L’Allemagne, l’Europe et l’Escherichia Coli

Un bacille parcourt l’Europe…

 

La récente affaire, toujours en cours, de l’intoxication alimentaire qui a envoyé ad patres une vingtaine de citoyens allemands est venue à point nommé pour illustrer l’état de déliquescence dans lequel se trouve l’idéal européen. Faisons un bref rappel des faits: une étrange intoxication, liée à une souche particulièrement virulente du collibacile Escherichia Coli, est détectée dans la ville de Hambourg. Au cours des semaines, plus d’une centaine de personnes sont affectées, et une vingtaine de cas fatals sont constatés.

 

Devant cette épidémie, la réaction allemande est immédiate et, pour ceux qui connaissent l’Allemagne, prévisible: cette contamination ne peut venir que de l’extérieur. Comment imaginer un seul instant qu’un fermier allemand puisse livrer de la nourriture impure, qu’un transporteur allemand puisse permettre son produit d’être contaminé, qu’un commerçant allemand puisse manquer aux préceptes inamovibles de l’hygiène allemande ? Le coupable ne peut qu’être un extérieur, un étranger, un non-allemand. Fidèles à cette ligne de conduite, les autorités sanitaires du länd de Hambourg pointeront du doigt, sans avoir pour cela le moindre argument scientifique, les légumes importés et notamment le concombre espagnol. Les autorités fédérales allemandes gardent les silence. Avec les conséquences qu’on peut imaginer: des milliers de tonnes de légumes espagnols mais aussi français, portuguais ou italiens sont boudés par les consommateurs et finissent à la décharge. Des dizaines de milliers de travailleurs de la filière voient leur emploi et leur gagne-pain menacé. Et qui paiera ce gâchis ? “L’Europe”. C’est à dire le contribuable européen. C’est à dire vous et moi.

 

Cette affaire mérite qu’on s’y attarde, parce qu’elle est peut-être le paradigme le plus achevé de ce vers quoi nous conduit la construction européenne. Une construction qui, depuis les années Mitterrand et notamment du traité de Maastricht devient de plus en plus une Europe “à l’allemande”.

 

L’Allemagne a une histoire politique complexe. Contrairement à ce qu’on croit souvent, il n’y a pas une Allemagne, mais des Allemagnes. L’unité est pour les allemands une idée moderne, un fantasme surgi au début du XIXème siècle en réponse aux campagnes napoléoniennes contre la Prusse, et dont le “discours à la nation allemande” de Fichte est peut-être la meilleure illustration. Et cette unité a toujours été imparfaite, conflictuelle, fluctuante. La question de savoir qui est allemand et ce qu’est exactement être allemand n’a jamais été véritablement tranchée. Le droit, la religion d’Etat n’ont jamais été uniformisés. Plus grave, chacun des Länder regarde les autres avec méfiance, compte son argent et se plaint de payer plus que sa part. Alors qu’en France on considère parfaitement logique que la région Ile-de-France, la plus dynamique du point de vue économique, paye pour les régions moins favorisées dans un système de péréquation des ressources, cette idée ne va pas de soi en Allemagne. Lorsqu’on discute avec des allemands, on s’aperçoit que la violence des préjugés des allemands entre eux n’a rien à envier à ceux contre les étrangers. Le mépris des bavarois pour les poméraniens, des hambourgeois pour les saxons, des badois pour le reste du monde est d’un niveau qu’on a du mal à imaginer en France.

 

L’Euro, quelque soient les gesticulations des maastrichiens reconvertis ou pas reste gérée comme l’était naguère le Marc, c’est à dire, dans une philosophie monétaire qui refuse toute péréquation. La gestion de la crise grecque a illustré ce point jusqu’à la caricature: l’Europe du Nord explique à celle du Sud que puisqu’ils ont fait des folies, c’est à eux de payer. Fort bien. Mais quand les autorités sanitaires allemandes “font des folies” et ruinent de ce fait les autres, qui paye ? Pas les allemands…

 

L’Allemagne se comporte en Europe exactement comme les Länder se comportent en Allemagne: c’est le chacun pour soi. Quand on est riche, on ne partage pas. Pendant qu’en France l’establishment politique et médiatique chante les louanges de l’illusion européenne,  l’Allemagne fait intelligemment ce que tout état devrait faire: veiller sur ses intérêts. Et elle a bien raison. Pendant ce temps chez nous les fédérastes de tout poil se désolent sur “la montée des nationalismes”, “le retour des frontières” et, comme les grenouilles qui demandaient un roi, proposent de donner à la Comission européenne des bâtons qui serviront demain à nous battre.

 

 

Descartes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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12 réponses à L’Allemagne, l’Europe et l’Escherichia Coli

  1. Article limpide et efficace, du grand Descartes. Sur ce point-là, je suis complètement de ton avis.

    Suite à un de nos échanges, je me suis d’ailleurs penché (un peu) sur le fonctionnement institutionnel de la République Fédérale: c’est loin d’être aussi harmonieux que ce qu’on entend souvent…
    J’ai toujours pensé qu’au fond, la centralisation avait du bon.

    Bon courage (car tu es “productif” ces temps-ci).

    • Descartes dit :

      Suite à un de nos échanges, je me suis d’ailleurs penché (un peu) sur le fonctionnement institutionnel de la République Fédérale: c’est loin d’être aussi harmonieux que ce qu’on entend
      souvent…

      C’est un fonctionnement très particulier. Un ami allemand ayant vécu de longues années en France me disait que la RFA fonctionne un peu comme une copropriété française: chacun dépense avec joie
      pour embellir son chez-soi, mais dès qu’il faut voter des travaux pour repeindre la cage d’escalier, personne ne veut donner un sou.

      J’ai toujours pensé qu’au fond, la centralisation avait du bon.

      Moi, j’en ai toujours été totalement convaincu. La centralisation a l’immense avantage d’éloigner la décision des intérêts locaux. Ca peut paraître paradoxal, en ces temps où tout le monde semble
      au contraire croire qu’il vaut mieux rapprocher les décideurs des citoyens. Mais c’est exactement le contraire: pour que le décideur puisse se dégager des intérêts particuliers pour poursuivre
      l’intérêt général, il vaut mieux qu’il soit éloigné. On l’a bien vu avec les permis de construire: un préfet non élu et désigné par Paris peut sans problème refuser un permis pour des questions
      de sécurité. Pour le maire d’une petite commune, élu de proximité qui doit vivre avec ses électeurs tous les jours, c’est beaucoup plus dur.

       

  2. julien dit :

    Pour parler d’un autre sujet, chaque début d’épidémie, en Europe, même quand elles sont bénignes voire inoffensives, réveille une vieille terreur. Je crois que la Peste noire a marqué la conscience
    collective européenne pour des siècles et des siècles…

    • Descartes dit :

      Je pense surtout que la peur reste la meilleure manière de vendre du papier. Et du coup, les médias ont tendance à gonfler tout évennement dans ce sens: épidémies, accidents industriels,
      “théories du complot”, tout est bon pour jouer sur la fibre paranoïaque qui someille dans chaque être humain…

  3. Poyo dit :

    Je ne veux pas faire du prosélytisme sur ce blog de débat et de réflexion, mais je pense que vu que vous avez traitez la question FN j’ai lu leur dernière conférence sur le thème de l’économie:
    http://www.frontnational.com/?p=7062
    Il va falloir prendre acte pour la gauche que ce parti n’est plus “ultra-libéral” comme peut le dire JL Mélenchon. J’aimerai au contraire que leur discours économique s’approche de l’idée d’Etat
    stratège et de rupture avec l’européisme, pour après travailler sur un programme politique de redressement de la France.

    • Descartes dit :

      Il va falloir prendre acte pour la gauche que ce parti n’est plus “ultra-libéral” comme peut le dire JL Mélenchon.

      Le procès en “ultra-libéralisme” est devenu une sorte de constante de la “gauche radicale”. En fait, “ultra-libéral” est devenu synonyme de “pas beau”. Si l’on se tient à la signification précise
      des mots, le FN (et l’extrême droite européenne en général) n’ont jamais été “ultra-libéraux”. Leur vision traditionnelle est au contraire celle d’une société organique, dans laquelle la vie des
      individus est réglée par une infinité de structures communautaires, traditionnelles, corporatives, etc. Le libéralisme, au contraire, estime que l’individu doit être capable de se déterminer
      librement, en dehors de toute attache autre que son intérêt. Taxer le FN d’ultra-libéral c’est faire un énorme contresens. D’ailleurs, comment peut-on taxer quelqu’un en même temps de
      “ultra-libéral” et d’autoritaire ?

      J’aimerai au contraire que leur discours économique s’approche de l’idée d’Etat stratège et de rupture avec l’européisme, pour après travailler sur un programme politique de redressement de
      la France.

      Par “leur discours”, tu fais référence à celui du FN ? Ou à celui de Mélenchon ?

      Le FN n’est pas très loin, dans le domaine économique, de tenir le discours que tu proposes. Reste à savoir quel est leur niveau de sincérité. Pour ce qui concerne Mélenchon, je crois que la
      position “gauchiste” qu’il s’est taillée l’empêche d’assumer un tel discours.

  4. julien dit :

    La Chine n’est-elle pas, dans un certain sens, “ultra-libérale” et autoritaire à la fois ?

    • Descartes dit :

      En quoi la Chine serait-elle “ultra-libérale”, ou même “libérale” ? Est-ce que la fixation des prix des biens et des services est laissée au marché ? Non: parmi les grandes économies, c’est
      certainement la plus régulée, et celle où les prix reglementés ont encore le plus de poids. Est-ce qu’en chine les capitaux sont libres de s’investir là où c’est le plus rentable ? Pas davantage:
      le système bancaire est soumis au contrôle de l’Etat, et l’investissement en Chine est lourdement reglementé.

      C’est devenu une sorte de “mantra” de la gauche d’utiliser le terme “libéralisme” ou “ultralibéralisme” pour qualifier tout ce qui lui déplait. Mais tout capitalisme n’est pas nécessairement
      “libéral”. Le libéralisme ne détient pas le monopole des inégalités sociales ni de l’exploitation. Les deux sont possibles sous un régime de capitalisme d’Etat comme celui qui régit en Chine…

  5. dudu87 dit :

    Bonjour Descartes,

    Je me permet de t’envoyer ce texte qui nous permet de comprendre comment les classes moyennes veulent faire exploser le PCF, dernier « rempart » à leur prise de pouvoir sur la classe
    ouvrière.
    Ce texte a le mérite de dire « tout haut ce que pense tout bas » le PG, GU et la grande majorité de leurs militants.
    Objectif :
    Changer de nom du FdG et constitution d’un grand parti politique où le PCF viendrait se fondre au nom de l’UNITE !!!
    Tu publies comme tu le sens…
    A+

    Rencontre FASE – PCF

    Écrit par La rédaction   
    Lundi, 10 Janvier 2011 16:15
    Cette rencontre ainsi que les précédentes avec le PG et la GU se sont faites  suite au mandat donné par le CAN des 11 & 12 décembre et sur la base du texte d’Adresse élaboré et
    adopté  par lui au consensus.
    Une rencontre est prévue avec le NPA à l’issue de leur congrès (rappel).
    http://www.communistesunitaires.net/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=88888945&Itemid=88888955

    • Descartes dit :

      j’ai pas très bien compris de quel article tu parles… le liuen que tu donnes pointe sur une page où il y en a plein… tous assez anciens!

  6. dudu87 dit :

    A ta question:

    La FASE souhaite développer un processus de discussion avec le Front de gauche dans la perspective de participer à un Front de gauche transformé

    par la FASE

    dimanche 12 juin 2011
    http://www.rezocitoyen.org/La-FASE-souhaite-developper-un-processus-de-discussion-avec-le-Front-de-gauche-dans-la-perspective.html

    • Descartes dit :

      Oh… tu sais, pour savoir ce que veut vraiment la FASE, il suffit de lire jusqu’au bout. Et on trouve la phrase suivante:

      Il faudra bien que le FDG dans son état actuel accepte de respecter la diversité, de donner une place suffisante aux composantes qui veulent y participer. C’est une nécessité pour que la
      gauche de transformation trouve sa place à la hauteur des enjeux. Cela vaut pour les candidatures aux législatives comme pour l’animation des campagnes.(c’est moi qui
      souligne)

      Comme quoi les dirigeants de la FASE n’ont même pas le bon goût de cacher leurs ambitions. Après, on peut déblatérer pendant des heures sur “les exigeances d’appropriation sociale pour sortir des
      rapports d’exploitation” et autres lieux communs. Mais seulement après: ce qui est véritablement important, ce sont les candidatures. Que voulez-vous, Clémentine a besoin d’une circonscription,
      et Patrick n’est pas sûr d’être réélu sans les voix du PCF…

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