« Quand les dieux veulent nous punir, ils réalisent nos rêves » (Goethe)
C’est cela qui est fascinant avec le macronisme : quand on pense qu’il ne peut plus tomber plus bas, il nous surprend en descendant encore d’un cran dans l’échelle. On est arrivé au niveau du vaudeville : vendredi matin, le président appelle François Bayrou pour lui dire qu’il ne sera pas premier ministre. Colère de l’intéressé, qui est reçu à l’Elysée où le président, pour le calmer, lui propose d’être le numéro deux du gouvernement dirigé par Roland Lescure. Explosion du béarnais, qui fait un scandale et menace de quitter le « bloc central » si on ne lui donne pas satisfaction. Deux heures plus tard, Jupiter nous informe par communiqué qu’il a décidé de réaliser le rêve que François Bayrou caresse depuis des décennies. Celui de rentrer à Matignon.
Devant ce spectacle qui tient plutôt de Feydeau que de Corneille, on peut se demander ce qui reste du président « jupitérien » qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux. Jupiter est tombé si bas s’il doit se soumettre au chantage d’un « minable » – le mot est de Daniel Cohn-Bendit – qui au bout de quarante ans de vie politique ne laisse derrière lui la moindre réalisation, la moindre idée, qui n’a jamais exposé le moindre projet, la moindre vision. Un démagogue qui préfère, dans ses tracts électoraux, se présenter comme éleveur de chevaux – ce qu’il n’est pas – plutôt que comme agrégé de lettres classiques – ce qu’il est. Il paraît que cela fait moins “parisien”. Un homme qui, lorsqu’il fut ministre, était connu pour « gouverner avec le sondoscope en bandoulière », selon le mot de Roger Fauroux, qui l’a bien connu à cette époque. Et surtout, une girouette opportuniste qui, s’étant plusieurs fois trouvé au bord du Rubicon, s’est contenté d’y pratiquer la pêche à la truite : ce fut le cas en 1995, lorsqu’il hésita à soutenir Jacques Delors à l’élection présidentielle pour finalement refuser – ce qui fut l’une des causes du retrait de ce dernier, ce fut le cas encore en 2007, où il négociera en coulisse avec Ségolène Royal sans oser finalement s’engager, et encore en 2012, quand il déclara voter « personnellement » pour François Hollande, mais sans donner consigne de vote. Bayrou, c’est l’éternel donneur de leçons qui fait penser à la formule de Cocteau : « les critiques, c’est comme les eunuques : ils savent, ils ne peuvent pas ». Et c’est cet homme-là censé déterminer et conduire la politique de la nation aujourd’hui. On est mal partis…
Mais commençons par le commencement : en juillet 2024, après le camouflet des européennes, les électeurs expriment sans ambigüité leur volonté d’une rupture avec les orientations et le mode de gestion des affaires publiques qu’Emmanuel Macron a instauré depuis 2017. Les partis qui rejettent l’essentiel du macronisme réunissent deux tiers des voix, et sans la constitution d’un « front républicain », le parti présidentiel aurait été laminé. En 1945, alors qu’il avait perdu les élections générales, Churchill se vit offrir par son souverain le plus haut des honneurs, l’Ordre de la Jarretière. Il la refusa en répondant « comment pourrais-je accepter l’Ordre de la Jarretière des mains de mon souverain, alors que je viens de recevoir l’ordre du coup de pied au cul par le peuple britannique ? ». Après avoir reçu leur « ordre du coup de pied au le cul » par le peuple français, la décence aurait commandé au camp présidentiel d’accepter leur défaite, et avec elle le fait que les choses ne pouvaient pas continuer comme avant, qu’une rupture était nécessaire.
La décence ? Elle est depuis longtemps partie avec tout le reste. Les macronistes ont cherché à garder par les combines parlementaires ce que les Français leur ont refusé dans les urnes. Ayant voté pour un changement, les Français se sont retrouvés avec une présidente de l’Assemblée nationale reconduite sans le moindre complexe, un gouvernement soutenu par un « bloc central » utilisant toutes les ressources de la procédure pour maintenir en l’état les « réformes » macroniennes, et où les portefeuilles économiques étaient détenus par des fidèles du président qui entendaient continuer les mêmes politiques.
Le 4 décembre, ce gouvernement a fini par être censuré. Le vote de censure a été justifié par des discours plus ou moins cohérents, mais derrière ces discours il y a une réalité : la censure traduit l’exaspération croissante de l’opinion populaire – à laquelle les députés, notamment à l’extrême droite, sont particulièrement sensibles – devant un système qui prétend, quitte à détourner les procédures, se perpétuer malgré le rejet dont il fait l’objet. C’est cette continuité, cette incapacité de Barnier à infléchir le cours des évènements, à montrer aux Français que leur vote était respecté et leur volonté de changement mise en oeuvre, qui a scellé son sort.
On pouvait imaginer qu’après l’échec de Michel Barnier, le président accepterait finalement la réalité. Ce qui aurait supposé de confier la conduite du gouvernement à une personnalité capable, sans se renier, d’incarner une forme de rupture, ou tout au moins de changement. Eh bien, encore raté. Le choix s’est finalement porté sur un homme qui non seulement est un soutien de la première heure du président, mais qui pendant sept ans n’a jamais manqué de soutenir sa politique. Certes, il a de temps en temps exprimé des critiques… surtout dans les périodes où il s’estimait maltraité dans la répartition des postes et des prébendes. Des critiques vites tues lorsque ceux-ci lui étaient accordés. Aviez-vous noté son silence depuis qu’il avait été nommé pompeusement commissaire général d’un plan inexistant ? Si, comme disait un autre Béarnais, Paris vaut bien une messe, une sinécure au commissariat au Plan vaut bien quelques silences.
Imagine-t-on Bayrou revenir sur la réforme des retraites ? Sur la politique de l’offre ? Sur les cadeaux fiscaux aux plus riches ? Allons, soyons sérieux. Bayrou, c’est Macron en plus vieux. On pourrait même dire que c’était le Macron d’avant Macron : avant que Macron ne s’en saisisse, Bayrou avait déjà inventé le « en même temps » et le petit drapeau bleu aux étoiles brandi dans les meetings. Avant Macron, il avait théorisé – à la suite de Giscard, qui l’avait inventée – cette union des gens « raisonnables » pour mener des politiques « raisonnables », tout en étant trop paresseux et pas assez courageux pour la réaliser. Bayrou, ce sera la ligne de la moindre résistance, la continuité de la politique du chien crevé au fil de l’eau. Ce sera le retour du bon père Queuille, vous savez, celui qui prétendait « qu’il n’est pas de problème dont une absence de solution n’en finisse par venir à bout ». Ou encore, plus révélateur, « la politique, ce n’est pas résoudre les problèmes, c’est faire taire ceux qui les posent ».
On a déjà eu un premier aperçu des tropismes de notre nouveau premier ministre. Entre la cellule de crise qui gère la situation à Mayotte, les consultations pour former un nouveau gouvernement et la réunion du conseil municipal de Pau, laquelle prend la préséance ? Et bien, la priorité est d’occuper le fauteuil de maire. Et cela nous dit deux choses : la première, que notre nouvel Henri IV ne se projette pas dans la durée. Matignon, ça durera peut-être quelques semaines, alors qu’une mairie, c’est potentiellement pour la vie, et ça se décide dans seize mois. Pas question donc de prendre le risque d’une absence qui pourrait laisser à un concurrent la possibilité de se montrer. Ce qui nous amène à la seconde constatation : que Bayrou n’a qu’une confiance fort limitée dans son équipe paloise, au point qu’il voit le danger de laisser son premier adjoint occuper, fût-ce temporairement, le fauteuil, au risque qu’il s’y installe trop confortablement. Alors, Mayotte peut attendre que le maire de Pau ait fini avec son conseil, tout comme les rendez-vous à Matignon pour préparer son gouvernement.
On a beaucoup raillé – à tort et à raison – le soi-disant parisianisme de nos élites. Et par certains côtés, les reproches qu’on adresse à ce parisianisme sont justifiés. Mais à tout prendre, je préfère le parisianisme des élites au provincialisme des « barons » claniques. Parce que le parisianisme, quels que soient ses immenses défauts, porte un message méritocratique et universaliste qui transcende l’esprit de clocher des imbéciles heureux qui sont nés quelque part. Paris s’est fait de provinciaux qui sont « montés » à la capitale, souvent pour échapper aux déterminations de fortune et de naissance, qui sont restées bien plus vivaces dans les provinces. Ce n’est pas faire injure aux provinciaux que de noter que les structures politiques et sociales locales sont nettement plus claniques, que l’héritage et la naissance restent bien plus déterminantes que dans les structures nationales. Il n’est pas difficile de trouver des villes où l’on est maire de père en fils sur plusieurs générations (et je ne parle même pas de ceux qui laissent la place à leur femme…). Que l’’on soit attaché à son terroir, cela n’a rien de condamnable. Mais on attend d’un responsable politique du niveau national qu’il puisse dépasser son terroir pour s’élever au niveau de la nation. Quand Cyrielle Chatelain remarque que « François Bayrou, (…) a en revanche beaucoup parlé de sa ville de Pau aux leaders écologistes. Alors que ces derniers lui disaient leur préoccupation quant au budget consacré à la transition écologique en 2025, le maire de Pau a voulu les rassurer en leur rappelant qu’il a « mis en service des bus à hydrogène » dans sa ville dès 2019. » pour conclure que notre premier ministre « n’a pas une vision très claire de là où il va », elle dépeint assez bien la situation. Et quand notre premier ministre ouvre le débat sur le cumul des mandats comme si c’était là le problème prioritaire à traiter aujourd’hui – alors que ce n’est que SON problème, on voit bien qu’il n’est pas à la hauteur.
Mais du point de vue de l’establishment, Bayrou est l’homme de la situation. Parce que n’ayant ni projet, ni principes, il pourra tout accepter, y compris les attelages les plus absurdes, les mariages les plus biscornus. Et que pour conserver le pouvoir, il est prêt à tout. Il conduira un gouvernement qui ne fera rien, mais qui laissera faire. Avec cette technique, il pourra peut-être éviter de s’attirer les foudres d’une majorité des députés à l’Assemblée, qui n’ont pas non plus trop envie de retourner vite devant les électeurs. Parti sur cette logique, la plus grande menace pour le nouveau gouvernement ne sera pas l’Assemblée, mais la réalité. Ceux qui s’imaginent que Bayrou pourra faire une politique budgétaire rationnelle se trompent : pour échapper à la censure, il faudra contenter tout le monde, et donc distribuer de l’argent quitte à laisser filer le déficit. C’est exactement ce qu’a fait le couple Macron – Le Maire depuis sept ans. Mais tôt ou tard, on va se faire rattraper par les marchés financiers et les institutions européennes qui sonneront la fin de la récréation. Sans compter des pans entiers de l’économie et des services publics qui continuent à se dégrader, faute de choix consistants.
Pour prendre les mesures économiques, sociales et budgétaires indispensables, il faudrait un énorme courage. Non pas le courage que demande habituellement le « cercle de la raison », qui consisterait à ignorer les oppositions pour imposer au pays une cure d’austérité foncièrement injuste, sacrifiant les couches populaires pour préserver les intérêts du bloc dominant. Ce « courage », qui mérite plutôt le nom d’aveuglement, c’est ce qui nous a conduits à la situation où nous sommes. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est le courage d’exposer aux citoyens la véritable situation au pays, d’exiger les sacrifices nécessaires au rétablissement de la situation au nom d’une vision d’avenir à la fois réaliste et désirable, et de partager cet effort à proportion des moyens de chacun. Ces sacrifices peuvent être financiers – plus de prélèvements, moins d’allocations ou de subventions – mais qui peuvent aussi être d’autre nature – sélection méritocratique dans l’enseignement, priorité donnée aux intérêts du producteur sur ceux du consommateur.
La solution ? Elle ne viendra pas d’une réforme des institutions ou de la loi électorale, parce que le problème vient non pas de la fragmentation de la représentation, mais de la fragmentation des représentés eux-mêmes. Il faut le courage de faire appel au peuple, au lieu de se perdre dans les dosages des couloirs de l’Assemblée. Ce courage ne peut entrainer le peuple que s’il s’appuie sur une vision, une « certaine idée de la France » qui mérite de jouer son va-tout, de bruler ses vaisseaux. Parce que seul un engagement total peut susciter le respect et entraîner derrière lui une majorité de Français. Et un homme qui, quelques heures après avoir été nommé premier ministre, se retourne pour s’assurer de pouvoir conserver sa mairie est immédiatement tourné en statue de sel, ou pour être moins métaphorique, en guignol. Ce n’est pas à 73 ans qu’on commence une carrière de visionnaire. Bayrou, c’est au mieux un Rastignac sans envergure, au pire un syndic de faillite. D’une faillite que lui et ses amis ont contribuée à provoquer. Et le pire, c’est que ni lui, ni ses amis ne voient aucune raison d’en changer la trajectoire : leur but, c’est de continuer comme avant, et tant pis si le peuple demande le contraire.
C’est pour cela que Bayrou a tant de mal à former son gouvernement. Parce que tous les partis ont compris qu’être associés à cette continuité, c’est exaspérer les citoyens et donc de prendre des risques dans les urnes, d’autant plus que les élections législatives ou présidentielles pourraient arriver relativement vite. Personne ne peut accepter de monter sur le bateau sans bien marquer ses lignes rouges, sans obtenir des garanties. Ceux que Macron a snobés quand il était tout-puissant n’ont aucune envie d’assumer la continuité de son héritage maintenant qu’il est à terre. Et ils ont bien raison. Or, c’est précisément ce que Bayrou leur demande.
Il n’y a pas de sortie de crise aujourd’hui sans rupture avec le macronisme. La question est de savoir quand – et comment – nos élites politico-médiatiques accepteront cette réalité, de savoir si nos élites auront l’intelligence du Guépard : « il faut tout changer pour que rien ne change ». Si elles ne l’acceptent pas, elles risquent de subir le sort des aristocrates de l’ancien régime…
Descartes
Bonsoir
Tant qu’il y aura le frond anti RN ou le bloc anti LFI ça risque de durer encore un bout de temps , les communistes ne representent plus rien , le PR et LR sont morribonts , tout ça sous le regard de l’UE avec qui personne ne veut rompre
ça promet
@ BERNARD
[Tant qu’il y aura le front anti RN ou le bloc anti LFI ça risque de durer encore un bout de temps,]
Je ne le formulerai pas comme ça. Je dirais qu’aussi longtemps qu’il n’y aura personne pour s’adresser au peuple directement, par-dessus les partis, on restera dans cette situation. La situation dans laquelle on est n’est pas nouvelle : plusieurs fois dans notre histoire – je pense à 1939 et à 1958 – il y a eu une coupure entre le peuple et une classe politique censée le représenter mais qui avait perdu le sens des priorités à force de vivre isolée dans son marigot. Dans les deux cas, la chose s’est réglée par l’appel au peuple.
comment faire appel au peuple: par une allocution télévisée ou par référendum ? Ou autrement ?
Je suis en accord avec vous, ce que vous aviez d’ailleurs proposé au moment de Barnier. Mais je ne crois pas qu’il lise votre blog, quoiique…
@ Paul
[comment faire appel au peuple: par une allocution télévisée ou par référendum ? Ou autrement ?]
Il y a plusieurs instruments, et il faut à mon avis adapter l’instrument à l’objectif. S’il s’agit de mettre les élus parlementaires devant leurs responsabilités, une allocution télévisée me semble être le meilleur moyen. Bien entendu, il faut un exercice de haute voltige: il faut que ce soit à la fois solennel et grave, mais pas pleurnichard. Il faut proposer un projet, une vision, mais sans tomber dans la liste de mesures ou le programme électoral. Il faut expliquer ce qu’on fera, et comment on le fera pour que la charge soit justement repartie. Et il faut être crédible… devant un public qui a entendu depuis des années les politiciens mentir systématiquement et sans vergogne. Ce n’est pas un exercice à la portée de tout le monde.
Après, on peut utiliser intelligemment le référendum, et notamment ce qu’on peut appeler le “référendum plebiscitaire” (c’est à dire, cacher derrière le vote sur une mesure précise un vote de confiance). Le meilleur exemple est le référendum constitutionnel de 1958. A votre avis, combien d’électeurs avaient lu le texte qui leur était soumis et compris les nuances du rapport entre le premier ministre et le président, les joies du “parlementarisme rationnalisé” ?
[Je suis en accord avec vous, ce que vous aviez d’ailleurs proposé au moment de Barnier. Mais je ne crois pas qu’il lise votre blog, quoique…]
Peut-être maintenant, qu’il a pas mal de temps libre… Mais oui, je propose cela parce que je ne vois pas le petit monde politique débloquer la situation. Les partis ne sont plus que des écuries électorales, et chacun est donc obnubilé par les élections à venir. Leur raison d’être, c’est d’avoir des fauteuils. Comment voulez-vous qu’il y ait une vision, un projet dans ces conditions ?
@ Descartes
[Et il faut être crédible… devant un public qui a entendu depuis des années les politiciens mentir systématiquement et sans vergogne. Ce n’est pas un exercice à la portée de tout le monde.]
Je n’identifie personne qui soit capable de réunir les qualités pour un tel discours. Le seul qui s’en approcherait serait peut-être de Villepin, et encore, j’ai des doutes.
@ Bob
[Je n’identifie personne qui soit capable de réunir les qualités pour un tel discours. Le seul qui s’en approcherait serait peut-être de Villepin, et encore, j’ai des doutes.]
Il ne faut pas chercher chez les premiers couteaux: s’ils étaient capables, ils l’auraient déjà fait. Les hommes capables de ce genre d’exploit sont révélés par les crises parmi les seconds couteaux. Un Bardella serait-il capable de le faire ? Peut-être. Un Ruffin ? C’est possible. Qui aurait pensé à lui avant que De Gaulle devienne De Gaulle ?
Terrible constat, même si on le lit/déguste avec une certaine “gourmandise” peut-être malsaine (notre gourmandise, pas votre analyse), car l’heure est grave (on rit, je l’avoue, mais très très jaune !).
Tout est dit, à propos de Bayrou. Mais pourtant, le rôle de Macron dans ce sinistre vaudeville reste flou. Vous expliquez très bien la situation, mais je me dis qu’il a dans sa besace, un truc, ce qu’il pense être un atout final, qu’il va sortir violemment. Je n’oublie pas que juste avant la confrontation surréaliste qui l’a opposé à Bayrou, il revenait de Pologne, et personne ne nous a clairement expliqué ce qu’il faisait à Varsovie alors que la France l’attendait à Paris…
PS : Rastignac était un homme d’une très haute tenue morale. Il était le seul accompagnateur du Père Goriot déchu et abandonné par tous, dans son ultime voyage vers sa dernière demeure. Rastignac était ambitieux, mais il n’a jamais, tout le long de la Comédie Humaine, causé le moindre tort à quiconque, ni sacrifié ou trahi qui que ce soit pour assouvir son ambition (il est l’antithèse de Rubempré). Il est de ces Provinciaux que vous avez décrits, qui sont devenus Parisiens, en s’extirpant de la gangue provinciale pour mieux tendre vers l’universel. Un gars bien, Rastignac ; mais dont une malédiction a transformé le nom en synonyme d’ambitieux, arriviste et torve sur les bords. En fait, c’est le nom de Bayrou qu’il faudrait dorénavant utiliser, pour désigner les “rastignacs” ! 😀
@ Sami
[Terrible constat, même si on le lit/déguste avec une certaine “gourmandise” peut-être malsaine (notre gourmandise, pas votre analyse), car l’heure est grave (on rit, je l’avoue, mais très très jaune !).]
On se console comme on peut. Si on n’essaye pas d’en rire un peu, on se flingue. Parce que, comme vous le dites, l’heure est grave. En fait, elle est grave depuis longtemps – parce que la dégradation de notre économie, de notre école, de nos institutions ne date pas d’aujourd’hui, mais aujourd’hui on ne peut plus mettre la tête sous le sable. Ca craque de partout…
[Tout est dit, à propos de Bayrou. Mais pourtant, le rôle de Macron dans ce sinistre vaudeville reste flou. Vous expliquez très bien la situation, mais je me dis qu’il a dans sa besace, un truc, ce qu’il pense être un atout final, qu’il va sortir violemment. Je n’oublie pas que juste avant la confrontation surréaliste qui l’a opposé à Bayrou, il revenait de Pologne, et personne ne nous a clairement expliqué ce qu’il faisait à Varsovie alors que la France l’attendait à Paris…]
Vous pensez au voyage à Baden de mongénéral ? Vous serez, je pense, déçu. Je ne pense pas un instant qu’il ait quelque « atout caché », et encore moins qu’il soit allé à Varsovie le chercher. Je pense qu’il est maintenant tricard en France, et qu’il essaye donc d’exister sur la scène internationale. C’est pourquoi il se promène partout : Argentine, Brésil, Pologne… sans compter son « coup » d’inviter Trump pour l’inauguration de Notre Dame. En fait, il ne lui reste dans la manche que très peu de cartes : à part refuser de nommer la nomination des ministres et autres hautes fonctions civiles et militaires de l’Etat, il ne lui reste que la démission…
[PS : Rastignac était un homme d’une très haute tenue morale. Il était le seul accompagnateur du Père Goriot déchu et abandonné par tous, dans son ultime voyage vers sa dernière demeure. Rastignac était ambitieux, mais il n’a jamais, tout le long de la Comédie Humaine, causé le moindre tort à quiconque, ni sacrifié ou trahi qui que ce soit pour assouvir son ambition (il est l’antithèse de Rubempré). Il est de ces Provinciaux que vous avez décrits, qui sont devenus Parisiens, en s’extirpant de la gangue provinciale pour mieux tendre vers l’universel. Un gars bien, Rastignac ; mais dont une malédiction a transformé le nom en synonyme d’ambitieux, arriviste et torve sur les bords. En fait, c’est le nom de Bayrou qu’il faudrait dorénavant utiliser, pour désigner les “rastignacs” ! 😀]
Vous avez un peu raison… même si le personnage de Balzac est moins moral que vous ne le dites (je pense notamment à ses exploits dans « les illusions perdues »).
@ Descartes
Une première remarque rapide, qui sera une citation de Bayrou lui-même, tant elle résume la force des convictions de ce dernier :
“”Au lieu d’avoir des fauteuils rouges lorsqu’il y a des discussions, on aura des rangs de députés, puisqu’on va leur interdire le cumul des mandats, qui est une exception ridicule dans la démocratie française.”François Bayrou, candidat à l’élection présidentielle de 2012
Cela se passe de commentaires.
@ Bob
[Une première remarque rapide, qui sera une citation de Bayrou lui-même, tant elle résume la force des convictions de ce dernier : « Au lieu d’avoir des fauteuils rouges lorsqu’il y a des discussions, on aura des rangs de députés, puisqu’on va leur interdire le cumul des mandats, qui est une exception ridicule dans la démocratie française. » François Bayrou, candidat à l’élection présidentielle de 2012]
Comme disait Edgar Faure – qui était un expert en la matière – ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent.
Si Bayrou a contribué au retrait de Delors en 1995 – ce dont je me réjouis ne souhaitant nullement l’élection dudit Delors le créateur de l’Europe néolibérale par son double mandat de Commissaire européen- à l’échec de Ségolène Royal en 2007 qui a eu de bonnes intuitions mais son caractère instable et autoritaire y a contribué face à un Sarkozy avec un projet plus clair et net, il a contribué en 2017 au succès de Macron par son ralliement. Sept ans après il en est la roue de secours -bancale, défectueuse- du macronisme. Ce dernier est l’expression du consensus inavoué de la droite et de la gauche, UE oblige.
Les partis de gauche par le NFP sous la férule de JLM ont préféré sauver la mise de Macron et des siens qui eussent été laminés. Ils n’ont pas voulu prendre le risque du RN au pouvoir alors que sous surveillance du président sa tâche aurait été compliquée, se serait discrédité pour 2027 par son exercice du pouvoir. Maintenant la gauche est coincée parce que rien ne peut obliger le président même désavoué deux fois à démissionner. Nous sommes condamnés à subir les effets de la présence de Macron à la Primature.
Comme vous le dites c’est le fond qui compte vraiment et là il n’y a personne pour une autre politique que celle du cercle de la raison. Le programme du NFP se heurterait rapidement aux conséquences obligatoires des engagements européens de la France. Là il n’y a aussi personne pour envisager autre chose, programme sérieux pour sortir des politiques économiques et sociales imposées par l’UE depuis au moins 30 ans. Pourtant des économistes hétérodoxes tels Jacques Sapir, David Cayla, et Frédéric Farah indiquent chacun à leur façon un programme économique de rupture avec l’UE ce qui fait peur aux électeurs quand il est fermement exprimé comme les cabris du “Frexit, Frexit, Frexit”. Ces économistes n’ont guère de relais politique conséquents.
@ Cording1
[Les partis de gauche par le NFP sous la férule de JLM ont préféré sauver la mise de Macron et des siens qui eussent été laminés. Ils n’ont pas voulu prendre le risque du RN au pouvoir alors que sous surveillance du président sa tâche aurait été compliquée, se serait discrédité pour 2027 par son exercice du pouvoir. Maintenant la gauche est coincée parce que rien ne peut obliger le président même désavoué deux fois à démissionner. Nous sommes condamnés à subir les effets de la présence de Macron à la Primature.]
Il ne faut tout de même pas trop exagérer « les effets de la présence de Macron à la primature ». Si la gauche était capable de regrouper autour d’elle une majorité, Macron n’aurait pas le choix. Le peu de pouvoir que Macron conserve tient à l’incapacité de ceux qui veulent une rupture avec le macronisme à s’entendre sur une plate-forme minimale pour gérer le pays. Peut-être parce que, au fond d’eux-mêmes, ils n’ont pas tant envie que ça de rompre avec le macronisme…
[Comme vous le dites c’est le fond qui compte vraiment et là il n’y a personne pour une autre politique que celle du cercle de la raison. Le programme du NFP se heurterait rapidement aux conséquences obligatoires des engagements européens de la France. Là il n’y a aussi personne pour envisager autre chose, programme sérieux pour sortir des politiques économiques et sociales imposées par l’UE depuis au moins 30 ans.]
C’est bien le problème. La réflexion de la gauche est organisée en « mesures », souvent calibrées pour faire plaisir à telle ou telle section de l’opinion, mais sans une réflexion globale sur la manière dont ces mesures s’inscrivent dans le fonctionnement de la société. Il ne s’agit pas d’une simple question d’équilibre financier, mais des effets qu’une mesure peut avoir sur le fonctionnement global de la société, et notamment sur le point fondamental qui est celui de la production.
[Pourtant des économistes hétérodoxes tels Jacques Sapir, David Cayla, et Frédéric Farah indiquent chacun à leur façon un programme économique de rupture avec l’UE ce qui fait peur aux électeurs quand il est fermement exprimé comme les cabris du “Frexit, Frexit, Frexit”. Ces économistes n’ont guère de relais politique conséquents.]
Ce n’est pas mieux à droite, où les Cotta et les Guaino prêchent eux aussi dans le désert.
[Et cela nous dit deux choses : la première, que notre nouvel Henri IV ne se projette pas dans la durée. Matignon, ça durera peut-être quelques semaines, alors qu’une mairie, c’est potentiellement pour la vie, et ça se décide dans seize mois.]
Je n’ai pas saisi le rapport avec Henri IV vous pouvez expliquer ?
[On a beaucoup raillé – à tort et à raison – le soi-disant parisianisme de nos élites. Et par certains côtés, les reproches qu’on adresse à ce parisianisme sont justifiés. Mais à tout prendre, je préfère le parisianisme des élites au provincialisme des « barons » claniques.]
Même si il y a M. Attal chez les parisiens. Vous maintenez vos propos par exemple comme reproches on peut émettre leurs arrogances ?
@ Glarrious
[« Et cela nous dit deux choses : la première, que notre nouvel Henri IV ne se projette pas dans la durée. Matignon, ça durera peut-être quelques semaines, alors qu’une mairie, c’est potentiellement pour la vie, et ça se décide dans seize mois. » Je n’ai pas saisi le rapport avec Henri IV vous pouvez expliquer ?]
Bayrou, cela ne vous aura pas échappé, est Béarnais. Difficile de l’ignorer, puisqu’il porte son identité régionale en bandoulière. Dans ses interventions récentes, Bayrou a plusieurs fois invoqué les mânes d’un autre Béarnais, un certain Henri IV, le monarque pacificateur après les affrontements des guerres de religion. Bayrou s’imagine signant un nouvel « édit de Nantes » qui pacifierait notre monde politique.
[Même si il y a M. Attal chez les parisiens. Vous maintenez vos propos par exemple comme reproches on peut émettre leurs arrogances ?]
Aussi détestable que soit Gabriel Attal, je peux vous trouver sans difficulté des exemples d’arrogance dans nos provinces qui n’ont rien à envier à la sienne. Pour n’en donner qu’un, la modestie de Bayrou ne saute pas aux yeux. Si vous passez par Rennes, visitez le « musée de Bretagne ». Vous y apprendrez que tout ce qui vaut dans ce bas monde a été inventé par les Bretons. Remarquez, si vous allez en Corse vous saurez que tout ce qui vaut dans ce bas monde a été inventé par les Corses… alors, « l’arrogance des parisiens », ça va un moment. Ce qui énerve souvent les provinciaux, ce n’est pas tant que les parisiens soient “arrogant”, mais qu’ils aient de quoi l’être. Souvenez-vous de la délicieuse réplique dans “Marius et Jeanette”: (je cite de mémoire le sens de la phrase) “On y arrive bien à Paris, pourquoi nous n’y arrivons pas” ?
[Bayrou s’imagine signant un nouvel « édit de Nantes » qui pacifierait notre monde politique.]
Ah d’accord, je pensais plus à sa fin – son assassinat- par les temps qui cours par exemple les tentatives contre Trump, le président tchèque, ou de l’Equateur avec Evo Morales ou celui de l’ancien PM japonais Shinzo Abe.
[Souvenez-vous de la délicieuse réplique dans “Marius et Jeannette”: (je cite de mémoire le sens de la phrase) “On y arrive bien à Paris, pourquoi nous n’y arrivons pas” ?]
Ne pensez-vous pas que ce parisianisme est mort vers les années 80 ? De nos jours “nous n’y arrivons pas” sans avoir des contacts à la capitale, de réseaux.
@ Glarrious
[« Bayrou s’imagine signant un nouvel « édit de Nantes » qui pacifierait notre monde politique. » Ah d’accord, je pensais plus à sa fin – son assassinat- par les temps qui cours par exemple les tentatives contre Trump, le président tchèque, ou de l’Equateur avec Evo Morales ou celui de l’ancien PM japonais Shinzo Abe.]
Oui, Morales c’est la Bolivie, pas l’Equateur. Mais pour revenir à Bayrou, je n’imagine pas quelqu’un cherchant à le tuer. A l’entarter, à la rigueur… mais le tuer ? Ce serait lui faire trop d’honneur d’imaginer que la mort de Bayrou pourrait changer quoi que ce soit.
[Ne pensez-vous pas que ce parisianisme est mort vers les années 80 ?]
En partie, oui. C’est l’un des aspects les plus désastreux de la décentralisation. Avant, la capitale drainait vers elle une bonne partie des forces vives du pays. Les gens les plus talentueux, les plus doués nés dans les provinces « montaient » à Paris pour parfaire leur éducation et travailler. Cela permettait d’assembler dans la capitale une « masse critique » intellectuelle. Des gens qui se voyaient tous les jours, qui travaillaient ensemble, dont les discussions fécondaient les travaux. Tous les villages de France ne peuvent avoir une Ecole Polytechnique, et une Ecole Polytechnique n’est rien si ses professeurs ne peuvent échanger avec ceux de l’Ecole Normale, de l’Ecole Centrale, du Muséum d’Histoire Naturelle, du Collège de France. Maintenant, si vous mettez l’Ecole Polytechnique à Grenoble, l’Ecole Centrale à Nantes, le Muséum à Bordeaux et le Collège à Lille, vous faites plaisir aux maires respectifs mais vous perdez cette « masse critique ». Chacun travaillera dans son coin, et le niveau des travaux s’en ressentira. Et c’est vrai dans tous les domaines : l’art moderne ne serait pas ce qu’il est si le jeune Picasso avait habité à Nice, Max Ernst à Brest, André Breton à Toulouse. On a d’ailleurs pris conscience de ce gâchis – trop tard, comme d’habitude – avec le projet de concentration des différentes institutions scientifiques à Saclay…
Et ce n’est pas propre à la France. Il n’y aurait probablement pas eu le même développement des nouvelles technologies aux Etats-Unis sans une « masse critique » comme celle de la Silicon Valley, qui draine là aussi les meilleurs spécialistes sur l’ensemble du pays. Le parisianisme d’avant 1980, n’en déplaise à certains, c’était la « silicon valley » avant l’heure.
[De nos jours “nous n’y arrivons pas” sans avoir des contacts à la capitale, de réseaux.]
Foutaises. Si les écoles marseillaises tombent en ruine, ce n’est pas parce que les élus marseillais n’ont pas « des contacts à la capitale, des réseaux ». C’est parce qu’ils s’en foutent. Quand il s’est agi de sauver l’OM qui était dans le rouge ou de retaper son stade avec des fonds publics, ils n’ont eu aucun problème à trouver. Si la Corse plonge dans le clientélisme et la violence, ce n’est pas parce que les élus corses n’auraient pas « des contacts à la capitale est des réseaux ». La charge contre les « parisiens », cela fait partie du victimisme ambiant, une manière élégante de reporter toutes ses fautes sur « l’autre ». C’est très à la mode.
Et le virus affecte même les gens intelligents : pour ne donner qu’un exemple, je suis en train de lire le livre – par ailleurs fort intéressant de Tatiana Ventôse « il est venu le temps des producteurs » (qui m’a été offert par l’un des lecteurs de ce blog, qu’il en soit remercié), qui contient un chapitre à charge sur la « colonisation des provinces par Paris ». A mon sens, l’auteur fait une énorme erreur. Nous avons besoin d’un pôle qui concentre les forces vives de la nation si nous voulons que la France tienne un rang de puissance dans le monde. A partir de là, une dissymétrie entre ce pôle et le reste du pays est inévitable. Qu’il faille distribuer la richesse plus justement entre les différents territoires, en transférant une partie de la richesse que ce pôle central amène, à travers d’une politique intelligente d’aménagement du territoire, je suis d’accord. Mais Paris doit rester un pôle d’attraction.
Quelques questions et remarques :
– [moins d’allocations ou de subventions ] Voulez-vous dire la fin de “l’état-guichet” tel que décrit par Jérôme Fourquet ? Cela risque d’être douloureux, quoique salutaire.
– [priorité donnée aux intérêts du producteur sur ceux du consommateur.]
Pouvez-vous développer ?
Par ailleurs, vous me rappellerez peut-être l’auteur de la maxime : “Les révolutions se produisent quand l’Etat ne peut plus et que le peuple ne veut plus”. Il semble que nous en soyons là, mais je vois mal une révolution à brève échéance. Qu’en pensez-vous ?
@ maleys
[– [moins d’allocations ou de subventions ] Voulez-vous dire la fin de “l’état-guichet” tel que décrit par Jérôme Fourquet ?]
A moitié seulement. Si ma mémoire ne me trompe pas, Fourquet parle surtout des guichets « sociaux ». Il n’aborde pas les nombreux guichets d’aides au patronat.
[Cela risque d’être douloureux, quoique salutaire.]
Cela risque d’être certes douloureux. Mais je pense que nos compatriotes sont prêts à l’accepter à deux conditions : que le sacrifice soit justement distribué, et qu’il soit demandé au nom d’un projet, d’une vision partagée. Il est clair que si le sacrifice ne touche que les budgets sociaux, et que l’objectif est de « satisfaire le 3% de Maastricht », cela ne marchera pas.
[« – [priorité donnée aux intérêts du producteur sur ceux du consommateur. » Pouvez-vous développer ?]
Depuis quarante ans, la finalité de la politique économique européenne est de privilégier les intérêts du consommateur sur ceux du producteur. Pour ne donner qu’un exemple, toute la politique de concurrence a été fondée sur la croyance que la concurrence « libre et non faussée » permet de réduire le prix payé par le consommateur et mieux ajuster le service rendu aux demandes de ce dernier. Le fait que la concurrence « pure et parfaite » fait tendre les prix vers le coût marginal a été purement et simplement ignoré, et ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme ont été qualifiés d’indécrottables nationalistes. Pourtant, lorsque le prix est proche du coût marginal, vous n’avez aucun intérêt à réaliser de nouveaux investissements. Et c’est comme ça que notre industrie a vieilli jusqu’à mourir… pendant que nos consommateurs trouvaient leurs étals pleins de produits de moins en moins chers, mais venus d’ailleurs.
Pour maintenir une activité industrielle, qui se distingue par le fait que le coût complet et le coût marginal sont très différents, il faut des marchés imparfaits. Et c’est à la politique économique de faire en sorte que ces imperfections soient suffisantes pour rendre l’activité productive intéressante pour le capital, tout en empêchant les abus. Un monopole bien régulé fonctionne souvent beaucoup mieux qu’un système concurrentiel – le cas de l’électricité en France fournit un excellent exemple. Dans un marché « pur et parfait » seules survivent les activités pour lesquelles le coût marginal est proche du coût complet, i.e. les activités de service.
[Par ailleurs, vous me rappellerez peut-être l’auteur de la maxime : “Les révolutions se produisent quand l’Etat ne peut plus et que le peuple ne veut plus”. Il semble que nous en soyons là, mais je vois mal une révolution à brève échéance. Qu’en pensez-vous ?]
Je ne suis pas convaincu par cette maxime. Les véritables révolutions, celles qui changent le mode de production, arrivent lorsqu’un mode de production est devenu un obstacle à l’expansion des forces productives. Mais je pense que vous parlez plutôt des révolutions qu’on pourrait qualifier de « politiques », c’est-à-dire, celles qui modifient la répartition des pouvoirs et des richesses sans forcément remettre en cause radicalement le mode de production. Et dans ce cas, effectivement, l’impuissance de l’Etat et l’affaiblissement du consensus démocratique – qui, en France, sont intimement liés – sont des éléments à prendre en compte.
Par certains côtés, je pense qu’une révolution de ce dernier type n’est pas très loin. Du moins si l’on mesure les choses à l’aune de la « fatigue démocratique » de la population. Dans un climat international qui se dégrade de tout point de vue, et alors que nous sommes devenus massivement dépendants des marchés internationaux, le système ne semble plus avoir les ressorts politiques et sociaux pour réagir à une crise. Je ne parle pas d’un évènement comme celui de Mayotte ou l’épidémie de COVID : nous avons encore des ressources humaines et matérielles pour traiter une situation critique de ce type bien mieux que beaucoup d’autres pays. Mais même celles-ci tendent à disparaître. Il ne faudrait pas oublier que pendant le COVID la structure a tenu en grande partie grâce à la structure préfectorale. Depuis lors, le corps préfectoral a été supprimé. Demain, lorsqu’une crise de ce type surviendra, à qui fera-t-on appel ? A McKinsey ?
Il y a quarante ans, on pouvait encore sortir deux cents mille personnes à Paris pour défendre la sidérurgie. Aujourd’hui, cela paraît impossible. L’individualisme, la désespérance, la résignation – alimentée par le discours ambiant mais aussi par la longue succession de batailles perdues – fait que des choses qui hier auraient alimenté une poussée révolutionnaire sont accueillies avec l’indifférence des vaches qui regardent passer le train. Bien sûr, on a de temps en temps une convulsion dans les ronds-points, une émeute dans les cités, mais ce sont là des mouvements expressifs, qui n’ont pas et ne peuvent avoir une traduction politique, parce qu’il n’y a pas d’institution proposant une idéologie qui pourrait leur donner une forme. Alors une révolution ? Qui la propose ?
@ Descartes
***Jupiter est tombé si bas s’il doit se soumettre au chantage d’un « minable » – le mot est de Daniel Cohn-Bendit***
Je me souviens de ce débat télévisé très savoureux, Bayrou avait reproché à Cohn-Bendit d’avoir “joué à touche-pipi” avec des enfants, lorsqu’il était éducateur à Francfort. Cohn-Bendit avait rapidement pris l’ascendant en traitant Bayrou de Minable, ce dernier s’était écrasé mollement…
***Bayrou, c’est l’éternel donneur de leçons qui fait penser à la formule de Cocteau : « les critiques, c’est comme les eunuques : ils savent, ils ne peuvent pas ». Et c’est cet homme-là censé déterminer et conduire la politique de la nation aujourd’hui. On est mal partis…***
L’homme a quand même un mérite, il a vaincu son bégaiement à la force du poignet pour se hisser au sommet de l’état, mais il est vrai qu’il n’a jamais fait d’étincelles (comme en témoigne son passage comme commissaire au plan où personne n’est capable de dire ce qu’il a fait…).
***On pouvait imaginer qu’après l’échec de Michel Barnier, le président accepterait finalement la réalité. Ce qui aurait supposé de confier la conduite du gouvernement à une personnalité capable, sans se renier, d’incarner une forme de rupture, ou tout au moins de changement.***
Je crois que Macron est trop immature pour accepter la réalité, et puis il ne peut pas trahir tout ceux qui l’ont sponsorisé pour accentuer la politique de l’offre initiée par Hollande. Cette politique de l’offre, le MEDEF et l’oligarchie en sont friands mais s’est un fiasco. On a pris 1300 milliards de déficit supplémentaire, on a pas vu de ruissellement mais une capillarité, tous les services publics ont continué à dévisser… Et puis trouver une personnalité capable de changement en restant dans le cadre du Macronisme relève de la quadrature du cercle, car de part et d’autre du bloc centriste il y a des antagonismes irréconciliables.
Le scénario qui me semble le plus probable c’est une nouvelle censure du futur gouvernement Bayrou, car le RN et LFI sont pressés d’en découdre suite à une présidentielle anticipée et ils feront tout pour que Macron jette l’éponge. Moi je n’ai jamais voté à droite et encore moins à l’extrême droite, je suis communiste, mais sur une deuxième tour Le Pen – Mélenchon je voterai Le Pen sans hésiter car dans le bloc LFI- Ecolos il y a des fanatiques woke qui peuvent faire beaucoup de dégâts s’ils prennent les manettes.
@ Manchego
[Je me souviens de ce débat télévisé très savoureux, Bayrou avait reproché à Cohn-Bendit d’avoir “joué à touche-pipi” avec des enfants, lorsqu’il était éducateur à Francfort. Cohn-Bendit avait rapidement pris l’ascendant en traitant Bayrou de Minable, ce dernier s’était écrasé mollement…]
Je suis d’ailleurs très étonné que ce débat, dont la bobine doit dormir dans les archives de l’INA, ne soit pas sorti dans les médias. L’indépendance des journalistes, probablement…
[Je crois que Macron est trop immature pour accepter la réalité,(…)]
Il y a probablement de ça. Macron a vécu toute sa vie dans du coton. Son expérience professionnelle s’est déroulé dans des milieux où l’on manipule des chiffres et où l’on gagne ou l’on perd sur tapis vert. Je pense qu’il a du mal à comprendre qu’en politique les victoires qu’on emporte en jouant sur les ressorts de la procédure sont souvent des victoires à la Pyrrhus, dont les conséquences sont souvent plus coûteuses que la défaite. Le cas de la réforme des retraites est de ce point de vue un cas d’école. Macron a réussi à la passer à la force du poignet et en exploitant toutes les ressources de la procédure parlementaire. Pour lui, c’était une victoire. Mais ce faisant, il a fabriqué un « totem » qui maintenant empêche toute véritable négociation pour sortir de l’impasse parlementaire, puisque ses opposants ne peuvent transiger sur son abandon. Mitterrand, en 1983, avait la majorité parlementaire qui lui aurait permis de faire voter la loi Savary. Mais il avait compris que cette victoire allait provoquer une cassure irréparable dans l’opinion qu’il serait ensuite très difficile de gérer. Ce n’est pas parce qu’on peut faire quelque chose que c’est une bonne idée de le faire.
[(…) et puis il ne peut pas trahir tous ceux qui l’ont sponsorisé pour accentuer la politique de l’offre initiée par Hollande.]
Vous avez tout à fait raison de le rappeler. La question de l’abandon ou non de la politique de l’offre n’est pas seulement une question d’idéologie ou d’opinion. Il y a derrière de gros intérêts, parce que cette politique remplit les poches de pas mal de gens… et vide aussi celles de pas mal de monde.
[Cette politique de l’offre, le MEDEF et l’oligarchie en sont friands mais c’est un fiasco. On a pris 1300 milliards de déficit supplémentaire, on n’a pas vu de ruissellement mais une capillarité, tous les services publics ont continué à dévisser…]
Oui, tout à fait. La « politique de l’offre » consiste schématiquement à remplir les poches des patrons avec de l’argent qu’on emprunte en échange de la création d’emplois au rabais.
[Le scénario qui me semble le plus probable c’est une nouvelle censure du futur gouvernement Bayrou, car le RN et LFI sont pressés d’en découdre suite à une présidentielle anticipée et ils feront tout pour que Macron jette l’éponge.]
Au point où nous en sommes, je me demande si Bayrou arrivera à former un gouvernement. Son objectif semble être de nommer un gouvernement de « fortes personnalités », capables d’aller chercher par leur charisme les votes à l’Assemblée. Seulement les « fortes personnalités » ne semblent pas se presser au portillon pour le rejoindre. Si François Rebsamen, l’éternel recalé au ministère de l’intérieur, est le mieux qu’il peut trouver, je doute que ça fasse le poids.
[Moi je n’ai jamais voté à droite et encore moins à l’extrême droite, je suis communiste, mais sur une deuxième tour Le Pen – Mélenchon je voterai Le Pen sans hésiter car dans le bloc LFI- Ecolos il y a des fanatiques woke qui peuvent faire beaucoup de dégâts s’ils prennent les manettes.]
J’aurais du mal à vous contredire… je sors d’un stage obligatoire de formation « à la lutte contre les discriminations sur l’aspect physique », ça donne envie de voter Trump.
@ Descartes
[je sors d’un stage obligatoire de formation « à la lutte contre les discriminations sur l’aspect physique », ça donne envie de voter Trump.]
Comme quoi, de manière inattendue ce genre de stage a du bon.
@ Bob
[Comme quoi, de manière inattendue ce genre de stage a du bon.]
Certainement. Si on le regarde au deuxième degré, il donne une idée assez précise du désastre qui se prépare…
Je n’ai jamais eu droit à de tels stages, ça attise ma curiosité. On vous a dit quoi, grosso modo ?
@ P2R
[Je n’ai jamais eu droit à de tels stages, ça attise ma curiosité. On vous a dit quoi, grosso modo ?]
Je ne sais pas si vous êtes un fan des Monthy Python. Moi, je le suis. Eh bien, je me suis senti transporté dans un film, mi “la vie de Brian”, mi “Brazil”. On a eu le droit de plusieurs exposés par des gens qui fonctionnent, on peut le présumer, dans un cercle fermé de gens qui parlent comme eux, qui ont une sorte de jargon codé, et qui pensent que LEURS problèmes sont LE problème. On nous a expliqué que nous étions tous victimes des préjugés et des stéréotypes, sans jamais se demander POURQUOI, autrement dit, quelle est la fonction de ces préjugés, de ces stéréotypes (parce que la réaction qui dans la rue me conduit à me méfier d’un homme couvert de tatouages et sentant l’alcool et pas d’un homme en costume cravate sentant le parfum n’est pas une attitude tout à fait irrationnelle), le tout assaisonné d’affirmations du genre “les discriminations sont intersectionnelles”, ou “il faut créer une ambiance de travail inclusive”… à la fin, pas grande chose à en tirer (je dois avouer qu’au bout d’une heure je suis parti).
@ Descartes
[Je ne sais pas si vous êtes un fan des Monthy Python. Moi, je le suis. Eh bien, je me suis senti transporté dans un film, mi “la vie de Brian”, mi “Brazil”. On a eu le droit de plusieurs exposés par des gens qui fonctionnent, on peut le présumer, dans un cercle fermé de gens qui parlent comme eux, qui ont une sorte de jargon codé, et qui pensent que LEURS problèmes sont LE problème. On nous a expliqué que nous étions tous victimes des préjugés et des stéréotypes, sans jamais se demander POURQUOI, autrement dit, quelle est la fonction de ces préjugés, de ces stéréotypes]
Oulà. Une question piquante en effet, qu’il ne faut pas aborder n’importe comment avec n’importe qui. Et surtout pas avec des ayatollah de la bienpensance. Pour ma part j’explique en général que la création de stéréotypes, si elle est si répandue à travers les siècles et les civilisations, doit bien servir à quelque-chose, vu que l’Evolution a jugé nécessaire de conserver ce mécanisme intellectuel. Et je l’illustre avec l’exemple d’un homme qui marche en forêt et qui tombe nez-à-nez avec un serpent. Même si seulement un serpent sur dix était venimeux, l’individu qui fuit lorsqu’il en rencontre un aura plus de chances de survie que celui qui voudra d’abord vérifier l’éventuelle dangerosité de l’espèce. La méthode heuristiques consistant à juger rapidement à partir d’informations parcellaires n’a rien d’irrationnelle.
[(parce que la réaction qui dans la rue me conduit à me méfier d’un homme couvert de tatouages et sentant l’alcool et pas d’un homme en costume cravate sentant le parfum n’est pas une attitude tout à fait irrationnelle)]
Prenez garde, Patrick Bateman rôde peut-être près de chez vous…
Bonne fêtes en tout cas !
@ P2R
[« On nous a expliqué que nous étions tous victimes des préjugés et des stéréotypes, sans jamais se demander POURQUOI, autrement dit, quelle est la fonction de ces préjugés, de ces stéréotypes » Oulà. Une question piquante en effet, qu’il ne faut pas aborder n’importe comment avec n’importe qui. Et surtout pas avec des ayatollahs de la bienpensance.]
Tout à fait. Ma tendance chaque fois que je suis devant un comportement que je réprouve, c’est de me demander pourquoi ce comportement existe. Peut-être ai-je tort, mais j’ai tendance à croire que tout dans ce monde a une raison, et qu’il est difficile de combattre sans avoir compris ces raisons. Mais ce raisonnement est assez difficile à expliquer aux bienpensants, parce que les bienpensants sont essentialistes. Si les hommes sont violents avec les femmes, c’est parce que ce sont des hommes. C’est dans leur essence. Et ils ne peuvent y échapper que… en cessant d’être des hommes.
Je me souviens m’être fait enguirlander par les autres invités dans un débat du PCF pour avoir expliqué que si les républicains avaient refusé le vote des femmes jusqu’à 1945, c’était essentiellement parce qu’à l’époque « donner le vote aux femmes c’était donner leur voix aux curés », et que si le vote féminin avait existé en 1905 on n’aurait pas eu la séparation de l’église et de l’Etat. Tous ces bienpensants ont refusé d’écouter parce que, voyez-vous, si les républicains ont agi ainsi c’était parce que c’était des hommes. C’était leur essence. D’ailleurs, quand on nous explique qu’une assemblée paritaire serait moins violente et plus fraternelle, n’est-ce pas implicitement parce qu’on suppose que les femmes qui rentreraient seraient par nature moins violentes, plus fraternelles ?
[Pour ma part j’explique en général que la création de stéréotypes, si elle est si répandue à travers les siècles et les civilisations, doit bien servir à quelque-chose, vu que l’Evolution a jugé nécessaire de conserver ce mécanisme intellectuel. Et je l’illustre avec l’exemple d’un homme qui marche en forêt et qui tombe nez-à-nez avec un serpent. Même si seulement un serpent sur dix était venimeux, l’individu qui fuit lorsqu’il en rencontre un aura plus de chances de survie que celui qui voudra d’abord vérifier l’éventuelle dangerosité de l’espèce. La méthode heuristiques consistant à juger rapidement à partir d’informations parcellaires n’a rien d’irrationnelle.]
Bien entendu. Mais si cet argument a un poids certain, il y a dans l’apparence un deuxième élement. Parce que notre apparence n’est pas déterminée en dehors de nous. Bien sûr, si je naît avec un œil de travers, il n’y a pas grande chose que je puisse faire. Mais je peux changer mon apparence par le choix de mes vêtements, de ma coiffure, de mon maquillage. Et les choix que je fais dans ce domaine transmettent un message. Un candidat qui se présente à un entretien d’embauche bien coiffé, avec une cravate et des vêtements propres me transmet un message : il est capable de faire un effort pour avoir ce boulot. A l’inverse, un candidat qui se présente mal coiffé, avec un T-shirt « fuck the boss », un pantalon sale est en train de me dire qu’il n’est prêt à faire aucun effort. En quoi le fait de préférer l’un à l’autre serait une « discrimination » indue ? La capacité à s’adapter à un milieu professionnelle n’est-elle pas une qualité significative à l’heure de recruter ?
Tout d abord une petite remarque sur agrégé/eleveur de chevaux. Le premier est le resultat d un concours, le second une profession. Bayrou aurait pu se presenter comme professeur (mais je crois qu il n a quasiment jamais enseigné). Je pense qu il se presentait comme eleveur surtout pour eviter de faire “intello”. Vous remarquerez qu aucun de nos politiciens ne met en avant les concours qu ils ont reussit (et pourtant l ENA ou polytechnique sont des concours tres selectifs, ils doivent etre fier de les avoir reussi)
Sur le fond, je vois pas tres bien qui Macron pourrait nommer. S il nomme le parti qui a fait le meilleur score (RN), un gouvernement RN tombera des qu il agira sur une alliance (NFP/Macron). De meme un gouvernement NFP tombera par une coalition (RN/Macron). On est donc parti pour etre sans gouvernement jusqu en juin (nouvelle dissolution)
Personnellement j aurai souhaité que Macron nomme Castet ou mieux Melanchon car comme disait un de mes anciens professeurs, afin de remonter il faut toucher le fond. Et on touchera plus rapidement le fond avec un gouvernement LFI (sauf si Melanchon fait comme son modele Mitterrand et se renie au bout d un an)
Et qui sait, apres un echec de l etatisme RN ou NFP on aurait un Milei pour remettre les choses en place
@ cdg
[Tout d’abord une petite remarque sur agrégé/éleveur de chevaux. Le premier est le résultat d’un concours, le second une profession. Bayrou aurait pu se présenter comme professeur (mais je crois qu’il n’a quasiment jamais enseigné). Je pense qu’il se présentait comme éleveur surtout pour éviter de faire “intello”. Vous remarquerez qu’aucun de nos politiciens ne met en avant les concours qu’ils ont réussi (et pourtant l’ENA ou polytechnique sont des concours très sélectifs, ils doivent être fier de les avoir réussi)]
Ce n’est pas « ils doivent être fiers », c’est « ils devraient pouvoir être fiers », et j’ajouterais même « nous devrions être fiers » d’avoir des dirigeant qui les ont réussis. Le fait que nos hommes publics « évitent de faire intello » – et ce n’est pas limité aux hommes politiques, on trouve de plus en plus de célébrités qui jouent la corde populiste – est en soi une évolution intéressante. C’est en fait la revanche des cancres : être passé par Polytechnique ou l’ENA est, si l’on croit cette idéologie, une tare. Alors qu’avoir été exclu du lycée est un badge d’honneur qui prouve qu’on est « proche du peuple ».
Et bien, je peux vous dire que ce n’est pas chez le véritable « peuple » que ce discours est le plus virulent. Bien entendu, on est sensible partout à l’idéologie dominante. Mais ce n’est pas dans les cités populaires qu’on entend les reproches les plus amères. C’est chez le fils des classes intermédiaires, c’est-à-dire, chez ceux qui étaient socialement bien placés pour rentrer à Polytechnique ou à l’ENA s’ils avaient eu les capacités et bossé à l’école. Et c’est tout à fait logique : pour l’enfant des classes intermédiaires qui a fait des études universitaires médiocres, l’énarque et le polytechnicien sont de redoutables concurrents. Pour le fils d’ouvrier qui a fait son BTS plomberie, non. Le premier attend de l’énarque et du polytechnicien qu’ils lui laissent les bonnes places, le second a d’autres préoccupations.
La dévalorisation des concours – et par ricochet des gens qui en sont issus – n’est pas le fruit du hasard. C’est la conséquence logique de la prise du pouvoir par les classes intermédiaires, c’est-à-dire, par des classes dont la position sociale repose sur le capital immatériel. Ces classes ne peuvent garantir leur reproduction qu’en empêchant les autres d’accéder à ce capital.
[Sur le fond, je ne vois pas très bien qui Macron pourrait nommer. S’il nomme le parti qui a fait le meilleur score (RN), un gouvernement RN tombera dès qu’il agira sur une alliance (NFP/Macron). De même un gouvernement NFP tombera par une coalition (RN/Macron). On est donc parti pour être sans gouvernement jusqu’en juin (nouvelle dissolution)]
Je ne vois pas une nouvelle dissolution produire un résultat très différent de la précédente. Mais je note que votre calcul est purement parlementaire. Vous ne concevez pas dans voter raisonnement l’intervention populaire. Or, je pense qu’elle est vitale. Seule une personnalité capable aujourd’hui de s’adresser au peuple par-dessus les politiques pourrait casser le blocage que vous évoquez.
[Personnellement j’aurais souhaité que Macron nomme Castet ou mieux Mélenchon car comme disait un de mes anciens professeurs, afin de remonter il faut toucher le fond. Et on touchera plus rapidement le fond avec un gouvernement LFI (sauf si Mélenchon fait comme son modèle Mitterrand et se renie au bout d’un an)]
Vous savez, on peut faire beaucoup de dégâts en un an… et même en six mois. Mais ce n’est pas la peine de faire des plans sur la comète. Castets n’a été désignée que parce que Mélenchon savait que Macron ne la nommerait pas – il n’aurait jamais donné son accord s’il avait pensé un instant que le président pourrait la nommer. Réfléchissez : Castets premier ministre, c’est faire apparaître sur la scène une personnalité qui pourrait demain faire un bon candidat à l’élection présidentielle…
Nommer Mélenchon ? C’aurait été une absurdité : Mélenchon n’est pas le candidat désigné par le NFP, et il aurait donc eu le prétexte idéal pour refuser le poste en humiliant le président au passage. Parce que ne vous imaginez pas un instant que Mélenchon vise Matignon. Il sait parfaitement qu’entrer à Matignon maintenant, c’est entrer en position de faiblesse dans une position où il lui faudrait justifier ses actions devant les Français, et donc compromettre ses chances de candidature présidentielle. Non, la stratégie de Mélenchon est celle de la bordélisation, et cela nécessite d’être en dehors des institutions.
[Et qui sait, après un échec de l’étatisme RN ou NFP on aurait un Milei pour remettre les choses en place]
Parce que vous pensez que Milei a « remis les choses en place » ? Je trouve cette remarque assez révélatrice de la façon dont vous voyez le monde. Regardons le bilan de Milei. Pour le moment, qu’à-t-il réussi à faire ? L’économie de son pays est en situation critique, avec une croissance négative sur les deux derniers trimestres, des indices de pauvreté qui explosent, une consommation qui a baissé de 20% sur les produits essentiels, et une cohorte massive de faillites. L’investissement privé et public sont proches de zéro. Le déficit fiscal a été massivement réduit, il est vrai, mais cette réduction est artificielle, puisqu’elle est acquise en refusant de payer ses fournisseurs. Le SEUL résultat positif est la baisse de l’inflation. Vous me direz qu’il n’a gouverné qu’un an, qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions. Admettons. Mais dans ce cas, ne trouvez-vous pas que c’est un peu trop tôt pour le créditer d’avoir « remis les choses en place » et de souhaiter une expérience similaire en France ?
Ce qui m’amuse dans votre remarque, c’est la manière dont vous préférez l’idéologie aux réalités. Vous ne jugez pas Milei à ses résultats, mais à ses ides. Dès lors qu’il rejette « l’étatisme », il a « remis les choses en place ». Et peu importe si son rejet de « l’étatisme » coupe fondamentalement l’investissement en infrastructures on en éducation, coupes qui risquent d’être néfastes pour l’économie dans les années qui viennent.
Le Milei argentin a par ailleurs des marges de manœuvre qu’un Milei français n’aurait pas. Prenez la fonction publique. La fonction publique d’Etat argentine est presque aussi nombreuse que la fonction publique française, pour un pays fédéral, et qui a moitié moins d’habitants. Pourquoi cette inflation ? Parce qu’elle est pleine d’emplois fictifs ou d’incompétents recrutés par patronage politique. On peut donc parfaitement la dégraisser sans que les argentins voient une différence dans le niveau des services publics. Même chose pour les travaux publics : il est vox populi que la plus grande partie de ces travaux sert en fait à financer des mécanismes de corruption, que la plupart de ces travaux est payée mais jamais réalisée (l’ancienne présidente Cristina Kirchner vient d’être condamnée pour ce genre de manœuvres, et son ancien ministre de la planification dort depuis quelques années en prison pour avoir acheté des trains hors d’usage en les faisant passer pour matériel roulant neuf, et ce ne sont là que quelques exemples). Alors, réduire massivement les travaux ne provoque chez les argentins que des protestations bien modérées.
Un Milei français n’aurait pas ces marges de manœuvre. Aujourd’hui, l’Etat n’a pas beaucoup de gras. Bien sûr, on pourrait supprimer tel service de communication, dont la seule utilité est de sonner la trompette du ministre, tel « haut fonctionnaire à la diversité » qui a sous ses ordres une dizaine de cadres pour diffuser la bonne parole wokiste. Mais c’est à peu près tout : pour faire des économies, il faut tailler dans le vif : réduire les subventions aux patrons ou les allocations aux plus modestes, couper dans les effectifs de la police ou de l’enseignement. Et je doute que les Français acceptent cela.
“pour l’enfant des classes intermédiaires qui a fait des études universitaires médiocres, l’énarque et le polytechnicien sont de redoutables concurrents”
Pas vraiment, si vous avez fait des etudes mediocres (disons une license de la fac), meme avec des relations vous n arriverez jamais a etre recrute et avoir la carriere d un polytechnicien
Si Macron propose le poste de premier ministre a Mleanchon, je vois mal celui ci le decliner publiquement alors que lui et ses amis hurlent au mepris democratique a chaque premier ministre nomme par Macron. Apres je suis d accord avec vous, c est un suicide electoral pour Melanchon d accepter et il essaiera de de se dedire mais ca va etre difficile a justifier publiquement
Pour Milei, je trouve l experience interessante. Il est bien trop tot pour conclure du succes ou non mais je trouve interessant de voir un dirigeant qui fait exactement l inverse des autres : il dit qu il n y a pas d argent, coupe dans les depenses, restaure l equilibre budgetaire (chez nous on a pres de 50% de depense en plus !) et malgre tout reste populaire.
L experience n est evidement pas transposable a l identique en France mais dire qu il n y a pas dans la fonction publique francaise des gens recute par copinage ou qui ne font rien d utile me semble osé
” réduire les subventions aux patrons”
tout a fait d accord, on supprime les taxes sur les entreprises et les subventions pour masquer les effets deleteres de ces taxes. Certains secteurs vont souffrir (pensez par ex aux promoteurs qui hurlent a la mort pour avoir un nouveau Pinel ou PTZ)
” les allocations aux plus modestes,”
Proposition personnelle : allocation chomage = smic -10 % quelque soit le salaire precedent
Retraite (le plus gros poste de depense) : smic. Penalisation de 2% pour chaque annee depart avant 60 (on recalcule aussi pour les retraites actuels). +2 de bonus pour chaque annee apres 60 ans
“couper dans les effectifs de la police ou de l’enseignement.” J ai pas de famille dans la police mais 2 personnes dans l EN. Si l une se defonce pour ses eleves, l autre est allée là pour tirer au flanc. La premiere mesure a faire serait de rendre la liberte de recrutement a chaque etablissement, histoire d eliminer les boulets (bon je reconnais que dans certains banlieue ils vont avoir du mal car aucune personne normalement constituee veut y enseigner)
@ cdg
[« pour l’enfant des classes intermédiaires qui a fait des études universitaires médiocres, l’énarque et le polytechnicien sont de redoutables concurrents » Pas vraiment, si vous avez fait des études médiocres (disons une licence de la fac), même avec des relations vous n arriverez jamais a etre recrute et avoir la carrière d’un polytechnicien]
Pourtant, un certain Sarkozy n’a pas si mal réussi avec « une licence de la fac ». Et ce n’est pas un cas isolé. La formule « hier on était gouvernés par les énarques, aujourd’hui on est gouvernés par ceux qui ont raté l’ENA » est loin d’être anecdotique. De plus en plus on trouve en compétition pour des postes de premier plan des gens aux études médiocres ou même sans études : Gabriel Attal a un master d’affaires publiques et a raté la licence en droit, ce qui ne l’a pas empêché de devenir premier ministre, Jordan Bardella a abandonné sa licence d’histoire pour se consacrer à la politique, et il est aujourd’hui le président du premier parti de France. Et on retrouve le même phénomène dans les entreprises et dans l’administration : de plus en plus les réseaux et le vague « savoir être » remplacent les études. La méritocratie républicaine a bien du plomb dans l’aile.
Attention, je ne dis pas qu’il faille réserver les hautes positions aux gens qui sortent des grandes écoles. Il y a des voies alternatives pour se former : je pense à l’appareil de formation du PCF « à l’ancienne » qui avait permis à des gens comme Charles Fiterman ou Jack Ralite de faire d’excellents ministres, qui avait formé des autodidactes brillants comme Roland Leroy. Mais je reste attaché à l’idée que la formation et l’éducation servent à quelque chose, et que les diplômes ne sont pas des simples peaux d’âne, mais certifient une véritable connaissance. Et qu’un dirigeant savant vaut mieux qu’un ignorant, quelque soient par ailleurs ses qualités.
[Si Macron propose le poste de premier ministre a Mélenchon, je vois mal celui-ci le décliner publiquement alors que lui et ses amis hurlent au mépris démocratique à chaque premier ministre nomme par Macron.]
Pas besoin de « décliner publiquement » – ce qui, je vous l’accorde, serait une erreur tactique grave. Il suffit de mettre des conditions impossibles à remplir, par exemple, la convocation d’une assemblée constituante, l’utilisation du référendum pour faire passer le budget, que sais-je… Pourquoi croyez-vous que Mélenchon ait adopté la ligne « tout le programme, rien que le programme » ? Parce que cette ligne condamne la gauche à rester dans l’opposition. Mélenchon est trop habile pour vouloir Matignon maintenant, dans une situation de crise et avec un président de la République hostile guettant la moindre erreur. Je ne pense pas qu’il ait oublier ce que fut la première cohabitation mitterrandienne…
[Pour Milei, je trouve l’expérience intéressante.]
Je pense que si vous habitiez un bidonville de Buenos Aires, « l’expérience » vous passionnerait beaucoup moins. Je veux bien qu’on analyse les mesures prises par Milei comme si on observait une culture bactérienne au microscope, mais il ne faudrait tout de même pas oublier que cette « expérience » change la vie de millions de personnes.
[Il est bien trop tôt pour conclure du succès ou non mais je trouve intéressant de voir un dirigeant qui fait exactement l’inverse des autres : il dit qu’il n’y a pas d’argent, coupe dans les dépenses, restaure l’équilibre budgétaire (chez nous on a près de 50% de dépense en plus !) et malgre tout reste populaire.]
Comme je vous l’ai dit, le « rétablissement de l’équilibre budgétaire » de Milei est tout à fait artificiel. Il est obtenu tout simplement en refusant de payer les fournisseurs de l’Etat et les fonctionnaires et en arrêtant tous les chantiers d’investissement public. C’est un jeu qui peut fonctionner quelques mois, mais à la longue les fournisseurs refuseront de livrer, les fonctionnaires de travailler et les infrastructures tomberont en morceaux. Que ce tour de vis ait été nécessaire pour casser la spirale inflationnaire qui allait tout droit vers l’hyperinflation, c’est probable. Que Milei ait montré un rare courage – difficile de dire si c’est du courage ou de l’inconscience – en appliquant le remède, c’est possible. Mais cette thérapie n’a fait que guérir le symptôme, elle ne résout aucun problème.
Par ailleurs, si Milei reste populaire c’est grâce surtout à la perception qu’il n’y a pas d’alternative crédible. Les forces politiques qui ont gouverné successivement le pays – la droite libérale et le péronisme – ont non seulement échoué a gérer le pays, mais ont porté la corruption et le pillage de l’Etat à des niveaux proprement incroyables. Dans ces conditions, un président qui n’apparaît pas lié aux réseaux clientélistes, et qui du coup peut se permettre de virer les fonctionnaires et politiques accusés de corruption a un avantage certain dans l’opinion.
Mais imaginer qu’on peut projeter cette expérience chez nous, c’est un peu comme Mélenchon imaginant que la révolution bolivarienne de Chavez pouvait être transposée en France. Il est beaucoup plus facile de faire accepter à l’opinion l’amaigrissement d’un Etat corrompu et inefficace que d’un Etat honnête et efficace. C’est d’ailleurs pourquoi la stratégie des néolibéraux a toujours été la même : rendre l’Etat inefficace et corrompu pour ensuite pouvoir le détruire. La réforme de la fonction publique mise en œuvre par Macron en est un excellent exemple : laissez pendant quelques années le service public se dégrader et les hauts fonctionnaires faire des allers-retours avec le privé (avec les conflits d’intérêt que cela va créer) et vous n’aurez pas de difficulté à faire accepter aux Français l’idée qu’il vaut mieux donner tout ça au privé. Ca a déjà commencé pour l’éducation…
[L’expérience n’est évidemment pas transposable a l’identique en France mais dire qu’il n’y a pas dans la fonction publique française des gens recrute par copinage ou qui ne font rien d’utile me semble osé]
Je n’ai peut-être pas été assez précis. Il y a certainement des gens « nommés » par copinage à tel ou tel poste. Mais la fonction publique recrute exclusivement par concours, et dans un concours le copinage est relativement peu efficace. Non, vous n’avez pas en France des analphabètes qui sont nommés professeurs d’université pour services rendus lors de la campagne électorale du ministre. Quant aux gens « qui ne font rien d’utile », il y en a un certain nombre de fonctionnaires en France dont le travail n’est pas jugé « utile » par vous ou moi. Mais ces gens travaillent pour exécuter les instructions que leur donne le politique. Quand je parle des fonctionnaires qui en Argentine ne font rien, je vous parle de gens qui ne viennent même pas travailler. Qui n’apparaissent au ministère que le jour de paye (raison pour laquelle on les appelle les « gnocchis », en référence à la tradition napolitaine qui veut que manger des gnocchis le 29 du mois avec un billet de banque sous l’assiette vous assure la prospérité pour le mois suivant).
Pour vous donner une idée de la manière dont les choses se passent en Argentine, je vais vous donner un exemple arrivé dans la province de Buenos Aires, la plus riche du pays. Dans une agence bancaire, une dame s’insurge : la personne devant elle monopolise le distributeur de billets, retirant de l’argent liquide à l’aide de nombreuses cartes différentes. Elle appelle un policier, qui arrête le bonhomme avec un sac avec plusieurs millions de pesos en liquide, et 42 cartes de retrait différentes. L’homme clame que les propriétaires des cartes le lui ont donné pour qu’il retire l’argent en leur nom. Il s’avère que les cartes en question appartiennent à des employés de la législature provinciale. Qui tous racontent la même histoire : le « puntero » d’un groupe leur a offert un « emploi » virtuel à la législature. On ne leur demande pas de travailler, et le salaire correspondant sera récupéré par le « puntero » en question directement sur leur compte, mais en échange ils auront la couverture sociale payée par la législature. Et tout le monde est content (sauf le contribuable qui paye des employés fantômes). Et le plus drôle est que quand l’affaire éclate, l’opposition dans la législature ne pipe mot. Pourquoi ? Parce que, eux aussi, ont des « punteros » qui font la même chose. Autrement dit, tous les groupes s’entendent pour se partager l’argent public. Alors, quand on propose aux contribuables d’amaigrir la législature, croyez-vous qu’ils vont être contre ?
[« réduire les subventions aux patrons » tout a fait d’accord, on supprime les taxes sur les entreprises et les subventions pour masquer les effets délétères de ces taxes. Certains secteurs vont souffrir (pensez par ex aux promoteurs qui hurlent a la mort pour avoir un nouveau Pinel ou PTZ)]
Supprimer les taxes sur les entreprises ? Ok. Mais dans ce cas, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement. Non seulement on supprime les subventions monétaires, mais aussi celles en nature. Par exemple, on fait payer aux entreprises des péages pour l’utilisation des voies publiques, qui sont payées par l’ensemble des contribuables. Pour chaque travailleur qu’ils embauchent, on leur facture le coût de sa formation depuis l’école primaire jusqu’au dernier diplôme. Bien évidemment, si un incendie se déclenche dans une entreprise, les pompiers factureront leur intervention au coût réel. Et ainsi de suite. Pensez-vous que les entreprises y gagneraient ?
[« les allocations aux plus modestes » Proposition personnelle : allocation chômage = smic -10 % quel que soit le salaire précédent]
C’est un peu trop brutal. Si j’ai pris un crédit pour acheter une maison, ce crédit m’a été accordé en fonction de mon salaire réel. Si le passage au chômage se traduit par une réduction immédiate au niveau du smic-10%, je serai vite en grande difficulté sans temps pour me retourner. Il faut donc une forme de dégressivité, me donnant par exemple la possibilité de vendre la maison et solder le crédit dans des bonnes conditions. Le système actuel est un peu celui-là : allocation calculée sur le dernier salaire mais dégressive jusqu’à un niveau inférieur à celui que vous proposez…
[Retraite (le plus gros poste de dépense) : smic.]
Je vous ai démontré que cela ne change absolument rien. Simplement, pour avoir une bonne retraite les gens devront avoir recours à la capitalisation, et donc au lieu de payer des cotisations retraites aux caisses de répartition ils consigneront ces cotisations dans une banque. Je vous ai déjà montré qu’en régime de croisière les systèmes par répartition et par capitalisation sont équivalents (ce sont les effets de bord à l’initialisation du système qui sont différents).
[Pénalisation de 2% pour chaque année départ avant 60 (on recalcule aussi pour les retraites actuels). +2 de bonus pour chaque année après 60 ans]
Autrement dit, un ouvrier qui a commencé à travailler à 16 ans et partirait après 40 ans de dur labeur (donc à 56 ans) aurait une pénalité de 8%, alors qu’un cadre qui a commencé à 25 ans et partirait à 60 ans après seulement 35 ans de travail de bureau aurait une retraite pleine ? Sans compter sur le fait que l’ouvrier en question toucherait sa retraite pénalisée moins longtemps que le cadre, compte tenu des écarts d’espérance de vie ? Vous trouvez ce système juste ?
J’ai tendance à me convertir à l’idée que la variable à prendre en compte c’est les années de travail, et non l’âge. J’aurais presque tendance à ajouter une pénalité par année de formation après le bac. Parce que faire partir un médecin à 60 ans alors que la collectivité lui a payé 9 ans de formation, c’est un gâchis de ressources. J’aurais tendance à fixer la durée de cotisation à 40 ans pour tous, avec un an de pénalité par année d’études au-delà de 24 ans.
[« couper dans les effectifs de la police ou de l’enseignement. » Je n’ai pas de famille dans la police mais 2 personnes dans l EN. Si l’une se défonce pour ses élevés, l’autre est allée là pour tirer au flanc. La première mesure à faire serait de rendre la liberté de recrutement a chaque etablissement, histoire d’éliminer les boulets (bon je reconnais que dans certaines banlieues ils vont avoir du mal car aucune personne normalement constituée veut y enseigner)]
Cela dépend du prix qu’on paye… si vous raisonnez en termes de marché, pourquoi ne pas pousser le raisonnement jusqu’au bout ? Si vous donnez la liberté de recrutement, pourquoi ne pas donner aussi la liberté de négociation des salaires ?
En fait, vous vous laissez emporter une fois encore par l’idéologie : vous formulez un problème (celui des boulets) puis vous proposez une « solution » idéologique qui n’a aucune chance de résoudre le problème. Parce que la « liberté de recrutement » ne permet pas de se débarrasser des « boulets ». Je sais que vous idéalisez le privé, mais regardez bien autour de vous : diriez-vous qu’il n’y a pas de « boulets » dans les entreprises privées ? J’ai beaucoup travaillé avec des entreprises privées, et je peux vous assurer qu’il y a autant – sinon plus – de « boulets » dans le privé. En fait, la différence entre privé et public c’est la manière dont on traite les gens au niveau salarial. Dans le privé, on paye les « cadors » comme des « cadors », et les « boulets » comme des « boulets », et on garde les « boulets » parce qu’on sait que si on veut un « cador », il faudra le payer plus cher. Dans la fonction publique, on paye TOUT LE MONDE comme des « boulets ». Les « cadors » se trouvent des récompenses ailleurs – dans la satisfaction du boulot bien fait, dans la mystique du service public – ou bien partent dans le privé.
Si demain vous donnez aux établissements la « liberté de recrutement », alors il vous faudra payer mieux, ou alors choisir entre les « boulets », parce qu’aucun « cador » n’ira candidater dans ces conditions.
Si on voit plus loin que le cas Bayrou, je crains que nos concitoyens aient une vision biaisee de la situation.
J avais lu une interview d un dirigeant indien (j ai oublie qui et son poste) il disait une chose assez sensée : “pourquoi un indien qualifié devrait avoir un niveau de vie inferieur a un occidental non qualifié ?”
La seconde chose est liés aux evaluation (PISA ou TIMMS). Pour les evaluations en mathematique on est avant dernier (comme quoi BLM est pas une exception ;-)).
Assez peu de reaction et surtout aucune action pour corriger cet etat de fait.
Le peu de reaction etaient pour signaler l impact du milieu social ou la difference entre garcon et fille. Personne n a signalé que les meilleurs francais etaient au niveau des … moyens en coree
Il y a des compagnies low-cost (ex ryanair) nous sommes en train de devenir un pays low skill : main d oeuvre peu competante et cout prohibitif pour employer des gens qualifés (les salaires aux smic sont peu taxés et pour compenser on taxe a fond les CSP+ pour financer un modele social a bout de souffle)
@ cdg
[Si on voit plus loin que le cas Bayrou, je crains que nos concitoyens aient une vision biaisee de la situation. J’avais lu une interview d’un dirigeant indien (j’ai oublié qui et son poste) il disait une chose assez sensée : “pourquoi un indien qualifié devrait avoir un niveau de vie inferieur a un occidental non qualifié ?”]
Seule la religion peut répondre à la question du « pourquoi ». L’analyse économique, politique, historique permet tout au plus de répondre à la question du « comment ». Comment sommes-nous arrivés au fait qu’un indien qualifié a un niveau de vie inférieur à celui d’un occidental non qualifié ? Eh bien, in fine cela revient à une question de productivité et d’usage des ressources. Et pas seulement de productivité individuelle, mais aussi de productivité sociale.
J’ai toujours été impressionné par un exemple qu’avait donné l’un de mes professeurs d’économie. En 1945, l’Argentine est l’un des pays les plus riches du monde, au point que son président déclare qu’on ne peut circuler dans les coffres de la Banque centrale, tant les réserves d’or se sont accumulées. Epargnée par la guerre, le pays avait bénéficié des besoins énormes des alliés en produits agricoles. A l’inverse, en 1945, l’Allemagne est un pays a terre, ses villes rasées, ses usines et ses infrastructures détruites, plusieurs millions de jeunes hommes tués au front ou dans les camps. En moins d’une génération, l’Allemagne est redevenue une puissance économique, alors que l’Argentine est restée un pays du tiers monde. Pourquoi ? Parce que l’Allemagne détient un capital social, des traditions d’ordre, de travail, d’obéissance aux règles que l’Argentine n’avait pas. En Allemagne, l’argent du Plan Marshall est allé à la reconstruction, en Argentine l’argent est allé au clientélisme et à a corruption. L’indien même qualifié, fonctionne dans une société dont la productivité est faible. Les traditions, l’organisation sociale font que des ressources considérables sont gâchées. Ce sont ces ressources qui manquent à l’heure de fixer son niveau de vie…
[La seconde chose est liée aux évaluations (PISA ou TIMMS). Pour les évaluations en mathématiques on est avant dernier (comme quoi BLM est pas une exception ;-)). Assez peu de réactions et surtout aucune action pour corriger cet état de fait.]
Plus haut, vous parlez de « nos concitoyens », qui « auraient une vision biaisée de la situation ». Mais de quels « concitoyens » parlez-vous ? Je doute que dans les cafés d’Hénin-Beaumont ou dans l’usine Legal du Havre les conversations tournent autour des évaluations PISA ou TIMMS relatives à l’enseignement des mathématiques. Alors, à quelle « réaction » ou « action » vous attendriez-vous de leur part ? Le problème n’est pas ici la responsabilité de « nos concitoyens » en général, mais la responsabilité de « certains concitoyens » en particulier. Ceux qui, par leur position sociale, ont les instruments pour comprendre le problème, et qui, dans une société bien fait, on corrélativement la responsabilité de le résoudre.
Le problème, c’est que nos élites ont perdu cette notion de contrepartie, de responsabilité sociale, de « noblesse oblige ». Et accessoirement, ce sont elles qui ont combattu pied à pied « la sélection par les maths », conscientes que ce type de sélection menaçait leur position sociale. Car il ne faut pas oublier que la sélection par les maths est bien plus objective que la sélection par les engagements sociétaux, si prisée de nos élites aujourd’hui…
[Il y a des compagnies low-cost (ex Ryanair) nous sommes en train de devenir un pays low skill : main d’œuvre peu compétente et cout prohibitif pour employer des gens qualifiés (les salaires aux smic sont peu taxés et pour compenser on taxe a fond les CSP+ pour financer un modèle social a bout de souffle)]
Tout à fait d’accord. C’est le résultat prévisible d’une politique économique qui est d’abord une politique de l’emploi plutôt qu’une politique de la production. Les politiques ont les yeux rivés sur les indicateurs de l’emploi, personne ne regarde la croissance ou l’équilibre de la balance commerciale. Au lieu de chercher à produire plus – quitte ensuite à imaginer les bons mécanismes pour partager la richesse ainsi créée – on cherche à employer le plus possible de monde. Autrement dit, on subventionne le retour au tissage manuel et on pénalise les métiers Jacquard. Ce qui revient a multiplier les emplois à faible productivité – commerce, services à la personne – et pénaliser les investissements dans la productivité.
Mais c’est là une logique implicite dans les traités européens, construits pour défendre l’intérêt du consommateur plutôt que celui du producteur. C’est là le choix fondamental dont tout le reste dérive. Et c’est ce choix qui fait que notre modèle social est « à bout de souffle ». Parce que notre modèle social est construit, justement, sur la production. C’est pour cette raison que je reste persuadé que la « TVA sociale » est une bonne idée : dans un contexte européen qui ne pense qu’à l’intérêt du consommateur, il faut que le financement de la protection sociale grève la consommation, et non la production.
[Mais de quels « concitoyens » parlez-vous ? Je doute que dans les cafés d’Hénin-Beaumont ou dans l’usine Legal du Havre les conversations tournent autour des évaluations PISA ou TIMMS relatives à l’enseignement des mathématiques. Alors, à quelle « réaction » ou « action » vous attendriez-vous de leur part ? ]
Vous savez, mes grands parents etaient paysans et leur langue maternelle n etait pas le francais mais le patois savoyard. Pourtant ils savaient que le savoir etait la cle de l ascension sociale. Alors oui les gens qui travaillent dans une usine au Havre ne connaissent pas TIMMS (et encore avec internet l information se diffuse mieux qu en 1940), mais le probleme est surtout qu une majorite de la population ne reagit pas au declin de l EN (et a moins de vivre dans une grotte vous etes au courant)
Si une majorite d electeurs mettait le niveau de l education avant le «pouvoir d achat» nos marionettes qui nous gouvernent auraient fait quelque chose.
Les pays qui reussisent le mieux a ces evaluations sont en asie. Ont ils une EN meilleur que nous ? peut etre (apres tout on veut copier la methode de singapour en math). Mais surtout les parents s investissent dans l education de leurs enfants (par ex en chine, les enfants vont dans des ecoles prives apres les cours, il y a une pression pour les faire travailler (probablement excessive en coree car ca mene a des suicides). Chez nous on a des petitions car une epreuve du bac est trop dure et on discute pour introduire l ecriture inclusive a l ecole … Essayez de reduire les vacances, de reintroduire les cours le samedi ou la selection et vous allez voir la levee de bouclier
[Le problème n’est pas ici la responsabilité de « nos concitoyens » en général, mais la responsabilité de « certains concitoyens » en particulier. Ceux qui, par leur position sociale, ont les instruments pour comprendre le problème, et qui, dans une société bien fait, on corrélativement la responsabilité de le résoudre.]
C est un peu le cote de l avant garde eclairee bolchevique
Le probleme c est que meme si vous avez en haut quelqu un qui veut faire, si les echelons en dessous ne veulent pas ca marche pas tres bien. Surtout dans un systeme bureaucratique. Regardez les 80 % au bac de chevenement. Objectif atteint (on est a 90%) . Mais comme on a atteint l objectif en baissant le niveau ca a ete contre productif
[C’est pour cette raison que je reste persuadé que la « TVA sociale » est une bonne idée]
D accord avec vous. Mais on est déjà a 20 % de TVA
Les depenses sociales c est 848 milliards en 2022 (https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/12/14/la-france-encore-championne-d-europe-des-depenses-de-protection-sociale_6205779_3234.html)
La TVA c est 272 milliards cette annee (https://fr.statista.com/statistiques/477268/revenu-total-tva-france/) Si on monte la TVA a 25 % on a 340 milliards (et encore je suppose ici qu il n y aura aucun effet negatif et neglige le taux reduit de TVA). Il faudrait mettre la TVA a 70 % pour remplacer les depenses sociales. Ce qui est evidement illusoire. Il faut donc commencer par reduire ces depenses sociales. C est quand meme possible , la france consacre 32 % du PIB au social, la moyenne de l UE 27 %
[il faut que le financement de la protection sociale grève la consommation, et non la production.]
Comment vous comptez vous faire elire avec un tel programme, sachant que 50 % des votants sont des consommateurs qui ne produisent pas (aka les retraités)
@ cdg
[« Mais de quels « concitoyens » parlez-vous ? Je doute que dans les cafés d’Hénin-Beaumont ou dans l’usine Legal du Havre les conversations tournent autour des évaluations PISA ou TIMMS relatives à l’enseignement des mathématiques. Alors, à quelle « réaction » ou « action » vous attendriez-vous de leur part ? » Vous savez, mes grands-parents étaient paysans et leur langue maternelle n’était pas le français mais le patois savoyard. Pourtant ils savaient que le savoir était la clé de l’ascension sociale.]
Oui. Mais vous noterez deux choses. La première, c’est que cette conscience que le savoir était la clé de l’ascension sociale ne leur est pas venue facilement. Je vous rappelle qu’au départ, il a fallu rendre l’école obligatoire, sans quoi les paysans n’auraient pas envoyé leurs enfants, préférant les garder aux champs. Et qu’il fallait souvent à l’instituteur un travail militant pour obtenir que les parents permettent aux enfants les plus doués de continuer au-delà de l’éducation obligatoire. C’était peut-être devenu naturel à l’époque de vos grands parents, mais cela ne s’est pas fait tout seul.
La seconde remarque est que plus que le « savoir », les paysans avaient compris que « l’école » était la voie de la promotion sociale. Et si l’institution avait acquis cette perception, c’est parce que la perception correspondait à la réalité : dans la France d’avant les années 1980, la croissance « aspirait » les enfants doués vers les meilleures formations, et on pouvait trouver presque 10% de fils d’ouvriers à Polytechnique ou à Centrale.
Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Les parents seraient fous de croire que l’école joue ce rôle, parce que ce n’est pas le cas. La société s’est figée avec la fin de la croissance, et l’ascenseur social a été cassé par des classes intermédiaires qui ne veulent pas de concurrence. C’est pourquoi l’ouvrier d’Hénin-Beaumont n’a pas dans le système la confiance que pouvaient avoir vos grands-parents.
[mais le problème est surtout qu’une majorité de la population ne réagit pas au déclin de l’EN (et a moins de vivre dans une grotte vous êtes au courant)]
Cela dépend de ce que vous appelez « le déclin de l’EN ». Quand il s’agit de la dégradation des conditions matérielles de l’enseignement, cela reste au contraire l’un des rares éléments qui provoque encore des mobilisations de terrain. Le non remplacement des enseignants, la suppression de classes, cela donne lieu à des protestations, des occupations de locaux et des interpellations dans la presse. Mais quand le « déclin » touche le niveau, c’est une autre histoire. Les parents – et cela était probablement aussi le cas du temps de vos grands-parents – perçoivent moins l’utilité du « savoir » que celle du « diplôme ». C’est ce dernier qui est déterminant fixer le statut social. Ce n’est pas le « savoir », qui est perçu tout au plus comme un extra bien superflu. Et c’est pour cette raison que la baisse du niveau du bac ne préoccupe pas les parents, tant qu’on le donne à tout le monde.
C’est cela le paradoxe : si demain on remontait le niveau, les parents seraient les premiers à protester. On le voit d’ailleurs dès qu’une épreuve du bac s’avère sélective, des recours sont introduits devant les rectorats – et même les tribunaux – au motif que l’épreuve est « trop difficile ». Parce que remonter le niveau, c’est pour les parents perdre l’assurance que leur petit chéri sera dans le lot.
[Si une majorité d’électeurs mettait le niveau de l’éducation avant le « pouvoir d’achat » nos marionnettes qui nous gouvernent auraient fait quelque chose.]
Malheureusement, le « niveau de l’éducation » est une variable transparente pour l’opinion publique. S’il n’y a pas d’enseignants pour accueillir vos enfants, cela se voit. Si vos enfants ne savent pas résoudre des problèmes de mathématiques dès qu’ils dépassent un certain niveau de complexité, cela se voit beaucoup moins. Quand l’industrie et l’armée avaient besoin de travailleurs et de soldats formés et capables, les classes dominantes mettaient la pression sur le système pour qu’il les forme. Dans un monde internationalisé où l’on peut aller chercher les compétences ailleurs, quel intérêt ont les classes dominantes à favoriser une formation de haut niveau pour les masses ?
[Les pays qui réussissent le mieux à ces évaluations sont en Asie. Ont-ils une EN meilleur que nous ?]
Non. Ils ont une croissance forte et soutenue et un appareil industriel qui se développe, et qui exige donc des compétences. Le mérite scolaire reste donc une voie de promotion sociale. On revient toujours au même problème : à quoi bon former des ingénieurs de haut niveau scientifique, des techniciens de qualité quand il n’y a plus d’industrie pour les accueillir ?
[Mais surtout les parents s investissent dans l education de leurs enfants (par ex en chine, les enfants vont dans des ecoles prives apres les cours, il y a une pression pour les faire travailler (probablement excessive en coree car ca mene a des suicides). Chez nous on a des petitions car une epreuve du bac est trop dure et on discute pour introduire l ecriture inclusive a l ecole … Essayez de reduire les vacances, de reintroduire les cours le samedi ou la selection et vous allez voir la levee de bouclier]
On est d’accord sur le constat. Mais il faut revenir à la cause : si les parents asiatiques « s’investissent dans l’éducation de leurs enfants » c’est aussi parce que dans ce pays cet investissement est très rentable. Chez nous, du fait de la désindustrialisation et de la faible croissance, ce n’est pas le cas. Quand l’ascenseur social a été cassé, il est normal que les gens ne se pressent pas pour rentrer dans la cabine.
[« Le problème n’est pas ici la responsabilité de « nos concitoyens » en général, mais la responsabilité de « certains concitoyens » en particulier. Ceux qui, par leur position sociale, ont les instruments pour comprendre le problème, et qui, dans une société bien fait, on corrélativement la responsabilité de le résoudre. » C’est un peu le cote de l’avant garde éclairée bolchevique]
C’est drôle que vous disiez cela. Quand je dis des choses comme ça à des sympathisants du PCF ou de LFI, on m’accuse d’être un indécrottable élitiste. Et vous, vous m’accusez d’être un pur bolchévique…
Je me contente en fait d’une constatation. Depuis des siècles, les sociétés s’organisent autour de l’idée que la stabilité d’une hiérarchie sociale résulte d’un pacte implicite. Les « élites » jouissent d’un certain nombre de privilèges (en général financés par l’effort des autres) mais en échange elles ont un certain nombre de devoirs dont ils ne sauraient s’affranchir. C’est la logique du « noblesse oblige ». Et en particulier, on exige des élites intellectuelles qu’elles mettent – au moins en partie – leur cerveau au service de la collectivité. Pourquoi faudrait-il en effet que le reste de la société paye la formation et les privilèges des élites si elles ne lui sont d’aucune utilité ?
L’idée d’une « avant-garde éclairée » bolchévique est une conséquence logique de la trahison de ce devoir par les élites installées. Puisqu’une élite est nécessaire à la société, et que les élites bourgeoises ont trahi ce mandat et ne sont plus utiles qu’à leur classe, il faut créer une « élite prolétarienne » qui, elle, se sentira liée par les obligations de service que les élites bourgeoises ont trahies.
[Le problème c’est que même si vous avez en haut quelqu’un qui veut faire, si les échelons en dessous ne veulent pas ça ne marche pas très bien. Surtout dans un système bureaucratique. Regardez les 80 % au bac de Chevènement. Objectif atteint (on est a 90%).]
Je regrette, mais je ne peux pas laisser passer une affirmation qui, pour être répétée, n’est pas moins fausse. Chevènement n’a jamais dit qu’il voulait « 80% au bac ». Chevènement avait fixé comme objectif de mener 80% des élèves « au niveau du bac », autrement dit, au niveau de connaissances qui était celui requis par le bac à l’époque. Cet objectif n’a jamais été atteint : on n’a pas aujourd’hui 80% d’élèves « au niveau du bac » de 1988. Même si 90% des candidats passent l’épreuve, le niveau du bac d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui des années 1980.
Le problème, ce n’est pas « les échelons en dessous ». C’est une question bien plus globale, celle du rapport de forces entre les classes sociales. Le projet chevènementiste était adapté à un pays qui conservait un appareil industriel puissant et sa place dans les affaires du monde. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait.
[« C’est pour cette raison que je reste persuadé que la « TVA sociale » est une bonne idée » D’accord avec vous. Mais on est déjà a 20 % de TVA. Les dépenses sociales c’est 848 milliards en 2022]
Il ne faut pas tout mélanger. Je veux bien que la campagne néolibérale à laquelle « Le Monde » contribue de façon signalée cherche à gonfler le plus possible les « dépenses sociales » pour accréditer l’idée que le modèle est insoutenable. Pour arriver à la somme de 848 Md€ on agrège donc tout en n’importe quoi. C’est quoi, pour vous, une « dépense sociale » ? Prenez par exemple le cas de la prévoyance : je paye une cotisation mensuelle, et en cas de maladie on me garantit le maintien de mon revenu. Qu’est ce qu’il y a de « social » là-dedans ? En quoi ce mécanisme, purement assurantiel, diffère de l’assurance habitation de mon appartement, ou de l’assurance tous risques de ma voiture ? Pourtant, la prévoyance est comptée comme une « prestation sociale » dans l’article que vous citez…
Même chose pour la retraite : la retraite n’est qu’un salaire différé. En quoi s’agit-il d’une « dépense sociale » ? Est-ce que pour la comparaison internationale on compte les prestations versées par les fonds de pension qui assurent les régimes de retraite dans d’autres pays ? Pourquoi une cotisation et une prestation versées par une caisse publique deviennent un problème, alors que lorsque la cotisation et la prestation sont gérées par une entité privée le problème disparaît.
[La TVA c’est 272 milliards cette annee Si on monte la TVA a 25 % on a 340 milliards (et encore je suppose ici qu il n y aura aucun effet negatif et neglige le taux reduit de TVA). Il faudrait mettre la TVA a 70 % pour remplacer les depenses sociales. Ce qui est evidement illusoire.]
Pourquoi ? Si je monte la TVA à 70% et que dans le même mouvement je supprime toutes les cotisations sociales pour les reverser au salaire, normalement l’opération est globalement neutre. Les dépenses restent les mêmes, les revenus restent les mêmes. Vous noterez qu’il y a déjà des produits pour lesquels les taxes se montent à 70% (les carburants).
[Il faut donc commencer par réduire ces dépenses sociales.]
C’est drôle… tout le monde dit « il faut commencer par réduire les dépenses sociales », personne ne dit « il faut commencer par réduire les prestations sociales ». Etonnant, non ? Comme si le lien entre la dépense et la prestation n’existait pas…
[C’est quand même possible , la France consacre 32 % du PIB au social, la moyenne de l UE 27 %]
Est-ce que vous auriez une comparaison A PERIMETRE CONSTANT ? Parce que, comme je l’ai montré plus haut, certaines dépenses qui sont considérées « sociales » quand elles sont prises en charge par des organismes publics cessent de l’être lorsqu’elles sont versés par des fonds privés.
[« il faut que le financement de la protection sociale grève la consommation, et non la production. » Comment vous comptez vous faire elire avec un tel programme, sachant que 50 % des votants sont des consommateurs qui ne produisent pas (aka les retraités)]
Plus facilement en tout cas qu’en proposant comme vous de réduire la dépense sociale, sachant qu’au moins 50% des votants (aka les retraités)vivent de cette dépense… je trouve mon programme bien plus facile à vendre que le votre !
@descartes
[La première, c’est que cette conscience que le savoir était la clé de l’ascension sociale ne leur est pas venue facilement. Je vous rappelle qu’au départ, il a fallu rendre l’école obligatoire, sans quoi les paysans n’auraient pas envoyé leurs enfants, préférant les garder aux champs.]
Ca je me demande si c est quand meme pas une legende urbaine en partie. Que les paysans fassent travailler leurs enfants aux champs c était une evidence (c était encore le cas dans les années 70 quand j étais enfant, j avais des copains qui devaient aider les parents pour les foins ou en alpage). Par contre ca concernait que certains mois de l année (en schématisant l hiver les enfants pouvaient aller a l ecole mais l été aux champs. D ou les 3 mois de vacances d été)
A l inverse je me rappelle bien qu un grand nombre de ces paysans (nés avant guerre) considérait l ecole comme le seul moyen pour leurs enfants d avoir une vie meilleure qu eux. Et de toute façon un seul fils ne pouvait reprendre la ferme (donc les autres enfants devaient faire quelque chose d autre)
[Et qu’il fallait souvent à l’instituteur un travail militant pour obtenir que les parents permettent aux enfants les plus doués de continuer au-delà de l’éducation obligatoire.]
La c était surtout un probleme financier (cf la vie d Albert Camus), meme si vous étiez persuadé de l interet de l ecole, il fallait pouvoir payer …
[dans la France d’avant les années 1980, la croissance « aspirait » les enfants doués vers les meilleures formations, et on pouvait trouver presque 10% de fils d’ouvriers à Polytechnique ou à Centrale.]
Ca ca correspond a la france des 30 glorieuses. Le grand père dont je parlais avant est né en 1888 et quand mon pere est né, on était pas encore dans cette période (au contraire c était la depression après crise de 1929 puis 2eme guerre mondiale)
[ Les parents seraient fous de croire que l’école joue ce rôle, parce que ce n’est pas le cas. La société s’est figée avec la fin de la croissance, et l’ascenseur social a été cassé par des classes intermédiaires qui ne veulent pas de concurrence. ]
Oui et non. C est sur que la fin des 30 glorieuses font que la promotion sociale est plus difficile (Vous noterez que meme en Chine ou la croissance est de plus de 5 % actuellement ils ont un probleme un exces de diplômés du superieur ). Mais je crois pas qu il y a eut une casse volontaire de l ascenseur social. C est simplement la pente naturelle du système. Le principe du moindre effort et du pas de vague fait qu on fait passer l eleve dans la classe supérieure meme s il n a pas le niveau ou qu il perturbe la classe.
[C’est pourquoi l’ouvrier d’Hénin-Beaumont n’a pas dans le système la confiance que pouvaient avoir vos grands-parents.]
Vous vous rappellez l article du monde ou on voit les habitants de Marseille payer des entraineurs de foot afin que leur fils soit le futur MBappe ?
Le système EN est loin d être parfait mais vous avez plus de chance d être polytechnicien que MBappe, meme en venant Marseille Nord (des MBappe il y en a 1 tous les 10 ans (et encore), je sais pas combien il y a de polytechniciens d origine modeste mais meme s il y en a 1 par an c est déjà 10 fois plus)
[Quand l’industrie et l’armée avaient besoin de travailleurs et de soldats formés et capables, les classes dominantes mettaient la pression sur le système pour qu’il les forme. Dans un monde internationalisé où l’on peut aller chercher les compétences ailleurs, quel intérêt ont les classes dominantes à favoriser une formation de haut niveau pour les masses ?]
Pour les travailleurs, passe encore, mais pour les soldats je pense qu on a jamais eut besoin de soldats eduqués (l Ukraine montre au contraire que le besoin, c est plutôt le poilu de 14-18 : capable d endurer des conditions de vie difficiles : froid, boue et combats rapprochés). On peut utiliser des armements pointus sans en comprendre le fonctionnement (combien de gens savent comment fonctionne leur smartphone ?)
[Ils [asie] ont une croissance forte et soutenue et un appareil industriel qui se développe, et qui exige donc des compétences.]
Vrai pour la chine, moins pour l inde et pas franchement pour le Bangladesh. Vous pouvez avoir une industrie qui se developpe et avoir besoin de peu de personne qualifiee (industrie de main d oeuvre type textile au Bangladesh) ou les importer (soit car la conception est faite ailleurs (genre apple (USA)/foxconn (chine)) ou car vous fonctionnez avec des multinationales qui vous fournissent le peu de personne qualifiee nécessaire (typiquement la production de pétrole au nigeria)
[à quoi bon former des ingénieurs de haut niveau scientifique, des techniciens de qualité quand il n’y a plus d’industrie pour les accueillir ?]
C est le probleme de la poule est de l œuf. A quoi ca sert d avoir des ingénieurs sans industrie ? comment avoir de l industrie sans ingenieur ? Si vous regardez les semi conducteurs a Taiwan, ils ont commence par former les gens et après ca a donné TSMC. C est aussi ce qui a permit la renaissance de la RFA après guerre. Il n y avait plus d usine mais les cerveaux étaient la
[Mais il faut revenir à la cause : si les parents asiatiques « s’investissent dans l’éducation de leurs enfants » c’est aussi parce que dans ce pays cet investissement est très rentable.]
Il y a surtout l influence de Confucius. Et dans le cas de la chine du système imperial (les cadres de l empereur étaient recrute par des examen. Très novateur pour l époque).
[Il ne faut pas tout mélanger. Je veux bien que la campagne néolibérale à laquelle « Le Monde » contribue de façon signalée cherche à gonfler le plus possible les « dépenses sociales » pour accréditer l’idée que le modèle est insoutenable.]
Le monde neo liberal ? vous parlez d un journal qui publie régulièrement des tribunes de Piketty expliquant qu il faut taxer les riches. Et piketty n est pas l exception dans la ligne du journal, le monde est un journal de centre gauche pour qui Macron est un affreux liberal alors que celui-ci est un etatiste pur jus capable de subventionner le racommodage de chausettes
[Pour arriver à la somme de 848 Md€ on agrège donc tout en n’importe quoi. C’est quoi, pour vous, une « dépense sociale » ? Prenez par exemple le cas de la prévoyance : je paye une cotisation mensuelle, et en cas de maladie on me garantit le maintien de mon revenu. Qu’est ce qu’il y a de « social » là-dedans ? En quoi ce mécanisme, purement assurantiel, diffère de l’assurance habitation de mon appartement, ou de l’assurance tous risques de ma voiture ? ]
Pas mal de chose.
Déjà votre assureur auto n est pas deficit depuis 50 ans. Ensuite votre prime d assurance auto est proportionnelle au risque : si vous avez une porsche et vous habitez marseille vous allez pas payer la meme chose que pour une dacia a Trifouilly les oies. Et vous pouvez choisir entre tout risque ou au tiers
[Même chose pour la retraite : la retraite n’est qu’un salaire différé.]
Ca c est du baratin pour faire passer la pilule. Ca presente mieux que de dire que c est un Ponzi
Le principe de la repartition c est de taxer les actifs a l instant T pour distribuer aux retraités au meme l instant T. Il n y a aucune garantie qu a T+1 le système soit encore viable (et vu la démographie c est mal parti).
C est en aucun cas un salaire differé qui est la vision populaire ou l etat met l argent dans un coffre fort magique pendant votre vie active et le ressort une fois a la retraite
C est d ailleurs assez facile a voir : Les premier retraités sont parti a la retraite en ayant rien cotisé.
De meme si je meurs demain, je ne touche rien. Si au contraire je vit 120 ans j aurait touché X fois ce que j aurais versé. Si je meurs, ma femme touche une pension de reversion alors qu elle n aurait jamais payé. Quel rapport avec un salaire differé qui devrait etre strictement proportionnel a ce qu on m a prelevé ?
Le système de retraite a été concu en 1945 pour éviter que les gens qui ne POUVAIENT plus travailler sombrent dans la misère (d ou son nom d assurance vieillesse qu on retrouve encore dans Caisse Nationale d Assurance Vieillesse)
Ca n a jamais été concu comme un système permettant a des gens en forme de faire du tourisme pendant 20 ans
[Pourquoi une cotisation et une prestation versées par une caisse publique deviennent un problème, alors que lorsque la cotisation et la prestation sont gérées par une entité privée le problème disparaît.]
Le probleme n est pas privé/public. Le probleme en France est le poids des prestations et le fait que le système est déficitaire depuis des dizaines d années et sans espoir de redressement. Si on reprend votre comparaison avec l assurance auto, j ai aucun probleme avec un système d assurance obligatoire qui equilibre recette/depense, qui couvre vos soins en cas de cancer (equivalent de l assurance auto au tiers) mais si vous voulez une clause « tout risque » c est plus cher, a vos frais et en fonction du risque. Sachant que l option « tout risque » est elle facultative sinon on retombe dans les travers du système francais
[Si je monte la TVA à 70% et que dans le même mouvement je supprime toutes les cotisations sociales pour les reverser au salaire, normalement l’opération est globalement neutre.]
Globalement oui (enfin si on suppose que personne ne va aller acheter a l etranger et que l attrait de la fraude a la TVA ne soit pas trop fort). Par contre vous allez avoir de gros gagnants et de gros perdants. Et vous pouvez être sur que les perdants vont hurler alors que les gagnants ne monteront pas trop au creneau
[Vous noterez qu’il y a déjà des produits pour lesquels les taxes se montent à 70% (les carburants).]
Ou les cigarettes, et vous avez surement constaté que ca induit un traffic ou simplement des achats frontaliers
{[C’est quand même possible , la France consacre 32 % du PIB au social, la moyenne de l UE 27 %]
Est-ce que vous auriez une comparaison A PERIMETRE CONSTANT ? Parce que, comme je l’ai montré plus haut, certaines dépenses qui sont considérées « sociales » quand elles sont prises en charge par des organismes publics cessent de l’être lorsqu’elles sont versés par des fonds privés. }
Vous ne trouverez evidement pas 2 systemes qui ont un périmètre equivalent. Par ex je suis pret a parier qu il n y a qu en France qu une femme peut se faire inseminer gratuitement parce qu elle veut un enfant et pas s embêter a trouver un geniteur qui lui convienne. Par contre on peut considérer que les systèmes de l UE sont assez similaire pour être comparable. Chacun a un système d assurance maladie, de chômage et de retraite. Si on compare avec la RFA (j y ai travaille donc je connais un peu le système) il y a des cotisations obligatoires retenues sur votre salaire pour ces 3 domaines et les depenses sont a 25 au lieu de 31 % du PIB. Et pour l avoir testé, je vous assure que vous ne risquez pas votre vie dans un hopital allemand. Par contre c est clair que le retraité allemand touche moins que le francais tout en ayant travaillé plus longtemps
[Plus facilement en tout cas qu’en proposant comme vous de réduire la dépense sociale, sachant qu’au moins 50% des votants (aka les retraités)vivent de cette dépense… je trouve mon programme bien plus facile à vendre que le votre !]
C est sur que les retraités sont pour une augmentation massive de la TVA. Ils peuvent facilement l éviter en allant vivre au Portugal ou au maroc 😉
Par contre les commerçants/artisans des regions a moins de 100 km d une frontiere vont moins aimer
@ cdg
[« La première, c’est que cette conscience que le savoir était la clé de l’ascension sociale ne leur est pas venue facilement. Je vous rappelle qu’au départ, il a fallu rendre l’école obligatoire, sans quoi les paysans n’auraient pas envoyé leurs enfants, préférant les garder aux champs. » Ca je me demande si c’est quand même pas une légende urbaine en partie.]
Vous voulez dire que l’école a été rendue obligatoire (et pas seulement en France) au XIXème siècle alors qu’il aurait suffit d’ouvrir des écoles pour que les parents fassent la queue pour y envoyer leurs enfants ? Croyez-moi, si pratiquement TOUS les pays ont institué une forme d’obligation scolaire, avec un service de contrôle et de sanctions à la clé, il doit bien y avoir une raison. Il est possible que dans la génération de vos grands parents cette obligation ait déjà été internalisée – et que les paysans aient perçu les avantages d’envoyer les enfants à l’école – suffisamment pour que la question ne se pose pas. Mais au départ, en 1881, le problème était une évidence.
[« Et qu’il fallait souvent à l’instituteur un travail militant pour obtenir que les parents permettent aux enfants les plus doués de continuer au-delà de l’éducation obligatoire. » La c’était surtout un problème financier (cf la vie d Albert Camus), même si vous étiez persuadé de l’intérêt de l’école, il fallait pouvoir payer …]
C’est discutable. Le système des bourses et autres formes de soutien était relativement généreux. Le problème était surtout qu’envoyer un adolescent au lycée, c’était se priver d’une paire de bras gratuits à la ferme…
[« dans la France d’avant les années 1980, la croissance « aspirait » les enfants doués vers les meilleures formations, et on pouvait trouver presque 10% de fils d’ouvriers à Polytechnique ou à Centrale. » Ca ca correspond a la france des 30 glorieuses. Le grand père dont je parlais avant est né en 1888 et quand mon père est né, on n’était pas encore dans cette période (au contraire c’était la dépression après crise de 1929 puis 2eme guerre mondiale)]
On ne peut pas réduire la question à celle des « trente glorieuses ». La modernisation du pays et l’industrialisation ont « aspiré » les enfants doués des couches populaires depuis la Révolution, avec une vraie accélération avec Napoléon III et encore plus avec la IIIème République. Le système de promotion social de la IIIème République porte la marque de besoin d’alimenter des élites scientifiques et techniques en expansion. Même si cette expansion a connu des crises périodiques, la tendance était toujours positive.
Le problème aujourd’hui est non seulement que la croissance est faible, mais qu’elle est portée par les services et non par l’industrie. Et cette croissance « tire » très faiblement la promotion sociale.
[« Les parents seraient fous de croire que l’école joue ce rôle, parce que ce n’est pas le cas. La société s’est figée avec la fin de la croissance, et l’ascenseur social a été cassé par des classes intermédiaires qui ne veulent pas de concurrence. » Oui et non. C est sur que la fin des 30 glorieuses font que la promotion sociale est plus difficile (Vous noterez que meme en Chine ou la croissance est de plus de 5 % actuellement ils ont un problème un excès de diplômés du supérieur ).]
Il ne faut pas confondre deux choses : il y a la question du nombre de diplômés, et la question du niveau des diplômés. Il est clair que lorsque la croissance se réduit, l’ascenseur social ne peut continuer à fonctionner en descendant à vide, sans les étages supérieurs deviennent vite surpeuplés. En Chine aussi les « classes intermédiaires » arrivent peut-être aux limites de leur expansion, et vont commencer à craindre pour leur statut… à ce moment-là, on peut imaginer qu’elles cassent l’ascenseur social, comme elles l’ont fait dans les pays occidentaux.
Mais cela n’a rien à voir avec le niveau de l’enseignement. On peut casser l’ascenseur social tout en continuant à dispenser un enseignement de qualité aux élites. Encore faut-il que cette « qualité » trouve à s’exercer. Quand vous n’avez plus d’industrie, on comprend que vous formiez de moins en moins de scientifiques…
[Mais je ne crois pas qu’il y a eu une casse volontaire de l’ascenseur social. C’est simplement la pente naturelle du système. Le principe du moindre effort et du pas de vague fait qu’on fait passer l’élève dans la classe supérieure même s’il n’a pas le niveau ou qu’il perturbe la classe.]
Je ne crois pas à une « casse volontaire » au sens où il n’y a pas eu de dirigeant pour se dire « tiens, on va faire baisser le niveau pour empêcher les enfants des couches populaires de prétendre aux meilleures situations ». Je ne crois pas aux visions machiavéliques de la lutte des classes. Je pense qu’il s’agit d’un mouvement dialectique, dans lequel la classe dominante fabrique l’idéologie qui lui permet de mieux servir ses intérêts. Pourquoi payer le coût de la discipline et de l’effort alors que vos intérêts demandent plutôt le contraire ?
[« C’est pourquoi l’ouvrier d’Hénin-Beaumont n’a pas dans le système la confiance que pouvaient avoir vos grands-parents. » Vous vous rappelez l’article du monde ou on voit les habitants de Marseille payer des entraineurs de foot afin que leur fils soit le futur MBappe ? Le système EN est loin d’être parfait mais vous avez plus de chance d’être polytechnicien que MBappe,]
Sauf « qu’être polytechnicien » et « être MBappé » ne sont pas des statuts équivalents. Le polytechnicien moyen gagne une centaine de milliers d’euros par an. Mbappé gagne cela en une journée. Je ne connais d’ailleurs aucun exemple de polytechnicien, vivant ou mort, qui ait gagné par son travail un revenu équivalent à celui de Mbappé.
Pour un enfant des quartiers nord de Marseille, devenir polytechnicien implique un effort beaucoup plus grand que de devenir footballeur professionnel, pour une espérance de gain plus faible. Le calcul que font les parents des futurs Mbappé n’est donc pas irrationnel.
[« Quand l’industrie et l’armée avaient besoin de travailleurs et de soldats formés et capables, les classes dominantes mettaient la pression sur le système pour qu’il les forme. Dans un monde internationalisé où l’on peut aller chercher les compétences ailleurs, quel intérêt ont les classes dominantes à favoriser une formation de haut niveau pour les masses ? » Pour les travailleurs, passe encore, mais pour les soldats je pense qu on a jamais eut besoin de soldats éduqués]
Cela dépend ce que vous appelez « éduqué ». En 1914-18 on avait besoin de soldats parlant français, capables de lire un ordre ou un manuel, de tracer une route dans une carte, de tenir un journal de marche. C’état cette éducation là que donnait le système scolaire obligatoire. Et il fallait aussi des officers en très grand nombre pour les encadrer, capables de faire des calculs d’artillerie par exemple.
[(l Ukraine montre au contraire que le besoin, c’est plutôt le poilu de 14-18 : capable d endurer des conditions de vie difficiles : froid, boue et combats rapprochés). On peut utiliser des armements pointus sans en comprendre le fonctionnement (combien de gens savent comment fonctionne leur smartphone ?)]
Oui et non. On peut utiliser un mortier sans comprendre la chimie des poudres, mais il faut avoir quelques éléments de mécanique pour pouvoir faire des calculs de trajectoire. On peut conduire un char sans savoir comment marche un moteur à explosion, mais pour le faire redémarrer en cas de panne, mieux vaut s’y connaître un peu. Je trouve qu’on sous-estime beaucoup le rôle de l’éducation dans la performance de l’armée française en 1914-18.
[« Ils [asie] ont une croissance forte et soutenue et un appareil industriel qui se développe, et qui exige donc des compétences. » Vrai pour la chine, moins pour l inde et pas franchement pour le Bangladesh.]
Je n’en suis pas convaincu. J’imagine que les formations dans le domaine du textile dispensées par les institutions d’enseignement bangladeshies sont probablement de très bon niveau. Bien entendu, ils ne forment pas des ingénieurs dans le spatial ou le nucléaire, puisqu’ils n’ont pas de développement industriel dans ces domaines. Il est clair que toutes les industries ne « tirent » pas de la même manière le développement de compétences. De ce point de vue, et contrairement à ce qu’avait dit un ministre néolibéral, fabriquer des bombons ou de l’acier, ce n’est pas la même chose.
[Vous pouvez avoir une industrie qui se développe et avoir besoin de peu de personnes qualifiées (industrie de main d’œuvre type textile au Bangladesh) (…)]
Parler « d’industrie de main d’œuvre » est presque une contradiction dans les termes. Qui dit « développement industriel » dit substitution de la main d’œuvre par la machine. Et cela implique toujours une montée en qualifications. Qu’elle ne soit pas du même niveau lorsqu’on fabrique des chemisettes et lorsqu’on fabrique des avions, c’est un fait. Mais le phénomène existe quand même.
[ou les importer (soit car la conception est faite ailleurs (genre apple (USA)/foxconn (chine)) ou car vous fonctionnez avec des multinationales qui vous fournissent le peu de personne qualifiee nécessaire (typiquement la production de pétrole au nigeria)]
L’exemple du pétrole est très mauvais : on ne « produit » pas le pétrole, on l’extrait. Et si le modèle que vous décrivez peut se présenter au démarrage, il n’est pas stable dans le temps. Une fois qu’on a la capacité de produire, la question de ne pas laisser à la multinationale la valeur ajoutée se pose toujours.
[« à quoi bon former des ingénieurs de haut niveau scientifique, des techniciens de qualité quand il n’y a plus d’industrie pour les accueillir ? » C est le probleme de la poule est de l œuf. A quoi ca sert d avoir des ingénieurs sans industrie ? comment avoir de l industrie sans ingenieur ? Si vous regardez les semi conducteurs a Taiwan, ils ont commence par former les gens et après ca a donné TSMC. C est aussi ce qui a permit la renaissance de la RFA après guerre. Il n y avait plus d usine mais les cerveaux étaient la]
Je dirais que c’est une dialectique. Oui, l’Etat peut pousser à la formation d’ingénieurs quand il anticipe une perspective de développement industriel, et ce choix politique devient autoréalisateur. Oui, une industrie naissante peut exiger de l’Etat qu’il forme les ingénieurs dont elle anticipe le besoin. Les deux processus peuvent d’ailleurs être simultanés. Le problème est qu’aujourd’hui chez nous non seulement il n’y a pas d’industrie pour accueillir des ingénieurs, mais rien ne permet d’anticiper un développement industriel, compte tenu de la logique de la construction européenne, des question géopolitiques, du manque d’intérêt évident de nos élites dirigeants pour l’industrie.
[« Mais il faut revenir à la cause : si les parents asiatiques « s’investissent dans l’éducation de leurs enfants » c’est aussi parce que dans ce pays cet investissement est très rentable. » Il y a surtout l’influence de Confucius. Et dans le cas de la chine du système impérial (les cadres de l’empereur étaient recruté par des examen. Très novateur pour l’époque).]
En France aussi on avait jusqu’à il n’y a pas si longtemps une philosophie méritocratique, et on recrutait les cadres de l’Etat par concours. Pourquoi les parents chinois continuent à y croire, et pas les parents français ?
[« Il ne faut pas tout mélanger. Je veux bien que la campagne néolibérale à laquelle « Le Monde » contribue de façon signalée cherche à gonfler le plus possible les « dépenses sociales » pour accréditer l’idée que le modèle est insoutenable. » Le monde néolibéral ? vous parlez d’un journal qui publie régulièrement des tribunes de Piketty expliquant qu’il faut taxer les riches.]
Et alors ? On peut toujours publier des tribunes de Piketty pour se donner bonne conscience. Il ne reste pas moins que lorsque vous lisez les articles des journalistes et collaborateurs permanents du journal, on est loin de demander la taxation des riches. Piketty écrit une tribune par mois, mais Leparmentier écrivait un article par jour. Par ailleurs, il ne faut pas confondre les choses. Les néolibéraux ne s’opposent pas forcément à la taxation des riches. Le néolibéralisme, c’est l’idéologie qui fait de la concurrence l’alpha et l’oméga de l’économie, et donc du marché la seul mécanisme de régulation acceptable. Il ne faut pas confondre « néolibéral » et « libertarien ».
[Et Piketty n’est pas l’exception dans la ligne du journal, le monde est un journal de centre gauche pour qui Macron est un affreux libéral alors que celui-ci est un étatiste pur jus capable de subventionner le raccommodage de chaussettes]
Je ne me souviens pas qu’en 2017 « Le Monde » ait dénoncé Macron comme un « affreux néolibéral ». Il faudrait que je consulte les archives, mais dans mon souvenir le journal avait fait campagne à peine déguisée pour lui. Par ailleurs, je trouve votre commentaire contradictoire : vous me dites que « Le Monde » critique un président « étatiste pur jus ». Cela laisserait penser que son cœur penche plutôt du côté libéral, non ?
« Le Monde » est le journal des classes intermédiaires supérieures. Il porte à la fois leurs intérêts et leur mauvaise conscience. Et c’est pour cela qu’il peut défendre à la fois des politiques néolibérales et donner la parole à des personnalités considérées comme « antilibérales », à condition qu’elles soient kacher – c’est-à-dire, eurolâtres.
[« Pour arriver à la somme de 848 Md€ on agrège donc tout en n’importe quoi. C’est quoi, pour vous, une « dépense sociale » ? Prenez par exemple le cas de la prévoyance : je paye une cotisation mensuelle, et en cas de maladie on me garantit le maintien de mon revenu. Qu’est-ce qu’il y a de « social » là-dedans ? En quoi ce mécanisme, purement assurantiel, diffère de l’assurance habitation de mon appartement, ou de l’assurance tous risques de ma voiture ? » Pas mal de chose. Déjà votre assureur auto n est pas deficit depuis 50 ans.]
Les caisses de prévoyance non plus. C’est pourquoi j’ai choisi cet exemple, plutôt que celui de la sécurité sociale…
[Ensuite votre prime d’assurance auto est proportionnelle au risque : si vous avez une Porsche et vous habitez Marseille vous n’allez pas payer la même chose que pour une Dacia a Trifouilly les oies. Et vous pouvez choisir entre tout risque ou au tiers]
Je n’ai pas très bien compris en quoi le risque de blesser ou de tuer quelqu’un, de provoquer des dégâts matériels serait plus grand en conduisant une Porsche qu’en conduisant une Dacia. Les primes que vous payez au titre de l’assurance aux tiers ne sont donc pas liées au risque. Pour ce qui concerne les dommages sur votre propre voiture, il est clair que le coût de réparation n’est pas le même… mais c’est la même chose pour le régime de prévoyance : votre cotisation est proportionnelle au revenu pour lequel vous êtes assuré. Enfin, pour la prévoyance vous avez aussi le choix de votre assurance (ce n’est pas une assurance obligatoire).
[« Même chose pour la retraite : la retraite n’est qu’un salaire différé. » Ca c’est du baratin pour faire passer la pilule. Ca présente mieux que de dire que c’est un Ponzi. Le principe de la répartition (…)]
Que rapport avec la « répartition » ? Le fait que la retraite est un salaire différé ne dépend pas de la manière dont la retraite est financée. Je vous ai déjà montré que le régime de répartition et celui par capitalisation sont équivalents (à la problématique du démarrage près). Dans les deux cas, la logique est la même : je dépose une partie de mon revenu dans une caisse, et lorsque j’aurais un certain âge je récupérerai un revenu actualisé versé par cette même caisse. La seule différence, c’est que dans le cas de la répartition, l’actualisation de ce revenu est liée à la croissance de l’économie, dans celui de la capitalisation elle est liée à la performance des marchés financiers (qui, en moyenne, sont très proches).
[(…)c’est de taxer les actifs a l instant T pour distribuer aux retraités au meme l instant T. Il n y a aucune garantie qu a T+1 le système soit encore viable (et vu la démographie c est mal parti).]
Le problème de la capitalisation est le même. Vous taxez les actifs à l’instant T, et vous mettez cet argent dans les marchés financiers. Rien ne vous garantit le niveau des versements à l’instant T+1. Demandez aux retraités d’ENRON…
[C est d’ailleurs assez facile à voir : Les premier retraités sont parti a la retraite en ayant rien cotisé.]
C’est là la seule différence entre les deux systèmes : le système par répartition permet de démarrer instantanément, le système par capitalisation nécessite au contraire d’attendre une génération. Autrement dit, si on avait créé en 1945 un système par capitalisation, la première génération à toucher une retraite pleine serait celle partant à la retraite dans les années 1980. Le choix de la répartition a permis, comme vous le dites, de finir avec la pauvreté des vieux bien plus rapidement.
[De meme si je meurs demain, je ne touche rien. Si au contraire je vit 120 ans j aurait touché X fois ce que j aurais versé.]
Tout à fait. C’est d’ailleurs un transfert des riches vers les pauvres, et des hommes vers les femmes puisque les ouvriers ont une espérance de vie très inférieure aux capitalistes, que les hommes ont une espérance de vie inférieure à celle des femmes…
Mais je vois mal le rapport avec la question du « salaire différé » (voir plus bas)
[Si je meurs, ma femme touche une pension de réversion alors qu’elle n’aurait jamais payé. Quel rapport avec un salaire différé qui devrait être strictement proportionnel à ce qu on m’a prélevé ?]
Je ne vois pas très bien ce qui vous conduit à affirmer qu’un salaire différé devrait être « strictement proportionnel à ce qu’on vous a prélevé ». J’ai l’impression que pour vous le fait que la retraite versée soit strictement équivalente à vos versements est la condition pour pouvoir qualifier de « salaire différé » la retraite. Mais ce n’est pas le cas. L’équilibre que vous évoquez est atteint – ou du moins ce devrait être le cas – au niveau collectif, et non au niveau individuel. Ce qui permet de qualifier la retraite de « salaire différé » est le fait que son montant est proportionnel au salaire, et que son financement est assuré par un prélèvement sur les salaires.
[Le système de retraite a été conçu en 1945 pour éviter que les gens qui ne POUVAIENT plus travailler sombrent dans la misère (d’ou son nom d’assurance vieillesse qu’on retrouve encore dans Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse) Ca n’a jamais été conçu comme un système permettant a des gens en forme de faire du tourisme pendant 20 ans]
Oui et non. Avant, la possibilité pour les gens en forme de faire du tourisme pendant 20 ans après la fin de la vie active était réservée aux personnes disposant d’un capital suffisant. Avec la retraite par répartition, cette possibilité a été ouverte aux classes intermédiaires – les ouvriers profitant très rarement de leur retraite pendant 20 ans, compte tenu de leur espérance de vie, ou de pouvoir faire du tourisme compte tenu du niveau de leurs pensions… Comme beaucoup de choses faites en 1945, l’objectif était d’ouvrir aux travailleurs pauvres ce qui auparavant était réservé aux riches.
[« Pourquoi une cotisation et une prestation versées par une caisse publique deviennent un problème, alors que lorsque la cotisation et la prestation sont gérées par une entité privée le problème disparaît. » Le problème n’est pas privé/public. Le problème en France est le poids des prestations et le fait que le système est déficitaire depuis des dizaines d’années et sans espoir de redressement.]
Pourquoi « sans espoir de redressement » ? Je vois parfaitement les moyens d’un redressement : je vous propose de faire travailler plus – que ce soit au niveau de la durée hebdomadaire ou de l’âge de la retraite – les plus qualifiés (c’est-à-dire, les plus productifs et ceux qui ont coûté plus cher à la société à former), de réindustrialiser le pays (c’est-à-dire, d’augmenter la productivité de manière à relaxer la contrainte du rapport numérique entre actifs et retraités), et pourquoi pas de taxer plus lourdement les pensions les plus élevées – notamment celles liées aux « retraites chapeau ». Un tel programme devrait pouvoir être accepté.
[Si on reprend votre comparaison avec l assurance auto, j ai aucun probleme avec un système d assurance obligatoire qui equilibre recette/depense, qui couvre vos soins en cas de cancer (equivalent de l assurance auto au tiers) mais si vous voulez une clause « tout risque » c est plus cher, a vos frais et en fonction du risque. Sachant que l option « tout risque » est elle facultative sinon on retombe dans les travers du système francais]
Je ne comprends pas cette remarque. Le système français est déjà organisé de cette façon. Vous avez un système obligatoire qui couvre un niveau minimal, et des systèmes complémentaires facultatifs. La seule différence par rapport à votre proposition est la question de l’équilibre entre les recettes et les dépenses. Sur la question purement comptable, je suis d’accord avec vous : un système qui n’équilibre pas sur le long terme les recettes et les dépenses pose un très sérieux problème. Là où nous différons, c’est sur les remèdes : pour équilibrer les comptes, vous pensez toujours aux dépenses et jamais aux recettes.
[« Si je monte la TVA à 70% et que dans le même mouvement je supprime toutes les cotisations sociales pour les reverser au salaire, normalement l’opération est globalement neutre. » Globalement oui (enfin si on suppose que personne ne va aller acheter a l etranger et que l attrait de la fraude a la TVA ne soit pas trop fort). Par contre vous allez avoir de gros gagnants et de gros perdants. Et vous pouvez être sûr que les perdants vont hurler alors que les gagnants ne monteront pas trop au créneau]
C’est le propre de toute réforme sérieuse. Je reste persuadé que si les objectifs sont clairs et partagés, on peut faire accepter aux Français pas mal de sacrifices.
[« Vous noterez qu’il y a déjà des produits pour lesquels les taxes se montent à 70% (les carburants). » Ou les cigarettes, et vous avez surement constaté que ca induit un traffic ou simplement des achats frontaliers]
Pour les carburants, le « traffic » est négligeable, tout comme les achats frontaliers. Le cas des cigarettes est très différent : la taxe est une taxe punitive, qui poursuit moins l’objectif de trouver des fonds que de diminuer la consommation.
[« « C’est quand même possible, la France consacre 32 % du PIB au social, la moyenne de l UE 27 % » » « Est-ce que vous auriez une comparaison A PERIMETRE CONSTANT ? Parce que, comme je l’ai montré plus haut, certaines dépenses qui sont considérées « sociales » quand elles sont prises en charge par des organismes publics cessent de l’être lorsqu’elles sont versées par des fonds privés. » Vous ne trouverez évidemment pas 2 systèmes qui ont un périmètre équivalent.]
Ce n’est pas la question. Ma question portait sur le calcul, pas sur le fonctionnement du système. En France, nous consacrons 32% du PIB à un certain nombre de dépenses qui définissent un périmètre de couverture. Combien on dépense dans les autres pays sur le même périmètre (quelque soit l’origine de la dépense) ?
[Par ex je suis pret a parier qu il n y a qu en France qu une femme peut se faire inseminer gratuitement parce qu elle veut un enfant et pas s embêter a trouver un geniteur qui lui convienne.]
Qui vous a dit qu’en France une femme peut se faire inséminer GRATUITEMENT, quelle en soit la raison ? C’est vrai, elle n’aura pas à débourser de l’argent à l’hôpital, mais pour avoir ce droit elle aura payé des cotisations de sécurité sociale, des cotisations de mutuelle, et des impôts pour couvrir le déficit. Est-ce qu’en prenant compte de toutes ces cotisations cela lui revient moins cher que d’aller dans un pays où l’on paye directement la clinique pour faire l’insémination ? J’aimerais voir des chiffres avant de répondre à cette question…
[Par contre on peut considérer que les systèmes de l UE sont assez similaire pour être comparable.]
Je n’en suis pas persuadé. Quels sont les éléments qui vous permettent d’affirmer pareille chose ?
[Chacun a un système d’assurance maladie, de chômage et de retraite.]
La Grande Bretagne, par exemple, n’a pas de système d’assurance maladie. Le NHS est financé par l’impôt, et non par des cotisations. Il est vrai que la Grande Bretagne n’est plus membre de l’UE, mais j’imagine que d’autres pays restés dans le carcan européen ont des systèmes semblables.
[Si on compare avec la RFA (j’y ai travaillé donc je connais un peu le système) il y a des cotisations obligatoires retenues sur votre salaire pour ces 3 domaines et les dépenses sont à 25 au lieu de 31 % du PIB.]
Je n’ai pas bien compris si ces « 31% de dépense sociale » ne comprends que ces trois domaines. Est-ce que les services de crèches, par exemple, sont inclus dans le « 31% de PIB » de dépense sociale ? A combien se montent les « cotisations obligatoires retenues sur votre salaire » en RFA ?
[Et pour l’avoir testé, je vous assure que vous ne risquez pas votre vie dans un hôpital allemand.]
Cela dépend beaucoup de l’endroit. J’ai des collègues qui ont travaillé à Greifswald, et ils racontent des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête.
[Par contre c est clair que le retraité allemand touche moins que le francais tout en ayant travaillé plus longtemps]
Mais en moyenne, les retraités allemands ont un niveau de vie très différent des retraités français ?
@ Descartes
L’homme qui rêvait de Matignon vient d’accoucher, dans la douleur apparemment, de son gouvernement.
Globalement, ça sent sacrément le réchauffé macroniste. Tout ça pour ça ! Macron refuse toujours ses dernières défaites électorales par lesquelles les Français ont clairement exprimé leur volonté de changement de cap. Il reste dans le déni, ou alors peut-être est-ce de “l’anti-démocratie” (primaire) ?
On devait avoir des “poids lourds”, on les attend toujours.
Je passe rapidement sur le retour, par la fenêtre, de Valls la girouette. On croyait pourtant s’en être débarrassé grâce aux Espagnols, mais non, l’appel de la soupe est trop fort. On se dit que personne ne devait se bousculer au portillon pour que Bayrou fît appel à ce champion de la traitrise et du reniement.
Le plus ahurissant, selon moi, est le retour de Borne. Faisons un petit retour en arrière (on a l’impression que tant de choses se sont passées – en même temps, rien de significatif paradoxalement -, mais c’était il y a peu). Elle a pendant des mois fait passer des mesures à coup de 49.3 et est restée “droite dans ses bottes” pour faire passer aux forceps la réforme des retraites rejetée massivement par les Français. Pour le dire vite, elle a gouverné contre les Français. Arrivent les élections européennes puis législatives, où sa politique est rejetée. Dans un pays “normal”, cela aurait dû sonner le glas de sa carrière politique, à tout le moins à un poste exécutif. Eh bien, comme si de rien n’était, la voici de retour quelques mois seulement après le verdict des urnes qui l’a rejetée. Les bras m’en tombent. Bayrou n’a-t-il rien compris ? Est-ce de la provocation ? Quarante ans de boutique et il ne mesure toujours pas l’importance des symboles (comme le montre le déplorable déplacement à Pau à peine nommé). Car nommer dans son gouvernement celle qui symbolise le non respect de l’esprit démocratique – si la réforme des retraites est techniquement légale, elle n’en reste pas moins illégitime – c’est plus qu’une maladresse, c’est un bras d’honneur adressé à des millions de Français. C’en est désespérant.
Je pense que ce gouvernement est encore plus fragile que le précédent.
Comment percevez-vous tout cela ?
@ Bob
[Globalement, ça sent sacrément le réchauffé macroniste. Tout ça pour ça !]
Quant on lit la liste des ministres, on voit plusieurs courants. On voit qu’on a raclé les fonds de tiroir en ressuscitant des figures de gauche qui avaient soutenu Macron en 2017 mais que ce dernier, une fois élu, avait maintenu à prudente distance malgré leur servilité (comme Valls, Rebsamen ou Bayrou lui-même). A côté, on voit venir des ministres qui sont des techniciens compétents (Lombard) ou des personnages respectés pour leurs qualités d’administrateurs et d’organisateurs (Borne, Valls, Darmanin) mais dont l’image politique est dans le meilleur cas inexistante (Lombard), dans le pire détestable, soit qu’ils représentent « l’ancien régime » (Borne, Darmanin) soit qu’ils soient démonétisés par leurs multiples trahisons (Valls). A côté, on retrouve les gens issus du « bloc central », courtisans macronistes qui s’accrochent aux attributs du pouvoir comme l’huitre au rocher. « Encore un instant, monsieur le bourreau »… et aussi quelques LR interchangeables.
Mais surtout, la composition de ce gouvernement traduit le plus gros échec de Bayrou. Son pari était de s’affranchir de la menace que représente RN en regroupant l’ensemble du « cercle de la raison ». Mais il n’a pas compris que la magie du verbe ne suffira pas pour que les socialistes prennent le risque de défier LFI. Croyait-il vraiment qu’en offrant neuf mois de discussions sur la réforme des retraites (sans même avoir l’assurance d’être là dans neuf mois) en annonçant que non seulement elle ne serait pas suspendue, mais que si un accord n’est pas trouvé elle continuera à s’appliquer les socialistes allaient tomber à ses pieds ? Il faut croire que oui, puisqu’il a offert un ministère à Xavier Bertrand, sachant que cela constituait un casus belli avec le RN. Aurait-il agi de la sorte s’il avait pensé dès le départ ne pas avoir le soutien d’une partie du NFP ?
En tout cas, c’est raté. Au « bloc central », on brocarde « l’irresponsabilité des socialistes », incapables de faire les concessions pour garantir la stabilité du gouvernement. C’est occulter le fait que le « bloc central », lui non plus, n’est prêt au moindre compromis.
[Macron refuse toujours ses dernières défaites électorales par lesquelles les Français ont clairement exprimé leur volonté de changement de cap. Il reste dans le déni, ou alors peut-être est-ce de “l’anti-démocratie” (primaire) ?]
Le Dr Freud aurait beaucoup à dire à dessus… Macron est un enfant capricieux qui a toujours eu ce qu’il voulait, sauf peut-être son échec à l’Ecole Normale, qui a laissé d’ailleurs un traumatisme durable chez lui. Il est dans une logique de toute-puissance – pensez à son « qu’ils viennent me chercher » après le fiasco Benalla. Il est persuadé que son verbe peut tout, que son pouvoir de séduction est infini. Si seulement on lui donne l’opportunité de parler, il est capable de convaincre n’importe qui – les gilets jaunes, Poutine, Trump – de suivre son point de vue. L’élection de 2024 est pour lui une énorme blessure narcissique, et le fait que l’Assemblée aujourd’hui l’ignore doit être terrible pour lui. Il s’imagine que par des manœuvres de coulisse il pourrait arriver à conserver son pouvoir – et donc à transformer la défaite en victoire.
C’est cela qui rend si dangereuse la situation actuelle : celui qui devrait être le gardien des institutions est embarqué dans un projet purement personnel : ne pas perdre la face. Et pour cela, il est prêt à mettre en danger non seulement les institutions, mais aussi le crédit du pays.
[On devait avoir des “poids lourds”, on les attend toujours.]
Mais où trouver des « poids lourds » ? Seriez vous capable de mentionner cinq « poids lourds » de moins de soixante ans ?
[Je passe rapidement sur le retour, par la fenêtre, de Valls la girouette. On croyait pourtant s’en être débarrassé grâce aux Espagnols, mais non, l’appel de la soupe est trop fort. On se dit que personne ne devait se bousculer au portillon pour que Bayrou fît appel à ce champion de la traitrise et du reniement.]
Je pense, en effet, que personne ne se bouscule au portillon. Seuls ceux qui sont déjà cramés peuvent se permettre d’apparaître dans ce gouvernement dont il ne peut sortir grande chose.
[Le plus ahurissant, selon moi, est le retour de Borne. Faisons un petit retour en arrière (on a l’impression que tant de choses se sont passées – en même temps, rien de significatif paradoxalement -, mais c’était il y a peu). Elle a pendant des mois fait passer des mesures à coup de 49.3 et est restée “droite dans ses bottes” pour faire passer aux forceps la réforme des retraites rejetée massivement par les Français. Pour le dire vite, elle a gouverné contre les Français.]
Comme je l’ai expliqué plusieurs fois, le 49.3 n’est pas un outil pour « gouverner contre les français », mais pour obliger les parlementaires à prendre leurs responsabilités. Chaque fois qu’elle a utilisé le 49.3, les parlementaires ont eu l’opportunité de la censurer. Ils ne l’ont pas fait ? Alors, il faut conclure qu’ils n’étaient pas si opposés que cela au texte concerné. Ceux qui n’ont pas voté la censure quand la réforme des retraites est passée ont en fait voté POUR la réforme en question. Par ailleurs, Borne n’a pas été l’utilisatrice la plus assidue du 49.3. C’est Michel Rocard qui tient la palme, avec Raymond Barre bon second.
La nomination de Borne à l’Education est à mon avis une bonne chose pour l’Education : c’est une excellente administratrice, une femme qui travaille sérieusement les dossiers et qui sait écouter les experts tout en conservant une capacité d’arbitrer entre eux. C’est par ailleurs un politicien qui croit à la méritocratie, avec une formation scientifique, deux choses qui devient rare dans cette république des HEC-ESSEC. Par contre, c’est à mon avis une erreur politique : alors que le pays demande une rupture, on lui propose la continuité. Alors qu’il veut du neuf, on lui propose du recyclé. Quelque soient les qualités et les défauts de Borne, son nom est attaché à la réforme des retraites et à la continuité macronienne après la demie-défaite de 2022
[Quarante ans de boutique et il ne mesure toujours pas l’importance des symboles (comme le montre le déplorable déplacement à Pau à peine nommé). Car nommer dans son gouvernement celle qui symbolise le non respect de l’esprit démocratique – si la réforme des retraites est techniquement légale, elle n’en reste pas moins illégitime – c’est plus qu’une maladresse, c’est un bras d’honneur adressé à des millions de Français. C’en est désespérant.]
Ce qui me désespère, c’est surtout la passivité de l’opinion. En d’autres temps, le peuple serait sorti dans la rue pour moins que ça. Aujourd’hui, on ne voit rien. Tout se passe comme si les gens avaient cessé de croire à la possibilité de changer quoi que ce soit par leur vote comme par leur action. Alors on laisse les politiciens à leurs petits jeux, et on s’occupe d’autre chose.
[Je pense que ce gouvernement est encore plus fragile que le précédent.]
Oui et non. Oui, parce que sa base est encore plus étroite que celle de Barnier – il a perdu le soutien inconditionnel des LR sans pour autant rien gagner sur sa gauche. Non, parce que l’inquiétude croissante de l’opinion devant l’instabilité fera que les partis réfléchiront deux fois avant de le censurer. Mais la plus grande fragilité est interne. Bayrou est un minable qui, comme Christophe Collomb, « ne savait pas où il était, ne savait pas où il allait, et tout ça aux frais du contribuable ». Je ne sais pas si vous avez écouté son entretien d’hier soir, après la nomination de son gouvernement. Il a été incapable de répondre à une seule question autrement qu’avec des divagations générales. Dès que la question devient précise sur ce qu’il fera ou ce qu’il fera pas, il esquive. A part de vagues bonnes intentions et d’appels iréniques à « travailler ensemble », il n’a rien à proposer.
C’est pourquoi il ne risque pas la censure immédiate, et qu’il s’accrochera au pouvoir en faisant ce qu’il sait faire de mieux : rien. Ou du moins rien de ce qui risque de créer un casus belli, ce qui réduit considérablement sa marge de manoeuvre. Combien de temps pourra-t-il naviguer de cette façon ? C’est là toute la question…
@ Descartes
Hier matin, un auditeur de France Inter a réussi à passer le filtrage pour dire en direct tout le mal qu’il pense de Valls. Beaucoup de Français pensent sans doute à peu près la même chose dudit Valls. L’épisode est relativement intéressant car il montre la censure opérée par France Inter d’une part, ce qui ne contribue pas à rendre les hommes politiques conscients de ce que le peuple pense d’eux d’autre part les laissant dans leur “tour d’ivoire”, puisque le média “aux ordres” empêche l’opinion vraie de remonter. Valls, par exemple, réalise-t-il le niveau d’impopularité qui est le sien ? L’auditeur se prénommait Jean-Noël, il nous a fait là un joli cadeau.
[Comme je l’ai expliqué plusieurs fois, le 49.3 n’est pas un outil pour « gouverner contre les français », mais pour obliger les parlementaires à prendre leurs responsabilités.]
C’est vrai, vous avez raison de le rappeler une nouvelle fois (ça va finir par rentrer).
[Ce qui me désespère, c’est surtout la passivité de l’opinion. En d’autres temps, le peuple serait sorti dans la rue pour moins que ça. Aujourd’hui, on ne voit rien].
On le comprend. Pour dire son rejet de la réforme des retraites, il a battu le pavé par millions à de multiples reprises. Il a été ignoré. Alors, à quoi bon manifester ?
@ Bob
[Hier matin, un auditeur de France Inter a réussi à passer le filtrage pour dire en direct tout le mal qu’il pense de Valls.]
C’est un grand classique : quand vous appelez le standard à la matinale, on vous demande ce que vous voulez dire. Si votre question n’est pas « politiquement correcte », vous ne passez jamais à l’antenne. Le secret est de répondre quelque chose de politiquement correct, et une fois à l’antenne poser une autre question. Ce n’est pas la première fois qu’un auditeur réussit ce coup.
[Beaucoup de Français pensent sans doute à peu près la même chose dudit Valls.]
Faut dire qu’on ne prête qu’aux riches. Valls, c’est la figure du traître, de l’homme prêt à tout renier pour favoriser sa carrière, jusqu’à la caricature. Beaucoup de gens l’ont oublié, mais en 2017 Valls se présente à la primaire socialiste, et pour cela signe un engagement de soutenir le candidat issu de cette primaire. C’est là un engagement qui semble aller de soi – on ne participe pas à un processus dont on n’acceptera le résultat quel qu’il soit – mais les socialistes, qui connaissent les bœufs avec lesquels ils labourent, ont poussé la chose jusqu’à exiger un engagement formel. Et bien, dès que le résultat fut connu – c’est Benoît Hamon qui remporta le vote – Valls déclara son soutien à Emmanuel Macron… tout en se déclarant prêt à travailler avec François Fillon s’il devait l’emporter. Autre exemple, après avoir sollicité les électeurs d’Evry et avoir été élu en 2017 pour les représenter en jurant par ses grands dieux qu’il ne les quittera jamais, il choisira de démissionner un an plus tard pour postuler à la mairie de Barcelone, déclarant que « la politique française, c’est fini ». S’étant pris en râteau en Espagne en 2018, il revient aujourd’hui la main sur le cœur affirmant qu’il n’a d’autre priorité que travailler pour notre pays…
[L’épisode est relativement intéressant car il montre la censure opérée par France Inter d’une part,]
Cela ne surprendra que ceux qui veulent bien être surpris…
Bonsoir Descartes,
Merci pour cet article et au passage j’en profite pour vous souhaiter à vous et à vos proches d’excellentes fêtes de fin d’année.
J’aurais aimé avoir votre sentiment sur un événement récent européen, et, je le crois, d’importance, passé quasiment ou presque sous les radars des médias : l’élection présidentielle Roumaine de cette année. Je ne sais pas si vous avez suivi le sujet, mais ce qui s’est passé est quand même assez délirant, si on se pose en défenseur de la démocratie, et non pas du prétendu “état de droit”.
En somme, la Cour suprême Roumaine, surle motif qu’une influence étrangère (Russe il va de soi, car ce serait Américain, on n’en parlerait pas…) aurait altéré le consentement des citoyens, a annulé le second tour des élections présidentielles. Le candidat arrivé en tête, estampillé “extrême droite” par les médias dominants, russophile et peu enclin à soutenir l’Ukraine, avait il est vrai, tout pour déplaire, tant à Bruxelles que dans les autres cénacles américanophiles.
Comment interprétez vous cet événement et le silence (gêné?) qui l’entoure par chez nous? Pensez-vous qu’en France dans quelques années, le Conseil constitutionnel, pourrait en arriver aux mêmes extrémités?
Le juge, qu’il soit européen, national ou international (je pense à l’arbitrage) gagne du terrain depuis des années, mais en Europe, je n’ai pas mémoire qu’il ait déjà pu faire annuler un scrutin d’une telle importance… Où cela s’arrêtera-t-il?
@ Bruno
[J’aurais aimé avoir votre sentiment sur un événement récent européen, et, je le crois, d’importance, passé quasiment ou presque sous les radars des médias : l’élection présidentielle Roumaine de cette année. Je ne sais pas si vous avez suivi le sujet, mais ce qui s’est passé est quand même assez délirant, si on se pose en défenseur de la démocratie, et non pas du prétendu “état de droit”.]
D’une manière générale, on assiste à une tendance constante du bloc dominant à s’affranchir du suffrage universel. Ce n’est pas nouveau : il y a une contradiction de fond entre le pouvoir réel du bloc dominant, qui repose sur un rapport de forces fondé sur le contrôle des moyens de production, et le mode de légitimation de ce pouvoir, qui est depuis le XIXème siècle le suffrage universel, qui repose sur un rapport de forces numérique. Tant qu’il n’y a pas un décalage trop grand tout va bien, mais dès qu’un décalage trop grand apparaît entre le rapport de forces matériel et le rapport de forces numérique, on contourne sans vergogne ce dernier.
Ce n’est pas nouveau. Comme le raconte Georgette Elgey dans « la république des illusions », Maurice Thorez aurait du être investi comme président du conseil en 1947 avec quelques voix d’avance. Marcel Le Troquer, président de l’Assemblée nationale, falsifia le comptage des voix, et il manqua quelques voix pour l’investiture. On se souviendra aussi qu’en 1992 le traité de Maastricht fut rejeté par référendum par les Danois. Et bien, on n’a pas hésité à les refaire voter jusqu’à obtenir le résultat désiré par Bruxelles. Même chose lors du traité constitutionnel. Après le rejet par référendum en France, on a remis le couvert avec le traité de Lisbonne – même si la ratification parlementaire a privé le texte du caractère constituant qu’avaient voulu lui donner ses rédacteurs.
Les évènements en Roumanie ne font que prolonger la logique que les élites européennes avaient déjà exprimé lors du coup d’Etat qui renverse le président élu de l’Ukraine, Viktor Ianoukovytch, dont le crime inexpiable est d’avoir refusé de signer l’accord d’association avec l’UE, ligne qu’elles continuent à suivre par exemple en Georgie, ou l’on applaudit au fait que le président pro-européen prétend se maintenir à son poste à la fin de son mandat et on finance des mouvements de désobéissance civile à un gouvernement pourtant régulièrement élu.
Le cas Roumain est encore plus préoccupant, pour deux raisons. D’abord, parce qu’il s’agit d’un pays membre de l’Union, et donc en théorie pourvu de toutes les garanties démocratiques au niveau de ses institutions. Ensuite, parce que pour la première fois on assiste à une claire immixtion des juges dans le processus politique. En effet, les juges seraient dans leur rôle s’ils annulaient l’élection constatant une irrégularité dans les opérations de vote. Mais en étendant leur contrôle à une supposée « influence étrangère », ils portent atteinte au principe même de la démocratie, à savoir, le postulat que l’électeur est un être rationnel capable de faire le tri dans les discours des candidats et d’exprimer un véritable choix. Si l’on accepte l’idée que les mensonges susceptibles d’influencer les électeurs portent atteinte à la validité du résultat, il sera difficile de trouver une seule élection dans le passé qui échappe à la censure…
On sait depuis des années que des puissances étrangères cherchent à influencer les résultats des élections. Aurait-on oublié que les Américains ont pendant des années financé certains partis politiques et syndicats bien de chez nous ? Qu’ils ont financé des médias et fourni des contenus, stipendié des journalistes et des écrivains ? De ce point de vue, les Russes n’ont rien inventé. La seule différence, c’est que les influences américaines vont dans le sens du « bloc dominant », et pas les influences russes.
Jusqu’à maintenant, le « bloc dominant » avait la sagesse d’éviter des interventions trop évidentes, qui – le cas du traité de Lisbonne le montre – finissent par réduire à néant la valeur du vote comme instrument de légitimation. Je ne connais pas assez la politique roumaine pour savoir quel effet l’annulation aura en Roumanie. Mais j’imagine quelle serait ma réaction si j’avais voté pour un candidat, que celui-ci était bien placé pour l’emporter au deuxième tour, et que celui-ci se voyait privé d’élection par la décision subjective des juges : je conclurais que voter ne sert à rien.
[Comment interprétez-vous cet événement et le silence (gêné?) qui l’entoure par chez nous? Pensez-vous qu’en France dans quelques années, le Conseil constitutionnel, pourrait en arriver aux mêmes extrémités ?]
Je pense que le silence qui entoure cette affaire tient en partie au malaise créé par le contournement par nos élites – gauche et droite réunies – du résultat du référendum de 2005 avec la ratification du traité de Lisbonne. A cela s’ajoute le fait que notre tradition politique ne porte pas très haut la figure du juge, perçue plutôt comme un défenseur des intérêts particuliers plutôt que de l’intérêt général. La formule de Mitterrand (« les juges ont eu la peau de la monarchie, ils auront la peau de la République ») reflète bien le sentiment général : les juges n’ont rien à faire en politique.
Le peuple français est un « peuple politique » qui, contrairement au peuple Allemand, « peuple juridique ». Il n’accepte que très difficilement l’idée d’un droit « naturel », apolitique, dont le juge serait le gardien incorruptible. C’est pourquoi le judiciaire n’a jamais été chez nous un « pouvoir », tout au plus une « autorité ». Le Conseil constitutionnel est pleinement conscient de la fragilité de sa position et c’est pourquoi il a historiquement toujours été très prudent. En témoigne par exemple son refus de contrôler les lois référendaires : « il résulte de l’esprit de la Constitution (…) que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 [celles soumises au contrôle du conseil constitutionnel] sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple à la suite d’un référendum, constituent l’expression directe de la souveraineté nationale » (DC du 6 novembre 1962).
Même si la construction européenne se traduit par une « judiciarisation » de plus en plus importante de nos institutions et une pénétration du jusnaturalisme allemand, on est très loin de la situation ou le Conseil pourrait se permettre un coup d’Etat à la roumaine. Le cas s’est déjà présenté d’ailleurs lorsque le Conseil a été confronté au dépassement des plafonds de campagne par Jacques Chirac en 1995. Alors même qu’une annulation aurait reposé sur des faits objectifs et sur une infraction caractérisée, les neuf sages ont bien compris qu’une annulation risquait d’être interprété par l’opinion comme un acte politique, et se sont prudemment abstenus.
@ Descartes
[je conclurais que voter ne sert à rien.]
Si nous prenons l’exemple de la France, nous avons eu des élections législatives qui ont mis aux premières places LFI et le RN. Les deux derniers gouvernements (Barnier et Bayrou) ne comportent aucun ministre de ces deux partis.
Diriez-vous aussi que chez nous “voter ne sert à rien” ?
@ Bob
[Si nous prenons l’exemple de la France, nous avons eu des élections législatives qui ont mis aux premières places LFI et le RN. Les deux derniers gouvernements (Barnier et Bayrou) ne comportent aucun ministre de ces deux partis. Diriez-vous aussi que chez nous “voter ne sert à rien” ?]
C’était un peu le point de mon article. Ce qui se passe chez nous depuis juillet montre qu’une partie très importante de notre classe politique ne tient guère compte des messages transmis par les électeurs. Notre establishment politique a une vision purement juridique de la politique: si les procédures formelles vous permettent de vous maintenir au pouvoir, il n’y a pas à hésiter. Et peu importe que le peuple ait exprimé clairement le rejet sur le fond. Cette conception est à l’opposé de celle qui animait les fondateurs de la Vème République, et mongénéral en premier. Alors qu’en 1969 rien ne l’obligeait à partir, que ses partisans avaient une confortable majorité à l’Assemblée et que son mandat ne s’achevait que trois ans plus tard, il s’est considéré obligé de partir dès lors que le peuple lui avait refusé sa confiance sur une réforme qu’il considérait importante.
C’est cette conception “juridique” qui transforme le débat politique en une pure question tactique. A partir du moment où vous arrivez à réunir suffisamment d’élus, pourquoi ne pas faire voter un traité qui a été rejeté par le peuple par référendum ? S’il ne se trouve pas assez de députés pour voter une censure, pourquoi s’abstenir de faire voter une loi dont on sait qu’elle est rejetée par une majorité de la population ? C’est ainsi qu’on aboutit à une situation où la question n’est plus de savoir si le gouvernement a ou non la confiance des Français, mais s’il arrive par des magouilles de couloir à éviter la censure à l’Assemblée.
@ Descartes
***Aurait-on oublié que les Américains ont pendant des années financé certains partis politiques et syndicats bien de chez nous ?***
Ils ont même encouragé et financé la création du syndicat FO en 1947, pour affaiblir la CGT qui à l’époque était d’obédience communiste. Dans le cadre de la guerre froide, ou pas froide du tout, ils ont utilisé tous les moyens pour combattre le socialisme, partout dans le monde. Ils se sont parfois cassé les dents (à Cuba, au Vietnam…), mais globalement ils ont pas mal réussi.
On pourrait écrire plusieurs volumes encyclopédiques sur le sujet, mais il y a un épisode peu connu: Pendant la conférence de Potsdam en juillet 1945, Staline demande que le dictateur Franco soit déboulonné, compte tenu des liens sanglants qu’il avait eu avec Hitler et Mussolini, mais Truman refuse car au fond le premier guerrier de la guerre froide c’est Franco, et puis les USA n’ont aucune envie que “les rouges” reprennent le pouvoir en Espagne et ils savent qu’ils vont pouvoir corrompre le dictateur pour implanter des bases militaires sur la péninsule.
Meilleurs voeux 2025 à tous et merci à Descartes pour la tenue du blog
@ Manchego
[Pendant la conférence de Potsdam en juillet 1945, Staline demande que le dictateur Franco soit déboulonné, compte tenu des liens sanglants qu’il avait eu avec Hitler et Mussolini, mais Truman refuse car au fond le premier guerrier de la guerre froide c’est Franco, et puis les USA n’ont aucune envie que “les rouges” reprennent le pouvoir en Espagne et ils savent qu’ils vont pouvoir corrompre le dictateur pour implanter des bases militaires sur la péninsule.]
Les “démocraties européennes”, aujourd’hui si soucieuses de ce qui peut se passer en Georgie ou en Moldavie, ont pendant presque trente ans fait mine d’ignorer ce qui se passait à leur porte, dans l’Espagne de Franco ou le Portugal de Salazar. Et personne ne semble s’émouvoir de cette étrange amnésie…
@ Descartes
[On se souviendra aussi qu’en 1992 le traité de Maastricht fut rejeté par référendum par les Danois. Et bien, on n’a pas hésité à les refaire voter jusqu’à obtenir le résultat désiré par Bruxelles. Même chose lors du traité constitutionnel. Après le rejet par référendum en France, on a remis le couvert avec le traité de Lisbonne]
L’Irlande, par référendum, rejeta le traité de Lisbonne en 2008
https://www.lejdd.fr/International/L-Irlande-dit-non-a-l-Europe-91582-3276362
L’UE est passé outre.
Décidément, quand on leur demande, les peuples européens ne votent pas comme “on” veut. C’est sans doute pour cela qu’on ne lui demande pas souvent son avis…
[ Deux heures plus tard, Jupiter nous informe par communiqué qu’il a décidé de réaliser le rêve que François Bayrou caresse depuis des décennies. Celui de rentrer à Matignon.]
C’est bien beau de réaliser les rêves mais ce rêve qui consiste juste à rentrer à Matignon est ce que ça en vaut la peine dans de telle condition ? Je pense que ce gouvernement va duré seulement quelques mois. C’est peu pour profiter de son rêve.
@ Glarrious
[C’est bien beau de réaliser les rêves mais ce rêve qui consiste juste à rentrer à Matignon est ce que ça en vaut la peine dans de telle condition ?]
C’est le sens de ma citation: “quand les dieux veulent nous punir, ils réalisent nos rêves”…
Après, ce sont les circonstances difficiles qui font surgir les grands hommes, qui leur donnent l’opportunité de montrer de quoi sont capables. Par beau temps, n’importe quel capitaine fait l’affaire. Ce sont les tempêtes qui donnent aux grands capitaines l’opportunité de se révéler. Bayrou s’est toujours pris pour un homme d’Etat. Et bien, voilà son opportunité de montrer de quoi il est fait.
Hors sujet
Les fêtes ont été l’occasion de commander et de lire le petit essai d’Antoine Foucher, “Sortir du travail qui ne paie plus”. Ce livre a apparement a eu un certain retentissement dans la classe politique. Je l’ai lu sceptique, d’autant que les premières pages contiennent quelques attaques pas très pertinentes (voire à coté de la plaque) sur la vision marxiste du capitalisme, mais je dois dire que malgré le style d’écriture plutot médiocre, sur le plan des idées, c’est plutôt pertinent.
Sur le plan du diagnostic, le comparatif des taux de taxation et cotisations sur le travail versus ceux des rentes est sans appel, mais c’est au niveau des solutions que le propos détonne sérieusement: en gros, augmenter la taxation des gros héritages (supérieurs à 500.000 par personne), des pensions de retraites des 20% les plus aisés, du capital pour aboutir à un taux équivalent à la taxation du travail. Et aussi augmenter la TVA hors produits de première nécessité, tout en jouant sur la TVA différenciée pour privilégier le fabriqué en France et éviter que ce gain de pouvoir d’achat ne s’évapore en augmentant le déficit de la balance commerciale.. Mesures que l’auteur préconise de faire approuver par la voie référendaire.
C’est court à lire, c’est très accessible dans son propos, c’est forcément imparfait mais je pense que c’est un excellent cadeau à offrir pour les etrennes. Et si vous ne l’avez pas, je serais ravi de vous en faire parvenir un exemplaire 😉
@ P2R
[Les fêtes ont été l’occasion de commander et de lire le petit essai d’Antoine Foucher, “Sortir du travail qui ne paie plus”.]
Il n’est pas inutile de rappeler que Foucher est un ancien cadre du MDEF, et qu’il fut directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail, du temps du macronisme triomphant. Je méfie toujours des gens qui découvrent ce qu’il aurait fallu faire quand ils n’ont plus les moyens de le faire… sans pour autant exhiber le moindre signe d’autocritique.
[Sur le plan du diagnostic, le comparatif des taux de taxation et cotisations sur le travail versus ceux des rentes est sans appel,]
Mais n’a rien de nouveau. Le PCF dénonçait déjà ce déséquilibre dans les années 1980, et cela ne s’est pas arrangé depuis. La seule nouveauté, si l’on peut dire, c’est de voir que même chez les patrons on commence à prendre conscience de la chose.
[mais c’est au niveau des solutions que le propos détonne sérieusement: en gros, augmenter la taxation des gros héritages (supérieurs à 500.000 par personne), des pensions de retraites des 20% les plus aisés, du capital pour aboutir à un taux équivalent à la taxation du travail. Et aussi augmenter la TVA hors produits de première nécessité, tout en jouant sur la TVA différenciée pour privilégier le fabriqué en France et éviter que ce gain de pouvoir d’achat ne s’évapore en augmentant le déficit de la balance commerciale.. Mesures que l’auteur préconise de faire approuver par la voie référendaire.]
Vous avez oublié une mesure, et ce n’est pas un détail : une baisse radicale des cotisations sociales. Et c’est là qu’on voit le côté « cheval de troie » du discours. D’un côté on propose des mesures rationnelles et ambitieuses, mais qui n’ont aucune chance de voir le jour : la TVA différentiée en fonction de l’origine implique un changement profond de nature de l’UE, puisque l’UE tel que nous la connaissons s’est construite précisément sur la prohibition absolue de ce type de différentiation. La taxation de l’héritage est une grenade politique qu’aucun parti aujourd’hui n’osera dégoupiller. Par contre, la baisse radicale des cotisations sociales c’est quelque chose de parfaitement faisable « hic et nunc »…
[C’est court à lire, c’est très accessible dans son propos, c’est forcément imparfait mais je pense que c’est un excellent cadeau à offrir pour les etrennes. Et si vous ne l’avez pas, je serais ravi de vous en faire parvenir un exemplaire 😉]
Je n’ai jamais refusé un cadeau, surtout s’il s’agit d’un livre ! Mais je dois lire que la fiche de lecture que j’ai eu entre les mains concernant cet ouvrage ne m’a guère enthousiasmé…