L’ère du vide

« Un taxi vide est entrée dans la cour du Parlement, et monsieur Clément Attlee en est descendu » (Winston Churchill)

Aujourd’hui, je vais me lancer dans un style littéraire inédit : je vais commenter des non-évènements. Je parle bien entendu de la nomination d’un non-premier ministre, en la non-personne de Gabriel Attal le 9 janvier dernier. Un non-évènement suivi d’un autre, la conférence de presse du non-président de la République du 16 janvier.

Il paraît que depuis le 9 janvier, nous avons un nouveau premier ministre, c’est-à-dire, un homme qui depuis l’Hotel Matignon « détermine et conduit la politique de la nation », selon les termes consacrés par la Constitution. Est-il possible, sans consommer des produits illégaux, imaginer Gabriel Attal dans ce rôle ? Impossible, non, difficile, certainement, surtout après avoir constaté qu’il hérite ses principaux ministres du gouvernement d’Elisabeth Borne, et que ceux-ci déclarent rester en poste par la volonté exclusive de l’occupant de l’Elysée sans même en avoir discuté avec le nouveau premier ministre.  

Et ce n’est pas une question d’âge : à 34 ans, on peut avoir beaucoup vécu. Pensez à ces jeunes qui à vingt ans ont connu l’enfer des tranchées. Ou bien ceux qui ont rejoint la Résistance ou la France Libre en laissant tout derrière eux, avec au bout la perspective des batailles, de la torture, de la déportation, de la mort. Quatorze ans plus tard, ils avaient vécu pour beaucoup la fraternité des combats, la peur de l’arrestation, la prison, la déportation, les combats de la Libération et ceux de la reconstruction. Ils avaient vécu des tragédies, et eu l’opportunité d’en tirer les leçons. Plus près de moi, je pense à mon grand-père, qui à trente-quatre ans avait vécu un pogrom, une émigration, le métier de contrebandier, la vie à l’usine, une grève sanglante, une crise économique – celle de 1929 – et formé une famille avec la responsabilité de mettre le pain sur la table tous les jours.

Rien de tel pour Gabriel Attal, exemple presque caricatural du cursus honorum de l’apparatchik socialiste du XXIème siècle, cet homme dont l’histoire tient dans deux arrondissements parisiens, comme l’écrit si joliment « Le Temps ».  Né dans un foyer aisé, éduqué dans la meilleure école privée parisienne que l’argent puisse acheter, passé par cette institution bâtie sur le bavardage qu’est Sciences Po Paris, formé dans la politique étudiante et rentré dans le monde des cabinets ministériels sans passer par la case « boulot ». Sa vie active commence… avec un stage comme attaché parlementaire de Marisol Touraine alors députée, qu’il suivra comme conseiller lorsqu’elle deviendra ministre. Dès lors, tout son parcours se fait dans le petit monde de la politique façon PS. En bon apparatchik socialiste, il se présentera à la première opportunité pour avoir un mandat, ce sera en 2014 pour devenir conseiller municipal à Vanves. Il quittera le parti socialiste lorsque Macron annoncera sa candidature… mais pas avant de s’être assuré de l’investiture du parti présidentiel aux élections législatives. Elu député, il connaîtra une ascension fulgurante. A quoi le doit-il ? A sa connaissance des dossiers ? A sa vision stratégique ? Que nenni : « grâce à son sens politique et à son aisance à l’oral. Et surtout, en profitant du vide. Alors que beaucoup de ses collègues du groupe LREM, composé en majorité de novices, n’osaient pas prendre la parole en public au début de la législature, lui a très vite crevé l’écran en défendant l’action d’Emmanuel Macron avec un aplomb et une facilité déconcertants pour son jeune âge » (Alexandre Lemarié, « Le Monde », 16 octobre 2018).

Mais derrière cette facilité de parole, cet aplomb qui feraient de lui, n’en doutons pas, un excellent directeur de la communication, quelle profondeur, quel vécu, quelle tragédie personnelle, quelle expérience formatrice qui le rendraient réceptif aux joies, aux peines, aux malheurs et aux besoins de la nation qu’il est chargé en théorie de conduire ? Il n’y a chez lui rien, à part l’ambition dévorante. Pas de projet, pas d’engagement, rien. Sa promotion à Matignon réalise les mots prophétiques du cardinal de Retz : « l’homme public ne monte jamais si haut que lorsqu’il ne sait pas où il va ».

Tout ça n’a guère d’importance, parce que personne ne demandera à Gabriel Attal de conduire et déterminer la politique de la nation (1). Non. Le président de la République n’a pas nommé un premier ministre, dont il n’a que faire. Avant lui, le président avait nommé une préfète dont la mission était de faire ce qu’on lui demandait de faire. La mission d’Attal – et il semblerait qu’il l’ait acceptée – est de diriger une campagne électorale, celle des élections européennes. Et non de diriger – et encore moins de former – un gouvernement. Comment le pourrait-il d’ailleurs, alors que ses principaux ministres tiennent leur légitimité et prennent leurs ordres à l’Elysée, et s’en vantent publiquement ? Même le privilège d’annoncer les orientations du nouveau gouvernement lui est dénié : ce sera le président de la République qui, dans sa conférence de presse à peine quelques jours après l’avoir nommé, donnera le « la ». On économise ainsi le travail : Attal n’aura plus qu’à en faire le résumé devant la représentation nationale quand il prononcera finalement – trois semaines après sa nomination, un record – son discours de politique générale.

Ce qui m’amène à la conférence de presse du président. En regardant cet étrange spectacle, je n’ai pu m’empêcher de me demander ce que Mongénéral en aurait pensé. Le décorum était certes digne de la république gaullienne était là : le bureau solitaire, les couleurs nationales, la devise de la République dans laquelle, par une étrange maladresse, la « fraternité » figurait en caractères deux fois plus petits que les deux autres éléments du triptyque républicain. Seul manquait l’élément essentiel, le président de la République.

A sa place, le fauteuil était occupé par un candidat, débitant un discours de campagne. La rémunération du travail ? Tout le monde sait qu’elle se dégrade depuis dix ans, mais le candidat nous promet qu’en 2024 son gouvernement va prendre des mesures « pour mieux gagner sa vie au travail » et s’assurer que « la dynamique salariale soit au rendez-vous des efforts ». Les « déserts médicaux » ? Ce n’est pas un secret que la situation s’aggrave d’année en année depuis vingt ans, mais promis juré, en 2024 on fera ce qu’il faut. La sécurité ? Les trafics gangrènent les quartiers et les points de deal fleurissent au vu et au su de tout le monde depuis des lustres, mais en 2024 « dix opérations « place nette » seront menées chaque semaine contre le trafic de drogue, dans toutes les catégories de ville ». A l’entendre nous expliquer que l’école va mal, que l’hôpital va mal, que l’industrie va mal, que l’ordre public va mal, mais que désormais on va voir ce qu’on va voir, on a l’impression qu’il a oublié qu’il préside aux destinées de la France depuis six longues années, et qu’il participe à la conduite des affaires de la nation au plus haut niveau depuis une décennie.

Comme le politique n’a plus de projet global, pas de boussole qui donne un sens à son action, sa communication ne peut qu’être réduite aux sacro-saintes « annonces », sorte de liste au père noël que présidents et ministres égrènent à chaque apparition publique, et qui est soigneusement composée pour satisfaire chaque segment de l’opinion sans mécontenter les autres. Liste dont les électeurs que nous sommes écoutons la lecture un peu comme les vaches regardent passer le train, parce que l’expérience a largement montré qu’il ne sort jamais de ses rails, et qu’au bout du compte il suit la même voie, qui dans le cas d’espèce est une voie de garage. Mal réfléchies, ne s’inscrivant dans aucune cohérence, ces annonces restent dans la catégorie du vœu pieux, quand ce n’est pas du recyclage d’annonces précédentes, ou de dépenses déjà prévues et qui sont resservies régulièrement. Cela fait penser à ce pays latino-américain raconté par Gabriel Garcia Marquez où chaque autorité nouvellement élue réclame le privilège d’inaugurer un hôpital. Mais comme d’hôpital, il n’y en a qu’un, le méchant bâtiment est régulièrement « inauguré »… (2)

Le macronisme n’a jamais été un projet. Il était et reste la conjuration des ambitions personnelles des seconds couteaux venus de la droite et de la gauche « de gouvernement » qui, dans un contexte de rejet des partis traditionnels, et soutenus par une bourgeoisie et des classes intermédiaires pressées de faire sauter ce qui reste de l’œuvre du Conseil national de la résistance, ont vu une opportunité de prendre le pouvoir. Avec un discours faussement « moderne », en se prétendant « progressistes », en usant et abusant de ce « en même temps » censé contenter tout le monde, ils ont pu faire illusion pendant quelques années. Mais après six ans au pouvoir, l’heure du bilan n’est pas loin : il montre qu’ils n’ont rien à dire au pays, rien à lui proposer, aucune conviction profonde à faire partager, aucun combat collectif à engager. Macron veut jouer le personnage de De Gaulle, mais pour cela il lui manque ce qui faisait l’essentiel du discours gaullien, une « certaine idée de la France ».

Ce manque de vision explique d’ailleurs pourquoi le macronisme est réduit, depuis ses débuts, à jouer les pompiers. L’action n’est pas guidée par un projet, mais par l’urgence de faire face aux crises et aux accidents au fur et à mesure qu’ils se présentent, en général en jetant quelques milliards dans le trou. Quand les gilets jaunes ont cassé l’Arc de Triomphe, ils ont eu 15 milliards entre subventions et réductions fiscales. Quand ça a commencé à s’agiter sur l’inflation, on a jeté soixante milliards en subventions à l’énergie. Et maintenant, alors que les agriculteurs bloquent les routes, qu’est-ce qu’on leur offre ? Un projet pour une agriculture de demain, qui permettra aux agriculteurs de vivre de leur travail ? Non, bien sur que non. On ne leur propose qu’une liste de mesurettes et quelques centaines de milliers d’euros de prolongation de la détaxe sur le gasoil.

Le seul souci de la macronie, c’est de garder le pouvoir, sa seule problématique, c’est de durer. Macron est prêt à signer la loi sur l’immigration la plus droitière de notre histoire, parce que les voix sont à droite. Si elles étaient à gauche, il serait en train de serrer la main des immigrés clandestins à l’Elysée. Attal, qui en son temps conchiait la ligne anti-communautariste de Manuel Valls qu’il estimait trop « jacobine », marque des points en se faisant passer pour l’ennemi numéro un de l’abaya. Tous deux étaient antinucléaires sous François Hollande, quand il s’agissait de fermer Fessenheim, ils jurent pour le nucléaire aujourd’hui – sans qu’on voie d’ailleurs grande chose bouger.  Vous me direz qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Je vous répondrais qu’il ne s’agit pas ici d’avis, mais de discours. Parce qu’en dehors de quelques vagues opinions, je ne suis pas persuadé que Macron pas plus que Attal n’aient de convictions faites sur ces questions, qu’ils aient un véritable « avis » qui serait susceptible de changer. Ou du moins un avis qui résisterait un tant soit peu aux appétits électoraux. L’exemple de la loi immigration, où le président demande à sa majorité de voter un texte qui jette par-dessus bord tout son discours sur la question pour racoler la droite, et n’hésite ensuite, devant la grogne de ses troupes, à demander au Conseil constitutionnel de le refaire, souligne jusqu’à la caricature l’absence de convictions de la tête de l’exécutif. Un célèbre homme politique avait choisi le slogan « mes idées ? mais ce sont les vôtres ! ». Le couple Macron-Attal lui donne largement raison (3).

On dit que si dans les années 1920 l’académie des Beaux-Arts de Vienne avait été moins stricte dans sa procédure d’admission, bien des malheurs auraient été évités au monde. Il est probable que si la Comédie française avait appelé le jeune Emmanuel ou le jeune Gabriel à rejoindre sa troupe, la France se serait bien mieux portée. Beaucoup de commentateurs négligent en effet ce point commun aux trajectoires de notre président et de son premier ministre. Tous deux ont été et sont  des passionnés de théâtre, et celui-ci a joué un rôle important dans leur parcours. C’est vrai pour Macron, qui s’est découvert lui-même et a découvert le seul amour de sa vie dans des cours de théâtre. Cet amour du théâtre ne l’a jamais quitté : c’est une constante de son parcours politique. Depuis 2017, il joue chaque jour une pièce qui s’appelle « moi, président » devant un public de moins en moins nombreux et de moins en moins intéressé. Et en le regardant, on ne peut que rappeler le constat de la pièce d’Eduardo de Filippo qu’il s’était proposé, à 15 ans et avec l’aide de sa professeure de théâtre, de réécrire : « la parfaite vérité, c’est et ce sera toujours la parfaite fiction ».

Gabriel Attal partage avec le président ce détail biographique. Pour lui aussi, le théâtre a joué un rôle fondamental dans sa formation même si, contrairement au président, il n’a pas poussé la chose jusqu’à coucher avec son professeur – quoi que puissent dire les ragots malveillants. On comprend alors pourquoi Macron a choisi Attal. Tous deux agissent comme si la politique était d’abord un spectacle, comme si la mission de l’homme politique était de faire partager une fiction. Peu importe que la couronne soit en laiton, que l’épée soit en bois, pourvu que les gens y croient. Et peu importe que le royaume soit perdu, que le personnage soit mort, puisque le cadavre se relèvera pour rentrer chez lui une fois le rideau tombé. Cela explique peut-être pourquoi notre président donne plus d’importance à la parole qu’à la réalité, pourquoi il est insensible aux désastres et aux malheurs que ses décisions provoquent, pourquoi il semble presque surpris lorsqu’il constate que, contrairement à ce qui arrive lorsqu’on est sur les planches, les paroles ne s’envolent pas lorsque le rideau tombe.

Descartes

(1) C’est d’ailleurs une constante du macronisme que de réduire le rôle du premier ministre. Avec Castex puis Borne, le choix s’était porté sur des hauts fonctionnaires ayant une mentalité préfectorale, c’est-à-dire, aptes à conduire n’importe quelle mission confiée par l’autorité sans états d’âme quelles que fussent leurs convictions personnelles. On pouvait alors parler de « vide » politique, mais au moins était-ce un « vide » techniquement compétent. Avec Attal, on se trouve devant un « vide » qui ne sait faire autre chose que communiquer… sur le vide.  

(2) Comme tous les communicants vous le diront, une bonne campagne s’organise autour d’un leitmotiv. Mitterrand 1981 c’était « la force tranquille », Ségolène Royal 2007 c’était « l’ordre juste ». Macron 2024, ce sera le « réarmement ». Pourquoi pas, après tout. Seulement, parler de « réarmement » implique de caractériser une menace. Or, c’est là le grand absent du discours présidentiel. On est invité à se « réarmer », mais on ne sait pas très bien contre qui, contre quoi. Or, la nature de la menace dicte la forme du réarmement. On ne choisit pas les mêmes armes pour combattre l’islamisme, la finance, le communautarisme ou le déclin économique.

(3) J’entends déjà votre objection, cher lecteur. Prenons la réforme des retraites. N’est-ce pas là un exemple des convictions de notre président ? N’est-ce pas un exemple où il a fait voter par conviction un texte rejeté par une large majorité des électeurs ? La réponse est simple : le texte qui a été voté n’est pas celui que Macron avait défendu. Rappelez-vous : à l’origine, le président voulait une réforme qui instituait un système « à points », ce qui sur le fond n’était pas une mauvaise idée. A la fin, il s’est retrouvé à faire voter une simple mesure d’âge. Un peu l’illustration du principe énoncé par Groucho Marx : « voici mes convictions, mais si elles ne vous plaisent pas, j’en ai d’autres ». Et s’il est resté droit dans ses bottes, ce n’est pas par conviction mais pour deux raisons tactiques : la crainte que reculer sur une réforme emblématique réduise ses marges de manœuvre pour l’avenir, à l’image de ce qui était arrivé à Juppé en 1995 ; et la conviction que le vote mettrait en difficulté le groupe LR…

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77 réponses à L’ère du vide

  1. Boitel dit :

    Le meilleur billet, selon mon opinion 

  2. Sami dit :

    Allez, ne chicanons pas, je donne un 20/20 tout rond à cette savoureuse (mais nez en moins désespérante) copie !

  3. Gugus69 dit :

    Peut-être aussi ce “vide” ne fait-il qu’entériner le fait qu’en grande partie, ce n’est plus le gouvernement de la France qui trace sa voie à la Nation, mais Washington et Bruxelles, Biden et Van der Leyen, L’Otan et l’Union européenne. Voyez la crise de l’agriculture, crise européenne s’il en fut !
    Non pas d’ailleurs que le Président et le Premier ministre y soient contraints. Ces “délégations de souveraineté”, en fait cette soumission, ils y adhèrent de toute leur âme.
    S’ils ont un projet, au fond, c’est bien celui-ci : défaire la Nation républicaine pour la fondre dans un magma supranational.

    • Descartes dit :

      @ Gugus69

      [Peut-être aussi ce “vide” ne fait-il qu’entériner le fait qu’en grande partie, ce n’est plus le gouvernement de la France qui trace sa voie à la Nation, mais Washington et Bruxelles, Biden et Van der Leyen, L’Otan et l’Union européenne.]

      Oui et non. Il est vrai que nos élites politiques ont depuis longtemps renoncé à exercer la plénitude des prérogatives de souveraineté, se mettant à la remorque des intérêts américains, que l’injonction vienne directement de la maison mère à Washington ou de sa succursale à Bruxelles. Mais si elles ont renoncé, pour servir leurs intérêts, à se battre sur les grandes affaires qui intéressent la tutelle américaine, rien ne les oblige à renoncer à s’occuper correctement des petites affaires. Or, même là, c’est la pagaille, l’incompétence, l’inconséquence. Ce n’est pas la faute de Washington ou Bruxelles si la France boîte avec un gouvernement incomplet pendant trois semaines, si la personne nommée à la tête de l’Education nationale ne sait pas se tenir correctement.

      [Voyez la crise de l’agriculture, crise européenne s’il en fut !]

      Il y a bien sur un élément européen dans la crise de l’agriculture. Pour faire vite, l’Union européenne a été construite sur le principe de privilégier les intérêts du consommateur. Et le moyen le plus efficace pour atteindre ce but est la « concurrence libre et non faussée » pour faire baisser les prix. Et ça marche : sur la longue période, les prix ont baissé grâce en particulier aux importations à bas coût et les délocalisations de la production là où les couts de production sont les plus faibles. Dans les pays où les coûts de main d’œuvre sont importants, cela a tué l’industrie, et cela va tuer l’agriculture. Seuls échappent à cette hécatombe les pays qui n’ont pas joué le jeu, qui ont mis en place un protectionnisme qui ne dit pas son nom (ex. l’industrie automobile allemande).

      [Non pas d’ailleurs que le Président et le Premier ministre y soient contraints. Ces “délégations de souveraineté”, en fait cette soumission, ils y adhèrent de toute leur âme.]

      Je ne suis pas sûr. Macron-l’européen n’eut pas de scrupule de jouer des coudes nationaux pendant la crise du COVID. Je pense que ces gens-là n’ont pas de convictions fermes, tout au plus un petit vernis de conformisme. Ils représentent – au sens strict du mot – une classe qui, elle, adhère à la soumission européenne non pas « de toute leur âme », mais de tout leur portefeuille. C’est une question d’intérêt, et non de conviction. Si demain cette même classe avait intérêt à s’inscrire dans une logique souverainiste, Attal et Macron n’auraient guère de difficulté à clamer leur attachement à la souveraineté nationale…

      [S’ils ont un projet, au fond, c’est bien celui-ci : défaire la Nation républicaine pour la fondre dans un magma supranational.]

      Tout à fait. Mais il faut à mon avis bien comprendre que c’est une question d’intérêt, et non de conviction rationnelle ou d’attachement spirituel. Le bloc dominant est parfaitement conscient que ses politiques, contrairement à ce qui pouvait se passer après 1945, sont en complète opposition avec les intérêts des couches populaires. Or, les couches populaires ont l’avantage du nombre, ce qui représente un danger dans une démocratie formelle fondée sur le principe « un homme, une voix ». La construction supranationale permet d’écarter ce danger, en confiant les décisions politiques non pas à des élus, mais à des cénacles où les couches dominantes sont entre elles et ne rendent compte à personne.

  4. Thérond Patrice dit :

    Bonjour, billet intéressant et rafraîchissant.
    Si je vous suis sur l’absence de conviction de ces 2 tristes sirs, je ne partage pas votre position sur l’absence de projet guidant leurs actions.
    Ils ont été mis en place pour finir de détruire ce qui est issu du cnr, comme vous le dites très justement. 
    Mais peut-être pas par la bourgeoisie et les classes moyennes (même si c’est ces électeurs là qui ont votés pour Macron).
    C’est plutôt la grande bourgeoisie et les représentants/mandataires du capital qui ont propulsé ces personnages (et leurs prédécesseurs).
    Et assurément, ces milieux sont très bien organisés et ont un projet précis : continuer à engranger un maximum de richesse. Que ce soit Sarkosy, Holland, Macron et Lepen s’il le faut, peu leur importe, tout comme ils n’ont rien à faire de la souffrance des gens puisque c’est eux qui l’organise.
    La pièce de théâtre que nous joue tous ces arrivistes sans état d’âme à des auteurs et metteurs en scène. 

    • Descartes dit :

      @ Thérond Patrice

      [Si je vous suis sur l’absence de conviction de ces 2 tristes sirs, je ne partage pas votre position sur l’absence de projet guidant leurs actions. Ils ont été mis en place pour finir de détruire ce qui est issu du cnr, comme vous le dites très justement.]

      Une telle conception implique de désigner un « agent » capable de concevoir un projet et ayant le pouvoir de « mettre en place » un président de la République et un premier ministre. Qui serait cet agent doué à la fois d’intelligence pour concevoir un projet, de volonté pour le mettre en œuvre, et de pouvoir pour aboutir à désigner les plus hautes autorités de l’Etat ? Vous le voyez, avec ce genre de raisonnement on arrive très vite à une vision complotiste…

      Non, si le système produit, recrute et promeut ce genre de profils, ce n’est pas le résultat d’une conspiration machiavélique, mais du métabolisme naturel du système. Le déplacement progressif du pouvoir de régulation vers les marchés ou les organismes techniques « indépendants » a progressivement vidé de leur substance les institutions politiques, dont l’action se limite de plus en plus à la communication. Et si la politique devient un théâtre, il ne faut pas s’étonner qu’on y recrute de plus en plus d’acteurs…

      [Mais peut-être pas par la bourgeoisie et les classes moyennes (même si c’est ces électeurs-là qui ont votés pour Macron). C’est plutôt la grande bourgeoisie et les représentants/mandataires du capital qui ont propulsé ces personnages (et leurs prédécesseurs).]

      Pensez-vous vraiment que « la grande bourgeoisie et les représentants/mandataires du capital » aient le pouvoir d’imposer aux classes intermédiaires un gouvernement qui irait frontalement contre leurs intérêts ? Vous noterez par ailleurs que notre caste politico-médiatique est presque en totalité issue des classes intermédiaires. Les milliardaires qui font de la politique sont très rares chez nous.

      [Et assurément, ces milieux sont très bien organisés et ont un projet précis : continuer à engranger un maximum de richesse.]

      Vous voulez dire que ce n’est pas le cas des autres classes ? Pensez-vous que celles-ci soient moins sensibles à l’appel de l’argent, qu’elles ne cherchent pas elles aussi à « engranger un maximum de richesse » ? Je pense que vous tombez dans le manichéisme anarchiste du début du XXème, avec le bourgeois rapace avec cigare et haut de forme, et le prolétaire noble et désintéressé. C’est une vision idéaliste qui me semble très dangereuse. On ne comprend rien au monde si on ne comprend pas que la recherche d’une amélioration de son niveau de vie est une quête universelle.

      [Que ce soit Sarkozy, Holland, Macron et Le Pen s’il le faut, peu leur importe, tout comme ils n’ont rien à faire de la souffrance des gens puisque c’est eux qui l’organisent.]

      Là encore, pensez-vous que ce soit très différent pour les classes intermédiaires ? Que celles-ci seraient préoccupées par la « souffrance des gens » ? D’où leur vient cette excellence morale ?

  5. Koko dit :

    Tout ceci est très juste, mais après tout n’est-ce pas ce que veulent la majorité des français qui ont élu et réélu Macron ?

    • Descartes dit :

      @ Koko

      [Tout ceci est très juste, mais après tout n’est-ce pas ce que veulent la majorité des français qui ont élu et réélu Macron ?]

      Je ne le crois pas. Si tel était le cas, notre système politique ne serait pas bloqué comme il l’est. Non seulement les élections législatives ne lui ont pas donné une majorité, mais toutes les enquêtes montrent un niveau de méfiance envers le pouvoir politique rarement atteint depuis un siècle…

  6. lesvuesimprenables dit :

    Monsieur Attal, Pm, face au mouvement des exploitants agricoles, a dit ” oui à tout ! ” Aussi, pourrait résumer cette séquence  par :
    ” Comment pourrait-on être hargneux et avoir mauvais caractère lorsqu’on ne rencontre ni opposition n indifférence ? ”
    Les Hauts de Hurlevent
    Les vues imprenables 

    • Descartes dit :

      @ lesvuesimprenables

      [Monsieur Attal, Pm, face au mouvement des exploitants agricoles, a dit ” oui à tout ! ” Aussi, pourrait résumer cette séquence par :
      ” Comment pourrait-on être hargneux et avoir mauvais caractère lorsqu’on ne rencontre ni opposition n indifférence ? ”]

      Attal me rappelle une histoire juive dans laquelle un disciple demande au rabbin “n’est ce pas que parmi les fils d’Adam, Abel était le préféré de dieu ?” Et le rabbin lui répond “vous avez raison, Abel était le préféré”. Et alors, un autre disciple demande “mais pourtant dieu a permis qu’il soit tué, n’est ce pas là le signe que Caïn était le préferé ?”. Et le rabbin de répondre “oui, vous avez raison, Caïn était le préféré”. Un troisième disciple dit alors “rabbi, les deux propositions soutenues par mes condisciples sont contradictoires, ils ne peuvent donc pas avoir raison tous les deux”. Et le rabbi de lui répondre: “vous aussi, vous avez raison…”.

      Attal écoute avec attention, et en bon communiquant montre de l’empathie avec tout le monde, tout en faisant très attention de ne prendre aucun engagement précis… en général, cela ne fonctionne qu’un temps.

  7. marc.malesherbes dit :

     
     
    un billet brillant … bravo.
    pour le plaisir de la discussion, je vais m’inscrire dans le sillon de Gugus69 Quelque soit les défauts de Macron et de ses prédécesseurs depuis Valéry Giscard d’Estaing inclus, je constante qu’ils ont mené en pratique avec constance et détermination une politique pro Européenne (pro américaine), immigrationniste, de nivellement de l’école par le bas, d’affaiblissement de l’armée et de notre système de santé (j’en oublie peut-être).
    Et en la matière ils ont fait preuve de courage politique, de caractère d’« hommes d’Etat », car ces politiques n’étaient pas populaires, entraînant même parfois pour eux des difficultés électorales.
     
    Pourquoi ce courage, cette constance ?
    L’explication la plus simple que je trouve … parce que c’était l’intérêt du patronat et de toute une partie de la population qui avait des intérêts liés dans cette orientation (environ 25 % de la population).

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [Et en la matière ils ont fait preuve de courage politique, de caractère d’« hommes d’Etat », car ces politiques n’étaient pas populaires, entraînant même parfois pour eux des difficultés électorales.]

      Ces politiques n’étaient certes pas populaires, mais après 1981, elles pouvaient compter sur un soutien unanime du « bloc dominant ». Et vous pouvez vous permettre de dormir sur vos deux oreilles quand vous avez avec vous le capital et les classes intermédiaires, quand bien même les manants feraient du bruit sous votre fenêtre…

    • marc.malesherbes dit :

      vous écrivez
        “Ces politiques n’étaient certes pas populaires, mais après 1981, elles pouvaient compter sur un soutien unanime du « bloc dominant ».
       
      N’était-ce pas déjà vrai avec VGE ?

      • Descartes dit :

        [“Ces politiques n’étaient certes pas populaires, mais après 1981, elles pouvaient compter sur un soutien unanime du « bloc dominant »” N’était-ce pas déjà vrai avec VGE ?]

        Il est un peu injuste d’accuser VGE d’avoir “conduit avec constance et détermination une politique pro Européenne (pro américaine), immigrationniste, de nivellement de l’école par le bas, d’affaiblissement de l’armée et de notre système de santé (j’en oublie peut-être)”. Immigrationniste oui. Pro-européenne… avec des nuances. D’affaiblissement de notre armée et de notre système de santé, certainement pas. Sans compter que sa politique nucléaire et industrielle fut dans la continuité de la politique souverainiste de De Gaulle et Pompidou. Il n’est pas venu à l’idée de VGE de privatiser les banques ou les assurances, de s’attaquer aux monopoles publics, d’ouvrir la porte aux radios et télés privées… et on n’ose pas imaginer ce qui lui serait arrivé s’il avait essayé. A l’époque, les ouvriers et les classes intermédiaires seraient sorties bras dessus bras dessous dans la rue.

        Votre commentaire pose une question intéressante: quel est le moment où les classes intermédiaires ont changé de camp et commencé à soutenir massivement les politiques néolibérales ? Je pense que le moment critique se situe quelque part entre 1983 et 1986. Lorsque Chirac/Balladur commencent la ronde des privatisations après les législatives de 1986, les classes populaires se retrouveront toutes seules pour résister. Et lorsque les socialistes reviennent aux affaires deux ans plus tard, et que Rocard devient premier ministre, personne ne songe un instant un changement de ligne.

  8. marc.malesherbes dit :

     
    et j’ajouterai, que nos politiques ont toujours mené avec constance et détermination, une politique sociétale d’ouverture, favorisant toujours plus l’égalité des droits, une politique de discrimination positive y compris pour les populations immigrées (pour lesquels on applique sans sourciller une « préférence » vis à vis des nationaux indigènes).
     
    Cela est sans doute à porter à leur crédit, sans que je comprenne bien, en dehors d’un soucis électoraliste, la raison de cette constance.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [et j’ajouterai, que nos politiques ont toujours mené avec constance et détermination, une politique sociétale d’ouverture, favorisant toujours plus l’égalité des droits,]

      Excellent usage de l’ironie. J’ai failli me laisser prendre…

      [Cela est sans doute à porter à leur crédit, sans que je comprenne bien, en dehors d’un soucis électoraliste, la raison de cette constance.]

      La raison est pourtant extrêmement simple. Ce qui tient une collectivité ensemble, qui rend possible la solidarité inconditionnelle entre les individus, c’est l’existence d’un cadre, de règles, d’usages, de références communes. Et il est clair que cette solidarité inconditionnelle est un obstacle sur la voie de l’approfondissement du capitalisme. Alors, il faut la casser. Et sous prétexte de “favoriser l’égalité de droits”, ce qu’on fait est d’affirmer la totale autonomie de l’individu en faisant tomber un à un ces cadres, ces règles, ces usages, ces références.

  9. optimiste? dit :

    Merci pour ce billet et plus largement pour votre travail exceptionnel sur ce blog. Vos analyses incitent de moins en moins à l’optimisme, malheureusement on voit mal comment ne pas être d’accord avec vous…
    Vous écrivez : “Macron est prêt à signer la loi sur l’immigration la plus droitière de notre histoire, parce que les voix sont à droite.” Dans un billet précédent ainsi que dans certaines réponses, vous écriviez qu’à votre avis le Conseil Constitutionnel aurait fait preuve d’une prudence de Sioux quant à la loi sur l’immigration : détricoter la loi aurait donné une autre victoire au RN, en montrant au grand jour que le système est verrouillé. Or, le Conseil a éliminé une partie importante du texte de loi : ce qui reste n’aurait certainement pas été voté par LR et par le RN. La droite parle de démocratie confisquée, Zemmour écrit (en parlant de Fabius et Moscovici) que “le parti socialiste, c’est 1,75% des voix mais toutes les plus grandes institutions de la République ! Ils ne représentent personne, mais ils décident de tout.” Indépendamment du contenu de la loi en question, doit-on leur donner tort ? Ce qui vient de se passer pour la loi immigration n’est-il pas une parfaite illustration du fait que les couches dominantes n’hésitent pas à s’asseoir sur la voix des élus et la volonté populaire, dès que celle-ci entrave le seul projet qui semble exister : défaire la Nation républicaine pour la fondre dans un magma supranational, comme l’écrit Gugus69 ?

    • Descartes dit :

      @ optimiste?

      [Merci pour ce billet et plus largement pour votre travail exceptionnel sur ce blog. Vos analyses incitent de moins en moins à l’optimisme, malheureusement on voit mal comment ne pas être d’accord avec vous…]

      Pourtant, je ne suis pas pessimiste. D’une part, parce que j’adhère à l’idée d’un « optimisme méthodologique », forme moderne du pari pascalien. Et d’autre part, parce que je pense que si le panorama global est plutôt inquiétant, on peut toujours faire des choses au niveau micro. Faire tourner une association d’aide aux devoirs ne change peut-être pas le monde, mais peut changer pas mal la vie des gens concernés !

      [Vous écrivez : “Macron est prêt à signer la loi sur l’immigration la plus droitière de notre histoire, parce que les voix sont à droite.” Dans un billet précédent ainsi que dans certaines réponses, vous écriviez qu’à votre avis le Conseil Constitutionnel aurait fait preuve d’une prudence de Sioux quant à la loi sur l’immigration : détricoter la loi aurait donné une autre victoire au RN, en montrant au grand jour que le système est verrouillé.]

      Et j’avais vu juste. Le Conseil s’est bien gardé d’examiner le texte sur le fond, ce qui l’aurait obligé de rentrer dans un débat compliqué où le juge aurait eu l’air de décider ce que le législateur peut ou ne peut pas faire. Il a préféré avoir recours à un argument purement technique, celui du « cavalier législatif » dont tous les gouvernements ont usé et abusé ces dernières années. Ce faisant il a d’ailleurs fait œuvre utile : on arrivera peut-être avec cette jurisprudence à mettre fin aux lois boursouflées par des amendements sans rapport avec l’objectif original.

      [Or, le Conseil a éliminé une partie importante du texte de loi : ce qui reste n’aurait certainement pas été voté par LR et par le RN.]

      Si les sénateurs et députés LR et RN ne connaissent pas les règles et limites de la procédure parlementaire, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Il ne fallait pas être grand juriste pour voir le risque, et il ne tenait qu’à eux à se « blinder » dans la négociation.

      [La droite parle de démocratie confisquée,]

      Elle a tort. Elle est ici victime de sa propre incompétence.

      [Zemmour écrit (en parlant de Fabius et Moscovici) que “le parti socialiste, c’est 1,75% des voix mais toutes les plus grandes institutions de la République ! Ils ne représentent personne, mais ils décident de tout.”]

      Il a tort là aussi. D’abord, parce que ni Fabius ni Moscovici ne « décident » grande chose : ils ne font que présider des institutions collégiales. Ensuite, parce c’est parce que c’est toujours une erreur de chercher des boucs émissaires de ses propres erreurs. Il est clair que ceux qui ont négocié en CMP ne se sont pas posé la question de la constitutionnalité de ce qu’ils étaient en train d’écrire.

      [Indépendamment du contenu de la loi en question, doit-on leur donner tort ? Ce qui vient de se passer pour la loi immigration n’est-il pas une parfaite illustration du fait que les couches dominantes n’hésitent pas à s’asseoir sur la voix des élus et la volonté populaire, dès que celle-ci entrave le seul projet qui semble exister : défaire la Nation républicaine pour la fondre dans un magma supranational, comme l’écrit Gugus69 ?]

      Non, je ne le crois pas. Pour arriver à cette conclusion, vous ne pouvez pas faire abstraction du contenu de la loi. Etait-il de nature à défendre la « nation républicaine » ? Je ne pense pas que ce soit le cas. Cette loi, c’est un texte sans ambition, un ramassis de mesures démagogiques destinées à faire plaisir à une partie de l’opinion, mais sans véritable vision. Ce n’est pas comme ça qu’on peut défendre la « Nation républicaine ».

      • optimiste? dit :

        [Pourtant, je ne suis pas pessimiste. D’une part, parce que j’adhère à l’idée d’un « optimisme méthodologique », forme moderne du pari pascalien.]
        Je partage cette idée de l’optimisme méthodologique, que j’ai rencontré en vous lisant. C’est bien pour cela d’ailleurs que j’ai choisi le pseudonyme “optimiste” pour mes commentaires. Mais depuis quelques temps, j’y ai rajouté un point d’interrogation…
        [Il a préféré avoir recours à un argument purement technique, celui du « cavalier législatif » dont tous les gouvernements ont usé et abusé ces dernières années. Ce faisant il a d’ailleurs fait œuvre utile : on arrivera peut-être avec cette jurisprudence à mettre fin aux lois boursouflées par des amendements sans rapport avec l’objectif original.]
        Je suis totalement ignare du point de vue technique et incapable de me faire moi-même une idée de la pertinence de cet argument. Mais si tous les gouvernements ont usé et abusé ces dernières années du “cavalier législatif”, cela veut bien dire que cette pratique “passait”. On peut donc penser que le Conseil aurait été bien moins pointilleux si les amendements en questions avaient été déposés par les copains…
        Je suis allé voir ce qu’en dit R. De Castelnau sur son blog. Je cité quelques extraits qui donnent le ton : “Cette décision est simplement une monstruosité juridique et institutionnelle.” Et encore : ” Ensuite le caractère caricatural de la motivation devrait normalement sauter aux yeux d’un lecteur honnête. […] Quant à l’argument permettant d’annuler les articles issus d’amendements considérés comme « cavaliers », il est simplement risible.”
        [Cette loi, c’est un texte sans ambition, un ramassis de mesures démagogiques destinées à faire plaisir à une partie de l’opinion, mais sans véritable vision.]
        Hélas j’ai tendance à vous donner raison sur ce point… Encore une fois, much ado about nothing, tout cela n’est que du théâtre (alors que l’immigration est bel et bien un enjeu central et même vital à mon sens). Je corrige donc le tir : ce qui vient de se passer illustre que le macronisme non seulement n’a rien à faire d’un premier ministre, comme vous l’expliquez, mais il n’a rien à faire du Parlement non plus. Le fait que la totalité des articles rajoutés au texte lors du débat parlementaire ait été censuré est un symbole d’une grande brutalité. Les élus peuvent toujours s’écharper dans l’hémicycle, à la fin on revient à ce qu’avait acté dès le début Jupiter via l’un de ses avatars, et puis basta.

        • Descartes dit :

          @ optimiste?

          [Je suis totalement ignare du point de vue technique et incapable de me faire moi-même une idée de la pertinence de cet argument.]

          Pour résumer : la technique de l’amendement sans aucun rapport avec le texte discuté a permis pendant longtemps à certains lobbys de faire passer « par surprise » des dispositions qui les intéressaient. En effet, lorsque les parlementaires ont préparé sérieusement un débat sur un sujet donné, ils sont plus à même de voir les tenants et les aboutissants d’un amendement sur le sujet en question. Par contre, un amendement sur un sujet annexe, pour peu qu’il soit bien tourné, a beaucoup moins de chances de subir un examen sérieux.

          La possibilité d’introduire par amendement une disposition sans rapport avec la loi discutée permettait aussi aux parlementaires de contourner le « parlementarisme rationnalisé », qui suppose le contrôle de l’ordre du jour des assemblées par le gouvernement. Cela permettait en effet de discuter en même temps que le projet du gouvernement, un « projet fantôme » introduit par amendements.

          C’est pourquoi les constituants de 1958, instruits par les excès du régime d’assemblée de la IVème République, ont prévu à l’article 45 de la Constitution que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le Conseil constitutionnel a appliqué cette règle avec une sévérité très variable…

          [Mais si tous les gouvernements ont usé et abusé ces dernières années du “cavalier législatif”, cela veut bien dire que cette pratique “passait”.]

          Je me suis mal exprimé : ce ne sont pas les gouvernements qui ont abusé de cette technique – ils n’ont aucune raison de le faire, puisque ce sont eux en général qui rédigent le « texte déposé ou transmis » – mais les parlementaires, y compris de la majorité.

          [On peut donc penser que le Conseil aurait été bien moins pointilleux si les amendements en question avaient été déposés par les copains…]

          C’est très possible. Il est raisonnable de penser que les membres du Conseil ont utilisé un argument technique pour faire passer une position éthique ou politique. Il n’en reste pas moins que la droite, par son incompétence technique, a donné au Conseil le prétexte idéal. On peut difficilement faire des reproches au Conseil tant qu’il est resté dans son rôle…

          [Je suis allé voir ce qu’en dit R. De Castelnau sur son blog. Je cité quelques extraits qui donnent le ton : “Cette décision est simplement une monstruosité juridique et institutionnelle.” Et encore : ” Ensuite le caractère caricatural de la motivation devrait normalement sauter aux yeux d’un lecteur honnête. […] Quant à l’argument permettant d’annuler les articles issus d’amendements considérés comme « cavaliers », il est simplement risible.”]

          Je ne partage pas l’analyse de Régis de Castelnau, même si sur certains points je coïncide avec lui. La reprise dans le « bloc de constitutionnalité » du préambule de 1946 et de la déclaration de 1789 était nécessaire dès lors que les constituants de 1958 se sont refusés à rédiger dans le texte même de la Constitution une « déclaration des droits ». Et on comprend bien leur prudence à cet égard : reprendre la question en 1958, dans un contexte de quasi-guerre civile, c’était ouvrir la boite de Pandore. Mais il n’en demeure pas moins qu’ne Constitution qui n’évoque nulle part les droits fondamentaux laisse le législateur libre de porter une atteinte illimitée à la vie et aux biens des citoyens. Est-ce raisonnable ?

          De Castelnau se trompe d’ailleurs lorsqu’il dit que le Conseil a inclus le préambule de 1946, la DDHC de 1789 et la charte de l’environnement parmi les textes à valeur constitutionnelle « de sa propre autorité ». Ces trois textes sont explicitement évoqués dans le préambule de la Constitution, les deux premières dès la version originale, le dernier après la réforme constitutionnelle de 2005.

          Je coïncide par contre avec sa critique du contrôle de constitutionnalité à postériori par le biais de la QPC, qui transforme le Conseil constitutionnel en législateur, puisqu’il partage avec le Parlement le pouvoir de réviser la loi à tout moment.

          Je ne partage pas son analyse sur les « cavaliers législatifs ». Même s’il y a une marge d’appréciation dans toute décision juridictionnelle, la notion de « cavalier » n’est pas purement arbitraire. Au fond, la question posée par de Castelnau est celle de la légitimité du contrôle de constitutionnalité. Le problème est simple à formuler, difficile à résoudre. La question est la suivante : qui contrôle la conformité à la Constitution des actes des trois autres pouvoirs – et tout particulièrement du législatif, qui exerce lui-même une forme de tutelle sur les autres ? Soit on considère que le vote du Parlement est insusceptible de recours, et alors on a un Parlement souverain qui peut violer les limites posées par la Constitution sans remède possible, soit on estime qu’elles doivent être susceptibles de recours, et cela revient à donner à l’instance qui juge les recours un pouvoir supérieur à celui du Parlement…

          En pratique, il n’y a pas de solution satisfaisante. Le mieux qu’on ait trouvé, c’est une sorte d’équilibre de la terreur…

          [Le fait que la totalité des articles rajoutés au texte lors du débat parlementaire ait été censuré est un symbole d’une grande brutalité. Les élus peuvent toujours s’écharper dans l’hémicycle, à la fin on revient à ce qu’avait acté dès le début Jupiter via l’un de ses avatars, et puis basta.]

          Je ne suis pas du tout d’accord. Plus que mettre en évidence la « brutalité » de l’exécutif ou les connivences du Conseil, c’est l’incompétence des parlementaires qui apparaît ici crûment. Si la loi avait été bien faite, alors le Conseil aurait trouvé beaucoup plus difficile d’en annuler les dispositions. Seulement voilà, la droite était tellement occupée à essayer de racoler les électeurs du RN – ou à minima de conserver ses propres électeurs en montrant qu’eux aussi pouvaient être des « durs » – qu’ils ont perdu de vue le fait que le Parlement n’est pas un théâtre, mais qu’on y fait des lois, et que celles-ci doivent se conformer à certains critères précis pour entrer en vigueur. Nos élus se sont comportés comme des enfants, imaginant que tout leur était permis. Et voilà le résultat.

  10. cdg dit :

    Quant on fera le bilan des 10 ans de Macron, il y aura pas grand chose a mettre en avant. Vous avez bien raison. Mais est ce specifique a Macron ? Hollande n a lui meme pas fait grand chose a part parler. De meme pour Sarkozy qui etait dans le mode “un probleme -> une loi” (que la loi soit efficace ou non c etait pas son probleme). Chirac etait qualifié de “roi faineant” et Mitterrand restera dans l histoire comme le president qui a fait exactement l inverse de ce qu il promettait pour etre elu (faire exploser le chomage et developper le capitalisme financier)
    A mon avis on arrive un peu a la fin de ce type de systeme. Pas tant parce que l electeur en a marre mais tout simplement parce qu il n est plus possible de jeter de l argent sur les problemes (l etat francais est surendette, l economie francaise ne produit plus grand chose). Si Macron a tenu bon sur le report de l age (qui est pas une reforme comme le systeme a point mais juste un rafistolage pour limiter les deficits) c est qu il avait une epee dans les reins. Le systeme francais vit a credit et pour pouvoir emprunter il faut que les agences de notations vous considerent comme solvable. passer a 64 ans etait le minimum a faire pour expliquer que la France sera capable de payer notre dette a nos creanciers. Et en plus, le gros de l electorat macroniste etait pour le passage a 64 car pas concerné car deja retraité (c est d ailleurs l ironie de l histoire: des gens parti en moyenne a 58 ans qui sont pour que leurs successeurs partent a 64)

    • Descartes dit :

      @ cdg

      [Quand on fera le bilan des 10 ans de Macron, il n’y aura pas grand-chose a mettre en avant.]

      Pardon : il y aura quand même pas mal de choses à mettre au passif. En particulier sa réforme de la haute fonction publique, réforme à bas bruit qui n’intéresse semble-t-il personne – après tout, est-ce vraiment important de savoir comment sont recrutés les hauts fonctionnaires et autres grands commis de l’Etat de qui dépend la qualité dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques ? – mais dont on apercevra dans les années qui viennent les résultats dévastateurs.

      On a eu un aperçu de ce désastre avec l’affaire du recours aux cabinets de conseil pour faire le travail que faisaient naguère les administrations centrales. Et pourtant, c’est un choix logique : dès lors qu’on a vidé la haute fonction publique de ses compétences, qu’on a dévalué les grands corps, qu’on a politisé les nominations, où voulez-vous qu’on aille chercher les experts, sinon dans le privé ? Vous noterez que si nos élus se sont émus du recours aux cabinets, personne n’est allé jusqu’à interroger les réorganisations de la haute fonction publique…

      [Vous avez bien raison. Mais est-ce spécifique a Macron ? Hollande n’a lui meme pas fait grand-chose à part parler. De même pour Sarkozy qui était dans le mode “un problème -> une loi” (que la loi soit efficace ou non ce n’était pas son problème).]

      Il est vrai que Macron s’inscrit dans un mouvement de fond qui a progressivement transformé la politique en une sorte de spectacle ou l’apparence remplace la substance. Mais ce qui est spécifique chez Macron, c’est d’avoir assumé pleinement cette transformation. La nomination d’Attal est de ce point de vue un tournant : on n’essaye même plus de faire semblant d’exercer un pouvoir fondé sur la compétence, on admet presque publiquement que la fonction essentielle d’un premier ministre est la communication. Ce qui était honteux chez Hollande est pleinement assumé chez Macron.

      Je ne placerai pas Chirac ou Sarkozy dans le même lot. Chirac a été certes un « roi fainéant », mais il a montré – notamment avec l’affaire irakienne – qu’il était capable de définir une ligne et de la tenir non seulement contre la pression internationale, mais aussi contre celle d’une bonne partie des élites françaises. Car on l’a oublié aujourd’hui, mais le position ferme de Chirac à l’époque fut copieusement moquée par le lobby américain, de « Le Monde » à « Libération ». Il faut relire les articles de l’époque… Et ce n’était pas un fait isolé : souvenez-vous de l’incident lors de son déplacement en Israël, ou sa décision de soumettre le TCE à référendum.

      Quant à Sarkozy, sans nier ses limitations personnelles on doit lui reconnaître une grande qualité : il savait s’entourer d’experts de qualité, il les laissait travailler et leur faisait confiance. Et même s’il avait des côtés démagogiques, on ne peut l’accuser de changer de convictions comme de chemise : ses positions industrialistes et pronucléaires, son européisme pragmatique, sa vision assimilationniste ont été constantes. Son problème était plutôt qu’il était en décalage avec son époque…

      [Le système français vit à crédit et pour pouvoir emprunter il faut que les agences de notations vous considèrent comme solvable.]

      Soyons honnêtes : ceci est vrai pour l’ensemble du monde occidental, Etats-Unis inclus. On a vu la dette de tous les pays occidentaux exploser, et de ce point de vue on est loin d’être les plus mauvais. C’est d’ailleurs ce qui fait que la dette n’est plus vraiment un problème – et vous pouvez le vérifier en regardant ce qui se publie aujourd’hui. C’est un peu comme l’histoire des deux hommes qui fuient devant un lion : le but n’est pas de courir plus vite que le lion, mais de courir plus vite que l’autre homme. De la même manière, la question de la solvabilité est relative. Le capital ne peut pas dormir, il doit aller quelque part. Et même si la France est peu solvable, elle l’est plus que bien d’autres pays européens…

      • cdg dit :

        @descartes

        [Pardon : il y aura quand même pas mal de choses à mettre au passif. En particulier sa réforme de la haute fonction publique, réforme à bas bruit qui n’intéresse semble-t-il personne]

        Vu le résultat avec l’enarchie (quasiment tout notre personnel politique en sort et a dirige la France depuis les années 70) vous trouverez pas grand monde pour soutenir l ENA.

        [mais dont on apercevra dans les années qui viennent les résultats dévastateurs.]

        ou peut être des résultats salvateurs. On n en sait rien

        [Chirac a été certes un « roi fainéant », mais il a montré – notamment avec l’affaire irakienne – qu’il était capable de définir une ligne et de la tenir non seulement contre la pression internationale, mais aussi contre celle d’une bonne partie des élites françaises.]

        Sur 12 ans, ca fait quand même peu comme point positif. Et encore celui-ci est a l international et consistait surtout a ne rien faire. Car Chirac n a rien fait : il n a pas envoyé de troupes en Irak mais il n a pas non plus aidé Saddam ou meme bloqué l attaque.

        [sa décision de soumettre le TCE à référendum.]

        ca c était de la pure politique interne. Les sondages prédisaient un oui et il voyait que le PS était divisé.Au final il s est pris la porte dans la figure comme avec la dissolution (quand il a annonce dissoudre personne pensait que le PS allait gagner, il voulait juste avoir 5 ans tranquille avec Juppe)

        [Quant à Sarkozy,… ses positions industrialistes et pronucléaires, son européisme pragmatique, sa vision assimilationniste ont été constantes.]

        Dans mes souvenirs Sarkozy n a pas été tellement pro industrie (je parle d acte, pas de bla bla). Au niveau européen il n a pas non plus fait grand-chose a part s assoir sur le le non au referendum et continuer la même politique qu avant. Il a adopte l absence de vision de Merkel.
        On peut même lui reprocher d avoir loupe le coche avec la crise de 2008. Au lieu de prêter bêtement de l argent, il aurait du saisir l occasion, soit pour faire le ménage en laissant mourir ce qui était vérolé (option libérale) soit en prenant le contrôle (via augmentation de capital dilutive comme orpea). Quand je le voyais fanfaronner en disant qu il avait fait un meilleur retour que la caisse d’épargne j avais envie de lui mettre des claques

        [Soyons honnêtes : ceci est vrai pour l’ensemble du monde occidental, Etats-Unis inclus. On a vu la dette de tous les pays occidentaux exploser, et de ce point de vue on est loin d’être les plus mauvais.]

        On est quand même plus dans les cancres que dans les meilleurs de la classe. Le fait que d autres fasse pire est pas une excuse (c est ce que me dit mon fils quand il a une note médiocre)

        [ C’est d’ailleurs ce qui fait que la dette n’est plus vraiment un problème ]

        Si c est juste une bombe a retardement. Elle va un jour exploser. On sait juste pas quand

        [C’est un peu comme l’histoire des deux hommes qui fuient devant un lion : le but n’est pas de courir plus vite que le lion, mais de courir plus vite que l’autre homme.]

        L analogie n est pas exacte. C est comme si les 2 hommes étaient attaché l un a l autre. Si le lion rattrape le premier, le second va être impacté voire dévoré si le lion a encore faim
        Si par exemple l Italie fait faillite vous croyez que ca n aura aucun impact chez nous ? rien qu au niveau financier la BNP et le crédit agricole sont très engagé. Vous imaginez si ces 2 banques font faillite ? et je parle même pas de l impact sur l’économie « réelle » si tout d un coup on vend plus rien en Italie et que des millions d italiens viennent en France

        [ Le capital ne peut pas dormir, il doit aller quelque part.]

        A part qu on aura la une vaporisation fabuleuse du capital. Car si faillite d un état il y a des milliards seront tout simplement plus la. Par exemple toutes les assurances vie ne vaudront plus rien (c’est essentiellement des obligation d’état). Ensuite les actions seront en chute libre ainsi que l immobilier (qui va acheter sans crédit ?) .Toute l industrie sera a l’arrêt car sans crédit personne n investira (et de toute façon pourquoi investir pour produire quelque chose qui se vendra pas ?)
         

        • Descartes dit :

          @ cdg

          [« Pardon : il y aura quand même pas mal de choses à mettre au passif. En particulier sa réforme de la haute fonction publique, réforme à bas bruit qui n’intéresse semble-t-il personne » Vu le résultat avec l’énarchie (quasiment tout notre personnel politique en sort et a dirigé la France depuis les années 70) vous ne trouverez pas grand monde pour soutenir l’ENA.]

          Votre « vu le résultat » me paraît quand même curieux. « L’enarchie » a produit quand même des préfets, des ambassadeurs, des directeurs d’administration, les patrons d’établissements publics et autres hauts fonctionnaires que le monde – et j’en suis témoin – nous envie. La majorité de ces préfets dont on dit à chaque crise que le pays a tenu grâce à eux sortent eux aussi de l’ENA. Le « résultat » n’est donc pas si mauvais, et cela malgré les œuvres des énarques – relativement peu nombreux – qui s’engagent en politique.

          Il est par ailleurs inexact de dire que « quasiment tout notre personnel politique en sort ». Les promotions de l’ENA comptent une centaine de noms, et parmi eux à peine un dix pour cent en moyenne font une carrière politique. Sur les dix derniers premiers ministres, sept ne sont pas énarques (Raffarin, Fillon, Ayrault, Valls, Cazeneuve, Borne, Attal) et trois le sont (de Villepin, Philippe, Castex). Sur les quatorze membres que compte le gouvernement Attal, seuls deux sont énarques (Le Maire, Oudéa-Castéra). En fait, vous trouverez dans notre personnel politique beaucoup plus de gens passés par Sciences-Po que par l’ENA.

          [« mais dont on apercevra dans les années qui viennent les résultats dévastateurs » ou peut être des résultats salvateurs. On n’en sait rien]

          On peut en avoir une très bonne idée lorsqu’on voit les premiers résultats, surtout qu’ils sont parfaitement compatibles avec la logique de la réforme.

          [« Chirac a été certes un « roi fainéant », mais il a montré – notamment avec l’affaire irakienne – qu’il était capable de définir une ligne et de la tenir non seulement contre la pression internationale, mais aussi contre celle d’une bonne partie des élites françaises. » Sur 12 ans, ça fait quand même peu comme point positif.]

          Comparé à Mitterrand, c’est déjà beaucoup mieux.

          [Et encore celui-ci est à l’international et consistait surtout a ne rien faire. Car Chirac n’a rien fait : il n’a pas envoyé de troupes en Irak mais il n’a pas non plus aidé Saddam ou même bloqué l’attaque.]

          Honneur à qui honneur est du. Chirac ne s’est pas contenté d’une attitude passive. User du droit de véto de la France au Conseil de sécurité – et faire face aux manœuvres de déstabilisation qui on suivi – ce n’est pas « ne rien faire ». Même chose pour le référendum sur le TCE. Même chose pour la dissolution, que je tiens aussi pour un acte de courage politique.

          [sa décision de soumettre le TCE à référendum.]

          [Ca c’était de la pure politique interne. Les sondages prédisaient un oui et il voyait que le PS était divisé. Au final il s’est pris la porte dans la figure comme avec la dissolution]

          Même si les sondages pouvaient « prédire un oui », tout le monde sait ce que valent les sondages faits six mois à l’avance sur un scrutin qui n’est pas censé avoir lieu. Qui plus est, elle est très cohérente avec la conduite de Chirac dans l’affaire de la dissolution, que je ne considère nullement comme une erreur. Dans les deux cas, il a décidé de faire appel au peuple, l’une pour sortir d’une situation ou le gouvernement était pratiquement paralysé, l’autre pour faire arbitrer une décision qu’il jugeait trop importante pour passer par la voie parlementaire. Vous noterez d’ailleurs que Chirac n’a jamais regretté ni la dissolution, ni le référendum.

          [« Quant à Sarkozy,… ses positions industrialistes et pronucléaires, son européisme pragmatique, sa vision assimilationniste ont été constantes. » Dans mes souvenirs Sarkozy n’a pas été tellement pro industrie (je parle d’acte, pas de bla bla).]

          Et bien, vous vous trompez. Non seulement il a montré un intérêt personnel pour la chose – jamais un président n’aura visité autant d’installations industrielles depuis Giscard – mais sous sa présidence on a lancé pas mal de choses : l’EPR de Penly, le plan « investissements d’avenir »…

          [Au niveau européen il n’a pas non plus fait grand-chose à part s’asseoir sur le le non au referendum et continuer la même politique qu’avant. Il a adopté l’absence de vision de Merkel.]

          Lorsqu’il s’agit de l’Europe, l’absence de vision est une bénédiction. Il suffit de voir ce qu’en on fait les « visionnaires » à la Delors-Kohl-Mitterrand… Sarkozy était un européiste pragmatique. Il n’était pas prêt à une affirmation souverainiste, mais ne se faisait pas non plus d’illusions sur la construction européenne.

          [On peut même lui reprocher d’avoir loupe le coche avec la crise de 2008. Au lieu de prêter bêtement de l’argent, il aurait dû saisir l’occasion, soit pour faire le ménage en laissant mourir ce qui était vérolé (option libérale) soit en prenant le contrôle (via augmentation de capital dilutive comme orpea). Quand je le voyais fanfaronner en disant qu’il avait fait un meilleur retour que la caisse d’épargne j’avais envie de lui mettre des claques]

          Vous oubliez qu’un homme politique est l’otage de ses électeurs…

          [« Soyons honnêtes : ceci est vrai pour l’ensemble du monde occidental, Etats-Unis inclus. On a vu la dette de tous les pays occidentaux exploser, et de ce point de vue on est loin d’être les plus mauvais. » On est quand même plus dans les cancres que dans les meilleurs de la classe.]

          Le but en politique n’est pas d’avoir un prix d’excellence. Il n’y a aucun intérêt à vous couper un bras juste pour le plaisir d’être parmi les « bons élèves ». Avec le niveau des dettes aujourd’hui, il est clair pour tout le monde qu’elles ne seront pas payées.

          [« C’est d’ailleurs ce qui fait que la dette n’est plus vraiment un problème » Si c’est juste une bombe à retardement. Elle va un jour exploser. On ne sait juste pas quand]

          Mais pourquoi voulez-vous que cela explose ? L’économie financière est une « bulle », déconnectée de l’économie réelle, et la dette n’est qu’une partie de cette « bulle ». Dès lors que tout le monde sait parfaitement que les dettes ne seront jamais payées, il ne s’agit plus que d’écritures.

          [L’analogie n’est pas exacte. C’est comme si les 2 hommes étaient attachés l’un a l’autre. Si le lion rattrape le premier, le second va être impacté voire dévoré si le lion a encore faim. Si par exemple l’Italie fait faillite vous croyez que ça n’aura aucun impact chez nous ?]

          Avec un peu de chance en bouffant l’Italie, le lion défera les attaches en question en provoquant l’effondrement de l’Euro…

          [rien qu’au niveau financier la BNP et le crédit agricole sont très engagé. Vous imaginez si ces 2 banques font faillite ?]

          Non, justement. Parce que comme l’Italie est « too big to fail », elle ne fera pas faillite et on passera discrètement sa dette par pertes et profits. C’est bien ce que je vous disais : quand la dette est un problème pour UN pays, ce pays est dans la merde. Mais quand la dette est un problème de TOUS les pays, alors tout le monde a intérêt à s’y mettre pour trouver une solution.

          [« Le capital ne peut pas dormir, il doit aller quelque part. » A part qu’on aura la une vaporisation fabuleuse du capital. Car si faillite d’un état il y a des milliards seront tout simplement plus la.]

          Mais ils ne sont DEJA plus là. Ils n’ont jamais existé, ce ne sont que des écritures. Une créance sur un débiteur qui ne peut pas payer, ce n’est qu’un morceau de papier avec des chiffres dessus. Et tout le monde sait que les dettes ne seront jamais payées.

          [Par exemple toutes les assurances vie ne vaudront plus rien (c’est essentiellement des obligations d’état). Ensuite les actions seront en chute libre ainsi que l’immobilier (qui va acheter sans crédit ?). Toute l’industrie sera à l’arrêt car sans crédit personne n’investira (et de toute façon pourquoi investir pour produire quelque chose qui se vendra pas ?)]

          Mais vous savez bien que ce n’est pas comme cela que les choses se passent en pratique. On a en permanence des défauts partiels. Prenez par exemple la réforme des retraites. Qu’est ce que le recul de l’âge de départ ou l’augmentation du nombre de trimestres, si ce n’est un défaut partiel ? J’ai cotisé toute ma vie et en échange l’Etat me devait une retraite à 62 ans. Et tout à coup, l’Etat me dit « non, vous toucherez votre retraite deux ans de moins ». Si ce n’est pas là un défaut, faut me dire ce que c’est. Et pourtant, les assurances vie n’ont pas chuté, et le crédit continue comme avant…

          Le monde financier ne regarde pas le passé, mais l’avenir. La question n’est pas de savoir combien vous avez perdu hier, mais combien vous pouvez gagner demain. Si un pays fait défaut, et que le jour d’après il propose un programme crédible dans lequel les investisseurs peuvent gagner de l’argent, et bien les investisseurs afflueront…

          • cdg dit :

            @descartes

            [ « L’enarchie » a produit quand même des préfets, des ambassadeurs, des directeurs d’administration, les patrons d’établissements publics et autres hauts fonctionnaires que le monde – et j’en suis témoin – nous envie.]

            Si le monde nous les envient, pourquoi le monde ne vient il pas les chercher ? je reconnait que c est pas évident pour un préfet mais les patron d etablissement public francais devraient être recherché dans les autres pays et on devrait en avoir a foison a l etranger. Ou l ENA devrait être copié ailleurs. Curieusement c est pas le cas.

            Je suis pas qualifié pour juger de la qualite de nos ambassadeurs ou autre haut fonctionnaires, mais on peut quand même pas dire que la diplomatie francaise rayonne (certes on peut blamer l elysee) ou que l administration francaise est une reference dans le monde ou même qu elle marche mieux qu ailleurs.

            [La majorité de ces préfets dont on dit à chaque crise que le pays a tenu grâce à eux sortent eux aussi de l’ENA.]

            Je pense que vous exagerez un peu. Pour prendre les crises récentes (2008 ou covid) je n ai vu nulle part le rôle décisif des préfets qui auraient empeché la france de s ecrouler. Et comment ont fait les autres pays qui n ont ni préfet ni ENA ? ils ne se sont pas effondres pour autant

            [Sur les dix derniers premiers ministres, sept ne sont pas énarques (Raffarin, Fillon, Ayrault, Valls, Cazeneuve, Borne, Attal) et trois le sont (de Villepin, Philippe, Castex).]

            Certes, mais si on prend les presidents on a Giscard/Chirac/Hollande/Macron contre Mitterrand/Sarkozy  (je n inclus pas De Gaulle vu sa stature et le contexte de son arrivee a la présidence. Pour Pompidou, il a surtout beneficié d être le l aura de son predecesseur dont il avait été premier ministre). Quoi qu il en soit depuis 50 ans on a eut 4 presidents enarques contre 2 non enarques (de façon amusant tous les 2 etaient avocats)

            [En fait, vous trouverez dans notre personnel politique beaucoup plus de gens passés par Sciences-Po que par l’ENA.]

            On devrait peut être interdire aux diplomes de science po la carrière politique et la haute fonction publique 😉

            [Même chose pour la dissolution, que je tiens aussi pour un acte de courage politique.]

            Je vois pas ou est le courage politique la. Il s agissait de dissoudre pour avoir une majorité a sa main pour 5 ans et ne pas avoir d election intermédiaires qui risquaient d être perdues (normalement elles auraient due avoir lieu 3 ans plus tard. Et les exemples precedent montraient une défaite de camp présidentiel a chaque fois 1986 &1993). A l époque le PS était largué (en 95 personne n imaginait que jospin puisse etre élu president) et pas prêt a une campagne legislative. Si ca c est terminé en deroute pour Chirac c est grâce a Juppe (encore un brillant enarque) qui a tout fait pour que l electeur refuse la prepective de 5 ans de Juppé. D ou la tentative deseperee de Chirac entre les 2 tours de promettre autre chose[Même si les sondages pouvaient « prédire un oui », tout le monde sait ce que valent les sondages faits six mois à l’avance sur un scrutin qui n’est pas censé avoir lieu.]Les sondages ont un % d incertitude certes. Ca peut être problematique quand le resultat se joue a 2-3 % comme une presidentielle. Mais c était pas le cas a l époque. Les sondages initiaux étaient a pres de 60 % pour le oui. Quasi toute la droite et le PS faisait campagne pour. Ca semblait plié (le FN+PC+fabius ca représentait certainement pas 50 %)

            [ le gouvernement était pratiquement paralysé]

            En quoi le gouvernement était paralysé ? Chirac avait une majorité a l AN en 95 !Il y avait certes des traitres balladuriens mais ceux-ci faisaient soit profil bas en espérant que leur trahison soit pardonnée (comme un certain Sarkozy). Et si Chirac aurait été vraiment gaullien il aurait demissionné après avoir perdu les législatives au lieu de jouer au Mitterrand en se maintenant au pouvoir tout en mettant des chausse trappes a son premier ministre (cf la cagnotte)

            [Vous noterez d’ailleurs que Chirac n’a jamais regretté ni la dissolution, ni le référendum.]

            Il aurait du au moins pour la dissolution. Soit de regretter avoir perdu le pouvoir soit de ne pas avoir démissionné car il avait été desavoué

            [Lorsqu’il s’agit de l’Europe, l’absence de vision est une bénédiction.]

            De la part d un anti europeen surement. Je suppose que vous pensez que le système s effondrera sous son propre poids

            [Vous oubliez qu’un homme politique est l’otage de ses électeurs…]

            C est toute la difference entre un homme d etat et un homme politique. Sarkozy comme Hollande étaient des hommes politiques. Incapable de s opposer a leur électorat même s il savent ce qu il faut faire. De Gaulle avait largué l algerie alors que c est l algerie francaise qui l a fait revenir au pouvoir.
            On a le même probleme actuellement. Si vous lisez https://reporterre.net/Valerie-Masson-Delmotte-Les-milliardaires-veulent-preserver-des-modes-de-vie-ultra vous voyez que des ministres (regalien donc a priori pas un perdreau de l annee) ont comme principale preocupation de savoir ce que pensera leur électorat (vieux et aisé) aux prochaines elections. C est quand même pas la premiere chose qui devraient leur venir a l esprit quand on parle de changement climatique

            [Mais pourquoi voulez-vous que cela explose ? L’économie financière est une « bulle », déconnectée de l’économie réelle, et la dette n’est qu’une partie de cette « bulle ». ]

            Ca c est une theorie interessante assez proche de celle de Melanchon. Si la finance est une bulle decorelee de l economie réelle, on aurait du rien faire en 2008 (subprimes). S il y a eut action gouvernementales c est que tous ont eut peur que ca fasse comme en 1929 ou la crise financier a debouchée sur une crise economique

            [Avec un peu de chance en bouffant l’Italie, le lion défera les attaches en question en provoquant l’effondrement de l’Euro…]

            Si l euro explose et l Italie s effondre, je donne pas cher de la France. Même en admettant que la faillite de l Italie n entraine rien en France (hypothese très hardie), la sortie de l euro va faire que notre gouvernement va plus pouvoir s endetter en disant « l Allemagne paiera ». autrement dit reduction drastique des dépenses et augmentation massives des impôts vu nos deficits. On va être une Grèce XXL car il n y aura personne pour nous financer

            [Mais quand la dette est un problème de TOUS les pays, alors tout le monde a intérêt à s’y mettre pour trouver une solution.]

            Meme si je suis d accord pour dire qu il y a actuellement un consensus pour dire que la dette n est pas un probleme, c est pas pour ca que ca va rester comme ca ad vitam eternam. C est un peu comme le conte ou tout a coup un enfant dit que que le roi est nu et tout s effondre. Ca peut être un etat (peu probable), un speculateur (genre hedge fond) ou simplement une erreur (les marchés sont de plus en plus automatisé, un bug et hop tout vole en eclat). On peut meme imaginer tout autre chose (par ex un Ben Laden financier qui s amuserai a racheter puis couler expres une banque en eperant que celle ci en entraine d autres et cole des entreprises reelles (cf Silicon Valley Bank))

            Regardez l exemple des subprimes. Il y avait un consensus pour dire qu il n y avait pas de probleme de solvabilité, que tout allait bien que l immobilier c est sur et que ca ne fait que monter et tout d un coup une partie des gens se sont dit que non et ont voulu retirer leur billes avant que tout s effondre. Ce qui a fait s effondrer le château de cartes jusqu a ce que les états interviennent en catastrophe[ Une créance sur un débiteur qui ne peut pas payer, ce n’est qu’un morceau de papier avec des chiffres dessus.]Certes mais ca se traduit sur l economie réelle. Par ex si une banque fait faillite car les obligations de l etat X ne valent plus rien, les deposants perdent tout (en France il y a un fond de garantie mais sont montant est ridicule par rapports aux dépôts). Si les deposants perdent tout ca n impacte pas seulement M Dupont qui perd ses economies mais aussi l entreprise de M dupont qui ne peut plus payer ni salaires ni fournisseurs. Avec un effet boule de neige qui fait que toute l economie réelle va sombrer

            [ Et tout le monde sait que les dettes ne seront jamais payées.]

            Pour que ca se passe au mieux il vaudrait mieux que ca se fasse comme après une guerre : remboursement mais inflation. Mais vu les montants ca va être compliqué. Surtout qu une partie des placements sert a financer les retraites (capitalisation). Donc il va y avoir une pression maximale de l électorat retraité de certains pays pour que la spoliation par l inflation soit minimale et donc le prelevement sur l economie maximal (ce qui va envenimer les choses)

            [Prenez par exemple la réforme des retraites. Qu’est ce que le recul de l’âge de départ ou l’augmentation du nombre de trimestres, si ce n’est un défaut partiel ?]

            Ca n a rien a voir. Déjà la retraite francaise est un système par répartition. Donc il n y a pas de dettes, de taux d interet ou quoi que ce soit. Je peux revendre une obligation, pas mes trimestres cotisésEnsuite si on poursuit votre analogie, le defaut partiel aurait été de baisser les retraites ACTUELLES. Si j ai prete a la grece et je subit un defaut partiel, j avais prete 100, je touchait 5 d interet et tout d un coup on me dit que je touche 0 et qu on me remboursera 3 de capital dans 40 ans. Pour le rafistolage des retraites (desolé c est pas une reforme puisque dans moins de 10 ans le système sera de nouveau a bout de souffle), le retraité actuel touchera toujours 5, les actifs qui n ont pas le choix paieront toujours autant mais plus longtemps en esperant que plus tard ils toucheront le graal (a mon avis douteux pour les moins de 30 ans)

            [Le monde financier ne regarde pas le passé, mais l’avenir. La question n’est pas de savoir combien vous avez perdu hier, mais combien vous pouvez gagner demain. Si un pays fait défaut, et que le jour d’après il propose un programme crédible dans lequel les investisseurs peuvent gagner de l’argent, et bien les investisseurs afflueront…]

            Pas faux, même si vous occultez ici le fait que si la perte est énorme, plus personne n aura de capital pour investir ailleurs. Mais le principal probleme dans votre texte c est « credible ». C est tout le drame de pays comme l argentine qui vont de defaut en defaut. Même si vous arrivez avec un programme « rentable » le fait que ca soit en argentine va faire que le programme va avoir du mal a se financer

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« « L’énarchie » a produit quand même des préfets, des ambassadeurs, des directeurs d’administration, les patrons d’établissements publics et autres hauts fonctionnaires que le monde – et j’en suis témoin – nous envie. » Si le monde nous les envie, pourquoi le monde ne vient-il pas les chercher ? je reconnait que ce n’est pas évident pour un préfet mais les patron d’établissement public français devraient être recherché dans les autres pays et on devrait en avoir a foison a l’étranger.]

              Sans vouloir vous offenser, vous parlez de ce que vous ne connaissez pas. Pour commencer, contrairement à ce que vous pensez on vient bien de l’étranger chercher nos énarques, avec des offres quelquefois mirobolantes. Et je peux en témoigner pour en connaître personnellement. Seulement voilà, l’argent n’est pas tout, et la plupart de ceux qui s’engagent dans le cursus de l’ENA ont un sens prononcé du service public. Comprenez que, lorsqu’on s’engage dans la haute fonction publique, on sait d’avance qu’on n’aura pas les salaires et les conditions qu’offre le privé et on l’accepte. Dans la mesure où les fonctions publiques étrangères réservent les postes de direction à leurs propres nationaux, difficile de travailler dans le service public autrement qu’en France…

              [Ou l’ENA devrait être copié ailleurs. Curieusement ce n’est pas le cas.]

              Là encore, vous vous trompez. L’ENA a été abondamment copié dans la zone d’influence française, et même au-delà. J’ai connu par exemple un haut fonctionnaire français qui avait été invité en Argentine et au Chili pour monter des instituts de formation largement inspirés de l’ENA. J’ajoute que beaucoup de pays ne copient pas ce modèle parce qu’ils ont des systèmes de formation des hauts fonctionnaires plus adaptés à leurs institutions et leur histoire. On n’importe pas un modèle de formation aussi facilement…

              [Je ne suis pas qualifié pour juger de la qualité de nos ambassadeurs ou autres haut fonctionnaires, mais on peut quand même pas dire que la diplomatie française rayonne (certes on peut blâmer l’Elysée) ou que l’administration française est une référence dans le monde ou même qu’elle marche mieux qu’ailleurs.]

              Désolé de me répéter, mais vous parlez de choses que vous ne connaissez pas. La diplomatie française occupe, grâce à la qualité de ses diplomates, une place totalement disproportionnée par rapport au poids réel de notre pays. Et si beaucoup de bêtises ont été faites ces dernières années, c’est moins lié à la qualité de nos diplomates qu’au refus de l’Elysée de les entendre. Pour le reste, je peux vous dire que l’administration française EST EFFECTIVEMENT une référence dans le monde, non seulement pour sa compétence mais aussi pour sa probité. Et quand vous dites qu’elle « ne marche pas mieux qu’ailleurs », je me demande quel est le critère de comparaison que vous retenez…

              [« La majorité de ces préfets dont on dit à chaque crise que le pays a tenu grâce à eux sortent eux aussi de l’ENA. » Je pense que vous exagérez un peu. Pour prendre les crises récentes (2008 ou covid) je n’ai vu nulle part le rôle décisif des préfets qui auraient empêché la France de s’écrouler.]

              Pour avoir été personnellement très engagé dans la gestion de la crise COVID, je peux vous dire que vous faites erreur. Vous n’imaginez à quel point, surtout pendant les trois ou quatre premiers mois de la crise, l’ensemble des décideurs – publics et privés – se sont lavés les mains et refusé de prendre des décisions, tant ils avaient peur d’une éventuelle judiciarisation de leurs choix. Tout le monde s’est retourné vers les préfets, en exigeant des ordres et des consignes. Si les préfets s’étaient contentés d’exercer leurs attributions réglementaires, le pays se serait arrêté. C’est parce que les préfets ont pris sur eux le risque de se trouver devant les juges que le pays n’a pas sombré dans la paralysie. Et je trouve qu’on passe un peu vite sur leur rôle dans cette crise – et dans d’autres.

              [Et comment ont fait les autres pays qui n’ont ni préfet ni ENA ? ils ne se sont pas effondres pour autant]

              Certains se sont effondrés. D’autres ont des systèmes différents, qui reposent sur d’autres institutions de formation et d’autres autorités. Je ne dis pas qu’il faudrait généraliser ce modèle à tous les pays du monde. Je dis qu’il fonctionne très bien chez nous, mieux en tout cas que toutes les alternatives que je connais. Si la France était l’Allemagne et les Français des Allemands, on n’aurait pas besoin de préfets…

              [Certes, mais si on prend les présidents on a Giscard/Chirac/Hollande/Macron contre Mitterrand/Sarkozy (je n inclus pas De Gaulle vu sa stature et le contexte de son arrivée a la présidence. Pour Pompidou, il a surtout bénéficié d’être le l’aura de son prédécesseur dont il avait été premier ministre). Quoi qu’il en soit depuis 50 ans on a eu 4 présidents énarques contre 2 non énarques (de façon amusante tous les 2 étaient avocats)]

              Deux sur six, c’est loin d’être négligeable. Dire que les énarques ont « totalement dominé » la vie politique est donc excessif.

              [« En fait, vous trouverez dans notre personnel politique beaucoup plus de gens passés par Sciences-Po que par l’ENA. » On devrait peut être interdire aux diplômés de science po la carrière politique et la haute fonction publique]

              Je soutiens la motion… j’irai plus loin : je pense que Sciences-Po est une institution totalement superflue, qui ne sert qu’à initier les jeunes « comme il faut » dans le monde superficiel de la communication. On aurait intérêt à faire disparaître cette institution, ou bien à la transformer en un véritable institut universitaire.

              [« Même chose pour la dissolution, que je tiens aussi pour un acte de courage politique. » Je ne vois pas où est le courage politique là. Il s’agissait de dissoudre pour avoir une majorité a sa main pour 5 ans]

              Personnellement, je trouve que tirer la conclusion qu’on ne peut gouverner avec un gouvernement délégitimé et prendre le risque d’aller chercher une légitimité devant les électeurs alors que le résultat n’est nullement garanti est un acte de courage.

              [A l’époque le PS était largué (en 95 personne n’imaginait que Jospin puisse être élu président) et pas prêt a une campagne législative.]

              En 1995 peut-être. Mais en 1997, le PS était dans l’opposition depuis quatre ans, et s’était refait une santé avec l’ensemble de la gauche avec les grèves de 1995 qui avaient abouti au recul du gouvernement Juppé. Je me souviens clairement des débats de l’époque : la victoire de la « gauche plurielle » n’avait pas été une surprise !

              [« Même si les sondages pouvaient « prédire un oui », tout le monde sait ce que valent les sondages faits six mois à l’avance sur un scrutin qui n’est pas censé avoir lieu. » Les sondages ont un % d’incertitude certes. Ca peut être problématique quand le résultat se joue a 2-3 % comme une présidentielle.]

              Vous avez le contre-exemple sous les yeux : pour le TCE, les sondages prédisaient selon vous un « oui » massif, et le « non » l’a emporté. Et pas par un simple « 2-3% ». Si je tiens pour vraie votre affirmation selon laquelle les sondages prédisaient un « oui » gagnant, alors vous devez accepter ma remarque que ces sondages ne valent pas tripette. En fait, si ma mémoire ne me trompe pas les prédictions des sondages étaient beaucoup moins affirmatives que cela lorsque Chirac décide d’appeler le référendum.

              [«le gouvernement était pratiquement paralysé » En quoi le gouvernement était paralysé ? Chirac avait une majorité a l’AN en 95 !]

              Sans doute. Mais le gouvernement avait dû reculer sur sa réforme phare après un long conflit, la gauche avait repris le poil de la bête, les syndicats étaient sur le sentier de la guerre et avaient montré leurs muscles. J’ai vécu cette époque, et je me souviens bien de la frilosité de la majorité, qui empêchait d’entreprendre quelque réforme politique que ce soit.

              [Et si Chirac aurait été vraiment gaullien il aurait démissionné après avoir perdu les législatives au lieu de jouer au Mitterrand en se maintenant au pouvoir tout en mettant des chausse trappes a son premier ministre (cf la cagnotte)]

              Je trouve que Chirac a laissé gouverner Jospin et la majorité de la « gauche plurielle » bien plus que Mitterrand ne l’avait laissé lui-même. Je suis d’accord avec vous qu’une démission aurait été plus dans la logique des institutions, mais cela ne retire en rien au fait que la dissolution fut un acte digne et courageux.

              [« Lorsqu’il s’agit de l’Europe, l’absence de vision est une bénédiction. » De la part d’un anti europeen surement. Je suppose que vous pensez que le système s’effondrera sous son propre poids]

              Je pense que par certains côtés, le système s’est déjà en partie effondré sous son propre poids. La tactique britannique a finalement été la bonne : pousser à une extension continue de l’UE, sachant très bien que plus on est nombreux, plus il est impossible de décider quoi que ce soit sérieusement. Et si demain on récupère l’Ukraine, ce sera le pompon… Il ne reste pas moins que, même partiellement effondré, le système européen reste dangereux tant qu’il n’y aura pas chez nous une élite politique prête à en tirer les conclusions.

              [« Vous oubliez qu’un homme politique est l’otage de ses électeurs… » C’est toute la différence entre un homme d’état et un homme politique.]

              Tout à fait. Mais vous voyez beaucoup d’hommes d’Etat à l’horizon ?

              [« Mais pourquoi voulez-vous que cela explose ? L’économie financière est une « bulle », déconnectée de l’économie réelle, et la dette n’est qu’une partie de cette « bulle ». » Ca c’est une théorie intéressante assez proche de celle de Mélenchon. Si la finance est une bulle décorrélée de l’économie réelle, on aurait dû rien faire en 2008 (subprimes).]

              Je ne sais pas quelle est l’analyse de Mélenchon sur cette question, mais ce n’est certainement pas la mienne. Oui, en temps normal l’économie financière est décorrélée de l’économie réelle. Ainsi, par exemple, on a vu la valeur des actifs financiers doubler alors que pendant la même période l’économie réelle n’a cru que de 30%. Mais en temps de crise, les deux sphères se connectent, parce que les acteurs de l’économie financière, prenant conscience que leurs fortunes ne sont que des papiers avec des chiffres, tout à coup veulent transformer leurs papiers avec des chiffres dessus en biens réels. Que les gouvernements interviennent à ce moment précis avec des instruments financiers pour empêcher cette connexion, cela me paraît tout à fait louable.

              [« Avec un peu de chance en bouffant l’Italie, le lion défera les attaches en question en provoquant l’effondrement de l’Euro… » Si l’euro explose et l’Italie s’effondre, je donne pas cher de la France.]

              Si personne ne donne cher de la France, alors nous pourrons racheter notre dette bon marché 😉
              Tout dépend de ce que vous appelez « donner cher ». Si par là vous entendez que cela aura un effet sur notre économie, je suis d’accord. Cela ouvrira d’autres portes aujourd’hui fermées – la dévaluation compétitive, par exemple – et globalement je suis convaincu qu’on sortirait gagnants.

              [Même en admettant que la faillite de l’Italie n’entraine rien en France (hypothèse très hardie), la sortie de l’euro va faire que notre gouvernement ne va plus pouvoir s’endetter en disant « l’Allemagne paiera ».]

              Mais à l’inverse, on pourra dévaluer ce qui rendra nos produits plus compétitifs à et les importations étrangères moins intéressantes. Et nous récupérerons le libre usage de l’instrument monétaire et le crédit pour favoriser l’investissement productif. Je ne suis pas persuadé qu’au total on soit perdants.

              [Autrement dit réduction drastique des dépenses et augmentation massives des impôts vu nos déficits. On va être une Grèce XXL car il n’y aura personne pour nous financer]

              Vous savez, la France a déjà eu sa monnaie. Je ne me souviens pas qu’à l’époque on était écrasé d’impôts ou que le contrôle des dépenses fut si « drastique » que vous le dites. A l’époque, on avait même pu financer par l’emprunt privé un programme nucléaire de 100 Md€ sans aucune difficulté.

              [Mais quand la dette est un problème de TOUS les pays, alors tout le monde a intérêt à s’y mettre pour trouver une solution.]

              [Même si je suis d’accord pour dire qu’il y a actuellement un consensus pour dire que la dette n’est pas un problème, ce n’est pas pour ça que ça va rester comme ça ad vitam eternam. C’est un peu comme le conte où tout à coup un enfant dit que le roi est nu et tout s’effondre.]

              Je vous rassure : dans cette affaire, tous les enfants ont été soigneusement bâillonnés. Et les banques centrales tiennent en réserve un costume en papier magnifiquement décoré pour couvrir la nudité de l’empereur au cas où sa nudité s’ébruiterait. Certes, il ne fera illusion que quelque temps, mais cela suffira.

              [Regardez l’exemple des subprimes. Il y avait un consensus pour dire qu’il n’y avait pas de problème de solvabilité, que tout allait bien que l’immobilier c’est sur et que ça ne fait que monter et tout d’un coup une partie des gens se sont dit que non et ont voulu retirer leurs billes avant que tout s’effondre.]

              Et ensuite ? Les états sont intervenus, les banques centrales ont injecté ce qu’il fallait de monnaie, et la crise est passée. Personne n’est mort, aucun gouvernement n’est tombé, le peuple révolté n’a pas pris le pouvoir. Si c’est cela votre risque, ça va pas bien loin…

              [Certes mais ça se traduit sur l’économie réelle. Par ex si une banque fait faillite car les obligations de l’état X ne valent plus rien, les déposants perdent tout (en France il y a un fonds de garantie mais son montant est ridicule par rapports aux dépôts). Si les déposants perdent tout ça n’impacte pas seulement M Dupont qui perd ses économies mais aussi l’entreprise de M Dupont qui ne peut plus payer ni salaires ni fournisseurs. Avec un effet boule de neige qui fait que toute l’économie réelle va sombrer]

              Sauf si l’Etat, par un jeu d’écritures, fournit la liquidité nécessaire pour que la banque ne fasse pas faillite. Dans ce cas, les déposants ne perdent rien et lorsque la tempête est passée, par un autre jeu d’écritures, l’Etat récupère sa mise. Exactement ce qu’a fait Sarkozy en 2008. Et M. Dupont peut continuer à travailler comme si de rien n’était. Où est le problème ?

              La crise de 1929 résulte surtout de l’aveuglement des libéraux qui ont cru à l’autorégulation des marchés et refusé d’intervenir lorsque la « bulle » a explosé. Instruits par cette expérience, aucun gouvernement, aucune banque centrale aujourd’hui ne ferait la même erreur. Et ceux qui étaient tentés de la faire sont vite revenus à la raison – ceux qui ont laissé tomber Lehman Brothers n’ont pas répété l’erreur avec AMI.

              [« Et tout le monde sait que les dettes ne seront jamais payées. » Pour que ça se passe au mieux il vaudrait mieux que ça se fasse comme après une guerre : remboursement mais inflation. Mais vu les montants ça va être compliqué. Surtout qu’une partie des placements sert à financer les retraites (capitalisation). Donc il va y avoir une pression maximale de l’électorat retraité de certains pays pour que la spoliation par l’inflation soit minimale et donc le prélèvement sur l’économie maximal (ce qui va envenimer les choses)]

              Je ne dis pas que ce soit simple, je dis que c’est gérable.

              [« Prenez par exemple la réforme des retraites. Qu’est-ce que le recul de l’âge de départ ou l’augmentation du nombre de trimestres, si ce n’est un défaut partiel ? » Ca n’a rien à voir. Déjà la retraite française est un système par répartition. Donc il n’y a pas de dettes, de taux d’intérêt ou quoi que ce soit. Je peux revendre une obligation, pas mes trimestres cotisés.]

              Le fait qu’une créance ne soit pas négociable n’implique pas qu’elle n’existe pas. D’ailleurs, la retraite est une créance partiellement négociable : vous pouvez par exemple prendre un emprunt garanti sur elle… mais surtout, vous faites erreur en imaginant que le fait que ce soit un système par répartition change quelque chose. Dans un système par répartition votre retraite est payée par un prélèvement sur l’activité économique sous forme de cotisations des actifs (et pour une partie, par un prélèvement fiscal qui permet d’équilibrer le déficit du système). Dans le système par capitalisation, votre retraite est financée par le revenu des investissements faits avec le capital versé, qui est lui aussi un prélèvement sur l’économie. Les tuyaux sont différents, la répartition de la charge aussi, mais in fine les deux mécanismes sont économiquement similaires.

              [Ensuite si on poursuit votre analogie, le defaut partiel aurait été de baisser les retraites ACTUELLES.]

              Pas du tout. La décision d’un état de retarder le paiement d’échéances FUTURES est aussi considéré – et fonctionne économiquement – comme un défaut.

              [Si j’ai prêté a la Grèce et je subis un défaut partiel, j’avais prêté 100, je touchais 5 d’intérêt et tout d’ un coup on me dit que je touche 0 et qu’on me remboursera 3 de capital dans 40 ans. Pour le rafistolage des retraites (…), le retraité actuel touchera toujours 5,]

              Oui. Mais l’actif, qui avait une créance dont l’échéance tombait le jour de ses 62 ans, devra attendre deux ans de plus pour la toucher. Le report de la date d’exigibilité d’une créance est aussi un mode de défaut.

              [« Le monde financier ne regarde pas le passé, mais l’avenir. La question n’est pas de savoir combien vous avez perdu hier, mais combien vous pouvez gagner demain. Si un pays fait défaut, et que le jour d’après il propose un programme crédible dans lequel les investisseurs peuvent gagner de l’argent, et bien les investisseurs afflueront… » Pas faux, même si vous occultez ici le fait que si la perte est énorme, plus personne n’aura de capital pour investir ailleurs.]

              Si UN pays fait défaut, on ne voit pas pourquoi « personne n’aura de capital pour investir ailleurs », à moins que ce pays soit les Etats-Unis. Et si TOUS les pays font défaut… alors le problème sera tellement global que tout le monde s’y mettra pour trouver une solution. Ce qu’il faut garder en tête, c’est que ce qui nous fait vivre c’est le nombre de voitures, de frigos, de tomates et de steaks produits, et aussi longtemps qu’on continuera à les produire, peu nous chaut ce qui se passe dans la sphère financière.

              [Mais le principal problème dans votre texte c’est « crédible ». C’est tout le drame de pays comme l’Argentine qui vont de défaut en défaut.]

              Votre argument se détruit de lui-même. Si ces pays « vont de défaut en défaut », cela veut dire qu’après chaque défaut, il y a bien quelqu’un qui leur prête. Autrement, comment pourraient-ils faire défaut une nouvelle fois ? L’Argentine est l’exemple même du fait que les investisseurs ne regardent pas le passé, puisque malgré l’historique de ses défauts, elle trouve ensuite des gens disposés à lui prêter.

              La raison est très simple : les défauts de l’Argentine ne font perdre de l’argent à personne. Les prêteurs qui lui prêtent chargent dans le taux d’intérêt une « prime de risque », qui couvre la possibilité d’un défaut. Il serait d’ailleurs absurde pour l’Argentine de NE PAS FAIRE défaut : une fois que vous avez payé la prime d’assurance, vous avez tout intérêt à avoir un accident. Ayant payé la prime de risque, en remboursant ponctuellement ses obligations elle perd sur les deux tableaux. Personne ne lui remboursera les primes en question. C’est cela qui alimente le cycle : puisque de toute façon les prêteurs exigent des taux exorbitants…

            • cdg dit :

              @descartes
               
               
              [[Ou l’ENA devrait être copié ailleurs. Curieusement ce n’est pas le cas.]
              Là encore, vous vous trompez. L’ENA a été abondamment copié dans la zone d’influence française, et même au-delà. J’ai connu par exemple un haut fonctionnaire français qui avait été invité en Argentine et au Chili pour monter des instituts de formation largement inspirés de l’ENA.]
              J ai vu aussi que certains pays africain ont l equivalent de l ena. Mais franchement l argentine ou l afrique c est plutot des contre exemple : des pays plus ou moins disfonctionnels
              [je peux vous dire que l’administration française EST EFFECTIVEMENT une référence dans le monde, non seulement pour sa compétence mais aussi pour sa probité. Et quand vous dites qu’elle « ne marche pas mieux qu’ailleurs », je me demande quel est le critère de comparaison que vous retenez…]
              Pour la probite il faut reconnaître que c est vrai, notre fonction publique est encore pas corrompue (meme si ca a l air de changer vu par ex les salaires faibles et les moyens des narcos)
              Pour l efficacite, j ai vecu en RFA et en suisse, 2 pays sans ENA et ou l administration n est ni corrompue ni inefficace (l administration allemande contrairement a une legende est tres paperassiere)
              Apres c est sur que ca depend avec qui on se compare. Si on veut se comparer avec l albanie c est sur qu on s en sort bien
              [Certains se sont effondrés.]
              Quel pays s est effondré a cause du covid ? Le pays qui a gere ca le plus mal c est la chine, ou il n y a certes pas d ena. Mais c est quand meme excessif de dire que la chine c est effondree
              [[Quoi qu’il en soit depuis 50 ans on a eu 4 présidents énarques contre 2 non énarques (de façon amusante tous les 2 étaient avocats)]
              Deux sur six, c’est loin d’être négligeable. Dire que les énarques ont « totalement dominé » la vie politique est donc excessif. ]
              Qunad meme , 2/3 de presidents enarques c est enorme. Surtout que l ena ne forme qu une centaine de personne. On peut meme pas expliquer la preminenece de l ena par le fait qu ils soient des promotions immenses. Ils sont quasiment autant que les polytechniciens et le seul president polytechnicien c est Giscard (qui est aussi enarque)
              [[A l’époque le PS était largué (en 95 personne n’imaginait que Jospin puisse être élu président) et pas prêt a une campagne législative.]
              En 1995 peut-être. Mais en 1997, le PS était dans l’opposition depuis quatre ans, et s’était refait une santé avec l’ensemble de la gauche avec les grèves de 1995 qui avaient abouti au recul du gouvernement Juppé. Je me souviens clairement des débats de l’époque : la victoire de la « gauche plurielle » n’avait pas été une surprise !]
              On a pas les memes souvenirs. La dissolution avait pris par surprise le PS et Jospin avait du etre le premier surpris d etre vainqueur. Meme chirac a ete surpris du resultat car le lendemain du premier tour il avait tente de sauver les meubles en indiquant qu une victoire de son parti ne signifiait pas obligatoirement le maintien de Juppé alors qu il avait au moment de la dissolution clairement indique que le but etait de faire 5 ans de Juppé «A. Juppé, annonce aux députés, le 22 mars, la poursuite de la même politique en cas de victoire. » (https://www.laculturegenerale.com/alain-juppe-premier-ministre-1995/)
              [Mais le gouvernement avait dû reculer sur sa réforme phare après un long conflit, la gauche avait repris le poil de la bête, les syndicats étaient sur le sentier de la guerre et avaient montré leurs muscles. J’ai vécu cette époque, et je me souviens bien de la frilosité de la majorité, qui empêchait d’entreprendre quelque réforme politique que ce soit.]
              Chirac aurait dissous parce qu il voulait reformer quelque chose ? Diantre ! Pourquoi ne l a t il pas fait une fois reelu et avec une majorité. Helas si chirac a ete le roi faineant pendant son quinquenat, il aurait ete aussi s il avait gagne les legislatives
              [ Oui, en temps normal l’économie financière est décorrélée de l’économie réelle. Ainsi, par exemple, on a vu la valeur des actifs financiers doubler alors que pendant la même période l’économie réelle n’a cru que de 30%.]
              Ca c est surtout a cause de la politique debile des banques centrales. Avec des taux negatifs ou a 0, il ont fait une bulle sur l immobilier (en train de se degonfler) et sur les actions (concentree sur certaines actions. Si google ou apple ont explosées, les actions plus classiques sont bien moins montees (par ex Air liquide pour rester en france)
              [Mais en temps de crise, les deux sphères se connectent, parce que les acteurs de l’économie financière, prenant conscience que leurs fortunes ne sont que des papiers avec des chiffres, tout à coup veulent transformer leurs papiers avec des chiffres dessus en biens réels. ]
              Je pense que tous les acteurs financiers doivent diversifier et transformer une partie de leurs actifs financier en chose «reelle», et ce meme hors periode de crise. Meme si c est toujours delicat de juger la valeur. Un immeuble ou un picasso, des biens reels s il en est, ca vaut combien ? En cas de crise je pense que leur valeur va chuter.
              [Cela ouvrira d’autres portes aujourd’hui fermées – la dévaluation compétitive, par exemple – et globalement je suis convaincu qu’on sortirait gagnants.]
              Pour cela il faudrait déjà qu on produise quelque chose. Si vous devaluez et que vous etes incapable de gagner des parts de marché (parce que vous ne produisez rien de competitifs), ca ne change rien. Regardez lorsque la chine etait hors course car confinee : on a pas tellement produit plus
              [Mais à l’inverse, on pourra dévaluer ce qui rendra nos produits plus compétitifs à et les importations étrangères moins intéressantes.]
              C est exactement l argument qu on nous servait quand j etais enfant et qu on devaluait sous Mitterrand. Nos produits allaient mieux se vendre et les produits allemands allaient avoir du mal a trouver des clients. Inutile de dire que le constat 20 ans plus tard n est pas flatteur. 3 devaluations et l industrie allemande (ou hollandaise, le florin etait aussi reevalué) etait toujours en meilleure forme
              [Et nous récupérerons le libre usage de l’instrument monétaire et le crédit pour favoriser l’investissement productif. Je ne suis pas persuadé qu’au total on soit perdants.]
              Est ce qu on favorisera l investissement productif ? Est ce qu on fera pas du credit pour par exemple favoriser la rente immobiliere ? Ou tout simplement pour faire comme en grece ou le credit a surtout nourri la consommation
              [Vous savez, la France a déjà eu sa monnaie. Je ne me souviens pas qu’à l’époque on était écrasé d’impôts ou que le contrôle des dépenses fut si « drastique » que vous le dites. A l’époque, on avait même pu financer par l’emprunt privé un programme nucléaire de 100 Md€ sans aucune difficulté.]
              vous oubliez qu on est plus en 1970. On doit financer un systeme social qui coute bien plus cher qu a l epoque (comparez le nombre de retraité en 1970 a celui de 2024 ainsi que le montant des pensiosn). Actuellement l etat depense 1/3 de plus que ses revenus (dernier budget a l equilibre date de giscard) Vous avez donc le choix entre baisser les depenses et augmenter les impots si vous ne pouvez plus emprunter (ce qui est le cas si vous faites defaut)
              [Et les banques centrales tiennent en réserve un costume en papier magnifiquement décoré pour couvrir la nudité de l’empereur au cas où sa nudité s’ébruiterait. Certes, il ne fera illusion que quelque temps, mais cela suffira.]
              SI ca ne fait illusion que quelque temps, vous convenez vous meme qu a un moment l illusion va s arreter. Il faudra donc payer ou faire defaut
              [[Regardez l’exemple des subprimes.]
              Et ensuite ? Les états sont intervenus, les banques centrales ont injecté ce qu’il fallait de monnaie, et la crise est passée. Personne n’est mort, aucun gouvernement n’est tombé, le peuple révolté n’a pas pris le pouvoir. Si c’est cela votre risque, ça va pas bien loin…]
              A mon avis on a juste reculé pour mieux sauter car on a reglé aucun probleme. Je vous rejoint sur un point, la sphere financiere a trop grossie par rapport a l economie reelle. Le fait que les banques centrales ont inondee le marché d argent n a fait que reculer l echeance car on a pas reglé le probleme de base. On voit maintenant les effets secondaires de la politique des banques centrales : une inflation qui etait au debut que sur les actifs (actions/immobiliers) arrive sur les biens courants et l activite reelle : si le logement coute trop cher vous asphixiez la demande (plus d argent pour acheter autre chose → plus demande pour les entreprises→moins d investissement productif) et on a meme le 2eme effet avec des entreprises qui n arrivent pas a recruter car le personnel potentiel n arrive pas a se loger. Qui va aller travailler a un endroit ou il devra vivre sous une tente ?
              [Sauf si l’Etat, par un jeu d’écritures, fournit la liquidité nécessaire pour que la banque ne fasse pas faillite. Dans ce cas, les déposants ne perdent rien et lorsque la tempête est passée, par un autre jeu d’écritures, l’Etat récupère sa mise. Exactement ce qu’a fait Sarkozy en 2008. Et M. Dupont peut continuer à travailler comme si de rien n’était. Où est le problème ?]
              Ca marche que si l etat est capable de preter a la banque (et si possible que la banque ne fasse pas faillite et puisse rembourser). Si le bilan de la banque est tel que l etat ne peut preter assez vous avez un probleme. C est par le cas si Credit suisse faisait faillite : l etat suisse etait incapable de le renflouer → l eat suisse a force UBS a le racheter. Je suis pas sur que l etat francais puisse renflouer le credit agricole ou meme que le contribuable l accepte. Jusqu a present ca c est passé a la marge (par ex https://en.wikipedia.org/wiki/Icesave_dispute ou le contribuable icelandais a refusé de renflouer les deposants anglais)
              [Instruits par cette expérience, aucun gouvernement, aucune banque centrale aujourd’hui ne ferait la même erreur. Et ceux qui étaient tentés de la faire sont vite revenus à la raison – ceux qui ont laissé tomber Lehman Brothers n’ont pas répété l’erreur avec AMI.]
              Du coup les banques savent qu elles seront soutenues par le contribuables et prennent plus de risques. C est l alea moral. Le probleme c est le jour ou pour une raison X ou Y le contribuable ne sera pas la quand une banque fera defaut
              [Dans un système par répartition votre retraite est payée par un prélèvement sur l’activité économique sous forme de cotisations des actifs (et pour une partie, par un prélèvement fiscal qui permet d’équilibrer le déficit du système). Dans le système par capitalisation, votre retraite est financée par le revenu des investissements faits avec le capital versé, qui est lui aussi un prélèvement sur l’économie. Les tuyaux sont différents, la répartition de la charge aussi, mais in fine les deux mécanismes sont économiquement similaires.]
              Il sont similaires dans le sens ou c est dans les 2 cas un prelevement sur les actifs au profits de retraités, par contre un systeme par capitalisation a l avantage de prelever sur les actifs du monde entier, pas uniquement du pays. Actuellement un employé d une entreprise du CAC40 entretient un retraité francais (repartition) et un retraité US (capitalisation)
              [Mais l’actif, qui avait une créance dont l’échéance tombait le jour de ses 62 ans, devra attendre deux ans de plus pour la toucher. Le report de la date d’exigibilité d’une créance est aussi un mode de défaut.]
              C est une facon assez tordue de voir les choses. Ici vous avez un «defaut» qui ne concerne pas les retraités actuels ni les actifs qui ont fait des etudes longues (curieusement 2 categories qui votent massivement Macron). Quand il y a un vrai defaut, vous allez pas continuer a payer autant qu avant le defaut mais juste dire que dans 2 ans vous allez payer plus tard une infime partie de vos creanciers ….
               
              [Si UN pays fait défaut, on ne voit pas pourquoi « personne n’aura de capital pour investir ailleurs », à moins que ce pays soit les Etats-Unis. Et si TOUS les pays font défaut… alors le problème sera tellement global que tout le monde s’y mettra pour trouver une solution.]
              Si c est un pays mineur en effet ca ne change rien. Un defaut argentin c est business as usal. Si c est tout le systeme qui explose avec les USA, la on est dans l inconnu. Mais supposez que vous avez un defaut de l UE (ou du japon). Suffisament gros pour faire de degats mais que le reste du systeme n ai aucun interet a collaborer en esperant s en tirer mieux tout seul (apres tout c est un peu la logique isolationiste de trump, qui par ex voit la RFA comme un concurrent qu il ne serait pas faché de les voir hors course)
              [ Ce qu’il faut garder en tête, c’est que ce qui nous fait vivre c’est le nombre de voitures, de frigos, de tomates et de steaks produits, et aussi longtemps qu’on continuera à les produire, peu nous chaut ce qui se passe dans la sphère financière.]
              Pour produire des frigos, des voitures il faut du credit. Comment faire si votre systeme bancaire est HS ?
               
              [Votre argument se détruit de lui-même. Si ces pays « vont de défaut en défaut », cela veut dire qu’après chaque défaut, il y a bien quelqu’un qui leur prête. Autrement, comment pourraient-ils faire défaut une nouvelle fois ? L’Argentine est l’exemple même du fait que les investisseurs ne regardent pas le passé, puisque malgré l’historique de ses défauts, elle trouve ensuite des gens disposés à lui prêter.]
              Dans le cas de l argentine c est surtout le FMI qui prete. Pas vraiment des investisseurs. Certes il doit y en avoir des joueurs kamikaze qui doivent preter a l argentine. Mais a des taux tres eleves et sur des durees courtes. Bref des conditions qui empechent tout developpement economique (quelle industrie fait +20 %/an et est capable de vous rembourser en 1 an ?)
              [ Il serait d’ailleurs absurde pour l’Argentine de NE PAS FAIRE défaut : une fois que vous avez payé la prime d’assurance, vous avez tout intérêt à avoir un accident.]
              Vous pourriez l appliquer a votre cas personnel. Vous avez paye votre assurance auto, vous avez donc interet a avoir un accident. Ah oui ca ne marche pas car votre malus augmente et a un moment votre assureur vous jette dehors
              C est pareil pour les etats. Si vous remboursez vous pouvez avoir un autre prêt avec des conditions plus favorables. Si au contraire vous faites defaut, le prochain sera avec un taux encore plus eleve (ce qui rendra votre economie encore plus faible) jusqu au moment ou plus personne veut vous preter a part le FMI
               
               

            • Descartes dit :

              @ cdg

              [« Là encore, vous vous trompez. L’ENA a été abondamment copié dans la zone d’influence française, et même au-delà. J’ai connu par exemple un haut fonctionnaire français qui avait été invité en Argentine et au Chili pour monter des instituts de formation largement inspirés de l’ENA. » J’ai vu aussi que certains pays africains ont l’équivalent de l’ENA. Mais franchement l’Argentine ou l’Afrique c’est plutôt des contre-exemple : des pays plus ou moins difonctionnels.]

              La question n’est pas là. Je vous rappelle l’origine de cet échange : vous aviez – par l’intermédiaire d’une question rhétorique – affirmé que notre système de formation des hauts fonctionnaires ne suscitait l’envie de personne à l’étranger. Je vous montre que c’est faux : beaucoup de pays cherchent à l’imiter. Après, que ces imitations fonctionnent ou pas, c’est une autre affaire. Pour connaître un peu l’histoire de « l’ENA argentine », je peux vous dire que cela me renforce dans la conviction qu’un système de formation de hauts fonctionnaires n’est pas un isolat qui peut être copié d’un pays à l’autre. On ne peut déconnecter la formation du fonctionnement de la fonction publique elle-même. Imaginer que le système ENA peut fonctionner dans des pays où la fonction publique est extrêmement politisée, où le « fonctionnaire de carrière » n’existe pas et ou les nominations se font sur la base du « spoil system » en faisant abstraction de toute compétence est une illusion.

              [« je peux vous dire que l’administration française EST EFFECTIVEMENT une référence dans le monde, non seulement pour sa compétence mais aussi pour sa probité. Et quand vous dites qu’elle « ne marche pas mieux qu’ailleurs », je me demande quel est le critère de comparaison que vous retenez… » Pour la probité il faut reconnaître que c’est vrai, notre fonction publique est encore pas corrompue (même si ça a l’air de changer vu par ex les salaires faibles et les moyens des narcos)]

              Ca change surtout parce que les réformes entreprises depuis 40 ans ont affaibli considérablement la logique des « corps », qui sont la base du système, et favorisé les aller-retour entre la fonction publique et le privé. Dès lors que chaque haut fonctionnaire doit penser à préparer sa « deuxième carrière » dans le privé, dès lors qu’on ouvre les postes de direction à des personnes qui viennent du privé et qui ont vocation à y retourner, la corruption et les conflits d’intérêt sont inévitables.

              [Pour l’efficacité, j’ai vécu en RFA et en suisse, 2 pays sans ENA et ou l’administration n’est ni corrompue ni inefficace (l’administration allemande contrairement à une légende est très paperassière)]

              La RFA est d’ailleurs l’un des pays les plus séduits par le modèle ENA… au point que chaque promotion d’énarques comptait un certain nombre de fonctionnaires allemands envoyés par leurs administrations pour se former dans notre vénérable école…

              [Apres c’est sûr que ça dépend avec qui on se compare. Si on veut se comparer avec l’Albanie c’est sûr qu’on s’en sort bien]

              Comparons déjà avec les pays qui ont un PIB par habitant comparable. Ou plus intéressant encore, avec les pays qui payent les fonctionnaires au même niveau que nous…

              [« Certains se sont effondrés. » Quel pays s’est effondré à cause du covid ? Le pays qui a gère ça le plus mal c’est la Chine, où il n’y a certes pas d’ENA. Mais c’est quand même excessif de dire que la chine s’est effondrée]

              Je ne pensais pas à la Chine, mais plutôt à l’Amérique Latine.

              [« Deux sur six, c’est loin d’être négligeable. Dire que les énarques ont « totalement dominé » la vie politique est donc excessif. » Quand même , 2/3 de présidents énarques c’est énorme.]

              « Enorme » peut-être, mais pas assez pour écrire qu’ils ont « totalement dominé » la vie politique.

              [Surtout que l’ENA ne forme qu une centaine de personne. On peut même pas expliquer la prééminence de l’ENA par le fait qu’ils soient des promotions immenses. Ils sont quasiment autant que les polytechniciens et le seul président polytechnicien c’est Giscard (qui est aussi enarque)]

              Mais alors, posez-vous la question : tous ces énarques ont bien été élus, non ? Et tous contre des candidats qui n’étaient pas énarques (le seul « duel d’énarques » fut Jospin-Chirac en 1995). Alors, qu’est ce qui fait à votre avis que le peuple leur fait confiance, malgré toutes les critiques, les blagues et autres quolibets contre « l’énarchie » ? Comment une école qui ne forme finalement qu’une centaine de personnes par an, dont d’ailleurs seule une dizaine entre en politique, a-t-elle pu placer autant d’anciens élèves à des postes qui dépendent non pas d’une nomination – où l’on pourrait évoquer un biais liés aux réseaux – mais d’une élection, où il s’agit d’emporter l’adhésion de Mme Michu ?

              La réponse à mon avis est double : d’une part, parce que la rigueur du processus de sélection a fait qu’on retrouvait dans l’énarchie beaucoup de gens de très haut niveau ayant un véritable sens du service de l’Etat ; et d’autre part, parce que la formation que dispense cette école est excellente en termes de connaissance de la « chose publique ». Mais j’imagine que vous proposerez une autre explication, et je suis curieux de la connaître…

              [On n’a pas les mêmes souvenirs. La dissolution avait pris par surprise le PS et Jospin avait dû être le premier surpris d’être vainqueur.]

              Je ne sais pas si Jospin avait été surpris, mais le PCF certainement pas. J’étais militant à l’époque, et je me souviens des débats internes sur le fait de savoir s’il fallait ou non aller au gouvernement quelques jours avant le premier tour. Je doute qu’on aurait ouvert un débat sur cette question si les dirigeants n’avaient pas estimé qu’il y avait une bonne chance que la question se pose…

              [Même Chirac a été surpris du résultat car le lendemain du premier tour il avait tente de sauver les meubles en indiquant qu une victoire de son parti ne signifiait pas obligatoirement le maintien de Juppé alors qu’il avait au moment de la dissolution clairement indique que le but était de faire 5 ans de Juppé «A. Juppé, annonce aux députés, le 22 mars, la poursuite de la même politique en cas de victoire. »]

              Vous faites une petite erreur en affirmant que Chirac aurait « clairement indiqué au moment de la dissolution que le but était de faire 5 ans de Juppé ». C’est Juppé qui a dit cette chose, et non Chirac. Que Chirac ait été « surpris » par les résultats du premier tour, on peut le comprendre. Un homme politique espère toujours le meilleur, mais cela n’implique nullement qu’avant la campagne il soit convaincu de pouvoir gagner.

              [« Mais le gouvernement avait dû reculer sur sa réforme phare après un long conflit, la gauche avait repris le poil de la bête, les syndicats étaient sur le sentier de la guerre et avaient montré leurs muscles. J’ai vécu cette époque, et je me souviens bien de la frilosité de la majorité, qui empêchait d’entreprendre quelque réforme politique que ce soit. » Chirac aurait dissous parce qu’il voulait reformer quelque chose ? Diantre ! Pourquoi ne l’a-t-il pas fait une fois réélu et avec une majorité.]

              Parce que cinq ans étaient passé, qu’il était vieux, qu’il n’avait plus beaucoup d’idées – il n’allait pas tout de même resservir la réforme Juppé…

              [Helas si Chirac a été le roi fainéant pendant son quinquennat, il aurait été aussi s il avait gagné les législatives]

              Je ne crois pas que Chirac ait été un « roi fainéant » quand il est arrivé au pouvoir en 1993. Il l’est devenu, notamment après l’expérience de la cohabitation.

              [« Mais en temps de crise, les deux sphères se connectent, parce que les acteurs de l’économie financière, prenant conscience que leurs fortunes ne sont que des papiers avec des chiffres, tout à coup veulent transformer leurs papiers avec des chiffres dessus en biens réels. » Je pense que tous les acteurs financiers doivent diversifier et transformer une partie de leurs actifs financier en chose «reelle», et ce meme hors periode de crise.]

              Pourquoi « doivent » ? Si la sphère réelle offre des revenus de l’ordre de 6% et que la sphère financière vous offre 15%, difficile d’expliquer à vos mandants que vous choisissez la première plutôt que la seconde. C’est beaucoup plus rentable de monter sur la « bulle », avec l’espoir de descendre du train avait qu’il s’écrase contre le mur.

              [Meme si c est toujours delicat de juger la valeur. Un immeuble ou un Picasso, des biens réels s’il en est, ca vaut combien ? En cas de crise je pense que leur valeur va chuter.]

              Un Picasso n’est pas un « bien réel » : sa valeur d’usage est très faible, sans aucun rapport avec sa valeur d’échange. Ce n’est pas du tout le cas d’un immeuble. Et vous noterez d’ailleurs qu’en cas de crise, la valeur des biens réels reste constante ou même augmente en situation de crise financière, parce que lorsque les « bulles » explosent les biens « réels » voient la demande augmenter en tant que valeur réfuge.

              [« Cela ouvrira d’autres portes aujourd’hui fermées – la dévaluation compétitive, par exemple – et globalement je suis convaincu qu’on sortirait gagnants. » Pour cela il faudrait déjà qu’on produise quelque chose. Si vous dévaluez et que vous êtes incapable de gagner des parts de marché (parce que vous ne produisez rien de compétitifs), ca ne change rien.]

              Et à l’inverse, personne n’ira investir pour produire quelque chose si les taux de change rendent votre production non compétitive par rapport aux marchés internationaux. C’est donc un cercle vicieux. Pour le rompre, il faut bien casser quelque chose. Oui, si vous dévaluez il faudra accepter une augmentation des prix. Mais si les prix augmentent, il deviendra rentable de produire et donc, une fois passé le temps d’adaptation de l’industrie, on reviendra à un équilibre.

              [Regardez lorsque la Chine était hors course car confinée : on n’a pas tellement produit plus]

              La Chine n’est pas restée confinée assez longtemps pour qu’on ait l’intérêt et le temps de construire des usines chez nous… mais dans les domaines ou c’était possible, on a vu des signes de réindustrialisation. Ainsi, par exemple, on a recommencé à produire chez nous des masques…

              [« Mais à l’inverse, on pourra dévaluer ce qui rendra nos produits plus compétitifs à et les importations étrangères moins intéressantes. » C’est exactement l’argument qu’on nous servait quand j’étais enfant et qu’on dévaluait sous Mitterrand. Nos produits allaient mieux se vendre et les produits allemands allaient avoir du mal à trouver des clients. Inutile de dire que le constat 20 ans plus tard n’est pas flatteur. 3 dévaluations et l’industrie allemande (ou hollandaise, le florin etait aussi réévalué) était toujours en meilleure forme]

              Sauf que lors que vous « constatez vingt ans plus tard », vous oubliez que la politique que vous décrivez n’a été poursuivie que pendant trois ans, les dix-sept autres étant marqués par la politique du « franc fort » couplé au Mark allemand. Alors, si « le constat n’est pas flatteur », doit-on l’attribuer aux trois ans de « dévaluations », ou aux dix-sept ans de « franc fort » ?

              En fait, les dévaluations ont bien aidé l’industrie française, et l’hécatombe industrielle commence avec le « franc fort ». Le problème, c’est que les dévaluations compétitives étaient insoutenables pour deux raisons qui se combinent : d’une part, parce que le gouvernement tenait à une politique de relance par les salaires qui alimentait mécaniquement l’inflation ; et d’autre part parce que la dépendance au pétrole – rappelons que le programme nucléaire n’était pas encore fonctionnel – ne permettait pas de dévaluer suffisamment pour rendre les produits compétitifs sans produire une hyperinflation.

              Les dévaluations de 1981-82 ont échoué parce que c’étaient des dévaluations subies, et non choisies. Les socialistes au pouvoir voulaient le beurre et l’argent du beurre : relancer la consommation tout en baissant le déficit extérieur, baisser l’inflation tout en relançant par les salaires, protéger l’industrie tout en maintenant les frontières ouvertes. A un moment on a du choisir, et on a choisi : monnaie forte et désindustrialisation.

              [« Et nous récupérerons le libre usage de l’instrument monétaire et le crédit pour favoriser l’investissement productif. Je ne suis pas persuadé qu’au total on soit perdants. » Est ce qu’on favorisera l’investissement productif ? Est-ce qu’on fera pas du crédit pour par exemple favoriser la rente immobilière ? Ou tout simplement pour faire comme en Grèce ou le crédit a surtout nourri la consommation]

              Peut-être, et peut-être pas. Avoir de bons outils ne vous garantit pas qu’ils seront utilisés à bon escient. Mais au moins, cela ouvre la possibilité de faire un bon ouvrage. On ne me convaincra pas qu’il vaut mieux se couper les mains que de prendre le risque de faire les choses mal.

              [« Vous savez, la France a déjà eu sa monnaie. Je ne me souviens pas qu’à l’époque on était écrasé d’impôts ou que le contrôle des dépenses fut si « drastique » que vous le dites. A l’époque, on avait même pu financer par l’emprunt privé un programme nucléaire de 100 Md€ sans aucune difficulté. »
              vous oubliez qu on est plus en 1970.]

              Soyez rassuré, mon dos me le rappelle tous les matins…

              [On doit financer un système social qui coute bien plus cher qu’à l’époque (comparez le nombre de retraité en 1970 a celui de 2024 ainsi que le montant des pension).]

              Pour que la comparaison soit complète, il faudrait regarder l’évolution de la productivité. Autrement, votre raisonnement conduirait à revenir au XIXème siècle.

              [Actuellement l’Etat dépense 1/3 de plus que ses revenus (dernier budget a l’équilibre date de Giscard)]

              Curieusement, il date de la même époque que l’interdiction faite à la Banque de France d’escompter les titres de dette publique. Une coïncidence, sans aucun doute…

              Pardonnez-moi si je ne communie pas dans la religion de l’équilibre fiscal si chère à nos amis allemands. Faire du déficit pour financer les investissements, c’est tout à fait défendable, faire de l’équilibre en sacrifiant les infrastructures – comme on l’a fait outre-Rhin – est une absurdité. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le déficit résulte aussi de politiques d’appauvrissement du secteur public et d’enrichissement du privé…

              [Vous avez donc le choix entre baisser les dépenses et augmenter les impôts si vous ne pouvez plus emprunter (ce qui est le cas si vous faites défaut)]

              J’ai bien d’autres choix : pour ne donner qu’un exemple, une inflation modérée…

              [« Et les banques centrales tiennent en réserve un costume en papier magnifiquement décoré pour couvrir la nudité de l’empereur au cas où sa nudité s’ébruiterait. Certes, il ne fera illusion que quelque temps, mais cela suffira. » Si ça ne fait illusion que quelque temps, vous convenez vous même qu’à un moment l’illusion va s’arrêter. Il faudra donc payer ou faire défaut]

              Mais pas du tout ! Il suffit de maintenir l’illusion le temps de créer une autre illusion… prenez le dernier exemple en date : quand les marchés se sont inquiétés des dettes publiques des pays européens, on a inventé les « emprunts communs » qui en fait ne changent rien sur le fond, mais qui donnent l’illusion que les dettes sont garanties…

              [« Et ensuite ? Les états sont intervenus, les banques centrales ont injecté ce qu’il fallait de monnaie, et la crise est passée. Personne n’est mort, aucun gouvernement n’est tombé, le peuple révolté n’a pas pris le pouvoir. Si c’est cela votre risque, ça va pas bien loin… » A mon avis on a juste reculé pour mieux sauter car on a reglé aucun probleme.]

              Oui, et la prochaine fois on reculera pour mieux sauter, et la suivante, et la suivante… et ainsi pour l’éternité, ou du moins, pour longtemps. A long terme, on est tous morts. Oui, j’en suis convaincu, un jour le capitalisme s’effondrera sous le poids de ses propres contradictions…

              [Je vous rejoint sur un point, la sphère financière a trop grossie par rapport à l’économie réelle. Le fait que les banques centrales ont inondé le marché d’argent n’a fait que reculer l’échéance car on n’a pas réglé le problème de base. On voit maintenant les effets secondaires de la politique des banques centrales : une inflation qui etait au debut que sur les actifs (actions/immobiliers) arrive sur les biens courants et l activite reelle :]

              Je pense que vous associez à tort les deux phénomènes. D’un côté, l’argent pas cher a propulsé les marchés financiers et gonflé des bulles. Mais ce n’est pas cela qui a réveille l’inflation dans l’économie réelle. Cette dernière est un effet purement monétaire : pendant le COVID, les états ont injecté massivement de l’argent dans l’économie, pour maintenir les revenus des travailleurs empêchés de travailler et éviter la faillite des entreprises. Ce surcroit de monnaie, que n’accompagne aucun surcroit de production, ne pouvait que provoquer une flambée des prix. Pas immédiatement, parce que pendant le COVID les gens ont plutôt épargné devant l’incertitude, mais immédiatement après. Et à mon sens, on a tort de s’en inquiéter : une fois l’ardoise payée, le rythme des prix reviendra à sa logique antérieure.

              [« Sauf si l’Etat, par un jeu d’écritures, fournit la liquidité nécessaire pour que la banque ne fasse pas faillite. Dans ce cas, les déposants ne perdent rien et lorsque la tempête est passée, par un autre jeu d’écritures, l’Etat récupère sa mise. Exactement ce qu’a fait Sarkozy en 2008. Et M. Dupont peut continuer à travailler comme si de rien n’était. Où est le problème ? » Ca marche que si l’Etat est capable de prêter a la banque (et si possible que la banque ne fasse pas faillite et puisse rembourser). Si le bilan de la banque est tel que l’Etat ne peut prêter assez, vous avez un problème.]

              L’Etat peut TOUJOURS prêter assez dès lors qu’il a le contrôle de sa monnaie, et peut donc toujours en émettre assez. Il est vrai que l’Euro limite nos capacités à faire, mais seulement relativement. Car, comme vous le signalez, on peut aussi faire renflouer la banque défaillante par le privé – une autre banque, par exemple – dans la mesure où tout le monde financier a un intérêt à empêcher les faillites en cascade (voir par exemple le rachat du plus gros assureur américain par JP Morgan lors de la crise de 2008)

              [C’est par le cas si Credit suisse faisait faillite : l’Etat suisse etait incapable de le renflouer → l’etat suisse a forcé UBS a le racheter.]

              L’Etat suisse était « incapable » de renflouer, ou trouvait plus avantageux de pousser plutôt à un rachat ?

              [Je ne suis pas sûr que l’Etat français puisse renflouer le crédit agricole ou même que le contribuable l’accepte. Jusqu’à présent ça s’est passé à la marge]

              Je vois mal le contribuable français ne pas accepter un renflouage si l’alternative est une faillite en série des banques et la perte de ses dépôts… en 2008, lorsque Sarkozy a ouvert le robinet des liquidités aux banques systémiques françaises, les protestations ont été fort timides…

              [Du coup les banques savent qu elles seront soutenues par le contribuables et prennent plus de risques. C’est l’aléa moral.]

              C’est bien pourquoi on ne peut pas déréguler l’activité bancaire : dès lors que le contribuable assume le risque, le contribuable à le droit de contrôler ce qui se fait. Personnellement, j’irai jusqu’à la nationalisation, comme en 1945…

              [Ils sont similaires dans le sens ou c’est dans les 2 cas un prélèvement sur les actifs au profits de retraités, par contre un système par capitalisation a l’avantage de prélever sur les actifs du monde entier, pas uniquement du pays. Actuellement un employé d’une entreprise du CAC40 entretient un retraité français (répartition) et un retraité US (capitalisation)]

              Votre remarque plaide pour une part de financement des retraites par un prélèvement sur le revenu du capital investi à l’étranger…

              [« Mais l’actif, qui avait une créance dont l’échéance tombait le jour de ses 62 ans, devra attendre deux ans de plus pour la toucher. Le report de la date d’exigibilité d’une créance est aussi un mode de défaut. » C’est une façon assez tordue de voir les choses.]

              Mais je suis une personne extrêmement tordue, vous le savez bien… surtout quand il s’agit de regarder derrière les illusions.

              [Ici vous avez un « defaut » qui ne concerne pas les retraités actuels ni les actifs qui ont fait des études longues (curieusement 2 catégories qui votent massivement Macron).]

              Mon dieu ! Vous voulez dire qu’on aurait choisi de faire un défaut sélectif, ne touchant que les créanciers qui ne votent pas pour notre cher président ? Comment osez-vous ?

              [Quand il y a un vrai défaut, vous n’allez pas continuer à payer autant qu’avant le défaut mais juste dire que dans 2 ans vous allez payer plus tard une infime partie de vos créanciers ….]

              D’abord, le recul des échéances est une forme de « défaut » très répandue. Ensuite, les défauts « sélectifs », c’est-à-dire qui touchent certains créanciers et pas d’autres, sont monnaie courante. Enfin, les actifs qui n’ont pas fait des études longues ne constituent pas une part « infime » de la population.

              [Si c’est un pays mineur en effet ça ne change rien. Un défaut argentin c’est business as usual. Si c’est tout le système qui explose avec les USA, là on est dans l’inconnu. Mais supposez que vous avez un défaut de l’UE (ou du japon). Suffisamment gros pour faire de dégâts mais que le reste du système n’ait aucun intérêt à collaborer en espérant s en tirer mieux tout seul (après tout c’est un peu la logique isolationniste de Trump, qui par ex voit la RFA comme un concurrent qu’il ne serait pas fâché de les voir hors course)]

              Il ne faut pas confondre le politique et l’économique. Trump, qui pense en géopolitique, pense que mettre l’Allemagne hors course serait une bonne idée. Mais les milieux financiers américains ont investi beaucoup d’argent en Allemagne, et sont très conscients qu’un effondrement du système financier allemand n’est pas dans leur intérêt. Et ces milieux ont les moyens de forcer Trump. On l’a vu lors de la crise grecque…

              [« Ce qu’il faut garder en tête, c’est que ce qui nous fait vivre c’est le nombre de voitures, de frigos, de tomates et de steaks produits, et aussi longtemps qu’on continuera à les produire, peu nous chaut ce qui se passe dans la sphère financière. » Pour produire des frigos, des voitures il faut du crédit. Comment faire si votre système bancaire est HS ?]

              Les besoins de crédit de l’économie réelle sont très faibles comparés à la taille de l’économie financière. Bien entendu, les deux sphères ne sont pas totalement indépendantes, mais les services bancaires dont la sphère réelle a besoin ne sont qu’une toute petite partie su système financier. Les Etats peuvent parfaitement protéger cette partie en laissant le reste à son sort.

              [« Votre argument se détruit de lui-même. Si ces pays « vont de défaut en défaut », cela veut dire qu’après chaque défaut, il y a bien quelqu’un qui leur prête. Autrement, comment pourraient-ils faire défaut une nouvelle fois ? L’Argentine est l’exemple même du fait que les investisseurs ne regardent pas le passé, puisque malgré l’historique de ses défauts, elle trouve ensuite des gens disposés à lui prêter. » Dans le cas de l’Argentine c’est surtout le FMI qui prête. Pas vraiment des investisseurs.]

              Vous vous trompez. Dès que les effets de la dernière crise s’estompent et que les opportunités de faire des bonnes affaires se présentent, les investisseurs débarquent.

              [Certes il doit y en avoir des joueurs kamikaze qui doivent prêter à l’Argentine. Mais à des taux très élevés et sur des durées courtes. Bref des conditions qui empêchent tout développement économique (quelle industrie fait +20 %/an et est capable de vous rembourser en 1 an ?)]

              Cela n’a rien d’un comportement « kamikaze ». Le risque de défaut est un risque quantifiable, et vous pouvez donc calculer un taux d’intérêt qui couvre ce risque – aujourd’hui, cette « prime de risque » oscille entre 16 et 20% en dollars. Mais dites-vous que dans ce pays les impôts sont nuls – si vous savez vous débrouiller – et les salaires très faibles. Des investissements qui rapportent 20%, c’est pas si difficile que ça à trouver. Imaginez ce que rapporterait un investissement en France si l’impôt n’existait pas…

              [Vous pourriez l’appliquer à votre cas personnel. Vous avez paye votre assurance auto, vous avez donc intérêt à avoir un accident. Ah oui ça ne marche pas car votre malus augmente et a un moment votre assureur vous jette dehors]

              La différence est que l’Argentine a déjà son malus au maximum, et que les investisseurs ne vous jettent jamais dehors…

  11. Erwan dit :

    Que penses-tu de l’annonce des 8 EPR2 supplémentaires et de la récupération du portefeuille du Ministère de la Transition énergétique par le ministère de l’Économie ? Que penses-tu aussi de l’alliance européenne du nucléaire ?
     
    Je me fais peut-être avoir, parce que j’ai probablement trop envie d’y croire, mais j’ai l’impression qu’il a vraiment envie d’être celui qui aura relancé le nucléaire. Bien sûr comme tu le dis, tout cela n’est encore qu’au stade d’annonce, et on sait ce que valent les annonces de Macron. Mais je me dis que s’il lançait effectivement la construction de ces 14 EPR2, je lui pardonnerais à moitié tout le reste.

    • Descartes dit :

      @ Erwan

      [Que penses-tu de l’annonce des 8 EPR2 supplémentaires et de la récupération du portefeuille du Ministère de la Transition énergétique par le ministère de l’Économie ? Que penses-tu aussi de l’alliance européenne du nucléaire ?]

      Annoncer huit EPR2 c’est positif… mais j’attend qu’on m’explique comment on va financer les six premiers. Et je ne suis pas le seul : toute l’industrie attend avant d’engager les investissements indispensables, toute une génération attend avant de s’engager professionnellement dans le nucléaire. C’est tout le problème avec ce gouvernement : quand il fait une annonce, personne n’y croit. Quand le gouvernement Messmer a annoncé la première tranche du programme électronucléaire, personne n’a douté que le gouvernement irait jusqu’au bout, que les unités seraient financées et construites. Aujourd’hui, personne n’est prêt à mettre un kopeck tant qu’on n’aura pas vu l’argent. Or, un programme comme celui-là ne peut être un succès que si l’industrie, si les professionnels ont confiance pour faire les investissements nécessaires.

      Pour ce qui concerne la récupération de la compétence énergie par le ministère de l’économie… c’est en principe une bonne chose, surtout si cela annonce – mais cela ne semble pas être le cas – la reconstitution d’un grand ministère de l’industrie. Il faut comprendre que la politique d’un ministère est en général faite en pensant à la « clientèle » du ministre. Qui sont les « clients » du ministre de la transition écologique ? Les ONG écologiques. Confier l’énergie au MTECT c’est donc confier la politique énergétique aux écologistes. Et c’est cela qui arrive depuis 2007. Confier l’énergie au ministère de l’économie, c’est confier la politique énergétique aux « clients » de Bercy, c’est-à-dire au système financier. Est-ce mieux ? Ce n’est pas tout à fait évident. S’il y avait un véritable ministère de l’industrie, alors ses « clients » seraient les industriels, et cela ferait une grande différence. Mais ne rêvons pas…

      [Je me fais peut-être avoir, parce que j’ai probablement trop envie d’y croire, mais j’ai l’impression qu’il a vraiment envie d’être celui qui aura relancé le nucléaire. Bien sûr comme tu le dis, tout cela n’est encore qu’au stade d’annonce, et on sait ce que valent les annonces de Macron. Mais je me dis que s’il lançait effectivement la construction de ces 14 EPR2, je lui pardonnerais à moitié tout le reste.]

      Moi aussi, mais je ne me fais pas beaucoup d’illusions. Le macronisme, pour paraphraser la formule du politicien anglais, est comme une mule : il n’a ni la continuité avec ses ancêtres, ni l’espoir d’une postérité. Alors, pourquoi investir dans un programme dont les résultats se verront, avec de la chance dans dix ans ?

      • Erwan dit :

        [Annoncer huit EPR2 c’est positif… mais j’attend qu’on m’explique comment on va financer les six premiers. Et je ne suis pas le seul : toute l’industrie attend avant d’engager les investissements indispensables, toute une génération attend avant de s’engager professionnellement dans le nucléaire.]
         
        Je me suis permis de poser une question inspirée de ce passage à Olivier Bard (le président du GIFEN) dans un webinaire cette semaine. Il me semble qu’il a éludé la question. Une question similaire lui a été posée deux questions plus loin, et il me semble qu’il n’y a pas plus répondu. Au cas où cela pourrait t’intéresser, l’enregistrement est ici :
         

        • Descartes dit :

          @ Erwan

          [Je me suis permis de poser une question inspirée de ce passage à Olivier Bard (le président du GIFEN) dans un webinaire cette semaine. Il me semble qu’il a éludé la question. Une question similaire lui a été posée deux questions plus loin, et il me semble qu’il n’y a pas plus répondu.]

          Cela ne m’étonne pas. C’est assez logique de la part de Bard : ce n’est pas au GIFEN de définir le financement du projet, ou à son président de communiquer là-dessus. Mais lorsqu’on pose la même question aux fonctionnaires de Bercy ou de La Défense, on obtient la même non-réponse. Et ce qui est plus embêtant, même derrière porte close la question n’a pas de réponse. C’est l’éléphant au milieu de la pièce, que tout le monde fait semblant de ne pas voir. Le problème relève de la quadrature du cercle : EDF est très endettée, est dans ces conditions peu difficilement emprunter dans des bonnes conditions des sommes de cet ordre. L’Etat pourrait recapitaliser EDF, mais cela suppose une autorisation de Bruxelles qui mettra des conditions draconiennes – le démantèlement de l’entreprise, qui est le grand rêve de la direction de la concurrence à Bruxelles – politiquement difficiles à vendre. L’Etat pourrait emprunter lui-même sur sa signature (ou garantir les emprunts d’EDF) mais là encore on viole la sacro-sainte « concurrence »… et pour corser la chose, on prévoit quelque 200 Md€ d’investissements dans les prochaines décennies pour les réseaux si l’on veut accueillir voitures électriques et énergies renouvelables.

          C’est l’éléphant au milieu de la pièce que tout le monde fait semblant de ne pas voir. Et il n’y a pas que le nucléaire qui est concerné. Dans tous les domaines, on vécu ces trente ou quarante dernières années sur les investissements faits par les générations précédentes. Tout au long de cette période, non seulement on a réduit massivement les investissements publics, mais aussi l’entretien. Maintenant, on a consommé le capital et il va falloir réinvestir massivement si l’on veut garder la qualité du service, et encore plus s’il faut l’étendre. On le voit sur le réseau routier, sur le réseau électrique, sur le bâti scolaire… et pour faire face à ce « mur des investissements », il faudra se serrer la ceinture. On peut bien entendu jouer sur la répartition, serrer plus la ceinture des riches pour préserver les pauvres ou l’inverse. Mais TOUT LE MONDE va devoir s’y mettre. C’est ce message là qui fait peur à nos hommes politiques…

          • Louis dit :

            N’est-ce pas là motif d’espérer que les classes intermédiaires, devant nécessairement être touchées, n’aient plus intérêt au statut quo dont elles ont profité jusqu’ici ?
             

            • Descartes dit :

              @ Louis

              [N’est-ce pas là motif d’espérer que les classes intermédiaires, devant nécessairement être touchées, n’aient plus intérêt au statut quo dont elles ont profité jusqu’ici ?]

              Je ne suis pas sûr de comprendre la remarque. J’imagine que vous parlez du “mur des investissements” et du fait que tout le monde devra se serrer la ceinture. Mais je crains que l’effet soit exactement le contraire de celui que vous évoquez. Les classes intermédiaires risquent de trouver plus rentable de se payer des services privés, plutôt que de contribuer à l’investissement dans des services publics pour tous. Pensez – c’est symbolique mais extrêmement révélateur à mon avis – à tous ces gens qui font installer chez eux des panneaux solaires pour être “autonomes d’EDF”. Tant que le service public fonctionne, une telle attitude est irrationnelle: au prix de l’électricité produite par le service public, ces panneaux ne seront jamais amortis. Mais si on arrête d’investir dans le réseau public d’électricité, alors les prix ne seront plus les mêmes…

              Un autre exemple remarquable est l’école: si vous donnez aux parents des classes intermédiaires le choix entre payer des impôts pour le renouvellement du bâti scolaire qui profitera à tous, ou de payer l’école privée qui ne profite qu’à leurs enfants, qu’est-ce qu’ils choisiront, à votre avis ?

  12. Bob dit :

    @ Descartes
    [Seul manquait l’élément essentiel, le président de la République.]
    Cette phrase sublime résume tout.

  13. Bob dit :

    @ Descartes
     
    Hors sujet. Je serais curieux de connaitre votre avis sur le fait que les députés (petits joueurs) viennent de s’auto-augmenter de 300€, les sénateurs de 700€.

    • Descartes dit :

      @ Bob

      [Hors sujet. Je serais curieux de connaitre votre avis sur le fait que les députés (petits joueurs) viennent de s’auto-augmenter de 300€, les sénateurs de 700€.]

      Je suis partagé, je dois l’avouer. Je suis contre la démagogie qui prétend que les élus devraient être mal payés. Si nous pensons qu’ils ne servent à rien, alors il faut les supprimer. Si nous pensons qu’ils font un travail important, alors leur salaire et leurs conditions de travail doivent être à la mesure de l’importance que nous accordons à leurs fonctions. Par ailleurs, il ne faut pas oublier pourquoi les élus et les ministres sont payés: il fut un temps où les fonctions publiques n’étaient pas rémunérées (il fut même un temps où les ministres devaient payer leurs commis de leurs deniers)… tout simplement parce qu’elles n’étaient ouvertes qu’aux hommes de fortune. On a commencé à rémunérer ces fonctions quand on a voulu les ouvrir à tous. Qu’on ajuste leur rémunération comme on ajuste les autres salaires, je n’y vois rien de scandaleux. Pour un salaire de député, +300 € c’est à peu près 4%. Ce n’est pas déraisonnable.

      Après, il y a toujours quelque chose de gênant à voir un agent fixer son propre salaire. Si je devais faire une réforme, ce serait de fixer la rémunération des députés par correspondance à un grade de la fonction publique. De cette façon, leurs salaires seraient ajustés avec ceux des fonctionnaires sans que cela apparaisse comme un cadeau qu’on se fait à soi même…

      • Bob dit :

        @ Descartes
        Oui, je suis d’accord. Avoir des politiciens compétents suggère de les payer correctement. J’ai tendance à penser que leur salaire (indemnité et frais de représentation) en comparaison du SMIC les rétribue royalement bien. Quand on voit ce que relate les agriculteurs en terme de revenus, les petits survivants à peine de leur labeur…
        En outre, je ne suis pas convaincu par leur service rendu à la Nation. Quant au Sénat, il me semble quasiment être une chambre d’inutilité totale.
        Qu’ils aient le pouvoir de s’auto-augmenter me semble venir “d’une autre planète”, d’accord avec vous; un système mature devrait suivre un grade comme vous le suggérez ou bien qu’une commission – mais pas eux-mêmes ! – fixe l’augmentation.
        La justification fournie à cette auto-augmentation est “le contexte inflationniste” alors que dans le même temps ce gouvernement refuse d’indexer les salaires sur l’inflation, puisqu’elle est maitrisée selon le génie écrivain qui occupe le poste de ministre de l’Economie. Faudrait savoir, non ; il y a inflation ou pas ?
        J’y vois une provocation de plus de gens déconnectés de la vie réelle des Français.
        Se servir plutôt que servir n’a jamais été aussi vrai selon moi.

        • Descartes dit :

          @ Bob

          [Oui, je suis d’accord. Avoir des politiciens compétents suggère de les payer correctement. J’ai tendance à penser que leur salaire (indemnité et frais de représentation) en comparaison du SMIC les rétribue royalement bien. Quand on voit ce que relate les agriculteurs en terme de revenus, les petits survivants à peine de leur labeur…]

          Je ne sais pas. Connaissez-vous le montant des indemnités d’un député ? Quel type d’emploi – privé ou public – serait à votre avis comparable au niveau des obligations et des responsabilités ? Pour ce qui concerne les agriculteurs, ne vous laissez pas berner par les pleurnicheries médiatiques, qui vous présentent toujours le petit agriculteur qui gagne à peine le SMIC… mais où on n’entend jamais ceux qui, comme les grands céréaliers, gagnent très confortablement leur vie. J’ai entendu ces jours-ci un fonctionnaire de l’INSEE dire que le revenu médian des agriculteurs est autour de 35.000 €, ce qui est supérieur à celui des salariés (25.000 €).

          [En outre, je ne suis pas convaincu par leur service rendu à la Nation. Quant au Sénat, il me semble quasiment être une chambre d’inutilité totale.]

          Vous parlez sur le plan théorique ou pratique ? Je trouve que la fonction législative est un service d’un très haut niveau. Après, on peut se demander si les gens qui occupent les sièges font leur travail correctement, mais c’est là une autre affaire. C’est à leurs employeurs de les sanctionner s’ils ne sont pas contents…

          [Qu’ils aient le pouvoir de s’auto-augmenter me semble venir “d’une autre planète”, d’accord avec vous; un système mature devrait suivre un grade comme vous le suggérez ou bien qu’une commission – mais pas eux-mêmes ! – fixe l’augmentation.]

          Le PCF des époques glorieuses avait un système de ce type : les députés versaient leurs indemnités au Parti, et recevaient une rémunération qui était rattachée à un grade dans l’échelle de la convention collective de la métallurgie parisienne, qui était à l’époque une convention de référence.

          [La justification fournie à cette auto-augmentation est “le contexte inflationniste” alors que dans le même temps ce gouvernement refuse d’indexer les salaires sur l’inflation, puisqu’elle est maitrisée selon le génie écrivain qui occupe le poste de ministre de l’Economie.]

          Il ne faudrait pas exagérer. Je pense que c’est à juste titre que le gouvernement refuse l’indexation des salaires, parce que l’indexation a des effets inflationnistes forts. Le problème de l’indexation, c’est que les acteurs peuvent anticiper les augmentations des salaires, et que cette anticipation a elle-même un caractère accélérateur de l’inflation. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas augmenter les salaires pour compenser l’inflation, mais cette augmentation doit être le résultat d’une négociation qui la rende imprévisible…

          Après, vous constaterez que si les salaires ne suivent pas l’inflation, ils ne sont pas bloqués non plus. Le SMIC a augmenté, tout comme la rémunération des fonctionnaires. Dans le privé, les salaires évoluent la hausse, même si les hausses sont inférieures à l’inflation (et c’est logique : une augmentation au même rythme que l’inflation alimenterait cette dernière). C’est le cas pour l’augmentation votée par les députés, qui est inférieure à l’inflation…

          [Faudrait savoir, non ; il y a inflation ou pas ?]

          Personne ne le nie. La communication du gouvernement est que l’inflation est sous contrôle, pas qu’elle a disparu. Le gouvernement a assez de péchés en propre pour qu’on lui en invente d’imaginaires…

          • Bob dit :

            @ Descartes
             
            [Vous parlez sur le plan théorique ou pratique ?]
            Pratique. Mais c’est peut-être parce que je fais une fixation sur G. Larcher.
             
            [l’indexation a des effets inflationnistes forts]
            C’est toujours l’argument utilisé pour refuser l’indexation des salaires sur l’inflation. Et pour un non-économiste comme moi, il est convainquant. Mais je crois savoir que c’est pourtant le cas en Belgique, et les prix là-bas n’augmentent pas de 10% chaque mois. Alors que croire ?

            • Descartes dit :

              @ Bob

              [« Vous parlez sur le plan théorique ou pratique ? » Pratique. Mais c’est peut-être parce que je fais une fixation sur G. Larcher.]

              Le Sénat peut paraître inutile, mais on a vu son intérêt très récemment, avec la commission d’enquête sur l’affaire Benalla. C’est une chambre moins polarisée que l’Assemblée nationale – car souvent composée de gens qui n’ont pas d’ambition de monter plus haut – et donc où les débats peuvent être beaucoup plus approfondis. Il est vrai que l’absence de majorité à l’Assemblée tend à polariser les débats au Sénat, et donc à faire disparaître la légendaire « sagesse » de la deuxième chambre… comme on a pu le voir lors du débat sur la loi immigration.

              [« l’indexation a des effets inflationnistes forts » C’est toujours l’argument utilisé pour refuser l’indexation des salaires sur l’inflation. Et pour un non-économiste comme moi, il est convainquant. Mais je crois savoir que c’est pourtant le cas en Belgique, et les prix là-bas n’augmentent pas de 10% chaque mois. Alors que croire ?]

              Pardon, mais si vous regardez les courbes, vous verrez que la Belgique a des pics d’inflation bien plus intenses que les nôtres… Par ailleurs, n’oubliez pas que plus une économie est petite, et plus les paramètres macroéconomiques sont dépendant de ce que font ses gros voisins. L’inflation en Belgique dépend plus de la politique salariale de la France et de l’Allemagne que de la politique salariale belge. Pour vous donner une analogie : si je suis le PDG d’une entreprise française et que j’augmente les salaires de mes employés, mon geste n’aura guère d’effet sur l’inflation en France. Par contre, cela aura un effet dramatique sur ma compétitivité et donc sur l’emploi.

              Il faut aussi comprendre que l’inflation induite par l’indexation est une inflation d’anticipation, qui contient un élément psychologique. L’effet est donc beaucoup plus fort lorsque l’inflation est élevée et vécue comme exceptionnelle, et beaucoup moins fort lorsque l’inflation est à des niveaux jugés « normaux » par la population. Ainsi, pendant les « trente glorieuses » les salaires étaient indexés, et les effets inflationnistes tout à fait maîtrisables.

              Il faut aussi voir que les effets dépendent de l’état de l’économie. Sur une économie déprimée, où les facteurs de production sont sous-employés, augmenter les salaires provoque une demande qui peut être rapidement satisfaite par une augmentation de la production. L’effet sur les prix est donc faible. Par contre, dans une économie où l’outil de production est utilisé à 100%, augmenter les salaires c’est augmenter une demande qui ne peut être satisfaite, et qui ne peut être compensée que par hausse du prix suffisamment importante pour réduire la demande.

          • Patriote Albert dit :

            [J’ai entendu ces jours-ci un fonctionnaire de l’INSEE dire que le revenu médian des agriculteurs est autour de 35.000 €, ce qui est supérieur à celui des salariés (25.000 €).]
             
            C’est étonnant, car j’ai entendu un journaliste citant l’INSEE déclarer que le revenu médians des ménages agricoles est similaire à celui du reste de la population en emploi. Et après vérification, il semble bien que cela soir le cas : “Au sein des ménages agricoles, 50 % des personnes ont un niveau de vie par unité de consommation inférieur à 22 200 euros par an en 2018. Ce niveau de vie annuel médian est comparable à celui de l’ensemble des membres des ménages qui perçoivent des revenus d’activité.” Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5434584
             
            Après, c’est vrai que les agriculteurs sont une population très hétérogène, entre le petit éleveur bovin qui arrive à peine à survivre et le grand viticulteur du Bordelais. J’ai l’impression que les syndicats agricoles, qui représentent plutôt les “gros” et sont cul et chemise avec le pouvoir politique, vont essayer de reprendre la main sur le mouvement, et que les mesures annoncées ne vont rien résoudre de la situation des plus faibles. Finalement, on n’a pas tellement avancé depuis l’analyse de Marx sur l’absence de conscience de classe de la paysannerie…

            • Descartes dit :

              @ Patriote Albert

              [C’est étonnant, car j’ai entendu un journaliste citant l’INSEE déclarer que le revenu médians des ménages agricoles est similaire à celui du reste de la population en emploi. Et après vérification, il semble bien que cela soir le cas : “Au sein des ménages agricoles, 50 % des personnes ont un niveau de vie par unité de consommation inférieur à 22 200 euros par an en 2018. Ce niveau de vie annuel médian est comparable à celui de l’ensemble des membres des ménages qui perçoivent des revenus d’activité.”]

              Il y a toujours une incertitude dans l’évaluation du revenu des agriculteurs. Le calcul du revenu ou du niveau de vie ne compte que le revenu monétaire. Mais l’agriculteur bénéficie d’un certain nombre d’avantages non-monétaires qui sont difficiles à évaluer: consommation des produits de la ferme, bois de chauffage, etc. Mais prenons le chiffre de l’INSEE: si la médiane du revenu paysan est équivalente à celle des autres salariés, pas de raison d’en faire une catégorie particulièrement maltraitée. Je suis d’ailleurs toujours étonné par l’importance que prend le paysan dans l’imaginaire français. On désindustrialisé des régions entières, sans que personne ne bouge le petit doigt, et lorsque les ouvriers se sont révoltés on les a réprimés sans états d’âme. Mais il suffit que les paysans sortent les tracteurs, et tout le monde politique est aux petits soins… du moins oralement.

              [Finalement, on n’a pas tellement avancé depuis l’analyse de Marx sur l’absence de conscience de classe de la paysannerie…]

              Surtout en France, ou le modèle du paysan-propriétaire s’est imposé après la Révolution…

            • P2R dit :

              @ Descartes & Patriote

               
              [Le calcul du revenu ou du niveau de vie ne compte que le revenu monétaire. Mais l’agriculteur bénéficie d’un certain nombre d’avantages non-monétaires qui sont difficiles à évaluer: consommation des produits de la ferme, bois de chauffage, etc. ]

              Pitié, Descartes, pas vous ! Qu’un agriculteur fasse son bois ou cultive son potager en parallèle de son activité professionnelle n’a pas plus à être considéré comme avantage non-monétaire qu’un ouvrier qui fait son potager dans son jardin.. Je ne peux pas croire que vous puissiez céder à la vision romantique de la “ferme à basse-cour” où le fermier regarde d’un œil bienveillant les légumes pousser sans effort dans le potager, les fromages, terrines et confitures s’élaborer par magie et le bois de chauffage sortir tout seul de la forêt en chantant sous la forme de mignons petits rondins tout prêts fendus et calibrés. Non, bien entendu, ce n’est pas le cas, d’abord parce qu’aujourd’hui le modèle de la ferme traditionnelle à la production diversifiée qui permettait la quasi autosuffisance est très minoritaire (excepté dans les fantasmes des adeptes du “retour à la terre” qui n’ont jamais eu une bèche ou une tronçonneuse entre les mains de leur vie) car bien moins productive que les fermes spécialisées. De quels avantages non-monétaires dignes d’être pris en considération bénéficiez-vous quand vous êtes éleveur porcin, producteur laitier, cultivateur céréalier ou viticulteur ? Tout au plus vous pouvez détourner un peu de GNR de son usage professionnel, mais à part ça..

              Ensuite, je vous invite à ne pas faire cette grossière erreur qui consiste à comparer d’une part un revenu salarié annuel classique (impliquant en particulier 35h/semaine, congés payés, etc.) et les revenus d’une activité entrepreneuriale par essence, impliquant outre un nombre d’heure/semaine largement plus élevé, le fait de devoir gérer administrativement son entreprise, d’être d’astreinte permanente, les contraintes géographiques en terme d’accès aux services publics, etc.   

              Si l’on voulait comparer les revenus des agriculteurs et des salariés, il faudrait le faire en terme de taux horaire et en terme de charge de responsabilité.  

              [si la médiane du revenu paysan est équivalente à celle des autres salariés, pas de raison d’en faire une catégorie particulièrement maltraitée.]

              Une fois encore, l’investissement personnel du paysan, à revenu médian égal, n’a rien de commun avec celle d’un salarié aux 35 heures.. Le salarié qui se fait licencier est au chômage, ça n’a rien de réjouissant. Le paysan qui ne peut plus écouler sa production parce que l’Europe et les pouvoirs publics l’ont poussé à s’endetter pour faire une montée en gamme pour laquelle il n’y a aucun débouché (car le portefeuille des gens n’est pas extensible), tout en permettant l’import de poulets ukrainiens produits dans des conditions épouvantables dans d’énormes fermes-usines détenues par des oligarques, ce paysan se retrouve non pas au chômage, mais avec des centaines de milliers d’euros de dettes, et il en arrive le plus souvent à la conclusion que se mettre le canon du fusil dans la bouche et appuyer sur la détente est la moins pire des solutions.

              [Je suis d’ailleurs toujours étonné par l’importance que prend le paysan dans l’imaginaire français.]

              C’est que voyez-vous, la terre et les bêtes, ça oblige. Absentez-vous une semaine au mauvais moment, votre cheptel sera crevé ou votre récolte perdue, quelle que soit votre bonne raison d’être absent. Alors que votre pièce d’industrie peut toujours attendre. C’est cette noblesse je crois qui fait que l’agriculteur reste un symbole, malgré les crachats au visage qu’ils essuient tous les jours, symbole que l’instituteur a cessé d’être en parallèle. 

              [On désindustrialisé des régions entières, sans que personne ne bouge le petit doigt, et lorsque les ouvriers se sont révoltés on les a réprimés sans états d’âme. Mais il suffit que les paysans sortent les tracteurs, et tout le monde politique est aux petits soins… du moins oralement.]

              Sérieusement ? A longueur d’antenne, on traite les agriculteurs d’empoisonneurs, de tortionnaires, de destructeurs de la Terre, d’arriérés. Le nombre d’exploitation est en chute libre, au point qu’aujourd’hui les gains de productivité ne parviennent plus à compenser cet effondrement. On n’a de tendresse médiatique que pour la petite ferme familiale, modèle inepte économiquement et socialement, heureusement en voie de disparition. Les agriculteurs qui se modernisent sont victimes à la fois du discours médiatique, de l’administration, des ONG de tous poils (voir le désastre Ste Soline) et des balles dans le dos tirées par leur propre gouvernement et de la communauté européenne.

              Alors oui, quand une fois tous les 10 ou 15 ans ils sortent les tracteurs, on en a peur, parce qu’on sait que c’est qu’ils sont à bout, contrairement à l’éduc nationale ou à la SNCF qui fait grève 14 fois par an.

              [Surtout en France, ou le modèle du paysan-propriétaire s’est imposé après la Révolution…]

              Un modèle qui a largement fait ses preuves me semble t’il, comparativement à tous les autres modèles existants. 

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [« Le calcul du revenu ou du niveau de vie ne compte que le revenu monétaire. Mais l’agriculteur bénéficie d’un certain nombre d’avantages non-monétaires qui sont difficiles à évaluer: consommation des produits de la ferme, bois de chauffage, etc. » Pitié, Descartes, pas vous ! Qu’un agriculteur fasse son bois ou cultive son potager en parallèle de son activité professionnelle n’a pas plus à être considéré comme avantage non-monétaire qu’un ouvrier qui fait son potager dans son jardin…]

              Pas tout à fait. Cela s’apparente plutôt au cas d’un ouvrier qui réparerait sa voiture où se fabriquerait un objet « en perruque », en utilisant les outils et les matières premières disponibles dans son usine. Ou bien l’ouvrier qui aurait un avantage fourni par l’entreprise (voiture moins chère pour les travailleurs de l’automobile, courant au tarif bonifié pour les électriciens…). Ce sont bien là des « avantages non monétaires ».

              [Je ne peux pas croire que vous puissiez céder à la vision romantique de la “ferme à basse-cour” où le fermier regarde d’un œil bienveillant les légumes pousser sans effort dans le potager, les fromages, terrines et confitures s’élaborer par magie et le bois de chauffage sortir tout seul de la forêt en chantant sous la forme de mignons petits rondins tout prêts fendus et calibrés.]

              Bien sur que non. Mais lorsque le paysan fait pousser les légumes pour sa consommation dans son potager, je doute qu’il achète pour cela des outils, du fertilisant, des plants séparés de ceux qu’il achète pour son exploitation, en payant les taxes que vous et moi nous serions obligés de payer si nous faisions noter potager chez nous. Et lorsqu’il utilise une machine, il utilise du gasoil détaxé, alors que vous et moi devrions l’acheter à la pompe et payer les taxes. Le potager ou la basse-cour nécessitent du travail, tout comme la « perruque » nécessite du travail. Mais ce travail est rendu bien plus efficace du fait de la proximité avec l’activité professionnelle.

              [De quels avantages non-monétaires dignes d’être pris en considération bénéficiez-vous quand vous êtes éleveur porcin, producteur laitier, cultivateur céréalier ou viticulteur ? Tout au plus vous pouvez détourner un peu de GNR de son usage professionnel, mais à part ça…]

              Vous achetez aussi vos outils, vos fertilisants, vos fournitures sans TVA, par exemple.

              [Ensuite, je vous invite à ne pas faire cette grossière erreur qui consiste à comparer d’une part un revenu salarié annuel classique (impliquant en particulier 35h/semaine, congés payés, etc.) et les revenus d’une activité entrepreneuriale par essence, impliquant outre un nombre d’heure/semaine largement plus élevé,]

              Mais est-ce vraiment le cas ? En certaines saisons, les agriculteurs font des journées à rallonge. Mais en moyenne sur l’année, c’est déjà moins évident. L’agriculture est une activité fortement saisonnière, avec des périodes « mortes » et des périodes d’hyperactivité. Je serais intéressé de voir des statistiques sur la durée de travail effective des paysans.

              [le fait de devoir gérer administrativement son entreprise,]

              C’est le propre de tout chef. Quand on dirige un organisme – que ce soit une entreprise, un service public, un commerce, etc. – il y a une charge administrative. Pourtant, je ne connais guère de paysan dont l’ambition soit de redevenir ouvrier agricole… il faut donc croire que le fait d’être un « entrepreneur » a quelques petits avantages pour compenser la terrible contrainte administrative…

              [d’être d’astreinte permanente, les contraintes géographiques en termes d’accès aux services publics, etc.]

              « Astreinte permanente » ? Je veux bien que ce soit le cas des éleveurs, mais je vois mal quelle est la nature de « l’astreinte permanente » chez les céréaliers… Quant aux « contraintes géographiques », je ne vois pas en quoi elles seraient plus fortes pour un paysan que pour un ouvrier sidérurgiste. Si vous croyez qu’à Florange les services publics sont de haute qualité…

              [Si l’on voulait comparer les revenus des agriculteurs et des salariés, il faudrait le faire en termes de taux horaire et en termes de charge de responsabilité.]

              Pourquoi pas. J’aimerais bien voir les chiffres…

              [« si la médiane du revenu paysan est équivalente à celle des autres salariés, pas de raison d’en faire une catégorie particulièrement maltraitée. » Une fois encore, l’investissement personnel du paysan, à revenu médian égal, n’a rien de commun avec celle d’un salarié aux 35 heures… Le salarié qui se fait licencier est au chômage, ça n’a rien de réjouissant. Le paysan qui ne peut plus écouler sa production parce que l’Europe et les pouvoirs publics l’ont poussé à s’endetter pour faire une montée en gamme pour laquelle il n’y a aucun débouché (car le portefeuille des gens n’est pas extensible), tout en permettant l’import de poulets ukrainiens produits dans des conditions épouvantables dans d’énormes fermes-usines détenues par des oligarques, ce paysan se retrouve non pas au chômage, mais avec des centaines de milliers d’euros de dettes, et il en arrive le plus souvent à la conclusion que se mettre le canon du fusil dans la bouche et appuyer sur la détente est la moins pire des solutions.]

              Mais quelles sont les autres « solutions » ? Vendre la ferme pour payer les créanciers… et se retrouver dans la situation « peu réjouissante » qui est celle de l’ouvrier licencié. Parce que pour l’ouvrier licencié, non seulement la situation est « peu réjouissante », mais elle est dramatique, tout aussi dramatique que le paysan de votre exemple. Le pire qui puisse arriver au paysan… c’est de se retrouver ouvrier !

              [« Je suis d’ailleurs toujours étonné par l’importance que prend le paysan dans l’imaginaire français. » C’est que voyez-vous, la terre et les bêtes, ça oblige. Absentez-vous une semaine au mauvais moment, votre cheptel sera crevé ou votre récolte perdue, quelle que soit votre bonne raison d’être absent. Alors que votre pièce d’industrie peut toujours attendre.]

              Vraiment ? Absentez-vous de votre centrale électrique, et vous verrez si « votre pièce d’industrie peut attendre ». Il ne faut pas exagérer : beaucoup de métiers nécessitent une continuité. Une centrale électrique, un haut fourneau, un four de verrerie nécessitent une attention constante, un personnel toujours prêt à l’entretenir et le surveiller. Et ne parlons même pas des métiers du soin, de l’enseignant… Et il ne faut pas non plus exagérer : les paysans s’organisent pour se remplacer les uns les autres, et ils peuvent s’absenter sans que le cheptel crève ou les récoltes soient perdues. Regardez ceux qui occupent des ronds-points ces jours-ci : beaucoup sont absents de leur exploitation depuis une semaine…

              [« On désindustrialisé des régions entières, sans que personne ne bouge le petit doigt, et lorsque les ouvriers se sont révoltés on les a réprimés sans états d’âme. Mais il suffit que les paysans sortent les tracteurs, et tout le monde politique est aux petits soins… du moins oralement. » Sérieusement ? A longueur d’antenne, on traite les agriculteurs d’empoisonneurs, de tortionnaires, de destructeurs de la Terre, d’arriérés.]

              Peut-être. Mais on leur donne des sous, et cela vaut tous les discours. La PAC, destinée à assurer la survie de l’agriculture reste le premier budget européen, alors que rien ou presque n’a été fait pour assurer la survie de l’industrie européenne. Le président et l’ensemble de notre classe politique passe des heures chaque année au Salon de l’Agriculture – et leur présence fait l’objet d’une couverture médiatique importante. Connaissez-vous un seul salon industriel qui bénéficie d’une telle attention ? Je peux vous répondre tout de suite : aucun. Quand il s’agit d’inaugurer à Paris le salon international du nucléaire, on peine à trouver un ministre qui veuille bien faire le déplacement…

              [Le nombre d’exploitation est en chute libre, au point qu’aujourd’hui les gains de productivité ne parviennent plus à compenser cet effondrement. On n’a de tendresse médiatique que pour la petite ferme familiale, modèle inepte économiquement et socialement, heureusement en voie de disparition. Les agriculteurs qui se modernisent sont victimes à la fois du discours médiatique, de l’administration, des ONG de tous poils (voir le désastre Ste Soline) et des balles dans le dos tirées par leur propre gouvernement et de la communauté européenne.]

              Oui. Comme l’industrie. Mais l’industrie, on l’a regardée crever sans rien faire. Pas de PAC, pas de détaxe…

              [Alors oui, quand une fois tous les 10 ou 15 ans ils sortent les tracteurs, on en a peur, parce qu’on sait que c’est qu’ils sont à bout, contrairement à l’éduc nationale ou à la SNCF qui fait grève 14 fois par an.]

              Les sidérurgistes sont sortis dans la rue pour la dernière fois en masse en 1978. Ils n’ont rien, absolument rien obtenu et la sidérurgie française est morte dans l’indifférence générale. Et ils n’ont pas eu de vehements défenseurs… comme vous !

              [« Surtout en France, ou le modèle du paysan-propriétaire s’est imposé après la Révolution… » Un modèle qui a largement fait ses preuves me semble t’il, comparativement à tous les autres modèles existants.]

              Je ne suis pas persuadé. Ce modèle a perpétué le modèle de la « petite ferme familiale », dont vous reconnaissez plus haut comme « inepte économique et socialement » et constitué un frein au regroupement et à la modernisation.

            • Carloman dit :

              @ Descartes,
               
              Bonjour,
               
              Excusez cette intervention mais je souhaiterai poser une question: où se situe l’agriculteur à son compte et qui n’emploie pas de salariés dans la grille de lecture marxiste? Autre question: qu’en est-il de l’épouse d’un agriculteur qui travaillerait avec son mari? Est-elle considérée comme exploitée?
               
              Vous écrivez:
              “Les sidérurgistes sont sortis dans la rue pour la dernière fois en masse en 1978. Ils n’ont rien, absolument rien obtenu et la sidérurgie française est morte dans l’indifférence générale.”
              Vous avez raison, je trouve, de souligner ce deux poids, deux mesures. Pour autant, pensez-vous qu’il faille laisser tomber les agriculteurs au motif que les ouvriers de la sidérurgie ont été abandonnés à leur sort?
               
              [Ce modèle a perpétué le modèle de la « petite ferme familiale », dont vous reconnaissez plus haut comme « inepte économique et socialement » et constitué un frein au regroupement et à la modernisation.]

              Un frein à la modernisation peut-être, mais une concession à un ordre social qui convenait à beaucoup, certainement. N’oubliez pas le “deal” de la fin du XIX° siècle: l’acceptation de la République par la paysannerie (très nombreuse) contre la protection sociale et économique de ladite paysannerie. C’est un choix politique. Fallait-il en faire un autre? Ce n’est pas certain… D’autant que lesdits paysans deviennent des électeurs. 

            • Descartes dit :

              @ Carloman

              [Excusez cette intervention mais je souhaiterai poser une question : où se situe l’agriculteur à son compte et qui n’emploie pas de salariés dans la grille de lecture marxiste ? Autre question : qu’en est-il de l’épouse d’un agriculteur qui travaillerait avec son mari ? Est-elle considérée comme exploitée ?]

              Pour votre première question, cela dépend s’il est propriétaire de sa terre et de son outillage ou pas. Si c’est le cas, alors dans la grille de lecture classique il est un déclassé. Il n’est pas vraiment un bourgeois puisqu’il n’extrait pas de plus-value, il n’est pas un prolétaire puisqu’il ne vend pas sa force de travail. Dans la grille de lecture que je propose, il serait dans les « classes intermédiaires ».

              Quant à l’épouse, dans la mesure où la famille est une unité sociale où l’on met la valeur en commun, elle travaille AVEC son mari et non POUR son mari. Elle n’est donc pas « exploitée ».

              [« Les sidérurgistes sont sortis dans la rue pour la dernière fois en masse en 1978. Ils n’ont rien, absolument rien obtenu et la sidérurgie française est morte dans l’indifférence générale. » Vous avez raison, je trouve, de souligner ce deux poids, deux mesures. Pour autant, pensez-vous qu’il faille laisser tomber les agriculteurs au motif que les ouvriers de la sidérurgie ont été abandonnés à leur sort ?]

              Bien sur que non. Je me limite à constater qu’il y a une différence de traitement très importante entre les deux situations. Je n’en tire pas de conclusion quant au fait qu’il faille ou non prêter l’oreille à leurs revendications.

              [Un frein à la modernisation peut-être, mais une concession à un ordre social qui convenait à beaucoup, certainement. N’oubliez pas le “deal” de la fin du XIX° siècle : l’acceptation de la République par la paysannerie (très nombreuse) contre la protection sociale et économique de ladite paysannerie. C’est un choix politique. Fallait-il en faire un autre ? Ce n’est pas certain… D’autant que lesdits paysans deviennent des électeurs.]

              A l’époque, c’était un choix de sagesse. Mais on pouvait prévoir dès les années 1930 que ce modèle allait rentrer en crise. Au lieu de continuer à le porter à bout de bras, on aurait pu faire plus d’efforts pour le rationnaliser dans une vision industrielle, au lieu de laisser la chose pourrir…

            • P2R dit :

              @ Descartes

              [De quels avantages non-monétaires dignes d’être pris en considération bénéficiez-vous quand vous êtes éleveur (…)//Vous achetez aussi vos outils, vos fertilisants, vos fournitures sans TVA, par exemple. ]

              Le point était de savoir si ces avantages non-monétaires sont à ce point significatif pour établir que la rémunération médiane des agriculteurs est supérieure à celle des autres employés.. Ce que vous décrivez me semble relativement marginal rapporté aux revenus d’une année…

              [Mais est-ce vraiment le cas ? En certaines saisons, les agriculteurs font des journées à rallonge. Mais en moyenne sur l’année, c’est déjà moins évident. L’agriculture est une activité fortement saisonnière, avec des périodes « mortes » et des périodes d’hyperactivité. Je serais intéressé de voir des statistiques sur la durée de travail effective des paysans.]

              Il y a d’énormes disparités, mais pour toutes les professions d’élevage, la saisonnalité n’existe simplement pas. L’insee rapporte une durée moyenne de travail de 55h/semaine chez les agriculteurs. Vous me direz que c’est déclaratif, je vous répondrai que c’est tout à fait raccord avec mon expérience du travail en élevage, dans une exploitation bien gérée et rationalisée.

              [C’est le propre de tout chef. Quand on dirige un organisme – que ce soit une entreprise, un service public, un commerce, etc. – il y a une charge administrative. Pourtant, je ne connais guère de paysan dont l’ambition soit de redevenir ouvrier agricole… il faut donc croire que le fait d’être un « entrepreneur » a quelques petits avantages pour compenser la terrible contrainte administrative…]

              Au cas où vous auriez manqué l’info, il y a un ENORME problème de reprise des exploitation d’élevage existantes. Certes les proprietaires ne redeviennent pas ouvriers agricoles, mais par contre plus personne ne veut prendre leur relève..

              Je crois aussi que vous manquez quelque-chose de l’esprit paysan. ça reste encore et avant tout un métier de passionnés et de terroir, surtout l’élevage, raison pour laquelle la plupart des éleveurs sont prêts à accepter des rémunérations sans rapport avec la quantité de travail et le niveau d’investissement..

              [Mais quelles sont les autres « solutions » ? Vendre la ferme pour payer les créanciers… ]

              Mais vendre a qui ? Personne n’est intéressé pour racheter une exploitation structurellement déficitaire, à part des vautours..

              [Vraiment ? Absentez-vous de votre centrale électrique, et vous verrez si « votre pièce d’industrie peut attendre ». Il ne faut pas exagérer : beaucoup de métiers nécessitent une continuité. Une centrale électrique, un haut fourneau, un four de verrerie nécessitent une attention constante, un personnel toujours prêt à l’entretenir et le surveiller. Et ne parlons même pas des métiers du soin, de l’enseignant…]

              L’entraide et le remplacement existent bien entendu, mais ce réseau est fragile et dépendant de facteurs géographiques (degré d’isolement de l’exploitation), de la bonne entente entre voisins, et de la durée d’absence: vous pouvez dépanner un voisin éleveur quelques jours, mais si vous avez votre propre exploitation à gérer en même temps, ça ne pourra pas durer. Les éleveurs que je connais ne quittent jamais l’élevage une semaine entière. Notez qu’en France la majorité des exploitations sont tenues par un foyer..

              [Regardez ceux qui occupent des ronds-points ces jours-ci : beaucoup sont absents de leur exploitation depuis une semaine…]

              Ceux qui s’éloignent de chez eux sont ultraminoritaires, et plutôt des cultivateurs. La plupart manifeste à proximité de chez eux.

              [Peut-être. Mais on leur donne des sous, et cela vaut tous les discours. La PAC, destinée à assurer la survie de l’agriculture reste le premier budget européen, alors que rien ou presque n’a été fait pour assurer la survie de l’industrie européenne.]

              En tant que matérialiste, quelle conclusion en tirez vous ? Pourquoi a t’on donné tant de sous a l’agriculture et pas à l’industrie ? Pour les beaux yeux des paysans ?
              Mon hypothèse, c’est que lors de la vague de délocalisation de la fin du XXIeme, les pays du tiers monde étaient déjà très loin de parvenir à nourir leur propre population. L’agriculture nécessitant d’énormes investissements d’aménagement du territoire, des process complexes, longs, hautement dépendant des éléments, le coût de la délocalisation était supérieur à celui du maintien de la production sur le territoire.
              A partir du début du XXème siècle, certains pays de l’ex-tiers monde deviennent exportateurs nets (en particulier le Brésil) et à partir de là, les classes dominantes commencent à utiliser les mêmes arguments que ceux qui ont été utilisés contre l’industrie (ça pollue, c’est un boulot de ploucs, pas de ça chez nous) pour commencer à détruire des exploitations (en ne gardant que les fermes “image d’épinal”), dans le même mouvement que la ratification de traités de libre échange avec les pays d’amérique du sud, la nouvelle zélande, sans oublier bien-entendu toute la production est-européenne, qui permettent de vendre dans nos magasins les produits que l’on a décidé de ne plus produire chez nous.

              Selon moi, le monde agricole sent qu’il est sur la sellette, que les prétentions pseudo- écologiques sont en train de les effacer du paysage en même temps que l’on se met en situation d’importer toujours plus de produits bas de gamme de l’étranger. Cette liquidation a déjà largement commencé, et ce n’est pas parce que nous avons échoué à empêcher la liquidation de l’industrie française qu’il faut dire amen à celle de l’agriculture, il me semble.

              [Le président et l’ensemble de notre classe politique passe des heures chaque année au Salon de l’Agriculture – et leur présence fait l’objet d’une couverture médiatique importante. Connaissez-vous un seul salon industriel qui bénéficie d’une telle attention ? ]

              Que voulez-vous, les paysans sont particulièrement assidus quand il s’agit d’aller aux urnes, on ne peut pas snober cet électorat. MAis permettez-moi de vous retourner la question: pourquoi selon-vous cette différence d’attention ?

              [Les sidérurgistes sont sortis dans la rue pour la dernière fois en masse en 1978. Ils n’ont rien, absolument rien obtenu et la sidérurgie française est morte dans l’indifférence générale.]

              Est-ce une raison pour ré-itérer avec l’agriculture ?

              [Je ne suis pas persuadé. Ce modèle a perpétué le modèle de la « petite ferme familiale », dont vous reconnaissez plus haut comme « inepte économique et socialement » et constitué un frein au regroupement et à la modernisation.]

              Le modèle de la petite ferme familiale est inepte dans un marché mondialisé où le produit local est en concurrence avec le produit issu d’un process industrialisé dans une grande surface. Pendant des décennies, où la quasi-totalité de la population était rurale et se nourrissait local par la force des choses, la logique de la ferme familiale n’avait rien d’inepte. La multiplication des unités de production a permis une grande flexibilité de la production agricole. Ce n’est qu’après guerre que la donne change avec la révolution verte (remembrement / mécanisation / apport de la chimie et de la génétique.. ), entrainant une spécialisation et une modernisation technologique des différents domaines agricoles. A partir de là, oui, le modèle de la ferme “généraliste” devient obsolète, mais l’immense majorité des producteurs-propriétaires a pris le virage de la spécialisation dans l’une ou l’autre filière sans difficulté particulière.

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [« De quels avantages non-monétaires dignes d’être pris en considération bénéficiez-vous quand vous êtes éleveur (…)//Vous achetez aussi vos outils, vos fertilisants, vos fournitures sans TVA, par exemple. » Le point était de savoir si ces avantages non-monétaires sont à ce point significatif pour établir que la rémunération médiane des agriculteurs est supérieure à celle des autres employés.. Ce que vous décrivez me semble relativement marginal rapporté aux revenus d’une année…]

              La TVA, c’est 20%. Pouvoir acheter votre énergie ou votre nourriture sans TVA, c’est loin d’être négligeable. Une recherche rapide m’a fait tomber sur une note de l’INSEE (https://www.insee.fr/fr/statistiques/5434584) ou l’on voit que si la pauvreté monétaire est plus importante chez les paysans que chez les autres catégories, ce n’est pas le cas pour la pauvreté « en conditions de vie ». Ainsi, par exemple, le taux de pauvreté en conditions de vie est de 21% pour les employés et de 17% pour les ouvriers alors que pour les paysans li est de 6 %. C’est la catégorie la mieux lotie, à l’exception des cadres supérieurs (2,6%). Explication : « Alors que leur niveau de vie médian est équivalent à celui de l’ensemble des ménages ayant des revenus d’activité, les ménages dont le référent fiscal est agriculteur ont des conditions de vie globalement plus favorables : le taux de pauvreté en conditions de vie des exploitants agricoles est deux fois moindre que celui de l’ensemble de la population. Compte tenu de la nature de leur activité, une partie des dépenses privées des ménages agricoles (logement, dépenses d’énergie, etc.) peuvent être intégrées dans les comptes de l’exploitation. Plus souvent propriétaires de leur habitation que l’ensemble des ménages, ils ont moins souvent des difficultés de logement. Ils sont également moins affectés par des restrictions de consommation courante. En revanche, ils sont plus souvent sujets à des insuffisances de ressources ».

              [« Mais est-ce vraiment le cas ? En certaines saisons, les agriculteurs font des journées à rallonge. Mais en moyenne sur l’année, c’est déjà moins évident. L’agriculture est une activité fortement saisonnière, avec des périodes « mortes » et des périodes d’hyperactivité. Je serais intéressé de voir des statistiques sur la durée de travail effective des paysans. » Il y a d’énormes disparités, mais pour toutes les professions d’élevage, la saisonnalité n’existe simplement pas.]

              N’exagérons rien. Il y a aussi une saisonnalité dans la reproduction des animaux. On ne fait pas le même nombre de dindes en décembre qu’en juin…

              [L’insee rapporte une durée moyenne de travail de 55h/semaine chez les agriculteurs. Vous me direz que c’est déclaratif, je vous répondrai que c’est tout à fait raccord avec mon expérience du travail en élevage, dans une exploitation bien gérée et rationalisée.]

              Une durée de travail équivalente à celle des catégories qui travaillent à leur compte : commerçants, artisans et chefs d’entreprise.

              [« C’est le propre de tout chef. Quand on dirige un organisme – que ce soit une entreprise, un service public, un commerce, etc. – il y a une charge administrative. Pourtant, je ne connais guère de paysan dont l’ambition soit de redevenir ouvrier agricole… il faut donc croire que le fait d’être un « entrepreneur » a quelques petits avantages pour compenser la terrible contrainte administrative… » Au cas où vous auriez manqué l’info, il y a un ENORME problème de reprise des exploitations d’élevage existantes.]

              Mais je doute que cela ait pour cause unique ou seulement principale la « charge administrative ». Et c’était là le point en discussion.

              [Je crois aussi que vous manquez quelque-chose de l’esprit paysan. Ça reste encore et avant tout un métier de passionnés et de terroir, surtout l’élevage, raison pour laquelle la plupart des éleveurs sont prêts à accepter des rémunérations sans rapport avec la quantité de travail et le niveau d’investissement.]

              Mais justement. Lorsque vous faites un « métier de passionnés », vous retirez une rémunération du simple plaisir d’exercer ce métier. Il y a plein de métiers qui sont payés très en deçà d’autres qui nécessitent pourtant des niveaux de formation, de responsabilité ou d’effort moindres, et où l’on trouve pourtant des candidats. La recherche, la haute administration, les arts, l’enseignement sont pleins de gens qui pourraient gagner plus d’argent ailleurs, et qui pourtant continuent à exercer leur métier « par passion ». Et personne ne pleure dessus.

              [« Mais quelles sont les autres « solutions » ? Vendre la ferme pour payer les créanciers… » Mais vendre a qui ? Personne n’est intéressé pour racheter une exploitation structurellement déficitaire, à part des vautours…]

              Je ne sais pas d’où vous tirez ça. Il semblerait au contraire que les fermes se vendent très bien, et qu’il y ait au contraire difficulté à trouver des terres pour assurer l’installation des jeunes agriculteurs.

              [Peut-être. Mais on leur donne des sous, et cela vaut tous les discours. La PAC, destinée à assurer la survie de l’agriculture reste le premier budget européen, alors que rien ou presque n’a été fait pour assurer la survie de l’industrie européenne.]

              [En tant que matérialiste, quelle conclusion en tirez-vous ? Pourquoi a t’on donné tant de sous a l’agriculture et pas à l’industrie ? Pour les beaux yeux des paysans ?]

              Parce que pendant très longtemps ils ont été le socle électoral qui permettait d’assurer des majorités « raisonnables » et faire contrepoids aux partis ouvriers. C’est d’ailleurs pourquoi les systèmes électoraux tendent à privilégier les électeurs paysans et à pénaliser ceux des grandes villes. Dans les années 1970, il fallait plus de 100.000 électeurs en moyenne pour élire un député communiste, moins de 40.000 pour élire un député de droite…

              Cela est de moins en moins vrai certes, mais les systèmes politiques ont quand même une forte inertie parce qu’ils reposent sur des imaginaires relativement stables. Alors qu’ils ne représentent une petite fraction de la population, le paysan reste une référence dans l’imaginaire français.

              [Mon hypothèse, c’est que lors de la vague de délocalisation de la fin du XXIeme, les pays du tiers monde étaient déjà très loin de parvenir à nourrir leur propre population. (…)]

              Mon raisonnement est plus général que le vôtre. Je pense que l’approfondissement du capitalisme repose sur la mise en concurrence chaque fois que c’est possible. Alors que le transport des produits agricoles limitait la consommation à un rayon relativement restreint, la révolution du conditionnement (pasteurisation, congélation) et des transports et l’abolition progressive des barrières douanières ont permis de mettre en concurrence les agricultures entre elles. Et la concurrence a provoqué les mêmes effets que l’industrie : déplacement des productions en fonction des avantages comparatifs, réduction de la rentabilité des exploitations, concentration… ensuite, l’idéologie ne fait que suivre.

              [Que voulez-vous, les paysans sont particulièrement assidus quand il s’agit d’aller aux urnes, on ne peut pas snober cet électorat. Mais permettez-moi de vous retourner la question: pourquoi selon-vous cette différence d’attention ?]

              Il y a, bien sûr, une question d’imaginaire. En Grande-Bretagne, pays maritime, la marine occupe un rôle essentiel dans l’imaginaire. En France, pays traditionnellement paysan et terrien, l’imaginaire, la sociabilité, la langue même portent cette marque.

              Mais il y a une deuxième raison : le paysan est en France d’abord un entrepreneur. Une figure individualiste qu’on peut opposer au salarié ou au fonctionnaire. Le paysan « prend des risques », « est autonome », « n’a pas d’horaires »… et tout cela pour une rémunération modeste. Exactement l’image que la bourgeoisie veut projeter d’elle-même, par opposition au salarié qui « ne fait que ses heures », « est tout le temps en grève », « ne prend pas de risques »…

              [« Les sidérurgistes sont sortis dans la rue pour la dernière fois en masse en 1978. Ils n’ont rien, absolument rien obtenu et la sidérurgie française est morte dans l’indifférence générale. » Est-ce une raison pour ré-itérer avec l’agriculture ?]

              A minima, c’est une bonne raison pour s’interroger sur le pourquoi de cette distinction…

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [ si la pauvreté monétaire est plus importante chez les paysans que chez les autres catégories, ce n’est pas le cas pour la pauvreté « en conditions de vie »]
               
              Certes, mais il faut aussi ne pas confondre les agréments de la vie à la campagne, qui permet d’avoir la possibilité de cultiver un jardin et de faire son bois en parallèle de son activité professionnelle (et donc d’améliorer ses conditions de vie), avec un avantage inhérent à la profession. Un éleveur de dindes mettra autant de temps et d’énergie à cultiver ses carottes et à couper son bois que son voisin charpentier. 
               
              [N’exagérons rien. Il y a aussi une saisonnalité dans la reproduction des animaux. On ne fait pas le même nombre de dindes en décembre qu’en juin…]
               
              Pourquoi s’arrêter de produire une viande qui se consomme et s’exporte de mieux en mieux toute l’année, et ainsi sacrifier la productivité d’un outil industriel ? Vous pouvez appuyer votre affirmation sur la variation des cheptels de dindes par une source vérifiable ?
               
              [Une durée de travail équivalente à celle des catégories qui travaillent à leur compte : commerçants, artisans et chefs d’entreprise.]
               
              Les paysans travaillent donc davantage d’heures que les salariés et employés pour un revenu monétaire équivalent, donc pour un taux horaire inférieur. CQFD.
               
              [Mais je doute que cela ait pour cause unique ou seulement principale la « charge administrative ». Et c’était là le point en discussion.]
               
              La question était surtout de comparer le temps et la charge de travail d’un agriculteur et d’un salarié. Et la question de la charge administrative était un des points qui explique qu’un paysan travaille davantage qu’un salarié. Votre point est que cette charge administrative est compensée par des avantages qu’il y a à être entrepreneur plutôt qu’ouvrier, ce qui d’une part ne se traduit ni en termes monétaires, ni en termes de temps libre, et qui quand bien même ne démentait déjà en rien la proposition initiale. 
               
              Au demeurant, aujourd’hui les démarches et le temps nécessaire pour, par exemple, agrandir ou moderniser une exploitation, mais aussi tout simplement pour l’entretien des parcelles (voir les polémiques ubuesques sur le curage des ruisseaux), dans l’entrelac de règles et de normes, avec les temps de recours par voie légale, augmenté de toutes les entraves possibles et imaginables développées par nos chers écologistes, font qu’un certain nombres de jeunes préfèrent s’orienter vers d’autres voies plutôt que de risquer le coup dans une filière soumise à tant de préjugés idéologiques, qui sont malheureusement souvent traduits en lois. Ceci, c’est vrai, ne concerne pas que la question de la gestion, mais tout l’univers réglementaire où on nage en plein délire: voyez la question de la réglementation du glyphosate, interdit sans solution de recours et malgré l’absence d’études prouvant sa nocivité…
               
              On retrouve en fait dans le monde agricole le même phénomène que dans l’industrie nucléaire: face à un discours politique au mieux versatile, au pire outrancier, il n’est pas étonnant que les acteurs économiques s’abstiennent prudemment en attendant de savoir à quelle sauce ils seront mangés… Il y a un parallèle assez évocateur entre la passion pour le “bio” et celle des énergies renouvelables: deux utopies déconnectées de toute réalité économique, scientifique et technique… dont on commence à payer les dégâts.
               
               
              [La recherche, la haute administration, les arts, l’enseignement sont pleins de gens qui pourraient gagner plus d’argent ailleurs, et qui pourtant continuent à exercer leur métier « par passion ». Et personne ne pleure dessus.]
               
              Votre propos est qu’il n’y a pas davantage de raisons de pleurer sur le sort des agriculteurs que sur celui des chercheurs ou des hauts fonctionnaires. Mais comment expliquez vous, par exemple,  le taux de suicides dans cette profession ?
               
              [Je ne sais pas d’où vous tirez ça. Il semblerait au contraire que les fermes se vendent très bien, et qu’il y ait au contraire des difficultés à trouver des terres pour assurer l’installation des jeunes agriculteurs.]
               
              La culture se porte toujours bien, mais je vous parle principalement de rachat d’outils industriels. Pour prendre un exemple, dans mon département les cheptels de vaches laitières ont baissé de 10% en 5 ans. Et je ne parle même pas de la désindustrialisation dans le secteur de la volaille, où par volonté politique on a fait fermer quasiment tous les élevages standards et où on se retrouve maintenant à importer un poulet sur deux..
               
              [le paysan est en France d’abord un entrepreneur. Une figure individualiste qu’on peut opposer au salarié ou au fonctionnaire. Le paysan « prend des risques », « est autonome », « n’a pas d’horaires »… et tout cela pour une rémunération modeste. Exactement l’image que la bourgeoisie veut projeter d’elle-même, par opposition au salarié qui « ne fait que ses heures », « est tout le temps en grève », « ne prend pas de risques »…]
               
              En quoi ce modèle vous dérange-t’il ? Après tout, c’est l’archétype du travailleur pour qui la finalité de l’ouvrage est encore supérieure au contrat, qui n’est pas encore totalement aliéné par le capital.. J’ai l’impression que vous raisonnez comme si les agriculteurs étaient responsables du déclin de l’industrie, ou au moins du déficit d’image des ouvriers comparativement aux paysans.. pensez-vous que cela puisse être le cas ?
               

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [« si la pauvreté monétaire est plus importante chez les paysans que chez les autres catégories, ce n’est pas le cas pour la pauvreté « en conditions de vie » » Certes, mais il faut aussi ne pas confondre les agréments de la vie à la campagne, qui permet d’avoir la possibilité de cultiver un jardin et de faire son bois en parallèle de son activité professionnelle (et donc d’améliorer ses conditions de vie), avec un avantage inhérent à la profession. Un éleveur de dindes mettra autant de temps et d’énergie à cultiver ses carottes et à couper son bois que son voisin charpentier.]

              Il ne s’agit pas des « agréments de la vie à la campagne », mais de la mesure de la pauvreté « non monétaire ». Autrement dit, le revenu purement monétaire ne représente pas l’intégralité des avantages que l’exploitant agricole tire de son exploitation. En fait, un certain nombre de ses consommations (energie, eau, outillage…) sont pris en compte par l’exploitation. Il bénéficie aussi souvent d’un logement bon marché. Ce qui fait que lorsqu’on prend les indicateurs non monétaires de pauvreté (logement, alimentation, etc.) on aboutit à une position meilleure que la moyenne des salariés.

              [« N’exagérons rien. Il y a aussi une saisonnalité dans la reproduction des animaux. On ne fait pas le même nombre de dindes en décembre qu’en juin… » Pourquoi s’arrêter de produire une viande qui se consomme et s’exporte de mieux en mieux toute l’année, et ainsi sacrifier la productivité d’un outil industriel ?]

              Parce que, justement, on ne consomme pas « de mieux en mieux toute l’année ». La dinde part mieux à Noël, et Noël tombe partout à la même date.

              [Vous pouvez appuyer votre affirmation sur la variation des cheptels de dindes par une source vérifiable ?]

              Je ne vais pas perdre mon temps à le faire. N’importe quel journal télévisé de la période vous expliquera l’abattage massif des dindes et autres chapons à Noël…

              [« Une durée de travail équivalente à celle des catégories qui travaillent à leur compte : commerçants, artisans et chefs d’entreprise. » Les paysans travaillent donc davantage d’heures que les salariés et employés pour un revenu monétaire équivalent, donc pour un taux horaire inférieur. CQFD.]

              Il n’y avait rien à « démontrer ». Dès le départ j’avais écrit que la différence était dans le « non monétaire ». Et le « non monétaire » n’a pas l’air d’être négligeable : on ne voit pas une fuite massive des chefs d’entreprise vers le salariat. Ce serait plutôt le contraire…

              [« Mais je doute que cela ait pour cause unique ou seulement principale la « charge administrative ». Et c’était là le point en discussion. » La question était surtout de comparer le temps et la charge de travail d’un agriculteur et d’un salarié.]

              Ok. Laissons donc de côté la « charge administrative », qui semble dans ce pays être devenue une espèce d’excuse universelle pour tout ce qui ne va pas.

              [Et la question de la charge administrative était un des points qui explique qu’un paysan travaille davantage qu’un salarié.]

              Ah bon, parce que le salarié n’a pas, lui aussi, une « charge administrative » ? Le salarié ne déclare pas ses impôts ? Il ne doit pas faire de la paperasse pour se faire rembourser ses missions ? Il ne doit pas présenter des documents pour que la DRH de son entreprise corrige une erreur de paye ? Et je ne vous parle pas quand vous devez faire modifier le relevé de carrière à l’assurance vieillesse (et je ne liste là que des exemples vécus personnellement, je pourrais en lister bien d’autres…) ou faire corriger les erreurs dans vos comptes de copropriété. Encore une fois, la « contrainte administrative » semble être devenu une sorte d’excuse passe partout. Oui, nous vivons dans une société complexe, et oui, cela suppose pour tous – et pas seulement les agriculteurs – des rapports avec les administrations qui ne sont pas forcément simples.

              En fait, je ne suis pas persuadé que le paysan travaille plus d’heures que le salarié. La question est comment ces heures sont comptabilisées. La mesure du temps de travail de l’agriculteur est purement déclarative (contrairement aux salariés qui, très souvent, pointent, ou du moins ont des horaires fixes pendant lesquels leur absence serait remarquée). Sans parler de fausse déclaration, il serait intéressant de savoir ce que l’agriculteur comptabilise comme temps de travail. Prenons un exemple : lorsqu’il bèche son potager personnel, lorsqu’il repeint sa maison, lorsqu’il répare sa voiture, ce temps est compté comme « temps de travail » pour lui ? Probablement… mais dans ce cas, il faudrait intégrer dans le temps de travail du salarié le temps qu’il consacre à l’entretien de sa maison, au travail dans son potager (s’il en a un), à la réparation de sa voiture…

              Je pense qu’il y a dans la mesure du temps de travail du paysan un biais statistique, qui tient au fait qu’il est plus difficile dans l’organisation de sa vie de séparer le travail et le hors-travail. C’est d’ailleurs vrai pour beaucoup de métiers ou l’on vit sur le lieu de travail. Comment mesurer le temps de travail du gardien de phare ?

              [Votre point est que cette charge administrative est compensée par des avantages qu’il y a à être entrepreneur plutôt qu’ouvrier, ce qui d’une part ne se traduit ni en termes monétaires, ni en termes de temps libre, et qui quand bien même ne démentait déjà en rien la proposition initiale.]

              Pas tout à fait. Il y a la question de la mesure du temps de travail, dont j’ai parlé plus haut. Il y a aussi la question de l’intensité du travail : ce n’est pas la même chose de conduire un tracteur sur un champ de blé et de conduire un bus aux heures de pointe dans Paris. Sur la question du temps libre, il y a la question de son volume et la question de son organisation. Le paysan, contrairement à la plupart des ouvriers, a une liberté dans l’organisation de son temps que le salarié n’a pas.

              [Au demeurant, aujourd’hui les démarches et le temps nécessaire pour, par exemple, agrandir ou moderniser une exploitation, mais aussi tout simplement pour l’entretien des parcelles (voir les polémiques ubuesques sur le curage des ruisseaux), dans l’entrelac de règles et de normes, avec les temps de recours par voie légale, augmenté de toutes les entraves possibles et imaginables développées par nos chers écologistes, font qu’un certain nombres de jeunes préfèrent s’orienter vers d’autres voies plutôt que de risquer le coup dans une filière soumise à tant de préjugés idéologiques, qui sont malheureusement souvent traduits en lois.]

              Si vous pensez qu’il faut beaucoup de démarches pour agrandir ou moderniser une exploitation, essayez d’agrandir ou moderniser une usine… encore une fois, la dérive vers une normative absurde – et souvent incohérente, parce qu’elle est faite en « tuyaux de poile » en fonction des rapports de force dans chaque domaine (ainsi, on voit Bercy encourager une activité alors qu’à l’Ecologie on fait tout pour l’entraver…) est une réalité. Mais une réalité qui ne touche pas que les agriculteurs. En faire un problème spécifique, c’est à mon avis manquer sa cible. La réglementation écologique est en train de tuer l’industrie beaucoup plus efficacement qu’elle ne tue l’agriculture.

              [« La recherche, la haute administration, les arts, l’enseignement sont pleins de gens qui pourraient gagner plus d’argent ailleurs, et qui pourtant continuent à exercer leur métier « par passion ». Et personne ne pleure dessus. » Votre propos est qu’il n’y a pas davantage de raisons de pleurer sur le sort des agriculteurs que sur celui des chercheurs ou des hauts fonctionnaires. Mais comment expliquez-vous, par exemple, le taux de suicides dans cette profession ?]

              Probablement parce qu’on a un rapport à la mort qui est très différent de celui des autres professions. Les paysans ont souvent des armes chez eux, et la question de tuer les nuisibles fait partie de leur vie. On peut d’ailleurs rapprocher ce phénomène de celui des policiers, un autre métier où le taux de suicide est relativement élevé, et qui a lui aussi un rapport relativement proche avec la mort.

              Mais mon point était moins de dire qu’il ne faut pas pleurer sur le sort des agriculteurs que d’avoir une réflexion globale sur l’évolution de la société. L’agriculteur n’est pas déconnecté de l’évolution de la société en général, et le métier n’échappe pas – même si son inertie est plus grande que d’autres – à l’évolution du capitalisme. Dans la manufacture, le capitalisme a remplacé l’artisanat par l’organisation industrielle du travail. Le résultat fut des biens accessibles à tous, au prix d’une baisse de leur qualité et de leur variété, sauf dans le domaine du luxe ou l’artisanat survit pour une clientèle très réduite. L’agriculture, métier semi-artisanal il n’y a pas si longtemps, suivra le même chemin : la transformation de l’exploitation « artisanale » en industrie, avec peut-être la survivance d’une agriculture artisanale produisant de la très haute qualité pour une petite clientèle qui peut et veut se la payer. Imaginer que dans un contexte capitaliste on peut épargner au paysan ce qu’on a infligé à l’artisan – c’est-à-dire, la transformation en ouvrier – me paraît une illusion.

              [« Je ne sais pas d’où vous tirez ça. Il semblerait au contraire que les fermes se vendent très bien, et qu’il y ait au contraire des difficultés à trouver des terres pour assurer l’installation des jeunes agriculteurs. » La culture se porte toujours bien, mais je vous parle principalement de rachat d’outils industriels. Pour prendre un exemple, dans mon département les cheptels de vaches laitières ont baissé de 10% en 5 ans. Et je ne parle même pas de la désindustrialisation dans le secteur de la volaille, où par volonté politique on a fait fermer quasiment tous les élevages standards et où on se retrouve maintenant à importer un poulet sur deux…]

              Oui, comme on importe une voiture sur deux ou une machine à laver sur deux ou un médicament sur deux – en fait, bien plus. Que voulez-vous, c’est le capitalisme qui veut ça. La libre concurrence conduit à la pression sur les prix, qui conduit elle-même à la concentration, à l’organisation industrielle du travail, et à la délocalisation en fonction des avantages comparatifs. Tout ça est déjà bien décrit chez Marx et Ricardo. Ce qui m’énerve, c’est qu’on trouve cela parfaitement normal lorsqu’il s’agit de voitures, de médicaments, de machines à laver (et d’ordinateurs, d’instruments d’optique, de machines-outils…) mais que cela devient un drame lorsque cela touche l’agriculture…

              [« le paysan est en France d’abord un entrepreneur. Une figure individualiste qu’on peut opposer au salarié ou au fonctionnaire. Le paysan « prend des risques », « est autonome », « n’a pas d’horaires »… et tout cela pour une rémunération modeste. Exactement l’image que la bourgeoisie veut projeter d’elle-même, par opposition au salarié qui « ne fait que ses heures », « est tout le temps en grève », « ne prend pas de risques »… » En quoi ce modèle vous dérange-t’il ? Après tout, c’est l’archétype du travailleur pour qui la finalité de l’ouvrage est encore supérieure au contrat, qui n’est pas encore totalement aliéné par le capital…]

              Ce n’est pas tant le « modèle » qui me dérange, que la supercherie qui consiste pour la bourgeoisie de se cacher derrière ce modèle pour faire exactement le contraire. Parce que dans la pratique la bourgeoisie – avec l’aide des classes intermédiaires – est en train de dynamiter tout ce qui se fait « à l’ouvrage » pour le remplacer systématiquement par le « contrat ». Il n’y a qu’à voir le « pacte enseignant », sans parler de la réforme de la haute fonction publique et l’idée de payer les fonctionnaires « au mérite »…

              [J’ai l’impression que vous raisonnez comme si les agriculteurs étaient responsables du déclin de l’industrie, ou au moins du déficit d’image des ouvriers comparativement aux paysans… pensez-vous que cela puisse être le cas ?]

              Non, bien sur que non. Vous savez que je ne raisonne pas en termes de « responsabilité ». Chacun défend ses intérêts avec les armes dont il dispose. Les paysans cultivent une image dont ils savent qu’elle fait résonner une corde sensible, alors que les ouvriers – sauf dans certains métiers – n’ont pas cette possibilité. Ce qui me gêne n’est pas tant le discours des représentants des paysans, c’est la facilité avec laquelle un certain nombre de progressistes tombent dans le piège…

            • P2R dit :

              @ Descartes
               
              [Ce qui fait que lorsqu’on prend les indicateurs non monétaires de pauvreté (logement, alimentation, etc.) on aboutit à une position meilleure que la moyenne des salariés.]
               
              Sauf qu’il n’est pas salarié, il est gérant d’une entreprise, avec le surplus de travail que cela implique. J’ai compris que vous doutiez de ce point (je vous cite: “Ah bon, parce que le salarié n’a pas, lui aussi, une « charge administrative » ? “) et que pour vous gérer administrativement une exploitation agricole n’est pas plus chronophage que de remplir sa fiche d’impôts.. Passons donc sur ce sujet, et laissons vos lecteurs seuls juges sur ce point.
               
              [Parce que, justement, on ne consomme pas « de mieux en mieux toute l’année ». La dinde part mieux à Noël, et Noël tombe partout à la même date.]
               
              Par contre on mange toute l’année, vous avez remarqué ? A Noël, on achète moins de poulet de base, et on achète plus de dindes et de chapons. L’éleveur de volailles suit la demande, pendant les fêtes il fait plus de produits “premium” mais moins de volailles standard.. et l’inverse hors période de fêtes.
               
              [on ne voit pas une fuite massive des chefs d’entreprise vers le salariat. Ce serait plutôt le contraire…]
              En agriculture ça n’a rien d’évident. Le nombre de petites exploitations s’écroule depuis plusieurs décennies, c’est donc qu’il y a donc beaucoup de potentiels “fermiers propriétaires” qui préfèrent choisir une autre voie plutôt que celle de la reprise de la ferme familiale, qui souvent nécessite en plus un mur d’investissements pour répondre d’une part aux normes d’hygiène et de confort animal actuel, et d’autre part pour obtenir une productivité satisfaisante. . Et la plupart partent vers le salariat, y compris au sein de plus grosses exploitations, où ils peuvent espérer gravir des échelons et par exemple devenir responsable d’élevage..
               
              Mais ce mouvement de la fuite vers le salariat se voit ailleurs: regardez les professions médicales: de plus en plus choisissent d’exercer en salariat (à l’hôpital ou au sein de structures mutualistes). La vocation de médecin libéral peine de plus en plus à séduire les jeunes arrivants, qui acceptent de céder une part non-négligeable de la valeur produite sous forme de plus-value à un employeur, en échange de la prise en charge de toutes les contraintes liées à l’installation, la mise au normes d’un cabinet, l’emploi de salariés, etc. 
               
              Rien de surprenant pour une génération où le “temps disponible” pour les loisirs est sanctifié, et où “accepter de gagner moins pour avoir du temps pour soi” (c’est comme ça qu’on dit) vous attire toutes les louanges…
               
              [En fait, je ne suis pas persuadé que le paysan travaille plus d’heures que le salarié. La question est comment ces heures sont comptabilisées. (…) Prenons un exemple : lorsqu’il bêche son potager personnel, lorsqu’il repeint sa maison, lorsqu’il répare sa voiture, ce temps est compté comme « temps de travail » pour lui ? Probablement… ]
               
              Je ne suis pas sûr que sur-déclarer des heures de travail soit une si bonne opération pour les paysans, qui, je le rappelle, sont en manque de vocations. Ce n’est pas le meilleur moyen de rendre le boulot attrayant.. Alors oui, ça fait pleurer dans les chaumières, mais toutes choses posées, je ne suis pas convaincu que ce discours soit bénéfique au monde agricole.
               
              Enfin, je ne vois pas pourquoi un agriculteur considérerait “probablement” que bêcher son jardin ou repeindre sa maison feraient partie de leur temps de travail. Encore une fois il faut se sortir de l’image d’Epinal du fermier avec son chapeau de paille et sa fourche au milieu de la basse-cour: la grande majorité des travaux agricoles de nos jours n’a strictement rien à voir avec le jardinage, confondre les deux activités serait faire preuve d’une ouverte mauvaise foi, un procès que vous leur faites bien facilement, de mon point de vue.
               
              En aparté, sur le temps de travail objectivable, j’ai trouvé une étude qui chiffre entre 1000 et 2000h/an le temps dédié aux travaux d’astreinte (travail journalier ne pouvant être reporté: nourrissage, traite, nettoyage des litières) sur une exploitation laitière familiale, la variation dépendant principalement de la modernité de l’équipement. Soit entre 20 et 40h semaine grosso modo, le plus souvent 4h/jour pendant 6 jours (deux fois 2h par jour) et 2h le dimanche (une seule traite, possible en décalant plus tard la traite du samedi soir et en réalisant plus tôt la traite du lundi matin). A ces travaux d’astreinte s’ajoutent donc tout le travail annexe: ce qui a lieu aux champs (fauchage, bottelage, ensilage…), les soins aux bêtes, l’entretien et le nettoyage des équipements, la gestion, etc.
               
              [Il y a aussi la question de l’intensité du travail : ce n’est pas la même chose de conduire un tracteur sur un champ de blé et de conduire un bus aux heures de pointe dans Paris]
              Non, mais c’est à peu près la même chose que de conduire un poids lourd sur l’autoroute, ou que de conduire un train de marchandises. Vous remarquerez d’ailleurs que les moissonneuses ne sont pas encore robotisées, même aux USA, c’est bien que le conducteur doit avoir quelque chose à faire. Et pour ce qui est des travaux manuels, je vous met au défi de tenir ne serait-ce qu’une journée à arracher des échalotes ou à nettoyer une salle d’élevage au karcher..
               
              [Sur la question du temps libre, il y a la question de son volume et la question de son organisation. Le paysan, contrairement à la plupart des ouvriers, a une liberté dans l’organisation de son temps que le salarié n’a pas. ]
              C’est très mal connaître le monde agricole. Certes les horaires de travail ne sont pas fixes, mais ils ne sont pas non plus à la discrétion du paysan. Vous ne choisissez pas le jour et l’heure à laquelle votre vache va vêler ou tomber malade, vous ne choisissez pas le jour et l’heure où la météo va vous permettre de semer, faucher, moissonner dans les meilleures conditions, vous ne choisissez pas le moment où l’aliment va être livré, ni celui où le chauffeur viendra pour charger. Sans parler de tous les impromptus inhérents à une exploitation moderne: pannes de chaîne d’alimentation, de chauffage, casse d’équipements divers, etc.

              [Si vous pensez qu’il faut beaucoup de démarches pour agrandir ou moderniser une exploitation, essayez d’agrandir ou moderniser une usine…(…) La réglementation écologique est en train de tuer l’industrie beaucoup plus efficacement qu’elle ne tue l’agriculture. ]

              Au 20h, quand on parle de l’implantation d’une usine de bagnoles ou de batteries (c’est pas souvent), c’est la fête au village, et les élus viennent couper le ruban rouge. Par contre quand on parle de l’implantation d’un élevage de 500 cochons, on a pas la même ferveur, il me semble. Parce que bourgeois et classes intermédiaires sont tout prêts à chouiner sur le paysan “à l’ancienne”, mais par contre pour soutenir le vrai monde agricole, celui qui nous permet d’être auto-suffisant et d’exporter, là c’est autre chose…

              [Mais mon point était moins de dire qu’il ne faut pas pleurer sur le sort des agriculteurs que d’avoir une réflexion globale sur l’évolution de la société. (…) Le capitalisme a remplacé l’artisanat par l’organisation industrielle du travail. L’agriculture, métier semi-artisanal il n’y a pas si longtemps, suivra le même chemin : la transformation de l’exploitation « artisanale » en industrie.]

              Là, il y a un vrai point d’incompréhension sur ma position. Je n’ai rien contre l’industrialisation de la production, au contraire, pour plusieurs raisons: d’abord (je suis d’accord avec vous) elle est inéluctable. Ensuite, elle est déjà très largement avancée, et nos agriculteurs ont sû prendre ce virage. Troisièmement, et contrairement à ce que beaucoup pensent, une agriculture rationnalisée, avec des process clairs écrits noir sur blanc, des contrôles sanitaires, des normes (il en faut !), produit des conditions d’exploitation bien plus sûres sanitairement parlant pour l’agriculteur et pour le consommateur, des rendements bien plus stables et élevés, et même permet même des progrès en matière de bien-être animal par rapport à ce que l’agriculture de mes grands parents proposait, où les animaux étaient constamment dans leur merde, où on leur balançait des traitements “au jugé”, où on utilisait immensément plus et à bien plus mauvais escient de pesticides et d’engrais. Il faut avoir vu à quoi ressemblait une ferme d’antan, il faut se la faire raconter, non pas par un poète nostalgique, mais par quelqu’un qui a connu l’époque, et ils sont encore quelques quasi-centenaires à s’en souvenir et à en témoigner, pour briser cette image romantique, où derrière le décor, c’était, non pas la misère, non, mais l’asservissement total à la tâche. Plus personne ne veut vivre comme ça, et c’est bien normal.

              [par volonté politique on a fait fermer quasiment tous les élevages standards et où on se retrouve maintenant à importer un poulet sur deux… // Oui, comme on importe une voiture sur deux ou une machine à laver sur deux ou un médicament sur deux – en fait, bien plus. Que voulez-vous, c’est le capitalisme qui veut ça. La libre concurrence conduit à la pression sur les prix, qui conduit elle-même à la concentration, à l’organisation industrielle du travail, et à la délocalisation en fonction des avantages comparatifs]

              Vous dites “oui” mais vous n’avez pas compris mon propos: la décroissance agricole en France n’est pas liée à un problème de concurrence, au contraire ! Les élevages français sont parmi les plus compétitifs du monde ! Nous export(i)ons des millions de tonnes à la Chine ! C’est une volonté POLITIQUE: on ne veut pas de gros bâtiments qui puent, on ne veut pas de poulets dans des cases, on ne veut pas utiliser tel produit pour traiter (produits qu’on utilise parfois PARTOUT AILLEURS y compris en Europe !), on ne veut pas, lâchons le gros mot, d’agriculture intensive. Et on fait tout à l’échelle européenne pour réorienter la PAC vers des élevages bio”, une montée en gamme que le consommateur ne peut pas se payer. Et bilan on importe des produits qui ont infiniment plus de défauts que ceux qu’on a refusé de produire chez nous, et qu’ON SAIT POURTANT PRODUIRE AU MÊME PRIX mais que l’on a décidé, par idéologie, de ne plus voir chez nous..

              L’Allemagne est d’ailleurs dans le même cas, et, preuve que ce n’est pas une question de dumping social, c’est le porc danois qui inonde le marché. Pas le porc roumain ou brésilien..

              [Ce n’est pas tant le « modèle » qui me dérange, que la supercherie qui consiste pour la bourgeoisie de se cacher derrière ce modèle pour faire exactement le contraire.]

              La bourgeoisie se cache derrière une image d’Epinal du paysan, mais elle est sans pitié avec les producteurs. Et les médias derrière font leur boulot: aller chercher le pittoresque qui passe bien à l’écran pour mieux invisibiliser la partie immergée de l’iceberg. Un symptôme: avez-vous déjà entendu condamner les actions illégales des faucheurs volontaires et autres vandales écologistes au 20h ?

              Je voudrais finir avec un petit clin d’oeil personnel: Vous vous interrogez, et manifestement vous tenez rancoeur, au sujet du soutien populaire à un secteur hautement stratégique, qui par ailleurs a fait les preuves de son efficacité au fil des décennies, et que l’on protège à grand renfort d’argent public, alors qu’on laisse parallèlement s’effondrer des pans entiers de l’industrie nationale. A un moment donné, nos politiques ont cessé de soutenir publiquement cette filière, pour des raisons essentiellement fantasmagoriques: ça pollue, ça fait peur, on peut faire autrement. On a été jusqu’à laisser des groupes extrémistes nourrir impunément la désinformation, voir mener des actes de sabotages contre des structures de cette filière. Alors certes l’argent public ne s’est pas immédiatement tari, mais le pouvoir public a commencé à mettre des bâtons dans les roues à l’investissement, au développement de ce savoir faire. Pas de ça chez nous ! A la place, on a dépensé des sommes folles pour mettre en place des solutions alternatives, contre l’avis de tous les spécialistes du domaine. Et aujourd’hui, on se rends compte qu’on a pris des vessies pour des lanternes et que nous importons plus cher ce que nous produisions à prix avantageux il n’y a pas si longtemps, alors on essaie de retourner sa veste à grand coup de déclarations d’intention et de promesses d’ivrogne..

              Vous avez deviné évidemment, cette filière, ça pourrait aussi bien être le monde agricole qu’EDF. Alors pourquoi ce deux poids deux mesures dans votre appréciation de la situation ? Pourquoi vous énerver de l’un et vous enorgueillir de l’autre ?

            • Descartes dit :

              @ P2R

              [« Ce qui fait que lorsqu’on prend les indicateurs non monétaires de pauvreté (logement, alimentation, etc.) on aboutit à une position meilleure que la moyenne des salariés. » Sauf qu’il n’est pas salarié, il est gérant d’une entreprise, avec le surplus de travail que cela implique.]

              Je ne vois pas très bien quel est le « surplus de travail que cela implique ». D’abord, il est artificiel d’opposer « salariés » et « gérant d’une entreprise ». Beaucoup de gérants d’entreprise sont aussi salariés. Ensuite, il faut en finir avec le mythe qui veut qu’un gérant d’entreprise ait un « surplus de travail » par rapport à un salarié. C’est quelquefois le cas, mais on ne peut généraliser. Je connais des cheminots ou des médecins salariés qui font bien plus d’heures que beaucoup de « gérants d’entreprise »… et pour prendre mon cas personnel, j’ai rarement fait moins de 50 heures par semaine, et passe le plus clair de ma vie dans des postes d’astreinte. Et pourtant, j’ai toujours été salarié.

              [J’ai compris que vous doutiez de ce point (je vous cite: “Ah bon, parce que le salarié n’a pas, lui aussi, une « charge administrative » ? “) et que pour vous gérer administrativement une exploitation agricole n’est pas plus chronophage que de remplir sa fiche d’impôts… Passons donc sur ce sujet, et laissons vos lecteurs seuls juges sur ce point.]

              Je crois avoir donné bien d’autres exemples de « taches administratives » auxquelles un salarié est astreint, en sus de sa déclaration d’impôts. Je sais que je passe une partie de ma journée de travail à faire de la paperasse pour faire rembourser mes missions, pour faire corriger les erreurs sur ma fiche de paye ou mon relevé de carrière, pour solliciter tel ou tel remboursement auquel j’ai droit. Je ne vois pas pourquoi cette « charge administrative » devrait être ignorée. Mais je laisse les lecteurs juges…

              [« Parce que, justement, on ne consomme pas « de mieux en mieux toute l’année ». La dinde part mieux à Noël, et Noël tombe partout à la même date. » Par contre on mange toute l’année, vous avez remarqué ?]

              Oui, mais pas les mêmes choses, et pas dans les mêmes quantités. Si je suis producteur d’huitres, de dindes, ou de glaces artisanales, ma production est saisonnalisée, et peu me choit que les gens mangent autre chose le reste de l’année.

              [A Noël, on achète moins de poulet de base, et on achète plus de dindes et de chapons. L’éleveur de volailles suit la demande, pendant les fêtes il fait plus de produits “premium” mais moins de volailles standard.. et l’inverse hors période de fêtes.]

              Autrement dit, sa production est saisonnalisée, demandant plus d’efforts à certaines périodes, moins à d’autres. CQFD.

              [« on ne voit pas une fuite massive des chefs d’entreprise vers le salariat. Ce serait plutôt le contraire… » En agriculture ça n’a rien d’évident. Le nombre de petites exploitations s’écroule depuis plusieurs décennies, c’est donc qu’il y a donc beaucoup de potentiels “fermiers propriétaires” qui préfèrent choisir une autre voie plutôt que celle de la reprise de la ferme familiale,]

              Je ne vois pas les paysans qui le sont déjà choisir le salariat agricole. Quant à leurs enfants, s’ils choisissent d’autres voies, c’est rarement le salariat agricole. Souvent dans le choix de ne pas reprendre la ferme familiale le revenu n’est qu’un critère parmi d’autres, la question du cadre de vie, de l’accès aux services et aux loisirs, bien meilleurs en ville, joue un rôle déterminant.

              [Et la plupart partent vers le salariat, y compris au sein de plus grosses exploitations, où ils peuvent espérer gravir des échelons et par exemple devenir responsable d’élevage…]

              Vous avez des éléments chiffrés ? J’avais cru comprendre que les agriculteurs qui partent vers le salariat le font rarement dans le contexte agricole. Je n’ai pas trouvé de chiffres à ce sujet…

              [Mais ce mouvement de la fuite vers le salariat se voit ailleurs : regardez les professions médicales : de plus en plus choisissent d’exercer en salariat (à l’hôpital ou au sein de structures mutualistes). La vocation de médecin libéral peine de plus en plus à séduire les jeunes arrivants, qui acceptent de céder une part non-négligeable de la valeur produite sous forme de plus-value à un employeur, en échange de la prise en charge de toutes les contraintes liées à l’installation, la mise au normes d’un cabinet, l’emploi de salariés, etc.]

              Ce n’est pas le marxiste que je suis qui niera la tendance à la généralisation du salariat. Là où je ne suis pas forcément d’accord, c’est avec l’idée qu’il s’agisse là d’un « choix ». L’exemple des médecins est un mauvais exemple, parce que le médecin, même s’il a le statut juridique de salarié, n’en est pas un vraiment – au sens qu’il n’est pas soumis dans son travail à l’autorité hiérarchique de son employeur, et par conséquent ne vend pas sa force de travail (ce qui exclut d’ailleurs l’idée qu’il produirait de la plusvalue).

              [Rien de surprenant pour une génération où le “temps disponible” pour les loisirs est sanctifié, et où “accepter de gagner moins pour avoir du temps pour soi” (c’est comme ça qu’on dit) vous attire toutes les louanges…]

              Seulement dans les milieux où il est possible « d’accepter de gagner moins ». Dans un pays smicardisé, ce privilège est celui d’une classe particulière…

              [« En fait, je ne suis pas persuadé que le paysan travaille plus d’heures que le salarié. La question est comment ces heures sont comptabilisées. (…) Prenons un exemple : lorsqu’il bêche son potager personnel, lorsqu’il repeint sa maison, lorsqu’il répare sa voiture, ce temps est compté comme « temps de travail » pour lui ? Probablement… » Je ne suis pas sûr que sur-déclarer des heures de travail soit une si bonne opération pour les paysans, qui, je le rappelle, sont en manque de vocations. Ce n’est pas le meilleur moyen de rendre le boulot attrayant… Alors oui, ça fait pleurer dans les chaumières, mais toutes choses posées, je ne suis pas convaincu que ce discours soit bénéfique au monde agricole.]

              Globalement peut-être pas. Mais lorsque le monde paysan défend ses revendications devant l’opinion publique, maintenir l’image du paysan travaillant de lever au coucher du soleil (contrairement à ces salauds d’ouvriers qui ne font que 35 heures) procure un certain avantage. Mais je n’ai pas affirmé que les paysans déclarent un temps de travail gonflé par calcul. Simplement, que dans la mentalité paysanne la séparation entre ce qui relève du privé et du professionnel n’est pas facile à faire, puisque l’exploitation est à la fois lieu de travail et lieu de vie.

              [Enfin, je ne vois pas pourquoi un agriculteur considérerait “probablement” que bêcher son jardin ou repeindre sa maison feraient partie de leur temps de travail.]

              Parce que, comme je l’ai dit plus haut, pour le paysan l’exploitation est à la fois lieu de vie et lieu de travail, et que séparer l’un de l’autre ne paraît pas évident. Le problème est d’ailleurs le même pour les gens qui travaillent à domicile. Lorsque je repeins la pièce de ma maison ou je télétravaille, dois-je compter ce travail de peinture en temps de travail ou en temps de loisir ?

              [En aparté, sur le temps de travail objectivable, j’ai trouvé une étude qui chiffre entre 1000 et 2000h/an le temps dédié aux travaux d’astreinte (travail journalier ne pouvant être reporté : nourrissage, traite, nettoyage des litières) sur une exploitation laitière familiale, la variation dépendant principalement de la modernité de l’équipement.]

              Vous avez la référence de cette étude ?

              [« Il y a aussi la question de l’intensité du travail : ce n’est pas la même chose de conduire un tracteur sur un champ de blé et de conduire un bus aux heures de pointe dans Paris » Non, mais c’est à peu près la même chose que de conduire un poids lourd sur l’autoroute, ou que de conduire un train de marchandises.]

              Pas vraiment. Quand vous conduisez un poids lourd, une erreur de distraction peut faire des morts et des blessés. Quand vous conduisez un tracteur dans un champ de blé, c’est extraordinairement rare. Pour ce qui concerne la conduite d’un train, je n’ai jamais fait alors je ne saurais pas vous dire. Mais mon point demeure : comparer la durée du travail sans tenir compte de sa pénibilité n’a pas grand sens.

              [Et pour ce qui est des travaux manuels, je vous met au défi de tenir ne serait-ce qu’une journée à arracher des échalotes ou à nettoyer une salle d’élevage au karcher…]

              Ce sont certainement des travaux pénibles et physiquement exigeants, mais pas plus que de transporter des briques dans un chantier de travaux publics. Mon point n’est pas de dire que la vie du paysan est un lit de roses, mais que l’idée que son travail beaucoup plus dur et mal payé que celui de l’ouvrier est un mythe. Un mythe qui n’a rien d’innocent, d’ailleurs…

              [« Sur la question du temps libre, il y a la question de son volume et la question de son organisation. Le paysan, contrairement à la plupart des ouvriers, a une liberté dans l’organisation de son temps que le salarié n’a pas. » C’est très mal connaître le monde agricole. Certes les horaires de travail ne sont pas fixes, mais ils ne sont pas non plus à la discrétion du paysan. Vous ne choisissez pas le jour et l’heure à laquelle votre vache va vêler ou tomber malade, vous ne choisissez pas le jour et l’heure où la météo va vous permettre de semer, faucher, moissonner dans les meilleures conditions, vous ne choisissez pas le moment où l’aliment va être livré, ni celui où le chauffeur viendra pour charger.]

              Vous ne choisissez peut-être pas de façon discrétionnaire, mais vous avez une marge de manœuvre bien plus grande que celui de la plupart des salariés. Si vous voulez commencer vos labours à 8h15 plutôt qu’à 8h, vous le faites. Si vous voulez faire votre pause à 11h30 plutôt qu’à 11h, vous le faites. Quand vous êtes instituteur ou caissier dans un supermarché, vous n’avez pas cette liberté.

              [« Si vous pensez qu’il faut beaucoup de démarches pour agrandir ou moderniser une exploitation, essayez d’agrandir ou moderniser une usine…(…) La réglementation écologique est en train de tuer l’industrie beaucoup plus efficacement qu’elle ne tue l’agriculture. » Au 20h, quand on parle de l’implantation d’une usine de bagnoles ou de batteries (c’est pas souvent), c’est la fête au village, et les élus viennent couper le ruban rouge.]

              Une usine de bagnoles ou de batteries, oui, parce que les nuisances sont nulles. Mais essayez d’installer une raffinerie, une usine chimique, une centrale nucléaire, et vous verrez si c’est « la fête au village »…

              [Par contre quand on parle de l’implantation d’un élevage de 500 cochons, on a pas la même ferveur, il me semble. Parce que bourgeois et classes intermédiaires sont tout prêts à chouiner sur le paysan “à l’ancienne”, mais par contre pour soutenir le vrai monde agricole, celui qui nous permet d’être auto-suffisant et d’exporter, là c’est autre chose…]

              Exactement. Lorsque l’agriculture devient industrielle, elle affronte les mêmes préjugés que l’industrie.

              [Vous dites “oui” mais vous n’avez pas compris mon propos: la décroissance agricole en France n’est pas liée à un problème de concurrence, au contraire ! Les élevages français sont parmi les plus compétitifs du monde ! Nous export(i)ons des millions de tonnes à la Chine ! C’est une volonté POLITIQUE: on ne veut pas de gros bâtiments qui puent, on ne veut pas de poulets dans des cases, on ne veut pas utiliser tel produit pour traiter (produits qu’on utilise parfois PARTOUT AILLEURS y compris en Europe !), on ne veut pas, lâchons le gros mot, d’agriculture intensive. Et on fait tout à l’échelle européenne pour réorienter la PAC vers des élevages bio”, une montée en gamme que le consommateur ne peut pas se payer.]

              C’est bien ce que j’avais compris. C’est le choix de la désindustrialisation, qui touche autant la manufacture que l’agriculture. Conséquence : on ne garde que les productions de luxe… qui sont toujours produites de manière artisanale…

              [Vous avez deviné évidemment, cette filière, ça pourrait aussi bien être le monde agricole qu’EDF. Alors pourquoi ce deux poids deux mesures dans votre appréciation de la situation ? Pourquoi vous énerver de l’un et vous enorgueillir de l’autre ?]

              C’est qu’il y a entre les deux situations une différence fondamentale. Ceux qui défendent la filière EDF défendent une filière moderne, produisant une énergie sûre, abondante et bon marché. Ceux qui défendent les agriculteurs défendent au contraire une « agriculture paysanne » rétrograde, et dont la disparition est, comme vous le dites vous-même, inéluctable. Je serais moins sévère si les agriculteurs assumaient de défendre une agriculture industrielle…

  14. KerSer dit :

    Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, Macron a annoncé vouloir rendre obligatoires des cours de théâtre au collège. Pour être moi-même un passionné de théâtre, je comprends sa démarche, mais je crains que ce que notre président en retient, c’est le côté paraître, ou plutôt le côté séducteur. D’ailleurs, il n’y a pas qu’avec Gabriel Attal qu’il partage cette passion : De Gaulle lui-même aimait beaucoup le théâtre, et les quelques pages consacrées à sa jeunesse dans une biographie récemment sortie décrivent son rapport au théâtre, et notamment aux grands textes du répertoire classique (si je me souviens bien, il avait une certaine préférence pour Corneille, tandis que Pompidou lui préférait Racine, mais ça, c’est une autre histoire). Et ce n’est certainement pas le seul pour qui le théâtre ait joué un rôle important dans la vie. Mais voilà : pour De Gaulle, la politique n’était pas que mise en scène, loin s’en faut…

    • Descartes dit :

      @ KerSer

      [Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, Macron a annoncé vouloir rendre obligatoires des cours de théâtre au collège.]

      Révélateur, n’est-ce pas ?

      [Pour être moi-même un passionné de théâtre, je comprends sa démarche, mais je crains que ce que notre président en retient, c’est le côté paraître, ou plutôt le côté séducteur.]

      Mais lorsque vous parlez de votre passion du théâtre, s’agit-il d’une passion de spectateur ou d’une passion d’acteur ? Parce que ce n’est pas du tout la même chose. Ce n’est pas du tout la même chose que de faire lire les grands textes ou les regarder joués par des vrais acteurs que d’écrire des pièces ou de les incarner soi-même.

      [D’ailleurs, il n’y a pas qu’avec Gabriel Attal qu’il partage cette passion : De Gaulle lui-même aimait beaucoup le théâtre, et les quelques pages consacrées à sa jeunesse dans une biographie récemment sortie décrivent son rapport au théâtre, et notamment aux grands textes du répertoire classique (si je me souviens bien, il avait une certaine préférence pour Corneille, tandis que Pompidou lui préférait Racine, mais ça, c’est une autre histoire).]

      Je ne pense pas que De Gaulle soit jamais monté sur les planches, ou ait caressé le rêve de jouer une pièce écrite par quelqu’un d’autre devant un public… encore une fois, ce n’est pas la même chose d’apprécier le théâtre en spectateur que de s’imaginer en acteur…

      [Mais voilà : pour De Gaulle, la politique n’était pas que mise en scène, loin s’en faut…]

      Les politiciens pour qui la politique avait une dimension tragique ne pouvaient pas confondre la réalité avec une mise en scène. De Gaulle, mais aussi Pompidou, Giscard, Mitterrand et même Chirac appartiennent à des générations qui avait une conscience aigue que la politique, c’était de la chair et du sang, et pas seulement du papier. Ils ont tous vécu les guerres, ils ont tous vu comment les erreurs politiques peuvent faire des morts et des blessés.

  15. KerSer dit :

    @ Descartes

    [Mais lorsque vous parlez de votre passion du théâtre, s’agit-il d’une passion de spectateur ou d’une passion d’acteur ? Parce que ce n’est pas du tout la même chose. Ce n’est pas du tout la même chose que de faire lire les grands textes ou les regarder joués par des vrais acteurs que d’écrire des pièces ou de les incarner soi-même.]

    Les deux, mon Général ! Mais, en fin de compte, qu’importe ? Ce n’est pas moi qui confonds ma fonction de Président de la République avec une scène de théâtre. Plus sérieusement, ce que reproche à Macron, ce n’est pas tant sa volonté d’ “incarner” sa fonction – ça, de toute façon, tous les grands hommes d’état le font, à leur façon – que le fait qu’il use de cette fonction comme d’un plateforme pour se mettre lui-même en valeur ou pour flatter son ego. D’ailleurs, pour moi (et pour mal de grands comédiens aussi si j’en crois leurs écrits, entretiens, etc.), un grand comédien, c’est quelqu’un qui sait mettre en valeur un grand texte. C’est un point de vue subjectif, bien entendu, mais c’est partagé par pas mal de grands comédiens, si du moins on peut les prendre sur parole. Celui donc qui a pour objectif de mettre en valeur non pas le texte, mais soi-même, est un mauvais acteur. Et je soutiens que ça s’applique tout à fait à Macron.

    Si je peux me permettre, je vais donner quelques précisions sur mon cas personnel, puisque vous m’avez posé la question. Je ne suis pas acteur professionnel, et n’ai nullement envie le devenir. J’ai mon propre métier et cela me va comme ça. Je prends simplement des cours à un rythme hebdomadaire. J’ai intégré ces cours au départ pour améliorer mon niveau oral en français, le français n’étant pas ma langue maternelle. J’ai choisi pour ce faire une école qui met l’accent sur le côté oral plutôt que le côté corporel, et dont le travail est basé sur un répertoire plutôt classique. Le côté oral m’intéressait pour mon français, et le répertoire classique m’intéressait pour plusieurs raisons : parce que ça permettait de découvrir de grands textes, ça garantissait une certaine rigueur pédagogique (les deux souvent vont de pair), et ça évitait de devoir faire des pitreries du genre “maintenant, vous allez jouer un asperge” ou verser dans la vulgarité. Outre cela, j’avais l’intention au travers de ces cours de conquérir ma timidité et d’améliorer ma prise de parole en public. Cinq ans plus tard, je peux vous dire que j’ai fait des progrès importants dans tous ces domaines, mais j’en ai fait d’autres également : ça a permis de travailler la mémoire, la concentration, et le décryptage des textes aussi. Sur ce dernier, je voudrais dire que, s’il n’y a pas forcément une seule bonne manière de jouer un rôle, il y en a certainement de mauvaises, et une lecture minutieuse est nécessaire si on veut être fidèle au texte. On ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi sous prétexte de vouloir “s’exprimer”. Cela renvoie d’ailleurs à ce que je disais plus haut : un mauvais acteur peut se passer d’une lecture minutieuse parce qu’en fin de compte il est là pour se servir soi-même, et non pas servir l’œuvre.

    [Je ne pense pas que De Gaulle soit jamais monté sur les planches, ou ait caressé le rêve de jouer une pièce écrite par quelqu’un d’autre devant un public… encore une fois, ce n’est pas la même chose d’apprécier le théâtre en spectateur que de s’imaginer en acteur…]

    Oui, De Gaulle concevait sa vocation en d’autres termes, et avait le sens du devoir beaucoup plus développé que Macron. C’est le moins qu’on puisse dire.

    [Les politiciens pour qui la politique avait une dimension tragique ne pouvaient pas confondre la réalité avec une mise en scène. De Gaulle, mais aussi Pompidou, Giscard, Mitterrand et même Chirac appartiennent à des générations qui avait une conscience aigue que la politique, c’était de la chair et du sang, et pas seulement du papier. Ils ont tous vécu les guerres, ils ont tous vu comment les erreurs politiques peuvent faire des morts et des blessés.]

    C’est tout à fait vrai, mais je rajouterais une chose : une fois qu’on a organisé notre propre impuissance, quels leviers nous restent-ils ? Ceux de la communication. Autant dire, pas grand-chose. Et Macron avec son amour du théâtre est loin d’être seul dans ce cas. Je dirais une dernière chose. Tout homme d’état, tout homme politique en somme, cultive une certaine image publique, et c’est normal. On ne se présente pas devant le peuple ou devant des hommes d’état de pays étranger de la même façon qu’on se présente devant ses proches. La particularité de Macron, c’est que, comme tout acteur, il cherche à diversifier les rôles qu’il joue : tantôt on le voit martial, tantôt compatissant ; ici il cultive la verticalité, là  plutôt la familiarité, et ainsi de suite.

    • Descartes dit :

      @ KerSer

      [Les deux, mon Général ! Mais, en fin de compte, qu’importe ? Ce n’est pas moi qui confonds ma fonction de Président de la République avec une scène de théâtre. Plus sérieusement, ce que reproche à Macron, ce n’est pas tant sa volonté d’“incarner” sa fonction – ça, de toute façon, tous les grands hommes d’état le font, à leur façon – que le fait qu’il use de cette fonction comme d’un plateforme pour se mettre lui-même en valeur ou pour flatter son ego.]

      Je vais plus loin que vous. Le problème n’est pas tant qu’il veuille se mettre en valeur ou flatter son égo – après tout, beaucoup d’acteurs le font – mais qu’il confonde la tribune de l’Elysée avec les planches d’un théâtre. Ce qui revient à confondre illusion et réalité. Je ne reproche pas au président de se mettre en scène – ses prédécesseurs le faisaient aussi. Je lui reproche de s’imaginer qu’il peut dire ce qui lui passe par la tête comme si cela n’avait aucun effet sur le réel.

      [D’ailleurs, pour moi (et pour mal de grands comédiens aussi si j’en crois leurs écrits, entretiens, etc.), un grand comédien, c’est quelqu’un qui sait mettre en valeur un grand texte.]

      Vous ne vous attendez tout de même pas à ce que les comédiens dans leurs écrits et leurs entretiens avouent qu’ils montent sur les planches pour se mettre en valeur ou pour flatter leur égo… mais tous les grands acteurs – et tous les grands politiques – comprennent la différence qu’il y a entre les grandeurs et servitudes de qui porte la couronne sur les planches et de celui qui la porte dans la réalité. C’est cette différence-là que Macron ne comprend pas. Pour lui, l’illusion devient réalité dans la mesure où l’on y croit.

      Si je peux me permettre, je vais donner quelques précisions sur mon cas personnel, puisque vous m’avez posé la question. (…) Cinq ans plus tard, je peux vous dire que j’ai fait des progrès importants dans tous ces domaines, mais j’en ai fait d’autres également : ça a permis de travailler la mémoire, la concentration, et le décryptage des textes aussi.]

      Attention : je n’ai jamais dit que faire du théâtre n’apporte rien à ceux qui le font. Je ne suis pas contre le fait qu’on fasse faire du théâtre aux jeunes à l’école, à condition que ce soit fait sérieusement. Ce que j’ai dit, c’est que pour que faire du théâtre soit profitable, il faut avoir acquis un certain nombre de prérequis, par exemple en lecture et en compréhension d’un texte. Penser qu’on va contrer la baisse de niveau en imposant l’enseignement du théâtre comme matière obligatoire – enseignement qui sera fait par des enseignants qui n’ont aucune formation sérieuse dans ce domaine me semble absurde.

      [« Je ne pense pas que De Gaulle soit jamais monté sur les planches, ou ait caressé le rêve de jouer une pièce écrite par quelqu’un d’autre devant un public… encore une fois, ce n’est pas la même chose d’apprécier le théâtre en spectateur que de s’imaginer en acteur… » Oui, De Gaulle concevait sa vocation en d’autres termes, et avait le sens du devoir beaucoup plus développé que Macron. C’est le moins qu’on puisse dire.]

      Je pense surtout qu’il avait une conscience bien plus aigüe de la dimension tragique de la politique. Ayant participé à deux guerres mondiales, il savait que les décisions politiques engagent l’avenir du pays et de son peuple. C’est pourquoi on ne trouve pas chez lui – ni chez ses successeurs jusqu’à Chirac – cette légèreté qu’on trouve chez Macron.

      [C’est tout à fait vrai, mais je rajouterais une chose : une fois qu’on a organisé notre propre impuissance, quels leviers nous restent-ils ? Ceux de la communication.]

      Tout à fait. Il est d’ailleurs intéressant de voir comment nos élites politiques se defaits eux-mêmes de leur pouvoir : entre la décentralisation, la construction européenne, les privatisations et la création de toutes sortes d’autorités indépendantes, ils ont organisé leur propre impuissance, dilué leur pouvoir jusqu’à l’absurde. Pourquoi ? Peut-être parce qu’avec le pouvoir vient la responsabilité ? L’impuissance, c’est la garantie que personne ne vous demandera des comptes…

  16. Paul dit :

    Bonjour et félicitations pour cet article de fond.
    A propos de vide, celui des urnes parisiennes pour la “votation” concernant les SUV. 6% seulement de votants, et malgré ce, la maire de Paris valide les 51% des suffrages l’approuvant.
    Ca pourrait être simplement risible, mais je trouve que c’est symptomatique de ces classes favorisées urbaines qui s’approprient leur territoire, et l’interdisent aux autres ( il est prévu que les parisiens possédant un SUV ne soient pas concernés. J’ose espérer qu’un tel scrutin ne peut être validé institutionnellement ?

    • Descartes dit :

      @ Paul

      [A propos de vide, celui des urnes parisiennes pour la “votation” concernant les SUV. 6% seulement de votants, et malgré ce, la maire de Paris valide les 51% des suffrages l’approuvant.]

      Cette “votation” est une illustration de l’emprise de la “com” sur la politique. Le but de la municipalité n’était nullement de connaître l’opinion des parisiens mais de se montrer en train de les consulter. C’était un “coup de com”, et un “coup” largement raté, malgré l’effort des médias qui publient en titre “les parisiens ont voté contre les SUV” et réservent pour le bas de page les chiffres de la participation. Ce genre d’initiatives contribue d’ailleurs à affaiblir la crédibilité de la politique. Car les gens savent très bien distinguer une vraie consultation d’un simulacre, et se rendent bien compte qu’on les consulte sur les affaires secondaires, jamais sur les questions importantes. Personne n’a songé par exemple à les faire voter sur la ZFE…

      [Ca pourrait être simplement risible, mais je trouve que c’est symptomatique de ces classes favorisées urbaines qui s’approprient leur territoire, et l’interdisent aux autres (il est prévu que les parisiens possédant un SUV ne soient pas concernés). J’ose espérer qu’un tel scrutin ne peut être validé institutionnellement ?]

      La question de la légalité se pose en effet. Je ne suis pas persuadé qu’un arrêté qui ferait une distinction entre résidents et non-résident puisse être soutenue dès lors qu’il serait motivé par le besoin de tenir compte des dégâts causés à la voirie par les véhicules lourds… car si en droit les discriminations sont permises, elles doivent impérativement avoir un rapport avec l’objectif poursuivi.

      S’il s’agir de “consulter les parisiens”, la seule conclusion qu’on peut tirer est que les parisiens s’en foutent, et qu’ils sont très contents de laisser la décision à leurs élus.

      Ca pourrait être simplement risible, mais je trouve que c’est symptomatique de ces classes favorisées urbaines qui s’approprient leur territoire, et l’interdisent aux autres ( il est prévu que les parisiens possédant un SUV ne soient pas concernés. J’ose espérer qu’un tel scrutin ne peut être validé institutionnellement ?

  17. Jopari dit :

    En parlant de théâtre, ça me rappelle ce passage dans Globalia où Kate va voir un politicien pour lui demander de libérer son petit ami Baikal, détenu illégalement en essayant de quitter Globalia.
    Ce politicien lui dit que, dans le nouvel état global, il ne peut plus rien faire, tous les pouvoirs ayant été transférés de facto à une clique constituée des fondateurs du régime.

    Nous représentons, cela dit bien ce que cela veut dire.

  18. P2R dit :

    @ Descartes

    [Souvent dans le choix de ne pas reprendre la ferme familiale le revenu n’est qu’un critère parmi d’autres, la question du cadre de vie, de l’accès aux services et aux loisirs, bien meilleurs en ville, joue un rôle déterminant.]

    Je ne sais plus qui disait il y a peu que les avantages non-monétaires liés au travail agricole augmentaient significativement le confort de vie par rapport à un emploi salarié en zone urbaine.. Je crois que c’est cette même personne qui a réagi de manière épidermique quand j’ai parlé des contraintes géographiques du métier d’agriculteur.. Nom d’un chien, impossible de me rappeler où j’ai lû cela.

    [Vous avez des éléments chiffrés ? J’avais cru comprendre que les agriculteurs qui partent vers le salariat le font rarement dans le contexte agricole. Je n’ai pas trouvé de chiffres à ce sujet…]

    J’ai dit que la plupart partaient vers le salariat, pas spécifiquement le salariat agricole. Et le fait que certains restent dans le domaine agricole est un constat logique: d’une part la main d’oeuvre dans le secteur reste essentiellement de tradition paysanne, il y a très peu de “nouveaux arrivants” issus d’autres milieux professionnels, et par ailleurs, la concentration des exploitations fait qu’il y a de moins en moins de fermes, et que celles qui restent sont de plus en plus grosses, et emploient de plus en plus fréquemment des salariés. Dans un milieu professionnel relativement fermé, il est logique d’en conclure que cette translation existe bel et bien.

    [L’exemple des médecins est un mauvais exemple, parce que le médecin, même s’il a le statut juridique de salarié, n’en est pas un vraiment – au sens qu’il n’est pas soumis dans son travail à l’autorité hiérarchique de son employeur]

    Il n’empêche qu’il renonce à une partie de sa rémunération, à sa liberté d’organisation de son temps de travail, au choix de ses collaborateurs et de ses subordonnés en échange de quoi si ce n’est d’être déchargé de toutes les tâches liées au fait d’être indépendant ?

    [ Vous avez la référence de cette étude ? ]

    Une parmi d’autres
    https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjdiKC60ZeEAxVGT6QEHQN9Ck4QFnoECA4QAw&url=https%3A%2F%2Fidele.fr%2Ffileadmin%2Fmedias%2FDocuments%2FRMT_Travail%2FTravail_d_astreinte_en_elevage_laitier.pdf&usg=AOvVaw3BIZuLeMlPeJZ8Q-z1SLgi&opi=89978449

    Je porte à votre attention qu’il s’agit d’un document professionnel qui n’est pas à destination du grand public, donc peu suspect de “gonfler les chiffres”. Ces chiffres sont d’ailleurs cohérents avec ce qu’on peut trouver sur d’autres documents issus des chambres d’agricultures, et également sur des formulaires commerciaux d’outils ayant pour but de réduire ce temps d’astreinte. Page 3 et 4 vous trouvez le temps d’astreinte par personne (UTH) pour les saisons estivales et hivernales, en fonction du type d’exploitation. Le temps d’astreinte/UTH est d’environ 30h/semaine en hiver et 24h/semaine aux beaux jours. Notez que c’est au printemps que l’on récolte le foin pour passer l’été, et que la baisse du travail d’astreinte est donc largement compensée par les travaux des champs. Notez également que ce temps d’astreinte ne disparait pas par magie 5 semaines par an.. et que si un exploitant vient faire votre travail d’astreinte à votre place en plus de celui de sa propre exploitation, il vous faudra lui rendre la pareille.

    [Vous ne choisissez peut-être pas de façon discrétionnaire, mais vous avez une marge de manœuvre bien plus grande que celui de la plupart des salariés. Si vous voulez commencer vos labours à 8h15 plutôt qu’à 8h, vous le faites. Si vous voulez faire votre pause à 11h30 plutôt qu’à 11h, vous le faites. Quand vous êtes instituteur ou caissier dans un supermarché, vous n’avez pas cette liberté.]

    Quand vous êtes caissier dans un supermarché ou instituteur, vous ne risquez pas d’être appelé au boulot à 4h du matin parce qu’une vache est en train de mettre bas ou de devoir bosser 60h en trois jours parce que la météo annonce de la flotte à la fin de la semaine. Je trouve que face à cela, la liberté de commencer à 8h15 plutôt qu’à 8h00 n’est pas un avantage très significatif. Mais passons..

    [C’est bien ce que j’avais compris. C’est le choix de la désindustrialisation, qui touche autant la manufacture que l’agriculture. Conséquence : on ne garde que les productions de luxe… qui sont toujours produites de manière artisanale…]

    Non ! C’est bien pire que ça.
    Reprenons: depuis les années 50, via la FNSEA et la JAC (dont le rôle fut majeur) on a incité les cultivateurs et éleveurs à s’équiper, à se spécialiser, à se regrouper, à avoir une approche toujours plus rationnelle et technologique, avec l’immense succès que l’on sait, notre pays devenant l’un des plus gros exportateurs mondiaux, supplantée uniquement par des pays dont le territoire fait plusieurs fois la superficie du notre. Notre agriculture a fait ce saut en avant, pour paraphraser quelqu’un qui pourtant ne s’y connaissait pas trop. Elle s’est progressivement industrialisée, et ce dès les trente glorieuses ! Et mieux que ça, elle l’a fait en gardant un système répondant à la fois aux exigences productivistes du capitalisme, et en résistant à la création d’empires gérés par des actionnaires (le modèle ukrainien actuel par excellence), en particulier grâce au système des regroupements de producteurs en coopératives, dont un des rôles crucial a été de mettre à disposition de leurs adhérents des techniciens et des ingénieurs au fait des technologies avancées et des systèmes de production de pointe, qui ont sillonné les exploitations pendant des décennies pour aider les agriculteurs “ancienne école” à franchir le cap de la modernité.
    Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que les pouvoirs publics ont sommé ces mêmes agriculteurs, qui avaient modernisé leur outil de travail et qui étaient hautement compétitifs, de retourner à l’artisanat. D’un côté, on a subventionné à gogo ce retournement, de l’autre on a fait d’intenses campagnes de dénigrement de l’agriculture “intensive”. Et on a pondu des tas de normes pour forcer cette “montée en gamme”, le plus souvent en surtransposant les recommandations de Bruxelles. Beaucoup d’agriculteurs ont joué le jeu, pas par idéalisme mais parce que c’était ce qu’on leur demandait, et que “qui paie décide”. Comme si on avait d’un coup subventionné Alstom pour stopper la production de TGV et se remettre à faire des machines à vapeur avec des wagons en fer forgé et marqueterie, parce que, vous comprenez, c’est tellement plus charmant, et puis c’est l’avenir, la vitesse, c’est dépassé. Ou comme si on avait demandé à EDF de remplacer ses centrales nucléaires par des moulins à vent..
    Seulement les consommateurs n’ont pas suivi, parce que le budget des ménages est ce qu’il est. Faute de débouchés, les prix du bio se sont effondrés et les exploitants bios se retrouvent sur la paille, c’est le cas de le dire ! Et la meilleure, c’est que ce sont les agriculteurs (français !) qui n’ont PAS fait la conversion qui s’en sortent le mieux, parce qu’aujourd’hui, le prix du litre de lait bio (français !) est quasiment descendu au niveau de celui du litre de lait conventionnel.. alors que son coût de production est bien plus élevé ! (Il est même arrivé que par effet d’inertie le prix du lait bio soit passé SOUS celui du lait conventionnel !). C’est ce processus là qui a fait péter un plomb aux agriculteurs ces derniers jours. C’est la goutte d’eau. Et tout le reste est remonté, en particulier tout ce qui a trait au “green deal” européen, avec ses projets de 10% des terres agricoles en jachère, et à la surtransposition des normes bruxelloises en France (dont l’interdiction du glyphosate est l’exemple le plus marquant).

    [C’est qu’il y a entre les deux situations une différence fondamentale. Ceux qui défendent la filière EDF défendent une filière moderne, produisant une énergie sûre, abondante et bon marché. Ceux qui défendent les agriculteurs défendent au contraire une « agriculture paysanne » rétrograde]

    Là, je suis désolé, mais vous êtes à côté de la plaque. Qu’au 20h on ait été chercher le paysan à moustaches qui passe bien à la télé, soit, mais n’oubliez pas que le mouvement a été à la main de la FNSEA, le syndicat agricole le plus favorable à une approche productiviste de l’agriculture, alors que les partisans de l’agriculture rétrograde, j’ai nommé la Confédération Paysanne, est restée le cul entre deux chaises, et même si elle a bien tenté de se rattacher au mouvement sur le tard, ce fut par pur opportunisme, et ça a fait flop. J’en prends également pour preuve que parmi les mesures annoncées qui ont permis de lever les blocages, on trouve un moratoire sur l’interdiction de produits phytosanitaires et sur la mise en jachères obligatoire. Et vous remarquerez que nos écolos et paysans artisanaux sont maintenant vent debout contre ces mesures en faveur de l’agriculture productiviste. Eux auraient préféré des mesures protectionnistes. Paradoxe, quand tu nous tiens..

     

    • Descartes dit :

      @ P2R

      [« Souvent dans le choix de ne pas reprendre la ferme familiale le revenu n’est qu’un critère parmi d’autres, la question du cadre de vie, de l’accès aux services et aux loisirs, bien meilleurs en ville, joue un rôle déterminant. » Je ne sais plus qui disait il y a peu que les avantages non-monétaires liés au travail agricole augmentaient significativement le confort de vie par rapport à un emploi salarié en zone urbaine… Je crois que c’est cette même personne qui a réagi de manière épidermique quand j’ai parlé des contraintes géographiques du métier d’agriculteur… Nom d’un chien, impossible de me rappeler où j’ai lû cela.]

      Je vais aider votre mémoire défaillante : nulle part. Votre ironie serait plus efficace si au préalable vous ne mettiez pas sous ma plume des paroles que ne s’y trouvent pas. Je n’ai jamais parlé de « confort de vie ». Comme je l’ai déjà dit plus haut, j’ai parlé de NIVEAU DE VIE, qui est une notion statistique proche du REVENU. Rien à voir avec le « confort de vie », notion éminemment subjective. Il y a des gens qui estiment que pour leur « confort de vie » le fait de pouvoir contempler un ciel étoilé ou manger les carottes du jardin vaut tous les avantages des musées et des cinémas parisiens. Ce n’est pas mon avis à moi.

      De même, beaucoup de métiers ouvriers ont des « contraintes géographiques ». Si vous êtes opérateur en centrale nucléaire, vous êtes obligé d’aller là où il y a une centrale nucléaire – et elles sont rarement proches des grandes villes. Si vous êtes marin, vous aurez du mal à exercer votre métier à Clermont-Ferrand. Si vous êtes mineur, vous exercerez difficilement vos talents là où il n’y a pas de mine.

      [J’ai dit que la plupart partaient vers le salariat, pas spécifiquement le salariat agricole. Et le fait que certains restent dans le domaine agricole est un constat logique: d’une part la main d’oeuvre dans le secteur reste essentiellement de tradition paysanne, il y a très peu de “nouveaux arrivants” issus d’autres milieux professionnels, et par ailleurs, la concentration des exploitations fait qu’il y a de moins en moins de fermes, et que celles qui restent sont de plus en plus grosses, et emploient de plus en plus fréquemment des salariés. Dans un milieu professionnel relativement fermé, il est logique d’en conclure que cette translation existe bel et bien.]

      Je ne sais pas. La réduction du nombre d’exploitations se traduit par une concentration et une augmentation de la productivité, donc une demande de main d’œuvre à la baisse. Je ne sais pas si la demande de main d’œuvre permet aux enfants des paysans qui abandonnent l’exploitation parentale de devenir ouvriers agricoles… et par ailleurs, il n’est nullement évident qu’ils souhaitent dans un milieu rural qui se dépeuple.

      [« L’exemple des médecins est un mauvais exemple, parce que le médecin, même s’il a le statut juridique de salarié, n’en est pas un vraiment – au sens qu’il n’est pas soumis dans son travail à l’autorité hiérarchique de son employeur » Il n’empêche qu’il renonce à une partie de sa rémunération, à sa liberté d’organisation de son temps de travail, au choix de ses collaborateurs et de ses subordonnés en échange de quoi si ce n’est d’être déchargé de toutes les tâches liées au fait d’être indépendant ?]

      Pas tout à fait : en fait, il ne fait que « mutualiser » une partie des services support – secrétariat, fluides, locaux, infirmiers. Mais l’essence du salariat tient au fait que l’ouvrier ne vend pas son TRAVAIL, il vend sa FORCE DE TRAVAIL, dont l’employeur fait ce qu’il veut. Ce n’est pas le cas du médecin qui, même s’il est administrativement « salarié », garde une totale indépendance dans son travail. Il peut librement choisir ses méthodes, il est libre dans son diagnostic et dans ses prescriptions.

      [Je porte à votre attention qu’il s’agit d’un document professionnel qui n’est pas à destination du grand public, donc peu suspect de “gonfler les chiffres”.]

      Je trouve cette étude très intéressante. D’abord, elle confirme mon opinion sur la saisonnalité du temps de travail : on voit que la variation des astreintes entre le printemps et l’hiver est supérieure à 30%. Ensuite, je note une très grande variabilité dans la durée d’astreinte selon les exploitations : par vache, elle peut varier de 27 à 72 minutes pour la traite manuelle, de 14 à 66 minutes pour la traite robotisée en hiver (au printemps, les chiffres sont inférieurs mais l’écart demeure). Un écart que le texte n’explique pas mais qui me semble indiquer que les processus sont très loin d’être optimisés, et qu’accessoirement si on allait vers une optimisation on aurait des temps d’astreinte relativement faible… 14 minutes par vache et par semaine, pour un cheptel moyen de 94 vaches/UTH, cela fait 21h/semaine.

      En fait, cette sous-optimisation peut s’expliquer par le prix de l’heure de main d’œuvre libérée. Le paysan (surtout quand il exploite en couple) a-t-il un intérêt à optimiser les processus – ce qui suppose un investissement – pour libérer du temps de loisir ? Compte tenu de ses possibilités d’utiliser ses loisirs, on peut en douter. Il y a intérêt par contre lorsqu’il a un salarié… et c’est peut-être ce qui explique la variabilité entre le temps d’astreinte des exploitations « en individuel » (qui ont plus de chance d’avoir des salariés) que celles exploitant « ne couple » : le temps d’astreinte par vache passe de 38 min/semaine en moyenne à 52 min/semaine…

      Autrement dit, on peut dire que les temps d’astreinte importants des paysans tiennent pour une partie à une organisation du travail qui privilégie l’intensité plutôt que la réduction du temps de travail. Et c’est logique : si je vivais dans mon bureau, si le temps que je récupère en optimisant mon travail je devais le passer à regarder la télé… moi aussi j’étalerais !

      [Notez que c’est au printemps que l’on récolte le foin pour passer l’été, et que la baisse du travail d’astreinte est donc largement compensée par les travaux des champs.]

      Encore faudrait-il que ce soit les mêmes personnes. Le document en question ne fournit aucune donnée sur le temps de travail total, ni sur la distribution entre les ouvriers agricoles et les exploitants propriétaires.

      [Notez également que ce temps d’astreinte ne disparait pas par magie 5 semaines par an.. et que si un exploitant vient faire votre travail d’astreinte à votre place en plus de celui de sa propre exploitation, il vous faudra lui rendre la pareille.]

      Je vous fais gentiment remarquer que c’est la même chose dans mon travail. Si un collègue part cinq semaines par an, on ne laisse pas ses dossiers dormir pendant ce temps-là… et si on ne les laisse pas dormir, c’est parce qu’il y a quelqu’un qui s’en occupe !

      [« Vous ne choisissez peut-être pas de façon discrétionnaire, mais vous avez une marge de manœuvre bien plus grande que celui de la plupart des salariés. Si vous voulez commencer vos labours à 8h15 plutôt qu’à 8h, vous le faites. Si vous voulez faire votre pause à 11h30 plutôt qu’à 11h, vous le faites. Quand vous êtes instituteur ou caissier dans un supermarché, vous n’avez pas cette liberté. » Quand vous êtes caissier dans un supermarché ou instituteur, vous ne risquez pas d’être appelé au boulot à 4h du matin parce qu’une vache est en train de mettre bas]

      Quand vous êtes céréalier ou arboriculteur, non plus. Vous ne pouvez pas ramener l’ensemble de l’agriculture aux éleveurs. Et parmi les salariés, il y en a pas mal qui peuvent être appelés à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, pensez par exemple aux astreintes des centrales nucléaires ou de la SNCF.

      [ou de devoir bosser 60h en trois jours parce que la météo annonce de la flotte à la fin de la semaine.]

      Là encore, je vous invite à consulter les temps de travail des agents des centrales nucléaires quand la météo provoque un pic de consommation et qu’il y a des risques de délestage…

      [Je trouve que face à cela, la liberté de commencer à 8h15 plutôt qu’à 8h00 n’est pas un avantage très significatif. Mais passons…]

      Vous, peut-être pas. Mais les milliers de salariés à qui on retient une heure de paye pour un quart d’heure de retard (quand ce n’est pas une demie journée) et qui peuvent eux aussi être appelés en astreinte ou dépasser allégrement les horaires normaux de travail auront peut-être une opinion différente.

      [« C’est bien ce que j’avais compris. C’est le choix de la désindustrialisation, qui touche autant la manufacture que l’agriculture. Conséquence : on ne garde que les productions de luxe… qui sont toujours produites de manière artisanale… » Non ! C’est bien pire que ça.]

      Je me suis mal exprimé. Ce que je voulais dire, c’est qu’on est en train de faire à l’agriculture ce qu’on a fait à l’industrie : l’ouvrir à la compétition avec des pays à faibles coûts, et lui mettre toutes sortes de contraintes. Le résultat est une délocalisation vers d’autres cieux des productions, ne restant chez nous que le « luxe ». Je pense que nous sommes d’accord là-dessus.

      [Reprenons : depuis les années 50, via la FNSEA et la JAC (dont le rôle fut majeur) on a incité les cultivateurs et éleveurs à s’équiper, à se spécialiser, à se regrouper, à avoir une approche toujours plus rationnelle et technologique, avec l’immense succès que l’on sait, notre pays devenant l’un des plus gros exportateurs mondiaux, supplantée uniquement par des pays dont le territoire fait plusieurs fois la superficie du notre. Notre agriculture a fait ce saut en avant, pour paraphraser quelqu’un qui pourtant ne s’y connaissait pas trop. Elle s’est progressivement industrialisée, et ce dès les trente glorieuses !]

      Oui… dans certains secteurs. Mais la révolution a été inachevée pour beaucoup d’autres, où l’on est resté sur des exploitations probablement trop petites avec des degrés de modernisation variables. L’étude que vous avez proposée concernant l’élevage laitier, qui montre une énorme dispersion de la productivité du travail, illustre le fait que la standardisation industrielle est très loin d’être achevée.

      [Et mieux que ça, elle l’a fait en gardant un système répondant à la fois aux exigences productivistes du capitalisme, et en résistant à la création d’empires gérés par des actionnaires (le modèle ukrainien actuel par excellence), en particulier grâce au système des regroupements de producteurs en coopératives, dont un des rôles crucial a été de mettre à disposition de leurs adhérents des techniciens et des ingénieurs au fait des technologies avancées et des systèmes de production de pointe, qui ont sillonné les exploitations pendant des décennies pour aider les agriculteurs “ancienne école” à franchir le cap de la modernité.]

      Oui, sauf que ce système tend à préserver une forme de logique artisanale, celle du petit propriétaire « maître chez lui ». Si les coopératives ont joué un rôle très important – et il ne faut pas non plus réduire celui joué par l’Etat à travers l’INRA, institution fort discrète dont on devrait mettre plus en avant les travaux – il ne faut pas non plus se voiler la face sur le fait que ce système a permis à une modernisation tout en ralentissant son déploiement.

      [Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que les pouvoirs publics ont sommé ces mêmes agriculteurs, qui avaient modernisé leur outil de travail et qui étaient hautement compétitifs, de retourner à l’artisanat.]

      Oui, mais c’est un mouvement qui touche autant l’industrie que l’agriculture. Cela fait partie de la schizophrénie des classes intermédiaires, qui adorent les produits de la modernité tout en crachant sur les processus qui la rendent possible. On adore le « petit producteur » et la locomotive à vapeur, mais on veut des prix bas et le TGV…

      [« C’est qu’il y a entre les deux situations une différence fondamentale. Ceux qui défendent la filière EDF défendent une filière moderne, produisant une énergie sûre, abondante et bon marché. Ceux qui défendent les agriculteurs défendent au contraire une « agriculture paysanne » rétrograde » Là, je suis désolé, mais vous êtes à côté de la plaque. Qu’au 20h on ait été chercher le paysan à moustaches qui passe bien à la télé, soit, mais n’oubliez pas que le mouvement a été à la main de la FNSEA, le syndicat agricole le plus favorable à une approche productiviste de l’agriculture,]

      Vous noterez tout de même que l’un des slogans répétés à propos et hors de propos lors de ce mouvement a été la baisse continue du nombre d’exploitations, alors que cette baisse est NORMALE dans un processus d’industrialisation et de concentration. Pourquoi un syndicat qui se veut, comme vous dites, « productiviste », utiliserait un tel argument. Le problème ici est que la FNSEA n’est pas homogène, et que si son approche est en général productiviste, elle n’est pas foncièrement industrialiste – ou du moins doit tenir compte d’une base sociale qui ne l’est pas forcément. Le paysan à moustaches est peut-être le leader d’un mouvement marginal, mais suffisamment fort pour que la FNSEA ait eu peur de se faire déborder…

      [J’en prends également pour preuve que parmi les mesures annoncées qui ont permis de lever les blocages, on trouve un moratoire sur l’interdiction de produits phytosanitaires et sur la mise en jachères obligatoire. Et vous remarquerez que nos écolos et paysans artisanaux sont maintenant vent debout contre ces mesures en faveur de l’agriculture productiviste. Eux auraient préféré des mesures protectionnistes. Paradoxe, quand tu nous tiens…]

      C’était bien mon point. Les paysans artisanaux sont écrasés par la logique capitaliste : leur productivité est trop faible pour pouvoir concurrencer les produits venus d’ailleurs ou ceux d’une agriculture modernisée et concentrée. Leur seule chance de survie, c’est d’aller là où l’industrie ne peut les suivre, la « montée en gamme », et le protectionnisme pour ne pas entrer en compétition avec le « haut de gamme » venu d’ailleurs. Le problème est que, comme vous l’avez bien dit, la montée en gamme réduit le spectre des acheteurs potentiels, surtout en période de haute inflation…

  19. Magpoul dit :

    Bonsoir !
    Je suis en pleine lecture de “Notre jeunesse” de Charles Péguy. J’ai cru comprendre que vous étiez familier avec son œuvre. Ce qui m’intéresse, c’est votre pensée sur la nécessité d’une “transcendance” pour maintenir un collectif à flot. Péguy utilise, lui, le terme de “mystique” abondamment dans son ouvrage. J’ai cherché une définition de ce terme et n’ai pas vraiment trouvé autre chose que celle du Larousse: “Qui proclame et défend son idéal avec exaltation”. 
    J’ai tendance à penser que votre idée de transcendance et celle de mystique de Péguy font pourtant référence au même concept. J’entends par là, une sorte d’idée pure et supérieure, qui dépasse l’individu et le pousse à s’exalter pour une cause. Je remarque que le Général De Gaulle, qui avait une “certaine idée de la France”, adoptait également ce concept. Il me semble qu’il était lecteur de Péguy, d’ailleurs. Qu’en pensez-vous? 
    J’en viens à une autre question: comment concilier, pour un esprit matérialiste et rationnel, la nécessité de maintenir une mystique, ou une transcendance, alors qu’il tente de comprendre le monde le plus “froidement possible”, par la matière et la raison. La mystique, la transcendance, sont des concepts qui semblent s’affilier aux émotions et aux sens. Une mystique peut-être être autre chose qu’une émotion? Une sensation de grandeur et d’humilité? J’ai toujours pensé que les émotions étaient ennemi du raisonnement et de la pensée logique, et qu’il fallait s’en éloigner le plus possible. Pourtant, il est difficile de penser que sans cette transcendance, ou cette mystique française, il y aurait eu un De Gaulle. Alors, comment trouver le point d’équilibre?
    Finalement, un constat qui rejoint votre article: Macron et Attal, toute cette classe politique qui tient le pays, semble avoir abandonné le principe même de mystique. Péguy décriait à l’époque la trahison de la mystique par les politiques. Pour nous, il n’y a même plus de trahison, car il n’y a plus rien, plus d’idées de transcendance. Tout cela est “ringard”. La société qui nait de tout cela est embourbée dans l’inaction et incapable de s’aimer. 

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Je suis en pleine lecture de “Notre jeunesse” de Charles Péguy. J’ai cru comprendre que vous étiez familier avec son œuvre.]

      « Familier », c’est beaucoup dire… J’ai lu il y a bien longtemps Péguy et ce n’est pas vraiment un auteur auquel je reviens régulièrement.

      [Ce qui m’intéresse, c’est votre pensée sur la nécessité d’une “transcendance” pour maintenir un collectif à flot. Péguy utilise, lui, le terme de “mystique” abondamment dans son ouvrage. J’ai cherché une définition de ce terme et n’ai pas vraiment trouvé autre chose que celle du Larousse: “Qui proclame et défend son idéal avec exaltation”.]

      Je pense que vous avez regardé la définition de ce qu’est « UN mystique » et non pas « UNE mystique ». Ce sont deux choses très différentes. Je suis allé regarder le Robert : « mystique : (nom féminin) : système d’affirmations absolues à propos de ce à quoi on attribue une vertu suprême ». Et en tant qu’adjectif : « relatif au mystère, à une croyance cachée supérieure à la raison ».

      [J’ai tendance à penser que votre idée de transcendance et celle de mystique de Péguy font pourtant référence au même concept. J’entends par là, une sorte d’idée pure et supérieure, qui dépasse l’individu et le pousse à s’exalter pour une cause.]

      Jusqu’à un certain point, oui. Mais ma transcendance à moi est purement sociale, alors que la mystique de Péguy prend un caractère religieux. Mon point de vue est plus matérialiste, et fait de cette transcendance une « fiction nécessaire » au bon fonctionnement des sociétés humaines, alors que pour Peguy elle a une réalité.

      [Je remarque que le Général De Gaulle, qui avait une “certaine idée de la France”, adoptait également ce concept. Il me semble qu’il était lecteur de Péguy, d’ailleurs. Qu’en pensez-vous ?]

      De Gaulle est un grand lecteur de Péguy, et toute sa pensée politique en est marquée. La différence qu’il faisait entre « ceux qui vivent pour la République et ceux qui en vivent » et la méfiance envers la politique professionnelle qui l’a accompagnée toute sa vie est un bon exemple. Mais Péguy n’est pas la seule voix à se lever en ce début du XXème siècle pour dénoncer la transformation de la République « mystique » de la fin du XIXème en « République des affaires » au début du XXème. Et pas tous avec des bonnes intentions – pensez par exemple à Maurras. C’est d’ailleurs une constante dans notre histoire : notre système politique donne ses meilleurs fruits quand il est en crise, quand des ennemis puissants l’obligent à être sur le qui-vive. A ces moments-là, il est capable en général d’invoquer une « mystique ». Mais dès qu’il se stabilise, qu’il n’a plus d’adversaires à l’horizon, il dégénère…

      [J’en viens à une autre question: comment concilier, pour un esprit matérialiste et rationnel, la nécessité de maintenir une mystique, ou une transcendance, alors qu’il tente de comprendre le monde le plus “froidement possible”, par la matière et la raison.]

      Vous me rappelez une citation que j’avais retenue et donc je ne connais pas l’auteur. Je cite de mémoire : « Le docteur X m’avait expliqué qu’avant de se suicider par une injection de morphine, il fallait désinfecter soigneusement l’aiguille pour éviter une septicémie. Nous savons tous que nous devons mourir un jour, mais le savoir est une chose, et le croire, une autre. »

      Il y a, dans toute vie sociale, quantité de choses auxquelles nous « croyons », au sens que nous agissons comme si elles étaient vraies, alors que nous « savons » rationnellement qu’elles sont fausses. Nous continuons à croire à la générosité humaine alors que l’expérience quotidienne dément largement cette croyance…

      Je ne pense pas qu’il puisse y avoir en notre temps des vrais mystiques, comme au moyen-âge. Et que les rares qui restent sont particulièrement dangereux parce qu’ils veulent nous y ramener. Les mystiques d’aujourd’hui sont ceux qui savent gérer la dichotomie entre raison et sentiment. C’est pourquoi ils sont souvent cyniques. De Gaulle – et d’une façon général le gaullisme – est de ce point de vue un exemple remarquable. Il pouvait à la fois avoir « une certaine idée de la France » et constater que les Français n’étaient pas, loin s’en faut, conformes à cette « idée ». Un ancien de la France Libre racontait que, lorsqu’il remontait la vallée du Rhône avec les troupes françaises qui avaient débarqué en Provence, un maire avait eu l’outrecuidance de vouloir leur faire payer l’eau de sa fontaine. Et il concluait « je me suis battu pour la France, pas pour les Français ». C’est peut-être la formule qui résume le mieux cette capacité de l’esprit humain de travailler à la fois dans les deux plans, celui des faits matériels et celui des idées.

      [La mystique, la transcendance, sont des concepts qui semblent s’affilier aux émotions et aux sens. Une mystique peut-être être autre chose qu’une émotion ? Une sensation de grandeur et d’humilité ? J’ai toujours pensé que les émotions étaient ennemi du raisonnement et de la pensée logique, et qu’il fallait s’en éloigner le plus possible. Pourtant, il est difficile de penser que sans cette transcendance, ou cette mystique française, il y aurait eu un De Gaulle. Alors, comment trouver le point d’équilibre ?]

      Il y a des domaines qu’on réserve aux émotions, et d’autres où doit gouverner la raison. Préserver une mystique implique de les maintenir soigneusement séparés. Pour ne donner qu’un exemple, il ne faut pas que le discours sur l’histoire qu’on tient dans un cours universitaire soit le même qu’on tient dans une cérémonie d’hommage aux morts. Il y a l’histoire d’un côté, la légende de l’autre, et ils n’appartiennent pas au même ordre de choses. Et les gens savent très bien vivre avec les deux : des générations de petits Français qui n’avaient de toute évidence pas d’ancêtres gaulois ont pu répéter la célèbre formule sans que cela leur pose de grands problèmes, au contraire.

      [Finalement, un constat qui rejoint votre article: Macron et Attal, toute cette classe politique qui tient le pays, semble avoir abandonné le principe même de mystique.]

      Oui, mais rejeter la faute sur Macron et Attal, c’est les parer d’un costume bien trop grand pour eux. Macron et Attal ne sont que le produit d’une évolution qui commence avec la fin des « trente glorieuses » et dont le point d’inflexion symbolique est mai 1968. C’est à cette époque qu’on commence à remettre en cause les mythes, qu’on commence à déboulonner les statues, à expliquer que Colbert était raciste, Napoléon un assassin de masse, et que les Français de l’an 1940 n’étaient pas, loin s’en faut, des résistants. Or, la mystique nécessite des mythes et des héros. Au fond, peu importe ce que Colbert ou Napoléon étaient vraiment. Ils sont morts et enterrés, et ne peuvent plus rien faire. Ce qui importe, c’est ce qu’on en fait d’eux, de quelle symbolique on les investit. En les réduisant à leur dimension humaine, on s’interdit justement cette dimension symbolique essentielle à la transcendance.

      [Péguy décriait à l’époque la trahison de la mystique par les politiques. Pour nous, il n’y a même plus de trahison, car il n’y a plus rien, plus d’idées de transcendance. Tout cela est “ringard”.]

      Paraphrasant une célèbre formule, « c’est le capitalisme, idiot ! ». Marx notait déjà en 1848 comment le développement du capitalisme allait « noyer l’extase mystique dans les eaux froides du calcul égoïste », et on n’a rien écrit de plus intelligent sur la question depuis. Tant qu’il y avait des mystiques puissantes en face – et notamment la mystique communiste – le capitalisme s’est forcé à trouver lui-même des mystiques pour lui opposer : on a eu celle de la « liberté » dans les années 1950, celle des « droits de l’homme » dans les années 1970, celle de la « construction européenne » dans les années 1980. Mais depuis la chute du Mur et la « fin de l’histoire », le capitalisme ne se sent même pas le besoin d’aller construire une transcendance quelconque.

      [La société qui nait de tout cela est embourbée dans l’inaction et incapable de s’aimer.]

      Thatcher l’avait déjà annoncé : « il n’y a pas de société, il n’y a que des individus et des familles ». Pourquoi voulez-vous que des gens qui ne se connaissent pas « s’aiment » ?

      • François dit :

        @Descartes
        [Marx notait déjà en 1848 comment le développement du capitalisme allait « noyer l’extase mystique dans les eaux froides du calcul égoïste », et on n’a rien écrit de plus intelligent sur la question depuis.]
        Vous aimez utiliser cette formule du fameux barbu. Permettez moi, à défaut de la contredire, de fortement la nuancer.
         
        Attachons nous en premier lieu sur l’adjectif « égoïste » qui serait donc une marque de fabrique de l’émergence du capitalisme. Est « égoïste » toute personne qui fait absolument primer ses intérêts personnels sur ceux d’autrui, souvent en s’asseyant sur les considérations morales les plus élémentaires. Et disons le, je ne vois pas pourquoi l’émergence du capitalisme aurait rendu les hommes plus égoïstes. Je ne vois pas en quoi le propriétaire romain d’un latifundium traitant ses esclaves comme des biens mobiliers aurait été plus vertueux qu’un propriétaire d’une forge considérant la force de travail vendue par ses salariés comme une marchandise comme une autre. Je vois pas en quoi un Crassus, un Cortès, auraient été moins cupides qu’un Carnegie ou un Musk.
        C’est que la psychologie humaine a été façonnée par la sélection naturelle, et qu’accumuler des biens en toutes sortes (nourriture, etc) est un bon moyen d’assurer la transmission de son capital génétique et si possible en en faisant le moins possible. Mais cette sélection naturelle a par ailleurs sélectionné le trait d’empathie, car aider quelqu’un dans une mauvaise passe et le meilleur moyen de s’assurer qu’en retour qu’il fasse de même. Plus fondamentalement la (sur)vie n’est pas forcément un jeu à somme nulle et c’est pour cela que les caractères de coopération ont été sélectionnés.
        Ainsi, la nature humaine est faite de sentiments contradictoires, à la foi égoïstes et altruistes, la culture se tachant seulement de les moduler. Et globalement, j’ai quand même l’impression que la période des années 80 où l’on vouait au nues les yuppies, celle où devenir riche sans aucune justification d’utilité sociale était admis, est quand même plutôt derrière nous. Même Musk se justifie par son projet (qu’il soit réaliste est une autre affaire) de lutter contre le réchauffement climatique avec Tesla, de faire quitter à l’humanité son berceau avec SpaceX.
        Et en France, je pense qu’on est quand même loin de l’affairisme qui régnait sous la IIIe République. Vous mêmes, vous dites que la haute fonction publique reste remplie de personne qui pensent sincèrement à l’intérêt général.
        Bref, il y a toujours eu des égoïstes, il y aura toujours des altruistes. Des libéraux froidement, rationnellement, utilitaristes comme Jérémy Bentham n’ont jamais dit que les hommes doivent se comportement de façon égoïste, sans aucune considération pour autrui.
         
        Attachons nous en second lieu sur l’expression « eaux froides du calcul ». Mais cela a tout à voir avec l’émergence de la pensée rationnelle. Quand le fonctionnement du monde nous était inconnu, et l’hypothèse qui paraissait la plus probable était celle d’une entité toute puissante dont il fallait ménager la susceptibilité, effectivement que l’on s’adonnait à l’« extase mystique » pour recevoir ici bas ses faveurs, et surtout dans l’au-delà. Mais à partir du moment où l’on a fini par se rendre compte que ce que l’on pensait être ses fureurs n’étaient que des mécanismes aléatoires qui n’avaient rien à voir avec sa volonté, que même notre existence en tant qu’homo sapiens est étrangère à sa volonté, inévitablement on finit par se douter à quoi il sert de chercher ses faveurs, à quoi il sert tout court.
        Tout comme avec la découverte des mécanismes régissant le fonctionnement du Monde, et même de la nature humaine (médecine, mais aussi sociologie, économie, etc), se pose la question de savoir comment en tirer le meilleur profit.
        Tout comme l’esprit de chevalerie était au fond une façon, certes sublimée, de montrer qui avait la plus grosse (pour obtenir les faveurs d’une gente demoiselle), à partir de moment où la guerre devenait rare (ou tout du moins se pratiquait d’une façon ou cet esprit devenait inutile), inévitablement il a finit par disparaître. Et ce qui s’en rapproche le plus en terme de soldats d’élite de nos jours, à savoir les commandos des forces spéciales, ont certes toujours courage et loyauté, mais ont complètement abandonné le panache pour agir de la façon la plus rationnelle, technique possible. Notons d’ailleurs qu’à la veille de 1789, l’aristocratie française était déjà bien décadente, bien loin de l’extase mystique (ce qui a donné du grain à moudre àn ceux qui voulaient sa chute).
         
        In fine, le « capitalisme » a naturellement émergé en Europe (et personnellement, je considère que depuis l’antiquité ce continent a toujours été (proto-)capitaliste), à partir du moment où ce continent a retrouvé une stabilité institutionnelle à la suite de la chute de l’Empire romain (notons que la première société anonyme, celle des Moulins du Bazacle a été fondée dès le XIIe siècle), mais surtout à la suite de la démystification du fonctionnement du monde. Et avec les politiques royales de mercantilisme (notons que les fameuses compagnies des indes étaient des entreprises privées, à but lucratif pour leurs actionnaires), le capitalisme n’a pas émergé comme un cheveu qui tombe dans la soupe, ce dernier ayant été sélectionné, car jugé comme le plus apte à créer des richesses.
        En conclusion, là où vous en référez à l’expression « eaux froides du calcul égoïste » de Karl Marx, je m’en réfère à l’expression « désenchantement du monde » de Max Weber. D’ailleurs au fond, le pari Pascalien était déjà une tentative (désespérée) de lutter contre le « désenchantement du monde » croissant à son époque.

        • Descartes dit :

          @ François

          [« Marx notait déjà en 1848 comment le développement du capitalisme allait « noyer l’extase mystique dans les eaux froides du calcul égoïste », et on n’a rien écrit de plus intelligent sur la question depuis. » Vous aimez utiliser cette formule du fameux barbu. Permettez moi, à défaut de la contredire, de fortement la nuancer.]

          Voyons les « nuances »…

          [Attachons-nous en premier lieu sur l’adjectif « égoïste » qui serait donc une marque de fabrique de l’émergence du capitalisme. Est « égoïste » toute personne qui fait absolument primer ses intérêts personnels sur ceux d’autrui, souvent en s’asseyant sur les considérations morales les plus élémentaires. Et disons-le, je ne vois pas pourquoi l’émergence du capitalisme aurait rendu les hommes plus égoïstes.]

          Moi non plus. Et je ne crois pas que Marx serait d’une opinion différente. Je pense que vous avez mal lu le texte. Marx ne dit pas que le capitalisme ait rendu les hommes plus égoïstes. Ce que Marx dit, c’est que sous les modes de production antérieurs, cet égoïsme était modéré et caché. Modéré par les « les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise », que le capitalisme a « noyés dans les eaux glacées du calcul égoïste ». Alors que sous les régimes antérieurs l’égoïsme est quelque chose qu’on cachait honteusement, le capitalisme en fait presque une vertu : « En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. »

          [C’est que la psychologie humaine a été façonnée par la sélection naturelle, et qu’accumuler des biens en toutes sortes (nourriture, etc) est un bon moyen d’assurer la transmission de son capital génétique et si possible en en faisant le moins possible.]

          C’est très discutable. L’homme est un animal social, et la sélection nationale privilégie donc les conduites qui augmentent les chances de survie du groupe, et non de chaque individu. Il n’y a donc aucune raison que la sélection naturelle privilégie « l’accumulation INDIVIDUELLE de biens de toutes sortes ». Les animaux sociaux ont généralement des comportements qu’on pourrait interpréter comme altruistes, ce qui tend à prouver que c’est ce genre de comportements que la sélection naturelle privilégie chez ce type d’animal…

          [Ainsi, la nature humaine est faite de sentiments contradictoires, à la foi égoïstes et altruistes, la culture se tachant seulement de les moduler.]

          Je ne sais pas ce que vous appelez « la nature humaine ». Mais si vous invoquez ce concept, vous ne pouvez pas parler de « sentiments ». La nature ne connaît pas les sentiments, elle ne connaît que les comportements.

          [Et globalement, j’ai quand même l’impression que la période des années 80 où l’on vouait au nues les yuppies, celle où devenir riche sans aucune justification d’utilité sociale était admis, est quand même plutôt derrière nous. Même Musk se justifie par son projet (qu’il soit réaliste est une autre affaire) de lutter contre le réchauffement climatique avec Tesla, de faire quitter à l’humanité son berceau avec SpaceX.]

          Les discours « décomplexés » ne durent jamais longtemps, parce qu’en montrant à nu la logique du capitalisme ils deviennent un véritable danger. A la rigueur, on peut reprendre la logique d’Adam Smith en répétant que « les vices privés font les vertus publiques »…

          [Et en France, je pense qu’on est quand même loin de l’affairisme qui régnait sous la IIIe République. Vous mêmes, vous dites que la haute fonction publique reste remplie de personne qui pensent sincèrement à l’intérêt général.]

          Vous oubliez dans ce raisonnement que l’Etat d’aujourd’hui n’est pas celui de la IIIème République. Aujourd’hui, les vraies décisions sont prises dans les boites privées et à Bruxelles. Et là, je vous assure qu’à côté de ce qui s’y fait, les affairistes de la IIIème République n’étaient que des amateurs…

          [Bref, il y a toujours eu des égoïstes, il y aura toujours des altruistes.]

          Tout à fait d’accord. Ce qui peut changer, c’est de passer d’une société qui fait l’apologie de l’égoïsme à une société qui le traite comme un comportement négatif…

          [Attachons nous en second lieu sur l’expression « eaux froides du calcul ».]

          Je pense que vous mettez beaucoup de sens dans ce qui n’est qu’une image littéraire. Ce que Marx fait ici c’est de mettre en contraste la « chaleur » des croyances mystiques ou chevaleresques avec la « froideur » du calcul rationnel. Parce que Marx reconnaît dans ce paragraphe à la bourgeoisie sa rationalité, et ce n’est pas un mince compliment.

          [Tout comme l’esprit de chevalerie était au fond une façon, certes sublimée, de montrer qui avait la plus grosse (pour obtenir les faveurs d’une gente demoiselle),]

          Pas tout à fait : ce qu’on appelle « l’esprit chevaleresque », c’est d’abord la défense désintéressée du faible contre le fort. Le vrai chevalier sauvait la demoiselle, mais ne la possédait pas puisqu’une des vertus du chevalier est la chasteté…

          J’ajoute que Marx n’est pas particulièrement tendre envers la société « chevaleresque » : « La bourgeoisie a révélé comment la brutale manifestation de la force au moyen âge, si admirée de la réaction, trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse. »

          [In fine, le « capitalisme » a naturellement émergé en Europe (et personnellement, je considère que depuis l’antiquité ce continent a toujours été (proto-)capitaliste), à partir du moment où ce continent a retrouvé une stabilité institutionnelle à la suite de la chute de l’Empire romain (notons que la première société anonyme, celle des Moulins du Bazacle a été fondée dès le XIIe siècle), mais surtout à la suite de la démystification du fonctionnement du monde.]

          Je pense que vous n’avez pas une idée très claire de ce qu’est le capitalisme. Le capitalisme ne se caractérise pas par le prêt d’argent – pratiqué par les banquiers juifs depuis le moyen-âge – pas plus que le crédit ou les sociétés anonymes. Ce qui caractérise le capitalisme, c’est un mode de production fondé sur la vente par les travailleurs de leur force de travail, achetée par le capitaliste pour un prix inférieur à la valeur qu’il produit. C’est là l’essence du capitalisme. Tout le reste est contingent. Il y avait des compagnies commerciales dans la Grèce antique, des banquiers dans la Venise du Xième siècle. Ce qu’il n’y avait pas, et que le capitalisme a inventé, c’était les salariés.

        • François dit :

          @Descartes
          [Marx ne dit pas que le capitalisme ait rendu les hommes plus égoïstes. Ce que Marx dit, c’est que sous les modes de production antérieurs, cet égoïsme était modéré]
          L’égoïsme d’un Crassus (qui rappelons le, entre autres, écrasa la révolte de Spartacus), d’un Cortès, était-il plus modéré que celui d’un Carnegie, d’un Musk ? J’en doute fort.
          [et caché.]
          Plus hypocrite en somme…
           
          [« En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. »]
          [Les discours « décomplexés » ne durent jamais longtemps, parce qu’en montrant à nu la logique du capitalisme ils deviennent un véritable danger.]
          J’ai du mal à vous suivre, tantôt vous m’expliquez que la spécificité du capitalisme, c’est qu’il admet ouvertement les rapport d’exploitation, tantôt que cette franchise ne peut durer qu’un temps sous peine que cela devienne un danger pour sa survie.
           
          [Il n’y a donc aucune raison que la sélection naturelle privilégie « l’accumulation INDIVIDUELLE de biens de toutes sortes ».]
          La sélection naturelle, peut être pas, mais la sélection sexuelle, beaucoup plus… Mais au fond, plus que la possession de capital, je crois que c’est la possession de pouvoir (sur autrui), la possession de capital permettant d’arriver à cette fin, qui est prédominante dans la compétition sexuelle. Et de ce point de vue là, les républiques socialistes (et même n’importe quelle utopique société « autogérée ») ne différaient guère des régimes capitalistes…
           
          [Je ne sais pas ce que vous appelez « la nature humaine ».]
          Les comportements humains que l’on retrouve au delà de toutes les cultures.
          [Mais si vous invoquez ce concept, vous ne pouvez pas parler de « sentiments ». La nature ne connaît pas les sentiments, elle ne connaît que les comportements.]
          La sélection naturelle a fait apparaître (et pas que chez l’Homme), des sentiments, des émotions, tels que la joie, la tristesse, la colère, la compassion.
           
          [Vous oubliez dans ce raisonnement que l’Etat d’aujourd’hui n’est pas celui de la IIIème République. Aujourd’hui, les vraies décisions sont prises dans les boites privées et à Bruxelles.]
          Il ne faudrait pas exagérer non plus. Par exemple, la Kommission, n’a somme toute qu’un pouvoir limité en ce qui concerne les marchés publiques (à part dicter la règlementation que je pense somme toute assez stricte), si la corruption y règne, c’est parce que c’est une institution lointaine, anonyme pour le pékin moyen.
          Quand à Vinci & Cie, ils restent friands de concessions en tous genres accordées par l’État. Plus que le transfert de pans de souveraineté à l’UE, c’est la fin du parlementarisme avec l’avènement de la Ve République, qui a mis un terme à l’affairisme en France.
           
          [Tout à fait d’accord. Ce qui peut changer, c’est de passer d’une société qui fait l’apologie de l’égoïsme à une société qui le traite comme un comportement négatif…]
          Vit-on vraiment dans une société qui fait (ouvertement) l’apologie de l’égoïsme ? Alors oui, Macron, dans son utopie de start-up nation a exprimé son souhait que les Français souhaitent devenir milliardaires, mais depuis la crise sanitaire, de l’eau a coulé sous les ponts.
          Tout comme un Bernard Arnaud n’assume pas ouvertement son égoïsme, faisant preuve d’un certain évergétisme pour légitimer sa richesse (mécénat des arts, en particulier pour la restauration de la cathédrale de Notre Dame de Paris, fourniture de gel hydroalcoolique lors de la crise sanitaire, don aux Restos du Cœur).
           
          [Je pense que vous mettez beaucoup de sens dans ce qui n’est qu’une image littéraire. Ce que Marx fait ici c’est de mettre en contraste la « chaleur » des croyances mystiques ou chevaleresques avec la « froideur » du calcul rationnel. Parce que Marx reconnaît dans ce paragraphe à la bourgeoisie sa rationalité, et ce n’est pas un mince compliment]
          Mais vous Descartes, le grand philosophe, dont le mot « cartésien » dérive de votre nom, déplore t-il que nous ayons abandonné la superstition, fut-elle « chaude » pour la Raison, fut-elle « froide » ?
           
          [Pas tout à fait : ce qu’on appelle « l’esprit chevaleresque », c’est d’abord la défense désintéressée du faible contre le fort.]
          Ouais, enfin l’esprit chevaleresque, c’était aussi (et surtout) aller taper sur la gueule du voisin pour des raisons à la con, avec tous les dommages collatéraux que ça implique, si bien qu’Urbain II crut bon instaurer des états latins en Orient pour canaliser cette énergie débordante.
          [Le vrai chevalier sauvait la demoiselle, mais ne la possédait pas puisqu’une des vertus du chevalier est la chasteté…]
          À la fin, le preux chevalier avec son amour courtois, avait surtout en tête d’enfourer la gente demoiselle.
          J’ai vu il y a quelques temps Le Dernier Duel de Ridley Scott. Allez savoir pourquoi, mais ces histoires de conseil départemental à l’époque médiévale me semblent parfaitement plausibles.
           
          [Je pense que vous n’avez pas une idée très claire de ce qu’est le capitalisme. Le capitalisme ne se caractérise pas par le prêt d’argent – pratiqué par les banquiers juifs depuis le moyen-âge – pas plus que le crédit]
          Mais le principe du crédit n’est-il pas (entre-autres) d’avancer la trésorerie pour acheter le matériel nécessaire pour travailler et en retour, en plus de se faire rembourser le montant emprunté, toucher une partie de la valeur ajoutée produite avec cet investissement ?
          [ou les sociétés anonymes.]
          Mais les titres de la société des Moulins du Bazacle étaient librement cessibles, et pas seulement à d’autres meuniers, mais à n’importe quel bourgeois (de Toulouse), avec les revenus (dividendes) afférents, c’est à dire l’aliénation d’une partie de la valeur ajoutée produite par les meuniers qui y travaillent. Le CAC 40 n’a fait que perfectionner cette démarche.
           
          [ Ce qui caractérise le capitalisme, c’est un mode de production fondé sur la vente par les travailleurs de leur force de travail, achetée par le capitaliste pour un prix inférieur à la valeur qu’il produit.]
          Oui, comme l’esclave travaillant dans un latifundium ne recevait qu’une maigre pitance en retour de la valeur qu’il produisait, pitance dans l’intérêt du propriétaire pour qu’il puisse continuer à produire. Entre temps, des progrès moraux sont passés par là, et avec ça, l’exploitant a compris qu’au fond, il est plus intéressant d’acheter du temps de travail que de posséder le travailleur.
           
          [[Addendum : plus que Karl Marx, c’est surtout Aldous Huxley, en particulier son roman Le Meilleur des mondes, qu’il faut lire pour comprendre vers où on va.]
          Ca dépend à quelle échéance…]
          À une échéance (très) brève au regard de l’histoire de l’Humanité. Il est déjà possible de modifier génétiquement les êtres humains à leur conception (ça a déjà été fait une fois), ça n’est donc plus qu’une question de temps avant que l’on s’engage irrémédiablement sur la pente glissante (la sélection génétique d’embryons pour prévenir les maladies génétiques se faisant déjà). Quant aux utérus artificiels, je ne vois pas pourquoi il n’existeraient pas au plus tard avant la fin du siècle prochain. La bonne nouvelle, c’est qu’il sera plus probable d’employer des robots plutôt que des gammas/deltas/epsilons.

          • Descartes dit :

            @ François

            [L’égoïsme d’un Crassus (qui rappelons le, entre autres, écrasa la révolte de Spartacus), d’un Cortès, était-il plus modéré que celui d’un Carnegie, d’un Musk ? J’en doute fort.]

            Vous avez tort. La différence fondamentale, c’est que, contrairement à Carnegie et Musk, ni Crassus ni Cortès n’étaient donnés en exemple à imiter aux jeunes par la société dans laquelle ils ont vécu. Aucun des deux n’a fait l’objet d’un culte social ou invités à parler dans une estrade pour l’édification du peuple, contrairement à Musk ou Carnegie. Vous noterez d’ailleurs qu’il est difficile de qualifier Crassus « d’égoïste » : pour lui, la fortune était surtout un moyen de faire de la politique. Cicéron, qui le haïssait, lui attribue la formule suivante : « qu’un homme qui voulait jouer le premier rôle dans une république n’avait jamais assez de fortune, tant qu’il ne pouvait entretenir une armée à ses frais ».

            [J’ai du mal à vous suivre, tantôt vous m’expliquez que la spécificité du capitalisme, c’est qu’il admet ouvertement les rapport d’exploitation, tantôt que cette franchise ne peut durer qu’un temps sous peine que cela devienne un danger pour sa survie.]

            Marx écrivait en 1848, alors que le mouvement ouvrier commençait à peine à s’organiser, et que la principale menace pour la bourgeoisie ne venait pas encore des ouvriers, mais surtout des réactionnaires nostalgiques de l’Ancien régime. Depuis, beaucoup d’eau est passée sous les ponts. Vous noterez d’ailleurs que le discours varie avec le rapport des forces. Pendant les « trente glorieuses », alors que le rapport de forces était relativement équilibré, la bourgeoisie tenait un langage « social ». Quand le rapport de force devient massivement défavorable aux couches populaires à la fin des années 1970, le discours se fait à nouveau « ouverte, éhontée, directe, brutale » – souvenez-vous du magnifique monologue de Gordon Gecko, joué par Michael Douglas dans le film d’Oliver Stone « Wall Street » : « The point is, ladies and gentleman, that greed — for lack of a better word — is good. Greed is right. Greed works. Greed clarifies, cuts through, and captures the essence of the evolutionary spirit. Greed, in all of its forms — greed for life, for money, for love, knowledge — has marked the upward surge of mankind. And greed — you mark my words — will not only save Teldar Paper, but that other malfunctioning corporation called the USA. »

            [« Il n’y a donc aucune raison que la sélection naturelle privilégie « l’accumulation INDIVIDUELLE de biens de toutes sortes ». » La sélection naturelle, peut-être pas, mais la sélection sexuelle, beaucoup plus… Mais au fond, plus que la possession de capital, je crois que c’est la possession de pouvoir (sur autrui), la possession de capital permettant d’arriver à cette fin, qui est prédominante dans la compétition sexuelle. Et de ce point de vue là, les républiques socialistes (et même n’importe quelle utopique société « autogérée ») ne différaient guère des régimes capitalistes…]

            Je ne saisis pas très bien le sens de ce paragraphe. C’est quoi, pour vous, la « compétition sexuelle » ? La recherche d’un partenaire avec lequel se reproduire ? Qu’appelez-vous « pouvoir » dans ce contexte ? Et quelle observation vous permet de dire que de ce point de vue le « pouvoir » serait plus attractif que « la possession du capital » ?

            [« Je ne sais pas ce que vous appelez « la nature humaine ». » Les comportements humains que l’on retrouve au-delà de toutes les cultures.]

            Pourriez-vous donner quelques exemples ? Le problème, c’est que vous pouvez trouver pratiquement TOUS les comportements dans TOUTES les cultures. A part l’interdiction de l’inceste – et encore – il y a vraiment très peu de comportements universels…

            [« Mais si vous invoquez ce concept, vous ne pouvez pas parler de « sentiments ». La nature ne connaît pas les sentiments, elle ne connaît que les comportements. » La sélection naturelle a fait apparaître (et pas que chez l’Homme), des sentiments, des émotions, tels que la joie, la tristesse, la colère, la compassion.]

            D’où tirez-vous cette idée ?

            [« Vous oubliez dans ce raisonnement que l’Etat d’aujourd’hui n’est pas celui de la IIIème République. Aujourd’hui, les vraies décisions sont prises dans les boites privées et à Bruxelles. » Il ne faudrait pas exagérer non plus. Par exemple, la Kommission, n’a somme toute qu’un pouvoir limité en ce qui concerne les marchés publiques (à part dicter la règlementation que je pense somme toute assez stricte), si la corruption y règne, c’est parce que c’est une institution lointaine, anonyme pour le pékin moyen.]

            Je crois que vous n’avez pas bien lu : j’ai écrit « aujourd’hui, les vrais décisions sont prises DANS LES BOITES PRIVEES et à Bruxelles ». Pour des raisons mystérieuses, vous n’avez retenu que le second terme de l’énumération… et croyez-moi, si la Commission n’a qu’un pouvoir limité sur les marchés publics – encore que – les « boites privées », elles, ont un pouvoir considérable.

            [Plus que le transfert de pans de souveraineté à l’UE, c’est la fin du parlementarisme avec l’avènement de la Ve République, qui a mis un terme à l’affairisme en France.]

            Deux grandes réformes ont permis de réduire considérablement l’affairisme en France : le statut du fonctionnaire de 1945, qui a rendu la corruption des fonctionnaires beaucoup plus difficile, et le « parlementarisme rationnalisée » qui a limité l’intérêt de corrompre les députés et concentré le pouvoir de décision dans les ministres, qui étant beaucoup moins nombreux sont plus faciles à contrôler. La dilution du pouvoir par le biais des délégations « vers le haut » à la Commission européenne et « vers le bas » aux collectivités locales, accompagné de coups de canif de plus en plus nombreux au statut des fonctionnaires – par exemple, le décret macronien qui permet de nommer des personnes venues du privé et ne bénéficiant pas du statut aux postes de direction – marque le retour triomphant de l’affairisme.

            [« Tout à fait d’accord. Ce qui peut changer, c’est de passer d’une société qui fait l’apologie de l’égoïsme à une société qui le traite comme un comportement négatif… » Vit-on vraiment dans une société qui fait (ouvertement) l’apologie de l’égoïsme ? Alors oui, Macron, dans son utopie de start-up nation a exprimé son souhait que les Français souhaitent devenir milliardaires, mais depuis la crise sanitaire, de l’eau a coulé sous les ponts.]

            Ne croyez pas ça. Regardez les personnalités que la société offre comme modèle à la jeunesse : on est plus près d’Elon Musk que de Mère Thérèsa. Posez des questions aux jeunes sur l’avenir auquel ils rêvent, et comptez combien incluent le mot « argent » dans leur réponse. Nous vivons dans une société qui fait du succès individuel l’alpha et l’oméga, et qui diffuse l’idée qu’on ne peut compter que sur soi-même. L’utopie macronienne de la « start-up nation » n’est qu’un symptôme parmi d’autres : le glissement a commencé avant que Macron soit né, à la fin des années 1960, et devient massif au début des années 1980 – rebaptisées « les années fric », tout un programme – lorsque la révolution néolibérale se met en marche. Si vous n’avez jamais regardé l’émission « vive la crise », il est urgent de le faire. Et de se souvenir qu’à l’époque l’émission avait été co-produite par le journal « Libération »…

            [Tout comme un Bernard Arnaud n’assume pas ouvertement son égoïsme, faisant preuve d’un certain évergétisme pour légitimer sa richesse (mécénat des arts, en particulier pour la restauration de la cathédrale de Notre Dame de Paris, fourniture de gel hydroalcoolique lors de la crise sanitaire, don aux Restos du Cœur).]

            Bernard Arnault a 70 ans, et vient d’une famille catholique de tradition militaire. Il a été formé dans « l’ancien monde », et reste un digne représentant de celui-ci. Je doute qu’on retrouve le même comportement dans la génération qui a aujourd’hui 30 ans.

            [Mais vous Descartes, le grand philosophe, dont le mot « cartésien » dérive de votre nom, déplore-t-il que nous ayons abandonné la superstition, fut-elle « chaude » pour la Raison, fut-elle « froide » ?]

            Non, et Marx non plus. Relisez le paragraphe du « Manifeste », et vous verrez que loin de présenter l’action de la bourgeoisie sous un jour négatif, Marx met en valeur l’action « révolutionnaire » de la bourgeoisie. Encore une fois, la pensée marxienne est dialectique. Un mode de production n’est intrinsèquement ni « bon » ni « mauvais », il s’insère dans une histoire. Le mode de production capitaliste exploite le travail salarié, le mode de production féodal le travail servil, le mode de production antique le travail esclave. Et le passage de l’un à l’autre représente un progrès, parce qu’à chaque fois on a libéré des forces productives nouvelles.

            [« Pas tout à fait : ce qu’on appelle « l’esprit chevaleresque », c’est d’abord la défense désintéressée du faible contre le fort. » Ouais, enfin l’esprit chevaleresque, c’était aussi (et surtout) aller taper sur la gueule du voisin pour des raisons à la con, avec tous les dommages collatéraux que ça implique, si bien qu’Urbain II crut bon instaurer des états latins en Orient pour canaliser cette énergie débordante.]

            Vous confondez ici l’esprit avec la pratique.

            [« Je pense que vous n’avez pas une idée très claire de ce qu’est le capitalisme. Le capitalisme ne se caractérise pas par le prêt d’argent – pratiqué par les banquiers juifs depuis le moyen-âge – pas plus que le crédit » Mais le principe du crédit n’est-il pas (entre-autres) d’avancer la trésorerie pour acheter le matériel nécessaire pour travailler et en retour, en plus de se faire rembourser le montant emprunté, toucher une partie de la valeur ajoutée produite avec cet investissement ?]

            Tout à fait. Mais qui travaille sur ce « matériel » pour rembourser l’emprunt ? Un salarié ? Un serf ? Un esclave ? Selon la réponse à cette question, vous êtes dans un mode de production différent. Dans le capitalisme, ce crédit vous sert à acheter des outils qui serviront à valoriser la force de travail que vous aurez acheté par ailleurs. Dans le féodalisme, à valoriser une masse de travail qui est d’avance bornée. Sous le capitalisme, vous avez intérêt à valoriser le plus possible la force de travail parce qu’elle vous coûte. Sous le féodalisme, l’intérêt est beaucoup moindre parce que, quoi que vous fassiez, la force de travail est toujours la même…

            [Mais les titres de la société des Moulins du Bazacle étaient librement cessibles, et pas seulement à d’autres meuniers, mais à n’importe quel bourgeois (de Toulouse), avec les revenus (dividendes) afférents, c’est à dire l’aliénation d’une partie de la valeur ajoutée produite par les meuniers qui y travaillent. Le CAC 40 n’a fait que perfectionner cette démarche.]

            Mais « les meuniers qui y travaillent », sont-ils des artisans protégés par les règlements de leur guilde ? Ou sont-ils des salariés interchangeables ? C’est là toute l’essence du capitalisme. L’exploitation du travail d’autrui n’apparaît pas avec le capitalisme, c’est quelque chose aussi vieille que le monde. Ce que le capitalisme invente, c’est l’exploitation du travail SALARIE.

            [« Ce qui caractérise le capitalisme, c’est un mode de production fondé sur la vente par les travailleurs de leur force de travail, achetée par le capitaliste pour un prix inférieur à la valeur qu’il produit. » Oui, comme l’esclave travaillant dans un latifundium ne recevait qu’une maigre pitance en retour de la valeur qu’il produisait, pitance dans l’intérêt du propriétaire pour qu’il puisse continuer à produire.]

            Sauf que l’esclave recevait sa pitance qu’il produise ou pas. Si l’esclave était malade, on devait le nourrir quand même. Si les pluies ravageaient la récolte et qu’il n’y avait pas de moisson cette année-là, il fallait nourrir l’esclave quand même. On ne pouvait pas le licencier pour le reprendre l’année suivante. Le passage du travail esclave au travail servile, et de celui-ci au travail salarié est une transformation fondamentale du mode de production…

            [Entre temps, des progrès moraux sont passés par là, et avec ça, l’exploitant a compris qu’au fond, il est plus intéressant d’acheter du temps de travail que de posséder le travailleur.]

            Je dirais plutôt que l’exploitant a compris que c’est plus intéressant d’acheter la force de travail que le travailleur, et que les « progrès moraux » ont suivi…

      • François dit :

        Addendum : plus que Karl Marx, c’est surtout Aldous Huxley, en particulier son roman Le Meilleur des mondes, qu’il faut lire pour comprendre vers où on va.

        • Descartes dit :

          @ François

          [Addendum : plus que Karl Marx, c’est surtout Aldous Huxley, en particulier son roman Le Meilleur des mondes, qu’il faut lire pour comprendre vers où on va.]

          Ca dépend à quelle échéance…

      • Magpoul dit :

        @Descartes

        Jusqu’à un certain point, oui. Mais ma transcendance à moi est purement sociale, alors que la mystique de Péguy prend un caractère religieux. Mon point de vue est plus matérialiste, et fait de cette transcendance une « fiction nécessaire » au bon fonctionnement des sociétés humaines, alors que pour Peguy elle a une réalité

        Je comprends. Néanmoins, la clé de la puissance d’une religion n’est-elle pas dans son aspect social de rites et de croyances partagés? Qu’appelez-vous “caractère religieux”? Admirer Colbert pour son dévouement, faire des gaulois nos ancêtres, n’est-ce pas au fond battis sur la même matrice qu’une religion? Qu’est-ce qui vous permet de dire que pour Péguy, la mystique républicaine et française n’avaient pas un sens tout aussi matérialiste que le votre et que c’était une fiction nécessaire? Je me demande si, justement, il ne s’était pas révolté contre la mort de la mystique car il en comprenait précisément le but matériel. Je ne connais pas assez l’auteur pour m’avancer d’avantage. 

        Les mystiques d’aujourd’hui sont ceux qui savent gérer la dichotomie entre raison et sentiment. C’est pourquoi ils sont souvent cyniques. De Gaulle – et d’une façon général le gaullisme – est de ce point de vue un exemple remarquable. Il pouvait à la fois avoir « une certaine idée de la France » et constater que les Français n’étaient pas, loin s’en faut, conformes à cette « idée ». Un ancien de la France Libre racontait que, lorsqu’il remontait la vallée du Rhône avec les troupes françaises qui avaient débarqué en Provence, un maire avait eu l’outrecuidance de vouloir leur faire payer l’eau de sa fontaine. Et il concluait « je me suis battu pour la France, pas pour les Français ». C’est peut-être la formule qui résume le mieux cette capacité de l’esprit humain de travailler à la fois dans les deux plans, celui des faits matériels et celui des idées.

        L’exemple est assez triste, en effet. Pourtant, les mémoires de De Gaulle sont pleines de messages d’une grande beauté quand ils évoquent son retour en France et sa visite des villes en ruine, où la population les accueillaient avec tout ce qui leur restait d’espoir. Certains faits matériels ont pu aussi conforter sa vision de la France et de son peuple, au delà de Vichy et des maires odieux. Ce sont bien des Français qui l’ont rejoint à Londres, des Français qui sont morts sous la torture pour la France, des Français qui ont tenu à Bir Hakeim. Même sans vision transcendante, un gaulliste pouvait aussi se battre “pour les Français” ET “pour la France”. 

        Tant qu’il y avait des mystiques puissantes en face – et notamment la mystique communiste – le capitalisme s’est forcé à trouver lui-même des mystiques pour lui opposer : on a eu celle de la « liberté » dans les années 1950, celle des « droits de l’homme » dans les années 1970, celle de la « construction européenne » dans les années 1980. Mais depuis la chute du Mur et la « fin de l’histoire », le capitalisme ne se sent même pas le besoin d’aller construire une transcendance quelconque.

        Quand vous dites “le capitalisme”, parlez-vous des classes dominantes qui ont tout intérêt à son maintien? Pourquoi donc ces classes ne mettent plus en place de mystique “nécessaire” et se s’en sentent plus le besoin? Une mystique est très importante, on l’a vu, pour maintenir la société à flot et transcender. Ne serait-ce pas dans leurs intérêts que d’en bricoler une, même sans mystique à affronter? 

        • Descartes dit :

          @ Magpoul

          [Je comprends. Néanmoins, la clé de la puissance d’une religion n’est-elle pas dans son aspect social de rites et de croyances partagés? Qu’appelez-vous “caractère religieux”?]

          Je me suis mal exprimé. Le mot « religieux » n’est pas le bon, j’aurais du mettre « spirituel » à la place. Ce que je voulais dire, c’est que ma vision de la transcendance est plutôt sociale : on se survit dans la société qu’on laisse derrière soi, alors que celle de Peguy est plus spirituelle, plus proche du sentiment religieux.

          [Admirer Colbert pour son dévouement, faire des gaulois nos ancêtres, n’est-ce pas au fond battis sur la même matrice qu’une religion?]

          Oui, au sens qu’il s’agit de croyances qui « relient ». Mais il s’agit d’une « religion laïque » et non d’une « religion spirituelle ».

          [Qu’est-ce qui vous permet de dire que pour Péguy, la mystique républicaine et française n’avaient pas un sens tout aussi matérialiste que le votre et que c’était une fiction nécessaire? Je me demande si, justement, il ne s’était pas révolté contre la mort de la mystique car il en comprenait précisément le but matériel. Je ne connais pas assez l’auteur pour m’avancer d’avantage.]

          De mes lectures, je n’ai pas l’impression que ce soit le cas. D’ailleurs, le mysticisme de Péguy l’a poussé à un retour vers la religion. Mais je ne connais pas non plus assez l’auteur pour vous donner une références précise.

          [L’exemple est assez triste, en effet. Pourtant, les mémoires de De Gaulle sont pleines de messages d’une grande beauté quand ils évoquent son retour en France et sa visite des villes en ruine, où la population les accueillaient avec tout ce qui leur restait d’espoir. Certains faits matériels ont pu aussi conforter sa vision de la France et de son peuple, au-delà de Vichy et des maires odieux.]

          Dans ses écrits, De Gaulle se tient en effet à un message de confiance envers la France et aussi des Français. Mais nous savons qu’il était beaucoup plus cynique en privé. Souvenez-vous de son « les Français sont des veaux ». Je me souviens aussi d’une anecdote racontée par Bidault : alors qu’il accompagnait mongénéral dans la visite d’une petite ville tout juste libérée, il est reçu par les élus avec écharpe et cérémonie républicaine, et une petite fille s’avance vers lui, lui tend un bouquet de fleurs et crie « Vive le Maréchal ! ». De Gaulle fait comme si de rien n’était, prend le bouquet et se retourne vers Bidault en disant « comment voulez-vous qu’ils se retrouvent ? ».

          [Ce sont bien des Français qui l’ont rejoint à Londres, des Français qui sont morts sous la torture pour la France, des Français qui ont tenu à Bir Hakeim. Même sans vision transcendante, un gaulliste pouvait aussi se battre “pour les Français” ET “pour la France”.]

          C’est toute l’ambiguïté. La France, par construction, ne me déçoit jamais. Les Français… souvent !

          [Quand vous dites “le capitalisme”, parlez-vous des classes dominantes qui ont tout intérêt à son maintien?]

          Vous avez raison de me corriger, je fais ici un abus de langage. Le capitalisme est un mode de production, il n’a donc pas de volonté. Je devrais écrire – comme le fait Marx – « la bourgeoisie » ou « le bloc dominant ». Ce sont les hommes qui agissent, et non les abstractions.

          [Pourquoi donc ces classes ne mettent plus en place de mystique “nécessaire” et se s’en sentent plus le besoin ? Une mystique est très importante, on l’a vu, pour maintenir la société à flot et transcender. Ne serait-ce pas dans leurs intérêts que d’en bricoler une, même sans mystique à affronter ?]

          Pourquoi fourbir des armes quand on a gagné la guerre et qu’on n’a plus d’ennemi à sa taille ? Les classes dominantes se foutent de « maintenir la société à flot et transcender ».

          • Magpoul dit :

            @Descartes

            Je me suis mal exprimé. Le mot « religieux » n’est pas le bon, j’aurais du mettre « spirituel » à la place. Ce que je voulais dire, c’est que ma vision de la transcendance est plutôt sociale : on se survit dans la société qu’on laisse derrière soi, alors que celle de Peguy est plus spirituelle, plus proche du sentiment religieux.

            Une transcendance matérielle, en soit? Si vous entendez par là qu’au fond ce qui rend un homme “immortel” pour ses pairs est l’ensemble de traces matérielles qu’il laisse, je suis d’accord. Que ces traces soient un artifice (livre, peinture), une famille, une institution, un acte héroïque… Peu importe l’existence dans l’outremonde, ce qui compte c’est de perdurer dans le seul monde qui existe. Je pense que cette pensée est proche de celle de Camus, que j’aime beaucoup. La vie est absurde, alors reconnaissons-le et profitons-en dans l’effort, dans la création. Nos œuvres sont des cris de fierté face à l’univers indifférent. 

            Dans ses écrits, De Gaulle se tient en effet à un message de confiance envers la France et aussi des Français. Mais nous savons qu’il était beaucoup plus cynique en privé. 

            Je connais le personnage uniquement de ses mémoires, mais je veux bien croire qu’il était ainsi. Je pense que ce n’est pas pour rien qu’il disait avoir “une certaine idée de la France” et non “une certaine idée des Français”. Ce n’est pas plus mal. Les Français, comme la deuxième guerre, et notre histoire en général, nous l’ont dévoilé, ne sont ni universellement vertueux, ni maléfiques. Ils sont une multitude variée, mais tous sont la France. 

            • Descartes dit :

              @ Magpoul

              [Une transcendance matérielle, en soi ? Si vous entendez par là qu’au fond ce qui rend un homme “immortel” pour ses pairs est l’ensemble de traces matérielles qu’il laisse, je suis d’accord. Que ces traces soient un artifice (livre, peinture), une famille, une institution, un acte héroïque…]

              Exactement. La transcendance sociale vient de la conviction que la société continuera à rendre hommage à votre œuvre au-delà de votre mort, que vous servirez d’exemple aux générations futures.

              [Peu importe l’existence dans l’outremonde, ce qui compte c’est de perdurer dans le seul monde qui existe. Je pense que cette pensée est proche de celle de Camus, que j’aime beaucoup.]

              Je pense que Camus est bien plus pessimiste – et par certains côtés plus individualiste. Je ne suis pas persuadé qu’on puisse trouver chez lui une vraie idée de « transcendance ».

              [Je connais le personnage uniquement de ses mémoires, mais je veux bien croire qu’il était ainsi.]

              Je vous conseille la lecture de « C’était De Gaulle », édition réputée fidèle des notes prises par Alain Peyrefitte dans ses conversations régulières avec mongénéral. Elles donnent une idée plus claire de la vision de De Gaulle au jour le jour, au-delà de l’image qu’il voulait laisser pour l’histoire, et qui est l’objet de ses « mémoires ».

              [Les Français, comme la deuxième guerre, et notre histoire en général, nous l’ont dévoilé, ne sont ni universellement vertueux, ni maléfiques. Ils sont une multitude variée, mais tous sont la France.]

              Je ne sais plus qui avait dit que si la Grande Bretagne est une île, la France est d’abord une idée… Il y a un grand décalage entre la France telle qu’on la conçoit, et la France “multitude variée” des Français. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de pays où le décalage entre le pays tel qu’il est et tel qu’il se conçoit soit si grande, à part les Etats-Unis. Est-ce un hasard si ce sont là les deux pays qui proclament une vocation universelle ?

  20. Magpoul dit :

    @Descartes
    Je poursuis ici notre échange.

    Je pense que Camus est bien plus pessimiste – et par certains côtés plus individualiste. Je ne suis pas persuadé qu’on puisse trouver chez lui une vraie idée de « transcendance ».

    Je ne suis pas d’accord. Je vais vous donner mon interprétation de son œuvre. Je pense que Camus est tout sauf individualiste. Sa transcendance, c’est la “révolte”, cette façon que l’Homme a de refuser sa condition absurde. Dans “l’homme révolté”, il explique que la révolte est aussi une façon de créer un collectif “je me révolte donc nous sommes”. Dans ce même ouvrage, il passe en revue différents cas de révolte qui ont cassé ce “nous” par, par exemple, le meurtre. En fait, je pense que Camus souhaite montrer qu’il n’a jamais existé de révolte “pure” car toutes (en tout cas toutes celles qu’il montre) ont dégénéré et se sont trahi. Pour moi, en mettant en avant l’absurdité de la condition humaine via le mythe de Sisyphe, il souhaite créer un “nous” universel en montrant que tout homme a une existence absurde, donc que nous pouvons tous former un “nous” ultime et défier l’univers indifférent, pousser ensemble notre pierre. Il souhaite donc créer une révolte absolument pure. Je pense que cela est bien représenté dans La Peste, où il parle avant tout du “nous” que la maladie génère chez les habitants d’Oran, comment cette ville fait face à un fléau qui tue les enfants et les adultes sans distinction. Je vous accorde que L’étranger est plus ambigu, et je dois relire le livre pour l’intégrer dans mon raisonnement. Je ne pense pas qu’une démarche individualiste aurait poussé Camus à remercier son enseignant lors de la remise de son prix Nobel. Je pense que Camus aime l’Homme. Il y a en effet quelque chose de terrible dans l’absurdité qu’il montre, mais il propose une porte de sortie. Je dois dire que j’aime beaucoup cette vision de la vie. Imaginer Sisyphe heureux me réconforte, me permet de tisser des liens invisibles avec les autres. Nous partageons tous cette pierre à pousser. Et, je pense, enfin, que tout cela me transcende. 

    Je vous conseille la lecture de « C’était De Gaulle », édition réputée fidèle des notes prises par Alain Peyrefitte dans ses conversations régulières avec mongénéral. Elles donnent une idée plus claire de la vision de De Gaulle au jour le jour, au-delà de l’image qu’il voulait laisser pour l’histoire, et qui est l’objet de ses « mémoires ».

    J’ai vu le titre de cette ouvrage un peu partout. Je vais me le procurer, merci !

    Je ne sais plus qui avait dit que si la Grande Bretagne est une île, la France est d’abord une idée… Il y a un grand décalage entre la France telle qu’on la conçoit, et la France “multitude variée” des Français. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de pays où le décalage entre le pays tel qu’il est et tel qu’il se conçoit soit si grande, à part les Etats-Unis. Est-ce un hasard si ce sont là les deux pays qui proclament une vocation universelle ?

    Je dis souvent à mes collègues qu’être Français, ce n’est pas une question de sang, mais une question d’idée. Bon, je vous accorde que je surjoue la grandiloquence, cela marche bien avec les Allemands car je n’ai jamais vu des personnes se détester autant. J’aime bien les taquiner, disons. Votre remarque est intéressante mais il serait très difficile d’étudier un tel phénomène. Néanmoins, j’ai tendance à penser que, dès lors que notre pays est “une idée”, alors on peut admettre que cette idée peut être partagée par tous. C’est presque religieux, mystique, pour revenir sur notre sujet de départ. 

    • Descartes dit :

      @ Magpoul

      [Pour moi, en mettant en avant l’absurdité de la condition humaine via le mythe de Sisyphe,]

      Je pensais justement à l’utilisation par Camus du mythe de Sisyphe. Exemple peut être extrême d’un refus de toute « transcendance », puisque tous les efforts, tous les travaux de Sisyphe sont destinés à disparaître sans postérité dans un retour éternel à la case départ.

      [Je ne pense pas qu’une démarche individualiste aurait poussé Camus à remercier son enseignant lors de la remise de son prix Nobel. Je pense que Camus aime l’Homme.]

      Ce n’est en rien contradictoire. On peut avoir de soi-même une version historique, être reconnaissant à ceux qui vous on fait tel que vous êtes, tout en ayant une démarche individualiste. Camus aime les hommes, mais ne se fait guère d’illusions à leur sujet !

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