces exigences, pas la peine de se poser des questions, capitalistes nous serons. Quand le capitalisme atteindra ses limites, alors les gens seront prêts à essayer autre chose….

    • v2s dit :

      [Dans leur grande majorité, les Français ne se posent pas des questions théoriques. Ils « ont envie » de vivre mieux, de travailler moins et mieux, d’être protégés, d’avoir la liberté de choisir et de s’exprimer… et au fond, ils sont prêts à accepter n’importe quel régime pourvu qu’il leur donne ça.]

      Ça tombe bien nous avons déjà tout ça !
      Ce qui nous inquiète, c’est que nous sentons confusément que nous pourrions perdre une partie de tous ces avantages, dont 8 humains sur 10 ne bénéficient pas, dans le reste du monde.
      Voudrions-nous réellement travailler moins que 35 ou 40 heures ? Je ne le pense pas. Ce que nous voulons surtout, c’est continuer d’avoir un travail.
      Je vois mal comment nous pourrions nous intéresser à une aventure révolutionnaire alors qu’en France, les conditions de vie, de sécurité, de liberté, de choix, de santé dont nous jouissons, sont parmi les plus favorables au monde.
      Si nous avons un souhait, ce n’est certainement pas de ressembler aux pays communistes, mais plutôt de nous rapprocher encore de démocraties encore plus avancées que la notre, comme celles d’Europe du nord par exemple.
      Dans le monde occidental, et dans le monde en général, ces classes moyennes, qui semblent vous poser tant de problèmes, sont en train de devenir ultra majoritaires, au détriment des classes dites populaires. Non pas parce que les classes moyennes se seraient livrées au génocide des classes populaires, supposées être leur ennemie, mais au contraire, parce qu’elles les ont aspirées vers le haut et les ont assimilées.
      L’erreur politique de nos médiocres dirigeants actuels ou récents, consiste à ne pas traiter ou à traiter trop mal le cas des français qui n’arrivent pas à s’extraire à leur condition sociale inférieure.
      Mais il n’y a pas grand monde, ni en France, ni ailleurs, pour espérer une victoire des classes populaires.
      Et ce, pour une excellente raison : les classes populaires elles mêmes n’aspirent pas à gagner. Elles n’aspirent qu’à rejoindre l’immense classe moyenne qui s’agrandit tous les jours et qui, précisément, vit mieux, travaille moins, est mieux protégée … que jamais dans toute l’humanité.

    • v2s dit :

      Pardon, il manquait un mot, je corrige :
      Mais il n’y a pas grand monde, ni en France, ni ailleurs, pour espérer une victoire des classes populaires.
      Et ce, pour une excellente raison : les classes populaires elles mêmes n’aspirent pas à gagner. Elles n’aspirent qu’à rejoindre l’immense classe moyenne qui s’agrandit tous les jours et qui, précisément, vit mieux, travaille moins, est mieux protégée … que jamais dans toute l’histoire de l’humanité.

    • Descartes dit :

      @v2s

      [« Dans leur grande majorité, les Français ne se posent pas des questions théoriques. Ils « ont envie » de vivre mieux, de travailler moins et mieux, d’être protégés, d’avoir la liberté de choisir et de s’exprimer… et au fond, ils sont prêts à accepter n’importe quel régime pourvu qu’il leur donne ça ». Ça tombe bien nous avons déjà tout ça !]

      Je ne sais pas ce qui est ce « nous » auquel vous faites référence. En tout cas, je suis ravi d’apprendre que vous bénéficiez de tous ces avantages. Cela explique peut-être vos positions Je peux vous assurer, en tout cas, que mes voisins de cité ne font pas partie de ce « nous ».

      Par ailleurs, je vois mal comment quelqu’un peut « avoir » le fait de « vivre mieux ». « Vivre bien », à la rigueur, je comprends. Mais « vivre mieux » implique nécessairement une amélioration par rapport à l’existant, ce qui implique forcément que l’existant n’est pas l’optimum…

      [Ce qui nous inquiète, c’est que nous sentons confusément que nous pourrions perdre une partie de tous ces avantages, dont 8 humains sur 10 ne bénéficient pas, dans le reste du monde.]

      Ah… encore ce « nous »… Votre remarque est fort intéressante, parce que vous décrivez assez bien le sentiment des classes moyennes, obsédées par la fragilité de leur situation et la probabilité de perdre une partie de leurs avantages, tout en étant persuadées qu’elles arriveront à tirer leur épingle du jeu étant donné le capital dont elles disposent. Mais la classe ouvrière n’a nullement « le sentiment confus qu’elle pourrait perdre une partie de ces avantages ». Elle en a la certitude. Une certitude issue de l’érosion continue et permanente des « avantages » dont elle disposait au fil des « réformes ». C’est cela qui explique pourquoi les classes moyennes continuent à voter pour les partis de gouvernement alors que les couches populaires s’abstiennent massivement ou votent protestataire. Les premières savent pouvoir faire quelque chose, le secondes sont convaincues qu’il n’y a plus grande chose à faire.

      [Voudrions-nous réellement travailler moins que 35 ou 40 heures ? Je ne le pense pas. Ce que nous voulons surtout, c’est continuer d’avoir un travail.]

      Encore une fois, ce « nous »… Mais qui est ce « nous » précisément ? Je conçois qu’un directeur d’orchestre, un architecte, un chercheur se moque un peu de travailler « moins que 35 heures ». Le problème ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes pour l’éboueur ou la femme de ménage. Votre « nous » ignore la complexité de la société, et traite toutes les situations comme si elles étaient identiques… et par une étrange coïncidence, comme si elles étaient identiques à la votre, c’est-à-dire, à celle des classes moyennes. Curieux, non ?

      [Je vois mal comment nous pourrions nous intéresser à une aventure révolutionnaire alors qu’en France, les conditions de vie, de sécurité, de liberté, de choix, de santé dont nous jouissons, sont parmi les plus favorables au monde.]

      Les révolutions ne sont jamais comparatives. On ne fait pas des révolutions en regardant l’assiette du voisin. On fait une révolution parce que le système dans lequel on est a épuisé ses possibilités et est devenu un obstacle au développement des capacités humaines, alors qu’il existe une option qui permet de lever cet obstacle. Lorsque la France de 1789 fait sa révolution, elle est loin d’être l’un des pays les plus misérables du monde…

      [Si nous avons un souhait, ce n’est certainement pas de ressembler aux pays communistes, mais plutôt de nous rapprocher encore de démocraties encore plus avancées que la notre, comme celles d’Europe du nord par exemple.]

      Franchement, j’en doute. Si le souhait de se rapprocher encore des « démocraties encore plus avancées que la notre » – à supposer que cette formule ait un sens – était aussi unanime que vous le pensez, on l’aurait déjà fait. En fait, la référence permanente aux « démocraties plus avancées » n’est qu’un recours de propagande, qui joue sur la traditionnelle « haine de soi » française et de notre tendance à penser que l’herbe est toujours plus verte de l’autre côté de la barrière. Cette propagande est d’ailleurs très ciblée : on nous pousse à copier par exemple le système éducatif suédois, mais pas son système fiscal. Curieux, non ?

      [Dans le monde occidental, et dans le monde en général, ces classes moyennes, qui semblent vous poser tant de problèmes, sont en train de devenir ultra majoritaires, au détriment des classes dites populaires.]

      C’est ce qu’elles essayent de faire croire, en effet. Par ce biais, elles peuvent prétendre que leurs intérêts sont en fait les intérêts de toute la société. L’illusion a pu être maintenue à la fin des trente glorieuses, lorsque la répartition du gâteau a permis à une partie des couches populaires de bénéficier d’un niveau de consommation proche de celui des « vraies » classes moyennes. Mais avec la fin de la croissance, l’illusion est en train de se dissiper. Les couches populaires voient leur environnement économique et social se dégrader à grande vitesse dans leurs cités, alors que les « classes moyennes » continuent, elles, à être bien protégées dans les centres ville. Vous devriez faire un petit porte-à-porte avec moi dans ma cité, vous pourriez constater combien des gens qui jusqu’à il y a quelques années avaient l’illusion d’être parvenues à entrer dans les « classes moyennes » aujourd’hui tiennent un langage fort différent.

      [Non pas parce que les classes moyennes se seraient livrées au génocide des classes populaires, supposées être leur ennemie,]

      Bien sur que non. Ni la bourgeoisie, ni les classes moyennes n’ont intérêt au « génocide des classes populaires ». Après tout, il faut bien que quelqu’un travaille et produise de la plus-value pour les faire vivre, non ?

      [mais au contraire, parce qu’elles les ont aspirées vers le haut et les ont assimilées.]

      Meuh oui, meuh oui… c’est vrai que lorsqu’on va dans une usine, il n’y a plus aucune différence entre l’ingénieur et l’ouvrier sur sa chaîne. Dans un bureau, le directeur et la secrétaire vivent dans la même banlieue et fréquentent les mêmes amis, c’est bien connu. Je me demande si vous croyez vraiment ce que vous dites. Votre discours est tellement caricatural, qu’il est difficile de le prendre au sérieux. Faites un petit tour à Hénin-Beaumont ou à Florange, et vous verrez comment les « classes populaires » ont été « assimilées » aux classes moyennes. Bien entendu, c’est plus difficile à le voir depuis le VIème arrondissement…

      [L’erreur politique de nos médiocres dirigeants actuels ou récents, consiste à ne pas traiter ou à traiter trop mal le cas des français qui n’arrivent pas à s’extraire à leur condition sociale inférieure.]

      Mais si je vous suis, ces gens représentent une infime minorité. C’est vous qui écrivez que les classes moyennes sont devenues « ultra majoritaires »…

      [Mais il n’y a pas grand monde, ni en France, ni ailleurs, pour espérer une victoire des classes populaires.]

      Bien entendu. De la même manière qu’il n’y a eu grand monde pour espérer la victoire de la bourgeoisie au XVIIIème siècle. La lutte des classes – n’en déplaise à certains gauchistes – ne se pose jamais de cette manière. Ce n’est pas une confrontation entre deux armées, entre deux camps, ou l’on peut « espérer la victoire » de l’une ou de l’autre. C’est un conflit d’intérêts qui ne se résout pas par la « victoire » de l’un sur l’autre, mais par un changement du mode de production lui-même. Le communisme n’est pas un capitalisme à l’envers, avec les ouvriers fumant des cigares et les patrons faisant tourner les machines. C’est un mode de production totalement différent, dans lequel le prolétariat comme la bourgeoisie disparaissent tout simplement parce que disparaissent les rapports de production qui les ont constitués en classe.

      Je vous l’ai déjà dit : personne, ni la bourgeoisie ni le prolétariat, ne cherche une quelconque « victoire ». Chacun cherche à faire avancer ses intérêts. Or, il apparaît un moment ou ce conflit d’intérêts devient un obstacle à l’expansion des forces productives. C’est à ce moment-là qu’un mode de production devient dépassé et que la recherche d’un nouveau commence. L’esclavage n’a pas disparu parce que les esclaves ont emporte « la victoire », mais parce que le mode de production fondé sur l’esclavage était dépassé.

      [Et ce, pour une excellente raison : les classes populaires elles mêmes n’aspirent pas à gagner. Elles n’aspirent qu’à rejoindre l’immense classe moyenne qui s’agrandit tous les jours et qui, précisément, vit mieux, travaille moins, est mieux protégée … que jamais dans toute l’humanité.]

      Mais pourquoi s’arrêter en chemin ? Autant aspirer tout de suite à rejoindre la bourgeoisie, qui vit encore mieux, travaille encore moins, et est encore mieux protégée. Pourquoi se contenter d’aspirer « rejoindre l’immense classe moyenne » ?

      Parce que, me répondrez vous, il est possible pour les couches populaires de rejoindre les classes moyennes, alors qu’il est très difficile voire impossible de rejoindre la bourgeoisie. Seulement voilà, cette possibilité pour les couches populaires de rejoindre les classes moyennes est de plus en plus illusoire. C’était possible dans la grande période de croissance, lorsque l’ascenseur social fonctionnait encore. Mais depuis que la croissance est faible, les classes moyennes ont protégé l’avenir de leurs propres enfants en cassant l’ascenseur social. Avec la dégradation constante des conditions de vie des couches populaires, c’est le mythe des « immenses classes moyennes » qu’on pouvait rejoindre qui s’effondre. Les couches populaires se rendent compte que leur « promotion » aux classes moyennes n’était en fait qu’une illusion. Que ce qui caractérise les classes moyennes ce n’est pas d’avoir une voiture ou un écran plat, mais leur capital – matériel et immatériel – qui leur permet de négocier leur rémunération. Et l’ouvrier découvre que, contrairement à son voisin le cadre, il n’a aucun pouvoir de négociation. Que si son patron lui donne le choix entre baisser son salaire et le licencier, il est obligé d’accepter. Que si son usine ferme, il est a la rue et sans possibilité de trouver un autre boulot.

      Ce n’est pas par hasard si le « vote de classe » s’est estompé durant les années 1970, et s’il revient en force aujourd’hui. L’illusion d’une société homogène ou « nous sommes tous des classes moyennes » commence a se dissiper, au fur et à mesure que la crise exacerbe les confrontations pour le partage du gâteau. On parle beaucoup de la « peur du déclassement » des « classes moyennes inférieures » – au sens sociologique du terme – mais c’est une erreur. Il ne peut y avoir « déclassement » parce qu’il n’y a jamais eu « surclassement ». Ces gens ont bénéficié d’un niveau de vie équivalent à celui des classes moyennes, mais n’ont jamais changé de classe. Dans leur rapports de production, ils sont restés prolétaires. Aujourd’hui, ils sont tout simplement rappelés à leur condition.

      Vous comprendrez mieux maintenant pourquoi je rejette la définition de « classes moyennes » fondée sur les modes de vie, pour lui préférer une définition fondée sur leur place dans le mode de production. Une conjonction de facteurs ont permis à la classe ouvrière de voir son niveau de vie monter exponentiellement pendant trente ans. Cela leur a permis d’avoir des voitures et de partir en vacances « comme les classes moyennes ». Mais dans leur immense majorité, cela ne leur a pas donné les moyens d’accumuler le capital qui donne aux classes moyennes leur pouvoir de négociation. Et dès que la conjonction favorable a pris fin, ils ont perdu petit à petit tout ce qu’ils avaient réussi à gagner.

  3. Descartes =>
    « Pourquoi exclure le MEDEF et pas la CGPME, par exemple ? »

    Peut-être parce que Mélenchon n’est pas hostile aux petits patrons de PME ? Et peut-être aussi par souci de simplicité rhétorique, parce que le MEDEF est une organisation bien connue, et que la CGPME ne l’est pas ?

    v2s =>
    « Quelque chose me chiffonne […] voir une classe ouvrière là où il n’en existe plus. »

    Vous êtes toujours bloqué dans votre monde imaginaire. Je vous informe qu’en 2012, on comptait plus de 6 millions d’ouvriers en France. Soit 23% des actifs. Bien sûr, ce n’est pas en allumant votre télévision ou en lisant les journaux que vous risquez d’en entendre parler…

    « Comme si rien n’avait changé depuis Zola. »

    Tiens, voilà une appréciation intéressante. Vous êtes donc d’accord pour reconnaître qu’il y avait des exploités du temps de Zola, mais depuis les choses se sont tellement améliorées qu’il n’y en a plus ? Vous m’avez l’air bien ignorant de la variation des rapports de force.

    « La part de la valeur ajoutée revenant au capital, mesurée par l’excédent brut d’exploitation, qui s’établit autour de 29% dans la seconde moitié des années 70, s’élève à près de 40% en 1995. La part des salaires, qui avait augmentée dans les années 70 pour atteindre 71.8% en 1981, baisse progressivement à partir de 1982-1983 pour atteindre 62.4% en 1990 et 60.3% en 1995. Si plus de 5% du revenu national avaient été redistribués du capital vers le travail de 1970 à 1982, il s’agit cette fois de 10% du revenu national qui est redistribué en sens inverse du travail vers le capital de 1983 à 1995. » -Luc Boltanski & Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme (1999).

    • Descartes dit :

      @ Jonhathan R. Razorback

      [« Pourquoi exclure le MEDEF et pas la CGPME, par exemple ? ». Peut-être parce que Mélenchon n’est pas hostile aux petits patrons de PME ? Et peut-être aussi par souci de simplicité rhétorique, parce que le MEDEF est une organisation bien connue, et que la CGPME ne l’est pas ?]

      M’enfin… comment peut on penser avec des catégories qui ne sont définies qu’en fonction de facilités rhétoriques ? En fait, vous voyez bien que les contours de ce « peuple » sont extraordinairement flous. Ainsi, le patron de 499 salariés ferait partie du « peuple », mais s’il en embauche un de plus il en est chassé ?

      C’est n’importe quoi. On ne peut fonctionner avec une conception du « peuple » qui serait une sorte de club avec des critères d’admission. Si l’on veut travailler sur la notion de « peuple », alors il faut le caractériser d’abord. C’est cette caractérisation qui permet ensuite de dire qui est « in » et qui est « out ». Si je dis que le prolétariat est constitué de ceux qui vendent leur force de travail, alors je n’ai pas de problème ensuite pour dire qui est et qui n’est pas. Mais si je dis « le prolétariat ce sont les gens que j’aime bien et qui peuvent m’apporter des voix », vous voyez le problème…

      Les remarques suivantes s’adressaient à v2s, mais je commente quand même…

      [Tiens, voilà une appréciation intéressante. Vous êtes donc d’accord pour reconnaître qu’il y avait des exploités du temps de Zola, mais depuis les choses se sont tellement améliorées qu’il n’y en a plus ? Vous m’avez l’air bien ignorant de la variation des rapports de force.]

      En fait, c’est logique. V2s ne prend pas une définition des classes sociales fondée sur leur position dans le mode de production, mais une définition sociologique fondée sur les modes de vie. En d’autres termes, on n’est pas bourgeois parce qu’on possède du capital, on est bourgeois parce qu’on vit comme un bourgeois. Que ce mode de vie soit financé par les revenus du capital, par l’emprunt ou par le vol, cela n’a guère d’importance. Et à l’opposé, l’ouvrier n’est pas celui qui vend sa force de travail pour un prix inférieur à la valeur produite, c’est celui qui vit dans un taudis, a dix enfants et les toilettes au fond de la cour. L’ouvrier qui s’achète une voiture et un écran plat n’est donc plus un ouvrier, il devient un membre des classes moyennes. Avec cette vision, constater la disparition de la classe ouvrière est parfaitement cohérent…

      Personnellement, je me place à l’opposé de cette vision. Tout simplement parce qu’à mon avis la position de l’individu dans le mode de production est une donnée structurelle, alors que les modes de vie sont largement conjoncturels et subjectifs. Il vaut mieux donc se référer aux structures, qui ont un caractère de permanence.

      [« La part de la valeur ajoutée revenant au capital, mesurée par l’excédent brut d’exploitation, qui s’établit autour de 29% dans la seconde moitié des années 70, s’élève à près de 40% en 1995. La part des salaires, qui avait augmentée dans les années 70 pour atteindre 71.8% en 1981, baisse progressivement à partir de 1982-1983 pour atteindre 62.4% en 1990 et 60.3% en 1995. Si plus de 5% du revenu national avaient été redistribués du capital vers le travail de 1970 à 1982, il s’agit cette fois de 10% du revenu national qui est redistribué en sens inverse du travail vers le capital de 1983 à 1995. » -Luc Boltanski & Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme (1999).]

      Ces chiffres méritent d’être rappelées…

    • bovard dit :

      En définitive la maoeuvre de Mélenchon est habile.Pour lui l ne s’agit pas d’arriver au second tour.Il s’agit en démissionnant de la ‘co-présidence’ de se placer au-dessus de la mélée.
      Laissant Artaud-Autain-Chassaigne-Besancenot s’entre-dévorer,il pense pouvoir rassembler un maximum de suffrages du peuple de gauche en se positionnant comme vieux druide de la tribu.
      Bien vu d’autant qu’il est assuré du soutien de MGB et consorts au PCF,groupe sado-maso autophobique…
      Mais au fait,cette 6ième république que nous apportera t elle à nous classe moyenne en voie de prolétarisation?
      Je rappelle que âgé de 55 ans je vais être obligé de tarvailler jusqu’à 62 ans si je survis à mon cancer.
      Quant à ma belle fille c’est 67 ans et mes enfant et petits enfants 70 ans.
      Ce que je sais ,c’est que la 5ième république est une république sociale;La 6ième le sera-t-elle,je n’en susi pas certain.C’est même trés probable que la 6ième république sera compétitive,non-sociale et vouée au dieu ‘argent’ àl’instar de l’ancien modèle US.Dans le nouveau modèle US,Obama a réussi à mettre 40 millions de citoyens sous couverture sociale..Oui,VSL:
      ‘Ce qui nous inquiète, c’est que nous sentons confusément que nous pourrions perdre une partie de tous ces avantages, dont 8 humains sur 10 ne bénéficient pas, dans le reste du monde.’
      Je crains la 6ième république qui entérinera la fin de la 5ième,république sociale s’il en fût…

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [Laissant Artaud-Autain-Chassaigne-Besancenot s’entre-dévorer,il pense pouvoir rassembler un maximum de suffrages du peuple de gauche en se positionnant comme vieux druide de la tribu.]

      Exactement.

      [Mais au fait, cette 6ième république que nous apportera t elle à nous classe moyenne en voie de prolétarisation?]

      La VIème République n’apportera rien à personne, pour la simple raison que personne n’a d’idée précise sur ce que pourrait contenir une nouvelle constitution. Bien sur, tout le monde a des idées éparses. Celui-ci propose de tirer au sort les députés plutôt que de les élire, celui-la de créer un « référendum révocatoire ». Certains parlent de revenir au régime d’assemblée – retour vers la IVème République – d’autres se font les défenseurs de la démocratie directe. Mais lorsqu’on veut entrer dans les détails, lorsqu’on se demande comment fonctionnera l’exécutif, quelles seront ses rapports avec le législatif et le judiciaire… il n’y a plus personne. Un très actif partisan de la VIème République m’a même soutenu que ce qui était important n’était pas le résultat, mais le processus. Que le but n’était pas de produire une nouvelle constitution, mais les débats d’une constituante.

  4. L'inconnue de l'Orient Express dit :

    @ Descartes :
    Petite faute à corriger là : "Cette proximité entre le Mélenchon d’aujourd’hui est les gaullistes d’hier ".

    Et là aussi : "Mais la ressemblance d’arrête aux formes".

    Sinon pour ce qui concerne plus directement Jean-Luc Mélenchon, oui il est trop idéaliste et c’est un handicap en politique, surtout comme vous dites quand on ne sait pas bien s’entourer ! En plus, il ne voit pas les gens aussi mauvais qu’ils le sont (en tant que personne et en tant que politique) et il a crû qu’il pourrait faire pencher Hollande dans le bon sens !

    Ce que vous dites là est ce que je pense aussi :

    "De Gaulle avait, lui, un véritable projet global et savait s’entourer des meilleurs spécialistes pour décliner ce projet dans des actions concrètes. Il faisait du « Peuple » la source de sa légitimité, mais ne se faisait guère d’illusions sur les capacités de ce « Peuple » à se gouverner directement, sans médiation. Au contraire, il est convaincu qu’il faut organiser cette médiation et fait travailler sur ce projet les meilleurs constitutionnalistes dont la France dispose. Ce n’est pas le cas de Mélenchon, pour qui le « Peuple » est par postulat infaillible."

    Et là aussi, ce que vous dites est vrai et je trouve cela tellement dommage que son talent soit ainsi gâché, alors qu’il aurait juste fallu qu’il ait autour de lui des gens, capables de faire de ses failles, une force !

    Ca fait vraiment chier Descartes que les choses soient parties en couilles comme ça (désolée pour l’expression triviale) ! Moi, je n’ai perdu que mon euphorie, et c’est déjà beaucoup et l’ai remplacée par le cynisme ! il me faisait du bien au moral Mélenchon d’une certaine façon, du fait déjà qu’instinctivement, il était évident qu’on avait à faire à un type relativement "droit", ou pas "pourri jusqu’à l’os" si vous préférez :

    "Son attachement à la nation est lui aussi profond, tout comme son sens de l’intérêt général. Ce qui manque à Mélenchon pour devenir De Gaulle, ce n’est aucune de ces qualités. Ce qui lui manque, c’est le pragmatisme du Général, sa capacité à ne pas perdre contact avec la réalité."

    Et concernant le peuple, ce message d’un intervenant sur son blog résume un peu la situation actuelle et traduit bien le décalage entre ce qu’idéalise Mélenchon et la réalité :

    "Mon cher Jean-Luc, aucun ici n’est apte ou prêt à faire la révolution, pourquoi veux tu faire une nouvelle république ? Cette 5ème convient parfaitement bien aux frileux, aux terrorisés qu’est le peuple français qui se considère comme un peuple libre et affranchi. Ne l’as tu pas constaté lors des dernières élections, et dans ton entourage ?
    Oui ceci est une provocation, mais c’est aussi un message, n’attends rien d’un peuple couard qui c’est abandonné aux délices de la télé-réalité et des quiz à cent sous, Dallas fut une époque glorieuse en comparaison, pas plus d’ailleurs d’une bande de bobos branchés style éco-sociale…"

    C’est crû mais il y a un peu de cela aussi….Les gens en grande majorité, ne veulent pas des responsabilités et seraient ravis d’avoir un nouveau De Gaulle à leur portée pour faire tourner la boutique (et bien) et que tout le monde y trouve son compte !

    Et quand on a compris, ça, et que malgré ses qualités certaines, Mélenchon ne soit qu’une impasse finalement, on fait quoi pour retrouver de l’espoir ?

    • Descartes dit :

      @ l’inconnue de l’Orient Express

      [Sinon pour ce qui concerne plus directement Jean-Luc Mélenchon, oui il est trop idéaliste et c’est un handicap en politique, surtout comme vous dites quand on ne sait pas bien s’entourer!]

      Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai dit. Mélenchon n’est certainement pas « trop idéaliste ». Son discours est un discours idéaliste – par opposition à un discours matérialiste. Ce n’est pas tout à fait la même chose…

      [En plus, il ne voit pas les gens aussi mauvais qu’ils le sont (en tant que personne et en tant que politique) et il a crû qu’il pourrait faire pencher Hollande dans le bon sens !]

      Là, c’est vous qui l’idéalisez. Mélenchon est un politique chevronné, et un disciple avoué de Mitterrand. Ayant été à cette école, il n’ignore rien des faiblesses humaines et de leur utilisation aux fins de manipulation. Et il ne se fait aucune illusion sur la nature humaine. Comme Mitterrand, il a une certaine tendance à s’entourer de lèche-bottes et à éloigner de lui les gens de substance, à préférer la fidélité à l’intelligence. Je ne crois pas qu’il se soit fait la moindre illusion sur sa capacité à « faire pencher Hollande dans le bon sens ». Il a cru qu’il pourrait créer un rapport de forces avec le PS à partir d’une OPA sur le PCF. Il s’est trompé.

      [« (…) Ce n’est pas le cas de Mélenchon, pour qui le « Peuple » est par postulat infaillible ». Et là aussi, ce que vous dites est vrai et je trouve cela tellement dommage que son talent soit ainsi gâché, alors qu’il aurait juste fallu qu’il ait autour de lui des gens, capables de faire de ses failles, une force !]

      Je partage. Mélenchon a un véritable talent de tribun, doublé d’une grande profondeur humaine. Mais il a une faille psychologique : il a besoin d’une figure paternelle. Cette figure, il la trouvera dans la toute-puissance gauchiste d’abord, dans Mitterrand ensuite. Il est sorti de ces deux expériences passablement paranoïaque, avec un souverain mépris des « experts » et, de manière concomitante, une extraordinaire croyance en ses propres capacités à résoudre n’importe quel problème sans aide. C’est pourquoi il n’a jamais constitué un « think tank », jamais cherché à s’attacher des personnes compétentes dans leur domaine, et reste entouré d’une ménagerie de politicards incompétents de deuxième rang dont le seul titre de gloire est la fidélité absolue au Chef.

      [Ca fait vraiment chier Descartes que les choses soient parties en couilles comme ça (désolée pour l’expression triviale) !]

      Je partage ton sentiment. Moi aussi j’ai cru et espéré lorsque Mélenchon a fondé le PG et parlé d’en faire un « parti creuset », même si j’avais conscience des difficultés. J’ai d’ailleurs participé – très modestement – à ce processus, en faisant ce que je sais faire, c’est-à-dire, en essayant de mettre sur pied une « force d’expertise ». Et on ne manquait pas de bons candidats prêts à travailler bénévolement et sans aucune ambition « médiatique », à condition bien entendu de se sentir écoutés. Ca n’a pas marché. Très rapidement, les tendances gauchistes se sont imposées. Toute parole savante était méprisée sur le thème « vous ne comprenez rien à la politique ». Sans compter sur la monstrueuse intolérance des militants et des dirigeants du PG venus du gauchisme ou de la « gauche socialiste », toujours prêts à ouvrir un procès en sorcellerie contre celui qui osait exprimer une idée qui sortait du cadre canonique – tu en sais quelque chose, toi qui a fréquenté la chose. Et puis, Mélenchon a décrété un jour – dieu seul sait qui lui a soufflé l’idée – qu’on pouvait remplacer l’énergie nucléaire par la géothermie. Et ce jour-là, on a fermé boutique. Comment veux-tu motiver des « experts » alors que leur parole n’a aucun écho, et que le porte-parole de l’organisation ne prend même pas la peine de les consulter avant de dire pareille bêtise ? Il était clair que notre travail ne servait à rien, alors à quoi bon continuer ?

      Le « parti creuset », ou devaient se confronter les meilleurs traditions de la gauche communiste et non communiste, est devenu en fait un groupuscule gauchiste de plus, paranoïaque, opaque, intolérant. Et si j’en ai fait mon deuil peut-être plus tôt que vous, la cicatrice reste.

      [Et concernant le peuple, ce message d’un intervenant sur son blog résume un peu la situation actuelle et traduit bien le décalage entre ce qu’idéalise Mélenchon et la réalité : « Mon cher Jean-Luc, aucun ici n’est apte ou prêt à faire la révolution, pourquoi veux tu faire une nouvelle république ? Cette 5ème convient parfaitement bien aux frileux, aux terrorisés qu’est le peuple français qui se considère comme un peuple libre et affranchi. Ne l’as tu pas constaté lors des dernières élections, et dans ton entourage ? Oui ceci est une provocation, mais c’est aussi un message, n’attends rien d’un peuple couard qui c’est abandonné aux délices de la télé-réalité et des quiz à cent sous, Dallas fut une époque glorieuse en comparaison, pas plus d’ailleurs d’une bande de bobos branchés style éco-sociale… »]

      Vous savez, il ne faut pas confondre les écrits d’un imbécile et la « réalité ». Le texte que vous citez ne fait que reproduire la vieille antienne gauchiste qui légitime l’action des « avant-gardes éclairées » puisque le peuple est décidément trop aliéné ou trop bête pour prendre son destin en main. Je me suis toujours méfié des groupuscules qui prétendent faire le bonheur des gens malgré eux. Mais cela étant dit, il ne faut pas se tromper : ces gens-là sont ultra-minoritaires. Ce n’est pas parce qu’ils écrivent à tort et à travers dans différents blogs qu’il faut leur donner un poids qu’ils n’ont pas.

      Il est d’ailleurs intéressant de noter combien cette pensée instrumentalise le peuple. Il ne s’agit pas de donner le pouvoir au peuple – qu’en ferait-il, puisqu’il est « couard », « abandonné aux délices de la télé-réalité » – mais de l’exercer à sa place et en son nom…

      [C’est crû mais il y a un peu de cela aussi….Les gens en grande majorité, ne veulent pas des responsabilités et seraient ravis d’avoir un nouveau De Gaulle à leur portée pour faire tourner la boutique (et bien) et que tout le monde y trouve son compte !]

      Mais ils ont parfaitement raison ! Ca s’appelle la division du travail. Quand j’ai besoin d’être défendu devant un tribunal, je mandate un avocat. Quand j’ai besoin d’une opération, je mandate un chirurgien. Quand j’ai besoin de pain, je choisis un boulanger. Si je devais me défendre moi-même, m’opérer moi-même et en plus cuire mon pain moi-même, je n’y arriverais pas. Pourquoi la même règle ne s’appliquerait-elle pas au gouvernement ? Diriger une collectivité, organiser une institution, mettre en œuvre une politique sont des tâches compliquées, qui nécessitent expérience et compétence. La souveraineté populaire consiste à pouvoir choisir les gens à qui on délègue ce travail, et non à le faire soi même.

      [Et quand on a compris, ça, et que malgré ses qualités certaines, Mélenchon ne soit qu’une impasse finalement, on fait quoi pour retrouver de l’espoir ?]

      On travaille à partir du réel. On range au placard les grands délires, et on commence à travailler « à partir de ce que les gens ont dans la tête », comme disait un grand dirigeant communiste. On réfléchit aux moyens de résoudre les problèmes qui les gens se posent, au lieu de chercher à les convaincre qu’il faut se poser les « vrais » problèmes. Et on construit patiemment, sans à-coups ni happenings médiatiques, un projet d’avenir. Il n’y a pas d’autre voix. Il n’y a pas d’homme providentiel qui descendra du ciel avec son cheval blanc prêt à nous sauver. Même De Gaulle ne fut pas cet homme-là. C’est un mythe fabriqué à postériori.

    • Descartes =>
      « Quand j’ai besoin d’être défendu devant un tribunal, je mandate un avocat. Quand j’ai besoin d’une opération, je mandate un chirurgien. Quand j’ai besoin de pain, je choisis un boulanger. Si je devais me défendre moi-même, m’opérer moi-même et en plus cuire mon pain moi-même, je n’y arriverais pas. Pourquoi la même règle ne s’appliquerait-elle pas au gouvernement ? »

      Oui, c’est un peu l’idée de Platon…et vous n’êtes pas sans savoir que cette notion de république dirigée par des « philosophes-rois » s’oppose de front à l’exercice du pouvoir par tous, et donc aussi par les pauvres…

      « La démocratie advient quand les pauvres sont vainqueurs de leurs adversaires. » -Platon, La République, Livre VIII.

      Donc si je comprends bien… Vous rejetez les « groupuscules qui prétendent faire le bonheur des gens malgré eux » et qui désirent « exercer le pouvoir à la place et au nom du peuple »…mais lorsque ce pouvoir est exercé au nom du peuple par des spécialistes « expérimentés et compétents », il n’y a rien à redire ? Votre reproche aux avant-gardes gauchistes, c’est de rejeter les experts tels que vous ?

    • Descartes dit :

      @ Jonhathan R. Razorback

      [« Quand j’ai besoin d’être défendu devant un tribunal, je mandate un avocat. Quand j’ai besoin d’une opération, je mandate un chirurgien. Quand j’ai besoin de pain, je choisis un boulanger. Si je devais me défendre moi-même, m’opérer moi-même et en plus cuire mon pain moi-même, je n’y arriverais pas. Pourquoi la même règle ne s’appliquerait-elle pas au gouvernement ? ». Oui, c’est un peu l’idée de Platon…et vous n’êtes pas sans savoir que cette notion de république dirigée par des « philosophes-rois » s’oppose de front à l’exercice du pouvoir par tous, et donc aussi par les pauvres…]

      Je ne vois pas le rapport avec Platon. D’abord, Platon veut confier aux philosophes le gouvernement non pas parce qu’ils seraient « compétents », mais parce que, contrairement aux autres, ils ne rechercheraient pas le pouvoir, l’argent ou les honneurs. Ensuite, lorsque je parle de mandater un médecin, un avocat, un boulanger, je ne parle pas de leur confier le « pouvoir » à ces professionnels. C’est toujours moi qui décide. Je décide d’abord parce que choisit à quel médecin, à quel avocat, à quel boulanger je fais confiance. Je décide ensuite parce que le médecin, l’avocat et le boulanger agissent sous mon contrôle. Si je demande au boulanger une baguette et qu’il me donne un pain de campagne, je lui demanderai de refaire sa livraison. Si le médecin oublie une paire de ciseaux dans mon ventre, je peux lui faire un procès.

      Je suis très attaché à la souveraineté populaire. Il n’y a pas pour moi de légitimité qui n’émane de lui. Mais le peuple ne peut exercer directement les pouvoirs. Pour des raisons pratiques – difficile de délibérer à plusieurs millions – mais surtout pour des raisons théoriques : pour dégager des intérêts particuliers un intérêt général, il faut une maïeutique. Et cette maïeutique nécessite des médiateurs. C’est le rôle des représentants. Mais ces représentants ne sont pas des techniciens. Ils ne sont pas forcément des experts des sujets qu’ils traitent. Ils sont par contre des professionnels d’une chose : de la politique. Le métier du ministre de l’éducation, ce n’est pas de savoir éduquer, c’est de savoir s’entourer des bons experts qui, eux, savent.

      [Donc si je comprends bien… Vous rejetez les « groupuscules qui prétendent faire le bonheur des gens malgré eux » et qui désirent « exercer le pouvoir à la place et au nom du peuple »…mais lorsque ce pouvoir est exercé au nom du peuple par des spécialistes « expérimentés et compétents », il n’y a rien à redire ?]

      Pas du tout. Un expert qui, « au nom du peuple » prétendrait faire le bonheur des gens me serait autant plus détestable qu’un groupuscule. Mon idée de démocratie, c’est des politiques investis par le peuple, qui eux-mêmes mandatent des experts et les contrôlent. Les politiques et les experts dont je parle n’agissent pas seulement « au nom du peuple », ils agissent en vertu du mandat confié par le peuple. Ils ne prétendent pas faire le bonheur du peuple malgré lui, mais ils ont mandat de mettre leur art et leur savoir au service d’une politique que le peuple a choisie. C’est là toute la différence. C’est pourquoi il faut à mon avis se méfier de tous ceux qui ont peur du peuple, et qui prétendent faire son bonheur dans son dos…

      [Votre reproche aux avant-gardes gauchistes, c’est de rejeter les experts tels que vous ?]

      Ce n’est pas véritablement un « reproche ». Je constate surtout qu’en rejetant non seulement les « experts tels que moi » mais surtout l’expertise comme fonction, elle se condamne à l’impuissance. Imaginer aujourd’hui que le politique puisse gouverner seul, sans avoir le soutien de corps techniques, c’est une erreur capitale. Et ne pas constituer ses propres corps techniques, c’est se condamner à reposer, lorsqu’on arrive au pouvoir, sur les corps techniques constitués par d’autres. Et le même raisonnement vaut pour la conquête du pouvoir. Comment proposer un projet crédible sans avoir recours à ceux qui ont la connaissance pour vous dire ce qui est possible et comment y arriver ?

    • « Le peuple ne peut exercer directement les pouvoirs. »
      Ça s’est pourtant vu historiquement. Mais peut-être voulez-vous dire « ne devrait pas » ?

      « Difficile de délibérer à plusieurs millions »
      D’autre que vous auraient écrit « impossible ». Mais faisons comme si c’était un problème quantitatif. À partir de quel seuil devient-il « facile » de délibérer ?

      « Dégager des intérêts particuliers un intérêt général »
      Qu’entendez-vous par « intérêt général » ? Le consensus ? Une décision qui ne lèse personne ? Une décision qui satisfait une majorité ?

      « Un expert qui, « au nom du peuple » prétendrait faire le bonheur des gens me serait autant plus détestable qu’un groupuscule. »
      Nous sommes au moins d’accord là-dessus.

      « Mon idée de démocratie, c’est des politiques investis par le peuple, qui eux-mêmes mandatent des experts et les contrôlent. »
      Si c’est le régime politique que vous souhaitez, c’est votre droit. Mais c’est une entourloupe linguistique d’appeler cela « démocratie ». La démocratie, d’après les catégories aristotéliciennes, exclue l’élection.

      « On admet qu’est démocratique le fait que les magistratures soient attribuées par tirage au sort, oligarchiques le fait qu’elles soient pourvues par l’élection. » -Aristote, Politique, Livre IV.

      « Les politiques et les experts dont je parle n’agissent pas seulement « au nom du peuple », ils agissent en vertu du mandat confié par le peuple. »
      Je ne vois pas ce que ça change, dans la mesure où les mandats existants sont délibératifs. Ce qui était le vœu de Sieyès, souvenez-vous :

      « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » -Abbé Sieyès (Discours du 7 septembre 1789).

      « Ils ont mandat de mettre leur art et leur savoir au service d’une politique que le peuple a choisie. »
      Justement pas. Le peuple choisit ses dirigeants, pas la politique menée (qui dépend entre autre chose de tractations internes à la majorité parlementaire). Si c’était le cas, on n’entendrait pas de perpétuelles lamentations sur le thème des revirements et des promesses de campagne trahies, pas vrai ?

      « Comment proposer un projet crédible sans avoir recours à ceux qui ont la connaissance pour vous dire ce qui est possible et comment y arriver ? »
      D’après le point précédant établi, en république parlementaire ce n’est pas indispensable d’avoir un projet crédible (au sens d’applicable), tout ce qui compte c’est d’obtenir des suffrages, de générer de l’adhésion.

    • Désolé d’être désagréable, mais la "profondeur humaine" de Mélenchon, faut pas se foutre du monde. Mélenchon est un gourou sectaire, intolérant, qui a l’excommunication facile et qui a tenu régulièrement des propos de guerre civile, en opposant "nous", les bons, les purs, les mélenchoniens, et les "autres", à qui on fera la peau, ou du moins qu’on essaiera de faire taire. Il se trouve que je fais partie des "autres", et si je croisais Mélenchon (dont l’arrogance théâtrale m’insupporte), je crois que je serais moins patient que ce "facho" du nord de la France que le "duce" gaucho avait copieusement insulté.

      https://www.youtube.com/watch?v=S19wIZxe-C8

      La "profondeur humaine" de Mélenchon? Pour ceux qui couchent avec lui ou qui partagent ses beuveries, peut-être. Mais pour ceux qui ne connaissent Mélenchon que par l’image qu’il donne de lui, c’est un peu différent…

    • Descartes dit :

      @Jonhathan R. Razorback

      [« Le peuple ne peut exercer directement les pouvoirs. » Ça s’est pourtant vu historiquement. Mais peut-être voulez-vous dire « ne devrait pas » ?]

      En fait, historiquement cela ne s’est vu que très, très rarement. Il est fréquent que le peuple exerce directement le pouvoir constituant. Il est déjà plus rare qu’il exerce directement le pouvoir législatif, mais cela se voit. Il est extrêmement rare qu’il exerce directement le pouvoir judiciaire, et je ne connais aucun cas où il exerce directement le pouvoir exécutif…

      [« Difficile de délibérer à plusieurs millions ». D’autre que vous auraient écrit « impossible ». Mais faisons comme si c’était un problème quantitatif. À partir de quel seuil devient-il « facile » de délibérer ?]

      Plus le nombre est faible, plus délibérer est facile. Non, il n’est pas impossible de « délibérer à plusieurs millions ». Le référendum de 2005, pour ne donner qu’un exemple, fut une véritable « délibération », avec un véritable débat, un véritable échange d’arguments, et un vote.

      [« Dégager des intérêts particuliers un intérêt général ». Qu’entendez-vous par « intérêt général » ? Le consensus ? Une décision qui ne lèse personne ? Une décision qui satisfait une majorité ?]

      Aucune de ces choses. L’idée républicaine repose en France sur ce concept très particulier qu’est l’intérêt général. Cet intérêt est une construction intellectuelle : on postule qu’il est possible de définir un intérêt social, un intérêt qui n’est pas celui d’aucun individu en particulier, mais de l’ensemble de la société. Prenons un exemple pour illustrer : nous avons des politiques d’aide aux SDF. Ces politiques, regardées superficiellement, sont dans l’intérêt d’une petite minorité. Mais on peut aussi soutenir que ces politiques sont dans l’intérêt de tous, parce qu’elles rendent la société plus harmonieuse, plus agréable à vivre. Moi, qui ait un appartement, je me trouve mieux dans une société où on ne laisse pas crever la gueule ouverte ceux qui sont victimes d’un accident de la vie.

      Parce que c’est une construction intellectuelle, l’intérêt général n’est pas objectif. Il est construit par le débat et la délibération démocratique. C’est pourquoi l’un des principes fondamentaux de la République est l’idée que « la loi est l’expression de la volonté générale ».

      [« Mon idée de démocratie, c’est des politiques investis par le peuple, qui eux-mêmes mandatent des experts et les contrôlent ». Si c’est le régime politique que vous souhaitez, c’est votre droit. Mais c’est une entourloupe linguistique d’appeler cela « démocratie ». La démocratie, d’après les catégories aristotéliciennes, exclue l’élection.]

      Je ne pense pas que l’idée aristotélicienne de la démocratie puisse être la même que la notre. Ne serait-ce que parce que le « démos » n’était pas à l’époque le même qu’il est aujourd’hui. En tout cas, lorsque je parle de démocratie je ne me réclame certainement pas des catégories aristotéliciennes.

      [« Les politiques et les experts dont je parle n’agissent pas seulement « au nom du peuple », ils agissent en vertu du mandat confié par le peuple ». Je ne vois pas ce que ça change, dans la mesure où les mandats existants sont délibératifs. Ce qui était le vœu de Sieyès, souvenez-vous (…)]

      Encore une fois, je pense qu’il faut faire attention aux contextes. Le sens des mots n’est pas aujourd’hui le même qu’à l’époque d’Aristote ou de Sieyes. La démocratie, au sens moderne de ce terme, ne s’oppose pas à la représentativité.

      [« Ils ont mandat de mettre leur art et leur savoir au service d’une politique que le peuple a choisie. »
      Justement pas. Le peuple choisit ses dirigeants, pas la politique menée (qui dépend entre autre chose de tractations internes à la majorité parlementaire). Si c’était le cas, on n’entendrait pas de perpétuelles lamentations sur le thème des revirements et des promesses de campagne trahies, pas vrai ?]

      Je ne crois pas qu’il y ait tant de « promesses trahies » que cela. C’est en grande partie un jeu : lorsqu’une Juliette entend son Roméo lui promettre de lui décrocher la lune, tous deux savent que la promesse ne serait jamais tenue. Et si Roméo ne décroche pas la lune, peut-on dire qu’il a « trahi sa promesse » ? Par ailleurs, je persiste et signe : c’est bien le peuple qui choisit les politiques, ce qui n’implique pas qu’il les choisisse directement. Mais le pouvoir de faire ce choix émane de lui, et c’est lui qui le délègue. Or, la délégation implique que les actes commis par le délégué sont reputés avoir été commis par le délégataire…

      [« Comment proposer un projet crédible sans avoir recours à ceux qui ont la connaissance pour vous dire ce qui est possible et comment y arriver ? ». D’après le point précédant établi, en république parlementaire ce n’est pas indispensable d’avoir un projet crédible (au sens d’applicable), tout ce qui compte c’est d’obtenir des suffrages, de générer de l’adhésion.]

      Vous n’avez pas besoin d’avoir « un projet crédible au sens d’applicable », mais vous avez besoin d’avoir « un projet crédible au sens que les gens croient qu’il peut être appliqué ». Autrement, comment pourriez-vous « générer de l’adhésion » ? Et comme les gens ne sont pas totalement idiots, ces deux notions ne sont pas si lointaines qu’on pourrait le croire.

    • Descartes dit :

      @ nationalistejacobin

      [Désolé d’être désagréable, mais la "profondeur humaine" de Mélenchon, faut pas se foutre du monde. Mélenchon est un gourou sectaire, intolérant, qui a l’excommunication facile et qui a tenu régulièrement des propos de guerre civile, en opposant "nous", les bons, les purs, les mélenchoniens, et les "autres", à qui on fera la peau, ou du moins qu’on essaiera de faire taire.]

      Vrai. Mais à côté de ce comportement politique, dans le rapport humain, c’est un homme charmant, généreux, soucieux des autres, attentionné et courtois. C’est cela que je voulais dire en parlant de « profondeur humaine ». Cela étant dit, la « profondeur humaine » ne suffit pas pour faire un homme d’Etat, et sur ce point je pense avoir exprimé mes critiques – qui rejoignent les vôtres – sans ambiguïté.

  5. Nicolas 70 dit :

    Descartes, vous aviez raison. Le nouveau patronyme de Mélenchon est 6ème République.

  6. L'inconnue de l'Orient Express dit :

    @ Descartes,

    Je pense aussi que le tirage au sort et donc n’importe quel citoyen qui n’a aucune expérience dans un domaine donné, à qui on va donner des responsabilités qui vont le dépasser, n’est pas une bonne chose !

    Moi aussi j’aime bien savoir, par ex pour le choix d’un médecin, que celui-ci soit un "bon" sinon un des meilleurs de sa spécialité car à diplôme égal, tous ne se valent pas, quel que soit le domaine, déjà !!!

    Vous pensez encore que Mélenchon pourra changer ses automatismes si l’urgence de la situation de la France exigeait de lui qu’il dépasse ses limites ?

    Sinon, en dehors de Mélenchon, j’apprécie Florian Philippot ! rien à fiche des étiquettes des gens, seul compte pour moi, le ressenti que j’en ai, qui certes peut être faussé par ce que j’attends d’eux et je suis tout à fait capable d’idéaliser moi aussi ! Mais bon il faut bien s’appuyer sur quelque chose pour se faire son opinion et pour ça, c’est chacun sa recette !

    Bref, voyons cette rentrée de quelle manière elle va s’annoncer parce qu’avec un Montebourg et un Hamon qui vont forcément se faire rappeler à l’ordre et un Valls qui tourbillonne vertigineusement dans les sondages, ça risque encore d’être folklorique !
    Tristes de nous d’avoir si peu de raisons d’être fiers d’être français en ce moment ! Normal donc de considérer les Russes comme étant chanceux d’avoir un chef d’Etat qui sait tenir tête à ceux qui veulent le faire rentrer dans le rang !

    • Descartes dit :

      @ L’inconnue de l’Orient Express

      [Vous pensez encore que Mélenchon pourra changer ses automatismes si l’urgence de la situation de la France exigeait de lui qu’il dépasse ses limites ?]

      Je ne sais pas. Aujourd’hui, je ne le pense pas. Il est très difficile de changer ses automatismes lorsqu’on refuse tout retour critique sur le passé. Et Mélenchon en est, malheureusement, incapable. Plus de trente ans après 1981, il n’a toujours pas fait un retour critique sur le règne de Mitterrand. Vingt ans après Maastricht, il n’est toujours pas revenu sur son soutien au traité. A force de glisser sous le tapis les erreurs et ne retenir du passé qu’une vision idéalisée, tout changement de ligne est impossible. Pourquoi changer une ligne qui n’a apporté que des succès ?

      [Sinon, en dehors de Mélenchon, j’apprécie Florian Philippot !]

      C’est un type intelligent, compétent et, last but not least, doté d’une grande culture historique et politique. Et accessoirement, je partage avec lui la même vision des rapports entre expertise et politique. Il a pris un grand soin de constituer un « think tank » autour de la direction du FN, et cela a payé.

      [Bref, voyons cette rentrée de quelle manière elle va s’annoncer parce qu’avec un Montebourg et un Hamon qui vont forcément se faire rappeler à l’ordre et un Valls qui tourbillonne vertigineusement dans les sondages, ça risque encore d’être folklorique !]

      Tout à fait. N’oubliez pas que le ciment du PS est le partage des ambitions. Les socialistes ne sont d’accord sur rien, sauf sur le fait que ce n’est qu’en restant groupés qu’on peut conserver les postes. Si les élus socialistes réalisent que Hollande ou Valls ne peuvent plus rien pour eux, que leur sort ne dépend plus de leur fidélité au gouvernement, ça va valser !

      [Tristes de nous d’avoir si peu de raisons d’être fiers d’être français en ce moment !]

      Ne dites pas ça ! Nous avons le souvenir des grandes choses faites ensemble, et le désir d’en accomplir de nouvelles. C’est un motif de fierté suffisante. Les gouvernements sont contingents, Hollande ou de Valls réjoindront demain dans les poubelles de l’histoire Lebrun ou Millerand.

  7. v2s dit :

    @Descartes
    [Par ailleurs, je vois mal comment quelqu’un peut « avoir » le fait de « vivre mieux ». « Vivre bien », à la rigueur, je comprends. Mais « vivre mieux » implique nécessairement une amélioration par rapport à l’existant, ce qui implique forcément que l’existant n’est pas l’optimum…]

    Bien que je ne comprenne pas où est le malentendu, je m’explique et je reformule :
    En écrivant que les Français, en général et en moyenne, vivent « mieux », je me réfère tout simplement au fait que depuis 60 ans, disons depuis l’immédiat après-guerre, l’amélioration générale aura été forte et continue, en France comme dans le reste du monde libre, à l’exception notoire des pays qui ont tenté le communisme.
    Le revenu moyen en monnaie constante, donc le pouvoir d’achat, le taux d’équipement des ménages en toute sorte de biens d’équipement, le pourcentage de foyers propriétaires de leurs logements, le nombre de foyers qui voyagent et consomment des loisirs, le nombre de foyers bénéficiant d’une couverture médicale complète (sécu + mutuelle), n’a cessé de progresser, de tendre vers 100%, sans que ne régresse ni les libertés d’opinion, de réunion, de la presse, des cultes, ni le droit de vote, ni aucun droit, ni aucune liberté. Ce qui me permet d’affirmer que l’on ne cesse de « vivre mieux ».

    [[mais au contraire, parce qu’elles les ont aspirées vers le haut et les ont assimilées (les classes populaires).]
    Meuh oui, meuh oui… c’est vrai que lorsqu’on va dans une usine, il n’y a plus aucune différence entre l’ingénieur et l’ouvrier sur sa chaîne. Dans un bureau, le directeur et la secrétaire vivent dans la même banlieue et fréquentent les mêmes amis, c’est bien connu. Je me demande si vous croyez vraiment ce que vous dites. Votre discours est tellement caricatural, qu’il est difficile de le prendre au sérieux.]

    Donc, mon discours serait caricatural, donc discrédité à priori. Je serais tenté de vous opposer une de vos objections favorites : l’usage à mon encontre du terrorisme intellectuel, mais si on veut débattre mieux vaut parfois passer sur la forme utilisée par son contradicteur.
    Vous avez, pour les besoins de votre cause, imaginé votre propre définition de la classe moyenne. Mieux, vous avez imaginé une classe dans la classe moyenne que vous assimilez à la bourgeoisie au prétexte que cette classe dans la classe disposerait d’un capital immatériel, réel ou supposé.
    À ceux qui se posent des questions sur votre théorie, vous vous empressez de répondre, par avance, que vous n’avez ni le temps ni les moyens de conduire des recherches pour démontrer votre intuition.
    Admettons.
    Mais à votre tour, admettez que l’on puisse un instant raisonner avec les définitions habituelles des classes moyennes [une définition sociologique fondée sur les modes de vie.] Et je dis volontairement « des » classes moyennes parce qu’en réalité, un vaste éventail de revenus et de modes de vie différents s’appliquent aux classes moyennes supérieures, intermédiaires ou inférieures.
    Personne, en tout cas pas moi, ne nie l’existence des classes moyennes. Non seulement elles existent mais elles ne font que croître et se multiplier. Elles attirent à elles les couches inférieures, elles les assimilent de façon continue et les tire vers une vie moins dure, vers plus de sécurité, plus de santé, plus de loisirs … Même si, et c’est à mettre au discrédit de nos médiocres dirigeants actuels ou récents, l’ascenseur est désormais en panne.

    [[Certes il subsiste en France encore trop d’inégalités.]
    Ah bon ? Elles « subsistent » ? Ou elles se creusent ?]

    Il faut se méfier des chiffres bruts. Certes, les écarts se creusent entre le haut et le bas de l’échelle sociale. Mais attention ! Il ne s’agit absolument pas des mêmes individus qui auraient régressé.
    Si on observe la société française à 30 ans d’intervalle, on voit, d’une part, que la population ouvrière a fortement diminué. D’autre part, l’ouvrier des années 60/70, je parle de chaque individu, pris individuellement, (pardonnez le pléonasme), les individus, donc se sont en moyenne fortement élevés dans l’échelle sociale : ils sont devenus propriétaires de leur logement, leur pouvoir d’achat n’a pas cessé d’augmenter, leurs enfants font plus d’études, qu’eux-mêmes n’en ont fait.
    Ils sont plus nombreux qu’avant à voyager, à partir en vacances, à consommer des loisirs …
    Si je ne craignais de vous faire de la peine, je dirais qu’ils se sont embourgeoisés.
    Le vrai changement, le vrai recul, c’est que, depuis 15/20 ans, notre société se montre progressivement de plus en plus incapable de continuer d’aspirer tout le monde vers le haut.
    Les grands perdants, ce sont les immigrés, les derniers arrivés.
    Ce sont eux les cocus de l’arrêt de la croissance.
    Vous dites que vous habitez une cité, pour ma part, je n’ai pas cette malchance, j’habite en province, à 600 km de Paris.
    Mais je reçois quand même la télévision :
    En cette période estivale, comme chaque année à la même époque, le journal télévisé nous montre les services sociaux, les associations et les bénévoles qui emmènent les enfants des banlieues (les vôtres peut être ?) une journée à la mer.
    Sur nos écrans, on voit que ces enfants sont visiblement et majoritairement issus de minorités ethniques.
    La voila la seule grande nouveauté, La France n’assure désormais ni l’intégration, ni surtout la promotion sociale de ceux qui continuent de venir en France, chercher ici la prospérité.
    Certes, les écarts se creusent, mais pour autant, les ouvriers qui ont acheté leur logement dans les années 80/90 ne sont pas du tout obligés de les revendre pour survivre.
    Si les écarts se creusent, c’est parce que les conditions économiques des nouveaux arrivants, des nouveaux prolétaires, stagnent lamentablement.

    Et Marine Le Pen dans tout ça ?
    Elle fait le plein chez les anciens pauvres, chez les derniers à avoir accédé à la classe moyenne inférieure. Chez ceux qui ont peur d’être la première génération à régresser.
    En mécanique, quand l’accélération est nulle, que la vitesse est stabilisée, le moindre frottement provoque la décélération.
    Décélération qui, dans notre cas, signifiera déclassement, non pas, comme vous le dites pour toute la classe moyenne, ni même pour « votre » classe moyenne, « estampillée Descartes », celle qui serait dotée de capital réel ou imaginaire, mais bien pour la tranche inférieure de la classe moyenne, les anciens pauvres, ceux qui viennent tout juste de se débarrasser de leur dure condition de prolétaire.
    Le vote Bleu Marine c’est, pour la classe moyenne inférieure, le refus, bien compréhensible, de devoir se serrer à nouveau la ceinture. Voter bleu Marine, c’est pour eux, en pratique, rechercher un effet cliquet, pour empêcher tout retour en arrière.
    Et quand, dans sa grande suffisance, et son grand aveuglement, Mélenchon croyait avoir gagné d’avance son duel avec Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, les « français moyens d’en bas », à son grand désespoir et à son grand étonnement, lui ont confirmé que les grands idéaux communistes, ils s’en battaient l’œil.
    Ils lui ont tourné le dos pour se réfugier dans les bras protecteurs de Marine Le Pen.
    Laquelle leur promet, entre autre, de tenir à distance ces « dangereux immigrés » qui menacent leur toute jeune ascension sociale.
    Alors il va falloir être cohérent, soit la « vraie gauche », je veux dire celle de Mélenchon et de tous ceux qui lui trouvent de bien grandes qualités, prend fait et cause pour les nouveaux prolétaires, je veux dire les émigrés des ghettos des banlieues, soit ils se mettent en tête de courtiser et de reconquérir ceux qui viennent de leur tourner le dos, et de tourner le dos aux idéaux communistes, en votant Marine Le Pen, pour protéger leurs acquis.
    Vouloir faire les deux à la fois, devrait logiquement donner le même résultat qu’à Hénin-Beaumont.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [[mais au contraire, parce qu’elles les ont aspirées vers le haut et les ont assimilées (les classes populaires).]
      Meuh oui, meuh oui… c’est vrai que lorsqu’on va dans une usine, il n’y a plus aucune différence entre l’ingénieur et l’ouvrier sur sa chaîne. Dans un bureau, le directeur et la secrétaire vivent dans la même banlieue et fréquentent les mêmes amis, c’est bien connu. Je me demande si vous croyez vraiment ce que vous dites. Votre discours est tellement caricatural, qu’il est difficile de le prendre au sérieux.]

      [Donc, mon discours serait caricatural, donc discrédité à priori.]

      Non. Votre discours est caricatural, et donc discrédité à posteriori. Prétendre qu’aujourd’hui les classes populaires ont été « aspirées vers le haut et assimilées aux classes moyennes » est tellement absurde, tellement contradictoire avec ce qu’on peut voir tous les jours, avec toutes les statistiques, avec les comportements politiques, avec tous les indicateurs que vous pouvez imaginer, qu’il est difficile de le prendre au sérieux. Allez visiter les quartiers populaires d’Hénin-Beaumont, de Valenciennes, de Longwy, de Lille, de Dunkerque. Discutez avec les enseignants et les assistantes sociales qui exercent dans ces quartiers. Et vous verrez alors si les couches populaires ont été « aspirées vers le haut » ou se sont « assimilées aux classes moyennes ». Bien sur, ce n’est plus Dickens ou Zola, mais ce n’est certainement pas les classes moyennes.

      [Vous avez, pour les besoins de votre cause, imaginé votre propre définition de la classe moyenne. Mieux, vous avez imaginé une classe dans la classe moyenne que vous assimilez à la bourgeoisie au prétexte que cette classe dans la classe disposerait d’un capital immatériel, réel ou supposé.]

      Non. Je n’ai jamais « assimilé » les classes moyennes à la bourgeoisie. De grâce, si vous voulez débattre, ayez au moins la gentillesse de respecter ce que les autres ont dit et de ne pas leur attribuer des dires qui ne sont pas les leurs. J’ai au contraire bien explicité la différence qui sépare la bourgeoisie des classes moyennes : la bourgeoisie a accumulé un capital suffisant pour prélever de la plus-value chez les autres. Les classes moyennes n’ont pas assez de capital pour cela. Entre autres choses, parce que le capital immatériel doit être en partie reconstitué à chaque génération, ce qui n’est pas le cas du capital matériel.

      [À ceux qui se posent des questions sur votre théorie, vous vous empressez de répondre, par avance, que vous n’avez ni le temps ni les moyens de conduire des recherches pour démontrer votre intuition.]

      Là encore, vous falsifiez ma position. A ceux qui se posent des questions sur ma théorie, je m’empresse de répondre du mieux que je le peux. Il y a certaines questions précises dont la réponse exigerait des travaux et des recherches que je n’ai ni le temps ni les moyens de conduire, et dans ce cas j’ai l’honnêteté de le dire. Mais il y a beaucoup d’autres questions auxquelles j’ai répondu sur le fond.

      [Mais à votre tour, admettez que l’on puisse un instant raisonner avec les définitions habituelles des classes moyennes [une définition sociologique fondée sur les modes de vie.]]

      Mais bien sur qu’on peut. Le seul problème, c’est qu’on ne peut dans ce cas utiliser le terme « classe » dans la formule « classe moyenne » dans les sens que la théorie marxienne donne à ce terme. Cela veut dire que si l’on veut comparer par exemple les « classes moyennes » avec la « classe ouvrière », il faut donner une définition sociologique de cette dernière. Et la même chose avec la bourgeoisie.

      La difficulté avec beaucoup de commentateurs, c’est qu’ils utilisent le terme « classe moyenne » au sens sociologique tout en utilisant « bourgeoisie », « prolétariat », « classe ouvrière » dans le sens économique. Et cela conduit forcément à des contresens. Maintenant, si vous voulez m’expliquer, comme vous l’avez dit il y a pas si longtemps, que « la classe ouvrière a été absorbée par les classes moyennes », il faudrait que vous me donniez votre définition sociologique de « classe ouvrière ». J’attends avec un grand intérêt…

      [Personne, en tout cas pas moi, ne nie l’existence des classes moyennes. Non seulement elles existent mais elles ne font que croître et se multiplier. Elles attirent à elles les couches inférieures,]

      Je ne sais pas, puisque je ne connais pas la définition que vous utilisez des termes « couches inférieures » et « couches moyennes ». Quand vous m’aurez proposé une définition, je pourai vous répondre.

      [Même si, et c’est à mettre au discrédit de nos médiocres dirigeants actuels ou récents, l’ascenseur est désormais en panne.]

      Ah ! Ces méchants dirigeants ! Alors que tout le monde veut que l’ascenseur continue à marcher, ils l’ont laissé tomber en panne… On en arrive à se demander pourquoi ces classes moyennes si majoritaires, si sensibles à ce l’ascenseur social fonctionne, ont pu tolérer de tels dirigeants…

      [Il faut se méfier des chiffres bruts. Certes, les écarts se creusent entre le haut et le bas de l’échelle sociale. Mais attention ! Il ne s’agit absolument pas des mêmes individus qui auraient régressé.]

      En termes relatifs, c’est une régression.

      [Si on observe la société française à 30 ans d’intervalle, on voit, d’une part, que la population ouvrière a fortement diminué.]

      Je ne sais pas. Il faudrait définir ce que vous appelez une « population ouvriere ».

      [D’autre part, l’ouvrier des années 60/70, je parle de chaque individu, pris individuellement, (pardonnez le pléonasme), les individus, donc se sont en moyenne fortement élevés dans l’échelle sociale : ils sont devenus propriétaires de leur logement, leur pouvoir d’achat n’a pas cessé d’augmenter, leurs enfants font plus d’études, qu’eux-mêmes n’en ont fait. Ils sont plus nombreux qu’avant à voyager, à partir en vacances, à consommer des loisirs …]

      Admettons. Et alors ? Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez démontrer. Sur le court terme, vous avez tort : la condition ouvrière s’est dégradé ces cinq dernières années, en particulier si vous prenez en compte le chômage, devenu phénomène de masse. Si vous parlez dans le long terme, alors vous avez raison mais c’est une trivialité. Depuis que Neanderthal a domestiqué le feu, la condition humaine prise sur une longue période s’est toujours améliorée.

      [Vous dites que vous habitez une cité, pour ma part, je n’ai pas cette malchance, j’habite en province, à 600 km de Paris.]

      Pourquoi parlez vous de « malchance » ? Je croyais que nous étions tous classe moyenne, maintenant. Alors classe moyenne dans une cité, ou classe moyenne à 600km de Paris, quelle différence ?

      [Mais je reçois quand même la télévision : En cette période estivale, comme chaque année à la même époque, le journal télévisé nous montre les services sociaux, les associations et les bénévoles qui emmènent les enfants des banlieues (les vôtres peut être ?) une journée à la mer. Sur nos écrans, on voit que ces enfants sont visiblement et majoritairement issus de minorités ethniques.]

      Tout a fait. Et cela pour une raison très simple : des pauvres « blancs », personne ne s’en occupe. Les quartiers a majorité immigrée sont « chauds ». Et c’est pourquoi les mairies, les préfectures, l’Etat financent toutes sortes d’associations pour amuser les jeunes, amener les enfants à la mer, les mettre en colonie, n’importe quoi pourvu qu’ils ne brûlent pas des voitures. Moi, j’habite dans une « vieille » cité, celles qui ont été construites dans les années 1950, ou l’on trouve surtout des français, mélangés avec les enfants et petits enfants d’immigrés espagnols et portugais. Les gens ici sont modestes, mais les enfants sont « tenus » et on ne brûle pas les voitures. Et du coup, nous n’intéressons personne.

      [Certes, les écarts se creusent, mais pour autant, les ouvriers qui ont acheté leur logement dans les années 80/90 ne sont pas du tout obligés de les revendre pour survivre.]

      Non, ils sont obligés de les vendre a vil prix pour quitter les régions sinistrées par le chômage, pour chercher du travail dans des régions où les prix de l’immobilier sont tels qu’ils doivent redevenir locataires. Je pense aussi que vous surestimez largement le nombre d’ouvriers qui sont devenus propriétaires de leur logement.

      [Et Marine Le Pen dans tout ça ? Elle fait le plein chez les anciens pauvres, chez les derniers à avoir accédé à la classe moyenne inférieure. Chez ceux qui ont peur d’être la première génération à régresser.]

      Attendez, que je comprenne bien… pourquoi ces gens là auraient-ils « peur de regresser », puisque de mémoire vivante, m’expliquez vous, les ouvriers n’ont jamais vu leurs conditions de vie régresser ? Et puis, s’ils ont été « assimilés aux classes moyennes », pourquoi leur comportement électoral devrait-il différer de celui du reste des classes moyennes ?

      Le fait que les couches populaires se tournent vers le FN montre au contraire que « l’assimilation » dont vous parlez n’est qu’une illusion, et que l’interprétation en termes de classe sociale – et non sociologique – est la bonne. La classe ouvrière, de manière conjoncturelle, a vu se réduire pendant trente ans la distance qui la séparait des classes moyennes et supérieures en termes de conditions de vie. Dans les années 1970, une partie des ouvriers vivait à peu près comme les classes moyennes. Mais ce n’est pas parce qu’on vit comme un bourgeois qu’on devient un. Dès lors que la conjoncture qui a permis ce resserrement des niveaux de vie a pris fin, les modes de vie ont redivergé. Ce n’est donc pas le mode de vie qui est déterminant à long terme, mais la classe sociale au sens « économique » du terme…

      [mais bien pour la tranche inférieure de la classe moyenne, les anciens pauvres, ceux qui viennent tout juste de se débarrasser de leur dure condition de prolétaire.]

      C’est là ou vous faites une erreur fondamentale. Ce qui caractérise l’ouvrier, ce n’est pas d’être misérable, c’est d’être exploité. S’il devient – relativement – aisé mais continue à être exploité, et bien, il reste ouvrier. Les prolétaires ne se sont pas « débarrassés de leur dure condition de prolétaire ». Ils se sont « débarrassés » de la misère. Mais la « dure condition de prolétaire », celle qui consiste à être obligé à de vendre sa force de travail, demeure. Et il a suffit d’un changement conjoncturel pour qu’elle reprenne ses droits.

      [Le vote Bleu Marine c’est, pour la classe moyenne inférieure, le refus, bien compréhensible, de devoir se serrer à nouveau la ceinture. Voter bleu Marine, c’est pour eux, en pratique, rechercher un effet cliquet, pour empêcher tout retour en arrière.]

      Soyez cohérent. Dans un autre commentaire vous aviez affirmé que « tout le monde » en France accepte aujourd’hui qu’il faudra se serrer la ceinture et réduire son niveau de vie. Et maintenant vous me dites qu’il existe un groupe très nombreux qui refuse catégoriquement tout retour en arrière ? Faudrait savoir… par ailleurs, pourquoi à votre avis les « classes moyennes inférieures » refusent de se serrer la ceinture, alors que les « classes moyennes moyennes » voire les « classes moyennes supérieures » ne montrent pas, elles, ce tropisme vers le FN pour manifester leur refus ? Pas évident de répondre, dans votre système.

      Par contre, si vous adoptez la description que je propose, l’explication devient transparente. Ce que vous appelez « classe moyenne inférieure » est en fait la classe ouvrière, enrichie certes par plusieurs décennies de croissance, mais toujours exploitée, toujours dépourvue d’un capital qui lui donne un pouvoir de négociation. Ils savent donc qu’ils sont à la merci du retournement de la conjoncture. Les classes moyennes – les vraies – savent qu’elles sont protégées par leur pouvoir de négociation, donc elles ne craignent rien…

      [Alors il va falloir être cohérent, soit la « vraie gauche », je veux dire celle de Mélenchon et de tous ceux qui lui trouvent de bien grandes qualités, prend fait et cause pour les nouveaux prolétaires, je veux dire les émigrés des ghettos des banlieues,]

      A quoi bon, puisque vous m’expliquez que les classes moyennes vont les assimiler ?

    • bovard dit :

      En écoutant le discours de Mélenchon,une de ses remarques a retenu mon attention.Il affirme que la 5ième république a déjà été dénaturée.En effet,elle a été modifiée 20 fois..La conséquence logique est donc que nous ne sommes plus sous le régime de la 5ième république pure mais sous un autre donc..la 6ième république qui existe de fait..
      Ce discours de la 6ième république a déjà été servi après 2002 par Mélenchon(à l’époque et depuis 30 ans hiérarque important du PS,jusqu’en novembre 2008),Peillon,Montebourg,Hamon,tous dans la tendance dite NPS,NouveauPartiSocialiste;dont la stérilité est patente aujourd’hui..
      Aujourd’hui,JLM a annoncé sa candidature pour 2017,avec son NouveauFdg;son destin ne sera pas le même car le PCF risque de finir par disparaitre à moins qu’un autre hiérarque du PS,style Montebourg ne quitte Le Hollandisme en plein naufrage…
      DSK,Emmanuelli,aussi en leur temps avaient annoncé leur candidature trés tôt..

    • v2s dit :

      [Prétendre qu’aujourd’hui les classes populaires ont été « aspirées vers le haut et assimilées aux classes moyennes » est tellement absurde, tellement contradictoire avec ce qu’on peut voir tous les jours, avec toutes les statistiques, avec les comportements politiques, avec tous les indicateurs que vous pouvez imaginer, qu’il est difficile de le prendre au sérieux]
      Vous affirmez sur tous les tons que c’est absurde. Je trouve que c’est surtout extrêmement dérangeant pour ceux qui consacrent leur vie à prêcher la lutte des classes, de voir leur croisade, leur raison d’être, fondre comme le sucre dans l’eau chaude, à mesure que les conditions de vie des populations du bas de l’échelle sociale s’améliorent.
      Malgré la crise, le PC, le front de gauche, l’ensemble de la gauche et de l’extrême gauche ne cesse de reculer, principalement au profit du FN.
      J’ignore si la croissance reviendra vite, ou pas, mais si ce jour arrive, nous observerons attentivement le comportement politique des électeurs de Marine Le Pen.
      Si, comme je le pense, ils glissent gentiment vers les partis traditionnels gauche/droite UMPS, alors, c’est qu’ils se sont effectivement embourgeoisés et qu’ils veulent tourner le dos à leur ancienne condition.
      Si, pour votre plus grande satisfaction, ils retournent acheter la carte du PC, comme leurs grands-pères, ou le petit livre rouge de Mélenchon, alors, vos idées feront un triomphe et je saurais faire amende honorable.

    • v2s dit :

      [Soyez cohérent. Dans un autre commentaire vous aviez affirmé que « tout le monde » en France accepte aujourd’hui qu’il faudra se serrer la ceinture et réduire son niveau de vie. Et maintenant vous me dites qu’il existe un groupe très nombreux qui refuse catégoriquement tout retour en arrière ? Faudrait savoir… par ailleurs, pourquoi à votre avis les « classes moyennes inférieures » refusent de se serrer la ceinture, alors que les « classes moyennes moyennes » voire les « classes moyennes supérieures » ne montrent pas, elles, ce tropisme vers le FN pour manifester leur refus ? Pas évident de répondre, dans votre système.]

      La société française, c’est un peu comme les habitants d’un immeuble disons, de 5 étages, situé au bord des quais d’un fleuve.
      Imaginons maintenait qu’après 40 ans sans crue majeure et sans dégâts, le fleuve menace à nouveau le pied de l’immeuble.
      Ceux des étages supérieurs vont faire un peu la moue, en déplorant de devoir mettre les bottes pour rejoindre la partie de la ville non inondée.
      Mais ceux du RDC, vont hurler au scandale, vont se mettre vent debout contre leurs dirigeants coupables de ne pas avoir anticipé, aussi, la crue centennale.
      Les couches moyennes inférieures, celles du RDC, se sont habituées à ne plus galérer à la moindre fluctuation des eaux, et ils adorent le discours du FN qui leur promet de meilleures digues.
      Quant aux derniers vrais pauvres, quant aux émigrés, aux laissés pour compte, de toute façon ils habitent dans les caves que l’eau envahit 3 fois par an, donc un peu plus un peu moins … ils sont résignés et préfèrent s’en remettre à Allah.

    • dsk dit :

      @ V2s

      ["Et quand, dans sa grande suffisance, et son grand aveuglement, Mélenchon croyait avoir gagné d’avance son duel avec Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, les « français moyens d’en bas », à son grand désespoir et à son grand étonnement, lui ont confirmé que les grands idéaux communistes, ils s’en battaient l’œil."]

      Pas du tout. Ce qu’ils ont "confirmé", c’est seulement qu’ils ont très bien compris que Mélenchon, en réalité, se battait l’œil de leurs problèmes, contrairement au FN.

      ["J’ignore si la croissance reviendra vite, ou pas, mais si ce jour arrive, nous observerons attentivement le comportement politique des électeurs de Marine Le Pen. Si, comme je le pense, ils glissent gentiment vers les partis traditionnels gauche/droite UMPS, alors, c’est qu’ils se sont effectivement embourgeoisés et qu’ils veulent tourner le dos à leur ancienne condition."]

      Cela va de soi, à condition d’épouser votre propre vision des choses. Si, par un miracle dû au seul fonctionnement intrinsèque du capitalisme, il suffisait que la croissance revienne, ceci entraînant automatiquement "l’embourgeoisement" des classes populaires, alors ce serait tout simplement la preuve que les marxistes ont tort. Mais c’est là, précisément, ce qu’il vous faut démontrer.

    • Descartes dit :

      @ bovard

      [En écoutant le discours de Mélenchon, une de ses remarques a retenu mon attention. Il affirme que la 5ième république a déjà été dénaturée. En effet, elle a été modifiée 20 fois.]

      Il a raison. La Vème République a été largement « dénaturée ». Mais pas tant par les « modifications » que par le changement des pratiques. L’esprit de la Vème excluait toute idée de cohabitation, et l’échec dans un scrutin national impliquait pour le président de la République de prendre acte de son désaveu et de prendre la porte. Ce sage principe a été laissé sans effet par la décision mitterrandienne de 1986 de rester malgré cette défaite, décision qui à l’époque avait été chaleureusement approuvée par le jeune Mélenchon.

      Mais ce qui est drôle dans la formulation mélenchonesque, c’est qu’elle laisse entendre que si la Vème n’avait pas été « dénaturée », il n’y aurait pas de raison d’exiger une Vième République. Mélenchon serait-il en train de devenir gaulliste ?

      [Ce discours de la 6ième république a déjà été servi après 2002 par Mélenchon(à l’époque et depuis 30 ans hiérarque important du PS,jusqu’en novembre 2008), Peillon, Montebourg, Hamon, tous dans la tendance dite NPS,NouveauPartiSocialiste;dont la stérilité est patente aujourd’hui…]

      Les formules creuses ont l’avantage de donner l’illusion d’un consensus. On peut toujours dire « nous sommes tous pour la VIème République » sans être contredit, dans la mesure où chacun imagine la VIème République de ses rêves. C’est lorsqu’on essaye de donner un contenu à l’expression que les problèmes commencent… et c’est pourquoi tout ce beau monde évite soigneusement de dire en quoi exactement consisterait une telle République. Tout ce qu’on sait, c’est que ce ne serait pas comme la Vème…

    • Descartes dit :

      @v2s

      [« Prétendre qu’aujourd’hui les classes populaires ont été « aspirées vers le haut et assimilées aux classes moyennes » est tellement absurde, tellement contradictoire avec ce qu’on peut voir tous les jours, avec toutes les statistiques, avec les comportements politiques, avec tous les indicateurs que vous pouvez imaginer, qu’il est difficile de le prendre au sérieux ». Vous affirmez sur tous les tons que c’est absurde.]

      Pas besoin de « tous les tons », un seul suffit.

      [Je trouve que c’est surtout extrêmement dérangeant pour ceux qui consacrent leur vie à prêcher la lutte des classes (…)]

      Cela le serait s’il y avait le moindre rapport entre votre affirmation et la réalité. Heureusement ce n’est pas le cas. N’en déplaise à ceux qui passent leur vie à prêcher la résignation aux dogmes libéraux…

      [Malgré la crise, le PC, le front de gauche, l’ensemble de la gauche et de l’extrême gauche ne cesse de reculer, principalement au profit du FN.]

      Ce qui, d’ailleurs, montre combien votre perception est erronée. Si, comme vous le prétendez, la classe ouvrière fondait « comme du sucre dans l’eau chaude » en étant aspirée dans les classes moyennes, ces ex-ouvriers fraîchement reconvertis voteraient comme l’ensemble des classes moyennes. Or, qu’est ce qu’on voit ? Qu’ils continuent à avoir un comportement collectif très différent de la classe à laquelle, selon vous, ils appartiennent désormais. Ce qui montre que, quelque soient les améliorations de leur niveau de vie, ils ne sont guère « assimilés » dans les classes moyennes, mais qu’ils conservent des intérêts propres. CQFD.

      [J’ignore si la croissance reviendra vite, ou pas, mais si ce jour arrive, nous observerons attentivement le comportement politique des électeurs de Marine Le Pen.]

      Pourquoi attendre le retour de la croissance ? Nous pouvons commencer à les observer des aujourd’hui, et en tirer les conséquences.

      [Si, comme je le pense, ils glissent gentiment vers les partis traditionnels gauche/droite UMPS, alors, c’est qu’ils se sont effectivement embourgeoisés et qu’ils veulent tourner le dos à leur ancienne condition.]

      Pas forcément. D’ici là, beaucoup d’eau peu couler sous les ponts. L’UMP ou le PS peuvent changer leur discours – et leurs actes – pour prendre en charge les intérêts de l’électorat ouvrier. Mais je vous accorde que si demain l’électorat populaire devenait ultra-libéral – comme le sont devenues les classes moyennes – cela prouverait votre point. Je vous avoue que je ne suis pas particulièrement inquiet.

      [Si, pour votre plus grande satisfaction, ils retournent acheter la carte du PC, comme leurs grands-pères,]

      La carte du PC ne s’est jamais « achetée ». Que vous utilisez ce langage montre votre absence de culture politique. Par ailleurs, pourquoi « retourneraient » ils vers un PCF qui ne défend guère leurs intérêts, mais ceux des classes moyennes. En fait, c’est exactement le contraire : si aujourd’hui les ouvriers votaient pour le PCF, ce serait là la preuve de leur intégration aux classes moyennes.

      [ou le petit livre rouge de Mélenchon, alors, vos idées feront un triomphe et je saurais faire amende honorable]

      Encore une fois, ce commentaire montre que vous n’avez rien compris à mes « idées ». Je me tue à vous dire que Mélenchon, comme le PCF aujourd’hui, sont des partis gauchistes dont l’action est essentiellement dirigée vers les classes moyennes. Les couches populaires n’ont rien à attendre d’eux. Et vous persistez pourtant à répéter que si ces couches « achetaient leur carte au PC » ou « achetaient le petit livre rouge de Mélenchon » cela prouverait que « mes idées feront un triomphe » ? Mais c’est exactement le contraire ! C’est le fait que les ouvriers boudent Mélenchon et le PCF pour aller voter pour le FN qui prouve que cette « assimilation aux classes moyennes » dans laquelle vous mettez vos espoirs n’a pas lieu.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [La société française, c’est un peu comme les habitants d’un immeuble disons, de 5 étages, situé au bord des quais d’un fleuve. Imaginons maintenait qu’après 40 ans sans crue majeure et sans dégâts, le fleuve menace à nouveau le pied de l’immeuble. Ceux des étages supérieurs vont faire un peu la moue, en déplorant de devoir mettre les bottes pour rejoindre la partie de la ville non inondée. Mais ceux du RDC, vont hurler au scandale, vont se mettre vent debout contre leurs dirigeants coupables de ne pas avoir anticipé, aussi, la crue centennale.]

      Excellent exemple. Et où se trouve la ligne de partage entre ceux qui refuseront catégoriquement de payer pour qu’on construise des barrages et ceux qui « vont hurler au scandale et reprocher à leur dirigeants » de ne pas les avoir construit ? Et bien, la ligne de partage se trouve entre ceux qui vivent dans les étages menacés, et ceux qui savent que quelque soit la crue, ils ne risquent rien.

      Mais pourquoi certains risquent et d’autres pas ? Tout simplement, parce que certains ont de l’argent pour se payer des appartements aux étages, et d’autres, moins argentés, sont obligés de vivre au rez-de-chaussée. C’est exactement comme cela dans la société : certains ont un capital, qui leur permet de négocier leur revenu, d’autres n’en ont pas et sont soumis aux aléas du marché du travail. Avec le risque de se noyer si celui-ci leur est défavorable.

      C’est pourquoi je me refuse à considérer que ceux qui habitent dans les étages « hors d’eau » appartiennent à la même classe que ceux qui habitent dans les étages inondables. Tout simplement, parce qu’ils n’ont pas les mêmes intérêts.

      Le seul problème de votre analogie, c’est que dans les inondations, les eaux finissent par se retirer.

    • v2s dit :

      [Encore une fois, ce commentaire montre que vous n’avez rien compris à mes « idées ». Je me tue à vous dire que Mélenchon, comme le PCF aujourd’hui, sont des partis gauchistes dont l’action est essentiellement dirigée vers les classes moyennes. Les couches populaires n’ont rien à attendre d’eux.]
      [En fait, c’est exactement le contraire : si aujourd’hui les ouvriers votaient pour le PCF, ce serait là la preuve de leur intégration aux classes moyennes.]
      Résumons-nous :
      Si je vous ai bien suivi, le PCF et Mélenchon, comme EELV et les autres partis gauchistes, [ont une action essentiellement dirigée vers les classes moyennes].
      Et le FN, recueille, lui, le vote des classes populaires.
      Or, sauf erreur de ma part, le FN n’est pas un parti marxiste, dont la doctrine se base sur la lutte des classes.
      Donc, plus personne ne milite pour la lutte des classes. Il n’en reste qu’un : vous !

      Marine Le Pen le dit, ses électeurs le disent : « Marine Le Pen défend les classes moyennes matraquées par Sarkozy et Hollande». (Affirmation de Fillippot en 2012, reprise régulièrement dans les discours de Marine Le Pen, dans les discours et les professions de foi des candidats FN aux différentes élections).

      C’est un fait, le FN recueille effectivement le vote populaire blanc, le vote de ceux qui, à juste titre, estiment leur récente accession aux classes moyennes inférieures, menacée par la crise.

      La seule classe tout en bas de l’échelle qui subsiste, et qui ne vote ni PC, ni FN ni encore moins EELV, LO ou NPA, c’est la tranche la plus défavorisée des immigrés, première deuxième ou troisième génération, qui ont manqué les derniers wagons, ou si vous préférez les derniers ascenseurs sociaux avant l’arrêt complet de la croissance.
      Si vous voulez à tout prix faire vivre la lutte des classes, ne comptez pas trop sur les partisans de Marine Le Pen, intéressez vous plutôt aux immigrés non intégrés.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Si je vous ai bien suivi, le PCF et Mélenchon, comme EELV et les autres partis gauchistes, « ont une action essentiellement dirigée vers les classes moyennes ».]

      Tout à fait. Ces organisations font campagne sur des thématiques qui intéressent essentiellement les classes moyennes et reprennent dans leurs programmes l’essentiel des revendications et des fantasmes des classes moyennes. Et ce n’est pas illogique, compte tenue de leur compositions sociologique.

      [Et le FN, recueille, lui, le vote des classes populaires.]

      Pas nécessairement. Les classes populaires s’abstiennent massivement. Parmi ceux qui votent, le FN est aujourd’hui le parti qui recueille préférentiellement leur suffrage. Mais plus profondément, le FN est aujourd’hui le seul parti qui reprend dans ses campagnes les thématiques qui préoccupent les couches populaires.

      [Or, sauf erreur de ma part, le FN n’est pas un parti marxiste, dont la doctrine se base sur la lutte des classes. Donc, plus personne ne milite pour la lutte des classes. Il n’en reste qu’un : vous !]

      Mais non ! Moi non plus, je ne « milite » pas pour la lutte des classes. Personne qui ait compris moyennement marx ne peut « militer pour la lutte de classes ». « Militer pour la lutte des classes », c’est comme militer pour la gravitation universelle ou pour que le soleil se lève à l’Est. Ca n’a pas de sens. La lutte des classes – au sens que Marx donne à cette expression – est un fait social. C’est la traduction du conflit antagonique entre les intérêts de la bourgeoisie et ceux du prolétariat. Et elle existe que nous le voulions ou pas.

      Il ne faut pas confondre doctrine et réalité. Les membres des partis qui soutiennent les doctrines créationnistes descendent du singe au même titre que les autres êtres humains. Il ne suffit pas de nier un fait social pour qu’il cesse d’exister. Que le FN déclare ne pas croire dans la « lutte des classes » ne change rien au fait qu’elle existe. Et d’ailleurs, tout en proclamant son inexistence, la pratique du FN ces dernières années est devenue clairement « classiste », à l’opposé de la vision « corporatiste » héritée des nostalgiques de Vichy.

      [Marine Le Pen le dit, ses électeurs le disent : « Marine Le Pen défend les classes moyennes matraquées par Sarkozy et Hollande». (Affirmation de Fillippot en 2012, reprise régulièrement dans les discours de Marine Le Pen, dans les discours et les professions de foi des candidats FN aux différentes élections).]

      Tout à fait. De la même manière qu’Hollande proclamait que son ennemi était la finance et qu’il gouvernerait dans l’intérêt des couches populaires. Vous y croyez, vous ? Moi pas. Le marketing politique moderne implique de courtiser chaque « cible » avec un discours adapté. Aux ouvriers, on dira qu’on aime les ouvriers. Aux classes moyennes, qu’on aime les classes moyennes. Aux patrons, qu’on aime les patrons. Aux culs de jatte, qu’on aime les culs de jatte. Personne qui ait l’intention de gagner une élection ne se permet de cracher à la gueule – ou même d’ignorer – une couche sociologique. Pour comprendre ce que les gens ont dans la tête, mieux vaut donc oublier le marketing et regarder ailleurs. Par exemple, le choix des problématiques qu’on traite et l’angle qu’on choisit pour les traiter. Il est clair qu’un ouvrier de Florange, préoccupé d’abord par la délocalisation de son emploi, par la dégradation de son cadre de vie et par l’insécurité ne risque pas de trouver des réponses autres qu’un regard compatissant chez les partis dits « de gouvernement » pas plus que chez la « gauche radicale ».

      [C’est un fait, le FN recueille effectivement le vote populaire blanc, le vote de ceux qui, à juste titre, estiment leur récente accession aux classes moyennes inférieures, menacée par la crise.]

      Répéter une affirmation ne constitue pas une démonstration. Par ailleurs, votre affirmation contredit votre thèse selon laquelle la classe ouvrière s’est « assimilée aux classes moyennes », puisque vous êtes en train de démontrer que l’intérêt des « classes moyennes inférieures » diffère tellement de celui du reste des « classes moyennes » qu’ils l’amènent à un comportement politique totalement différent. Vous admettez donc que les ouvriers « enrichis » ne deviennent pas pour autant membres des classes moyennes à part entière, puisqu’ils continuent à conserver des intérêts et des comportements spécifiques. Creusez un peu plus, et vous observerez que ces comportements et ces intérêts spécifiques se confondent avec ceux de la classe ouvrière.

      En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’on s’enrichit, qu’on devient propriétaire de sa maison et qu’on a un écran plat chez soi qu’on change de classe. La classe n’est pas déterminée par les modes de vie, mais par la position qu’on occupe dans le mode de production. Un exploité reste un exploité, même s’il ne vit plus comme au temps de Zola.

      [La seule classe tout en bas de l’échelle qui subsiste, et qui ne vote ni PC, ni FN ni encore moins EELV, LO ou NPA, c’est la tranche la plus défavorisée des immigrés, première deuxième ou troisième génération,]

      Je ne sais pas ce que c’est un « immigré de première, deuxième ou troisième génération ». Ou bien les gens sont nés français en France, et alors ils sont français, soit ils sont nés étrangers à l’étranger et arrivés dans le territoire, et alors ils sont immigrés. Mais le caractère « immigré » n’est pas transmissible par héritage. Plus d’un quart des français ont un grand parent né étranger, et si l’on remonte trois générations, on arrive à plus de la moitié. Alors si l’on parle des « immigrés de la troisième génération », cela fait la moitié de la population.

      [Si vous voulez à tout prix faire vivre la lutte des classes, ne comptez pas trop sur les partisans de Marine Le Pen, intéressez vous plutôt aux immigrés non intégrés.]

      Encore une fois, je n’ai aucun souhait particulier de « faire vivre la lutte des classes ». La « lutte des classes » vit, que cela me plaise ou non. Franchement, pourquoi au lieu d’utiliser des expressions que vous ne comprenez pas vous ne prenez pas la peine d’aller aux textes et de bien comprendre ce qu’est la « lutte des classes » ?

      Quant à votre recommandation de s’intéresser « aux immigrés non intégrés », c’est là l’un des leitmotivs du gauchisme français depuis 1968. Constatant que la classe ouvrière « intégrée » leur échappait, les classes moyennes ont cherché à se faire une légitimité en se faisant passer pour les défenseurs des « misérables parmi les misérables ». Cette dérive s’est poursuivie dans les années 1980 avec les « restaurants du cœur » et autres happenings médiatiques qui ont permis aux classes moyennes d’échapper au sentiment de culpabilité d’avoir jeté les ouvriers au crocodile.

      La difficulté, c’est précisément que la « lutte des classes » implique une intégration dans le mode de production. Marx avait déjà remarque ce problème lorsqu’il théorise la notion de « lumpenprolétariat », couche sociale aussi misérable que le prolétariat, sinon plus, mais qui n’étant pas intégrée au rapport de production, ne peut jouer un rôle révolutionnaire et devient souvent au contraire la masse de manœuvre de forces réactionnaires.

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [Cela va de soi, à condition d’épouser votre propre vision des choses. Si, par un miracle dû au seul fonctionnement intrinsèque du capitalisme, il suffisait que la croissance revienne, ceci entraînant automatiquement "l’embourgeoisement" des classes populaires, alors ce serait tout simplement la preuve que les marxistes ont tort. Mais c’est là, précisément, ce qu’il vous faut démontrer.]

      Je crois que vous avez mis le doigt sur le point crucial du raisonnement. Si le développement du capitalisme permettait à la classe ouvrière de vivre comme les bourgeois, alors le changement de mode de production devient, effectivement, inutile. Et tout le monde, y compris le PCF, en est d’accord : les « trente glorieuses » voient un accord implicite entre la bourgeoisie et le prolétariat pour se partager plus ou moins équitablement les fruits de la croissance. C’est une période ou la « révolution », n’est pas sur l’agenda des organisations ouvrières. Au point que lorsque les « enragés » de mai 1968 essayent d’embarquer la classe ouvrière dans leur bateau « révolutionnaire », ils se heurtent rapidement à la méfiance des travailleurs. Qui sont bien entendu prêts à se mettre en grève pour obtenir un meilleur partage de la richesse, mais certainement pas pour remettre en cause un système qui semble fonctionner si bien. Seulement voilà : cette croissance, qui permettait de soutenir un accord « gagnant-gagnant » entre la bourgeoisie et le prolétariat, ne peut-être que conjoncturel. Une fois la reconstruction terminée et le « rattrapage » amorcé, la croissance est revenue à un niveau normal, le compromis est volé en éclats, et le conflit antagonique repris ses droits.

      V2s tend à raisonner en termes absolus. Il nous dit que puisque le niveau de vie de la classe ouvrière s’améliore sur le long terme – et en termes absolus, c’est globalement exact – celle-ci n’a plus aucun intérêt à en finir avec le capitalisme. Mais ce raisonnement est de toute évidence faux : le niveau de vie des êtres humains s’améliore globalement sur le long terme depuis que monsieur Cro-Magnon a domestiqué le feu. Et pourtant, des modes de production se sont tout de même succédés. Tout simplement parce qu’à un moment donné, un mode de production devient un obstacle au développement des forces productives.

      V2s semble convaincu – et en cela il est curieusement sur la même ligne que la gauche radicale… – que le moteur du changement social est la misère. Et très logiquement il déduit que les ouvriers « embourgeoisés » et assimilés aux classes moyennes sont perdus par la révolution, et que l’impulsion révolutionnaire est à chercher « chez les immigrés non intégrés » qui « n’ont pas profité de l’ascenseur social quand il marchait ». Mais v2s commet ici une erreur fondamentale. La misère a pu être ici ou là un déclencheur, mais n’est certainement pas le moteur de l’histoire. Pendant des siècles les gens ont été bien plus misérables qu’aujourd’hui, et ils se sont contentés de leur sort. Et à l’inverse, c’est dans les pays développés, ou le niveau de vie de la classe ouvrière était déjà le plus élevé, que le mouvement ouvrier a été le plus puissant. « La misère peut générer des révoltes, jamais de révolutions » disait Marx. Et il avait raison : les révolutions – c’est à dire, le changement du mode de production – se produisent lorsqu’il existe des opportunités de développement, et que le mode de production existant empêche d’en profiter. Les gens ont supporté la misère féodale pendant des siècles sans chercher à changer le mode de production. Mais du jour où les découvertes des Lumières ont donné les moyens techniques d’en finir avec cette misère et que l’organisation féodale a empêché d’en profiter pleinement, les gens ne l’ont plus accepté. Et ce ne sont par ailleurs pas les plus misérables qui ont le plus poussé au changement…

    • v2s =>
      "Plus personne ne milite pour la lutte des classes."

      Descartes vous a patiemment expliqué que la lutte des classes était un fait objectif résultant d’intérêts antagonismes. Mais il se trouve que des gens qui "militent" ouvertement pour la lutte des classes (ou plus exactement pour la prise de conscience de leur classe de ses intérêts distincts), on en trouve chez les bourgeois…

      "Il y a une lutte des classes aux Etats-Unis, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui a mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner." -Warren Buffet, dans une interview de CNN, le 25 mai 2005, cité par le New York Times, le 26 novembre 2006.

      Bien évidemment, du point de vue capitaliste, Warren Buffet est un dangereux crétin qui confirme ce que savent tous les "gauchistes" de la terre et tous les universitaires un peu honnêtes. Sans parler des prolétaires, qui sont moins inconscients que vous. Un bourgeois conséquent -ce que Mr. Buffet n’est pas- sait que la préservation de ses intérêts implique leurs dissimulations permanentes, voire leur confusion avec l’intérêt général. Si vous avez écouté L. Parisot sur France inter hier, vous l’aurez entendu gémir sur le triste sort des salariés, exprimée sa compassion pour les licenciés, et assurer que "les chefs d’entreprises traversent eux-aussi une période difficile". En d’autres termes que nous avons tous les mêmes intérêts. Avouez que c’est un poil plus malin, non ?

      Et de rajouter par-dessus ses mensonges mièvres: qu’en tant que français, les grands patrons voulaient "que la France réussisse", quoi que cela puisse vouloir dire. En tout cas, pas qu’il faudrait sortir de l’euro, dont il n’est pas besoin d’avoir lu Descartes pour comprendre que la France, et les français pauvres en premier, sont en train d’en crever. Non non, pour certains, l’euro doit être défendu à tout prix. Étrange divergence d’intérêts, non ?

    • dsk dit :

      @ Descartes

      ["V2s tend à raisonner en termes absolus. Il nous dit que puisque le niveau de vie de la classe ouvrière s’améliore sur le long terme – et en termes absolus, c’est globalement exact – celle-ci n’a plus aucun intérêt à en finir avec le capitalisme. Mais ce raisonnement est de toute évidence faux : le niveau de vie des êtres humains s’améliore globalement sur le long terme depuis que monsieur Cro-Magnon a domestiqué le feu. Et pourtant, des modes de production se sont tout de même succédés. Tout simplement parce qu’à un moment donné, un mode de production devient un obstacle au développement des forces productives."]

      Oui. Mais rappelons que ce développement des forces productives est d’abord le fait du progrès scientifique et technique, ce que le discours libéral tend d’ailleurs à occulter, dans son désir d’attribuer à la seule libre entreprise tous les mérites de la richesse "créée". Or, il me semble, mais j’avoue que c’est là une hypothèse que j’aurais quelque difficulté à démontrer, que la science connaît actuellement une certaine stagnation, ce qui pourrait peut-être expliquer plus fondamentalement la crise que nous vivons. En effet, à la notable exception de l’informatique, nous ne faisons aujourd’hui, globalement, que perfectionner à la marge des techniques mises au point il y a déjà fort longtemps. Le capitalisme n’aurait donc plus suffisamment de "grain à moudre". Il deviendrait, en quelque sorte, "autophage" : le progrès scientifique et technique ne lui apportant plus de quoi satisfaire son insatiable appétit de profits, il se mettrait alors à dévorer les États, et bientôt ses propres clients… Allant au bout de ce raisonnement, j’en viendrais presque à considérer que ce serait le capitalisme qui serait désormais un obstacle vis-à-vis d’une stagnation paisible et harmonieuse des forces productives… Et accessoirement, je me demande si le FN ne serait pas porteur, au fond, d’un tel projet, notamment avec son accent mis sur la défense des petits commerçants, des artisans et des petites entreprises. Dans un contexte de stagnation scientifique et technique, où il n’y aurait plus de réels bénéfices à escompter de la formidable dynamique capitaliste, et où celle-ci deviendrait même purement destructrice, il s’agirait, simplement, d’en protéger la société, quitte pour cela à sacrifier nos stars du CAC 40.

    • Descartes dit :

      @dsk

      [Oui. Mais rappelons que ce développement des forces productives est d’abord le fait du progrès scientifique et technique, ce que le discours libéral tend d’ailleurs à occulter, dans son désir d’attribuer à la seule libre entreprise tous les mérites de la richesse "créée".]

      Oui et non. Le « progrès scientifique » n’est pas une donnée exogène. Certains modes de production sont plus favorables que d’autres au « progrès scientifique ». Le développement d’une bourgeoisie a poussé le progrès scientifique, et le progrès scientifique a poussé au développement d’une bourgeoisie. Il faut analyser ce processus d’une manière dialectique, et non mécanique.

      [Or, il me semble, mais j’avoue que c’est là une hypothèse que j’aurais quelque difficulté à démontrer, que la science connaît actuellement une certaine stagnation, ce qui pourrait peut-être expliquer plus fondamentalement la crise que nous vivons.]

      Vous avez en partie raison. Jusqu’ici, le capitalisme a connu plusieurs crises structurelles, et il est arrivé à les dépasser par des découvertes ou des inventions permettant de faire croître massivement la production. L’électricité et l’électronique a partir des années 1940 puis l’informatique à partir des années 1960 ont permis de stimuler la productivité. Depuis les années 1990, nous sommes revenus à une croissance lente de la productivité dans les pays développés. Le capitalisme ne croit aujourd’hui que grâce au « rattrapage » d’un certain nombre de pays dits « émergents ».

      [En effet, à la notable exception de l’informatique, nous ne faisons aujourd’hui, globalement, que perfectionner à la marge des techniques mises au point il y a déjà fort longtemps.]

      Je partage. Le progrès technique est aujourd’hui essentiellement quantitatif. On fait des ordinateurs plus rapides, mais on n’invente pas un nouveau concept d’objet. Les réseaux deviennent plus rapides, plus étendus, plus accessibles, mais les concepts sur lesquels ils sont fondés datent des années 1980. Or, l’une des caractéristiques du mode de production capitaliste est qu’il n’arrive à équilibrer ses contradictions que par une expansion permanente. Lorsque cette expansion devient impossible, il entre en crise.

      [Allant au bout de ce raisonnement, j’en viendrais presque à considérer que ce serait le capitalisme qui serait désormais un obstacle vis-à-vis d’une stagnation paisible et harmonieuse des forces productives…]

      Je ne le crois pas. Je me méfie de la prospective, mais j’ai l’impression que l’on assistera à une mutation majeure dans les années qui viennent. Le monde matériel étant limité, la croissance se fera de moins en moins sur les biens matériels, et de plus en plus sur des biens immatériels. Or, le capitalisme est très mal adapté à cette expansion, parce que beaucoup de biens immatériels sont par nature non-marchands. Le capitalisme va donc devenir un obstacle à l’expansion de ce type de « forces productives ».

      [Et accessoirement, je me demande si le FN ne serait pas porteur, au fond, d’un tel projet, notamment avec son accent mis sur la défense des petits commerçants, des artisans et des petites entreprises.]

      Il est certain qu’il y a dans la tradition du FN une pensée « petite France », celle du « ça m’suffit » de la petite entreprise, le petite commerce, le petit village…. Dans un contexte ou le capitalisme « autophage » – pour reprendre votre terme – risque de saccager notre cadrede vie, les tentations de se recroqueviller sur l’espoir de pouvoir « figer » la société, voire de revenir en arrière, devient attractif. Mais c’est un combat perdu d’avance, comme tous les combats réactionnaires. Le monde change, et le progressisme consiste précisément à dire qu’on peut choisir son avenir parmi plusieurs possibles.

    • @ Descartes,

      "Mais c’est un combat perdu d’avance, comme tous les combats réactionnaires."
      Il y a des combats perdus d’avance qui valent d’être menés… Et je dois dire que, sans être fermé au progrès (surtout scientifique) et totalement réactionnaire, je trouve qu’il y a plein d’éléments de la tradition qui méritent d’être préservés. D’ailleurs, pourquoi serait-ce absolument inconciliable? N’ai-je pas le droit d’admirer la fusée Ariane et de vouloir conserver l’église et le vieux bistrot de mon village?

      Mais je me pose une question: pourquoi a-t-on l’impression que les réactionnaires sont souvent plus admirés que les autres? Quand je regarde le XX° siècle en France, je m’aperçois que beaucoup de grands écrivains sont plutôt réactionnaires, ou du moins traditionalistes (de Péguy à Mauriac, en passant par Barrès, Bernanos et d’autres). Notre plus grand homme d’Etat, de Gaulle, était au fond de lui un réactionnaire, il a pourtant beaucoup modernisé la France. Comment expliquer ce paradoxe? Et comment expliquer le poids intellectuel et culturel des réactionnaires alors même que le combat est effectivement perdu d’avance?

      Enfin, je voudrais revenir sur le progrès scientifique. Je vous trouve, Descartes et dsk, bien sévère: la photocopieuse 3D, les nanotechnologies, l’aérospatiale, voilà des secteurs qui me semblent en progrès, même si l’impact sur notre quotidien ne se fait pas encore sentir.

      "Le monde change"
      Vous, Descartes, vous cédez à la fatalité? V2s doit jubiler…

    • Descartes dit :

      @nationalistejacobin

      [« Mais c’est un combat perdu d’avance, comme tous les combats réactionnaires ». Il y a des combats perdus d’avance qui valent d’être menés… Et je dois dire que, sans être fermé au progrès (surtout scientifique) et totalement réactionnaire, je trouve qu’il y a plein d’éléments de la tradition qui méritent d’être préservés. D’ailleurs, pourquoi serait-ce absolument inconciliable? N’ai-je pas le droit d’admirer la fusée Ariane et de vouloir conserver l’église et le vieux bistrot de mon village? ]

      Je n’ai pas dit le contraire. Je m’étonne que vous puissiez penser que je sois un adepte d’une modernité qui mépriserait son passé ou qui chercherait à le faire oublier. Je ne pense pas que le combat pour préserver l’église ou le bistrot de mon village soit un combat « réactionnaire », pas plus que celui pour préserver certains éléments de la tradition. Le tout est de savoir quel est le but de cette préservation. S’il s’agit de préserver l’église de mon village parce qu’elle est belle, parce qu’elle rappelle aux nouvelles générations d’où elles viennent, c’est un combat qui ne me semble en rien « réactionnaire ». Par contre, si la préservation de l’église du village se conçoit comme un moyen de préserver le pouvoir de l’Eglise catholique comme institution pour dire aux gens ce qu’ils doivent ou pas faire, alors, oui, c’est un « combat réactionnaire ».

      Pour paraphraser une formule célèbre, les réactionnaires sont les gens qui veulent préserver ce qu’il y a de pire dans le passé. Comme vous, je suis attaché à la préservation de la mémoire et des objets qui nous rattachent à notre passé. Mais cette préservation doit faire la différence entre présent et passé. Je garde Versailles, mais j’en fais un musée. Et je n’accepterais pas qu’on rétablisse la monarchie sous prétexte de « préserver la tradition ». Lorsque la « tradition » devient un obstacle au progrès, elle doit être remise au musée.

      [Mais je me pose une question: pourquoi a-t-on l’impression que les réactionnaires sont souvent plus admirés que les autres? Quand je regarde le XX° siècle en France, je m’aperçois que beaucoup de grands écrivains sont plutôt réactionnaires, ou du moins traditionalistes (de Péguy à Mauriac, en passant par Barrès, Bernanos et d’autres).]

      Il est difficile de qualifier Barrès de « réactionnaire ». Mais il est vrai qu’on trouve dans toute société qui change très vite une nostalgie du « monde d’avant ». Et au XXème siècle cette nostalgie toute naturelle s’est trouvé renforcée par l’hécatombe de 1914-18, la première grande guerre véritablement « moderne ». La guerre a provoqué un mouvement de rejet de la modernité et l’idéalisation d’un passé où « ces choses là n’arrivaient pas ». Mais si « beaucoup de grands écrivains » ont été plutôt réactionnaires, beaucoup d’autres ont été au contraire progressistes : Aragon, Eluard, Breton…

      [Notre plus grand homme d’Etat, de Gaulle, était au fond de lui un réactionnaire, il a pourtant beaucoup modernisé la France.]

      Je ne crois pas que de Gaulle ait été « un réactionnaire ». Il était certainement un homme d’ordre, mais cela en soit ne fait pas de lui un « réactionnaire ». Il avait une forme de culte de la mémoire et du passé, mais en même temps il comprenait parfaitement le danger de laisser ce culte interférer avec les décisions politiques. Jeune officier, il bouscula les « traditions » des vieux généraux qui préparaient la guerre d’avant en proposant une rupture radicale avec la vision « défensive » et en soutenant la nécessité de se doter d’une arme blindée. On peut dire que De Gaulle était un conservateur, mais certainement pas un « réactionnaire ».

      [Comment expliquer ce paradoxe? Et comment expliquer le poids intellectuel et culturel des réactionnaires alors même que le combat est effectivement perdu d’avance?]

      Encore une fois, je crois que vous confondez « conservateur » et « réactionnaire ». Ce n’est pas du tout la même chose.

      [Enfin, je voudrais revenir sur le progrès scientifique. Je vous trouve, Descartes et dsk, bien sévère: la photocopieuse 3D, les nanotechnologies, l’aérospatiale, voilà des secteurs qui me semblent en progrès, même si l’impact sur notre quotidien ne se fait pas encore sentir.]

      Oui, mais en termes de progrès scientifique, il n’y a guère de trouvailles révolutionnaires dans ces domaines depuis la fin des années 1970. La photocopie repose sur un brevet de 1938, racheté par la société qui deviendra Xerox en 1947. Le premier photocopieur totalement automatique date de 1959, et la première imprimante laser commerciale de 1976. Pour l’aérospatiale, les fusées d’aujourd’hui reposent toujours sur les techniques développées dans les années 1960.

      [« Le monde change ». Vous, Descartes, vous cédez à la fatalité? V2s doit jubiler…]

      Je ne cède à aucune « fatalité ». Seul le changement est inévitable, mais nous pouvons peser sur la nature du changement en question. La seule chose que nous savons, c’est que demain ne sera pas comme hier. Mais la nature de ce « demain » est entre nos mains.

    • dsk dit :

      @ Descartes

      ["Le développement d’une bourgeoisie a poussé le progrès scientifique, et le progrès scientifique a poussé au développement d’une bourgeoisie. Il faut analyser ce processus d’une manière dialectique, et non mécanique."]

      D’abord, si vous le permettez, je changerais, au minimum, l’ordre de vos deux propositions : je dirais qu’éventuellement, "le progrès scientifique a poussé au développement d’une bourgeoisie, et le développement d’une bourgeoisie a poussé le progrès scientifique". Toutefois, je dois dire que même mis dans cet ordre, cela ne me paraît pas du tout évident. Je pense, en effet, qu’un scientifique est un aristocrate doublé d’un ascète, soit deux caractères qui s’opposent frontalement aux valeurs bourgeoises. D’autre part, si je compare la notoriété et les revenus d’un footballer, d’un animateur de télévision, d’un trader à la société générale etc. avec ceux d’un chercheur, je vous avoue que j’en viens à douter que le capitalisme "pousse" tant que ça le progrès scientifique.

      ["Je me méfie de la prospective, mais j’ai l’impression que l’on assistera à une mutation majeure dans les années qui viennent. Le monde matériel étant limité, la croissance se fera de moins en moins sur les biens matériels, et de plus en plus sur des biens immatériels. Or, le capitalisme est très mal adapté à cette expansion, parce que beaucoup de biens immatériels sont par nature non-marchands. Le capitalisme va donc devenir un obstacle à l’expansion de ce type de « forces productives »."]

      Alors là, vous m’intriguez fortement. Pourriez-vous être plus explicite ?

    • Descartes dit :

      @ dsk

      [D’abord, si vous le permettez, je changerais, au minimum, l’ordre de vos deux propositions : je dirais qu’éventuellement, "le progrès scientifique a poussé au développement d’une bourgeoisie, et le développement d’une bourgeoisie a poussé le progrès scientifique". ]

      Si ça vous fait plaisir… dans un rapport dialectique, l’inversion des termes ne change absolument rien. Dire « la poule et l’œuf » ou « l’œuf et la poule » est parfaitement indifférent…

      [Toutefois, je dois dire que même mis dans cet ordre, cela ne me paraît pas du tout évident. Je pense, en effet, qu’un scientifique est un aristocrate doublé d’un ascète, soit deux caractères qui s’opposent frontalement aux valeurs bourgeoises.]

      Mais qui a dit que le scientifique devait partager les valeurs bourgeoises ? Ce que j’ai dit, c’est que le développement de la bourgeoisie a poussé le progrès scientifique », pas que les bourgeois eux-mêmes sont devenus chercheurs. Peut-être que les valeurs aristocratiques et ascétiques – je pense que vous vous faîtes beaucoup d’illusions sur le monde scientifique, mais passons – qui sont celles du scientifique sont à l’opposé des valeurs bourgeoises. Mais il n’en reste pas moins que la bourgeoisie, en « déchirant le voile » des rapports féodaux et mystiques a fait tomber les barrières que la religion mettait au développement de la recherche scientifique. C’est grâce à la bourgeoisie que les « ascètes et aristocrates » de la science peuvent travailler tranquillement dans les laboratoires sans risquer de devoir s’expatrier aux Pays-Bas, d’aller à la Bastille pour blasphème ou de voir leurs travaux à l’index.

      Les valeurs de la bourgeoisie ne sont pas celles de la science, et d’ailleurs les rapports du bourgeois et du scientifique ont une conflictualité qui traduit ce fait. Mais il me semble incontestable que la bourgeoisie a créé les conditions matérielles et sociales pour que la recherche scientifique puisse s’épanouir comme elle ne s’était jamais épanouie auparavant.

      [D’autre part, si je compare la notoriété et les revenus d’un footballer, d’un animateur de télévision, d’un trader à la société générale etc. avec ceux d’un chercheur, je vous avoue que j’en viens à douter que le capitalisme "pousse" tant que ça le progrès scientifique.]

      Si vous comparez le revenu du chercheur au prolétaire, vous verrez que ce n’est pas si mal… par ailleurs, je ne crois pas que dans un système « bourgeois » la rémunération soit un bon signe de ce que le système entend « pousser ». Dans un système « bourgeois », les rémunérations sont fixées par le marché, c’est à dire, par l’équilibre offre/demande. Si un bon plombier est payé plus qu’un professeur, ce n’est pas parce que la bourgeoisie « pousse » les plombiers, mais parce que les bons plombiers sont rares.

      [« Je me méfie de la prospective, mais j’ai l’impression que l’on assistera à une mutation majeure dans les années qui viennent. Le monde matériel étant limité, la croissance se fera de moins en moins sur les biens matériels, et de plus en plus sur des biens immatériels. Or, le capitalisme est très mal adapté à cette expansion, parce que beaucoup de biens immatériels sont par nature non-marchands. Le capitalisme va donc devenir un obstacle à l’expansion de ce type de « forces productives ». » Alors là, vous m’intriguez fortement. Pourriez-vous être plus explicite ?]

      Prenons un exemple : il y a dans les sociétés avancées une forte demande de sécurité. Pas seulement dans le sens classique du terme, mais dans un sens plus général de prévisibilité. Nous voulons de plus en plus être rassurés sur le fait que nous sommes protégés contre les accidents de la vie, contre les accidents de carrière, contre le chômage, la maladie, la solitude, la malveillance… or, cette demande est très difficile à résoudre par des mécanismes marchands. Dans certains domaines on peut penser aux assurances, dans d’autres des services de protection privée, mais en fait aucun mécanisme marchand peut assurer cette « sécurité » avec la qualité qu’offrent des mécanismes de mutualisation publics. Vous remarquerez que personne n’a jamais proposé nulle part la privatisation du service des pompiers…

    • dsk dit :

      @ Descartes

      [D’abord, si vous le permettez, je changerais, au minimum, l’ordre de vos deux propositions : je dirais qu’éventuellement, "le progrès scientifique a poussé au développement d’une bourgeoisie, et le développement d’une bourgeoisie a poussé le progrès scientifique". ] [Si ça vous fait plaisir… dans un rapport dialectique, l’inversion des termes ne change absolument rien. Dire « la poule et l’œuf » ou « l’œuf et la poule » est parfaitement indifférent…]

      Oui, mais c’est précisément que je conteste ce "rapport dialectique". Si l’œuf capitaliste est né de la poule scientifique, l’œuf scientifique, lui, n’est pas né de la poule capitaliste. Il est né de la poule monastique, fécondée par le coq aristocratique. A ce jour, en revanche, les seuls scientifiques nés de la poule capitaliste sont Igor et Grichka Bogdanoff.

      ["C’est grâce à la bourgeoisie que les « ascètes et aristocrates » de la science peuvent travailler tranquillement dans les laboratoires sans risquer de devoir s’expatrier aux Pays-Bas, d’aller à la Bastille pour blasphème ou de voir leurs travaux à l’index."]

      Je ne vois pas ce qui vous permet d’affirmer cela. L’homme occidental s’est progressivement affranchi de la tutelle de Dieu pour s’affirmer en tant qu’individu souverain. Le capitalisme s’inscrit, certes, dans ce processus, mais n’en est pas la cause. D’aucuns estiment, du reste, que cette émancipation trouve son origine dans le christianisme lui-même, en ce qu’il professait de "rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu".

    • Descartes dit :

      @dsk

      [Oui, mais c’est précisément que je conteste ce "rapport dialectique".]

      Franchement, cela me paraît difficile. La recherche historique montre que l’apparition des premiers idées « scientifiques » a été concomitante au processus d’urbanisation et à l’apparition d’une bourgeoisie naissante. Même sur le plan des idées, la pensée « scientifique » est intimement liée à l’apparition d’une « pensée bourgeoise » capable de mettre la religion entre parenthèses.

      [Si l’œuf capitaliste est né de la poule scientifique, l’œuf scientifique, lui, n’est pas né de la poule capitaliste. Il est né de la poule monastique, fécondée par le coq aristocratique.]

      Peut on considérer Léonard de Vinci comme issu du monachisme ? Franchement, je ne le crois pas. Pas plus qu’il n’est issu de l’aristocratie. Rares d’ailleurs ont été les aristocrates « scientifiques ». Et si certains aristocrates ont protégé et financé des recherches, c’était très souvent dans une vision d’utilisation économique, une pensée on ne peut plus bourgeoise. Je pense que vous faites erreur en pensant que la science est issue du monachisme. Si des monastères ont été des lieux de savoir, c’était un savoir dogmatique, pas scientifique.

      [A ce jour, en revanche, les seuls scientifiques nés de la poule capitaliste sont Igor et Grichka Bogdanoff.]

      De la poule capitaliste ou de la chirurgie esthétique ?
      Vous exagérez. La grande révolution des connaissances sous la renaissance est fondamentalement bourgeoise. Pas plus Marco Polo que Christophe Colomb ou Fernand de Magellan n’étaient des aristocrates ou des moines. Même chose pour Léonard de Vinci ou Galileo Galilei.

      ["C’est grâce à la bourgeoisie que les « ascètes et aristocrates » de la science peuvent travailler tranquillement dans les laboratoires sans risquer de devoir s’expatrier aux Pays-Bas, d’aller à la Bastille pour blasphème ou de voir leurs travaux à l’index."]

      [Je ne vois pas ce qui vous permet d’affirmer cela. L’homme occidental s’est progressivement affranchi de la tutelle de Dieu pour s’affirmer en tant qu’individu souverain.]

      Oui, mais cet « affranchissement » est le fait d’une classe. Vous remarquerez qu’aucune société féodale ne s’est jamais « affranchie de la tutelle de Dieu ». Comment l’aurait-elle pu, puisque la légitimation de l’ordre social féodal était précisément fondé dans une pyramide de subordination avec dieu tout en haut ? Ce n’est que lorsque le système capitaliste – dont la classe dominante, la bourgeoisie, puise sa légitimité dans ce monde ci, et non dans l’au-délà – pour que dieu soit rangé au magasin des accessoires. Et dialectiquement, le fait de pousser dieu vers la sphère privée a renforcé le pouvoir de cette bourgeoisie en donnant corps à la légitimité économique qu’elle prétend incarner par un enrichissement continu de la société.

      [Le capitalisme s’inscrit, certes, dans ce processus, mais n’en est pas la cause.]

      Bien sur. Dans un rapport dialectique il n’y a pas de « cause » pas plus qu’il n’y a « d’effet ». L’œuf ne « cause » la poule, pas plus que la poule ne « cause » l’oeufr.

      [D’aucuns estiment, du reste, que cette émancipation trouve son origine dans le christianisme lui-même, en ce qu’il professait de "rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu".]

      Raisonnement qui relève de la sollicitation des textes. L’avantage des textes anciens, et du texte biblique en particulier, est qu’ils permettent au moyen d’une interprétation moderne de leur faire dire n’importe quoi. Rappelons que la formule proférée par Jésus fait référence exclusivement au paiement de l’impôt romain, et rien d’autre. Depuis, cette formule a servi à justifier tout et n’importe quoi. Au XIIIème siècle, par exemple, les théologiens impériaux l’ont utilisé pour nier la prétention de la papauté à l’exercice du pouvoir temporel. Aujourd’hui, on pourrait l’utiliser pour dire qu’il ne faut pas payer les impôts par chèque, puisque Jésus dit que l’impôt « appartient à César » puisqu’il est payé avec des pièces de monnaie portant son effigie…

      En fait, cette formule ne veut rien dire. Il suffit de découper le domaine de ce qui « appartient à César » pour lui faire dire ce qu’on veut. Qu’est ce qui vous permet de dire que pour Jésus le domaine de la pensée et la connaissance du monde « appartenait à César » et non « à Dieu » ?

  8. Courtial des Pereires dit :

    Salut, Descartes 2.0.

    Pourriez-vous développer votre idée de la mort de la Vème république en 1984 pour combler mes lacunes ?

    • Descartes dit :

      @ Courtial des Pereires

      [Salut, Descartes 2.0.]

      J’ignorais que j’avais été mis à jour…

      [Pourriez-vous développer votre idée de la mort de la Vème république en 1984 pour combler mes lacunes ?]

      Bien sûr. Les faits d’abord : en 1984, les socialistes sont battus à plates coutures aux élections législatives. Mitterrand décide néanmoins de rester à l’Elysée et nomme un Premier ministre issu de la nouvelle majorité. La cohabitation est née.

      Cette décision modifie profondément la logique des institutions. La pratique constitutionnelle depuis 1958 et surtout depuis 1962 accorde au Président le rôle de clé de voûte des institutions, avec des pouvoirs considérables qui en font un « monarque républicain ». La contrepartie de cette position exceptionnelle est son rapport direct avec le peuple. Dès lors que celui-ci lui manifeste sa défiance, il doit nécessairement quitter le pouvoir. C’est ce que fera d’ailleurs De Gaulle en 1969, lorsque le peuple répondra « non » au référendum sur la régionalisation. On imagine mal De Gaulle ou Pompidou rester au pouvoir après un désaveu dans une élection nationale. Avec sa décision, Mitterrand change profondément cette conception. Le président n’est plus tenu de demander en permanence la confiance du peuple – et de partir dès lors que cette confiance est refusée – mais devient un élu comme un autre, protégé par son statut jusqu’au bout de son mandat quelque soit le jugement que le peuple puisse exprimer. Ce changement ne peut qu’affaiblir l’institution présidentielle, et c’est d’ailleurs ce qu’on a pu observer depuis lors.

      Pour une étude plus détaillée de cette question, voir « La nostalgie de l’impuissance », de Maurice Duverger.

    • CVT dit :

      @Descartes,
      [en 1984, les socialistes sont battus à plates coutures aux élections législatives. Mitterrand décide néanmoins de rester à l’Elysée et nomme un Premier ministre issu de la nouvelle majorité. La cohabitation est née.]
      Ce n’était pas plutôt en 1986? En 1984, il y a eu la fameuse manifestation pour l’école privée, qui a mis fin à l’expérience Mauroy, mais surtout qui a signé le départ des communistes du gouvernement…

    • Descartes dit :

      @CVT

      Vous avez tout à fait raison, mon clavier a fourché. C’était bien lors de l’élection législative de 1986.

  9. Kadhaffy dit :

    [Ce discours sur les « partis politiques cramponnés à leurs positions » ne vous rappelle rien ? Bien sur que si : c’est la transposition moderne du discours sur le « régime des partis » qu’affectionnait mon général.]

    Effectivement c’est du De Gaulle dans le texte. De plus, aujourd’hui, les partis politiques sont devenus des "coquilles vides" dans lesquelles il n’y a plus de véritable réflexion de fond sur les idées, qui rassemble au mieux quelques dizaines de milliers de militants dont la plupart sont des élus. La population ne se reconnaît plus dans ces mouvements et les partis sont obligés d’inventer un simulacre de démocratie, appelé primaires, pour mobiliser les Français quelques mois avant les présidentielles. Il convient de les dépasser pour mobiliser "le peuple", développer des réflexions innovantes et s’écarter du statut quo. On peut donc vouloir une nouvelle République et vouloir dépasser les partis (comme le général à son époque pour des raisons différentes).

    [Ce n’est pas le cas de Mélenchon, pour qui le « Peuple » est par postulat infaillible. Point n’est donc besoin d’une véritable réflexion institutionnelle, il suffit de « rendre le pouvoir au peuple »]

    C’est un peu caricatural. Mélenchon veut que "le peuple" "reprenne le pouvoir" perdu avec la mondialisation néo-libérale, la financiarisation de l’économie et une Union européenne qui remet en cause un certain nombre de socles de la République française. C’est principalement en ce sens-là qu’il veut rendre le pouvoir au peuple. Le changement de régime, et il l’a dit lors de la conférence de presse, est le point de départ nécessaire pour déverrouiller le système et redonner ensuite concrètement le pouvoir au peuple. Que les citoyens soient associés à l’élaboration de notre règle du jeu commune (cette fameuse VIème République) m’apparaît donc la moindre des choses. Mais Mélenchon a déjà donné lors de la campagne présidentielle ou pour la marche du 5 mai quelques contours de cette VIème République. Je ne pense pas que l’on puisse l’accuser de ne pas avoir de réflexion sur le sujet.

    [Le paradoxe, c’est que cette « fédération » entre des classes différentes voire opposés n’a historiquement qu’un seul cadre… c’est le cadre national. Vouloir « fédérer le peuple » va faire ressusciter le fantôme de la Nation, le même fantôme que la gauche s’applique depuis trente ans à bannir , et qui terrorise la « gauche radicale » aujourd’hui au point de lui faire perdre ses repères. On l’a bien vu avec sa conversion à l’Euro et à la « construction européenne » lors de la campagne européenne de 2014]

    Là je crois que tu t’égares complètement. Si le PC s’est en partie rallié à l’Union européenne lors de sa participation au gouvernement Jospin, Mélenchon est lui très dur (et il l’a encore été pendant cette conférence de presse) vis-à-vis de la construction européenne et dit clairement qu’il souhaite rompre avec les logiques qui la sous-tendent. Il se présente comme jacobin et a affirmé que la souveraineté nationale ne pouvait pas être remise en cause notamment par des contrôles supra-nationaux sur le budget établi par les représentants du peule français. Le PG est par ailleurs très largement sur cette ligne républicaine. Je ne vois donc pas pourquoi Mélenchon devrait avoir des réticences à s’affirmer sur ce sujet.

    • Descartes dit :

      @ Kadhafy

      [Il convient de les dépasser [les partis] pour mobiliser "le peuple", développer des réflexions innovantes et s’écarter du statut quo. On peut donc vouloir une nouvelle République et vouloir dépasser les partis (comme le général à son époque pour des raisons différentes).]

      Je me méfie toujours des propositions qui veulent « abolir » l’existant sans dire ce qu’ils comptent mettre à la place. Avec leurs immenses défauts, les partis ont la vertu d’exister, et de faire fonctionner, cahin caha, la démocratie. Ce « dépassement des partis », ce serait quoi, exactement ? Où se ferait l’éducation des citoyens intéressés par la politique ? Quelle institution prendrait en charge l’élaboration de projets ?

      [« Ce n’est pas le cas de Mélenchon, pour qui le « Peuple » est par postulat infaillible. Point n’est donc besoin d’une véritable réflexion institutionnelle, il suffit de « rendre le pouvoir au peuple » ». C’est un peu caricatural.]

      Si peu…

      [Mélenchon veut que "le peuple" "reprenne le pouvoir" perdu avec la mondialisation néo-libérale, la financiarisation de l’économie et une Union européenne qui remet en cause un certain nombre de socles de la République française.]

      On ne peut « reprendre » que ce qu’on a déjà « pris ». C’est quand que « le Peuple » a eu le pouvoir ? S’il l’a perdu avec « la mondialisation libérale », on en déduit qu’il l’avait aux débuts de la Vème République… mais alors, pourquoi Mélenchon s’en prend aussi sévèrement aux institutions gaulliennes ?.

      [C’est principalement en ce sens-là qu’il veut rendre le pouvoir au peuple.]

      Mais comment diable le Peuple est-il censé exercer le « pouvoir » qu’on vient de lui rendre ? Quelles institutions ? Quelles procédures ? Sans réponse à ces questions, la formule « rendre le pouvoir au Peuple » est une coquille vide.

      [Le changement de régime, et il l’a dit lors de la conférence de presse, est le point de départ nécessaire pour déverrouiller le système et redonner ensuite concrètement le pouvoir au peuple. Que les citoyens soient associés à l’élaboration de notre règle du jeu commune (cette fameuse VIème République) m’apparaît donc la moindre des choses.]

      Reste à dire quelle forme prendrait cette « élaboration de notre règle du jeu commune ». Depuis 1945, le peuple a été associé à l’élaboration de chacune des deux constitutions, celle de 1946 – rédigée par une assemblée constituante élue et approuvée par référendum – et celle de 1958 – rédigée par un groupe d’experts sous le contrôle des parlementaires, et approuvée elle aussi par référendum. Maintenant, cela veut dire quoi, exactement, « que les citoyens soient associées à l’élaboration de notre règle du jeu commune » ? On ne va pas réunir dans une salle 40 millions de citoyens pour rédiger un texte, j’imagine. Alors, on fait comment ?

      Souvenez vous de l’élaboration du programme du Front de Gauche – paru sous le titre « l’humain d’abord ». Au départ, c’étaient les grandes déclarations sur le programme « élaboré par les citoyens ». En quoi a consisté cette « participation » ? Quelques « assemblées citoyennes » qui se sont réunies et ou chacun a pu prendre la parole pour dire ce qui lui passait par la tête. Et ensuite ? Ensuite une commission dont on n’a jamais su par qui et comment elle avait désignée a rédigé dans le secret des bureaux un texte. C’est cela « associer les citoyens » ? Et si on n’arrive pas à « associer » les citoyens à l’élaboration d’un simple programme électoral, comment on les « associe » à l’élaboration d’une constitution, texte infiniment plus complexe, plus technique, nécessitant une connaissance approfondie de notre histoire institutionnelle ?

      Il faut arrêter de croire que les « citoyens » ont la science infuse. D’ailleurs, l’immense majorité des « citoyens » ont parfaitement conscience de leurs limitations, et sont parfaitement confortables avec l’idée d’un constitution rédigée par des spécialistes sur la base d’un certain nombre de lignes directrices publiquement débattues, et dont ils auront à approuver ou a rejeter le résultat final. Bien entendu, il y a une petite minorité totalement inconsciente de ses propres limitations et qui croit qu’elle peut rédiger une constitution sans l’aide des juristes ou d’autres « experts ». C’est cette minorité d’inconscients qu’on trouve souvent dans les « forums citoyens » et autres « assemblées citoyennes », et qui se permettent du fond de leur puits de leur ignorance prendre le micro pour donner des leçons au reste du monde.

      [Mais Mélenchon a déjà donné lors de la campagne présidentielle ou pour la marche du 5 mai quelques contours de cette VIème République. Je ne pense pas que l’on puisse l’accuser de ne pas avoir de réflexion sur le sujet.]

      Ah bon ? Pourriez-vous me décrire, en trois phrases, les idées de Mélenchon sur, par exemple, le fonctionnement du pouvoir exécutif ? Qu’à-t-il dit sur l’existence et le fonctionnement du pouvoir judiciaire ? Et sur la répartition de compétences entre le pouvoir central et les collectivités locales ? En dehors des questions de nomination et révocation des élus (proportionnelle, référendum révocatoire, par exemple) législatifs, il n’y a aucune « réflexion » concrète sur un véritable fonctionnement institutionnel.

      [« Le paradoxe, c’est que cette « fédération » entre des classes différentes voire opposés n’a historiquement qu’un seul cadre… c’est le cadre national. Vouloir « fédérer le peuple » va faire ressusciter le fantôme de la Nation, le même fantôme que la gauche s’applique depuis trente ans à bannir , et qui terrorise la « gauche radicale » aujourd’hui au point de lui faire perdre ses repères. On l’a bien vu avec sa conversion à l’Euro et à la « construction européenne » lors de la campagne européenne de 2014 ». Là je crois que tu t’égares complètement. Si le PC s’est en partie rallié à l’Union européenne lors de sa participation au gouvernement Jospin, Mélenchon est lui très dur (et il l’a encore été pendant cette conférence de presse) vis-à-vis de la construction européenne et dit clairement qu’il souhaite rompre avec les logiques qui la sous-tendent.]

      Non. Mélenchon est très dur envers « CETTE construction européenne ». Pas envers « LA construction européenne ». La nuance est de taille. La gauche radicale, en dehors du PCF, a depuis longtemps abandonné le concept de « nation » pour lui préférer des références plus ou moins « internationalistes ». Le PCF, du fait de son engagement dans la Résistance, a réussi une synthèse très particulière entre l’internationalisme communiste et un nationalisme jacobin, et s’est tenu à cette ligne jusqu’au règne d’UbHue 1er, lorsque le PCF s’est tourné vers les classes moyennes. A partir de la moitié des années 1990, le PCF s’est progressivement converti, lui aussi, à un « dépassement de la nation par l’Europe ».

      Mélenchon, tout comme le PCF, évitent soigneusement de parler de « nation ». Les rodomontades sur la « patrie républicaine » ne sont là que pour faire diversion, pendant que d’un autre côté on voue aux gémonies ceux qui proposent la sortie de l’Euro, qu’on accuse de vouloir – horresco referens – un « repli national ».

      [Il se présente comme jacobin et a affirmé que la souveraineté nationale ne pouvait pas être remise en cause notamment par des contrôles supra-nationaux sur le budget établi par les représentants du peule français.]

      Mais alors, pourquoi traiter de « maréchalistes » les partisans d’une sortie de l’Euro ? La monnaie commune ne serait-elle pas une « remise en cause de la souveraineté nationale » ? Je vous rappelle, accessoirement, que le PG militait, il n’y a pas si longtemps, pour une « constituante européenne ». Comment concilier un tel objectif avec le rejet de toute remise en cause de la « souveraineté nationale » ?

      [Le PG est par ailleurs très largement sur cette ligne républicaine. Je ne vois donc pas pourquoi Mélenchon devrait avoir des réticences à s’affirmer sur ce sujet.]

      La raison est évidente. En admettant même que Mélenchon soit jacobin, républicain et défenseur intransigeant de la souveraineté nationale – ce que, à mon avis, il n’est pas – il lui faut compter avec les autres dirigeants du PG, ses militants et ses électeurs. Qui ne sont pas, eux, sur cette ligne.

  10. v2s dit :

    @ dsk et @ Descartes
    NB : Au plan pratique, pour poster un commentaire sur le blog de Descartes, on peut s’en tenir à la logique qui consiste à suivre le fil d’une discussion, sans revenir systématiquement en à la fin des commentaires. C’est logique, ça marche, mais si, entre temps trop d’autres fils de discussion se sont ouverts, on est vite perdu, très haut, très loin des derniers commentaires.
    J’ai donc choisi, comme d’autres, de poster sous forme de nouvelle réaction. Je sais, c’est contestable …

    Descartes, vous affirmez :
    [En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’on s’enrichit, qu’on devient propriétaire de sa maison et qu’on a un écran plat chez soi qu’on change de classe. La classe n’est pas déterminée par les modes de vie, mais par la position qu’on occupe dans le mode de production. Un exploité reste un exploité, même s’il ne vit plus comme au temps de Zola.]

    Contrairement à vous, je ne crois pas que la lutte des classes soit une loi physique comme la gravité universelle et encore moins une observation scientifique comme l’évolution de Darwin.
    C’est un outil de compréhension d’une situation sociale à un instant donné.
    Et j’insiste : « à un instant donné ».
    En effet la condition d’ouvrier, de travailleur exploité n’est ni héréditaire, ni immuable.
    Nous le constatons en observant les choses autour de nous.
    J’ai pour voisins un couple d’une cinquantaine d’années. Le père a fait 36 métiers 36 misères et est désormais au chômage. La mère est caissière à Intermarché. Or, à ce jour, leurs trois fils sont ingénieurs, et gagnent très bien leur vie. Grâce, d’abord, à l’excellente éducation, aux valeurs de travail, que leur a transmis leur mère et aussi, bien sûr à l’enseignement gratuit en France.
    Autre exemple : la création d’entreprise. Beaucoup d’artisans, plombiers, peintres, entretien d’espaces verts, sont des fils d’ouvriers. Ils ont créé des entreprises dont certaines sont très prospères. Ils ne rêvent certainement pas d’un avenir d’ouvrier pour leurs enfants.
    En plus de ne pas être héréditaire, la condition d’ouvrier, de travailleur exploité n’est pas immuable. Un ouvrier, un jeune mécanicien auto par exemple, peut se faire vendeur de voitures, ou n’importe quelle autre métier de la vente en accord, non pas avec son origine, ni avec celle de ses parents, mais en accord avec sa personnalité, ses talents propres.
    Je connais personnellement plusieurs ouvriers maçons qui ont monté leur boîte de construction. J’en connais même qui se sont construit ou rénové des studios et des apparts, et qui, arrivés à la retraite, louent une dizaine d’appartements dont leurs enfants hériteront.
    Et puis il y a surtout une masse de gens, salariés ou pas, qu’on ne peut classer ni dans les travailleurs exploités ni dans les exploiteurs : les médecins, les infirmières, les professeurs, les fonctionnaires en général.
    Ce qui fait que « la lutte des classes » n’est qu’un outil théorique et pas une loi physique, c’est que, les classes sociales ne sont pas étanches, comme le sont par exemple les castes en Inde.
    Dans la société française, un ouvrier n’est pas, comme un intouchable Indien, condamné à rester ouvrier, ni surtout condamné à engendrer des enfants ouvriers.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Contrairement à vous, je ne crois pas que la lutte des classes soit une loi physique comme la gravité universelle et encore moins une observation scientifique comme l’évolution de Darwin.]

      On parle bien de la « lutte des classes » telle que Marx l’a définie, n’est ce pas ? Parce que si on parle de choses différentes, on n’arrivera jamais à s’entendre. La « lutte des classes », telle que Marx l’a conçue – et après tout, c’est lui l’inventeur de la chose – tombe dans la même catégorie que la « sélection naturelle » de Darwin. C’est un processus inhérent à la manière dont le capitalisme fonctionne, et non quelque chose qui dépende de la volonté des acteurs. Le fait que les intérêts de classe du prolétariat et de la bourgeoisie soient antagoniques ne dépend pas du comportement de tel ou tel bourgeois, de tel ou tel prolétaire. Il existe des patrons humains, attentionnés avec leur personnel. On pourrait imaginer qu’à titre individuel de tels patrons aient un comportement guidé par d’autres critères que leur intérêt de classe. Mais ce sont toujours des exceptions. La bourgeoisie se comporte globalement en conformité avec ses intérêts de classe. Tout comme le prolétariat. Et comme ces intérêts sont antagoniques, ils entrent en collision. D’où la lutte de classes.

      [C’est un outil de compréhension d’une situation sociale à un instant donné. Et j’insiste : « à un instant donné ».]

      Non. C’est un outil de compréhension d’un mode de production donné. Le mode de production capitaliste. La lutte de classes n’est pas, bien entendu, une donnée universelle. Elle est intimement lié à la forme que prend le rapport entre bourgeoisie et prolétariat dans le capitalisme. Mais le capitalisme n’est pas « un instant »…

      [En effet la condition d’ouvrier, de travailleur exploité n’est ni héréditaire, ni immuable. Nous le constatons en observant les choses autour de nous. J’ai pour voisins un couple d’une cinquantaine d’années. Le père a fait 36 métiers 36 misères et est désormais au chômage. La mère est caissière à Intermarché. Or, à ce jour, leurs trois fils sont ingénieurs, et gagnent très bien leur vie. Grâce, d’abord, à l’excellente éducation, aux valeurs de travail, que leur a transmis leur mère et aussi, bien sûr à l’enseignement gratuit en France.]

      Pardon… mais qu’est ce qui vous permet de dire que ces fils ingénieurs ne sont pas « exploités » ? Revenons encore une fois aux fondamentaux : ce qui caractérise l’exploitation, ce n’est pas le fait de faire 36 métiers, d’être au chômage ou de mal gagner sa vie. Ce qui caractérise l’exploitation, c’est le fait que vous soyez obligé par la nécessité de vendre votre force de travail à celui qui possède le capital, et que cette obligation se traduit par le fait qu’une partie de la valeur que vous produisez est captée par celui qui vous l’achète. On peut être ingénieur, « gagner très bien sa vie », et être exploité quand même. Vous revenez toujours au même cliché : vous vous imaginez que le marxisme est une théorie de la misère. Que la « lutte de classes » est une opposition entre une masse misérable et une caste repue. Or, Marx a rejeté très explicitement ce point dans sa controverse avec Proudhon. Pour Marx, c’est l’exploitation qui caractérise le mode de production capitaliste, et non la misère. Que les prolétaires s’enrichissent relativement ne change rien à la nature du conflit qui les oppose à la bourgeoisie. Le patron d’une entreprise en difficulté reste un bourgeois, l’ingénieur peut – ce n’est pas toujours le cas – être un exploité.

      La condition de travailleur exploité n’est certes pas « immuable ». On peut en sortir. Mais la seule manière d’en sortir, nous explique Marx, c’est d’accumuler un capital. Au temps de Marx, ce processus visait essentiellement du capital matériel : de l’argent, des machines, des matières premières, des bâtiments. Aujourd’hui, il faut prendre aussi en compte le capital immatériel (le savoir, les compétences rares) qui constitue aussi un capital. Ce processus d’accumulation est plus ou moins possible selon l’état de la société. Il n’est jamais totalement fermé, mais qui n’est pas et ne peut être universellement ouvert : la bourgeoisie a besoin d’un prolétariat qui lui vende sa force de travail, et le capitalisme cesserait d’être si nous devenions tous bourgeois.

      [Autre exemple : la création d’entreprise. Beaucoup d’artisans, plombiers, peintres, entretien d’espaces verts, sont des fils d’ouvriers. Ils ont créé des entreprises dont certaines sont très prospères.]

      Ce que vous décrivez, c’est le processus d’accumulation que Marx avait en son temps signalé. Seulement, vous comprenez que cette promotion sociale se fait par le passage du statut d’exploité – c’est-à-dire, de l’obligation de vendre sa force de travail à celui qui détient le capital à un prix inférieur à sa valeur – au statut d’exploiteur – c’est-à-dire, d’acheteur de force de travail à laquelle on peut imposer, du fait du contrôle d’un capital, un salaire inférieur à sa valeur. A moins, bien entendu, que le capital accumulé soit suffisant pour dispenser celui qui le possède de vendre sa force de travail, mais ne soit pas suffisant pour lui permettre de faire travailler d’autres. Dans ce cas, on est dans une logique de « classe moyenne » selon la définition que je propose.

      Si vous voulez me démontrer que sous certaines conditions l’exploité peut devenir exploiteur, je ne peux que vous donner acte. La vision marxienne du capitalisme n’est pas une vision figée, un système de castes où la position de chacun serait fixée à sa naissance. Mais ce n’est pas non plus la méritocratie imaginée par les libéraux, ou l’effort est également récompensé quelque soit la classe ou l’on nait.

      [Ils ne rêvent certainement pas d’un avenir d’ouvrier pour leurs enfants.]

      Les rêves ne sont pas matière à une discussion politique. Bien entendu, tout le monde « rêve » pour ses enfants ce qu’il y a de meilleur dans une société donnée. Mais il y a un principe de réalité qui s’impose à tous, et qui transforme ces rêves en expectatives raisonnables. Et ces expectatives ne sont pas tout à fait les mêmes que l’on naisse dans un appartement cossu du XVIème arrondissement de Paris ou dans un foyer ouvrier de Longwy.

      [En plus de ne pas être héréditaire, la condition d’ouvrier, de travailleur exploité n’est pas immuable. Un ouvrier, un jeune mécanicien auto par exemple, peut se faire vendeur de voitures, ou n’importe quelle autre métier de la vente en accord, non pas avec son origine, ni avec celle de ses parents, mais en accord avec sa personnalité, ses talents propres.]

      Et alors ? En devenant vendeur de voitures, « ou n’importe quel autre métier de vente », il reste tout aussi exploité que s’il était ouvrier – et quelquefois, plus. La « condition d’ouvrier » – au sens sociologique de ce terme – n’est certes pas immuable : l’ouvrier de l’industrie peut devenir sans trop d’effort chômeur. Mais si vous prenez « ouvrier » au sens de « travailleur exploité », alors il n’y a qu’une manière d’en sortir « par le haut » : accumuler du capital.

      [Je connais personnellement plusieurs ouvriers maçons qui ont monté leur boîte de construction. J’en connais même qui se sont construit ou rénové des studios et des apparts, et qui, arrivés à la retraite, louent une dizaine d’appartements dont leurs enfants hériteront.]

      En d’autres termes, ils sont devenus bourgeois par un processus d’accumulation. Finalement, vous êtes d’accord avec Marx, puisque c’est ainsi que le vieux Karl décrit la formation de la bourgeoisie, qui contrairement à ce que certains pensent n’est pas tombée du ciel. Seulement, il faut comprendre que ce processus de promotion sociale est plus ou moins accessible selon l’état de développement de la société. Et que dans une société capitaliste installée, ou la croissance est faible, il devient exceptionnel. Vous pouvez toujours signale des cas individuels, mais l’immense majorité de ceux qui sont nés dans un foyer ouvrier finiront leur carrière avec le statut d’exploités…

      [Et puis il y a surtout une masse de gens, salariés ou pas, qu’on ne peut classer ni dans les travailleurs exploités ni dans les exploiteurs : les médecins, les infirmières, les professeurs, les fonctionnaires en général.]

      C’est-à-dire, ceux qui ont suffisamment de capital pour ne pas être exploités, mais assez pour ne pas être obligés de vendre leur force de travail à vil prix. Bienvenu aux « classes moyennes ».

      [Ce qui fait que « la lutte des classes » n’est qu’un outil théorique et pas une loi physique, c’est que, les classes sociales ne sont pas étanches, comme le sont par exemple les castes en Inde.]

      Je ne vois pas comment, à partir de ce qui précède, vous tirez cette conclusion. D’abord, les lois physiques sont des outils théoriques. La théorie de la gravitation universelle n’est pas écrite dans la nature. C’est une invention humaine. Mais en outre, en quoi le fait que la « lutte des classes » soit une loi physique serait-il incompatible avec le fait qu’elles ne sont pas « étanches » ? Que l’on puisse – ponctuellement – changer de classe n’implique nullement que ces classes n’aient pas d’intérêts bien spécifiques, et que dans le contexte capitaliste ces intérêts soient antagoniques et rendent l’affrontement inévitable. Que dans cette « lutte » il y ait des déserteurs qui passent d’une classe à l’autre ne change rien à ce fait.

      [Dans la société française, un ouvrier n’est pas, comme un intouchable Indien, condamné à rester ouvrier, ni surtout condamné à engendrer des enfants ouvriers.]

      Individuellement, non. Collectivement, oui. Le capitalisme repose sur le fait qu’il existe une classe nombreuse qui est obligée de vendre sa force de travail. Une bonne partie de la « lutte des classes » consiste donc à maintenir la classe ouvrière dans cette situation.

    • Johnathan R. Razorback dit :

      En complément des explications de Descartes:

      "On nous répondra encore, comme dans les livres de morale : il ne tient qu’aux fils d’ouvriers. Qu’ils soient laborieux, sobres, économes, qu’ils appliquent toute leur force à leur travail, qu’ils acquièrent la confiance de ceux qui les emploient et, peu à peu d’échelon en échelon, ils pourront devenir à leur tour patrons ou propriétaires. Il n’existe plus, dans notre société actuelle, de caste fermée dont l’entrée soit interdite. Parmi les patrons d’aujourd’hui combien sont fils de prolétaires, combien ont débuté dans la vie sans privilège héréditaire du capital, avec le seul don de leur énergie et de leur intelligence … je le concède encore. Il est vrai que, parmi les patrons d’aujourd’hui, et quelquefois parmi les plus puissants, tous ne le sont pas par droit de naissance. Les sociétés modernes font une terrible consommation d’hommes. Il y a chez elles disette de talents tout comme il y aura un jour pénurie de charbon. Elles ne peuvent s’embarrasser sur le choix ou discuter sur l’origine,

      Réfléchissez cependant. Si les enfants d’ouvriers et de paysans étaient tous également sobres, économes, laborieux, pourraient-ils devenir tous, en récompense de leurs vertus, patrons ou propriétaires ? N’est-il pas évident que la classe privilégiée est, par sa nature même, une sorte d’oligarchie, une classe à effectif nécessairement limité ? L’un ou l’autre d’entre vous, par son mérite ou sa bonne fortune, pourra peut-être un jour franchir la barrière ; mais elle ne saurait s’ouvrir à tous. On disait jadis, après l’abolition des lois qui réservaient aux gens de “ sang bleu ” tous les grades militaires, que chaque soldat portait dans sa giberne le bâton de maréchal de France. Que voulait-on dire par là ? Qu’aucun obstacle légal n’empêchait plus un soldat de parvenir au grade suprême, et de même, il n’y a pas d’impossibilité légale à ce que le petit apprenti devienne un jour le chef de la grande usine. Mais à quoi se réduit sa chance ? Combien y a-t-il de soldats qui, de leur giberne, doivent faire sortir le bâton de maréchal ?

      La véritable égalité

      Que prouveraient d’ailleurs ces élévations isolées ? Si les privilégiés d’aujourd’hui sont nés un peu partout, les privilèges n’en sont ni moins iniques, ni moins odieux. S’il n’existe plus entre les classes de cloisons étanches, si leurs limites sont indécises, elles n’en sont pas moins ennemies. Il se produit des échanges entre elles. Qui le nie ? Mais dans le hasard de ces échanges nous ne pouvons voir que des accidents, non pas le jeu normal d’une loi. Qu’un ouvrier accède à la bourgeoisie, c’est un miracle. Qu’un bourgeois retombe au travail manuel, c’est une catastrophe. Tel patron est le fils d’un ouvrier ou d’un paysan, je le veux bien. Mais que seront ses enfants à lui ? des fils de bourgeois comme les autres. La bourgeoisie aura pompé un peu de sang jeune, voilà tout."
      -Léon Blum : Pour être socialiste (1919) (source: http://www.gauchemip.org/spip.php?article13899 ).

    • v2s dit :

      [Et ces expectatives ne sont pas tout à fait les mêmes que l’on naisse dans un appartement cossu du XVIème arrondissement de Paris ou dans un foyer ouvrier de Longwy.]

      Vous buttez sur vos contradictions, vous commencez par dire :
      [ce qui caractérise l’exploitation, ce n’est pas … de mal gagner sa vie. Ce qui caractérise l’exploitation, c’est le fait que vous soyez obligé par la nécessité de vendre votre force de travail à celui qui possède le capital …On peut être ingénieur, « gagner très bien sa vie », et être exploité quand même.]

      Et puis ensuite, vous opposez celui qui habite dans le XVIème et celui qui habite à Longwy.
      Mais dites moi, qu’est ce qui empêche un couple d’ingénieurs « exploités » selon les critères que vous nous rappelez, mais gagnant "très bien leur vie", nés n’importe ou en France, de s’acheter, avec leurs deux salaires d’ingénieurs, un appartement ou bon leur semble, et pourquoi pas dans le XVIème ?
      Donc, il faudrait vous décider, soit « être exploité » n’a pas de rapport avec le revenu, soit il en a un.
      Mais si on peut être exploité et gagner [très bien sa vie] … alors vive l’ « exploitation » ! Où est le problème ?

      [… les médecins, les infirmières, les professeurs, les fonctionnaires en général.]
      C’est-à-dire, (dites vous), ceux qui ont suffisamment de capital pour ne pas être exploités, mais assez pour ne pas être obligés de vendre leur force de travail à vil prix. Bienvenu aux « classes moyennes ».]
      Donc, vous reconnaissez que toutes ces catégories [… les médecins, les infirmières, les professeurs, les fonctionnaires en général.] ne sont pas exploités et vous leur souhaitez [Bienvenu aux « classes moyennes ».] Je voudrais vous rappeler qu’ils représentent à eux seuls, en France, la majorité absolue, et que le gros de leur troupe est constitué de descendants d’ouvriers, dont les parents, les grands parents, ou eux-mêmes, ont tout fait pour échapper à leur condition : études, travail, économies, sacrifices pour leurs enfants … un peu comme vous, si j’ai bien compris votre parcours.

      [Que dans cette « lutte » il y ait des déserteurs qui passent d’une classe à l’autre ne change rien à ce fait.]
      Cette phrase, et surtout son mot central [déserteur], explique bien votre pensée et met en exergue ce qui la différencie de la mienne :
      Pour vous, mettre en place une stratégie qui vous permette, à vous puis à vos enfants, de vivre mieux que vous-même à votre naissance, c’est une « désertion ».
      Pour moi, ce même comportement est hautement vertueux, ce devrait être le moteur de tout être humain.

    • Descartes dit :

      @Jonhathan R. Razorback

      [(…) Léon Blum : Pour être socialiste (1919)]

      Excellent texte. On l’oublie souvent, mais il fut un temps où les socialistes étaient encore marxistes… mais comme dit la publicité, "ça, c’était avant"…

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [Mais dites moi, qu’est ce qui empêche un couple d’ingénieurs « exploités » selon les critères que vous nous rappelez, mais gagnant "très bien leur vie", nés n’importe ou en France, de s’acheter, avec leurs deux salaires d’ingénieurs, un appartement ou bon leur semble, et pourquoi pas dans le XVIème ?]

      Mais… le prix, pardi ! D’ailleurs, je note avec curiosité que dans votre réflexion vous demandez « qu’est ce qui empêche un couple d’ingénieurs de vivre dans le XVème », et non « qu’est ce qui empêche un bourgeois d’habiter dans les quartiers populaires de Longwy », alors que cette dernière hypothèse est bien plus accessible, non ? Et pourtant, on voit peu de milliardaires aller habiter à Longwy. Je me demande pourquoi…

      Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes. Il est clair que lorsque je signalait le contraste entre celui qui nait dans un quartier ouvrier de Longwy et celui qui naît dans le XVIème arrondissement de Paris, la problématique n’était pas vraiment une question de géographie. Mais de la ségrégation sociale que cette géographie sous-tend.

      [Mais si on peut être exploité et gagner [très bien sa vie] … alors vive l’ « exploitation » ! Où est le problème ?]

      Permettez-moi de prendre un exemple. Si demain votre banque décidait de prélever sur votre compte 10 € par mois, sans la moindre justification ni contrepartie, quelle serait votre réaction ? Pourtant, j’imagine que vous « gagnez très bien votre vie », et que ce n’est pas ces dix euros qui y changeront quelque chose. Alors, où est le problème ?

      Et pourtant, je suis persuadé que vous iriez protester auprès de votre banquier. Et bien, l’exploitation, c’est un peu la même chose. Que vous « gagniez bien votre vie » ou pas, le fait que quelqu’un prélève sans justification ni contrepartie une partie de la valeur que vous produisez est bien « un problème ».

      [Donc, vous reconnaissez que toutes ces catégories [… les médecins, les infirmières, les professeurs, les fonctionnaires en général.] ne sont pas exploités et vous leur souhaitez [Bienvenu aux « classes moyennes ».]]

      Non. Ma remarque faisait référence aux gens qui selon vous « on ne peut classer ni dans les travailleurs exploités, ni dans les exploiteurs ». En utilisant cette formule, vous admettez donc qu’il existe une catégorie de gens qui ne sont ni exploités, ni exploiteurs. Exactement ce que je caractérise comme « classes moyennes ». Mais contrairement à vous, je ne pense pas que ces gens « qu’on ne peut classer ni dans les travailleurs exploités ni dans les exploiteurs » couvrent l’ensemble des médecins, des infirmières, des professeurs ou des fonctionnaires en général.

      [Je voudrais vous rappeler qu’ils représentent à eux seuls, en France, la majorité absolue,]

      Ah bon ? Ainsi « les médecins, les infirmières, les professeurs ou les fonctionnaires en général » représentent « la majorité absolue » en France ? Pourriez-vous m’indiquer d’où vous tenez ce chiffre ? Parce qu’un calcul de coin de table montre le contraire : les « fonctionnaires en général » sont en tout 5 millions. A cela il faut ajouter les médecins libéraux et les infirmières libéraux (quelque 250.000 personnes). Sur les 35 millions d’actifs que compte la France, cela fait moins de 15%. On est assez loin de « la majorité absolue » même parmi les actifs.

      [Cette phrase, et surtout son mot central « déserteur », explique bien votre pensée et met en exergue ce qui la différencie de la mienne : Pour vous, mettre en place une stratégie qui vous permette, à vous puis à vos enfants, de vivre mieux que vous-même à votre naissance, c’est une « désertion ».]

      Mais pas du tout. Je pensais plutôt aux fils de bourgeois qui deviennent ouvriers… Ne m’avez-vous pas dit que dans notre société les frontières entre classes sont perméables ?

    • Descartes =>
      "Que vous « gagniez bien votre vie » ou pas, le fait que quelqu’un prélève sans justification ni contrepartie une partie de la valeur que vous produisez est bien « un problème »."

      Et pas seulement une injustice morale, mais aussi un problème économique, puisque la richesse tend à se concentrer dans un petit nombre de mains et que la consommation devient insuffisante pour soutenir l’économie. D’où la crise économique cyclique.

      Si v2s continue de soutenir qu’il n’y a pas d’antagonismes de classe, ça serait intéressant de lui demander d’expliquer le caractère cyclique des crises économiques. Car je soutiens que les explications des libéraux sur le sujet sont pour le moins… évanescentes….Je suis dans l’œuvre d’Hayek pour le moment, je cherche par quel tour de passe-passe théorique il va esquiver la question…

    • v2s dit :

      [Cette phrase, et surtout son mot central « déserteur », explique bien votre pensée et met en exergue ce qui la différencie de la mienne : Pour vous, mettre en place une stratégie qui vous permette, à vous puis à vos enfants, de vivre mieux que vous-même à votre naissance, c’est une « désertion ».]

      Mais pas du tout. Je pensais plutôt aux fils de bourgeois qui deviennent ouvriers… Ne m’avez-vous pas dit que dans notre société les frontières entre classes sont perméables ?

      Descartes, vous êtes satisfait de votre réponse ?
      Aurais-je touché le point qui cloche vraiment ?

    • v2s dit :

      " ..et que le gros de leur troupe est constitué de descendants d’ouvriers, dont les parents, les grands parents, ou eux-mêmes, ont tout fait pour échapper à leur condition : études, travail, économies, sacrifices pour leurs enfants … un peu comme vous, si j’ai bien compris votre parcours."

      Là non plus vous ne répondez pas ?

    • Descartes dit :

      @ Jonhathan R. Razorback

      [« Que vous « gagniez bien votre vie » ou pas, le fait que quelqu’un prélève sans justification ni contrepartie une partie de la valeur que vous produisez est bien « un problème » ». Et pas seulement une injustice morale, mais aussi un problème économique, puisque la richesse tend à se concentrer dans un petit nombre de mains et que la consommation devient insuffisante pour soutenir l’économie. D’où la crise économique cyclique.]

      Exactement. C’est là que le marxisme rompt avec les différentes « théories de la misère ». En finir avec le capitalisme n’est pas une question morale, mais une question économique. Si le capitalisme est à terme condamné ce n’est pas parce qu’il est injuste, mais parce qu’à partir d’un état donné du développement des forces productives, il devient inefficace.

      [Si v2s continue de soutenir qu’il n’y a pas d’antagonismes de classe, ça serait intéressant de lui demander d’expliquer le caractère cyclique des crises économiques. Car je soutiens que les explications des libéraux sur le sujet sont pour le moins… évanescentes….Je suis dans l’œuvre d’Hayek pour le moment, je cherche par quel tour de passe-passe théorique il va esquiver la question…]

      Il n’est pas nécessaire d’avoir recours aux antagonismes de classe pour expliquer le caractère cyclique des crises économiques. Il y a d’ailleurs des cycles économiques qui ne doivent rien à l’antagonisme de classe. Dans tout système physique, l’équilibre stable est assuré par des forces de rappel qui, lorsque le système s’écarte du point d’équilibre, tendent à l’y ramener. Dans la plupart des cas, ce retour à l’équilibre se fait par des oscillations plus ou moins amorties. Il n’y a aucune raison pour ne pas appliquer ce modèle mathématique à l’économie.

      L’antagonisme entre les classes n’est pas nécessaire pour expliquer les crises cycliques, mais permet d’expliquer pourquoi les oscillations au lieu de s’amortir tendent à s’amplifier. Ainsi, on peut observer que pendant la période des « trente glorieuses », ou la croissance avait permis d’atténuer l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat, les cycles économiques étaient de très faible amplitude – au point que certains avaient annoncé « la fin des cycles » – alors qu’avec la contre-revolution libérale des années 1980 on est revenu à des cycles de forte amplitude, avec des périodes « fastes » suivies de crashes violents.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [« Mais pas du tout. Je pensais plutôt aux fils de bourgeois qui deviennent ouvriers… Ne m’avez-vous pas dit que dans notre société les frontières entre classes sont perméables ? ». Descartes, vous êtes satisfait de votre réponse ?]

      Oui, très satisfait. Je pense que la réponse était parfaitement adaptée au niveau de la question.

      Je vous l’ai déjà dit : ici, on échange des arguments. Les ruses de potache style « m’me, il m’a traité de déserteur… ! » n’ont pas leur place. Je trouve par ailleurs très intéressant que vous ayez pris ma remarque dans un sens précis, que vous vous soyez scandalisé qu’on appelle « déserteur » les prolétaires qui deviennent des bourgeois, sans vous apercevoir que l’adjectif était aussi applicable à ceux qui font le chemin inverse…

      [Aurais-je touché le point qui cloche vraiment ?]

      Oui. Le point qui cloche dans votre argumentation.

    • Descartes dit :

      @ v2s

      [« ..et que le gros de leur troupe est constitué de descendants d’ouvriers, dont les parents, les grands parents, ou eux-mêmes, ont tout fait pour échapper à leur condition : études, travail, économies, sacrifices pour leurs enfants … un peu comme vous, si j’ai bien compris votre parcours ». Là non plus vous ne répondez pas ?]

      Il n’y a rien à « répondre ». Je vous rappelle votre « question sous la forme compète : « Je voudrais vous rappeler qu’ils représentent à eux seuls, en France, la majorité absolue, et que le gros de leur troupe est constitué de descendants d’ouvriers, dont les parents, les grands parents, ou eux-mêmes, ont tout fait pour échapper à leur condition : études, travail, économies, sacrifices pour leurs enfants … un peu comme vous, si j’ai bien compris votre parcours ». Dans la mesure où votre question s’appuie sur une prémisse fausse – car je vous ai montré chiffres à l’appui qu’ils sont très loin de « représenter à eux seuls, en France, la majorité absolue » – je ne vois pas ce que je pourrais répondre. C’est un peu comme si vous me demandiez « les martiens ont débarqué à Paris, que pensez vous de leur pouvoir d’achat ? ». Dès lors que la prémisse sur laquelle se fonde votre question est fausse, je ne vois pas l’intérêt de chercher à répondre.

  11. dsk dit :

    @ v2s

    ["@ dsk et @ Descartes
    NB : Au plan pratique, pour poster un commentaire sur le blog de Descartes, on peut s’en tenir à la logique qui consiste à suivre le fil d’une discussion, sans revenir systématiquement en à la fin des commentaires. C’est logique, ça marche, mais si, entre temps trop d’autres fils de discussion se sont ouverts, on est vite perdu, très haut, très loin des derniers commentaires.
    J’ai donc choisi, comme d’autres, de poster sous forme de nouvelle réaction. Je sais, c’est contestable …"]

    Effectivement. Ce qui serait bien pratique, ce serait une fonctionnalité telle qu’elle existe sur le blog "La lettre volée" d’Edgar, qui signale à l’attention des lecteurs les derniers commentaires postés. Mais nous ne sommes malheureusement pas encore dans un système communiste : ici, c’est le patron Descartes qui décide 😉

    [Dans la société française, un ouvrier n’est pas, comme un intouchable Indien, condamné à rester ouvrier, ni surtout condamné à engendrer des enfants ouvriers.]

    Il me semble que vous signalez là une caractéristique du capitalisme que n’a jamais contesté Marx. Il existe, effectivement, une plus grande porosité entre classes en régime capitaliste que sous l’Ancien Régime. Mais notez-bien que ceci a un fort inconvénient : en effet, ce n’est plus assez, sous un tel régime, de n’être qu’un ouvrier. Il faut en plus subir le déshonneur de n’avoir pas été suffisamment intelligent ou travailleur pour être capable de "s’en sortir". Autrement dit, non seulement on travaille dur, on est mal payé, mais en plus, on se sent fautif. Et je ne vous parle pas du chômeur… Au moins, sous l’Ancien Régime, on pouvait ne pas se sentir honteux de n’être qu’un ouvrier en bas de l’échelle.

    • Descartes dit :

      @dsk

      [Effectivement. Ce qui serait bien pratique, ce serait une fonctionnalité telle qu’elle existe sur le blog "La lettre volée" d’Edgar, qui signale à l’attention des lecteurs les derniers commentaires postés. Mais nous ne sommes malheureusement pas encore dans un système communiste : ici, c’est le patron Descartes qui décide ;-)]

      Si seulement c’était le cas ! Mais non, sur ce point particulier, ici c’est over-blog, mon hébergeur, qui décide. Edgar a eu la sagesse de rester à l’ancienne version d’over-blog, qui offrait cette fonctionnalité. Moi, j’ai fait la bêtise de prendre la nouvelle, et croyez bien que je me mords les doigts tous les jours…

      [Mais notez-bien que ceci a un fort inconvénient : en effet, ce n’est plus assez, sous un tel régime, de n’être qu’un ouvrier. Il faut en plus subir le déshonneur de n’avoir pas été suffisamment intelligent ou travailleur pour être capable de "s’en sortir". Autrement dit, non seulement on travaille dur, on est mal payé, mais en plus, on se sent fautif. Et je ne vous parle pas du chômeur… Au moins, sous l’Ancien Régime, on pouvait ne pas se sentir honteux de n’être qu’un ouvrier en bas de l’échelle.]

      Votre remarque est très pertinente. Plus une société offre de possibilités de choix à ses membres, plus ceux-ci sont obligés de prendre leurs responsabilités. Du temps où l’avortement était un véritable interdit et la contraception inconnue, on n’était pas obligé d’aimer ses enfants. Aujourd’hui, parce qu’on peut choisir quand et comment avoir des enfants, tout enfant est par définition désiré, et on se sent donc coupable si on ne l’aime pas. Dans une société de castes, appartenir à la caste basse n’est ni une honte ni le signe d’un échec, mais un fait. Dans une société où l’effort permet de se hisser socialement, le fait d’appartenir à la classe la plus basse est le signe qu’on n’a pas voulu faire cet effort…

      Heureusement, l’esprit humain est ainsi fait qu’il est capable de fabriquer des justifications pour ne pas se sentir coupable. Le « victimisme » ambiant est finalement une réaction assez logique aux libertés que notre société nous offre. En attribuant nos malheurs et nos échecs à des conspirations et des forces obscures, on se débarrasse à bon compte de nos responsabilités. Vous n’avez pas de promotion ? C’est la faute de votre chef qui est un imbécile. Vous ratez l’examen ? C’est la faute du professeur. Et ainsi de suite. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le « victimisme » est d’autant plus fort que l’on appartient à une couche privilégiée de la société…

    • CVT dit :

      @Descartes,
      [ Le « victimisme » ambiant est finalement une réaction assez logique aux libertés que notre société nous offre. En attribuant nos malheurs et nos échecs à des conspirations et des forces obscures, on se débarrasse à bon compte de nos responsabilités. Vous n’avez pas de promotion ? C’est la faute de votre chef qui est un imbécile. Vous ratez l’examen ? C’est la faute du professeur. Et ainsi de suite. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le « victimisme » est d’autant plus fort que l’on appartient à une couche privilégiée de la société…]

      J’imagine que le "victimisme" s’étant également aux plaies que sont l’anti-racisme, l’anti-homophobie et le féminisme? (Désolé, mais pour le féminisme, c’est comme pour le socialisme: le vrai féminisme, je ne sais plus ce que c’est… Peut-être devrais-je parler de misandrie…)?
      D’où ces fameux promotions "diversitaires", où la couleur/sexe prime sur la compétence…
      J’ai toujours conçu la discrimination "positive" comme une aumône et comme une insulte personnelle, tant envers mon éducation scolaire que mon parcours professionnel. Et j’ai un profond sentiment d’injustice, que les bien-pensants sont tous à fait incapables de comprendre… Je vomis les gens qui accusent les autres de racisme/sexisme pour masquer leur insuffisances personnelles: c’est comme dans le cas des dénonciations calomnieuses en cas de viol: les premières victimes seront les vraie victimes…
      J’ai déjà eu l’occasion de le dire sur votre blog, mais je ne m’en lasserais jamais: pour moi, les "diversitaires" sont les pires racistes qui soient, car ils sont les plus sournois: ils dénient aux "victimes" leur libre-arbitre, et à ce titre, ils en font des êtres…inférieurs!

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [J’imagine que le "victimisme" s’étant également aux plaies que sont l’anti-racisme, l’anti-homophobie et le féminisme? (Désolé, mais pour le féminisme, c’est comme pour le socialisme: le vrai féminisme, je ne sais plus ce que c’est… Peut-être devrais-je parler de misandrie…)?]

      Pour faire la distinction, j’utilise l’expression « féminisme de genre », pour le distinguer du combat fort respectable des féministes qui demandent une égalité fondée sur l’indifférence au sexe. Mais vous avez raison de parler de « misandrie ».

      Oui, la construction « victimiste » dérive nécessairement dans la construction d’un catalogue de « victimes ». Pour la simple raison que du moment ou le statut de « victime » emporte avec lui des avantages symboliques ou matériels, tout le monde veut en être. Et pour devenir « victime », quoi de mieux que de se rattacher à un groupe minoritaire et de construire autour de lui un récit – par exemple, en retenant certains éléments de l’histoire et en oubliant convenablement d’autres – de persécution ?

      [D’où ces fameux promotions "diversitaires", où la couleur/sexe prime sur la compétence…]

      Vous savez ce que j’en pense…

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