Manuel Valls, le PDG de Barcelone

Monsieur X est chef de rayon, et vend des couches culottes à Carrefour. Il aime son magasin. Mais lorsque Casino vient lui proposer de fourguer des savonettes comme directeur pour un salaire 30% plus important, monsieur X n’hésite pas. Pourquoi le ferait-il ? Après tout, Carrefour n’hésiterait pas à le balancer à la rue si cela augmentait la rentabilité du magasin. Malgré donc son attachement à son employeur, monsieur X changera de poste.

 

Monsieur Valls est député de l’Essonne. Il aime la France. Mais il est vrai que sa carrière patine, que son horizon est bouché. Ce n’est pas demain qu’il aura une augmentation. Alors, lorsque l’Espagne lui offre l’opportunité d’une promotion comme maire de la deuxième ville du pays, monsieur Valls n’hésite pas. Il dépose sa candidature.

 

Certes, dans sa tirade d’adieux à ses électeurs d’Evry, Manuel Valls déclare « aimer la France ». C’est fort émouvant. Mais le verbe « aimer » recouvre souvent plusieurs réalités. J’aime mon épouse, et cet amour implique des devoirs, des obligations envers elle auxquelles je ne saurais me soustraire sans trahir cet amour. J’aime aussi les épinards, mais je ne me sens envers eux aucune obligation. Si l’occasion se présente, je peux manger d’autres légumes sans ressentir le moindre sentiment de trahison.

 

L’amour de Valls pour la France est-il un amour comme on éprouve pour sa femme, ou l’amour qu’on peut éprouver pour les épinards ? Je crains qu’il faille conclure pour un amour du deuxième type. Ou pour être plus précis, Valls aime la France comme un cadre supérieur peut aimer son entreprise : il éprouve du plaisir et trouve du profit à y travailler, mais cela n’implique pas qu’il ne puisse la laisse pas tomber sans le moindre remords s’il trouve plus agréable ou plus rémunérateur ailleurs.

 

Le geste de Valls ne fait qu’illustrer la dérive du politique vers le gestionnaire, de la « res publica » vers la chose privée. La politique dans l’ancien monde avait un élément charnel. L’homme politique était le grand prêtre de ce dieu exigeant qu’on appelait le peuple souverain. Il en était en même temps le guide et l’oracle. Son rôle ne se réduisait pas à répartition d’un budget, à la réduction d’un déficit, à la réforme d’un dispositif administratif. De sa clairvoyance et de son attention dépendait la guerre et la paix, la vie et la mort de ses concitoyens, la place de son pays dans l’histoire. Il avait à faire des choix tragiques, rendait compte à ses concitoyens et acceptait leur verdict – pas toujours juste. A sa tâche il sacrifiait famille, amis, intérêts.

 

Dans le nouveau monde, la politique n’est qu’une affaire de gestion. Il n’y a pas de différence entre un président de la République et un PDG, entre un ministre et un membre d’un comité exécutif. On occupe une fonction de député ou de ministre non pas par devoir envers son pays ou ses concitoyens, mais parce qu’elle paye bien, qu’on est considéré, et surtout parce qu’on n’a pas trouvé mieux. Et lorsqu’on trouve, on s’en va sans culpabilité, sans remords.  Et ça ne date pas d’hier. François Hollande, ce président qui rêvait de transformer la fonction présidentielle en un emploi « normal », regrettait déjà dans un livre d’entretiens devenu célèbre que le président ne puisse pas poser ses outils à 18 heures et rentrer chez lui comme n’importe quel travailleur.

 

Ce comportement a été internalisé par l’ensemble de la classe politique, avec de très rares exceptions. Prenez Mélenchon : en 2012, il s’était proposé pour représenter les citoyens du Pas de Calais à Hénin-Beaumont. Trois ans plus tard, il se propose de représenter les citoyens du sud-ouest au Parlement européen. Son élection ne l’empêche pas deux ans plus tard de le voit candidat pour représenter les citoyens des Bouches-du-Rhône à Marseille. A chaque fois, le choix de la circonscription s’est fait sur beaucoup de critères : visibilité médiatique, chances d’être élu… en fait, un seul critère a été négligé : l’attachement à la circonscription elle-même, à son histoire, à ses gens. Et à chaque fois le départ s’est fait sans explications, sans regrets, sans excuses. On se présente à une élection comme on envoie un CV à une entreprise : si on ne vous prend pas, on candidate ailleurs. Et si l’on vous prend, cela ne vous empêche pas de continuer à envoyer des CV avec l’espoir de trouver mieux.

 

Ni Valls, ni Mélenchon, ni aucun autre de ceux – nombreux – qui suivent ce chemin ne semblent éprouver le moindre besoin de s’excuser, de se justifier, d’expliquer à l’électeur dont ils ont sollicité le suffrage et envers qui ils ont pris des engagements les raisons qui justifient un tel abandon. Dans leur tête, il n’y a pas de trahison parce que l’élu n’a aucun véritable devoir envers ses électeurs. Il n’y a pas plus de honte à les abandonner qu’à trahir les promesses qu’on leur a faites. Et ce raisonnement diffuse dans l’ensemble de l’activité politique. Prenons un exemple : un ministre de l’Intérieur – ministre d’Etat, numéro deux du gouvernement – qui déclare publiquement que finalement il préfère la mairie de Lyon, et qu’il démissionne donc de son fauteuil ministériel avec un préavis de neuf mois – faut bien continuer à toucher un salaire en attendant l’élection – pour se présenter aux prochaines municipales. Il est déjà scandaleux qu’on continue à rémunérer un ministre qui ne fait plus le boulot, et qui a déclaré que ce boulot ne l’intéresse pas. Mais plus scandaleux encore est le fait que ce ministre ne semble ressentir la moindre culpabilité lorsqu’il abandonne la mission publique qu’on lui a confiée et qu’il a acceptée. En d’autres termes, le ministre ne pense avoir aucun devoir envers le peuple français, aucun compte à lui rendre. La pensée qu’en partant il trahit le mandat qu’il a reçu ne l’effleure pas. On devient ministre comme on devient directeur du marketing, et on cesse de l’être de la même manière, parce qu’on a trouvé quelque chose de mieux, de plus rémunérateur, de moins fatigant. Et le peuple souverain ? Il peut aller se faire voir.

 

Il y a seulement quelques années, le président de la République aurait remplacé le ministre en question sur le champ, sans hésiter, parce qu’au-delà de son travail, un ministre a une fonction symbolique qui l’oblige à être exemplaire. Aujourd’hui, ni le président ni le premier ministre n’estiment devoir agir. Ni même exprimer un commentaire critique. Et on comprend très bien pourquoi : que pourrait-on reprocher au ministre en question ? De ne suivre que son intérêt personnel ? Mais n’est-ce pas là précisément l’essence du néo-libéralisme dont le macronisme n’est qu’un avatar ?

 

Descartes

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

32 réponses à Manuel Valls, le PDG de Barcelone

  1. QUILLET dit :

    Comme depuis qu’on m’a fait découvrir votre blog, voici quelques mois, j’apprécie beaucoup votre article, que je vais me permettre de partager sur FB. J’ai juste un point de désaccord avec vous : le cas de JL Mélenchon. Non parce qu’il s’agit de celui-ci. Mais là, il me semble que c’est très différent. En dehors des électeurs de l’ancienne circonscription du SO pour les Européennes, auxquels il aurait pu adresser un message d’adieu et de remerciement après son élection à Marseille, il a agi en citoyen se considérant avant tout comme représentant de la Nation, et ayant, par surcroît, la responsabilité d’un important courant politique national. Ce n’est pas pour rien que tout citoyen français peut, à tout moment, se présenter n’importe où en France à une législative ou une sénatoriale. (idem pour un citoyen électeur ou contribuable dans une région ou un département, qui peut se présenter dans tout département de sa région ou tout canton de son département). Jadis, on pouvait même se présenter dans autant de circonscription que l’on voulait ! Cela a été interdit en 1889 dans le cadre d’un train de mesures visant à faire barrage à Boulanger. Ce qu’a fait JLM, Gambetta, Clemenceau, Blum, Mendès France, et bien d’autres l’ont fait avant lui. Une législative, ce ne doit pas être une élection réservée aux “nés natifs” et à leurs “patrons” ou “clients”. Très sincèrement à vous et au plaisir de lire bientôt un nouvel article ! Renaud QUILLET

    • Descartes dit :

      @ QUILLET

      [J’ai juste un point de désaccord avec vous : le cas de JL Mélenchon. Non parce qu’il s’agit de celui-ci. Mais là, il me semble que c’est très différent. En dehors des électeurs de l’ancienne circonscription du SO pour les Européennes, auxquels il aurait pu adresser un message d’adieu et de remerciement après son élection à Marseille, il a agi en citoyen se considérant avant tout comme représentant de la Nation, et ayant, par surcroît, la responsabilité d’un important courant politique national. Ce n’est pas pour rien que tout citoyen français peut, à tout moment, se présenter n’importe où en France à une législative ou une sénatoriale.]

      La question n’est pas tant de savoir si Mélenchon avait le droit de se présenter à Marseille – ce droit ne lui est contesté par personne – mais la nature des liens qui lient un candidat aux électeurs qui l’ont choisi. Si les électeurs investissent quelqu’un pour les représenter pendant cinq ans dans une assemblée, n’ont ils pas le droit d’exiger que leur représentant se consacre à cette tâche pendant la durée normale de son mandat ? Et quelles sont les raisons valables pour qu’un candidat élu puisse se soustraire à cet engagement ?

      En d’autres termes, il est question des engagements qu’un élu prend devant ses électeurs lorsqu’il se présente à leurs suffrages. Lorsqu’un candidat me promet de défendre mes intérêts au Parlement, dois-je entendre l’exception « jusqu’à ce que je me trouve un meilleur poste » ?

      J’ajoute qu’à mon avis vous faites erreur sur un point important. Un député n’est pas « un représentant de la nation ». Le Parlement représente COLLECTIVEMENT la nation (d’où la périphrase « la représentation nationale »). Mais INDIVIDUELLEMENT, chaque député ne représente que sa circonscription.

      [(idem pour un citoyen électeur ou contribuable dans une région ou un département, qui peut se présenter dans tout département de sa région ou tout canton de son département). Jadis, on pouvait même se présenter dans autant de circonscription que l’on voulait !]

      Encore une fois, la question ici n’est pas tant OU on se présente mais QUAND on se présente. Je ne reproche pas à Mélenchon de s’être présenté à Marseille, mais de s’être présenté au milieu de son mandat de député européen pour lequel il avait été élu dans une autre circonscription. Est-il légitime qu’un élu se présente à un autre mandat alors qu’il n’a pas complété celui pour lequel il a été élu ?

      Il y a ensuite la question du choix de la circonscription. In fine, ce sont les électeurs qui choisissent, et s’ils sont convaincus qu’une personnalité qui change de circonscription à chaque élection pour maximiser ses possibilités d’être élu est le candidat qui défendra au mieux leurs intérêts, c’est leur problème. Mais on ne m’ôtera pas de la tête que faire de la vraie politique – qui n’est pas la même chose que de faire une carrière politique – implique une connaissance et un attachement aux gens qu’on représente. On n’a pas besoin de se présenter dans l’endroit ou l’on est né, ou sa famille est installée depuis dix générations. Mais demander d’un candidat qu’il ait quelques attaches dans la circonscription, qu’il y ait vécu ou travaillé, ne me paraît pas déraisonnable.

      J’ajoute que le fait que Mélenchon se doit auto-désigné candidat à Marseille et ce faisant piétiné la décision de la « commission électorale » de LFI qui avait déjà désigné un autre candidat pour cette circonscription mériterait à elle seule une analyse détaillée…

      [Ce qu’a fait JLM, Gambetta, Clemenceau, Blum, Mendès France, et bien d’autres l’ont fait avant lui.]

      Je ne me souviens pas que Gambetta, Clemenceau, Blum ou Mendes-France se soient présentés à une élection en mettant fin prématurément à un précédent mandat représentatif. Pourriez-vous m’illustrer ?

  2. cdg dit :

    Je suis pas sur que ca soit tres recent comme comportement. Un politicien va vouloir se presenter la ou il a des chances fortes d etre elu et pas un endroit ou il a des liens particuliers avec les electeurs. Et s il a un certain rang dans son parti, il va se debrouiller pour aller dans une zone ou meme un mort sera elu 😉
    A partir du moment ou la politique est faite par des professionnels, vous avez forcement des gens qui pensent carriere et qui veulent trouver un mandat afin d eviter une perte de revenu. Pourquoi vous pensez qu Hamon veut a tout prix une alliance avec EELV ?

    Juste pour info, Mitterrand a debut de sa carriere a fait ce que vous reprochez a Melanchon :
    6/6/46 1946 : 5e circonscription de la Seine
    10/11/46 : député de la Nièvre (4 mois plus tard !)
    Il est alle dans la nievre pas par attachement personnel mais car il y avait le soutien de la droite (pour lplus d inof, reprotez vous a wikipedia sur la fiche de Mitterrand)

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Je suis pas sur que ca soit tres recent comme comportement. Un politicien va vouloir se présenter là ou il a des chances fortes d’être élu et pas un endroit ou il a des liens particuliers avec les électeurs. Et s il a un certain rang dans son parti, il va se débrouiller pour aller dans une zone ou même un mort sera elu ;-)]

      D’abord, il faut se souvenir que pendant très longtemps les partis – et donc les militants – ont eu leur mot à dire sur la désignation d’un candidat, et que celui-ci était très dépendant d’eux pour pouvoir faire campagne. En d’autres termes, même lorsque le candidat était « parachuté » (ce qui restait un phénomène minoritaire jusque dans les années 1980) il était demandé et accompagné par un entourage local qui assurait l’interface entre lui et la population.

      Ensuite, vous constaterez que dans le monde d’avant les changements de circonscription sont relativement rares. Aussi longtemps que les électeurs vous confirment leur confiance, on reste dans la même circonscription. Et même les battus tendent à se représenter dans la même circonscription.

      [A partir du moment ou la politique est faite par des professionnels, vous avez forcement des gens qui pensent carrière et qui veulent trouver un mandat afin d’éviter une perte de revenu. Pourquoi vous pensez qu’Hamon veut a tout prix une alliance avec EELV ?]

      Oui et non. On peut avoir des politiciens « professionnels » sans avoir des élus « professionnels ». Dans le temps, les partis politiques assuraient les fins de mois des battus, et le régime du cumul de mandats permettait de lisser le revenu par rapport aux victoires et aux défaites.

      [Juste pour info, Mitterrand a début de sa carrière a fait ce que vous reprochez a Mélenchon :]

      Non. Mitterrand n’a jamais changé de circonscription EN COURS DE MANDAT. Je crois qu’on ne s’est pas compris : qu’un candidat qui se présente dans une circonscription et qui se fait rejeter par les électeurs aille voir ailleurs n’est pas censurable. Mitterrand s’est présenté dans le département de la Seine, il a été boulé – n’a fait que 6% des voix – et il est parti offrir ses services aux électeurs de la Nièvre. Mais une fois élu dans la Nièvre, il leur est resté fidèle pendant plus de quarante ans, comme député, comme sénateur, comme maire…

      Le problème avec Mélenchon, c’est qu’il s’est présenté dans le sud-ouest et a été mandaté par les électeurs de cette circonscription pour les représenter pendant cinq ans au Parlement européen. Et qu’ensuite sans crier gare, parce qu’il a trouvé mieux ailleurs, il abandonne son mandat sans même une explication, une excuse. Quelque soient les innombrables fautes de Mitterrand – et dieu sait qu’il en a commises – elles n’incluent pas ce type de comportement. Au contraire : lors de son élection – qu’il a apprise dans sa mairie – Mitterrand s’est presque excusé auprès de ses électeurs de Château-Chinon de les avoir « abandonnés » pour la présidence de la République, et n’a pas manqué d’occasion de marquer son attachement à la circonscription pendant sa présidence.

      Qu’un politique cherche sa « terre d’élection » au début de sa carrière, pourquoi pas. Mais Mélenchon n’est pas en début de carrière. Difficile de trouver dans l’histoire de France un politicien qui ait changé aussi souvent – et toujours pour des raisons opportunistes – de terroir. Il sera élu dans l’Essonne, dans le sud-ouest, à Marseille. Sans compter ses tentatives de candidature en Languedoc-Roussillon et en Ile de France pour les régionales…

  3. CVT dit :

    @Descartes,
    [Prenons un exemple : un ministre de l’Intérieur – ministre d’Etat, numéro deux du gouvernement – qui déclare publiquement que finalement il préfère la mairie de Lyon, et qu’il démissionne donc de son fauteuil ministériel avec un préavis de neuf mois – faut bien continuer à toucher un salaire en attendant l’élection – pour se présenter aux prochaines municipales.]

    Il semblerait que celui que les macroniens surnomment “affectueusement” “son altesse sénilissime”, soit bien plus lucide sur ses propres limites: c’est bien “Jupiter” qui refusé la démission de l’ancien (et peut-être futur…) maire de Lyon! Au passage, cela donne (encore!) la mesure du mépris abyssal dont Macron fait montre pour notre République et nos institutions : comment est-il possible de concentrer à ce point les pouvoirs, au point même de court-circuiter un ministre censé être l’homme le mieux informé de France? Un ministre de l’Intérieur qui apprend à la télé un manquement de ses propres services ne peut décemment pas rester en place, et même une nullité comme G. Collomb l’a bien compris.
    Mais là encore, ce n’est peut-être pas le pire: l’insistance du président de la République à vouloir maintenir un ministre en sursis, après un tel camouflet, montre qu’il ne SE contrôle plus, qu’il panique car il n’aucune personne de rechange. Donc “Microbe” est coincé: s’il va chercher un “poids lourd” de la politique comme nouveau locataire de la place Bauveau, cela signifierait qu’il devra lui laisser la bride, et donc renoncer à un contrôle absolu dont il semble si adepte; d’un autre côté, s’il choisit un nouvel homme de paille sans envergure, à l’heure des attentats islamistes et de la violence désormais endémique dans les banlieues, mais également dans les centres-villes (cf Black Block et autres antifas…), cela donnerait l’image d’un Etat encore plus impotent qu’il ne l’est à présent, et serait un signal d’encouragement aux racketteurs et autres délinquants de tout poil…

    • Descartes dit :

      @ CVT

      [Il semblerait que celui que les macroniens surnomment “affectueusement” “son altesse sénilissime”, soit bien plus lucide sur ses propres limites: c’est bien “Jupiter” qui refusé la démission de l’ancien (et peut-être futur…) maire de Lyon!]

      J’avoue qu’à force de chercher une explication cohérente à la farce que nous contemplons depuis quelques jours à la tête de l’Etat, je n’ai trouvé qu’une explication cohérente. Je me demande si, en annonçant son départ pour Lyon dans neuf mois, Collomb n’a pas cherché – volontairement ou non – à se faire virer, selon le principe politique qui veut qu’on gagne toujours à se faire virer par un patron impopulaire. Ca lui permettait de quitter le gouvernement la tête haute, sur le mode « le président n’écoute plus personne » et de prendre une prudente distance avec le bilan de la majorité présidentielle en vue de nouvelles aventures électorales.

      Si on part de cette hypothèse, alors tout devient cohérent. Macron a bien compris le jeu de son ministre. Il a refusé le gambit en ignorant les déclarations de Collomb. Celui-ci en réponse a récidivé en accusant le président d’arrogance, toujours dans la même optique, se faire virer. Car Collomb, pur produit de « l’ancien monde » ne pouvait s’imaginer que le président tolère qu’un ministre s’étant lui-même en congé se permette en plus une critique personnelle. Mais là encore, Macron ne mord pas à l’hameçon. Totalement démonétisé, Collomb se voit obligé donc à présenter sa démission. Et là, Macron commet l’erreur fatale. Au lieu de l’accepter – ce qui aurait prouvé son point, à savoir, que c’est Collomb qui veut partir et pas lui qui veut le virer – il refuse la démission. Et du coup apparaît comme étant désespéré de retenir un ministre décidé à partir.

      Je n’ai aucun élément factuel qui milite en faveur de cette hypothèse. Mais avouez qu’elle donne une certaine cohérence aux faits que l’on peut observer, sans pour autant tomber sous le rasoir d’Occam…

      [Mais là encore, ce n’est peut-être pas le pire: l’insistance du président de la République à vouloir maintenir un ministre en sursis, après un tel camouflet, montre qu’il ne SE contrôle plus, qu’il panique car il n’aucune personne de rechange.]

      Je vous rappelle – faut bien se faire plaisir lorsqu’on a eu de la chance – que j’ai été l’un des premiers à aborder cette question sur ce blog, juste après l’élection de Macron. L’égo-politique fonctionne toujours ainsi. L’égo-politicien construit son mouvement en prenant chez les autres les aigris, les seconds couteaux, les gens qui ont l’impression que leurs hautes qualités ne sont pas suffisamment reconnues, et qui voient une opportunité d’entrer dans la carrière politique par le haut. C’est le cas chez Macron, c’est aussi le cas chez Mélenchon. Le problème est que les gens qui vous permettent de vous faire élire ne sont pas ceux dont vous avez ensuite besoin pour gouverner. Benalla était probablement un organisateur de meetings hors pair. Mais arrivé au pouvoir, il est devenu dangereux. Collomb peut apporter tout ce qu’il faut en termes de réseaux ou de ressources financières, mais ce ne sera jamais plus qu’un baron local plus intéressé par son clocher que par les affaires de la nation. Mais surtout, ces aigris, ces seconds couteaux qu’on attire avec la promesse d’une promotion rapide se retourneront contre vous quand les choses deviennent vraiment difficiles.

      La macronie est faite de gens qui ont choisi de suivre un « condottiere » sur un coup de tête. Les personnalités qui ont de la profondeur, qui adhèrent à une véritable idéologie, qui ont des convictions profondes agissent rarement de cette façon. C’est pourquoi on ne trouve dans le sillage de Macron que des médiocres comme Castaner ou Ferrand, des opportunistes toujours prêts à se vendre au plus offrant comme De Rugy ou Valls, des grandes gueules qui n’ont jamais rien fait mais qui sauveraient le monde si on suivait leurs conseils comme Hulot ou Cohn-Bendit. C’est d’ailleurs rassurant de constater que si le pouvoir attire, cette attirance ne s’exerce finalement que sur les médiocres. Les « poids lourds » de la politique, ceux qui ont un minimum de personnalité ou de consistance, sont restés prudemment à l’écart quand ils ne sont pas dans l’opposition.

    • morel dit :

      @ Descartes

      Pour ma part, j’ai bien l’impression que Collomb joue ma même partition que Rebsamen lorsqu’il était ministre (bref) du travail : son appétit a reflué dès lors que le gouvernement atteignait des sommets d’impopularité, qu’aucun signe d’inversion se profilait et qu’il risquait de perdre jusqu’à son fief de Dijon. Après tout, la position d’un ministre est bien plus risquée et précaire que celle d’un maire de grande ville.

      Ce qui n’est pas contradictoire avec la seconde partie pertinente de votre réponse à CVT.
      Il faut aussi rappeler que Collomb ne s’est vu offrir aucun poste de ministre sous le gouvernement Hollande (frustration chez des gens qui considèrent qu’il s’agit là d’une poursuite normale de carrière?).

      Pour Valls cela relance la question de politiques possédant une ou d’autres nationalités que la française (j’avais sur un autre fil souligné combien il était anormal qu’un bi-national ayant fait son service militaire à Tsahal puisse être ici conseiller d’État).

      Ne sommes nous pas dans la suite logique des idéologies de circulation sans limite, sans frontière capitaux et hommes inclus ?
      Il y a eu le précédent Kofi Yamgnane, lui aussi -comme le hasard est grand – issu du PS, parti le plus grand défenseur du « droit à la différence ».
      Valls aussi n’avait plus grand avenir devant lui.

    • Descartes dit :

      @ morel

      [Après tout, la position d’un ministre est bien plus risquée et précaire que celle d’un maire de grande ville.]

      Non seulement elle est précaire, mais la décentralisation a constitué tout un système féodal ou les « barons » peuvent se donner à leurs fidèles des fiefs, se constituer des clientèles, gouverner leur petit monde. Aujourd’hui, il vaut mieux être le premier à Lyon que le deuxième à Paris. D’autant plus que ces élus locaux se sont constitués une formidable logique dans laquelle tout ce qui est mauvais vient de Paris, tout ce qui est bon c’est grâce au maire.

      Il faut bien comprendre que la France est engagée dans un processus de « provincialisation ». Hier, la centralisation des pouvoirs et des institutions à Paris permettait au pays de réunir à un seul endroit une « masse critique » de scientifiques, d’artistes, de penseurs. Paris était la « ville lumière » parce qu’elle pouvait puiser dans les ressources du pays entier. La « provincialisation » est en train de tirer le pays vers le bas. Au nom de la « décentralisation » on a distribué les institutions (souvenez-vous du déménagement de l’ENA à Strasbourg… qui a privé ses élèves de leurs meilleurs cours, étant donné que les conférenciers venaient des grandes administrations. Pensez-vous que le vice-président du Conseil d’Etat perdra une journée pour aller faire une conférence de deux heures à Strasbourg ?) de telle façon qu’on ne retrouve nulle part cette masse critique. Au lieu d’avoir l’excellence à Paris et rien ailleurs, on a la médiocrité partout.

      [Pour Valls cela relance la question de politiques possédant une ou d’autres nationalités que la française (j’avais sur un autre fil souligné combien il était anormal qu’un bi-national ayant fait son service militaire à Tsahal puisse être ici conseiller d’État).]

      Je suis d’accord. La double nationalité est une anomalie.

      [Valls aussi n’avait plus grand avenir devant lui.]

      Ca, on ne sait pas. Quel avenir avait devant lui De Gaulle en 1947 ?

  4. Julian dit :

    Précise, comme un laser, incisive, comme un scalpel, si juste, comme un rappel des tables élémentaires de la Rei Publicae, votre démonstration, monsieur, est éblouissante. Nous avions besoin de l’entendre. Pour le bon sens. Pour l’honneur. Pour ne pas devenir fous. Gratitude d’un citoyen.

  5. luc dit :

    Apparemment,Collomb,a décidé d’être le 7ième ministre qui fuit la Macronie ,un hasard?
    L’affaire Benallah,un hasard ?
    Les crises de nerf,à répétition de Macron,un hasard ?

    Non,Macron est en errance,mais il est protégé,par une partie,de la droite,par l’essentiel de l’ancien,PS.
    Quand à la gauche hors,Fi,elle passe son temps à surenchérir,en ‘déclarant’ sans cesse depuis Léonarda,jusqu’à l’écoeurement,être pour recevoir les migrants..Oui,la gauche la plus bête du monde et qui ne le sait pas.
    Seul Mélenchon a évité le piège.
    Il a fait de la défense de la république sociale,le coeur de sa geste politique,comme Thorez,Duclos,Marchais.
    Pas comme les chefs de file pro UE,comme Brossat,à reluire, qui ne parlent que des migrants passés,présents et futurs.
    Combien de temps faudra t il pour que les dirigeants de Générations,d’EELV,du PS,de LO,NPA,PCF,(tous nationophobes),comprennent qu’ils sont à coté de la plaque,et font le jeu de Macron?

    • Descartes dit :

      @ luc

      [Apparemment, Collomb a décidé d’être le 7ième ministre qui fuit la Macronie , un hasard?]

      Je ne crois pas que Collomb ait attendu que six ministres partent pour pouvoir être le septième…

      [Non, Macron est en errance, mais il est protégé par une partie de la droite, par l’essentiel de l’ancien PS.]

      Je ne le crois pas. Macron est surtout protégé par la stabilité des institutions. En ce jour d’anniversaire, il faut rendre hommage à l’exceptionnelle solidité des institutions de la Vème République. Sans cette protection, Macron aurait été déjà balayé.

      [Quand à la gauche hors Fi, elle passe son temps à surenchérir en ‘déclarant’ sans cesse depuis Léonarda jusqu’à l’écœurement être pour recevoir les migrants..Oui, la gauche la plus bête du monde et qui ne le sait pas. Seul Mélenchon a évité le piège.]

      Je ne vois pas très bien quel est le « piège » que Mélenchon aurait évité. Comme sur la question européenne, Mélenchon cultive soigneusement l’ambiguïté sur la question des migrants. Pour les partisans de l’accueil, il y a son programme avec la « régularisation de tous les sans-papiers » et la sanction immédiate de l’un de ses « orateurs » qui avait commis le péché d’être trop explicite. Pour les adversaires, il y a ses récentes déclarations sur l’Aquarius. S’il est vrai qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment – selon l’une des formules préférées de Mitterrand – il est des situations ou l’ambiguïté risque de faire l’unanimité contre vous.

      [Il a fait de la défense de la république sociale le cœur de sa geste politique comme Thorez, Duclos, Marchais.]

      Je vois mal Thorez, Duclos ou Marchais faisant campagne pour le « oui » à Maastricht, soutenant Mitterrand lors du « tournant de la rigueur » ou étant ministres du gouvernement qui encore aujourd’hui détient le record des privatisations. La « geste politique » de Mélenchon n’a pas commencé en 2008. Et à supposer même qu’il a fait de la « défense de la république sociale » sa priorité depuis qu’il a quitté le PS, il ne faudrait pas oublier que cette période ne représente même pas le tiers de sa longue carrière…

      [Pas comme les chefs de file pro UE, comme Brossat (…)]

      Vous pensez vraiment que Mélenchon est moins « pro UE » que Brossat ? Vous risquez d’avoir une très grosse déception s’il venait un jour au pouvoir…

    • Bannette dit :

      Je n’ai que le plus profond mépris pour Collomb, qui quitte sa fonction, une fonction les plus régaliennes qui soit, en parlant de la gravité de la situation sécuritaire en France. Il me rappelle Hollande qui lui aussi a parlé des banlieues rongées d’islamo-racailles (le risque de partition) sur le ton de la conversation de pipelettes : le rapport de Flamby aux journaleux ça a toujours été ça, un parvenu qui a eu entre ses mains tous les secrets de l’Etat et ne trouve de jouissance qu’en les teasant avec ses potes journaleux, comme un paparazzi de Voici qu’on appâte sur les coucheries de je ne sais qui. Où est le courage de ces socialauds (certains ont parlé de courage de ces hommes qui parlent vrai) qui ne font que confirmer ce que les Georges Bensoussan ou Malika Sorel-Sutter (et tant d’autres avant eux) ont écrit avec gravité et dignité dans leurs essais rigoureux et n’ont cessé d’appeler à réfléchir sur des solutions politiques ?
      Donc l’un ex président qui dit qu’en gros le FN n’a pas eu tord sur les risques de partition, et un ministre de l’intérieur qui quitte le navire comme un rat en confirmant le diagnostic, et, et ?

      Collomb aurait été digne en quittant sa fonction en admettant qu’il ne se sent pas capable de relever le défi des bandes d’islamo-racailles, qu’il s’est planté toute sa vie, et passe la main. Il aurait été digne de dire au peuple qu’il faut passer la main à quelqu’un qui a les nerfs d’acier de de Gaulle et surtout le soutenir, et ne pas avoir les genoux cagneux devant les risques de Malik ou Méric (des gens qui se mettent volontairement en danger, comme les clandestins en Méditerranée). Meuh non, il fait comme Mélenchon et affiche une pseudo dignité et langage de vérité en parlant de… l’autoritarisme de Macron, qui serait lui le problème incapacitant. Mais qu’est-ce que c’est que ces types qui ont eu des rapports de RG, de gens hyper compétents, sur les risques explosifs que représentent les centaines Molenbeeks en France, et se contentent de confirmer le diagnostic ?

      Ils me mettent dans une rage sourde et impuissante, j’ai envie de hurler : vous ne vous sentez pas capables de l’immensité de la tâche, alors bordel laissez faire ceux qui peuvent, qui veulent et ont les compétences pour ! Arrêtez de diaboliser les partis ou hommes politiques qui font des propositions en ce sens !
      Non seulement ils sont nuls, médiocres, mais ils empêchent ceux qui peuvent de prendre les choses en mains.
      Voilà ce qu’est devenu la vie politique, des conversations de pipelettes !

    • Descartes dit :

      @ Bannette

      [Je n’ai que le plus profond mépris pour Collomb, qui quitte sa fonction, une fonction les plus régaliennes qui soit, en parlant de la gravité de la situation sécuritaire en France. (…) Donc l’un ex président qui dit qu’en gros le FN n’a pas eu tord sur les risques de partition, et un ministre de l’intérieur qui quitte le navire comme un rat en confirmant le diagnostic, et, et ?]

      C’est un peu ce que je disais : les hommes politiques dans le « nouveau monde » – mais ce « nouveau monde » est en gestation depuis une vingtaine d’années – ne se sentent nullement responsables de l’avenir du pays. Ils n’éprouvent ni angoisse ni culpabilité lorsqu’ils quittent une fonction sans avoir rien fait. Ils ont même le culot de souligner que le navire coule au moment où ils le quittent pour aller poursuivre leur croisière ailleurs…

      C’est ce qui rend Hulot finalement sympathique. Certes, il n’aurait jamais dû accepter une fonction qu’il n’était pas capable de remplir. Mais au moins il en a tiré les conclusions et quitté son ministère sur un point de principe, et non parce qu’il avait une meilleure opportunité. Collomb résume en lui tout ce qu’il y a de pire dans la politique actuelle : le détachement, l’amateurisme, l’irresponsabilité, la politique conçue comme une carrière poursuivie pour son propre profit.

  6. Alexandre dit :

    A l’égard de Manuel Valls, je suis partagé : d’une part, j’ai envie qu’il soit élu à Barcelone, histoire qu’on en soit débarrassé (au moins pour un moment, car il est encore jeune hélas) ; mais d’autre part, je ne serais pas contre le fait qu’il se prenne une bonne rouste électorale. Ah, je ne sais que souhaiter, cruel dilemme …

    • Descartes dit :

      @Alexandre

      [A l’égard de Manuel Valls, je suis partagé : d’une part, j’ai envie qu’il soit élu à Barcelone, histoire qu’on en soit débarrassé (au moins pour un moment, car il est encore jeune hélas) ;]

      Pourquoi, vous pensez que s’il était élu à Barcelone et qu’il avait une opportunité en France de devenir président de la République il hésiterait ? Je le vois déjà en train de faire ses adieux aux Catalans, la main sur le cœur, sur l’air de « j’aime la Catalogne »…

      [mais d’autre part, je ne serais pas contre le fait qu’il se prenne une bonne rouste électorale. Ah, je ne sais que souhaiter, cruel dilemme …]

      La rouste est la meilleure solution, croyez moi. « De partout on revient, sauf du ridicule »…

    • BolchoKek dit :

      >La rouste est la meilleure solution, croyez moi. « De partout on revient, sauf du ridicule »…< Je pense notre ancien premier ministre invincible au ridicule : voilà quelqu’un qui a usé de son temps au gouvernement pour persécuter un humoriste, quelqu’un qui nous expliquait que la sécurité allait être encore meilleure malgré des coupes budgétaires, avant de changer de discours après des attentats meurtriers, un être si petit qu’il lui sera préféré par son propre camp un fade apparatchik au charisme de rutabagas… Et qui ne cesse de revenir. Valls, c’est “The Revenant” de la politique.

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      [Je pense notre ancien premier ministre invincible au ridicule : (…) Et qui ne cesse de revenir. Valls, c’est “The Revenant” de la politique.]

      Mais justement, le ridicule a fini par le tuer. En France, personne ne le prends plus au sérieux, au point qu’il ne conçoit sa résurrection qu’à l’étranger, là où personne – encore – ne le connaît, et où ses voltes faces et ses contradictions successives sont plus faciles à occulter. Comme le disait méchamment Mitterrand à propos de Rocard, Valls est un jeune homme qui a son avenir derrière lui.

  7. Vincent dit :

    J’ai beaucoup aimé le paragraphe où vous compariez l’amour pour sa femme et pour les épinards. C’est amusant. Mais je vais faire comme d’habitude mon pinailleur…

    Est ce que, pour une partie de nos élites libertaires, l’amour que l’on doit à sa femme n’est pas justement de plus en plus similaire à celui que l’on doit à des épinards ? Nos deux précédents présidents notamment étaient des spécialistes du changement fréquent de femme / compagne, indiquant peut être que cette union était pour eux peut être davantage le confort du moment, plutôt qu’un réel engagement ?

    Peut être l’image de l’amour que l’on porte à ses enfants est elle la seule qui, aujourd’hui encore, puisse correspondre réellement à ce que vous évoquiez ?

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [J’ai beaucoup aimé le paragraphe où vous compariez l’amour pour sa femme et pour les épinards. C’est amusant.]

      Heureusement qu’il me reste la schadenfreude, sans quoi…

      [Est ce que, pour une partie de nos élites libertaires, l’amour que l’on doit à sa femme n’est pas justement de plus en plus similaire à celui que l’on doit à des épinards ? Nos deux précédents présidents notamment étaient des spécialistes du changement fréquent de femme / compagne, indiquant peut être que cette union était pour eux peut être davantage le confort du moment, plutôt qu’un réel engagement ?]

      Vous voulez dire qu’ils ont transposé dans leur vie personnelle ce qu’ils pratiquent dans leur vie politique ? La thèse est séduisante… mais dans le cas de Sarkozy, elle ne cadre pas avec les faits. N’oubliez pas que ce n’est pas lui qui a trompé et finalement quitté Cecilia, c’est l’inverse. Sarkozy a même fait figure d’amoureux éconduit, avec son « si tu reviens, je lâche tout ». Difficile donc de lui reprocher de changer de femme comme on change de légume. Le cas de Hollande s’ajuste beaucoup plus à votre théorie : à chaque fois il est allé voir ailleurs, tout en conservant par commodité son ancienne compagne jusqu’à ce que celle-ci casse la relation.

      [Peut être l’image de l’amour que l’on porte à ses enfants est-elle la seule qui, aujourd’hui encore, puisse correspondre réellement à ce que vous évoquiez ?]

      Si vous voulez un véritable parallèle, ce serait plutôt à l’amour que vous portez à vos parents qu’il faudrait penser. Car vous êtes ce que vous êtes grâce à eux, de la même manière que vous êtes ce que vous êtes grâce à votre pays. Alors que les devoirs que nous avons envers notre femme sont de nature contractuelle – le consentement étant un élément constitutif du mariage – les devoirs que nous avons envers nos parents ou envers notre patrie tiennent au fait que nous sommes leur produit.

    • Vincent dit :

      Je pense que ma dernière remarque, par rapport à l’amour porté à ses enfants, ne devaient pas être claire.
      Je suis totalement d’accord avec vous que les liens qui nous unissent à la Patrie ou à nos parents doivent correspondre avant tout à un engagement. Mais je crois que vous serez d’accord avec moi pour constater que, bien souvent, cet engagement se perd.
      Je voulais dire que j’avais l’impression que l’évolution de la haute société un peu libertaire était que, dans tous les domaines, l’amour se rapproche de l’amour pour les légumes (y compris, dans une certaine mesure, celui de la Patrie, celui de sa femme, ou de ses parents).
      Et je voulais dire que j’avais l’impression que le seul qui étaient encore unanimement considéré comme un engagement était celui pour ses enfants (et encore…
      http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/08/01/01016-20140801ARTFIG00369-ils-font-appel-a-une-mere-porteuse-puis-abandonnent-le-bebe-handicape.php
      https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/rouen-deux-enfants-places-en-foyer-apres-le-refus-des-parents-de-les-recuperer-a-l-ecole-7784951841)
      Mais cela reste très marginal, et cela choque au point de faire la une des journaux, ce qui prouve bien qu’encore aujourd’hui, et quel que soit le milieu, chacun considère que l’amour pour ses enfants est avant tout une obligation vis à vis d’eux…

    • Descartes dit :

      @ Vincent

      [Je suis totalement d’accord avec vous que les liens qui nous unissent à la Patrie ou à nos parents doivent correspondre avant tout à un engagement. Mais je crois que vous serez d’accord avec moi pour constater que, bien souvent, cet engagement se perd.]

      Tout à fait. Parce que nous fonctionnons dans la logique de l’individu-île, qui se fait de lui-même et qui ne doit donc rien à ses ancêtres. La psychologie soixante-huitarde rejette l’héritage fait de traditions, d’institutions, d’histoire comme un boulet qui empêche l’individu de se réaliser pleinement. « Tuer le père » est devenu une injonction sociale. Et un processus symétrique s’est déroulé à l’égard des enfants : puisque l’héritage est un frein à leur développement, laissons-leur tout choisir sans rien transmettre. Là, la logique fonctionne à l’envers : on abandonne ses parents parce que ce sont des boulets, on abandonne ses enfants au prétexte qu’on ne veut devenir un boulet pour eux.

      [Je voulais dire que j’avais l’impression que l’évolution de la haute société un peu libertaire était que, dans tous les domaines, l’amour se rapproche de l’amour pour les légumes (y compris, dans une certaine mesure, celui de la Patrie, celui de sa femme, ou de ses parents).]

      Oui. Il ne reste qu’un seul amour : l’amour de soi. Et on ne se doit qu’à soi.

      [Mais cela reste très marginal, et cela choque au point de faire la une des journaux, ce qui prouve bien qu’encore aujourd’hui, et quel que soit le milieu, chacun considère que l’amour pour ses enfants est avant tout une obligation vis à vis d’eux…]

      Pas vraiment. Lorsque les parents choisissent de faire manquer à leurs enfants des heures de classe pour pouvoir partir en vacances ou ne week-end plus tôt, diriez-vous qu’ils mettent les intérêts des enfants avant les leurs ?

    • Antoine dit :

      @Vincent, @Descartes

      > Est ce que, pour une partie de nos élites libertaires, l’amour que l’on doit à sa femme n’est pas justement de plus en plus similaire à celui que l’on doit à des épinards ?

      Je pense qu’il faut mettre un bémol à cette analyse. J’avoue ne pas connaître personnellement les dites élites, mais je doute qu’elles soient si libertaires lorsque cela contredit leurs propres intérêts. Un bon exemple est que l’héritage de patrimoine financier et immobilier se porte très bien, et les dernières décennies ont vu de multiples lois faciliter et défiscaliser les donations de parents à enfants… C’est l’héritage collectif que ces élites ne craignent pas dilapider.

      Un autre exemple est Macron, dont le couple qu’il forme peut paraître atypique mais ne me paraît pas vraiment libertaire (il tombe amoureux de sa prof de lettres, âgée de 20 ans plus que lui, lorsqu’il est au lycée, il est encore avec elle 20 ans plus tard : je ne pense pas qu’il confonde sa femme avec une boîte d’épinards, quelle que soit la nature exacte de leur relation).

      Il s’agit plus d’une stratégie différentielle : en encourageant la destruction des structures sociales dans les autres classes, ils s’assurent de pouvoir exercer leur emprise sur la société française.

    • Descartes dit :

      @ Antoine

      [Je pense qu’il faut mettre un bémol à cette analyse. J’avoue ne pas connaître personnellement les dites élites, mais je doute qu’elles soient si libertaires lorsque cela contredit leurs propres intérêts. Un bon exemple est que l’héritage de patrimoine financier et immobilier se porte très bien, et les dernières décennies ont vu de multiples lois faciliter et défiscaliser les donations de parents à enfants… C’est l’héritage collectif que ces élites ne craignent pas dilapider.]

      Mais… on peut être « libertaire » et favorable à l’héritage. Je dirais même que c’est une attitude tout à fait cohérente. Après tout, l’héritage est le droit de disposer librement et sans rendre compte à personne du bien que vos parents ont accumulé lors de leur passage dans cette vallée de larmes…

      Oui, nos élites sont « libertaires » au sens où elles considèrent toute limitation de leurs droits ou de leurs possibilités comme illégitime. Et elle agit en conséquence : la GPA est interdite en France ? Et bien, on va la faire aux Etats-Unis et on s’indigne que l’état-civil français s’obstine à appliquer la loi (c’est en substance ce qu’a dit Fogiel hier lors de son passage au journal de 20h de France 2) ; la carte scolaire vous empêche d’inscrire votre enfant dans le « bon » lycée ? On se fait faire une fausse adresse. Et sans la moindre honte… au contraire. On en est fier ! De quoi se mêle l’Etat à décréter qu’on ne peut pas louer un ventre ou qu’on ne peut pas choisir son lycée pou rester « entre soi » ?

      [Un autre exemple est Macron, dont le couple qu’il forme peut paraître atypique mais ne me paraît pas vraiment libertaire (il tombe amoureux de sa prof de lettres, âgée de 20 ans plus que lui, lorsqu’il est au lycée, il est encore avec elle 20 ans plus tard : je ne pense pas qu’il confonde sa femme avec une boîte d’épinards, quelle que soit la nature exacte de leur relation).]

      Ne connaissant pas les tenants et les aboutissants des rapports entre Brigitte et Emmanuel, je ne m’aventurerais pas à commenter. Cependant, on peut considérer que le fait pour un professeur d’avoir des rapports sexuels avec un élève mineur – je vous rappelle que c’est interdit par la loi – entre dans la catégorie des gestes « libertaires »…

      [Il s’agit plus d’une stratégie différentielle : en encourageant la destruction des structures sociales dans les autres classes, ils s’assurent de pouvoir exercer leur emprise sur la société française.]

      Pas du tout d’accord. La logique « libertaire » des élites – en fait des « classes moyennes » – n’a qu’un effet très limité sur les autres classes. Dans la bourgeoisie, les valeurs « traditionnelles » pour ce qui concerne le mariage et la famille sont encore puissantes, et si le divorce par exemple est entré dans les mœurs, il est souvent organisé de manière à éviter la monoparentalité.

      Pour ce qui concerne les couches populaires, je n’ai pas l’impression que le mariage homosexuel ou la PMA s’y soient généralisées. Il faut tout de même se rappeler que le mariage est d’abord un mode d’organisation de la transmission du patrimoine, et qu’il a donc toujours été moins prisé dans les couches sociales qui n’ont pas de patrimoine à transmettre. C’est pourquoi la famille était et reste une institution forte chez les paysans, alors qu’elle ne l’a jamais été chez les ouvriers. Je ne trouve pas que les innovations « sociétales » de ce dernier demi-siècle aient beaucoup changé la donne…

    • Antoine dit :

      @Descartes

      > Mais… on peut être « libertaire » et favorable à l’héritage. Je dirais même que c’est une attitude tout à fait cohérente. Après tout, l’héritage est le droit de disposer librement et sans rendre compte à personne du bien que vos parents ont accumulé lors de leur passage dans cette vallée de larmes…

      Du point de vue des enfants, oui. Mais du point de vue des parents, si on prend la peine d’amasser, de conserver et de transmettre un patrimoine (plutôt que de le dilapider en réjouissances avant sa mort), cela ne me paraît pas exactement libertaire.

      C’était en fait mon point : ces gens-là sont peut-être libertaires en discours, et surtout lorsqu’il s’agit de dégrader les structures sociales qui régissent la vie du plus grand nombre, mais ils se gardent bien de mettre en danger, par leurs actes, la réussite à venir de leurs enfants. Ainsi quand ils cherchent pour leurs enfants la « meilleure » école, quitte à tricher avec la carte scolaire, ou payer une école privée, ou décider de payer plus cher un bien immobilier dans un meilleur quartier : s’ils étaient vraiment libertaires, ils ne devraient pas se soucier tant que ça d’armer leurs enfants au mieux…

      > Ne connaissant pas les tenants et les aboutissants des rapports entre Brigitte et Emmanuel, je ne m’aventurerais pas à commenter. Cependant, on peut considérer que le fait pour un professeur d’avoir des rapports sexuels avec un élève mineur – je vous rappelle que c’est interdit par la loi – entre dans la catégorie des gestes « libertaires »…

      Je ne connais pas le détail, et je ne sais pas s’il y a eu entre eux contact sexuel avant 18 ans 😉 Je voudrais quand même rappeller que l’idéologie libertaire contemporaine n’a pas inventé la transgression. Un autre « héros » rebelle est le personnage romantique, qui transgresse les conventions sociales non pour une jouissance immédiate, mais parce qu’il est dévoré par la passion. Je ne sais pas si Macron est plus l’un que l’autre, mais j’ai du mal à imaginer que se mettre (et rester) en couple avec une femme 20 ans plus âgée corresponde à une recherche du plaisir immédiat (mais tous les goûts sont dans la nature, n’est-ce pas).

      (je sais qu’il y a des gens qui fantasment des tendances dissolues chez Macron, mais je pense que ce genre d’histoires en dit plus long sur ceux qui les inventent que sur leur protagoniste imaginaire. C’est un peu le syndrome Jean-Pierre Mocky…)

      > Pas du tout d’accord. La logique « libertaire » des élites – en fait des « classes moyennes » – n’a qu’un effet très limité sur les autres classes.

      J’avoue que votre emploi du terme « élites » me décontenance. Si maintenant vous mettez les classes moyennes dans les élites… 😉

      Mais je ne suis pas d’accord. J’ai l’impression au contraire que la logique libertaire imprègne de plus en plus les classes populaires, pas en tant que discours conscient mais sur le plan des pratiques. Ainsi, c’est dans les classes populaires qu’un couple a le moins intérêt à se séparer (car on risque fort de basculer dans la précarité et la pauvreté), et pourtant on a vu, chez eux comme ailleurs, une forte progression des divorces et des familles monoparentales.

    • Descartes dit :

      @ Antoine

      [C’était en fait mon point : ces gens-là sont peut-être libertaires en discours, et surtout lorsqu’il s’agit de dégrader les structures sociales qui régissent la vie du plus grand nombre, mais ils se gardent bien de mettre en danger, par leurs actes, la réussite à venir de leurs enfants. Ainsi quand ils cherchent pour leurs enfants la « meilleure » école, quitte à tricher avec la carte scolaire, ou payer une école privée, ou décider de payer plus cher un bien immobilier dans un meilleur quartier : s’ils étaient vraiment libertaires, ils ne devraient pas se soucier tant que ça d’armer leurs enfants au mieux…]

      Tout dépend du raisonnement qui vous conduit à chercher pour vos enfants la réussite. Vous pouvez le faire parce que vous estimez que c’est votre DEVOIR, ou parce que vous avez fait ce CHOIX. Dans le premier cas vous vous éloignez de la logique « libertaire », dans le deuxième, vous vous y rapprochez.

      Le rapport aux enfants est un rapport complexe. Nos enfants sont à la fois des êtres autonomes et des prolongements de nous. C’est notre façon de nous survivre après notre mort. Difficile donc de savoir si ce que nous faisons pour eux est un acte égoïste – en fait, nous le faisons pour ce qui chez eux nous prolonge – ou un acte altruiste.

      [Je voudrais quand même rappeller que l’idéologie libertaire contemporaine n’a pas inventé la transgression. Un autre « héros » rebelle est le personnage romantique, qui transgresse les conventions sociales non pour une jouissance immédiate, mais parce qu’il est dévoré par la passion.]

      Oui, mais cette transgression est sévèrement punie. Un héros qui à la fin de l’histoire se marie avec l’objet de sa passion, a beaucoup d’enfants et vit heureux jusqu’à la fin de ses jours ne mérite pas le nom de « romantique ». La passion romantique est, par essence, une passion impossible parce qu’elle donne pour acquis que les règles sociales sont légitimes et que leur franchissement implique une sanction. Chez le « héros » libertaire, la transgression n’amène pas le malheur, au contraire…

      [Je ne sais pas si Macron est plus l’un que l’autre, mais j’ai du mal à imaginer que se mettre (et rester) en couple avec une femme 20 ans plus âgée corresponde à une recherche du plaisir immédiat (mais tous les goûts sont dans la nature, n’est-ce pas).]

      Tout à fait. De plus, le fait d’être en couple n’a jamais empêché personne d’aller voir ailleurs… et puis, il y a des gens pour qui le sexe n’est pas l’alpha et l’oméga des plaisirs humains !

      [(je sais qu’il y a des gens qui fantasment des tendances dissolues chez Macron, mais je pense que ce genre d’histoires en dit plus long sur ceux qui les inventent que sur leur protagoniste imaginaire. C’est un peu le syndrome Jean-Pierre Mocky…)]

      Je ne sais pas. Je fais confiance au rasoir d’Occam. Mais je dois dire que l’affaire Benalla m’a mis la puce à l’oreille. Comment un obscur chargé de mission est arrivé à acquérir un tel pouvoir, à faire tellement peur à des gens aussi expérimentés et haut placés au point que ses désirs devenaient loi ? Est-ce que le fait d’avoir de temps en temps, au hasard d’un déplacement, la possibilité de parler à l’oreille du président explique un tel statut ? Pourquoi des personnages haut placés de la macronie ont eu si peur de l’audition de Benalla au Sénat, au point de menacer les sénateurs sur les médias sans compter le coup de fil du président de la République au président de l’honorable institution ? J’avoue que, sans avoir l’esprit mal tourné, cela suggère des rapports entre Benalla et Macron bien plus intimes que ce qu’on pouvait imaginer auparavant…

      [« Pas du tout d’accord. La logique « libertaire » des élites – en fait des « classes moyennes » – n’a qu’un effet très limité sur les autres classes. » J’avoue que votre emploi du terme « élites » me décontenance. Si maintenant vous mettez les classes moyennes dans les élites… ;-)]

      Nos « élites » sont constituées en grande majorité par des personnes issues des « classes moyennes ». Et les idées que les « élites » cultivent et propagent sont donc celles des « classes moyennes ». Ce qui ne veut pas dire que l’ensemble des « classes moyennes » soit inclus dans les « élites »…

      [Mais je ne suis pas d’accord. J’ai l’impression au contraire que la logique libertaire imprègne de plus en plus les classes populaires, pas en tant que discours conscient mais sur le plan des pratiques. Ainsi, c’est dans les classes populaires qu’un couple a le moins intérêt à se séparer (car on risque fort de basculer dans la précarité et la pauvreté), et pourtant on a vu, chez eux comme ailleurs, une forte progression des divorces et des familles monoparentales.]

      Si la monoparentalité est le critère, alors les classes populaires ont toujours été « libertaires ». Il faut se souvenir que pendant longtemps le mariage était d’abord une institution bourgeoise. Chez les plus modestes, le concubinage était très courant, tout comme les naissances hors mariage. Je n’ai pas de chiffres à ma disposition, mais je me demande si votre affirmation comme quoi la progression du divorce est plus forte chez les couches populaires que dans les « classes moyennes ». Je ne le pense pas : il fut un temps ou dans les couches favorisées, on ne divorçait tout simplement pas.

    • Antoine dit :

      @Descartes

      > Si la monoparentalité est le critère, alors les classes populaires ont toujours été « libertaires ». Il faut se souvenir que pendant longtemps le mariage était d’abord une institution bourgeoise. Chez les plus modestes, le concubinage était très courant, tout comme les naissances hors mariage.

      Par monoparentalité, je n’entendais pas le fait d’avoir ou d’élever des enfants hors mariage, mais de les élever seul(e). Dans cette acception, si on élève un enfant en concubinage, cela ne relève pas de la monoparentalité. Surtout, cela ne présente pas les mêmes conséquences économiques, ce qui était le fond de mon argument : élever un enfant seul représente un risque et un lourd fardeau pour un parent des classes populaires… beaucoup moins pour un parent des classes moyennes ou de la bourgeoisie.

    • Descartes dit :

      @ Antoine

      [Par monoparentalité, je n’entendais pas le fait d’avoir ou d’élever des enfants hors mariage, mais de les élever seul(e).]

      J’avais bien compris. Mais je persiste : dans les couches populaires, la « monoparentalité » était fréquente. Faire des enfants hors mariage n’amène pas nécessairement à la monoparentalité, mais rend le couple plus instable. Il est vrai qu’une femme abandonnée avec un enfant retournait généralement « dans sa famille », et que l’enfant était souvent élevé avec l’aide des grands parents, d’un oncle ou tante.

      [Surtout, cela ne présente pas les mêmes conséquences économiques, ce qui était le fond de mon argument : élever un enfant seul représente un risque et un lourd fardeau pour un parent des classes populaires… beaucoup moins pour un parent des classes moyennes ou de la bourgeoisie.]

      C’était vrai dans le temps – et c’est d’ailleurs ce qui explique que dans les classes populaires on vivait rarement seul. Se « mettre en ménage » était un besoin économique tant pour l’homme que pour la femme. Ce n’est plus le cas maintenant, l’économie domestique étant devenue résiduelle et des aides particulières étant prévues…

  8. Alain Brachet dit :

    L’échange de vues qui précède me semble négliger un aspect. Un maire est élu par une municipalité, un conseiller départemental par un département, un conseiller régional par une région. C’est logique. Mais un député en charge de l’intérêt national, n’est pas élu par la nation, mais par une obscure circonscription (généralement « sur mesure »), dont on ne voit pas en quoi elle « représente » nécessairement la nation. Naturellement ce système convient à de vieux routiers de la politique, qui en profitent d’ailleurs pour cumuler les mandats et/ou se garder une place au chaud, quand ils en briguent une autre (Collomb, Vals, etc…). Mais la nation dans tout ça !… Alors se pose le cas d’un leader d’un nouveau parti politique, qui, bien qu’ayant une audience nationale significative qui lui ouvrirait grandes les portes du Parlement, sur un scrutin à base nationale, doit prendre son bâton de pèlerin pour aller trouver ici ou là chaussure (circonscription) à son pied, s’il veut être élu (ce qui est la moindre des choses, en raison de son audience nationale). On ne peut pas reprocher à JLM, qu’on l’aime ou pas, de tenter de trouver une solution dans ce système électoral démocratiquement déficient. Il procède par « essais et erreurs », ce qui est scientifiquement acceptable. Par ailleurs il est effectivement un vieux routier de la politique ; c’est plutôt en la circonstance un handicap, qu’on ne se prive pas d’utiliser contre lui notamment en opposant ses options européennes d’antan à ses positions actuelles. S’il se veut leader d’une autre politique que celle qu’il défendait auparavant, et qui pèse sur son audience actuelle (on a le droit de changer d’opinion, surtout quand l’expérience historique concrète tend à en montrer la nécessité) y a-t-il d’autres solutions pour être au Parlement ?

    • Descartes dit :

      @ Alain Brachet

      [L’échange de vues qui précède me semble négliger un aspect. Un maire est élu par une municipalité, un conseiller départemental par un département, un conseiller régional par une région. C’est logique. Mais un député en charge de l’intérêt national, n’est pas élu par la nation, mais par une obscure circonscription (généralement « sur mesure »), dont on ne voit pas en quoi elle « représente » nécessairement la nation.]

      C’était mon point. Si l’Assemblée nationale représente la nation, chaque député ne peut prétendre représenter la nation à lui seul. Il ne représente que sa circonscription – et encore, seulement la majorité de ses électeurs. Je pense d’ailleurs qu’il faut faire attention à bien interpréter le mot « représentant ». Mon député me « représente » au même sens que mon avocat me « représente ». En d’autres termes, je les ai mandatés pour effectuer en mon nom certains actes. Je mandate l’avocat pour exposer ma défense en mon nom, j’ai mandaté le député pour amender et voter les lois en mon nom. Mais son pouvoir de « représentation », à l’un et à l’autre, s’arrête là.

      [Naturellement ce système convient à de vieux routiers de la politique, qui en profitent d’ailleurs pour cumuler les mandats et/ou se garder une place au chaud, quand ils en briguent une autre (Collomb, Vals, etc…).]

      Permettez-moi une petite question : à votre avis, Mélenchon est un « vieux routier de la politique » ou pas ?

      [Alors se pose le cas d’un leader d’un nouveau parti politique, qui, bien qu’ayant une audience nationale significative qui lui ouvrirait grandes les portes du Parlement, sur un scrutin à base nationale, doit prendre son bâton de pèlerin pour aller trouver ici ou là chaussure (circonscription) à son pied, s’il veut être élu (ce qui est la moindre des choses, en raison de son audience nationale).]

      On peut en discuter. Quelle est la fonction du Parlement ? Faire et voter les lois ? Ou permettre la libre expression dans l’hémicycle des dirigeants « ayant une audience nationale » ? Personnellement, je ne pense pas que le Parlement doive se transformer en média. Un leader qui a « une audience nationale » doit pouvoir s’exprimer dans des journaux, à la radio, à la télévision, et on ne peut pas dire que de ce point de vue Mélenchon soit brimé. Mais ce n’est pas pour autant qu’il devrait avoir de droit un siège au Parlement.

      On peut imaginer de désigner les parlementaires par un « scrutin national ». Seulement voilà, le fait est que ce type de scrutin donne aux partis le pouvoir de choisir les députés. On le voit bien avec les listes européennes : Manuel Bompard et Charlotte Girard, qui sont parfaitement inconnus de nos concitoyens et qui méritent amplement de le rester, seront députés européens parce que le doigt de Dieu a décidé qu’ils conduiraient la liste LFI. A tout prendre, je trouve que l’élection par circonscription permet un contrôle personnel des élus bien plus étroit que le système proportionnel.

      [On ne peut pas reprocher à JLM, qu’on l’aime ou pas, de tenter de trouver une solution dans ce système électoral démocratiquement déficient. Il procède par « essais et erreurs », ce qui est scientifiquement acceptable.]

      Je vois mal en quoi « ce système électoral démocratiquement déficient » obligeait Mélenchon à se présenter au Parlement européen pour abandonner son siège à mi-mandat. Je vous rappelle que ce que je reproche à Mélenchon dans cette affaire n’est pas qu’il ait changé de circonscription législative, mais qu’après s’être fait élire député européen dans une circonscription, il ait quitté son mandat à mi-parcours pour aller se présenter ailleurs sans la moindre explication envers les électeurs qui l’ont investi ; et accessoirement que pour ce faire il ait piétiné la procédure de désignation des candidats qu’il avait lui-même mis en place dans son mouvement, et pris la place du candidat qui avait été déjà désigné dans cette circonscription. A côté de ça, son nomadisme électoral permanent n’est que péché véniel.

      [Par ailleurs il est effectivement un vieux routier de la politique ; c’est plutôt en la circonstance un handicap, qu’on ne se prive pas d’utiliser contre lui notamment en opposant ses options européennes d’antan à ses positions actuelles.]

      Si c’est le cas, « on » a tort : le problème n’est justement pas que ses options antérieures soient opposables à ses options actuelles. C’est au contraire la continuité entre ses options antérieures et ses options actuelles, au-delà de l’habillage. En 1992 Mélenchon expliquait qu’il était pour une Europe supranationale, sociale et démocratique. En 2018, il est toujours pour une Europe supranationale, sociale et démocratique. Où est le changement ?

      [S’il se veut leader d’une autre politique que celle qu’il défendait auparavant, et qui pèse sur son audience actuelle (on a le droit de changer d’opinion, surtout quand l’expérience historique concrète tend à en montrer la nécessité)]

      Ah bon ? Mélenchon a changé d’opinion ? Dites… pouvez-vous m’indiquer dans quel texte il explique avoir changé d’opinion, et surtout les raisons de ce changement ? Oui, on a le droit de changer d’opinion, comme on a le droit de changer de circonscription. Ce qui est moins acceptable, c’est de changer d’opinion tout en faisant semblant de ne s’être jamais trompé, d’avoir toujours été dans le vrai. Mélenchon nous explique que sur Maastricht « Chevènement avait raison », mais que Mitterrand n’avait jamais tort. Désolé, mais ces deux affirmations sont contradictoires.

      Le problème avec Mélenchon, c’est qu’il n’a pas changé. En bon mitterrandolâtre, il est toujours sur la même ligne, celle qui veut que la conquête du pouvoir vaut tous les reniements, mais qu’il ne faut jamais paraître se renier. Et surtout, qu’on gagne toujours à parier sur l’amnésie de la gauche bienpensante. Mitterrand, l’ancien de Vichy, l’ancien maccarthyste, l’ancien ministre de l’intérieur puis de la justice qui proclamait « l’Algérie c’est la France » et qui fricota avec l’OAS devint ainsi dans les années 1970 anticapitaliste et incarna la gauche. Et il a réussi ce tour de force non pas en avouant des errements, mais en faisant comme s’ils n’avaient pas existé… du moins tant qu’il n’était pas arrivé au pouvoir. Mélenchon veut nous faire le même coup : Maastricht ? Connais pas.

      [y a-t-il d’autres solutions pour être au Parlement ?]

      Oui, faire comme tant d’autres : labourer avec patience le terrain, s’implanter, parcourir la circonscription, parler avec les gens, s’occuper d’eux, et finalement être élu. Regardez Marine Le Pen, qui au lieu de se présenter dans le Sud où elle avait plus de chances, a choisi une circonscription difficile puis a labouré pendant des années. Combien de fois a-t-elle échoué avant de réussir ?

  9. Antoine dit :

    @Descartes

    Pas grand’chose à voir avec Manuel Valls, mais je signale cette interview de Peggy Sastre qui revient avec justesse sur la propagande « Me Too » ou « Balance ton Porc ».

    https://www.lepoint.fr/societe/peggy-sastre-metoo-a-ete-accapare-par-un-feminisme-aux-allures-de-religion-03-10-2018-2259756_23.php

    Notamment ce passage qui me rappelle certaines de vos interventions (à propos des « féminismes » contemporains) :

    « Après, j’ai quand même des yeux et des oreilles et je crois que cette dégénérescence tribaliste touche beaucoup de mouvements qui sont atteints du syndrome de saint George à la retraite, pour reprendre la formule de Kenneth Minogue. On ne s’aperçoit pas que tous les dragons sont morts (ou partis autre part) et on continue à donner des coups d’épée dans le vent, car on ne sait pas faire autre chose. Ce qui est un facteur fâcheux de radicalité. »

    La « dégénerescence tribaliste » des féminismes radicalisés et de certains domaines connexes vient d’être mise à jour dans le champ académique par une expérience élaborée par trois chercheurs américains :
    https://www.marianne.net/societe/de-la-culture-du-viol-chez-les-chiens-l-incroyable-canular-qui-met-nu-la-folie-identitaire

    • Descartes dit :

      @ Antoine

      [Pas grand’chose à voir avec Manuel Valls, mais je signale cette interview de Peggy Sastre qui revient avec justesse sur la propagande « Me Too » ou « Balance ton Porc ».]

      Très beau entretien. Pour l’homme de gauche que j’ai été, il est désolant de constater qu’il faut aller chercher ce langage dans un journal de droite comme “Le Point”, pendant qu’à gauche on continue à dresser des bûchers…

      Je trouve l’idée d’un “syndrome de Saint George à la retraite” particulièrement amusante.

      [La « dégénerescence tribaliste » des féminismes radicalisés et de certains domaines connexes vient d’être mise à jour dans le champ académique par une expérience élaborée par trois chercheurs américains : (…)]

      La aussi, le canular est magnifique, même si ce n’est qu’une réédition de celui de Sokal. Et il montre que rien n’a changé depuis: le postmodernisme est une idéologie militante qui sacrifie la vérité à la cause.

    • Bannette dit :

      @Antoine : ce gag des 3 chercheurs américains est juste énormissime. Il n’y a rien de plus efficace que l’humour pour dévoiler ce genre d’énormités. Et vous aurez remarqué qu’une des auteures(trices ?) du gag est on va dire un peu forte, ce qui la rend encore plus savoureuse, plutôt que de jouer les pseudo progressistes à la Lena Dunham.

      J’ai déjà lu des papiers de Peggy Sastre, et elle fait partie de ces jeunes féministes rafraîchissantes, qui rappellent que les combats féministes ont été gagnés (du moins en occident), et qu’il n’y a plus de domination masculine à partir du moment du moment où les hommes ont perdu le contrôle de la fécondité.

      @Descartes : j’ai déjà des papiers dans un ton “Marx ne disait pas des conneries” notamment sur la façon dont le capitalisme qui est un système de production neutre à la base, détruit petit à petit toutes les structures qui lui avaient parmi de se développer harmonieusement, dans la revue… Eléments, qui donne d’ailleurs assez souvent la parole à des Sapir, Michéa, Guilluy, ou sur l’oeuvre de Christopher Lasch. L’Huma est très occupé par la cause palestinienne ou l’Europe pendant ce temps là…

Répondre à Antoine Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *